LA DISTINCTION Encore un séisme dans la presse romande… Et ... · cert ai nà u d s questions....

4
SEPTEMBRE 2001 L A D ISTINCTION — 1 L A D ISTINCTION SOCIALE — POLITIQUE — LITTÉRAIRE ARTISTIQUE — CULTURELLE — CULINAIRE L A D ISTINCTION Publication bimestrielle de l’Institut pour la Promotion de la Distinction case postale 465 1000 Lausanne 9 Y-mêle: [email protected] Vouèbe: www.distinction.ch Abonnement : Frs 25.– au CCP 10–22094–5 Prix au numéro : Suisse : 4.35 francs France : 18.25 francs Belgique : 99 francs Europe hors-CH : 2.90 e Collaborèrent à ce numéro : Anne Bourquin Büchi Denis de Burbo Théo Dufilo Gil Meyer Henry Meyer Lucien Mourvèdre Cédric Suillot Jean-Pierre Tabin Monique Théraulaz 85 Si vous pouvez lire ce texte, cest que vous nêtes pas abonné(e). Quattendez-vous pour le faire ? Frs 25.– au CCP 10–220 94–5 «Strc ˇ prst skrz krk !» (Enfonce-toi le doigt dans la gorge, en tchèque) 10 septembre 2001 paraît six fois par an quinzième année JAB 1000 Lausanne 9 Annoncer les rectifications d'adresse NOMINATIONS POUR LE GRAND PRIX DU MAIRE DE CHAMPIGNAC 2001 Viens, femme, te rasseoir sur le banc… Une coopérative autogérée, alternative. Une librairie indépendante, spécialisée en sciences sociales et ouverte sur dautres domaines. Un service efficace et rapide. Un rabais de 10 % aux étudiants et de 5 % à ses coopérateurs. (Publicité) LIBRAIRIE BASTA! Petit-Rocher 4, 1003 Lausanne, Tél./fax : 625 52 34 / E-mail : [email protected] Ouvertures : LU 13h30-18h30, MA-VE 9h00-12h30, 13h30-18h30, SA 9h00-16h00 Librairie Basta! - Dorigny, BFSH 2, 1015 Lausanne, Tél./fax/répondeur 691 39 37 Ouvertures : du lundi au vendredi, de 8h30 à 17h30 B A S T A ! À mots découverts «Le sit-com, cest du théâtre de boule - vard, qui existe depuis que lhomme est homme.» Raymond Vouillamoz, directeur des programmes de la TSR, supra RSR1- La Première, 17 mai 2001, vers 18h55 «Les secondes ségrènent, malheureu - sement les minutes aussi.» Jean-Jacques Besseaud, commentant le match de hockey Russie-Suisse. supra RSR1-La Première, 6 mai 2001 «Le jury souligne la forte contribution de tous les concurrents à résoudre la mise en place dun programme complexe présentant autant de complémentarité que de spécificité nécessitant une ap - proche particulière.» Michel Ruffieux, président du jury, concours pour la construction dun groupe scolaire dans le quartier des Ouches, in Lettre du Département de laménagement, des constructions et de la voirie, Genève, printemps 2001 «Le torrent libertaire va ensemencer tout un courant de la pensée américai - ne qui poussera la logique anarchiste jusque dans ses ultimes retranche - ments.» Olivier Meuwly, in Le Développement durable, critique dune théorie politique, LÂge dHomme, chapitre 9 «Si on continue dans un même rapport de force, on peut effectivement envisa - ger autre chose. Mais si on parvient à une autre configuration politique au gouvernement, dautres espoirs sont permis.» Francine Jeanprêtre, conseillère dÉtat vaudoise, in 24 Heures, 1 er mai 2001 «Cela fait trois mois que nous sommes dans les résultats négatifs, et pas une seule femme na dit : je ne gagne rien, je démissionne. Nous vivons une expé - rience tellement enrichissante que ces pertes ne nous impressionnent pas.» Sandra Décaillet, présidente du Ladies Investment Club de Genève, in Le Temps, 31 mars 2001 «Mais le pays sait bien que mondialisa - tion aidant, il devra passer sous les fourches caudines du nouveau paradig - me des démocraties occidentales. […] Les verrous qui sautent ne sont que les prémices dune révolution en marche.» Alain Fabarez, éditorialiste, in Le Journal français à létranger, juin-juillet-août 2001 L'été n'est plus ce qu'il était Proposition fumeuse Leonardo, journal de l'ATE, juin 2001 D E Ghérasim Luca on a trop peu parlé. Panaït Istrati, Eugène Iones- co, Paul Celan lui ont sans doute fait de l’ombre. Il est donc grand temps de le lire et aujourd’hui, grâce à la sortie d’un double CD, de l’écouter. Né à Bucarest en 1913, il marque très tôt un vif intérêt pour les surréalistes et pour tous les grands courants de l’avant-garde. Dès 1952, il s’installe à Paris. Après deux livres publiés en roumain, Luca adopte, em- brasse la langue française. Étreint serait sans doute plus exact, tant il la malaxe, la dé- construit, la recompose, avec violence et délicatesse, avec passion et tendresse. Il s’em- pare de la langue pour en ex- traire le sens, l’essence. De ses écrits, il donne de nombreuses et mémorables lectures publiques. Et c’est une véritable secousse sismi- que qui traverse ceux qui ont eu le privilège d’assister à ses récitals poétiques. Il faut entendre Luca avec son léger accent, son phrasé, sa diction, son souffle : «J e parcours aujourd’hui une étendue où le vacarme et le si - lence s’entrechoquent –centre choc–, où le poème prend la forme de l’onde qui l’a mis en marche. Mieux, le poème s’éc - lipse devant ses conséquences. En d’autres termes : je m’ora - lise.» En accoucheur de mots, il triture la matière sonore jus- qu’au vertige: «La mort, la mort folle, la morphologie de la méta, de la métamor, de la métamorphose ou la vie, la vie vit, la vie-vice, la vivisection de la vie»… L’indifférence, la solitude, la vieillesse, les déraisons d’être ne lui manquaient sans doute pas. Le 9 février 1994, il se jette dans la Seine. «Personne à qui pouvoir dire / que nous n’avons rien à dire / et que le rien que nous nous disons /continuellement / nous nous le disons / comme si nous ne nous disions rien / comme si personne ne nous disait / même pas nous / que nous n’avons rien à dire /personne / à qui pouvoir le dire / même pas nous». Les Carpates avaient bien engendré un génie, mais ce n’est pas celui que l’on croyait. Souhaitons que ce double disque compact le met- te en pleine lumière, car avec Gérashim Luca, c’est le Verbe qui est recréé, c’est le singu- lier qui devient universel. M. T. Ghérasim Luca par Ghérasim Luca José Corti, 2001, 2 cd, Frs 50.– Et Luca fut Notre supplément à monter soi-même. Pages 3 à 6 L ES criminologues s’at- taquent au plus grand mystère de la littératu- re romande. Qui se cachait sous le nom du grand auteur vaudois? Au début de cette année, l’Institut de criminologie de Lausanne a reçu une deman- de très particulière. En coopé- ration avec un groupe de sa- vants de premier ordre com- posé d’un patoisant, d’un oncologue et d’un spécialiste de la génétique, deux em- ployés de l’ICL traquent le fantôme de l’histoire de la lit- térature romande, Charles- Ferdinand Ramuz. Depuis sa mort, en 1947, ce simple fils du terroir pose aux érudits des énigmes insolubles: ce na- tif d’une province rurale aux racines si fortement paysan- nes est-il vraiment l’auteur de ces dizaines de romans, poè- mes, essais ou manifestes passés à la postérité ou ces œuvres ont-elles été écrites par quelque érudit? Était-ce même Marcel Pilet-Golaz qui, sous le pseudonyme de Ra- muz, décrivait les tourments de l’âme? Le poète est-il mort de l’éthylisme ou du cancer? Était-il beau, noble dans sa présentation comme il l’était en esprit, ou plutôt d’appa- rence terne et ordinaire, si- non ravagée? Jusqu’ici, on ne pouvait répondre de façon certaine à aucune de ces questions. Quelles taches! Des paupières supérieures épaisses et des taches bien vi- sibles au-dessous des yeux ont conduit Hildegard Schmiedhein-Yelmoli sur une Sherlock Holmes piste Ramuz Mystère à Pully nouvelle piste. La professeur de littérature romande de Bâ- le a remarqué ces particulari- tés sur deux photos de Ra- muz, ce qui a éveillé sa curio- sité. Elle a demandé l’aide des criminologues de l’ICL et du Dr Ingemar Sprounz, méde- cin-chef d’une clinique oncolo- gique d’Ingolstadt, pour me- ner une analyse détaillée de cinq photos célèbres de Ra- muz, ainsi que des traces gé- nétiques qu’on pourrait repé- rer dans les manuscrits ou re- liques pieusement conservées de l’écrivain. Signes du cancer Les criminologues et l’onco- logue, dans des recherches menées indépendamment, ont diagnostiqué les paupières particulièrement larges et les (Suite en page 2) Encore un séisme dans la presse romande…

