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Document de travail :
Rationalité individuelle et Dynamique du capitalisme
Par
Thiang Junior Nguema
CEMI-EHESS
2015
Introduction
La rationalité revêt bien des sens en fonction de la discipline à laquelle on fait
référence. Ainsi elle trouve des définitions aussi différentes que variées en économie, en
psychologie ou encore en sociologie. Mais toutes ces définitions ont en commun de
questionner l’attitude de l’individu vis-à-vis de son environnement- sa société- et surtout de
s’interroger sur les conditions dans lesquelles il prend ses décisions. Les théories de la
rationalité sont donc avant et surtout des théories de l’action et de la prise de décision.
En économie, la place centrale de la théorie des préférences individuelles, i.e.
Rationalité parfaite, fait écho à l’importance qu’occupent aujourd’hui les théories
néoclassiques au sein de la science économique. En effet, la science économique a, depuis
plusieurs siècles, suivi les développements de cette école de pensée au point que la
conception de l’économie qui est habituellement retenue est celle formulée par cette
dernière, à savoir la science de la rareté, entendue comme le moyen d’ajuster (ou affecter)
des ressources rares de manière efficace en fonction des besoins potentiellement illimités [L.
Robbins, 1932]1. Elle a fait de l’économie une science de l’efficacité et de la recherche de
l’optimum, dans laquelle les mathématiques occupent une place centrale, comme l’attestent
la théorie des jeux ou encore l’économétrie, qui sont autant d’outils mathématiques mis au
service des approches économiques (programme du producteur ou du consommateur). Loin
de tout jugement critique de cette approche, il convient de s’interroger sur la portée actuelle
de cette théorie des préférences individuelles et plus encore de savoir quelles peuvent être
les implications pour l’analyse économique d’une approche différente de cette rationalité
individuelle.
La science économique est la seule discipline dans laquelle l’objet de recherche se définit par
rapport à une théorie particulière ou un résultat d’une recherche d’un courant de pensée.
La science économique a donc épousé les contours de l’analyse néoclassique en terme
de raisonnement en équilibre , de définition d’axiomes et surtout l’individualisme
méthodologique qui a donné naissance à la figure la plus connue de la théorie économique,
l’homo économicus. Elle a aussi conduit l’économie vers un cloisonnement disciplinaire qui
interdit tout rapprochement avec d’autres sciences sociales et surtout d’en intégrer les
développements. Nous verrons par la suite que c’est justement par le biais d’autres sciences
sociales que la théorie néoclassique des préférences individuelles sera remise en cause
1 -‐« la science du choix rationnel dans l’allocation de ressources rares » in L. Robbins(1932), An essay on the nature and significance economic science
notamment par la sociologie avec Boudon ou encore la psychologie expérimentale avec les
travaux d’Herbert Simon.
Ceci dit, au vu des limites de l’analyse néoclassique de la rationalité que les débats au sein
de la littérature ont éclairées, il devient nécessaire de s’interroger sur la pertinence de la
rationalité telle qu’elle est entendue par ces derniers afin d’en questionner la portée actuelle
et de voir si les autres alternatives théoriques qui se sont développées nous offrent des
perspectives de recherches nouvelles.
La théorie néoclassique est la base de la science économique moderne sur laquelle
s’appuient les plus importantes théories économiques. On peut donc ainsi considérer que les
piliers du programme de recherche de l’économie orthodoxe sont la théorie de l’équilibre
générale et la théorie du choix rationnel. La question de la rationalité est si importante en
économie car elle ramène inexorablement à l’interrogation sur la nature et l’objet de la
science économique. D’autant plus que l’économie comme science normative et descriptive
doit être dotée d’une théorie de l’action individuelle crédible. Car l’unité d’étude la plus
atomique de l’économie demeure l’individu.
L’hypothèse de rationalité individuelle en établissant un lien entre la raison et l’action
permet de créer une théorie du comportement individuel. On peut donc affirmer à la suite de
[Popper, 1963]2 ou d’Edmond Malinvaud3 que le recours à une hypothèse de rationalité
correspond à une nécessité méthodologique.
Bien que nombre d’auteurs considèrent que l’économie en tant que science normative n’a pas
besoin des hypothèses comportementalistes les plus réalistes et complexes, l’on peut
affirmer, et c’est là l’objet de la thèse de ce papier, que les oppositions qui caractérisent les
différentes approches de la rationalité ou du comportent individuel de manière générale,
préfigurent des divergences que l’on retrouve dans les théories économique, les études sur
le capitalisme ici en l’occurrence. Et c’est donc fort de ce constat que nous pouvons affirmer
que les hypothèses sur le comportement individuel en ayant les mêmes fondements
philosophiques, psychologiques, sociaux que les théories économiques, créent des
perspectives de recherche différentes qui sont la base des principales écoles de pensée.
2 -‐ Popper (1963) 3 -‐ Malinvaud Edmond. Sur l'hypothèse de rationalité en théorie macro-‐économique. In: Revue économique. Volume 46, n°3, 1995. pp. 523-‐536.
Le recours à des hypothèses comportementalistes réalistes est donc une nécessité pour
l’analyse économique et encore plus pour l’étude du capitalisme en particulier sa diversité.
Une telle perspective permettrait de déconnecter le capitalisme de l’économie de marché
avec laquelle il est trop souvent confondu chez nombre d’auteurs.
Première partie : La rationalité Individuelle
Cette première partie nous permet de montrer les débats qui ont lieu autour de la question
de la rationalité. Nous allons montrer comment s’est effectué le passage de l’hédonisme à la
notion d’utilité ou d’utilité espérée. Ce sera l’occasion de voir les traitements mathématiques
qu’a subi cette théorie et la réception que les auteurs néoclassique ont pu avoir des critiques
qui ont été formulées à l’encontre de cette approche. Nous verrons ainsi les contributions
d’Herbert Simon en particulier, avant de montrer quelle acception de la rationalité
prédomine en dehors du champ de l’analyse économique. Nous illustrerons cela avec
l’approche sociologique de Raymond Boudon pour insister sur le fait que la rationalité est
une nécessité méthodologique pour toute science sociale.
A- La théorie du choix rationnel et la rationalité économique chez les néoclassiques
1- L’Hédonisme et l’utilitarisme comme fondements de la rationalité
Le concept de rationalité économique tire son origine de l’utilitarisme développé par
Jeremy Bentham à la fin du 18e siècle et poursuivi par John Stuart Mill. L’utilitarisme est
d’abord une philosophie morale qui s’interroge sur l’origine du bonheur et la manière de
l’accroitre aussi bien chez les individus que dans l’ensemble de la société. Elle s’inspire de
l’hédonisme qui est une doctrine philosophique grecque selon laquelle la recherche du
plaisir et l’évitement du déplaisir constituent l’objectif de l’existence humaine. Elle est
associée dans l’antiquité à Aristippe de Cyrène mais aussi à Epicure, bien que leurs
approches du plaisir soient différentes.
Bentham entendait l’utilitarisme comme un « calcul hédoniste » dans lequel devait
être systématiser l’idée de mesure des plaisirs évoquée dans le philebe de Platon. Selon lui,
les individus doivent agir de manière à augmenter leur plaisir et réduire leur peine. Le
bonheur de la société correspondrait ainsi à la somme des plaisirs individuels.
John Stuart Mill qui s’inscrivit à la suite de Bentham reprocha à ce dernier de ne pas
avoir intégré une dimension qualitative aux plaisirs. Pour cela, il introduit une dimension
morale à l’utilitarisme qui le fera sortir de l’hédonisme en introduisant d’autres valorisations
et d’autres fins à l’existence humaine. Il insistera sur le fait que les plaisirs sont d’abord
intellectuels avant d’être physiques. Le paradigme de l’utilitarisme ne change pas
fondamentalement entre ces deux auteurs : les individus sont appréhendés comme des êtres
rationnels qui agissent en fonction des conséquences de leurs actions.4
4 -‐ Hedoin Cyril, Mémoire de DEA sur : « Les théories institutionnalistes du comportement économique de T. Veblen et J.R. Commons : éléments et fondements d’une approche réaliste et évolutionniste en économie, Université de Reims, 2005/2005, page 6
Trois idées force émergent de l’utilitarisme : i) les individus sont appréhendés comme
des êtres rationnels qui recherchent consciemment ou pas, selon un calcul, à accroitre leur
plaisir (utilité) ; ii) la société doit être organisée selon une perspective « utilitariste » dans
laquelle l’objectif est la maximisation des utilités agrégées ; iii) les règles de l’organisation de
la société doivent suivre cet objectif en permettant de concilier intérêt individuel et intérêt
collectif.
On entrevoit le lien entre l’utilitarisme et la rationalité économique bien que subsiste
quelques différences. De la dimension morale de l’utilitarisme, les néoclassiques ne
retiendront que la dimension calculatoire du comportement humain : les marginalistes
refusent toute interrogation sur les fins des actions individuelles et collectives. L’objectif
suffit à expliquer l’action et à la justifier. Ce seront Stanley Jevons (en Angleterre), Carl
Menger (en Autriche) et Léon Walras (en France) qui seront les fers de lance de cette
révolution marginaliste qui s’opère dans les années 1870 et qui va donner naissance au
concept de rationalité économique et à l’homoéconomicus. L’axiomatisation de la théorie de
l’Homoéconomicus moderne sera achevée par Leonid Savage dans les années 1940.
L’hypothèse de la rationalité devient alors une axiomatisation dans la formalisation
néoclassique avec toutes ses implications pour les critiques ou les rejets dont elle peut faire
l’objet.
2- Les hypothèses de la théorie néoclassique des préférences
La théorie néoclassique des préférences s’appuie sur une relecture du paradoxe de
Condorcet par Kenneth Arrow et le paradigme de la relation principal-agent. (Kenneth
[Arrow, 1951]5 , [G. G. Granger, 1956]6. Toutes ces conjectures théoriques trouvent leur
importance dans l’explication de faits réels en s’appuyant sur la logique de l’utilité
maximisatrice des individus.
§ Les hypothèses de base
L’importance de la théorie classique des préférences pour la théorie économique standard,
ou standard élargie, selon l’expression d’Olivier Favereau7, provient de l’identification des
5 -‐ Kenneth Arrow , social choices and individual values, 1951 6 -‐ G. G. Granger, la mathématique sociale du marquis de Condorcet, chap. 3, 1956
7 -‐ O. Favereau, « marchés internes, marchés externes », in Revue Economique, vol.40, n°2/1989, mars, pp. 273-‐328
comportements du consommateur et du producteur avec une forme axiomatisée de théorie
utilitariste8. Cette axiomatisation permet de définir une fonction d’utilité qui sera par la suite
maximisée. Cette fonction d’utilité est définie grâce à une structure des préférences qui sert
à l’évaluation de toute action définie comme rationnelle. Cette structure des préférences a
été établie par Gérard Debreu9 et on peut la résumer aux axiomes suivants :
Le modèle de référence néoclassique suppose que les comportements sont intelligibles s’ils
répondent à une rationalité parfaite qu’ils définissent suivant un système de préférences qui
doivent vérifier le préordre complet suivant :
- La transitivité : si je préfère x à y et y à z alors je préfère x à z.
- La réflexivité.
- La continuité : soit x, y et z, il existe alors un mélange des possibilités x et z qui soit
indifférent par rapport à y.
- L’axiome de non saturation : si la consommation d’une unité X1 de x engendre une
utilité u1, alors si X2>X1, l’utilité de u2>u1.
- L’axiome d’indépendance, introduit à la suite des travaux de Von Morgan et
Morgenstern10 , il permet de passer de la notion d’utilité à celle d’utilité espérée11 et
ainsi résoudre le problème du passage d’un univers certain à un univers Probabiliste.
(Soit les possibilités x, y et z telles que x>y, une combinaison de x et z sera préférée à
une combinaison de x et Y).
