rage brûlante submergeait chaque -...

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Elle se sentait sale. Souillée. Et il y avait cette impression tenace qu’elle était toujours en plein cauchemars. Elle les entendait souvent, les hurlements. Déchirant, suppliant, torturés. Puis elle se rendait compte que c’était elle qui criait. Une rage brûlante submergeait chaque parcelle de son corps, une vague de haine d’une violence si rare qu’elle lui en était douloureuse. Une seule chose parvenait à apaiser un peu la morsure du deuil. C’était son obsession de vengeance, ce besoin irrépressible de mordre, de faire mal, de se battre. La jeune fille était dans sa salle de bain, les mains cramponnant si fort les rebords de son lavabo que ses jointures étaient devenues blanches. Elle releva la tête et le miroir lui rendit son reflet. Les yeux rouges d’avoir pleuré, cerclés de poches sombres et violacées. Ses lèvres fines étaient craquelées, d’une couleur presque surnaturelle, bleuâtre. Ses traits étaient tirés et ses longs cheveux noirs étaient plus emmêlés que jamais, cascadant en désordre sur ses épaules voutées. Elle voulait hurler, s’injurier. Se dire de se remuer. Pourtant elle arrivait tout juste à se trainer de son lit à la salle de bain. Nina ferma les paupières pour se soustraire à cette vision et retira avec difficultés ses vêtements, se laissant tomber sur le carrelage glacé de la douche. Elle sentie l’eau froide couler le long de son corps et frissonna. Dans sa tête défilait toujours les mêmes images. Et ce qui la choquait le plus n’était pas la vision des corps sans vies qui tombaient au sol tel des pantins désarticulés. Non, c’était la passivité de la foule. Cette docilité servile et immonde. Elle avait toujours méprisés ses pairs pour leur comportement léthargique, mais désormais, ça lui donnait la nausée. C’était d’un écœurement qui lui faisait tourner la tête et qui la rendait malade au point d’à peine pouvoir bouger de son lit. Elle aurait voulu aller se perdre à tout jamais dans Néo-Paris pour ne plus voir ces visages mornes et inexpressifs partout autour d’elle. Mais Isaac lui avait interdit de le faire avant le départ de l’Armée. Et puis de toute façon elle n’avait même pas la force d’y retourner.

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Elle se sentait sale. Souillée. Et il y avait cette impression tenace qu’elle était toujours

en plein cauchemars. Elle les entendait souvent, les hurlements. Déchirant, suppliant, torturés.

Puis elle se rendait compte que c’était elle qui criait. Une rage brûlante submergeait chaque

parcelle de son corps, une vague de haine d’une violence si rare qu’elle lui en était

douloureuse. Une seule chose parvenait à apaiser un peu la morsure du deuil. C’était son

obsession de vengeance, ce besoin irrépressible de mordre, de faire mal, de se battre.

La jeune fille était dans sa salle de bain, les mains cramponnant si fort les rebords de

son lavabo que ses jointures étaient devenues blanches. Elle releva la tête et le miroir lui

rendit son reflet. Les yeux rouges d’avoir pleuré, cerclés de poches sombres et violacées. Ses

lèvres fines étaient craquelées, d’une couleur presque surnaturelle, bleuâtre. Ses traits étaient

tirés et ses longs cheveux noirs étaient plus emmêlés que jamais, cascadant en désordre sur

ses épaules voutées.

Elle voulait hurler, s’injurier. Se dire de se remuer. Pourtant elle arrivait tout juste à se

trainer de son lit à la salle de bain. Nina ferma les paupières pour se soustraire à cette vision et

retira avec difficultés ses vêtements, se laissant tomber sur le carrelage glacé de la douche.

Elle sentie l’eau froide couler le long de son corps et frissonna.

Dans sa tête défilait toujours les mêmes images. Et ce qui la choquait le plus n’était

pas la vision des corps sans vies qui tombaient au sol tel des pantins désarticulés. Non, c’était

la passivité de la foule. Cette docilité servile et immonde. Elle avait toujours méprisés ses

pairs pour leur comportement léthargique, mais désormais, ça lui donnait la nausée. C’était

d’un écœurement qui lui faisait tourner la tête et qui la rendait malade au point d’à peine

pouvoir bouger de son lit.

Elle aurait voulu aller se perdre à tout jamais dans Néo-Paris pour ne plus voir ces

visages mornes et inexpressifs partout autour d’elle. Mais Isaac lui avait interdit de le faire

avant le départ de l’Armée. Et puis de toute façon elle n’avait même pas la force d’y

retourner.

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Des bruits de coups frappèrent à la porte. Elle soupira et enfila un débardeur noir,

laissant retomber ses longs cheveux ruisselant dans son dos. La jeune fille se traina jusqu’à la

porte d’entrée de l’appartement où sa mère vivait il y a encore trois jours à peine. Elle ouvrit

le panneau de bois sur le visage d’un homme d’une cinquantaine d’année, les tempes

grisonnantes.

L’homme retira son couvre-chef et lui lança un sourire amical qui fit ressortir une

fossette sur son menton. Il avait l’air aimable, peut-être un peu trop affable. Ses yeux olivâtres

s’arrêtèrent sur le visage encore trempé de la jeune fille et son sourire se figea.

- Je vous dérange peut-être ? Je suis le juge Marshall, vous savez, je vous ai envoyé un

courrier pour vous prévenir de ma visite.

- Je sais…

Nina ne fit pas un pas pour le laisser entrer, le fixant avec une animosité aucunement

dissimulée. L’homme déglutit et fini par s’inviter tout seul, les bras portant une lourde

mallette en cuir usé d’où débordait des feuilles volantes couverture d’une écriture fine et

penchée.

- Hrmm… Je me permets de venir vous déranger car, n’ayant encore que 15 ans, vous

n’êtes pas considérée comme majeur. Je souhaiterais vous parler de la mise sous tutelle…

- Je n’ai pas de famille et je n’irais pas dans un orphelinat, le coupa directement Nina d’un

ton sec.

- Justement, quelqu’un s’est proposé pour devenir votre nouveau tuteur légal, poursuivis le

juge d’un air un peu plus jovial.

La surprise cloua un instant Nina sur place, lui faisant perdre son masque froid et

rigide. Le juge Marshall sembla prendre ça pour un encouragement et poursuivis d’un air un

peu plus sûr de lui.

- La directrice de votre établissement, Madame Kaeper, s’est ce matin présentée à mon

cabinet pour me demander votre garde exclusive. Comme vous n’avez aucun parent connu

encore en vie, j’ai fait passer votre dossier à la préfecture qui a autorisé ce petit

changement.

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- « Petit changement » ? siffla Nina en le fusillant du regard. Ma mère est morte !

- Je veux dire… A propos de votre Caste ! s’empressa d’ajouter le juge en relevant les yeux

d’un air inquiet vers elle.

- De ma quoi ? s’étrangla Nina qui ne voyait absolument pas de quoi il parlait.

- Madame Kaeper est une enseignante, un membre de l’Elite. En tant qu’unique tutrice, cela

vous rattache donc immédiatement à sa caste. Vous n’êtes plus une Lambda,

mademoiselle Reall.

- Attendez… Je croyais que seul le Gouvernement pouvait accorder des changements de

Castes ! Et je pensais aussi que les Elites l’étaient uniquement pas hérédité et affiliation !

Je ne peux pas être une Elite ! Ce sont les couches les plus riches de la Nation ! Je n’ai

rien du tout ! s’exclama Nina en projetant des coups d’œil inquiet partout autour d’elle.

Elle s’était attendue à tout sauf ça. Etre une Elite était un rêve, quelque chose que

faisaient tous les Lambda. Tout le monde les regardait évoluer à la télévision, se mariant,

organisant des bals et des fêtes gigantesques, jouant de la musique ou exécutant des pas de

danse. Mais c’était habituellement des rêves inaccessibles. Personne ne pouvait devenir Elite

à moins d’être né dans la bonne famille.

Il était inconcevable qu’un membre de l’Elite veuille prendre sous tutelle un Lambda.

Les Elites pouvaient faire autant d’enfants qu’ils voulaient, ils n’étaient soumis à aucune

restriction. Et les femmes stériles avaient accès à des technologies de pointes pour concevoir

artificiellement leurs bébés. Et par ailleurs, Nina ne s’était jamais sentie proche de Madame

Kaeper. C’était une haute femme à la silhouette autoritaire et aux cheveux d’un blond-roux en

permanence nouées en un chignon serré sur le sommet de son crâne. Il était arrivé qu’elles se

croisent dans la cour de l’établissement, mais jamais elles ne s’étaient retrouvées en tête à

tête. Alors pourquoi Madame Kaeper ferait-elle une chose pareille ?

- Eh bien… En tant que Juge de cette ville je suis le plus proche représentant du

Gouvernement, poursuivis l’homme en interrompant son flot de pensées. Et vous êtes

désormais aussi riche qu’un Elite « normal » je dirais. En tant qu’unique enfant de

Madame Kaeper, vous hériterez de la totalité de sa fortune.

