Remi 2340 Vol 21 n 1 Les Infirmieres Indiennes Emigrees Dans Les Pays Du Golfe de l Opportunite a La...

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Antropología del cuidado en salud

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  • Revue europenne desmigrations internationalesvol. 21 - n1 (2005)Femmes, genre, migration et mobilits

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    Marie Percot

    Les infirmires indiennes migresdans les pays du Golfe: delopportunit la stratgie................................................................................................................................................................................................................................................................................................

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    Rfrence lectroniqueMarie Percot, Les infirmires indiennes migres dans les pays du Golfe: de lopportunit la stratgie, Revueeuropenne des migrations internationales [En ligne], vol. 21 - n1|2005, mis en ligne le 02 septembre 2008,consult le 15 juin 2014. URL: http://remi.revues.org/2340; DOI: 10.4000/remi.2340

    diteur : Universit de Poitiershttp://remi.revues.orghttp://www.revues.org

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    Marie Percot

    Les infirmires indiennes migres dansles pays du Golfe: de lopportunit lastratgiePagination de ldition papier : p. 29-54

    1 Depuis bientt deux gnrations des infirmires indiennes migrent ltranger, jusquprsent dans leur immense majorit pour les pays du Golfe o la demande na pas cessdepuis la fin des annes 1970. Ces toutes dernires annes, de nombreux pays occidentaux(en particulier les USA et la Grande-Bretagne) ont aussi lanc des recrutements massifsdinfirmires en Inde, rorientant ainsi au moins en partie les possibilits de parcoursmigratoires de ces femmes. Cet article1 vise retracer lhistoire et lvolution qua connues entrente ans cette migration dans le Golfe et en dcrire les particularits sociales. Il est aussi unepremire approche, sur ce terrain spcifique, des changements familiaux ou sociaux induitspar la migration de ces Indiennes qualifies qui nest pas motive par une absolue ncessitfinancire, mais essentiellement par une volont familiale dascension sociale et daccs accruaux biens de consommation. Je tenterai de montrer de quelle manire, et leur insu, cettemotivation premire des familles qui soutiennent, voire initient le dpart de leurs filles oubelles-filles, aboutit faire natre chez ces dernires des aspirations plus dautonomie et plusdindividualisme incompatibles avec les valeurs sociales traditionnelles, sans pour autant lesremettre en cause radicalement ou tout au moins de manire frontale. Cest ainsi que le retourdfinitif au pays savre souvent problmatique pour ces femmes.

    Le contexte2 Les infrastructures sanitaires dans les pays du Golfe sont contemporaines de lensemble des

    infrastructures qui furent dveloppes la suite des dernires indpendances dans cette rgionet du boom ptrolier de 1973. Le premier vritable hpital de Mascate, capitale dOman, aainsi ouvert en 1978, peine deux trois ans plus tt dans les mirats Arabes Unis (AbuDhabi, Duba). Jusqualors, les habitants navaient comme seul recours pour se faire soignerque les quelques petits hpitaux plutt type dispensaire des missions chrtiennes ou pourceux qui y avaient accs les dispensaires des compagnies ptrolires.

    3 Le personnel qui fut engag dans les hpitaux nouvellement construits tait et restetrs largement constitu dimmigrs. Si les mdecins sont de nationalits trs diverses(Palestiniens, Jordaniens, Anglais, Indiens, Pakistanais, etc.) et de plus en plus indignes,en ce qui concerne les infirmires, cest en revanche lInde qui constitue depuis le dbutle principal rservoir de main-duvre2. Malgr les diverses politiques dindignisation dela main-duvre (dites miratisation, omanisation), la plupart des pays du Golfenont toujours pas institu de formation dinfirmires consquente3 et devront donc faireencore appel pour des annes des femmes trangres. Compte tenu du dveloppement deses infrastructures sanitaires et de laugmentation trs forte en trente ans de la population(autochtone et immigre confondue), le Golfe reprsente ainsi une vritable filire pourles femmes des pays exportateurs : entre 40000et 50000 Indiennes y travailleraientaujourdhui comme infirmires4.

    4 En Inde, ce mtier est donc quasiment devenu synonyme de passeport pour lmigration. Laformation des infirmires est, par consquent, devenu un march florissant qui attire mmeaujourdhui des investisseurs trangers, un march encourag par un gouvernement indien quicompte explicitement sur les dividendes de cette exportation, de la mme manire quilcompte sur celle des informaticiens Plus de trente mille nouvelles diplmes sortent chaqueanne des sept cents coles du pays5; presque toutes ont ds le dpart choisi le mtier pour

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    pouvoir travailler au moins un certain temps ltranger. La grande majorit de ces femmesest originaire dun petit tat du sud de lInde, le Kerala.

    Les infirmires indiennes: une spcialit du kerala5 Avec 31,8 millions dhabitants au dernier recensement6, le Kerala reprsente 3,1 % de la

    population indienne. Pourtant sur les 3 4millions dIndiens migrs dans le Golfe, environ1,3millions sont des Malayalis7 (Zachariah et al, 2002: 17; Sekher, 1997: 24) qui y occupentdes postes tous les niveaux de la hirarchie du travail, mme si la main-duvre peu ou pasqualifie reprsente une large majorit de ces migrants. Je ne pourrai ici dvelopper toutesles raisons de lmigration massive des Malayalis et renverrai donc la littrature qui entraite spcifiquement (voir par exemple Sekher, 1997; Prakash, 1994), mais jen rsumeraibrivement les causes principales.

    6 La majorit des habitants du Kerala est hindoue, mais on y trouve aussi deux fortes minorits:prs de 20% de musulmans et 20% de chrtiens. Ce petit tat a une place trs particulireen Inde, son histoire et son dveloppement contemporains faisant figure de modle sur denombreux points: le taux dalphabtisation y est de 90,9% contre64,8% pour lInde entire8;le taux de natalit de 1,7 enfants par femme contre3,5 pour lInde; la dure de vie y est de68,8 ans pour les hommes contre59 ans pour lInde et de 74,4 ans pour les femmes contre59,4 pour lInde entire9 (Tarabout, 1997: 253; Thau et Venier, 2001: 24). En 1957, leKerala fut le premier tat au monde lire un gouvernement communiste, le syndicalisme yreste trs actif et la politique continue mobiliser lensemble de la socit (Jeffrey, 1993:126-140). Ce qui retient aussi largement lattention des observateurs, cest le taux levdalphabtisation des femmes (87,7% des femmes du Kerala sont alphabtises contre 53,6%pour lensemble des Indiennes), leur niveau dducation et leur place dans le monde du travail.De nombreux chercheurs (cf. par exemple Jeffrey, 1993; Saradamoni, 1999; Thau et Venier,2001) attribuent en partie cette spcificit du Kerala un hritage de la tradition matrilinairequi a prvalu dans cette rgion jusquau dbut du XXe sicle. En revanche, le dveloppementconomique na pas suivi dans les mmes proportions, en raison notamment de la faiblessedes investissements privs. Les entrepreneurs indiens ou trangers pointent systmatiquementle handicap dune main-duvre locale trop revendicative, demandant des salaires pluslevs quailleurs en Inde et trop rapidement prte laction syndicale Depuis plus de trenteans, les habitants sont ainsi contraints pour beaucoup lmigration. Les migrants malayalis,estims actuellement plus de deux millions, partent travailler dans dautres tats de lIndeet, majoritairement, dans les pays du Golfe; jusqu prsent une petite proportion seulement(2%) migre vers lOccident (Zachariah et al, 1999: 9)10. Largent envoy au pays par lesmigrs ltranger est dsormais la seconde ressource de cet tat aprs lexportation despices et du caoutchouc (Zachariah et al, 2000: 21). Gulf money, prcise-t-on au Keralalorsque lon passe devant une belle maison, un magasin flambant neuf ou lorsque lon croiseune voiture de luxe.

    7 Une autre caractristique du Kerala est limportance quy reprsente la minorit chrtienne(prs de 20 % contre 2,4 % pour lInde entire). Dans certains districts comme celuide Kottayam, les Chrtiens forment mme la majorit de la population. La communautchrtienne du Kerala a pour particularit de ntre pas seulement une consquence de lacolonisation et des conversions quelle a pu entraner. Le christianisme y tait implantbien avant: les chrtiens syrians du Kerala font mme remonter leur adoption de cettereligion lvanglisation de leur pays par laptre Thomas lui-mme au Iersicle de notre re(Visvanathan, 1993: VII-XIII)11. Quoi quil en soit, ds le VIIesicle, la prsence de chrtiensau Kerala est atteste par les voyageurs arabes qui frquentent ses ctes.

    8 Or, cest cette communaut chrtienne du Kerala12 qui fournit plus de 90% des infirmires deltat et une majorit des infirmires indiennes en gnral (Mohan, 1990: 16). Cela sexpliqueassez aisment dans le contexte dun pays majoritairement hindou. Deux notions cls delhindouisme sont celles de puret et de pollution (Dumont, 1966) : le mtier dinfirmireparce quil implique un contact permanent la souillure (plaies, excrments, vomissures, etc.)est considr comme particulirement impur. Il ne saurait toutefois relever des intouchables

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    puisquun hindou de caste ne peut pas selon lorthodoxie tre touch par un intouchableet, par consquent, tre soign par lui. Le fait que des femmes chrtiennes occupent cettefonction rsout en quelque sorte la question. Pour les chrtiens, en revanche, ce mtier, sil estencore loin dtre prestigieux, renvoie des valeurs traditionnelles de leur foi, dautant queles premires infirmires ont t des religieuses missionnaires tout dabord, puis indiennes13. De surcrot, les Chrtiens du Kerala nont pas (ou nont plus) de relles rticences voirleurs femmes exercer un travail lextrieur du foyer, rticence qui persiste dans dautrescommunauts comme les Hindous et surtout les Musulmans14.

