Rationalité individuelle et Dynamique du...

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Document de travail : Rationalité individuelle et Dynamique du capitalisme Par Thiang Junior Nguema CEMI-EHESS 2015

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Document de travail :

Rationalité individuelle et Dynamique du capitalisme

Par

Thiang Junior Nguema

CEMI-EHESS

2015

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Introduction

La rationalité revêt bien des sens en fonction de la discipline à laquelle on fait

référence. Ainsi elle trouve des définitions aussi différentes que variées en économie, en

psychologie ou encore en sociologie. Mais toutes ces définitions ont en commun de

questionner l’attitude de l’individu vis-à-vis de son environnement- sa société- et surtout de

s’interroger sur les conditions dans lesquelles il prend ses décisions. Les théories de la

rationalité sont donc avant et surtout des théories de l’action et de la prise de décision.

En économie, la place centrale de la théorie des préférences individuelles, i.e.

Rationalité parfaite, fait écho à l’importance qu’occupent aujourd’hui les théories

néoclassiques au sein de la science économique. En effet, la science économique a, depuis

plusieurs siècles, suivi les développements de cette école de pensée au point que la

conception de l’économie qui est habituellement retenue est celle formulée par cette

dernière, à savoir la science de la rareté, entendue comme le moyen d’ajuster (ou affecter)

des ressources rares de manière efficace en fonction des besoins potentiellement illimités [L.

Robbins, 1932]1. Elle a fait de l’économie une science de l’efficacité et de la recherche de

l’optimum, dans laquelle les mathématiques occupent une place centrale, comme l’attestent

la théorie des jeux ou encore l’économétrie, qui sont autant d’outils mathématiques mis au

service des approches économiques (programme du producteur ou du consommateur). Loin

de tout jugement critique de cette approche, il convient de s’interroger sur la portée actuelle

de cette théorie des préférences individuelles et plus encore de savoir quelles peuvent être

les implications pour l’analyse économique d’une approche différente de cette rationalité

individuelle.

La science économique est la seule discipline dans laquelle l’objet de recherche se définit par

rapport à une théorie particulière ou un résultat d’une recherche d’un courant de pensée.

La science économique a donc épousé les contours de l’analyse néoclassique en terme

de raisonnement en équilibre , de définition d’axiomes et surtout l’individualisme

méthodologique qui a donné naissance à la figure la plus connue de la théorie économique,

l’homo économicus. Elle a aussi conduit l’économie vers un cloisonnement disciplinaire qui

interdit tout rapprochement avec d’autres sciences sociales et surtout d’en intégrer les

développements. Nous verrons par la suite que c’est justement par le biais d’autres sciences

sociales que la théorie néoclassique des préférences individuelles sera remise en cause

                                                                                                                         1  -­‐«    la  science  du  choix  rationnel  dans  l’allocation  de  ressources  rares  »  in    L.  Robbins(1932),  An  essay  on  the  nature  and  significance  economic  science  

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notamment par la sociologie avec Boudon ou encore la psychologie expérimentale avec les

travaux d’Herbert Simon.

Ceci dit, au vu des limites de l’analyse néoclassique de la rationalité que les débats au sein

de la littérature ont éclairées, il devient nécessaire de s’interroger sur la pertinence de la

rationalité telle qu’elle est entendue par ces derniers afin d’en questionner la portée actuelle

et de voir si les autres alternatives théoriques qui se sont développées nous offrent des

perspectives de recherches nouvelles.

La théorie néoclassique est la base de la science économique moderne sur laquelle

s’appuient les plus importantes théories économiques. On peut donc ainsi considérer que les

piliers du programme de recherche de l’économie orthodoxe sont la théorie de l’équilibre

générale et la théorie du choix rationnel. La question de la rationalité est si importante en

économie car elle ramène inexorablement à l’interrogation sur la nature et l’objet de la

science économique. D’autant plus que l’économie comme science normative et descriptive

doit être dotée d’une théorie de l’action individuelle crédible. Car l’unité d’étude la plus

atomique de l’économie demeure l’individu.

L’hypothèse de rationalité individuelle en établissant un lien entre la raison et l’action

permet de créer une théorie du comportement individuel. On peut donc affirmer à la suite de

[Popper, 1963]2 ou d’Edmond Malinvaud3 que le recours à une hypothèse de rationalité

correspond à une nécessité méthodologique.

Bien que nombre d’auteurs considèrent que l’économie en tant que science normative n’a pas

besoin des hypothèses comportementalistes les plus réalistes et complexes, l’on peut

affirmer, et c’est là l’objet de la thèse de ce papier, que les oppositions qui caractérisent les

différentes approches de la rationalité ou du comportent individuel de manière générale,

préfigurent des divergences que l’on retrouve dans les théories économique, les études sur

le capitalisme ici en l’occurrence. Et c’est donc fort de ce constat que nous pouvons affirmer

que les hypothèses sur le comportement individuel en ayant les mêmes fondements

philosophiques, psychologiques, sociaux que les théories économiques, créent des

perspectives de recherche différentes qui sont la base des principales écoles de pensée.

                                                                                                                         2  -­‐  Popper  (1963)    3  -­‐  Malinvaud  Edmond.  Sur  l'hypothèse  de  rationalité  en  théorie  macro-­‐économique.  In:  Revue  économique.  Volume  46,  n°3,  1995.  pp.  523-­‐536.    

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Le recours à des hypothèses comportementalistes réalistes est donc une nécessité pour

l’analyse économique et encore plus pour l’étude du capitalisme en particulier sa diversité.

Une telle perspective permettrait de déconnecter le capitalisme de l’économie de marché

avec laquelle il est trop souvent confondu chez nombre d’auteurs.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Première partie : La rationalité Individuelle

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Cette première partie nous permet de montrer les débats qui ont lieu autour de la question

de la rationalité. Nous allons montrer comment s’est effectué le passage de l’hédonisme à la

notion d’utilité ou d’utilité espérée. Ce sera l’occasion de voir les traitements mathématiques

qu’a subi cette théorie et la réception que les auteurs néoclassique ont pu avoir des critiques

qui ont été formulées à l’encontre de cette approche. Nous verrons ainsi les contributions

d’Herbert Simon en particulier, avant de montrer quelle acception de la rationalité

prédomine en dehors du champ de l’analyse économique. Nous illustrerons cela avec

l’approche sociologique de Raymond Boudon pour insister sur le fait que la rationalité est

une nécessité méthodologique pour toute science sociale.

A- La théorie du choix rationnel et la rationalité économique chez les néoclassiques

1- L’Hédonisme et l’utilitarisme comme fondements de la rationalité

Le concept de rationalité économique tire son origine de l’utilitarisme développé par

Jeremy Bentham à la fin du 18e siècle et poursuivi par John Stuart Mill. L’utilitarisme est

d’abord une philosophie morale qui s’interroge sur l’origine du bonheur et la manière de

l’accroitre aussi bien chez les individus que dans l’ensemble de la société. Elle s’inspire de

l’hédonisme qui est une doctrine philosophique grecque selon laquelle la recherche du

plaisir et l’évitement du déplaisir constituent l’objectif de l’existence humaine. Elle est

associée dans l’antiquité à Aristippe de Cyrène mais aussi à Epicure, bien que leurs

approches du plaisir soient différentes.

Bentham entendait l’utilitarisme comme un « calcul hédoniste » dans lequel devait

être systématiser l’idée de mesure des plaisirs évoquée dans le philebe de Platon. Selon lui,

les individus doivent agir de manière à augmenter leur plaisir et réduire leur peine. Le

bonheur de la société correspondrait ainsi à la somme des plaisirs individuels.

John Stuart Mill qui s’inscrivit à la suite de Bentham reprocha à ce dernier de ne pas

avoir intégré une dimension qualitative aux plaisirs. Pour cela, il introduit une dimension

morale à l’utilitarisme qui le fera sortir de l’hédonisme en introduisant d’autres valorisations

et d’autres fins à l’existence humaine. Il insistera sur le fait que les plaisirs sont d’abord

intellectuels avant d’être physiques. Le paradigme de l’utilitarisme ne change pas

fondamentalement entre ces deux auteurs : les individus sont appréhendés comme des êtres

rationnels qui agissent en fonction des conséquences de leurs actions.4

                                                                                                                         4  -­‐  Hedoin  Cyril,  Mémoire  de  DEA  sur  :  «  Les  théories  institutionnalistes  du  comportement  économique  de  T.  Veblen  et  J.R.  Commons  :  éléments  et  fondements  d’une  approche  réaliste  et  évolutionniste  en  économie,  Université  de  Reims,  2005/2005,  page  6  

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Trois idées force émergent de l’utilitarisme : i) les individus sont appréhendés comme

des êtres rationnels qui recherchent consciemment ou pas, selon un calcul, à accroitre leur

plaisir (utilité) ; ii) la société doit être organisée selon une perspective « utilitariste » dans

laquelle l’objectif est la maximisation des utilités agrégées ; iii) les règles de l’organisation de

la société doivent suivre cet objectif en permettant de concilier intérêt individuel et intérêt

collectif.

On entrevoit le lien entre l’utilitarisme et la rationalité économique bien que subsiste

quelques différences. De la dimension morale de l’utilitarisme, les néoclassiques ne

retiendront que la dimension calculatoire du comportement humain : les marginalistes

refusent toute interrogation sur les fins des actions individuelles et collectives. L’objectif

suffit à expliquer l’action et à la justifier. Ce seront Stanley Jevons (en Angleterre), Carl

Menger (en Autriche) et Léon Walras (en France) qui seront les fers de lance de cette

révolution marginaliste qui s’opère dans les années 1870 et qui va donner naissance au

concept de rationalité économique et à l’homoéconomicus. L’axiomatisation de la théorie de

l’Homoéconomicus moderne sera achevée par Leonid Savage dans les années 1940.

L’hypothèse de la rationalité devient alors une axiomatisation dans la formalisation

néoclassique avec toutes ses implications pour les critiques ou les rejets dont elle peut faire

l’objet.

2- Les hypothèses de la théorie néoclassique des préférences

La théorie néoclassique des préférences s’appuie sur une relecture du paradoxe de

Condorcet par Kenneth Arrow et le paradigme de la relation principal-agent. (Kenneth

[Arrow, 1951]5 , [G. G. Granger, 1956]6. Toutes ces conjectures théoriques trouvent leur

importance dans l’explication de faits réels en s’appuyant sur la logique de l’utilité

maximisatrice des individus.

§ Les hypothèses de base

L’importance de la théorie classique des préférences pour la théorie économique standard,

ou standard élargie, selon l’expression d’Olivier Favereau7, provient de l’identification des

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                             5  -­‐   Kenneth  Arrow  ,  social  choices  and  individual  values,  1951  6  -­‐  G.  G.  Granger,  la  mathématique  sociale  du  marquis    de  Condorcet,  chap.  3,  1956

7  -­‐  O.  Favereau,  «  marchés  internes,  marchés  externes  »,  in  Revue  Economique,  vol.40,  n°2/1989,  mars,  pp.  273-­‐328    

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comportements du consommateur et du producteur avec une forme axiomatisée de théorie

utilitariste8. Cette axiomatisation permet de définir une fonction d’utilité qui sera par la suite

maximisée. Cette fonction d’utilité est définie grâce à une structure des préférences qui sert

à l’évaluation de toute action définie comme rationnelle. Cette structure des préférences a

été établie par Gérard Debreu9 et on peut la résumer aux axiomes suivants :

Le modèle de référence néoclassique suppose que les comportements sont intelligibles s’ils

répondent à une rationalité parfaite qu’ils définissent suivant un système de préférences qui

doivent vérifier le préordre complet suivant :

- La transitivité : si je préfère x à y et y à z alors je préfère x à z.

- La réflexivité.

- La continuité : soit x, y et z, il existe alors un mélange des possibilités x et z qui soit

indifférent par rapport à y.

- L’axiome de non saturation : si la consommation d’une unité X1 de x engendre une

utilité u1, alors si X2>X1, l’utilité de u2>u1.

- L’axiome d’indépendance, introduit à la suite des travaux de Von Morgan et

Morgenstern10 , il permet de passer de la notion d’utilité à celle d’utilité espérée11 et

ainsi résoudre le problème du passage d’un univers certain à un univers Probabiliste.

(Soit les possibilités x, y et z telles que x>y, une combinaison de x et z sera préférée à

une combinaison de x et Y).

