Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

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Philippe CROUY Jean-François LHÉRÉTÉ Oser la performance autrement "O o c 3 Û CM i-H O P-J © >• Q. O U DUNOD

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Philippe CROUY

Jean-François LHÉRÉTÉ

Oser la performance

autrement

"O o c 3 Û CM i-H O P-J ©

>• Q. O U

DUNOD

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Le pictogramme qui figure ci-contre mérite une explication. Son objet est d'alerter le lecteur sur la menace que représente pour l'avenir de l'écrit, particulièrement dans le domaine de l'édition technique et universi- taire, le développement massif du photocopilloqe. Le Code de Fa propriété intellec- tuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément la photoco- pie à usage collectif sans autori- sation des ayants droit. Or, cette pratique s'est généralisée dans les établissements

DANGER

ŒPHOIOCOPWŒ TUE LE LIVRE

d'enseignement supérieur, provoquant une baisse brutale des achats de livres et de revues, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des oeuvres

nouvelles et de les faire éditer cor- rectement est aujourd'hui menacée. Nous rappelons donc que toute reproduction, partielle ou totale, de la présente publication est interdite sans autorisation de l'auteur, de son éditeur ou du Centre français d'exploitation du

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TABLE DES MATIÈRES

Préface V

Introduction 1

PARTIE I

REPENSER L'ENTREPRISE

1 GLobalisation et concurrences ; revenir aux

fondements 7

2 Incertitudes et inattendu : prendre le parti

de l'initiative 13

3 Crise ; ouvrir de nouvelles perspectives 23

4 Le règne de l'individu ; assumer la diversité 37

5 Défiance et repli sur soi ; oser la confiance 45

6 Distanciation du salarié ; recréer du lien 35

7 Maîtriser 69

8 Manager 79

9 Innover 89

10 Durable : faire évoluer la culture 101

11 Stratégie : la performance ensemble 113

En guise de conclusion 121

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IV OSER LA PERFORMANCE AUTREMENT

PARTIE II

REPENSER LA GOUVERNANCE

12 Du bon usage des concepts 123

13 Du bon usage des conflits 139

14 Du bon usage des passions 147

En guise de conclusion 133

Glossaire et contre-intuitions 155

Bibliographie choisie 163

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>• Q. O U

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PRÉFACE

Tout le monde sera d'accord pour dire que la période

n'est pas facile pour le chef d'entreprise, aussi bien

quand il s'agit de gérer les équipes que de définir la stratégie

de l'entreprise.

Les bouleversements actuels, que l'on qualifie à tort - à mon

avis - de crise correspondent, en fait, à l'accumulation dans une

même période, celle que nous vivons, de trois grands change-

ments qui affectent les économies : une évolution considérable

des mœurs et des mentalités, des changements schumpétériens,

essentiellement dans les pays développés, et un profond rééqui-

librage entre les continents.

Tout cela arrive en même temps, il faut le décoder.

Le livre de Philippe Crouy et de Jean-Francois Lhérété est

bienvenu car il offre, sur chacun de ces sujets et dans les deux

dimensions de gestion et de stratégie, un florilège de réflexions.

Il n'est jamais conclusif, ce qui est sage (c'est au lecteur de faire

l'effort de tirer les conclusions) mais il ouvre des pistes, donne

des outils et encourage à réfléchir.

C'est un livre positif, qui montre que dans chaque problème

il y a une opportunité à saisir, que chaque bouleversement peut

débloquer des situations et être source de croissance et de pro-

grès pour ceux qui ont su, les premiers, voir l'ouverture.

C'est un livre humaniste, destiné à ceux qui voient dans

l'entreprise une aventure humaine et un vecteur d'échange

libre avec ses clients.

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VI OSER LA PERFORMANCE AUTREMENT

Il est facile à lire car chaque chapitre se tient en lui-même,

suggère des lectures d'approfondissement, contient des anec-

dotes porteuses de sens, que l'on mémorise aisément.

De Gaulle disait que « derrière Alexandre se profilait

Aristote ». Autrement dit, que les dirigeants seront toujours

gagnants à réserver du temps à la lecture et la réflexion.

Enfin, ce livre est doté d'une formidable bibliographie, rien

de ce qui s'est écrit d'important dans les dernières années n'a

échappé aux auteurs.

Xavier Fontanet

Ancien PDG d'Essilor

Administrateur de sociétés

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INTRODUCTION

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Ce texte est né d'un sentiment d'urgence. On parle

abondamment de la « crise ». Crise de la finance, crise

de la dette. Il est vrai que la finance est à l'origine de dérè-

glements graves et il est incontestable qu'une dette doit être

remboursée si l'emprunteur veut continuer à faire appel à

ses prêteurs.

Dans le même temps, les arbres ne doivent pas cacher la

forêt, celle de la mutation que connaît le monde actuel. Le bas-

culement du centre de gravité économique et la remise en cause

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2 OSER LA PERFORMANCE AUTREMENT

de modes de fonctionnement que Ton imaginait « éternels »

ont des conséquences sur notre façon de concevoir l'entreprise

et plus généralement la société.

Cette recomposition, la rapidité des évolutions et la montée

de la concurrence, ont pour résultat de plonger l'entreprise

dans un climat permanent d'incertitudes. La réponse, logique

dans un tel contexte, d'un recours accru à l'intelligence des

hommes ne va pas de soi à l'heure où l'individualisme ambiant

pèse d'un poids croissant sur l'engagement des salariés à l'égard

de leur employeur.

Précisément, l'aventure collective qu'est l'entreprise

devrait être, pourrait être un lieu de réalisation de soi. Qu'est-

elle, en effet, sinon un jeu de relations où la performance

résulte de la prise de risque et de la créativité ? Le contexte qui

se révèle progressivement, infiniment plus exigeant, impose

de s'orienter résolument vers « l'entreprise apprenante », au

sein de laquelle chacun contribue de manière naturelle à la

performance d'ensemble et y trouve, à travers les exigences

affichées et les enjeux relevés, un « grandir » qui le satisfait et

le motive.

Les deux auteurs, amis de longue date, étaient sensibilisés à

ces interrogations par un passé commun en entreprise et

nombre d'échanges sur les problèmes actuels. Quoi de plus

naturel dès lors que de prendre le temps d'analyser et de mettre

en ordre les tendances, de hiérarchiser ?

Pris dans un faisceau de convictions en bonne partie erro-

nées et dépassées, issues des thèses et pratiques managériales

des décennies précédentes, il n'est pas aisé pour des dirigeants

sous pression de discerner, de « prioriser ». Un premier objectif

est pour les auteurs d'éclairer le débat, afin que le lecteur sorte

de cette lecture plus serein, avec une vision plus claire, une

Page 9: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Introduction 3

meilleure compréhension des enjeux et de l'articulation des

problématiques.

Nous nous adressons également aux dirigeants qui s'inter-

rogent. Nous souhaiterions que les propos qui suivent les

aident à prendre du recul, à confirmer ou infirmer des intui-

tions sur le rôle et la place des hommes dans leur entreprise :

développer la motivation, éveiller la créativité, encourager l'ini-

tiative sont des objectifs louables.

II convient néanmoins de veiller à la cohérence de l'action,

d'avoir une vision globale et des critères de résultats. Comment

cheminer, à quel rythme, en évitant quels écueils ? Nous vou-

drions en même temps les inciter à poursuivre leur réflexion

personnelle. L'ouvrage est organisé à cette fin, chaque théma-

tique étant suivie d'une brève bibliographie (« Pour aller plus

loin »), d'un questionnement (liste de questions) et d'un espace

pour les notes du lecteur.

Une telle présentation fait écho au refus de proposer une

quelconque « vérité ». Tout au plus faire oeuvre utile ouvrant le

lecteur à la réflexion et à la remise en cause éventuelle de

croyances implicites.

Le monde qui vient sera très différent de celui que nous

connaissons. La vitesse croissante des évolutions laisse penser

qu'il ne faut pas envisager un « changement », moment de

tension entre deux états « stables », mais probablement admettre

le changement permanent. Il ne s'agit donc pas, pour les per-

sonnes comme pour les entreprises, d'apprendre un monde

nouveau, à supposer qu'il soit décryptable, mais d'apprendre à

apprendre. Une démarche qui peut être qualifiée de socratique :

« La réponse est en toi. Apprends à la chercher et la trouver. »

Cette démarche se décompose en 4 temps : l'étonnement

(aider la personne à prendre de la distance par rapport aux

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4 OSER Ly\ PERFORMANCE AUTREMENT

« évidences » qu'elle a en tête), la réflexion personnelle (préciser

les « échos » qu'a éveillés l'étonnement de la phase précédente),

le partage (s'enrichir de points de vue différents pour élargir

l'horizon), et enfin l'action (conclure et s'engager).

La forme de l'ouvrage conduit à ne retrouver que les deux

premiers temps. L'étonnement correspond à la mise en

perspective des traits marquants de notre environnement,

puis l'analyse des conséquences dans le fonctionnement de

l'entreprise avec la rubrique « En pratique ». La démarche se

poursuit à travers la prise en compte des références bibliogra-

phiques, le questionnement proposé et la réflexion écrite.

Le partage, qui peut être abordé à partir du questionnement

proposé à la fin de chaque thématique, et l'action sont... les

objectifs finaux et le souhait des auteurs.

Osons une métaphore d'ordre musical. Le propre de

l'orchestre est en effet que puisse s'y exprimer la personnalité

de chacun des musiciens en même temps que se forme

l'expression spécifique de leur ensemble. Le talent du chef

d'orchestre {conductor en anglais) est de faire réussir cette

alchimie qui, dans le respect de chacun, donne une personna-

lité à leur collectivité. La partition, du point de vue des

auteurs, est celle d'une performance économique qui est au

quotidien l'œuvre des hommes. C'est à nos yeux la seule

réponse pertinente à une crise qui correspond, pour reprendre

la terminologie d'Edgar Morin, au passage d'un « compli-

qué » formalisable à un « complexe » empreint par essence

d'incertitude.

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PARTIE I

REPENSER L'ENTREPRISE

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1

GLOBALISATION ET CONCURRENCES ;

REVENIR AUX FONDEMENTS

Ce qui se passe sous nos yeux, que nous nommons du mot

commode de « crise », constitue le révélateur tangible

d'une transformation en profondeur des économies et des

sociétés. Nous parvenons au terme d'un cycle et nous avançons

vers un autre.

L'irruption de nouveaux acteurs, au premier rang desquels

la Chine et l'Inde, ne signifie pas seulement un renversement

des conditions de la production et de l'échange. Nous assistons

au crépuscule de la domination pluriséculaire de l'Occident

sur le reste du monde. Ce n'est pas un basculement brutal, mais

une progressive émergence de nouvelles puissances, d'autres

zones géographiques. L'investissement s'est dirigé massivement

vers les zones les plus propices à la réunion de ces avantages

comparatifs que sont les coûts salariaux, les promesses de puis-

sants marchés intérieurs, la qualité des infrastructures de trans-

port et la capacité à accompagner, avant de la précéder,

l'évolution de la technologie.

Les États-Unis et l'Europe ont subi de plein fouet le dyna-

misme perturbateur de ces nouveaux entrants. Le vieux

continent a dû affronter simultanément l'offre substitutive de

la Chine et de l'Asie du Sud-Est étendue au sous-continent

indien, et au cœur de sa zone géographique les délocalisations

industrielles dans les pays de l'est de l'Europe.

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8 REPENSER L'ENTREPRISE

Dans ce contexte, la crise financière qui a éclaté en 2008-

2009 n'est pas un accident conjoncturel. Cet événement

témoigne avant tout d'une perte du sens des réalités, qu'illus-

trent sans la résumer les excès de la financiarisation de l'écono-

mie (aux États-Unis, la part des profits financiers dans

l'ensemble des profits de l'économie a bondi de 10 % en 1950

à 40 % en 2007). La création par les instruments sophistiqués

de la finance mathématique d'une richesse virtuelle (plus de

3 000 milliards de $ se sont évaporés en moins de deux ans)

traduit les effets de ce que l'on appelle pudiquement la

globalisation des marchés, l'oubli par les institutions finan-

cières et les banques centrales des règles prudentielles élémen-

taires, et in fine la tentative des peuples et des états de maintenir

par l'endettement un niveau de vie contracté par un partage

moins inégal.

Il était devenu de bon ton de vivre au-dessus de ses moyens.

C'est ainsi que l'on est passé en quelques mois de l'euphorie à

la panique, de la déraison partagée à l'ajustement généralisé.

Les exemples cruels, entre autres, de l'Islande ou de la Grèce

nous offrent le miroir grossissant du rêve prométhéen et natu-

rellement brisé de consommer bien plus de richesses que l'on

n'en suscite.

Il est temps de revenir sur terre, en se confrontant à nou-

veau aux fondamentaux de l'économie. Cesser de confondre

ses désirs avec la réalité est déplaisant et socialement contrai-

gnant. Les purges n'ont jamais été des parties de plaisir. Vont

en faire l'expérience les États sommés de revenir à une ortho-

doxie budgétaire jetée depuis longtemps « par-dessus les mou-

lins », les consommateurs soumis à la modération salariale et à

des prélèvements accrus, et les systèmes de protection sociale

obligés de contenir leurs coûts. Le tout dans un contexte prévi-

sible de croissance languissante et de morosité ambiante.

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Globalisation et concurrences ; revenir aux fondements 9

Il serait illusoire de penser que le rétablissement de notre

économie viendra d'un retour hypothétique de la croissance.

La crise est structurelle. Les remèdes à ce basculement inédit

depuis cinq siècles des pôles de la puissance et de la vitalité le

seront aussi. Ce qui se passe autour de nous nous invite à une

profonde et drastique révision de nos manières de penser, de

s'organiser et de travailler.

Le paysage placé devant nous n'a rien pour soulever

l'enthousiasme, convenons-en. Ce petit livre n'a pourtant pas

été écrit pour alimenter la mélancolie, et surtout pas celle des

décideurs. D'abord parce que les crises, de quelque nature

qu'elles soient, sont des épreuves, mais aussi des opportunités

de renouveau. Ensuite, parce que le moment actuel est propice

à une réflexion en profondeur sur les ressorts de la réussite

entrepreneuriale. Celle-ci ne dépend pas uniquement de la

conjoncture. Les périodes difficiles accentuent les logiques dar-

winiennes : seules résisteront les entités économiques capables

de surmonter les difficultés, et même de faire de celles-ci des

atouts dans un univers concurrentiel implacable. La seule

manière de ne pas se laisser détruire est de se transformer en

innovant. Seules les logiques offensives permettront d'échap-

per au déclin.

Nous n'avons pas la prétention de donner des recettes

miracles qui n'existent pas, mais de réfléchir sur les conditions

basiques de la réussite, souvent perdues de vue sous l'amoncel-

lement hétéroclite des théories managériales : comment définir

aujourd'hui une gouvernance adaptée aux temps difficiles de

notre présent ?

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10 REPENSER L'ENTREPRISE

- En pratique

Se référer à la boussole client

Dans un tel contexte faut-il renoncer à la performance éco-

nomique ? Certes non, bien au contraire : les bouleverse-

ments en cours sont sources d'opportunités nouvelles. A la

condition expresse d'accepter les réalités telles qu'elles sont.

Ce n'est pas le plus facile puisqu'il s'agit, par définition, de

mettre en cause des « évidences » qui, une fois mises à dis-

tance, n'en sont plus.

Notre monde va d'ébranlement en ébranlement. Mouvements

sismiques de la « Terre-monde » qui s'accompagnent de

répliques plus ou moins fortes. La réponse de bon sens vou-

drait que l'on dispose de constructions antisismiques. Qu'est-

ce à dire ? Que l'entreprise dispose de fondements solides.

Elle doit être pensée, organisée, animée autour de puissants

ancrages.

En système concurrentiel la boussole s'appelle client. Non

pas celui que l'on met en équations ou que l'on interprète à

grand renfort de statistiques. Pas plus celui que l'on cherche

à manipuler à coups de rêves, de promotions, de programmes

de fidélisation1, mais celui parfaitement réel qui se pose la

question de son achat et du choix de son fournisseur. Celui

qui est fidèle parce qu'il a la conviction que venir ici est de

son intérêt.

L'élément nouveau tient à la montée d'exigences fortes

d'authenticité et de cohérence qui acquièrent un peu plus

chaque jour force de loi. Non seulement la performance

Kif-

1. À l'instar de certain distributeur qui, exemple vécu, accorde 0,14 € de remise

sur un prochain achat après que l'on ait déboursé plus de 200 € : comment

le client peut-il interpréter une mesquinerie de cet ordre ? Le reflet assuré-

ment d'une perte de « regard client ».

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Globalisation et concurrences ; revenir aux fondements I 1

—^

« objective » est disséquée et comparée, mais chaque opéra-

tion de séduction est soupesée, évaluée.

Dire ce que l'on fait et faire ce que l'on dit est une contrainte

incontournable. Chacun a en tête un ou plusieurs slogans

d'entreprise qui sonnent creux. L'entreprise proclame « prix »

ou « client » et l'expérience du client lui fait entendre « mani-

pulation » ou « discours ». Les marques de grande consom-

mation le savent bien, qui attachent un intérêt croissant à

l'incarnation de leur entreprise par les hommes et les femmes

au contact de leurs clients.

Les collaborateurs sont, de fait, pris dans la logique interne de

l'entreprise et voient leurs comportements déterminés par les

priorités tangibles, les objectifs réels. Qui dira le rôle commer-

cial des « hôtesses de caisse » ? C'est le fondement de l'action

débutée au sein du groupe Monoprix" avec la conviction que

prise en compte du client et prise en compte des préoccupa-

tions du personnel sont liées.

Des clients qu'il faut donc prendre de plus en plus au sérieux ;

une communication qui ne peut sans risque manquer à

l'authenticité ; des managers, des collaborateurs qui « res-

pirent » les stratégies des dirigeants. L'entreprise est appelée à

une cohérence toujours plus forte. Elle a besoin de savoir de

mieux en mieux ce qu'elle représente aux yeux de ses action-

naires, de ses clients, de ses salariés, de son environnement

social et sociétal. Elle a besoin de savoir qui elle est, quelle est

son identité propre, c'est-à-dire ce qui, dans le changement,

est son invariant, sa référence.

Nous avons besoin, dans une période de mouvement de fond,

de nous repenser. La définition de l'identité qui rend l'entre-

BS3-

1. http://www.dailymc)tion.com/video/xcwl 3g_anne-mercier-gallay-drh-du-

groupe-m_news

Page 18: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

12 REPENSER L'ENTREPRISE

—car

prise unique résulte d'un travail de réflexion sur les traits

caractéristiques d'élaboration de l'offre, mais tout autant de la

volonté affirmée de l'équipe dirigeante : qui nous voulons être,

au-delà des « normes » de prix, délais, qualité qui ont cours sur

le marché1.

Cependant, la définition de « Sa » différence sur le marché ne

garantit pas à elle seule une performance durable. Dans un

contexte en mouvement, il revient à l'entreprise de se donner

les moyens de rester au quotidien à l'écoute, de porter atten-

tion à des signaux faibles d'origines variées : toute l'orga-

nisation est conduite à s'y intéresser et à s'investir dans la

fidélisation et la conquête de la clientèle.

Changement de paradigme : depuis des décennies, l'alpha et

l'oméga de la performance étaient la maîtrise des coûts. Dans

un monde dont les équilibres se modifient, mieux vaut se

préoccuper de vendre avant de songer à être plus productif.

De s'attacher à produire ce que l'on a vendu plutôt que de

chercher à vendre ce que l'on a produit. La capacité à maîtri-

ser les coûts est un passage obligé. L'enjeu primordial se situe

en amont, dans le souci des besoins et des attentes non satis-

faites du client, ainsi qu'Apple nous en propose un exemple

éloquent.

« L'application brutale de l'amélioration de la productivité

prive l'entreprise des redondances et du flou indispensables à

sa résilience : il n'y a qu'un pas du lean management à l'ano-

rexie management. » (Robert Branche, Sociétal, n0 68)

1. À l'exemple d'une entreprise comme Spie Batignolles, « petit » aux côtés de

ses grands concurrents du BTP, qui a développé avec succès une démarche

de type partenariale avec ses clients (offres Présance, Concertance et Perfor-

mance). Est également remarquable la cohérence avec laquelle a été ensuite

conduit le changement culturel, notamment après le rachat de l'entreprise

par ses salariés, www.spiebatignolles.fr

Page 19: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Globalisation et concurrences ; revenir aux fondements 13

Pour aller plus loin

Le Nouveau Monde industriel

« Toutes les entreprises se veulent désormais agiles, antibureaucra-

tiques. Toutes sont censées favoriser le travail en équipe, traquer les

déficits de communication, valoriser les talents et l'autonomie de cha-

cun. Le mimétisme des dirigeants et le rôle normalisateur et normatif

des grands cabinets de consultants accentuent ce sentiment de conver-

gence. Mais, lorsqu'on observe les formes concrètes d'organisation, il

apparaît que nous sommes entrés dans l'ère du divers et de l'expéri-

mental. Il n'y a plus de modèle organisationnel central comme l'a été

le taylorisme au cours de la seconde moitié du XXe siècle. »

Pierre Veltz, Le Nouveau Monde industrie^ Gallimard, 2008.

Les Transformations silencieuses

« Les transformations sont ainsi silencieuses non pas seulement par

leur mode d'avènement, parce qu'elles sont infiniment graduelles,

non pas locales mais globales, à la différence de l'action... Pas non

plus parce qu'elles ne se laissent pas saisir par notre outil logique dis-

tribuant des déterminations en chaîne... Elles sont silencieuses de

façon plus insidieuse tenant à notre usage même du langage, parce

que nous isolons les unes des autres les déterminations opposées. »

François Jullien, Les Transformations silencieuses, Grasset, 2009.

Questionnement

• Le changement du « centre de gravité » du monde écono-

mique a-t-il eu, a-t-il des conséquences pour notre entre-

prise ? Lesquelles ?

• L'identité de l'entreprise est-elle claire aux yeux de nos clients,

de nos concurrents, de nos collaborateurs, de nos mandants ?

• Sommes-nous attentifs aux signaux faibles de notre environ-

nement ? Comment ? Avec quelle efficacité ?

Page 20: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

14 REPENSER L'ENTREPRISE

Réflexion personnelle

Page 21: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

INCERTITUDES ET INATTENDU :

PRENDRE LE PARTI DE L'INITIATIVE

Il devient, dans le contexte que nous avons sommairement

rappelé, de plus en plus malaisé de tracer des stratégies de

long terme. L'environnement est mouvant, les retournements

fréquents, la pression concurrentielle évolutive et multiforme,

les tendances de consommation en perpétuel mouvement

comme le sont aussi les canaux de distribution. Naviguer à vue

entre les récifs révèle les piètres marins et les grands capitaines,

ceux qui s'avèrent capables d'agir à la fois sur les objectifs du

temps long en évitant les périls de l'immédiat.

Parallèlement, les exigences à l'égard des responsables

s'avèrent de plus en plus fortes, parfois contradictoires : action-

naires ou mandants, fournisseurs ou partenaires, environne-

ment public, imposent de nouvelles demandes et rehaussent le

niveau des attentes. Il faut être écologiquement et socialement

responsable, éthiquement irréprochable, tout en étant de plus

en plus profitable.

La remarque du philosophe Alain est d'une brûlante actua-

lité : « Le métier de chef est difficile et dangereux pour le chef. »

« À quoi reconnaît-on l'homme de la situation ? » deman-

dait récemment l'auteur de ces lignes à un grand chef d'entre-

prise, subtil connaisseur de l'économie mondiale.

« À sa capacité à maîtriser les données de l'environnement

local aussi bien que planétaire, à propulser une dynamique

dans son entreprise qui force les barrages de l'inertie, j'ajouterais

Page 22: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

16 REPENSER L'ENTREPRISE

son aptitude à saisir le moment propice pour engager les

grandes inflexions. Je dirais aussi qu'il doit être à même d'inter-

préter le monde sans garder les yeux rivés sur les chiffres de son

entreprise. »

L'essentiel est formulé en peu de mots. Le responsable est

aujourd'hui un adaptateur et un traducteur. Conduire signifie

étymologiquement diriger, mais aussi porter un courant ou

une énergie, dans le sens que revêt le terme matériau conduc-

teur. Celui qui dirige reçoit et transmet à vitesse accélérée dans

les circuits opérationnels les mouvements qu'il a saisis, les

intuitions qu'il a perçues. En ces temps d'accélération des pro-

cessus et de maturations ultrarapides, les temps de réaction

imposés sont courts. Toute structure doit aujourd'hui s'organi-

ser pour mettre en oeuvre sans tarder les inflexions nécessaires.

Agir efficacement sans précipitation ni aveuglement, mais avec

maîtrise et détermination. La procrastination porte en elle des

dangers inédits. Les retards à l'allumage peuvent être fatals. La

conséquence, c'est qu'il importe de mettre en place des organi-

sations souples, intelligentes (capables de comprendre vite les

enjeux et les modes opératoires), réactives, qui sont à même de

répondre dans des délais très brefs aux stimulations de l'envi-

ronnement et du marché.

Cette injonction peut paraître évidente. La réalité est

beaucoup plus complexe. Un chef génial ne serait rien sans

la qualité de mouvement des troupes qu'il dirige, sans la

rapidité et la loyauté des réactions de ses collaborateurs.

C'est à ce point qu'intervient la nécessité d'un management

adapté aux conditions de navigation dans un environnement

difficile.

Page 23: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Incertitudes et inattendu ; prendre le parti de l'initiative 17

- En pratique

Avoir l'intelligence de l'essentiel

Le dirigeant ne peut plus être celui qui « sait » par avance et

dont l'intelligence supplée en tant que de besoin aux aveugle-

ments de ses subordonnés. Comment, dans les turbulences

permanentes, juger des inflexions nécessaires et agir ?

La réponse réside dans une « intelligence économique », autre-

ment dit dans la capacité à capter et à interpréter les messages

qu'envoie l'environnement. Savoir entendre que tel client a

réagi, a émis un souhait, a fait tel commentaire sur un concur-

rent, a renvoyé telle livraison. En même temps, repérer les

dysfonctionnements internes qui obèrent la performance et y

porter remède... C'est-à-dire faire appel au quotidien à une

ressource très sous-employée de l'entreprise, son « capital

humain ».

Pourquoi cela n'est-il pas plus naturel ? Semble-t-il parce que

l'entreprise continue à privilégier un mode de fonctionne-

ment « vertical » qui va à l'encontre de l'autonomie de réflexion

et d'action. Avec un langage explicite — ou plus souvent

implicite — de « faites comme je vous ai dit », le management

inhibe ou limite la capacité à faire preuve d'initiative et de

créativité.

L'avènement de l'entreprise apprenante (ou auto-adaptative),

passe par l'éducation des salariés à un « savoir être ensemble »

qui concerne les individus tout autant que la communauté

qu'ils constituent.

Serait-ce un problème de formation ? Mais précisément, la

« formation traditionnelle » porte dans son appellation sa

limite : former c'est donner une forme ; le contraire de la défini-

tion attribuée à Aristophane, « non pas remplir un vase, mais

allumer un feu ». Apprendre à apprendre pour apprendre à inno-

ver. Il conviendrait, à ce propos, de repenser la « formation »

Page 24: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

18 REPENSER L'ENTREPRISE

—'sr

et, au-delà d'une dimension technique, de lui conférer une

dimension supplémentaire de « transformation ». Recourir à

une méthodologie qui, à la fois, enrichisse de contenus et

appelle la personne à s'ouvrir à la nouveauté. C'est l'essence et

l'objectif de la méthodologie proposée dans cet ouvrage.

Le processus d'appel à l'intelligence et à l'initiative suppose

de reconsidérer les habitudes « hiérarchiques », les comporte-

ments définis en obligation de moyens. L'objectif de l'appren-

tissage de l'innovation permanente passe par le développe-

ment de l'autonomie responsable des managers et des

salariés.

Cela suppose de s'interroger sur les degrés de liberté laissés aux

individus et d'accréditer le droit à l'erreur comme contrepartie

de la prise de risque. L'exploitation de gisements d'initiative et

de créativité qui ne demandent le plus souvent qu'à s'exprimer

demande par ailleurs à être inscrite dans les organisations et les

modes de fonctionnement.

L'attention doit dès lors se porter sur les « déterminants de

comportement » au sein de l'entreprise. Les processus RH,

mais bien plus prosaïquement la forme de tout tableau de

bord déterminent des comportements. Il est temps de se

rendre compte à quel point le caractère « objectif » des chiffres

masque leur effet sur les hommes, « Dis-moi comment tu me

mesures, je te dirai comment je me comporte. » Au-delà ou

avant les chiffres, d'autres déterminants de comportement

jouent un rôle majeur : exemplarité, authenticité du diri-

geant, de l'instance de direction sont en l'occurrence des

paramètres au moins aussi importants que les tableaux de

contrôle de gestion.

Le chantier des déterminants de comportement doit être

mené de front avec celui d'une culture de l'initiative et de la

créativité, notions qui relèvent du développement personnel.

Le point focal de ces chantiers est probablement l'encadre-

isr —

Page 25: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Incertitudes et inattendu ; prendre le parti de l'initiative 19

—'sr

ment de premier niveau. Parce qu'il se situe à cet endroit par-

faitement stratégique où l'on perçoit les phénomènes et

signaux sans déformation. Parce qu'il a été souvent négligé,

laissé pour compte alors que la mutation vers l'entreprise

apprenante ne saurait se concevoir sans lui.

Changement de paradigme : non plus des salariés « au service de

l'intelligence de l'équipe dirigeante», mais des collaborateurs-

acteurs impliqués dans le projet d'entreprise. Animés par un

management déterminé à faire appel au potentiel de valeur

ajoutée que porte en lui chacun des collaborateurs dont il

assume la responsabilité.

Il était logique que le capital financier ait été mis en exergue,

ait été placé au centre des priorités. Il était rare. Ce qui vient

est différent : avec l'ébranlement de la mondialisation, la res-

source rare devient l'intelligence. Prendre conscience que per-

formance et réactivité reposent sur l'expression des talents est

une urgence.

Une démarche utopique ? Tout prouve le contraire. Parmi

d'autres exemples, tel sous-traitant automobile d'importance

mondiale s'attache à la compréhension en profondeur des

contraintes et des attentes de ses clients :

• Quelles sont les exigences de l'encadrement de premier

niveau des clients, qui est en fait l'utilisateur final ?

• Quels sont les besoins des clients de mon client ?

• Quelles diversifications sectorielles articulées sur nos

savoir-faire peuvent nous permettre de préserver l'emploi

à terme ?

• Quel est le temps à consacrer à ces tâches « non productives

et prioritaires » ?

• Quel temps libre laisser à mes collaborateurs pour échanger,

imaginer, créer, tester ?

csr —

Page 26: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

20 REPENSER L'ENTREPRISE

—nar-

Cela ne va pas de soi. Une enquête récente met en évidence

l'ampleur du changement1 : comment sensibiliser et impli-

quer lorsque plus de 30 % des salariés ont le sentiment de ne

pas être écoutés par leur hiérarchie, lorsque plus de 40 % des

cadres supérieurs de grands groupes disent ne pas comprendre

la stratégie ou ne pas y adhérer ?

Pour aller plus loin

Freedom Inc

B.M. Carney est journaliste au Wall Street Journal et Isaac Getz est

professeur à l'ESCP. Leur ouvrage raconte une série d'interviews

dans des entreprises qui ont plus de croissance, plus de résultats

que les autres. La « clé » est simple : laisser la liberté aux salariés.

Leur donner le sens et « laisser faire », c'est-à-dire voir les résultats

venir. Les entreprises passées en revue, de toutes tailles, opèrent

dans des secteurs variés : Lavi-Londerie, Harley Davidson,

Goretex... L'ouvrage est nourri, outre les interviews, de nom-

breuses références aux concepts managériaux. II est structuré pour

mettre en évidence de façon pédagogique les ressorts et les ques-

tions/réponses aux objections « naturelles » du lecteur. Les lignes

directrices sont claires, et, en contrepoint, le changement culturel

requis chez les dirigeants : ne plus prétendre tout savoir, tout déci-

der et tout contrôler. Une leçon de cohérence à grande échelle.

Brian M. Carney et Isaac Getz, Freedom Inc. Freeyour employées

and let them lead your business to higher productivity, profits and

growth, Crown Business, 2009.

Empreintes sociales

Neuf dirigeants venus d'horizons variés (intérim, chimie, électro-

nique, conseil, Internet...) et une conviction commune, celle que

la performance est le fait des hommes et que seul un regard de

1. Enquête WOV!Le Monde, 8 juin 2010.

Page 27: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Incertitudes et inattendu ; prendre le parti de l'initiative 21

long terme peut prendre en compte une telle réalité oubliée, pas-

sée sous silence ou, le plus souvent, laissée délibérément de côté. Il

y a urgence, nous disent les auteurs. La richesse de Touvrage tient

pour beaucoup à la diversité des expériences, des regards et de la

façon dont chacun a incarné dans son entreprise la conviction

qu'ils partagent.

