Quatre bonnes raisons de participer aux cinq journées de Milan

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Quatre bonnes raisons de participer aux cinq journées de Milan (29 avril - 3 mai 2015) Dans l’histoire italienne, les « cinq journées de Milan » désignent l’insurrection qui eut lieu dans la capitale lombarde du 18 au 22 mars 1848. Le peuple se souleva pour chasser les autrichiens qui occupaient alors une grande partie du nord de l’Italie. L’insurrection dura cinq jours et contraint les troupes autrichiennes à quitter la ville. Un gouvernement provisoire modéré se chargea vite de mater les ardeurs révolutionnaires de certains insurgés et, ses aspects les plus radicaux une fois gommés et oubliés, l’insurrection sera célébrée comme un événement fondateur de la dynamique qui mènera à l’unité italienne. Le réseau No Expo qui appelle à une grande manifestation le 1 er mai 2015 en opposition à l’inauguration de l’Exposition Universelle à Milan a choisi de faire écho à ces « chaudes journées de lutte » de 1848 (Engels) pour désigner les cinq jours de mobilisation qui entoureront la date du 1 er mai. Les « cinq journées de Milan » version 2015 se dérouleront du 29 avril au 3 mai. Le programme est le suivant : 29 avril : manifestation antifasciste contre le défilé néonazi en mémoire du fasciste Sergio Ramelli, mort le 29 avril 1975. 30 avril : manifestation étudiante et lycéenne 1 er mai : grande manifestation contre l’inauguration de l’Exposition Universelle 2015. Plusieurs dizaines de milliers de manifestants sont attendus. 2 mai : journée d’actions de blocage du site de l’Exposition Universelle 3 mai : assemblée générale pour construite les six mois d’opposition à Expo Un camping sera ouvert à partir du 30 avril pour accueillir les manifestants venus d’ailleurs, plusieurs lieux dans la ville seront également à disposition comme info-points et espaces d’organisation pour ces journées. A l’attention des lecteurs francophones, qui ont sans doute eu accès à très peu d’informations sur l’opposition à l’Expo 2015, voici quatre bonnes raisons de se rendre à Milan pendant ces journées de lutte (ou au moins à la manifestation du 1 er mai, pour ceux qui auraient moins de temps). 1. Parce que l’Expo 2015 n’est pas seulement un « grand événement » isolé, limité à la ville de Milan et à l’année 2015, mais un instrument de plus dans la mainmise du capitalisme sur tous les aspects de la vie Les « grands événements » comme technique brutale de gouvernement

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Quatre bonnes raisons de participer aux cinq journées de Milan (29 avril - 3 mai 2015)

Dans l’histoire italienne, les « cinq journées de Milan » désignent l’insurrection qui eut lieu dans la capitale lombarde du 18 au 22 mars 1848. Le peuple se souleva pour chasser les autrichiens qui occupaient alors une grande partie du nord de l’Italie. L’insurrection dura cinq jours et contraint les troupes autrichiennes à quitter la ville. Un gouvernement provisoire modéré se chargea vite de mater les ardeurs révolutionnaires de certains insurgés et, ses aspects les plus radicaux une fois gommés et oubliés, l’insurrection sera célébrée comme un événement fondateur de la dynamique qui mènera à l’unité italienne.

Le réseau No Expo qui appelle à une grande manifestation le 1er mai 2015 en opposition à l’inauguration de l’Exposition Universelle à Milan a choisi de faire écho à ces « chaudes journées de lutte » de 1848 (Engels) pour désigner les cinq jours de mobilisation qui entoureront la date du 1er mai.

Les « cinq journées de Milan » version 2015 se dérouleront du 29 avril au 3 mai. Le programme est le suivant :29 avril : manifestation antifasciste contre le défilé néonazi en mémoire du fasciste Sergio Ramelli, mort le 29 avril 1975.30 avril : manifestation étudiante et lycéenne1er mai : grande manifestation contre l’inauguration de l’Exposition Universelle 2015. Plusieurs dizaines de milliers de manifestants sont attendus.2 mai : journée d’actions de blocage du site de l’Exposition Universelle3 mai : assemblée générale pour construite les six mois d’opposition à Expo

Un camping sera ouvert à partir du 30 avril pour accueillir les manifestants venus d’ailleurs, plusieurs lieux dans la ville seront également à disposition comme info-points et espaces d’organisation pour ces journées.

