Réflexions sur le Karaté-Do · Après 37 années de pratique, Jean-Marie GOFFIN nous livre ici sa...

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Jean-Marie Goffin (5ème Dan) / Eric Marchand (2 ème Dan) Réflexions sur le Karaté-Do Livret 1 : Questions - réponses sur la voie et la pratique du karaté .

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Jean-Marie Goffin (5ème Dan) / Eric Marchand (2 ème Dan)

Réflexions sur le Karaté-Do

Livret 1 : Questions - réponses sur la voie et la pratique du karaté .

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PREFACE

Dans l'esprit des célèbres « causeries initiatiques » d'Edouard Plantagenet, Eric MARCHAND (ceinture noire 2ème dan) et Jean-Marie GOFFIN (ceinture noire 5ème dan) font ici le point sur ce qui fût à l'origine de leur amitié : le Karate-Do.

Dans ce premier volet, Eric est « tori », l'attaquant, et Jean-Marie est « uke » celui qui défend. Le premier pose les questions, le second y répond. Aucun sujet n'est interdit, et la conversation qui s'établit ainsi oscille entre la philosophie et le pragmatisme de la pratique ; entre le temporel et le spirituel ; le sportif et l'initiatique ; la souffrance et le plaisir.

Après 37 années de pratique, Jean-Marie GOFFIN nous livre ici sa vision d'un art martial devenu règle de vie. Ses réponses aux pertinentes questions d'Eric l'amènent à revenir sur un parcours très riche, et à nous offrir quelques repères fondamentaux. Nous apprendrons ainsi qu'il a découvert le Karate-Do au Cameroun en 1970, et qu'il fallait à cette époque mériter sa ceinture.....blanche !

Ce détail en dit long sur la persévérance réclamée à qui veut apprendre, et sur un premier enseignement dispensé par cet art : annihiler l'égocentrisme. C'est là le sens des mots de O-Senseï, Gichin FUNAKOSHI, fondateur du style Shotokan, qui fût l'artisan de la propagation du Karaté de par le monde : « Lorsque l'on entre dans le dojo, il faut laisser son « moi » à la porte. Le dojo, pendant les cours est l'endroit sacré où l'on doit tuer son ego. Dans le dojo, on pratique la technique, on apprend à maîtriser son corps, ceci est la partie visible de l'iceberg. Le véritable combat est celui du moi. »

Mais avant de remporter ce combat, bien long est le chemin. C'est la leçon à tirer des propos de Jean-Marie, que je m'abstiendrais de nommer « enseignements » afin de ne pas heurter sa réelle humilité. Il n'en reste pas moins qu'il transmet ses connaissances techniques, philosophiques et sensitives depuis de longues années et que, ajoutant le ressenti à la pédagogie, de professeur il est devenu Maître.

Alors cher lecteur, prends simplement plaisir à parcourir ces quelques feuillets - sans préjugés ni prétentions - comme l'ont fait ces deux amis unis par ce qui fût à l'origine un art pensé pour la guerre et qui, par la volonté des Hommes, est devenu un merveilleux outil pour cheminer vers l'Amour de ses semblables et découvrir soi-même l'essence de son Être.

Ouss !

Fabrice DELESTRE

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Préface des auteurs :Jean-Marie :

L’année dernière, courant 2007, Eric m’a proposé un jeu. C’est très facile, m’a-t-il dit, je pose des questions sur le karaté et tu réponds. Connaissant Eric depuis longtemps et pratiquant ensemble depuis 2001 j’ai accepté sans hésiter.Les questions, faciles au départ, se révélèrent moins évidentes au fil du temps. A chacune d’elles une multitude d’éléments, d’arguments, d’exemples me venaient à l’esprit. Il fallait alors faire le tri, simplifier, ne garder que l’essentiel tout en évitant les clichés « ésotérophilosectaristes ».Quand la passion intervenait, plaçait le karaté au dessus de tout, je m’interrogeais : - Est ce qu’une activité autre que le karaté pourrait m’apporter autant dans le domaine sportif ?Souvent la réponse était « oui ».- Est-ce qu’une activité autre que le karaté pourrait m’apporter autant dans le domaine social ou culturelle ?La réponse était toujours « oui ».Mais la seule activité regroupant l’ensemble des domaines où je pouvais trouver tout cela restait le karaté.

Merci Eric. A la suite de ce petit exercice j’aime toujours autant le karaté mais je sais un peu plus pourquoi !

Eric :

C'est en 2001 que j'ai rencontré Jean Marie. J'étais alors ceinture marron, lui quatrième DAN, et mon objectif était d'obtenir le premier DAN. Intimidé par l'homme et le senseï, j'ai commencé le travail. Les entraînements m'ont paru intensif car pour une heure à deux le rythme est soutenu. J'ai été dérouté, « malmené », mais en même temps que l'apprentissage, commençait notre relation qui se construisait au fil de nos rencontres martiales, en douceur, mais dans l'authenticité. Sept ans plus tard, les heures et les litres de sueur se sont accumulés, Jean-Marie est 5ème DAN et moi 2ème. J'ai découvert un homme généreux dans la vie comme dans la transmission, un homme curieux de tout. Je suis heureux de le compter parmi mes amis. Nous sommes animés par la même flamme ; de cette passion pour les arts martiaux. Quand l'idée de cet échange a germé en moi, c'était avant tout pour laisser une trace pour tous les pratiquants qui cherchent, actuels ou futurs .

Cet échange m'a passionné et - quelle que soit la forme - il y aura une suite à ce travail.