Philippe Carli, Jean-Pierre Clamadieu, Françoise Gri, Pierre

Kosciusko-Morizet, Christian Nibourel, Bruno Rousset,

Françoise Séguineau, Arnaud Ventura, Martin Vial, Empreintes

sociales. En finir avec le court terme, Odile Jacob, 2011.

La Fatigue des élites

« L'explosion des organisations traditionnelles s'est faite autour de

l'exigence accrue de qualité et de réduction des coûts. Cette logique

a pu devenir obsessionnelle et a pu parfois se substituer à toute

autre vision stratégique jusqu'à faire oublier la notion même de

croissance. Les entreprises ont pu ainsi devenir défensives :

downsizing, reengineering, rightsizing et nombre de concepts

managériaux à la mode conduisent à l'entreprise anorexique,

l'amélioration à court terme du résultat d'exploitation amenant de

nouvelles réductions d'effectifs jusqu'à remettre le cas échéant en

cause l'existence même de l'entreprise. Un des résultats est en effet

de ne plus rien avoir à offrir de positif à ceux que l'on emploie. »

François Dupuy, La Fatigue des élites, coll. « La République des

idées », Le Seuil, 2003.

Questionnement

• Procédures et règles de fonctionnement laissent-elles place à la

réflexion individuelle ?

• Quelle est la liberté d'expression à tous les niveaux ? Qu'est ce

qui peut l'entraver ?

• Quel est le rôle du contrôle de gestion ? Quels sont les détermi-

nants du comportement des managers, des collaborateurs ?

Page 28: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

22 REPENSER L'ENTREPRISE

Réflexion personnelle

Page 29: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

CRISE : OUVRIR DE NOUVELLES PERSPECTIVES

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II

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Qu'est-ce qu'une crise, au fait ? Le mot grec krisis est issu

du vocabulaire médical. Il indique le moment le plus

intense de l'accès aigu d'une affection, le point où les décisions

fondamentales doivent être prises. Le terme s'est ensuite appli-

qué à d'autres situations, assimilables au paroxysme d'une

affection physique. La crise figure ainsi un moment décisif, un

épisode charnière. Le terme « moment » est issu d'ailleurs du

latin momentum, soit le poids qui, jeté sur un plateau, fait

pencher d'un côté ou de l'autre le fléau de la balance.

Page 30: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

24 REPENSER L'ENTREPRISE

La crise est donc l'instant où une situation bascule, un

point de dislocation qui met à mal l'équilibre des réalités ; le

franchissement d'une ligne suite au carambolage d'effets

contraires. La crise nous transporte dans le chaos et la dis-

continuité. Elle peut se comparer au phénomène d'entropie

décrit par les thermodynamiciens : un état de désordre crois-

sant d'un système quand celui-ci ne fait qu'évoluer vers un

autre état de désordre accru. Schéma auquel correspondent

les manifestations d'une grande dépression économique,

mais aussi au désarroi psychique défini aussi par le mot

« dépression ».

La crise, c'est là son paradoxe, ouvre aussi des perspectives

inédites que saisiront ceux dont la clairvoyance permettra de

les discerner. Elle est à la fois clôture et ouverture, chance de

transition vers une période nouvelle, à mi-chemin d'un monde

qui s'achève et d'un autre qui éclôt. « La configuration d'un

nouveau monde », écrit Hegel, né d'un insensible émiettement

de celui qui le précédait. Une agonie convulsive mêlée des pré-

misses d'une résurrection.

Nous en revenons ainsi logiquement à l'acception médi-

cale originelle : la crise est par excellence le moment char-

nière où tout se dénoue, soit vers un sort fatal ou vers

l'ouverture d'un chapitre inédit. Elle est le lieu de toutes les

bifurcations, quand et où impérativement des décisions

doivent être prises, afin que s'élabore une phase nouvelle et

que le changement s'impose. Le changement, que les Grecs

et le Français savant nomment « métabole » (le change-

ment, mais aussi le déplacement). C'est parce que les

termes de l'équation stratégique se sont déplacés qu'il faut

procéder aux ajustements (ajuster, c'est mettre en accord,

adapter A une forme nouvelle). C'est le moment de faire

bouger les lignes, d'initier les changements de cap, d'instau-

Page 31: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Crise ; ouvrir de nouvelles perspectives 25

rer un nouveau souffle, de susciter de nouvelles communau-

tés d'intérêts.

Entrer en crise, donc pénétrer le domaine du fluctuant et du

mouvant, oblige plus que jamais à ouvrir sa réflexion pour

affronter l'accélération des processus dynamiques, en accep-

tant face à l'intensité du danger de toucher à ce que l'on consi-

dérait hier comme intouchable. En fait prendre des risques en

transformant points de vue et cultures pour accompagner la

mutation, donc anticiper le nouvel ordre des choses en se fon-

dant dans ce qui l'annonce. Le charme des crises, c'est de briser

les tabous pour choisir les voies radicales (qui vont jusqu'à LA

RACINE DES MAUX).

En ce sens, la crise n'est pas seulement rupture, effondre-

ment ou catastrophe. Elle est aussi l'opportunité d'une régéné-

ration dont il appartient au leader de la formaliser et de la

conduire.

Celui qui mérite la fonction de direction sait en effet choisir

l'instant propice. Il voit l'occasion favorable, lorsque la conjonc-

tion des événements permet d'agir en conformité avec les inté-

rêts qu'il défend. Ce qui caractérise le chef, selon les Grecs,

s'appelle la capacité à saisir le kairos, c'est-à-dire l'instant oppor-

tun que rien a priori ne permet de reconnaître, où il importe

d'agir, quand rien ne peut tolérer l'hésitation, les tergiversations

ou le retard. Dans L'Iliade, le kairos désigne l'endroit vulné-

rable de l'ennemi où porter ses coups. Le terme passe ensuite

du spatial au temporel. Ce que nous appelons le créneau, la

fenêtre de tir, la conjonction de l'action et du temps pour frapper

juste, ni trop tôt ni trop tard. Sans précipitation ni hésitation.

Le kairos est l'instant où se renversent les situations, le

moment fugace où tout se décide, que les Allemands appellent

wendepunkt, les Anglais turningpoint, passé lequel rien ne sera

pareil, en pire ou en mieux.

Page 32: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

26 REPENSER L'ENTREPRISE

Le bon dirigeant est ainsi simultanément celui qui voit de

loin (le stratège) et celui qui sait saisir l'occasion offerte avant

qu'elle ne disparaisse (le tacticien). Flair, opportunisme ? Un

peu, mais bien plus qu'une manigance pour profiter d'une

chance poussée par le hasard. Rien d'aléatoire dans cet art de

provoquer les retournements, particulièrement dans le

paroxysme des tensions, au plus fort de la crise. Une façon

de jouer son destin à quitte ou double, comme César fran-

chissant le Rubicon ou de Gaulle rejoignant Londres en

1940.

Cette évocation du kairos nous amène à définir ces deux

qualités premières du dirigeant que sont l'esprit de discerne-

ment et la capacité de décision. Discerner, c'est étymologique-

ment séparer, mettre A part, pour distinguer les diverses

composantes d'une situation. Décider (de-caedere), c'est tran-

cher. Comme risquer (re-secere) c'est enlever quelque ceiose

en le coupant. Couper les liens anciens, se défaire des nœuds.

Point d'indécision dans l'incertitude. Attendre seulement le

moment, et le saisir.

La crise offre une formidable opportunité : celle de

dénouer.

— En pratique

Rendre fertile l'incertitude

Voir dans une crise une opportunité n'est pas naturel à la

pensée occidentale. Sans doute parce que celle-ci, s'articu-

lant sur la dialectique et la comparaison, peine à concevoir

l'union des contraires. À l'inverse de la pensée chinoise qui

fait cohabiter Ying et Yang. La crise peut alors se transformer

en opportunité. La contrariété, passé le premier mouvement

de rejet pour « non-conformité à ce qui était attendu »,

kit —

Page 33: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Crise ; ouvrir de nouvelles perspectives 27

devient occasion d'adopter un autre regard, de rechercher et

retenir ce qui nous renforce plutôt que ce qui nous abat.

Sans doute faut-il situer là également notre difficulté à

admettre la richesse intrinsèque que porte la différence. C'est,

dans la période actuelle, un enjeu pressant. Nous sommes

tous déterminés par nos préférences comportementales, nos

émotions, notre inconscient. Accepter un regard différent du

nôtre est de ce fait un enrichissement. Ce n'est pas un réflexe

naturel dans nos modes de fonctionnement où l'évaluation

par rapport à des normes préétablies constitue le critère déter-

minant.

Cela explique la difficulté à manager par le positif : le compli-

ment n'est pas naturel et l'appréciation est, la plupart du

temps, constituée d'abord des « lacunes à corriger ». Comme

s'il existait une échelle implicite d'excellence à laquelle tout un

chacun devait se conformer. Vision qui appauvrit, et aboutit à

négliger les talents et potentialités que chacun recèle.

Tout ceci, on le voit, constitue en définitive un réseau serré qui

inhibe la réflexion et l'action autonome. Mettre à profit la

diversité des parcours, des caractères et des aptitudes apparaît

comme un changement culturel profond. II ne saurait se

décréter. La seule façon de le faire advenir est, pour l'équipe

dirigeante, de l'inscrire dans ses préoccupations comme dans

ses pratiques, en gardant à l'esprit qu'exemplarité et essaimage

sont les ressorts du changement structurel.

La « crise » est, de ce point de vue, une opportunité. Où a-t-on

pu voir, en effet, les conversions culturelles les plus rapides

sinon dans les situations critiques ? Créer des ruptures peut, de

façon concrète, contribuer puissamment aux prises de

conscience. Il restera à construire la démarche et à bâtir les

repères qui amèneront le changement de regard et les modifi-

cations de comportement. Il faudra, au passage, abandonner

résolument les dispositions à « faire comme avant ».

uar —

Page 34: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

28 REPENSER L'ENTREPRISE

L'exemple du développement durable éclairera le propos. Il est

en effet deux manières de le prendre en compte. La première,

purement formelle, se limite au respect de normes qu'il faut

intégrer dans le fonctionnement quotidien. Elle se traduit par

l'édiction de règles et l'instauration de contrôles nouveaux. La

seconde, beaucoup plus exigeante, correspond à l'intégration

du concept dans les façons de penser et les manières de se

comporter. C'est un état d'esprit qui irrigue l'entreprise tout

entière, transparaît à l'extérieur et s'intègre à son identité. Dans

les deux cas l'entreprise est « labellisée ». On conçoit que le label

n'ait pas tout à fait la même signification.

Il en est de même dans le domaine de l'éveil des talents et des

intelligences : quitter le domaine du seul verbe, des incantations

pour conférer des degrés de liberté, encourager la créativité,

manager par la confiance et le positif.

La « crise » est une opportunité pour opérer une mutation de

cette nature tout en élevant le niveau des exigences. Viser plus

haut en affirmant sa confiance dans les hommes. S'il est un

moment où faire le pari des hommes, c'est lorsque l'horizon

s'obscurcit, que l'intelligence isolée ne discerne plus claire-

ment ce qui nous attend. Prendre des risques parce que ceux

de l'immobilisme seraient plus grands encore. On ne peut res-

ponsabiliser sans donner des responsabilités.

Page 35: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Crise ; ouvrir de nouvelles perspectives 29

Pour aller plus loin

Les Employés d'abord

Vineet Nayar est P-DG de H CL Technologies Ltd (60 000 per-

sonnes, chiffre d'affaires 2 600 M€). L'ouvrage raconte comment,

en se focalisant sur la création de valeur pour le client, l'entreprise

a, en quatre ans, multiplié par trois activité et résultats, la traversée

de la « crise » réduisant sa progression à 20 % l'an. Ces éléments

chiffrés crédibilisent le pari sur les hommes dont Vineet Nayar

fait le récit, fondé sur la confiance dans la capacité et la motivation

de l'ensemble des salariés, ceux qui « créent la valeur pour le

client ».

Une histoire « incroyable » et pourtant marquée de bout en bout

au coin du bon sens et de la cohérence : si c'est le salarié en

contact avec le client qui « crée de la valeur », alors l'entreprise

doit être à son service. Il faut en finir avec l'approche « comman-

dement et contrôle » et avec la culture de l'excuse : les fonction-

nels sont au service des opérationnels ; le management est au

service des créateurs de valeur, les créateurs de valeur se préoc-

cupent d'améliorer le résultat du client, et le PDG est au service

de l'ensemble de ses collaborateurs. Non pas simplement des

mots, mais une réalité conquise en s'appuyant sur la transpa-

rence, la bonne volonté, fexemplarité, la confiance affirmée.

N'opposons plus les intérêts de l'actionnaire et ceux des sala-

riés : HCL Tech Ltd est valorisé 3 000 M€, le double de son

chiffre d'affaires.

Vineet Nayar, Les Employés d'abord, Diateino, 2011.

Le Capitalisme est en train de s'autodétruire

Patrick Artus est le directeur des études économiques de la Caisse

des dépôts et consignations. En collaboration avec Marie-Paule

Viard, il livre, sous une forme très synthétique, ses conclusions sur

le fonctionnement de l'économie et des marchés financiers. Le

regard est sans complaisance : la dictature du ROE que font régner

des analystes et responsables de fonds est fondée sur le mimétisme

Page 36: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

30 REPENSER L'ENTREPRISE

et non sur les réalités économiques. Cela conduit les entreprises et

leurs dirigeants à une myopie désastreuse.

Le monde économique perd le sens de son action et de sa justification,

qui est, dans le long terme, d'investir pour créer des richesses. La « reli-

gion » de l'argent vite dégagé de l'activité « tue » la perspective. Cette

attitude est en fait la négation tant des fondements de l'économie que

de sa dimension sociale (« les hommes, moyen et paramètre d'ajuste-

ment en vue du seul objectif du résultat à court terme »).

Ce processus global ne peut que conduire au ralentissement de la

croissance, avec toutes ses conséquences, dont l'affaiblissement

des entreprises elles-mêmes.

Il est urgent de réformer la gestion de l'épargne et d'imposer de

nouvelles règles de gouvernance aux gérants et aux régulateurs

qui, indirectement sont à l'origine de ces déviations de sens.

Patrick Artus et Marie Paule Viard, Le capitalisme est en train de

s auto détruire^ La Découverte, 2003.

Questionnement

• Comment regardons-nous les difficultés ? Comme des dys-

fonctionnements ou comme des opportunités de progrès ?

• Quelles interrogations utiles nous apporte la crise ?

• Comment percevons-nous, vivons-nous la diversité ?

Page 37: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Crise ; ouvrir de nouvelles perspectives 31

Réflexion personnelle

Page 38: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

32 REPENSER L'ENTREPRISE

INTERLUDE

2020 sous les saules

Le texte poétique qui suit est extrait de « 2020 sous les saules », écrit par

Romain Limouzin, qui a été primé par l'Institut de l'entreprise au terme de

son concours de 2010, « L'entreprise en 2020 ».

« J'ai passé toute la nuit à me demander s'il fallait être optimiste. S'il Fal-

lait encore rêver. Si ces pages allaient briller, si elles resteraient dans

l'ombre. Je me suis demandé si du bourbier s'arrachera la conscience, si

de ces crises que l'on traverse dans une barque en Forme de passoire

s'élèveront des vertus dignes de notre siècle. Il me reste quelques heures

pour trancher, quelques minutes pour nous convaincre que demain

peut encore se construire aujourd'hui. Et croire en nous...

... Laisse-toi couler, lapin, et, au fil de l'eau, approche la berge des

herbes folles, des roitelets, des roseaux et des chênes. Si je t'amène

jusque-là c'est pour reprendre comme j'avais commencé : une fable,

voilà ce qui se cache derrière toute histoire, et je veux en relire une avec

toi.

La fin du XXe siècle nous a appris à abandonner le chêne familial, trop

consistant, trop raide, trop porté sur lui-même, pour bâtir des organisa-

tions sur le modèle du roseau. Souplesse, indépendance, adaptation :

tels sont les maîtres mots des entreprises qui réussissent, des entreprises

d'avenir, ouvertes sur le monde et ses changements.

Tu as sauté de l'un à l'autre lapin. Oui nous érigeons des roseaux. Nous

prévenons le risque, nous prônons la flexibilité, nous jouons les

girouettes, nous nous prosternons sans fierté sous le jeu des brises les

plus anodines, du moment que l'on peut en tirer un bénéfice.

S'il faut changer de stratégie, licencier, délocaliser, qu'à cela ne tienne.

Notre vision s'arrête à quelques pas de notre assise. Qu'en est-il du

chêne ? Emblème de force et de sagesse, menacé par les bourrasques de

la crise mais emblème d'un honneur qui seul est admirable dans la tour-

mente. Un arbre qui a ses valeurs, qui n'inclinera pas le front de ses

principes sociaux ni de ses valeurs éthiques, qui taillera le dividende iSr"—

Page 39: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Crise ; ouvrir de nouvelles perspectives 33

i—isr

pour épargner les branches. Une plante dont le projet et les convictions

ne se coucheront pas face à la concurrence ou aux sursauts de la conjonc-

ture. Certes il est orgueilleux notre chêne, mais n'est-ce pas, comme le

disait La Rochefoucauld, que « la vertu n'irait pas si loin si la vanité ne

lui tenait pas compagnie » ? Il sera soufflé dans la pire des tempêtes,

assurément, pour n'avoir pas su se débattre avec légèreté dans les cou-

rants d'un monde qui évolue à grande vitesse. Mais ses feuilles conti-

nueront jusqu'au bout à luire du même éclat fidèle, comme le dernier

sourire du sage qui, malgré la torture ou le poison, sait qu'il a raison et

peut partir serein, dans un élan de stoïcisme que notre société a oublié,

perdue dans les miasmes de l'hyper-communication et l'illumination

béate du faux-semblant.

Bien sûr j'en fais trop lapin, mais c'est pour rendre hommage à celui qui

disparaît malgré un fondement respectable. Et pour réconcilier ces deux

personnages, ces deux visions, autour d'un symbole d'immortalité, je

n'ai pas trouvé mieux que le saule.

Une nouvelle forme organisationnelle

Imagine lapin. Des racines, un tronc robuste, et une multitude de

rameaux, à la fois libres et ancrés. Une adaptabilité autour d'une struc-

ture centrale. Un champ des possibles démultiplié autour de valeurs et

d'objectifs solides. Un foisonnement d'entités assimilables à des petites

entreprises parallèles, reliées entre elles et qui constitueront la grande

entreprise, chacune assurant sa contribution. Une vision, un esprit,

des contributeurs.

Le saule pleureur, voilà la forme de l'entreprise de 2020, qui n'a de triste

que le nom. Une structure qui donnerait plus d'indépendance à chacun

en évitant les doublons d'une hiérarchie trop verticale. Elle restaurerait

également la notion de responsabilité clairement identifiée, sans pour

autant être synonyme de culpabilité...

Contribution et réalisation personnelles

C'est pourquoi l'entreprise de 2020 doit être vue et conçue comme un

projet, même pour le salarié. Son projet. Un de ses projets. Dans ce

sens, le saule est la figure de l'aventure, de l'innovation, du développe-

•Kê3-1

Page 40: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

34 REPENSER L'ENTREPRISE

r—IRT

ment individuel et ce par l'attachement libre à une structure solide.

Dans la société du « sur mesure » - à l'image de la spécialisation des ser-

vices - l'individu aimera pouvoir contribuer plus librement à son pro-

jet...

L'homme rattaché à des valeurs, se réalisant autant que l'entreprise,

travaillant en équipe, multipliant ses contacts et ses expériences,

alliant les atouts de sa vie privée à ceux de sa vie professionnelle,

apportera au tronc sa contribution dans un double but : celui de

l'entreprise et le sien. On retrouve dans cette forme de société aux

frontières mobiles le sens concret d'entreprendre, l'impératif humain

de réalisation, ainsi que le recours efficace aux nouvelles compétences

et aux réseaux. Le tronc de l'entreprise servira de socle à la stratégie

globale, à la vision durable de l'activité et à la colossale gestion des res-

sources humaines. »

Pour aller plus loin

Comment vivre en temps de crise ?

Un livre d'espoir écrit à deux voix. Edgar Morin fait le constat que

le probable qui se dessine à travers la « crise » est catastrophique.

Mais il note en même temps que le futur n'est jamais joué d'avance,

les exemples abondent dans l'histoire. Les interrogations que sus-

cite la situation du monde poussent à assumer nos contradictions,

à discerner, dans les réalités que nous connaissons les ambiguïtés

et les ambivalences, bref à apprendre à vivre avec l'incertitude et la

complexité d'un monde où les savoirs compartimentés font place

à une pensée globale.

Patrick Viveret livre au lecteur une analyse lucide et sans conces-

sions : la « crise » manifeste la faillite du « modèle DCD,

Dérégulation-Compétition-Délocalisation ». Un modèle dont les

marques de fabrique s'appellent démesure et mal-être. Le remède

y renforce le mal, à l'image d'une drogue. Qu'est en effet la réponse

de la société de consommation au mal-être qu'elle suscite sinon la

consolation... par la consommation ?

Page 41: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Crise ; ouvrir de nouvelles perspectives 35

Nous assistons à la fin du cycle historique de « salut par l'écono-

mie ». Une seule issue : lutter contre la barbarie intérieure qui

habite chacun. Et passer de la question « que faites-vous dans la

vie ?» à la question « que faites-vous de votre vie ? » S'agit-il d'autre

chose que d'une apocalypse qui, étymologiquement signifie

dévoilement ?

Edgar Morin et Patrick Viveret, Comment vivre en temps de crise

Bayard, 2010.

Au risque de gagner

« Il y a une règle absolue en matière de recrutement et de gestion

des ressources humaines. Une entreprise ne peut attirer les talents

que si elle peut prouver qu'ils s'épanouiront mieux chez elle que

chez les concurrents... Les hommes et les femmes de talent ne res-

tent dans une entreprise que s'ils y sont pleinement reconnus et

mobilisés. »

Olivier Lecerf, Au risque de gagner. Le métier de dirigeant,

Éditions de Fallois, 1991.

Page 42: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

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Page 43: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

LE RÈGNE DE L'INDIVIDU : ASSUMER LA DIVERSITÉ

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Chaque responsable aujourd'hui se trouve confronté aux

effets de l'évolution sociétale. Aux transformations de

l'économie correspondent celles de la société, aujourd'hui plus

fragmentée, plus complexe, plus rétive aux formes tradition-

nelles de l'autorité. Ce qui finit de disparaître sous nos yeux en

même temps que la société patriarcale, c'est le mode de pro-

duction taylorien constitué de sujets obéissants voués aux

Page 44: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

38 REPENSER L'ENTREPRISE

tâches parcellaires de l'impératif quantitatif, prisonniers des

processus, écartés de la vision globale des finalités. Tout ce qui

symbolise aujourd'hui un système sclérosé et des cerveaux

nécrosés.

Individu, liberté et autonomie forment le triptyque de notre

société contemporaine. Ce mouvement, à la fois dynamique et

déconcertant, car les règles anciennes étaient contraignantes

mais sécurisantes, atomise les individus en les affranchissant

des anciennes « reliances », vécues désormais comme des sujé-

tions. Le paternalisme et le caporalisme ont vécu. Leurs traces

sont loin d'avoir totalement disparu.

Dans ce contexte, la relation au travail peut accentuer la

mélancolie ambiante ou constituer, selon les choix qui sont

faits, l'antidote à celle-ci.

On ne dirige plus sans associer à un projet ni convaincre

de la pertinence des politiques. L'obéissance ne va plus de

soi. On ne se donne plus spontanément à une cause ou à un

projet collectif. Chacun se prête au gré de ses propres aspira-

tions, de son système particulier et souvent mouvant de réfé-

rences.

L'autonormatif l'emporte sur la soumission à un corps

homogène d'engagements. L'absence de valeurs décisives ouvre

la voie au relativisme et à la précarité des arrimages.

L'individu contemporain exerce son sens critique. Il choisit

ce qui lui convient, ou il s'en détache.

Ce que l'on voit aujourd'hui à l'œuvre dans le couple ou la

famille vaut également pour le milieu professionnel. La rela-

tion contractuelle prévaut sur les engagements construits sur la

durée. Les fidélités sont devenues précaires et successives, mais

la quête d'accomplissement personnel demeure intacte. Les

Page 45: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Le règne de l'individu : assumer la diversité 39

devoirs ne valent plus par eux-mêmes, mais par la réciprocité

de service qu'ils entretiennent en les justifiant.

Dans la sphère privée comme dans la relation au travail, les

individus sont en quête d'intensité existentielle. II faut trouver

la cohérence entre la responsabilité dont on est chargé, le sens

dont on la revêt et la satisfaction qu'elle procure. Désenchante-

ment d'un côté, mais de l'autre un formidable besoin d'adhé-

sion, d'authenticité et d'engagement personnel.

La révolution individualiste inaugurée à la fin des années

1970 a profondément transformé la société hiérarchisée,

consolidée par l'adhésion à des grands systèmes éthiques, idéo-

logiques ou religieux. On n'est plus guère dans la ligne du parti

ou du syndicat, ni dans la doctrine de l'Eglise. Dans le vaste

supermarché des valeurs, chacun vient chercher ce qui lui

convient dans l'instant, sans ménager sa défiance à l'égard des

institutions de toutes natures.

On ne met plus en mouvement des énergies sans persuader

ni séduire, sans donner des fondements solides à l'action d'indi-

vidus plus autonomes, mais aussi plus anxieux face à eux-

mêmes et à leur environnement, moins confiants dans l'avenir

personnel et collectif. Les visibilités s'estompent, les perplexi-

tés s'accroissent, mais les attentes demeurent bien présentes.

Encore faut-il les combler. La contestation des expressions clas-

siques de l'autorité exige l'invention de nouvelles formes de

leadership, sous peine de graves dysfonctionnements de nos

systèmes de conception, d'orientation et de décision. Ce qui ne

se régénère pas dégénère implacablement.

Comment, dans la période de transition que nous traver-

sons, apporter les réponses adéquates aux effets de la fragmen-

tation, en d'autres termes créer du lien qui fasse sens pour

produire de l'efficacité ?

Page 46: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

40 REPENSER L'ENTREPRISE

- En pratique

Faire appel aux talents

Si l'on en croit Tocqueville, l'individualisme est une consé-

quence inéluctable de la démocratie. Se pose alors une ques-

tion de fond : comment fédérer et construire du collectif à

partir d'un mouvement qui paraît d'essence centrifuge ?

L'individualisme ambiant serait-il l'ennemi n0 1 de l'entre-

prise ? À cette interrogation s'en ajoute une autre, qui tient au

fait accompli de la diversité : diversité des origines et diversité

des formations, diversité des âges et diversité des cultures.

L'exemple de ce que l'on appelle « génération Y » aidera à illus-

trer les enjeux. Les « jeunes » que l'on range sous cette éti-

quette, nés après 1980, apparaissent beaucoup plus réactifs

que leurs aînés, plus intolérants à la frustration, plus exigeants

à l'égard de la hiérarchie. Une génération qui demande à être

comprise et conquise, qui vit dans un temps plus court, dans

une relation de fidélité inédite à leur employeur. Une attitude

contagieuse, d'ailleurs, auprès de nombre « d'anciens ». Cela

n'empêche pas les « Y » de rester des jeunes, avides de vie et

prêts à se mobiliser.

Tenir compte d'individualités qui « exigent » d'être prises en

compte, faire coexister et collaborer des diversités de toute

nature suppose des qualités affirmées d'écoute de la part du

management.

L'édition 2010 des Espoirs du management1 est riche d'ensei-

gnement à cet égard. Deux nominés ont en effet présenté des

Kif

1. L'ambition est de primer les initiatives managériales qui réunissent trois

caractéristiques : concourir à la performance, apporter aux hommes, pou-

voir être transposées, www.lesespoirsdumanagement.com

Page 47: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Le règne de l'individu : assumer la diversité 41

—^

dossiers fondés sur l'intégration et la « révélation » des

talents. Le lauréat (Azro) se veut « une entreprise citoyenne

dont le projet est d'initier et de former aux métiers du

bâtiment des publics en difficulté ». Coca Cola Entreprise

a, quant à lui, témoigné du succès de l'intégration de

demandeurs d'emploi issus de quartiers en zone urbaine

sensible.

Dans le domaine du souci de la diversité et de l'intégration

culturelle, un groupe comme Paprec1, lauréat 2011, est exem-

plaire d'une démarche volontariste et porteuse de perfor-

mance.

Le souci des personnes a un impact direct sur la fidélisation

des collaborateurs alors que la compétition pour le recrute-

ment des talents s'intensifie. En intégrant dans les politiques

un coût du turn over extrêmement élevé, il s'agit, pour garan-

tir la performance future, d'acquérir la maîtrise d'un mouve-

ment permanent des salariés, en premier lieu de ceux qui sont

les plus qualifiés.

Tout cela implique une hiérarchie beaucoup plus avertie et

plus proche pour déceler, valoriser et prévenir. Cette proxi-

mité, avec la finesse d'analyse et de réaction qu'elle suppose,

ne va pas de soi. Se pose ainsi la question de la maturité

humaine d'un encadrement de premier niveau sous pression

cg3 —

1. Chiffre d'affaires 2010 400 M€, 2 300 personnes. Le groupe Paprec est

devenu en une quinzaine d'années un des grands acteurs du recyclage, www.

paprec.com

Page 48: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

42 REPENSER L'ENTREPRISE

—csr

et appelé à manager des populations aux préoccupations et

exigences très diverses.

« Chaque manager doit être réinvesti d'une mission : le déve-

loppement de la qualité des relations humaines dans l'entre-

prise. C'est le rôle social du manager qui nous semble devoir

être mis en avant comme le facteur déterminant de la perfor-

mance des organisations de plus en plus complexes qui sont

les nôtres. » (Jean-Luc Placet, Sociétal, n068, 2010)

Une telle orientation permet d'inverser les termes de la pro-

blématique. S'enrichir d'une diversité de fait. Apprendre à la

structure managériale à identifier les talents et à en tirer profit.

Concilier analyse rationnelle des contraintes et souci de

l'humain. Faire travailler ensemble les visionnaires créatifs et

ceux qui sont attachés au respect des règles. L'entreprise du

futur bâtira sa performance sur la richesse des diversités, des

attitudes et des parcours. Transformer les oppositions en

complémentarités créatrices.

Pour aller plus loin

L'Entreprise réconciliée

« Les quatre principaux registres de la satisfaction dans le travail

sont très classiques. Il s'agit avant tout de la qualité des relations

avec les collègues, la hiérarchie, les clients et les fournisseurs

internes ou externes. L'enquête montre l'importance de se sentir

bien avec les autres, d'être "reconnu à sa juste valeur", d'être

écouté. Vient ensuite le sentiment d'utilité. Après seulement

arrive la satisfaction liée aux activités elles-mêmes.

Trois items récurrents liés au bonheur sont, en effet, le sentiment

de "faire un métier que n'importe qui ne pourrait pas faire ", celui

Page 49: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Le règne de l'individu : assumer la diversité 43

de "faire des choses qu'on ne pourrait pas réaliser autrement que

dans son travail" ou de "faire des choses qui restent". Enfin

s'exprime la satisfaction liée à la découverte. »

Jean-Marie Descarpentries et Philippe Korda, L'Entreprise

réconciliée, Albin Michel, 2007.

La Machine à trier

Les auteurs sont enseignants et chercheurs. Avec rigueur et luci-

dité, ils « démontent » le système français d'éducation qui conduit

à l'échec une part importante de sa jeunesse. À force d'idéologie,

d'éloignement des réalités. Parce que le parti pris d'élitisme est

une illusion. Parce que l'école est loin, beaucoup trop loin de

l'économie. Une remise en cause salutaire, qui met en évidence la

nécessité de faire sauter des verrous : verrous techniques, verrous

intellectuels, verrous politiques. Un ouvrage simple, clair, urgent

pour préserver les fondements d'une démocratie qui exclut à

grande échelle.

Pierre Cahuc, Stéphane Carcillo, Olivier Galland, André

Zylberberg, La Machine à trier, Eyrolles, 2011.

Questionnement

• Évaluons-nous le coût de notre turn over ?

• Notre management est-il formé à appréhender la diversité ? À

identifier et valoriser les talents ?

• Notre gestion des ressources humaines prend-elle en compte de

manière spécifique la « génération Y » ? Avec quels résultats ?

Page 50: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

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Page 51: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

DÉFIANCE ET REPLI SUR SOI :

OSER LA CONFIANCE

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Une entreprise, un service, une administration, comme la

société tout entière qui les englobe, ne peuvent efficace-

ment fonctionner qu'à la condition que ses membres vivent

dans un minimum de concorde et d'intelligence.

Page 52: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

46 REPENSER L'ENTREPRISE

Or, comme le démontrent des études récentes et concor-

dantes, la France contemporaine se caractérise par un haut

degré de défiance mutuelle1. A la question, posée dans une

vingtaine de pays : « peut-on faire confiance aux autres ? », la

France arrive en avant dernière position, juste avant la Turquie.

Seul un Français sur cinq aborde ses concitoyens dans un esprit

de confiance préalable, contre près de 70 % pour les Norvé-

giens ou les Suédois.