A l’attention des lecteurs francophones, qui ont sans doute eu accès à très peu d’informations sur l’opposition à l’Expo 2015, voici quatre bonnes raisons de se rendre à Milan pendant ces journées de lutte (ou au moins à la manifestation du 1er mai, pour ceux qui auraient moins de temps).

1. Parce que l’Expo 2015 n’est pas seulement un « grand événement » isolé, limité à la ville de Milan et à l’année 2015, mais un instrument de plus dans la mainmise du capitalisme sur tous les aspects de la vie Les « grands événements » comme technique brutale de gouvernement

Qu’ont en commun la coupe du monde de football au Brésil en 2014, les Jeux Olympiques d’Athènes en 2004, et l’Expo 2015 à Milan ? D’avoir enlaidi les villes, chassé les pauvres loin du centre, fait monter les prix des loyers déjà difficiles à payer ? D’avoir donné lieu à des scandales de corruption se chiffrant en milliards, d’avoir enrichi quelques oligarques, d’avoir littéralement tué au travail de nombreux ouvriers sur les chantiers en raison des cadences insoutenables ? D’être des occasions pour militariser encore plus les rues, mettre des caméras de surveillance et des policiers à chaque carrefour, de créer un climat de peur généralisée et la mise en place de lois et de procédures d’exceptions au nom de la « menace terroriste » ?

Eh bien, toutes ces réponses sont justes, mais la plus importante est sans doute celle-ci : ces grands événements ne sont pas seulement sourdement haïs par de nombreux habitants des pays hôtes malgré le chantage à l’emploi qui les accompagne inévitablement, ils ont aussi parfois donné lieu à de larges mouvements d’opposition qui ont permis à des dizaines de milliers de gens de se rencontrer, de s’organiser, de résister ensemble à la police, de construire un mouvement de lutte et de solidarité.

Catastrophique du point de vue financier (des milliards d’euros partis en fumée), minée par les scandales (les dirigeants de l’Expo étant tous mis en examen pour des appels d’offres truqués, c’est un commissaire

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spécial du gouvernement qui est désormais en charge de la finalisation du projet), l’infiltration de la mafia, les retards absurdes (à quinze jours de l’inauguration, plus de la moitié des travaux sont encore en cours), vue par la plupart des milanais comme une dépense au mieux inutile et au pire nuisible à la ville, l’Exposition universelle n’a pourtant pas donné jour à un véritable mouvement large d’opposition.

Le site choisi pour accueillir l’Exposition Universelle (plus de 100 hectares de terres cultivables bétonnées, auxquels il faut ajouter 1500 hectares couverts par les parkings, échangeurs, autoroutes et routes d’accès) se trouve à Rho, dans la banlieue de Milan, entouré par des kilomètres de murs et de grillages hyper-sécurisés, loin des regards de la plupart des habitants de la ville. Ce que commencent en revanche à ressentir toujours plus de milanais, et surtout les habitants des quartiers périphériques, ce sont les conséquences de l’Expo sur leur vie quotidienne : gentrification des quartiers les plus proches du centre, démolition ou restructuration des logements à loyer modéré, campagne d’expulsion des appartements occupés, 5000 flics et 1200 militaires qui patrouillent dans les rues, surveillent et harcèlent les opposants. Expo 2015 : debito, cemento, precarietà : plus de dettes, plus de béton, plus de précarité…

Les grands événements comme les expositions universelles, dont Walter Benjamin écrivait qu’elles « sont le lieu de pèlerinage où l’on vient adorer le fétiche marchandise » ne fait que concentrer la logique à l’œuvre au quotidien dans les métropoles du monde entier. C’est pourquoi la date du 1er mai est ouverte à tous ceux qui, en Italie et en Europe, luttent contre la dévastation de leurs terres, de leurs quartiers et de leurs conditions de vies et inventent d’autres façons d’habiter les villes et les campagnes, qu’il s’agit d’arracher à la logique implacable de la valorisation et de restituer à l’usage commun. Lutter contre l'Expo 2015, c’est lutter contre la rationalisation, la mise en nombre, en équations, en quantités, en sommes chiffrables, achetables, vendables et exploitables de tous les espaces de la terre, de tous les temps de l’existence, de toutes les activités des êtres vivants. C’est inventer dès maintenant d’autres usages du monde.

2. Parce que le thème de l’Expo 2015 est « Nourrir la planète » et que ses principaux partenaires s’appellent Coca-Cola, McDonalds ou Dow ChemicalsNourrir la planète ou nourrir les multinationales ?