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Éric : Bonjour, Jean-Marie, première question, Comment as-tu rencontré le karaté et quel âge avais-tu ?

Jean-Marie : Bonjour Éric J’ai rencontré le karaté en la personne d’un ami, ceinture marron, qui cherchait quelques volontaires pour créer une section de karaté au sein de la « fédération camerounaise de judo et disciplines assimilées » à Douala ….Comme c’était un copain, pour lui faire plaisir, nous y sommes allés à 3 …j’avais 23 ans et après 6 mois de sueur (autant dû à la chaleur du réduit où nous nous entraînions qu’à notre travail ), le 7/03/1971, je passais avec succès mon 6° Kyu donc l’autorisation de porter une ceinture blanche ! Ça y est, je connaissais tous les secrets du karaté et je commençais à devenir invincible…

On ne se moque pas ! La carte du club est d’époque et le personnage maigrichon à de vrais cheveux !

Éric : Quelles sont tes sensations pendant ces premiers cours ? J’apprends que l’on passait le 7 ème Kyu, autres temps autres mœurs, tout le monde ne pouvait donc pas pratiquer le karaté ?

Jean-Marie : J’avais la sensation d’apprendre des techniques très simples et très facilement. Dès l’instant où on expliquait qu’un « maé géri » était un coup de pied, qu’il fallait lever le genou et ensuite déplier la jambe, je le faisais, j’y arrivais et après c’était fini. Je « connaissais » cette technique et il fallait en apprendre une autre …. Plus on savait décrire une technique, et en japonais si possible, meilleur on était. Loin de nous les notions de travail de hanche, d’impulsion, de transfert du poids du corps, de timing... En fait j‘avais les sensations et réactions de tous les débutants. N’importe qui pouvait pratiquer le karaté mais où j’étais ce n’était pas très connu. On ne voyait pas encore de films d’arts martiaux. Seuls les « péplums » américains (Hercule, Maciste..) faisaient recette et remplissaient les salles de culturisme.

Éric : Après les événements de 68, on entre dans une période (avec les années 70), de recherche de la liberté et d'activités que l'on peut qualifier de fun. Or, le karaté n'est certainement pas à la mode, qu'est ce qui te pousse à persévérer dans cette voie ?

Jean-Marie : Détrompe-toi Éric A cette époque le karaté est à la mode pour 2 raisons : - La 1° raison s’appelle Dominique Valera. Il vient de conduire l’équipe de France de karaté à la tête du championnat du monde (1972). La France découvre un champion du monde et une nouvelle discipline par l’intermédiaire de la compétition. - La 2° raison s’appelle Hiroo Mochizuki. Il arrive en France à la même époque avec dans ses bagages d’une part le karaté et surtout l’aïkido (qu’il ne dissocie pas du karaté).L’aïkido plait beaucoup. La période « peace and love …» de l’après 68 est propice à ce nouvel art martial qui permet de découvrir la culture et une certaine « philosophie » orientale tout en faisant un peu d’éducation physique et tout cela sans notion de combat ! Beaucoup essayeront mais arrêteront

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quand ils s’apercevront que sans sueur la mayonnaise ne prend pas….A cette époque je suis à Paris. Mon professeur est un assistant de Mochizuki. Je fais donc, comme beaucoup de pratiquants à l’époque du karaté et de l’aïkido.Ce qui me pousse à continuer, ce n’est pas (encore) la passion, ce n’est pas non plus la compétition (je ne suis pas assez bon pour cela), c’est la curiosité et l’attrait pour un groupe de personnes qui eux sont déjà passionnées.

J’espère que tu reconnais le kata que fait Dominique Valera ?

Éric : La période est donc propice et tu passes des ceintures, comment sont donc organisés ces passages de grades ? Même question pour ton 1er DAN, d'ailleurs quel est le programme, et en quelle année sommes-nous ? (pour le kata je dirais Sanchin)

Jean-Marie : Passer des ceintures, oui, mais dans le club que je venais de rejoindre à Cergy Pontoise, on n’en parlait pas, on n’accordait pas beaucoup d’importance à la couleur de la ceinture. L’objectif était de progresser en comprenant ce que l’on faisait et surtout en y prenant du plaisir. C’est mon professeur, Jean-Charles Vitrac, qui travaillait avec Yoshinao Nanbu qui m’a fait passer ma ceinture marron (en 1977) et surtout qui m’a donné la passion du karaté.

J’arrive au Tréport en 1978, tourne dans les clubs de la région (Saint Martin en campaghe, Saint Nicolas …) sans beaucoup de conviction et rejoins le club du Tréport en 1981. Je passe mon diplôme d’instructeur fédéral et ma ceinture noire en 1983 (en terminant à la clinique des Fougères avec une double fracture du pouce…). Les passages étaient, à peu de choses près, identiques à ceux d’aujourd’hui et, à mon avis, les ceintures noires d’aujourd’hui ont la même valeur que celles de l’époque.

Éric : Parle moi de JC Vitrac, de sa relation avec ses élèves et son professeur. Comment abordes-tu la transmission ? Quid de la relation maître à disciple ?

Jean-Marie : C’était un amateur, dans la mesure où il n’avait pas besoin du karaté pour vivre. C’était une référence technique et surtout un précurseur dans la façon d’aborder l’apprentissage du karaté.