De quoi se méfient les Français ? À peu près de tout. Les

divergences l'emportent largement sur les convergences, les

antipathies sur les empathies. Des enquêtes plus précises

révèlent qu'ils n'éprouvent aucune confiance envers les insti-

tutions, les élus, le marché, la concurrence, et bien évidemment

l'entreprise, les syndicats et les employeurs. Contrairement à

nos principaux concurrents, les Français se caractérisent par un

profond pessimisme à l'égard de leurs concitoyens, de leur

environnement, et plus largement du monde qui les entoure,

jugé agressif, peu cernable et dangereux. Ils n'accordent que

peu de crédit (le mot crédit est issu du latin credere qui signifie

croire en quelque chose ou en quelqu'un) aux corps intermé-

diaires censés les représenter et les défendre.

Nous retrouvons là le cliché du Français râleur et frondeur,

mais aussi l'image d'une société anxiogène et repliée sur

elle-même, à l'heure, et ce n'est sans doute pas un hasard, où

se produisent de nombreux bouleversements économiques,

technologiques et géopolitiques autour d'elle. Comparée à

d'autres puissances, la France donne l'impression d'entrer dans

l'avenir à reculons et déprimée.

1. Yann Algan et Pierre Cahuc, La Société de défiance. Comment le modèle fran-

çais s auto détruit, coll. « Cepremap », Éditions Rue d'Ulm, 2007.

Page 53: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Défiance et repli sur soi : oser la confiance 47

Cette tendance traduit aussi l'attitude rétive de nos conci-

toyens à l'égard du marché, et leur souci de préserver au maxi-

mum services publics et économie administrée. L'appel à l'Etat,

arbitre neutre, tutélaire et protecteur, constitue la contrepartie

logique du déficit de confiance interne. L'ambiance française

n'est guère propice à l'effacement de la puissance publique

devant les acteurs privés. Comme le définissait son premier

théoricien, Adam Smith, en 1739, le libéralisme a besoin de

confiance réciproque et d'identification aux autres pour fonc-

tionner {The Theory of Moral Sentiments, 1759), soit exacte-

ment le contraire de ce que nous observons dans les opinions

majoritaires de notre pays. Au contraire, tout le système insti-

tutionnel et économique des Etats-Unis est construit autour

du thème fondateur de la confiance {trust).

La défiance ne gangrène pas seulement les relations inter-

personnelles et professionnelles, elle conduit aussi naturelle-

ment à des manifestations d'incivisme, mêlant attitudes

individualistes et contournement des règles, et à une forte insa-

tisfaction individuelle et collective.

Au questionnaire portant sur « Trouvez-vous injustifiable

de demander indûment des aides publiques, ou de solliciter

des congés maladie sans raison ? », la France arrive en dernière

position du panel des pays industrialisés. 37 % des Français

interrogés trouvent ces procédés condamnables, contre 88 %

des Suédois et 75 % des Américains. Chacun pour soi, et vive

la débrouille ! L'intérêt particulier prime sur le collectif, contrai-

rement aux pays jouissant depuis longtemps d'une forte cohé-

sion sociale basée sur le partage de valeurs identiques.

Dans le même ordre d'idées, le test du portefeuille, organisé

dans de nombreux pays par le Reader s Digest (des portefeuilles

sont abandonnés avec 50$ et l'adresse bien en vue de son

propriétaire), démontre que l'objet a cinq fois moins de chances

Page 54: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

48 REPENSER L'ENTREPRISE

d'être rapporté en France qu'en Norvège, trois fois moins

qu'aux Etats-Unis ou qu'au Royaume-Uni.

Se méfier des autres ne rend pas heureux et vice versa. Dans

le cadre d'une enquête sur leur niveau de satisfaction person-

nelle (satisfaction au travail et en famille, sentiment de déprime

et d'anxiété, difficultés à trouver le sommeil), les Français

répondent majoritairement qu'ils sont insatisfaits de leur sort.

Seuls les pays de l'est de l'Europe éprouvent encore plus forte-

ment ce sentiment négatif. Il est à noter que cette déprime col-

lective, révélatrice d'une faible estime de soi et d'un certain

désarroi au niveau des relations interpersonnelles, n'est que très

partiellement corrélée avec le niveau de revenus ou d'éduca-

tion. La mélancolie ambiante est présente dans tous les seg-

ments de la population.

Cette tendance au morose repli ne va guère dans le sens de

l'acceptation des réformes et de l'innovation. Ce qui change est

perçu comme potentiellement périlleux : crainte de voir éroder

les statuts, progresser l'arbitraire et menacer les intérêts indivi-

duels. L'introduction de nouvelles technologies, de nouvelles

relations de travail est perçue comme la menace voilée par les

ruses de la direction d'une augmentation du stress et des sujé-

tions (ce qui n'est pas toujours dénué de fondement...).

La société française manque à la fois de cohésion et d'ouver-

ture au changement. Elle apparaît a priori hostile aux rénova-

tions, même quand celles-ci paraissent indispensables.

Egalitariste par principe, éprise de justice, elle est pourtant

rebelle à ce qui peut remettre en cause les avantages acquis (les

siens plutôt que ceux des autres), les privilèges comparatifs ou

le partage des richesses.

Les relations à l'intérieur de l'entreprise, et plus généralement

du milieu de travail, sont bien évidemment affectées par ces par-

ticularités sociétales. Elles y participent même sensiblement.

Page 55: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Défiance et repli sur soi : oser la confiance 49

- En pratique

Bâtir la performance sur la confiance

Les signes ne trompent pas : pourquoi un recours systéma-

tique à l'arbitrage du niveau supérieur si ce n'est parce que l'on

manque de confiance (confiance en soi ou confiance en

l'autre) ? Qu'est le réflexe d'affirmation de « ses droits » sinon

le signe d'une défiance qui conduit à se réfugier dans la chi-

cane juridique ? Est-ce un hasard si le code du travail national

est un ouvrage aux dimensions et aux complexités telles que

seuls quelques spécialistes s'avèrent capables de le maîtriser, et

la plupart du temps partiellement ?

Le mode de fonctionnement de l'entreprise est lié à une

culture, c'est-à-dire cet ensemble de codes, façons de penser et

comportements qui font que l'on peut « vivre ensemble ».

Certains de ses éléments peuvent se révéler bloquants et nous

avons tous des exemples d'entreprise ou de collectivités

humaines accablées de problèmes apparemment insolubles

faute de remettre en cause des « croyances cachées ». Pensons à

quelques échecs récents de grande envergure, que ce soit en

matière de finance, de transport aérien ou d'automobile.

La France mérite, de ce point de vue, un commentaire particu-

lier. Parce que la conviction de l'importance d'une élite fait partie

de l'inconscient collectif, parce que l'importance de la raison

sous-tend les décisions, le système éducatif, plus qu'ailleurs,

exclut ; les métiers manuels sont peu valorisés. À tel point qu'un

économiste a pu parler de « capitalisme d'héritiers »' et un socio-

logue, parlant du système éducatif, de « machine à trier2 ».

csr —

1. Philippon.

2. Cahuc.

Page 56: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

50 REPENSER L'ENTREPRISE

—^

Illustration de la difficulté à « bouger dans sa tête », notamment

lorsqu'elle a été façonnée par l'intellect. Est-ce un hasard si notre

pays adore autant les normes et processus normalisateurs, che-

min inconscient pour, en donnant le « pouvoir aux anciens qui

savent », préserver un conservatisme pernicieux.

Quoi qu'il en soit, le manque d'initiative est à rechercher dans

un fonctionnement qui arroge au «chef» des droits

inaliénables. Comment, en effet, dans ces conditions, attendre

des échelons inférieurs une expression libre ou une capacité

d'action autonome ? C'est, dans la pratique, le règne de l'obli-

gation de moyens : faire ce qui a été prescrit, selon les règles

édictées. « Quand on a un patron locomotive, on se comporte

en wagon. »

On relèvera le « confort » que donne à tous un tel fonctionne-

ment. En même temps qu'il confère un statut au « chef », il

donne une protection au subordonné. Ce dernier, s'il a res-

pecté les règles fixées, ne peut être tenu pour responsable d'un

échec. Là se situe la source principale des ankyloses.

Peut-être faut-il situer là également l'une des causes du

« stress ». Lorsque la pression augmente, parce que le contexte

économique se durcit, il est tentant de décréter une obligation

de résultat. Laquelle n'a tout simplement pas de sens si une

liberté suffisante n'est pas laissée au niveau de la mise en œuvre

des moyens. Les collaborateurs sont alors enfermés dans une

injonction paradoxale à la fois « vous devez » et « vous ne pou-

vez pas ». L'étau se resserre et « ça fait mal ».

Cette culture instaure un climat de défiance hautement conta-

gieux. Il devient « légitime » de contrôler systématiquement la

bonne exécution, c'est-à-dire une exécution conforme aux

« normes ». Une démarche qui marque de proche en proche

l'ensemble des relations au sein de l'entreprise et la prive des

D3f

Page 57: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Défiance et repli sur soi : oser la confiance 51

—isr

moyens de la performance dans le contexte de mouvement

permanent de l'économie d'aujourd'hui.

Instaurer une culture de la confiance suppose que l'exemple

vienne d'en haut. Le fonctionnement de l'instance dirigeante en

sera le premier signe : l'expression des hommes y est-elle libre ?

Les décisions importantes sont-elles prises dans la transparence,

suite à des débats contradictoires ? La diversité y est-elle vécue

comme une richesse ? Ainsi qu'a pu l'exprimer dans une interview

récente Philippe Varin, président du Groupe PSA1, « le succès

repose sur la conscience de sa valeur ajoutée personnelle et sur la

volonté permanente de "sortir de sa zone de confort", autrement

dit, la capacité individuelle et collective à se remettre en cause ».

Parce qu'elle raccourcit les circuits, facilite les décisions, per-

met de prendre des risques et d'assumer les échecs, une culture

de confiance est un accélérateur sans égal de la performance.

Elle se répercute sur les relations avec les clients, les fournis-

seurs, l'environnement social et sociétal.2 Un mode de relation

partenarial avec ses fournisseurs n'est nullement contradic-

toire avec la recherche de coûts bas, au contraire : c'est la

compréhension des contraintes d'un côté, la meilleure percep-

tion des attentes de l'autre qui permettent d'innover au profit

des deux partenaires.

1. Assises des entrepreneurs et dirigeants chrétiens, Besançon, mars 2010.

2. Une telle conception des rapports professionnels a fait l'objet d'analyses

approfondies outre-Atlantique. Elle y est vue, en dehors de toute considéra-

tion d'ordre éthique, comme une composante majeure d'efficacité écono-

mique. Stephen M.R. Covey s'en est fait, aux États Unis, le chantre en

qualifiant la confiance de « the one thing that changes everything ». On trou-

vera dans son ouvrage The Speed of Trust de nombreux exemples concrets et

des développements approfondis sur les conditions et les effets de la

confiance posée comme principe de comportement et de management.

Page 58: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

52 REPENSER L'ENTREPRISE

Pour aller plus loin

Management à contresens. Combien coûte la démotivation ?

Où est passé le plaisir de travailler, de faire partie d'une véritable

équipe ? Considérant que le plaisir est l'élément moteur de

l'action, donc de l'engagement, qui ne s'est jamais senti démotivé,

bridé dans ses envies, jusqu'à jouer de mauvais esprit ?

Pour Anne Dousset, l'entreprise de plus en plus pressée de délivrer

des résultats à très court terme, sclérose l'initiative et réduit l'effi-

cacité.

Elle engendre ainsi un management à contresens, à la fois contre-

productif, car il gaspille de l'énergie et dénué de sens, car ne don-

nant plus aux collaborateurs de bonnes raisons de s'engager.

Elle observe un fossé qui se creuse entre les stratèges et les struc-

tures opérationnelles : de la création de richesse, on est passé à la

création de valeur, vite détournée par les financiers en valeur pour

l'actionnaire. Les collaborateurs ne sont pourtant pas dupes.

De ce constat étayé par de courts récits mettant en scène des per-

sonnages écartelés entre exigences du business du « toujours plus »

et leurs propres convictions, l'auteur dénonce les gaspillages du

management du « toujours moins ».

La force de cet ouvrage atypique est de proposer un modèle per-

tinent pour chiffrer le « taux d'utilisation du capital humain ». La

méthode est simple, opérationnelle et édifiante quant aux résul-

tats obtenus. Au final, des pistes sont suggérées pour exploiter

intelligemment le potentiel d'engagement des collaborateurs et

mobilisateur des équipes.

Anne Dousset, Management à contresens. Combien coûte la

démotivation f, Éditions d'Organisation, 2007.

Page 59: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Défiance et repli sur soi : oser la confiance 53

The Speed of Trust

Un best-seller qui prône la confiance comme base de l'efficacité

économique et de la performance. Un plaidoyer vibrant et argu-

menté qui amène le lecteur à s'interroger en profondeur sur sa

pratique de la confiance, dans sa vie privée aussi bien que dans son

vécu professionnel.

Nourri d'exemples concrets et accompagné de « tests », l'ouvrage

intéresse et convainc. On aurait grand tort de s'en priver alors que

le contexte économique se fait plus complexe et plus exigeant.

Pour y trouver les racines de comportements personnels inadé-

quats, pour développer son efficacité managériale.

Stephen M.R. Covey, The Speed of Trust, Free Press, 2006.

Questionnement

• Le fonctionnement de l'instance de direction est-il un exemple

de confiance ?

• L'instance de direction prend-elle le temps de réfléchir aux

« croyances cachées ». Est-elle à l'écoute des remarques ou

mises en cause des échelons inférieurs ? Les sollicite-elle ?

• Comment l'échec est-il perçu ?

Page 60: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

54 REPENSER L'ENTREPRISE

Réflexion personnelle

Page 61: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

DISTANCIATION DU SALARIÉ : RECRÉER DU LIEN

Les rapports qu'entretiennent les Français avec leur

employeur, qu'il soit d'ailleurs public ou privé, sont large-

ment marqués par le déficit de confiance que nous venons d'ana-

lyser. Une des premières préoccupations de tout manager doit

être d'analyser le poids de ces contraintes, et si besoin de

s'employer à pacifier l'environnement professionnel pour le

rendre plus efficace, car plus conforme aux attentes des salariés.

Premier constat : le lien qui unit l'employeur et l'employé

paraît distendu, si on le compare aux situations existant dans les

autres pays industrialisés. À la question « Êtes-vous disposé à tra-

vailler davantage sans rémunération supplémentaire pour aider

votre entreprise ? » 80 % des Américains, 70 % des Canadiens,

des Allemands, des Suisses, des Danois et des Australiens,

répondent par l'affirmative, mais seulement 23 % des salariés

français. Ceux-ci se sentent beaucoup moins liés avec leur

employeur dans la conduite d'une aventure commune, sauf, et

encore, dans la panique de catastrophes annoncées accompa-

gnées de plans sociaux. Nous retrouvons sur ce point les consé-

quences du sentiment de défiance, qui conduit à ne se sentir que

modérément concerné par la réussite de l'employeur, sur le mode

« à quoi bon travailler pour enrichir les patrons et les action-

naires ? » les bons vieux réflexes de lutte des classes, fussent-ils

attiédis, ne sont pas encore rangés sur l'étagère des souvenirs.

Deuxième constat : le sentiment d'appartenance à l'entre-

prise apparaît en France bien plus fragile qu'ailleurs. Le salarié

Page 62: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

56 REPENSER L'ENTREPRISE

français se maintient à distance de l'entité économique à

laquelle il appartient. Il ne se sent guère tenu par un lien orga-

nique avec elle. « Etes-vous fier de travailler dans l'entreprise

qui vous emploie ?» 50 % des travailleurs français répondent

positivement, contre près de 80 % des Anglo-Saxons. La France

sur ce point encore est lanterne rouge des pays du panel. Le

déficit de confiance entraîne ipso facto un déficit d'apparte-

nance et de motivation.

De même, la fidélité à l'entreprise est logiquement beau-

coup moins affirmée dans notre pays. Le pourcentage de cadres

prêts à quitter leur entreprise si on leur propose ailleurs un tra-

vail mieux payé est deux fois plus élevé en France qu'aux Etats-

Unis ou dans les pays Scandinaves.

Quelles conséquences tirer de ces indications ?

D'abord certainement les nuancer. Il s'agit de tendances

générales, qui ne préjugent pas de situations particulières beau-

coup plus favorables. L'intérêt porté à la gestion dynamique

des ressources humaines, le sens du management par impul-

sion ne sont pas équitablement partagés. La taille d'une entre-

prise, son histoire, sa plus ou moins forte cohésion sociale,

suscitent des situations par nature diverses. Toutefois, tout res-

ponsable doit placer au premier rang de ses préoccupations,

particulièrement dans les périodes difficiles comme celle que

nous traversons, la dimension humaine de sa mission.

Une entreprise ne peut s'adapter pour se hisser à des stan-

dards de performance élevés que si elle a su créer les conditions

d'une mobilisation optimale des hommes et des femmes qui la

composent. Tout manager doit s'attacher en permanence à

combattre les tendances centrifuges démobilisatrices pour

développer les comportements centripètes fédérateurs. Le

confort matériel et moral des salariés rejoint les intérêts bien

compris de l'entreprise.

Page 63: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Distanciation du salarié ; recréer du lien 57

Les relations de travail se situent en France dans un contexte

général peu enclin à la manifestation spontanée de la confiance.

Ne nous voilons pas la face : la culture du conflit issue des

vieilles luttes est encore bien présente de chaque côté. Il ne suf-

fit pas de ripoliner la façade de la Direction du personnel en la

baptisant Direction des ressources humaines pour modifier les

habitudes, comme il ne suffit pas de beaux discours généreux

pour transformer en profondeur les fondements sociaux de

l'entreprise. Nous portons de surcroît un héritage de produc-

tion standardisée à forte organisation verticale, hiérarchique et

malheureusement parfois caporaliste, qui fait obstacle à la

transparence de la gestion et à la circulation de l'information.

Mobiliser les ressources humaines avec cet imprinting comme

cadre de fond est plus malaisé qu'au sein de structures naturel-

lement souples et horizontales. Les entreprises du tertiaire,

pour beaucoup d'entre elles, se sont trop souvent approprié les

vieux schémas d'organisation industrielle en transportant les

techniques tayloriennes dans le domaine des services.

II paraît en conséquence essentiel d'agir sur les leviers de

motivation que l'on peut résumer par le concept de réciprocité

dans le travail. La réciprocité, c'est tendre à établir des condi-

tions transparentes et équilibrées de relations entre dirigeants

et salariés, réunis dans un projet clairement défini, autour

d'objectifs réciproquement partagés, dont les fruits seront

équitablement répartis par tous ceux qui y contribuent. La

réciprocité est en fait le meilleur remède à la défiance, une

preuve de confiance mutuelle fondée sur la contribution de

chacun, sur le mode du gagnant-gagnant. Celle-ci ne passe pas

seulement par la mise en œuvre d'incitations matérielles,

1. Andrew Clark, « Promouvoir la réciprocité dans le travail », In Philippe

Askenazy et Daniel Cohen 16 nouvelles questions d'économie contemporaine,

Albin Michel, 2010.

Page 64: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

58 REPENSER L'ENTREPRISE

importantes mais non suffisantes. Elle impose aussi de mobili-

ser les énergies en stimulant la créativité, en privilégiant

l'écoute, en élargissant les périmètres de responsabilité. La

faible implication que révèlent les enquêtes provient du faible

intérêt porté par le salarié à son travail, conséquence lui-même

du faible intérêt que l'on porte à sa personne, à ses initiatives et

à ses compétences. On laisse ainsi en jachère des intelligences

et des énergies inemployées. Le directeur des ressources

humaines d'un grand groupe automobile m'avouait récem-

ment, évoquant le domaine de son ressort : « Nous nous

sommes habitués à utiliser un moteur de Ferrari comme un

moteur de 2CV. C'est un beau gâchis. »

Il est excellent d'investir dans des nouvelles machines et des

systèmes à la pointe de la technologie pour accroître la produc-

tivité, d'améliorer sans cesse les process, de multiplier les sys-

tèmes de contrôle interne. N'oublions pas toutefois que la

première source de gains de rentabilité repose sur la stimulation

optimale de notre gisement humain.

— En pratique

Proposer le sens

L'attachement indéfectible à l'entreprise a vécu et la fidélisation,

quel que soit le niveau hiérarchique, ne va plus de soi. Conflits

violents et prises d'otage avec chantage à la prime de licencie-

ment manifestent une prise de distance et une posture de rap-

ports de force. Ce n'est que la partie émergée d'un iceberg.

Pour mieux comprendre, il convient de se reporter à la réalité

de l'entreprise il y a quelques décennies. L'emploi était alors

implicitement garanti à vie. Un engagement dont le respect ne

posait pas problème dans un contexte où les échelles de temps

étaient longues.

DS3

Page 65: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Distanciation du salarié ; recréer du lien 59

—'sr

La montée de la concurrence s'est traduite par des révisions stra-

tégiques, des rationalisations et des rectifications de périmètres.

L'emploi a pu alors être perçu comme une variable d'ajuste-

ment. Comment s'étonner qu'au désamour ait succédé un

désengagement et suscité parfois des réactions violentes ? Si le

contexte actuel ne permet pas de revenir en arrière, à une garan-

tie d'emploi qui fait fi de restructurations dont peut dépendre la

survie de l'entreprise, on peut néanmoins s'interroger.

La recherche de la performance par la seule action sur les coûts

peut avoir des effets pernicieux. Ils ne sont, en effet, qu'un des

aspects de la compétitivité. A titre d'exemple, une action en pro-

fondeur sur les délais de production est susceptible de changer les

données concurrentielles : tout comme le prix d'une bouteille

d'eau en plein désert n'a rien de commun avec son prix à Paris, la

réponse pertinente au client en situation d'urgence fait fi du cadre

concurrentiel habituel. Pourquoi, avant de prendre pour acquises

les « données de marché », ne pas s'interroger sur les différencia-

tions possibles, c'est-à-dire sur les avantages propres que l'entre-

prise peut proposer en réponse aux attentes de sa clientèle ?

Nombre de restructurations sont ainsi le signe d'un aveugle-

ment et d'une myopie et la preuve que le management n'a pas

perçu à temps les inflexions nécessaires. Faute d'écoute et

d'attention aux signaux faibles ?

Un certain nombre d'entreprises ont mis en place un ensemble

de dispositifs et de mesures propres à prévenir ou accompagner

les ajustements d'effectifs : actions de formation/reconversion,

accompagnement de l'essaimage, prêt de personnel, assistance

au départ. L'entreprise y est gagnante au plan économique en

réduisant ou éliminant des coûts importants1.

csr —

1. Il convient d'ajouter au coût des restructurations celui du turn over et

de l'infidélité et celui d'une créativité moindre, de la démotivation et de

l'absence d'initiative.

Page 66: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

60 REPENSER L'ENTREPRISE

—^

C'est dire l'enjeu du respect concret marqué aux salariés à tra-

vers des processus RH clairs et l'existence de mécanismes cré-

dibles d'accompagnement. C'est reconnaître au passage

qu'une motivation purement salariale, si elle a l'avantage de la

simplicité, n'est plus la panacée ni même, souvent, le ressort

essentiel.

Lever les inhibitions ne suffit pas. Mobiliser, faire appel à la

créativité sont des objectifs qui supposent de tirer les indivi-

dus vers le haut et de les orienter vers l'extérieur1. Cela signifie

se préoccuper du sens qu'ils peuvent attribuer à leur action

personnelle et collective. Un sens qui transcende nécessaire-

ment l'activité quotidienne.

Le sens, qui exprime ce que l'entreprise veut être vis-à-vis de ses

clients, est une part essentielle du « contrat » avec les action-

naires. Il est, pour l'ensemble des acteurs l'affirmation d'une

ambition. On peut dire que le sens c'est l'identité + la perfor-

mance. Savons-nous, saurons nous proposer des « cathédrales

assez hautes » pour répondre aux aspirations des hommes dont

nous avons la charge ?

Le partenariat du groupe Danone avec M. Yunus pour déve-

lopper au Bangladesh des micro-usines de yaourts est un

exemple d'action porteuse de sens. Une initiative qui s'est élar-

gie à l'actionnariat avec la création de Danone Communities,

incubateur de « social business ».

Libérer les énergies, leur permettre de s'exprimer, suppose la

proposition aux hommes d'un investissement professionnel

Kg3

1. À l'exemple d'une PME dont le président fait figurer dans les critères

d'appréciation des membres de son Codir leur engagement dans des orga-

nismes extérieurs.

Page 67: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Distanciation du salarié ; recréer du lien 61

—isr

qui vaille la peine. Une démarche à base de cohérence. Cohé-

rence manifestée dès l'embauche, dans l'expression d'un

contrat clair. Cohérence dans les processus de reconnais-

sance des contributions et de promotion. Cohérence dans

l'analyse des départs non souhaités. Cohérence, enfin, dans

le choix des orientations et la communication interne ou

externe.

Pour aller plus loin

Chemins de traverse

L'histoire d'une vie de dirigeant (Emmanuel Faber est n0 2 du groupe

Danone). Un dirigeant qui s'interroge et emprunte volontiers les

chemins de traverse qui répondent à ses convictions personnelles de

Foi dans les hommes, de lacunes inhérentes au système capitaliste. Et

la démonstration est convaincante : oui, il est possible de penser et

de faire autrement, d'être fidèle à soi en s'engageant dans des causes

qui « valent », et cela peut prendre du sens pour les centaines de

milliers de salariés d'une multinationale comme Danone.

Emmanuel Faber, Chemins de traverse. Vivre Véconomie autrement,

Albin Michel, 2011.

Questionnement

• La mobilité des salariés est-elle organisée dans la perspective

d'éventuelles restructurations comme dans celle de leur évo-

lution professionnelle ?

• Connaissons-nous les motivations de nos salariés ? Sont-ils

consultés régulièrement ?

• Nous préoccupons-nous de « donner du sens » à l'activité de

l'entreprise, au travail des collaborateurs ?

Page 68: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

62 REPENSER L'ENTREPRISE

Réflexion personnelle

Page 69: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Distanciation du salarié ; recréer du lien 63

INTERLUDE

Conte du vieux prof

Un vieux professeur fut engagé pour donner une formation sur la plani-

fication efficace de son temps à un groupe d'une quinzaine de dirigeants.

Ce cours constituait l'un des cinq ateliers de leur journée de formation.

Le vieux prof n'avait donc qu'une heure pour « passer sa matière ».

Debout, devant ce groupe d'élite, le vieux prof regarda ses élèves un par

un, lentement, puis leur dit : « Nous allons réaliser une expérience. » De

sous la table qui le séparait de ses élèves, le vieux prof sortit un immense

pot de maçon, d'un gallon, qu'il posa délicatement en face de lui. Ensuite,

il sortit environ une douzaine de cailloux à peu près gros comme des balles

de tennis et les plaça délicatement, un par un, dans le grand pot.

Lorsque le pot fut rempli jusqu'au bord et qu'il fut impossible d'y ajou-

ter un caillou de plus, il leva lentement les yeux vers ses élèves et leur

demanda : « Est-ce que le pot est plein ? » Ils répondirent : « Oui. » Il

attendit quelques secondes et ajouta : « Vraiment ? »

Alors il se pencha sous la table et sortit un récipient rempli de gravier.

Avec minutie, il versa le gravier sur les gros cailloux, puis brassa légère-

ment le pot. Les morceaux de gravier s'infiltrèrent entre les cailloux...

jusqu'au fond du pot. Le vieux prof leva de nouveau les yeux vers son

auditoire et redemanda : « Est-ce que ce pot est plein ? » Ses élèves

commençaient à comprendre son manège. L'un d'eux répondit : « Pro-

bablement pas ! » « Intéressant ! », répondit le prof.

Il se pencha de nouveau et cette fois, sortit de sous la table une chau-

dière de sable. Avec attention, il versa le sable dans le pot. Le sable alla

remplir les espaces entre les gros cailloux et le gravier. Encore une fois, il

demanda : « Est-ce que ce pot est plein ? » Cette fois, sans hésiter et tous

en chœur, les brillants élèves répondirent : « Non ! » « En effet », répon-

dit le vieux prof. Et comme s'y attendaient ses prestigieux élèves, il prit

le pichet d'eau qui était sur la table et remplit le pot jusqu'à ras bord.

BS3—

Page 70: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

64 REPENSER L'ENTREPRISE

r—isr

Le vieux prof leva alors les yeux vers son groupe et demanda : « Quelle

grande vérité nous démontre cette expérience ? » Le plus audacieux du

groupe se lança, en se référant au sujet du cours : « Cela signifie que même

lorsque l'on croit que notre agenda est complètement rempli, si on le veut

vraiment, on peut y trouver de la place et optimiser. » « Ce n'est pas exac-

tement cela, répondit le vieux prof. La grande vérité que nous démontre

cette expérience est la suivante : si vous ne mettez pas les gros cailloux en

premier dans le pot, on ne pourra jamais les faire entrer ensuite. »

Il y eut un profond silence, chacun prenant conscience de l'évidence de ces

propos. Le vieux prof reprit : « Quels sont les gros cailloux dans votre vie ?

Votre famille ? Vos ami(e)s ? Réaliser vos rêves ? Faire ce que vous aimez ?

Apprendre ? Défendre une cause ? Vous relaxer ? Prendre le temps ? Quelles

sont vos priorités et comment se concrétisent-elles dans votre emploi du

temps ? La gestion de votre temps n'est, in fine, qu'une question de cohé-

rence. Et gagner en cohérence est un problème que, à mon âge, je peux

qualifier de vraiment difficile. Je vous souhaite une bonne méditation. »

Pour aller plus loin

Cultiver son leadership

« Celui qui maîtrise l'art de l'écoute ne se contente pas d'écouter

passivement ».

« Une seule idée originale vaut des tonnes d'idées rabâchées ».

« Leader ne rime pas toujours avec décideur ».

« Un peu plus de la moitié des résultats auxquels aboutissent les

démarches courageuses sont le fruit du hasard ».

« Travaillez pour ceux qui travaillent pour vous... ».

Steven Sample, Cultiver son leadership, Éditions d'Organisation,

2007.

Leadership sous 0°

Les leçons à tirer de l'extraordinaire aventure de l'expédition en

Antarctique. L'histoire de l'équipage que sir Shackleton a ramené

Page 71: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Distanciation du salarié ; recréer du lien 65

sain et sauf à la civilisation après la perte de son navire dans les

glaces. Un récit qui, si Ton n'en savait la réalité, paraîtrait irréaliste

tant les difficultés et les conditions extrêmes semblent insurmon-

tables humainement parlant. Une expérience vécue de leadership

dont Dennis N.T. Perkins se sert dans son accompagnement de

dirigeants.

Quels enseignements, quelles leçons, comment faire progresser

votre leadership, comment apprendre à diriger en « situation

extrême » ?

Ouvrage intéressant, tant par l'histoire réellement exemplaire de

Shackleton que par les commentaires... qui débouchent souvent

sur des remarques d'un profond bon sens (mais, comme l'on sait,

ce n'est pas toujours la chose la mieux partagée...).

Dennis N.T. Perkins et al., Leadership sous 0°, Editions du Trésor

caché, 2003.

Utus foosiez- AW&ëA

OX RéGrtOGK Vos (bfiJA6i£S

m j7/

Page 72: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

REPENSER L'ENTREPRISE

Questionnement

Comment l'entreprise concilie-t-elle temps court et temps

long ?

Suis-je au clair sur mes « vrais » objectifs dans la vie ?

L'instance dirigeante est-elle au clair sur les « vrais » objec-

tifs de l'entreprise ? Sont-ils clairs pour nos actionnaires, nos

clients, nos collaborateurs ?

Page 73: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Distanciation du salarié ; recréer du lien 67

Réflexion personnelle

Page 74: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

T3 O C Û fNI i-H O fN © 4-1 JZ ai

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Page 75: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

MAÎTRISER

CM-Mét-VovS

TE M/h'r/zîsfe,,

/

TlTAKi^

Oo Ooo Oo Ooo *ot> Ooo

Downsizing, cost killing, attrition des dispositifs, RGPP1 :

rien de plus créatif depuis vingt ans que la sémantique

liée à la réduction des coûts, comme si là résidaient la compé-

tence majeure et l'objectif ultime de tout décideur.

Qui peut nier que l'adaptation constante des organisations

aux ressources, la rationalisation des tâches, la mécanisation

des processus, la recherche permanente de la compétitivité

1. Révision générale des politiques publiques.

Page 76: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

70 REPENSER L'ENTREPRISE

doive se situer en première ligne des préoccupations des res-

ponsables aux prises avec les exigences de l'équilibre ou de la

rentabilité ? Le leadership ne se résume pas toutefois à cette

recherche désespérée et souvent paniquée des économies, et à

la quête de bons spécialistes des plans sociaux. Il existe des éco-

nomies qui coûtent cher et des dépenses qui s'avèrent fort pro-

ductives. Une entreprise qui entreprend des stratégies de peau

de chagrin finit un jour par ne plus exister, car elle a considéré

les hommes non comme un potentiel de croissance, mais

comme la variable d'ajustement ultime.

Renversons la problématique pour poser la question en

d'autres termes : de quels moyens dois-je disposer pour mettre

en oeuvre la politique que j'ai tracée ? Quel est mon marché ?

