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Rencontres autour des musiques du Sud-Ouest de l’Océan Indien «Inventaire des urgences de collectage» 18, 19, 20 juin 2012 MOCA (Montgaillard Culture & Art) Saint-Denis, La Réunion Résumé et synthèse des interventions Comité scientifique : Bernadette Ladauge, Jean-Pierre La Selve, Gilles Pignon, Vincent Giovannoni, Alain Courbis et Fanie Précourt. Coordination : Anaëlle Brodin et Fanie Précourt Transcriptions et synthèse : Guillaume Samson Graphisme : Elsa Lauret

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Rencontres autour des musiques du Sud-Ouest de l’Océan Indien

«Inventaire des urgences de collectage»

18, 19, 20 juin 2012

MOCA (Montgaillard Culture & Art)

Saint-Denis, La Réunion

Résumé et synthèse des interventions

Comité scientifique : Bernadette Ladauge, Jean-Pierre La Selve, Gilles Pignon, Vincent Giovannoni, Alain Courbis et Fanie Précourt.Coordination : Anaëlle Brodin et Fanie PrécourtTranscriptions et synthèse : Guillaume Samson

Graphisme : Elsa Lauret

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2 • Rencontres autour des musiques du Sud-Ouest de l’Océan Indien «Inventaire des urgences de collectage»

Ouverture des rencontres

Alain Courbis

Directeur du PRMA

(Pôle Régional des Musiques Actuelles)

de La Réunion

La création de la mission patrimoine du PRMA s'estsituée à peine dix ans après le passage du vinyle auCD. Cette évolution technologique avait rendu denombreuses œuvres musicales réunionnaisesindisponibles au public. D'autre part, la missionpatrimoine s'est inscrite dans la sauvegarde destraditions menacées par la mondialisation. Une despremières décisions qui a été prise en 1998 a consistéà créer le label phonographique Takamba, en suivantune double ligne éditoriale : réédition de vieuxenregistrements (78 tours, 45 tours, bandesmagnétiques…) d'un côté, collectage de terrain(musiciens non professionnels) de l'autre. Ceci adonné lieu à une collection de disques puis de livres-disques dirigée par Fanie Précourt. En tout, le labelcompte aujourd'hui 18 albums. Ce travail effectué sur le disque constitue la face« apparente » de la mission patrimoine depuis sacréation. L'autre volet du travail concerne un travailde ressources (en contact avec des chercheurs, desmusiciens, des spécialistes…). Ceci s'est notammenttraduit par la participation de Fanie Précourt à desdocumentaires et à la réalisation d'ouvrages.

Le PRMA agit en complémentarité avec d'autresacteurs. Ces rencontres sont le moment de « nousposer » pour la première fois depuis 15 ans. LePRMA se trouve à un moment où nous nous posonsles questions suivantes : quelles urgences? Quelsprojets prioritaires mener? Nous souhaitons établirun programme de travail qui prenne en considérationle devoir de mémorisation, de perpétuation et detransmission des patrimoines musicaux. Il s'agitavant tout de permettre à ces traditions de continuerà s'exercer. La diversité des invités à nos rencontres (Comores,Mayotte, Maurice, Rodrigues, Seychelles…) a étévoulue pour échanger de façon libre et conviviale.Il y aura par ailleurs des pauses musicales avec desgrands musiciens traditionnels, afin de ne pas resterque dans la parole. Cet événement accueille également l'exposition deJean-Pierre La Selve (association Vavangue) sur lesinstruments de musique traditionnels de LaRéunion, ainsi que celle sur le maloya, réalisée parle PRMA en 20112.

Patrice Bertil Directeur des Affaires Culturelles et Sportives

de La Région Réunion

En l’absence du vice-président délégué à la Culturequi s’excuse, je vous souhaite la bienvenue au nomde La Région Réunion qui a acquis l’an dernier ledomaine Morange, baptisé MOCA, sur lequel sedéroule ces rencontres. Le MOCA se veut être un lieude rencontres, de manifestations et d'événements

ouvert aux associations culturelles. Il accueillenotamment depuis décembre 2011, et jusqu’à fin juin2012, la première exposition internationale sur lesMusiques noires3. Ces rencontres augurent de troisjours intéressants. Il est toujours bon de se poser, deréfléchir, de faire le bilan de ce qui va ou ne va pas,et de ce qu'il faudrait faire.

Guilène Tacoun Conseillère musique et danse de la DAC-OI

(Direction des Affaires Culturelles - Océan

Indien)

Partenaire du PRMA dès sa naissance en 1997, laDAC-OI appuie la première édition de ce colloque.Jamais ce type de manifestation n'avait étéorganisée à La Réunion. On peut en attendre deposer les termes d'un débat sur le patrimoine :qu'est-ce que le patrimoine ? Que faut-il pour levaloriser, le sauvegarder? Il s'agit aussi de resserrerles liens de la coopération régionale. Ces questionsont par ailleurs un intérêt pour l'Humanité engénéral.

Jean-Pierre La Selve Musicologue, musicien, chercheur

(La Réunion)

Quels sont les éléments de patrimoine à préserverà La Réunion? Faire un état des lieux des musiquestraditionnelles dans l'OI est une lourde tâche enraison de la diversité de ces musiques. Deuxensembles se dégagent :

Résumé des interventions1

1 - Les résumés des interventions ont été rédigés à partir d'enregistrements. Ils ne prennent pas en compte les échanges et débats auxquels elles ont pu donner lieu.2 - Maloya. Musique traditionnelle de La Réunion, PRMA, 2011.3 - Les Musiques Noires dans le monde, Mondomix, 2012.

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1) les espaces peuplés avant l'arrivée desEuropéens : régions de culture swahili (Zanzibar,Tanzanie, Comores) et Madagascar;

2) les îles au départ désertes.La Réunion appartient à cette deuxième zone quirassemble aussi des territoires colonisés d'abord parla France, puis par le Royaume Uni. À l'îleMaurice, à Rodrigues et aux Seychelles, la languecréole a ainsi émergé avant la colonisationanglaise. Les Mascareignes et les Seychellespartagent par ailleurs des éléments culturels etmusicaux qui circulent entre ces ensembles. Toutceci est à prendre en compte pour comprendre larichesse des traditions musicales de La Réunion.

Une autre question concerne le concept demusiques traditionnelles : qu'est ce que celarecouvre à la Réunion?

On a maintenant tendance à penser uniquement aumaloya quand on emploie cette expression. Ainsiles facteurs d'« instruments traditionnels » neproduisent que ceux du maloya (et parfois certainsinstruments « malbar »). Ceci est lié à la dimensionpolitique du maloya qui l'a fait redémarrer (le pointculminant de ce processus étant son inscription auPCI de l'UNESCO en 2009). Cette opération nepourrait-elle pas être reconduite sur les autresmusiques traditionnelles locales? La pratique de lamusique « malbar » pourrait être rapprochée decelle, familiale et religieuse du maloya. Le rôle desinstruments y est essentiel. La communauté« malbar » préserve la fabrication traditionnelle dedifférents tambours. Cette musique est pourtant

sortie depuis quelques années du contextereligieux, le groupe « Les Tambours Sacrés »faisant, contrairement à son nom, un usage profaneet festif de ces instruments. Des recherches restentà mener sur ces tambours dont la technique defabrication commence à se perdre en Inde commesur l'influence indienne sur le maloya. Quant à lamusique d'origine européenne, elle a été pendantlongtemps la seule qui rassemblait l'ensemble desRéunionnais de toutes origines. Les répertoires,instruments, et pratiques de danses traditionnelles(valses, polkas, mazurkas, scottischs et quadrilles)en cours à La Réunion se rapprochent de ce quis'est passé en Métropole et notre « ségaréunionnais » est issu du métissage entre ceséléments et le rythme nommé « séga » autrefois etaujourd'hui « maloya ». On n'a pas à avoir hontede cet héritage européen qui me paraît aujourd'huilargement minoré. La situation de cette musique estdramatique. Elle a été en quelque sorte « victimecollatérale » de l'effort culturel lié au fait deredonner au maloya sa place légitime à LaRéunion, ce qui laissait à penser que celui-ci étaitla seule musique de tradition locale. Elle est parailleurs, comme toute musique traditionnelle (ycompris le maloya lui-même), menacée parl'évolution du séga vers une musique trèscommerciale et fort loin de ses racines. Pourtant, ilexiste encore des gens qui, loin des médiasauxquels ils n'ont pas accès, pratiquent cerépertoire qu'il est donc nécessaire de conserver etde valoriser comme les autres.

Michel Colleu

Chargé de mission coordonnateur de l’OPCI

(Office du Patrimoine Culturel Immatériel),

(France)

Notre association a été fondée par une quarantainede chercheurs, scientifiques, ou collecteurs sansdiplômes… impliqués dans la valorisation du PCI,sous tous ses aspects (culture maritime, mémoireouvrière, traditions musicales…). Elle met enœuvre des actions dans le domaine patrimonial quipourraient être reproduites ailleurs, à l'image detrois exemples menés en Guadeloupe, en Vendéeet en Normandie. Nous avons pour objectif de conseiller,d'accompagner et de mettre en œuvre des projetssur le Patrimoine Culturel Immatériel (conventionde l'UNESCO) que sont les traditions orales et lessavoir-faire populaires. Association de service,l'OPCI a un rôle d'inventeur culturel et d'aide audéveloppement. Il faut à ce titre inventer lesnouveaux métiers pour aider à élaborer lesenquêtes de terrain, conseiller les élus et lesorganismes, aider les offices de tourisme quiveulent intégrer les traditions orales pour réaliserdes circuits culturels. L'OPCI, qui a mis en placeun réseau de partenaires, a mené des travaux dansvingt départements répartis dans dix régionsadministratives.Un principe de base sous-tend toutes les actions :la sauvegarde ne peut être réussie que si elles'insère dans un ethno-système culturel. En Guadeloupe, l'OPCI a mené un travail sur lerépertoire musical de culture européenne.