    9 En Inde, les infirmires sont ainsi devenues une spcialit du Kerala. On constate dailleursque plus dun tiers des coles formant au mtier y sont situes et que les Malayalies formentla majorit des effectifs des coles dinfirmires des autres tats du pays. Les coles duKerala tant satures de demandes, et donc trs slectives, les candidates nhsitent pas partir tudier des milliers de kilomtres de chez elles : une premire coupure davec lemilieu familial et une ncessaire prise dindpendance ou au moins dautonomie qui a sansnul doute son importance dans leur aptitude migrer ensuite seules ltranger. Daprsmes propres observations, plus de 90% des infirmires indiennes migres dans les pays duGolfe sont des Chrtiennes originaires du Kerala. Elles reprsentent donc une bonne partie desfemmes malayalies prsentes dans le Golfe puisque, selon les estimations, sur les 1,3millionsdmigrs malayalis, 10% seulement sont des femmes (Zachariah et al., 2002: 47).

    Des femmes de milieu rural10 Sur les deux cents infirmires ou tudiantes infirmires que jai rencontres prs de 90%

    ont dcrit leur pre comme fermier possdant 2 3 acres15 de cultures commerciales(hva, pices, bananiers). Au Kerala, de tels fermiers ne sont pas vraiment agriculteurs;ils contribuent certes lexploitation agricole, mais ils disposent dun ou deux ouvriers pourfaire lessentiel du travail. Nombre de ces fermiers ont paralllement un travail salari (unemploi de bureau en gnral). La mre est presque toujours dcrite comme femme au foyer,parfois aide dune servante. Une trentaine seulement des infirmires ou tudiantes interrogesavaient des parents diplms, travaillant dans ladministration comme comptables, employsdcriture ou techniciens ; quinze dentre elles avaient des mres institutrices. La maisondes familles dtudiantes, o jai t invite, est bien quipe (rfrigrateur que seule13% de la population malayalie possde tlvision, tlphone, motocyclette). Elle estcaractristique du niveau de vie de la classe moyenne rurale16. Mais la plupart des parents quejai rencontrs ne parlaient pas ou peu anglais, ce qui en Inde indique un niveau dtudeassez bas. Lessentiel des infirmires reprsente donc la premire gnration dans leur famille poursuivre des tudes au-del de lcole secondaire17 (le diplme se prparant en trois ansaprs lobtention de lquivalent du baccalaurat dans des coles o lenseignement se faitexclusivement en anglais).

    11 Malgr des revenus dcents selon les standards indiens, linvestissement dans les tudesdes enfants reprsente pour les parents un gros effort financier, notamment pour cellesdinfirmire. En effet, il y a une vingtaine dannes, la plupart des tudiantes taient formesdans les coles publiques qui sont gratuites et assuraient mme un revenu ds la secondeanne. Mais depuis que la filire du Golfe (et a fortiori la filire occidentale) sest dveloppe,les coles publiques ne suffisent plus au grand nombre de candidates. Elles sont aussidevenues dautant plus slectives quelles restent la voie royale pour intgrer les hpitauxgouvernementaux indiens et donc le fonctionnariat avec tous ses avantages (pour celles quine pourraient migrer ou qui se trouvent entre deux priodes de migration). La majorit destudiantes doivent dsormais sinscrire dans les nombreuses coles prives qui se sont ouvertespour rpondre la demande et dont le cot se situe entre 15000et 30000 Roupies18 paran, auxquelles il faut ajouter les frais de logement et de nourriture lorsque lcole est loindu domicile parental; titre de comparaison, une infirmire dbutante gagne 2 500 Roupiespar mois, un instituteur du secteur public 3000 Roupies. Le financement des tudes obligesouvent les parents souscrire un emprunt (ordinairement auprs dautres membres de lafamille, parfois auprs dune banque). Il est, par consquent, assez rare que le choix du mtier

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    dinfirmire soit le fruit dune dcision individuelle de la jeune fille; il sagit plutt dunestratgie familiale o les parents attendent un retour sur investissement.

    12 Un retour qui se fera par laide financire ou les cadeaux que leur fille migre devra leurenvoyer, au moins tant quelle sera clibataire, mais retour qui se fera surtout au moment de sonmariage: la rgle en Inde tant le mariage arrang avec une dot la charge des parentsde la femme (quelle que soit la religion ou la caste de la famille). La dot (streedhanam ensanscrit) reprsente thoriquement la part dhritage dune fille que le pre donne au momentdu mariage de celle-ci; elle est constitue de bijoux en or, dargent liquide, de divers biens deconsommation et parfois de biens fonciers; de fait, si la jeune pouse garde une part de contrlerelative sur les bijoux et, au Kerala au moins, sur les biens fonciers qui restent enregistrs son nom, la jouissance de largent ou des biens de consommation revient la belle-famille19.Bien quinterdite lgalement depuis 1961, la dot reste la norme partout en Inde et elle atteintau Kerala des sommes importantes, particulirement chez les Chrtiens. Il y va du prestige dela famille et rares sont ceux qui cherchent sy soustraire (ceux qui le font sont presque tousdes militants anti-dot affichs qui en soulignent les consquences sociales dsastreuseset, dans les annonces matrimoniales, sont presque toujours des parents de garons marierpuisquon ne peut les souponner contrairement aux parents de filles dagir par intrt). Un mariage o jai t invitefournit un exemple du cot de la dot. Le pre de la marie, un mcanicien qui gagne 5000roupies par mois avait offert 200000 Roupies de dot (en or et en espces) la famille du mari.Pour runir largent ncessaire, il avait vendu les quelques arpents de terre agricole lui venantde ses propres parents et fait appel un frre migr pour complter la somme promise. Pourle mariage de leur seconde fille (qui comme la premire navait pas pu poursuivre des tudes),les parents comptaient sur les conomies de leur fils pour peu quil russisse partir dans leGolfe. La surenchre sur les dots est un phnomne que lon retrouve dans lInde entire etqui sexplique en grande partie par le dveloppement du consumrisme depuis une vingtainedannes (Brune, 1996). Dans le cas du Kerala, largent provenant dune migration massivecontribue sans nul doute la surenchre sur les dots.

    13 Or, sur le march matrimonial, un diplme pour un mtier qui ne connat pas de chmageest en soi une valeur qui permet la famille dune fille de faire baisser la somme offerte aumoment mme du mariage puisque cest la belle-famille de la marie qui profitera ensuitedes revenus de leur nouvelle bru (la rsidence du jeune couple tant patrilocale et les revenusdune jeune femme devant traditionnellement bnficier sa belle-famille et non sa proprefamille). Dans le cas des infirmires, cest non seulement un salaire supplmentaire qui revientainsi la belle-famille, mais un moyen dmigrer pour le conjoint et, terme, pour dautresmembres de sa famille: une opportunit qui est toujours prise en compte dans le calcul de ladot et permet, en particulier, de baisser grandement la somme offerte en cash.

    14 Cest ainsi que malgr le traditionnel manque de prestige de leur mtier, les infirmires sontdevenues des partis de choix qui, comme le dit Shoba George dans une tude sur les infirmiresindiennes migres aux tats-Unis (George, 2000: 152), pour peu quelles viennent dun bonmilieu familial [] sont rserves avant mme la fin de leur scolarit. Dans les stratgiesdhypergamie qui ont cours en Inde, une fille, infirmire, est dsormais devenue un atout, ainsique lexplique lune dentre elles:

    15 Il y a 20 ans, les gens navaient aucun respect pour nous. Ils disaient que ctait un mtier dedomestique. Les gens jasaient aussi parce quon doit toucher des hommes bien sr et ils nousfaisaient une mauvaise rputation. Quand je me suis marie, ma belle-mre disait mon marique ce serait mieux que je ne travaille pas [] Mais aujourdhui une infirmire est toujourssre de trouver du travail, pour elle il ny a pas de chmage. Et surtout elle peut migrer dansles pays arabes et mme en Amrique. Alors mme dans les bonnes familles maintenant oncherche des infirmires. Moi, jai pous un technicien agricole, alors que ma nice qui estinfirmire Duba vient de se marier avec un ingnieur qui a fait ses tudes Delhi20.

    16 Ou encore, Nirmal, jeune mari frachement dbarqu Mascate qui avoue quil nauraitjamais imagin avoir la chance dpouser une infirmire, surtout une infirmire travaillantdans un hpital gouvernemental [dun pays du Golfe]21, alors quil a tout juste un diplme

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    de tourisme: cela a probablement pu se produire parce que le jeune couple a fait un mariagedit damour et sest donc pass de lavis des parents de la jeune fille.

    17 On peut aussi vrifier cet attrait nouveau pour les infirmires (et donc la diminution dustigmate social) dans de nombreuses annonces matrimoniales des journaux indiens ou sitesInternet spcialiss:

    18 Homme, chrtien jacobite, quilibr et talentueux, 31 ans, Master dEngineering, trs actifdans lglise, les activits politiques et culturelles locales, cherche infirmire; Diplmsuprieur, 32 ans, catholique romain, vivant Singapour, cherche infirmire travaillant enArabie Saoudite ou dans hpital gouvernemental en Inde; Cherchons pour fils unique,Matrise en Science, 30 ans, une jeune fille au teint clair, avec un bon caractre et trs croyante,ge de 25 ans environ. Jeunes filles infirmires et travaillant au Moyen-Orient auront laprfrence22.