Que sera-t-il demain ? De quels types de ressources et d'inves-

tissements ai-je besoin pour parvenir aux objectifs fixés ? Ou se

situent les poches de sous-productivité ? Quelle doit être la part

de flexibilité de mon dispositif ? « Il n'y a pas de bonne gestion

des hommes si celle-ci ne suit les lignes tracées par une bonne

politique », remarquait Napoléon.

Gérer une entreprise, aussi bien qu'une administration,

requiert d'abord l'élaboration d'une stratégie claire et réflé-

chie qui confère le sens et la justification de leurs efforts à tous

ceux qui sont concernés par sa mise en oeuvre, du dirigeant au

plus modeste salarié, en passant par les prestataires de service

et les sous-traitants. Il n'existe pas de plus court chemin pour

qui ne sait ou il va. Les politiques de recrutement, de forma-

tion, de qualification, de rémunérations découlent naturelle-

ment du postulat de base construit autour de quelques

questionnements essentiels : quelle est notre identité ? Où sont

nos références ? Quelles sont nos ambitions en termes de marchés

et de rentabilité ? Quelles extensions rationnelles pouvons-nous

Page 77: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Maîtriser 71

fixer à notre activité ? Comment sera répartie la valeur ajoutée

ainsi créée ?

Parce que tout bouge très vite, il convient de s'adapter en

permanence en infléchissant les pratiques et les organisations

autour de quelques postulats invariables, ce que l'on peut

appeler les fondamentaux. Un important concessionnaire

automobile m'avouait récemment sa perplexité : « J'étais

mécanicien, je suis en train de devenir financier. Je gagne plus

d'argent en montant des crédits et en plaçant des assurances

qu'en vendant des voitures. » Cet homme relevait ainsi des

vérités communes : les métiers évoluent, les qualifications

requises changent, les sources de rentabilité se modifient, les

organisations sont affectées par une perpétuelle mutation, ce

que Montaigne appelait déjà la « branloire pérenne ». Mon

concessionnaire en était presque venu à oublier qu'avant de

mettre en place de l'ingénierie financière, il convient de savoir

vendre des voitures et d'assurer un service après-vente irrépro-

chable, comme la banque Dexia avait oublié que financer les

collectivités locales ne prépare ni ne conduit forcément à spé-

culer sur les devises, les produits dérivés ou les matières pre-

mières. Là aussi oubli des fondamentaux, quand la croissance

s'effectue par métastases et non par extensions constructives à

partir du cœur de métier.

Savoir ou l'on va en s'adaptant : c'est la dimension spatiale.

Demeure l'autre catégorie fondamentale : le temps.

À la religion des coûts s'est ajoutée la tyrannie du court

terme. Plus la vitesse de l'évolution s'accélère, plus nous deve-

nons incapables de maîtriser la durée. Les lignes d'horizon

s'estompent sous la pression d'un environnement que l'on ne

parvient plus à maîtriser, sous la pression aussi des actionnaires

et des analystes de tous poils hypersensibles aux équilibres de

l'instant, même — et surtout - si ceux-ci occultent momenta-

Page 78: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

72 REPENSER L'ENTREPRISE

nément les décalages structurels. Intéressement aux bénéfices,

stock-options, turn over des dirigeants, trimestrialisation de la

publication des comptes ont fait de l'immédiat une indépas-

sable priorité. Or on ne gouverne bien que dans la durée,

comme on ne tisse une relation client que sur des plages

longues. La création de valeur, dont les gourous à la mode nous

ont tant rebattu les oreilles, n'est pas une affaire de coups plus

ou moins habiles, mais de vision de long terme.

Un talentueux dirigeant du CAC 40, aujourd'hui à la

retraite, le reconnaissait simplement : « J'ai toujours essayé de

conserver une règle d'or : consacrer au maximum 30 % de mon

temps à la gestion des accidents du quotidien, et 70 % à la

pérennité de l'entreprise sur la durée. C'est difficile, mais indis-

pensable, sinon on n'exerce plus qu'une activité de pompier

occupé à éteindre les feux qui s'allument ici et là, parce que l'on

n'a pas su déléguer à d'autres les outils de leur résolution. La

myopie est le plus grand danger qui nous menace. »

Prendre de la distance, s'efforcer de discerner les lignes de

fuite, les points de rupture, les bifurcations représente une exi-

gence fondamentale pour tout dirigeant. Dans notre vie pro-

fessionnelle et familiale, nous nous trouvons trop souvent

prisonniers du temps court. Les yeux fixés sur les écueils de

l'immédiat, nous nous attachons à l'accessoire en devenant

incapables de mesurer précisément ce qui relève de l'essentiel.

Prélude aux catastrophes quand la gestion de crise devient le

mode naturel de la gouvernance.

« Jamais ne s'assujettir au temps » proclamait Rabelais.

Tâche difficile mais fondamentale.

Au cœur du métier de dirigeant : la vision maîtrisée.

Page 79: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Maîtriser 73

- En pratique —

Harmonies concurrentielles

L'économiste Milton Friedman a été à l'origine, dans les

années 1980, d'un mouvement profond dans la gouvernance

et le management des entreprises. Son apologie du libéralisme

est allée de pair avec l'affirmation du primat de l'actionnaire.

Le mouvement a été d'autant mieux perçu qu'il allait à

l'encontre d'un pouvoir souvent excessif de l'instance diri-

geante qui, face à un actionnariat dispersé pouvait se l'être

approprié. C'est l'origine du concept de création de valeur,

entendue au sens restrictif de « création de valeur pour l'action-

naire » et visant plus particulièrement la valorisation bour-

sière.

Une telle conception est réductrice : la création de richesse est

en pratique la création de richesse pour le client. Cela conduit

à s'interroger sur les deux voies de développement de la per-

formance économique : réduire les coûts et accroître les

ventes.

Dans une conception répandue, le dirigeant efficace se préoc-

cupe par priorité de réduire les charges. C'est de fait un moyen

d'améliorer le résultat financier. L'intérêt d'une telle approche

n'est pas discutable : le laxisme est proche du « confort » ; les

évolutions d'ensemble conduisent à modifier processus ou

façons de faire. Privilégiée de manière trop exclusive, la pres-

sion sur les coûts présente néanmoins des risques :

• Elle a une limite. Difficile à apprécier, elle traduit l'atteinte

des forces vives. L'on passe insensiblement de l'amaigrisse-

ment à l'anorexie. De surcroît, l'expérience amène à consta-

ter des erreurs dans l'appréciation des gains escomptés, voire

des effets pervers non prévus.

isr —

Page 80: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

74 REPENSER L'ENTREPRISE

—^

• Lorsqu'elle correspond à une réduction des effectifs, elle

peut porter atteinte à la motivation et l'implication des sala-

riés et peser sur la performance.

• Si elle peut influer favorablement sur la compétitivité, elle

peut se révéler inadéquate ou insuffisante : le prix de revient

n'est que l'une des facettes de la réponse aux attentes du

client.

Enfin, un accent excessif sur la réduction des coûts ou la

recherche de la productivité polarise le regard sur l'interne.

La « perte de vue du client » qui s'ensuit peut aller jusqu'à

inhiber l'écoute des attentes et du marché ou l'innovation au

service du client. Cela conduit à s'intéresser au développe-

ment des ventes, l'autre voie de la performance écono-

mique.

Le souci et la préservation d'un regard client à tous les niveaux

sont des facteurs de performance à divers titres :

• Le chemin de la fidélisation du client.

• Le moyen de percevoir les pistes d'évolution des attentes et

les orientations des concurrents.

C'est également le chemin pour mobiliser l'ensemble des

collaborateurs en faisant apparaître à leurs yeux la finalité

de l'entreprise et leur contribution. Facteur explicatif et

justification des évolutions, le regard client est concrète-

ment le préalable à la sensibilisation du management et

des collaborateurs à l'amélioration de la performance,

l'optimisation des processus, les évolutions de l'organisa-

tion...

Bien au-delà des fonctions commerciales, la préoccupation de

la satisfaction du client est une composante de la culture de

l'entreprise, cet ensemble de façons de penser et de se compor-

ter qu'une collectivité s'est approprié pour permettre et facili-

ter le « vivre ensemble ».

isr —

Page 81: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Maîtriser 75

La culture est une codification implicite d'autant plus puis-

sante qu'elle est, pour une large part, inconsciente. Un corpus

qui s'est constitué notamment à partir des succès du passé...

Qui ne sont pas nécessairement les recettes des succès du

futur.

C'est, pour les nouveaux arrivants, une force d'assimilation

considérable, dont la puissance repose sur son caractère

« caché ». La culture peut également être, du fait des rigidités

et des a priori inconscients qui la sous-tendent, un facteur de

blocage des évolutions.

L'histoire économique est riche d'exemples qui illustrent la

puissance créatrice de la culture, mais tout autant les risques

parfois mortels qu'elle peut recéler. Elle s'articule autour de

questions basiques. Citons-en quelques-unes : Quelle est

notre ouverture à l'extérieur ? Comment le client est-il vu/

regardé/perçu ? Que dit-on des concurrents ? Comment les

décisions sont-elles prises ? Comment circulent les informa-

tions ? Comment communique-t-on ? Quelle est notre

ouverture à la nouveauté, au changement ? Comment

concilions-nous court terme et long terme ? Quelle dimension

temporelle paraît privilégiée (passé, présent, futur) ?

La culture porte notamment la réponse à une question

simple :

• Dans quelle mesure fait-on primer l'ordre, sans lequel la

collectivité ne saurait être ou fonctionner, au risque de figer

dans les modes de fonctionnement les facteurs de « désordre »

que sont clients, collaborateurs, concurrents ?

• Ou bien dans quelle mesure admet-on le désordre qui faci-

lite l'adaptation de l'organisme aux évolutions de son envi-

ronnement ?

La culture est le reflet d'une vision du monde environnant.

Elle est donc en quelque sorte le thermomètre de l'aventure

us- —

Page 82: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

76 REPENSER L'ENTREPRISE

collective. Température trop basse = risque de manque de réac-

tivité et de surdité. Température trop haute = risque de sur-

chauffe et de décentrement. La culture, pour inapparente au

premier regard quelle soit, est un facteur de performance pri-

mordial dont l'équipe dirigeante aura tout intérêt à se préoc-

cuper. Souci du coût et préoccupation de satisfaction du client

sont les deux faces indissociables de la performance dans un

univers hautement concurrentiel : « Est-ce que je réponds aux

attentes ? Ai-je un moyen de le faire mieux, à meilleur

compte ? » La concurrence est-elle autre chose que ce qui

pousse à innover, à aller de l'avant, à faire grandir les hommes ?

Risquons le qualificatif d'harmonies concurrentielles.

Pour aller plus loin

La Connaissance créatrice

« Comme la connaissance et l'innovation deviennent chaque jour

plus importantes pour la réussite concurrentielle, il n'est pas sur-

prenant que l'on soit de plus en plus insatisfait des structures tra-

ditionnelles. Elles ont oscillé entre deux types : la bureaucratie et

la task force. Aucune de ces structures n'est adéquate pour traiter

de la création de connaissances. Ce qui est nécessaire, c'est une

synthèse des deux. »

Ikujiro Nonaka, Hirotaka Takeuchi, La Connaissance créatrice,

De Boeck, 1997.

Vélocité

Un roman, ainsi que les adeptes du Goldratt Institute les affec-

tionnent. Le thème annoncé dans le sous-titre est prometteur :

« Comment combiner le Lean, le 6 Sigma et la Théorie des

contraintes [TOC pour theory ofconstraints] pour booster vos per-

formances ? »

Page 83: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Maîtriser 77

En fait, il s'agit de comprendre pourquoi la TOC ne vient nulle-

ment en contradiction avec Lean ou 6 Sigma puisque l'approche,

systémique, est d'un autre ordre. Une lecture imprégnée de vécu,

rafraîchissante, ce qui ne lui ôte rien de sa pertinence ou de son

intérêt.

Dee Jacob, Suzan Bergland, Jeff Cox, Vélocité, Pearson, 2010.

Questionnement

• Sommes-nous au clair sur les traits caractéristiques de notre

culture d'entreprise ?

• Comment les services fonctionnels regardent-ils le client ?

• Faisons-nous des enquêtes clients (en externe, en interne) ?

• « Les entreprises qui sont mortes d'avoir négligé l'innovation

étaient au top de la qualité-client. » Nous interrogeons-nous

sur les attentes profondes, au-delà de besoins identifiés et cer-

nés par les enquêtes ?

Page 84: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

78 REPENSER L'ENTREPRISE

Réflexion personnelle

Page 85: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

8

MANAGER

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rtoos weNAftc#*. f/

OUAÎHhH ///

CUy^u-

L'administration est sans doute l'archétype d'une organisa-

tion dont l'efficacité repose sur la qualité de son manage-

ment. L'Etat, les collectivités locales, l'hôpital se trouvent

de fait, comme l'entreprise, confrontés à des contraintes de

gestion de plus en plus fortes. Raréfaction des ressources,

exigences consuméristes des usagers-clients, développement

des processus d'évaluation des politiques publiques : tout

contribue à accélérer le mouvement de modernisation des

administrations pour plus d'efficience, davantage de réactivité

pour accroître ce que les Anglo-Saxons qualifient depuis long-

temps de value for money du secteur public et parapublic.

Page 86: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

80 REPENSER L'ENTREPRISE

Dans le jeu sans merci de la concurrence mondiale, une

administration efficace et économe de moyens constitue un

atout déterminant. Sa vocation est de contribuer à l'efficacité

et l'attractivité du système productif sans peser indûment sur

les coûts collectifs. Elle a pour objectif d'être un facteur concur-

rentiel pour l'ensemble de la nation, au premier rang duquel

les producteurs de biens et de service. La qualité de la fonction

publique est un facteur particulièrement important de compé-

titivité globale.

Il existe des services publics efficaces et bien gérés comme il

existe aussi des entreprises malencontreusement conduites ;

toutefois la France souffre dans ce domaine de maux qui lui

sont propres parmi les autres économies développées. Nous

vivons dans un pays globalement suradministré ou la répar-

tition des compétences entre le central et le local demeure mal

définie. Des secteurs de surproductivité coexistent avec des

poches de très faible efficience ; on a au fil du temps empilé

des services et des fonctions sans se résoudre - ou trop timide-

ment - à de vastes réorganisations territoriales et fonctionnelles

des compétences. Fort absentéisme, inertie face aux réformes,

dilution des responsabilités, priorité du statut par rapport à la

fonction, faible mobilité fonctionnelle des cadres, politiques

managériales défaillantes, processus de décisions opaques et

complexes, investissements mal maîtrisés, gaspillages divers

sont régulièrement stigmatisés par les rapports de la Cour des

comptes.

Contrairement à une idée reçue, le monde de la fonction

publique n'est pas à l'abri de la concurrence. L'enseignement, le

service public de l'emploi, la construction de stades ou de

musées donnent lieu à des formes variées d'alternatives à la

conception régalienne du secteur public. Les contractuels sont

de plus en plus sollicités pour effectuer des missions tradition-

Page 87: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Manager 81

nellement réservées aux fonctionnaires, Texternalisation de

tâches vers les sociétés de service (restauration, sécurité, prop-

reté, informatique) n'est plus une exception. Comme les entre-

prises, le public sait déléguer ce qu'il ne peut faire seul, ou qu'il

peut mieux réaliser en le confiant à des initiatives privées.

En revanche, un domaine comme le secteur médical, parce qu'il

dépend étroitement du financement public, peut être consi-

déré, même s'il a peine à le reconnaître, fonctionnarisé de fait.

N'en déplaise à quelques esprits nostalgiques, le mouvement

d'interpénétration entre public et privé ne fera que s'accentuer.

On ne saurait, toutefois, nier les spécificités de

l'administration. Un service public n'est pas une entreprise. Il

ne s'agit pas de transposer aveuglément ce qui fonctionne au

sein de celle-ci dans un service de l'Etat, d'un département ou

d'une commune, soumis à des règles et à des sujétions qui

leur sont propres. La notion de rentabilité y revêt un tout

autre sens. Elle se mesure par le rapport coût-qualité du ser-

vice rendu, ce qu'ont entrepris de mesurer la révision générale

des politiques publiques (RGPP) mise en place auprès des

services de l'Etat et les processus systématiques d'évaluation

suscités par les nouvelles procédures comptables instaurées

par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Il

existe clairement une volonté politique partagée de moderni-

ser la fonction publique française, encore convient-il d'accom-

pagner ce mouvement sur le terrain pour traduire cette

nouvelle philosophie en actions concrètes favorisant l'évolu-

tion des cultures et des organisations. Le changement, là

comme ailleurs, ne se décrète pas. Il se construit. Et l'on

retrouve, dans cette démarche, les contraintes du manage-

ment d'entreprise, accrues par la nécessaire prise en compte

de dimensions spécifiques.

Page 88: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

82 REPENSER L'ENTREPRISE

La modernisation de la fonction publique a pour préa-

lable une réflexion d'ensemble sur ses moyens et ses missions.

Les fonctionnaires ont besoin de connaître précisément le

sens et l'utilité de ce qui leur est demandé, la valeur ajoutée

qu'ils sont à même d'apporter, les ambitions qu'ils sont char-

gés d'incarner. À une administration de routine basée sur des

obligations de moyens, doit succéder une administration

constituée autour de missions précisément définies dont les

résultats sont évalués par le recours à des tableaux de bord

simples et aisément identifiables. L'obsession des moyens

cache chez beaucoup d'agents publics la difficulté à perce-

voir les finalités. Une logique de la responsabilité doit se

substituer au principe d'obéissance hiérarchique pour acti-

ver les réactivités et susciter depuis la base les inflexions

nécessaires.

Les files d'attente aux guichets, l'absence de réponse aux

questionnements des citoyens, la sortie du système éducatif de

jeunes sans qualifications, les conflits produits par l'application

non circonstanciée du règlement, la défaillance des autorités

de contrôle ou les excès sécuritaires sont autant de signes de

fonctionnements défectueux qui affectent la rentabilité glo-

bale du système et mettent en cause sa légitimité. Dans un

système où l'impulsion vient traditionnellement du sommet

sans forcément atteindre les échelons d'exécution, les niveaux

intermédiaires se doivent d'acquérir les instruments du

management dynamique (écoute, dialogue, exemplarité des

comportements, outils de motivation, compréhension des rai-

sons de l'absentéisme, adaptation constante des moyens

alloués aux missions assignées). L'objectif doit être à tous les

niveaux de libérer les forces d'amélioration et de créativité. Il

importe que les administrations publiques gardent à l'esprit

Page 89: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Manager 83

que service public signifie aussi et d'abord service au public,

tant les logiques d'organisation interne ont souvent prévalu

sur le besoin de répondre au plus près aux demandes des

citoyens.

Un puissant mouvement de réforme touche les différentes

fonctions publiques, diversement impactées par ce nécessaire

effort en raison de très fortes disparités de cultures et de matu-

rité managériale. Ce mouvement, il est aujourd'hui nécessaire

de le conforter et de l'amplifier. Il s'agit là d'un enjeu considé-

rable pour la nation tout entière. C'est, à n'en pas douter, un

passage obligé dans le mouvement plus profond et plus géné-

ral, de dynamisation de l'ensemble de l'économie. Libérer la

force d'entreprendre, motiver les hommes pour collaborer à un

projet collectif où trouve à s'employer et à se développer tant

leur créativité que leur goût de la relation. N'est ce pas la justi-

fication et la finalité de ce que l'on nomme « management » ?

— En pratique

Développer une capacité de leadership

L'évolution des compétences conduit à diversifier les recrute-

ments et les formations ; les mutations économiques et la

montée de l'individualisme concourent à élever le niveau de

turn over. Enfin, la diversité des cultures crée des contraintes

nouvelles d'intégration, de coopération et de fidélisation. Ces

facteurs changent la donne dans une « gestion des ressources

humaines » dont la diversité devient un axe structurant :

• Au-delà des clichés, la génération « Y » réunit un niveau

important d'énergie, une fatigabilité qui conduit au

zapping, une aptitude à appréhender la technologie, une

car —

Page 90: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

84 REPENSER L'ENTREPRISE

—isr

réactivité émotionnelle forte. Ses attentes de reconnaissance

sont élevées tout comme sa capacité à prendre des décisions

de manière impulsive...

• Par comparaison, les seniors réunissent un capital d'expé-

rience et de savoir-faire, une aptitude moindre à prendre en

compte l'innovation technologique et, le cas échéant, une

tolérance réduite aux comportements non traditionnels.

Leurs attentes de sécurité sont logiquement plus élevées.

• Femmes, collaborateurs issus de cultures différentes, han-

dicapés présentent, eux aussi, des spécificités à prendre en

considération. En pratique chacun s'attend implicitement à

voir sa spécificité reconnue.

Le manager ne peut plus s'appuyer sur la conception implicite

d'une « grille standard d'appréciation » dans un contexte où la

tolérance réciproque est une exigence acceptée. Il est conduit à

comprendre les individus pour motiver, concilier et faire

collaborer dans l'harmonie. La position traditionnelle d'« auto-

rité de position » ne suffit plus pour assumer un réseau de rela-

tions diversifié avec des collaborateurs aux cultures et aux

réactions émotionnelles ou de résistances au stress variées...

C'est, en pratique, un management qui est appelé à progresser

en maturité. Un cahier des charges lourd pour des hommes et

des femmes qui, souvent formés dans une culture « tradition-

nelle » de la vie professionnelle, y ont été peu ou pas préparés.

Dans le même ordre d'idées, le niveau de la performance col-

lective va dépendre de « l'art » avec lequel le manager va savoir

identifier les complémentarités et créer les harmonies mobili-

satrices. Cela repose sur la capacité à percevoir et développer

les talents individuels. Appréhender, adapter la communica-

tion et manifester l'empathie, cela signifie écouter les signaux

faibles, adapter les degrés de liberté... sans renoncer à la réac-

tivité et à la directivité lorsqu'elles s'imposent.

Page 91: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Manager 85

Le management est ainsi appelé à prendre de la hauteur, à se

préoccuper de motivation individuelle, à fédérer plutôt qu'à

contraindre, à développer une dimension de leadership qui

suscite et libère les énergies plutôt qu'il n'impose.

Le contexte économique met le développement personnel au

centre de la vie collective : acquisition de l'intelligence émo-

tionnelle propre à nourrir la relation interpersonnelle ; travail

de l'intelligence comportementale en vue de cerner les talents

individuels, développement de la capacité à déléguer et à gérer

une équipe. Ces « nouveaux talents managériaux » seront pré-

cieux pour faciliter la transmission intergénérationnelle entre

« Y » émotifs, intuitifs et particulièrement aptes à la décou-

verte par l'apprentissage et « seniors » rompus à l'analyse, à la

mise en forme et à la discipline des faits.

Ceux qui demeurent focalisés sur les exigences affichées au

niveau supérieur doivent devenir attentifs, dans une recherche

responsable de la performance, à l'action et aux réactions des

membres de leur équipe. Des managers qui communiquent

leur authenticité1 et sont capables d'aller au-delà d'une culture

de la délégation dans laquelle tout ce qui est délégué est

énoncé, prévu, précisé vers une culture de la subsidiarité2.

Cette culture fait toute sa place à la marge d'initiative de l'indi-

vidu. Le signe en sera la liberté d'expression vis-à-vis du niveau

hiérarchique supérieur.

La fonction managériale se retrouve au cœur des transforma-

tions qu'impose le contexte économique. Dans un rôle de

1. Au sens où l'approche Fred Kofman (« L'entreprise consciente ») : dire sa vérité

dans une expression constructive (qui laisse place à la remise en question) et

une écoute active (qui facilite l'explicitation du point de vue de l'autre).

2. Le niveau supérieur s'interdit d'interférer dans les décisions du ressort du

niveau inférieur tandis que ce dernier s'interdit de laisser remonter des déci-

sions de son niveau de responsabilité.

Page 92: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

86 REPENSER L'ENTREPRISE

transmission lorsque la question était celle du passage à une

production de masse. Dans un rôle de rassembleur et

d'écoute dès lors qu'il a fallu répondre à la pression de la

concurrence par la conjugaison de la qualité et de la diversifi-

cation de la production. Et aujourd'hui, dans un rôle que

définit avec pertinence le terme de leadership et qui consiste

à conduire au dépassement de soi à travers la contribution au

projet collectif.

Pour aller plus loin

La Fin du management

« En dernière analyse, ce qui bride la performance de votre entre-

prise n'est ni son modèle opératoire ni son modèle économique

mais son modèle de management... L'innovation en matière de

management possède une capacité unique à créer un avantage à

long terme pour votre entreprise... Quelque chose, dans les entre-

prises modernes, semble neutraliser le sens de l'adaptation et la

créativité naturelle des êtres humains, quelque chose qui ampute

littéralement leurs salariés de ces qualités pendant leurs heures de

travail... Pour dire les choses simplement, les entreprises ne sont

que faiblement humaines.

« Pour la première fois depuis l'aube de l'ère industrielle, la seule

manière de construire une entreprise adaptée à l'avenir, c'est de

faire en sorte qu'elle soit adaptée aussi aux hommes et aux femmes

qui y travaillent. »

Gary Hamel, Bill Breen, La Fin du management, coll. « Signa-

ture », Vuibert, 2008.

Remettre en cause ses certitudes managériales

La revue Sociétal est une émanation de l'Institut de l'entreprise,

un « think tank » qui rassemble universitaires, dirigeants et cher-

Page 93: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Manager 87

cheurs d'origines diverses. Le numéro 68 (2010) présente un dos-

sier « management de l'après-crise ou crise de l'après-management »

intéressant à plus d'un titre : par la diversité des points de vue pro-

posés, par la qualité de la réflexion des contributeurs. Synthétique

et varié. Une bonne introduction au « travail de ses doutes » ou à

l'approfondissement de ses intuitions sur la mutation nécessaire

du management.

Revue Sociétal, 14, rue d'Assas, 73006, Paris, www.societal.fr

Questionnement

• Comment nous préoccupons-nous de la formation de nos

managers ? De leur « trans-formation » dans le contexte en

mouvement d'aujourd'hui ?

• Nouspréoccupons-nousdelatransmissionintergénérationnelle

des compétences, des savoir-faire ?

• De quels suivis particuliers bénéficient les « Y », les « seniors »,

d'autres catégories de personnel ?

Page 94: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

88 REPENSER L'ENTREPRISE

Réflexion personnelle

Page 95: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

INNOVER

Il ne suffit pas de proclamer à longueur d'année que l'innova-

tion constitue le moteur de la croissance et le facteur clé de

la compétitivité. Encore faut-il faire entrer dans les moeurs la

philosophie du changement. Gardons à l'esprit trois remarques

préalables :

1) Innover ne constitue pas un critère en soi. Le secteur le

plus innovant depuis vingt ans est certainement l'industrie finan-

cière. Sa capacité à concevoir des produits nouveaux de plus en

plus sophistiqués a abouti à la catastrophe que l'on connaît. Le

Concorde, le Minitel ou le turbotrain, l'avion Rafale aujourd'hui

constituaient des prouesses technologiques, ce qui n'a pas empê-

ché ces réalisations d'aboutir à des fiascos retentissants.

2) L'innovation n'a de sens que si celle-ci est étroitement

corrélée aux besoins actuels ou futurs des consommateurs.

3) L'entreprise innovante n'est pas forcément celle qui

invente, mais celle qui sait diffuser l'esprit de la recherche

appliquée à tous les niveaux de son organisation.

Il n'est pas immédiatement opérationnel de disposer des

meilleurs chercheurs ; par contre il est fondamental de diffu-

ser l'application des fruits de la recherche dans de courts

délais à travers l'ensemble des processus de conception de

fabrication et de vente. Neuf brevets sur dix dans le monde ne

trouvent pas d'applications concrètes ou sont dépassés avant

même leur enregistrement, et 90 % de la recherche fonda-

Page 96: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

90 REPENSER L'ENTREPRISE

mentale n'aboutit à aucune évolution concrète. La capacité

d'innovation ne se mesure pas à la taille des laboratoires de

recherche, mais à des paramètres plus informels tels la culture

du changement et du mouvement permanent chez l'ensemble

des collaborateurs, la rapidité de mise en oeuvre pratique, les

liens tissés avec les centres de recherche ou la capacité à déce-

ler les domaines dans lesquels des avancées conséquentes sont

susceptibles d'impacter son propre champ d'activité, ce que

l'on a coutume d'appeler la veille technologique. L'entreprise

a besoin d'incubateurs de recherche reliés en permanence

entre eux. Le seul rôle probant des pouvoirs publics consiste à

entretenir une recherche fondamentale étroitement liée par

contrats au tissu productif et à favoriser l'essaimage de la

R&D au profit des PME.

Apple n'invente pas grand-chose, mais excelle dans l'apti-

tude à mobiliser des techniques découvertes ailleurs dont la

combinaison aboutit à la création de produits inédits. La capa-

cité de détection et d'anticipation d'Apple a submergé ses

concurrents tels Nokia, empêtrés dans la lourdeur de leur orga-

nisation et de ce fait incapables de déceler la rupture technolo-

gique puis de la traduire à temps dans ses offres. Flexibilité,

réactivité, obsession de la créativité à tous les étages de l'entre-

prise sont aujourd'hui les conditions de son développement et

même de sa survie. Ce qui se cristallise ne vit plus, ce qui est

radicalement nouveau sera demain dépassé par d'autres élans

technologiques.

La qualité de la recherche opérationnelle et la rapidité de sa

traduction en produits et processus nouveaux constituent la

grande force des PME allemandes, et le remède le plus sûr à la

désindustrialisation dont nous constatons les ravages sur notre

tissu économique. Il n'existe pas de secteurs condamnés, mais

des entreprises qui ont baissé les bras faute d'avoir transformé

Page 97: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Innover 91

leur état d'esprit et leurs systèmes de conception-production,

faute d'avoir su créer une suffisante valeur ajoutée.

Innover pour quoi faire ? L'innovation ne concerne pas

seulement la mise sur le marché de produits entièrement nou-

veaux. Cet aspect-là est marginal. L'essentiel se trouve dans les

améliorations constantes, souvent très ponctuelles, qui amé-

liorent la qualité et le coût d'un produit ou d'un service. Les

moteurs de nos voitures fonctionnent selon le bon vieux prin-

cipe du moteur à explosion agrémenté depuis sa découverte de

vingt-deux mille améliorations successives, dont chaque nou-

velle avancée représente un avantage comparatif pour celui qui

l'introduit dans son offre.

Un dernier point pour conclure : les grandes évolutions

dans le domaine de l'innovation seront frugales, adaptées à une

demande européenne (attirance pour le low cost) et mondiale

(arrivée au stade de la consommation d'une part de plus en

plus large de la population des pays émergents) à la recherche

de produits de qualité adaptés à la solvabilité àzs acheteurs. En

un mot, offrir du rêve abordable et apprécié.

Le patron de Siemens définit parfaitement cette tendance,

applicable aussi bien à l'industrie qu'aux services, par le terme

« smart » {simple, maintenance friendly, affordable, reliable,

timely to market).

L'heure n'est plus seulement aux grandes avancées défini-

tives, comme la révolution du microprocesseur, mais à la

recherche de modes de production en adéquation avec la

demande raisonnée de produits et services par le plus grand

nombre. Continuer à faire rêver, mais en faisant du rêve une

réalité tangible.

L'innovation, c'est d'abord un état d'esprit.

Page 98: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

92 REPENSER L'ENTREPRISE

- En pratique

Apprendre à apprendre

Qui peut espérer durablement rester compétitif sans les ajus-

tements permanents que requièrent les mouvements de l'envi-

ronnement au sens le plus large ? Qui peut laisser de côté dans

cette démarche l'engagement et la créativité des hommes ?

Une vision logique, qui n'est que retour au fondement de

l'entreprise, la prise de risque. Une démarche cependant qui

ne va pas de soi : comment concilier efficacité, productivité et

liberté de création ? Comment vaincre la résistance au change-

ment ? Comment susciter la prise de risque et l'acceptation de

l'échec ? Osons quelques remarques qui ne prétendent qu'au

bon sens :

• L'entreprise, comme toute collectivité, a un objectif impli-

cite, sa survie, et donc le maintien de l'ordre établi. Elle

n'est pas ouverte au changement de manière naturelle. Ainsi

s'explique la propension à la multiplication des contrôles.

Un facteur d'ouverture au changement est donc la légèreté

des effectifs d'état-major et leur culture de service des enti-

tés opérationnelles.

• Il convient de distinguer entre créativité, capacité à émettre

des idées nouvelles ou originales et innovation, faculté à

faire passer le changement au sein d'un organisme : un pro-

duit innovant, un changement d'organisation la modification

de processus susciteront des résistances. L'innovation est fon-

dée sur la créativité. Elle demande à l'issue de la phase de

créativité un travail d'explicitation, de conviction.

• La résistance au changement procède pour une part impor-

tante de la peur. Peur de voir remises en cause des situa-

tions, des façons de faire. Peur de l'inconnu dès lors que l'on

pressent que le contexte futur sera différent sans pouvoir se

Page 99: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

figurer exactement en quoi. Le meille

que suscite le changement imposé est

verte par soi-même.