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En Haute Normandie, nous nous sommes posés laquestion suivante : comment faire connaître unetradition orale dont les chercheurs connaissentl'existence mais pas la population ? En Vendée, nous avons travaillé sur l'utilisation detechnologies innovantes pour valoriser la traditionlocale, dont les « QR codes » lisibles à partir destéléphones portables. Il s'agit de mettre en placedes outils culturels et touristiques utilisables par lescommunautés de communes. S'appuyant sur une base de données (Réseaud'archives et documents de l'oralité), le dispositif« Carré d'Empreintes » constitue un circuit dedécouverte du patrimoine immatériel. La premièreapplication a été mise en place en 2010 àNoirmoutiers. Cela donne une autre dimension à lacollecte dont c’est une forme moderne. Le dispositif « Regards d'avant » est construit àpartir d'une base de données qui associe desdétenteurs d'archives et de supports de ressourcesdifférents. Cette base regroupe les données debeaucoup d'associations des Pays de la Loire, leMusée d'Anthropologie de la Corse, le muséeAstra, le CADEG, le fonds de l'associationVavangue de La Réunion (transmis en 2006 pourcopie et sauvegarde par Jean-Pierre La Selve).Actuellement, elle compte 180 000 notices. Leconcept qui sous-tend « Regards d'avant » est deproposer aux communautés de communes que cequ'il y a dans la BDD soit géolocalisé à l'endroitexact où les documents ont été faits. Il n'est doncplus nécessaire d'aller dans des endroits réservéspour accéder à la culture. On compte à ce jour unecinquantaine de points d'accès. Malheureusementil n'y en a pas encore à La Réunion. Toutes les

publications que l'on réalise dans le cadre del'association sont en lien avec le numérique.En Guadeloupe, l'OPCI a collaboré avec le centrede musiques traditionnelles Repriz qui a voulu faireun état des lieux des musiques traditionnelles en2004. Après avoir développé le gwoka cesdernières décennies, il y a une volonté de mettre envaleur des pans minorés du patrimoine musicalinsulaire : tradition maritime, collecte sur lesquadrilles en Guadeloupe… L'OPCI est intervenu,en accompagnement, dans le cadre d'une collecteayant pour but de bâtir un plan d'action derenouveau.

Lélou Menwar (Maurice) et Patrice Cronier (Mayotte)

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Mayotte

Cécile Pélourdeau Directrice de Musique à Mayotte

En tant que représentante de l'association Musiquesà Mayotte et vivant depuis 22 ans sur cette île, jeme présente modestement comme une passeuse etune mémoire d'un certain nombre d'actions. Bienque département français, Mayotte est une îlepleinement comorienne. Il existe beaucoup desimilitudes entre les musiques de Mayotte et cellesdes Comores. À ce sujet, le collectage mené parPatrice Cronier est très intéressant. Nous pourronsaussi bénéficier du témoignage d'Alpha Dini,porteur de Mayotte dans ses gênes, qui a vécu huitans à La Réunion. Il enseigne la musique encollège et à l'école Musique à Mayotte (commeprofesseur de gabosy4), après avoir appris lamusique à La Réunion. Il œuvre pour que lajeunesse s'approprie la musique traditionnelle.

Patrice Cronier

Enseignant, musicien, chercheur

Les instruments des musiques traditionnelles

mahoraises La culture mahoraise s'inscrit historiquement dansle cadre plus large d'une culture comorienne dontelle représente une facette. Cette culturecomorienne s'est construite à partir d'élémentsindonésiens, africains, arabo-persans, malgaches etoccidentaux. Dans ce cadre global très riche,chaque île a développé sa spécificité.

Les musiques qui se transmettent oralement degénération à génération et forment les traditionsmusicales de Mayotte relèvent de trois universdifférents : Les rituels soufis (mulidi, deba… ) Les rituels animistes (rumbu, patrosi… ) Les fêtes profanes (mbiwi, waɗaha… ) Chacun de ces trois cadres utilise son propreinstrumentarium.

Les instruments des rituels soufis Les rapports entre l'islam et les instruments demusiques ne sont pas simples, plusieurs attitudescoexistent dans le monde musulman, de la plusfarouche intolérance à une attitude pragmatique quitient compte du goût pour la musique et des effetséventuellement positifs de celle-ci sur les cœurs descroyants, tout en se méfiant du caractère «dévoyeur»de certains instruments qui pourraient détourner lesmêmes croyants de leurs pratiques religieuses. À Mayotte, comme partout aux Comores, l’islamest vécu dans le cadre de confréries soufies quivalorisent des pratiques collectives faisant unelarge place au chant et à la danse. Les chants quianiment ces cérémonies sont accompagnésexclusivement par des membranophones et desidiophones en métal. On signalait encore au débutdes années 2000 l’emploi de la flûte firimbi dansles fêtes du mois de maulid célébrant la naissancedu Prophète Mohammed, et dans les madjilis quiinaugurent les cérémonies du grand mariage, maiscet usage a disparu, cette flûte étant essentiellementjouée par les Anjouanais qui éprouvent, comme on

le sait, les plus grandes difficultés pour résider àMayotte.Les grands absents de cet instrumentarium soufi àMayotte sont les cordophones. Ces derniers ontsouvent mauvaise presse dans le monde musulman.On considère qu’ils pervertissent trop facilementles cœurs. Ainsi il a pu arriver que les autoritésreligieuses interdisent purement et simplement leqanbus au Yémen, y compris dans la sphère privée.À Mayotte, les cordophones, très présents et trèsvivants dans d’autres contextes, ne sont pas utilisésdans le cadre de rituels musulmans. Même hors ducadre religieux, ils sont souvent regardés avecméfiance du fait de leurs relations étroites avec lesrites animistes ainsi qu’avec les fêtes profanespopulaires au cours desquelles certainsconsomment de l’alcool.

Les principales cérémonies

Voici maintenant une description rapide desprincipales cérémonies musulmanes utilisant desinstruments de musique. On trouvera desdescriptions plus détaillées dans Île de Mayotte,musique, danse et instruments traditionnels(PRMA).

Le deba

Le deba est une cérémonie féminine. C’est unesuite de chants responsoriaux pieux, c’est-à-direque ces chants font alterner une soliste et un chœur.Les choristes, des jeunes femmes alignées sur unrang, effectuent en chantant de très gracieusesfigures d’ensemble, précises et minimalistes,

4 - Luth joué notamment à Madagascar et aux Comores.

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n’impliquant que les mains et le haut du corps.Elles sont accompagnées par des tari (tambour surcadre) et des ɗafu (tambourin à cymbalettes) jouéspar des femmes plus mûres assises en face d’elles.

Le mulidi

C’est une cérémonie masculine qui est proche danssa forme du deba féminin : chant responsorial etchorégraphie n’impliquant que la partie supérieuredu corps. En fin de cérémonie qui dure toute lanuit, les participants peuvent démontrer l’efficacitéde leur pratique en se transperçant, avec des dardsappelés dabus, différentes parties du corps. On ypratique aussi une forme de guérison magico-religieuse au moyen d’une épée.Les instruments utilisés sont les tari et le patsu (unplateau métallique frappé par une baguette de boisou de métal).

Le maulida shenge

Le maulida shenge fait alterner la récitation d’untexte ayant trait à la naissance ou à la vie duProphète Mohammed avec des invocationschantées soutenues par un groupe de tambours. Lechœur des femmes est séparé de l’orchestremasculin par un voile, voire par un mur.L’orchestre de tambours est composé de grands tariet des ngoma (tambour cylindrique à deuxmembranes).

Le madjilis

Le madjilis est une cérémonie masculine quimarque le début des festivités du grand mariage. Ilconsiste en une suite de récitations psalmodiées detextes ayant trait à la naissance ou à la vie du

Prophète et de poèmes religieux (kaswida) chantéset accompagnés d’une chorégraphie au cours delaquelle les notables brandissent des cannes,symboles de leur statut social. L’orchestre estcomposé de plusieurs tari et d’un ngoma ou d’unensemble de ngoma (trois ngoma de taillesdifférentes) auxquels s’ajoutent quelquesidiophones métalliques : patsu et ɗafu.

Le manzaraka

Le manzaraka est une danse processionnaire quis’accomplit lorsque le marié est conduit à lamaison de son épouse. Il précède le repas de noce.Les chants sont accompagnés par les mêmesinstruments que ceux utilisés lors du madjilis : tari,ngoma, patsu et éventuellement ɗafu.

Les instruments des rituels animistes

On dénombre à Mayotte une dizaine de typesd’esprits susceptibles de créer des troubles chez lesêtres humains en les possédant. Pour remédier à cestroubles, l’usage est d’organiser des cérémoniesadorcistes, c’est-à-dire des cérémonies au coursdesquelles on tente d’établir un dialogue avecl’esprit, au contraire des cérémonies exorcistes, quiexistent également mais qui sont beaucoup plusrares et qui visent, elles, à chasser un espritrésolument nocif.En ce qui concerne les instruments de musiqueutilisés dans ces cérémonies, notre information neporte que sur les rumbu, cérémonies dédiées auxtrumba et sur les ngoma ya patrosi, cérémoniesdédiées aux patrosi. Cependant, il ne semble pasque d’autres cérémonies utilisent d’autresinstruments.

Le rumbu

C’est une cérémonie qui vise à entrer en contact et àétablir de bonnes relations avec un trumba qui a prispossession d’un être humain. Un trumba, c’est,historiquement, l’esprit d’un noble sakalave défuntcomme par exemple Andrianatsoly, dernier sultande Mayotte. Ces esprits aiment l’alcool et le tabacqui sont par conséquent consommés par les possédésau cours de la cérémonie.Les chants, soutenus par les battements de mains,sont accompagnés par un ngoma, parfois un hocheten forme de radeau (mkayamba) qui tend àdisparaître et deux cordophones, dzendze (cithare surcaisse) et gabusi (luth), auxquels s’ajoutent souventde nos jours une guitare basse électrique, un ou deuxclaviers et une batterie. La cérémonie durant toutela nuit, il arrive que l’orchestre alterne avec des CD.Il arrive même qu’il n’y ait pas d’orchestre et quetoute la musique soit fournie par des CD.Avant l’arrivée de l’électricité à Mayotte, dans lesannées 1980-90, le principal instrument du rumbuétait l’accordéon qui a pratiquement disparuaujourd’hui.