    19 Des prjugs subsistent certes sur les murs de ces jeunes femmes, particulirement pourcelles qui se trouvent seules ltranger. Un chauffeur de taxi de Kottayam, lui-mme chrtien,ma ainsi tenu ce discours: On se demande ce quelles font quand elles ont fini le travail.Parce quelles sont toutes seules l-bas, alors cest facile pour elles de gagner plus en tranantdans les rues si vous voyez ce que je veux dire. Shoba George souligne aussi cette rputationde femmes faciles qui leur est encore souvent attribue (George, 2000: 146). Filippo etCaroline Osella notent, pour leur part, que dans le milieu hindou quils ont tudi au Kerala,les gens reprochent frquemment aux Chrtiens dtre prts tout pour gagner de largent:prts non seulement faire travailler leurs femmes lextrieur de la maison, mais mme les envoyer aux Arabes comme infirmires (Osella, 2000 : 44)23. Pourtant, outre lespropositions matrimoniales plus intressantes socialement parlant, on observe un autre signedu recul des a priori envers le mtier dinfirmire que soulignent toutes les directrices dcole:des jeunes filles hindoues (y compris de haute caste) et mme des jeunes filles musulmanescommencent sinscrire pour cette formation depuis un peu moins de dix ans, avec les mmesprojets migratoires que leurs compatriotes chrtiennes24. Et cest sans nul doute la possibilitdmigration et largent potentiel quelle reprsente qui ont pes pour attnuer les stigmatesjusqualors attachs ce mtier: un salaire dinfirmire dans le Golfe peut tre jusqu quinzefois suprieur ce quil est en Inde, soit approchant les 45000 Roupies par mois, une sommetrs importante dans ce pays. Toutefois, un autre argument est dsormais souvent cit au Keralapour justifier la promotion du statut dinfirmire : ce serait la prise de conscience parla socit malayalie de la technicit et du niveau dducation requis pour exercer ce mtier(la reprsentation du mtier comme tant principalement constitu decontact avec le corpsdu malade et donc objet de souillure potentielle seffaant au profit dune reprsentation opriment gestes et pratiques purement techniques comme la pose de sondes complexes oude perfusions, parfois mme lies une technologie ultra moderne, comme les injectionsncessaires pour un scanner ou une IRM).

    Emigrer dans le golfe: une histoire dopportunit20 Les premires infirmires indiennes ont t embauches dans le Golfe vers la fin des annes

    1970. Jusqualors, le meilleur dbouch pour une infirmire indienne tait larme ou un postedans un hpital gouvernemental indien, lun comme lautre offrant de nombreux avantagespar rapport au priv (salaire, logement, assurance-maladie, retraite). Deux options qui gardenttout leur attrait puisquil semblerait que celles qui ont obtenu de tels postes hsitent encore faire le pas de lmigration si ce nest le temps dun an ou deux quelles peuvent prendreen disponibilit25. Mais avant le recrutement lanc par les pays du Golfe, aucune infirmireindienne navait imagin pouvoir migrer grce sa profession. Les premires partir ontainsi le sentiment davoir t de vritables pionnires: Hormis le temps de mes tudes, jenavais jamais vcu seule. Je navais jamais voyag ltranger et personne de ma famille netravaillait ltranger. Jtais plutt inquite, mais le salaire tait trs bon, on me promettaitun logement et un billet par an pour revenir en Inde [] Je me suis dit que je ne pouvaispas cracher sur autant dargent, explique Susan qui est arrive en Oman en 1979 et y estreste depuis. Lune de ses collgues, arrive deux ans plus tard prcise: Jai t recrute

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    Delhi o jhabitais avec ma belle-famille depuis dix ans [] cette poque, le recrutementtait direct, on navait pas passer par des agences et payer trop cher. Quand nous sommesarrives, tout un groupe dinfirmires, on nous attendait la descente de lavion. Il y avaittout un tas dofficiels, des discours, des jus de fruit cest tout juste sil ny avait pas unorchestre! On avait limpression dtre des personnes importantes! Mais au dbut, a ntaitpas facile, on se sentait un peu perdues. On navait jamais imagin se retrouver comme a,toutes seules, loin de la famille. Heureusement, nous tions loges ensemble et comme nousvenions presque toutes du Kerala, ctait rassurant. On sest vite retrouves aussi autour dela religion: on priait ensemble, on chantait des cantiques.

    21 Toutes les femmes que jai rencontres et qui sont arrives Oman ou aux mirats dans cesannes-l sont venues seules avec un contrat qui ne permettait pas le regroupement familial.Toutes cependant taient maries et mres de famille au moment de leur migration. Familleet belle-famille semblent pourtant avoir encourag, voire initi, ce dpart en informant parexemple leur fille, belle-sur ou belle-fille dune telle opportunit et, surtout, en contribuantaux frais de dpart. Cette migration en clibataire des infirmires ne parat pas avoirconcrtement engendr de difficults importantes. Les femmes indiennes, grce aux lienstoujours trs forts qui existent lintrieur de la famille, o la cohabitation avec la belle-famille est encore monnaie courante, ont de fait plus de facilit que les femmes occidentales trouver quelquun qui confier leurs enfants lorsquelles travaillent lextrieur de la maison.Concrtement mais aussi idologiquement, lmigration dune mre de famille nest donc pasvue comme aussi problmatique quelle le serait en Occident par exemple26. Ainsi, si toutesles infirmires expriment leur chagrin de devoir (ou davoir d) se passer aussi longtemps dela prsence de leurs enfants, se disent en revanche assures de leur bien-tre.

    22 Les infirmires arrives dans les premires annes mettent laccent sur deux points. Toutdabord, sur les conditions dans lesquelles elles ont exerc leur travail dans les premierstemps: On ne peut plus imaginer ce que ctait dans ce temps-l. La plupart des maladesnavaient jamais t lhpital, ils ne savaient mme pas ce que ctait. Jusqualors, les gensriches allaient se faire soigner en Inde27. Nos patients ne parlaient pas un mot danglais et ilstaient effrays par les soins quon leur donnait. Je me souviens dune femme qui a accouchpendant son transport lhpital. Jtais avec elle dans lambulance. Il fallait lui faire unepisiotomie, mais elle refusait en hurlant. Rsultat, le bb na pas rsist et ce nest quunexemple. Ensuite, sur laspect du pays lorsquelles sont arrives: Il ny avait presque rien ce moment-l. Mascate, ctait presque un village. Il ny avait pas dautoroutes, pas de grandsimmeubles, presque pas de magasins et beaucoup moins dtrangers. Aujourdhui, on peutfaire ses courses comme si on tait Trivandrum28. Dailleurs les Malayalis ont la plupartdes commerces. Il y a des coles indiennes, des cinmas indiens, des journaux indiens et desglises. Mais tout a nexistait pas quand nous sommes arrives, ctait vraiment le dsert.

    23 Leur vie se droulait donc en milieu ferm: lhpital pour le travail et les cours darabe, alorsobligatoires, et le foyer-logement o elles se retrouvaient entre consurs du Kerala. Pas detlphone, pas dInternet alors, le seul lien avec la famille tait le courrier qui mettait plus dedeux semaines dans un sens ou dans lautre. Comme le dit Bindu, arrive dans les mirats, Fujeirah, en 1981: On arrivait tenir parce quon comptait le temps. On avait un contratdun an ou deux et on se disait toutes quaprs a, on rentrerait. Et puis comme on ne dpensaitabsolument rien, on tait fires aussi de pouvoir envoyer autant dargent la famille. Moi,je gagnais dix fois plus que je ne gagnais en Inde. Je gagnais plus que mon mari et ses deuxfrres dans leur business. En Inde, mon salaire aidait la famille, l il permettait de faire devrais projets.

    24 Ces femmes de la premire poque de la migration indienne dans le Golfe, et qui y sontrestes depuis, continuent alimenter de leurs rcits la reprsentation que toutes les infirmiresque jai rencontres se font des habitants des pays du Golfe (reprsentation au demeurantpartage par lensemble des migrs indiens): Ils sont racistes envers les Indiens, ils nousconsidrent comme des esclaves tout juste bons travailler, alors queux, ils sont tout fait incultes (uneducated) et sont incapables de faire les choses par eux-mmes. Ce sont lestrangers qui ont tout construit ici et qui continuent tout faire marcher. Sils navaient pas

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    eu la chance davoir du ptrole, ils en seraient toujours marcher derrire leurs chameaux.Uneducated est le vocable systmatiquement utilis par les femmes avec lesquelles jaiparl. Il sagit du terme habituellement employ en Inde quand on parle du petit peupleou des pauvres et qui signifie tout la fois inculte, fruste, sans ducation. Cest donc bien unsentiment de frustration quelles ressentent (et que semblent ressentir les Indiens en gnral) se retrouver sous les ordres (au moins administrativement) et la merci (lgalement) de cesindignes la fois mprisants et mpriss. Frustration dautant plus forte que leur statut est plusprcaire: la plupart des infirmires ont un contrat dun an renouvelable. Un contrat reconduit,sauf si, expliquent-elles, elles sont enceintes avant le temps rglementaire (gnralement deuxans de travail), sauf si elles tombent malades, sauf si un chef les prend en grippe, etc. Sauf si,leurs employeurs dcident dembaucher des femmes dautres nationalits (cest ainsi que lesIndiennes vivent la relation aux infirmires philippines en termes de concurrence)29, sauf silmiratisation se poursuit, sauf si un nouveau conflit comme celui du Koweit se dclareAvec un statut lgal des immigrs qui leur attribue trs peu de droits, et en particulier une autorisation de sjour totalement lie au bon vouloir de lemployeur, toutes ces raisonsrelles ou fantasmes aboutissent crer un sentiment dinscurit30. Ce sentiment est ressentipar toutes les infirmires, y compris par celles qui sont l depuis plus de vingt ans: On nepeut pas considrer que lon est chez nous ici, jamais, mme aprs des annes, mme si on atout ce quil faut pour vivre comme chez nous. Parce quon na aucun droit, juste celui de setaire et de travailler. Et que tout est fait pour quon le sente. Ce nest pas comme en Occident,ici on ne sinstalle pas.Mme si on reste longtemps, on sait quau moins pour la retraite, onrentrera chez nous. Personne ne veut finir sa vie ici ou Ici on na pas le droit dacheterune maison et on na plus de visa lorsque lon atteint la retraite. Alors le retour ou pas aupays nest mme pas une question. Elles font aussi souvent remarquer que la nationalit estimpossible acqurir pour des Indiens, mme sils le voulaient: En Oman, il y a eu deuxIndiens naturaliss depuis lindpendance. Deux en tout dont un Chrtien du Kerala qui estle chirurgien esthtique du Sultan Jai un fils qui est n et a grandi ici, et bien maintenantil lui faut un visa pour venir nous voir!.