L'innovation comporte une part de i

L'acceptation de l'échec repose sur 1

haut niveau. Nombre de blocages t

dans des injonctions paradoxales du

vation réussie, non à l'échec ». Ils r

par le discours, mais seulement p

la valorisation et l'exemple. L'histo

plusieurs dizaines d'échecs (à 30 1VL

(à 100 MM$).

Le succès est porté par une culture d

s'intéresser en premier lieu aux point

pour Philippe Varin, du succès strate

un coup d'avance en cultivant les poir

chercher à compenser les points faible;

démarque pour transformer ces percée

titif1. »

L'innovation vraie est une rupture. 1

Page 100: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

94 REPENSER L'ENTREPRISE

Csf

plus sur les attentes (par définition non connues) que sur

les besoins (identifiés). Le marché des ordinateurs portables

comme celui des téléphones mobiles était jugé inexistant

avant qu'il apparaisse. De fait, les enquêtes se fondent sur ce

qui est connu et défini.

• Les exemples abondent de marchés qui ont disparu en

quelques années : le CD a tué le disque vinyle. Le MP3 tue

le CD et Apple est devenu en 2011 le premier distributeur

de musique au monde. L'obsession de nombre de dirigeants

est de déceler par avance les secteurs qui sont « en risque

d'innovation » et de déterminer ce qui pourrait remplacer

les activités vouées à disparaître.

Cette vision de l'innovation reflète une double conviction :

celle de la montée inexorable des exigences de clients dont les

propres clients évoluent ; celle de la puissance d'une créativité

à laquelle le mouvement de la technologie ouvre de nouveaux

champs des possibles.

La question devient alors de savoir comment profiter de la

créativité de ses collaborateurs, comment faire en sorte que sa

concrétisation, qui introduit le changement, puisse être accep-

tée ? En définitive comment développer et promouvoir une

culture de l'innovation ?

Une telle mutation ne saurait s'imposer puisque précisément

elle vise à valoriser, susciter des marges et des espaces de liberté.

Seule une démarche volontariste, exemplaire et non directive

du dirigeant et de son équipe peut amorcer la mutation.

Les résistances pourront être nombreuses, pourront être fortes.

Les enjeux se dénomment en effet échange d'un statut contre

contribution créative à la performance, renoncement à un

pouvoir hiérarchique au profit d'une autonomie responsable,

abandon du confort de la passivité dans l'exécution contre

l'initiative.

car-

Page 101: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Innover 95

Proposons quelques points de repère :

• Passer de la créativité (individuelle ou collective) à l'innova-

tion, signifie que telle ou telle idée peut être entendue, c'est-

à-dire acceptée pour examen par d'autres que son auteur. En

l'occurrence, le premier verrou est managérial. Le « chef »

est, en effet, le premier recours, le premier « écoutant »... Et

cela tout au long de la ligne hiérarchique.

• Sans doute convient-il que la créativité ait été encouragée.

Cela signifie que créativité et innovation doivent figurer

explicitement dans les évaluations des collaborateurs.

• II est tout aussi important que l'innovation gagnante, celle

qui a débouché, soit reconnue, que son ou ses auteurs en

soient récompensés (que ce soit financièrement ou sous une

autre forme).

• Cette reconnaissance s'appuiera sur un outil de commu-

nication adapté : Ni le rapport annuel (à supposer que

l'importance de l'innovation le justifie) ni l'entrefilet dans

le journal interne : une forme et un média adaptés à l'objec-

tif de promotion d'une culture de l'innovation.

• Enfin, il convient que place soit faite aux initiatives. L'inno-

vation demande en général à être mûrie, mise en forme. Ce

travail est individuel ou collectif. Il demande des « marges

de manœuvre », c'est-à-dire la liberté de l'initiative, du

temps... Citons l'exemple d'une entreprise où les salariés

disposent d'une demi-journée par semaine pour imaginer,

échanger, innover, expérimenter.

Les nouveaux combats de l'entreprise se jouent en interne

autant qu'en externe : développement et mise en œuvre de

l'intelligence, réactivité et opportunisme pour discerner les

chemins de la performance tout en restant fidèle à quelques

invariants qu'il a fallu définir et ancrer dans le concret. C'est le

1®3 —

Page 102: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

96 REPENSER L'ENTREPRISE

—m'

rôle du leader de poser le cadre dans lequel l'innovation pourra

naître et s'épanouir.

Le leader se doit d'être assuré de lui-même, ayant mûri ces

évolutions, ayant, selon le précepte socratique, creusé en lui-

même. Inspiré, il peut devenir inspirant. Il peut, avec son

équipe, montrer le chemin vers une entreprise qui apprend en

permanence de son vécu avec ses clients, ses concurrents, ses

fournisseurs, dans un équilibre dynamique qui s'apparente à

celui du vélo où la chute survient quand on s'arrête.

Pour aller plus loin

Réussir n'est pas une question de chance

Eliyahu M. Goldratt est un consultant de renommée interna-

tionale. Il s'est fait une spécialité de l'exercice du bon sens, c'est-

à-dire de la remise en cause des croyances et idées toutes faites

qui hantent le management moderne. L'ouvrage le montre,

c'est une approche gagnante. Le héros de ce roman d'entreprise,

Alex Rogo, est patron d'une division au sein d'un groupe. La santé

chancelante de ce dernier conduit à une conclusion claire : la vente

des différentes filiales de sa division.

Alex décide que cela ne se passera pas comme cela. C'est donc

l'histoire de trois « recoveries » inattendus, mais au fond profondé-

ment logiques. Poussé par la nécessité, notre héros va revenir aux

fondements, en s'intéressant à ses clients, à leurs attentes vraies et

aux moyens de les satisfaire.

Une lecture très ludique en même temps que profondément ins-

tructive. On y découvre en particulier que les financiers peuvent

être convaincus dès lors que l'on peut leur amener des arguments

solides et concrets. Une galerie de personnages parfaitement cré-

dibles et un ouvrage qui aide à « penser autrement ».

Page 103: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Innover 97

Eliyahu M. Goldratt, Réussir n'est pas une question de chance,

Afnor, 2002.

Un an pour sauver l'entreprise

Le roman, du même auteur que le précédent, est plein de sus-

pense, en prise directe sur la réalité, tout comme les différents per-

sonnages qui ont un relief et une présence remarquables. Il s'agit

de trouver une issue à un dilemme difficile : avouer la saturation

d'un marché qui, jusqu'à présent assurait une croissance de 40 %

l'an... et voir son cours de bourse s'effondrer... Ou bien trouver

de nouveaux marchés.

La réponse à ce dilemme stratégique viendra de l'observation avec

bon sens des attentes des clients. Elle conduira à une diversifica-

tion très prometteuse, assise sur le développement de la valeur

ajoutée proposée.

Une leçon de choses administrée avec maestria sur l'analyse du

marché, l'écoute des clients et l'exercice du bon sens, fonde-

ments de la théorie des contraintes. À déguster et méditer avec

profit.

Eliyahu M. Goldratt et al. Un an pour sauver l'entreprise, Afnor,

2003.

Les 6 chapeaux de la réflexion

Edward de Bono est une référence mondiale dans le domaine de

la créativité. La méthode des 6 chapeaux a fait ses preuves dans de

multiples entreprises ou organisations de toutes tailles. Elle per-

met de structurer la réflexion en distinguant les points de vue (élé-

ments objectifs/chapeau blanc, affectif ou émotionnel/chapeau

rouge, ouvert aux idées/chapeau vert,...). D'une grande efficacité

pour peu que l'on ait formé la « population concernée » à la

méthode et à sa pratique. Un ouvrage et une approche de réfé-

rence.

Edward de Bono, Les 6chapeaux de la réflexion. Editions d'Orga-

nisation, 2010.

Page 104: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

REPENSER L'ENTREPRISE

Questionnement

Où, à nos yeux, se situe l'innovation dans l'entreprise ?

Notre management est-il sensibilisé à l'innovation ? Comment

cela se traduit-il concrètement dans le management ?

Avons-nous organisé des instances d'expression et de créati-

vité à la base ? Avec quels objectifs ?

Page 105: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Innover 99

Réflexion personnelle

Page 106: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

T3 O C Û fNI i-H O fN © 4-1 JZ ai

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Page 107: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

10

DURABLE : FAIRE ÉVOLUER LA CULTURE

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Il y a quelque paradoxe à voir servi à toutes les sauces le thème

du développement durable. Sous un commode vocable, nos

modernes scolastiques attisent de vieilles peurs en les arran-

geant au goût du jour. On ne conjure pas des périls véritables

en mettant en branle la machine à prédire les catastrophes.

Bien sûr, il faut se préoccuper de l'état de la planète. Bien

évidemment, il est indispensable d'adopter des comportements

éco-responsables, d'être attentif aux économies d'énergie, au

Page 108: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

102 REPENSER L'ENTREPRISE

recyclage des matériaux, aux empreintes négatives que nous

allons laisser aux générations futures. Les entreprises, les admi-

nistrations, les individus n'ont aujourd'hui d'autre alternative

que de jouer le jeu de la citoyenneté et de la responsabilité.

Ces engagements prendraient tout leur sens s'ils étaient par-

tagés par l'ensemble des acteurs de la planète, si dans le même

temps on n'achetait des cargaisons de produits chinois fabri-

qués sans aucun souci de ce type, si les États-Unis ne laissaient le

robinet des énergies fossiles largement ouvert, si nous ne contri-

buions pas par nos besoins à accélérer la déforestation des zones

les plus sensibles, si nous ne construisions pas à tout vent en sac-

cageant nos espaces naturels (l'équivalent d'un département

recouvert chaque année en France par le béton), si la grande dis-

tribution ne massacrait pas les paysages et ne produisait des

montagnes de déchets à recycler tant bien que mal.

Cessons les propos hypocrites prononcés la main sur le cœur.

Aux problèmes globaux doivent répondre des solutions glo-

bales, sans chercher seulement à se faire plaisir dans son petit

coin en recourant au bienfaisant ministère de la parole. Nous

avons devant les yeux une autre exigence de développement

durable, qui n'annule pas la première mais qui lui restitue

une partie de son sens. Il s'agit du développement durable

de nos structures économiques. Or, que voyons-nous ? La

tyrannie du court terme, les yeux fixés sur les résultats tri-

mestriels, le sauve-qui-peut des plans d'ajustement de

l'emploi, la précarité des entreprises et du destin des hommes

et des femmes qu'elles emploient, les volte-face de la déci-

sion politique, l'incapacité à définir des prévisions sur un

horizon suffisamment large pour entreprendre des stratégies

structurantes.

C'est un bel adjectif que celui de durable. Il doit en effet se

situer au cœur de tout projet entrepreneurial. Il convient de

Page 109: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Durable ; faire évoluer la culture 103

l'appréhender dans toutes ses dimensions. Cela signifie d'abord

de se libérer de la dictature de l'instant. Nous voyons tous les

jours des chefs d'entreprise, des managers, jouer aux pompiers

en essayant de résoudre des problèmes qui auraient dû être

réglés bien en amont, des responsables aspirés par l'immédiat,

qui deviennent peu à peu incapables d'appréhender les situa-

tions dans la profondeur de la durée. C'est ainsi que, absorbé

dans le quotidien, on ne voit pas venir les dangers, on n'arrive

pas à mesurer les inflexions profondes des marchés. Enferrés

dans le secondaire et l'éphémère, nous ne parvenons plus à être

en charge de l'essentiel. Trop occupés à éviter les écueils immé-

diats, nous ne mesurons plus la tenue du cap ni la vitesse ou la

direction des vents.

Pourquoi ? Parce que trop souvent nous ne fonctionnons

que par expédients, nous construisons du provisoire, quand ce

n'est pas du préfabriqué. Nous ne voyons plus les grippages du

système, les abcès de fixation des conflits et des difficultés.

Assurer la durabilité, autre nom de la pérennité, c'est réap-

prendre la distance, se conformer aux exigences de la réflexion

et de la lenteur, s'obliger à observer l'environnement interne et

externe en hiérarchisant soigneusement l'accessoire de l'essen-

tiel, s'affranchir des idées toutes faites pour se pencher sur les

fondamentaux : comment demeurer attractif et compétitif en

suscitant les synergies fécondes, en faisant prospérer une philo-

sophie du changement permanent et de l'innovation, en s'ins-

pirant de ce qui marche dans des contextes identiques ou

différents, afin de remédier aux dysfonctionnements des pro-

cessus et des relations ?

Durer, c'est se développer en activant des systèmes de

décision et de collaboration pérennes qui nous rendent

plus forts pour affronter les pièges inévitables de la conjonc-

ture.

Page 110: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

104 REPENSER L'ENTREPRISE

Plutôt que de privilégier la durée déterminée, se mon-

trer déterminé sur le durable.

Le président d'une importante PME de l'ouest de la France

me faisait récemment la confidence suivante que j'ai notée mot

pour mot.

« J'ai dû soudainement faire face à une grave maladie. Une

catastrophe pour moi qui manœuvrais toutes les manettes de

l'entreprise. Après ma guérison, j'ai été obligé de prendre du

champ par rapport à l'opérationnel. La catastrophe s'est trans-

formée en bénédiction. Je me suis mis à considérer les hommes

et les choses tout autrement. Je me suis rendu compte que je

n'étais pas indispensable là ou je le croyais, et que ma valeur

ajoutée serait bien plus utile autrement. J'ai délégué en m'aper-

cevant que d'autres étaient à même de faire aussi bien et même

parfois mieux que moi. C'est fou ce que l'on obtient des gens si

on les responsabilise.

« Je me suis mis à réfléchir sur l'essentiel, à tracer le cap, à

envisager les réformes nécessaires pour affronter l'avenir. Au

fond, le rôle du patron c'est d'être le garant de la durée. »

Qu'y a-t-il à ajouter ?

- En pratique

Entraîner par l'exemple

Dans un monde en transformation, qui va vite, qui n'attend

personne, la pérennité de l'entreprise ne se satisfait plus des

recettes du passé. Les signes d'essoufflement ou même

d'échec du management « classique » se multiplient. Qui

peut esquiver le pari sur l'intelligence des hommes ?

car —

Page 111: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Durable ; faire évoluer la culture 105

Très vite apparaît la contradiction possible. Une telle muta-

tion ne saurait s'imposer puisque précisément elle vise à valo-

riser, susciter des marges et des espaces de liberté. Seule une

démarche volontariste, exemplaire mais non directive du diri-

geant et de son équipe peut amorcer la mutation.

Les résistances pourront être nombreuses, pourront être fortes.

Les enjeux se dénomment en effet échange d'un statut contre

contribution créative à la performance, renoncement à un

pouvoir hiérarchique au profit d'une autonomie responsable,

abandon du confort de la passivité dans l'exécution contre

l'initiative. Cela exige de chacun un progrès en maturité per-

sonnelle qu'on ne saurait décréter ou imposer, qui peut être

refusé voire contesté.

Deux pistes sont à privilégier : donner envie ; donner

l'exemple.

Donner envie, c'est à la fois proposer des enjeux valorisants et

en fournir les moyens, c'est-à-dire prendre en considération le

développement personnel des collaborateurs. Passer de la

« formation » à une éducation qui facilite la prise d'autonomie

et le travail de la relation. Donner le goût d'apprendre à

apprendre parce que le mouvement du progrès s'accélère de

plus en plus et que les compétences s'usent.

Donner l'exemple, c'est pour le dirigeant et son équipe,

s'astreindre à des comportements en cohérence profonde avec

leur discours. Des comportements qui valorisent la mise en res-

ponsabilité, l'appel à la créativité, le respect des hommes. Mais

tout autant l'exigence : respecter c'est afficher des exigences.

Les nouveaux combats de l'entreprise se jouent en interne

autant qu'en externe : développement et mise en oeuvre de

l'intelligence, réactivité et opportunisme pour discerner les

chemins de la performance tout en restant fidèle à quelques

invariants qu'il a fallu définir et ancrer dans le concret.

csr-

Page 112: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

106 REPENSER L'ENTREPRISE

—isr*

La maîtrise d'une démarche d'appel à l'intelligence suppose de

ce fait que soient satisfaites deux conditions :

• Un point d'appui inexpugnable. En l'occurrence une ins-

tance dirigeante cohérente, soudée, axée sur la performance,

fonctionnant dans un climat de confiance. Ses lignes direc-

trices sont simples. Elles se dénomment valeurs ajoutées

(individuelles aussi bien que collectives) et sortie perma-

nente de la « zone de confort ». Repérer les signaux faibles,

aller chercher les problèmes, trouver les enjeux.

• Un contexte qui suscite l'engagement des salariés. Qu'ils

puissent y puiser motivation et envie de se réaliser. En pra-

tique le développement d'une « marque employeur » fondée

sur le Sens proposé aux hommes, la valorisation de la diver-

sité, le développement des talents et l'accompagnement des

fluctuations de l'emploi.

La difficulté sur ce chemin d'exigence s'appelle cohérence.

Chacun, à notre ère de communication et de désenchante-

ment à l'égard de la pression consommatrice, est hypersensible

aux incohérences, aux signes de manipulation, aux entorses à

l'authenticité. Le dirigeant, dans un tel contexte, se doit d'être

en alerte permanente. Il mobilise par le verbe. Le verbe n'est

agissant que si la cohérence est complète entre les mots et les

réalités.

Pour aller plus loin

Les 7 clés du leadership

Philippe Wattier a fondé le Cercle du leadership qui rassemble

des dirigeants convaincus qu'il faut promouvoir les concepts

d'un leadership en changement profond. L'ouvrage, vivant et

Page 113: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Durable ; faire évoluer la culture 107

concret rassemble les témoignages et prises de positions d'acteurs

reconnus. Se dégage, au fil des pages, une image de plus en plus

nette d'un leader qui se construit, apprend, travaille sur lui-même

pour être en mesure de répondre aux défis de l'entreprise du

3e millénaire. Un leader qui accepte et recherche la diversité, qui

sait être exemplaire, qui cherche et donne le sens, qui est engagé à

l'égard de la société, qui apprend la résilience... En bref un

homme qui, talentueux, est profondément humain. C'est sur

cette humanité que se fonde sa capacité à rassembler, à mobiliser,

à dynamiser en emmenant au succès la communauté dont il

assume la responsabilité. Des contributions variées et, pour cer-

taines « interpellantes », telle la réponse proposée par Emmanuelle

Barbara à la question des rémunérations et avantages excessifs

qui « bloquent » tant de salariés : un dirigeant qui n'est plus sala-

rié mais profession libérale et dont le niveau de rémunération est

donc directement en cohérence avec la prise de risque que

comporte dès lors sa fonction.

Philippe Wattier et ai. Les 7 clés du leadership. Éditions de

l'Archipel, 2010.

L'Entreprise consciente (Fred Kofman)

D'origine argentine, Fred Kofman a créé Axialent, groupe inter-

national de conseil auprès des équipes dirigeantes. Sa conviction,

qu'il fait partager de façon très pédagogique, est que la perfor-

mance durable suppose la pleine prise en compte des hommes :

responsabilité, intégrité, sont les ressorts premiers du succès. Cela

suppose de prendre en considération au sein de l'entreprise toutes

les dimensions de l'homme, qu'il s'agisse des émotions, des exi-

gences morales ou des attentes spirituelles. C'est à l'homme

« complet » qu'il convient de faire appel pour conduire au succès

la communauté humaine qu'est l'entreprise. Un appel à conju-

guer à tous les niveaux et sans restriction respect et exigence à

l'égard des personnes.

Page 114: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

108 REPENSER L'ENTREPRISE

Le caractère très concret de Fouvrage lui donne une crédibilité

certaine et lui confère une dimension de « manuel pratique » très

précieuse. Un acte de foi en même temps que la démonstration

que « ça marche ». Riche, à méditer et pratiquer.

Fred Kofman, L'Entreprise consciente ou comment créer de la valeur

sans oublier les valeurs, Editions des îlots de résistance, 2009.

Questionnement

• Quel exemple donne le fonctionnement de notre instance

dirigeante ?

• Comment nous préoccupons-nous de développer la moti-

vation ?

Page 115: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Durable ; faire évoluer la culture 109

Réflexion personnelle

Page 116: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

1 10 REPENSER L'ENTREPRISE

INTERLUDE

Chimpanzés

Conte des chimpanzés et de la banane

(ou l'apprentissage de la culture par l'expérience)

Mettez vingt chimpanzés dans une chambre, accrochez une banane au

plafond et mettez une échelle permettant d'accéder à la banane.

Assurez-vous qu'il n'y a pas un autre moyen d'attraper la banane que

d'utiliser l'échelle et mettez en place un système qui fait tomber de l'eau

très glacée dans toute la chambre dès qu'on commence à escalader

l'échelle.

Ainsi, lorsqu'un chimpanzé essaie de grimper à l'échelle, tous les chim-

panzés reçoivent une douche glacée.

Les chimpanzés apprennent vite qu'il ne faut pas escalader l'échelle.

Arrêtez alors le système d'eau glacée, de sorte que l'escalade n'ait plus

son effet de gel.

Maintenant, remplacez un des vingt chimpanzés par un nouveau.

Ce dernier, évidemment, va essayer d'escalader l'échelle et, sans

comprendre pourquoi, il se fera tabasser par les autres.

Eux savent quelque chose que lui ne sait pas.

Remplacez encore un des anciens chimpanzés par un nouveau.

Ce dernier se fera encore tabasser, et c'est celui qui a été introduit juste

avant lui qui tapera le plus fort.

Continuez la leçon jusqu'à ce qu'il n'y ait plus que des nouveaux.

Alors aucun ne cherchera à escalader l'échelle, et si jamais il y en a un

qui pour une raison quelconque ose y penser, il se fera massacrer illico

par les autres.

CsT-

Page 117: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Durable ; faire évoluer la culture

r—BSf

Le pire, Lest qu'aucun des chimpanzés n'a maintenant la moindre idée

de la raison pour laquelle il ne faut pas monter sur l'échelle, mais est

tout à fait disposé à coller un pain à celui qui s y risquerait.

Phénomène de culture ? Sans doute... Sans oublier tous les apports

positifs de la culture, qui définit le contexte au sein duquel l'action est

possible et peut prendre sens.

Page 118: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

T3 O C Û fNI i-H O fN © 4-1 JZ ai

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Page 119: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Il

STRATEGIE : U\ PERFORMANCE ENSEMBLE

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Les tumultes qui agitent la planète ont des conséquences

directes sur nos existences quotidiennes. C'est un fait :

nous devons désormais naviguer par gros temps, avec des visi-

bilités réduites. Raison de plus pour tenir fermement le cap, ce

qui constitue exactement la mission du capitaine. Exercer une

gouvernance, quelle qu'elle soit, c'est étymologiquement et

réellement manier le gouvernail.

Page 120: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

REPENSER L'ENTREPRISE

Derrière la crise financière, c'est le bouleversement de

toute l'économie mondiale qui est en oeuvre. Cela ne peut

rester sans conséquences sur nos manières d'organiser et de

prévoir. L'Occident voit s'achever parmi de multiples soubre-

sauts la phase pluriséculaire au cours de laquelle il a dirigé le

monde, imposé ses modèles et fait triompher ses techniques.

Ce que nous observons avec un peu plus de force chaque jour :

les délocalisations des industries et des services, la course aux

matières premières, la stagnation de la croissance, le mouve-

ment des flux de capitaux, n'est que la traduction du formi-

dable effort d'adaptation et de modernisation entrepris par

les pays émergents, au premier rang desquels l'Inde et la

Chine. Le passage du G8 au G20 est une des traductions

concrètes de ce basculement de la gouvernance mondiale.

Foin de haussements du col pour évoquer on ne sait quel

modèle français et autres billevesées pour estrades électorales.

Nous subissons des pertes considérables de substance. La fuite

des jeunes élites vers des cieux plus cléments en est un signe

parmi d'autres, comme le déséquilibre chronique de nos

échanges extérieurs. Des différentiels de croissance de un à

trois signifient à moyen terme un profond renversement des

situations et des hiérarchies.

Cette perte de substance se traduit évidemment par un

appauvrissement relatif de l'Europe et des Etats-Unis. Les pays

qui étaient les banquiers du monde sont devenus les débiteurs

de leurs anciens obligés qui croulent sous les excédents de leurs

balances commerciales. Pour dissimuler quelque temps les

pertes de revenus difficiles à assumer au plan politique, l'Occi-

dent s'est mis à vivre à crédit. Dette privée, d'abord qui a contri-

bué à la création de bulles spéculatives, qui se mue tôt ou tard

en dette publique, c'est-à-dire en fardeau collectif pour l'ave-

nir. Nous assurons notre niveau de vie en empruntant, sans

Page 121: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Stratégie : la performance ensemble I 15

faire l'économie de l'appauvrissement continu des classes

moyennes et de la relégation à la marge de la société de ceux

dont les normes d'employabilité ne correspondent plus aux

critères de la nouvelle économie. Déficits des régimes sociaux

et des systèmes de retraite, déficits des budgets des Etats, sur-

endettement galopant des ménages : telles sont les consé-

quences de cette panne de l'ajustement.

Notre croissance, ou ce qu'il en reste, a évolué depuis deux

décennies selon un modèle tripolaire. D'un côté des services

sophistiqués à forte valeur ajoutée (finance, technologies de

l'information), d'un autre des industries de haute technologie

(aéronautique, pharmacie et chimie, santé, nouveaux maté-

riaux), enfin du troisième des services domestiques protégés de

la concurrence extérieure et aux emplois globalement peu qua-

lifiés (distribution, construction, transports, services de proxi-

mité, tourisme et BTP...).

Les premiers subissent de plein fouet les effets de la crise et

les gains de productivité dont ils bénéficient. Les seconds seront

de plus en plus menacés par la montée en gamme et les progrès

technologiques des pays émergents. Les administrations

publiques, que l'on pensait bercées d'une tranquille pérennité

sont quant à elles confrontées à la raréfaction de leurs res-

sources, à la redéfinition des sens de leur mission. Moins de

moyens, plus d'efficience pour retrouver une légitimité mise à

mal par l'accumulation des contraintes.

Alors ? Ne reste-t-il qu'à baisser les bras ? Certainement

pas. Il convient au contraire d'être stratège. Que signifie ce

mot ? Tout simplement choisir précisément les créneaux

d'activité, s'interroger à la façon de Ricardo sur nos avantages

comparatifs, opter pour des stratégies de développement

différenciatrices, aborder l'international aussi familièrement

que le marché domestique, nourrir sans cesse l'innovation,

Page 122: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

1 16 REPENSER L'ENTREPRISE

décupler les énergies créatrices. Investir dans l'intelligence,

avec la détermination du lion et la ruse du renard.

S'adapter au monde qui vient. Avec une certitude, ce sera

tous ensemble ou pas du tout. Les économies nationales sont

devenues interdépendantes, Les Etats-Unis ne peuvent agir

sans prendre en considération la Chine. La France doit tenir

compte de l'Allemagne. De même les groupes sociaux tous

réunis dans une même galère doivent accepter au plan national

des remises en cause douloureuses.

Il n'y a plus de « maître du jeu » qui puisse se targuer de

splendide isolement dans ses prises de décisions et le choix de

ses orientations. Dans les entreprises, il s'agit de retrouver le

sens du collectif. La conscience d'un destin partagé est un

passage obligé pour inventer les chemins de la croissance et

de la performance. Une nécessaire montée en maturité. Les

atouts sont là. Il dépend de notre intelligence d'en faire des

atouts gagnants. C'est le défi proposé à tous les responsables.

— En pratique

Exercer son bon sens

On ne peut qu'insister sur le caractère de « bon sens » des

contours que nous avons esquissés : une entreprise qui, pour

faire face aux ébranlements et aux incertitudes du contexte

économique, s'interroge sur son identité/sa mission ; une

entreprise qui cherche à tirer le meilleur parti de son capital

humain ; une entreprise qui prend en compte les traits majeurs

des évolutions sociétales.

Ce parti pris de bons sens est en même temps la réponse aux

errements dont tous ont pu, dans la période récente, constater

les méfaits. Prenons quelques exemples.

m- —

Page 123: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Stratégie : la performance ensemble I 17

C'est le constat de la myopie des marchés, pour ne pas dire de

leur aveuglement. Des marchés financiers qui évoluent sous

l'empire du mimétisme, déboussolés par des déclarations

contradictoires, sur-réagissant aux événements. Le règne, pour

une bonne part de l'irrationnel.

C'est également le constat que la réalité rattrape un jour le

rêve. On a pu faire fi du « basculement » du monde écono-

mique qui créait des déficits, des pertes de revenus. On a pu

penser que tout cela pouvait être indéfiniment gommé par le

recours au crédit, c'est-à-dire la fuite dans le futur. Les plans

d'austérité, la crise de défiance à l'égard de l'euro sont là pour

manifester le retour aux réalités.

Dans un ordre d'idée à peine différent, observons les retards de la

comptabilité et de la finance à prendre en compte des réalités

incontestables : pourquoi, footballeurs exclus1, ne pourrait-on

faire figurer dans le bilan un capital de ses compétences humaines

pourtant essentiel à l'entreprise ? Pourquoi faut-il attendre une

fusion pour voir apparaître la valeur d'un fonds de commerce de

clientèle ou celle du capital organisationnel de l'entreprise ?

Ces constats ne visent nullement à culpabiliser mais à mettre

en évidence un aspect essentiel de la performance écono-

mique : nous sommes imbibés d'une certaine culture. À cette

culture sont associées, médias aidant, des croyances, c'est-

à-dire des façons de penser qui ne sont pas nécessairement

justes : la lucidité est une conquête.

Il est vital pour le dirigeant de préserver son indépendance

d'esprit, de bon sens garder, donc de savoir s'abstraire de la

pression culturelle et médiatique ambiante. Cela lui sera

d'autant plus aisé qu'il se sera entouré d'une équipe dont la

K& —

1. Les prix d'achat des footballers figurent au bilan des clubs.

Page 124: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

1 18 REPENSER L'ENTREPRISE

—m'

diversité des expériences et des profils sera la première richesse

et qu'il aura su, dans sa vie quotidienne, se ménager les espaces

de réflexion et de prise de recul.

S'il revient au dirigeant de provoquer le dérangement, il lui est

indispensable de « travailler sur le terrain ». L'écoute est son

meilleur atout. Il lui appartient de susciter dans son entourage

questionnement, curiosité et envie de progresser. Il n'hésitera pas

à « sortir1 » et à se faire accompagner pour gagner en lucidité et en

distanciation. Les consultants ont mauvaise réputation, tant ils

sont arrivés souvent avec des solutions toutes faites, manifesta-

tion de la conception dépassée d'un fonctionnement trop méca-

niste de l'entreprise. Rebaptisons-les « conseils » et cherchons

ceux qui n'ont d'autre préoccupation que de comprendre et

d'aider à grandir ou faire grandir. Leur regard « extérieur » est

source de progrès dans la lucidité et la compréhension.

Dans un contexte qui a vu s'élever très sensiblement les exi-

gences à l'égard des entreprises et de leurs dirigeants, deux

lignes directrices semblent à privilégier :

• Le souci de développer l'esprit d'entreprise. Convaincre le

management que ne pas oser c'est déjà perdre et que l'échec

est la voie la plus féconde d'apprentissage. Abandonner

l'orgueil du savoir supposé pour l'humilité de l'écoute exi-

geante. Instaurer le temps du manager entrepreneur.

• Le souci de voir loin. La mise en perspective est le meilleur

remède aux excès de modes. Refuser les choix dictés par le

seul court terme. Ne pas prévoir, c'est déjà souffrir.

Il est désormais clair que la performance ne peut être que col-

lective, que la collaboration doit, en interne comme en

externe, faire place à la coopération. En découlent quelques

KS-

1. Le succès des clubs APM manifeste-t-il autre chose que ce besoin d'être

interpellé, de « voir autre chose », de prendre du recul ?

Page 125: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Stratégie : la performance ensemble I 19

csr

principes simples : reconnaître les hommes et la richesse de

leur diversité ; identifier et faire appel aux talents ; susciter

la créativité et cultiver l'innovation. Peut-être le métier de

dirigeant, de manager n'a-t-il jamais été aussi difficile, aussi

exigeant, mais de ce fait, aussi plein de promesses. A une

condition essentielle : s'interroger sur soi, creuser en soi. Être

inspirant pour les hommes dont l'on a la responsabilité sup-

pose d'accepter d'être inspiré. Alors les hommes apportent

bien plus que l'on ne pouvait en attendre.

INTERLUDE

Le conte de la rivière

Née dans les montagnes lointaines, une rivière s'éloigna de sa source,

traversa maintes contrées, pour atteindre enfin les sables du désert. Elle

avait franchi tous les obstacles : elle tenta de franchir celui-là. Mais à

mesure qu'elle coulait dans le sable, ses eaux disparaissaient.

Elle le savait pourtant : traverser le désert était sa destinée. Même si cela

semblait impossible.

C'est alors qu'une voix inconnue, comme venant du désert, se mit à

murmurer : « Le vent traverse l'océan de sable, la rivière peut en faire

autant. »

La rivière objecta qu'elle se précipitait contre le sable, qui l'absorbait

aussitôt : le vent, lui, pouvait voler, et traverser le désert.

« En te jetant de toutes tes forces contre l'obstacle, comme c'est ton

habitude, tu ne peux traverser. Soit ru disparaîtras tout entière, soit tu

deviendras un marais. Mais le vent, lui, te fera passer, laisse-le f emme-

ner à ta destination.