Le patrosi

Le mot patrosi sert à désigner un certain typed’esprits, on peut dans ce cas parler proprement dedjinns, mais il sert également très souvent ànommer la cérémonie adorciste dédiée à ces djinns(ngoma ya patrosi). Ces djinns aiment les gâteauxsucrés qui sont préparés en grande quantité avantla cérémonie. Ils aiment également l’eau deCologne Pompéïa et le sang d’un zébu ou de cabrisqui leur sont sacrifiés.Les instruments utilisés sont des ngoma et un

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garando (idiophone en métal : plaque de four,tambour de machine à laver…)

Les instruments des fêtes profanes

En dehors des cadres rituels musulmans etanimistes qui sont déjà très riches, il existeégalement dans l’espace profane de nombreusespratiques, souvent d’origine africaine, qui unissentdanse et musique. Sous l’influence de lamondialisation et des nouveaux modèles valoriséspar la télévision, certaines de ces pratiques tendentà disparaître ou à n’être plus présentées que lors demanifestations folkloriques. D’autres, au contraire,sont toujours très vivantes et témoignentvigoureusement d’une solide identité mahoraise.Les deux principales et les plus vivantes de cesdanses sont le mbiwi et le shigoma.

Le mbiwi

Le terme mbiwi désigne à la fois les paires declaves, généralement en bambou, que les femmesentrechoquent pour produire un rythme particulieret la danse, exclusivement féminine, que cesinstruments accompagnent. Au cours de cettedanse, les danseuses s’affrontent deux par deux endonnant à leurs hanches un mouvement rythmiquerapide et ondoyant qui témoigne d’une très grandemaîtrise de la mobilité de leur bassin, tandis que lehaut du buste reste parfaitement immobile,gracieux et majestueux. Cette danse esttraditionnellement pratiquée lors du grand mariage.Elle est également pratiquée de façon très vivantedans le cadre de rencontres festives organisées pardes associations féminines.Ces mbiwi sont aujourd’hui, le plus souvent,

accompagnés par un orchestre d’instrumentsoccidentaux électriques comprenant une guitare,une guitare basse, un ou deux claviers et unebatterie. Le même orchestre, nous l’avons vu, peutservir à accompagner un rumbu. Il est à noter quele jeu sur les instruments occidentaux modernes secalque sur des modèles traditionnels, en particulierle clavier adopte toujours le timbre et le style dejeu de l’accordéon et la guitare égrène des motifsmélodiques répétitifs à la façon du dzendze ou dugabusi.

Le shigoma

C’est une danse majestueuse d’origine africaine.Traditionnellement masculine, elle est devenuemixte. Les danseurs sont aussi les choristes d’unchant responsorial. Très élégants, portant costumeoccidental et cravate ainsi qu’une étole, le sambi,qu’ils arborent, avec une fierté maîtrisée, enl’honneur d’une dame, ils avancent en une lenteprocession jusqu’à former un grand demi-cercle.Puis, des couples de danseurs effectuent, au centrede ce demi-cercle, des figures codifiées.L’orchestre du shigoma est formé de l’ensembledes trois ngoma et d’un garando. Le chef de lachorégraphie se sert d’un sifflet pour indiquer leschangements de pas ou de figures. Anciennement,le rôle du sifflet était tenu par la ndzumari, hautboisarabo-persan qui semble ne plus être en usage dansl’archipel des Comores.

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Tanzanie/Zanzibar

Werner Graebner Ethnomusicologue, producteur

(Allemagne)

Bien que le sujet de ces rencontres soit les urgencesde collectage, il me paraît également importantd'évoquer les musiques qui naissent, qui sontrécentes. Bien que n'étant pas strictementtraditionnelles, celles que je vais aborder n'endemeurent pas moins enracinées dans la culture dela côte est africaine. Le baïkoko est un genre récentinventé par un campagnard arrivé à la ville, quijoue sur des tuyaux en bambou de différentestailles. Liée à une tradition swahili performée pardes femmes, cela devient un grand succès à Dar-Es-Salam. Deuxième genre caractéristique, lemchiriku vient d'un groupe ethnique qui vit dansles environs de Dar-Es-Salam. Ce genre musicalest lié au chakacha qui, d'abord joué dans le cadrede cérémonies, est ensuite devenu un genre festif àtravers la carrière de groupes comme Jagwa Musicqui utilise de façon ingénieuse les claviers. Cegroupe joue dans la rue toute la nuit. Il comportede nombreux musiciens, entre 13, 14 voire 20personnes sur scène, pour pouvoir jouer longtemps.Cette musique, très liée à la vie sociale, n'a pas étécréée dans l'optique d'être présentée au public.Toute présentation de ce genre demeure difficile enEurope, au niveau économique notamment. Onpeut s'interroger sur le fait que ces musiques nesont pas des traditions. Cependant, toutes lestraditions ont à un moment donné émergé, avec des

talents individuels. Aujourd'hui des gens parlent dutwarab « classique » à Zanzibar, mais c'est uneforme qui a 100 ans, et qui s'est créée à partir dediverses influences (bollywood, orchestres de filmségyptiens, poésie swahili etc.).

Christine Salem Chanteuse

(La Réunion)

A travers le projet Rasinaz, j'ai mené un travail surmes racines. Cela concerne par ailleurs monengagement culturel et mon travail sur le maloya.J'ai découvert la musique traditionnelle au dernierfestival de Jazz de Château-Morange au début desannées 1990. Pendant un « bœuf » avec un groupeafricain, je suis parti complètement en transe. Et là,j'ai chanté des chansons, j'ai même dansé la danseafricaine, que je n'avais jamais apprise. Je chantaisen swahili et en arabe, alors que je n'avais jamaisappris ces langues. J'ai commencé à me poserbeaucoup de questions. Ma famille n'avait jamaismené la tradition des sèrvis5. J'ai alors créé legroupe Salem Tradition et j'ai fait des recherchessur l'histoire du peuplement de La Réunion. À LaRéunion, on dit que je chante en langaz quand jechante en swahili ou en dialecte malgache. Pourcréer, je me positionne vraiment sur la sensation,l'émotion, la spontanéité, certaines chansons meviennent sur scène, les musiciens sont habitués àcette façon de composer. Quand je me suis sentieprête, je suis allée à Madagascar, aux Comores…Dans l'avion pour aller aux Comores, je me suismise à écrire en arabe, sans savoir ce que j'écrivais.

En arrivant aux Comores, Abdallah Chihabiddinem'a dit que j’avais écrit mon nom et mon prénom!Ça m'a mis en confiance.Actuellement, mon travail porte sur la transe. Mesrecherches vont dans ce sens. Aux Comores, où onutilise des rythmes pour l'appel à la transe, pourappeler les esprits, j'ai ressenti un lien fort avec lemaloya. À la base, on trouve toujours le son detambour basse accompagné d'un son aigu donné parle hochet (kayamb, mkayamba, chakacha). Monnom de famille vient de toute la côte deMozambique, puis est passé par les Comores. J'aiaussi fait des recherches en Tanzanie et à Zanzibaren rapport à mes ancêtres. Tout ceci a été présentédans le documentaire « Rasinaz »… Quand cedocumentaire est passé à la télévision à La Réunion,les avis étaient partagés entre ceux qui pensent quecertaines choses ne doivent pas se montrer etd'autres qui sont heureux que certaines choses dupeuplement de La Réunion soient enfin dites.

5 - Cérémonies du culte des ancêtres à La Réunion.

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ComoresAbdallah ChihabiddineDirecteur de Studio 1, producteur à Moroni

(Comores)

En complément de la présentation qui a été faitesur Mayotte, il faut insister sur le fait que l'archipeldes Comores possède un patrimoine musical richeet varié qui est le fruit des échanges despopulations venues d’Afrique, du monde orientalet de l’Occident. La société comorienne est detradition orale. La chanson est par excellence lecanal privilégié pour communiquer et véhiculer lapensée. Elle ponctue tous les aspects de la viesocioculturelle du Comorien.Le grand-mariage, vecteur d'accès à la notabilitépour les personnes, constitue un socle pour lapérennisation des musiques traditionnelles. Il estconstruit en plusieurs étapes qui sont marquées pardes musiques, des chants et des danses. Parexemple, pendant le majiliss6, plusieurs centainesde personnes se retrouvent sur une place publiquepour prier Dieu de bénir les mariés. Cette prière estsuivie de chants religieux et de quelques pas dedanse de djalico ou d'autres danses traditionnellesselon l’île. Le twarab est un autre genre musicaltrès apprécié aux Comores, également intégré augrand mariage. Il a été introduit aux Comores versle début du XXe siècle. Les musiciensreproduisaient alors des chansons en arabe et enswahili, en se basant sur des disques que certainespersonnes ramenaient de leur voyage. Après cettepremière phase, sont venues les premières

chansons en langue comorienne. Aujourd'hui letwarab est le principal véhicule des idées etcommentaires sur l'actualité. Il faut ajouter à cettevivacité les efforts des associations culturellescommunautaires dans leur démarche de promotionde l’identité culturelle. Ces associations jouent unrôle essentiel dans l'apprentissage des danses et desmusiques. En l’absence d’une politique publique axée sur lapréservation et la transmission du patrimoineculturel, ces associations sont devenues lesgardiens du temple. Elles jouent un rôle importantdans l’apprentissage des ngomas, tambours à deuxmembranes, des taris, tambours à une seulemembrane et autres percussions comme le upatzu7

qui accompagnent les musiques et dansestraditionnelles.Malgré cette présence sociale accrue, la musiquetraditionnelle accuse un recul depuis les années1980, après avoir connu ses moments de gloirependant les années 1970. La perte de vitesseactuelle s’observe par le manque d’apprentissageou de praticiens de certains instruments à cordescomme le gaboussi, le dzendzé mais également leviolon et l'oud (luth) jadis utilisés par les musiciensde twarab traditionnel. Le ndzumari, sorte dehautbois fabriqué par des artisans locaux, aaujourd’hui disparu. Le synthétiseur, la guitareélectrique, la batterie et l’informatique musicaleprennent progressivement le dessus. Il faut également préciser que les musiques depossession sont aussi menacées de disparition. Desprêcheurs islamistes font une propagande accrue

contre ces musiques considérées commeantireligieuses. À l’heure de la mondialisation, les Comorestiennent des atouts considérables dansl’exploitation des produits du terroir. Le twarab, lemgodro et d’autres musiques ont leur place dans cequ’on appelle les musiques du monde. La musiquetraditionnelle reste une source d’inspiration et derenouvellement pour beaucoup d’artistescomoriens, mais elle gagnerait à être protégée parla réintroduction et l’enseignement de tout sonpatrimoine instrumental.