A ces préférences, il faut rajouter l’hypothèse de leur monotonie12 et l’intégration
temporelle13 qui permettent d’étendre la théorie standard en incorporant le temps et apporter
du dynamisme à la forme originelle qui est a-temporelle. Ces deux dernières hypothèses
permettent de définir l’utilité sociale comme la somme des utilités individuelles. Cet
8 -‐ Jacques Sapir, Les nouvelles approches des préférences individuelles : la révolution qui vient ?, Document de travail 03-‐1 CEMI (EHESS), février 2003, p.6 9-‐ G Debreu, Théorie de la valeur, Dunod, Paris, 1959 10 -‐ J. Von Neumann et O. Morgenstern, Theory of Games and Economic Behavior, Princeton University Press, Princeton, NJ, 1947 (2eme edition). 11-‐ Notion empruntée aux travaux de Bernoulli sur les Probabilités 12 -‐ La qualité d’une période additionnelle détermine si l’expérience la plus longue est plus ou moins utile que la plus courte. 13 -‐ L’utilité que l’on retire d’une expérience correspond à l’ensemble des utilités de chaque moment de cette expérience.
utilitarisme des préférences correspond à la démarche normative des économistes
néoclassiques du 20e siècle et se détache de l’hédonisme souvent mobilisé par les
économistes du 19e siècle.14
3- Analyse des implications de la rationalité néoclassique
Les postulats de la rationalité comprise comme la maximisation de l’utilité, peuvent
donc se résumer au préordre complet et aux hypothèses de continuité et de non saturation.
Cette axiomatique est la base de la définition de ce qu’est un comportement rationnel pour
les néoclassiques. Elle a été présentée pour la première fois par Vilfredo Pareto15 et a reçu des
traitements mathématiques de la part de Von Neumann et Morgenstern16 ainsi que Arrow17.
Le modèle néoclassique de la rationalité est construit dans un univers abstrait. Il
n’étudie pas la rationalité des comportements comme objet de la connaissance mais postule
que cette dernière guide les décisions des individus. Le réalisme de l’hypothèse de la
rationalité n’est pas remis en question et il suffit que les prédictions des modèles basés sur
ces hypothèses soient vraies pour attester de la pertinence et de la véracité de la démarche.
La théorie des préférences et de la rationalité maximisatrice ne permet pas que de
définir un comportement des agents économiques. Elle permet également de créer une
barrière entre ce qui doit être l’objet de la recherche en science économique et ce qui ne doit
pas l’être. Ainsi est rationnel tout comportement/ toute attitude qui respecte les critères de
préférences et tout phénomène qui ne correspond pas à cette logique maximisatrice de
l’utilité n’est pas économique. Cette définition exclusive de la rationalité leur permet de
créer une définition exclusive de l’économie qui n’est compréhensive qu’à l’aune de la
logique néoclassique.
La rationalité individuelle néoclassique repose sur des assomptions fortes. On
suppose ici que les agents sont dotés de capacités cognitives qui leur permettent d’avoir une
compréhension parfaite de l’environnement dans lequel ils agissent. Ce qui implique qu’ils
ont connaissance des différentes possibilités de choix qui se présentent devant eux mais
surtout qu’ils ont une parfaite connaissance des implications et des conséquences de leurs
14 -‐ Jacques Sapir, op. Cit, P.7 15 -‐ V. Pareto, Manuel d’Economie Politique, M. Giard, Paris, 1927 16 -‐op. Cit 17 -‐ K. Arrow, Social Choice and Individual Values,1974
actions dans le futur. Cette rationalité dont sont dotés les individus leur permet d’évoluer
dans un environnement sans incertitudes et sans surprises. De cette mise en situation, à la
suite de [Bejean et al. ,1999]18, on peut donc faire ressortir trois éléments qui permettent de
caractériser l’environnement ou le contexte dans lequel évolue l’individu :
- L’environnement objectif : défini par les hypothèses concernant les états de la nature
en dehors de la perception des individus
- L’environnement Subjectif : défini par la connaissance des états de la nature par les
individus (éventuellement leurs croyances) quant à l’avenir mais également leurs
préférences.
- L’environnement interne ; il renvoie aux modalités effectives de la prise de décision.
(critères de choix, capacités de calcul,…).
La rationalité individuelle néoclassique est une rationalité situationnelle car elle met
l’individu dans un contexte où les fins, les contraintes et les moyens sont donnés : son but
devient donc uniquement de choisir l’action la plus efficace en fonction du but à atteindre.
La rationalité est définie en fonction du but à atteindre et non du processus de choix ou de
décision. Les paramètres de l’environnement sont des données que l’individu incorpore dans
son calcul maximisateur.
Les caractéristiques de cet environnement sont les suivantes :
Ø L’environnement Objectif : il est constitué de l’ensemble des états de la nature,
autrement dit l’ensemble des actions possibles et leurs conséquences. Dans
l’hypothèse de rationalité individuelle néoclassique, il est préexistant et parfaitement
connu par les individus.
Ø L’environnement Subjectif : il est constitué des éléments qui permettent à l’individu
d’appréhender son environnement (informations, Croyances, préférences..). Bien que
l’environnement objectif soit connu par l’individu, l’avenir peut être incertain.
L’individu peut ignorer quel état de la nature se réalisera mais il connait la liste des
évènements possibles. L’individu sait également que la réalisation de l’état de la
nature dépend de ses choix et de de ceux des autres sur lesquels il n’a aucune
information. L’individu associe donc des probabilités aux différents états de la
nature : il a une parfaite connaissance de ces imperfections. Cette rationalité permet
18 -‐ Sophie Bejean, Fabienne Midy et Christine Peyron, la rationalité simonienne : « Lectures et enjeux épistémologiques », Economie et sociétés, Série Oeconomia, PE, n°31, p.1703-‐1733, 2001.
donc de poser que l’individu dispose de capacités cognitives illimitées qui ne
contraignent pas sa recherche et son traitement des informations.
Ø L’environnement Interne : il renvoie aux capacités calculatoires des individus et à
leurs critères de choix. Le critère de décision est le calcul. Les individus ont une
parfaite connaissance de leurs préférences qu’ils peuvent ordonner. L’individu doit
donc maximiser son intérêt personnel en fonction de contraintes extérieures dont il a
parfaitement connaissance dans un contexte d’asymétrie de l’information. Cela
revient donc à doter les agents économiques de capacités computatoires
exceptionnelles mais qui sont peu aptes à rendre compte des situations réelles. Les
postulats de cette rationalité sur l’environnement interne se heurtent à l’irréalisme de
telles hypothèses.
C’est donc sur la base de l’irréalisme des hypothèses de cette rationalité que vont se
développer une série de critiques. La non prise en compte du contexte de la naissance des
préférences des individus ou encore la mise en exergue des limites des capacités cognitives
des individus seront autant d’éléments qui seront mobilisés pour remettre en cause la théorie
préférences individuelles et la rationalité telle qu’entendue par les néoclassiques.
4- Critiques de la rationalité Standard
§ Critiques internes
Nombre de critiques vont se développer à l’encontre de cette théorie. Elles vont
concerner tant les implications de certaines hypothèses induites par cette rationalité
(convexité des courbes de préférences, cf. travaux de Bernard Guerrien19 ) que les hypothèses
de base telle l’hypothèse d’indépendance par exemple. Ces travaux d’auteurs néoclassiques
s’inscrivent dans la lignée des travaux de Maurice Allais20 qui montrent, concernant
l’axiome d’indépendance, que ce dernier est systématiquement violé lors d’expériences
répétées. Les travaux de Maurice Allais tendent à démontrer que dans certaines
circonstances il peut se produire un renversement des préférences chez les individus,
contrairement aux hypothèses communes de l’économie dominante qui y voit une stabilité et
surtout qui ne prennent pas en compte l’effet des interactions avec les autres individus.
19 -‐ E. Benicourt et B. Guerrien, La théorie économique néoclassique, Coll. : Manuel repères, La découverte, 2008. 20 -‐ M. Allais, le comportement de l’homme rationnel devant le risque. Critique des postulats de l’école américaine in Economica, vol 21, 1953, pp. 503-‐546.
Certains auteurs néoclassiques vont donc tenter de faire évoluer les axiomes de base en
tentant d’y apporter des aménagements. Ainsi la remise en cause de l’hypothèse
d’indépendance a donné naissance à la thèse de contamination des possibles qui dit qu’un
acteur sera désappointé s’il sort d’un jeu ou d’un choix dans une situation pire que ce qu’il
avait anticipé et inversement , si le résultat est meilleur il en sera d’autant plus ravi. Cette
thèse sera au centre de la théorie du désappointement formulée par Sudgen et Loomes21 qui
présente la « contamination des possibles » comme un cas de la rationalité maximisatrice. Ce
sera également l’objet des travaux autour de la théorie du regret22 qui consiste à prendre en
compte l’écart entre les perceptions de l’acteur de ce qu’il aurait pu obtenir en choisissant
une autre possibilité que celle qu’il a choisie.
Bien que ces théories tentent de se baser sur des hypothèses plus réalistes, elles peinent à
expliquer des situations ou se produisent des renversements de préférences et elles ne se
détachent pas du paradigme néoclassique bien qu’elles se rapprochent d’une approche
subjectiviste.
Par la suite, Mark machina a montré qu’on pouvait retrouver les mêmes résultats, au
niveau des fonctions locales d’utilité, que Neumann et Morgenstern en abandonnant
l’hypothèse d’indépendance23. Les travaux d’Isaac Levy24 s’inscrivent dans cette même
logique et visent à nuancer certains aspects des préférences individuelles sans toutefois sans
détacher complètement.
L’objectif pour les auteurs néoclassiques n’est donc pas de remettre en cause cette
théorie standard des préférences mais d’y intégrer les critiques qui lui sont faites, notamment
concernant le réalisme des hypothèses.
§ La Psychologie expérimentale 21 -‐ G. Loomes et R. Sudgen, Disappointment and Dynamic consistency in choice under uncertainty, in Review of Economic Studies,1985 22 -‐ G. Loomes et R. Sudgen , “regret theory: An alternative Theory of rational choice under uncertainty,, in Economic Journal,vol.92,1982,pp.805-‐824 ; -‐Sapir Jacques, les nouvelles approches des préférences individuelles et leurs implications : la révolution qui vient ? , Document de travail 03-‐1, CEMI(Ehess), Février 2003, pp.38 23 -‐ M. Machina, « choice under uncertainty : problems solved and unsolved », in Journal of Economic perspectives, vol. 1/ 1987, pp. 121-‐154, dans Sapir Jacques, les nouvelles approches des préférences individuelles et leurs implications : la révolution qui vient ? , Document de travail 03-‐1, CEMI(Ehess), Février 2003, p. 10 24 -‐ I. Levy, The enterprise of knowledge, MIT Press, Cambridge, Mass, 1980.
Une autre réfutation de la théorie néoclassique des préférences trouve donc son origine
dans la psychologie expérimentale. Ces travaux ont permis de montrer que certains axiomes
de la rationalité standard peuvent être violés, notamment les travaux de [May, 1954],
[Tversky, 1969] et [Loomes et al. ,1991] sur l’axiome de transitivité ou ceux de [Allais ,1953]
sur l’axiome d’indépendance.
Les travaux de psychologie expérimentale ont également mis en en lumière certaines
anomalies de la théorie standard de l’utilité avec notamment avec l’effet d’Hawthorne25 et
l’effet Pygmalion26. Ces effets mettent en lumière l’effet de surprise qui sous-tend la théorie
des préférences subjectives développée Shackle en 1949 27.Les préférences, en particulier leur
hiérarchisation, seraient donc dépendantes du contexte qui leur a donné naissance.
Les préférences, directement dépendantes des contextes et des échelles de choix, se
construisent à travers les processus de choix au lieu d’être préexistantes comme le préconise
la théorie standard. Les choix individuels ne donc sont intelligibles que par la
compréhension du contexte qui a vu leur développement. C’est l’effet de contexte (Framing
effect) développé par Amos Tversky28 qui montre que la manière de présenter des choix
détermine les réponses. Cet effet remet en cause deux hypothèses clés des axiomes de la
théorie des préférences : la transitivité et la continuité. Comme l’ont montré P. Slovic et S.