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Découvrir, analyser, expliquer, comprendre, … et sans ménager ses efforts, en pratiquant, en suant...Ces principes m’ont beaucoup servi en dehors du karaté !J’aborde la transmission de la même façon mais en modulant, bien sûr, en fonction des élèves.Avec l’âge et l’expérience on y met aussi plus de décontraction, plus de plaisir et moins de solennité.Je n’aime pas trop le vocabulaire « maître / disciple » Il y a une notion de modèle et de soumission qui était peut-être valable ou nécessaire dans certains pays, dans des contextes militaires à une certaine époque.Le maître est un modèle (il est parfait) et le disciple est soumis (il exécute les yeux fermés).Ce principe qui sous-entend également qu’un disciple ne peut avoir qu’un seul maître a été, en plus, trop souvent galvaudé.Je préfère la relation « professeur / élève ». Le professeur enseigne ce qu’il sait et l’élève apprend avec son ou ses professeurs. Ensuite libre à l’élève de trier, de personnaliser, en fonction de ses capacités, de sa morphologie ou de ses besoins.Dans la relation « maître / disciple » le rôle noble était celui du « maître » et celui ingrat revenait au disciple alors qu’aujourd’hui dans la relation « professeur / élève » c’est souvent l’inverse…mais quelle importance quand on joue successivement ou alternativement les 2 rôles !Si on se contente d’enseigner, au mieux on stagne mais le plus souvent on régresse. Si on se contente d’apprendre on passe à côté de quelque chose de passionnant.

Éric : On pourrait aussi voir le maître comme celui qui ouvre la voie, et le disciple comme celui qui acquiert suffisamment de discipline pour explorer cette voie (ou une autre).

Tu disais un peu plus haut « les ceintures noires d’aujourd’hui ont la même valeur que celles de l’époque. », cependant le travail à évoluer ainsi que la formation des enseignants. Quelles sont les différences entre le Karaté que tu as connu à tes débuts et celui d'aujourd'hui, et quelles sont les directions qu'il va prendre ?

Jean-Marie : On est au cœur du sujet ! Restons cartésiens et redéfinissons quelques termes :La voie : Le chemin pour atteindre quelque chose. Dans notre contexte ce quelque chose à atteindre se trouve être la sérénité, l’épanouissement, la tranquillité de l’esprit…Le professeur : Il enseigne.Le maître : Il enseigne mais en plus il est un modèle, un guide qui exerce sur son disciple une influence, qui a sur lui une certaine autorité.La discipline : La matière qui est enseignée.Disciple : Personne qui suit le maître.

Trouver sa voie c’est un peu comme en montagne. On cherche à grimper donc on choisit le chemin qui nous convient (rapide et pourquoi pas agréable) pour essayer de monter le plus haut possible, l’objectif étant le sommet. Dans notre cas le chemin, la voie, c’est le karaté.

En fonction de sa personnalité, de sa connaissance de la montagne, de sa condition physique on va partir sur ce chemin soit seul (ce sera peut-être un peu plus long), soit en suivant les conseils d’un professeur (il nous expliquera comment il faut faire) soit en faisant confiance à un guide, le maître (que l’on suivra pendant toute l’ascension).

Avec ce guide c’est facile, il suffit de le suivre. Il va exercer sur nous une certaine autorité (on va passer là où il nous dira de passer) et il va nous influencer (on prendra son rythme, on admirera ce qu’il trouve beau…). Mais est-ce un bon guide? Nous n’avons au départ aucune compétence pour le juger. Les personnes qui me l’ont conseillé étaient différentes de moi et n’avaient peut-être pas les mêmes objectifs…. Ce guide est peut-être incompétent ou il va peut-être profiter de mon incompétence ! Est-ce à l’arrivée qu’on pourra le juger ? Bien sûr que non car il n’y a pas d’arrivée. Le sommet est un leurre, l’important étant de grimper.

C’est le fait de grimper par le chemin que nous avons choisi, en l’occurrence par le karaté, que nous allons nous épanouir.

Alors seul, avec un professeur ou avec un guide ? Je ne sais pas. Souvent ce choix est dû au hasard ou a fait l’objet d’un compromis.

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2 remarques pour ce qui concerne la voie :- on peut parler de suivre une voie (chemin, do) lorsque la discipline est pratiquée avec

passion, sur le long terme, toute une vie et sans autre objectif que celui de se perfectionner.- une multitude d’activités peuvent donc servir de voie et à l’inverse des activités réputées

comme pouvant servir de voie (art martial) mais n’étant pas pratiquées telles que définies précédemment ne sont pas des voies. Le « karaté sport » ne visant que des résultats en compétition ou une efficacité à court terme n’est pas une voie car il n’a pas du tout le même objectif que le « karaté do ».

Les arts martiaux sont quand même des voies particulièrement intéressantes. Ils associent la compréhension, la recherche avec le travail physique (l’esprit et le corps), l’entraînement individuel avec le travail en groupe (l’aspect social) et nous familiarisent avec une culture orientale. Ils nous apprennent également à canaliser, à maîtriser notre agressivité. C’est quand même pas mal !

En ce qui concerne l’évolution de l’enseignement et celui du travail des élèves, il ne faut pas dissocier le couple « élèves / professeurs ».Les professeurs enseignaient d’une certaine façon et les élèves étaient demandeurs de ces méthodes. Par la suite l’enseignement a été plus pédagogique et correspondait à des élèves devenant un peu plus difficile. On retrouve la même évolution dans l’éducation nationale et avec les mêmes questions : Est-ce qu’un élève aujourd’hui est meilleur ou moins bons qu’avant ? Question qui pourrait avoir un sens si on parlait des mêmes compétences !