- Mais… Je ne comprends pas ! Comme une telle chose est possible ? Pourquoi Madame

Kaeper a souhaité devenir ma tutrice ? Qu’est-ce qu’elle vous a dit ? Et qu’est-ce qui va se

passer pour moi maintenant ? Je vais devoir changer d’Ecole ? le pressa Nina en lui

lançant un regard angoissé.

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- Eh bien… Moi-même je dois dire que c’est une situation assez insolite ! Mais c’est

parfaitement légal, bien que très inhabituel. Elle n’a fait aucun commentaire, elle a

simplement spécifié qu’elle était au courant de ce qui est arrivé récemment à votre mère et

qu’elle se proposait pour devenir votre tutrice. La majorité chez les Elites n’est pas à 16

ans mais à 19 ans alors je suppose que vous pourrez aller étudier jusqu’à cet âge dans une

Université pour Elite, vous aurez accès aux sciences, la littérature, le droit… Vous pourrez

même être Juge, comme moi ! termina-t-il en lui adressant un sourire radieux.

Nina eut aussitôt envie de lui balancer un coup de poing dans le visage pour faire

disparaitre ce sourire qui lui mettait les tripes à l’envers. En temps normal, devenir une Elite

l’aurait transportée de joie. Mais elle ne le voulait plus, elle s’en fichait totalement. Tout ce

qu’elle désirait, c’était s’enfuir dans Néo-Paris pour ne plus jamais remettre le pied dans ce

monde qu’elle considérait comme pourri jusqu’à la moelle.

La discussion avec le Juge Marshall se poursuivit sur des détails, des papiers à signer

et une myriade d’informations sur son nouveau statut. Elle se contentait d’hocher la tête à tout

ce qu’il lui disait. Pressée de retrouver son lit et le silence paisible qui y régnait.

Quand enfin il prit congé, la nuit était tombée sur le quartier de la Caste Quatre. Les

gens rentraient chez eux sagement, tandis que la Milice se déployait progressivement dans les

rues. Personne n’était encore venu l’interroger sur les activités « terroristes » de sa mère. Elle

ne savait même pas pourquoi elle avait été exécutée. Apparemment il n’y avait pas eu de

procès.

Son envie de faire du mal à quelqu’un, n’importe qui, rejaillit brusquement. Elle savait

à présent ce qu’elle avait à faire. Ses journées passées couchées à méditer dans son lit

n’avaient pas totalement été inutile. Car maintenant elle avait un plan, ou plutôt une ébauche

de plan. Elle allait retourner vivre dans Néo-Paris et apprendre à se battre. Et quand elle allait

revenir, elle serait forte. Et cette fois-ci elle pourra s’interposer, lutter.

Elle n’avait absolument pas l’intention d’abandonner ses rêves de vengeance. Elle les

gardait précieusement dans un coin de sa tête afin de les ressortir lorsqu’elle sera vraiment

prête. Et ce jour-là, les responsables de la mort de sa mère allaient amèrement regretter d’être

encore en vie. La jeune fille finie par s’endormir aux alentours de trois heures du matin avec

la promesse d’une revanche brillant comme une torche dans sa poitrine, lui réchauffant le

cœur.

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Le lendemain fut pour Nina comme une renaissance. Les rayons du soleil matinal

filtraient à travers les carreaux crasseux de son petit appartement, réchauffant le vieux

plancher de bois sous les pieds de la jeune fille. Il était encore tôt et elle se sentait plutôt en

forme. Elle ne voulait pas rester une journée de plus enfermée dans ce studio qui sentait le

deuil et le renfermé.

La jeune fille enfila son uniforme scolaire, une simple combinaison en toile gris clair

et noua les lacets de ses baskets montantes noires. Elle retourna ensuite dans sa chambre pour

fouiller dans les poches de son short en jean à la recherche d’un élastique. Ses doigts

rencontrèrent un objet froid et dur. Retenant sa respiration, elle en extraia la petite pince

d’argent, gravé au symbole de la vielle Tour Effel. Elle la comprima si fort dans sa paume

qu’elle se blessa légèrement. Les yeux chargés de larmes de colère, elle retourna dans la salle

de bain et releva fièrement le menton face à son reflet. D’un geste assuré, elle glissa la pince

dans sa masse croulante de cheveux couleur aile de corbeau et les monta en un chignon haut,

exactement comme sa mère l’avait toujours fait avec ses longues boucles blondes comme les

blés.

Elle un jeta un coup d’œil au miroir, fronçant les sourcils. Même quand elle se

concentrait, elle avait du mal à voir la ressemblance entre elle et Esmé. Sa mère avait des

cheveux de miel tandis que les siens étaient de charbon. Esmé avait également d’immenses

yeux bleus perçant alors que les siens étaient noirs comme l’obscurité, aux paupières lourdes,

qui donnaient sans cesse l’impression qu’elle méprisait le monde entier. Ce qui n’était peut-

être pas totalement faux.

Elle tenta de sourire et son visage s’illumina enfin, révélant une fossette dans le creux

de sa joue et mettant en reflet les jolies courbes de ses pommettes. Il n’y avait que lorsqu’elle

souriait qu’elle pouvait finalement reconnaitre les traits élégants d’Esmé dans son propre

visage. Pourtant, sa mère avait malgré sa très grande beauté, toujours vécu seule depuis la

naissance de Nina.

Esmé ne lui avait d’ailleurs jamais parlé de son père, comme si il n’avait jamais existé.

Ce n’était pas rare chez les Lambda que les femmes élèvent leur enfant seule. Le mariage était

interdit, et le nombre maximum d’enfant fixé à un par femme, les hommes se faisaient

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souvent plaisir, papillonnant à leur guise pour tenter de faire le maximum d’enfants possible.

Mais jamais les pères ne disparaissaient totalement. Pourtant Nina n’avait jamais entendu

parler du sien et ne l’avait même pas croisé dans Berghen, comme si son existence dans cette

ville n’avait été qu’un lointain conte inventé, un mythe. Et pourtant elle était là, seule preuve

réelle qu’il avait dû exister un jour un Mr. Reall sur cette planète.

Nina chassa de son esprit les nombreuses interrogations qui pointaient sous son crane

avec la promesse douloureuse d’une grosse migraine. Elle se ressaisit et marcha jusqu’à son

établissement. Pas vraiment par envie de reprendre les cours, ça elle s’en fichait totalement,

mais parce qu’elle espérait bien croiser Madame Kaeper et lui demander enfin des

explications.

Elle marcha au milieu des quartiers les plus pauvres de Berghen, traversant ceux des

castes Sept et Six. C’était pour la plupart de vieux bâtiments pourris par l’humidité, les rues

dégageaient une odeur d’ordures en décomposition et de vielle colle, comme celle qu’on

utilisait pour coller les étiquettes sur les boites de conserve.

La jeune fille les passa le plus rapidement possible, détournant le regard des visages

hagards et émaciés autour d’elle. Son œil fut attiré un peu plus loin par la lumière d’un

panneau télévisé accroché en évidence au-dessus d’une rue. Des enfants trop jeunes pour aller

à l’école et des mères de famille occupées à éplucher des légumes le regardaient d’un air

hypnotisé. Le gouvernement y diffusait actuellement un reportage sur un groupe d’une demi-

douzaine de jeunes filles, des Elites –bien évidemment- qui gloussaient joyeusement dans un

salon à la décoration luxueuse. Elles faisaient jouer de leurs bijoux sur leurs poignets et leur

cou, attirant le regard du téléspectateur sur leurs silhouettes graciles. L’une d’elle époussetait

sa robe de mousseline grise cerclée d’or, faisant scintiller les sequins accrochés à son bustier

en forme de cœur. Une voix off donnait leurs prénoms tandis que chacune saluait de la main

la caméra tout en exhibant leurs dents parfaitement blanche et alignés. Puis la voix d’un

commentateur précisait qu’elles n’allaient pas tarder à rencontrer l’homme de leur vie, suite à

ça, un défilé de jeunes hommes à la plastique de rêves et aux vêtements hors de prix

s’avançait dans le champ de la caméra pour aller baiser la main de toutes ces filles, au beau

milieu d’un concert de gloussements.

Nina resta un instant hébétée devant la scène. Ce n’était pas la première fois qu’elle

voyait des télé-réalités de ce genre, le Gouvernement en diffusait plusieurs par semaines. Mais

c’était la première fois qu’elle se voyait vraiment à la place de ces filles. Elle n’arrivait

toujours pas à concevoir qu’elle faisait désormais partie du même milieu qu’elles. Qu’elle

était devenue une Elite.

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Mais la jeune fille ne se sentait pas à l’aise avec ça, malgré qu’elle ait rêvé des

millions de fois d’elle aussi se retrouver dans la peau de ces Elites, plongés dans une vie de

plaisirs faciles et de luxe. Comme toutes les petites filles Lambda, elle avait imaginé ce que

serait sa vie si elle était née Elite. Elle avait joué dans la cours de récréation avec ses amies, à

imiter les postures aguicheuses de ces filles, faisant teinter des bracelets d’or imaginaires à

leurs frêles poignets d’enfants. Mais un beau jour, en sortie scolaire à la limite de Néo-Paris,

sa curiosité l’avait poussée un peu trop loin, elle s’était éloignée du groupe.