Lichtenstein29 puis [Greter et Plott, 1979], lors d’expériences répétées, la stabilité des
renversements des préférences démontre l’existence d’une structure comportementale : les
individus utilisent des processus cognitifs différents s’ils doivent opérer des choix ou des
évaluations.
Une autre critique sera formulée à l’encontre des axiomes de la théorie des
préférences. Il s’agit de l’utilité espérée qui permet de passer de l’utilité individuelle à
25 -‐ F.J. Roethlisberger et W.J. Dickson, Management and the worker, Harvard University Press, Cambridge, Mass, 1939. 26 -‐ R. Rosenthal et L. Jakobson, Pygmalion à l’école – L’attente du maitre et le développement intellectuel des élèves, traduit par S. Audebert et Y. Rickards, Casterman, Paris, 1971 (Pygmalion in the classroom, Holt, Rinehart and Winston, NY, 1968). 27 -‐ G.L.S Shackle, Anticipations in Economic, Cambridge University Press, Cambridge, 1949. 28 -‐ A. Tversky , « Rational Theory and constructive choice », in K.J. Arrow, E. Colombatto, M.Perlman et C. Schmidt (edits), The Rational foundations of Economic Behaviour, MacMillan et St. Martin’s Press, Basingstoke-‐ New York, pp. 185-‐197,P.187 29 -‐ S. Lichtenstein and P. Slovic, « Response induced eversals of preference in Gambling: An Extended Replications in Las Vegas » in Journal of Experimental Psychology, n°101, /1973, pp.16-‐20.
l’utilité collective. [Knetsch, 1989] puis [Daniel Kahneman, 1990]30 montrent que l’utilité
anticipée varie en fonction du contexte et que les individus sont incapables de prévoir
comment leurs préférences vont évoluer ni même si elles vont évoluer. C’est l’effet de
dotation. Il se manifeste lorsque les préférences des individus se renversent lorsqu’ils se
sentent ou non en l’état de posséder un bien.31 [Knetsch, Kahneman et Thaler, 1990] ont
réalisé une série d’expériences qui confirment l’existence de l’effet de dotation dans des
situations de marché. Il en ressort que la perte d’utilité qu’un individu perçoit lorsqu’il se
sépare d’un bien a un impact psychologique plus fort que le gain d’utilité qu’il perçoit
lorsqu’il reçoit ce même bien.
Les effets de dotation et de contexte en remettant en cause la structure des hypothèses
de comportement individuel, mettent en lumière le fait que celles-ci ne sont pas stables ni
linéaires, mais qu’elles évoluent en fonction du contexte et des représentations que les
individus se font des situations et des choix qui leur sont proposés. L’hypothèse
d’apprentissage instantané des individus devient alors inconsistante. Une autre des
implications de ces expériences consiste à montrer que la convergence progressive des
comportements ou encore l’apparition de préférences collectives stabilisées nécessite une
action discrétionnaire extérieure. Dès lors on doit rejeter toute approche en termes de main
invisible ou d’efficacité autonome des marchés.
Une théorie du comportement humain doit donc être consistante avec une théorie
des organisations et en particulier de leur émergence et de leur évolution. Ces dernières ne
sont pas que la somme des volontés individuelles mais elles ont une existence propre, des
règles et des buts qui sont distincts des volontés individuelles. Partant de là, se pose la
question de la cohérence et de la compatibilité entre les volontés individuelles et les buts des
organisations et donc de la manière dont sont intériorisés les conflits dans la société. On
retrouve l’importance de la question du politique en économie et l’un des arguments fort
pour un plaidoyer en faveur d’un retour d’une nouvelle économie politique.
§ La rationalité limitée
Elle est développée de manière informelle dans les travaux d’Herbert Simon sur la
« rationalité bornée » (Bounded rationality) à partir de 1955. Il veut rompre avec la
conception de la rationalité imparfaite qui serait un cas particulier de la rationalité
30 -‐ D. Kahneman, “ New Challenges to the rationality Assumption”; 31 -‐ Sapir Jacques, les nouvelles approches des préférences individuelles et leurs implications : la révolution qui vient ? , Document de travail 03-‐1, CEMI(Ehess), Février 2003, p. 18
substantielle (objective) dans une situation d’incomplétude et d’imperfection de
l’information. Simon a distingué la rationalité limitée de la rationalité substantielle(objective)
afin de mettre en lumière les limites des capacités cognitives des individus et surtout le fait
que la prise de décision s’effectue dans un environnement plus complexe que tel que le
présente la théorie standard. [Simon, 1979].
Sur la base du travail de Simon et des travaux en psychologie expérimentale, certains
auteurs vont tenter de développer une théorie de la rationalité limitée (rationalité imparfaite)
qui intègrerait des hypothèses plus réalistes sur les capacités cognitives de l’individu et sur
la connaissance parfaite de l’avenir. Ce sera l’objet des travaux de [Stigler, 1961] ou de
[Williamson, 1964] .Ces nouvelles hypothèses concernent en particulier l’environnement
objectif et les capacités cognitives des individus.
§ L’environnement objectif : l’hypothèse d’un environnement informationnel
parfait implique que les individus ont accès à tous les états de la nature et aux
conditions de leur réalisation. En considérant l’irréalisme de ces hypothèses, ces
auteurs vont montrer qu’il est possible d’y intégrer de l’incertitude, ce que
[Viviani, 1994] qualifie d’incertitude subjective, qui fait que bien que les états de
la nature soient prédéterminés, les individus n’en ont pas une connaissance
immédiate. Au moment de sa prise décision, l’individu ne possède donc qu’une
partie de l’information. Il l’a découvre progressivement. Dès lors, il devient
impossible pour lui d’associer des probabilités objectives à ses croyances sur
l’avenir.
§ Des capacités cognitives limitées : Le fait que l’individu ne puisse pas intégrer
toute l’information disponible dans son calcul ou même qu’il accède à
l’information progressivement, fait que sa conception de l’environnement objectif
et sa capacité de raisonnement en sont affectées. Il en découle que pour prendre
sa décision l’individu doit donc se déterminer une représentation de la réalité qui
lui parait la plus plausible et déterminer un critère de décision qui ne peut plus
être optimal au sens de l’économie standard. Il a notamment recours à l’intuition
qui est ici la capacité à reconnaitre une situation de choix qui s’est déjà présentée
par le passé et à se rappeler les éléments qu’on avait appris à ce sujet. L’intuition
ou la reconnaissance sur la base de l’expérience est un guide pour la recherche
[Simon 1983], [Quinet 1994].
Bien que proposant une rationalité plus « réaliste », la rationalité limitée ne s’éloigne pas du
paradigme qui caractérise la rationalité standard. La rationalité limitée tout comme la
rationalité standard demeure « exogène », autrement dit, elle reste déterminée par les
contraintes externes à l’individu. De plus, les motivations de la décision restent
individualistes. L’individu recherche toujours son intérêt personnel à la seule différence que
dans la rationalité limitée, ses capacités cognitives compliquent sa prise de décision. Par
ailleurs, on ne s’intéresse toujours pas à la nature des préférences qui demeurent données et
l’objectif de l’agent reste la maximisation de son utilité. La finalité de l’action reste la
conséquence de l’action individuelle.
La rationalité limitée ne demeure donc qu’un simple ajustement ou aménagement de
la rationalité standard. C’est avec les travaux d’Herbert Simon sur la rationalité procédurale
que va apparaitre une alternative concrète à la théorie standard. Les travaux d’Herbert
Simon s’inscrivent dans le sillage de la psychologie expérimentale dont il va intégrer, plus
que ses prédécesseurs les conclusions.
B- La Rationalité Procédurale d’Herbert Simon
Avant de développer la théorie de la rationalité procédurale, Simon a développé la
théorie de la rationalité limitée (1955) davantage comme une mise en exergue des limites de
la rationalité standard que comme une théorie alternative. Ce n’est qu’en 1976 qu’il
développera la rationalité procédurale afin de mieux spécifier ses points de désaccord avec la
théorie standard et proposer une théorie de la rationalité qui soit opérationnelle pour la
recherche en sciences sociales. Il va alors proposer une distinction duale de la rationalité
entre rationalité substantielle et rationalité procédurale. Cette distinction qu’il établit entre la
conception économique et psychologique de la rationalité, vise à insister sur l’importance de
la délibération dans le processus de décision. [Mongin1986, p.557]. Simon se distingue ainsi
de la théorie standard sur le fait qu’elle réduit la phase de prise de décision à un calcul. Pour
lui, la délibération est irréductible au calcul car elle invente pour elle des outils qu’elle
manipule. Le choix fait appel à des processus réfléchis, à l’intuition, à l’invention.
Contrairement à certaines critiques formulées à l’encontre de la rationalité
procédurale, elle ne constitue pas un aménagement de la rationalité limitée vis-à-vis de
laquelle elle constitue un changement de paradigme radical. [Bejean et al. 1999]. En effet, si
l’on considère que les hypothèses de comportement doivent être réalistes pour rendre
compte de la complexité des comportements individuels, il devient alors prépondérant de
s’intéresser à la psychologie de l’individu et aux processus qu’il met en œuvre pour décider.
La prise de décision devient alors l’objet même de la connaissance. Ainsi lorsque
l’environnement devient indéterminé, la décision rationnelle ne peut plus être exogène,
dictée par les caractéristiques de l’environnement, elle devient endogène. La rationalité porte
dès lors sur le processus de décision plutôt que sur la décision même.
1- Comprendre la rationalité procédurale
La rationalité procédurale est un concept transposé de la psychologie. Ainsi un
comportement est rationnel lorsqu’il est le résultat d’une réflexion appropriée. La règle de
satisfaction qui sous-tend la rationalité procédurale est une transposition du concept de
niveau d’aspiration des psychologues. Toutefois il convient de préciser que la rationalité
telle qu’elle est entendue par Simon revêt un sens plus large qu’en psychologie car elle
intègre des processus de raisonnement mais aussi des processus générant de la
représentation subjective qu’a l’individu de sa situation de choix.
La rationalité procédurale implique une analyse séquentielle des possibilités de choix
en fonction de leurs découvertes contrairement à la théorie standard ou les possibilités sont
analysées et déterminées avant le choix. La séquentialité interdit de considérer la satisfaction
comme un aménagement de la maximisation de l’utilité.
La rationalité procédurale s’appuie sur 4 éléments importants que nous allons
présenter ici : l’étude des processus cognitifs, l’efficience computationnelle, la computation et
l’efficacité computationnelle des individus.
• L’étude des processus cognitifs
Elle insiste sur la manière de poser un problème. Contrairement à la rationalité standard, la
rationalité procédurale s’étudie dans des situations complexes dans lesquelles l’individu doit
traiter des informations diverses et variées afin de voir quels processus cognitifs il mettra en
œuvre afin d’aboutir à une solution au problème. La rationalité procédurale s’inscrit
pleinement dans les axes de recherche de la psychologie des processus cognitifs :
l’apprentissage, la résolution des problèmes et l’élaboration des concepts.
• L’efficience computationnelle
Elle consiste à étudier la méthode employée pour aboutir à la solution. Elle fait référence à
l’efficacité computationnelle en mathématiques. A l’instar de la computation en
mathématiques, la rationalité procédurale tient compte des capacités de computation des
individus et en déduit qu’il n’existe pas de solution particulière pour résoudre un problème
qui offre une quantité acceptable d’efforts computants. On doit donc opérer un changement
de logique qui oblige à passer d’un intérêt pour les solutions optimales vers un intérêt pour
les bonnes procédures.
• La computation
Elle renvoie aux conditions de la prise de décision. L’Homme est vu comme un système de
traitement d’informations. Il est donc important de tenir compte des conditions dans
lesquelles les individus reçoivent et traitent les informations et de tenir compte des
implications sur la prise de décision. Les différents travaux en psychologie expérimentale ont
montré que dans les situations à risque les individus font appel à différents processus
cognitifs dans leur prise de décision. Il en résulte donc qu’en fonction des conditions des
expériences, les individus réagissent différemment. Il en est donc de même pour les
individus face à la complexité des situations du réel.