6 - Cérémonie religieuse liée au « Grand mariage » mahorais.7 - Plateau métallique frappé par deux baguettes de bois.

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Maurice

Marclaine Antoine Musicien et passionné de patrimoine

(île Maurice)

Malheureusement, on perd notre originalité liéeaux instruments utilisés jadis par nos aïeux. À l'îleMaurice, la musique est devenue très commerciale.On oublie ceux qui ont œuvré dans le passé. Toutcela est malheureux, on a oublié notre originalitéet tout ce qu'il y avait autour. Aujourd'hui, le ségaest essentiellement une musique de danse. Or,autrefois, chaque musique avait une fonction. Dansles veillées mortuaires, on utilisait le gros pilé, quin'était pas encore un séga. Au cours de cetteveillée, de cette soirée, il y a des gens qui rentrenten transe. Il y avait des sorciers. Chez nous, àMaurice, on appelait ça des longanis. Ils faisaiententrer en transe des gens pour les soigner. Dans cequ'on écoute aujourd'hui du séga, il n'est resté quel'allégresse, le chant, la danse… Pour plaire auxtouristes, ils ont fait une carte postale de notreculture musicale. Pour revaloriser cette musique, quelles décisionsprendre ? Aujourd'hui, les musiciens qui font duséga puisent de tous les côtés (jazz, rap…). Il n'y aplus d'auteur compositeur de séga chez nous. Lesmusiciens prennent des tubes extérieurs et ils ymettent des paroles en créole. Toutefois, on ne peutpas dire à ces jeunes qui vont vers la modernisationde retourner en arrière. Personne ne voudra ça, lavie est trop belle devant. Ce qu'il faut faire pourremédier à cette tendance ? Musicalement, onpourrait enlever la batterie, qui est un instrumentaméricain. À la place on pourrait réintroduire des

instruments oubliés dans le séga moderne. Monidée est qu'il faut réintroduire nos instrumentstraditionnels dans le séga moderne. Qu'est-ce quiarrive au maloya kabar ou au ségatypique/tambour? On ne les danse pas dans les balsde mariage, en société. Il est rare de trouver sur lemarché un disque de séga traditionnel, à ladifférence de la musique commerciale. Pourtant,cela intéresse les touristes qui veulent voir autrechose que ce qu'on leur montre dans les hôtels (quicontraste avec le séga qu'on danse dans lesévénements familiaux (baptêmes, mariages, etc.).Il faudrait essayer de mettre à l'arrière-plan lesinstruments superflus qui n'ont pas leur place dansle folklore. En revanche, on ne peut pas éliminer labasse et la guitare rythmique, car cela donne du« punch » au séga.

Patrick André Mookeenah Centre culturel Nelson Mandela

(île Maurice)

Nous sommes les seuls à Maurice à être au courantde ces rencontres et à connaître le PRMA. Il estdifficile pour le Centre d'aider les artistes car nousmanquons de moyens. Il a été créé en 1986 : ce sontles aînés comme Fanfan, Michel Legris, Menwar,Marclaine qui ont milité pour ce Centre. On y mènedes recherches sur la généalogie, pour lesdescendants d'Africains et de Créoles. On y publiedes livres sur l'esclavage et le marronnage, deslivres en créole. Marclaine aide à assurer unetransmission auprès des jeunes artistes mauriciens.À Maurice, nous manquons de récits écrits surnotre histoire et sur l'évolution de la musiquetraditionnelle. Tout se passe par l'oralité. Nous

travaillons avec Marclaine Antoine sur un concoursde séga typique dans la région de l'Ouest : le ségac'est aussi la danse, et nous avons perdu lescostumes d'antan. Aujourd'hui, cette musiquedevient beaucoup plus commerciale et touristique,ce qui a pour conséquence de mettre en péril danseset costumes. La femme créole y est utilisée d’unefaçon très médiatique, comme un genre de « sexsymbol » sur scène. Or, le séga c'est autre chose.Menwar a également beaucoup travaillé avec ungroupe de jeunes, il a mis en place une structurepour assurer la transmission et les aider à faire unalbum sur la musique traditionnelle.

Menwar Musicien

(île Maurice)

Il est difficile pour nous de faire passer des projetsau Ministère. En 1999, j'ai malgré tout obtenu unesubvention de la municipalité de Port Louis pourma méthode de ravanne. C'était la première foisqu'une méthode était écrite. Pour moi, c'était justeune façon de faire connaître cet instrument auniveau international. C'est un instrument universel.C'est aussi un symbole pour le séga, comme ledodo est un symbole pour l'île Maurice. Déjà à l'époque de Ti Frère, on a commencé àmétisser en associant l'accordéon, qui venaitd'Europe et la ravanne, qui était de Maurice, voired'Afrique du Nord. Métisser la musique, ça ne medérange pas. Il faut cependant que chaque musicientrouve sa place.La Réunion est une île française, qui représente unecertaine prospérité économique par rapport auxautres îles (comme Maurice, Rodrigues). Les

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musiciens de la zone sont parfois obligés de venirici pour gagner plus d'argent. La situation desmusiques traditionnelles à l'île Maurice estdifficile. Quand on voit nos radios, qui se disentêtre « libres », on ne peut qu'être inquiet car on n'yentend ni séga ni musique traditionnelle. Celaquestionne le rôle de l’État. Quand au CentreNelson Mandela, il est là mais il est immobile. Entant qu'artiste, c'est à nous de donner des idées auCentre. La matière grise, c'est nous. Nous devonsalimenter cette instance qui nous représente.Je suis un musicien qui vit de sa musique, mon butest de jouer et de rendre l'instrument assezagréable. J'ai beaucoup approfondi la fabrication etle jeu de cet instrument, comme on peut le voir surun pilote en ligne sur mon compte myspace.

Patrick Prospère dit Ton Pat' (Mahé) et Marclaine Antoine (Maurice)

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RodriguesTino Gontran et Gedeo Augustin Musiciens traditionnels

(île Rodrigues)

L'île Rodrigues fait partie des Mascareignes. Certainsdisent que c'est la Cendrillon des Mascareignes. Dansl'avion, nous avons fait la rencontre d'un Réunionnaisqui nous disait que l'île Rodrigues représente enquelque sorte La Réunion d'il y a quinze ans. Notreîle n'a pas connu de développement sauvage, commeça a été le cas à La Réunion.Comment en est-on arrivé à faire le mariage dutambour et l'accordéon? Pour cela, il faut saluer unhomme important à Rodrigues : Benjamin Gontran,qui est mon frère. Le premier accordéon importésur l'île l'avait été par son arrière-grand-père.Ensuite, mon père contacta des marchands quifaisaient la navette entre Maurice et Rodrigues. Ilachetait, par leur intermédiaire, des accordéonschez Venpin, un marchand de l'île Maurice qui enimportait d'Europe. À l’époque, on jouait beaucoup l'accordéon lorsdes bals, des mariages. Le tambour était exclu deces événements. L'amusement principal était le balran zariko. Cela se faisait chez l'habitant. On jouaitdes polka, scottish, mazurka, tous des airs importésd'Europe. Lors de la première guerre mondiale,beaucoup de Rodriguais sont partis se faire enrôler.Les rares musiciens qui restaient sur placeassuraient l'animation des mariages traditionnels(marche nuptiale, accordéon et triangle). Après laguerre, les soldats qui sont revenus ont apporté des

gramophones. L'accordéon a été mis au rencart.Après, sont venus les cassettes et les groupes pourles bals. L'accordéon et les tambours sont tombésdans l'oubli. Pour relancer l'accordéon, des amoureux de cetteculture ont acquis un accordéon chez Damoo (îleMaurice) et ils ont organisé un concours de dansestraditionnelles. Plusieurs groupes ont participé à ceconcours. À la clé, il y avait un accordéon pour lesgagnants. C'est ce concours qui a fait redémarrer lapratique de l'accordéon à Rodrigues. Les artistes sesont alors regroupés dans le Groupement desArtistes Rodriguais (GAR). Du coup, l'accordéona redémarré de façon plus intense que « dans letemps longtemps »8. Aujourd'hui, les balsd'accordéon se font partout, tous les dimanches,dans plusieurs régions. Beaucoup de jeuness'initient à ces danses. Il existe aujourd'hui plusd'une trentaine de groupes. Les danses sontenseignées dans les écoles primaires depuis cetteannée. Tout cela sans aide du gouvernement.Au départ, dans les bals, il n'y avait pas de tambour.Le fait de jouer du tambour dans les musiquesd'accordéon date d'il y a quinze ans. Autrefois, letambour était considéré comme l'instrument desgens de la montagne (zabitan), qui jouaient du ségatambour. Le tambour était décrié par l'Église, quile considérait comme l'instrument du diable, uninstrument de débauche. Ceux qui participaient auséga tambour dormaient sur place et n'allaient pasà la messe le lendemain. Lors des soirées de ségastambour, on composait des petites chansons trèscourtes pour taquiner, revendiquer un droit parexemple.