Du haut de ses huit ans, elle avait arpentée seule les rues désertes et envahis de

végétation de la vielle Banlieue de Néo-Paris lorsqu’elle avait soudain vu trois jeunes enfants

sauter comme des cabris de toits en toits, faisant s’écraser des tuiles orangés sur le sol à

chaque fois qu’ils atterrissaient dessus. Elle les avait regardés, planquée dans l’ombre, les

yeux écarquillés de surprise, fascinées par leur manège.

- Viens t’battre si t’es un homme ! avait braillé un petit garçon aux bras minces et aux

cheveux noirs en bataille qui tendait devant lui une épée en bois toute ébréchée.

- Tu ne peux pas me battre, Colton ! Je suis la soldate la plus forrrrte de l’humanité !

- T’es une fille ! Tu ne peux pas ! avait protesté le garçon en secouant la tête.

La jeune fille avait alors proférer un juron qui avait fait tinter les oreilles de Nina, puis

rejetant en arrière son imposante crinière de cheveux flamboyant, s’était jetée à la poursuite

du petit garçon en brandissant sa propre épée de bois.

Malgré la puissance de la fille, elle ne réussit jamais à rattraper l’enfant aux cheveux

noirs qui se mouvait avec une facilité fascinante dans l’air, sautant sur les toits, les cheminés

et les arbres comme un jeune chimpanzé.

Derrière eux, un autre petit garçon aux cheveux bruns tirant sur le blond les regardait

d’un air amusé. Il finit par s’élancer derrière la fille et lui faucha les jambes de son épée de

bois. La rouquine roula sur l’un des toits, se rattrapant de justesse à une gouttière.

- Tu triche Isaac ! brailla-t-elle.

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Le garçon aux boucles claires éclata de rire et se mit aussitôt en chasse du premier

enfant. Ils étaient tous les deux un peu près aussi agile l’un que l’autre mais ils finirent par se

retrouver au même moment sur le même toit. D’un mouvement identique ils avaient brandit

leurs épées et s’étaient mis à tourner l’un autour de l’autre, comme des fauves s’apprêtant à se

jeter à la gorge.

- Tu as vu comment tu tiens cette épée, mon p’tit prince ?! avait raillé le garçon aux

cheveux noirs. C’est ta môman qui t’apprend à te battre ? Ça m’étonne pas, tu t’bas

comme une fille !

- Méfie-toi, le cafard ! Encore un mot sur ma mère et je te coupe la langue en morceau !

- Allez Isaac ! avait hurlé la fille rousse en s’assaillant en tailleur sur une cheminée pour

observer le duel entre les deux garçons.

- Erika ! Pourquoi t’es toujours de son côté ? avait geint le premier enfant.

- Parce que c’est l’ptit héritier ! Et que je préfère être dans ses bonnes grâces !

Elle lui avait ensuite tiré la langue et le jeune garçon, agacé, en avait profité pour

plonger sur son adversaire qui parvint à parer le coup. Les deux enfants s’étaient ensuite

lancés dans une série d’attaques et d’entrechats spectaculaires.

Nina les avaient contemplés de longues minutes, totalement fascinée. Elle avait été

tellement absorbée par leur jeu qu’elle ne vit pas la silhouette sombre du félin qui se dessinait

derrière elle.

Le fauve avait le corps tendu en avant, en équilibre sur la pointe de ses coussinets.

Chacun de ses muscles étaient comme une corde d’arc prête à être lâchée. Ses oreilles étaient

pointées en avant, le museau en l’air, humant le parfum de la petite fille devant lui avec

gourmandise. Ses yeux avaient brillés un instant fugace puis il s’était ramassé sur lui-même

avant de bondir. En s’élançant, l’une de ses pattes avait percuté une boite en conserve

métallique qui s’est mise à rouler sur le sol, produisant un léger tintement.

Ce fut suffisant pour que Nina se retourne. Elle vit alors l’immense félin au pelage

doré foncer sur elle et hurla, roulant sur le côté pour éviter les griffes acérées de l’animal qui

se tendaient vers son visage.

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Les trois enfants sur leur toit avaient aussitôt cessés de jouer, intrigué par le hurlement.

Des exclamations avaient jaillit.

- Isaac non ! Ta mère dit toujours de ne pas s’occuper nous-même des fauves ! avait crié la

voix de la fillette.

- C’est une fille de nôtre âge ! avait alors protesté le garçon en s’élançant vers Nina.

- Mais c’est qu’une lambda ! Isaac ! Revieens !

L’instant d’après, une dague de métal s’était enfoncé dans le thorax du grand félin qui

avait poussé un rugissement de rage et de surprise mêlée. Le jeune garçon aux boucles claires

semblait avoir délaissé son jouet en bois pour se saisir d’une arme, bien réelle cette fois-ci,

accrochée à sa ceinture.

Le combat fut très bref, blessé, le fauve s’enfuit rapidement sous les cris de victoire de

l’enfant. Il s’était ensuite penché vers Nina et l’avait aidé à se relever.

- Tu as de magnifiques yeux noirs ! s’était-il alors exclamé en premier, avant de poursuivre

en bafouillant légèrement, les joues rouges. Je veux dire… euh… tu es plutôt jolie. Pour

une fille. Ça va, tu n’as rien ?

Nina avait ouvert la bouche sans qu’aucun son n’en sorte. Elle s’était contentée de

dévisager le garçon, les yeux écarquillés, totalement éberlué. D’un saut agile, les deux amis

de son sauveur s’étaient matérialisés à leur niveau. La fille croisait fermement les bras sur sa

poitrine et avait l’air furieuse tandis que le petit garçon brun regardait Nina comme si elle

avait été un O.V.N.I.

- Tu te rends compte que ta mère va nous tuer ! s’était exclamé la rouquine. On ne devait

même pas quitter la ceinture de Néo-Paris ! Viens vite, on repart maintenant !

Elle avait ensuite tiré le garçon par le manche de sa chemise pour le forcer à faire

demi-tours. Il avait adressé un sourire timide à Nina, l’air navré de devoir partir si tôt.

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- Tu devrais te dépêcher d’aller retourner vers les tiens. Et fait attention à toi ! Moi c’est

Isaac, avait-il alors lancé à la petite fille en sautant à la suite de ses amis.

- Et moi Nina ! avait-elle dû crier pour qu’il l’entende.

Ils s’étaient quittés avec un sourire. Et depuis Nina avait toujours été obsédée par ce

jeune garçon aux boucles presque blondes qui s’était ainsi jeté devant un fauve pour la

défendre. Quelque mois plus tard, elle avait tenté de retourner à Néo-Paris, armée seulement

d’un petit couteau de cuisine. Au bout de plusieurs heures à errer dans la vielle Banlieue, elle

avait fini par rencontrer de nouveau Isaac. Seul cette fois. Il s’était moqué de son petit couteau

et lui avait alors fait essayer son arc. Nina ne s’était pas trop mal débrouillée. Ils avaient alors

convenus de se revoir au même endroit quelques semaines plus tard. Et ainsi de suite jusqu’à

ce qu’il fasse découvrir à Nina les failles dans le mur de Brume qui fermait le cœur de Néo-

Paris. Il lui avait quasiment tout apprit, l’entrainant au sommet des plus hauts buildings de la

vielle Capitale. Et puis quand Melissa Colt, sa mère, était morte alors qu’il n’avait que seize

ans, il avait dû prendre la tête des Chasseurs Urbains, et l’avait officiellement invitée dans

leurs chasses. Elle avait découvert un monde nouveau, loin des privations et de l’attitude

léthargique, si servile, des Lambda. Les Chasseurs Urbains étaient vivant, libres,

indomptables.

Depuis ça, elle ne pouvait plus voir les Elites comme avant. La vraie liberté n’était

plus pour elle le luxe et les excès. La vraie liberté c’était courir dans le vent, plusieurs

centaines de mètres au-dessus du sol, défiant les lois de la gravité en bravant chacune de ses

peurs.

Son esprit s’était tellement laissé emporter par ses souvenirs, qu’elle ne remarqua

même pas immédiatement qu’elle était arrivée à l’Ecole. L’établissement accueillait tous les

enfants entre 6 et 16 ans de toutes les castes de Berghen, sans distinctions sociales.

Lorsqu’elle dû traverser la cour, elle entendit des murmures à son passage. Evidemment toute

la ville devait être au courant de l’exécution publique et massive qui avait eu lieu il y a

quelques jours dans le Quatre. Elle ignora pourtant tous les regards insistants et les

chuchotements précipités qui lui livrèrent passage jusqu’à ce qu’elle atteigne sa salle de

classe.

Dans l’ensemble, la journée se passa sans heurt. Elle ne croisa même pas Madame

Kaeper. Lorsque les cours prirent fin, elle se décida à aller frapper à son bureau, rassemblant

tout son courage. Elle respira un grand coup puis leva la main gauche, prête à venir cogner

doucement contre le large panneau de bois. Mais à sa grande surprise, la porte s’ouvrit avant

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qu’elle ne la touche. Madame Kaeper lui faisait face, la dévisageant attentivement sous le

verre de ses petites lunettes rectangulaires.