Je suis assez pessimiste en ce qui concerne l’évolution du « karaté sport ». Celui ci risque de se diluer dans une multitude de sport lui ressemblant et ayant récemment fait leurs apparitions (boxe thaï, kick-boxing, full-contact..). Seule une onde de choc (introduction aux jeux olympiques) pourrait lui redonner un second souffle.Quand au « karaté do » il est tellement minoritaire par rapport au « karaté sport » qu’il restera tel qu’il est, l’affaire de vrais passionnés.

Éric : Considères-tu le karaté comme une voie initiatique ? Est-ce que le karaté t'a permis de développer une spiritualité (propre à toi et à cette pratique) en le pratiquant ?

Jean-Marie : Le karaté do mais le karaté do uniquement est une voie initiatique à double titre :- Il va nous apprendre à mieux nous connaître d’où cette sensation progressive de sérénité,

d’épanouissement. C’est l’objectif même de la voie. A ce propos les pèlerins cheminant vers Compostelle ont exactement le même objectif (le Compostelle do !) mais réalisé de façon plus intensive et limité dans le temps (environ 8h de marche par jour pendant quelques semaines….).

- C’est également l’occasion de s’intégrer à un groupe recherchant les mêmes objectifs et la comparaison avec les pèlerins de Compostelle reste valable.

Le karaté en tant que sport de combat pouvait paraître initiatique à une certaine époque dans la mesure où la publicité et les films laissaient penser que l’on pouvait acquérir des techniques secrètes rendant invincible….Être admis à l’intérieur de ce cercle d’initiés pouvait faire rêver…

Le karaté ne m’a pas permis de développer la moindre spiritualité au sens religieux du terme. Les guerriers japonais étaient des adeptes de Confucius, du bouddhisme zen…On peut donc concevoir que par l’intermédiaire des arts martiaux on se sente également attiré par l’aspect religieux du Japon.

Mais attention, les deux ne sont pas liés. Prenons l’exemple du Krav-maga pratiqué à l’origine par les militaires israéliens juifs. On peut très bien aujourd’hui pratiquer ces techniques sans pour cela s’intéresser ou être attiré par la religion judaïque !

Éric : On aborde l'épanouissement et la sérénité, connais tu cette « légende » concernant Moreih Ueshiba, qui au cours d'une démonstration pour l'ambassadeur des USA a eu à faire face aux 5 meilleurs combattants de ce dernier voulant éprouver l'efficacité de cet art martial. Hors, ils n'ont pu attaquer le fondateur de l'Aïkido déclarant qu'ils ne pouvaient attaquer cet

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homme dégageant tant d'amour.Je ne sais pas si cette histoire est vrai, mais penses-tu que le Karaté peut conduire à la

Concorde Universelle ? (Ceci se traduisant par l'étude de la violence pour mieux l'éradiquer ; et consistant en un perpétuel travail sur soi-même qui conduit à méditer puis à dépasser la peur, l'agressivité, la colère ?

Jean-Marie : Je ne connaissais pas cette légende sur Moreih Ueshiba. Cela m’étonne car le principe même de vouloir prouver l’efficacité de son art martial va à l’encontre de l’aïkido tel qu’il l’enseignait. Il avait atteint un tel niveau où, à mon avis, il n’avait plus rien à prouver à qui que ce soit.

En fonction de notre âge (enfant, adulte ou vieillard), de notre sexe (féminin ou masculin), de notre culture, de notre éducation, de notre personnalité etc., nous sommes tous différents face à la peur, nous sommes tous plus ou moins agressifs ou colériques.

Nous sommes également tous différents quant à la perméabilité ou l’herméticité d’une activité, d’une religion, d’une philosophie permettant de nous élever, de nous améliorer.

Il existe donc une multitude de méthodes qui adaptées à une multitude d’individus peuvent permettre à chacun de s’élever, de s’améliorer. En conséquence le karaté do est une de ces méthodes mais il ne peut, à lui tout seul, conduire à une Concorde Universelle.

La méthode, dans ce sens, n’est pas autre chose que la voie.On peut dire que Moreih Ueshiba avait trouvé sa voie avec l’aïkido au même titre que Gandhi

l’avait trouvé avec la religion ou que ….

Éric : Concernant la petite histoire, c'est bien l'ambassadeur US qui avait mis Maître Ueshiba au défit.

Pour le travail du karaté en lui-même, on se situe dans un premier temps (jusqu'au 1er ou 2eme DAN) dans une forme plutôt externe par l'apprentissage de la reproduction mécanique des mouvements,. Ensuite, on recherche plus une forme interne avec un travail : sur le relâchement, les hanches etc. Partages-tu cette analyse ? Comment envisages-tu ce travail? Quelles sont les pistes que tu explores personnellement ?

As tu déjà pratiqué le karaté à l'extérieur (en relation avec la nature) ?

Jean-Marie : Tu as raison, c’est exactement cela. Travail « externe » jusqu’à un certain niveau (1°, 2° dan ou plus suivant les personnes et le

travail effectué) avec bras et jambes fortement actifs (contraction continue et fortes amplitudes) et aucun travail au niveau du tronc. L’appellation « externe » convient bien car ce travail est très visuel.

Progressivement bras et jambes deviennent plus passifs (contraction uniquement à l’impact et amplitudes réduites) à l’inverse du tronc qui, lui, s’active (contraction du ventre, travail de rotation des hanches, poussées sur les jambes pour impulsion…). L’énergie partant du tronc va s’amplifier en se transmettant vers l’extrémité des membres plus décontractés. Travail pouvant être appelé « interne » car travail de sensation beaucoup moins visuel.