A ces préférences, il faut rajouter l’hypothèse de leur monotonie12 et l’intégration

temporelle13 qui permettent d’étendre la théorie standard en incorporant le temps et apporter

du dynamisme à la forme originelle qui est a-temporelle. Ces deux dernières hypothèses

permettent de définir l’utilité sociale comme la somme des utilités individuelles. Cet

                                                                                                                         8  -­‐  Jacques  Sapir,  Les  nouvelles  approches  des  préférences  individuelles  :  la  révolution  qui  vient  ?,  Document  de  travail  03-­‐1  CEMI  (EHESS),  février  2003,  p.6    9-­‐  G  Debreu,  Théorie  de  la  valeur,  Dunod,  Paris,  1959    10  -­‐  J.  Von  Neumann  et  O.  Morgenstern,  Theory  of  Games  and  Economic  Behavior,  Princeton  University  Press,  Princeton,  NJ,  1947  (2eme  edition).    11-­‐  Notion  empruntée  aux  travaux  de  Bernoulli  sur  les  Probabilités    12  -­‐  La  qualité  d’une  période  additionnelle  détermine  si  l’expérience    la  plus  longue  est  plus  ou  moins  utile  que  la  plus  courte.    13  -­‐  L’utilité  que  l’on    retire    d’une  expérience  correspond  à  l’ensemble  des  utilités  de  chaque  moment  de  cette  expérience.    

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utilitarisme des préférences correspond à la démarche normative des économistes

néoclassiques du 20e siècle et se détache de l’hédonisme souvent mobilisé par les

économistes du 19e siècle.14

3- Analyse des implications de la rationalité néoclassique

Les postulats de la rationalité comprise comme la maximisation de l’utilité, peuvent

donc se résumer au préordre complet et aux hypothèses de continuité et de non saturation.

Cette axiomatique est la base de la définition de ce qu’est un comportement rationnel pour

les néoclassiques. Elle a été présentée pour la première fois par Vilfredo Pareto15 et a reçu des

traitements mathématiques de la part de Von Neumann et Morgenstern16 ainsi que Arrow17.

Le modèle néoclassique de la rationalité est construit dans un univers abstrait. Il

n’étudie pas la rationalité des comportements comme objet de la connaissance mais postule

que cette dernière guide les décisions des individus. Le réalisme de l’hypothèse de la

rationalité n’est pas remis en question et il suffit que les prédictions des modèles basés sur

ces hypothèses soient vraies pour attester de la pertinence et de la véracité de la démarche.

La théorie des préférences et de la rationalité maximisatrice ne permet pas que de

définir un comportement des agents économiques. Elle permet également de créer une

barrière entre ce qui doit être l’objet de la recherche en science économique et ce qui ne doit

pas l’être. Ainsi est rationnel tout comportement/ toute attitude qui respecte les critères de

préférences et tout phénomène qui ne correspond pas à cette logique maximisatrice de

l’utilité n’est pas économique. Cette définition exclusive de la rationalité leur permet de

créer une définition exclusive de l’économie qui n’est compréhensive qu’à l’aune de la

logique néoclassique.

La rationalité individuelle néoclassique repose sur des assomptions fortes. On

suppose ici que les agents sont dotés de capacités cognitives qui leur permettent d’avoir une

compréhension parfaite de l’environnement dans lequel ils agissent. Ce qui implique qu’ils

ont connaissance des différentes possibilités de choix qui se présentent devant eux mais

surtout qu’ils ont une parfaite connaissance des implications et des conséquences de leurs

                                                                                                                         14  -­‐  Jacques  Sapir,  op.  Cit,  P.7    15  -­‐  V.  Pareto,  Manuel  d’Economie  Politique,  M.  Giard,  Paris,  1927    16  -­‐op.  Cit      17  -­‐  K.  Arrow,  Social  Choice  and  Individual  Values,1974    

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actions dans le futur. Cette rationalité dont sont dotés les individus leur permet d’évoluer

dans un environnement sans incertitudes et sans surprises. De cette mise en situation, à la

suite de [Bejean et al. ,1999]18, on peut donc faire ressortir trois éléments qui permettent de

caractériser l’environnement ou le contexte dans lequel évolue l’individu :

- L’environnement objectif : défini par les hypothèses concernant les états de la nature

en dehors de la perception des individus

- L’environnement Subjectif : défini par la connaissance des états de la nature par les

individus (éventuellement leurs croyances) quant à l’avenir mais également leurs

préférences.

- L’environnement interne ; il renvoie aux modalités effectives de la prise de décision.

(critères de choix, capacités de calcul,…).

La rationalité individuelle néoclassique est une rationalité situationnelle car elle met

l’individu dans un contexte où les fins, les contraintes et les moyens sont donnés : son but

devient donc uniquement de choisir l’action la plus efficace en fonction du but à atteindre.

La rationalité est définie en fonction du but à atteindre et non du processus de choix ou de

décision. Les paramètres de l’environnement sont des données que l’individu incorpore dans

son calcul maximisateur.

Les caractéristiques de cet environnement sont les suivantes :

Ø L’environnement Objectif : il est constitué de l’ensemble des états de la nature,

autrement dit l’ensemble des actions possibles et leurs conséquences. Dans

l’hypothèse de rationalité individuelle néoclassique, il est préexistant et parfaitement

connu par les individus.

Ø L’environnement Subjectif : il est constitué des éléments qui permettent à l’individu

d’appréhender son environnement (informations, Croyances, préférences..). Bien que

l’environnement objectif soit connu par l’individu, l’avenir peut être incertain.

L’individu peut ignorer quel état de la nature se réalisera mais il connait la liste des

évènements possibles. L’individu sait également que la réalisation de l’état de la

nature dépend de ses choix et de de ceux des autres sur lesquels il n’a aucune

information. L’individu associe donc des probabilités aux différents états de la

nature : il a une parfaite connaissance de ces imperfections. Cette rationalité permet

                                                                                                                         18  -­‐  Sophie  Bejean,  Fabienne  Midy  et  Christine  Peyron,  la  rationalité  simonienne  :  «  Lectures  et  enjeux  épistémologiques  »,  Economie  et  sociétés,  Série  Oeconomia,  PE,  n°31,  p.1703-­‐1733,    2001.    

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donc de poser que l’individu dispose de capacités cognitives illimitées qui ne

contraignent pas sa recherche et son traitement des informations.

Ø L’environnement Interne : il renvoie aux capacités calculatoires des individus et à

leurs critères de choix. Le critère de décision est le calcul. Les individus ont une

parfaite connaissance de leurs préférences qu’ils peuvent ordonner. L’individu doit

donc maximiser son intérêt personnel en fonction de contraintes extérieures dont il a

parfaitement connaissance dans un contexte d’asymétrie de l’information. Cela

revient donc à doter les agents économiques de capacités computatoires

exceptionnelles mais qui sont peu aptes à rendre compte des situations réelles. Les

postulats de cette rationalité sur l’environnement interne se heurtent à l’irréalisme de

telles hypothèses.

C’est donc sur la base de l’irréalisme des hypothèses de cette rationalité que vont se

développer une série de critiques. La non prise en compte du contexte de la naissance des

préférences des individus ou encore la mise en exergue des limites des capacités cognitives

des individus seront autant d’éléments qui seront mobilisés pour remettre en cause la théorie

préférences individuelles et la rationalité telle qu’entendue par les néoclassiques.

4- Critiques de la rationalité Standard

§ Critiques internes

Nombre de critiques vont se développer à l’encontre de cette théorie. Elles vont

concerner tant les implications de certaines hypothèses induites par cette rationalité

(convexité des courbes de préférences, cf. travaux de Bernard Guerrien19 ) que les hypothèses

de base telle l’hypothèse d’indépendance par exemple. Ces travaux d’auteurs néoclassiques

s’inscrivent dans la lignée des travaux de Maurice Allais20 qui montrent, concernant

l’axiome d’indépendance, que ce dernier est systématiquement violé lors d’expériences

répétées. Les travaux de Maurice Allais tendent à démontrer que dans certaines

circonstances il peut se produire un renversement des préférences chez les individus,

contrairement aux hypothèses communes de l’économie dominante qui y voit une stabilité et

surtout qui ne prennent pas en compte l’effet des interactions avec les autres individus.

                                                                                                                         19  -­‐  E.  Benicourt  et  B.  Guerrien,    La  théorie  économique  néoclassique,  Coll.  :  Manuel  repères,  La  découverte,  2008.    20  -­‐  M.  Allais,  le  comportement  de  l’homme  rationnel  devant  le  risque.  Critique  des  postulats  de  l’école  américaine  in  Economica,  vol  21,  1953,  pp.  503-­‐546.    

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Certains auteurs néoclassiques vont donc tenter de faire évoluer les axiomes de base en

tentant d’y apporter des aménagements. Ainsi la remise en cause de l’hypothèse

d’indépendance a donné naissance à la thèse de contamination des possibles qui dit qu’un

acteur sera désappointé s’il sort d’un jeu ou d’un choix dans une situation pire que ce qu’il

avait anticipé et inversement , si le résultat est meilleur il en sera d’autant plus ravi. Cette

thèse sera au centre de la théorie du désappointement formulée par Sudgen et Loomes21 qui

présente la « contamination des possibles » comme un cas de la rationalité maximisatrice. Ce

sera également l’objet des travaux autour de la théorie du regret22 qui consiste à prendre en

compte l’écart entre les perceptions de l’acteur de ce qu’il aurait pu obtenir en choisissant

une autre possibilité que celle qu’il a choisie.

Bien que ces théories tentent de se baser sur des hypothèses plus réalistes, elles peinent à

expliquer des situations ou se produisent des renversements de préférences et elles ne se

détachent pas du paradigme néoclassique bien qu’elles se rapprochent d’une approche

subjectiviste.

Par la suite, Mark machina a montré qu’on pouvait retrouver les mêmes résultats, au

niveau des fonctions locales d’utilité, que Neumann et Morgenstern en abandonnant

l’hypothèse d’indépendance23. Les travaux d’Isaac Levy24 s’inscrivent dans cette même

logique et visent à nuancer certains aspects des préférences individuelles sans toutefois sans

détacher complètement.

L’objectif pour les auteurs néoclassiques n’est donc pas de remettre en cause cette

théorie standard des préférences mais d’y intégrer les critiques qui lui sont faites, notamment

concernant le réalisme des hypothèses.

§ La Psychologie expérimentale                                                                                                                          21  -­‐  G.  Loomes  et  R.  Sudgen,  Disappointment  and  Dynamic  consistency  in  choice  under  uncertainty,  in  Review  of  Economic  Studies,1985    22  -­‐  G.  Loomes  et  R.  Sudgen  ,  “regret  theory:  An  alternative  Theory  of  rational  choice  under  uncertainty,,  in  Economic  Journal,vol.92,1982,pp.805-­‐824  ;  -­‐Sapir  Jacques,  les  nouvelles  approches  des  préférences  individuelles  et  leurs  implications  :  la  révolution  qui  vient  ?  ,  Document  de  travail  03-­‐1,  CEMI(Ehess),  Février  2003,  pp.38      23  -­‐    M.  Machina,  «  choice  under  uncertainty  :  problems  solved  and  unsolved  »,  in  Journal  of  Economic  perspectives,  vol.  1/  1987,  pp.  121-­‐154,  dans    Sapir  Jacques,  les  nouvelles  approches  des  préférences  individuelles  et  leurs  implications  :  la  révolution  qui  vient  ?  ,  Document  de  travail  03-­‐1,  CEMI(Ehess),  Février  2003,  p.  10    24  -­‐  I.  Levy,  The  enterprise  of  knowledge,  MIT  Press,  Cambridge,  Mass,  1980.    

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Une autre réfutation de la théorie néoclassique des préférences trouve donc son origine

dans la psychologie expérimentale. Ces travaux ont permis de montrer que certains axiomes

de la rationalité standard peuvent être violés, notamment les travaux de [May, 1954],

[Tversky, 1969] et [Loomes et al. ,1991] sur l’axiome de transitivité ou ceux de [Allais ,1953]

sur l’axiome d’indépendance.

Les travaux de psychologie expérimentale ont également mis en en lumière certaines

anomalies de la théorie standard de l’utilité avec notamment avec l’effet d’Hawthorne25 et

l’effet Pygmalion26. Ces effets mettent en lumière l’effet de surprise qui sous-tend la théorie

des préférences subjectives développée Shackle en 1949 27.Les préférences, en particulier leur

hiérarchisation, seraient donc dépendantes du contexte qui leur a donné naissance.