• L’efficience computationnelle des individus
Elle intègre les capacités de l’Homme à traiter des informations. Tout comme des ordinateurs
les individus ont un raisonnement séquentiel. Ainsi aucune procédure qu’il pourrait
effectuer ne le permettrait de trouver la solution optimale même si la notion d’optimum est
bien définie. Les capacités de l’individu sont limitées ce qui implique une connaissance et
une capacité de traitement de l’information limitées. D’où la nécessité du choix de la
procédure adéquate pour la prise de décision et le passage de la notion de maximisation à
celle de satisfaction.
2- De la rationalité limitée à la rationalité procédurale
La rationalité procédurale s’attache à la rationalité effective dans l’utilisation de la pensée
et de l’action. La véritable rationalité se définit à l’intérieur même du processus cognitif.
Partant de là, le modèle classique de déduction perd de sa pertinence dans la résolution des
problèmes car il n’est plus question d’interroger l’adéquation des moyens à des fins
prédéfinies : « l’individu qui raisonne est un individu qui délibère dans un univers complexe
(environnement objectif), en fonction de valeurs subjectives évolutives (environnement subjectif),
selon des règles de décision procédurales (environnement interne) ».32
- L’environnement objectif
Contrairement à la rationalité limitée et la rationalité substantielle qui conçoivent que les
états de la nature sont prédéterminés, dans la rationalité procédurale on considère que les
décisions individuelles ont une incidence sur l’avenir et que si l’on considère les
répercussions de ces actions, il devient alors impossible d’avoir une connaissance parfaite
des états de la nature : ce sont les individus qui déterminent l’étendue des possibles(Dupuy,
1989, Bejean et al. 1999) et de fait, l’environnement objectif est simultanément donnée et
résultat de la prise de décision. Il existe donc une rationalité de la découverte qui ne peut
s’exercer sous l’hypothèse d’un avenir connu. [Simon, 1988], [Bejean et al. 1999].
- L’environnement Subjectif
Dès lors que l’on considère que la connaissance que les individus ont des événements et de la
nature est évolutive et conditionnelle de leurs actions, il devient alors impossible d’associer
des probabilités aux évènements futurs. L’incertitude n’est plus risquée mais elle devient
radicale. Tout raisonnement en termes de maximisation d’utilité espérée devient alors
impossible.
Aussi, dans l’hypothèse de la rationalité procédurale, les objectifs que les individus
poursuivent ne sont pas prédéfinis à l’avance et surtout ne sont pas indépendants de leurs
croyances. Ainsi les motivations d’un individu ne peuvent être réduites à un seul ordre de
préférences et ne peuvent non plus être considérées comme stables ou immuables. [Sen,
1977 ; Willinger, 1996, Bejean et al. 1999]. Elles évoluent en fonction des informations et du
contexte de la prise de décision.
L’hypothèse simonienne de rationalité procédurale permet ainsi d’attribuer d’autres fins à
l’action que la seule maximisation de l’utilité : l’altruisme, l’intérêt général,... La rationalité
procédurale permet de dépasser l’utilitarisme qui constituait jusqu’à lors la seule motivation
de l’individu.
- L’environnement Interne
32 -‐ Bejean Sophie, Midy Fabienne, Peyron Christine et al. « la rationalité simonienne : interprétations et enjeux épistémologiques »,1999. , p.15
Si l’incertitude est radicale et que les préférences sont évolutives et variées, la prise de
décision doit s’expliquer autrement que par l’optimisation du résultat de la décision. Il faut
envisager un autre mode de prise de décision qui tient compte des capacités cognitives des
individus et des raisonnements et/ou croyances qu’ils vont utiliser pour y arriver. La
rationalité devient alors procédurale au sens de l’adéquation et de la cohérence du processus
qui conduit à la décision.
La rationalité s’exerce dans la recherche d’une procédure apte à définir à la fois l’objectif
recherché et les moyens d’y parvenir (Bejean et al. 1999, p. 18). C’est un processus séquentiel
qui s’arrête lorsque l’individu a trouvé une solution satisfaisante. La règle du « satisficing »
remplace celle de la maximisation de l’utilité. Cette nouvelle règle permet à la fois à
l’individu de comparer la situation obtenue avec celle recherchée initialement et de revoir
son niveau d’aspiration en fonction des difficultés ou des obstacles rencontrés pour
l’atteindre.
La rationalité procédurale se détache de la rationalité limitée et de la rationalité
substantielle. Elle est toute entière dans son objet, à savoir les conditions d’utilisation de la
pensée et de l’action. Toutefois, dans des situations particulières, Simon reconnait que la
rationalité procédurale peut impliquer un raisonnement maximisateur. La rationalité
substantielle devient donc un cas particulier de la rationalité procédurale qui est la règle
générale.
Tableau récapitulatif des différentes hypothèses sur l’environnement selon l’approche de la
rationalité.
Rationalité
Substantielle
Rationalité
Limitée
Rationalité
Procédurale
Environnement Objectif :
Définit les actions possibles
et leurs conséquences. Il
caractérise les hypothèses
concernant les états de la
nature en dehors de la
perception de l’individu
Préexistant et parfaitement
connu
Connaissance incomplète
de l’environnement.
L’individu accède à
l’information
progressivement.
Inexistant et inconnu :
Il est résultat et donné de
la prise de décision
Environnement Subjectif :
Il est défini par la
connaissance des états de la
nature par l’individu quant à
l’avenir et à ses
préférences.
Connu par l’individu mais
existence d’une incertitude
probabilisable
Impossibilité de
probabiliser ses croyances
sur l’avenir
Non probabilisable.
Les préférences évoluent
en fonction du contexte
Environnement Interne :
Il renvoie aux modalités
effectives de la prise de
décision (critères de choix,
Capacités de calcul).
Parfaite connaissance de
ses préférences par
l’individu. Capacités de
calcul illimitées.
Le critère de décision est le
calcul.
Capacités de
raisonnement et de calcul
limités limitées par le
temps de prise de
décision et les capacités
humaines.
Le critère de décision
reste le calcul
Recherche de la
procédure adéquate.
La règle de décision n’est
plus le calcul.
La règle du satisficing
remplace la maximisation
de l’utilité
3- Des différences entre rationalité substantielle et rationalité procédurale.
La rationalité procédurale opère un changement de paradigme vis-à-vis de la rationalité
substantielle ou de la rationalité limitée. D’une rationalité exogène (dépendant des
conditions des contraintes externes) on passe à une rationalité interne qui dépend des
processus de décision mis en œuvre pour arriver à la décision. C’est à l’individu qu’il revient
de définir les objectifs qu’il poursuit, les valeurs qui le motivent et le but qu’il poursuit. On
passe d’une conception téléologique à une conception axiologique de la rationalité
individuelle. (Bejean et al. 1999, p.20). Selon la première, une action est rationnelle lorsqu’elle
est objectivement la mieux adaptée à la fin recherchée tandis que pour la seconde, une action
est rationnelle lorsqu’elle peut être justifiée par un raisonnement délibératif.
Cette deuxième approche de la rationalité obéit à un désir de construire une représentation
réaliste des comportements humains qui englobe à la fois, les motivations de l’action et les
modalités concrètes de la prise de décision. Elle permet d’enrichir l’analyse sur quatre points
principaux :
- L’environnent décisionnel évolutif se construit au gré des actions
- Elle permet une plus grande richesse cognitive en accroissant les moyens d’accéder à
la décision
- Elle permet une plus grande liberté quant au critère de décision à retenir
- Elle donne à l’individu des motivations supplémentaires autres que le simple
utilitarisme.
Cette nouvelle conception de la rationalité a des implications tant au niveau de la conception
de l’’économie que de la démarche scientifique en elle-même. Dès lors que l’on conçoit que
l’environnement objectif n’est pas prédéterminé mais en construction, on passe d’une
économie d’allocation des ressources à une économie de création de ressources. Elle enrichit
le domaine de recherche de la science économique en y intégrant les questions relatives à la
création des ressources à côté de ceux relatifs à l’échange des ressources. Par ailleurs si
l’avenir se crée au gré des décisions, il devient impossible de définir une allocation des
ressources optimale car une situation peut être jugée préférable à une autre : l’idée d’une
référence idéale devient désuète.
De même dès lors que l’on accepte que les motivations de l’individu sont endogènes et donc
influencées par ses croyances ou le contexte dans lequel il se trouve, la recherche
économique ne peut plus se définir en termes d’individualisme méthodologique mais doit se
situer dans une situation intermédiaire entre holisme et individualisme. Les comportements
humains ne deviennent intelligibles que pris dans le contexte qui a vu leur naissance. Ce qui
implique que l’objectif de la science économique n’est plus uniquement d’expliquer les
raisons qui poussent à l’action mais également d’expliquer comment les individus prennent
leurs décisions. La résolution des problèmes économiques implique alors de modéliser pour
comprendre plutôt que mathématiser pour résoudre. (Le Moigne 1995, p.151 ; Bejean et al.
1999, p.23).
Ce tableau présenté par [Roger Frydman (1995]33, reprend les définitions présentées par
[Herbert Simon, 1976] et les analyses effectuées par [Le Moigne, 1994]34. Il présente les
principales oppositions entre rationalité substantive et rationalité procédurale en reprenant
leurs inscriptions dans leurs philosophies respectives.
33 -‐ Frydman Roger. Sur l'opposition de la rationalité substantive et de la rationalité procédurale. In: Cahiers d'économie politique, n°24-‐25, 1994. Quelles hypothèses de rationalité pour la théorie économique? pp. 167-‐177. 34 -‐ Le Moigne Jean-‐Louis. Sur la capacité de la raison à discerner rationalité substantive et rationalité procédurale. In: Cahiers d'économie politique, n°24-‐25, 1994. Quelles hypothèses de rationalité pour la théorie économique? pp. 125-‐159.
Tableau : Oppositions entre rationalité substantive et rationalité Procédurale
Substantive Procédurale I: Définitions
Comportement rationnel lorsqu'il approprié à l'accomplissement de buts donnés dans les limites et les contraintes donnés. La rationalité qualifie les résultats du choix pour des conditions et un critère donnés Elle se juge en matière d'adéquation des résultats
Lorsqu'il est le résultat d'une procédure appropriée. Cette procédure dépend du raisonnement qui l'engendre. La rationalité qualifie un processus de choix ou la recherche du mode de détermination de bonne façon d'agir: les conditions du choix font l'objet d'une recherche. Elle se juge en termes de correction de la procédure cognitive
II: Disciplines Economie Sociologie
Psychologie Sciences cognitives Sciences morales Logique
III: Cadres cognitifs et Logique: Raison et Raisonnement
Descartes Logique: art de bien déduire
Vico Méthode: art de bien raisonner
Connaitre c'est déduire Comportement déductif: Calculer Déduire Démontrer Raisonnement Syllogistique Algorithme Vérification Rationalisme Raison unanime
Agir, C'est conduire des connaissances Comportement cognitif: explorer les procédures de la pensée argumenter et délibérer Raisonnement dialectique ou rhétorique Heuristique Stratégie de recherche Constructivisme Inventer Pluralité des raisons
4- Limites de l’approche en termes de rationalité procédurale.
L’analyse simonienne de la rationalité enrichit la théorie économique à bien des
égards. Elle permet une prise en compte des limites temporelles et cognitives au processus
de prise de décision. Elle opère ainsi un dépassement vis-à-vis de la rationalité substantielle
sans toutefois la remettre totalement en question. C’est ainsi que pour Simon, la rationalité
substantielle est un cas particulier de la rationalité procédurale. En insistant sur le réalisme
des hypothèses comportementalistes, il permet d’introduire dans l’analyse des décisions
individuelles de nouveaux concepts tels que les institutions, les normes, les conventions.