Transcript of LA DISTINCTION Encore un séisme dans la presse romande… Et ... · cert ai nà u d s questions....

Page 1: LA DISTINCTION Encore un séisme dans la presse romande… Et ... · cert ai nà u d s questions. Quelles taches! Des paupières supérieures épaisses et des taches bien vi-sibles

SEPTEMBRE 2001 LA DISTINCTION — 1

LA DI S T I N C T I O NSOCIALE — POLITIQUE — LITTÉRAIRE

ARTISTIQUE — CULTURELLE — CULINAIRE

LA DISTINCTION

Publicationbimestrielle de

l’Institut pour laPromotion de la

Distinctioncase postale 465

1000 Lausanne 9•

Y-mêle : [email protected]

Vouèbe :www.distinction.ch

Abonnement :Frs 25.–

au CCP 10–22094–5Prix au numéro :

Suisse: 4.35 francsFrance: 18.25 francsBelgique : 99 francs

Europe hors-CH: 2.90 eCollaborèrent à ce numéro :

Anne Bourquin BüchiDenis de Burbo

Théo Dufilo

Gil MeyerHenry Meyer

Lucien MourvèdreCédric Suillot

Jean-Pierre TabinMonique Théraulaz

85Si vous pouvez lire ce texte, c’est que vous n’êtespas abonné(e). Qu’attendez-vous pour le faire ?

Frs 25.– au CCP 10–220 94–5

«Strc prst skrz krk !»(Enfonce-toi le doigt dans la gorge, en tchèque)

10 septembre 2001paraît six fois par an

quinzième année

JAB 1000 Lausanne 9Annoncer les rectifications d'adresse

NOMINATIONS POUR LEGRAND PRIX DU MAIREDE CHAMPIGNAC 2001

Viens, femme, te rasseoir sur le banc…

Une coopérative autogérée, alternative.

Une librairie indépendante,

spécialisée en sciences sociales

et ouverte sur d’autres domaines.

Un service efficace et rapide.

Un rabais de 10 % aux étudiants

et de 5 % à ses coopérateurs.

(Publicité)

LIBRAIRIE BASTA! Petit-Rocher 4, 1003 Lausanne,Tél./fax : 625 52 34 / E-mail : [email protected]

Ouvertures : LU 13h30-18h30,MA-VE 9h00-12h30, 13h30-18h30, SA 9h00-16h00

Librairie Basta! - Dorigny, BFSH 2, 1015 Lausanne,Tél./fax/répondeur 691 39 37

Ouvertures: du lundi au vendredi, de 8h30 à 17h30

B A S TA !

À mots découverts

«Le sit-com, c’est du théâtre de boule -vard, qui existe depuis que l’homme esthomme.»

Raymond Vouillamoz, directeur desprogrammes de la TSR, supra RSR1-

La Première, 17 mai 2001, vers 18h55«Les secondes s’égrènent, malheureu -sement les minutes aussi.»

Jean-Jacques Besseaud, commentantle match de hockey Russie-Suisse.

supra RSR1-La Première, 6 mai 2001«Le jury souligne la forte contribution detous les concurrents à résoudre la miseen place d’un programme complexeprésentant autant de complémentaritéque de spécificité nécessitant une ap -proche particulière.»

Michel Ruffieux, président du jury,concours pour la construction d’un

groupe scolaire dans le quartier desOuches, in Lettre du Département de

l’aménagement, des constructions et dela voirie, Genève, printemps 2001

«Le torrent libertaire va ensemencertout un courant de la pensée américai -ne qui poussera la logique anarchistejusque dans ses ultimes retranche -ments.»

Olivier Meuwly,in Le Développement durable,critique d’une théorie politique,

L’Âge d’Homme, chapitre 9«Si on continue dans un même rapportde force, on peut effectivement envisa -ger autre chose. Mais si on parvient àune autre configuration politique augouvernement, d’autres espoirs sontpermis.»

Francine Jeanprêtre,conseillère d’État vaudoise,

in 24 Heures, 1er mai 2001

«Cela fait trois mois que nous sommesdans les résultats négatifs, et pas uneseule femme n’a dit : je ne gagne rien,je démissionne. Nous vivons une expé -rience tellement enrichissante que cespertes ne nous impressionnent pas.»

Sandra Décaillet, présidentedu Ladies Investment Club de Genève,

in Le Temps, 31 mars 2001«Mais le pays sait bien que mondialisa -tion aidant, il devra passer sous lesfourches caudines du nouveau paradig -me des démocraties occidentales. [ … ]Les verrous qui sautent ne sont que lesprémices d’une révolution en marche.»

Alain Fabarez, éditorialiste,in Le Journal français à l’étranger,

juin-juillet-août 2001

L'été n'est plus ce qu'il était

Proposition fumeuse

Leonardo, journal de l'ATE, juin 2001

DE Ghérasim Luca on atrop peu parlé. PanaïtIstrati, Eugène Iones-

co, Paul Celan lui ont sansdoute fait de l’ombre. Il estdonc grand temps de le lire etaujourd’hui, grâce à la sortied’un double CD, de l’écouter.

Né à Bucarest en 1913, ilmarque très tôt un vif intérêtpour les surréalistes et pourtous les grands courants del’avant-garde. Dès 1952, ils’installe à Paris.

Après deux livres publiés enroumain, Luca adopte, em-brasse la langue française.Étreint serait sans doute plusexact, tant il la malaxe, la dé-construit, la recompose, avecviolence et délicatesse, avecpassion et tendresse. Il s’em-pare de la langue pour en ex-traire le sens, l’essence.

De ses écrits, il donne denombreuses et mémorableslectures publiques. Et c’estune véritable secousse sismi-que qui traverse ceux qui ont

eu le privilège d’assister à sesrécitals poétiques.

Il faut entendre Luca avecson léger accent, son phrasé,sa diction, son souffle : «J eparcours aujourd’hui uneétendue où le vacarme et le si -lence s’entrechoquent –centrechoc–, où le poème prend laforme de l’onde qui l’a mis enmarche. Mieux, le poème s’éc -lipse devant ses conséquences.En d’autres termes : je m’ora -lise.»

En accoucheur de mots, iltriture la matière sonore jus-qu’au vertige: «La mort, lamort folle, la morphologie dela méta, de la métamor, de lamétamorphose ou la vie, la vievit, la vie-vice, la vivisectionde la vie»…

L’indifférence, la solitude, lavieillesse, les déraisons d’êtrene lui manquaient sans doutepas. Le 9 février 1994, il sejette dans la Seine. «Personneà qui pouvoir dire / que nousn’avons rien à dire / et que le

rien que nous nous disons/continuellement / nous nousle disons / comme si nous nenous disions rien / comme sipersonne ne nous disait /même pas nous / que nousn’avons rien à dire /personne/ à qui pouvoir le dire /même pas nous».

