Quid de MED ? Contribution au projet AIME pour ériger le médiatique au statut de mode...

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Yves Citton Quid de MED ? Contribution au projet AIME pour ériger le médiatique au statut de mode d’existence Entretien avec Bruno Latour, MediaLab 31 mars 2014 Que dit-on d’une personnalité quand on la caractérise comme « médiatique » ? Ne pourrait-on pas reconnaître dans cette caractéristique un mode d’existence à part entière, méritant d’être intégré parmi les modes d’existence identifiés et analysés par Bruno Latour dans son dernier ouvrage et dans son projet AIME ? Les remarques ci- dessous avancent quelques éléments de réponse pour l’identification d’un contraste MED pour Médiatique – proposé à la réflexion critique de l’entretien du lundi 31 mars. 1. Nous agissons médiatiquement lorsque nos gestes physiques, verbaux ou relationnels s’adressent à des « publics » qu’ils influencent en passant par un intermédiaire capable de redimensionner l’espace et le temps au-delà de notre présence hic et nunc. La définition des media s’appuient donc sur la notion de « public » chez Tarde, comme différente de celle de « foule » ; les quasi-sujets de MED sont les membres d’un public. 2. Ce qui permet de repérer MED au sein des interactions humaines est l’apparition d’effets de résonances entre les pensées, les propos ou les gestes d’individus apparemment séparés et isolés les uns des autres. Les conditions de félicité ou d’infélicité devront déterminer ce qui aide ou ce qui empêche un geste de résonner au-delà de la sphère de rayonnement de son hic et nunc.

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Yves CittonQuid de MED ?Contribution au projet AIMEpour ériger le médiatique au statut de mode d’existenceDocument préparatoire à l'entretien avec Bruno Latour, MediaLab 31 mars 2014.

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Yves Citton

Quid de MED ?Contribution au projet AIME

pour ériger le médiatique au statut de mode d’existence

Entretien avec Bruno Latour, MediaLab 31 mars 2014

Que dit-on d’une personnalité quand on la caractérise comme « médiatique » ? Ne pourrait-on pas reconnaître dans cette caractéristique un mode d’existence à part entière, méritant d’être intégré parmi les modes d’existence identifiés et analysés par Bruno Latour dans son dernier ouvrage et dans son projet AIME ? Les remarques ci-dessous avancent quelques éléments de réponse pour l’identification d’un contraste MED pour Médiatique – proposé à la réflexion critique de l’entretien du lundi 31 mars.

1. Nous agissons médiatiquement lorsque nos gestes physiques, verbaux ou relationnels s’adressent à des « publics » qu’ils influencent en passant par un intermédiaire capable de redimensionner l’espace et le temps au-delà de notre présence hic et nunc. La définition des media s’appuient donc sur la notion de « public » chez Tarde, comme différente de celle de « foule » ; les quasi-sujets de MED sont les membres d’un public.

2. Ce qui permet de repérer MED au sein des interactions humaines est l’apparition d’effets de résonances entre les pensées, les propos ou les gestes d’individus apparemment séparés et isolés les uns des autres. Les conditions de félicité ou d’infélicité devront déterminer ce qui aide ou ce qui empêche un geste de résonner au-delà de la sphère de rayonnement de son hic et nunc.

3. Le hiatus propre à MED tient à la synchronisation (dans l’espace) ou à l’alignement (dans le temps) de comportements humains apparemment séparés. Il y a synchronisation lorsque des millions d’humains résonnent simultanément de joie ou de dépit lorsqu’une équipe marque un but dans la finale du Mondial ; il y a alignement lorsqu’un lecteur du XXIe siècle lisant les dialogues de Platon reproduit les postures argumentatives tenues par Socrate il y a plus de deux millénaires.

4. Alors que les théories de la communication nous conduisent à envisager les media comme des « canaux » dans lesquels circulent de « l’information » reçue avec plus ou moins de fidélité ou de bruit, il convient de les envisager (aussi) comme des voûtes catalysant certains effets de résonance qu’on nommera envoûtements. Ces voûtes médiatiques constituent l’infrastructure des effets de résonance qui se déploient au sein d’une formation sociale.

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5. Les conditions de félicité propres à MED tiennent à l’articulation entre ce qu’on appelle « rhétorique » depuis la Grèce antique (ou « économie de l’attention » aujourd’hui) et l’habileté à jouer des singularités des voûtes dans lesquelles notre performance est appelée à résonner.

6. Un personnage médiatique se caractériserait par sa réussite à élaborer des gestes producteurs d’envoûtements résonnants. Un certain usage du verbe passer exprime bien ce contraste, lorsqu’on dit de quelqu’un qu’il « passe bien » à la télé, ou d’une voix qu’elle « passe bien » à la radio. Cela relève à la fois de son positionnement dans les réseaux constitutifs des voûtes médiatiques et d’un « génie » propre à ses comportements (comme lorsqu’on dit de quelqu’un qu’il est télégénique ou photogénique).

7. À l’inverse, la caractéristique principale de quelqu’un qui « passe mal », c’est-à-dire qui échoue à donner à exister médiatiquement, est d’ennuyer – au double sens du désintérêt (boring : je m’ennuie en le regardant/écoutant/lisant) et du déplaisir (sa performance est annoying).

8. On pourrait donc proposer de rajouter une ligne au tableau général des modes d’existence avec le contenu suivant :

Nom : MEDiatiqueHiatus : synchronisation, alignementTrajectoire : résonance, envoûtementFélicités : passer Infélicités : ennuyerAltération : influence à distance (temporelle ou spatiale)Position : le MEDiatique servirait de charnière entre le groupe 2 (TEC, FIC, REF) et le

groupe 3 (POL, DRO, REL).

Sujet de la discussion de lundi 31 mars :

Pourquoi ne pas avoir donné aux media un registre propre ?

Qu’est-ce qui invalide les propositions faites ci-dessus ?

Si le médiatiquement ne constitue pas un mode d’existence, comment caractériser le statut des media au sein des divers modes d’existence ?