Cependant certains économistes ont formulé des critiques à l’encontre de la
rationalité procédurale. Parmi les plus importantes, on retrouve celle initiée par Milton
Friedman qui rappelle que l’objectif des sciences sociales explicatives est d’expliquer des
phénomènes sociaux complexes et non les comportements des individus. A ce titre, l’analyse
économique n’a pas besoin des hypothèses psychologiques les plus fidèles mais juste
d’hypothèses simples mais plausibles. Cela explique par exemple la réception limitée des
travaux de psychologie comportementale en économie. Une autre critique adressée à
l’analyse simonienne concerne la capacité d’innovation des agents. Simon assimile les
individus à des « systèmes artificiels » qui sont conditionnés par des routines. Ainsi en
voulant se défaire du processus de mécanisation qui caractérise la maximisation de l’utilité, il
fait de l’individu un automate qui suit des routines. La mécanique de la maximation de
l’utilité est remplacée par la mécanique des routines qui caractérise les procédures internes.
Se pose alors la question du dépassement de ces routines et surtout de la manière dont est
déterminé le niveau de satisfaction que l’individu suit pendant son processus de décision. La
critique de Simon à l’encontre de l’analyse néoclassique sur l’utilisation d’hypothèses ad hoc
lui être ainsi retournée.
Par ailleurs, l’analyse simonienne pèche également dans son articulation entre
analyse microéconomique et analyse macroéconomique. En considérant l’hypothèse de
niveau de satisfaction des agents, on s’interroge sur les procédures qui déterminent les
actions au niveau collectif. Si les individus suivent des processus internes, il vient qu’au
niveau collectif leurs comportements suivent les règles collectives. Dès lors, le risque serait
de considérer que les règles collectives influencent les routines et les processus individuels,
ce qui à terme pourrait nous ramener à une rationalité individuelle qui serait déterminée non
plus par les procédures internes mais par des conditions externes au niveau collectif. On
retomberait dans un paradigme externe à l’instar de celui qui caractérise la rationalité
substantielle.
Bien que la théorie simonienne de la rationalité soit satisfaisante, elle présente quelques
points faibles. Elle a surtout fait progresser l’analyse en ce qui concerne le réalisme des
hypothèses comportementalistes et la nécessité d’une interdisciplinarité en sciences
économique. Herbert Simon a posé les bases d’une science économique ou les organisations
occupent une place centrale qui jusqu’à lors a été occupée par le marché.
C- La Rationalité chez Raymond Boudon
L’analyse de la rationalité proposée par Boudon s’inscrit dans la suite des précédents
travaux sur la rationalité (Simon, Néoclassique, limitée...). En distinguant les situations
auxquelles doit faire face un sociologue ou un économiste, il met en exergue le fait qu’il
n’existe pas de rationalité « absolue » : toutes les théories de la rationalité qui se sont
développées ont leur importance car elles analysent des situations différentes. Pour ce faire,
il va donc compléter la typologie pré existante en y adjoignant deux autres types de
rationalité : la rationalité cognitive et la rationalité axiologique, qui selon lui, sont plus
adaptées à rendre compte de la variété et de la complexité des processus de décisions des
individus.
1- Critique de la rationalité standard et de la rationalité limitée
Bourdon reconnait qu’il existe une grande variété de situations dont l’analyse grâce à la
rationalité substantielle est convaincante. Il évoque ainsi Alexis de Tocqueville dans l’ancien
Régime lorsque ce dernier étudie les différences macroscopiques entre la France et
l’Angleterre à la fin du 18e siècle. Pour Boudon, Tocqueville prête à ses acteurs une
rationalité standard et montre ainsi que les propriétaires fonciers à l’époque étaient obligés
de raisonner en termes de charges et de coûts car l’information leur était facilement
accessible. De même Boudon évoque Root35 lorsqu’il étudie les déterminants de la politique
agricole en France et en Angleterre.
Toutefois bien qu’elle s’avère utile à rendre compte de certaines situations, la rationalité
standard montre ses limites vis-à-vis d’autres situations. Bourdon évoque à juste titre les
travaux de [M. Allais ,1953] ou encore le paradoxe classique du vote. Ce paradoxe explique
qu’en prenant comme postulat de départ que les individus sont dotés de la rationalité
standard, on ne comprend pas pourquoi ces derniers votent puisqu’ils sont conscients que
leur vote n’a qu’une infime chance d’influer sur le résultat. Ce paradoxe a conduit certains
économistes à adopter une attitude de renonciation selon laquelle les comportements
humains doivent s’expliquer de façon rationnelle dans certains cas et sinon de façon
irrationnelle.
De même en considérant la rationalité limitée, Boudon insiste sur le fait que cette nouvelle
approche de la rationalité se démarque de la précédente par le fait qu’elle tente d’intégrer les
motivations qui sous-tendent les décisions des agents lorsqu’ils sont dans des organisations.
Autrement dit, « l’acteur social cherche à obtenir, non pas les résultats les meilleurs, mais les
plus satisfaisants ».36 Pour Boudon, l’assouplissement que Simon fait subir à la rationalité
standard aboutit à l’idée que la rationalité comporte parfois une dimension cognitive
essentielle. Toutefois, bien que cette rationalité limitée constitue une évolution dans l’étude
du processus de décision des agents, pour Boudon elle permet surtout d’ouvrir de nouvelles
perspectives de recherche sur le rôle des capacités cognitives dans la théorie des choix
individuels. Plus encore, elle introduit des questions qui s’adressent tout particulièrement au
psychologue et au sociologue cognitifs. D’où la nécessité d’une approche qui met au centre
de l’analyse les processus cognitifs.
2- La rationalité Cognitive
Boudon propose d’aller au-delà de l’analyse de Simon sur la rationalité procédurale
qui pour lui ne tire sa spécificité que du fait qu’elle considère que les individus doivent faire
face à un déficit d’information. Pour lui, il existe donc des situations dans lesquelles les
individus sont incapables de définir de façon objective quelle solution serait la meilleure. Ils
ont donc recours à une théorisation du problème auquel ils doivent faire face : ils 35 -‐ Root H. L, La construction de l’état moderne en Europe : la France et l’Angleterre, Paris, PUF, 1994. 36 -‐ R. Boudon, Au-‐delà de la rationalité limitée ?, dans Environnement et société, 1996, n°17, p. 91.
déterminent un système de raisons qui leur parait satisfaisant eu égard au problème qui leur
est posé. Boudon assimile ainsi les individus à des scientifiques qui auraient besoin d’une
théorie, qui va plus loin que la prise en compte des seules capacités cognitives, et qui doit
être soutenue par des motivations fortes, fussent-elles intuitives.
A l’instar du scientifique, les individus, en choisissant une théorie, sont convaincus que
cette dernière est soutenue par des raisons qui à leurs yeux leurs apparaissent comme fortes.
Boudon retrouve ici l’un des postulats d’Emile Durkheim, à savoir, que les théorisations du
« primitif » obéissent aux mêmes ressorts que celles du savant.37 Autrement dit, la croyance
s’explique par le fait qu’elle fasse sens pour celui qui l’endosse, tout en sachant que ces
raisons peuvent être invalidées et remplacées par d’autres en fonction de l’expérience et du
contexte cognitif, en l’occurrence.
Ainsi, en fonction des situations, les individus déterminent une théorie sur la base des
raisons qui, à ce moment leur paraissent fortes. C’est ce que Boudon qualifie de « rationalité
Cognitive ». Elle s’appuie sur l’idée que l’action des individus ne saurait être simplement
analysée dans un contexte d’informations insuffisantes. Il faut également tenir compte des
motivations de l’action qui selon Boudon, se trouve dans la formulation d’une théorie sur la
base de raisons fortes reposant sur les capacités cognitives des individus. Même si ces raisons
peuvent s’avérer fausses, le plus important demeure la conviction que l’individu possède
vis-à-vis d’elles. Et c’est cette conviction qui crée la certitude nécessaire à toute action pour
un individu.
Cette rationalité cognitive permet d’analyser un grand nombre de situations. Elle
tient compte des spécificités cognitives des individus qui font que face à une même situation
les motivations de l’action ne seront pas forcément les mêmes. Elles évoluent en fonction du
contexte et du problème posé et peuvent être influencées par des croyances collectives qui
apparaissent ici comme des raisons fortes et partagées par tous. Cette rationalité présente
aussi l’avantage de ne plus considérer l’individu comme un être a-social qui n’entrerait pas
en relation avec les autres membres de son environnement.
Contrairement à la rationalité standard, on n’entrevoit ici facilement l’idée d’une coopération
entre les individus. En effet, les travaux d’Axelrod38 sur une situation de dilemme du
37 -‐ op. cit. p. 94 ; Levy-‐Bruhl, Durkheim and the scientific revolution , in Horton R. Finnegan, modes of thought, London, faber,1973.; R. Boudon, L’art de se persuader, (1990), Paris, Fayard/Le Seuil, Coll. “Points”, 1992. 38 -‐ R. Axelrod, The Evolution of cooperation, Harmondsworth, Penguin, 1990, trad. Fr. M. Garène, donnant: une théorie du comportement coopératif, Paris, O. Jacob, 1992; Article Boudon, op. Cit., p.98.
prisonnier répétée, montrent que les résultats le plus souvent obtenus sont la coopération.
Les individus, dans certaine situation évaluent les différentes alternatives qui leurs sont
proposées tout en ayant la conviction que l’autre aura le même raisonnement et choisira
l’option la moins pire et la plus avantageuse pour les deux. Boudon montre ainsi que la
rationalité cognitive permet de distinguer la rationalité à court et à long terme. A court
terme, la rationalité standard peut être efficace pour analyser certaines situations mais dans
des situations à répétition, les individus doivent choisir entre minimiser X ou maximiser Y et
la rationalité standard n’apporte pas d’éléments de réponse à ce sujet. Seule la rationalité
cognitive permet d’expliquer quelles raisons pour l’individu à adopter une stratégie ou une
autre avant de définit quels sont les meilleurs moyens de l’atteindre.
3- La rationalité Axiologique
A côté de la rationalité cognitive Boudon distingue la rationalité axiologique qui pour lui se
démarque des précédentes conceptions « instrumentales » de la rationalité. La rationalité
axiologique indique qu’on ne saurait toujours ramener un choix ou une décision à des
considérations « instrumentales ». Autrement dit, il existe des situations ou l’action et la
décision sont guidées par des principes plutôt que les conséquences qu’elles risquent
d’entrainer.
La rationalité axiologique permet ainsi d’apporter une explication satisfaisante à des
phénomènes face auxquelles les « autres rationalités » ont montré leurs limites. C’est le cas
par exemple du paradoxe du vote. Loin des analyses reposant sur le pari de pascal39, ou des
analyses en termes de couts sociaux de l’abstention40, le paradoxe du vote peut s’expliquer
grâce à la rationalité axiologique de la manière suivante : « Les gens ont des raisons de croire
que la démocratie est un bon régime. Les élections ont pour but de faire que les gouvernants tiennent
compte de la volonté du public. Ce résultat n’est pas assuré, mais il est plus probable dans ce type de
régime. Les élections sont donc une bonne chose. Si personne ne vote, cette bonne chose cesserait
39 -‐ Ferejohn, J.A., Fiorina M.P., the paradox of not voting: A decision theoric analysis, the American political science rev.68, 2 Juin 1974, pp.525-‐36. 40 -‐ E. Overbye, Making a case for the rational, self-‐regarding, « ethical voter »… and solving the « paradox of not voting » in the process, European Journal of Political Research, 27, 1995, pp. 369-‐96.
d’exister. Il faut donc que chacun vote. Mon abstention n’a aucun effet sur le nombre de votants ; elle
est sans conséquence. Mais elle contredit le principe * il faut voter * »41.
Cette approche de la rationalité suppose donc qu’il existe des principes forts qui
peuvent pousser les individus à rejeter les principes qui guident la rationalité standard. Cette
approche de la rationalité rompt avec le paradigme de la rationalité instrumentale et s’écarte
des bases du pragmatisme. L’apport principal de Boudon est de développer une autre
caractérisation de la rationalité et de montrer qu’elle n’est pas unique et que toutes les
rationalités sont valables mais dépendent des situations auxquelles elles s’appliquent.