- Nina. Toutes mes condoléances. Je suppose que tu as pleins de questions à me poser, je

suis un peu pressée par le temps alors je vais simplement répondre à celles qui me

paraissent les plus évidentes. Oui, tu peux finir l’année scolaire en cours ici, tu iras ensuite

dans un internat pour Elite l’année prochaine. Tu peux garder l’appartement de ta mère, il

est à toi. Ah et tu peux venir habiter chez-moi si tu le souhaite, mais je suppose que tu

préfères rester chez toi. Je t’achèterais un téléphone et un bipper pour ton domestique, en

attendant, si tu as besoin de quoi que ce soit, il te suffit de venir ici. A plus tard Nina,

lâcha presque abruptement Madame Kaeper sans prendre la peine de s’arrêter.

- Attendez ! Pourquoi vous faîtes ça ? cria Nina en essayant de la rattraper.

- Tu n’es pas encore prête à le savoir. Mais j’ai fait une promesse il y a longtemps, je devais

veiller sur toi, je viens de m’acquitter de ma dette.

- Quoi ? Quelle dette ? Pourquoi ? Qui vous a demandé ça ? Ma mère ?

Madame Kaeper s’arrêta enfin et scruta Nina d’un regard gris perçant qui mit la jeune

fille mal à l’aise. Mais elle ne baissa pas les yeux, fermement résolue à en apprendre plus sur

les raisons de cette étrange mise sous tutelle. Elle ne se souvenait même pas d’avoir vu un

jour Madame Kaeper et Esmé parler ensemble, que sa mère ait obligé l’intimidante Elite à

faire une promesse pareil était presque impensable.

- Ta mère n’était à l’évidence pas l’unique personne en ce monde qui se souciait de toi.

Puis l’autoritaire directrice tourna les talons, sans laisser le temps à Nina de lui poser

la moindre question sur cette étrange histoire de dette. Qui avait bien pu obliger une Elite à la

prendre sous son aile ? Et surtout, pourquoi ? La jeune fille se sentait terriblement frustrée,

elle était venu en quête de réponses et n’avait récolté que de nouvelles interrogations.

Elle prit le chemin du retour, plus maussade que jamais. La journée était passée bien

trop vite et elle n’était pas pressée de retourner dans son petit apparemment où le souvenir

encore chaud de sa mère était omniprésent. En temps normal, elle se serait précipitée vers

Néo-Paris, mais au fil des années, elle avait appris à obéir aux ordres d’Isaac pour sa propre

sécurité. Et puis elle pouvait aussi les mettre en danger en retournant à la Citadelle si jamais

elle se faisait suivre par les soldats du Gouvernement.

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Puis une idée lui traversa l’esprit. Maintenant qu’elle était une Elite, elle allait pouvoir

prendre le bus légalement pour la première fois de sa vie. Sans obligations de couvre-feu. Un

immense sourire se dessina sur son visage pâle, étirant ses fines lèvres rouges. Elle rentra au

pas de courses à l’appartement B17, faisant voler ses vêtements dans la pièce. Elle agrippa un

débardeur noir et enfila à la hâte l’un de ses éternels short en jean usé jusqu’à la corde. Elle

hésita un instant face à son armoire puis fini par se saisir d’une veste en toile kaki, un peu trop

longue, qui lui battait le sommet des cuisses à chaque pas. La nuit tombait et avec l’hiver, les

températures chutaient de plus en plus vite. Elle commençait enfin à se sentir vivante, pour la

première fois depuis des jours et n’avait aucune envie de tomber malade pour passer le reste

de la semaine recroquevillé dans son lit.

Le pas léger, elle marcha jusqu’à l’arrêt de bus, adressant un immense sourire aux

caméras tout autour d’elle. Puis la jeune fille se mit à compter mentalement… 17… 16…

15… 14… Le bruit d’une sirène s’alluma une ou deux rues plus loin. 8… 7… 6… Un

véhicule blindé d’un bleu étincelant s’arrêta pile en face d’elle. 3… 2… 1…

- Mademoiselle ! Nos logiciels ne vous reconnaissent pas dans notre base de donnée, vous

ne pouvez pas rester ici, cette zone est réservé aux usagers des trois premières castes,

l’interpella un petit homme aux cheveux gris, ceinturé dans son uniforme bleu de la Milice

Gouvernementale.

- Vos bases de données doivent être un peu veillottes. Il ne me semble pas qu’une Elite

puisse se faire interdire d’attendre le bus, répliqua-t-elle avec un sourire tordu.

Le visage de l’homme blêmit alors qu’il la dévisageait, stupéfait. Le sourire prédateur

de la jeune fille s’accentua encore et elle battit des cils, mettant volontairement en valeur

l’aspect alourdis de ses paupières fardés.

- J-Je… Attendez… bafouilla-t-il en s’emparant d’un petit scanner portatif et en le tenant

devant le visage de Nina. Oh… V-Vous avez été enregistrée Elite ce matin… C-C’est

surprenant je crois que c’est la p-première fois qu’une chose pareille m’arrive. Toutes mes

excuses mademoiselle.

- Ne vous en faîtes pas. L’erreur est humaine. Mais mettez vos circuits à jours, je n’aime

pas du tout qu’on vienne brandir un stupide scanner sous mon nez.

- Sans plus tarder, mademoiselle.

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Et sous une gracieuse révérence, l’employé de la Milice se retira prestement, fuyant

sous le regard amusé de Nina qui se mit à rire. Elle avait vu une Elite faire quelque chose de

similaire un jour à la télévision et avait toujours rêvé de faire pareil.

Lorsque le bus s’arrêta enfin dans un léger bruit de crissements métallique, elle

s’engouffra à l’intérieur, entrant pour la première fois de sa vie par la porte la plus en avant du

bus, celle qui desservait les fauteuils les plus confortables. Elle traversa cependant le bus dans

toute sa longueur, pressée de regagner le cuir abimés mais si familiers des fauteuils les plus à

l’arrière.

Son regard était porté vers la silhouette sombre de Néo-Paris qui se dessinait dans le

couchant. Elle n’avait pas l’intention d’entrer, juste de trainer un peu dans la vielle banlieue, à

côté du mur de brume. Elle n’attendit pas que le bus s’arrête pour descendre, trop habituée à

quitter le véhicule en marche. Elle se réceptionna en courant sur quelques mètres avant de

ralentir et de se diriger vers la partie la plus haute de la banlieue, qui lui permettrait peut-être

d’apercevoir aux travers de la brume des fragments de ce qui se passait à l’intérieur de Néo-

Paris.

Elle erra sans buts au milieu des décombres, escaladant les arbres pour se hisser

jusqu’aux toits. Elle finit par s’assoir sur une poutrelle métallique, laissant ses jambes se

balancer dans le vide, plusieurs dizaines de mètres au-dessus du sol.

Un bruit feutré juste derrière elle la fit sursauter et elle roula sur le côté, agrippant au

passage le petit couteau métallique accroché à sa ceinture qu’elle brandit aussitôt en l’air.

L’œil droit de Colton ne dut son salut qu’aux formidables réflexes du chasseur qui s’écarta de

quelques millimètres avant que la lame n’effleure sa joue, traçant un mince filet rouge vif sur

sa pommette.

- Bon sang ! T’es totalement malade, t’a failli me crever un œil ! s’offusqua-t-il en la

dévisageant d’un air ahuris. Je sais bien que tu m’a jamais beaucoup aimé mais quand

même pas au point d’essayer de me mutiler !

- Je n’ai pas fait exprès ! Et t’es complètement idiot de surgir brusquement, comme ça,

derrière une fille qui tient un couteau ! rouspéta-t-elle en rangeant son arme dans sa

ceinture, fusillant le garçon du regard.

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- Mais bien sûr ! Comme si ce n’était pas la première fois que t’essayais de me tuer !

cracha-t-il en épongeant le sang sur sa joue à l’aide de sa manche.

Elle leva les yeux au ciel avec agacement. Colton étant sans aucun doute possible la

personne la plus exaspérante qu’elle connaissait. Elle dévisagea le jeune homme qui avait l’air

encore plus amoché que la dernière fois qu’ils s’étaient quittés. Sa peau était presque

intégralement recouverte de bleues et de plaies qui heureusement, semblaient avoir commencé

à cicatriser. A l’exception de sa nouvelle balafre sous l’œil, évidemment.

- Où est Isaac ?

- T’a que ce mot à la bouche. Isaac est pas le centre de l’Univers, Nin’. Répliqua-t-il d’un

air narquois avant d’enfin reprendre son sérieux. Il est à la Citadelle, il reste pour protéger

les enfants. T’en fait pas, ton p’tit prince se porte comme un charme. Il voulait m’envoyer

chez toi demain ou après-demain, pour t’annoncer que tu n’allais pas tarder à pouvoir

ramener ton si adorable et précieux cul dans Néo-Paris.

- Il ne comptait pas venir lui-même ? lança-t-elle d’un ton sec en ignorant d’un reniflement

méprisant les sarcasmes à peine voilés de Colton.

- J’crois bien qu’il a peur de ta mère.