Les Carpates avaient bienengendré un génie, mais cen’est pas celui que l’oncroyait. Souhaitons que cedouble disque compact le met-te en pleine lumière, car avecGérashim Luca, c’est le Verbequi est recréé, c’est le singu-lier qui devient universel.

M. T.

Ghérasim Luca par Ghérasim LucaJosé Corti, 2001, 2 cd, Frs 50.–

Et Luca fut

Notre supplément à monter soi-même.Pages 3 à 6

LES criminologues s’at-taquent au plus grandmystère de la littératu-

re romande. Qui se cachaitsous le nom du grand auteurvaudois?

A u début de cette année,l’Institut de criminologie deLausanne a reçu une deman-de très particulière. En coopé-ration avec un groupe de sa-vants de premier ordre com-posé d’un patoisant, d’unoncologue et d’un spécialistede la génétique, deux em-ployés de l’ICL traquent lefantôme de l’histoire de la lit-térature romande, Charles-Ferdinand Ramuz. Depuis samort, en 1947, ce simple filsdu terroir pose aux éruditsdes énigmes insolubles: ce na-tif d’une province rurale auxracines si fortement paysan-nes est-il vraiment l’auteur de

ces dizaines de romans, poè-mes, essais ou manifestespassés à la postérité ou cesœuvres ont-elles été écritespar quelque érudit? Était-cemême Marcel Pilet-Golaz qui,sous le pseudonyme de Ra-muz, décrivait les tourmentsde l’âme? Le poète est-il mortde l’éthylisme ou du cancer?Était-il beau, noble dans saprésentation comme il l’étaiten esprit, ou plutôt d’appa-rence terne et ordinaire, si-non ravagée? Jusqu’ici, on nepouvait répondre de façoncertaine à aucune de cesquestions.

Quelles taches!Des paupières supérieures

épaisses et des taches bien vi-sibles au-dessous des yeuxont conduit HildegardS c h m i e d h e i n - Yelmoli sur une

Sherlock Holmes piste Ramuz

Mystère à Pully

nouvelle piste. La professeurde littérature romande de Bâ-le a remarqué ces particulari-tés sur deux photos de Ra-muz, ce qui a éveillé sa curio-sité. Elle a demandé l’aide descriminologues de l’ICL et duDr Ingemar Sprounz, méde-cin-chef d’une clinique oncolo-gique d’Ingolstadt, pour me-ner une analyse détaillée decinq photos célèbres de Ra-muz, ainsi que des traces gé-nétiques qu’on pourrait repé-rer dans les manuscrits ou re-liques pieusement conservéesde l’écrivain.

Signes du cancer

Les criminologues et l’onco-logue, dans des recherchesmenées indépendamment, ontdiagnostiqué les paupièresparticulièrement larges et les

(Suite en page 2)

Encore un séisme dans la presse romande…

Page 2: LA DISTINCTION Encore un séisme dans la presse romande… Et ... · cert ai nà u d s questions. Quelles taches! Des paupières supérieures épaisses et des taches bien vi-sibles

Légèrement voyeurPosté au haut de la Mercerie,

l’autre jour, j’ai eu l’avantagede pouvoir contempler les ex-ploits de plusieurs hommes quifaisaient de la bicyclette sousles yeux attendris de nombreu-ses dames, lesquelles sem-blaient se parler les unes auxautres par téléphone portable.Je regrette que leur chien aittellement aboyé, parce que jen’ai pas pu entendre tous lesdétails du commentaire duspeaker qui s’époumonait de-puis le stand de limonade alé-manique, et qui annonçait detemps en temps que la rue ac-cusait une pente de 17%, par-fois de 15%, ou encore de13,5%. S’il ne buvait pas tantde cette boisson des sportifs àla couleur pisseuse, peut-êtrecet excellent jeune homme semélangerait-il moins les pin-ceaux, me suis-je susurré i npetto.

Bref. Que ces messieurs à bi-cyclette plussent aux dames,cela m’indifférait profondé-ment ; mais j’ai été fort méduséqu’ils empruntassent une rue sipeu commode à la pratique vé-locipédique. Puis-je me permet-tre de leur conseiller, la pro-chaine fois, de se dérouter versl’Est ? Ils y trouveront une pen-te plus douce, un parc suave aunom fleurant les délices de Ca-poue, qui les consolera de l’ef-fort trop violent qu’ils consenti-rent au centre-ville.

Et s ’ils n’en veulent pas,qu’ils aillent se faire voir chezles Genevois, qui organisentune course de l’Escalade qui nemonte guère.

Bernard Zulo,cyclotouriste

DigneJe sollicite l’obtention d’un

droit de réponse, pour faire re-marquer à mon jeune collègueMépfer-Kenzo que le séminairequ’il a, cela fait quelques se-mestres, consacré au courrierdes lecteurs était, grosso modo,presque entièrement basé surun mémoire de la Faculté desLettres, qui a été défendu sousma direction par une charman-te étudiante dont j’ai oublié lenom mais qui, grâce à mes con-seils, avait fait un excellenttravail, complété d’une excel-lente bibliographie où ellen’avait pas oublié de mention-ner un seul des titres que je luiavais indiqués, parmi lesquelsplusieurs ouvrages, à la fois in-trouvables et très difficiles àdénicher, de la grande maîtres-se de l’historiographie italo-ala-bamienne Wilfrid Ve b e r i a n a -C a r t c o u n t r y - P a r q u a k e r- J o n a s-se, dont j’ai longuement montrél’importance dans plusieursopuscules parus sous des nomsd’emprunt (pour éviter de ren-dre mes collègues jaloux) auxéditions 24 heures.

Je ne retire aucune gloired’avoir permis la réussite ful-gurante de cette excellente jeu-

ne personne dont je ne me rap-pelle pas le nom (son prénomn’était-il pas Maude, Maryline,Nicotine ou Céleste ?) mais, neserait-ce que pour rendre justi-ce à la vérité historique, donttout le monde sait qu’elle est àla fois difficile à établir et indé-niable (comme l’a admirable-ment démontré l’inoubliablephilosophe de l’histoire Giam-battista Babola-Imbibato, quej’ai édité et préfacé, au tempsde ma fougueuse jeunesse,dans la fameuse collection«COCU, Connaissance et cultu-r e», chez Lÿmanière, en 1959),il fallait que ce fût dit. Et celamême s’il paraît tôt à certainsde mes jeunes collègues pourrétablir le sens de la tragédie etde l’épouvantable complicationde la destinée humaine.

Juannettinolino Cornulaz-Epallaz, professeur émérite energothérapologie, actuellement

hébergé en atelier protégéDont acte. [Réd.]

TransiÇa suffit maintenant. Jusqu’à

maintenant je lisais ce courrierdes lecteurs d’un derrière dis-trait, en me torchant en diago-nale avec les à peu-près desbrames de Bertrand et deMaud. Ces deux-là vont se met-tre à dos tout le Parc Mon-Repos, qui pour le moment semarre sous cape à les voir fairesemblant de s’ignorer, depuisles jardiniers jusqu’aux perro-quets, en passant par les clé-bards et les prédicateurs. Maisbon, ils sont tartes, c’est leurproblème.

Mais maintenant j’en ai mar-re. Je ne sais pas si vous avezremarqué, mais le ton a changéet ceux qui s’ébattent dans voscolonnes sont nettement pluslouches qu’avant. D’ailleurs ilsviennent, en proportion tou-jours plus élevée, du plat payset des Pays-Bas, ce qui devraitdéjà vous mettre la puce àl ’ o r e i l l e : n’oubliez pas que leParc Mon-Repos est en pente !