Tout a changé quand on est rentrés dans l'èretouristique. Ben Gontran a formé le groupe Racinesdans les années 1990. Dans les bals d'autrefois, onpouvait faire un scottish pendant dix minutes mais,pour faire un spectacle pour touristes, on a dûécourter les danses. Cela a suscité beaucoup decritiques. Par ailleurs, il y a 15 ans, on utilisait letambour uniquement pour le séga tambour. Parcoïncidence, pendant une répétition du groupeRacines, le joueur de tambour s'est mis àaccompagner la polka avec son instrument et on agardé cette idée. Cela a fait un grand ramdam chezles autres groupes, car le groupe Racines était trèsdemandé. Et aujourd'hui, aucun accordéoniste nepeut jouer sans être accompagné du tambour. C'estun peu la revanche du tambour ! Maintenant, il sejoue même à l'église pour accompagner la chorale.

François Fock Chow Tho Accordéoniste amateur,

président de Zanbrokal’bass

(La Réunion)

L'association Zanbrokal’bass a été créée en 2011,à partir d'un groupe qui existait depuis unevingtaine d'années. Les participants aux activités de l’association sontde tous les âges. L’objectif de l’association est defaire vivre les musiques du monde, avec un intérêtparticulier pour les musiques et les danses des îlesde l'OI. L'activité principale concerne les ateliersd’apprentissage de musiques et de dansestraditionnelles, les bals, les concerts…l'organisation de stages avec des intervenants

8 - Autrefois.

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extérieurs. La base de l'association repose sur unintérêt particulier porté à l'accordéon diatonique.Les intervenants extérieurs participent aussi à desconcerts, rencontrent des élèves des établissementsscolaires. En contrepartie, l'association favorise leséchanges entre les intervenants extérieurs et lesacteurs de la musique locale L’association Zanbrokal’bass a signé uneconvention de partenariat avec l'AssociationRégionale d’Expansion Musicale (AREM), qui aouvert des cours d'accordéon diatonique ennovembre 2009.Plusieurs échanges ont également été organisés : enavril 2012, les membres de la famille Gado ontainsi participé à un festival sur le chant traditionnelen Ille-et-Vilaine. Depuis mars 2012, en partenariat avec la Mairie deSaint-Joseph, nous animons des ateliers « de danseen famille ». Des adhérents de l'association connaissaient l'îleRodrigues. Suite à plusieurs rencontres qui ont lieuà La Réunion avec des accordéonistes traditionnelsrodriguais, nous avons pensé qu’il serait intéressantde proposer de partager nos musiques. En novembre 2011, nous avons invité troismusiciens rodrigais à La Réunion : MarlinAugustin, Joseph Hortense dit Macisse et LorenzaGaspard. Ils nous ont initiés à leurs musiques et àleurs danses. Pour continuer les échanges, nous avons entreprisun séjour musical à Rodrigues en mai 2012. Nousavons commencé avec les Rodriguais un travaild’écriture de leurs airs. Quelques bases de solfègeont déjà été posées et nous continuerons à affinerce travail lors de prochaines retrouvailles.

Tino Gontran et Gedeo Augustin (Rodrigues)

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Seychelles

Jean-Claude Mahoune Anthropologue,

Ministère du Tourisme et de la Culture

(Seychelles)

Mes recherches dans le domaine des musiquestraditionnelles des Seychelles ont commencé en1979. Avec du recul, on peut se poser les questionssuivantes : qu'est ce qu'on a préservé auxSeychelles ? Pour qui et pour quoi ? La mise envaleur des traditions a commencé avec deuxanciens : Ton Pa (Jacob Marie), spécialiste de zez9,et Ton Boboy (Marius Camille), spécialiste dubom10, qui ont été invités en France en 1978. C'étaitles premiers musiciens à partir pour l'étranger, pourmontrer la musique traditionnelle des Seychelles.Ton Pa était comme un griot qui chante surl'histoire de l'archipel. Dans le cadre de mesrecherches, tous les renseignements que je tirais surl'histoire des Seychelles venaient de ces vieilleschansons. Un autre personnage a été très important,c'est Bernard Koechlin qui a fait desenregistrements dans les années 1970 (édités chezOcora). Beaucoup de jeunes ont ensuite puréutiliser ces enregistrements.Avant l'arrivée de la techno, les musicienstraditionnels utilisaient des matériaux locaux ou derécupération comme des boîtes de conserve.

L'accordéon, le violon, le banjo accompagnaient lekamtolé11. De mon côté, j'ai essayé de cataloguerles instruments d'origine africaine, en utilisant lelivre de Kwabena Nketia (The Music of Africa)comme repère méthodologique. Ces instrumentssont devenus des objets de musées. Les musiquesd'origines africaine ou malgache ne sont pas aussipopulaires que les musiques d'origine européenne.La sauvegarde a pris de l'ampleur avec larévolution socialiste de 1977. Avec les moyensd'enregistrement de l'époque, on a réussi àtransmettre un répertoire aux plus jeunes. Nosancêtres persistaient. Alors, pourquoiabandonnerait-on la lutte que nos ancêtres ontmenée? Nous avons des moyens modernes avec lamondialisation. Si on peut utiliser les technologiesmodernes pour apprendre, c'est tant mieux.Dans ce contexte, existe-il des savoir-fairemenacés ? On note tout d'abord l'importance desfusions musicales : kamto ragga, seggae, rapmoutya… Cela relève d'une forme d'adaptation desmusiques seychelloises pour une audience plusjeune. Aujourd'hui on peut faire du remix desinstruments traditionnels. Mais est-ce qu'on tientcompte de l'authenticité de ce qu'on veut préserverpour les générations à venir ? Ce n'est cependantpas à moi de faire des commentaires sur l'évolutionde la musique traditionnelle aux Seychelles. Jeconstate par contre que la musique traditionnelleest primordiale. Et le point crucial est de décider

ce qu'on va collecter et valoriser en priorité.Pour les Seychelles, il faut considérer que les îlesvivent des situations différentes. La Digue parexemple, qui a été peuplée surtout par desRéunionnais, a bien préservé ses traditions et sacuisine et ses musiques (pilon, mortier, danse defemmes). Par ailleurs, les Seychelles dépendaienthistoriquement de l'île Maurice. On ne peut doncpas étudier la culture seychelloise sans comprendrela culture de l'île Maurice. Un point commun avecles Mascareignes est qu'on ne dansait autrefois pasuniquement pour la distraction : on chantait pourproférer du commentaire social. Il y aurait aussibeaucoup à faire sur la danse européenne, auxSeychelles. Je n'ai pas travaillé là-dessus, mais il ya beaucoup de danses diverses. Il faudrait que nouspuissions mener un travail collectif sur cesquestions, en partenariat avec la Commission del'Océan Indien. Mais nous devons rester vigilantssur le fait que les plus grands destructeurs de laculture sont les fonctionnaires.

Patrick Prospère Musicien

(Seychelles)

Je travaille avec les jeunes pour préserver lesdanses et instruments traditionnels : tsingé12, ségatremblé13. Je suis à la retraite et j'ai signé un contratavec le Ministère. Mais je rencontre des difficultéspour poursuivre mon travail auprès des jeunes,

9 - Arc musical, dont jouait aussi Ton Dea (Andrea Laporte).10 - Arc musical, dérivé du bobre.11 - Danses de salon d'origine européenne créolisées.12 - Joutes acrobatiques sur des formules rythmiques.13 - Chant et danse (tremblements de la tête et des épaules).

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parfois ça me décourage. L'instruction musicaleaux Seychelles n'intègre pas assez la musiquetraditionnelle. C'est moi qui prends les décisionspour essayer de poursuivre cet engagement. Il y anotamment un projet de galerie pour lesSeychelles, comprenant tous les instrumentstraditionnels. On pourrait par exemple y présenterle bobre, qui est très populaire dans la région(Réunion, Maurice, Rodrigues Seychelles…) et quiest marqué par des différences de fabrication etd'accordage en fonction des îles. J'ai apporté des modifications dans la fabricationde certains instruments comme le zez. Mon but estde garder le caractère de l'instrument, mais aussid'innover techniquement. Je joue aussi, au violon,de la musique d'origine européenne comme lequadrille. Aux Seychelles, il y a le « galop », « enavant deux », « en avant trois », « dos à dos »,« lanciers », « polonais »14...

Serge Dafreville Musicien, enseignant en musiques

traditionnelles au Conservatoire à

Rayonnement Régional

(La Réunion)

On a beaucoup parlé de traditions pendant cesjournées. Cela va dans le sens des travaux que jemène depuis trois ans au Conservatoire àRayonnement Régional (CRR). Avant cela, j'ai jouépendant quinze ans avec Danyèl Waro. Ça a été uncentre de formation la kour15. J'ai passé un

Diplôme d’Etat de musiques traditionnelles en2004. J'ai pris conscience qu'on pouvait transmettrela musique dans un conservatoire. J'ai continué àme former les années suivantes. Je pense que j'aiencore beaucoup de choses à apprendre. Ca m'apermis de me poser la question suivante : commenttransmettre de manière humble, en évitant lapensée unique. Comment transmettre la musiquetraditionnelle à la nouvelle génération qui écouteNRJ ou Radio Freedom? Par mes travaux j'essaiede ramener la jeune génération vers la musiquetraditionnelle réunionnaise, sans pour autant lessortir de la réalité.En 2011, j'ai été missionné pour faire un rapportd'étude sur l'enseignement des musiquestraditionnelles aux Seychelles. Ca nous a amenéssur l'ensemble des îles créoles de l'Océan Indien :comment mutualiser notre environnementpédagogique? L'état d'esprit dans lequel j'ai mené mes recherchesrenvoie aux questions suivantes : faut-il instruireou éduquer ? Quel modèle pédagogique utiliser ?Deux courants se dégagent : 1) acquérir de l'instruction, des savoirs, pourdevenir savant ; 2) acquérir des connaissances dans une perspectivede recherche du beau, du vrai et du bien. L'idée est que nous sommes là pour faciliter, pourbouger, agiter, mais ce savoir-là est déjà ancré chezles élèves, par rapport aux liens familiaux. Socratedisait : « Moi je ne sais qu'une chose, c'est que jene sais rien. » C'est mon cas.