    25 Au demeurant, les infirmires indiennes soulignent que les uniques relations quellesentretiennent avec les indignes sont les relations professionnelles. Seule une femme, parmitoutes celles que jai interroges, est entre dans une maison miratie ( loccasion dunmariage). Anh Nga Longva dans une tude sur le Koweit (Longva, 1997) confirme cette totaleabsence de relations entre autochtones et migrs, quelle que soit leur nationalit. Une situationqui na sans aucun doute fait que saffirmer dans les pays du Golfe et qui conduit des formesde sgrgation visibles au quotidien, tant donn limportance des communauts immigres.Les infirmires indiennes les plus anciennement migres ont d apprendre parler, lire etcrire larabe ds leur arrive et sont rellement capables de le parler. Celles qui sont arrivesdepuis une dizaine dannes ne le parlent pas et elles sont peu nombreuses suivre les coursdarabe proposs dans les hpitaux gouvernementaux. Il est noter en ce qui concerne lalangue, que ce sont plutt les indignes qui ont d sadapter et, comme lexplique une amieymnite qui habite Abu Dhabi, larabe ne suffit plus ds lors que lon sort de la maison: Ici,si on ne parle pas anglais, on est perdu (cela vaut pour tous les pays du Golfe lexceptionpeut-tre de lArabie Saoudite o, au minimum, les cours darabe sont toujours obligatoirespour les infirmires immigres). Au cours de ces trente dernires annes, lmigration indienneen particulier a pris une telle importance quil est effectivement possible de vivre totalement lindienne dans tous les pays du Golfe (et plus spcifiquement la keralaise vu le nombrede Malayalis prsents dans le commerce). On y trouve, en plus des magasins (de nourriture,vtements, bijouterie, musique, livres), des glises ou des temples, des coles, des cinmasou encore des journaux indiens dits dans le Golfe. Grce au satellite, il est aussi possiblede capter la plupart des chanes de tlvision indiennes. Cependant ainsi que le disent tous lesmigrs malayalis que jai rencontrs: on peut vivre comme chez soi peu prs partout dansle Golfe31, mais sans du tout se sentir chez soi. Phnomne classique de la migration toutefois,alors que les migrs pensent partir juste le temps damasser quelques conomies, le sjourse prolonge. Il en va de mme pour les infirmires indiennes. La plupart sont parties avec

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    lide de rester deux ou trois ans, mais il semble que le sjour moyen soit dau moins cinq ans,parfois beaucoup plus lorsque leur mari a fini par les rejoindre. Il ny a gure que celles peu nombreuses qui, pour diverses raisons32, ont d y rester seules qui soient rentres aupays dans les temps prvus au dpart.

    Travailler dans le golfe: une parenthse qui dure et unematernit temps partiel

    26 Presque toutes les infirmires, arrives seules dans les annes 1980, ont finalement russi faire venir mari et parfois enfants. Soit en trouvant un employeur pour leur poux, soit en lefaisant venir avec un visiting visa ce qui lui laissait trois mois pour trouver un emploisur place. Le mari a ensuite pu faire jouer le regroupement familial pour les enfants (dans leGolfe, seuls les hommes peuvent lgalement obtenir un visa familial). Un choix que nont pasfait tous les couples cependant, nombre dentre eux prfrant laisser leurs enfants en Inde afindconomiser plus. Si dans les premiers temps, ce sont les femmes qui ont ouvert les portesdu Golfe leur poux, la situation sest ensuite diversifie. Les infirmires qui ont migr partir de la fin des annes 1980 ne sont pas toujours arrives seules. Le nombre de Malayalisdans le Golfe nayant cess daugmenter, beaucoup dentre elles avaient au minimum un frre,un beau-frre, voire un pre dj sur place qui, en gnral, leur ont trouv du travail. Enoutre des migrs malayalis en qute dpouse ont commenc chercher des infirmires surle march matrimonial du Kerala, sachant quelles taient assures de trouver du travail avecun bon salaire. Comparativement dautres mtiers, les infirmires sont bien payes dansle Golfe: alors quelles gagnent de dix quinze fois plus quelles ne gagneraient en Inde,un manuvre lui ne gagne que trois quatre fois plus (il est noter que dans bien des cas,le revenu des infirmires est suprieur celui de leur poux, mme si celui-ci possde unequalification au moins gale, voire suprieure et exerce dans le Golfe un mtier correspondant cette qualification). Ds lors, les infirmires nont plus t cantonnes dans les foyers deshpitaux, mais ont aussi commenc vivre en ville, en famille. Leur vie dans le Golfese droulant dsormais, pour beaucoup dentre elles, au sein de leur propre communaut etsouvent entoures de leur propre famille est devenue moins spartiate, pourrait-on dire. Mmeles infirmires vivant dans les foyers ont maintenant loccasion de sortir de lhpital pourdes invitations chez des amis, des activits paroissiales, du shopping, etc. Toutefois, la vie defamille est loin dtre la rgle pour les infirmires dans le Golfe. Un grand nombre de couplescontinuent vivre sparment: parce que le conjoint est rest en Inde ou encore, frquemment,parce que les conjoints nont pas trouv de travail dans la mme ville (voire dans le mmepays)33. Jai ainsi rencontr un homme trs actif au sein dune glise catholique de Mascatedont lpouse, infirmire, travaillait plus de 400km de l et qui ma expliqu que cettesituation est suffisamment courante pour quil ait mont un groupe de prire runissant les gensconcerns (plus de 150 couples rien que pour la paroisse St-Peter and St-Paul de Mascate).

    27 Contrairement aux migrs malayalis les plus pauvres qui ne saccordent quun retour au paystous les trois ans au mieux (Sekher, 1997 : 24), les infirmires et leurs proches effectuentrgulirement des aller-retour vers le Kerala, pour des mariages dans la famille, des funraillesou pour contrler les travaux de construction dune maison. Si les infirmires font remarquerque ces voyages limitent leur capacit pargner, elles les jugent cependant indispensables.Presque toutes par exemple vont accoucher au Kerala (respectant en cela la tradition indiennequi veut que les filles retournent chez leurs parents pour chaque accouchement). Celles quivivent avec leur mari reviennent avec le nouveau-n; celles qui vivent seules nont dautrechoix que de laisser lenfant derrire elles, au soin de la belle-famille le plus souvent34.La plupart du temps, elles russissent prendre trois mois de cong loccasion de leuraccouchement, mais jai rencontr plusieurs mres qui avaient d repartir en laissant un bb peine g dun mois. La sparation davec le nouveau-n est vcue comme un traumatisme,mais elle ne remet pas en cause le projet migratoire: Ils me manquent, mais cest pour euxque je le fais, tel est le commentaire habituel. Tous les cas de figure se prsentent ensuitepour les enfants de parents migrs dans le Golfe. Quand cela est possible, cest--dire siles deux parents rsident ensemble et quils ont trouv un moyen pour les faire garder, les

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    enfants petits vivent avec eux. Quun problme survienne problme de logement, mutationdu pre ou plus souvent problme de garde, les crches tant trs chres et les employes demaison difficiles obtenir35 et les enfants seront renvoys en Inde. Il est ainsi frquent queles enfants fassent des sjours alterns dune rive lautre de la mer dArabie. Les fratriesne sont pas non plus systmatiquement runies : les parents peuvent parfois garder auprsdeux un enfant en ge daller lcole mais pas un nourrisson ou, inversement, un nourrissonmais pas un enfant dge scolaire sil ny a pas dcole indienne proximit par exemple.Toutefois ds quils atteignent ladolescence, les enfants retournent en Inde pour poursuivreleurs tudes, souvent dans des internats rputs, des boarding schools, vritable hritagede la colonisation britannique o lenseignement se fait en anglais. Cette stratgie est adoptepar presque toutes les familles indiennes du Golfe et nest pas ici lie au travail de la mre.Les raisons avances par mes interlocutrices sont de deux ordres: tout dabord, expliquent-elles, parce que les bons collges (i.e. o au minimum on enseigne en anglais) sont trop chers dans le Golfe, ensuite parce quil estbon que les enfants reprennent pied dans leur pays dorigine o de toute faon ils devrontretourner pour leurs tudes suprieures puisque les universits du Golfe sont considres parles Indiens migrs comme financirement inabordables et surtout comme sans valeur. Est-ce que quelquun a dj entendu parler de luniversit de Mascate ou dAbu Dhabi? Alors queles universits indiennes, elles, ont une bonne rputation, prcise Jenny, une infirmire dontle fils tudie Bangalore dans une cole cre par Microsoft et dont la fille termine une matrisede sociologie luniversit de Delhi avec le projet de poursuivre par un doctorat aux tats-Unis. Au total, cette femme aura vcu six ans avec son fils de 20 ans et neuf ans avec sa fillede 22 ans. Les infirmires migres se retrouvent donc frquemment en situation de mres temps partiel, selon leur propre expression, une situation quelles vivent pourtant commeun moindre mal: On na rien attendre en restant au Kerala. Si on a un peu dambition,il vaut mieux partir.

    28 Toutes aussi soulignent la particularit de lmigration dans le Golfe par rapport lmigrationen Occident: Ici, on travaille et on conomise avec lide de rentrer chez nous un jour pourvivre enfin notre vie. En Occident, cest diffrent, parce quon peut sy installer vraiment si onveut. Les enfants peuvent y grandir, on peut prendre la nationalit, on peut acheter une maison,se faire une nouvelle vie. Le danger, cest que les enfants oublient leur pays dorigine et a, anest pas forcment bon pour la famille. Justification, contradiction? Quoi quil en soit, lesjour forcment limit dans le temps de la migration dans le Golfe est ce quoi se raccrochentcelles qui y travaillent depuis dj plusieurs annes: lmigration est ainsi vue comme uneparenthse qui leur permettra de revenir sinstaller au Kerala en ayant nettement progress danslchelle sociale sans pour autant risquer dabandonner leur pays (consquence probable,selon elles, dune migration en Occident). Plusieurs directrices dcole dinfirmires au Keralamont au demeurant fait remarquer que les parents poussent plutt leurs filles migrer versles pays du Golfe: Mme si les salaires y sont moins bons quen Occident, ils savent quunemigration aux USA ou en Grande-Bretagne signifie presque srement un dpart dfinitif. Ilsimaginent dj leur fille se choisir un mari amricain, ils imaginent dj ne jamais connatreleurs petits-enfants et a leur fait peur.