- Ce sera plus un problème. Elle est morte, répliqua la jeune fille en relevant la tête avec

orgueil, respirant froidement pour contenir son envie de pleurer.

- Oh.

Pour une fois, Colton parvint à s’abstenir de lancer une réplique brulante à la jeune

fille. Sûrement devait-il bien comprendre sa peine. Ses parents avaient appartenus à un autre

clan alors qu’il n’était qu’un bébé. Ils avaient eu la malchance de se faire attaquer par un

groupe de cannibales et leur clan constitué d’une poignée de chasseurs adultes seulement

s’était fait décimé. Le dernier geste de sa mère avait été de dissimuler le minuscule corps frêle

derrière une plaque de béton. Les Chasseurs Urbains appartenant à l’époque au clan de la

mère d’Isaac l’avaient trouvés quelques jours plus tard, affamés et déshydraté, puis l’avaient

recueilli. Etre orphelin, il connaissait ce sentiment depuis qu’il était né.

Le jeune homme contempla Nina avec l’ombre d’un regard triste dans le fond de ses

prunelles presque aussi sombres que celle de la jeune fille, mais n’ajouta pas un mot. Il n’était

sans doute pas assez sentimentaliste pour s’imposer une scène gênante faîtes de condoléances

et de pleurs. Il se contenta de se redresser, faisant mine de partir.

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- Je faisais juste une patrouille de routine sur le Mur quand je t’ai vue, mais ils vont bientôt

avoir besoin de moi à la Citadelle. J’dois te laisser. Mais passe demain, Isaac sera content

de te revoir, lâcha-t-il avec une rare sincérité.

Puis il tourna les talons et bondit tel un animal sur la surface lisse et brumeuse du mur,

s’accrochant à une des failles invisible qui parait sa surface puis disparaissant au travers de la

masse cotonneuse. Nina avait furieusement envie de le suivre et d’aller dormir à la Citadelle,

comme une vraie Chasseuse. De s’assoupir auprès d’Isaac, après une dernière blague et un

dernier sourire complice. Seule la perspective d’enfin pouvoir allé vivre parmi eux d’ici le

lendemain lui permit de décoller son regard de la faille invisible derrière laquelle le jeune

chasseur brun avait disparu. Elle sauta sur ses pieds et se laissa glisser le long d’un panneau

publicitaire qui tombait en lambeau, sautant par-dessus un vieux modèle de voiture volante

dans laquelle une épaisse couche de terre s’était installée et où poussait désormais quelques

arbrisseaux.

Son regard plana une dernière fois sur les hauts buildings frappés par les vents derrière

elle et une petite flammèche vint s’allumer dans son cœur. Bientôt, elle vivra ici. Chez elle.

La journée du lendemain s’était déroulée à la manière d’un tourbillon, confus et

tellement rapide qu’il en donnait le vertige. Nina avait dès l’aube commencé à préparer son

sac pour son grand départ de la « civilisation ». Elle s’était empressée de fourrer tous ses

objets de valeurs dans un gros sac à dos, emportant les rares souvenirs qu’elle avait de sa

mère ainsi que ses vêtements les plus utiles. De toute façon, une fois à Néo-Paris, elle aura

des centaines de centre-commerciaux entier à sa disposition. Emballés dans leurs cellophanes,

des milliards de cartons de vêtements étaient encore incroyablement préservé depuis les deux

siècles écoulés.

Elle s’était ensuite rendue en cours, plus pour s’occuper l’esprit qu’autre chose. Elle

n’avait en réalité pensé à rien d’autre de la journée qu’a sa fuite le soir même. La jeune fille

allait enfin vivre parmi les chasseurs et rattraper toutes ses années perdues. C’était enfin

terminé d’être la fille sur la touche, celle qui observait de loin les jeux des chasseurs en

enviant chaque secondes de leurs vies si trépidantes.

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Tous ces gens autour d’elle, en blouse grise, au regard vide et à la démarche saccadée,

lui paraissaient être à des milliards d’années-lumière. Nina pendant une seconde, imagina ce

qu’aurait été sa vie si jamais elle n’avait pas croisé la route des chasseurs et d’Isaac. Sûrement

serait-elle devenue comme ses camarades de classe, une gentille fille servile, convaincue que

les restrictions amenaient la paix et que la paix était un idéal à atteindre absolument. Elle

aurait continué à regarder des émissions sur les Elites, en rêvant de devenir un jour comme

elles. Puis elle aurait trouvé un travail au sein de la caste Quatre, sûrement couturière, comme

sa vieille mère. Ses jours se seraient terminés dans une effroyable monotonie, où peut-être

aurait-elle finie sa vie le corps ensanglanté sur les pavés, dans sa plus vielle chemise de nuit,

pour un quelconque prétexte idiot. Et personne ne se serait battu pour elle car dans ce monde

les gens avaient tous perdu le goût de la lutte. La paix était la seule idée à laquelle se

raccrocher, aux dépens de tout. De la liberté, des plaisirs et de tous ces sentiments qui rendent

la vie si belle mais qui sont devenu tabou dans ce monde de captifs apeurés par la simple idée

de devenir libres.

Nina ne pouvait s’empêcher de sourire en s’imaginant vivre à la Citadelle, se levant

tous les matin pour contempler du sommet de sa tour de végétation et d’acier, Néo-Paris se

réveiller doucement. Voir les fauves passer sous ses pieds et sentir l’écorce des arbres sous

ses paumes. Il lui suffisait simplement de fermer les yeux pour s’imaginer le vent faisait

tournoyer ses longs cheveux d’ébènes et le soleil levant caresser sa peau nue. La jeune fille se

sentait plus vivante et plus libre que jamais, l’impatience la faisait trembler de la tête aux

pieds.

Il ne restait plus qu’un seul cours avant qu’elle ne fonce vers la vielle Capitale en

ruine. Pendant un moment elle avait pensé aller faire un dernier adieu à Madame Kaeper qui

avait tout de même eut la gentillesse de lui éviter le foyer, puis elle s’était souvenue de son

attitude détachée et mystérieuse lors de leur dernier entretien et elle se dit que finalement, ça

n’en valait pas la peine. Elle contemplait donc le cadran accroché au mur avec une

gourmandise mal dissimulée, prête à bondir de sa chaise tel un fauve épris de liberté.

Un violent coup sur sa table la fit sursauter et elle se retourna aussitôt vers le visage

furieux de Mr. Daavril, son professeur d’Etude des Castes. Le grand homme chauve aux yeux

cerclés par de petites lunettes en fer qui menaçaient à tout moment de tomber du bout de son

nez la dévisageait avec colère, l’ombre d’un sourire cruel se dessinant sur ses lèvres gercées.

C’était l’un des rares professeurs qu’elle n’aimait vraiment pas, il semblait systématiquement

prendre un malin plaisir à vouloir humilier ses élèves.

- Je vois que depuis que mademoiselle Reall est devenu une Elite, elle se permet de ne plus

écouter en classe, ricana Mr. Daavril en réajustant ses lunettes.

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- Je ne vois pas ce que le statut d’Elite a à faire avec tout ça, Monsieur. Je n’ai jamais été

capable d’écouter un seul de vos cours ennuyeux, de toute façon, répliqua Nina en relevant le

menton avec défi.

Des murmures stupéfaits parcoururent les rangs de la classe et Mr. Daavril se recula,

comme frappé. Les gens n’étaient pas habitués à l’insolence et au cynisme, c’était quelque

chose qui n’existait pratiquement pas chez les Lambda. Nina avait surtout appris à adopter

cette attitude au contact de Colton, qui était passé maître dans l’art de la provocation. Elle

pouvait enfin se permettre d’envoyer balader l’un de ses professeurs, sachant pertinemment

que d’ici quelques heures, elle ne les reverrait plus jamais.

- Voulez-vous que je vous donne une retenue, mademoiselle ? lui demanda alors son

professeur d’un ton doucereux et légèrement menaçant.

- C’est très aimable à vous de me demander mon avis, Monsieur.

- Oh je vois que nôtre cher petite Nina se sent pousser des ailes… Vous pensez donc qu’une

Elite à le droit de tout se permettre, y compris de mépriser ses professeurs ?

- Je ne savais pas que je devais attendre d’être une Elite pour vous mépriser, Monsieur !

s’exclama-t-elle en écarquillant les yeux, simulant la surprise.

Le professeur poussa un hurlement de rage et la gifla brusquement. Nina sentie sa joue

la brûler et ses yeux la piquèrent. D’un coup sec, elle se redressa pour quitter la salle. La

mascarade était terminée, autant s’en aller tout de suite. Elle ne craignait plus d’avoir une

retenue, elle savait qu’elle ne remettrait plus jamais les pieds dans cet établissement.

- Sale môme… Aussi pourrie que ta chienne de mère ! Tu sais combien de fois elle a dû venir

ramper à mes pieds pour que je passe l’éponge sur tes petites escapades ? lui lança-t-il avec

hargne avant qu’elle ne passe la porte.

- Quoi ? s’étrangla Nina en interrompant son geste, la main sur la poignée de porte.