On s’assoit en bord de mer et on lance un galet. On fait travailler uniquement un membre (le bras et l’épaule). Pour aller le plus loin possible on est contracté et on cherche une grande amplitude.

On lance le même galet en étant debout. On fait toujours travailler l’épaule et le bras mais l’ensemble étant entraîné par le tronc (ventre, hanches…) l’énergie est fortement amplifiée.

Ce principe du lancement du galet est très important en karaté. On peut encore l’améliorer en travaillant 2 choses :

- la rapidité de ce travail du ventre et des hanches pour dégager plus d’énergie (W=1/2 mv2).

- La diminution de l’amplitude des mouvements du tronc pour supprimer les temps d’appel et faire en sorte que le mouvement devienne imperceptible.

L’augmentation de la rapidité compensant la puissance perdue par le manque d’amplitude.Vu de l’extérieur une personne ayant travaillé dans ce sens dégagera de l’énergie tout en donnant

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l’impression de rester immobile. Étonnant, non !A mon avis on se doit déjà de commencer par un travail « externe ». On se voit progresser, c’est

gratifiant et on peut se corriger ou se faire corriger facilement. Ensuite il faut prendre conscience et être convaincu de l’intérêt du travail « interne », il faut

travailler de plus en plus avec le tronc tout en perdant certains acquis du travail externe (contraction, fortes amplitudes..), ce qui n’est pas le plus facile !

Ce que j’essaye de faire aujourd’hui c’est de penser, quelque soit le travail (do, Ippon- kumité, Kata...), au ventre, aux hanches, aux impulsions et leurs donner la priorité.

Bien que la tête ne fasse pas parti du tronc, il ne faut pas hésiter à s’en servir ! Être curieux, analyser, remettre en cause, et tout ça avec de la logique et beaucoup de sueur…

Le karaté que nous pratiquons est réalisé dans des conditions idéales. Physiquement nous sommes en forme (si nous ne sommes pas bien nous ne venons pas), nous ne sommes pas dans des phases de digestion, la tenue est pratique (kimono et pieds nus) le tatami est bien moelleux et le dojo est chauffé. En plus nous connaissons nos partenaires, leurs capacités.

Le peu de karaté pratiqué à l’extérieur m’a paru difficile. Sol non stable, luminosité inhabituelle, vent quelque fois déstabilisant. Au même titre qu’un entraînement de nuit, en habit de ville avec chaussures, avec des partenaires non familiers, ce type d’exercice nous permet surtout de prendre conscience de notre vulnérabilité donc relativise l’efficacité réelle du karaté et nous rend plus humble.

Moralité : ce type de travail ne sert à rien mais il faut le pratiquer de temps en temps.

Éric : Kumité, Kion, Katas, Bunkaïs, jyu-Ippon Kumité, Jyu kumité souple, travail à deux ou seul, difficile de trouver le bon équilibre d'un programme d'entraînement nous permettant d'évoluer harmonieusement. Comment construis tu le tiens ? Par intuition, analyse ou sensation ? Et comment établis tu l'entraînement pour tes élèves ?

Jean-Marie : Imaginons un entraînement efficace à 100%. Des séries de 100 coups de pieds, de 200 coups de poings, un kata répété 20 fois de suite….On peut former avec ce type d’entraînement une ceinture noire en moins d’un an. Aujourd’hui plus personne n’aurait la force mentale d’accepter un tel entraînement, la contrainte de l’entraînement ne compensant pas le plaisir du résultat.

Par l’intermédiaire des exercices que tu cites (Bunkaïs, Jyu-ippon kumité etc. ;) on dilue l’efficacité par une certaine dose de plaisir. Moins de contrainte, plus de plaisirs au niveau des cours mais moins de plaisir également lorsque l’on atteint l’objectif car celui-ci est moins ambitieux. Un entraînement équilibré est donc un entraînement nous permettant d’atteindre nos objectifs avec le meilleur compromis « contrainte / plaisir ».

Chacun construit son programme d’entraînement en gérant au mieux ce couple sachant que celui-ci évolue en fonction de l’âge, du niveau, de la disponibilité que l’on s’accorde à la pratique etc.…

L’intuition et la sensation sont liées. On sait tous, instinctivement, ce qu’il faut travailler en fonction des sensations que l’on a. Si on ne ressent pas un mawashi du pied gauche on ne cherchera pas trop longtemps ce que l’on doit travailler ! Par contre l’analyse du mouvement, la décomposition mécanique ou physique des forces en jeu n’est, à mon avis, pas assez exploitée. Dommage car c’est la seule façon de progresser, d’optimiser un mouvement, de dépenser le minimum d’énergie pour un maximum d’efficacité.

Préparer un cours est difficile. Contrairement à ce que l’on dit ou à ce que l’on peut laisser croire, un cours ne peut pas être improvisé. Quand on voit la diversité des élèves (gabarits, niveaux techniques, souplesse, compréhension, âge etc..) il faut obligatoirement avoir un thème, une ligne directrice que l’on mémorise ainsi que les exercices et leurs variantes associées.

Exemple : Le thème est le maé géri. La ligne directrice que l’on s’impose est en 4 points : sur place, en se déplaçant, 2 par 2, en kata. Pour le 1° point de la ligne directrice (sur place) l’exercice commun consiste à rester en équilibre sur une jambe, le genou au niveau de la ceinture. Une variante pour les niveaux élevés consistera à déplier la jambe avec la hanche sortie alors que les débutants travailleront uniquement un coup de pieds fouetté, au niveau du visage pour les plus souples, au niveau de la ceinture pour les autres. Pour le 4° point de la ligne directrice (en kata) les débutants travailleront le passage du 1° kata où l’on retrouve des maé géri alors que les niveaux élevés travailleront les passages maé géri d’un kata supérieur…….. Et ainsi de suite.