Les préférences, directement dépendantes des contextes et des échelles de choix, se

construisent à travers les processus de choix au lieu d’être préexistantes comme le préconise

la théorie standard. Les choix individuels ne donc sont intelligibles que par la

compréhension du contexte qui a vu leur développement. C’est l’effet de contexte (Framing

effect) développé par Amos Tversky28 qui montre que la manière de présenter des choix

détermine les réponses. Cet effet remet en cause deux hypothèses clés des axiomes de la

théorie des préférences : la transitivité et la continuité. Comme l’ont montré P. Slovic et S.

Lichtenstein29 puis [Greter et Plott, 1979], lors d’expériences répétées, la stabilité des

renversements des préférences démontre l’existence d’une structure comportementale : les

individus utilisent des processus cognitifs différents s’ils doivent opérer des choix ou des

évaluations.

Une autre critique sera formulée à l’encontre des axiomes de la théorie des

préférences. Il s’agit de l’utilité espérée qui permet de passer de l’utilité individuelle à

                                                                                                                         25  -­‐  F.J.  Roethlisberger  et  W.J.  Dickson,  Management  and  the  worker,  Harvard  University  Press,  Cambridge,  Mass,  1939.    26  -­‐  R.  Rosenthal  et  L.  Jakobson,  Pygmalion  à  l’école  –  L’attente  du  maitre  et  le  développement  intellectuel  des  élèves,  traduit  par  S.  Audebert  et  Y.  Rickards,  Casterman,  Paris,  1971  (Pygmalion  in  the  classroom,  Holt,  Rinehart  and  Winston,  NY,  1968).    27  -­‐  G.L.S  Shackle,  Anticipations  in  Economic,  Cambridge  University  Press,  Cambridge,  1949.    28  -­‐  A.  Tversky  ,  «    Rational  Theory  and  constructive  choice  »,  in  K.J.  Arrow,  E.  Colombatto,  M.Perlman  et  C.  Schmidt  (edits),  The  Rational  foundations  of  Economic  Behaviour,  MacMillan  et  St.  Martin’s  Press,  Basingstoke-­‐  New  York,  pp.  185-­‐197,P.187    29  -­‐  S.  Lichtenstein  and  P.  Slovic,  «  Response  induced  eversals  of  preference  in  Gambling:  An  Extended  Replications  in  Las  Vegas  »  in  Journal  of  Experimental  Psychology,  n°101,  /1973,  pp.16-­‐20.    

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l’utilité collective. [Knetsch, 1989] puis [Daniel Kahneman, 1990]30 montrent que l’utilité

anticipée varie en fonction du contexte et que les individus sont incapables de prévoir

comment leurs préférences vont évoluer ni même si elles vont évoluer. C’est l’effet de

dotation. Il se manifeste lorsque les préférences des individus se renversent lorsqu’ils se

sentent ou non en l’état de posséder un bien.31 [Knetsch, Kahneman et Thaler, 1990] ont

réalisé une série d’expériences qui confirment l’existence de l’effet de dotation dans des

situations de marché. Il en ressort que la perte d’utilité qu’un individu perçoit lorsqu’il se

sépare d’un bien a un impact psychologique plus fort que le gain d’utilité qu’il perçoit

lorsqu’il reçoit ce même bien.

Les effets de dotation et de contexte en remettant en cause la structure des hypothèses

de comportement individuel, mettent en lumière le fait que celles-ci ne sont pas stables ni

linéaires, mais qu’elles évoluent en fonction du contexte et des représentations que les

individus se font des situations et des choix qui leur sont proposés. L’hypothèse

d’apprentissage instantané des individus devient alors inconsistante. Une autre des

implications de ces expériences consiste à montrer que la convergence progressive des

comportements ou encore l’apparition de préférences collectives stabilisées nécessite une

action discrétionnaire extérieure. Dès lors on doit rejeter toute approche en termes de main

invisible ou d’efficacité autonome des marchés.

Une théorie du comportement humain doit donc être consistante avec une théorie

des organisations et en particulier de leur émergence et de leur évolution. Ces dernières ne

sont pas que la somme des volontés individuelles mais elles ont une existence propre, des

règles et des buts qui sont distincts des volontés individuelles. Partant de là, se pose la

question de la cohérence et de la compatibilité entre les volontés individuelles et les buts des

organisations et donc de la manière dont sont intériorisés les conflits dans la société. On

retrouve l’importance de la question du politique en économie et l’un des arguments fort

pour un plaidoyer en faveur d’un retour d’une nouvelle économie politique.

§ La rationalité limitée

Elle est développée de manière informelle dans les travaux d’Herbert Simon sur la

« rationalité bornée » (Bounded rationality) à partir de 1955. Il veut rompre avec la

conception de la rationalité imparfaite qui serait un cas particulier de la rationalité

                                                                                                                         30  -­‐  D.  Kahneman,  “  New  Challenges  to  the  rationality  Assumption”;    31  -­‐  Sapir  Jacques,  les  nouvelles  approches  des  préférences  individuelles  et  leurs  implications  :  la  révolution  qui  vient  ?  ,  Document  de  travail  03-­‐1,  CEMI(Ehess),  Février  2003,  p.  18  

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substantielle (objective) dans une situation d’incomplétude et d’imperfection de

l’information. Simon a distingué la rationalité limitée de la rationalité substantielle(objective)

afin de mettre en lumière les limites des capacités cognitives des individus et surtout le fait

que la prise de décision s’effectue dans un environnement plus complexe que tel que le

présente la théorie standard. [Simon, 1979].

Sur la base du travail de Simon et des travaux en psychologie expérimentale, certains

auteurs vont tenter de développer une théorie de la rationalité limitée (rationalité imparfaite)

qui intègrerait des hypothèses plus réalistes sur les capacités cognitives de l’individu et sur

la connaissance parfaite de l’avenir. Ce sera l’objet des travaux de [Stigler, 1961] ou de

[Williamson, 1964] .Ces nouvelles hypothèses concernent en particulier l’environnement

objectif et les capacités cognitives des individus.

§ L’environnement objectif : l’hypothèse d’un environnement informationnel

parfait implique que les individus ont accès à tous les états de la nature et aux

conditions de leur réalisation. En considérant l’irréalisme de ces hypothèses, ces

auteurs vont montrer qu’il est possible d’y intégrer de l’incertitude, ce que

[Viviani, 1994] qualifie d’incertitude subjective, qui fait que bien que les états de

la nature soient prédéterminés, les individus n’en ont pas une connaissance

immédiate. Au moment de sa prise décision, l’individu ne possède donc qu’une

partie de l’information. Il l’a découvre progressivement. Dès lors, il devient

impossible pour lui d’associer des probabilités objectives à ses croyances sur

l’avenir.

§ Des capacités cognitives limitées : Le fait que l’individu ne puisse pas intégrer

toute l’information disponible dans son calcul ou même qu’il accède à

l’information progressivement, fait que sa conception de l’environnement objectif

et sa capacité de raisonnement en sont affectées. Il en découle que pour prendre

sa décision l’individu doit donc se déterminer une représentation de la réalité qui

lui parait la plus plausible et déterminer un critère de décision qui ne peut plus

être optimal au sens de l’économie standard. Il a notamment recours à l’intuition

qui est ici la capacité à reconnaitre une situation de choix qui s’est déjà présentée

par le passé et à se rappeler les éléments qu’on avait appris à ce sujet. L’intuition

ou la reconnaissance sur la base de l’expérience est un guide pour la recherche

[Simon 1983], [Quinet 1994].

Bien que proposant une rationalité plus « réaliste », la rationalité limitée ne s’éloigne pas du

paradigme qui caractérise la rationalité standard. La rationalité limitée tout comme la

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rationalité standard demeure « exogène », autrement dit, elle reste déterminée par les

contraintes externes à l’individu. De plus, les motivations de la décision restent

individualistes. L’individu recherche toujours son intérêt personnel à la seule différence que

dans la rationalité limitée, ses capacités cognitives compliquent sa prise de décision. Par

ailleurs, on ne s’intéresse toujours pas à la nature des préférences qui demeurent données et

l’objectif de l’agent reste la maximisation de son utilité. La finalité de l’action reste la

conséquence de l’action individuelle.

La rationalité limitée ne demeure donc qu’un simple ajustement ou aménagement de

la rationalité standard. C’est avec les travaux d’Herbert Simon sur la rationalité procédurale

que va apparaitre une alternative concrète à la théorie standard. Les travaux d’Herbert

Simon s’inscrivent dans le sillage de la psychologie expérimentale dont il va intégrer, plus

que ses prédécesseurs les conclusions.

B- La Rationalité Procédurale d’Herbert Simon

Avant de développer la théorie de la rationalité procédurale, Simon a développé la

théorie de la rationalité limitée (1955) davantage comme une mise en exergue des limites de

la rationalité standard que comme une théorie alternative. Ce n’est qu’en 1976 qu’il

développera la rationalité procédurale afin de mieux spécifier ses points de désaccord avec la

théorie standard et proposer une théorie de la rationalité qui soit opérationnelle pour la

recherche en sciences sociales. Il va alors proposer une distinction duale de la rationalité

entre rationalité substantielle et rationalité procédurale. Cette distinction qu’il établit entre la

conception économique et psychologique de la rationalité, vise à insister sur l’importance de

la délibération dans le processus de décision. [Mongin1986, p.557]. Simon se distingue ainsi

de la théorie standard sur le fait qu’elle réduit la phase de prise de décision à un calcul. Pour

lui, la délibération est irréductible au calcul car elle invente pour elle des outils qu’elle

manipule. Le choix fait appel à des processus réfléchis, à l’intuition, à l’invention.

Contrairement à certaines critiques formulées à l’encontre de la rationalité

procédurale, elle ne constitue pas un aménagement de la rationalité limitée vis-à-vis de

laquelle elle constitue un changement de paradigme radical. [Bejean et al. 1999]. En effet, si

l’on considère que les hypothèses de comportement doivent être réalistes pour rendre

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compte de la complexité des comportements individuels, il devient alors prépondérant de

s’intéresser à la psychologie de l’individu et aux processus qu’il met en œuvre pour décider.

La prise de décision devient alors l’objet même de la connaissance. Ainsi lorsque

l’environnement devient indéterminé, la décision rationnelle ne peut plus être exogène,

dictée par les caractéristiques de l’environnement, elle devient endogène. La rationalité porte

dès lors sur le processus de décision plutôt que sur la décision même.

1- Comprendre la rationalité procédurale

La rationalité procédurale est un concept transposé de la psychologie. Ainsi un

comportement est rationnel lorsqu’il est le résultat d’une réflexion appropriée. La règle de

satisfaction qui sous-tend la rationalité procédurale est une transposition du concept de

niveau d’aspiration des psychologues. Toutefois il convient de préciser que la rationalité

telle qu’elle est entendue par Simon revêt un sens plus large qu’en psychologie car elle

intègre des processus de raisonnement mais aussi des processus générant de la

représentation subjective qu’a l’individu de sa situation de choix.

La rationalité procédurale implique une analyse séquentielle des possibilités de choix

en fonction de leurs découvertes contrairement à la théorie standard ou les possibilités sont

analysées et déterminées avant le choix. La séquentialité interdit de considérer la satisfaction

comme un aménagement de la maximisation de l’utilité.

La rationalité procédurale s’appuie sur 4 éléments importants que nous allons

présenter ici : l’étude des processus cognitifs, l’efficience computationnelle, la computation et

l’efficacité computationnelle des individus.

• L’étude des processus cognitifs

Elle insiste sur la manière de poser un problème. Contrairement à la rationalité standard, la

rationalité procédurale s’étudie dans des situations complexes dans lesquelles l’individu doit

traiter des informations diverses et variées afin de voir quels processus cognitifs il mettra en

œuvre afin d’aboutir à une solution au problème. La rationalité procédurale s’inscrit

pleinement dans les axes de recherche de la psychologie des processus cognitifs :

l’apprentissage, la résolution des problèmes et l’élaboration des concepts.

• L’efficience computationnelle

Elle consiste à étudier la méthode employée pour aboutir à la solution. Elle fait référence à

l’efficacité computationnelle en mathématiques. A l’instar de la computation en

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mathématiques, la rationalité procédurale tient compte des capacités de computation des

individus et en déduit qu’il n’existe pas de solution particulière pour résoudre un problème

qui offre une quantité acceptable d’efforts computants. On doit donc opérer un changement

de logique qui oblige à passer d’un intérêt pour les solutions optimales vers un intérêt pour

les bonnes procédures.