— Comment est-ce possible ?

— Laisse-toi absorber par le vent. » isr-1

Page 126: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

120 REPENSER L'ENTREPRISE

I-dst

La rivière trouvait cela inacceptable : après tout, elle n'avait encore jamais

été absorbée, elle ne voulait pas perdre son individualité. Comment être

sûre, une fois son individualité perdue, de pouvoir la recouvrer ?

« Le vent, dit le sable, remplit cette Fonction. Il absorbe l'eau, il lui Fait

traverser le désert puis la laisse retomber. L'eau tombe en pluie et rede-

vient rivière.

— Comment en être sûre ?

— C'est ainsi. Tout ce que tu peux devenir, si tu ne l'acceptes pas, c'est

un bourbier.

— Est-ce que je ne peux rester la même, rester la rivière que je suis

aujourd'hui ?

— Non, tu ne le peux pas. Mais si tu acceptes les bras du vent, ta part

essentielle sera emportée et tu Formeras de nouveau une rivière. »

Ces paroles éveillèrent en elle des résonances... Elle se dit que c'était

cela qu'il fallait faire.

La rivière alors se leva, vapeur d'eau, jusque dans les bras accueillant du

vent, puis s'éleva légère, sans effort, avec lui. Le vent l'emporta à mille

lieux de là jusqu'au sommet d'une montagne où il la laissa doucement

retomber.

La rivière, parce qu'elle avait douté, fut capable de se rappeler et d'enre-

gistrer avec plus d'acuité le déroulement de l'expérience. « Maintenant,

se dit-elle, j'ai appris quelle est ma véritable identité. »

... Une analogie avec l'entreprise du XXIe siècle ? Cultiver le goût d'entre-

prendre ? Accepter que la vie ne soit que changement ? Savoir qui l'on

veut être par delà les évolutions ? À chacun d'interpréter. C'est le propre

des contes de laisser place au lecteur !

Page 127: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

EN GUISE DE CONCLUSION

Telle cette rivière, ne sommes-nous pas, individuellement

et collectivement devant des évolutions nécessaires, impo-

sées. C'est la condition d'un « grandir » qui fait peur. L'humain

est au cœur de cette « transformation silencieuse » à l'œuvre.

Concluons en nous référant à de vieilles sagesses, toutes

deux chinoises en l'occurrence (signe d'actualité ou, plus sim-

plement, expression d'une culture qui faisait primer le collectif

sur l'individuel ?) :

« Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin. » (proverbe)

« Non pas reconfigurer la situation sur un mode idéal, dont

on fait un plan et qu'on pose en but, mais faire mûrir les condi-

tions rencontrées, celles-là même dans lesquelles on se trouve

impliqué. C'est-à-dire transformer silencieusement la situation

engagée de façon telle qu'elle incline progressivement dans le

sens favorable et que, de cet infléchissement graduel formant

pente, dévalent d'eux-mêmes conséquemment les effets, donc

indirectement à toute fin visée. Si infimes que soient d'abord

les facteurs porteurs repérés au sein de la situation, qui sait les

faire croître pourra faire basculer le "potentiel de la situation"

de son côté. » (Sun Tzu)

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"C Q. O u

Page 129: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

PARTIE II

REPENSER LA GOUVERNANCE

Des pistes sont proposées au lecteur à l'issue de ce parcours

mené au pas de charge. Il s'agissait dans un premier temps

d'aller au plus évident, de fixer l'horizon et les lignes de fuite. Il

peut être utile de s'attarder, de regarder le paysage sous des

angles différents, plus globaux ou plus détaillés. Effet de zoom

entre un « traité de gouvernance » qui propose un retour aux

sources des concepts et un « glossaire » qui esquisse les réponses

à des questions légitimes. Une (très) brève bibliographie ouvrira

enfin à ceux qui le souhaiteraient les voies d'approfondisse-

ments plus étayés.

Page 130: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

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"C Q. O u

Page 131: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

12

DU BON USAGE DES CONCEPTS

Comme le remarque le philosophe Régis Debray, « les ques-

tions vives du jour sommeillent dans nos langues mortes ».

Pour accéder aux concepts, rien de tel que de transiter par l'ori-

gine des mots. Ceux-ci nous en apprennent davantage et sont

de meilleure actualité que de longs discours.

Le manager : celui qui se tient au centre du manège

Maneggiare, à l'origine du verbe « manager », signifie en italien

conduire un cheval au manège. Par extension, à la fin du

XVIIIe siècle le mot prend le sens en anglais de s'occuper de,

entraîner. Le terme « manager » entre d'abord en français à la

fin du XIXe siècle dans le vocabulaire du sport pour désigner

dans la boxe ou le cyclisme un entraîneur qui se charge aussi

des intérêts et de la carrière de son poulain.

Ce n'est que dans l'entre-deux-guerres que le mot « mana-

gement » commence à désigner la gestion des affaires et l'orga-

nisation de l'entreprise.

Le recours à ce terme emprunté à une autre langue que la

nôtre est loin d'être neutre. Il démontre d'abord que la fonc-

tion de direction est un art complexe qui doit intégrer des fonc-

tions multiples préalablement assimilées par celui qui en a la

charge. La gestion n'est plus une aptitude plus ou moins natu-

relle, elle est devenue une compétence et une profession. On

ne conduit plus au doigt mouillé.

Page 132: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

126 REPENSER L2\ GOUVERNANCE

La notion de management caractérise aussi le souci de la

gestion des hommes. Celle-ci ne répond plus à la relation

simple du commandement et de l'obéissance passive. Le mana-

ger se doit d'être pourvu d'une connaissance précise des

principes modernes de la gestion et de l'optimisation des res-

sources, au premier rang desquelles le potentiel humain de

l'entreprise. La communication interne, la motivation, la for-

mation, la rétribution des compétences et des résultats

deviennent des critères de compétitivité, donc de réussite. La

désaffection progressive des modèles tayloristes et toyautistes

se conjugue avec la reconnaissance du rôle déterminant du fac-

teur humain pour mettre en œuvre un style nouveau de direc-

tion et de légitimisation de l'autorité. Le patron a vécu. Il a été

remplacé par le manager, celui qui assure le leadership (mot

significativement difficile à traduire en français lui aussi qui

exprime à la fois l'exercice d'un pouvoir et l'aptitude person-

nelle à conduire une équipe).

Les termes de « manager » et « management » sont bien

sûr toujours utilisés, mais ils ne suffisent plus, trop liés sans

doute aux modes technicistes de la seconde moitié du XXe

siècle. Celui qui est appelé aujourd'hui à diriger d'impor-

tantes entités économiques ou administratives doit faire

preuve de qualités personnelles qui ne se résument pas uni-

quement à un savoir opérationnel appris dans les écoles de

commerce.

Le détenteur de l'autorité : celui qui apporte un plus

Etymologiquement, le mot latin auctoritas signifie ce qui

augmente et fait progresser. L'autorité chez les Grecs et les

Romains manifeste un pouvoir qui n'est légitime que s'il

apporte un plus et un mieux, l'amélioration et la valorisation

Page 133: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Du bon usage des concepts 127

d'un état donné. Ne fait autorité que ce qui génère une contri-

bution essentielle. La première légitimité d'un pouvoir, c'est

son utilité.

« Quelle valeur ajoutée suis-je en mesure d'apporter ?

Qu'est-ce que je confère à l'institution et aux gens qui la font

fonctionner ? », devrait se demander en permanence toute per-

sonne investie d'une quelconque responsabilité. Il n'existe pas

d'autorité sans compétence pour l'asseoir, et sans capacité à

communiquer à ceux qui travaillent sous sa conduite le supplé-

ment que l'on apporte. Ce que le verbe « transmettre » traduit

parfaitement [étym. : faire passer de l'autre côté].

Est de ce fait injustifiable selon les Anciens tout pouvoir qui

laisse en l'état, suscite de l'inertie, et pire encore, provoque une

régression ou une contraction. L'autorité se mesure à l'aune des

progrès qu'elle permet d'accomplir. À défaut, elle n'est que

défaillant simulacre. Capable d'entraîner le jugement d'autrui,

elle doit aussi conduire à surmonter la divergence des intérêts

individuels pour imposer une vision d'ensemble. Nous retrou-

vons dans cette notion de l'auctoritas romaine les traits du

concept moderne de leadership.

Pour ces raisons, l'autorité doit être inversement propor-

tionnelle à la force de contrainte requise pour la faire fonc-

tionner. Elle est son propre principe, c'est pourquoi

l'autoritarisme constitue l'exact opposé de l'autorité. Il est

même sa négation, puisqu'il fait obligation de se plier à une

volonté dépourvue de bénéfice pour celui qui la subit. L'auto-

ritarisme dénote un pouvoir dévoyé, en quelque sorte usurpé

(sans autre légitimité que l'usage de sa pratique), incapable de

s'exercer autrement que par la faculté de contraindre. Ce que

les Grecs appelaient tyrannie et que nous nommons abus de

pouvoir ou de position.

Page 134: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

128 REPENSER L2\ GOUVERNANCE

Le stratège : celui qui met les forces en mouvement

La définition du cap à suivre et des moyens de parvenir à desti-

nation est au cœur du métier de dirigeant. Le stratège {strategos)

à Athènes désigne à l'origine un chef militaire. Le mot « straté-

gie » est formé à partir des suffixes strat et agein, qui signifient

METTRE UNE ARMÉE EN MOUVEMENT ET LA CONDUIRE.

La stratégie, c'est l'élaboration et la mise en œuvre des

moyens les plus appropriés pour atteindre les objectifs fixés.

Cette ambition suppose préalablement pour le chef, c'est-

à-dire celui qui est en charge de l'essentiel, d'être à même d'ana-

lyser les problèmes, de les appréhender, avant de mettre en

œuvre dans une deuxième phase les solutions opérationnelles.

Elle constitue à ce titre une pensée globale traduite dans des

actions, capable de discerner, relier et hiérarchiser l'ensemble

des éléments d'une situation (comprendre, c'est étymologique-

ment saisir ensemble des éléments épars pour les mettre en

relations puis en cohérence).

D'abord limité au domaine de la guerre, le mot « stratégie »

s'est étendu au xixc siècle à l'ensemble des organisations, la

politique et l'économie en particulier. Dans un univers de plus

en plus complexe et décloisonné, la nécessité s'est imposée de

limiter les incertitudes et de fixer des objectifs sur le moyen-

long terme. En quelque sorte, saisir le tout à travers ce qui est

dispersé.

La définition stratégique est de la responsabilité du top

management, car elle engage le devenir de la structure. Il ne la

délègue pas, même s'il peut s'entourer de conseils et recueillir

auprès de tiers des informations utiles à sa réflexion. En même

temps, il en assume les succès ou les échecs.

La stratégie est une des applications de la prospective. Ce

terme, introduit en français dans le sens que nous lui connais-

Page 135: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Du bon usage des concepts 129

sons en 1834 provient du vocabulaire de l'optique {prospectivus

qualifie CE qui permet DE VOIR DE loin). La stratégie introduit

la distance et la durée dans la gestion des affaires. L'antithèse de

la myopie.

Le stratège ne doit pas seulement considérer l'adéquation

des moyens et des fins. Elaborer une politique de long terme

suppose de vérifier en permanence la pertinence des objec-

tifs et leur adéquation à l'intérêt bien compris de la struc-

ture. Les stratégies de maximisation du profit à l'aide

d'instruments financiers incontrôlables conduites récem-

ment par les grandes banques internationales constituent un

exemple de dérive des moyens autant que des fins. Le revers

prospectif.

La tactique ne s'oppose pas à la stratégie. Elle permet de la

mettre en oeuvre en la déclinant dans les divers domaines de

son application {taktike en grec signifie l'art de faire manœu-

vrer les troupes). La tactique est du ressort des hiérarchies

intermédiaires. Elle met en oeuvre des moyens. Elle doit s'accor-

der aux principes de la stratégie globale, en créant le lien entre

le tout et les parties.

Le médiateur ; celui qui fait le lien

Le dirigeant est un intermédiaire. Entre les actionnaires et les

salariés, entre les autres dirigeants, entre le marché et l'entre-

prise. Il est entre, inter, ce qui significativement en latin prend

le sens à la fois de au milieu de et A l'intérieur de.

Cette notion d'intermédiation est déjà familière à la pensée

grecque, qui l'exprime par le terme de metaxu, le préfixe meta

comme inter en latin signifiant CE qui EST entre. De même, le

prêtre, depuis la plus haute Antiquité, représente la médiation

Page 136: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

130 REPENSER Ly\ GOUVERNANCE

entre le monde divin et celui des hommes, comme le philo-

sophe entre ce dernier et l'univers des idées. Comme eux,

l'individu pourvu de responsabilité fait figure d'intercesseur

(celui qui fait le va-et-vient entre deux points) et de média-

teur, au sens double de ce terme : celui qui s'entremet entre

deux parties, et celui qui communique avec toutes. Médiateur

et médiatique en quelque sorte.

Une des fonctions du dirigeant est de faire circuler de

l'information. Il porte la parole, il explique, il expose, il

divulgue [étym. : rendre public]. Il traduit la nature et la

finalité de sa politique, qu'il médiatise. Le dirigeant, à ce titre,

constitue un point d'équilibre entre des tensions pouvant

devenir contraires et menacer la stabilité d'un édifice dont il

est l'axe central. Pour cette raison, il privilégie les liaisons

organisatrices car sa fonction est de rassembler autour de lui

pour conforter le fonctionnement de l'ensemble. La fonction

assignée à la metaxu grecque consiste justement à favoriser le

rassemblement du multiple pour aller vers l'unité, agréger

entre eux les atomes pour créer de la matière. L'obsession du

secret, la rétention sous toutes ses formes vont à l'encontre de

ces objectifs.

Le dirigeant parle, mais il écoute aussi, il entend les avis, il

intègre les contradictions. Comme l'écrit Montaigne, « c'est

une aigreur tyrannique de ne pouvoir supporter une forme

contraire à la sienne ».

Cela ne signifie pas pour autant qu'il ne simule ni dissimule

jamais. L'emploi approprié et justifié de la ruse chère à Machia-

vel fait partie des qualités requises pour la fonction dirigeante.

Toutefois, il ne se résout à dérober à la vue que lorsque des inté-

rêts supérieurs justifient l'accroc occasionnel à l'impératif de

divulgation.

Page 137: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Du bon usage des concepts 131

Cette fonction de médiation-intercession impose que le

dirigeant ne soit pas un homme de partis et de coteries. Il

demeure au-dessus des conflits pour demeurer à même de

s'interposer. Il est dans la position inconfortable d'être au

milieu et au-dessus (inter et super). Les pieds dans la réalité

concrète, son esprit doit être simultanément capable de prendre

la distance nécessaire avec les événements afin de contrôler leur

cours. S'entremettre sans se compromettre...

Le dirigeant doit garder en permanence à l'esprit cette

fonction médiatrice qu'il lui appartient d'exercer, parce qu'il

se situe à la confluence des logiques complémentaires de la

conception et de l'action. L'oublier ouvre la voie à la plupart

des dangers qui le guettent, dès lors qu'il ne s'intéresse plus

aux réalités du quotidien et qu'il s'enferme dans une forte-

resse solitaire.

Le dirigeant ou le dispensateur de sens : celui qui

définit et indique le chemin

L'engagement des individus, leur motivation [étym. : CE QUI

LES MET EN mouvement] à agir et à progresser sont subordon-

nés à la compréhension de ce qui leur est demandé. Pourquoi,

comment, pour aller vers quoi ? On ne réussit une entreprise

qu'autant qu'on lui confère du sens, et que ce sens est compris

et partagé par ceux qui en sont les acteurs, capables de pénétrer

la complexité pour démêler les mobiles et les finalités. Perdre le

sens, être incapable de répondre aux questions « pourquoi ? » et

« vers quoi ? » affecte la raison. Il appartient à celui qui dirige de

susciter et conserver le sens commun, en d'autres termes ce qui

rassemble et permet à chacun de se situer tant par rapport à

l'interne qu'à l'externe.

Page 138: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

132 REPENSER L2\ GOUVERNANCE

C'est pourquoi il ne suffit pas de tracer des politiques. Il

convient aussi de les faire partager. Les expliquer, ce qui littéra-

lement veut dire déplier, les éclairer (passer de l'obscur au

clair), de faire accéder à l'intelligence, de passer du compliqué

au plus simple, depuis l'indiscernable (ce qui ne se voit pas)

jusqu'à l'évident (ce qui se voit de loin sans que l'on ait

BESOIN DE SE RAPPROCHER).

Dans tous les domaines, nos contemporains sont à la

recherche de sens, qu'ils ne trouvent plus que rarement dans les

croyances ou les habitudes. Plus l'univers devient complexe,

plus les ancrages ont disparu, plus les certitudes se sont estom-

pées, plus croît l'ambition inquiète de pénétrer le pourquoi et

le comment. On ne mène à bien un projet collectif que si cha-

cun perçoit vers quelle finalité tend la mise à contribution de

ses compétences et de ses efforts.

Faire sens revient à indiquer clairement la signification de ce

que l'on fait, et la direction vers laquelle on entend se diriger.

Ce qui est confus est inaudible. Ce qui est inaudible déserte

l'entendement. Le malaise de notre civilisation tient pour

beaucoup à cette perte de sens que l'on retrouve dans toutes les

sociabilités, dans l'entreprise comme dans la famille. Là sont

les sources du conflit, les racines de la discorde [étym. : dis-

cors, LA DIVERGENCE DES CŒURS).

L'objectif à se fixer est donc le consensus. Le consensus est

CE QUI FAIT CONVERGER les sentiments et les opinions, ce qui fait

coïncider, c'est-à-dire fait tomber ensemble sur un même

point. Dans la langue médicale antique, le consensus repré-

sente l'interdépendance des organes dans l'accomplissement

des fonctions vitales du corps. La maladie n'est autre que rup-

ture du consensus, quand les organes ne répondent plus les uns

aux autres, quand ils se mettent à diverger. Dans la représenta-

tion politique, le consensus permet à une collection disparate

Page 139: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Du bon usage des concepts 133

d'individus de constituer une société. Un corps social, comme

le corps humain, ne fonctionne correctement que si chacune

de ses parties apporte sa contribution à la bonne marche de

l'ensemble.

L'inspirateur : celui qui donne du souffle

Diriger, c'est montrer le cap, mais aussi être source d'inspira-

tion. Etymologiquement inspirer signifie insuffler une éner-

gie. La force du dirigeant, comme celle du chef de guerre,

réside dans cette capacité à transmettre une énergie vitale, un

souffle créateur. Il faut pour cela qu'il soit lui-même inspiré,

c'est-à-dire en possession de messages à délivrer, de stratégies à

entreprendre, comme on dit d'un artiste qu'il a ou n'a pas l'ins-

piration, et qu'il soit inspirant, apte à communiquer pour opti-

miser le potentiel de créativité et d'innovation que recèlent ses

collaborateurs.

Il conduit les individus qui composent son groupe à se

transcender [étym. : transcendere, monter four aller au-delà].

Le bon manager est un animateur, non au sens dérisoire ou on

l'entend aujourd'hui mais au sens propre de donner le souffle

vital. Animer vient en effet du latin anima, qui signifie l'âme,

la PARTIE DIVINE qui réside en l'homme. C'est pourquoi, pro-

fondément, animer c'est créer de la vie, allumer l'étincelle du

meilleur qui réside en chaque individu. En termes plus quoti-

diens : faire surgir le potentiel de chacun, lui faire atteindre les

frontières de ses possibilités, l'amener à être un créateur, pas

seulement un exécutant.

Nous en revenons ainsi à la notion de valeur ajoutée qui

est le fondement de l'autorité. Une animation réussie fait

grandir et dilate les capacités. Le chef inspire et on s'inspire

de lui. Il stimule ses troupes {stimulare en latin a pour sens

Page 140: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

134 REPENSER Ly\ GOUVERNANCE

aiguillonner pour faire avancer). Ce n'est ni un despote

ni un gourou, mais un intercesseur qui fait bouger les lignes

et explique les raisons du mouvement, qui donne l'exemple

en quittant ses cartes d'état major pour se porter au front.

Ce qu'il inspire, c'est du désir mimétique, de l'appétence,

l'ambition de faire toujours mieux, participant à un

mouvement que lui-même contribue à dessiner et dont il

est porteur.

L'harmonisateur : celui qui crée la cohérence

et la cohésion

Harmonia, pour les Grecs, est née de l'improbable union

entre Arès et Aphrodite, entre la guerre et l'amour. Harmonia

est la déesse qui rassemble, qui s'oppose à la discorde comme

au ressentiment. Elle assure au groupe stabilité, permanence

et équilibre. L'harmonie, c'est aussi dans son sens premier

le joint entre deux planches, la cheville ou le mortier employés

pour assembler des briques. Tout ce qui permet de tenir

ensemble, d'assembler et d'imbriquer. On ne dirige bien que

dans le mélange heureux des opposés qu'il importe de rendre

fécond.

De quoi s'agit-il, au fond ? De transformer la dynamique de

la différence non en énergies conflictuelles, mais en complé-

mentarités créatrices. Ce qui contrevient à l'harmonie s'appa-

rente au dérèglement. De regere en latin signifie CE qui empêche

de gouverner. Effectivement, les dérèglements de l'organisa-

tion s'opposent à la bonne gouvernance.

Il ne s'agit pas de nier naïvement le conflit et la joute. Il

serait illusoire d'ignorer la violence qui parcourt tout groupe

humain. Une des missions majeures du chef est justement de

créer les conditions de son apaisement, de la canalisation de

Page 141: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Du bon usage des concepts 135

cette énergie vers la construction et non vers la négativité.

L'harmonie, pas plus que l'autorité, ne se décrète pas. C'est un

état d'esprit, un sens de l'arbitrage, un art de désamorcer les

problèmes en détournant de l'accessoire pour se projeter dans

l'essentiel. Créer une éthique du rassemblement, non une tac-

tique de la division.

La nature de l'harmonie est de créer de la cohérence et de

la cohésion. Dans les attitudes, les discours, les politiques,

pas de cohésion sans cohérence. Dans la physique antique,

la cohérence représente la propriété que possèdent les parti-

cules des corps de s'assembler les unes aux autres. Cela

constitue le fondement de la philosophie épicurienne en

Grèce (Epicure) puis à Rome (Lucrèce). Cette articulation

harmonieuse ne peut se réaliser que si les contradictions

sont surmontées, si la pratique coïncide avec les discours,

les actes avec les intentions, les promesses avec les réalisa-

tions effectives.

Comme le pontife {pontifex, celui qui construit les ponts)

dans la religion romaine, puis chrétienne, le manager n'échappe

pas à cette symbolique du raccordement et de la « reliance ». Il

se doit lui aussi de faire œuvre de constructeur de ponts. Il jette

des voies au-dessus des obstacles pour permettre et promou-

voir les échanges. Point d'espace commun, de communauté,

sans les instruments qui relient, les volontés qui rassemblent et

font communiquer.

Un important dirigeant d'une grande banque française très

touchée par la crise récente me tenait dernièrement des propos

révélateurs : « Nous avons failli parce que nous avons cédé à la

pression du court terme. Nous n'avons rien vu venir. Il fallait

gagner toujours plus d'argent. Nous avons oublié les fonda-

mentaux prudentiels de notre métier. Nous sommes allés de

l'avant en mettant en compétition les différentes divisions. Les

Page 142: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

136 REPENSER Ly\ GOUVERNANCE

verrous ont sauté, notre vision d'ensemble aussi. Tout était

devenu épars. Il n'y avait plus que des individus et des services

qui jouaient dans leurs prés carrés sans plus se soucier des règles

de l'ensemble. Nous n'étions plus en cohérence avec ce qui fon-

dait notre appartenance commune. C'est comme ça que la

catastrophe est arrivée. »

L'efficacité de toute action de direction exige le souci de la

cohérence et de la cohésion. Machiavel, dans ses conseils au

prince soulignait toute l'importance de la cohésion dans la

bonne marche des républiques. Il ajoutait que pour parvenir à

ce but, tout dirigeant doit savoir mesurer et même anticiper les

changements. C'est chose fragile en effet que le maintien en

l'état de l'agrégation fédérative d'individus que rien n'incite

naturellement à la convergence. Ramener à l'unité de vue, per-

cevoir les dérapages, rassembler ce qui est disjoint, consolider

ce qui se précarise, demande une vigilance de tous les instants,

une capacité permanente à anticiper. Réfléchir pour infléchir.

Le sage : celui qui sait la juste mesure

Le banquier John Pierpont Morgan déclarait que pour réussir

en affaires il faut du flair, des compétences techniques et sur-

tout une force morale appuyée sur une éthique solide. « Vous

pouvez avoir tous les diplômes du monde. Si vous n'avez pas la

tête bien posée sur les épaules, vous ne réussirez pas, ou mal.

Justement ce qu'on ne vous enseigne guère dans les bonnes

écoles de business. »

Aristote, précepteur d'Alexandre, qui s'y connaissait en for-

mation de chefs, insistait sur la dimension morale de celui qui

est appelé à exercer de hautes responsabilités, vertu qu'il résu-

mait sous le nom de sophrosune, étymologiquement CE qui fait

la santé DE l'esprit. Pour être vieux de 2400 ans, le concept

Page 143: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Du bon usage des concepts 137

n a rien perdu aujourd'hui de son actualité. Il signifie la tempé-

rance, la modération dans les pensées et dans les actes. Être en

possession de la sophrosune, c'est se montrer capable d'assurer

la maîtrise de soi-même et de ce qui nous entoure. C'est conser-

ver le contrôle de soi sans céder à la panique ou à la décision

irréfléchie, conserver son sang-froid sans se laisser submerger

par l'enchaînement des événements. La sophrosune appelle à la

juste mesure, loin de ce qui est extrême et excessif.

Cette vertu figure aussi la tempérance. Le sage dirigeant

n'aspire pas à l'excès de pouvoir, de fortune ni d'honneurs, à la

consommation avide de biens matériels (le contraire du bling-

bling...). Il ne désire pas au-delà de ce qu'il est décent d'obte-

nir. L'aspiration aux parachutes dorés, retraites chapeaux et

autres rémunérations mirobolantes est aux antipodes de cette

forme de pensée.

La sophrosune s oppose, à son exact contraire, Xhubris, défaut

majeur s'il en est dans toute la morale antique, comme sans

doute dans le monde contemporain des affaires. Mhubris est la

représentation de la démesure, du dérèglement des esprits et

DES CORPS. C'est une sorte de folie qui s'empare de ceux qui ont

quitté les rives du discernement et de la mesure.

Mhubris, c'est l'excès dans toutes ses dimensions, une façon

de perdre pied avec le réel pour accéder à un monde virtuel

dirigé par les passions. C'est aussi bien le dérèglement des sens

que l'appétit extrême de pouvoir, les comportements écono-

miques insensés comme on en constate assez régulièrement,

une pratique politique imposant un pouvoir coercitif sans

contrôle ni partage. C'est aussi l'orgueil, la négation des autres

et de leurs idées, le narcissisme de sa propre représentation, la

jouissance désordonnée en lieu et place du plaisir.

L'abus, c'est-à-dire l'usage excessif {ab-usus) conduit à

l'échec et au désarroi, car il contrevient à l'équilibre qui déter-

Page 144: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

138 REPENSER Ly\ GOUVERNANCE

mine les relations entre les hommes et avec les choses. Il piétine

l'ordre naturel pour y substituer une pathétique folie. Notons

aussi qu'abuser ne signifie pas seulement consommer avec excès

mais aussi tromper. Tromper soi-même et les autres dans un

processus de rupture de l'harmonie du bon usage.

L'idéal de sagesse grecque repousse les passions qui affectent

les âmes autant que les organisations sociales. L'homme doit se

libérer des troubles et des émotions qui l'assaillent, prendre de

la distance pour apprécier sereinement, veiller à ne pas se lais-

ser emporter par ce qui perturbe et dérange l'esprit : la colère,

l'angoisse, le ressentiment, l'ambition démesurée. Cette atti-

tude a pour nom apatheia, l'apathie, dans le sens positif d'éloi-

gnement des passions, exactement opposé à ce que le terme est

devenu en français moderne.

L'exercice des vertus est bon pour celui qui le pratique, mais

aussi pour son entourage. L'homme investi d'une autorité,

qu'elle soit publique, guerrière, ou économique exercera sa

charge avec d'autant plus de force qu'il sera parvenu à ce niveau

de maîtrise, garant de sa capacité à affronter les épreuves tout

en dirigeant avec audace, mesure et discernement.

C'est aussi garder une claire conscience de ses limites et de

la fragilité de ses succès, surtout quand tout semble réussir.

Sperat in infestis, metuit in secundis (il faut espérer quand tout

va mal et craindre quand tout va bien), résumera Sénèque,

héritier romain de cette sagesse aristotélicienne dont on ne

peut que conseiller l'usage à ceux qui sont en charge de grandes

responsabilités.

Page 145: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

13

DU BON USAGE DES CONFLITS

Toute société humaine est parcourue de lignes de tensions.

Gérer des hommes, c'est se situer au cœur de ce magma

confus que les moralistes appelaient les passions. Celles-ci se

retrouvent partout où existent des enjeux de pouvoir, de réus-

site sociale ou d'améliorations matérielles. Nous sommes appe-

lés à agir au sein de mouvements contradictoires. Ceux-ci

tracent le champ des rivalités entre individus ou groupes consti-

tués, l'espace des conflits entre des stratégies ou des personnali-

tés divergentes, des ambitions ou des visions contraires.

En portant au XVIIe sur le concept de pouvoir l'analyse la plus

profonde de l'histoire de la pensée, Thomas Hobbes commence

par définir l'homme comme un être de désir, mu par la quête

indéfinie de l'accumulation de puissance. L'instauration de toute

autorité, que caractérise la détention simultanée de la puissance

et du droit, constitue selon le philosophe anglais la réponse légi-

time au besoin de juguler en la canalisant cette tendance natu-

relle qui porte en elle la source du désordre et de l'anarchie.

Le microcosme que constitue l'entreprise n'échappe pas à ce

constat. Manager n'est jamais de tout repos, bien éloigné en

tout cas d'une vision irénique et idyllique des rapports profes-

sionnels. Sous les abords les plus policés, la violence ne manque

jamais d'affleurer à la surface des relations internes. Comme

l'avaient bien compris les jésuites à la suite de saint Ignace et de

la vision augustinienne du monde, le mal est consubstantiel à

l'homme, même si s'offrent à lui des opportunités de rédemp-

Page 146: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

140 REPENSER Ly\ GOUVERNANCE

tion. C'est une réalité qu'il convient de garder à l'esprit en

s'efforçant d'en transformer positivement les effets. Organiser

en quelque sorte la coexistence. Ne pas se complaire dans les

lamentations, mais dépasser pour les transcender la présence

des forces obscures. Eviter autant que possible d'affronter (éty-

mologiquement abattre l'ennemi en le frappant au front), mais

contourner, afin de dériver la violence qui nous assaille, comme

un ingénieur agirait avec le cours d'un fleuve indocile.

Science managériale et sens politique

• Machiavel

Il n'est pas inutile, évoquant l'entreprise, de recourir à l'enseigne-

ment de quelques théoriciens politiques majeurs. Comment

gérer au mieux et conserver la responsabilité dont on est investi ?

Machiavel le premier, dans le cadre significatif de la cour

des Médicis, au commencement du XVIe siècle, a théorisé la

question. Le prince ne doit jamais être dupe de ce qui l'entoure.

Exercer et conserver le pouvoir est un exercice complexe qui

impose de contenir en les gérant au plus près les passions qui

s'expriment autour de lui : l'envie, l'orgueil, la soif de richesse

et de pouvoir. Les conjurateurs peuvent être d'anciens zéla-

teurs. Brutus n'est jamais bien loin de César. Rien de mieux

que les fils pour tuer les pères et les médiocres pour accabler ce

qui excède leurs capacités. L'énergie prédatrice est une des

choses les mieux partagées. « Gouverner, c'est mettre vos sujets

hors d'état de vous nuire ou même d'y penser », chuchote

Machiavel au prince. Celui-ci ne doit pas ignorer que les dévo-

tions peuvent devenir des aversions. « Il faut traiter ses amis

comme s'ils devaient un jour devenir des ennemis » commen-

tera un peu plus tard la Bruyère. La confiance se prête, se

renouvelle mais elle ne se donne pas. Celui qui gouverne

Page 147: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Du bon usage des conflits 141

n'ignore pas que les fidélités sont précaires. L'admiration

n'exclut nullement le sourd désir de prendre la place de celui

que l'on sert.

L'œuvre du Florentin, que l'on décrit parfois, et à tort,

comme un manuel de cynisme, est plutôt un éloge de la luci-

dité, l'art dépouillé d'illusions de naviguer entre les obstacles

sans méconnaître les difficultés, sans jamais perdre de vue la

finalité des actes et des politiques. Considérer les hommes tels

qu'ils sont plutôt que comme ils devraient être. Veiller à ne

jamais se laisser circonvenir, conserver l'acuité de l'attention,

demeurer aux aguets des pièges et des embuscades ; voilà pour-

quoi Machiavel conseille au prince d'être « rusé comme un

renard et féroce comme un lion », ces deux aptitudes que

résume le terme italien de virtù. La nature première du poli-

tique est de savoir mesurer les enjeux, déceler les défaillances,

trancher dans les conflits pour imposer des choix dépourvus

d'ambiguïté qui serviront l'intérêt général.