Les milliards d’euros nécessaires à la réalisation d’Expo sont en majorité des fonds publics (Etat italien, collectivités territoriales et Etats participants). De nombreuses critiques du projet tournent autour de ce financement public, qui augmente encore le montant de la dette du pays, dans un contexte où le gouvernement Renzi exige que les Italiens se serrent toujours plus la ceinture, renoncent à ce pour quoi leurs parents se sont battus et acceptent les réformes néolibérales au nom de la lutte contre l’endettement.

Le reste des fonds est fourni par des partenaires privés. Quelques exemples édifiants : Coca-Cola, McDonalds, Eni-Enel (numéro un de l’énergie en Italie, particulièrement connu pour ses affaires en Afrique), Finmeccanica (le plus gros marchand d’armes italien) ou encore Fiat-Chrysler sont tous partenaires officiels et bailleurs de fonds de l’Expo 2015. Les partenaires du pavillon américain, sympathiquement baptisé « American Food 2.0 », sont encore plus emblématiques pour comprendre à qui profite l'Expo : PepsiCo, Dow Chemicals (inventeurs du fameux Agent Orange, responsables de la catastrophe de Bhopal), DuPont (n°2 mondial des OGM derrière Monsanto, fournisseur de 15% des semences mondiales), etc.

Chaque exposition universelle s’articule autour d’un thème. Celui d’Expo 2015 est « Nourrir la planète. De l’énergie pour la vie ». Les différents pavillons entendent proposer des solutions pour nourrir une planète de 9 milliards d’habitants en 2050. Derrière une rhétorique « verte », il s’agit de promouvoir la technologie et le libre marché comme uniques « solutions » au « problème » de l’alimentation. Les entreprises et les gouvernements responsables du désastre écologique actuel, de la destruction des sols et des espèces vivantes, du réchauffement climatique par émission de gaz à effet de serre, de l’extractivisme forcené, de la pénurie d’eau potable, des conditions de vie atroces des animaux d’élevage, des maladies et des morts dues à la nourriture industrielle empoisonnée comptent sur Expo 2015 pour se présenter comme les champions d’une agriculture verte, durable, éthique et « écoresponsable ». Il s’agit là d’une classique opération de

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greenwashing, à travers laquelle les gouvernements et les multinationales du secteur de l’agro-alimentaire tentent de « verdir » leur image de pollueurs cyniques.

S’il existe un « problème » de l’alimentation, ce sont ces Etats et ces entreprises qui en sont la source, qui sont d’ailleurs eux-mêmes le problème. Des siècles de capitalisme prédateur, de colonisation et de pillage, de remplacement forcé des cultures vivrières par la monoculture, de logique productiviste et de destruction des milieux de vie ont fini par produire le problème de l’alimentation, par créer la rareté des ressources que l’économie prend pour présupposé.

Face à cette farce de « l’économie verte », seules les luttes peuvent faire de la place pour qu’émergent ou ré-émergent d’autres façons d’envisager la question de la nourriture, des liens avec la terre, l’eau, les animaux. La véritable question n’est pas tant : « comment nourrir la planète en 2050 ? » mais plutôt « comment faire pour que la planète ne devienne pas un vaste désert asséché par le réchauffement climatique d’ici 2050 ? » La réponse se trouve dans les luttes contre l’exploitation des hydrocarbures, contre les pipelines, les mines à ciel ouvert, les méga-barrages, les trains à grande vitesse, les autoroutes, les aéroports construits sur des zones humides, les champs d’OGM, etc. Certaines de ces luttes seront présentes à Milan le 1er mai, du mouvement No TAV contre la ligne de TGV Lyon-Turin à Genuino Clandestino, réseau de paysans qui se battent pour l’autodétermination alimentaire.

3. Parce que 7000 personnes travailleront sans aucune rémunération pour l'Expo 2015Volontariat ou esclavage moderne ?

On aura beaucoup entendu parler d’Expo 2015 en Italie pour les scandales de corruption qui ont entouré le projet dès ses débuts. Comme tous les autres grands projets imposés en cours de réalisation en Italie (lignes de train à grande vitesse, projet de digue MOSE à Venise, nouvelle ligne de métro à Rome, autoroute en Calabre, projet MUOS en Sicile), l'Expo 2015 a été éclaboussée par des affaires d’infiltrations mafieuses et d’appels d’offre truqués. La gestion mafieuse des grands travaux publics et le détournement des fonds, au mépris des critères environnementaux ou de sécurité sur les chantiers est la norme en Italie, on ne s’en émeut même plus. Mais l'Expo 2015 ne se contente pas de mettre en péril la vie des ouvriers en les faisant travailler de jour comme de nuit pour finir les travaux à temps et de les intoxiquer en ne garantissant pas la bonification du terrain avant septembre, elle entend aussi faire travailler gratuitement des milliers de volontaires.