- Oh oui, se réjouit le vieil homme en souriant de plus belle. Tu t’imaginais peut-être qu’après

toutes les fois où tu as fait l’école buissonnière, tu pouvais encore t’en tirer avec une simple

retenue ? Mais heureusement pour toi, ma petite, ta catin de mère venait me supplier à genoux

de te laisser poursuivre ta scolarité.

- Qu’avez-vous fait à ma mère ? demanda Nina d’une voix blanche.

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- Ohhh… Tout ce qu’on peut faire à une femme, murmura-t-il avec délice en se léchant les

lèvres.

Nina fut tellement écœurée parce ce geste qu’elle en détourna les yeux, sentant

d’authentiques larmes de rages lui bruler les paupières. Sous sa main, la poignée de letton

trembla. La jeune fille pivota vers le vieil homme, les prunelles brasillant de haine.

- Vous n’êtes qu’un gros porc dégueulasse.

- C’est marrant ta mère me disait la même chose ! s’exclama-t-il avec une lueur folle dans le

regard. Et puis quand j’ai vu qu’elle menaçait de révéler le secret de nos petits… «

arrangements », je me suis chargée d’aller la dénoncer à la milice. Il m’a suffi de faire croire à

ces imbéciles que ta mère complotait contre la Nation !

Toute la classe le dévisageait désormais avec des yeux ronds, l’air interdit. Mr. Daavril

se retourna vers eux et sembla prendre conscience de l’erreur qu’il venait de faire. Mais loin

de se liquéfier sur place, son sourire s’accentua de plus belle et il fit face à ses élèves.

- Naturellement, si l’un de vous souhaite expérimenter la sensation d’une balle lui trouant le

ventre, qu’il aille dès maintenant révéler à quiconque ce que je viens de dire. Je suis sûre que

le poids de votre insignifiante parole de bébés Lambda arrivera à me causer du tort, moi qui

suis un Elite, brillamment au-dessus de vous dans l’échelle de nôtre belle société.

Un frémissement parcouru les rangs des élèves et un silence lourd s’installa. Nina se

sentit étouffer, subitement rattrapée par les évènements. Elle avait plus ou moins réussi à

rejeter l’idée de la mort de sa mère jusqu’à maintenant, comme si elle avait appuyé sur le

bouton du pilotage automatique. Mais les vannes venaient d’être ré ouverte et une vague

d’amertume, de colère et de chagrin s’abattit sur elle. Elle chercha sa respiration, les yeux

larmoyants, la dure réalité du monde dans lequel elle vivait s’imposa de nouveau à elle, la

situation semblait sans issues. Le pire était qu’elle se savait désormais en partie responsable

du décès de sa mère.

Esmé avait deviné depuis des années à quel point s’évader dans Néo-Paris permettait à

Nina de mûrir, de devenir une jeune femme forte et rebelle. Elle avait sacrifié son honneur

puis sa vie pour que sa fille continue de vivre comme elle l’entendait. Nina se sentait emplie

d’un profond sentiment d’impuissance et de honte. Le simple fait d’imaginer sa mère supplier

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un homme pour lui permettre de continuer ses frasques lui était insupportable. A nouveau, elle

eut envie de faire mal.

Sans réfléchir, comme mue par une force invisible, elle se saisit d’un bidon d’huile

près du tableau qui servait à alimenter le générateur. Elle en arracha le bouchon et se mit à en

répandre le liquide sur toute la surface du bureau, aspergeant Mr. Daavril qui recula, effrayé

et surpris par sa soudaine réaction. Poussant un petit couinement de rat.

D’un geste brusque, elle attrapa la boite d’allumette qu’elle avait rangée dans son sac à

dos le matin même, en vue de son départ. Elle releva le menton et fixa son professeur avec un

air de défi, les yeux luisant de haine.

Comme une scène au ralenti, les secondes semblèrent se tordre et se distendre à

l’infini. Nina craqua l’allumette sans même s’en apercevoir. Et en un instant, l’image

changea. Tout se teinta dans des nuances de rouges, d’oranges et de jaunes. Les flammes

léchaient les murs, le bureau craquait et gémissait sous le feu destructeurs, les élèves hurlaient

en se tassant dans un coin de la classe, comme des animaux prit au piège.

Un sentiment d’apaisement vint se nicher dans la poitrine de la jeune fille tandis que

des flammes hautes de plusieurs mètres rongeaient tout ce qui se trouvait à ses côté, faisant

sombrer le monde autours de Nina. Des étincelles s’éparpillèrent à ses pieds et la chaleur

devint presque suffocante.

Ses yeux commencèrent à la piquer et elle dû détourner le regard, perdant de vu Mr.

Daavril dont les vêtements flambaient toujours. Les cris, délicieux, résonnaient encore à ses

oreilles. Elle battit en retraite, se couvrant la bouche et le nez de sa manche.

Nina couru jusqu’au bosquet d’arbre le plus proche de l’établissement. Elle se retourna

pour contempler derrière elle la petite salle de classe d’où s’échappait des gerbes de feu. Des

sirènes retentirent tout autour d’elle. La jeune fille s’écroula dans l’herbe, la tête entre les

mains. La milice allait débarquer d’ici quelques secondes, le périmètre avait déjà dû être

bouclé. Elle venait de réduire en cendre toutes ses chances de rejoindre Néo-Paris ce soir.

Quoiqu’il arrive désormais, elle sera forcément exécutée. Elle espérait juste que Mr. Daavril

soit mort lui aussi et que son geste n’ai pas été vain.

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La jeune fille pensa à sa mère qui avait sacrifié sa vie pour qu’elle soit libre,

finalement elle avait tout gâché sur un coup de folie. Réduisant tous les efforts d’Esmé à

néant. Elle imagina également la réaction d’Isaac en apprenant qu’elle s’était bêtement faîte

condamnée. Son comportement avait été criminel, mais elle ne se sentait pas coupable pour

autant. Elle voulait toujours autant que Mr. Daavril connaisse une fin aussi brutale que

douloureuse. En réalité, elle se sentait juste stupide. Parce qu’elle aurait pu faire ça beaucoup

plus habilement, afin de se laisser le temps de fuir vers la vielle Capitale.

Des bruits de pas et des cris se rapprochèrent d’elle. La jeune fille ferma les yeux,

refoulant les larmes qui coulaient sur ses joues. Puis elle sentie le contact froid du canon

d’une arme pointé droit sur sa tempe.

Nina contemplait le bout de ses chaussures, incapable de relever les yeux. Elle se

trouvait au tribunal de Berghen. Il régnait dans la pièce un froid glacial qui lui donnait la chair

de poule. La rage et la fougue des derniers jours l’avaient totalement désertée. Seul la honte et

la tristesse subsistaient encore dans sa poitrine. Tout était allé de travers.

Et Mr. Daavril n’était pas mort.

Elle l’avait appris deux jours plus tôt, alors qu’elle était encore dans sa cellule.

Madame Kaeper était venue lui rendre visite, des mèches caramel s’échappant de son chignon

d’ordinaire si strict. Sa tutrice avait le teint pâle et de profonds cernes sous les yeux, ce qui

avait interloqué Nina.

- J’étais censée en avoir terminé avec toi ! s’était écrié la jeune Directrice en levant les yeux

au ciel. Tuer un membre de l’équipe enseignante, rien que ça ! Nina, à quoi pensais-tu, bon

sang ?

- Il est mort ? Mr. Daavril est mort ? avait alors murmuré Nina en relevant la tête avec espoir.

- Bien sûre que non ! Espèce d’idiote ! Sinon tu serais déjà pendue par le cou en place

publique à l’heure qu’il est ! Le pauvre homme est toujours à l’hôpital.

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- Pauvre homme ? s’était offusquée Nina. C’est lui qui a fait tuer ma mère !

- Chuuut…. Je sais tout ça ! avait chuchoté Madame Kaeper en regardant avec anxiété autour

d’elle. Ce n’était pas une raison ! Et tu as plutôt intérêt à faire croire que c’était un simple

accident si tu veux t’en tirer vivante.

- Vivante ? Vous pensez qu’il y a encore une chance que le Jury me laisse m’en sortir comme

ça ? avait grommelé Nina en se renfrognant. Il y a des dizaines de témoins qui pourront

affirmer m’avoir vu jeter cette huile au visage de Mr. Daavril.

- Je suis amie avec le Juge chargé de cette affaire, j’ai obtenu de lui qu’il avance la date de ta

condamnation. Le professeur Daavril n’est pas encore sorti de l’hôpital, il ne pourra pas

témoigner contre toi. Et tes camarades de classes ont autant peur de lui que de moi, je suis

parvenue à les persuader que toute cette histoire n’était qu’un malentendu.

- Vous les avez menacés ? s’était offusqué la jeune fille en dévisageant sa tutrice avec des

yeux ronds.

- Oui… Enfin pas vraiment, avait grimacé Madame Kaeper en changeant rapidement de sujet.

Le plus important, c’est de laisser croire au Jury que tu es une Elite de naissance !

- Quoi ? Pourquoi ?

- Je suppose que tu as déjà entendu parler de « l’Elite des Délinquants » ?