Alors il y avait déjà eu unesorte de cycliste jaloux, il y abien longtemps —c’était dutemps de ma furonculose. Etmaintenant débarque unéquarrisseur hollandais exilédans le Jorat, et qui a un nomde pneu. Celui-là me pompe sé-rieusement l’air. Il vous écrit,comme par hasard, dans le mê-me numéro où apparaît la plu-me de Céleste Epascher, cettedévergondée qui se réjouit devoir des hommes moustachus,tout nus et en bottes de caou-tchouc. Mais ça va pas la tête.Ma moustache frise et défrised’indignation. Cécile [sic, Réd.],ne fais pas semblant que tu eslà par hasard, parce que je saisque ce n’est pas vrai !

Michel HeinPreuve est faite que lemauvais usage de La Dis -t i n c t i o n est la cause duprurit anal et des fautesde français. [Réd.]

SEPTEMBRE 20012 — LA DISTINCTION

Courrier des lecteurs

Les apocryphes

Dans ce numéro, nous insérons lacritique entière ou la simple men-tion d’un livre ou d'une création,voire d’un auteur, qui n’existe pas,pas du tout ou pas encore.Ce feuilleton sème l'effroi et laconsternation depuis plusieurs an-nées chez les libraires, les ensei-gnants et les journalistes. Nous lepoursuivons donc.Celui ou celle qui découvre l’im-posture gagne un splendide abon-nement gratuit à La Distinction e tle droit imprescriptible d’écrire lacritique d’un ouvrage inexistant.Dans notre dernière édition, le pré-tendu rapport de l'Union européen-ne intitulé Une réforme nécessairede la politique commémoriale étaitune pure imposture.

Chronique de l'excitation lexicale

Minutemétonymique

Viens, femme, te rasseoir sur le banc…

Union Européenne

Une réforme nécessaire de lapolitique commémoriale

** ** ** ** ** **

Ponctuation

Un simple tiret, et tout change…

Le Temps, 15 août 2001

Exposition

CHRISTIAN PELLETPeinturesOLIVIER CHRISTINATPhotographiesDu 19 septembre au 27 octobreVernissage le 19 septembre à 18h00Visite guidée le 10 octobre à 18h00

(Annonce)

Galerie Basta !Petit-Rocher 4

Lausanne-Chauderon

À nos braves et fidèles lecteursVous trouverez dans ce numéro unbulletin de versement de couleurrosâtre. L'étiquette de la premièrepage devrait en principe vousindiquer clairement la date d'éché-ance de votre abonnement.Les lecteurs qui arriveront au boutde leur pensum cette année encoreet qui désirent d'ores et déjà re-nouveler cette épreuve voudrontbien faire usage de ce bulletin etainsi nous épargner des frais derappel exorbitants.Le tarif reste inchangé : Frs 25.–par année (6 numéros), Frs 20.–pour les chômeurs, rentiers AVS etétudiants de première année.Merci de votre attention.

Le service des abonnements

Michael CrichtonTimelineArrow Books, 2000, 489 p., £ 5.99Le moins que l’on puisse dire au sujet deMichael Crichton, c’est qu’il est un narrateursacrément efficace et qu’il a des ressourcescréatrices surprenantes. Timeline est sondernier livre paru, et donc son dernier best-seller.

Le lecteur y (re?)trouvera : une équipe de scientifiques mais cettefois des historiens et des archéologues ; une découverte scientifiquefabuleuse, la bonne vieille machine à voyager dans le temps deWells, remise sur rails grâce à la physique quantique ; unmilliardaire arrogant et sans scrupule qui veut bien sûr renta-biliser au maximum, cette découverte. Lui ne propose plus un parcd’attractions sur un thème, mais veut carrément transporter lesfoules assoiffées de nouveautés dans le Moyen Âge ; des gentils,des valeureux, qui devront aller chercher un des leurs resté coincédans le passé ; des méchants qui vont essayer de les en empêcher;et aussi, une grande bataille ; quelques réflexions sur la science, laphysique quantique, les boucles temporelles et leursconséquences ; une apologie de la vie saine et de nos ancêtres auxbras noueux ; une fin surprenante…Le tout bien mélangé, dosé, brassé en une histoire palpitante,rythmée par des petits chapitres qui se lisent si vite que l’on veuttoujours en lire un autre, sans plus s’arrêter, quand tous les autresdorment et que les rues deviennent silencieuses.Hollywood en fera un film sûrement, un navet oui, mais ça, on s’enfout. (A.B.B.)

LES deux misters, Jekyllet Hyde, faisaient minede s’être remis de leur

grosse migraine et de leur sé-jour au mitard. Passée la mi-été, ils n’avaient pas mis lesmiches dans les miasmes la-custres, et tiraient gloired’avoir échappé aux microbeset aux moustiques. L’un desdeux misters s’entraînait à laboxe, mi-jeu mi-guerre. L’ a u-tre au mixage, et toujours fre-donnait militairement à mi-voix une publicité mièvrepour les minicroisières pourl’Angleterre.

Mais, pas de miracle, la mi-traille leur manquait. Aprèsun mini-colloque, ils avaientdécidé d’une mission : muspar la jalousie, ils allaients’en prendre à un misérablemioche.

Depuis la mi-août, le miteuxs’était mis à la colle avec unemidinette, et, les yeux mi-clos, minaudait avec elle jus-que dans l’après-midi. L’ i n-grat n’était même pas en me-sure de lui offrir ne serait-ceque des mimosas, des vers demirliton ou de tendres mimi-ques. Elle, lui faisait des mi-gnardises, des tartines demiel, de délicieuses mixtures ;pis, ou mieux, elle lui lisait duCocteau, et s’esclaffait dumicmac du maître, incapablede compter jusqu’à un, au mo-ment de décrire leur micro-m e z z a n i n e : «une galerie, mi-salle de billard, mi-cabinet detravail, mi-salle à manger».Mais surtout, mirifique musi-cienne, elle lui enseignait desairs et des mélopées : «J’aiperdu le mi de ma clarinette»,ou «Auprès de ma mie». Mê-me, l’emmenant au milieu dela rivière, elle mimait en

miaulant à mi-voix, non pasle duo des chats, mais : «J’ai-me mieux ma mie au gué». Cequi n’empêchait pas la mi-gnonne en monokini de n’enpenser pas moins, malicieuse,pis que pendre de ce salmi-gondis de musique : «Leschansons, les fredons et lessifflotis succédant à l’harmo-nium me font l’âme mi-enca-naillée, mi-encuraillée.» E tlui, mauvais nageur, déjà mi-suffoquant mi-noyé, était plusmiraud que faraud.

Il n’y eut ni miracle ni misé-ricorde. Lamentable, miséra-ble, enfoncé jusqu’à mi-cuissedans les michepapes, le minetcompromit sa survie en quel-ques minutes ; déjà son âmemigrait. Sous l’œil mi-clos desmalabars qui s’en mettaientplein les mirettes et ne per-daient pas une miette de sonagonie. Il mourut à la BelleLaveuse. La seule épitaphequi lui fut consentie, ce fut :«Service minimum, mais lemieux est l’ennemi du bien, etce mioche nous a sauvé la mi-se». Persuadés que leur missi-le avait mis dans le mille, lesdeux miliciens du crime chan-tèrent, l’un le miserere en mi-neur de son propre requiem,l’autre «Michelle ma belle».Et, mithridatisé par la mort,Jekyll, qui n’en ratait pas unelorsqu’il mitonnait, mi-figuemi-raisin, des raisonnementsminables, de maugréer : «Min-ce, on dirait du Charles Ives».

La morale mitigée de cemystère mi-figue mi-raisin,c’est que les trois mecs miso-gynes n’en font qu’un, et quela malheureuse miss est dansla mistoufle et n’y comprendmie.