• La computation

Elle renvoie aux conditions de la prise de décision. L’Homme est vu comme un système de

traitement d’informations. Il est donc important de tenir compte des conditions dans

lesquelles les individus reçoivent et traitent les informations et de tenir compte des

implications sur la prise de décision. Les différents travaux en psychologie expérimentale ont

montré que dans les situations à risque les individus font appel à différents processus

cognitifs dans leur prise de décision. Il en résulte donc qu’en fonction des conditions des

expériences, les individus réagissent différemment. Il en est donc de même pour les

individus face à la complexité des situations du réel.

• L’efficience computationnelle des individus

Elle intègre les capacités de l’Homme à traiter des informations. Tout comme des ordinateurs

les individus ont un raisonnement séquentiel. Ainsi aucune procédure qu’il pourrait

effectuer ne le permettrait de trouver la solution optimale même si la notion d’optimum est

bien définie. Les capacités de l’individu sont limitées ce qui implique une connaissance et

une capacité de traitement de l’information limitées. D’où la nécessité du choix de la

procédure adéquate pour la prise de décision et le passage de la notion de maximisation à

celle de satisfaction.

2- De la rationalité limitée à la rationalité procédurale

La rationalité procédurale s’attache à la rationalité effective dans l’utilisation de la pensée

et de l’action. La véritable rationalité se définit à l’intérieur même du processus cognitif.

Partant de là, le modèle classique de déduction perd de sa pertinence dans la résolution des

problèmes car il n’est plus question d’interroger l’adéquation des moyens à des fins

prédéfinies : « l’individu qui raisonne est un individu qui délibère dans un univers complexe

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(environnement objectif), en fonction de valeurs subjectives évolutives (environnement subjectif),

selon des règles de décision procédurales (environnement interne) ».32

- L’environnement objectif

Contrairement à la rationalité limitée et la rationalité substantielle qui conçoivent que les

états de la nature sont prédéterminés, dans la rationalité procédurale on considère que les

décisions individuelles ont une incidence sur l’avenir et que si l’on considère les

répercussions de ces actions, il devient alors impossible d’avoir une connaissance parfaite

des états de la nature : ce sont les individus qui déterminent l’étendue des possibles(Dupuy,

1989, Bejean et al. 1999) et de fait, l’environnement objectif est simultanément donnée et

résultat de la prise de décision. Il existe donc une rationalité de la découverte qui ne peut

s’exercer sous l’hypothèse d’un avenir connu. [Simon, 1988], [Bejean et al. 1999].

- L’environnement Subjectif

Dès lors que l’on considère que la connaissance que les individus ont des événements et de la

nature est évolutive et conditionnelle de leurs actions, il devient alors impossible d’associer

des probabilités aux évènements futurs. L’incertitude n’est plus risquée mais elle devient

radicale. Tout raisonnement en termes de maximisation d’utilité espérée devient alors

impossible.

Aussi, dans l’hypothèse de la rationalité procédurale, les objectifs que les individus

poursuivent ne sont pas prédéfinis à l’avance et surtout ne sont pas indépendants de leurs

croyances. Ainsi les motivations d’un individu ne peuvent être réduites à un seul ordre de

préférences et ne peuvent non plus être considérées comme stables ou immuables. [Sen,

1977 ; Willinger, 1996, Bejean et al. 1999]. Elles évoluent en fonction des informations et du

contexte de la prise de décision.

L’hypothèse simonienne de rationalité procédurale permet ainsi d’attribuer d’autres fins à

l’action que la seule maximisation de l’utilité : l’altruisme, l’intérêt général,... La rationalité

procédurale permet de dépasser l’utilitarisme qui constituait jusqu’à lors la seule motivation

de l’individu.

- L’environnement Interne

                                                                                                                         32  -­‐  Bejean  Sophie,  Midy  Fabienne,  Peyron  Christine  et  al.  «  la  rationalité  simonienne  :  interprétations  et  enjeux  épistémologiques  »,1999.  ,  p.15  

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Si l’incertitude est radicale et que les préférences sont évolutives et variées, la prise de

décision doit s’expliquer autrement que par l’optimisation du résultat de la décision. Il faut

envisager un autre mode de prise de décision qui tient compte des capacités cognitives des

individus et des raisonnements et/ou croyances qu’ils vont utiliser pour y arriver. La

rationalité devient alors procédurale au sens de l’adéquation et de la cohérence du processus

qui conduit à la décision.

La rationalité s’exerce dans la recherche d’une procédure apte à définir à la fois l’objectif

recherché et les moyens d’y parvenir (Bejean et al. 1999, p. 18). C’est un processus séquentiel

qui s’arrête lorsque l’individu a trouvé une solution satisfaisante. La règle du « satisficing »

remplace celle de la maximisation de l’utilité. Cette nouvelle règle permet à la fois à

l’individu de comparer la situation obtenue avec celle recherchée initialement et de revoir

son niveau d’aspiration en fonction des difficultés ou des obstacles rencontrés pour

l’atteindre.

La rationalité procédurale se détache de la rationalité limitée et de la rationalité

substantielle. Elle est toute entière dans son objet, à savoir les conditions d’utilisation de la

pensée et de l’action. Toutefois, dans des situations particulières, Simon reconnait que la

rationalité procédurale peut impliquer un raisonnement maximisateur. La rationalité

substantielle devient donc un cas particulier de la rationalité procédurale qui est la règle

générale.

Tableau récapitulatif des différentes hypothèses sur l’environnement selon l’approche de la

rationalité.

Rationalité

Substantielle

Rationalité

Limitée

Rationalité

Procédurale

Environnement Objectif :

Définit les actions possibles

et leurs conséquences. Il

caractérise les hypothèses

concernant les états de la

nature en dehors de la

perception de l’individu

Préexistant et parfaitement

connu

Connaissance incomplète

de l’environnement.

L’individu accède à

l’information

progressivement.

Inexistant et inconnu :

Il est résultat et donné de

la prise de décision

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Environnement Subjectif :

Il est défini par la

connaissance des états de la

nature par l’individu quant à

l’avenir et à ses

préférences.

Connu par l’individu mais

existence d’une incertitude

probabilisable

Impossibilité de

probabiliser ses croyances

sur l’avenir

Non probabilisable.

Les préférences évoluent

en fonction du contexte

Environnement Interne :

Il renvoie aux modalités

effectives de la prise de

décision (critères de choix,

Capacités de calcul).

Parfaite connaissance de

ses préférences par

l’individu. Capacités de

calcul illimitées.

Le critère de décision est le

calcul.

Capacités de

raisonnement et de calcul

limités limitées par le

temps de prise de

décision et les capacités

humaines.

Le critère de décision

reste le calcul

Recherche de la

procédure adéquate.

La règle de décision n’est

plus le calcul.

La règle du satisficing

remplace la maximisation

de l’utilité

3- Des différences entre rationalité substantielle et rationalité procédurale.

La rationalité procédurale opère un changement de paradigme vis-à-vis de la rationalité

substantielle ou de la rationalité limitée. D’une rationalité exogène (dépendant des

conditions des contraintes externes) on passe à une rationalité interne qui dépend des

processus de décision mis en œuvre pour arriver à la décision. C’est à l’individu qu’il revient

de définir les objectifs qu’il poursuit, les valeurs qui le motivent et le but qu’il poursuit. On

passe d’une conception téléologique à une conception axiologique de la rationalité

individuelle. (Bejean et al. 1999, p.20). Selon la première, une action est rationnelle lorsqu’elle

est objectivement la mieux adaptée à la fin recherchée tandis que pour la seconde, une action

est rationnelle lorsqu’elle peut être justifiée par un raisonnement délibératif.

Cette deuxième approche de la rationalité obéit à un désir de construire une représentation

réaliste des comportements humains qui englobe à la fois, les motivations de l’action et les

modalités concrètes de la prise de décision. Elle permet d’enrichir l’analyse sur quatre points

principaux :

- L’environnent décisionnel évolutif se construit au gré des actions

- Elle permet une plus grande richesse cognitive en accroissant les moyens d’accéder à

la décision

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- Elle permet une plus grande liberté quant au critère de décision à retenir

- Elle donne à l’individu des motivations supplémentaires autres que le simple

utilitarisme.

Cette nouvelle conception de la rationalité a des implications tant au niveau de la conception

de l’’économie que de la démarche scientifique en elle-même. Dès lors que l’on conçoit que

l’environnement objectif n’est pas prédéterminé mais en construction, on passe d’une

économie d’allocation des ressources à une économie de création de ressources. Elle enrichit

le domaine de recherche de la science économique en y intégrant les questions relatives à la

création des ressources à côté de ceux relatifs à l’échange des ressources. Par ailleurs si

l’avenir se crée au gré des décisions, il devient impossible de définir une allocation des

ressources optimale car une situation peut être jugée préférable à une autre : l’idée d’une

référence idéale devient désuète.

De même dès lors que l’on accepte que les motivations de l’individu sont endogènes et donc

influencées par ses croyances ou le contexte dans lequel il se trouve, la recherche

économique ne peut plus se définir en termes d’individualisme méthodologique mais doit se

situer dans une situation intermédiaire entre holisme et individualisme. Les comportements

humains ne deviennent intelligibles que pris dans le contexte qui a vu leur naissance. Ce qui

implique que l’objectif de la science économique n’est plus uniquement d’expliquer les

raisons qui poussent à l’action mais également d’expliquer comment les individus prennent

leurs décisions. La résolution des problèmes économiques implique alors de modéliser pour

comprendre plutôt que mathématiser pour résoudre. (Le Moigne 1995, p.151 ; Bejean et al.

1999, p.23).

Ce tableau présenté par [Roger Frydman (1995]33, reprend les définitions présentées par

[Herbert Simon, 1976] et les analyses effectuées par [Le Moigne, 1994]34. Il présente les

principales oppositions entre rationalité substantive et rationalité procédurale en reprenant

leurs inscriptions dans leurs philosophies respectives.

                                                                                                                         33  -­‐  Frydman  Roger.  Sur  l'opposition  de  la  rationalité  substantive  et  de  la  rationalité  procédurale.  In:  Cahiers  d'économie  politique,  n°24-­‐25,  1994.  Quelles  hypothèses  de  rationalité  pour  la  théorie  économique?  pp.  167-­‐177.    34  -­‐  Le  Moigne  Jean-­‐Louis.  Sur  la  capacité  de  la  raison  à  discerner  rationalité  substantive  et  rationalité  procédurale.  In:  Cahiers  d'économie  politique,  n°24-­‐25,  1994.  Quelles  hypothèses  de  rationalité  pour  la  théorie  économique?  pp.  125-­‐159.  

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Tableau : Oppositions entre rationalité substantive et rationalité Procédurale

Substantive Procédurale I: Définitions

Comportement rationnel lorsqu'il approprié à l'accomplissement de buts donnés dans les limites et les contraintes donnés. La rationalité qualifie les résultats du choix pour des conditions et un critère donnés Elle se juge en matière d'adéquation des résultats

Lorsqu'il est le résultat d'une procédure appropriée. Cette procédure dépend du raisonnement qui l'engendre. La rationalité qualifie un processus de choix ou la recherche du mode de détermination de bonne façon d'agir: les conditions du choix font l'objet d'une recherche. Elle se juge en termes de correction de la procédure cognitive

II: Disciplines Economie Sociologie

Psychologie Sciences cognitives Sciences morales Logique

III: Cadres cognitifs et Logique: Raison et Raisonnement

Descartes Logique: art de bien déduire

Vico Méthode: art de bien raisonner

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Connaitre c'est déduire Comportement déductif: Calculer Déduire Démontrer Raisonnement Syllogistique Algorithme Vérification Rationalisme Raison unanime

Agir, C'est conduire des connaissances Comportement cognitif: explorer les procédures de la pensée argumenter et délibérer Raisonnement dialectique ou rhétorique Heuristique Stratégie de recherche Constructivisme Inventer Pluralité des raisons

4- Limites de l’approche en termes de rationalité procédurale.