- Evidemment ! C’est sur eux qu’il y a le plus d’émissions de télé-réalité…

- C’est exact ! Chez les Elites, lorsqu’un adolescent commence à avoir un comportement

déviant, il est aussitôt envoyé dans une Maison de Correction, où il est destiné à se remettre

dans le bon chemin. Ces adolescents deviennent plus tard des Elites du domaine des Arts,

ceux que tu vois partout à la télévision.

- Oui, je suis au courant, et d’ailleurs c’est débi-…

- Je sais. C’est plus compliqué que ça, malheureusement je ne crois pas pouvoir t’en parler en

détail. En tout cas, pas maintenant. En d’autres termes, chez les Elites, ce genre d’actes est

juste puni par un envoi en maison de correction. Si on arrive à minimiser un peu ton

comportement auprès du Jury, tu pourras éviter la mort et la prison. Mais comme tu le sais, les

Elites haïssent les Lambda et réciproquement. Si le Jury apprend que tu n’es pas une Elite de

sang, ils te condamneront comme une Lambda.

- Ils vont forcément l’apprendre !

- Pas si tu tiens ta langue ! Le Juge Marshall a promis de garder le secret et personne n’est

censé être au courant de ce changement, hormis les enseignants de l’établissement dont je suis

la directrice. Ils vont se taire, crois-moi.

- Pourquoi faîtes vous tout ça pour moi ? avait alors brusquement demandé Nina avec

méfiance.

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- Parce que j’ai fait une promesse. Et que même si tu fais tout pour me compliquer la tâche, je

vais la tenir. Maintenant fait profil bas jusqu’à la fin de ton procès et tout ira bien. Ma sœur

est directrice d’une maison de correction à Bryon, c’est à seulement quelques kilomètres de

Berghen. Elle pourra t’accueillir là-bas dès que ton assignation en maison de correction aura

été validée par le Juge. Tout se passera bien.

Puis Madame Kaeper était rapidement ressorti de la cellule dans un tourbillon de soie

noire, laissant derrières elles des effluves de son étrange parfum musqué. Encore une fois, elle

était partie sans laisser le temps à Nina de poser des questions. La jeune fille avait été de

nouveau frustrée et inquiète. Elle avait à peine compris le quart des enjeux de la conversation

qu’elles avaient eu. La seule chose qu’elle avait à faire était apparemment de garder un profil

bas.

La jeune fille releva les yeux sur la salle du Tribunal, un petit homme blond au crâne

dégarni et aux dents de devant proéminentes récitait les faits d’une voix fluette. Elle l’écouta

un instant puis son cerveau se déconnecta. Nina ne pouvait empêcher son esprit de

vagabonder sur la discussion qu’elle avait eu il y a quelques jours avec Madame Kaeper. Sa

tutrice avait évoqué la ville de Bryon. La ville lumière. C’était une immense citée destinée

aux plaisirs et au luxe, l’une des plus huppée d’Europa. Des Elites y vivaient en masse car il y

avait abondance de centres commerciaux, de parcs et de centre de loisirs. Mais Bryon était

également connue pour ses plateaux télés, ses immenses lieux de tournages et ses

Etablissements pour jeunes filles et jeunes garçons. Presque la totalité des émissions de télé-

réalités sur des adolescents étaient tournées à Bryon. Nina frissonna, à la fois excitée et

effrayée par l’idée de se retrouver vivre dans une telle ville.

Une voix fortes et grave l’avait de nouveau sorti de ses pensées et son regard s’était

aussitôt porté vers son avocat. Memphis Dalmey. Engagé spécialement par Madame Kaeper.

Cet homme était physiquement l’incarnation de la perfection, beau comme un Dieu. Il releva

ses yeux bleus vifs vers Cassiopée Luz, la Juge chargée de l’affaire. Aucun doute qu’avec des

regards comme ça, il remporte le procès, la femme semblait déjà entièrement sous son

charme.

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En face de lui, une jeune avocate dans un tailleur strict enrageait. Elle le fustigea du

regard avant de s’avancer vers la Juge en tentant de lui cacher le corps d’Apollon de

Memphis.

- Mon client à la moitié du visage entièrement brûlé et a quasiment perdu l’usage de son œil

gauche. Il réclame réparation.

- Malheureusement, Marianna, je ne crois pas qu’envoyer une jeune fille en prison l’aide à

retrouver l’usage de son œil, s’était alors doucement interposé Memphis en posant l’une de

ses larges mains sur la taille mince de l’avocate qui frémit avant de se dégager brusquement,

plus en colère que jamais.

- Pour vous ce sera « Mademoiselle Mevolio », éructa la jeune femme en le jaugeant d’un air

glacial. Et si l’on suit votre raisonnement, il serait donc parfaitement inutile de punir les

criminels puisque de toute manière, ça ne ressuscitera jamais les victimes !

- Ce n’est pas ce que j’ai dit, protesta-t-il d’une voix calme sans la quitter des yeux.

L’avocate se trémoussa, mal à l’aise. Son regard devint légèrement vitreux lorsqu’elle

posa de nouveau les yeux sur Memphis, mais elle parvint à rapidement se reprendre, secouant

la tête d’un air nerveux. Nina se sentit obligée de ressentir de l’admiration pour la jeune

femme. Il n’était pas facile de résister au charme de Memphis, surtout lorsqu’il était vêtu

comme maintenant d’un costard sur mesure mettant en valeur chaque détail de son sublime

corps, semblable à celui d’une statue grecque.

- Bon ! s’agaça la Juge en roulant des yeux. Si on en revenait à la proposition de Mr.

Dalmey ?

L’avocat de Nina se reprit instantanément et se recomposa un visage plus

professionnel, moins charmeur. Il s’éclaircit la voix avant de s’avancer dans le cercle de

lumière qui faisait face au bureau de la Juge.

- Merci. Comme je le disais, condamner cette fillette à mort serait parfaitement inutile,

n’oublions pas qu’il ne s’agissait que d’un très regrettable incident. Ma cliente a, dans un

accès de colère, renversé un bidon d’huile sur Mr. Daavril, mais à aucun moment elle n’a eu

l’intention d’y mettre le feu. C’était simplement le geste de colère d’une adolescente, tout ce

qu’il y a de plus normal. Cette petite crise a donné suite à un concours de circonstances, qui a

eu des conséquences fâcheuses, ce que nous regrettons tous ici. Ma cliente s’est vue offrir une

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place en maison de redressement, là où elle pourra –bien évidemment- apprendre à se

maîtriser.

- Un concours de circonstances ? s’étouffa d’indignation l’avocate de Mr. Daavril.

- Silence ! intima la Juge avant de se tourner de nouveau vers Memphis. Pourrions-nous

entendre s’il vous plait ce qu’a à dire la Directrice de la Maison de Correction en question ?

- Bien évidemment ! s’exclama Memphis en adressant à Cassiopée un immense sourire

ravageur. Mademoiselle Rebecca Kaeper ? Venez donc à la barre des témoins… Et prêtez

serment je vous prie avant que nous puisons enfin discuter de tout cela.

Une jeune femme que Nina n’avait alors jamais vue se leva et descendit d’un pas lent

les escaliers jusqu’à la barre, où elle se tint parfaitement droite face à l’assemblée. Nina en

profita pour la dévisager. Elle présentait une ressemblance frappante avec sa sœur ainée,

Madame Kaeper. A la différence que ses cheveux étaient relâchés dans son dos, se balançant

jusqu’à creux de ses reins en une cascade de mèches couleur caramel. Ses yeux étaient

également plus doux, pas d’un gris acier et perçant comme ceux de sa sœur, mais d’un vert

tendre, presque voilés.

Tout en elle inspirait le respect, son regard brillait d’intelligence et de maturité tandis

que son visage figé et sérieux irradiait de grâce et de beauté. Elle était saisissante. La jeune

institutrice leva une main gantée de blanc qu’elle posa sur un énorme livre devant elle. Les

prunelles toujours fixée sur un point invisible dans le fond de la salle, elle ouvrit la bouche.

- Je jure de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité, rien que la vérité,

articula-t-elle lentement avec un léger accent que Nina ne reconnut pas.

- Merci ma chère, la salua Memphis avant de se tourner vers Cassiopée, le sourire aux

lèvres. Vous pouvez à présent lui demander tout ce que vous souhaitez.

- Très bien, alors commençons. D’abord pouvez-vous nous confirmer que vous êtes bien

mademoiselle Rebecca Kaeper, Elite de Sang et directrice actuelle de l’établissement de

correction pour jeunes filles de Bryon ?

- Je m’appelle Rebecca Kaeper, Elite de Sang, directrice actuelle dans un établissement de

correction pour fille à Bryon, confirma la jeune femme sans sourciller.

- Et vous confirmez avoir autorisé l’accusée, Nina Reall ici présente, à intégrer votre

établissement si jamais telle était la volonté du Jury ?

- C’est effectivement ce que j’ai dit à son avocat.

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- Seriez-vous prête à vous engager devant toute la cour à tenir cette promesse ?

Rebecca inspira longuement et lança un léger coup d’œil à Memphis qui lui adressa un

signe de tête encourageant. La jeune femme posa alors son regard sur Nina pour la première

fois depuis le début de l’interrogatoire. Cela ne dura qu’un très bref instant mais l’adolescente

eut l’impression que Rebecca ne semblait pas réellement ravie de la compter parmi ses élèves.