Toutefois, toutes les différentes approches de la rationalité bien que différentes se rejoignent
en cela qu’elles offrent des explications rationnelles des actions humaines. Il apparait
clairement que les individus agissent par habitudes mais des habitudes qui sont sous
tendues par des raisons fortes propres à chaque individu ou à chaque société à laquelle ils
appartiennent.
La principale conclusion à retenir est donc qu’il existe plusieurs formes de rationalités et que
les implications de celle que l’on retient pour étudier les phénomènes économiques ou
sociaux conditionnent les résultats que l’on va obtenir.
*****
Deuxième partie : Rationalité et capitalisme
La différence entre rationalité substantielle et rationalité procédurale cristallise les
divergences qu’il peut y avoir sur l’approche des études sur le capitalisme. Comme nous
l’avons montré, chacune de ces théories est caractérisée par un paradigme qui conduit à ce
que la rationalité soit définie suivant des critères externes ou internes à l’individu. Ce sont
donc ces mêmes paradigmes, au cœur des études sur le capitalisme, que nous allons mettre
en lumière dans les prochaines sections. En effet, il s’agira de montrer que le type de
rationalité que l’on prête à l’individu est déterminante dans le passage à la rationalité
collective et donc à l’articulation entre niveau micro et macroéconomique. Elle fonde
également toutes les perspectives pour un éventuel programme de recherche. Ainsi
l’approche en termes de rationalité substantielle conduit les auteurs néoclassiques à
déterminer une action rationnelle en fonction de la cohérence vis-à-vis des objectifs qu’il
poursuit. A l’opposé, l’approche en termes de rationalité procédurale met l’accent sur les
41 -‐ R. Boudon, Op. Cit. , p.104.
processus internes mis en œuvre par l’individu pour aboutir à la décision. Nous verrons
donc concernant les analyses du capitalisme, que la première approche met au centre de la
dynamique du capitalisme l’importance de la concurrence tandis que la seconde s’intéresse
d’avantage aux institutions et donc aux capacités d’innovation des agents. Par la suite, nous
montrerons que bien que ces deux approches semblent différentes, elles se rejoignent sur une
même caractérisation du comportement de l’individu, à savoir la décision comme finalité de
l’action individuelle. Toutefois, nous verrons qu’il est possible de dépasser cet « écueil »
notamment au travers de la théorie des « routines » qui ancrent l’action individuelle sur les
instincts et les aptitudes acquises au fil du temps et qui se transmettent et se transforment
dans la société en fonction de l’évolution des circonstances.
A- Le capitalisme
Le capitalisme tend à désigner un mouvement plus large de tout le système économique
qui peut être résumé par les points suivants :
- La séparation entre le domaine politique et la sphère économique
- La prédominance des droits de propriété
- l’incertitude qui entoure l’activité de production
- La prédominance des marchés comme mécanisme de coordination de l’activité
économique et l’activité économique qui est la résultante involontaire de la
concurrence entre les entrepreneurs
A cette définition formelle, on peut adjoindre une définition plus structurelle qui permet de
mieux préciser le fonctionnement d’une économie ou d’un système capitaliste :
- Les relations de marché ne peuvent pas être le mécanisme exclusif d’allocation des
ressources, mais leur logique est omniprésente dans l’ensemble du système
économique de telle sorte que la concurrence entre des unités indépendantes devient
le principal moteur de l’activité économique
- Une fraction significative de la population active est enrôlée dans des relations
capital-travail qui organisent une relation de pouvoir entre les entrepreneurs et les
salariés.
- L’interaction entre la concurrence sur le marché des produits et la nature
conflictuelle des relations capital-travail induit une pression générale pour toute
unité individuelle d’accumuler. Par conséquent, l’accumulation devient la loi de
mouvement de toute économie capitaliste.
Suivant ces définitions du capitalisme, il en découle que le contexte économique mondial
nous offre une large variété de types de capitalisme et plus encore, en fonction de la
définition que l’on retient d’un système capitaliste, il en suit que certains pays comme la
Chine ou la Russie peuvent être considérés ou pas, comme des économies capitalistes.
L’ensemble des études du capitalisme montre non seulement son extrême diversité
mais aussi la richesse et la variété des analyses qui l’entourent, parfois contradictoires et qui
bien souvent tendent à déconnecter l’économie de son contexte social, politique voire
culturel. L’un des écueils à éviter dans l’analyse du capitalisme consiste à l’assimiler au tout
marché et au capital. Le marché ne constitue en effet qu’une modalité de coordination de
l’activité économique tandis que
Ainsi, l’analyse seule du marché ne peut suffire à épuiser l’étude du capitalisme ni en
expliquer l’essence ou le fonctionnement. Il convient d’introduire dans l’analyse l’ensemble
des institutions politique et sociales ainsi que les conventions qu’elles établissent entre elles.
Plus encore il convient d’étudier le capitalisme dans sa diversité car les différences entre les
pays ne sont pas de l’ordre du détail.
1- Les fondements du capitalisme.
• Les conditions d’émergence
Le développement du capitalisme trouve sa source dans l’instauration du droit de
propriété sur les biens de production et de consommation. Bien que depuis l’antiquité déjà,
les artisans possédaient leurs outils de production, le système capitalisme apparait dès lors
que le propriétaire des moyens de productions ou des outils de production, les met à
disposition d’une tierce personne pour réaliser l’activité de production. A ce titre, l’essor du
capitalisme est profondément lié à l’extension du salariat. Pour que soit complète la logique
capitaliste, à la propriété privée des moyens de production doit être associée la liberté
économique qui comprend la liberté d’entreprendre et la liberté d’échange42.
La logique capitaliste repose donc sur le principe de l’accumulation de la richesse. Pour
cela, l’entrepreneur capitaliste investit son capital dans une activité afin que celle-ci lui
rapporte un profit. Le système capitaliste serait donc une sphère « vicieuse », dans laquelle
42 -‐ La liberté économique, instituée en France par Turgot (1774), a été réaffirmée sous la Révolution Française. Ce principe sert de fondement à ce que l'on appelle l'économie de marché, dans laquelle la loi de l'offre et la demande fixe les variations du prix.
toute la richesse qui est créée, devrait être réinvestie. Les fondements de ce système
reposeraient sur l'accumulation continue du capital. Le profit est inlassablement transformé
en capital productif pour générer du profit. Cette accumulation du capital ne devient
cependant possible qu'avec le développement de l'esprit d'entreprise (c'est-à-dire avec le
développement d'un système de valeurs justifiant le profit et stimulant son
réinvestissement). Max Weber a ainsi souligné que le protestantisme (associant puritanisme
et recherche de la réussite), avait sans doute favorisé dans les pays d'Europe du Nord
l'émergence d'une classe d'entrepreneurs capitalistes.
L'essor du capitalisme repose également sur une capacité à utiliser et à susciter de façon
permanente le progrès technique et scientifique. Ce qui a donné une grande place aux
machines et au facteur capital. Joseph Schumpeter met en avant l'innovation, qui donne
selon lui, une certaine dynamique au capitalisme. L'innovation provoque aussi bien la
création d'activités nouvelles que le déclin d'activités anciennes. Elle est le rouage essentiel
du développement du capitalisme.
Le capitalisme a donc été rythmé par les révolutions industrielles et techniques43 ainsi
que les évolutions de l’organisation des formes du travail, à l’instar du taylorisme et du
fordisme qui ont permis de mettre en place une nouvelle forme de rapport salarial qui s’est
généralisée dans les pays capitalistes du nord et qui a permis la synchronisation de la
production et de la consommation de masse, clé de voute du mode de régulation et du
régime d’accumulation fordiste.
• La concurrence comme fondement du capitalisme
Avant de s’intéresser à l’approche qui caractérise la dynamique du capitalisme par la
concurrence, il est important de préciser la relation qui peut exister entre capitalisme et
concurrence.
L’histoire du capitalisme moderne commence avec l’instauration de la propriété
privée et l’institution de la monnaie. La propriété privée autorise les individus à disposer
librement de leurs biens et donc favorise l’instauration d’échanges marchands que la mise en
place de la monnaie facilite par la suite. A ce titre, on peut affirmer que la concurrence vient
naturellement comme une condition de l’essor du capitalisme. On peut donc dire, à juste
titre, qu’entre autres facteurs de l’émergence du capitalisme, nous avons l’instauration de la
propriété privée, la monnaie, les marchés et la concurrence.
43 -‐ Les révolutions industrielles peuvent être regroupées en quatre domaines : l’énergie, les matériaux, les machines et les transports.
Le capitalisme peut donc être défini comme une manière particulière d’organiser les
échanges et de penser la vie économique d’une société. Aussi pour rendre compte de
manière plus exhaustive des conditions économique de l’essor du capitalisme, on peut ainsi
résumer à la suite de Jean Baechler44 les différentes conditions nécessaires à la naissance
d’une économie capitaliste : les marchés, les capitaux, les sciences et les techniques, les
entrepreneurs, les travailleurs et les consommateurs. De cette analyse, deux éléments
importants sont retenir :i) l’importance des acteurs qui animent le système et ii) la relation
qui lie ces acteurs avec la société.
Si les économistes s’accordent presqu’à l’unisson sur la place primordiale de la concurrence
dans un système capitaliste, surtout du fait de la centralisation des échanges sur le marché et
de la propriété privée des biens, à priori, il n’existe pas de consensus sur la dynamique
même du capitalisme. Pour un grand nombre d’auteurs la dynamique du capitalisme repose
sur la concurrence et met au cœur de l’analyse le marché qui agirait comme un outil de
sélection entre les différents acteurs sur la base de l’efficacité de leurs actions. A l’inverse,
d’autres auteurs insistent sur l’importance de l’innovation qui certes peut être stimulée par la
concurrence, mais qui ne conduit pas inéluctablement à réaffirmer l’importance de la
concurrence et qui insiste sur la place des institutions afin de créer un cadre propice à
l’activité économique. On retrouve l’un des points de clivage entre rationalité substantielle et
rationalité procédurale qui est la relation entre les décisions individuelles et
l’environnement collectif ou encore le débat entre individualisme et holisme.
2- La dynamique du capitalisme
II-2-1- La concurrence comme dynamique du capitalisme : le capitalisme comme économie
de marché.
La concurrence comme dynamique du capitalisme trouve son origine dans la place
centrale de la théorie des marchés dans l’analyse économique. En effet, la rationalité
substantielle pose que les individus sont guidés par le but qu’il poursuive, en l’occurrence, la
satisfaction de leurs besoins. Or les besoins ne sont satisfaits que par le biais de l’échange et
de la consommation dont les produits s’obtiennent par l’échange sur les marchés. Comme
mentionné précédemment, les actions individuelles sont déterminées par les conditions
externes de l’échange. Les théories de l’échange sur les marchés posent comme condition
sine qua non la concurrence comme mode de fonctionnement. Autrement dit, la rationalité
individuelle implique que les actions des individus sont déterminées par les conditions de
44 -‐ Baechler Jean, L’économie capitaliste, Tome II, Coll. folio/Histoire, Gallimard, 1995
fonctionnement du marché, autrement dit par le degré de concurrence sur les marchés. Il
vient donc logiquement que le capitalisme comme système économique dépend également
de l’ensemble des décisions des agents et donc de la concurrence qui règne sur les marchés.
La logique d’un capitalisme motivé par la concurrence oblige à penser une économie
dans laquelle il n’existe aucune entrave à l’échange, autrement dit une économie de libre
échange et de libre circulation des biens et services. Cette économie implique également que
l’efficacité du marché est garantie par le libre jeu de l’offre et de la demande qui assure
l’équilibre du marché. On retrouve ici les cinq conditions de la concurrence pure et parfaite45
qui sont à même de permettre aux individus de prendre leurs décisions dans un
environnement ou l’information serait parfaitement accessible.
