Quartiers libres N°103 - des gens

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1 Quartiers libres Le canard du 19 ème et de Belleville N°103 automne-hiver 2006

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Quartiers libres

Le canard du 19ème et de Belleville

N°103automne-hiver 2006

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N°103automne-hiver 2006

Maquette : Isabelle Abiven - [email protected] - 06 10 88 51 46

CHRONIQUE HISTORIQUE4 Des vacances impériales... p.c.c Denise François et Roland Greuzat9 La laïcité française, une originalité politique... Jean-François Decraene12 Léon et Camille Gaumont. Maxime Braquet19 Entretien avec Maurice Arnoult, Juste parmi les Nations. Michel Fabréguet26 Les Richard,de l’école d’apprentissage Diderot au lycée technique Jules Richard. Maxime Braquet

RECITS POETIQUES ET AUTRES6 Mémoires d’un épicier de la Villette,(suite 8) François-Ernest Michaud, Marie et Jean-François Decraene16 J’ai un D.A.D.A... Frédéric Monnet28 Aimez-vous rêver? rêver éveillé? rêver libre? Claire Joachim

QUARTIERS LIBRES JUNIOR17 Pourquoi la mer est-elle salée? Arnaud Florand18 Suite du conte : GAFY. Catherine Eboulé

POINTS DE VUE ET VIE LOCALE 14 La petite ceinture,du canal St Denis à la Seine. René Minoli15 A 109 ans, Léon Weil nous a quittés...21 Vincent Safrat,éditeur social. Elisabeth Crémieu25 De l’entrepôt aux lofts : ODOUL. Edith Lauton30 La chasse aux sans-papiers et leurs enfants. Christian Eboulé

ARTS CULTURE ET SPECTACLES8 à Belleville, place des Fêtes. Poème de Louis-Bernard Papin8 On a lu: La maternelle, de Léon Frapié20 Performance diplomatique. Poème de Gram23 Maurice Loutreuil, peintre bellevillois. Jacqueline Herfray24 On a lu : Le Carré Baudoin, plaquette de l’A.H.A.V.24 Le prix. Poème de Gram31 L’enfant frontière. Poème de Tian32 Amadou Gaye : négritudes, balade poétique.

Publié depuis 1978 par l’association du même nom, Quartiers Libres a pour but de faire circuler des informations locales et de donner la parole aux habitants du 19e et de Belleville, à ceux qui y travaillent et aux associations. Totalement indépendant, il est ce qu’en font ses lecteurs.Les textes sont à nous donner sur disquette, logiciel Word Mac ou PC, enregistrés au “format RTF ou texte seul”.Téléphonez-nous avant pour toutes indications concernant les majuscules et la ponctuation.Nous rendons textes, photos, documents et disquettes.NOUVEAU : Si vous avez un e-mail ou si vous avez un voisin qui en a un, abonnez-vous à la lettre mensuelle gRATUiTE de Quartiers Libres le 15 de chaque mois. Pour la recevoir, et c’est gRATUiT, envoyez votre mail ou celui d’un proche à [email protected]. Si vous êtes adhérents, vous pouvez en plus envoyer vos brèves au tél/fax 01 42 03 78 57 ou au mail [email protected], 6 jours avant la parution. Prochaine lettre le 15 octobre 2006. Prochain magazine semestriel avril 2007. QUARTiERS LiBRES9-9 bis, rue du Hainaut, 75019 Paris Téléphone et fax 01 42 03 78 [email protected]

Directeur de la publication : Antoinette AngénieuxCe numéro a été réalisé par : isabelle Abiven, Antoinette Angénieux, Maurice Arnoult, Josiane Balasko, Juliette Bernadac, Maxime Braquet, Marcel Créach, Elisabeth Crémieu, Marie Decræne, Jean-François Decræne, Catherine Eboulé, Christian Eboulé, Michel Fabréguet, Arnaud Florand, Denise François, Amadou gaye, Yves géant, gram-Manège, Roland greuzat, Jacqueline Herfray, Victor Hugo, Claire Joachim, gérard Juteau, Edith Lauton, François-Ernest Michaut, Michel-Ange, René Minoli, Frédéric Monnet, Louis-Bernard Papin, Maryannig Pustoc’h, Vincent Safrat, Tian.