Pourtant la directrice ne laissa rien transparaitre et retourna son attention sur Cassiopée.

- Je m’engage devant ce tribunal à tenir ma promesse d’intégrer Nina Reall dans mon

établissement si jamais le Jury en décidait ainsi.

- Et pensez-vous réellement que cette jeune fille à une chance de devenir une Elite

convenable à vos côtés ? demanda la Juge en jaugeant Rebecca d’un air inquisiteur par-

dessus ses petites lunettes rondes.

- L’équipe enseignante fera le nécessaire.

- Alors vous vous portez garante d’elle ? Si jamais elle recommençait, vous en serez tenue

pour responsable.

- Je jure que tant que cette jeune fille sera dans mon établissement, elle n’enfreindra plus

jamais les lois.

- Très bien… Nous allons faire une pause. Ramenez l’accusée à sa cellule, souffla

Cassiopée en se laissant tomber contre son dossier.

En quelques minutes, la salle se désemplit et des soldats en uniformes vinrent chercher

Nina pour l’escorter jusqu’aux sous-sols du tribunal où elle retrouva sa petite cellule grisâtre.

L’adolescente regagna sa couchette et s’allongea dessus, les yeux au plafond. Elle était

fatiguée de toutes ses discussions qui visaient à savoir si elle devait vivre ou mourir. Et

pendant ce temps, son ancien professeur, Mr. Daavril, était toujours vivant. Ses pensées

s’envolèrent vers Néo-Paris. Isaac devait être mort d’inquiétude de ne pas la voir arriver.

Peut-être même avait-il fait une descente dans Berghen pour essayer de la retrouver… Alors il

avait surement appris qu’elle était actuellement en train d’être jugée pour tentative

d’assassinat.

C’était presque comme si elle pouvait entendre d’ici Colton et Erika tenter de le consoler à

coup de « Je te l’avais bien dit, qu’elle était instable. Cette fille ne fait que s’attirer des ennuis

de toute façon ! ». Le plus frustrant était de ne pas pouvoir lui expliquer la situation. Nina

était sûre qu’il l’aurait comprise, lui qui avait le sang chaud et n’avait pas froid aux yeux. Il

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était exactement comme elle, si jamais une chose pareille lui était arrivée, il aurait foncé dans

le tas sans vraiment se soucier des conséquences. C’était son impulsivité qui lui faisait très

souvent défaut, mais heureusement pour lui, il avait toujours Colton et Erika à ses côtés pour

le guider, le calmer. Ces deux-là lui évitaient bien des problèmes.

Mais Nina n’avait personne. La jeune fille se recroquevilla sur elle-même, entourant ses

genoux de ses bras frêle, soudain gagnée par un terrible sentiment de solitude. En vérité, elle

n’avait pratiquement aucun ami, hormis Isaac qui ne faisait pas vraiment partie du même

monde qu’elle. La jeune fille avait bien des camarades avec qui elle s’amusait dans la cour au

collège… Mais personne sur qui elle aurait pu compter. Personne à qui confier ses secrets.

Juste, elle-même. Seule.

Il était bien trop tard pour les lamentations. L’erreur avait été faîte, elle avait été stupide.

Désormais sa vie ne lui appartenait plus, elle était entre les mains de gens bien plus puissants

qu’elle. Les adultes qui débattaient de son sort étaient à des années de lumière de pouvoir

comprendre la souffrance qu’elle éprouvait à savoir Mr. Daavril encore en vie. Ils ne

pouvaient pas mesurer l’intensité de sa frustration, semblable une grosse boule nichée dans sa

gorge qui lui faisait monter les larmes aux yeux. Et pour remédier à ce malaise, elle voulait

sentir le vent de Néo-Paris caresser sa peau. Elle avait besoin de se tenir au sommet de la plus

haute tour de la ville et de contempler sous ses pieds son monde, là où vivaient ceux qu’elle

aimait. Personne ne pouvait s’imaginer la douleur qu’elle éprouvait à être privée de cette

liberté-là, de ne plus sentir le soleil réchauffer ses bras nus et de ne plus entendre les fauves

rugir autour d’elle.

- Nostalgique, hein ? lui demanda une voix moqueuse.

Nina releva aussitôt les yeux, se redressant sur sa couchette. Devant-elle se tenait la

personne qu’elle s’attendait le moins à voir dans un pareil endroit. Colton Joynes.

Certainement habillé pour la première fois de sa vie avec des vêtements « normaux »,

probablement volés sur des Lambda. Il avait toujours son arrogant sourire et ses yeux rieurs,

comme si il était toujours sur l’un des toits de Néo-Paris et non pas dans les sous-sols d’une

prison.

- Qu’est-ce que… demanda-t-elle les yeux exorbités en se levant, agrippant les barreaux de

sa cellule.

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- J’ai un message pour toi, annonça-t-il en prenant un air soudain beaucoup plus sérieux.

Isaac te fait savoir qu’il ne te laissera pas pourrir en prison. Quel que soit la décision des

Jurés, on viendra te chercher. Alors prend ton mal en patience, je t’aime. Fin de citation.

- Colton grouille-toi ! On s’tire !

Une flamboyante rousse débarqua dans le champ de vision de Nina. Erika Corsez était elle

aussi habillée dans une tenue de Lambda, ce qui était encore plus étrange sur elle. Sans son

habituel short usé et ses brassières sombres qui laissaient découvrir ses hanches trop minces,

elle semblait presque trop normale. Elle avait l’apparence de n’importe qui… Du moins si on

ne faisait pas trop attention à ses cheveux de feu qui encadraient son visage comme un halo

lumineux, ni à ses yeux où brillaient une férocité et une sauvagerie qui n’existait dans aucun

regard de Lambda.

- Erika ! s’exclama Nina en lui adressant un sourire rayonnant.

- Désolée p’tiote ! On n’est pas là pour te faire évader, pas aujourd’hui en tout cas. Trop

d’monde. Mais on reviendra lorsque t’aura été jugée. On doit filer, ils vont revenir te

chercher !

- Et Isaac ? Où est Isaac ? cria Nina en se collant aux barreaux pour tenter de l’apercevoir.

- Désolée de te décevoir mais ton prince charmant n’est pas là. Il a eu… un empêchement.

- Comment ça ? Je croyais que l’armée avait quitté Néo-Paris, quel est le problème ?

- Chaque chose en son temps, intervint Colton en posant les yeux sur elle. Pour l’instant

contente-toi de ne pas faire d’avantage de bêtises, Isaac tenait à ce que quelqu’un vienne

te rassurer. On reviendra te chercher. Et lorsque tu seras de retour à la maison, on

t’expliquera tout ça.

Nina ne voulait surtout pas l’avouer devant Erika et Colton mais désormais une petite

flammèche venait de s’allumer dans son cœur, repoussant les ténèbres de la solitude. Colton

avait bien dit « à la maison ». Dans Néo-Paris. Chez-elle. Elle respira d’un coup sec pour

empêcher les larmes de couler le long de ses joues, mais elle se sentait comblée de bonheur.

Les chasseurs étaient sa famille et ils ne l’abandonneraient pas, elle n’était pas seule, c’était

faux.

- D’accord, répondit-elle la voix chargée d’émotions. Je vais me tenir sage pendant ce

temps… Dîtes à Isaac qu’il me manque.

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- Eh on n’est pas des pigeons voyageurs non plus ! protesta Colton.

Mais il lui sourit malgré tout avant de tirer un gun de sa ceinture et de s’éloigner,

reprenant son air mortellement sérieux. Erika lui emboita le pas en lançant un clin d’œil à

Nina, imitant ensuite le jeune homme en se saisissant à son tour d’une arme planquée sous sa

veste de Lamba. Ils disparurent ensuite du couloir et l’adolescente cessa de se dévisser le cou

à travers ses barreaux, se laissant glisser contre l’un des murs de sa cellule.

Nina tendis l’oreille et cru entendre au loin le bruit sourd de corps assommés tombant au

sol. Elle ne put s’empêcher de se sourire à elle-même. Rien n’arrêtait jamais les chasseurs

urbains. Ils étaient la parfaite incarnation de la liberté et de la sauvagerie. Indomptable, fiers,

téméraires. Ils allaient là où les menaient leur volonté, se moquant des normes et des

contraintes sociales. Ils jouaient avec les autorités, méprisant tout ce qui pouvait les priver de

leur liberté. Plus que jamais Nina ressentait le besoin d’être comme eux. Et ce sera bientôt le

cas. C’était à son tour de jouer les mauvaises filles, d’envoyer tout balader. D’être exactement

comme elle souhaitait l’être. L’adolescente releva le menton lorsque des soldats vinrent la

chercher et leur adressa son sourire le plus provocateur.

Ce n’était pas parce qu’elle portait des menottes aux poignets qu’elle était domptée. Elle

était décidée à ne plus jamais laisser quiconque faire entrave à sa liberté. Car Nina n’était pas

faite pour vive à Europa. Elle n’était pas faîte pour s’adapter à une vie entière de privations.

Elle était née pour être libre.