T. D.

Sherlock Holmes piste Ramuz

(Suite de la page 1)

taches dans quatre portraitssur cinq. «Ces signes particu -liers ne peuvent avoir été ra -joutés par des retoucheursp h o t o g r a p h i q u e s », affirme-t-elle. L’expertise médicale amené à une nouvelle théorieconcernant la mort de Ramuz.Le Dr Sprounz croit que Ra-muz souffrait du syndrome deHitzfeld-Köbi, une affectiondes circonvolutions du lobefrontal, qui entraîne un ra-mollissement précoce du cer-veau et de la volonté et se ca-ractérise par une perte pro-gressive du vocabulaire et dela syntaxe. Une issue fataleest inévitable. Quant au pa-toisant, il est formel : « R a -muz, ç’a des fois l’apparence etle goût du patois, mais ça n’enest pas!»

Bientôt la solution de l’énigme?

Fouillant alors dans les ar-chives ramuziennes, les in-vestigateurs ont déniché desindices attestant les vire-ments réguliers effectués parle notaire de l’écrivain sur uncompte d’épargne que MarcelPilet-Golaz avait ouvert au-près de la BCV. D’autre partune analyse de l’ADN des

nombreux petits poils retrou-vés incrustés dans les papiersou objets familiers du poèteprouvent qu’ils ne sont pas delui. Seule une exhumation dela dépouille de l’ancien con-seiller fédéral permettrait dedébrouiller le mystère. Pourl’instant, la famille s’y refuseobstinément et bien des per-sonnalités du monde des let-tres se montrent plus que ré-servées. Ainsi Jacques Ches-sex, interrogé par notre con-frère de 24 Heures Gilbert Sa-lem, crie casse-cou: « G a r eavec ces choses-là! On sait oùon commence, jamais où onfi n i r a . » Mais HildegardS c h m i e d h e i n - Yelmoli ne dés-espère pas de continuer sesrecherches et elle a d’ores etdéjà sollicité un crédit spécialde Pro Helvetia. La laissera-t-on poursuivre?

L. M.

Hildegard Schmiedhein-YelmoliDie Ramuz-Affäre

Benteli, 2001, 456 p., Frs 48.–

Marcelle Rey-Gamay, notre corres-pondante périphériscopique termineactuellement son stage d'été àSciences-Po et reviendra sur cettepage dès le prochain numéro.

Page 3: LA DISTINCTION Encore un séisme dans la presse romande… Et ... · cert ai nà u d s questions. Quelles taches! Des paupières supérieures épaisses et des taches bien vi-sibles

SEPTEMBRE 2001 LA DISTINCTION — 3

Viens, femme, te rasseoir sur le banc…

Noir, c'est noirJournal

Les contretemps (extraits)

Si je suis le bienvenu

Vie associative

Une formulation délicate

Statuts adoptés le 25 novembre 1996, modifiés le 8 mai 1998 et le 17 mars 2000

Faits de société

Miracle de l'antiracisme

Thierry Roland, in Télé-Top-Matin, 28 avril 2001

Renato OlivieriL’Affaire KodraTraduit de l’italien par Jean BouyssouRivages, mai 2001, 277 p., env. Frs 16.–

Le vice-commissaire Ambrosio traîne sonspleen –il aurait voulu devenir peintre, et sondivorce continue de le hanter– au départe-ment des vols à la tire de la police milanaise.

Par un concours de circonstances, il reçoit sur son bureau unrapport concernant un accident de la circulation. Une certaineMadame Kodra a été renversée par une voiture. Tout juste a-t-elle eu le temps, avant de mourir à l’hôpital, de prononcer lenom d’une personne.

Cet accident tragique, mais banal dans la grande ville, éveillela curiosité du vice-commissaire. Il s’est en effet produit dans lequartier de Milan où Ambrosio a passé sa jeunesse, une jeunes-se dont il garde un souvenir ému, entre séances de cinéma etpremiers baisers échangés sous une porte cochère, lesquelles,«à l’époque étaient toujours ouvertes. Embrasser dans une portecochère supposait courage, technique et habileté.»

Bien que l’affaire ne relève pas de son affectation administra-tive, il obtient de ses supérieurs l’autorisation de prendre, surson temps de repos, l’enquête en main. Trois enquêtes se dérou-lent en fait, intimement liées. Des témoignages contradictoiressur l’accident donnent à penser que la mort de Madame Kodrapourrait avoir été provoquée. Fatalité ou assassinat? Pour le-ver le doute, Ambrosio se plonge dans le passé de la victime,une femme en apparence sans histoires et solitaire. La troisiè-me enquête, qui n’est pas la moins captivante, concerne les rè-glements de compte que Ambrosio entretient avec sa proprepersonne.

Armé de sa culture en matière de romans policiers, plus parti-culièrement de son admiration pour Maigret, armé aussi de latristesse qui a envahi sa vie, le flic presque quinquagénairemais débutant en matière d’investigations judiciaires se mon-trera pugnace. «Quand il voulait, Ambrosio était convaincant, ilsavait tout mettre sur le plan de la compréhension mutuelle, unvrai fils de pute.»

Il aura fallu plus de vingt ans pour que soient traduites les ef-ficaces errances urbaines du vice-commissaire Ambrosio, dontl’éditeur français nous apprend qu’il est depuis lors devenucommissaire tout court. Il le mérite bien, ce flic mélancolique àl’humour pince-sans-rire, dont les péripéties ultérieures sont,paraît-il, promises au lecteur francophone, qui ne manquerapas de s’en réjouir. (G. M.)

MARDI 17 octobre 2000 :Pizza végétarienne à labrasserie du Château,

la musique diffusée déraille de-puis cinq minutes sans que per-sonne ne s’en aperçoive. Le pa-tron est là, il fait le coq devantses amis-clients.

D. me dit qu’il y a trop de fau-tes à corriger dans mon journalpour qu’il le fasse par écrit, nousdevons nous voir. Il m’apprendqu’il fait sa lessive lui-même de-puis plusieurs années. C’est dupropre, moi qui voulais lavermon linge sale dans ce journal, jen’ai plus qu’à repasser.

Me r c r e d i 1 8 : Ce soir je n’aiplus que le courage de perdredeux fois aux échecs contre P. Jesuis mat. Je suis le roi mal-aimé.

Jeudi 19: M. me propose de de-venir représentant de différentspetits labels. Pourquoi pas, je se-rais indépendant et ça me chan-gerait de l’univers actuel qui estde moins en moins acceptablepour ma santé morale. Le travailest à la commission, entre 2 et3 francs par cd vendu aux dis-quaires. M. me dit que le repré-sentant que peut-être je rempla-cerai s’en sortait très bien. C’estlui qui a fait le lancement de…M. cherche le nom, lui qui ne re-présente que le classique, joueaux devinettes, mais oui l’artistele plus populaire de Suisse, j’es-saye, je dis Yello, non, StéphanEicher, raté… la mémoire lui re-v i e n t : DJ Bobo, c’est quel genreme demande-t-il, il cherche enco-

re c’est de… LA MERDE conclu-ge. Affaire à suivre, il me tientau courant.

Vendredi 20 : Ce soir j’ai l’em-barras du choix entre un concertprobablement excellent du triode Pilc à Chorus, une soirée mai-son en écoutant l’émission J a z zC l u b diffusée par France Musi-ques, un concert du violonistejazz-manouche Florin Niculescuaccompagné, entre autres, de Si-mon Goubert. Je me décide pourla Cinémathèque et sa nuit ducourt-métrage, P. vient aussi.

J’apprends par l’agenda de 2 4H e u r e s que mon pianiste favoriKirk Lightsey accompagne lesaxophoniste Bennie Maupin de-main soir à Chorus. J’essayeraid’y être dès 18 heures pour pren-dre des photos pendant leuréventuelle balance avant leconcert.