Dans un premier temps, l'Expo avait pour projet d’employer 18500 volontaires au cours de ses six mois d’existence, chiffre par la suite abaissé à 7000, par manque de candidatures notamment. L’argumentaire est le suivant : un stage comme volontaire pour l’Expo, non rémunéré, viendra embellir le CV des jeunes diplômés qui peinent tant à trouver un emploi en Italie et les aidera à terme à intégrer le marché du travail. En attendant, travaillez pour nous sans broncher et sans réclamer un centime, l'Expo vous fait une faveur en acceptant de vous employer comme main d’œuvre gratuite !

La seule façon crédible de s’opposer à ce nouvel esclavage, c’est de combattre la dictature du travail. Qu’il soit rémunéré ou non, que l’on soit salarié, intérimaire, travailleur au noir et maintenant « volontaire » (comme si quelqu’un pouvait avoir la volonté de faire l’hôtesse d’accueil derrière les stands de l’Expo, comme d’autres sont bénévoles dans une association humanitaire), la logique de fond reste la même. Travailler sous le capitalisme, c’est toujours se faire exploiter, c’est voir son activité, son temps, son savoir-faire, l’usage de son corps ou ses idées réduits à des marchandises échangeables contre de l’argent, c’est être mis en concurrence avec ses semblables, c’est subir le règne de la rivalité et jamais de la solidarité, obéir aux contraintes absurdes du profit, c’est voir les années passer en étant dépossédé de sa propre existence.

Le slogan « Io non lavoro gratis per expo » (Je ne travaille pas gratuitement pour l'Expo) doit devenir un point de départ pour devenir plus nombreux à refuser les conditions de vie qu’on nous impose non plus du

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point de vue du travail, pris comme un fait donné et transhistorique, en réclamant des droits, des garanties, une exploitation à visage humain ou un revenu minimal d’existence. Les mouvements révolutionnaires du passé ont beaucoup souffert de cet attachement aux vertus du travail, de cette croyance en la centralité de la contradiction entre le (bon) travail et le (mauvais) capital, entre l’économie réelle, saine et honnête des travailleurs et l’économie financière, abstraite et injuste des vilains spéculateurs. L’argent, la valeur, les richesses produites à la sueur de notre front ne sont pas seulement injustement distribuées, c’est le fait même qu’il existe de l’argent, que l’on réduise toute chose à sa valeur marchande et que l’essentiel de l’activité humaine soit tournée vers la production qui constitue le désastre de cette civilisation.

Les travailleurs en lutte dans le secteur de la logistique, les syndicats de base, les précaires et les chômeurs qui s’organisent seront présents dans la manifestation du 1er mai. Leurs luttes ne peuvent se rencontrer, s’élargir, passer des revendications particulières à la critique globale de la société du travail, devenir des luttes non plus pour ne pas perdre son emploi mais contre la réduction de l’existence aux diktats du travail que si elles se renforcent, avec l’effort de tous. Ce qui peut s’opposer victorieusement à la précarité du XXIème siècle, ce n’est pas l’emploi stable et l’Etat providence du siècle dernier et encore moins la chimère du revenu garanti, mais la lutte acharnée pour construire des mondes communs affranchis du poids du travail et de l’abstraction marchande dont l’Exposition Universelle est la vitrine.

4. Parce que l’opposition à l'Expo 2015 est une formidable occasion pour rencontrer d’autres gens en lutte contre le capitalismeDes luttes territoriales à la révolution

En 2006, lorsque les Jeux Olympiques ont été organisés à Turin, la même logique du « grand événement » était déjà à l’œuvre. Depuis cette date, des luttes sont nées, d’autres se sont renforcées et surtout se sont enracinées un peu partout en Italie, des vallées des Alpes (No TAV) aux collines de Sicile (No Muos) en passant par les quartiers périphériques de Rome, Milan ou Florence (mouvement de la lutte pour le logement). Les lycéens et les étudiants, dont les petits frères et les petites sœurs manifesteront le 30 avril, ont occupé leurs écoles et leurs universités en 2008 et 2010. Le 14 décembre 2010, puis le 15 octobre 2011, la police a été mise en échec par les émeutiers et surtout la récupération pacifiste, démocratique et « indignée » de la colère par les partis de gauche n’a pas fonctionné. Les luttes autonomes, les occupations, les combats locaux pour défendre un bout de terre ou un quartier contre la spéculation se sont multipliés. Et, plus que tout, c’est une façon de penser la politique à distance des institutions, des partis et des urnes qui s’est expérimentée et consolidée dans toutes ces expériences.