    Une nouvelle stratgie des jeunes infirmires: le golfecomme tremplin vers loccident

    29 Mais quel que soit le dsir rel des parents, les plus jeunes des migrantes de ces cinq derniresannes dveloppent une nouvelle stratgiedont le but est datteindre lOccident. Les projetsde Neejee, une tudiante dErnakulam ge de 20 ans, en sont un exemple significatif:

    Aprs mon diplme, je vais travailler ici [en Inde] pendant deux ans. Cest lexprienceminimum demande dans le Golfe et a me permettra dconomiser le prix de lagence de voyage.Mon frre qui travaille en Arabie Saoudite maidera aussi parce que les agences demandent deplus en plus cher36. Jespre aller plutt dans les mirats ou au Koweit parce que cest mieux pay[que dans dautres pays du Golfe]. L-bas, si je travaille pendant deux ans, je pourrai me marier[i.e. quelle aura dj pu conomiser suffisamment pour aider constituer sa dot] et mon mari

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    pourra venir me rejoindre. Aprs un an ou deux, on pourra avoir des enfants. Pendant ce temps-l,jaurai eu le temps et largent pour prparer le TOEFL et peut-tre le CGNFS37 et nous pourronspartir au Royaume-Uni ou au Connecticut o jai de la famille.

    30 Les tudiantes et les jeunes infirmires migres que jai rencontres parlent ainsi de leuravenir, dune faon tonnamment programme. Celles avec qui je me suis entretenue en Omanou dans les mirats avaient dores et dj franchi quelques-unes de ces tapes. Les plusrcemment arrives, clibataires, vivant en foyer, conomisaient pratiquement tout leur salairepour lenvoyer leurs parents, lexception de largent ncessaire lachat des bijoux en or(moins cher dans le Golfe) qui constitueront leur dot. Celles qui taient l depuis plus de deuxans taient soit maries depuis peu ( trois exceptions prs, avec un mari choisi par la familleet pour 60% dentre elles avec un homme qui navait pas encore migr); celles qui taientl depuis plus de trois ou quatre ans avaient russi faire venir leur mari et la plupart avaientdj un enfant (vivant avec elles ou, le plus souvent, au pays) et toutes prparaient les examensncessaires lmigration en Occident avec une ide plus ou moins prcise du pays vis. Unedizaine dentre elles avaient russi ces examens et se prparaient au dpart. Il est videmmentdifficile de savoir si ces plans si prcisment dresss fonctionnent toujours aussi bien: jaiainsi rencontr Mascate une jeune femme enceinte plus tt que prvu (soit moins de deux ansavant la fin dun contrat qui nautorisait pas de grossesse ce qui a entran sa dmission). Sonpoux qui ne croyait pas un accident a tout dabord trs mal vcu ce contretemps. Elle estirresponsable. On avait dit quon attendrait encore un an ou deux!, ma-t-il dit, montrant aupassage quil ny a gure de tabou concernant la contraception38. Jai retrouv Mary plus tardchez ses parents au Kerala o elle profitait de la fin de sa grossesse pour prparer activementlexamen de la Commission of Graduates of Foreign Nursing Schools. Son poux, revenu pourassister un mariage, semblait avoir accept la situation, se rjouissant mme que cela puissefinalement acclrer leur projet de migration vers lOccident (pour peu que Mary russissetout de suite son examen). Concidence ou non, il sagissait justement de lun des trois couplesrencontrs ayant fait un mariage damour et nayant donc dj pas tout fait respect lanorme. Toutefois, dans la plupart des cas, le programme migratoire semble bien tre suividassez prs ou, tout au moins, nest jamais perdu de vue quels que soient les alas dus auxlimites de contrat, des parenthses imprvues entre deux priodes de migration pour raisonsfamiliales ou autre. Lun des rsultats en est un net retard de lge au mariage des jeunes fillesmigrantes (plus de 25 ans pour les infirmires migrantes contre 22,6 ans pour lensemble desfemmes chrtiennes au Kerala communaut o lge au mariage des femmes est dj le pluslev et 20,3 ans pour lensemble des femmes malayalies) et donc de lge au premier enfant(plus de 27 ans contre 21,9 pour lensemble des femmes malayalies)39. Les jeunes infirmiressont bien conscientes de cette particularit dont elles sont plutt fires, allant jusqu jugersvrement la maternit plus prcoce comme une preuve de retard culturel et social.

    31 On assiste donc une modification des projets de vie des plus jeunes par rapport auxinfirmires migres ges de plus de 35-40 ans. Pour ces dernires, lmigration dans leGolfe na explicitement pour seul but quun retour au Kerala ds que les conomies ralisesautoriseront laccomplissement des principaux objectifs: soit, le plus souvent, la constructiondune maison et lachat des biens dquipement, lacquisition dune voiture, de quoi payeraux enfants des tudes suprieures, y compris en Occident et, enfin, un minimum de liquiditsqui permettent de voir venir pendant quelques annes. Une fois rentre au pays, laplupart dentre elles arrtent alors de travailler (sauf trouver un poste dencadrement oudenseignement), marquant aussi de cette manire lascension sociale opre : Pourquoischiner pour 3000 roupies par moissans pour autant obtenir le moindre respect le la partdes malades ou des mdecins? ce moment-l, autant rester [ou retourner] travailler dans leGolfe! telle est la rponse habituelle lorsquon demande aux ex-migres si elles envisagentde retravailler un jour. Travailler nouveau en Inde en tant que simple infirmire aprs unpassage dans le Golfe est le signe dun chec ou dun vnement important (maladie ou dcsdun poux, faillite dune entreprise commerciale, divorce).

    32 En revanche, pour les plus jeunes, lmigration dans le Golfe est dsormais perue commeun prliminaire la vritable migration, celle vers lOccident, les possibilits dembauche

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    nayant cess daugmenter ces dernires annes : en plus des tats-Unis et de la Grande-Bretagne, lAustralie, la Nouvelle-Zlande, le Canada ou mme la Suisse, lItalie etlAllemagne leur ont ouvert leurs portes. Linformation circule rapidement et toute nouvelleopportunit fait aussitt lobjet de stratgies appropries: ainsi ds que le Canada a dcid dedonner la prfrence des immigrants ayant des notions de franais, les infirmires candidatesau dpart se sont prcipites dans les Alliances Franaises tant en Inde que dans le Golfe40.Toutefois, cest la Grande-Bretagne et les tats-Unis qui recrutent en plus grand nombre etce sont aussi les deux pays les plus priss par les candidats indiens lmigration en gnral,et donc par les infirmires et leur famille. Au demeurant, les tats-Unis visent explicitementun recrutement en Inde comme en tmoignent les centres qui se sont ouverts rcemment dansdiverses villes indiennes pour faire passer lindispensable test de la CGNFS ou encore la pagedaccueil du site web de cette mme institution qui reprsente en premier plan une infirmireindienne.

    33 nouveau, il est trs difficile dvaluer lautonomie relle des jeunes femmes dans leur projetmigratoire vers lOccident tant est forte la pression sociale (ainsi quelles lexpriment, ceserait presque indcent de ne pas se rendre en Occident lorsque la possibilit se prsente, alorsque nombre de leurs compatriotes, dont cest le rve, nont gure de moyens dy parvenir).Ainsi, lorsquelles dclinent les diffrentes tapes dun plan de vie qui semble mrementrflchi, elles ne manquent jamais den pointer les cueils, savoir, selon elles, la coupurequasi dfinitive avec leur pays et, surtout, le dcalage entre leur culture et celle quaurontprobablement leurs enfants. Mais cest la vie ! , concluent-elles gnralement, commesil ny avait pas vraiment de choix. On rencontre aussi des jeunes femmes dont le discourscontredit cet apparent fatalisme: elles expliquent alors clairement leur projet de migrationcomme un bon moyen de se soustraire au poids de la famille traditionnelle. Elles ne sont gure tre aussi explicite, mme si celles qui le sont affirment tre de plus en plus nombreuses envisager la migration sous cet angle (ou prtendent tre simplement plus franches cet gard que leurs collgues). Pour elles, le passage lOccident est alors envisag commeune libration qui leur permettra de vivre plus facilement leurs aspirations individuelles: Jene veux pas travailler toute ma vie pour entretenir toute une plthore doncles, de tantes etde cousins, pour payer la dot dUnetelle ou les tudes dUntel [] Je nai pas lintentionde revenir minstaller au Kerala juste pour montrer comme jai bien russi en construisantune maison de trois tages dans laquelle je passerais le reste de mon temps recevoir lesfemmes de la famille ou de la paroisse pendant que mon mari passerait son temps vhiculerles uns ou les autres dans sa Toyota de luxe ma ainsi expliqu Alice, une jeune femmede 32 ans qui sapprtait quitter Duba avec son poux et ses deux enfants aprs un sjourde six ans, pour aller aux tats-Unis o elle venait dobtenir un contrat. Cette jeune femmeavait pourtant fait un mariage arrang, tradition quelle ne remettait nullement en cause audemeurant, critiquant seulement la pratique de la dot. De fait, la plupart des entretiens que jaieus avec des infirmires rentres au Kerala font bien ressortir une difficult sy rintgrer.Cette difficult sexprime plusieurs niveauxdans la relation avec la famille au sens large,mais aussi dans la nostalgie du cosmopolitisme ou de lanonymat qui laccompagne (le Keralaest alors ressenti comme trop provincial en quelque sorte).