L’analyse simonienne de la rationalité enrichit la théorie économique à bien des

égards. Elle permet une prise en compte des limites temporelles et cognitives au processus

de prise de décision. Elle opère ainsi un dépassement vis-à-vis de la rationalité substantielle

sans toutefois la remettre totalement en question. C’est ainsi que pour Simon, la rationalité

substantielle est un cas particulier de la rationalité procédurale. En insistant sur le réalisme

des hypothèses comportementalistes, il permet d’introduire dans l’analyse des décisions

individuelles de nouveaux concepts tels que les institutions, les normes, les conventions.

Cependant certains économistes ont formulé des critiques à l’encontre de la

rationalité procédurale. Parmi les plus importantes, on retrouve celle initiée par Milton

Friedman qui rappelle que l’objectif des sciences sociales explicatives est d’expliquer des

phénomènes sociaux complexes et non les comportements des individus. A ce titre, l’analyse

économique n’a pas besoin des hypothèses psychologiques les plus fidèles mais juste

d’hypothèses simples mais plausibles. Cela explique par exemple la réception limitée des

travaux de psychologie comportementale en économie. Une autre critique adressée à

l’analyse simonienne concerne la capacité d’innovation des agents. Simon assimile les

individus à des « systèmes artificiels » qui sont conditionnés par des routines. Ainsi en

voulant se défaire du processus de mécanisation qui caractérise la maximisation de l’utilité, il

fait de l’individu un automate qui suit des routines. La mécanique de la maximation de

l’utilité est remplacée par la mécanique des routines qui caractérise les procédures internes.

Se pose alors la question du dépassement de ces routines et surtout de la manière dont est

déterminé le niveau de satisfaction que l’individu suit pendant son processus de décision. La

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critique de Simon à l’encontre de l’analyse néoclassique sur l’utilisation d’hypothèses ad hoc

lui être ainsi retournée.

Par ailleurs, l’analyse simonienne pèche également dans son articulation entre

analyse microéconomique et analyse macroéconomique. En considérant l’hypothèse de

niveau de satisfaction des agents, on s’interroge sur les procédures qui déterminent les

actions au niveau collectif. Si les individus suivent des processus internes, il vient qu’au

niveau collectif leurs comportements suivent les règles collectives. Dès lors, le risque serait

de considérer que les règles collectives influencent les routines et les processus individuels,

ce qui à terme pourrait nous ramener à une rationalité individuelle qui serait déterminée non

plus par les procédures internes mais par des conditions externes au niveau collectif. On

retomberait dans un paradigme externe à l’instar de celui qui caractérise la rationalité

substantielle.

Bien que la théorie simonienne de la rationalité soit satisfaisante, elle présente quelques

points faibles. Elle a surtout fait progresser l’analyse en ce qui concerne le réalisme des

hypothèses comportementalistes et la nécessité d’une interdisciplinarité en sciences

économique. Herbert Simon a posé les bases d’une science économique ou les organisations

occupent une place centrale qui jusqu’à lors a été occupée par le marché.

C- La Rationalité chez Raymond Boudon

L’analyse de la rationalité proposée par Boudon s’inscrit dans la suite des précédents

travaux sur la rationalité (Simon, Néoclassique, limitée...). En distinguant les situations

auxquelles doit faire face un sociologue ou un économiste, il met en exergue le fait qu’il

n’existe pas de rationalité « absolue » : toutes les théories de la rationalité qui se sont

développées ont leur importance car elles analysent des situations différentes. Pour ce faire,

il va donc compléter la typologie pré existante en y adjoignant deux autres types de

rationalité : la rationalité cognitive et la rationalité axiologique, qui selon lui, sont plus

adaptées à rendre compte de la variété et de la complexité des processus de décisions des

individus.

1- Critique de la rationalité standard et de la rationalité limitée

Bourdon reconnait qu’il existe une grande variété de situations dont l’analyse grâce à la

rationalité substantielle est convaincante. Il évoque ainsi Alexis de Tocqueville dans l’ancien

Régime lorsque ce dernier étudie les différences macroscopiques entre la France et

l’Angleterre à la fin du 18e siècle. Pour Boudon, Tocqueville prête à ses acteurs une

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rationalité standard et montre ainsi que les propriétaires fonciers à l’époque étaient obligés

de raisonner en termes de charges et de coûts car l’information leur était facilement

accessible. De même Boudon évoque Root35 lorsqu’il étudie les déterminants de la politique

agricole en France et en Angleterre.

Toutefois bien qu’elle s’avère utile à rendre compte de certaines situations, la rationalité

standard montre ses limites vis-à-vis d’autres situations. Bourdon évoque à juste titre les

travaux de [M. Allais ,1953] ou encore le paradoxe classique du vote. Ce paradoxe explique

qu’en prenant comme postulat de départ que les individus sont dotés de la rationalité

standard, on ne comprend pas pourquoi ces derniers votent puisqu’ils sont conscients que

leur vote n’a qu’une infime chance d’influer sur le résultat. Ce paradoxe a conduit certains

économistes à adopter une attitude de renonciation selon laquelle les comportements

humains doivent s’expliquer de façon rationnelle dans certains cas et sinon de façon

irrationnelle.

De même en considérant la rationalité limitée, Boudon insiste sur le fait que cette nouvelle

approche de la rationalité se démarque de la précédente par le fait qu’elle tente d’intégrer les

motivations qui sous-tendent les décisions des agents lorsqu’ils sont dans des organisations.

Autrement dit, « l’acteur social cherche à obtenir, non pas les résultats les meilleurs, mais les

plus satisfaisants ».36 Pour Boudon, l’assouplissement que Simon fait subir à la rationalité

standard aboutit à l’idée que la rationalité comporte parfois une dimension cognitive

essentielle. Toutefois, bien que cette rationalité limitée constitue une évolution dans l’étude

du processus de décision des agents, pour Boudon elle permet surtout d’ouvrir de nouvelles

perspectives de recherche sur le rôle des capacités cognitives dans la théorie des choix

individuels. Plus encore, elle introduit des questions qui s’adressent tout particulièrement au

psychologue et au sociologue cognitifs. D’où la nécessité d’une approche qui met au centre

de l’analyse les processus cognitifs.

2- La rationalité Cognitive

Boudon propose d’aller au-delà de l’analyse de Simon sur la rationalité procédurale

qui pour lui ne tire sa spécificité que du fait qu’elle considère que les individus doivent faire

face à un déficit d’information. Pour lui, il existe donc des situations dans lesquelles les

individus sont incapables de définir de façon objective quelle solution serait la meilleure. Ils

ont donc recours à une théorisation du problème auquel ils doivent faire face : ils                                                                                                                          35  -­‐  Root  H.  L,  La  construction  de  l’état  moderne  en  Europe  :  la  France  et  l’Angleterre,  Paris,  PUF,  1994.    36  -­‐  R.  Boudon,  Au-­‐delà  de  la  rationalité  limitée  ?,  dans  Environnement  et  société,  1996,  n°17,    p.  91.    

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déterminent un système de raisons qui leur parait satisfaisant eu égard au problème qui leur

est posé. Boudon assimile ainsi les individus à des scientifiques qui auraient besoin d’une

théorie, qui va plus loin que la prise en compte des seules capacités cognitives, et qui doit

être soutenue par des motivations fortes, fussent-elles intuitives.

A l’instar du scientifique, les individus, en choisissant une théorie, sont convaincus que

cette dernière est soutenue par des raisons qui à leurs yeux leurs apparaissent comme fortes.

Boudon retrouve ici l’un des postulats d’Emile Durkheim, à savoir, que les théorisations du

« primitif » obéissent aux mêmes ressorts que celles du savant.37 Autrement dit, la croyance

s’explique par le fait qu’elle fasse sens pour celui qui l’endosse, tout en sachant que ces

raisons peuvent être invalidées et remplacées par d’autres en fonction de l’expérience et du

contexte cognitif, en l’occurrence.

Ainsi, en fonction des situations, les individus déterminent une théorie sur la base des

raisons qui, à ce moment leur paraissent fortes. C’est ce que Boudon qualifie de « rationalité

Cognitive ». Elle s’appuie sur l’idée que l’action des individus ne saurait être simplement

analysée dans un contexte d’informations insuffisantes. Il faut également tenir compte des

motivations de l’action qui selon Boudon, se trouve dans la formulation d’une théorie sur la

base de raisons fortes reposant sur les capacités cognitives des individus. Même si ces raisons

peuvent s’avérer fausses, le plus important demeure la conviction que l’individu possède

vis-à-vis d’elles. Et c’est cette conviction qui crée la certitude nécessaire à toute action pour

un individu.

Cette rationalité cognitive permet d’analyser un grand nombre de situations. Elle

tient compte des spécificités cognitives des individus qui font que face à une même situation

les motivations de l’action ne seront pas forcément les mêmes. Elles évoluent en fonction du

contexte et du problème posé et peuvent être influencées par des croyances collectives qui

apparaissent ici comme des raisons fortes et partagées par tous. Cette rationalité présente

aussi l’avantage de ne plus considérer l’individu comme un être a-social qui n’entrerait pas

en relation avec les autres membres de son environnement.

Contrairement à la rationalité standard, on n’entrevoit ici facilement l’idée d’une coopération

entre les individus. En effet, les travaux d’Axelrod38 sur une situation de dilemme du

                                                                                                                         37  -­‐  op.  cit.  p.  94  ;  Levy-­‐Bruhl,  Durkheim  and  the  scientific  revolution  ,  in  Horton  R.  Finnegan,  modes  of  thought,  London,  faber,1973.;  R.  Boudon,  L’art  de  se  persuader,  (1990),  Paris,  Fayard/Le  Seuil,  Coll.  “Points”,  1992.    38  -­‐  R.  Axelrod,  The  Evolution  of  cooperation,  Harmondsworth,  Penguin,  1990,  trad.  Fr.  M.  Garène,  donnant:  une  théorie  du  comportement  coopératif,  Paris,  O.  Jacob,  1992;    Article  Boudon,  op.  Cit.,  p.98.  

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prisonnier répétée, montrent que les résultats le plus souvent obtenus sont la coopération.

Les individus, dans certaine situation évaluent les différentes alternatives qui leurs sont

proposées tout en ayant la conviction que l’autre aura le même raisonnement et choisira

l’option la moins pire et la plus avantageuse pour les deux. Boudon montre ainsi que la

rationalité cognitive permet de distinguer la rationalité à court et à long terme. A court

terme, la rationalité standard peut être efficace pour analyser certaines situations mais dans

des situations à répétition, les individus doivent choisir entre minimiser X ou maximiser Y et

la rationalité standard n’apporte pas d’éléments de réponse à ce sujet. Seule la rationalité

cognitive permet d’expliquer quelles raisons pour l’individu à adopter une stratégie ou une

autre avant de définit quels sont les meilleurs moyens de l’atteindre.

3- La rationalité Axiologique

A côté de la rationalité cognitive Boudon distingue la rationalité axiologique qui pour lui se

démarque des précédentes conceptions « instrumentales » de la rationalité. La rationalité

axiologique indique qu’on ne saurait toujours ramener un choix ou une décision à des

considérations « instrumentales ». Autrement dit, il existe des situations ou l’action et la

décision sont guidées par des principes plutôt que les conséquences qu’elles risquent

d’entrainer.

La rationalité axiologique permet ainsi d’apporter une explication satisfaisante à des

phénomènes face auxquelles les « autres rationalités » ont montré leurs limites. C’est le cas

par exemple du paradoxe du vote. Loin des analyses reposant sur le pari de pascal39, ou des

analyses en termes de couts sociaux de l’abstention40, le paradoxe du vote peut s’expliquer

grâce à la rationalité axiologique de la manière suivante : « Les gens ont des raisons de croire

que la démocratie est un bon régime. Les élections ont pour but de faire que les gouvernants tiennent

compte de la volonté du public. Ce résultat n’est pas assuré, mais il est plus probable dans ce type de

régime. Les élections sont donc une bonne chose. Si personne ne vote, cette bonne chose cesserait

                                                                                                                         39  -­‐  Ferejohn,  J.A.,  Fiorina  M.P.,  the  paradox  of  not  voting:  A  decision  theoric  analysis,  the  American  political  science  rev.68,  2  Juin  1974,  pp.525-­‐36.    40  -­‐  E.  Overbye,  Making  a  case  for  the  rational,  self-­‐regarding,  «  ethical  voter  »…  and  solving  the  «  paradox  of  not  voting  »  in  the  process,  European  Journal  of  Political  Research,  27,  1995,  pp.  369-­‐96.    