Je suis aussi intéressé par la pédagogie« nouvelle », ou alternative, et une nouvelleéducation basée sur quelques principes quiapparaissent aujourd'hui d'une grande modernité :comment dans un établissement sur un modèlefrançais trouver une place pour les musiquestraditionnelles ? Des méthodes peuvent servir delevier, de barrage contre les musiques de variété oule hip hop qui sont partout. Le cursus que j'anime au Conservaroire estorganisé en trois cycles. Dans le premier cycle, onva prioritairement vers les musiques lontan16. Dansle second cycle, on se tourne davantage vers lesmusiques koméla17. Dans le troisième cycle, oninsiste sur la transversalité, le parallèle avec les îlescréoles de l'Océan Indien (voyage d'immersion,répertoire…). Parmi les outils que j'ai mis en place,il y a tout d'abord mèt ensamb dans lequel l'élèvepeut se rendre compte du métier de musicien, enrencontrant des artistes de La Réunion (ThierryGauliris, Meddy Gerville, René Lacaille…) ou dela zone. Les cours sont en créole, ce qui nouspermet de valoriser la langue qui est partieintégrante de l'environnement musical réunionnais.L'autre concept, c'est le tik tak lamontraz : le butest d'approfondir des techniques musicales qu'onne peut pas approfondir dans les cours. Une foispar trimestre, on organise enfin desrassemblements d'élèves, intitulés groupazlamontraz avec des ateliers et des conférencesmusicales.

14 - Figures issues du quadrille européen.15 - Formation informelle, par la pratique.16 - D'autrefois.17 - D'aujourd'hui.

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Madagascar

Victor RandrianaryAthnomusicologue

(France / Madagascar)

En circulant en brousse à Madagascar, j'aidécouvert tout un univers musical qui était étrangerau milieu urbain où je vivais. Je vais aborder troispratiques musicales qui se passent en brousse et quine sont pas connues en ville. Les techniquesvocales constituent les plus grandes richessesmusicales de Madagascar. Il existe deux techniquesvocales principales : 1) les ruptures vocales ; 2) les hochets vocaux, avec différentes manièresd'en faire. Les ruptures vocales qu'on va entendre ici sontutilisées par le groupe Mikea. Cela n'a jamais étémentionné nulle part dans la littératureethnomusicologique. Il existe des applicationsmodernes de ces techniques. Il existe par ailleurs des modes musicaux utilisésen brousse qui ne sont pas connus en ville. Au seindu même pays qu'est Madagascar, il existe ainsiplusieurs systèmes musicaux. August Shmidofer l'abien montré dans sa thèse sur le xylophone àMadagascar. Or, petit à petit, tout ceci se perd.Après la seconde guerre mondiale, le courant de lamusique savante contemporaine a été alimenté par

des systèmes musicaux extra-européens. Lesdisques sur Madagascar sont plus connus chez lesspécialistes en Occident que chez les Malgachesurbains qui ne savent pas ce qui se passe enbrousse.Au niveau régional, c'est-à-dire des îles de l'océanIndien, les musiques méconnues de la brousse lesont aussi dans la zone. Le PRMA, dans sadynamique de collecte patrimoniale, constitue à cetitre un outil intéressant, en faisant connaître lesmusiques de brousse. Il va ainsi combler ce quel'Etat malgache ne fait pas.

Jean-Michel Lacroix Responsable de l’association Zomaré,

enseignant en musique (CRR La Réunion)

En mars 2000, nous avons ouvert l'École de Mu-sique et de Danse Zomaré18 à Diego Suarez. L'as-sociation du même nom avait été créée en 1999,avec une dizaine de musiciens et de danseurs. Cetteécole accueille gratuitement 250 enfants : elle pro-pose aux élèves l'apprentissage du solfège, de ladanse et d'un instrument (saxophone, trompette,trombone, tuba, valiha, kabosy, guitare, accordéon,percussion, batterie, clavier…). Depuis douze ans,nous formons plusieurs centaines d'enfants à la mu-sique malgache, avec un accent particulier porté àla musique du Nord de l'île.À Madagascar, la musique traditionnelle est liée

aux coutumes (naissance, circoncision, funérailles,joro19 …). L'enfant qui rentre dans l'école de mu-sique porte déjà ça en lui, ce à quoi vient se juxta-poser ce qui est porté par la famille et ce quitransparaît du milieu musical d'aujourd'hui. Zomaré s'inscrit en milieu urbain. On y enseigne lamusique « à l'occidentale » alors qu'à Madagascarl'enseignement de la musique se fait généralementde manière traditionnelle. Cette forme tradition-nelle d’apprentissage existe malgré tout dans l'en-seignement au sein de l'école. Nous avons uncertain nombre de professeurs qui pratiquent letromba20 et qui sont de plain pied dans la tradition.Mais ces musiciens sont aussi inscrits dans lemonde contemporain, ils peuvent jouer du reggaeou du soukouss par exemple.Avant la création de Zomaré, fut organisée une cé-rémonie au lac sacré Antanavo afin de placerl'école sous les bons auspices des « Razana21 ». Zo-maré est donc en plein dans le fomba22. Je me suisaperçu que si cette école avance, c'est qu'elle fonc-tionne à la manière malgache (respect des Rayaman-dReny23, des parents, des anciens, de la tra-dition). L'école est financée par des parrainages, avec peude moyens (le budget est de 30 000 euros par an),et sans subvention. J'aimerais que le nombred'écoles de musique de ce type soit multiplié parcent à Madagascar !Les musiques actuelles à Madagascar sont des mu-

18 - Zomaré est l'acronyme de « Zomban' ny Moziky Antsiranana - La Réunion »19 - Prières, rites, sacrifices, cérémonies, bénédictions, célébrations, culte, invocations des Razana.20 - Esprit, chamane, médium, rite de possession. 21 - Les Sakalava honorent les Ancêtres, Razaña, qui sont promus au rang de la Divinité. Ils sont également considérés comme source de Vie et traités comme intercesseurs des vivants auprès de Zañahary. 22 - Traditions, us et coutumes, incluant les interdits (fady).23 - Père-et-Mère, parents, anciens, adultes, personnes âgées. « En édictant des normes, qui sont codifiées dans les traditions fomba et les interdits fady, ils garantissent la perpétuation de la vie sociale » [Robert Jaovelo-Dzao]

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17 • Rencontres autour des musiques du Sud-Ouest de l’Océan Indien «Inventaire des urgences de collectage»

siques malgaches qui s'appuient directement sur lamusique traditionnelle. Les musiques qui s'éloi-gnent trop de la tradition disparaissent rapidement,notamment celles qui portent des paroles immo-rales, trop triviales ou vulgaires. Actuellement, cesont les musiques du Sud (tsapiky) qui ont le venten poupe. Le séga est très joué à Madagascar, ainsique toutes les musiques de l'Océan Indien, les mu-siques africaines, celles des Caraïbes. Toutes lestendances actuelles de la musique occidentale, lachanson française s'y retrouvent également… Unmusicien malgache est capable de jouer tout çasans beaucoup de difficulté. Le rap s'adapte bien àMadagascar, dans la mesure où cela rejoint cer-taines pratiques locales d'improvisation (voir le jijidu Nord). Ces influences étrangères sont absor-bées, puis rejetées ou conservées. Le fomba lui-même n'est pas un livre fermé. Très ouvert etdynamique, il participe d'une tradition riche et vi-vante. La musique la plus moderne qui soit à Ma-dagascar, c'est la musique traditionnelle. C'est unemusique qui s'appuie sur des forces dynamiquesénormes qui bougent en permanence. Déjà plus d'une centaine d'enfants ont achevé leursétudes au Zomaré. Le cycle doit normalementdurer 10 ans. Mais il y a des élèves qui, en l'espacede trois ans, acquièrent un très bon niveau. Il arrivemême parfois que les professeurs craignent (avecraison) d'être dépassés par leurs élèves…Ce projet pourrait modestement servir d'exemple.À la Réunion par exemple, malgré les moyens quel'on possède, on ne dispose pas d'école réunion-naise de musique et/ou de danse. ZOMARE pour-rait peut-être donner des idées, à la Réunion ouailleurs dans les Mascareignes.

Ratovo (Madagascar)

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La RéunionStéphane Grondin Musicien de maloya, responsable de

l’association « Maloya All Stars »

(La Réunion)

Je viens du Sud « sauvage » de La Réunion, régionrurale de « petits blancs » des Hauts. J'ai connu lemaloya petit, quand les groupes de maloya jouaientdans les endroits touristiques pour diffuser leurscassettes. En 1989, j'ai découvert d’autres groupesde maloya quand le kabar24 de Firmin Viry a étédiffusé à la télévision. J'ai aussi découvert le RwaKaf dans les médias, à travers une publicité pourles haricots rouges dans laquelle il chantait. Vers l'âge de 14, 15 ans, j'ai commencé à jouer.Puis j'ai participé au groupe Mélanz Nasyon qui afait carrière dans les années 2000. Parallèlement,j'ai mené un travail sur le maloya traditionnelauprès de différents chanteurs que je considèrecomme des passeurs de mémoire (dont GramounBébé, Simon Lagarrigue, Gramoun Sello). Lemaloya a nourri mon existence. J'ai pu synthétisertout ce que j'ai appris dans un ouvrage intitulé « Aurythme du maloya »25, que j'ai publié à compted'auteur en 2011. Et, depuis quelques années, jemène aussi une réflexion sur un projet de muséevivant et interactif sur le maloya. Cela devraits'appeler « La maison du maloya » (mais ce n'estpas pour faire la guerre avec le séga, le reggae, lascottish ou la mazurka).La maison du maloya, telle que je la conçois aurait

trois objectifs : 1) honorer les anciens dépositaires de la traditioncréole ; 2) immortaliser cette tradition et faire entrer lemaloya dans le monde des musiques actuelles et dumonde ;3) faire que le maloya soit un des moteurs dudéveloppement économique et social de notre pays.