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Les cours sont évidemment à adapter en fonction des événements (passage de grades, compétitions, reprise après une période de vacances etc..).

Sous peine de manque de progression technique ou même de dégradation de son niveau technique l’enseignant doit à tout prix participer, être actif. Il doit profiter de son cours au même titre que ses élèves. Il doit montrer qu’il est autant passionné par l’enseignement que par la pratique.

Éric : Je ne résiste pas au plaisir de te poser la question traitée dans le dernier Karaté magazine « Comment devenir un bon Karatéka ? »

Jean-Marie : Je préfère te donner ma version des 10 commandements du bon karatéka.

1 - respecter le code moral du karatéka (honneur, fidélité, courage …).Ce code moral est défini depuis longtemps. Il faut le faire connaître, le relire.

2 - évoluer constamment dans son karaté.Le karaté n’est pas quelque chose d’immuable. En fonction de son âge, de sa progression technique, de sa condition physique, de sa disponibilité, il faut le faire évoluer, être curieux, suivre des stages etc.

3 - se donner des objectifs.Des objectifs à court termes (passages de grades, compétitions, quotas de nombre d’heures d’entraînements hebdomadaire) et à longs termes (diplômes d’enseignements, apprentissage de katas supérieurs, renforcement du travail en souplesse, du rythme, de la respiration, vidéos …)

4 – enseigner.Ne pas enseigner pour faire ressortir son ego, pour prouver ou se prouver quelque chose mais enseigner pour partager. Attention, une heure d’enseignement n’est pas une heure d’entraînement ! Trop de karatéka, à partir du moment où ils enseignent, ne prennent plus la peine ou le temps de s’entraîner. C’est la stagnation ou au pire la régression !

5 – s’entraîner. (si on a mal aux pieds, s’entraîner avec les poings)6 – s’entraîner. (si on n’a pas envie, se forcer, ce sont les premières minutes les plus dures)7 – s’entraîner. (on a toujours le temps, ce n’est qu’une question d’organisation)8 – s’entraîner. (on peut s’entraîner seul)9 – s’entraîner. (on peut s’entraîner sans kimono)10 – s’entraîner. (on peut s’entraîner sans être dans un dojo)

Éric : On te voit avec H Mochizuki, D Valéra et P Belhreti respectivement 9eme, 9eme et 8eme DAN, que représente cette photo, ce moment là pour toi ? Dans les combats que tu as pu faire (sportifs ou même réels), as tu connu la peur ? Comment la définis-tu ? Comment l'as-tu combattue ? Est-elle un stimulant ou un "annihilateur" d'action ? Peux-tu définir ce qu'est "l'esprit guerrier" (comme l'a fait brillamment, en son temps, Francis Didier). Y-a-t-il de la place pour la stratégie dans un combat de karaté ou la fulgurance (jaillissement réflexe) de la technique exclue-t-elle de fait cette notion ?

Jean-Marie : Cette photo représente l’histoire de mon karaté.D. Valéra incarne le personnage le plus populaire du karaté français. Tant par sa présence

sur les tatamis qu’à son comportement à l’extérieur d’un dojo il a fait pour le karaté français ce que Bruce Lee a fait pour le karaté mondial. Il a la particularité, indépendamment de son âge (il est né la même année que moi …) et de son niveau, de continuer à participer à des stages, de chercher à progresser.

H. Mochizuki a toujours été un technicien et un analyste hors pair. J’ai son livre de 1974 où il démontre les katas de base et d’autres katas supérieurs de façon très technique et avec tous les bunkais . Mais qui s’intéressait aux bunkais à l’époque ?

Avec JL Vincent nous avons découvert P. Belhriti au Tréport il y a ……longtemps.Pas de professeurs donc les livres de Patrice comme référence et ses stages à chaque fois que c’était

possible. Son style nous convenait parfaitement. Il a toujours été aussi bon combattant que technicien, ce qui est rare chez les français de haut niveau. Est toujours resté fidèle à sa méthode (culture japonaise oblige).

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Le moment où cette photo a été prise a été et restera mon plus beau souvenir de karatéka.

Qui n’a pas connu la peur ? Je définis 2 types de peur :-1- La peur du danger réel. Celle qui nous paralyse ou décuple nos forces.-2- La peur de l’inconnu. Celle à laquelle nous sommes continuellement confrontés.

La première, la peur du danger ne peut pas être combattue. On y réagit instinctivement et différemment les uns des autres.

La seconde, la peur de l’inconnu, peut être plus ou moins maîtrisée. On peut se raisonner, relativiser… La peur que nous avons en combat fait parti de cette peur de l’inconnu.Est-il plus fort que moi ? Est-ce que je vais me qualifier ? Globalement je pense que c’est beaucoup plus un annihilateurd’action qu’un stimulant.

En temps de guerre, c’est au premier type de peur, la peur du danger réel, auquel on est confronté. Avoir l’esprit guerrier, c’est s’affranchir de cette peur. On peut s’en affranchir de différentes façons. Avec l’alcool, comme autrefois nos soldats dans les tranchées, avec le cannabis comme aujourd’hui ou avec un entraînement et un conditionnement spécifique comme les samouraïs de l’époque ou nos commandos d’élite.

Nous sommes de moins en moins confrontés aux guerres, heureusement, mais nous ne sommes pas à l’abri d’agression physique présentant un danger réel.