Cette concurrence concerne aussi bien l’accès à l’information pour les agents que la
concurrence des différentes firmes sur le marché. Dans cette logique les agents sont guidés
par la recherche de l’efficacité de leurs actions. L’efficacité devient par la même le facteur de
sélection entre les agents et les activités. Car tout le système évolue selon cette dynamique de
recherche d’efficacité. C’est également cette logique de recherche d’efficacité motivée par la
concurrence qui a conduit à étudier la variété des capitalismes comme une concurrence entre
ses différentes formes mais surtout à envisager le changement institutionnel comme
l’évolution du système vers une forme plus efficace. C’est aussi cette logique qui au cœur de
la théorie de la convergence des capitalismes.
Ainsi la rationalité substantielle implique de penser l’économie comme un système de
marchés dans lequel les individus ne s’intéressent pas aux motivations de leurs actions mais
juste à la fin qu’ils visent. Mais dès lors que l’on se détache de ce paradigme de la rationalité
substantielle on se détache également de cette vision de l’économie et du capitalisme, on
entrevoit de nouvelles perspectives de recherches et une autre vision du capitalisme voire de
la science économique. C’est ainsi que l’approche en terme de rationalité procédurale permet
d‘introduire dans l’étude du capitalisme les institutions comme des facteurs guidant et
encadrant les décisions individuelles. Ce qui tend à réaffirmer le capitalisme comme un
élément dépendant des facteurs d’évolutions de la société.
• Distinction entre Capitalisme et économie de marché : le capitalisme comme
réalité historique
Comprendre et étudier le capitalisme passe nécessairement par une compréhension du sens
que revêt aujourd’hui le marché. Comme évoqué dans la section précédente, le capitalisme a
45 -‐ l’atomicité, la libre circulation, la liberté d’entrer sur le marché, l’homogénéité des produits, la libre circulation des facteurs de production.
souvent été associé à l’économie de marché d’où de nombreuses théories qui n’ont pu
épuiser les questions sur son fonctionnement ni expliquer les crises récurrentes de celui-ci,
encore moins les raisons pour lesquelles il a si souvent changé de formes au cours de
l’histoire. En effet, la grande variété des qualificatifs associés au capitalisme (marchand,
financier, industriel,….) témoigne non seulement de la constante mutation du capitalisme,
mais loin de ne signifier que des transformations de celui-ci, elle témoigne de la relation
profonde qui lie le capitalisme à l’histoire du marché et plus encore comme le précise F.
Braudel46, à l’évolution de la vie matérielle des sociétés.
Le capitalisme ne contient pas l’économie pas plus qu’il ne contient le marché. Le
marché précède le capitalisme qui lui-même découle de l’évolution de la vie matérielle.
Mieux encore, l’existence du marché est une condition préalable à l’apparition du
capitalisme. : « Il s’en faut même que ce capitalisme qu’on dit d’ordinaire marchand saisisse,
manœuvre dans son ensemble l’économie de marché, bien que celle-ci soit sa condition préalable
indispensable »47.
Pour Braudel, les activités économiques sont compartimentées en différents niveaux qui vont
de la simple vie matérielle aux activités capitalistes en passant par l’économie de marché. Le
capitalisme tend donc à désigner à l’origine les activités qui diffèrent des activités
traditionnelles du marché. L’usage du terme capitalisme dans son sens large date du début
du XXe siècle avec selon F. Braudel, la parution en 1902 du livre de Werner Sombaert, Der
moderne Kapitalismus.
Dans son acception courante aujourd’hui, le capitalisme tend à désigner un ensemble plus
large, un système économique. Mais pour comprendre la signification profonde du
capitalisme et de ce qu’il désigne, il faut le replacer entre les deux mots qui lui donnent son
sens : à savoir le capital et le capitaliste. Cette phrase de F. Braudel éclaire admirablement ce
qui pour nous est l’essence même du capitalisme : « Le capital, réalité intangible, masse de
moyens aisément identifiables, sans fin à l’œuvre ; le capitaliste, l’homme qui préside ou essaie de
présider à l’insertion du capital dans l’incessant processus de production à quoi les sociétés sont toutes
condamnées ; le capitalisme c’est en gros (mais en gros seulement) , la façon dont est conduit, pour des
fins peu altruistes d’ordinaire, ce jeu constant d’insertion »48.
Autrement dit, le capitalisme désigne la relation qui se noue entre le capital, le capitaliste (le
possesseur des moyens de productions et/ou du capital) et l’économie de marché.
46 -‐ Braudel Fernand, la dynamique du Capitalisme, Paris Arthaud, 1985 47 -‐ Op. Cit., p.44 48 -‐ Op. Cit; p.85
Pour Braudel, il existe différents niveaux d’échange sur les marchés et le capitalisme
intervient au niveau du marché ou « contre-marché ». Il fuit la zone réglementée du marché,
d’où son attirance pour les échanges internationaux depuis l’origine. Le capitaliste est donc
à la recherche des meilleures alternatives économiques afin de fructifier son capital. Ce qui
explique que le capitalisme suit la dynamique du marché et de l’économie. Le capitalisme est
donc apparu lorsque l’activité économique a nécessité l’introduction d’importants moyens
financiers, lorsqu’elle était suffisamment organisée. Aussi les différentes formes prises par le
capitalisme au cours de l’histoire ne reflètent donc que les évolutions des activités du
marché. Le capitalisme suit l’évolution du marché même si leurs évolutions conjointes
peuvent laisser penser que le capitalisme entraine le développement du marché : le
développement de l’économie de marché et du capitalisme est l’essor de la vie matérielle, de
la société, autrement dit de la civilisation.
Pour se développer le capitalisme a besoin d’une stabilité afin de permettre aux
capitalistes d’accumuler de la richesse. Il a besoin de la complicité active de la société, plus
encore, il faut que le contexte social soit propice aux idées qui donnent naissance au
capitalisme. Le capitalisme se nourrit des hiérarchies sociales et il est à l’intersection des
relations qui se lient entre les différentes sphères de la société : l’économique, le politique, le
culturel, le social hiérarchique. Il est une conséquence de l’ordre social, de la civilisation.
II-2-2-L’innovation comme dynamique du capitalisme
• Innovation et institutions
Nous avons vu que la dynamique d’un capitalisme motivé par la concurrence conduit à
ôter toutes les contraintes ou barrière à un libre fonctionnement du marché. Autrement dit,
la concurrence appelle la concurrence afin de laisser les mécanismes équilibrants du marché
fonctionner librement. Dans cette optique, le marché se suffit à lui-même et n’a nul besoin de
facteurs externes pour compléter son fonctionnement. Las actions individuelles dépendent
donc des conditions sur les marchés. La logique d’un capitalisme stimulé par la concurrence
obéit au même paradigme que la rationalité substantielle. A savoir que seule la recherche de
l’efficacité est déterminante dans le fonctionnement de l’économie et dans les décisions des
individus.
A l’opposé, la rationalité procédurale telle que définie par Simon met l’accent sur les
organisations et la manière dont les individus interagissent avec le milieu dans lequel ils
évoluent. Roger Frydman49 montre ainsi à la suite de Jean-Louis Le Moigne50, qu’une science
économique où les individus sont dotés d’une rationalité substantielle conduit à faire du
monde un système de marchés tandis que la rationalité procédurale emmène à le considérer
comme une population d’organisations.
Cette conception de la société permet d’insister sur l’importance des formes d’innovation des
individus qui doivent sans cesse trouver la solution la plus adéquate par rapport à un
contexte donné et évolutif. Et surtout dans un environnement qui est à la fois donné et
conséquence de leurs actions, toute la stratégie des individus est alors de rechercher un
moyen satisfaisant de combler leurs besoins et de prendre leurs décisions. La recherche de
l’innovation est ainsi la seule alternative de survie pour les acteurs économiques qui doivent
faire face à la concurrence qui caractérise les échanges et l’activité économique.
Cependant, contrairement à une économie ou la concurrence occupe la place centrale, ici
l’innovation ne conduit pas à un renforcement de la concurrence mais plutôt à une
apparition de formes de monopoles. C’est ce que Schumpeter décrit dans son ouvrage
Démocratie, socialisme et capitalisme51, et qu’il résume sous le qualificatif de processus de
destruction créatrice. Il montre que l’activité économique est rythmée par l’innovation qui
agit comme facteur de sélection entre les activités économiques et les agents mais surtout il
démontre que pour être stimulée l’innovation a besoin d’institutions qui doivent permettre
aux « innovants » de jouir des fruits de leurs « inventions ». C’est le rôle des brevets par
exemple qui ne peuvent être garantis que par le biais de l’Etat. Ainsi pour Schumpeter la
concurrence entre les agents conduit au processus d’innovation qui lui-même est dépendant
des institutions telles que l’Etat qui créent les conditions de monopole. Ainsi, l’innovation
qui stimule le capitalisme va de pair avec les institutions qui créent les conditions pour le
stimulus de l’innovation et les instituions qui régissent les relations des individus dans les
organisations auxquelles ils appartiennent.
3 - La rationalité du capitalisme
Avec son ouvrage «l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme » publié en 1905,
Max Weber est l’un des auteurs qui a le mieux décrit la transformation de la société moderne
49 -‐ Op. Cit 50 -‐ Op. Cit 51 -‐ Schumpeter Joseph, Capitalisme, Socialisme et démocratie, Trad. Par Gaël Fain, Bibliothèque Historique, Fayot, 1990.
et exposé les origines du capitalisme en insistant sur la rationalisation des activités
économique et sociales et la bureaucratie.
La rationalisation est un processus des sociétés occidentales qui prône l’extension de
la rationalité à l’ensemble du monde social aussi bien au niveau de l’entreprise que des
administrations ou même de l’activité syndicale. Les sociétés modernes sont donc des
sociétés rationnelles au sens où elles n’accordent que peu de place aux croyances ou aux
mythes.
La rationalité quant à elle se caractérise par l’adaptation des moyens aux fins et est
consubstantielle au capitalisme. Le développement du capitalisme s’est ainsi accompagné
d’une rationalisation de l’activité économique. Le capitalisme peut donc être appréhendé
comme une rationalisation de l’instinct naturel qui consiste à faire des profits et chercher à
gagner toujours plus. Les entrepreneurs capitalistes et les opérations capitalistes, entendus
comme des opérations de calcul visant à faire fructifier un capital, ont existé dans presque
toutes les sociétés. Mais la particularité du capitalisme moderne réside dans la rationalisation
du travail « formellement libre ».
L’organisation rationnelle de l’entreprise est un autre élément important du
capitalisme. Elle se retrouve dans beaucoup de sociétés et n’est pas le propre du capitalisme
occidental. Elle est due à la séparation de la gestion domestique de l’entreprise et la
comptabilité rationnelle. Dans le cadre des sociétés modernes, Weber montre que l’on
accorde de l’importance aux calculs, aux prévisions, aux méthodes rigoureuses, aux
techniques de gestion, au droit qui codifie les relations et à la loi qui définit les principes
généraux. De là Weber distingue deux types de rationalité : une rationalité par rapport aux
fins et une rationalité par rapport aux valeurs.
En étudiant la relation et les motivations des individus dans la société moderne,
Weber dérive quatre types d’action dans une société moderne :
- L’action rationnelle par rapport à un but : l’acteur combine tous les moyens à sa
disposition pour atteindre le but qu’il vise.
- L’action rationnelle par rapport à une valeur : l’acteur accepte les risques non pas pour
atteindre le but le plus efficace mais agir en conformité avec ses croyances ou son idée
de l’honneur.
- L’action affective : dictée par l’état de conscience ou l’humeur du sujet.
- L’action traditionnelle : dictée par des croyances ou l’absence de signification donnée
par l’acteur à son action.
Le particularisme du capitalisme est qu’il crée ses propres structures sociales qui
reposent sur les conditions nécessaires à son émergence et à sa forme : la rationalisation du
travail en particulier a conduit à donner la forme actuelle des conflits sociaux et des
oppositions de classe. Le capitalisme modèle la société au travers de la capacité de travail
libre dans l’entreprise. L’émergence du capitalisme nécessite donc trois processus qui sont
autant d’étapes fondamentales qui sont :
-‐ La rationalisation du droit
-‐ La rationalisation des techniques
-‐ Les dispositions mentales des individus à adopter des modes de vie différents.