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d’exister. Il faut donc que chacun vote. Mon abstention n’a aucun effet sur le nombre de votants ; elle

est sans conséquence. Mais elle contredit le principe * il faut voter * »41.

Cette approche de la rationalité suppose donc qu’il existe des principes forts qui

peuvent pousser les individus à rejeter les principes qui guident la rationalité standard. Cette

approche de la rationalité rompt avec le paradigme de la rationalité instrumentale et s’écarte

des bases du pragmatisme. L’apport principal de Boudon est de développer une autre

caractérisation de la rationalité et de montrer qu’elle n’est pas unique et que toutes les

rationalités sont valables mais dépendent des situations auxquelles elles s’appliquent.

Toutefois, toutes les différentes approches de la rationalité bien que différentes se rejoignent

en cela qu’elles offrent des explications rationnelles des actions humaines. Il apparait

clairement que les individus agissent par habitudes mais des habitudes qui sont sous

tendues par des raisons fortes propres à chaque individu ou à chaque société à laquelle ils

appartiennent.

La principale conclusion à retenir est donc qu’il existe plusieurs formes de rationalités et que

les implications de celle que l’on retient pour étudier les phénomènes économiques ou

sociaux conditionnent les résultats que l’on va obtenir.

 

*****  

Deuxième partie : Rationalité et capitalisme

La différence entre rationalité substantielle et rationalité procédurale cristallise les

divergences qu’il peut y avoir sur l’approche des études sur le capitalisme. Comme nous

l’avons montré, chacune de ces théories est caractérisée par un paradigme qui conduit à ce

que la rationalité soit définie suivant des critères externes ou internes à l’individu. Ce sont

donc ces mêmes paradigmes, au cœur des études sur le capitalisme, que nous allons mettre

en lumière dans les prochaines sections. En effet, il s’agira de montrer que le type de

rationalité que l’on prête à l’individu est déterminante dans le passage à la rationalité

collective et donc à l’articulation entre niveau micro et macroéconomique. Elle fonde

également toutes les perspectives pour un éventuel programme de recherche. Ainsi

l’approche en termes de rationalité substantielle conduit les auteurs néoclassiques à

déterminer une action rationnelle en fonction de la cohérence vis-à-vis des objectifs qu’il

poursuit. A l’opposé, l’approche en termes de rationalité procédurale met l’accent sur les

                                                                                                                         41  -­‐  R.  Boudon,  Op.  Cit.  ,  p.104.  

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processus internes mis en œuvre par l’individu pour aboutir à la décision. Nous verrons

donc concernant les analyses du capitalisme, que la première approche met au centre de la

dynamique du capitalisme l’importance de la concurrence tandis que la seconde s’intéresse

d’avantage aux institutions et donc aux capacités d’innovation des agents. Par la suite, nous

montrerons que bien que ces deux approches semblent différentes, elles se rejoignent sur une

même caractérisation du comportement de l’individu, à savoir la décision comme finalité de

l’action individuelle. Toutefois, nous verrons qu’il est possible de dépasser cet « écueil »

notamment au travers de la théorie des « routines » qui ancrent l’action individuelle sur les

instincts et les aptitudes acquises au fil du temps et qui se transmettent et se transforment

dans la société en fonction de l’évolution des circonstances.

 

 

A- Le capitalisme

Le capitalisme tend à désigner un mouvement plus large de tout le système économique

qui peut être résumé par les points suivants :

- La séparation entre le domaine politique et la sphère économique

- La prédominance des droits de propriété

- l’incertitude qui entoure l’activité de production

- La prédominance des marchés comme mécanisme de coordination de l’activité

économique et l’activité économique qui est la résultante involontaire de la

concurrence entre les entrepreneurs

A cette définition formelle, on peut adjoindre une définition plus structurelle qui permet de

mieux préciser le fonctionnement d’une économie ou d’un système capitaliste :

- Les relations de marché ne peuvent pas être le mécanisme exclusif d’allocation des

ressources, mais leur logique est omniprésente dans l’ensemble du système

économique de telle sorte que la concurrence entre des unités indépendantes devient

le principal moteur de l’activité économique

- Une fraction significative de la population active est enrôlée dans des relations

capital-travail qui organisent une relation de pouvoir entre les entrepreneurs et les

salariés.

- L’interaction entre la concurrence sur le marché des produits et la nature

conflictuelle des relations capital-travail induit une pression générale pour toute

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unité individuelle d’accumuler. Par conséquent, l’accumulation devient la loi de

mouvement de toute économie capitaliste.

Suivant ces définitions du capitalisme, il en découle que le contexte économique mondial

nous offre une large variété de types de capitalisme et plus encore, en fonction de la

définition que l’on retient d’un système capitaliste, il en suit que certains pays comme la

Chine ou la Russie peuvent être considérés ou pas, comme des économies capitalistes.

L’ensemble des études du capitalisme montre non seulement son extrême diversité

mais aussi la richesse et la variété des analyses qui l’entourent, parfois contradictoires et qui

bien souvent tendent à déconnecter l’économie de son contexte social, politique voire

culturel. L’un des écueils à éviter dans l’analyse du capitalisme consiste à l’assimiler au tout

marché et au capital. Le marché ne constitue en effet qu’une modalité de coordination de

l’activité économique tandis que

Ainsi, l’analyse seule du marché ne peut suffire à épuiser l’étude du capitalisme ni en

expliquer l’essence ou le fonctionnement. Il convient d’introduire dans l’analyse l’ensemble

des institutions politique et sociales ainsi que les conventions qu’elles établissent entre elles.

Plus encore il convient d’étudier le capitalisme dans sa diversité car les différences entre les

pays ne sont pas de l’ordre du détail.

1- Les fondements du capitalisme.

• Les conditions d’émergence

Le développement du capitalisme trouve sa source dans l’instauration du droit de

propriété sur les biens de production et de consommation. Bien que depuis l’antiquité déjà,

les artisans possédaient leurs outils de production, le système capitalisme apparait dès lors

que le propriétaire des moyens de productions ou des outils de production, les met à

disposition d’une tierce personne pour réaliser l’activité de production. A ce titre, l’essor du

capitalisme est profondément lié à l’extension du salariat. Pour que soit complète la logique

capitaliste, à la propriété privée des moyens de production doit être associée la liberté

économique qui comprend la liberté d’entreprendre et la liberté d’échange42.

La logique capitaliste repose donc sur le principe de l’accumulation de la richesse. Pour

cela, l’entrepreneur capitaliste investit son capital dans une activité afin que celle-ci lui

rapporte un profit. Le système capitaliste serait donc une sphère « vicieuse », dans laquelle

                                                                                                                         42  -­‐  La  liberté  économique,  instituée  en  France  par  Turgot  (1774),  a  été  réaffirmée  sous  la  Révolution  Française.  Ce  principe  sert  de  fondement  à  ce  que  l'on  appelle  l'économie  de  marché,  dans  laquelle  la  loi  de  l'offre  et  la  demande  fixe  les  variations  du  prix.  

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toute la richesse qui est créée, devrait être réinvestie. Les fondements de ce système

reposeraient sur l'accumulation continue du capital. Le profit est inlassablement transformé

en capital productif pour générer du profit. Cette accumulation du capital ne devient

cependant possible qu'avec le développement de l'esprit d'entreprise (c'est-à-dire avec le

développement d'un système de valeurs justifiant le profit et stimulant son

réinvestissement). Max Weber a ainsi souligné que le protestantisme (associant puritanisme

et recherche de la réussite), avait sans doute favorisé dans les pays d'Europe du Nord

l'émergence d'une classe d'entrepreneurs capitalistes.

L'essor du capitalisme repose également sur une capacité à utiliser et à susciter de façon

permanente le progrès technique et scientifique. Ce qui a donné une grande place aux

machines et au facteur capital. Joseph Schumpeter met en avant l'innovation, qui donne

selon lui, une certaine dynamique au capitalisme. L'innovation provoque aussi bien la

création d'activités nouvelles que le déclin d'activités anciennes. Elle est le rouage essentiel

du développement du capitalisme.

Le capitalisme a donc été rythmé par les révolutions industrielles et techniques43 ainsi

que les évolutions de l’organisation des formes du travail, à l’instar du taylorisme et du

fordisme qui ont permis de mettre en place une nouvelle forme de rapport salarial qui s’est

généralisée dans les pays capitalistes du nord et qui a permis la synchronisation de la

production et de la consommation de masse, clé de voute du mode de régulation et du

régime d’accumulation fordiste.

• La concurrence comme fondement du capitalisme

Avant de s’intéresser à l’approche qui caractérise la dynamique du capitalisme par la

concurrence, il est important de préciser la relation qui peut exister entre capitalisme et

concurrence.

L’histoire du capitalisme moderne commence avec l’instauration de la propriété

privée et l’institution de la monnaie. La propriété privée autorise les individus à disposer

librement de leurs biens et donc favorise l’instauration d’échanges marchands que la mise en

place de la monnaie facilite par la suite. A ce titre, on peut affirmer que la concurrence vient

naturellement comme une condition de l’essor du capitalisme. On peut donc dire, à juste

titre, qu’entre autres facteurs de l’émergence du capitalisme, nous avons l’instauration de la

propriété privée, la monnaie, les marchés et la concurrence.

                                                                                                                         43   -­‐   Les   révolutions   industrielles   peuvent   être   regroupées   en   quatre   domaines  :   l’énergie,   les  matériaux,   les  machines  et  les  transports.  

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Le capitalisme peut donc être défini comme une manière particulière d’organiser les

échanges et de penser la vie économique d’une société. Aussi pour rendre compte de

manière plus exhaustive des conditions économique de l’essor du capitalisme, on peut ainsi

résumer à la suite de Jean Baechler44 les différentes conditions nécessaires à la naissance

d’une économie capitaliste : les marchés, les capitaux, les sciences et les techniques, les

entrepreneurs, les travailleurs et les consommateurs. De cette analyse, deux éléments

importants sont retenir :i) l’importance des acteurs qui animent le système et ii) la relation

qui lie ces acteurs avec la société.

Si les économistes s’accordent presqu’à l’unisson sur la place primordiale de la concurrence

dans un système capitaliste, surtout du fait de la centralisation des échanges sur le marché et

de la propriété privée des biens, à priori, il n’existe pas de consensus sur la dynamique

même du capitalisme. Pour un grand nombre d’auteurs la dynamique du capitalisme repose

sur la concurrence et met au cœur de l’analyse le marché qui agirait comme un outil de

sélection entre les différents acteurs sur la base de l’efficacité de leurs actions. A l’inverse,

d’autres auteurs insistent sur l’importance de l’innovation qui certes peut être stimulée par la

concurrence, mais qui ne conduit pas inéluctablement à réaffirmer l’importance de la

concurrence et qui insiste sur la place des institutions afin de créer un cadre propice à

l’activité économique. On retrouve l’un des points de clivage entre rationalité substantielle et

rationalité procédurale qui est la relation entre les décisions individuelles et

l’environnement collectif ou encore le débat entre individualisme et holisme.

2- La dynamique du capitalisme

II-2-1- La concurrence comme dynamique du capitalisme : le capitalisme comme économie

de marché.

La concurrence comme dynamique du capitalisme trouve son origine dans la place

centrale de la théorie des marchés dans l’analyse économique. En effet, la rationalité

substantielle pose que les individus sont guidés par le but qu’il poursuive, en l’occurrence, la

satisfaction de leurs besoins. Or les besoins ne sont satisfaits que par le biais de l’échange et

de la consommation dont les produits s’obtiennent par l’échange sur les marchés. Comme

mentionné précédemment, les actions individuelles sont déterminées par les conditions

externes de l’échange. Les théories de l’échange sur les marchés posent comme condition

sine qua non la concurrence comme mode de fonctionnement. Autrement dit, la rationalité

individuelle implique que les actions des individus sont déterminées par les conditions de

                                                                                                                         44  -­‐  Baechler  Jean,  L’économie  capitaliste,  Tome  II,    Coll.  folio/Histoire,  Gallimard,  1995  

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fonctionnement du marché, autrement dit par le degré de concurrence sur les marchés. Il

vient donc logiquement que le capitalisme comme système économique dépend également

de l’ensemble des décisions des agents et donc de la concurrence qui règne sur les marchés.