Nul ne peut exercer sa charge qu'en étant capable de discer-

ner les rictus sous les sourires, les jalousies sous les flatteries. Il

faut ne rien ignorer des vices pour s'efforcer de pratiquer la

vertu. L'intelligence active consiste à utiliser les passions plutôt

que subir leurs effets, jouer des ambitions en se jouant d'elles,

transformer des armes entre les mains des adversaires en outils

dans les siennes.

Le décideur selon Machiavel est comme un artiste qui

sculpte l'entité dont il a la charge, sans avoir la maladresse de la

façonner à son image, mais bien plutôt en fonction de ses

objectifs et de son environnement.

• Clausewitz

Clausewitz, inventeur de la science de la stratégie au début du

XIXe siècle, ne dit pas autre chose. La guerre, qu'elle soit civile

Page 148: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

142 REPENSER LA GOUVERNANCE

ou tournée vers l'extérieur, représente ce qu'il appelle une mon-

tée aux extrêmes. Elle figure le théâtre des passions violentes

qui animent les hommes. Elle prend place bien sûr dans le

cadre de la lutte entre les Etats, mais on l'observe aussi à l'inté-

rieur de ceux-ci dans les relations interpersonnelles ou profes-

sionnelles : à force de se combattre, on ne sait plus exactement

ce qui nourrit le combat, mais on continue. En politique

comme ailleurs, les règlements de comptes ne sont pas soumis

à péremption. Clausewitz ajoute que le déferlement des

passions n'exclut pas le recours à la raison pour élaborer les stra-

tégies destinées à mettre l'adversaire à terre. Il n'est qu'appa-

remment contradictoire de mettre en œuvre toute sa force

rationnelle dans des combats qui échappent à toute rationalité.

L'histoire récente d'un grand groupe aéronautique illustre par-

faitement la réalité de ces vendettas internes qui pâtissent lar-

gement à l'intérêt collectif, même si la plupart du temps le

conflit ne fait qu'affleurer au niveau visible.

Comme nous l'avons vu au chapitre précédent, le chef se

situe au-dessus et simultanément au milieu. Au cœur du champ

de bataille. Il ne peut se détacher des soubresauts qui l'envi-

ronnent en se réfugiant dans sa tour d'ivoire. Il n'est ni naïf ni

obsédé du complot. Il porte un regard calme et circonspect,

évitant autant qu'il le peut de laisser transparaître ses doutes ou

ses états d'âme. Le doute ne porte pas irrésistiblement à l'inac-

tion, tant ce qui est contradictoire ne se révèle pas systémati-

quement incompatible. Parmi les facteurs d'incertitude, celui

qui touche la régulation des hommes ne constitue pas le

moindre. Diriger, c'est d'abord démontrer sa capacité à agir sur

ce critère.

En ce sens, la réflexion sur la politique a beaucoup à

apprendre à ceux qui s'intéressent au gouvernement d'entre-

Page 149: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Du bon usage des conflits 143

prise. La science managériale a bien des points communs avec

la science politique, sauf l'échelle du pouvoir. Toutes deux ont

à connaître les coups d'état, les révolutions de palais, le gain ou

la perte de la souveraineté par l'élection ou la décision des

actionnaires, le renforcement ou la ruine de la légitimité. Les

deux posent le problème concret de la gouvernance.

Les formes contemporaines d'expression

de la violence

Celles-ci se sont profondément modifiées. L'expression spon-

tanée de la force brute propre aux sociétés traditionnelles a

cédé le pas à de nouvelles conjonctions plus larvées, mais aussi

plus intériorisées. Les conflits s'expriment moins ouverte-

ment. Ils suivent, comme les eaux souterraines, des chemins

sous-jacents. La guérilla plus que le conflit ouvert. On recourt

plus volontiers au fleuret moucheté dans les relations inter-

personnelles. Les protagonistes usent d'une communication

subtile pour faire prévaloir leurs vues ou manifester leurs anta-

gonismes. On recourt à la rumeur, on distille des informa-

tions, on met en oeuvre des réseaux, on en appelle à la voix de

relais d'opinion. Dans les grandes entreprises, les conflits

s'expriment souvent par médias interposés. L'invective est pas-

sée de mode. Aujourd'hui, les rancunes se chuchotent, les dis-

cordes se murmurent. On négocie des retraits bien plus que

l'on n'impose des départs. La « mise au placard » plutôt que la

rupture brusque. Nous évoluons dans un milieu feutré où on

se parle à demi-mots. On ne recourt plus, comme dans la Flo-

rence de Machiavel, à la dague ou au poison, mais les conflits

de personnes et d'ambitions demeurent aussi tenaces, l'achar-

nement à éliminer le rival, le concurrent ou le contradicteur

aussi vif.

Page 150: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

144 REPENSER Ly\ GOUVERNANCE

Au point de vue des relations sociales aussi, de nouveaux

mécanismes se sont progressivement mis en place. Le conflit

social traditionnel était sporadique mais violent. Il représentait

un rapport de force physique entre le patronat et les salariés,

que l'on appelait encore travailleurs, sur un fond de lutte des

classes qui se terminerait par la victoire définitive de l'une des

parties. Tout cela, comme les lendemains qui chantent, est bien

sûr révolu. Il n'y a jamais eu aussi peu de jours de grève en

France qu'aujourd'hui. Le dialogue institutionnel prévaut sur

le conflit, et souvent l'accablement sur la révolte. L'ennemi de

classe a été affublé du doux nom de partenaire. Nous faisons

l'expérience de la marée basse des idéologies, conséquence de

l'effondrement des certitudes individuelles et collectives. Le

militantisme a laissé place à des avatars divers du désenchante-

ment contemporain.

Vivons-nous toutefois en terrain apaisé ? Certainement pas.

La réponse à la contrainte ou au rapport de subordination

s'exprime autrement, dans les attitudes au travail, par la voie

des antagonismes quotidiens, dans l'absentéisme ou les défauts

de réalisation. Le conflit individuel s'achève en arrêt-maladie.

Si nous observons sur un graphique l'évolution des conflits

sociaux et celle des dépressions psychiques, on constate que les

deux courbes suivent des inflexions exactement inverses, et

qu'elles se croisent au milieu des années 1970. Les antidépres-

seurs substituts des luttes sociales ?

L'entreprise n'échappe pas au mouvement de la société tout

entière qui intériorise une part de la violence au lieu de lui laisser

sa libre expression, au risque de conduire les individus à la retour-

ner contre eux-mêmes. Le monde du travail est actuellement

moins sujet aux crises qu'aux malaises, à cet indicible mal-être

qui nourrit les incertitudes, accroît les fragilités et les dépen-

dances, qui parfois détruit des vies. L'exemple récent, ambigu

Page 151: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Du bon usage des conflits 145

mais fortement médiatisé, de France Télécom illustre ce phé-

nomène. Il démontre aussi que le manager dans son art de diri-

ger ne doit jamais oublier que le maillon le plus fragile de la

chaîne qu'il est chargé d'entraîner est constitué d'hommes et

de femmes, dont il faut apprécier au plus juste la capacité de

résistance aux sujétions qu'impose la froide analyse de la mise

en adéquation des moyens. Dans la société d'individualisme

qui est la nôtre, l'affaiblissement des liens familiaux et sociaux

a fait voler en éclats les amortisseurs de désarroi. Quand la

souffrance professionnelle vient rejoindre la solitude sociale, le

désespoir n'est jamais loin.

Au premier siècle avant notre ère, Cicéron ne s'exprimait

pas autrement : « Les chefs doivent tout rapporter à ce prin-

cipe : ceux qu'ils gouvernent doivent être aussi heureux que

possible. »

Page 152: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

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Page 153: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

14

DU BON USAGE DES PASSIONS

Faire d'une source brute un gisement conforme

aux intérêts du groupe

Que faire donc des passions humaines, puisqu'elles sont pré-

sentes et que l'on ne peut les gommer d'une circulaire ?

Un chef d'entreprise amateur de psychanalyse me disait un

jour qu'il faut traiter ces affects comme une source d'énergie

sous pression et leur faire prendre le bon chemin pour que, ne

menaçant plus l'équilibre interne, ils se transforment en source

de vitalité. Il faisait référence à ce que Freud appelle la libido,

cette force brute qu'évoquaient déjà Hobbes et Clausewitz,

alimentée par le désir de parvenir à ses fins (le principe de plai-

sir) en pliant la réalité à ses propres ambitions.

L'art du dirigeant, selon ce chef d'entreprise, consiste juste-

ment à transformer du négatif en positif, par ce que la psycha-

nalyse définit comme le processus de sublimation, autrement

dit la transformation de la nature et de la manifestation de son

énergie désirante. Faire d'une source brute un gisement

conforme aux intérêts du groupe. C'est l'objectif de saint

Benoît lorsqu'il écrit sa règle, destinée à concentrer la vitalité

des moines vers un ensemble très précisément défini de travaux

manuels et intellectuels. On retrouve ce dessein dans la fonc-

tion discrète mais fondamentale longtemps dévolue à la guerre :

transformer des mauvais sujets en bons soldats, retourner vers

l'extérieur de la communauté une violence qui ne doit pas

s'exercer à l'intérieur de celle-ci. C'est ce qu'exprimait de

Page 154: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

148 REPENSER Ly\ GOUVERNANCE

manière imagée un homme politique américain du siècle der-

nier : « Fd rather have the guy inside my tent pissing out, rather

than outside my tent, pissing in. »

Les croisades n'avaient qu'accessoirement comme finalité

de délivrer le tombeau du Christ. Il ne s'agit là que de discours

officiel. Elles présentaient plutôt l'opportunité de canaliser

vers l'Orient et les infidèles l'énergie des jeunes cadets sans

terres que la croissance démographique avait multipliés, et qui

aurait fini par menacer l'ordre féodal. Les entreprises colo-

niales répondaient à des motivations aux fondements assez

proches.

« L'âme qui n'a point de but établi, elle se perd »

Le dirigeant doit en conséquence formuler en permanence des

défis à l'intention de son groupe, bander les énergies vers des

objectifs clairement énoncés. Il faut pour avancer être « unis

contre », ce qu'Aristote, précepteur d'Alexandre le Grand, déjà

soulignait au IVe siècle avant notre ère. La France de la IIIe Ré-

publique, toute tendue vers la réintégration à la nation de

l'Alsace et de la Lorraine, répondait à un schéma identique. Les

tensions internes issues de la crise de la Commune et de l'éta-

blissement du régime républicain n'ont pas survécu à ce sur-

saut d'unité. L'homme d'entreprise doit réaliser dans l'espace

qui est le sien ce que l'homme politique accomplit autour de

l'idée d'union nationale. Recréer l'équivalent de la nation,

c'est-à-dire une force fédératrice qui s'éveille et prospère dans

les périodes de péril extérieur, telles les premières années de la

Révolution française. Construire du « nous » plutôt que du

« on ». La vigueur de ce nous fait naturellement reculer les

quant-à-soi. Les cathédrales n'ont guère besoin de chapelles.

Page 155: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Du bon usage des passions 149

La prolifération de saints nuit à la perception de la ferveur

essentielle.

Parce que la force naît d'abord de la conscience de sa fragi-

lité, toute communauté a besoin d'une référence forte à ce qui

la fonde et la constitue : tendre les énergies vers les gains de

parts de marché, fixer des objectifs précis d'améliorations et de

croissance, anticiper les mutations technologiques.

Pour avancer, il faut des défis à relever, des obstacles à écar-

ter. Le dirigeant doit mener de front ces deux données

incontournables de la réussite que sont l'ordre et le mouve-

ment. Faire en sorte que le modèle du changement permanent

à l'intérieur de l'entreprise ne remette pas en cause les indis-

pensables solidarités qui la fondent. Dans ce but il faut privilé-

gier ce qui agrège pour contrarier les forces naturelles qui

défont, substituer une volonté collective aux ambitions indivi-

duelles, tout en fixant à chaque collaborateur de la manière la

plus précise sa place dans le dispositif et l'étendue de ses mis-

sions. Le dirigeant, bien avant le moment de conduire au

combat, est l'homme qui rassemble et réunit {re unire : remettre

de l'unité dans la multiplicité).

Pour atteindre ce but, celui qui est à la tête (étymologique-

ment le chef) doit voir loin et savoir où il va. Il ne tourne pas

en rond mais il va de l'avant. « L'âme qui n'a point de but éta-

bli, elle se perd », remarque Montaigne, et se perdent avec elle

ceux et celles qu'elle est chargée de conduire et qu'elle ne fait

que fourvoyer. Rien n'est plus propice au doute et au réveil

des menées personnelles que les politiques floues et les molles

indécisions. Celui qui dirige, parce qu'il importe qu'il ait les

yeux fixés sur l'avenir, doit s'employer avec constance à dessi-

ner les perspectives, tracer les chemins vers le but poursuivi,

faire détacher les yeux des accidents de terrain pour révéler les

paysages. Il prépare en permanence l'adéquation avec ce qui

Page 156: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

150 REPENSER Ly\ GOUVERNANCE

va advenir après. Conscient d'un passé (la culture d'entre-

prise) Il est le pont entre maintenant et demain. Là réside

toute la différence entre administrer et diriger, entre tactique

et stratégie.

La navigation à vue est souvent nécessaire, mais elle doit dès

que possible laisser la place aux larges perspectives. Clausewitz,

analysant les victoires de Napoléon, observait que celui-ci,

contrairement aux stratèges de l'autre camp, avait une vision

globale de la conflagration qui excédait très largement le champ

de bataille. Un dirigeant peut être presbyte, mais il lui est inter-

dit d'être myope.

Cette remarque porte une autre conséquence : on ne dirige

correctement qu'à la condition de s'abstraire du détail quoti-

dien des affaires. Un chef ne s'attarde pas au règlement des

problèmes d'intendance et aux litiges subalternes, quel que soit

le plaisir que l'on peut prendre au règlement des probléma-

tiques secondaires. « L'esprit trop occupé des petites choses

devient ordinairement incapable des grandes » notait juste-

ment la Rochefoucauld, traduisant à sa façon la maxime latine

de minimis non curâtpraetor (le chef ne s'occupe pas des petites

choses). Il ne serait pas inutile d'apprendre dans les écoles de

gestion les conditions de mise en pratique du principe de

subsidiarité. II ne faut s'occuper des choses secondaires qu'à la

condition de constater l'existence d'un blocage grave, généra-

lement révélateur de dysfonctionnements plus profonds.

L'énergie et l'autorité s'usent si on les emploie systématique-

ment à s'immiscer dans ce qui entre dans le champ des ini-

tiatives déléguées.

Il serait déraisonnable de faire abstraction des passions qui

nous environnent. Les grands capitaines d'entreprise l'ont

compris, ou ont vite cessé de l'être. Diriger est un art

complexe, aussi intuitif qu'il peut être scientifique. Il ne serait

Page 157: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Du bon usage des passions 151

pas inutile d'inclure dans les processus de formation de nos

modernes managers une initiation au traitement des pas-

sions. Autre forme de sagesse nécessaire à une heureuse

conduite des hommes, que Ton ne mène que si on les

connaît.

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Page 159: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

EN GUISE DE CONCLUSION

Gouverner en temps de crise aiguë signifie, plus que jamais,

tenir le gouvernail pour conduire la structure dont on a la

charge vers des horizons plus sereins. C'est une tâche difficile,

délicate, qui ne met pas en jeu seulement une expérience ou

des compétences acquises, mais également les termes d'une

équation personnelle ancrée dans ce que les philosophes quali-

fient de morale.

Authenticité, lucidité, exemplarité, cohérence des compor-

tements et des actions, vision stratégique mêlée à l'intelligence

tactique demeureront pour longtemps les vertus fondamen-

tales de ceux qui dirigent ou aspirent à le faire. Dans le domaine

du management, comme dans d'autres, l'examen critique de

soi-même précède la mise en œuvre des stratégies gagnantes.

Un tel modèle, pour lequel plaident maints exemples de

réussites remarquables, ne fait que revenir aux fondements :

une entreprise est une aventure humaine auquel le challenge de

la confrontation au réel dans l'affrontement concurrentiel

confère une dimension de dépassement de soi et de révélation

de tous les talents dans le respect de la diversité de chacun. Il

n'existe de véritable mutation que si celle-ci touche en premier

les comportements et les cultures, la manière de se situer par

rapport à soi et aux autres, d'appréhender son environnement

immédiat et le contexte global.

Que de gisements inexplorés qu'une habile gouvernance est

de nature à mettre en valeur, que de réservoirs de puissance

sous-évalués et sous-utilisés ! Une entreprise lieu de la concilia-

Page 160: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

154 REPENSER Ly\ GOUVERNANCE

tion du respect pour les personnes et de ce qui en est indisso-

ciable, l'exigence à leur égard. Une équipe dirigeante « chef

d'orchestre », qui fait en sorte que puisse s'exprimer le talent de

chacun des musiciens en même temps que se forme l'expres-

sion de leur ensemble.

Page 161: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

GLOSSAIRE ET CONTRE-INTUITIONS

Changement : il est la plupart du temps perçu comme une

transition entre deux états qui, implicitement, sont supposés

stables. Les problématiques d'aujourd'hui vont à l'encontre

d'une telle conception. Le changement devient, en effet, per-

manent. Il ne s'agit donc pas de mener à bien une transition, de

« passer un mauvais moment », mais d'accepter une situation

de changement permanent. Prendre contraintes et opportuni-

tés au quotidien.

Cohérence : la cohérence de la démarche est la condition de

toute crédibilité personnelle comme de toute action sur la

culture. Il s'agit, en effet, de disposer des points de repère qui

rappellent en permanence l'orientation qui a été retenue. Un

impératif pour résister à des forces de rappel inscrites dans la

culture d'autant plus fortes qu'elles sont implicites.

Confiance : la confiance est reconnue comme un élément

d'efficacité économique majeur, ou même une condition

préalable. Il est remarquable qu'on en parle aussi peu au sein

de la plupart des organisations (ou dans les formations

managériales).

Deux aspects apparaissent essentiels : « confiance » va avec

« personne » et avec « risque ». Pas de confiance dans la pratique

sans prise de risque. Pas de confiance impersonnelle. On peut

ajouter que la confiance gagne à être éclairée : dans quel

Page 162: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

156 OSER LA PERFORMANCE AUTREMENT

périmètre, avec quels types d'objectifs ? C'est dire qu'une commu-

nication authentique peut apparaître comme un préalable.

Au sein de l'entreprise apprenante, on approfondira avec profit

la notion de « 4C ». Confiance, Créativité, Communication et

Courage vont en effet de pair et fonctionnent à l'inverse de la

pile Wonder (ne s'usent que si l'on ne s'en sert pas !)

Déterminants de comportement : les comportements sont

profondément marqués par la conformité aux attentes réelles

ou supposées de la hiérarchie. Il convient de se défier de ce qui

est « apparemment objectif », qui sera vécu dans cette optique.

Il est naturel, dans la perspective d'une culture d'entreprise

apprenante, de s'interroger a priori sur les effets d'une directive

ou d'un outil de gestion, d'une attitude...

Développement personnel : le réintégrer dans le champ de la

formation professionnelle dont il est exclu. Qu'entend-on par

développement personnel en entreprise ?

L'intelligence émotionnelle a été mise à l'honneur par des

auteurs mondialement reconnus comme Paul Eckman et

Daniel Goleman. Pensée et comportement sont marqués,

qu'on le veuille ou non, par l'empreinte affective. Il importe

donc d'apprendre à identifier ses émotions, non pas pour les

éliminer (ce sont des alertes précieuses, c'est-à-dire des moyens

de connaissance puissants) mais pour prendre de la distance

avec elles.

La notion de préférences comportementales est apparue dans

les processus d'embauche. Plusieurs méthodologies ont vu le

jour, les plus connues étant celles de Herrmann (HBDI) et le

MBTI. La connaissance de ses préférences permet de s'appuyer

sur ses points forts et d'identifier ses zones de risque.

Page 163: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Glossaire et contre-intuitions 157

Intelligence émotionnelle et préférences comportementales

développent l'aisance relationnelle à travers la compréhension

des comportements d'autrui. On peut également mentionner

un outil pratique et simple, développé par Eric Berne, l'analyse

transactionnelle. Elle est fondée sur l'idée qu'une transaction

élémentaire entre deux individus peut être porteuse de sens

cachés. Leur identification permet d'améliorer la qualité de la

communication.

Entreprise apprenante : le concept est apparu dans les années

1980, notamment du fait des succès économiques des entre-

prises japonaises. Au-delà des modes managériales, le fonde-

ment est de bon sens : faire appel à toutes les capacités des

hommes, et notamment à des tendances fortes, créativité, désir

de se réaliser, goût de la communication.

L'expérience montre le réalisme d'une telle approche. Elle

implique de la part de l'instance dirigeante une exemplarité,

une volonté d'écoute permanente, la définition d'un projet

ambitieux.

Le saut dans le niveau de la performance économique est la

première justification d'un projet de ce type.

Évaluation : l'évaluation annuelle est le « point crucial » de

l'entreprise apprenante. C'est pour le manager l'opportunité

de motiver et de faire appel aux talents de son collaborateur.

C'est pour ce dernier l'opportunité de s'exprimer, de s'orienter.

Ce processus fait appel à l'authenticité et au courage. Non pas

un temps de « bisounours » mais une vérité humaine qui conci-

lie respect et exigence.

Page 164: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

158 OSER LA PERFORMANCE AUTREMENT

Formation : elle a, dans le Périt Robert, la double acception de

« former, se former ; manière dont une chose se forme » et de « édu-

cation intellectuelle et morale d'un être humain ». Eduquer vient

de ducare qui à l'origine signifiait conduire, mener, introduire.

Se « former » au sens de « donner une forme » est bien proche

de « déformer ». Par ailleurs à notre époque où savoirs et savoir-

faire se périment à vitesse accélérée, à l'ambition de former

devrait succéder celle d'ouvrir à la formation, à une formation

permanente. Donc donner le goût de « se former ». En se réfé-

rant au proverbe japonais, non pas donner un poisson mais

apprendre à pêcher. Apprendre à apprendre.

Gouvernance : organisation des systèmes de direction idéale-

ment fondée sur le respect réciproque et la transparence quant

aux objectifs et aux réalisations. La gouvernance est le fonde-

ment de la cohérence de l'action et le levier de la motivation de

l'ensemble des collaborateurs

Innovation : en contexte concurrentiel, un objectif permanent

et le signe de la mobilisation collective au service des clients.

L'innovation va au-delà de la créativité en ce sens quelle bous-

cule modes de fonctionnement et habitudes de pensée.

Interpellation : se mettre en situation d'être interpellé fait par-

tie des responsabilités du dirigeant et de son équipe. Accepter

la critique interne, la susciter et la valoriser (par exemple en

promulguant l'idée de « voies de progrès »). Chercher à l'exté-

rieur : Le retard du développement des PME en France semble

lié à la pauvreté de la population de Business Angels1 (4000 en

1. Olivier Pastré, économiste, membre du Cercle des économistes, Rencontres

économiques d'Aix-en-Provence, 2010.

Page 165: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Glossaire et contre-intuitions 159

France contre 40 000 en Grande-Bretagne et 400 000 aux

USA.). Le premier rôle du conseil d'entreprise ne serait-il pas

d'aider à avoir un autre regard ?

Management : relais entre l'instance dirigeante et les salariés.

Le « talent managérial », concernant les rapports humains, se

développe d'abord à partir de l'expérience. Il est très influencé

par la « culture managériale ». La difficulté naît en période de

mutation culturelle où les recettes intégrées ne sont plus adap-

tées. Cela justifie une « formation/dé-formation/trans-

formation » au management.

Leadership : la notion a été mise à l'honneur par la réussite

d'un certain nombre de « grands dirigeants ». C'est un concept

qui mérite de s'y attarder dans la mesure où il est associé à une

évolution profonde de la pratique managériale. Affirmons clai-

rement que le leadership n'est ni une question de charisme ni

une question de « storytelling » ni une question de QI excep-

tionnel. Il se caractérise à nos yeux par la connaissance de soi et

un parti pris, dans le vécu des responsabilités managériales de

recul, d'écoute des hommes, de vision et d'approfondissement

personnel.

Le leader abandonne le « faire faire » au profit du « amener à

faire » (marquer les axes/objectifs et définir le cadre au sein

duquel l'autonomie responsable de chacun peut s'exprimer).

Performance : le développement personnel et la connaissance

de soi ne donnent pas par eux-mêmes la garantie de faire

mieux.

Il s'avère, en pratique, que l'individu est friand d'une meilleure

connaissance de soi. Par ailleurs lui donner les moyens de

Page 166: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

160 OSER LA PERFORMANCE AUTREMENT

progresser dans ce domaine est un signe fort de reconnaissance.

L'introduction du développement personnel dans une organi-

sation joue donc à deux niveaux : amélioration de la culture et

du climat relationnels ; ouverture des individus au change-

ment.

Une action dans ce domaine peut être le préalable à des remises

en cause plus profondes dans le mode de fonctionnement de

l'organisme.

Résistance au changement : le passage d'un fonctionnement

taylorien gouverné par la règle à une culture d'entreprise appre-

nante fondée sur l'autonomie et la créativité ne va pas de soi. La

transition verra se mettre en oeuvre des forces de rappel considé-

rables. Sont en effet mises en cause des positions acquises. L'affi-

chage de l'authenticité comme valeur de référence induit des

évolutions personnelles qui peuvent ne pas être acceptées.

Sens : le sens est le fondement de la motivation. Il aide, en

effet, à ce que chacun puisse percevoir l'utilité de sa mission,

qui s'insère dans l'utilité globale de l'entreprise au sein de la

société. C'est en outre un invariant, un point de repère dans les

inflexions et les changements d'orientation.

Stress : état de faiblesse psychologique contagieux, qui trouve

son origine dans la réception d'injonctions paradoxales (des

instructions ou objectifs implicitement contradictoires) ou

dans un mode de fonctionnement directif qui néglige les

contraintes d'adaptation des personnes.

Talents : le talent est ce qui est naturel, ce à quoi on prend plai-

sir. Cultiver les talents implique de renoncer à des échelles

Page 167: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Glossaire et contre-intuitions 161

« universelles » de performance. II s'agit, en effet, de permettre

au collaborateur de s'appuyer sur ses forces, sans chercher à

corriger ses faiblesses. C'est par la diversité des talents que l'on

obtiendra non pas simplement la performance mais l'excel-

lence.

Théories managériales : les théories managériales qui ont

fleuri depuis plusieurs décennies se sont, pour la plupart, carac-

térisées par un vocabulaire original et un cadre conceptuel

pauvre. Il repose en effet sur la définition/la mise en place de

solutions imprégnées de taylorisme (faire faire selon un schéma

préétabli, imposé aux hommes).

Dans cet ordre d'idée le benchmark est l'aveu implicite du

recours au mimétisme. Le principal défaut de nombre de ces

théories, qui reposent sur l'idée d'optimisation (faire mieux par

l'organisation, les modes de fonctionnement...) est d'opérer

dans un milieu implicitement stable.

La Theory of Constraints de E.M. Goldratt, apparue au début

des années 1980 est l'exemple d'une approche profondément

innovante, la plupart du temps rejetée du fait de la remise en

cause de « concepts universels ». C'est la raison essentielle du

caractère confidentiel qu'elle conserve. Sa pleine efficacité

réclame une ouverture d'esprit préalable. Elle peut alors don-

ner des résultats très surprenants.

Le contexte d'aujourd'hui, extrêmement exigeant, demande

de l'indépendance d'esprit et l'ouverture de la nouveauté.

L'acceptation de telles « règles du jeu » conduit le dirigeant à

rechercher l'efficacité en s'appuyant sur les hommes qui

l'entourent en affichant à leur égard des exigences du même

ordre.

Page 168: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

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Page 169: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

BIBLIOGRAPHIE CHOISIE

La bibliographie qui suit, complémentaire des « Pour aller plus

loin » qui jalonnent la réflexion, a été établie, parmi les dizaines

d'ouvrages dignes d'intérêt, avec deux objectifs : aller au plus court,

à la « substantifique moelle » ; couvrir un champ large afin de

répondre à des préoccupations variées des lecteurs.

Sorties de crise et Pourquoi il faut partager les

revenus [Patrick Artus et al.)

Patrick Artus est directeur de la recherche de Natixis et univer-

sitaire. Il cosigne deux ouvrages remarquables dont le titre ne

reflète que bien partiellement la richesse. Avec pédagogie et

sans le moindre soupçon de démagogie, les deux ouvrages

donnent une vision claire du contexte macroéconomique

actuel, des enjeux et des voies de solution.

Rien de réjouissant puisque fondamentalement les illu-

sions et faux semblants ne sont plus de saison. Il faut prendre

en compte la mutation économique profonde que connaît la

planète. Les « fuites en avant » dans les déficits ou le crédit

seraient mortelles. Seule voie ouverte, celle de la prise de

conscience et de la collaboration à tous les niveaux. Qu'il

s'agisse d'un Etat ou d'une classe sociale, nul n'a plus les

moyens de s'en sortir seul. Et les ressorts de rappel n'existent

pas, mais plutôt des mécanismes pro-cycliques qui mènent à

la catastrophe.

Page 170: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

164 OSER LA PERFORMANCE AUTREMENT

« Il faut sauver le soldat Obama », le retour à la santé des

USA étant une des clés de la sortie mondiale de crise. L'Europe

est la seule issue pour l'ensemble de ses membres, une Europe

solidaire, intégrée. Eviter le piège de la déflation implique de

privilégier les revenus. Donner les moyens comptables aux

investisseurs de long terme de jouer ce rôle est une priorité

absolue... La liste est longue des constats qui deviennent « évi-

dents » sous la plume des auteurs. Le lecteur en ressort aba-

sourdi, interpellé... et convaincu que la « vraie crise » est encore

à venir. Le monde aborde une phase radicalement nouvelle

d'intégration, faite d'interdépendances reconnues, acceptées,

où le courage politique et la lutte contre les « égoïsmes natu-

rels » sont les points de passage obligés de la survie collective.

Patrick Artus, Olivier Pastré, Sorties de crise, Perrin, 2009.

Patrick Artus, Marie-Paule Virard,

Pourquoi il faut partager les revenus, La Découverte, 2010.

La France sans ses usines

(Patrick Artus et Marie-Paule Virard)

L'histoire de la désindustrialisation qui s'est accélérée de

manière très préoccupante à la suite de l'avènement de l'euro.

Tous les indicateurs convergent et les explications avancées

sont crédibles, solides, étayées. Les voies de solution aussi,

au-delà des « rêves paresseux » d'un prix Concourt préconi-

sant une France réduite à une « Floride européenne ». La

réalité économique serait beaucoup moins souriante et

humainement profondément décevante : une abdication.

Le sursaut, quant à lui, impose de prendre à bras-le-corps les

réalités qui s'appellent R&D, PME à soutenir, formation aux

métiers industriels, fiscalité adaptée. Rien qui ne soit hors de

portée, mais à coup sûr un effort collectif inscrit dans la

Page 171: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Bibliographie choisie 165

durée, qui suppose une prise de conscience et l'affirmation de

choix politiques clairs.

Patrick Artus et Marie-Paule Virard,

La France sans ses usines, Fayard, 2011.

La France doit choisir (Jean-Louis Beffa)

Ancien dirigeant du groupe Saint-Gobain, Jean-Louis Beffa est

un fin connaisseur du monde économique. Très pédagogique,

l'ouvrage présente une vision de toutes les grandes puissances

de notre monde globalisé. C'est clair, simple, informé. De ce

seul point de vue, un ouvrage remarquable et parfaitement

recommandable. L'auteur se réfère en particulier à une grille de

lecture économique : la balance du commerce extérieur illustre

le fait que les services ne peuvent jamais, à eux seuls, déboucher

sur un équilibre.

Viennent en fin d'ouvrage la vision de la France et celle de

l'Europe. Une lecture exempte de toute polémique, qui met en

évidence que notre pays, depuis un demi-siècle, a évité de faire

un choix clair. La désindustrialisation, qui explique la persis-

tance d'un taux de chômage élevé, résulte d'une option impli-

cite pour une approche libérale-financière, par opposition au

modèle qui a prévalu en Allemagne (commercial-industriel).

L'approche libérale-financière inaugurée par Pierre Bérégovoy

débouche sur un déclin programmé. Est-ce ce que nous vou-

lons ? Sinon, sommes-nous prêts aux remises en cause qui

s'imposent ? Le contexte économique et européen ne permet

plus d'éluder la question. Il va falloir répondre. Merci Mon-

sieur Beffa de cette présentation lumineuse et synthétique du

dilemme face auquel nous nous trouvons.

Jean-Louis Beffa, La France doit choisir. Le Seuil, 2012.