Deux axes principaux se dégagent :• l'axe culture et patrimoine (espaces d'expositionspermanentes, centre de ressources, espaced'expression artistique, fabrication d'instrumentstraditionnels, organisation de conférences-débats,enseignements, résidences, diffusion artistique…);• l'axe touristique (espace d'accueil à dimensiontouristique, mise en place d'un circuit culturel,création d'une boutique, espace gastronomique,partenariats économiques et institutionnels,valorisation des métiers et savoir-faire locaux enrelation à la confection des instruments locaux).La maison du maloya est un projet parmi d'autresqui, je l'espère, pourra exister un jour. J'invitechacun à proposer différentes choses à différentsendroits pour que toutes les formes culturellespuissent trouver une fenêtre d'expression à LaRéunion.

Guillaume SamsonEthnomusicologue

(La Réunion)

La protection et la mise en valeur patrimoniales

impliquent inévitablement de faire des choix.Alors, sur quelle base opérer ces choix en matièremusicale? C’est à cette question que j’essaierai derépondre.

Un premier élément de réponse réside dans lanotion d’urgence. On veut généralement préserverce qui va disparaître. C’est, en ethnomusicologie,ce qu’on pratique quand on fait de la collecte dite« de sauvegarde » ou « d'urgence ». C’estnotamment dans ce sens qu’une partie du travail dela mission patrimoine du PRMA est réalisé. Untravail est mené avec des anciens dont on estimequ’ils sont porteurs d’une tradition. Mais, qu’on nes’y trompe pas, on ne protège rien, on garde unetrace, un témoignage d’un savoir-faire et d’unepensée musicale. Pour protéger véritablement unemusique, il faudrait protéger ses cadres detransmission et l’environnement socio-cultureldans lequel elle s’inscrit, ce qui va au-delà descompétences et des prérogatives desethnomusicologues et des agents de revitalisationpatrimoniale.

On trouvera, à mon sens, un deuxième élément deréponse à la question des choix dans la réflexionsur le pluralisme culturel. La Réunion est connuepour ce pluralisme qui est un argument touristique,politique et artistique. Pourtant, en matièrepatrimoniale et musicale, ce pluralisme sembleparfois avoir du mal à être pensé. Certains pans dela musique réunionnaise peuvent ainsi êtreconsidérés comme les parents pauvres de la prise

24 - Rassemblement musical festif, concert.25 - Grondin, S., Au rythme du maloya, 2011.

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en charge patrimoniale. On pense par exemple auxmusiques de l’hindouisme qui, à ce jour, n’ont faitl’objet d’aucune publication majeure, Mais jepense aussi à l’absence de prise en charge desmusiques « exogènes » (rock, reggae, ragga…) quifont pourtant partie du paysage musicalréunionnais depuis plus ou moins longtemps.

Ceci m’amène à mon troisième point de réflexion.Il concerne le rapport entre les musiques« endogènes » et les musiques « exogènes ». Lespremières portent une spécificité et il paraîtlégitime que, dans une réflexion sur le patrimoine,elles fassent figure de priorités. Après tout, s’il fautpréserver quelque chose du passé, autant que celasoit ce qui relève d’une singularité et participe à ladiversité culturelle. Néanmoins, on gagnerait sansdoute à étendre cette notion de singularité à unensemble de musiques qui, bien qu’importéesrécemment, ont fait l’objet d’une appropriationlocale et ont marqué les pratiques, les goûts et lesimaginaires. On éviterait peut-être un écueildangereux de toute construction patrimoniale :celui de vouloir construire un patrimoinemonolithique, à partir d’une ou deux musiques« légitimes », dans une île qui culturellement nel’est absolument pas (monolithique).

La combinaison de ces trois axes (urgence,pluralisme, musiques endogènes/exogènes)pourrait aider à mieux se représenter le pluralismemusical réunionnais. Elle serait aussi un moyen dedémocratiser la réflexion patrimoniale en

favorisant son appropriation.

Arno BazinMusicien, enseignant, collecteur

(La Réunion)

J'ai commencé mes recherches sur les musiquesenregistrées de l'océan Indien en l'an 2000. À cejour, j'ai recensé 3423 disques vinyles qui touchentà la musique de La Réunion, de Maurice, deMadagascar, des Comores, des Seychelles et deRodrigues. Ce fonds alimente un certain nombrede rééditions, notamment celles du PRMA. Monproblème est que je suis dépositaire de cepatrimoine alors que ce n'est pas mon rôle degarder tout ça, en tant que particulier. Dix-septmètres linéaires sont actuellement en dépôt auxArchives Départementales. Cela fait beaucoup dedisques car je n'ai pas souhaité me restreindre à LaRéunion. Dans les années 1960 – 1970, l'industriedu disque était régionale, avec la famille DeComarmond notamment (label Discomad).Aujourd'hui, ma collection Discomad s'élève à 500disques, ce qui est loin du recensement complet deces disques. À la réédition de disques, j'ai ajouté une collectionde cartes postales et de partitions qui viennentcompléter et situer la collecte de disques. Avecl'association Kreol’Art, on a pu exploiter ce fondsà travers la mise en place de deux grossesexpositions : « Face A Face B »26 qui concernait lesdisques vinyles et « Une musique populaired'origine savante »27 qui concernait les partitions.J'ai constitué une base de données qui intègre

divers champs pour chaque enregistrement : nomde l'artiste, éditeur, style… J'aimerais que lesinstitutions s'approprient ce fonds et que l'accès àces morceaux puisse être démocratisé. Il serait bienque ce projet puisse être investiinstitutionnellement à La Réunion puis soittransféré aux autres îles de la zone.

Bernadette Ladauge Fondatrice du Groupe Folklorique

de La Réunion

Mon projet recoupe plusieurs autres projets sur lepatrimoine musical réunionnais qui ont été remis àLa Région. Je pense à celui que Stéphane Grondina présenté et aussi à celui de Sully Chamand quis'appelle Kaloubadia. Beaucoup de gens font lesmêmes rêves, ils ont compris les mêmes urgences :la sauvegarde, la transmission et surtout lapossibilité d'exploiter nos propres richesses.Aujourd'hui, le mot folklore est traité avecbeaucoup de condescendance, voire de mépris parles grands « intellos » de la culture avec un grandC, ou un grand K ou un gros Q… Pour euxfolklore, ça veut dire « pas bon », « pas bien »…Or, « folk » veut dire peuple, et « lore » veut direscience, savoir. Le folklore c'est donc l'ensembledes traditions populaires régionales. Et ce qui gêneces « intellos », c'est la dimension populaire. C'estpourtant ce qui a formé la base de notre patrimoineactuel et de notre peuplement. Celui-ci a étécomposé de ti moun28 ordinaires d'origines diversesqui se sont mélangés très rapidement. Notre

26 - Face A, face B, « Le temps des vinyles », Conseil général de La Réunion/Kréol'Art, 2010.27 - Une musique populaire d'origine savante. Deux siècles de partitions réunionnaises, Kréol'Art/Archives départementales de La Réunion/Département de La Réunion, 2009.28 - Petites gens.

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métissage a ainsi commencé avant l'esclavage. C'estune différence importante avec l'île Maurice où il ya eu rapidement un clivage entre le Blanc et le Noir.À La Réunion, les séparations étaient davantage declasses que de races. Ceci explique que le ségamauricien soit resté la musique des Noirs, alors qu'àLa Réunion, il est devenu la musique de tous. C'estaussi pour cette raison que le séga à Maurice estresté plus proche de ses origines, tandis qu'à LaRéunion il s'est davantage métissé.Le danger aujourd'hui c'est de vouloir faire le tri entrenos ancêtres car, qu'on soit Noir ou Blanc, on est tousdes métis à La Réunion. La couleur de notre peaun'est qu'une question de dosage. Les projets deStéphane, de Sully, je ne sais pas comment les faireavancer. Ça fait 50 ans que je fais du collectage et dela transmission et je me pose encore la questionsuivante : pourquoi faut-il opposer traditionnel etactuel? D'abord ce sont des concepts flous car ce quiest traditionnel a été actuel. Laissons le temps, le bonsens populaire faire le tri dans tout ça. Mais il ne fautpas que cela soit un diktat politique qui nous « râle »29

un coup d'un côté, un coup d'un autre côté. À unecertaine période, il ne fallait pas parler de l'esclavage.Après 1981 il ne fallait plus parler des origineseuropéennes. Tout cela pèse encore aujourd'hui surnous. Si on veut que les gens nous respectent, il fautnous respecter nous-mêmes. Nous devons respecternotre patrimoine dans son entier. On fait tropattention au regard extérieur. Les journalistesdébarquent ici d'Europe avec leurs idées préconçues,leurs fantasmes… Et nous, comme des « putes », onleur donne ce qu'ils veulent. On se dit qu'ils feront

comme ça un bon papier et qu'ils reviendront. Ondoit être fier de ce qu'on est. Quand on croira à notrevaleur et à notre patrimoine, c'est là qu'on le défendravraiment.

Patrick Matthieu Délégué régional de la SACEM

(La Réunion)

Je vais m'en tenir à l'aspect technique des droitsd'auteur. Par le passé, on a assisté, comme auxAntilles, à une appropriation de la musiquetraditionnelle par des artistes qui se sont appropriécertaines œuvres. C’est pour cette raison que, dansles Dom, nous avons créé une commissiond'identification des œuvres. Elle est composéed'auteurs compositeurs et d'éditeurs qui sont desconnaisseurs du patrimoine musical. Cettecommission est chargée de s'assurer que les œuvresdéclarées à la Sacem et les dossiers d'admission quipassent entre ses mains sont bien des œuvresoriginales qui n'appartiennent pas au domainetraditionnel ou qui ne présentent pas desressemblances caractérisées avec des œuvrespréexistantes. La commission est composée de huitpersonnes qui écoutent toutes les œuvres déclarées àla Sacem et qui traitent tous les dossiers d'admission.