La logique d’un capitalisme motivé par la concurrence oblige à penser une économie

dans laquelle il n’existe aucune entrave à l’échange, autrement dit une économie de libre

échange et de libre circulation des biens et services. Cette économie implique également que

l’efficacité du marché est garantie par le libre jeu de l’offre et de la demande qui assure

l’équilibre du marché. On retrouve ici les cinq conditions de la concurrence pure et parfaite45

qui sont à même de permettre aux individus de prendre leurs décisions dans un

environnement ou l’information serait parfaitement accessible.

Cette concurrence concerne aussi bien l’accès à l’information pour les agents que la

concurrence des différentes firmes sur le marché. Dans cette logique les agents sont guidés

par la recherche de l’efficacité de leurs actions. L’efficacité devient par la même le facteur de

sélection entre les agents et les activités. Car tout le système évolue selon cette dynamique de

recherche d’efficacité. C’est également cette logique de recherche d’efficacité motivée par la

concurrence qui a conduit à étudier la variété des capitalismes comme une concurrence entre

ses différentes formes mais surtout à envisager le changement institutionnel comme

l’évolution du système vers une forme plus efficace. C’est aussi cette logique qui au cœur de

la théorie de la convergence des capitalismes.

Ainsi la rationalité substantielle implique de penser l’économie comme un système de

marchés dans lequel les individus ne s’intéressent pas aux motivations de leurs actions mais

juste à la fin qu’ils visent. Mais dès lors que l’on se détache de ce paradigme de la rationalité

substantielle on se détache également de cette vision de l’économie et du capitalisme, on

entrevoit de nouvelles perspectives de recherches et une autre vision du capitalisme voire de

la science économique. C’est ainsi que l’approche en terme de rationalité procédurale permet

d‘introduire dans l’étude du capitalisme les institutions comme des facteurs guidant et

encadrant les décisions individuelles. Ce qui tend à réaffirmer le capitalisme comme un

élément dépendant des facteurs d’évolutions de la société.

• Distinction entre Capitalisme et économie de marché : le capitalisme comme

réalité historique

Comprendre et étudier le capitalisme passe nécessairement par une compréhension du sens

que revêt aujourd’hui le marché. Comme évoqué dans la section précédente, le capitalisme a

                                                                                                                         45  -­‐  l’atomicité,  la  libre  circulation,  la  liberté  d’entrer    sur  le  marché,  l’homogénéité  des  produits,  la  libre  circulation  des  facteurs  de  production.  

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souvent été associé à l’économie de marché d’où de nombreuses théories qui n’ont pu

épuiser les questions sur son fonctionnement ni expliquer les crises récurrentes de celui-ci,

encore moins les raisons pour lesquelles il a si souvent changé de formes au cours de

l’histoire. En effet, la grande variété des qualificatifs associés au capitalisme (marchand,

financier, industriel,….) témoigne non seulement de la constante mutation du capitalisme,

mais loin de ne signifier que des transformations de celui-ci, elle témoigne de la relation

profonde qui lie le capitalisme à l’histoire du marché et plus encore comme le précise F.

Braudel46, à l’évolution de la vie matérielle des sociétés.

Le capitalisme ne contient pas l’économie pas plus qu’il ne contient le marché. Le

marché précède le capitalisme qui lui-même découle de l’évolution de la vie matérielle.

Mieux encore, l’existence du marché est une condition préalable à l’apparition du

capitalisme. : « Il s’en faut même que ce capitalisme qu’on dit d’ordinaire marchand saisisse,

manœuvre dans son ensemble l’économie de marché, bien que celle-ci soit sa condition préalable

indispensable »47.

Pour Braudel, les activités économiques sont compartimentées en différents niveaux qui vont

de la simple vie matérielle aux activités capitalistes en passant par l’économie de marché. Le

capitalisme tend donc à désigner à l’origine les activités qui diffèrent des activités

traditionnelles du marché. L’usage du terme capitalisme dans son sens large date du début

du XXe siècle avec selon F. Braudel, la parution en 1902 du livre de Werner Sombaert, Der

moderne Kapitalismus.

Dans son acception courante aujourd’hui, le capitalisme tend à désigner un ensemble plus

large, un système économique. Mais pour comprendre la signification profonde du

capitalisme et de ce qu’il désigne, il faut le replacer entre les deux mots qui lui donnent son

sens : à savoir le capital et le capitaliste. Cette phrase de F. Braudel éclaire admirablement ce

qui pour nous est l’essence même du capitalisme : « Le capital, réalité intangible, masse de

moyens aisément identifiables, sans fin à l’œuvre ; le capitaliste, l’homme qui préside ou essaie de

présider à l’insertion du capital dans l’incessant processus de production à quoi les sociétés sont toutes

condamnées ; le capitalisme c’est en gros (mais en gros seulement) , la façon dont est conduit, pour des

fins peu altruistes d’ordinaire, ce jeu constant d’insertion »48.

Autrement dit, le capitalisme désigne la relation qui se noue entre le capital, le capitaliste (le

possesseur des moyens de productions et/ou du capital) et l’économie de marché.

                                                                                                                         46  -­‐  Braudel  Fernand,  la  dynamique  du  Capitalisme,  Paris  Arthaud,  1985    47  -­‐  Op.  Cit.,  p.44  48  -­‐  Op.  Cit;  p.85  

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Pour Braudel, il existe différents niveaux d’échange sur les marchés et le capitalisme

intervient au niveau du marché ou « contre-marché ». Il fuit la zone réglementée du marché,

d’où son attirance pour les échanges internationaux depuis l’origine. Le capitaliste est donc

à la recherche des meilleures alternatives économiques afin de fructifier son capital. Ce qui

explique que le capitalisme suit la dynamique du marché et de l’économie. Le capitalisme est

donc apparu lorsque l’activité économique a nécessité l’introduction d’importants moyens

financiers, lorsqu’elle était suffisamment organisée. Aussi les différentes formes prises par le

capitalisme au cours de l’histoire ne reflètent donc que les évolutions des activités du

marché. Le capitalisme suit l’évolution du marché même si leurs évolutions conjointes

peuvent laisser penser que le capitalisme entraine le développement du marché : le

développement de l’économie de marché et du capitalisme est l’essor de la vie matérielle, de

la société, autrement dit de la civilisation.

Pour se développer le capitalisme a besoin d’une stabilité afin de permettre aux

capitalistes d’accumuler de la richesse. Il a besoin de la complicité active de la société, plus

encore, il faut que le contexte social soit propice aux idées qui donnent naissance au

capitalisme. Le capitalisme se nourrit des hiérarchies sociales et il est à l’intersection des

relations qui se lient entre les différentes sphères de la société : l’économique, le politique, le

culturel, le social hiérarchique. Il est une conséquence de l’ordre social, de la civilisation.

II-2-2-L’innovation comme dynamique du capitalisme

• Innovation et institutions

Nous avons vu que la dynamique d’un capitalisme motivé par la concurrence conduit à

ôter toutes les contraintes ou barrière à un libre fonctionnement du marché. Autrement dit,

la concurrence appelle la concurrence afin de laisser les mécanismes équilibrants du marché

fonctionner librement. Dans cette optique, le marché se suffit à lui-même et n’a nul besoin de

facteurs externes pour compléter son fonctionnement. Las actions individuelles dépendent

donc des conditions sur les marchés. La logique d’un capitalisme stimulé par la concurrence

obéit au même paradigme que la rationalité substantielle. A savoir que seule la recherche de

l’efficacité est déterminante dans le fonctionnement de l’économie et dans les décisions des

individus.

A l’opposé, la rationalité procédurale telle que définie par Simon met l’accent sur les

organisations et la manière dont les individus interagissent avec le milieu dans lequel ils

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évoluent. Roger Frydman49 montre ainsi à la suite de Jean-Louis Le Moigne50, qu’une science

économique où les individus sont dotés d’une rationalité substantielle conduit à faire du

monde un système de marchés tandis que la rationalité procédurale emmène à le considérer

comme une population d’organisations.

Cette conception de la société permet d’insister sur l’importance des formes d’innovation des

individus qui doivent sans cesse trouver la solution la plus adéquate par rapport à un

contexte donné et évolutif. Et surtout dans un environnement qui est à la fois donné et

conséquence de leurs actions, toute la stratégie des individus est alors de rechercher un

moyen satisfaisant de combler leurs besoins et de prendre leurs décisions. La recherche de

l’innovation est ainsi la seule alternative de survie pour les acteurs économiques qui doivent

faire face à la concurrence qui caractérise les échanges et l’activité économique.

Cependant, contrairement à une économie ou la concurrence occupe la place centrale, ici

l’innovation ne conduit pas à un renforcement de la concurrence mais plutôt à une

apparition de formes de monopoles. C’est ce que Schumpeter décrit dans son ouvrage

Démocratie, socialisme et capitalisme51, et qu’il résume sous le qualificatif de processus de

destruction créatrice. Il montre que l’activité économique est rythmée par l’innovation qui

agit comme facteur de sélection entre les activités économiques et les agents mais surtout il

démontre que pour être stimulée l’innovation a besoin d’institutions qui doivent permettre

aux « innovants » de jouir des fruits de leurs « inventions ». C’est le rôle des brevets par

exemple qui ne peuvent être garantis que par le biais de l’Etat. Ainsi pour Schumpeter la

concurrence entre les agents conduit au processus d’innovation qui lui-même est dépendant

des institutions telles que l’Etat qui créent les conditions de monopole. Ainsi, l’innovation

qui stimule le capitalisme va de pair avec les institutions qui créent les conditions pour le

stimulus de l’innovation et les instituions qui régissent les relations des individus dans les

organisations auxquelles ils appartiennent.

3 - La rationalité du capitalisme

Avec son ouvrage «l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme » publié en 1905,

Max Weber est l’un des auteurs qui a le mieux décrit la transformation de la société moderne

                                                                                                                         49  -­‐    Op.  Cit    50  -­‐  Op.  Cit    51  -­‐    Schumpeter  Joseph,  Capitalisme,  Socialisme  et  démocratie,    Trad.  Par  Gaël  Fain,  Bibliothèque  Historique,  Fayot,  1990.  

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et exposé les origines du capitalisme en insistant sur la rationalisation des activités

économique et sociales et la bureaucratie.

La rationalisation est un processus des sociétés occidentales qui prône l’extension de

la rationalité à l’ensemble du monde social aussi bien au niveau de l’entreprise que des

administrations ou même de l’activité syndicale. Les sociétés modernes sont donc des

sociétés rationnelles au sens où elles n’accordent que peu de place aux croyances ou aux

mythes.

La rationalité quant à elle se caractérise par l’adaptation des moyens aux fins et est

consubstantielle au capitalisme. Le développement du capitalisme s’est ainsi accompagné

d’une rationalisation de l’activité économique. Le capitalisme peut donc être appréhendé

comme une rationalisation de l’instinct naturel qui consiste à faire des profits et chercher à

gagner toujours plus. Les entrepreneurs capitalistes et les opérations capitalistes, entendus

comme des opérations de calcul visant à faire fructifier un capital, ont existé dans presque

toutes les sociétés. Mais la particularité du capitalisme moderne réside dans la rationalisation

du travail « formellement libre ».

L’organisation rationnelle de l’entreprise est un autre élément important du

capitalisme. Elle se retrouve dans beaucoup de sociétés et n’est pas le propre du capitalisme

occidental. Elle est due à la séparation de la gestion domestique de l’entreprise et la

comptabilité rationnelle. Dans le cadre des sociétés modernes, Weber montre que l’on

accorde de l’importance aux calculs, aux prévisions, aux méthodes rigoureuses, aux

techniques de gestion, au droit qui codifie les relations et à la loi qui définit les principes

généraux. De là Weber distingue deux types de rationalité : une rationalité par rapport aux

fins et une rationalité par rapport aux valeurs.

En étudiant la relation et les motivations des individus dans la société moderne,

Weber dérive quatre types d’action dans une société moderne :

- L’action rationnelle par rapport à un but : l’acteur combine tous les moyens à sa

disposition pour atteindre le but qu’il vise.

- L’action rationnelle par rapport à une valeur : l’acteur accepte les risques non pas pour

atteindre le but le plus efficace mais agir en conformité avec ses croyances ou son idée

de l’honneur.

- L’action affective : dictée par l’état de conscience ou l’humeur du sujet.

- L’action traditionnelle : dictée par des croyances ou l’absence de signification donnée

par l’acteur à son action.