    34 Aujourdhui, les pays du Golfe napparaissent ainsi plus comme la destination en soide lmigration des infirmires indiennes, du moins telle nest plus la faon dont elleslenvisagent. Cette destination reste pourtant une sorte de passage oblig41. Tout dabord parcequelles peuvent y partir avec leur seul diplme indien et, donc, plus rapidement et plusaisment. Les diplmes exigs pour une migration en Occident anglophone (diplme delangue anglaise ncessaire presque partout et test de comptence pour les USA) demandent,en effet, un investissement coteux en temps et en argent puisquil est presque obligatoire desuivre des cours de prparation. Le test de la CGFNS amricaine est, en outre, assez difficile russir puisque, daprs les sources officieuses que jai pu obtenir auprs de directricesdcoles, seules 17% des candidates indiennes y parviendraient chaque anne. On ne gagnedonc pas lOccident si facilement. Enfin les agences de voyage fournissant les contratsfont payer deux trois fois plus cher pour lOccident que pour les pays du Golfe.

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    35 Mais, cette nouvelle faon de considrer la migration dans le Golfe comme un pralable uneautre migration entrane une volution dans la faon dont les infirmires indiennes considrentces pays. Leur jugement nen devient que plus svre, la critique plus acerbe, dautant quilsnoffrent plus les meilleurs revenus42. Le temps pass dans le Golfe est ds lors vcu commeune sorte de pnible prlude lentre dans le vritable avenir (Mon vritable avenirnest pas ici!, mont ainsi affirm plusieurs jeunes infirmires en Oman ou dans les mirats).Pourtant ce sjour dans le Golfe fait bien fonction dinitiation la vie en migration. Car, defaon qui peut paratre paradoxale, la migration dans le Golfe est aussi dcrite comme unetransition en douceur, un genre de sas. Parce quil ny a pas de vrais contacts avec la populationautochtone, pas plus quentre les diffrentes communauts migres, cest essentiellement unentre-soi que vivent les infirmires. Ce nest plus vivre au pays, mais cest toujours vivre entreMalayalis ds que le travail est fini. La sgrgation qui prvaut dans le Golfe vite de se poserdes questions sur son identit, sa culture, son style de vie (ou du moins permet-elle de lesrsoudre de faon simple), la diffrence de la migration en Occident o les problmes deladaptation, de lintgration ou de lacculturation se posent trs consciemment pour toutes lesfemmes que jai rencontres: pour rsumer leur sentiment, on pourrait dire que si la vie enOccident peut se faire en partie au sein de la diaspora indienne prsente quasiment partout, onnchappe jamais cependant et on ne souhaite dailleurs pas chapper un contact avecles autochtones (notamment avec les enfants qui apprendront, voire en prendront, la langue);ce contact est ressenti en grande partie comme positif dans la mesure o, la diffrence de cequils ressentent pour les habitants du Golfe, les Indiens ont un respect certain pour la cultureoccidentale, mme sils nadhrent pas toutes ses valeurs. La migration dans le Golfe serduit alors apprendre vivre loin de ses proches et travailler dans un milieu cosmopolite,ce qui peut tre difficile, mais peut-tre moins angoissant quune confrontation relle mmesouhaite avec une autre culture. En outre, pour les infirmires, lexercice de leur mtierest, aux dires de toutes, finalement plus facile dans le Golfe quen Inde, en raison de meilleuresconditions de travail mais aussi dun plus grand respect que leur tmoigneraient ici mdecinset patients43 (peut-tre en partie parce que la notion dimpuret na pas dans ces pays lemme poids quen Inde).

    36 Tous ces lments expliquent sans doute un fait qui parat surprenant a priori : le manqueapparent dinquitude et mme lassurance avec laquelle les jeunes infirmires indiennespartent pour le Golfe, seules en gnral en un premier temps, et la faon dont elles sedbrouillent, bien quelles aient vcu toute leur enfance et adolescence dune faon plus queprotge au sein de la famille linstar de la plupart des jeunes filles indiennes. Cela estvraisemblablement d en partie au fait que lmigration fait aujourdhui partie intgrante dela culture du Kerala, do la capacit adopter aussi rapidement dans les projets les nouvellesopportunits dans tel ou tel pays ou envisager une nouvelle migration aprs un ou plusieursretours au pays. Si lmigration reste aventureuse pour les plus pauvres, sans instruction et sansqualification, la merci de toutes les exploitations, elle est en revanche devenue un parcourspresque banal pour les moins dmunis. Dans le cas des infirmires, elle est aussi une voie versun nouveau statut social et un autre statut en tant que femme.

    Des consquences sur les relations au sein de la famille37 Si une migration massive des hommes conduit une autonomie plus grande pour les pouses

    restes au pays comme le montre Leela Gulati pour le cas du Kerala (Gulati, 1993), leschangements sont encore plus flagrants lorsque les femmes sont elles-mmes les ttes depont de cette migration. Ainsi, les infirmires migrantes sont bien conscientes dendosserun rle traditionnellement vu comme masculin lorsquelles procurent la famille une largepartie de ses revenus et, pour celles qui partent avant leur mariage, lorsquelles participentamplement la constitution de leur dot (rle classiquement dvolu au pre et aux frres) ;en revanche, elles ne soulignent plus gure leur office de passeport pour la migration desmembres de la belle-famille commencer par lpoux tant il est vident pour elles,quaujourdhui, cest bien pour cela quon devient infirmire44. Cependant si toutes se disentfires de leur apport la famille (quil faut toujours dans le contexte indien entendre au sens

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    large quand bien mme le couple et ses enfants ont leur propre logement), leurs propos sontsouvent beaucoup plus mitigs, tout spcialement lorsquon aborde la situation conomiquefamiliale aprs quelques annes passes ltranger: lorsque dautres membres de la famille(poux et beaux-frres) ont eux-mmes bien russi financirement au pays ou en migration,leur contribution au budget familial leur semble juste et utile. Mais que les hommes aient tincapables de faire suffisamment prosprer largent conomis (voire, ce qui arrive souvent,laient perdu dans des entreprises hasardeuses), quils soient incapables de trouver un travailcorrect ou de le conserver et que, de surcrot, les belles-surs restent femme au foyer levanttranquillement les enfants et les migrantes se sentent alors floues. Elles disent notammentleur frustration de sacrifier (ou davoir d sacrifier) pour rien, la relation avec leurs enfantset formulent alors des rcriminations sur ce quelles vivent comme un dtournement affectif(Jai laiss ma fille lorsquelle avait un an, maintenant mme si elle mappelle maman, cestvers ma belle-sur quelle court si elle pleure ou se blesse, dit ainsi Sara qui souponnesa belle-sur, malgr tous les cadeaux quelle lui a fait, de chercher dtourner sa fillede six ans de laffection maternelle). Dans presque tous les cas, lors des retours au pays, lesinfirmires migrantes estiment que la famille intervient trop dans lducation de leurs enfantset dans les affaires du couple, dispose trop facilement de largent quelles gagnent et accusentrgulirement leur poux dtre trop gnreux ou de ne pas savoir dire non: ainsi plus leurcontribution au budget familial est importante, moins le contrle par dautres de cet argent esttolrable et il devient quasiment insupportable si, aprs quelques annes, le succs conomiqueet social nest pas au rendez-vous lors de leur retour temporaire ou dfinitif au foyer.Mais on repre bien cependant un changement dattitudes au sein de la famille des migrantes, commencer par une diffrence de statut entre ces dernires et leurs belles-surs femmesau foyer et une relation diffrente la belle-mre. Lanecdote suivanteen tmoigne: denombreuses reprises, lors dentretiens que javais avec des infirmires (migrantes en congou ex-migrantes) au logis familial, celles-ci commandaient avec autorit une belle-sur etmme la belle-mre de nous prparer et de nous servir th ou rafrachissement: inversementradical des rles en Inde o une belle-fille est cense servir sa belle-mre. Il semble aussi quelpoux soit de plus en plus appel appuyer sa femme lorsquil est question dargent quelleestime en droit dsormais de verser au moins occasionnellement sa propre parentle, ce quiest l encore contraire la tradition indienne. Ces femmes paraissent galement en mesure depeser sur la scolarit de leurs enfants notamment en bloquant les fonds ncessaires pour leurstudes suprieures. Leur pouvoir nest, en revanche, pas suffisant pour obtenir un droit de vetoconcernant, par exemple, linvestissement des conomies dans une entreprise commerciale (cequelles considrent comme une affaire dhommes), mais elles nhsitent pas formulerdes critiques virulentes en prsence mme de leur poux en cas dchec. En ralit, ce queles migrantes ou ex-migrantes ont dsormais bien du mal supporter, cest le cadre mme dela famille largie et ses contraintes, aussi bien dans les gestes de la vie quotidienne que dansla redistribution des richesses45 ( la diffrence de femmes de milieu beaucoup plus pauvreque jai rencontres et qui continuent valoriser ce quelles voient elles comme uneindispensable solidarit familiale). Laspiration vivre en famille nuclaire est ainsi partagepar presque toutes les migrantes et par les jeunes filles candidates la migration en sachant quela migration est un excellent moyen dy parvenir alors quil est financirement et lgalementcompliqu de recrer une maisonne largie particulirement dans les pays du Golfe.