Un pratiquant d’art martial est indirectement plus protégé qu’un non pratiquant. Quand on a peur de l’inconnu on a peur, à fortiori, de la personne inconnue. On se méfie des gens que l’on ne connaît pas.

Travailler constamment en contact avec des partenaires fait que cette peur, cette méfiance de la personne inconnue, a tendance à disparaître. De ce fait nous sommes plus serein, nous avons plus confiance en nous, même lorsque nous sommes dans un milieu hostile. Nous ne nous présentons donc pas en victimes potentielles face à des agresseurs qui préféreront choisir d’autres proies plus faciles..On ne se fait pas voler sa voiture parce qu’elle a un antivol mais tout simplement parce qu’elle est fermée et que dans le parking où elle était il y en avait une qui n’était pas fermée donc plus facile à voler.

Il y a beaucoup de place pour la stratégie dans un combat de karaté. On se comportera différemment suivant que le partenaire est grand ou petit, longiligne ou trapu, mobile ou statique, ... Les combattants d’aujourd’hui se connaissent par l’intermédiaire des vidéos et savent mener leurs combats en conséquence. Par contre dans le feu de l’action le contre-réflexe peut tout faire basculer.

A propos de stratégie il faudrait relire « L’art de la guerre » de Sun Tsu. Une mine de logique applicable, bien sûr, en temps de paix et à notre époque.

Tes questions m’ont également permis de relire « L’esprit guerrier » de Francis Didier.Touffu dans la présentation mais dense quant aux réflexions et informations relatives aux arts martiaux.

Éric : Tu présentes là une analyse très intellectualisée de la peur. J'aimerais que tu reviennes sur la partie de la question qui te concerne dans ta relation avec la peur, ton expérience de celle-ci ?

Jean-Marie :C’est plus une analyse générale qu’une analyse intellectualisée !En fait j’ai toujours eu peur dès l’instant où je présentais quelque chose devant quelqu’un.

Que ce soit en combat devant un jury, en kata devant un public ou au cours des passages de grade. Une certaine timidité et peut-être également le fait de ne pas avoir débuté étant enfant…

J’ai connu également la vraie peur, celle qui paralyse avec les jambes en coton dans des

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situations où le danger n’était pas particulièrement important et inversement je me suis retrouvé dans des situations dangereuses avec l’esprit relativement serein.Une fois l’action est même passée avant la réflexion.

Nous montions dans le métro à Paris avec mes enfants, il y avait beaucoup de monde et la plus jeune de mes filles (Alice) s’est retrouvée coincée parce que 3 hommes ne se levaient pas de leurs strapontins. Sans réfléchir je les ai levés et les ai poussés pour dégager l’entrée. Ils ont été étonné, pas tant que moi, mais n’ont pas réagi.

On associe souvent courage à « maîtrise de la peur ». Ne pas oublier aussi d’associer courage à « maîtrise des petites paresses ». Se lever un peu plus tôt pour s’entraîner, ne pas se plaindre trop souvent, aller quelque fois jusqu’à ses limites etc.…Ce courage est plus facilement compréhensible pour les élèves, il se maîtrise mieux et apporte énormément.

Éric : Si aujourd'hui tu devais concevoir un programme d'enseignement du Karaté conduisant tes élèves à sortir le meilleur d'eux-mêmes, tout en restant dans le cadre d'une pratique martiale. Quel serait ce programme ?

Jean-Marie : Ce serait un programme de type FRR (Fluidité, Rythme, Répétition).Fluidité : La majorité des pratiquants compensent la peur ou l’appréhension par un réflexe de contraction continue. Cette contraction est très longue à faire disparaître. C’est également cette contraction, cette dureté qui est souvent à l’origine de traumatisme. On s’est tous fait mal en travaillant avec des personnes raides…donc il faut travailler fluide dès le début de l’apprentissage. La contraction ponctuelle à l’impact viendra naturellement et plus tard.Les mouvements simultanés (esquive et contre) sont également de très bons exercices de fluidité qui de plus font percevoir le travail de hanches.Rythme : Tout travail doit être accompagné de rythme. Le professeur donne le rythme mais il apprend surtout à l’élève à travailler seul avec son propre rythme. Au départ travailler par temps puis ensuite par temps et demi temps. Du rythme découlera la respiration, les phases d’inspiration et d’expiration, puis les phases de décontraction et de contraction ponctuelle.Le rythme aide également énormément à la mémorisation.Répétition : Le travail répétitif est le plus important. C’est celui qui permet de progresser rapidement, de se dépasser, d’aborder l’aspect martial. C’est celui qui libère l’endorphine, qui fait qu’on se sent bien, qu’on en redemande…Mais c’est celui qui est le plus difficile à enseigner, celui qui demande de l’imagination, de la préparation. Faire faire le même mouvement, le même enchaînement mais sous des formes différentes pour ne pas lasser, ce n’est pas facile !

Pour appliquer ce programme dans le cadre d’une pratique martiale, il faut faire part d’une bonne dose de psychologie et savoir à qui on s’adresse :- à des enfants : discipline et respect suffisent.- à des ados normaux : discipline, respect, discours et 50% du cours en attitude martiale.- à des ados difficiles : discipline, respect, pas de discours mais une attitude martiale pendant tout le

cours.- à des adultes (en considérant qu’ils sont tous normaux…) : minimum de discipline, respect, pas de discours et des passages d’attitudes martiales.- etc...