Pierre-Olivier LaulannéEx-directeur de la Fédération des Associations

de Musiques et Danses Traditionnelles

(France)

J'ai dirigé pendant huit ans la FAMDT et pendant

cinq ans un centre de musiques traditionnelles enrégion. Nous avons souvent le sentiment que lestraditions disparaissent alors que bien souvent, enfait, elles évoluent. C'est ce sentiment dedisparition qui motive depuis des décennies descollectes dites « d'urgence ». Et aujourd'hui, on dispose d'une quantitéimportante d'archives sonores qu'il est parfoisdifficile d'utiliser et dans lesquelles il est ardu dese retrouver… Depuis une vingtaine d’années, desdocumentalistes, spécialistes des archives oralestravaillent sur des bases de données documentairesinformatisées (BDD). Mais ces BDD sont souventparcellaires, parce qu’elles ne traitent qu’une partiedes fonds disponibles et qu’elles ne concernentqu’un domaine ou une région en particulier.La FAMDT a mené une expérience de mise encommun de plusieurs BDD d'archives inédites dechercheurs, de collecteurs, d'associations qui ont faitdes recherches sur le patrimoine musical en France.Cette expérience, toujours en développement,s’appelle le Portail du patrimoine oral30.Pour montrer l'intérêt social, culturel et scientifiquede cette démarche de mise en commun de BDD, jevais prendre un exemple: chaque année, la petiteville de Clisson dans la région de Nantes accueilleun des plus grands festivals de hard rock d'Europe(60 000 spectateurs). Cela génère des problèmes decohabitation: on a notamment assisté à desprotestations (processions, messes, prières) demouvements ultra-catholiques qui accusent cefestival d'être lié au diable. Il y a eu une grossepolémique et des hommes politiques sont intervenus.

29 - Tire.30 - http://www.portaildupatrimoineoral.org

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Un des sites contre le festival : http://provocshellfestcasuffit.blogspot.fr/2012/11/analyse-de-la-programmation-hellfest.htmlLa question est même remontée jusqu'àl'Assemblée Nationale31.

Clisson a-t-elle un lien particulier avec Satan et lediable ? Y a-t-il dans cette région, une traditiondiabolique particulière? Qu'est ce que les archivesorales et les BDD disent de l'évocation du diableet de Satan dans cette région ?On a donc interrogé les BDD en ligne (Ethnodocet le Cerdo) qui ont travaillé sur cette zone. On ytrouve plusieurs chansons, légendes et récitsévoquant le diable et Satan. La consultationparcellaire des BDD pourrait donc confirmer le lienparticulier entre Clisson et Satan. Mais la consultation d’autres BDD pourrait aussinous amener à conclure qu'il y a un problèmerécurrent avec le diable dans l'Ouest de la Franceen général. Et si l’on consulte des BDD surl’ensemble du territoire français, on retrouveévidemment des légendes et des récits sur le diable.De même si on consultait des BDD européennes…L'évocation du diable et de l'enfer n'est donc passpécifique à la Vendée ni aux différentes régionsde France… La conclusion est qu’un savoirparcellaire peut largement être remis en question etque concernant les cultures populaires, il vautmieux voir large. Le portail du patrimoine oral, lancé par la FAMDTavec l’aide de la Bibliothèque nationale de France,rassemble cinq BDD de centres de documentation

spécialisés sur les archives orales inédites. Ilpermet de faire des recherches comparatives, àl'image du cas particulier que je viens de présenter.L'idée est de faire coopérer, de façon transparentepour l’usager, plusieurs BDD, ce qui est un objectifsimple mais difficile à réaliser. Pour ce faire, il fautdécrire les contenus des archives avec une mêmeméthode. La FAMDT a développé un guided'analyse du son inédit, pour que chaque centre dedocumentation partage la même méthodologie.Pour faire fonctionner les BDD ensemble, il est parailleurs nécessaire de suivre un protocoleinformatique commun. Nous avons choisi leprotocole OAI-PMH (Open Access Initiative, uneinitiative pour des archives ouvertes et PMH :Protocol for Metadata Harvesting, protocole pourle moissonnage des métadonnées). Ce protocoleconsiste à relever les métadonnées (c’est-à-dire lesinformations permettant d’identifier le contenu etles auteurs) de chacune des archives. Cetteinitiative a été lancée au plan international par deschercheurs qui souhaitaient que leurs documentssoient accessibles au plus grand nombre sans qu’ilsne soient propriété d'une multinationale ou d’unformat informatique.Les associations comme les nôtres sont détentricesd'une mémoire publique. Il est donc nécessaired'impliquer les institutions pour qu'elles assurentla possibilité de pérenniser et de sécuriser laconstitution, la conservation et l'exploitation de cesarchives. Le portail du patrimoine oral est un desexemples de mise en commun possibles.

31 - http://www.dailymotion.com/video/xcrsfq_le-hellfest-a-l-assemblee-nationale_news#.USJjvui44Xw

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Ces rencontres ont fait émerger plusieursproblématiques qui pourraient constituer la base d'unprogramme de travail coopératif sur les patrimoinesmusicaux de l'océan Indien. Notons que la question ducollectage, au cœur de ces journées, a été inscrite, àtravers les interventions et les discussions qui les ontsuivies, dans une réflexion plus globale. Cette réflexionportait particulièrement sur le sens de la valorisation despatrimoines musicaux régionaux, ses enjeux, sesmodalités de mise en œuvre et ses répercussions sur lesespaces culturels concernés.

Un intérêt partagé pour les parentés

culturelles dans l'océan Indien

Ce point concerne d'une part la question des origines desmusiques de l'aire dite « créole » (Mascareignes,Seychelles…). Il renvoie à une forme de recherche desorigines propres aux mondes créoles, dont l'intérêt est àla fois identitaire, spirituel, pédagogique, politique etscientifique. Les enjeux éthiques liés à la reconnaissanceet à la gestion équilibrée du pluralisme culturel ont étéévoqués à de nombreuses reprises. La comparaison descultures musicales entre elles, dans leurs pointscommuns et leurs différences, constitue un autre axe deréflexion récurrent des rencontres. Elle renvoie à unevolonté de situer l'actualité des patrimoines musicauxen rapport à des contextes sociaux, culturels et politiquesdifférents.

Un questionnement sur la valeur

du changement musical

Particulièrement évoqué, au cours de ces rencontres, àtravers la question des évolutions apportées à certainsinstruments dits « traditionnels », ce questionnements'articule à une volonté partagée d'inscrire les traditionsmusicales dans l'actualité musicale, marquée par lamondialisation, des sociétés dont elles sont issues. A

notamment été évoqué l'usage de peaux en plastiquessur les ravannes mauriciennes qui permettent d'adapterl'instrument à des contextes où l'usage du feu pourtendre la peau est impossible. Enfin, la distinction entremusiques traditionnelles et actuelles a été questionnéedans le cadre d'une mise en valeur équilibrée desmusiques réunionnaises et d'une approchecontemporaine des patrimoines en devenir.

Un déficit de ressources et un manque

d'encadrement institutionnel

Le manque de ressources en matière de collectage et devalorisation est un constat partagé par beaucoup desintervenants. L'économie du collectage et de lavalorisation est ainsi partagée entre des initiativesindividuelles, associatives, universitaires etinstitutionnelles. Au niveau institutionnel, émerge uneattente forte en matière de mutualisation, depérennisation et de démocratisation des démarches(individuelles et/ou associatives) de collectes et devalorisation des patrimoines musicaux. Ce constatconcerne de prime abord l'ensemble des territoires. Danscet environnement, La Réunion fait malgré tout officede territoire privilégié en raison de sa situationéconomique.

Des enjeux pédagogiques centraux

La transmission des patrimoines musicaux, considéréecomme nécessaire à leur pérennité, est pour beaucoupd'intervenants indissociable de la collecte et de lavalorisation. Ainsi, il est jugé nécessaire de produire desoutils pédagogiques modernes et adaptés aux réalités ducontexte culturel contemporain des territoires concernés,qu'ils soient « modernes » ou liés à la « coutume ».L'authenticité des savoir-faire musicaux etchorégraphiques transmis est également évoquée, ainsique l'utilité de mettre en place un enseignement

formalisé et sanctionné par des diplômes. La relationentre porteurs de mémoires, formalisation desencadrements pédagogiques et institutions est icidirectement questionnée.

Vers de nouvelles formes d'exploitation

et de valorisation

Trois types de valorisation ont été évoqués :1) Les lieux de types « centres culturels » : lavalorisation peut y être réalisée de façon plurielle(enseignement, diffusion, création, exposition…) ; 2) l'édition phonographique consacrée à desenregistrements historiques ou à des collectages deterrain ;3) L'accès à des bases de données et à des contenusnumériques grâce aux nouvelles technologies (QRcodes…) dans le cadre de circuits culturels ettouristiques, de dispositifs de consultation culturelle oude recherche universitaire. La gestion centralisée debases de données diverses consacrées au patrimoinemusical ressort de ces journées comme un outil essentielà ces nouvelles formes de valorisation et d'exploitation.

Le droit d'auteurs en question

L'exploitation publique, qu'elle soit à des finspédagogiques, touristiques, scientifiques… despatrimoines musicaux et chorégraphiques mis en valeurpositionne la question des droits d'auteurs commecentrale. Une partie des débats du 20 juin ont concernécette question, en soulignant le rôle de la connaissancedu passé comme garant du respect de la légalité en lamatière. D'un autre côté, le colloque a montré combiencréation individuelle et patrimoines collectifs sontintimement liés, rendant complexe l'usage systématiquedu droit d'auteurs et de la propriété intellectuelle.

Synthèse