Page 172: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

166 OSER LA PERFORMANCE AUTREMENT

Wanagement, manager à contre courant |Benjamin

Chaminade, Armand Mennechet, Pierre-Yves Poulain)

Un ouvrage « décapant » : le point de vue d'un « digital native »

sans complexe qui voit le monde à la lumière des réseaux sociaux,

du mouvement et de l'entreprise apprenante. « Apprenez à ne

pas être comme votre manager actuel en sept leçons » (les cein-

tures du judoka) : rêvez pour inventer l'avenir, faites confiance et

soyez positif à l'égard de vos équipes ; sachez utiliser les réseaux...

et ayez confiance en vous. Dit autrement, sachez abandonner

vos croyances dépassées pour être de votre temps. Bibliographie

intéressante. Court, dynamique, salutaire.

Benjamin CuAMiNADE, Armand MENNECHET, Pierre-Yves Poulain,

Wanagement, manager à contre-courant, Dunod, 2012.

Le capitalisme est-il moral ? Sur quelques ridicules

et tyrannies de notre temps (André Comte-Sponville)

Une réflexion limpide sur la fonction économique et les

questionnements que soulèvent les excès, condamnations ou

idéologies dans ce domaine. André Comte Sponville propose,

dans ce petit ouvrage, une analyse qui remet clairement les choses

« à leur place » : Ne mélangeons pas tout, apprenons à nous situer

et à mieux assumer nos responsabilités dans le regard que nous

portons sur l'entreprise et la société. Simple, éclairant, utile.

André Com te-Sponville, Le capitalisme est-il moral ? Sur quelques ridicules

et tyrannies de notre temps, LGF, 2006.

Le Petit Livre du développement durable

et L'Effet papillon (Xavier de Bayser)

Xavier de Bayser est un banquier qui, de longue date, se préoc-

cupe d'investissement socialement responsable. Les deux

ouvrages sont préfacés par Nathalie Kosciusko-Morizet.

Page 173: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Bibliographie choisie 167

Le Petit Livre est une réflexion qui, en mots très simples,

démystifie le développement durable. Il s'agit, simplement,

d'accepter d'ouvrir les yeux et de se montrer responsable.

10 mots, c'est peu, et c'est assez lorsque la démarche est péda-

gogique. Un ouvrage qui est résolument à mettre entre toutes

les mains.

L'Effet papillon narre l'aventure de pionniers convaincus qui

ont inventé des solutions viables à la malnutrition, à la défores-

tation, à la famine. C'est possible, c'est très peu coûteux (beau-

coup moins que toutes les aides habituelles). Il suffit de le

vouloir, c'est-à-dire d'accepter le choix de l'interdépendance, à

l'encontre peut-être d'intérêts « capitalistes » mal compris. Le

voulons-nous ? Et, en attendant une prise de conscience large,

11 reste possible, à l'échelle individuelle, de se tourner vers ces

« investissements socialement responsables » qui font des

miracles.

Xavier de Baysf.r, Le Petit Livre du développement durable

— 10 mots pour changer la planète. Editions de l'Archipel, 2009

et L'Effet papillon —petits gestes, grands effets

pour une croissance durable, Editions de l'Archipel, 2011.

L'Entreprise réconciliée

(Jean-Marie Descarpentries, Philippe Korda)

On ne présente plus Jean-Marie Descarpentries, redresseur

de CarnaudMetalbox, puis de Bull. Philippe Korda est le

créateur d'un cabinet de consultant (Korda&Partners). Les

auteurs partent de constats irréfutables : baisse tendancielle

de l'engagement des salariés ; non prise en compte des

hommes dans la comptabilité autrement que sous forme de

charges. Va-t-on irrémédiablement, la globalisation aidant,

vers un désamour dont les conséquences donnent froid dans

le dos ?

Page 174: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

168 OSER LA PERFORMANCE AUTREMENT

La réponse est claire et argumentée : « On ne bâtira pas

les entreprises de demain avec les modèles d'avant-hier. »

Dit autrement, les crédos managériaux qui s'appellent bud-

get, management par objectifs et entretien annuel d'évalua-

tion sont obsolètes. Il convient, partant des sources de

satisfaction des hommes que sont aussi les salariés, de se

focaliser sur les « enjeux de progrès », d'amener les hommes

à se dépasser, et pour cela les respecter et donner du sens à

leur action professionnelle. Il faut également avoir le cou-

rage de sortir des logiques trop binaires issues du taylorisme :

oui, lorsque l'intelligence se met en marche, on peut attendre

beaucoup, beaucoup plus. À la complexité du monde

moderne répond l'appel aux ressources des hommes et la

promotion du leadership.

Jean-Marie Descarpentries, Philippe Korda, L'Entreprise réconciliée.

Comment libérer son potentiel économique et humain, Albin Michel, 2007.

Reprenons-nous ! (Jean-Paul Delevoye)

Jean-Paul Delevoye a une connaissance intime de notre pays :

homme politique, ministre, médiateur de la République. Il

porte un regard empathique et un jugement sévère : notre

société est malade ; elle se délite. L'individualisme et le corpo-

ratisme prennent le pas sur les solidarités alors que de plus en

plus d'individus se retrouvent dans la précarité, la pauvreté, la

mise à l'écart.

Il est urgent que nous nous reprenions, que nous retrou-

vions les voies d'un dialogue à tous niveaux, que nous renon-

cions à ces replis frileux. Choisir la confiance plutôt que la

défiance. Penser à long terme et non plus en fonction des

urgences. Une révolution politique au plein sens du terme.

Jean-Paul Delevoye, Reprenons-nous l, Tallandier, 2012.

Page 175: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Bibliographie choisie 169

Propos de O.L Barenton, confiseur (Auguste Detoeuf)

Un « bel ouvrage », réédité sur le modèle de l'édition originale

de 1947. Une vie d'expérience de dirigeant, un humour remar-

quable, le regard acéré. Un roman en même temps qu'un traité

de management gouverné par le bon sens. Un ouvrage que l'on

prend, que l'on laisse après y avoir trouvé une « pépite », que

l'on reprend. Sous la légèreté du propos affleure en permanence

la profondeur de la réflexion. « Ce n'est pas au pied du mur

qu'on connaît le maçon, c'est tout en haut » ou « Plus un

contrat règle d'éventualités prévues, plus il crée de dangers au

cas oîi il s'en produit d'imprévues ». Un ouvrage dont on peut

se délecter en s'enrichissant, soixante ans après sa sortie.

Auguste Detoeuf, Propos de O.L. Barenton, confiseur, Eyrolles, 2008.

La fatigue des élites. Le capitalisme et ses cadres

(François Dupuy)

L'auteur argumente de façon convaincante la démobilisation de

l'encadrement, en explicitant les causes profondes de cet état de

fait : le cadre, « Un dieu déçu qui se souvient des cieux ».

Des cadres « déprotégés » à la suite du passage d'une écono-

mie de l'offre à l'économie de la demande... des « modes »

managériales qui traitent du comment et multiplient les solu-

tions « technocratiques », sans vouloir s'interroger sur le pour-

quoi.

Que faire ?

Accepter le flou et la déspécialisation.

Organiser l'apprentissage permanent.

Raisonner en termes de parcours, non de carrière.

... Et développer une relation adulte entre dirigeant et

cadres ou managers.

Page 176: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

170 OSER LA PERFORMANCE AUTREMENT

Un ouvrage qui apporte des éléments précieux sur l'évolu-

tion de la mentalité de l'encadrement : une mutation est en

cours, qui correspond de la part des cadres à une demande

implicite d'autonomie et de responsabilisation.

Les voies de solution à ce malaise qui se traduit par

démotivation, désinvestissement, prise de distance ne peuvent

être inventées qu'en commun. Cela suppose d'avoir le courage

de sortir des idées toutes faites, et en particulier de la recherche

dans les schémas du passé des solutions du futur. Celles-ci

reposent sur un nouveau paradigme, celui du respect des

hommes.

François Dupuy, La Fatigue des élites.

Le capitalisme et ses cadres,

coll. « La République des idées », Le Seuil, 2003.

Lost in management (François Dupuy)

François Dupuy est un sociologue de renom. Il livre un diag-

nostic de la santé des organisations, sur la base des missions

qu'il a remplies ces dernières années. Diagnostic pessimiste : les

« aises » que les entreprises ont prises lorsque le marché absor-

bait tout ce qui lui était proposé ont un prix lourd à payer. La

ré-internalisation des contraintes liées à la concurrence n'a pas

vraiment fait bouger des lignes qui s'appellent « poches de sous-

travail », corporatisme qui ne dit pas son nom, fonctionnement

auto centré, ignorant du client... Où trouve-t-on l'amorce

d'autre chose ? Dans les organisations qui laissent aux hommes

des degrés de liberté et où la hiérarchie ne prétend plus pouvoir

tout résoudre et organiser d'en haut.

François Dupuy, Lost in management.

La vie quotidienne des entreprises au XXf siècle,

François Dupuy, Le Seuil, 2011.

Page 177: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Bibliographie choisie 171

Si on faisait confiance aux entrepreneurs

(Xavier Fontanet)

Une expérience passionnante de consultant (le BCG à son

démarrage en France), puis à la tête d'entreprises très diffé-

rentes (Bénéteau, la restauration des Wagons-Lits, Essilor). Un

dirigeant pédagogique, synthétique qui raconte les leçons et

convictions d'une vie. Ouvrage de témoignage et de réflexion

où les fils conducteurs sont clairs et s'entremêlent : le premier

est la conviction que la concurrence (le marché) est la seule

voie pour que l'entreprise vive et se développe « c'est le client

qui commande ». Aux dirigeants d'avoir l'intelligence pour

comprendre, l'humilité pour discerner, le courage pour dire et

orienter. Le second est la foi dans les hommes. La performance

économique repose sur la confiance et la responsabilisation à

tous les niveaux. Alors l'entreprise peut être le lieu privilégié où

le challenge permanent fait grandir les hommes.

Une lecture tonique en même temps que particulièrement

pédagogique sur les mécanismes économiques, l'appréhension

d'un compte de résultats, l'appel aux marchés financiers. Un

ouvrage qui aide à garder la foi dans l'aventure collective qu'est

une entreprise. Une vision du capitalisme qui, bien au-delà des

caricatures et des images toutes faites, réconcilie avec l'écono-

mie. Oui, c'est possible avec et à travers les hommes.

Xavier Fontanet, Si on faisait confiance aux entrepreneurs,

Manitoba-Les Belles Lettres, 2010.

L'État est mort, vive l'État (Charles Gave)

Charles Gave est un économiste indigné. Indigné des contre-

vérités que nombre de spécialistes propagent au mépris de la

réalité, pour le plus grand profit d'une classe politique fran-

çaise qui, depuis quarante ans, choisit la facilité des déficits.

Page 178: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

172 OSER LA PERFORMANCE AUTREMENT

Agrémenté de schémas pédagogiques très clairs, le livre nous

montre comment nous avons préféré collectivement l'ineffica-

cité, refusant le risque et menant des combats d'arrière-garde

perdus d'avance.

À l'heure où la Chine affirme sa puissance, où le monde

économique bascule il est grand temps de revenir aux réalités,

le confort intellectuel dût-il en souffrir. Nous sommes acculés

et il faut, pour regarder l'avenir, du courage et de la détermina-

tion. La bataille engagée est comparable à celle des Lumières.

Une révolution culturelle et une lutte pour enlever le pouvoir à

ceux qui en ont grandement mésusé. Une lecture saine, déca-

pante, de surcroît agréable.

Charles Gave, L'Etat est mort, vive l'Etat. Pourquoi la faillite étatique

qui s'annonce est une bonne nouvelle, François Bourin, 2009.

L'Intelligence émotionnelle au travail

(Daniel Goleman, Richard Boyatzis, Annie McKee)

Daniel Goleman est l'inventeur et le promoteur de l'intelli-

gence émotionnelle [Emotional Intelligence, Bantam Books,

1997), popularisée sous la forme du QE.

L'ouvrage est centré sur l'entreprise. Certains leaders réus-

sissent mieux que d'autres, à QI comparables. C'est notam-

ment dans des restructurations associées à des évolutions

culturelles importantes. La caractéristique qui les différencie

paraît être l'intelligence émotionnelle : avoir conscience de soi

et de ses émotions, savoir gérer ses émotions, exercer son intel-

ligence interpersonnelle, mettre en oeuvre son intelligence

sociale.

Tout un chacun peut travailler dans ces domaines. C'est ce

qui peut permettre à un leader de « mettre l'entreprise en réso-

nance ».

Page 179: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Bibliographie choisie 173

« Les managers de résonance » brisent l'ancien moule du

leadership... fondé sur l'autorité hiérarchique et la puissance

de la position personnelle... Désormais, les meilleurs excellent

dans l'art des relations... L'excellence est en passe d'être redé-

finie en termes interpersonnels à l'heure où les entreprises

suppriment des échelons hiérarchiques, fusionnent... et où

les clients et les fournisseurs redéfinissent le réseau de rela-

tions ».

L'ouvrage, étayé sur des exemples et des enquêtes significa-

tives, propose une méthodologie de travail personnel.

La thèse est particulièrement convaincante.

Daniel GOLEMAN, Richard BoYATZIS, Annie McKee,

L'Intelligence émotionnelle au travail. Village Mondial, 2003.

La Fin du management (Gary Hamel)

L'auteur est enseignant au plus haut niveau (Harvard et London

Business School). La thèse présentée est simple : Les principes

du management n'ont pas varié depuis qu'ils ont été énoncés

par Fayol, puis affinés par Taylor. Le management serait-il le

domaine où l'innovation ne se justifie pas ? Les exemples de

réussites remarquables qui s'appellent Google, IBM, Best Buy,

Whole Food et quelques autres montrent qu'il n'en est rien.

L'avenir s'appelle « intelligence collective » et repose sur un pos-

tulat profondément innovant : Le chef n'a plus raison par défi-

nition ; la réalité est devenue trop complexe, trop mouvante

pour que l'on puisse éviter de faire appel à la créativité et à

l'esprit de responsabilité de chacun... En contradiction avec la

conception « classique » du management. Comme le dit John

Mackey « L'une des clés pour comprendre notre entreprise,

c'est que les gens qui l'ont créée ne savaient pas comment ils

étaient censés s'y prendre ».

Page 180: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

174 OSER LA PERFORMANCE AUTREMENT

De façon concrète, il s'agit d'avoir le courage de mettre en

question organigrammes, emplois du temps, systèmes de

rémunération, plan stratégique « gravé dans le marbre »...En

fait, il s'agit fondamentalement de croire aux hommes avant de

s'approprier les croyances accumulées en management depuis

deux siècles, tout simplement parce qu'elles ne sont plus suffi-

samment pertinentes1.

Un ouvrage salutaire, qui propose une « méthodologie »

pour décoder l'ADN du management et mettre en cause ces

certitudes implicites qui sont devenues fausses. Sortir de la

« pensée unique », par définition implicite, pour innover en

faisant confiance à son intuition, en se fiant à ses convictions.

Gary Hamel, La Fin du management, Vuibert, 2008.

Stratégie sans complexe (Bruno Jarrosson)

« Est stratégique tout ce qui coûte cher en erreur ». Ce simple

propos donne le ton d'un ouvrage frappé au coin du bon sens.

D'une lecture facile, il démystifie de manière salutaire

l'approche de la stratégie. Il montre que ce n'est nullement un

domaine réservé aux « grands groupes ». Il donne des points de

repère concrets.

Bruno Jarrosson est un « expert en stratégie » en ce sens qu'il

est intervenu dans des entreprises fort variées, auprès d'équipes

dirigeantes diverses. Il livre là sa méthodologie, qu'il a fait par-

tager au long des années à de nombreux clubs APM.

1. En notant au passage que Mary Parker Follett, contemporaine de Taylor,

était très proche de ce qui se dégage aujourd'hui. Il n'y avait donc rien

d'inévitable dans ce qui est devenu une « évidence ».

Page 181: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Bibliographie choisie 175

Un ouvrage de culture générale, que tout dirigeant se devrait

d'avoir parcouru... ou approfondi. De quoi ouvrir des hori-

zons nouveaux et susciter de nombreuses questions.

Bruno Jarrosson, Stratégie sans complexes, Dunod, 2004.

Les Transformations silencieuses (François Jullien)

François Jullien, philosophe et sinologue, dirige l'Institut de la

pensée contemporaine. Il publie un court essai au titre évoca-

teur. Les grandes transformations, remarque l'auteur, sont silen-

cieuses, bien au-delà de l'écume et du fracas de l'événementiel.

D'où l'importance d'un regard attentif aux signaux faibles.

C'est l'occasion d'une réflexion profonde sur l'incapacité de

la pensée dialectique, celle de Platon et d'Aristote, à décrire les

processus d'évolution, enfermés qu'elle est dans l'appellation

des situations. Les langues occidentales excellent à parler de

blanc et de noir, de jeune et de vieux, de froid et de chaud. Elles

ne peuvent ni ne savent décrire le cheminement de l'un à

l'autre, voir dans le même temps les « contraires ».

C'est un exercice naturel à la pensée chinoise qui embrasse

le Yin et le Yang. Elle ne croit pas à la rupture et considère le

processus d'évolution en tant que tel.

Un ouvrage qui ouvre des perspectives et incite à la réflexion :

quels sont ces signaux faibles qui peuvent nous donner des

indications sur les « transformations silencieuses » en cours ?

Prenons conscience de la pauvreté, dans ce domaine, de notre

langage, de notre pensée. Une réflexion d'autant plus enrichis-

sante qu'elle fait écho à la faillite du tout rationnel que met en

évidence la « crise » actuelle. La globalisation du monde peut

être un enrichissement dès lors que l'humilité nous habite et

non l'orgueil.

François Jullien, Les Transformations silencieuses, Grasset, 2009.

Page 182: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

176 OSER LA PERFORMANCE AUTREMENT

Le Goût de l'autre (Elena Lasida)

Elena Lasida est docteur en économie. Son ouvrage, engagé,

est un acte de foi dans l'homme et sa capacité à humaniser une

société qui se définit d'abord par l'économie. La « crise » est, de

ce point de vue, une opportunité.

La finalité de l'économie est de penser le vivre ensemble, de

révéler et susciter le « goût de l'autre » : un lieu ou l'on apprend

à vivre, où l'on construit sa vie personnelle et sa vie avec

d'autres, un moyen qui nous oblige à définir nos finalités et

nous apprend à faire des choix.

La création n'est pas la fabrication, et il n'y a pas de place

en économie pour la création si elle est définie uniquement

comme processus de fabrication et d'allocation de ressources

matérielles. La fabrication est orientée vers l'accès et la satis-

faction des besoins, tandis que la création se situe plutôt au

niveau de la contribution et de la participation de chaque

personne à cette activité. Dès lors le développement durable

ne consiste pas tellement à faire durer nos acquis, mais plutôt

à faire durer notre capacité créatrice. Rendre le développe-

ment durable suppose donc d'assurer à chaque personne,

présente et future, non pas les biens nécessaires pour vivre

mais plutôt la possibilité de participer à leur production. Un

développement pensé à partir de la place que chaque per-

sonne y occupe plutôt que de sa capacité à accéder aux biens

nécessaires.

Alors, l'économie peut devenir tout à la fois le lieu ou se

construit la société, un facteur de médiation sociale et une

source de richesse relationnelle. Un ouvrage « radical », qui

interpelle, dérange et ouvre de nouveaux horizons.

Elena Lasida, Le Goût de l'autre. La crise,

une chance pour réinventer le lien, Albin Michel, 2011.

Page 183: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Bibliographie choisie 177

N'écoutez pas votre cerveau. Comment rester

sain dans un monde malade (Martine Laval)

Martine Laval est psychologue, coach et consultante. Elle

anime un cycle de formation pour dirigeants à HEC. Le titre

de la conclusion de son ouvrage est éloquent : « S'offrir la

conscience comme compagne de vie. » Cela signifie nous

comprendre nous-mêmes. Avant d'être « cortex et penseurs »,

nous sommes « perceptions et émotions », tout simplement du

fait que notre cerveau s'est développé dans cet ordre. Et nous

vivons dans un monde malade de logique et de raisonnements

déconnectés de nos propres réalités. Il s'agit donc de nous « ré-

habiter », de retrouver nos sources et nos richesses. Une analyse

riche d'enseignements autant que passionnée, qui fournit des

clés de lecture précieuses.

Martine Laval, N'écoutez pas votre cerveau.

Comment rester sain dans un monde malade, InterEditions, 2010.

Au risque de gagner (Olivier Lecerf)

L'interview d'un dirigeant qui a marqué son époque, sans doute

parce qu'il a fait montre de deux qualités à un niveau éminent :

le courage de l'entrepreneur et la cohérence dans la démarche,

ce qui l'a amené à abandonner son poste à la tête du groupe

Lafarge lorsque la relève, qu'il s'était donné comme mission de

construire, a été prête.

L'ouvrage, qui n'a pas pris de ride depuis sa parution en

1991, est passionnant. Il raconte l'aventure de l'homme Oli-

vier Lecerf, avec toute son épaisseur, ses questionnements. Il

raconte le virage du groupe vers la mondialisation. Il raconte la

manière dont une équipe prend en compte cette mutation et la

financiarisation qui l'accompagne.

Page 184: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

178 OSER LA PERFORMANCE AUTREMENT

Les anecdotes dont fourmille l'ouvrage le rendent très plai-

sant. Le lecteur y fera une moisson abondante de réflexions de

fond, de points de repère dans le monde économique actuel.

Les questionnements et commentaires des deux interviewers

(Jacques Barraux et Philippe de Woot) sont d'une qualité et

d'une hauteur de vue peu communes.

Olivier Lecerf, Au risque de gagner.

Le métier de dirigeant. Editions de Fallois, 1991.

Les Démarches compétences

(Antoine Masson, Michel Parlier)

Le premier chapitre « De quoi s'agit-il ? » pose clairement le

problème : l'entreprise et ses dirigeants veulent-ils rester dans

une démarche de type taylorien ? auquel cas il s'agit de mana-

ger des compétences en établissant un référentiel « théorique »

des compétences, ou plus exactement des qualifications. Ou

bien s'agit-il de s'engager dans un management par les compé-

tences, c'est-à-dire de développer la capacité de tout collabora-

teur à agir et à prendre des initiatives en tenant compte des

finalités de l'organisme et du contexte précis dans lequel il évo-

lue à un moment donné ?

Passer des qualifications aux compétences c'est rechercher

une capacité et une volonté d'action qui, quel que soit le poste

occupé, tiennent compte des finalités et prennent en compte à

tout moment le contexte dans lequel se situe le salarié.

Le champ d'action de la démarche compétences étant ainsi

délimité, l'ouvrage s'attache à décrire, de façon très concrète les

enjeux, les problématiques et l'enchaînement des étapes qui

conduit à « l'entreprise apprenante », celle où les salariés, associés

au sens de l'aventure collective, exercent créativité et responsabi-

lité. Un contrat gagnant-gagnant qui doit être soigneusement

Page 185: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Bibliographie choisie 179

pesé et dans lequel chacun s'engage en connaissance de cause...

dans la perspective du partage d'une performance globale d'une

tout autre dimension.

Antoine Masson, Michel Parlier,

Les Démarches compétences, Anact, 2004.

La Connaissance créatrice

(Ikujiro Nonaka, Hirotaka Takeuchi)

Diplômés de Berkeley, les auteurs enseignent à l'université

Hitotsubashi. Ils s'intéressent à la capacité de créer et de valori-

ser de nouvelles connaissances et proposent une analyse des

contextes organisationnels qui permettent de développer cette

capacité aux niveaux individuels aussi bien que collectifs.

L'analyse est fondée sur la mise en évidence des deux types

de connaissances sur lesquelles s'appuie la performance écono-

mique : les connaissances explicites, seules valorisées dans la

culture occidentale, et les connaissances tacites, essentielles à la

réussite des processus. Nier ou négliger ces dernières, ne pas

leur reconnaître leur place, c'est se priver d'une part détermi-

nante pour la performance économique, de la capacité créa-

trice de l'organisation.

Appuyé sur de nombreux exemples, japonais aussi bien

qu'occidentaux, l'ouvrage propose les clés de l'entreprise appre-

nante : limiter la « normalisation interne » en laissant des

espaces de recouvrement ; porter une attention particulière et

valoriser le management intermédiaire ; laisser des espaces de

liberté ouverts à l'expérimentation et au risque, développer une

vision et donner du sens à l'aventure entrepreneuriale... Et

savoir introduire judicieusement du désordre.

Un ouvrage qui mérite d'être travaillé en profondeur. Les

conclusions rejoignent le bon sens, pas si répandu que cela,

Page 186: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

180 OSER LA PERFORMANCE AUTREMENT

surtout si l'on doit remettre en cause les « dogmes » de l'effica-

cité économique occidentale, dont on voit les limites, les

constructeurs automobiles américains l'illustrent de façon élo-

quente à l'heure actuelle. Mais combien d'entreprises sont

sous-performantes ou hypothèquent leur avenir faute d'avoir

pris le recul nécessaire sur l'origine première de la performance,

les hommes ?

Ikujiro Nonaka, HirotakaTAKEUCHi, La Connaissance créatrice.

La dynamique de l'entreprise apprenante. De Boeck, 1997.

Le Capitalisme d'héritiers (Thomas Philippon)

Un ouvrage simple, clair, court (une centaine de pages) sur un

sujet d'intérêt général : la crise française du travail.

Thomas Philippon est un économiste de renommée inter-

nationale. Il enseigne à la Stern School of Business (New York

University).

Sa thèse, fort argumentée à partir d'études statistiques offi-

cielles, est que la France pâtit de l'incapacité du management

français à créer des relations sociales productives. Une situa-

tion qui trouve son origine dans l'histoire du capitalisme en

France.

Le « management bureaucratique et familial » propre aux

entreprises françaises d'aujourd'hui entretient cet état de blo-

cage et rend fort difficile la mutation qu'impose la mondialisa-

tion économique. Il faut entendre par « management

bureaucratique et familial » cette propension persistante à choi-

sir les dirigeants, non pas en fonction de leurs compétences et

de leur performance au sein de l'entreprise, mais dans les

« familles » que sont les « écoles ».

Cette « maladie », qui réserve l'intelligence et les décisions à

une élite, inhibe l'expression des salariés, les rend « malheureux

Page 187: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Bibliographie choisie 181

de travailler »... bref crée un climat de blocage d'autant plus

dangereux qu'il est devenu culturel.

Une lecture décapante et salutaire. Même si l'on n'épouse

pas toutes les thèses de Thomas Philippon, il met le doigt sur

les clés de la performance dans le monde d'aujourd'hui : sou-

plesse, intelligence collective et appel à tous les talents.

Thomas Philippon, Le Capitalisme d'héritiers, coll.

« La République des idées », Le Seuil, 2007.

Le Réveil des démons (Jean Pisani-Ferry)

Un ouvrage d'actualité par le directeur du think tank euro-

péen Bruegel. Très pédagogique, l'ouvrage donne une vision

large de l'aventure de l'euro, largement improvisée par ses

inventeurs. On comprend l'articulation du monétaire et de

l'économique. On voit les difficultés qui se profilent et l'étroi-

tesse d'un chemin sous contrainte. Le prix à payer pour un

retour en arrière serait à coup sûr exorbitant et le résultat pro-

fondément incertain. Reste à inventer le projet politique qui

seul peut donner aux pays et aux économies le fondement

d'une monnaie unique stable. Eclairant, lucide. Un appel au

courage.

Jean Pisani-Ferry, Le Réveil des démons.

La crise de l'euro et comment nous en sortir, Fayard, 2011.

Cultiver son leadership (Steven Sample)

Steven Sample est président de l'Université de Californie du

Sud, qui a connu, sous son égide, un développement extrême-

ment important.

Il conceptualise dans cet ouvrage son expérience person-

nelle de leader, c'est-à-dire de manager entraineur d'hommes.

Page 188: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

182 OSER LA PERFORMANCE AUTREMENT

Des propos empreints d'un profond bon sens. Des recom-

mandations saines : « Pensée nuancée, pensée affranchie, art de

l'écoute, travaillez pour ceux qui travaillent pour vous... »

Une lecture simple et rafraîchissante. Bon sens, peut être,

mais comme il est bon de s'y retremper !

Steven Sample, Cultiver son leadership, Eyrolles, 2007.

Un autre monde. Contre le fanatisme de marché

(Joseph E. Stiglitz)

Prix Nobel d'économie 2001, Joseph Stiglitz est un « expert

engagé ». Extrêmement introduit dans les milieux interna-

tionaux, ayant vécu de l'intérieur (à la Maison Blanche, à la

Banque Mondiale) l'histoire économique mondiale de ces der-

nières années, il nous livre une synthèse éclairante des grandes

problématiques, ou « ce que j'ai toujours voulu savoir sur la

mondialisation ».

L'ouvrage, très facile à lire, ne s'arrête pas à une analyse cri-

tique. L'auteur propose des voies de solutions réalistes pour

sortir d'une logique libérale qui, laissée à elle-même, conduit à

une impasse.

Un ouvrage qui devrait intéresser tout citoyen du monde res-

ponsable et soucieux de l'homme... et du devenir de la planète.

Joseph E. Stiglitz, Cn autre monde.

Contre le fanatisme de marché, Fayard 2006.

Le Nouveau Monde industriel (Pierre Veltz)

Un ouvrage de référence : solide, documenté, nuancé. L'auteur

met en perspective avec talent l'histoire de l'entreprise :

Comment est apparu le taylorisme et comment il est, dans les

faits, démenti de plus en plus nettement par « l'économie du

Page 189: Oser la performance autrement : Transformer l’incertitude en opportunite

Bibliographie choisie 183

lien » qui ne cesse de progresser et débouche sur un nouveau

modèle, celui de l'entreprise réseau. Elle se situe au carrefour

des exigences économiques et des aspirations de l'individua-

lisme à l'autonomie en même temps qu'à la limitation des

engagements.

La force de l'ouvrage tient à ce qu'il fait le lien avec les évolu-

tions sociétales. Cette « démonstration » des réalités que nous

sommes en train de vivre est bien loin de toute idéologie ou de

tout excès médiatique. L'auteur nous emmène, de façon rigou-

reuse, revisiter le monde de l'entreprise et nous fait percevoir, au

passage, à quel point nos « croyances » précédentes, et d'abord

toutes celles issues du taylorisme, sont dépassées... Et comment

sont en train de s'incarner les mouvements qui nous agitent, où

se mêlent communication, exigences de souplesse, pouvoir

financier et rythme sans cesse croissant de l'innovation.

En dépit d'un langage un peu abscons, un ouvrage à

consommer sans modération, qui n'a pas pris une ride depuis

sa première édition en 2000. La postface vient simplement

étayer et renforcer les traits qui avaient été mis en lumière, illus-

tration de la pertinence et de la solidité du diagnostic posé.

Pierre Veitz, Le Nouveau Monde industriel, Gallimard, 2008.

Saint-Germain ou la négociation (Francis Walder)

La paix de Saint-Germain entre catholiques et huguenots fut

signée en 1370. Si vous voulez mieux comprendre les ressorts

d'une négociation, lisez cet ouvrage en forme de roman qui

illustre l'expérience diplomatique de l'auteur. Le lecteur peut,

au passage, mûrir sa conception de la négociation, qui n'a rien

à voir avec le marchandage.

Francis Walder, Saint-Germain ou la négociation,

coll. « Folio », Gallimard, 1992.

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184 OSER LA PERFORMANCE AUTREMENT

Vers un nouveau capitalisme (Muhammad Yunus)

Prix Nobel de la paix 2006, M. Yunus est à l'origine professeur

d'économie. Choqué par l'extrême pauvreté dans son pays, il a

cherché à comprendre et s'est attaché à inventer des solutions...

Avec un succès « miraculeux ». La Grameen Bank a un total de

bilan qui se compte en MM$, elle est rentable, ses pertes sur

crédit font pâlir d'envie tous les banquiers de la planète... Et

elle ne prête qu'aux plus pauvres.

M. Yunus a, au passage, inventé le concept de « Social Busi-

ness », entreprises qui jouent pleinement le jeu concurrentiel

capitaliste à un détail près, la rémunération de leurs action-

naires. C'est ainsi que le Bengladesh a connu une explosion des

téléphones mobiles, grâce aux « dames téléphone » des villages

(Plus de 10 millions de mobiles... pour un potentiel initiale-

ment estimé à quelques centaines de mille).

Et M. Yunus rend crédible un monde sans pauvreté. Tout

simplement parce que les pauvres, ces « hommes bonzaï » sont

extraordinairement créatifs... Il le faut bien. Donc, lorsqu'on y

croit, que l'on définit correctement son projet entrepreneurial,

rien n'est plus impossible.

II faut, au passage, abandonner quelques croyances : que

l'homme est « unidimensionnel », c'est-à-dire motivé par le

seul aspect financier ; que sortir de la pauvreté passe par la créa-

tion d'emplois salariés...

Un ouvrage excessivement motivant, à lire impérativement

par tous les « déçus » de l'économie libérale... Et même par les

autres. Ça aère l'esprit, ça fait du bien. Un exemple de plus de

« il ne savait pas que c'était impossible, alors il l'a fait ».

Au passage, l'histoire du partenariat avec Danone, qui a

débouché sur l'implantation d'un certain nombre d'usines de

yaourts, rentables et parfaitement insérées dans le milieu local.

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