Plus près de nous, la lutte des habitants des quartiers populaires de Milan (San Siro, Giambellino, Corvetto) a permis de ralentir la campagne d’expulsions lancée en novembre 2014. Face aux barricades, aux comités de quartier auto-organisés, aux piquets anti-expulsion à l’aube, à la solidarité entre les habitants des quartiers et d’une zone de la ville à l’autre, la région Lombardie a dû faire marche arrière et les occupations de logements (plus de 4500 dans toute la ville) ont repris de plus belle. Durant ces semaines tendues, les quartiers se sont mis à revivre, les murs ont repris les couleurs des fresques et des inscriptions contre les expulsions, des lieux ont été ouverts pour accueillir les activités des comités de quartier, de la redistribution de nourriture au soutien scolaire pour les enfants. Le racisme et les tensions entre les communautés se sont apaisés, des voisins qui s’ignoraient ont appris à se connaître, les stands électoraux de la Ligue du Nord ne sont plus les bienvenus…

Même dans ces banlieues où la ville-vitrine relègue ceux qu’elle considère comme inutiles, comme comptant pour rien, comme des déchets qu’il faut tenir loin des rues propres du centre, il peut faire bon vivre si l’on se serre les coudes et qu’on cesse de croire qu’une quelconque institution viendra nous sauver d’en haut. Il ne s’agit pas de défendre les quartiers mais de les faire exister en les habitant pleinement, en commun. Comme le disait un tract du mouvement No TAV en 2011 : les opposants au Lyon-Turin « ne se sont pas contentés de défendre un « territoire » dans l’état dans lequel il se trouvait, mais l’ont vécu et

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habité dans l’optique de ce qu’il pouvait devenir. La lutte ne défend pas un territoire qui la précède. Elle le fait exister, le construit, lui donne une consistance. » Les habitants de ces quartiers et plus généralement tout le mouvement national de la lutte pour le logement et contre les expulsions seront présents dans les rues du centre-ville le 1er mai. Cette force immense et explosive se lèvera des quartiers populaires et submergera les places et les avenues. Elle portera un peu de vie, un peu de bruit, un peu de couleur dans les rues du cœur de la métropole, d’habitude vouées à l’exposition triomphale des marchandises inertes derrière les vitrines et à leur consommation rituelle.

Les quartiers ou les territoires en lutte sont voués à être écrasés s’ils restent isolés, le mouvement No TAV comme la lutte pour le logement le savent depuis longtemps et ont commencé à tisser des liens avec des réalités éloignées géographiquement et pourtant si proches dans leurs intentions, leurs manières de faire et leur conscience de lutter contre un ennemi commun, aussi global que diffus. Ces liens doivent devenir plus denses et surtout viser toujours plus loin. Les habitants pauvres de toute l’Europe subissent les politiques de l’Union Européenne, du FMI et de la BCE, et seront peut-être confrontés demain à une force de police européenne. Les firmes multinationales, les dirigeants politiques, les services de renseignement et les organisations de gauche servant à freiner le mouvement révolutionnaire s’organisent à l’échelle européenne, sinon mondiale. Les luttes, de leur côté, sont fortes lorsque qu’elles ont ancrées dans des lieux, liées à des histoires, à des usages particuliers, lorsque les décisions à prendre sont le fait d’êtres de chairs et d’os qui se connaissent et se parlent les yeux dans les yeux et non pas décidées au loin au nom de quelque doctrine universelle. Cela ne veut pas dire que toute organisation à une échelle plus large soit impossible. A nous de tirer les leçons de l’histoire ancienne et récente, de la Première Internationale, née justement sous le signe des Expositions Universelles (suite à l’envoi de délégués des travailleurs français à l’exposition de Londres en 1862) aux liens qui se tissent aujourd’hui de par le monde entre tous les mouvements contre la restructuration des villes, la construction des infrastructures et l’exploitation acharnée de la terre.

Hier à Francfort.Demain à Milan.Après-demain partout où se trouvera « le mouvement réel qui abolit l’état de choses existant ».Ci vediamo sulle barricate !