    38 Cest lexprience de leurs anes qui permet aux plus jeunes de btir leurs plans davenir etleur stratgie. Ainsi se marier alors quon travaille dj ltranger implique, le plus souvent,que le jeune couple chappe au moins pendant quelques annes la vie communautaire:Lorsque tu vis avec ton mari seulement et quil ny a pas autour sa mre, ses frres, enfintous les beaux-parents et mme tous les voisins, il est moins influenc, il a moins peur depasser pour un lche devant sa femme et il y a beaucoup plus dgalit [] On apprendaussi mieux se connatre et mieux se comprendre [] Pour lavenir des enfants aussicest beaucoup mieux parce quon ne disperse pas largent droite et gauche exposeainsi Neejee, jeune clibataire, dont les deux surs sont galement infirmires, lune Dubaet lautre en Australie. Elle me dit aussi que ses surs disposent dun compte commun avec

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    leur poux ce que mont pareillement assur nombre dinfirmires dans le Golfe etplaisante ce sujet: Cela vaut mieux pour eux puisque mes surs gagnent plus queux!( la question Qui gre largent?, la rponse est alors presque invariablement: On green commun, mais il faut faire attention ne pas froisser la susceptibilit de son mari parcequun homme na pas lhabitude de gagner moins que sa femme46). Lexprience apprendaussi ces jeunes femmes que, mme si lors du retour au pays, la norme est de plus en plusla vie en famille restreinte, ce qui se veut aussi signe de modernit (et je nai effectivementrencontr aucun exemple, dans le cas des infirmires, de construction de maison destine apriori la famille largie), il nen reste pas moins que la pression familiale et celle du voisinagesaffirment nouveau de faon trop forte selon elles. Cest cette occasion que sexprime alorslattrait du cosmopolitisme et du relatif anonymat quoffre la vie ltranger. De nombreusesremarques mont ainsi t faites sur la plus grande libert tant sur la faon de cuisiner, dese vtir, de se maquiller, de se comporter en public avec son mari ( lexception de lArabieSaoudite en ce qui concerne ces derniers aspects) que de recevoir des amis et davoir desactivits ou des loisirs lextrieur de la maison. Ce dsir de plus dautonomie ne les amnecependant pas remettre en cause le mariage arrang ni rejeter le systme de la dot. Il ny al rien de paradoxal. En ce qui concerne la dot, cest en la finanant en grande partie quellescommencent par saffranchir de leur pre et frres, tout en offrant du prestige la famillegrce au mari ainsi gagn. En ce qui concerne le mariage, et comme le montrent aussi lespratiques de la bourgeoisie indienne la plus cosmopolite (y compris des jeunes ns et levs ltranger), la vision occidentale de la supriorit du mariage damour, ne convainctoujours pas les Indiens et les Indiennes.

    Conclusion39 Mais un paradoxe demeure. Le soutien de la famille largie est presque toujours indispensable

    pour financer les tudes, puis les frais dmigration de ces jeunes infirmires. Ce soutien estgalement ncessaire pour prendre soin des enfants laisss au pays lors du sjour dans leGolfe. Or plus le temps de la migration est long ou plus il se renouvelle, moins les infirmiressont prtes reprendre place, physiquement mais aussi financirement, dans cette familletraditionnelle. Elles ont maintenant acquis une bonne rputation sur le march matrimonial,et en tant quinfirmire, un meilleur statut au sein de leur communaut (et dans la socitmalayalie) en raison de leur capacit avoir de bons revenus et fournir le visa convoit dautres membres de la belle-famille (y compris, aujourdhui la fameuse Green Card),mais leurs aspirations tendent vers un mode de vie beaucoup plus individualiste, en famillenuclaire autant que possible pour commencer. Ces aspirations et la stratgie susceptiblede les combler sont nes peu peu, au fil de lexprience acquise au cours de ces trenteannes dmigration des infirmires indiennes dans le Golfe. Devenir infirmire aujourdhuiau Kerala reprsente plus quun passeport pour le monde que les plus jeunes sont audemeurant particulirement dsireuses de dcouvrir , cest aussi un passeport pour une vieplus indpendante et plus autonome puisque, au moins dans leur milieu social, cela savre plusfacile construire ltranger que dans leur propre pays, surtout avec lOccident en ligne demire. la diffrence de leurs anes, les jeunes infirmires ou futures infirmires nenvisagentdonc plus la migration comme une simple parenthse dans leur vie, mais comme une chancedchapper un futur trop conventionnel et trop prvisible.

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    Notes

    1 Cet article prsente les premiers rsultats dune recherche entreprise en 2002. Elle est base sur unterrain de deux fois trois mois en Inde (au Kerala et Bombay) et de six semaines en Oman ainsiquaux mirats Arabes Unis. Jai interrog un peu plus de deux cents infirmires ou futures infirmires:80 infirmires migres dans le Golfe, une soixantaine dinfirmires ex-migres vivant au Keralaet autant dtudiantes en cole dinfirmires du Kerala et de Bombay. Les entretiens ont t mensindividuellement auprs de 72 de ces femmes, les autres ont t collectifs (jusqu cinq personnes lorsdun mme entretien). Jai aussi interrog douze surveillantes gnrales dhpitaux (non indiennes) Oman et aux mirats, dix surveillantes gnrales (nayant jamais migr) et quatre directeurs dupersonnel dhpitaux au Kerala, ainsi que quinze directrices dcole dinfirmire au Kerala et Bombay.Quatre prtres catholiques malayalis ont rpondu mes questions (dont un Mascate). Jai enfin tinvite, au Kerala, dans dix-sept familles dtudiantes ou dinfirmires migres pour des priodes allantde deux six jours. Nota: tous les prnoms utiliss dans ce texte sont fictifs. Je tiens remercier ElianeDaphy et Agns Jeanjean ainsi que les coordinatrices du numro pour la relecture de cet article.2 Le personnel infirmier est aussi constitu de Philippines. Elles sont cinq six fois moins nombreusesque les Indiennes daprs les observations que jai pu faire moi-mme dans les quinze hpitaux dOmanet des mirats que jai visits.3 Cette formation existe aujourdhui dans la plupart des pays du Golfe, mais les candidates y sont peunombreuses. De plus, selon les mdecins ou infirmires gnrales rencontrs, leur formation est beaucouptrop scolaire et leur faible niveau danglais est un gros handicap dans leurs changes avec le personnelmdical.4 Il nexiste pas de statistiques vraiment fiables concernant le nombre dinfirmires indiennes migres.Toutefois si lon recoupe le nombre dinfirmires par habitants dans les diffrents pays du Golfeet le pourcentage dinfirmires indiennes dans les diffrents hpitaux que jai visits, ce chiffre estvraisemblable.

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    5 Notons quen raison du nombre important dinfirmires formes, lInde ne semble pas encore menacede pnurie dans ce secteur.6 Recensement de 2001, cf. Zachariah et al., 2004, p. 16.7 Les habitants du Kerala sont appels Malayalis daprs le nom de leur langue, le malayalam.8 Chiffres pour 2001.9 Chiffres pour 1999.10 Dont un certain nombre dinfirmires qui sont aux USA depuis dj longtemps (George, 2000) ouen Grande-Bretagne, mais le recrutement massif vers ces pays est rcent.11 Tandis que les syrians se considrent comme relativement bien situs dans la hirarchie des castes(quivalents au Vaishyas, voire plus), les conversions dues aux colonisations portugaise et britanniqueont principalement concern les communauts dintouchables. Ces derniers, chrtiens catholiques dits latins et chrtiens protestants reprsentent aujourdhui la moiti des Chrtiens, soit 10 % de lapopulation keralaise.12 Essentiellement les catholiques syrians (pour 70% des infirmires rencontres contre 30% deLatin Roman catholiques).13 Les infirmires citent dailleurs souvent Florence Nightingale et surtout Mre Teresa comme sourcesdinspiration.14 Je nai pu, jusqu prsent, trouver les raisons pour lesquelles les femmes chrtiennes dautres rgionsde lInde navaient pas investi ce crneau professionnel: je pense en particulier Goa o les Chrtienssont aussi nombreux.15 1 acre = 0,6 ha.16 Il sagissait l de familles dont aucun membre navait encore migr ltranger. Lorsquunenfant au moins a migr, on voit apparatre dautres biens de consommation: meubles loccidentale,magntoscope, divers appareils mnagers, parfois, une voiture.17 Cela vaut pour lensemble de la fratrie.18 50 Roupies = 1 Euro.19 Pour une tude plus approfondie du sujet et de ses consquences tragiques aujourdhui (en particulierinfanticides, avortements ou jeunes pouses brles vives, mais aussi ruine des familles o les filles sontplus nombreuses que les garons), voir par exemple Bene, 1996 ou Menski, 1998.20 Ma traduction comme pour toutes les citations de ce texte.21 De la mme manire quen Inde, les hpitaux gouvernementaux sont ceux qui payent le mieux parmiles hpitaux du Golfe. Sa jeune femme gagnait ainsi 300 Omani Ryals (1 O.R. = 3 Euros environ).22 Annonces parues en juin 2003 sur le site http://www.keralamatrimony.com/23 Selon les infirmires concernes et leur famille, cest en grande partie une jalousie, pour lesopportunits migratoires et les revenus des infirmires migres, qui explique ces rumeurs ou ces proposmalveillants.24 Environ 7% dHindoues et 3% de Musulmanes pour les coles que jai visites en Inde. Notons queles Musulmanes auraient encore plus de chance de trouver un bon poste dans le Golfe, les annonces detravail prcisant souvent Musulmane de prfrence.25 Au Kerala mme, la pression lmigration est suffisamment forte pour que les hpitaux publicsaccordent dsormais jusqu 15 ans de disponibilit (en trois priodes de 5 ans maximum).26 Trois de mes amies indiennes sont parties ltranger pour une anne ou deux denseignement dansune universit alors mme quelles avaient des enfants en bas ge. Elles mont fait remarquer quellesavaient le sentiment dchapper au sentiment de culpabilit davoir laiss leurs enfants derrire elles,contrairement, leur semblait-il, des collgues occidentales dans la mme situation.27 Les gens fortuns du Golfe continuent dailleurs se faire soigner ltranger, particulirement enInde Bombay. Un hpital luxueux (en quipement mdical mais aussi htellerie) vient aussi desouvrir Cochin au Kerala dont les fonds viennent en partie des mirats. Il a t inaugur durant lhiver2002 en prsence du Ministre de la Sant des mirats Arabes Unis.28 Capitale du Kerala. Les nombreux commerces indiens des pays du Golfe nappartiennent pas enpropre aux Indiens puisque les trangers nont pas le droit dans ces pays de devenir propritaire. Ainsi,quand bien mme les immigrants amnent la plus grosse part du capital29 Concurrence qui ne me parat pas relle mais qui repose sur des a priori des Indiennes selon lesquelsles Philippines auraient plus de chances, vu la vague islamique, puisquelles sont pour beaucoupmusulmanes, et aussi paradoxalement parce quelles auraient la rputation dtre des femmes auxmurs beaucoup plus lgres (sous-entendu de bonnes affaires pour les administratifs autochtonesou les mdecins) que les Indiennes. Toutefois, on ne peut parler de rels antagonismes entre Indienneset Philippines, les amitis noues sont nombreuses et les Indiennes vantent trs souvent, par ailleurs, le