La société moderne serait donc caractérisée par un processus de rationalisation de
l’ensemble des activités et des comportements humains. Weber insiste cependant sur
l’importance de l’affect et de la tradition qui garde une influence vivace sur les actions
humaines.
B) Rationalité(s) et dynamique du capitalisme
1- Les rationalités concurrentes.
Jusqu’ici nous avons pu voir que le capitalisme se caractérise par un mouvement qui lui
est spécifique et des conditions nécessaires à son essor. Mais si à la suite de Fernand
Braudel nous venons à re-enchâsser le capitalisme dans le carcan de la civilisation, nous
pouvons dériver de nouvelles perspectives de recherche et de réflexion sur la dynamique du
capitalisme. Le capitalisme se caractériserait donc par un « éthos » particulier qui conduit les
acteurs à rechercher le profit avant toute autre chose. Une action serait rationnelle au sens
où elle serait conforme à un but. Mais si l’on considère que le capitalisme avec son « éthos »
particulier doive s’insérer dans une société, l’on en vient à s’interroger, à juste titre, sur la
compatibilité de cet « éthos » avec ce que l’on peut caractériser par « une rationalité
sociale ».
La société est un système dont le premier but de ses membres est d’assurer la survie de
l’ensemble. C’est à ce titre que le droit et la codification des règles occupent une place
primordiale dans l’organisation des sociétés modernes. Cet objectif conduit à faire en sorte
que les actions individuelles ne portent pas préjudice à l’objectif et au mouvement social
d’ensemble. A quel point la recherche de l’intérêt individuel est-elle compatible avec
l’intérêt commun ? Pour le dire autrement, la rationalité individuelle est-elle compatible avec
la rationalité collective ? Plus encore, le capitalisme en tant que mouvement d’ensemble
implique que les acteurs agissent rationnellement afin que la dynamique ne soit pas rompue.
Mais à quel point les agissements des acteurs sont-ils rationnels et ne portent–ils pas atteinte
à la survie du capitalisme ?
« Le capitalisme est un individu historique c’est-à-dire un ensemble complexes de relations
qui existent dans la relation historique et à partir duquel nous forgeons une unité
conceptuelle en l’abordant du point de vue de sa signification pour une culture donnée ».
L’analyse du capitalisme et de sa dynamique ne saurait faire l’économie d’une analyse de
contexte qui lui a donné naissance : la société. Les formes du capitalisme sont donc propres
aux sociétés et aux transformations que celles –ci subissent avec le temps. C’est à ce titre que
l’évolution du capitalisme a été rythmée par les grandes inventions et les grandes
découvertes scientifiques.
En convoquant la récente crise financière comme l’a fait Jacques Sapir52, on peut déduire
qu’il existe dans la société deux rationalités concurrentes dont les rapports déterminent la
nature des conflits sociaux et la dynamique du capitalisme moderne : une rationalité de court
terme et une rationalité de long terme. La rationalité de court terme est celle qui est conforme
à l’instinct capitalisme à savoir la recherche du profit et la rationalité de long terme est celle
qui est conforme à la reproduction du système, autrement dit c’est la rationalité collective
qui encadre la rationalité individuelle afin de garantir la survie de la société.
La crise de 2008 permis de tirer les enseignements sur l’importance des déterminants
collectifs de l’action individuelle en montrant que les capitalistes peuvent poursuivre leur
objectifs de profit tant qu’il n’est pas préjudiciable à la stabilité sociale. La dynamique
globale du capitalisme et ses crises sont donc déterminés par la tension qui existe entre la
recherche du profit à court terme et la cohésion de la vie sociale. L’un des enjeux majeurs
de notre société est donc de renverser le cours de l’histoire de nos sociétés car le capitalisme
financier a renversé l’ordre établi entre la rationalité capitaliste et la rationalité « sociale ».
Aujourd’hui ce n’est plus la société qui encadre la vie économique mais la vie économique
qui conditionne la vie sociale. Les valeurs humaines sont déterminées sur la base de la
réussite économique. Le profit n’est plus un moyen pour aider l’homme (subordonné à lui)
mais il devient l’objectif et le moyen d’évaluation de la vie.
2- Le paradigme de la rationalité du capitalisme
Si la tension qui existe entre rationalité de court terme et rationalité de long terme est une
constituante de la dynamique du capitalisme et de son évolution, celle-ci est renforcée par le
fait que le capitalisme est dépendant de la société et de ses évolutions.
52 -‐ Jacques Sapir, « Une décade prodigieuse. La crise financière entre temps court et temps long », Revue de la régulation [En ligne], 3/4 | 2e semestre/Autumn 2008
Le capitalisme doit être encadré par des lois sociales. Mais à côté de cela, il y a également
une tension qui existe à l’intérieur des individus concernant les motifs de leurs actions. Les
individus doivent opérer des choix mais pas toujours en connaissance de cause. Aussi, il est
nécessaire que les normes sociales prévalent sur l’économie et lui imposent ses règles afin
d’orienter les actions individuelles.
Adam Smith a ainsi montré que les individus sont mus par un instinct égoïste qui les
pousse à rechercher leurs intérêts avant toute chose. Et que cet instinct était bénéfique pour
l’activité économique. Dans les sections précédentes, nous avons détaillé les notions de
rationalité procédurale et de rationalité substantielle. Pour nous, la rationalité procédurale
présente plusieurs avantages théoriques et surtout elle est plus réaliste dans ses hypothèses
et dans ses développements. La rationalité procédurale se rapproche davantage de la
rationalité de long terme dans laquelle les actions individuelles ont des déterminants
collectifs tandis que la rationalité substantielle se rattache à la rationalité de court terme qui
est derrière les motivations égoïstes des acteurs économiques. Comme évoqué
précédemment, ces notions ne sont donc pas contradictoires mais complémentaires. Car le
passage de la rationalité substantielle à la rationalité procédurale permet de complexifier les
hypothèses sur l’environnement et de donner d’autres justificatifs à l’action humaine qui
n’est dès lors plus déterminée par un unique objectif.
C’est donc ce paradigme à l’intérieur du capitalisme qui amène à nombre
d’antagonismes à l’intérieur du capitalisme au cours de son histoire. J’en veux pour preuve
que le capitalisme occidental moderne qui a pris son essence avec la révolution industrielle.
Nous avons déjà pu constater que l’essence du capitalisme tenait de la liberté individuelle à
disposer de leurs biens. C’est cette disposition qui donne naissance au commerce et favorise
l’esprit d’entreprise. A cela nous devons rajouter la rationalisation des techniques et du droit
et la libre disposition des individus à offrir leur force de travail dans l’entreprise via le
salariat. Or, il est étonnant de constater que le capitalisme qui prend son essor à cette
période ne se soit pas accompagné de ce que l’on pourrait qualifier de « rationalité
anthropologique ». En effet, durant cette période la dynamique du capitalisme a été
entretenue par l’esclavage. Cet antagonisme permet d’illustrer à juste titre la dynamique du
capitalisme que l’on peut résumer par une double tension aussi bien dans les motivations de
l’individu et dans le fonctionnement du capitalisme et les normes de la société dans laquelle
il se déploie.
3 - Limites de la rationalité individuelle du capitalisme
Nous avons pu voir que la rationalité du capitalisme peut être comprise selon l’approche
néoclassique qui met l’accent sur la finalité de l’action ou selon l’approche d’Herbert Simon
en termes de rationalité procédurale qui insiste sur les institutions. Bien que ces deux
approches se distinguent notamment par les effets que peuvent induire la concurrence, elles
se caractérisent toutes deux par un même paradigme, celui du choix comme finalité de
l’action individuelle. Qu’il s’agisse de rationalité substantielle ou de rationalité procédurale,
l’individu reste motivé par le choix. Tous les processus cognitifs volontaires ou involontaires,
tous les calculs qu’il met en œuvre, sont orientés vers le choix qu’il s’agisse de l’alternative la
plus « utile » (maximisatrice de l’utilité) ou la plus satisfaisante.
L’individu demeure ainsi orienté par la perspective d’un choix. Ces deux approches
laissent peu de place aux actions habituelles et aux habitudes qui peuvent motiver les actions
humaines. Or, les productions de biens et services, les décisions de gestion, d'embauche,
d'investissement, la fixation des marges et des prix, la mise sur le marché, etc., se font la
plupart du temps de façon routinière, et sont ainsi largement analysables comme des
pratiques établies, des règles techniques, des procédures, des modes d'organisation, des
habitudes de comportement, etc. Toutes ces conduites ou pratiques effectives constituent
alors autant de routines individuelles et organisationnelles, qu'on peut analyser en tant que
telles, et qui peuvent expliquer au moins partiellement les performances des différentes
firmes, et la transformation de ces performances, quand ces routines sont modifiées d'une
manière ou d'une autre, en particulier par innovation.
La routine (qu'elle soit individuelle ou organisationnelle), à l’opposé de la rationalité,
permet une explication alternative des comportements humains qui repose sur la base de
leurs capacités ou compétences propres, elles-mêmes enchâssées dans des « répertoires de
routines ». Les "répertoires" expliquent ainsi l'existence des routines effectives des firmes,
l'existence de régularités micro-économiques empiriquement observables.
Les différentes routines - comme répertoires – constituent des capitaux cognitifs
accumulés au sein de l’individu ou de l’organisation et qui expliquent leurs performances ou
leurs actions. L'analyse s'inscrit alors dans la tradition des approches néo-schumpétériennes
de l'économie qui accordent une importance primordiale à l'évolution des connaissances
techniques, au changement technique proprement dit, et à la concurrence que se livrent entre
elles les firmes au moyen des innovations.
Cette alternative aux approches micro-économiques orthodoxes, jugées a- temporelles,
car liées à l'équilibre général, doit alors retrouver en économie trois mécanismes : (1) un
mécanisme d'hérédité (le gène) assurant une certaine continuité temporelle dans le système,
(2) un mécanisme générant de la variété, transformant les génotypes par l'introduction de
nouveaux gènes, (3) un mécanisme de sélection qui trie, favorise, ou élimine les organismes
portant des gènes, et contribue ainsi à définir au jour le jour le processus de l'évolution.
Une théorie du comportement qui se rattacherait au "paradigme de la rationalité", ou au
"modèle générique de la rationalité" (Mongin, 1984, p. 11), pose nécessairement comme
invariante et universelle une partie du comportement, lequel échapperait ainsi à l'évolution.
Le recours à une théorie construite à partir de la "formation des habitudes", donne à l'inverse
immédiatement et directement une réponse théorique au double problème de la variété et de
la stabilité au cours du temps des différents comportements. De ce point de vue, raisonner
théoriquement en terme de routine semble alternatif, et même radicalement alternatif, à un
raisonnement en terme de rationalité
Conclusion
Les débats autour de la question de la rationalité permettent de réaffirmer la nécessité
d’hypothèses microéconomiques réalistes sous-jacentes aux théories macroéconomiques. Ces
Hypothèses microéconomiques doivent définir des modes de prise de décision et d’action
conformes la réalité en cela qu’elles doivent refléter la complexité de l’environnement dans
laquelle l’individu évolue. C’est donc cette nécessité qui nous a conduit à re-enchâsser le
capitalisme dans son carcan historico-social et dériver une dynamique du capitalisme qui
serait déterminée aussi bien par une rationalité de court terme qu’une rationalité de long
terme. L’étude du capitalisme ne saurait faire l’économie d’une analyse des déterminants
collectifs de l’action individuelle, autrement dit des institutions. Nous pouvons donc définir
les institutions selon les termes de John R. Commons comme « l’action collective en contrôle
de l’action individuelle ». Il nous apparait donc à ce point de notre travail que le capitalisme
est avant tout l’histoire de la civilisation humaine à laquelle il est intrinsèquement lié, en
particulier sa survie et ses formes.
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