S a m e d i 2 1: 19h15, l’heure dela balance du quartette du saxo-phoniste Bennie Maupin (a enre-gistré avec Miles) à Chorus, jesuis un peu en avance, je les at-tends au bar, je bois un café, tan-dis que le jeune preneur de sonboit un gin-tonic pour se donnerle courage d’affronter ces deuxNoirs américains. Ah ! Voilà monami Kirk Lightsey, il est heureuxde me voir, me serre, me tape lamain droite. Nous nous enten-dons à merveille pour deux rai-sons, la première c’est que nousavons le même jour de naissanceà plus de trente ans de différen-ce, le 15 f é v r i e r, deux verseaux

sont forcément ravis de se ren-c o n t r e r. La deuxième, c’est qu’ilest nul en langues alors qu’il ha-bite Paris depuis bien des annéesil ne parle pas du tout la languede Molière, comme moi qui suisincapable d’aligner deux mots deShakespeare malgré des effortsqui me paraissent toujours aussiinsurmontables. Tant mieux. I lo-ve Kirk.

Antoine Ogay, le nouveau pro-g r a m m a t e u r, se présente à Kirket lui dit tout de go qu’il ne parlepas bien anglais et qu’il faut luiparler lentement et simplement.Kirk se marre et lui répond gen-timent en anglais «Qu’est-ce quetu veux que je te dise ?», et il semarre de plus belle.

J’ai bien fait de venir, car Antoi-ne Ogay me propose de devenir lephotographe de Chorus, il medonne un passe –la carte P r e s t i g eà 400 balles– et en échange jeviens environ une fois par semai-ne prendre des photos. Je lui metsà disposition quelques tirages10/15 pour qu’il puisse les scan-ner et les inclure sur le site c h o -r u s . c h. Je conserve bien entendule copyright. C’est très honnête.Je n’arrête pas de lui dire «Si jesuis le bienvenu» car le program-mateur précédent Yvan Ischer metolérait à peine dans le club.Comme dit D. c’est une excellentenouvelle. Même si je suis heureuxde cette proposition, je ne suis pasdupe, alors que Kirk se déchaînedans un chorus de piano, puis selève et danse autour du piano,

Antoine et les autres, Jean-Claude Rochat par exemple,préfèrent causer fort dans la salled’à côté. Ils sont à côté du jazz. Lejazz c’est nous qui le vivons etc’est eux qui en vivent. Ils n’ontvraiment rien compris.

M e r c r e d i 2 5 : A la fermeturedu magasin, je file à Chorus.Avant le jazz vaudois des pro-chaines soirées, encore deuxNoirs américains qui swinguentméchamment. Il s’agit du saxo-phoniste Ernie Watts (a joué avecMonk), du batteur Keith Cope-land, ainsi que de deux Alle-mands Christoph Saenger (pia-no) et Rudi Engel (contrebasse).

De 19h à minuit passé, je suisle Chorus-man. Dans le club, jephotographie, je mange, j’écoute,je discute avec Keith Copeland,j’adore les batteurs, je suis ravi,son jeu est intelligent, mélodiqueet sans aucun répit. Il m’amuse,il ressemble à un nain de jardingéant. Nous discutons au bar, lebar de Chorus est mortel, d’abordil est à côté de la salle de concert,ce qui, pour un club de jazz estune erreur fondamentale, ensui-te, il n’est pas du tout animé, ilfaut chercher quelqu’un pourêtre servi. La première chose quefait un jazzman pendant la pau-se, c’est d’aller boire un verre aubar, et apparemment Chorus n’apas saisi, la seule attentionportée aux musiciens se limite àl’organisation et à la techniquedu son. (à suivre)

D. de B.

ET la chèvre broute. Heu-r e u s e m e n t ! Vous laconnaissez, la dernière

de l’inénarrable Georges doubleyou Buisson? Il débarque pourla première fois en Europe( « W h a o u h ! Europe…»), en Es-pagne pour être précis, et il dé-clare qu’il n’est pas si inculteque ça… «For example, I knowthe name of the capital of Afri-c a!» Même Aznar en serait restébouche bée… À propos, c’estquoi, à son avis, ce nom… Sida?

La chèvre cependant broute etle chameau rote. Burb! Si, de-puis longtemps, Macadam jour -n a l est mon préféré parmi lesjournaux de chômeuses et dechômeurs (référence oblige àl’admirable Macadam cow-boy) ,j’aime bien aussi donner quel-ques sous de temps en tempspour Sans Abri, le journal pourlutter contre la précarité (ça merappelle une chanson, je ne saisplus laquelle…). Or, donc, ledernier Sans Abri, l’ultime, datéd’août, titre en première page :

«Les droits de l’homme» et «Lecoup de chaleur parfois fatalpour le chien». Avec photo (duchien) et sous-titre indiquantque «les chiens redoutent beau -coup plus la forte chaleur que lef r o i d … » Vous me connaissez :j ’aime les bêtes, surtout lesbêtes politiques. S’ils ont duchien, bien sûr… Mais j’ignoraisjusqu’à la lecture du Sans Abriqu’ils ou elles avaient peur duchaud. Oh ! Moritz… Oh !Ruth… Oh ! Jean-Jacques etZeanzaques… Oh! Sylvia… Oh!Cri-cri… Attention ! Chauddehors, chaud dedans!

Mais revenons au chameau,qui couplé au dromadaire, de-vient chamadaire. Une bosse etdemi. Et dans le demi, il y a lamoitié de l’entier. Oh! yeah, oyez.

«Il était une fois, et une foisn’est pas coutume, un syndiccycliste. Radical, c’est normalen pays vaudois. Cycliste, çal’est moins, bidon oblige. Ordonc, ce syndic cycliste pédalaitbeaucoup et avalait col après

col, descentes après montées,sur un beau vélo à sa mesure,plus élancée que celle des syn-dics radicaux classiques. Il pé-dalait aussi à la tête du grandvieux parti vaudois, plus diffici-le à diriger que son vélo, sansdoute. Car doute il y avait : legrand Charles, faut-il qu’il sere-re-présente aux élections auConseil des tas, ou doit-il re-n o n c e r, se mettre à dispositiondu parti, comme l’enfant prodi-gue, pour éventuellement sié-ger un jour (on peut rêver) auConseil qui fait des râles ?Faut-il proposer une suite en-core plus coûteuse au passion-nant Favre II, le Retour? Et s’ilne se re-re-présente pas, faut-ilenvoyer l’agneau Pascal auConseil des tas ? Et faut-il dé-clarer les intentions du grandvieux parti ? Le syndic cyclistene savait pas, et c’est ainsiqu’une décision d’importancetoute locale fut prise : on infor-ma la presse, les autres partiset les producteurs de chasselas

que la décision a été prise, maisqu’on ne la dit pas. Même sousla torture, même en cas de vic-toire honnête de Pascal Ri-chard, même si une nouvelle fê-te des vignerons est organisée,et encore moins si Chifelle en-tre au grand vieux parti. Etc’est ainsi que fut tue la déci-sion décidée. On sait, mais onne dit pas, na!»

La morale de cette histoire?Pour que le sport reprenne sesdroits et que la compétition sai-ne soit rétablie, il est indispen-sable d’obliger les membres ducomité central du grand vieuxparti à un test d’urine aprèschaque réunion. Car il n’est paspossible qu’une telle décisionait pu être prise sans abus desubstances illicites.

C’est ainsi que le chameau ro-te (burb!), tandis que la chèvrebroute, tête chercheuse dansl’herbe pisseuse. Mais où doncest passé son tout petit cabri?

Ainsi va la vie.J.-P. T.

La science avance

Enfin un effort en faveur des personnes de petite taille

La Gazette, journal de la fonction publique vaudoise, 16 mai 2001

Le chameau rote (7)

Burb!

Page 4: LA DISTINCTION Encore un séisme dans la presse romande… Et ... · cert ai nà u d s questions. Quelles taches! Des paupières supérieures épaisses et des taches bien vi-sibles

SEPTEMBRE 20014 — LA DISTINCTION

Viens, femme, te rasseoir sur le banc…

Résumé des épisodes précédentsLe cadavre d’un homme a été découvert à Pully, sur la rou-te du lac. Son identité s’est avérée fallacieuse. Après en-quête à Lutry, il semble que le colonel fasciste Fonjallaz nesoit pas directement impliqué, mais un agent de l’Ovra aentendu parler d’une mystérieuse mallette dérobée.