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    sens de la fte que possderaient les Philippines. Nota: Je nai trouv aucune recherche concernantles 30 infirmires philippines dans le Golfe. Des discussions que jai eues avec quelques-unes dentreelles font dj apparatre des diffrences notables avec leurs collgues indiennes: tout dabord le mtierdinfirmire serait depuis toujours un mtier valoris aux Philippines, ensuite les stratgies migratoires nese recouperaient pas puisquil semblerait que les Philippines prsentes dans le Golfe ne jouent pas ce rlede tte de pont migratoire (restant beaucoup plus souvent seules que les Indiennes), enfin lmigrationdans les pays du Golfe serait un vrai pis-aller, les tats-Unis tant la destination juge naturelle.30 Cette prcarit nest pas spcifique aux infirmires ou mme aux femmes migres dans le Golfe,les hommes migrs la subissent de la mme manire. Pour une explication de la lgislation concernantles immigrants dans le Golfe, et en particulier du systme du sponsoring, voir Longwa, 1997, quidtaille lexemple du Koweit.31 lexception notable de lArabie Saoudite o il nexiste, en particulier, pas de libert de culte.Plusieurs femmes, ex-migres en Arabie Saoudite, mont racont comment elles se runissaient encachette pour des sances de prire ou pour fter Nol ou Pques, comment elles taient fouilles parles douaniers la recherche de bible ou de cassettes de cantiques. Cette interdiction de pratiquer estressentie comme particulirement dure par les Malayalies chrtiennes gnralement trs religieuses etcomme une grave atteinte leur libert. Toutes ont employ les mmes termes: En Arabie Saoudite,pour nous cest la prison, faisant allusion la fois lobligation de se voiler, linterdiction de sortirnon accompagne dun homme et surtout linterdiction de prier.32 Parce que leur mari avait un bon travail en Inde, parce quil tait malade, etc.33 Il est assez ais davoir un visiting visa pour tous les pays du Golfe ds lors quun conjoint ytravaille lgalement. Entre Oman et les mirats, les immigrs ont seulement besoin dune autorisationassez simple obtenir pour passer dun pays lautre.34 En Inde, les enfants sont traditionnellement considrs comme faisant partie de la famille du mari. AuKerala, la tradition matrilinaire qui a prvalu jusquau dbut du XXe sicle les rattachait au contraire lafamille de la femme, mais il ne semble pas que cette tradition ait laiss de trace, chez les Chrtiens tout aumoins, en ce qui concerne la garde des enfants, comme en tmoigne la priorit donne la belle-famille.35 Il nest pas possible de trouver demployes de maison sur le march local du travail. Les famillesindiennes font donc souvent venir des jeunes femmes de leur pays qui elles payent un salaire assezdrisoire (moins de 100 Euros, aux dires dinterlocuteurs migrs en Oman, eux-mmes employeurs). Ilfaut cependant payer le voyage de lemploye, mais surtout lui obtenir un visa, ce qui semble tre devenudifficile pour les migrs indiens.36 Les agences de voyage, qui fournissent le contrat de travail et soccupent dobtenir le visa,demandent lquivalent de trois mois du salaire offert dans le Golfe plus les frais de voyage et de visa.Soit, actuellement, un minimum de cent mille roupies.37 TOEFL: Test of English as Foreign Language. CGNFS: examen organis par la Commission ofGraduates of Foreign Nursing Schools (organisme amricain). Le premier diplme est ncessaire pourmigrer dans les pays occidentaux anglophones. Le second est exig pour travailler comme infirmireaux USA.38 Le faible taux de natalit au Kerala tmoigne dune pratique massive de la contraception. Deplus ce jour, 67 % des femmes malayalies ont eu recours la strilisation aprs la naissance deleur deuxime enfant. Une pratique que lglise du Kerala condamnerait, selon mes interlocutrices,alors quelle admettrait la contraception (information que je nai pu vrifier). Mais linterdiction de lastrilisation ne parat pas trs respecte malgr la grande religiosit des Chrtiennes malayalies: Cene sont pas eux (les membres du clerg) qui lvent les enfants! est le commentaire que jai entendu ce sujet. Il est noter aussi que cette interdiction de grossesse stipule dans de nombreux contratsdinfirmires dans le Golfe nest pas vraiment ressentie par ces femmes comme une atteinte leur libertdans la mesure o elle correspond gnralement leur propre plan de vie.39 Source: International Institute for Population Sciences, 2001. National Family Health Survey India,1998-99, Kerala, NFHS-2. Mumbai.40 Le directeur dun Centre Franais dans le Golfe raconte quil avait eu dans les mmes temps la visitedun Indien agent de voyage qui lui promettait de nombreuses tudiantes pour peu quil lui consenteun prix de gros De fait, ces nouvelles tudiantes, peu intresses rellement par la culture franaise,semblent plutt embarrasser les enseignants et les tudiants traditionnels des Alliances.41 Une tude trs rcente (2003-2004) mene auprs de 10000 foyers du Kerala par le Centre forDevelopment Studies de Trivandrum (non encore publie) montre, contre toute prvision, que le nombrede Malayalis dans le Golfe a encore augment ces cinq dernires annes. Je remercie S. Irudaya Rajande mavoir communiqu cette information.42 Alors que ce constat est fait, certains migrs indiens font cependant remarquer quon y conomiseplus dans la mesure o on dpense moins puisquon ne peut investir dans quoi que ce soit.

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    43 Et ce malgr le mpris quelles disent ressentir de la part des indignes ds lors quelles ne sont plusen service.44 Au grand dam des Principales dcole dinfirmire, qui voient cet objectif comme prenantfranchement le pas sur la vocation soigner des malades. Je nai pas travaill assez sur la relationinfirmire/malade ni au Kerala, ni dans le Golfe pour pouvoir traiter ici de cette question.45 lexception des soins ou de laide dus aux parents (pres et mres) gs.46 Lors dune discussion, Abu Dhabi, avec un jeune couple dont lpoux gagnait deux fois moinsque sa femme, cette dernire sest empresse de prciser Mais cest lui qui paye tout ici; mon salaire,cest pour les conomies.

    Pour citer cet article

    Rfrence lectronique

    Marie Percot, Les infirmires indiennes migres dans les pays du Golfe: de lopportunit lastratgie, Revue europenne des migrations internationales [En ligne], vol. 21 - n1|2005, misen ligne le 02 septembre 2008, consult le 15 juin 2014. URL: http://remi.revues.org/2340; DOI:10.4000/remi.2340

    Rfrence papier

    Marie Percot, Les infirmires indiennes migres dans les pays du Golfe: de lopportunit la stratgie, Revue europenne des migrations internationales, vol. 21 - n1|2005, 29-54.

    propos de lauteur

    Marie PercotAnthropologue, chercheure au Laboratoire dAnthropologie Urbaine (UPR O34/CNRS)

    Droits dauteur

    Universit de Poitiers

    Rsums

    Lorsqu la fin des annes soixante-dix, des infirmires commencrent tre recrutesen Inde pour les hpitaux des pays du Golfe, ce fut une opportunit inattendue pour lesplus aventureuses dentre elles de sassurer de bien meilleurs revenus que dans leur proprepays. Une gnration plus tard, des dizaines de milliers de jeunes filles, principalement deschrtiennes du Krala, choisissent expressment ce mtier afin dmigrer ds lobtention deleur diplme. Ce diplme est ainsi devenu un vritable passeport pour lmigration, pour lesinfirmires elles-mmes et, par contrecoup, pour leur proches.Pour les plus ges des infirmires, la migration dans le Golfe permet de sassurer un avenirplus prospre une fois revenues au pays; pour les plus jeunes, cette migration est vue commeune tape avant une migration vers lOccident. Dans tous les cas, les familles encouragentfilles ou pouses partir pour le Golfe en raison des bnfices immdiats quelles en retirentmais aussi parce que cela sinscrit dans leurs stratgies dascension sociale.The Emigrant Indian Nurses in the Gulf : From opportunity to Strategy : HaitianTransnational Family.When in the middle of the seventies, Indian nurses started to be hired for newly builthospitals in the Gulf, it was an unexpected opportunity for the most adventurous of them toensure unexpected good wages. One generation later, thousands of young girls, predominantlyChristians from Kerala, fill up the nursing schools all over India with the objective of migrating

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    after graduation. Hence the nursing diploma is obviously considered as a passport opening theworld not only to the nurse herself, but also to her relatives.Migration to the Gulf is now considered as an intermediate step before further migration to theWest or before to come back in India as housewife. It allows married women to improve widelythe financial position of their parents and in-laws remaining in India ; it allows the youngsingle nurses to save for their dowry or to find a husband with a better social background. Ineither case, families encourage their migration because it is very consciously regarded as aprivileged opportunity to increase social mobility.Las enfermeras indias inmigrantes en los pases del Golfo: de la oportunidad a laestrategia.Al final de los aos 1970, cuando se contrataron enfermeras en India, destinadas a loshospitales de los pases del Golfo, fue una oportunidad inesperada para las mas atrevidas deellas que querian obtener mejores sueldos que en su proprio pas. Una generacin despues,decenas de miles de mujeres jvenes y principalmente cristianas del Kerala, decidierondeliberadamente de aprender el oficio de enfermera para poder emigrar cuando obteniansu diploma. Este se convirtio entonces en un verdadero pasaporte para emigrar, para lasenfermeras y, por supuesto, para sus familiares.Para las enfermeras las mas mayores, la migracin hacia el Golfo permitia de asegurarse unfuturo mas prospero cuando volvian a su pas; para las mas jvenes esta migracin se concibecomo un primer paso antes de una migracin hacia el Occidente. En todo los casos, las familiasincitan las hijas y esposas a irse hacia el Golfo en razn de los beneficios inmediatos que lesacan pero tambin porque ese proceso se inscribe en una estratgica de ascencin sociale.

    Entres dindex

    Mots-cls :stratgie migratoire, femmes, causes des migrations, IndiensGographique :Golfe persique