Le particularisme du capitalisme est qu’il crée ses propres structures sociales qui

reposent sur les conditions nécessaires à son émergence et à sa forme : la rationalisation du

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travail en particulier a conduit à donner la forme actuelle des conflits sociaux et des

oppositions de classe. Le capitalisme modèle la société au travers de la capacité de travail

libre dans l’entreprise. L’émergence du capitalisme nécessite donc trois processus qui sont

autant d’étapes fondamentales qui sont :

-­‐ La rationalisation du droit

-­‐ La rationalisation des techniques

-­‐ Les dispositions mentales des individus à adopter des modes de vie différents.

La société moderne serait donc caractérisée par un processus de rationalisation de

l’ensemble des activités et des comportements humains. Weber insiste cependant sur

l’importance de l’affect et de la tradition qui garde une influence vivace sur les actions

humaines.

B) Rationalité(s) et dynamique du capitalisme

1- Les rationalités concurrentes.

Jusqu’ici nous avons pu voir que le capitalisme se caractérise par un mouvement qui lui

est spécifique et des conditions nécessaires à son essor. Mais si à la suite de Fernand

Braudel nous venons à re-enchâsser le capitalisme dans le carcan de la civilisation, nous

pouvons dériver de nouvelles perspectives de recherche et de réflexion sur la dynamique du

capitalisme. Le capitalisme se caractériserait donc par un « éthos » particulier qui conduit les

acteurs à rechercher le profit avant toute autre chose. Une action serait rationnelle au sens

où elle serait conforme à un but. Mais si l’on considère que le capitalisme avec son « éthos »

particulier doive s’insérer dans une société, l’on en vient à s’interroger, à juste titre, sur la

compatibilité de cet « éthos » avec ce que l’on peut caractériser par « une rationalité

sociale ».

La société est un système dont le premier but de ses membres est d’assurer la survie de

l’ensemble. C’est à ce titre que le droit et la codification des règles occupent une place

primordiale dans l’organisation des sociétés modernes. Cet objectif conduit à faire en sorte

que les actions individuelles ne portent pas préjudice à l’objectif et au mouvement social

d’ensemble. A quel point la recherche de l’intérêt individuel est-elle compatible avec

l’intérêt commun ? Pour le dire autrement, la rationalité individuelle est-elle compatible avec

la rationalité collective ? Plus encore, le capitalisme en tant que mouvement d’ensemble

implique que les acteurs agissent rationnellement afin que la dynamique ne soit pas rompue.

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Mais à quel point les agissements des acteurs sont-ils rationnels et ne portent–ils pas atteinte

à la survie du capitalisme ?

« Le capitalisme est un individu historique c’est-à-dire un ensemble complexes de relations

qui existent dans la relation historique et à partir duquel nous forgeons une unité

conceptuelle en l’abordant du point de vue de sa signification pour une culture donnée ».

L’analyse du capitalisme et de sa dynamique ne saurait faire l’économie d’une analyse de

contexte qui lui a donné naissance : la société. Les formes du capitalisme sont donc propres

aux sociétés et aux transformations que celles –ci subissent avec le temps. C’est à ce titre que

l’évolution du capitalisme a été rythmée par les grandes inventions et les grandes

découvertes scientifiques.

En convoquant la récente crise financière comme l’a fait Jacques Sapir52, on peut déduire

qu’il existe dans la société deux rationalités concurrentes dont les rapports déterminent la

nature des conflits sociaux et la dynamique du capitalisme moderne : une rationalité de court

terme et une rationalité de long terme. La rationalité de court terme est celle qui est conforme

à l’instinct capitalisme à savoir la recherche du profit et la rationalité de long terme est celle

qui est conforme à la reproduction du système, autrement dit c’est la rationalité collective

qui encadre la rationalité individuelle afin de garantir la survie de la société.

La crise de 2008 permis de tirer les enseignements sur l’importance des déterminants

collectifs de l’action individuelle en montrant que les capitalistes peuvent poursuivre leur

objectifs de profit tant qu’il n’est pas préjudiciable à la stabilité sociale. La dynamique

globale du capitalisme et ses crises sont donc déterminés par la tension qui existe entre la

recherche du profit à court terme et la cohésion de la vie sociale. L’un des enjeux majeurs

de notre société est donc de renverser le cours de l’histoire de nos sociétés car le capitalisme

financier a renversé l’ordre établi entre la rationalité capitaliste et la rationalité « sociale ».

Aujourd’hui ce n’est plus la société qui encadre la vie économique mais la vie économique

qui conditionne la vie sociale. Les valeurs humaines sont déterminées sur la base de la

réussite économique. Le profit n’est plus un moyen pour aider l’homme (subordonné à lui)

mais il devient l’objectif et le moyen d’évaluation de la vie.

2- Le paradigme de la rationalité du capitalisme

Si la tension qui existe entre rationalité de court terme et rationalité de long terme est une

constituante de la dynamique du capitalisme et de son évolution, celle-ci est renforcée par le

fait que le capitalisme est dépendant de la société et de ses évolutions.

                                                                                                                         52  -­‐  Jacques  Sapir,  «  Une  décade  prodigieuse.  La  crise  financière  entre  temps  court  et  temps  long  »,  Revue  de  la  régulation  [En  ligne],  3/4  |  2e  semestre/Autumn  2008  

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Le capitalisme doit être encadré par des lois sociales. Mais à côté de cela, il y a également

une tension qui existe à l’intérieur des individus concernant les motifs de leurs actions. Les

individus doivent opérer des choix mais pas toujours en connaissance de cause. Aussi, il est

nécessaire que les normes sociales prévalent sur l’économie et lui imposent ses règles afin

d’orienter les actions individuelles.

Adam Smith a ainsi montré que les individus sont mus par un instinct égoïste qui les

pousse à rechercher leurs intérêts avant toute chose. Et que cet instinct était bénéfique pour

l’activité économique. Dans les sections précédentes, nous avons détaillé les notions de

rationalité procédurale et de rationalité substantielle. Pour nous, la rationalité procédurale

présente plusieurs avantages théoriques et surtout elle est plus réaliste dans ses hypothèses

et dans ses développements. La rationalité procédurale se rapproche davantage de la

rationalité de long terme dans laquelle les actions individuelles ont des déterminants

collectifs tandis que la rationalité substantielle se rattache à la rationalité de court terme qui

est derrière les motivations égoïstes des acteurs économiques. Comme évoqué

précédemment, ces notions ne sont donc pas contradictoires mais complémentaires. Car le

passage de la rationalité substantielle à la rationalité procédurale permet de complexifier les

hypothèses sur l’environnement et de donner d’autres justificatifs à l’action humaine qui

n’est dès lors plus déterminée par un unique objectif.

C’est donc ce paradigme à l’intérieur du capitalisme qui amène à nombre

d’antagonismes à l’intérieur du capitalisme au cours de son histoire. J’en veux pour preuve

que le capitalisme occidental moderne qui a pris son essence avec la révolution industrielle.

Nous avons déjà pu constater que l’essence du capitalisme tenait de la liberté individuelle à

disposer de leurs biens. C’est cette disposition qui donne naissance au commerce et favorise

l’esprit d’entreprise. A cela nous devons rajouter la rationalisation des techniques et du droit

et la libre disposition des individus à offrir leur force de travail dans l’entreprise via le

salariat. Or, il est étonnant de constater que le capitalisme qui prend son essor à cette

période ne se soit pas accompagné de ce que l’on pourrait qualifier de « rationalité

anthropologique ». En effet, durant cette période la dynamique du capitalisme a été

entretenue par l’esclavage. Cet antagonisme permet d’illustrer à juste titre la dynamique du

capitalisme que l’on peut résumer par une double tension aussi bien dans les motivations de

l’individu et dans le fonctionnement du capitalisme et les normes de la société dans laquelle

il se déploie.

3 - Limites de la rationalité individuelle du capitalisme

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Nous avons pu voir que la rationalité du capitalisme peut être comprise selon l’approche

néoclassique qui met l’accent sur la finalité de l’action ou selon l’approche d’Herbert Simon

en termes de rationalité procédurale qui insiste sur les institutions. Bien que ces deux

approches se distinguent notamment par les effets que peuvent induire la concurrence, elles

se caractérisent toutes deux par un même paradigme, celui du choix comme finalité de

l’action individuelle. Qu’il s’agisse de rationalité substantielle ou de rationalité procédurale,

l’individu reste motivé par le choix. Tous les processus cognitifs volontaires ou involontaires,

tous les calculs qu’il met en œuvre, sont orientés vers le choix qu’il s’agisse de l’alternative la

plus « utile » (maximisatrice de l’utilité) ou la plus satisfaisante.

L’individu demeure ainsi orienté par la perspective d’un choix. Ces deux approches

laissent peu de place aux actions habituelles et aux habitudes qui peuvent motiver les actions

humaines. Or, les productions de biens et services, les décisions de gestion, d'embauche,

d'investissement, la fixation des marges et des prix, la mise sur le marché, etc., se font la

plupart du temps de façon routinière, et sont ainsi largement analysables comme des

pratiques établies, des règles techniques, des procédures, des modes d'organisation, des

habitudes de comportement, etc. Toutes ces conduites ou pratiques effectives constituent

alors autant de routines individuelles et organisationnelles, qu'on peut analyser en tant que

telles, et qui peuvent expliquer au moins partiellement les performances des différentes

firmes, et la transformation de ces performances, quand ces routines sont modifiées d'une

manière ou d'une autre, en particulier par innovation.

La routine (qu'elle soit individuelle ou organisationnelle), à l’opposé de la rationalité,

permet une explication alternative des comportements humains qui repose sur la base de

leurs capacités ou compétences propres, elles-mêmes enchâssées dans des « répertoires de

routines ». Les "répertoires" expliquent ainsi l'existence des routines effectives des firmes,

l'existence de régularités micro-économiques empiriquement observables.

Les différentes routines - comme répertoires – constituent des capitaux cognitifs

accumulés au sein de l’individu ou de l’organisation et qui expliquent leurs performances ou

leurs actions. L'analyse s'inscrit alors dans la tradition des approches néo-schumpétériennes

de l'économie qui accordent une importance primordiale à l'évolution des connaissances

techniques, au changement technique proprement dit, et à la concurrence que se livrent entre

elles les firmes au moyen des innovations.

Cette alternative aux approches micro-économiques orthodoxes, jugées a- temporelles,

car liées à l'équilibre général, doit alors retrouver en économie trois mécanismes : (1) un

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mécanisme d'hérédité (le gène) assurant une certaine continuité temporelle dans le système,

(2) un mécanisme générant de la variété, transformant les génotypes par l'introduction de

nouveaux gènes, (3) un mécanisme de sélection qui trie, favorise, ou élimine les organismes

portant des gènes, et contribue ainsi à définir au jour le jour le processus de l'évolution.

Une théorie du comportement qui se rattacherait au "paradigme de la rationalité", ou au

"modèle générique de la rationalité" (Mongin, 1984, p. 11), pose nécessairement comme

invariante et universelle une partie du comportement, lequel échapperait ainsi à l'évolution.

Le recours à une théorie construite à partir de la "formation des habitudes", donne à l'inverse

immédiatement et directement une réponse théorique au double problème de la variété et de

la stabilité au cours du temps des différents comportements. De ce point de vue, raisonner

théoriquement en terme de routine semble alternatif, et même radicalement alternatif, à un

raisonnement en terme de rationalité

Conclusion

Les débats autour de la question de la rationalité permettent de réaffirmer la nécessité

d’hypothèses microéconomiques réalistes sous-jacentes aux théories macroéconomiques. Ces

Hypothèses microéconomiques doivent définir des modes de prise de décision et d’action

conformes la réalité en cela qu’elles doivent refléter la complexité de l’environnement dans

laquelle l’individu évolue. C’est donc cette nécessité qui nous a conduit à re-enchâsser le

capitalisme dans son carcan historico-social et dériver une dynamique du capitalisme qui

serait déterminée aussi bien par une rationalité de court terme qu’une rationalité de long

terme. L’étude du capitalisme ne saurait faire l’économie d’une analyse des déterminants

collectifs de l’action individuelle, autrement dit des institutions. Nous pouvons donc définir

les institutions selon les termes de John R. Commons comme « l’action collective en contrôle

de l’action individuelle ». Il nous apparait donc à ce point de notre travail que le capitalisme

est avant tout l’histoire de la civilisation humaine à laquelle il est intrinsèquement lié, en

particulier sa survie et ses formes.

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