Sous-Gare, lundi 6 septembre 1937, 18h00– Mais vous allez rater la choucroute ! Comme c’est domma-

ge, maman la réussit à merveille ! regrettait Pierrette.L’aînée des filles Lamunière avait paru dépitée lorsque

j’avais annoncé que, exceptionnellement et pour des raisons deservice que je ne pouvais dévoiler, je serais contraint de man-quer le repas du soir. À ses côtés, Marceline, la mère, battit despaupières derrière ses lunettes et soupira, comme si ses quali-tés bien connues n’avaient plus besoin de telles flagorneries. Lafaible lumière de l’ampoule du vestibule se reflétait sur les in-nombrables colliers dont la duègne qui régentait le petit mondede la pension entourait son long cou.

Plutôt que de complimenter la patronne pour ses talents mé-nagers, je laissai mon regard errer sur le vaisselier, couvert debronzes graisseux, de napperons poussiéreux et de photos ter-nies. Parmi ces portraits de groupes en tenues d’excursionnis-tes sur les pentes du Mont-Pèlerin, en costumes de théâtrepour jouer Cinna ou Polyeucte, l’image de deux fillettes m’atti-rait particulièrement : l’une, plus effrontée que l’autre, la mainsur la hanche, regardait le photographe droit dans l’objectif,avec une sorte d’ironie peinée dans les yeux. Elles étaient tou-tes deux en robes à ceinture, la mode d’un autre monde: deuxjeunes filles riches du début du siècle.

Marceline Lamunière tenait à entamer une conversation :– Quels bouts de chou, n’est-ce pas ! Ces deux petites étaient

vraiment adorables. Vous savez que nous tenions un pension-nat de jeunes filles, avant…

Un long soupir suffit à évoquer le malheur de la guerre et ladisparition d’une clientèle autrement plus prestigieuse quenous autres, employés subalternes et représentants de passage.L’œil dans le vague, elle se mit à caresser un de ses rangs defausses perles. Tout comme l’inspecteur Potterat, madame La-munière adorait raconter le bon vieux temps :

– Le train nous amenait des hôtes de toute l’Europe, et debien au-delà: les héritiers des mines d’étain de Bolivie, les fillesdu khédive d’Égypte, les innombrables enfants de l’Aga Khan,la jeune maharané de Gopal, la future archiduchesse Zita, toussont passés par nos pensionnats, savez-vous? Avec ses monta-gnes, son lac, son climat, notre petit pays tranquille les réjouis-sait. Nous n’avons pas démérité : nous les avons servis de toutnotre cœur, nous avons satisfait leurs moindres caprices. Main-tenant, ils préfèrent Monaco, la Côte d’Azur, Menton. Pouvez-vous me dire pourquoi? Pour le soleil en hiver ou pour jouer aucasino? Rien n’est plus comme autrefois, les riches ne viennentplus en Suisse, et les pauvres y restent désormais. Il y en a deplus en plus, vous rendez-vous compte ? Ma fille Pierrette medit qu’avec les congés payés une nouvelle clientèle peut fairenos choux gras si nous savons nous adapter : elle me parled’acheter un hôtel à bas prix sur la Costa del Sol lorsque les an-archistes et les marxistes auront fini de mettre l’Espagne à feuet à sang. Elle rêve de pensions populaires à Karlovy Va r y, àSingeorz Bai ou au diable Vauvert. Mais ça ne sera plus pareil,vous comprenez…

– Et ces deux fillettes-là, d’où venaient-elles?– Elles s’appelaient Marinotchka et Assia. Deux sœurs, filles

d’un haut fonctionnaire du tsar, des gens très bien, vous savez,e n fin jusqu’à la… (là un soupir accompagné d’une palpitationdes paupières me fit entendre «atroce révolution bolchévique»).Assia, la cadette, avait à peu près le même âge que Pierrette,elle fut sa compagne de jeu ; l’aînée, quant à elle, était plus rê-veuse, plus sauvage aussi. Elles sont restées avec nous du prin-temps 1903 à l’été 1904. Nous avons essayé de les éduquerdans les principes de la foi apostolique et romaine, mais, mal-gré tous nos efforts et de nombreuses réprimandes, elles ontpersisté à faire le signe de croix à l’envers, voyez-vous.

À la suite de ces propos anodins, la patronne de la pensionvérifia mes bonnes dispositions d’un bref coup d’œil par-dessusses verres en demi-lune et en vint à ce qui l’intéressait vérita-blement:

– Et cette enquête sur le mystère de Chamblandes ? Ce doitêtre effrayant de traquer ces tueurs fanatiques…

– Ah, vous êtes déjà au courant…– Les journaux ont publié de nombreux articles ce matin.

Vous ai-je dit qu’à mes moments perdus j’écris des pièces poli-cières pour le théâtre radiophonique? Sous un nom d’artiste,bien entendu, car je ne tiens pas à compromettre la réputationde la pension, qui est bien établie depuis de longues années.Une de mes pièces a même été publiée dans une maison pari-sienne… Un grand éditeur… Celui qui édite les fameux romansde Jacques-Clément Grognuz, savez-vous…

Ce genre de vanité est facile à satisfaire ; je me contentai desoulever les sourcils en connaisseur.

– Oh merci, ce ne sont que de petites pièces. Mais, voyez-vous, quand je crée une nouvelle œuvre, je m’inspire toujoursd’un fait divers réel et je compare toutes les versions qu’en don-ne la presse. J’ai fait de même pour le meurtre de samedi.

Deux jeunes internes du Pensionnat Lamunière, au numéro 3 du boulevard de Grancy, vers 1904.

(1) Dirigé par Léon Nicole, Le Droit du Peuple est alors le quotidiensocialiste lausannois. (N. d. T.)

(2) Quintessence du génie local, la Feuille d’Avis de Lausanne poursuitsa mission culturelle de nos jours sous le titre 24 Heures. (N. d. T.)

(3) À coup sûr, il s’agit de la Gazette de Lausanne, liée au parti libéral,alors encore plus à droite qu’aujourd’hui. (N. d. T.)

(4) La Revue est en 1937 le quotidien du parti radical, largementmajoritaire au Conseil d’État. (N. d. T.)

Roman-feuilleton

Walther Not

Le calme platTraduit de l’allemand et présenté par Cédric Suillot

Onzième épisode

– Et à quelle conclusion originale êtes-vous arrivée?– C’est peut-être bête comme chou…– Venant de vous, certainement pas, chère madame

Lamunière.Après tout, cette vieille pie, avec sa pratique demi-séculaire

du ragot et de l’écoute aux portes, avait peut-être un éclairagenouveau à apporter sur ce meurtre opaque.

– Il est frappant de constater que chaque journal a sa propreversion du crime. Dans Le Droit du Peuple, nos sans-dieu ima-ginent un crime crapuleux. Voilà leur titre : «Est-ce un crimemystérieux de terrifiants gangsters?» (1)

– Peu probable, la victime avait encore tout son argent enpoche.

– C’est bien ce que relève La Feuille d’Avis, qui penche d’unautre côté : «La première hypothèse, c’est le crime politique.»Écoutez comment le journaliste l’explique, c’est d’un romanes-que achevé : «Un châtiment, ou peut-être la disparition d’unhomme qui en sait trop. Film policier, espionnes blondes, se-crets volés dans une usine…» (2)

– Et les autres journaux?– Notre chère Gazette (3) se cantonne prudemment dans les

faits, ce qui n’est pas dans ses habitudes, et montre bien qu’onnous cache quelque chose. Et La Revue, bien sûr, glorifie le gou-vernement : «Félicitons notre police de sûreté pour son activitéremarquablement rapide et précise.» (4) L’argent ou l’espionna-ge, voilà bien tout ce que sont capables d’imaginer ces journa-listes. Bien sûr, ils ne sont payés –mal sans doute– ni pouravoir des idées, ni pour avoir du style… Tout de même, il y ad’autres motifs à l’existence sur cette Terre !