Évidemment ce ne sont que des exemples, difficiles à appliquer dans des cours non homogènes, mais qui montrent l’importance et les qualités, dans tous les domaines, de l’enseignant.

Je ne te ferai pas l’affront de te définir ce que j’entends par « attitude martiale » et terminerai par une citation de Ryozo Tsukada. Pourquoi Ryozo Tsukada ? Parce que c’est un très bon et hasard ou non, il fait un stage prochainement à Bernay.

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"Le but du Karaté-Do est d'essayer de dépasser le physique pour développer le moral. Concrètement, on ne peut le faire qu'à travers un travail de répétition. Je sais que les Européens ont un peu de mal à répéter mais sans répétition, on oublie et on ne peut donc pas s'améliorer. Ce n'est pas parce qu'on ne voit pas le sommet de la montagne au milieu des nuages qu'il faut croire que l'on est arrivé en haut. Non ! La répétition va dissiper les nuages. Dans le Karaté, il n'y a pas de potion magique, il n'y a que la répétition.

Ryozo Tsukada - 7ème Dan de Karaté Do Shito Ryu

Eric : j'aime beaucoup cette citation de Ryozo Tsukada. Est-ce qu'un Karatéka ne progresse qu'en pratiquant le karaté ? Comme le samouraï qui pratique la

cérémonie du thé, le karatéka doit-il avoir l'esprit ouvert sur les autres arts ou ne se concentrer que sur sa pratique ?

Jean-Marie : Un karatéka ne progresse qu’en pratiquant le karaté mais il y a beaucoup de manières de pratiquer ! On peut parler karaté, avoir une culture karaté mais seule la pratique fait le karatéka.

Connaît-on un pianiste qui progresserait sans jouer du piano ?

Le karatéka ne doit pas forcement avoir l’esprit ouvert sur les autres arts. Avec le temps et la pratique toute personne pratiquant un art deviendra de plus en plus passionnée et sensible, non seulement à son art mais à l’ensemble des arts. Le karatéka ne doit donc pas forcement avoir l’esprit ouvert sur les autres arts mais s’il pratique vraiment un art martial alors, naturellement et avec le temps, il s’ouvrira à toutes formes d’arts.

C’est pour cela que le samouraï pratique la cérémonie du thé, que Picasso, sur la fin de sa vie, s’est passionné pour la céramique et que Miyamoto Musashi, guerrier brutal dans sa jeunesse termine sa vie en excellant en tant qu’écrivain et peintre.

Le karatéka se doit de ne se concentrer que sur la pratique du karaté. C’est sa seule façon de progresser comme karatéka. A partit d’un certain niveau il peut s’inspirer d’autres arts martiaux mais avec comme unique objectif d’améliorer son karaté. S’il fait du judo en parallèle il devient donc karatéka et judoka.

Mais attention, notre temps hebdomadaire affecté à la pratique des arts martiaux étant limité, trop nous disperser nuirait à la qualité et à la progression de celui que nous avons choisi.

Eric : Après 37 ans de pratique du karaté (mon age à 2 ans près) - art qui t'apporte énormément et auquel tu apportes beaucoup - que recherches-tu dans cette voie ? Que peux-tu encore apprendre ?

Jean-Marie : Je cherche à m’améliorer dans 3 directions :- Le physique : Le karaté est déjà une activité physique. Cette activité peut se pratiquer seul

(contrairement à la majorité des autres arts martiaux) ou à plusieurs, à l’extérieur comme à l’intérieur, sans équipement particulier (pas de tatami obligatoire) et dans un espace relativement restreint. Le karaté est un outil universel pour la souplesse, la puissance, la résistance etc...

- La technique : La progression technique est pratiquement infinie. On recherche et on travaille des mouvements de corps (vitesse, synchronisation, désynchronisation, impulsions, rotations de hanches..) des enchaînements, des feintes, des esquives, avec des outils divers et variés (kata, ki-hon, ippon kumité.)On recherche et on travaille également l’adaptation. Une attaque, une défense, un enchaînement est toujours adapté et est fonction de sa forme physique, de son niveau technique, de son partenaire, de l’environnement (en compétition, en cours…)

- Le social : On pratique en collectivité, dans un club, en stage, en compétition et avec toutes les couches de la société. Les « hautes », les « basses », les « bonnes » et les « moins bonnes ». Elles sont toutes là et la cohabitation est très, très enrichissante pour tous. Quant au travail avec partenaire, quoi de plus prenant que de retrouver ses instincts primitifs du combat (l’homme n’est-il pas fait pour se battre ?) avec respect bien sûr…

Y a-t-il d’autres activités qui peuvent nous apporter tout cela ?

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Ce que je peux encore apprendre :- Plus grand chose du point de vue physique sinon maintenir une bonne condition en tenant compte de mes possibilités.- Beaucoup du point de vue technique : Le travail de recherche et de répétition (pour obtenir une sensation de fluidité, de naturel..) est toujours passionnant. - Énormément du point de vue social.

Eric : Je pense que nous avons une ébauche, complète et consistante, de ce que l'on pourrait appeler le tome 1 de cet entretien. As-tu quelque chose à ajouter, un thème que nous n'aurions pas abordé et qui te tiens à cœur ?

Jean-Marie : Toutes les questions étaient super pertinentes donc, à mon avis, tous les thèmes ont été abordés. C’est un très bon exercice de réflexion qui devrait être réalisé par tous les pratiquants, et pourquoi pas, à diverses étapes de leur apprentissage. Je suis à ta disposition, quand tu veux, pour jouer le rôle de Tori, l’attaquant, celui qui questionne !

MERCI