– À quoi pensez-vous ?– La foi, jeune homme, la foi ! D’où venait Eberhardt ? De

Bohème: à quoi cela vous fait-il penser ?– Au cristal, répondis-je sans réflé c h i r, ébloui par ce lustre

ambulant qui jouait aux devinettes.– Non, aux hussites ! La Bohème est un pays de parpaillots

qui sautent par les fenêtres pour un oui ou pour un non! Oùallait-il, ce protestant, avec son billet de train pour Martigny ?Il descendait vers Rome, vers Saint-Pierre, vers la Révélation.C’est crime religieux, Monsieur Not : ses coreligionnaires n’ontpas toléré qu’il quitte la religion prétendument réformée et re-vienne à l’Église de Notre Seigneur. Ils l’ont abattu comme untraître !

– Mais… mais… bredouillai-je de surprise.– Et je suis sûre que les assassins ont bénéficié de complici-

tés locales. Dans ce canton, sans compter les sectes, il n’y a pasmoins de deux Églises huguenotes, l’une d’État et l’autre qui seprétend libre. Bien sûr, elles se réconcilient toujours quand ils’agit de mettre à l’écart les véritables chrétiens !

J’aurais bien voulu en savoir plus, non pas tant sur l’hypo-thèse criminelle totalement aberrante que sur les origines decette rancœur si peu conforme à l’image que les Alémaniquesse font du tempérament romand, mais des cris venant du bou-levard de Grancy interrompirent notre discussion.

– Hé ho, Walther ! Tu descends ou quoi? Tu as oublié le mé-tingue?

C’était l’inspecteur Porchet, de la brigade politique, qui me

hélait devant la porte fermée. À ses côtés, son collègue Lambe-let agitait une écharpe passablement crasseuse :

– J’ai pris le drapeau, si jamais on part en manifestation!Madame Lamunière plissa le nez et me dit d’un ton pincé :– Vous avez de bien curieuses fréquentations, Monsieur Not.– Ce ne sont que mes collègues de la Sûreté, Madame.De stupéfaction, elle eut un renvoi. Il sentait le chou.

Gare CFF, lundi 6 septembre 1937, 18h15Caressant son impériale de ses doigts boudinés, Porchet sou-

riait encore de la fureur de son collègue Potterat :– Il fumait des naseaux, à tel point qu’il a refusé de venir te

chercher avec nous.– Le sot soulève une pierre pour se la laisser retomber sur

les pieds, ajouta Lambelet, à qui un long engagement dans lapolice de la concession internationale de Shanghai avait donnéle goût des formules obscures et un visage de bonze impéné-trable.

Je les mis au courant de nos exploits de l’après-midi et sur-tout de la piste sur laquelle nous aiguillaient la lingère de l’hô-tel de la Paix et son époux catarrheux. Porchet n’hésita paslongtemps:

– Arlette Derochio? Non, ça ne me dit rien. La seule Arletteque j’aie connue est repartie depuis belle lurette pousser lagueulante dans la basse ville de Fribourg…

Nous étions arrivés à la gare : des militaires traînaient par-tout, une montagne de sacs et de mousquetons abandonnés de-vant le buffet montrait que le respect des consignes s’arrêtait làoù commence le risque de la déshydratation. Jeudi aurait lieudans les environs de Lausanne un grand défilé militaire, et sapréparation allait bon train. Plus loin, la pente du Petit-Chêneralentit le pas de Porchet, le souffle lui manquait. Les poils desa moustache se courbaient sous le fœhn de sa respiration. Re-venant sur notre escapade chez les chemises noires, il me sug-géra une certaine prudence:

– Fonjallaz est bien sûr un polichinelle, même Mussolini afini par s’en rendre compte, lui qui refuse de le rencontrer ànouveau, surtout depuis que le colonel a voulu renflouer sescaisses en vendant de vieux mousquetons fédéraux aux Abys-sins. À ce que j’en sais, la police fédérale se demande si le diplo-mate italien qui tourne autour de la fille à Grognuz n’est pas làen réalité pour surveiller le château de Mémise. Pourtant, faistout de même attention, Walther : il y a des vrais tueurs dansl’entourage du guignol de Lutry…

– Porchet est dans le vrai. Tu te souviens de l’assassinat duroi de Yougoslavie? me demanda Lambelet ex abrupto.

Je pus lui répondre positivement, car l’événement avait rem-pli les pages des journaux de toute l’Europe. Le 9 octobre 1934,Alexandre I Karageorgévitch, arrivait à Marseille à bord d’uncroiseur afin de n’avoir pas à mettre le pied en Italie, avec la-quelle son pays entretenait des relations exécrables. La Francecherchait des alliés contre Berlin, et le roi des Serbes, des Croa-tes et des Slovènes, mis à part son titre compliqué et son patro-nyme imprononçable, convenait à la République. Le monarquedébarque donc. En compagnie d’un général et de Louis Bar-thou, ministre des Affaires Étrangères, il traverse la ville envoiture. Près de la Bourse, un jeune homme crie «Vive le roi !»et monte sur le marchepied, avec une arme dans chaque main,il tire. La confusion est générale, le service d’ordre fait feu danstous les sens, un officier de cavalerie assomme au sabre letueur, qui est lynché par la foule. Le roi est mort sur le coup,alors que Barthou, absurdement garrotté du mauvais côté desa blessure, expire peu après. L’assassin était un militant na-tionaliste macédonien, agissant pour le compte des oustachis.On savait les nationalistes croates soutenus et armés par Mus-solini, mais la France, toujours en quête d’alliances ou de neu-tralités, n’alla pas très loin dans la recherche des coupables.

– C’est bien ce qui a été rendu public à l’époque, mais là oùle balai ne passe pas, la poussière ne s’en va pas d’elle-même,compléta Lambelet en plissant encore un peu plus les yeux. Il yavait autre chose, sais-tu : d’après nos informateurs, d’autrestueurs devaient trucider l’Alexandre à Paris, s’il échappait àl’attentat de Marseille. Cette deuxième équipe attendait à Lau-sanne au même moment, prête à prendre le train de Vallorbe.Le soir de l’attentat, ces gens-là ont quitté la Suisse par le lac.On a même retrouvé leurs armes et munitions laissées en dé-pôt à la gare. Il n’y a pas de preuves, bien sûr… mais qui a pules accueillir, ces zouaves, et les faire passer en France ?

Le souffle rendu court par la montée, nous étions parvenussur la place Saint-François. En guise de réponse à sa proprequestion, Lambelet pointa sa main vers l’est, vers le Lavaux et,de l’autre coté du lac, vers les cimes de Mémise. Décidément, leLéman avait vu passer bien des mystères.

– Mais pourquoi Potterat ne veut-il pas prendre la présencedes fascistes au sérieux? demandai-je alors.

S’il fallait chercher une explication, Porchet aurait penchépour la bêtise, la pure et simple sottise de La Barrique. Lambe-let avouait ne pas comprendre pourquoi l’enquête lui avait étéa t t r i b u é e : «Bossette à Pinard est sans égal pour élucider lesrixes de bouchons à la rue du Pont, mais pour le reste…» Leursréponses ne me satisfaisaient guère. Le volumineux inspecteuravait assurément reconnu l’agent de l’OVRA sous sa défroquede portier d’hôtel et voulait le voir filer avant que je l’identifie àmon tour. Potterat cherchait par tous les moyens à éviter lescomplications, sa paresse était plus grande encore que sonimbécillité.

Ces réflexions m’occupèrent le temps de passer le Grand-Pont. Devant nous se dressait la tour Bel-Air, qui barrait l’hori-zon du Jura au soleil couchant. Il me revient que j’eus dans lapâle lumière de ce soir de septembre le sentiment que cette ex-croissance architecturale, cette turgescence exceptionnelle dansle paysage lausannois, annonçait bien des obscénités à venir.

(à suivre)