C.P. : n° 61746 i.S.S.N. : O224-2303imprimerie gRAPHOPRiNT86 rue Blomet Paris 15ème

Octobre 2006

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Une lettre de félicitation du Maire de Paris, un article dans le Monde sur Belleville de Catherine Simon où Quartiers Libres est présenté comme « l’indispensable gazette du 19ème et de Belleville ». Ces marques de reconnaissance nous réconfortent et nous espérons que nos lecteurs se retrouvent dans ces apprécia-tions. Nous poursuivons avec l’aide de nos auteurs ces rubriques, où le passé, le pré-sent et le futur de nos quartiers se retrou-vent.Notre couverture vous surprendra peut-être. Oui, c’est Josiane BALASKO sur le marché de Belleville en 1998. Amadou GAYE l’a photographiée et cette photo figure dans l’album « PARIS LA DOUCE », aux éditions Grandvaux, dont elle a écrit la préface.Laissons lui la parole : « …Amadou Gaye… son œil se balade dans les quar-tiers, s’arrête aux terrasses de bistrots, s’attarde sur les amoureux, se pose sur les Parisiens au travail.. Amadou est comme moi un indécrottable optimiste. Le Paris de DOISNEAU et RONIS existe encore, et c’est Amadou, un titi parisien, né au Sénégal qui nous le prouve à travers cha-cune de ses photos. Et curieusement, tous ces visages souriants ou paisibles me sont familiers, je les reconnais, sans jamais les avoir rencontrés. Peut-être parce qu’ils partagent avec moi l’intime conviction que l’espoir en un monde juste, dans lequel tous les êtres humains auraient leur place, n’est pas perdu . »Nous partageons leur espoir et espérons, que dans ce monde cruel cette note géné-reuse vous réconfortera.

L’EQUIPE

à BELLEViLLE PLACE DES FETES

A BellevilleOù sont-ils passés

Les petits bals du temps passé ?Les petits bals ont disparu, les permis

et les défendus,A Belleville.

Jadis les jeunes du samedi soirVenaient pour y glaner l’espoirSur la piste de leurs vingt ans

De trouver l’amante ou l’amant,Valsant à perdre la raison,intoxiqués d’accordéon,

A Belleville.

C’était le temps place des Fêtes,Où l’on pouvait faire la fête

Protégés par le monde en rondEt en pierres des vieilles maisons.

Mantenant il n’en reste rienQue ce soit mal que ce soit bien,

A Belleville

Le village a été raséVictime de la maternité,

Plus de cours et plus de jardinsEt plus de chanteurs baladins,

Et plus encore, entre autres chosesLa triste fin du temps des roses ,

A Belleville.

Mais que les anciens se rassurentLes tours qui déjà se fissurent

Seront bientôt éradiquéesEt l’on verra reconstituées,

Les maisons basses et les jardinsEt reviendront les baladins

Et puis aussi entre autres chosesAu mois de mai le temps des roses,

A Belleville,Place des Fêtes.

Louis-Bernard PAPiN

Nous remercions Josiane Balasko et Amadou gaye de nous avoir autorisés à reproduire cette photo extraite de l’ Album PARiS LA DOUCE, éditions grandvaux, 2006

La place des Fêtes en 1971.On reconnait le square Mgr Maillet. Aménagé en 1863, ce square jouxtait la place des Fêtes, ainsi nommée parce qu’elle accueillait les festivités de la commune de Belleville. (Photo DF)

édito

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Biarritz le 3 juillet 1861

Mon très cher et bon cousin,

Votre inquiétude était donc si vive, cher cousin, que vous m’ayiez déconseillé, et avec quelle insistance, de suivre la Cour dans ses déplacements ? J’avais omis, il est vrai, de vous informer que notre séjour à Biarritz était dû à notre action en faveur d’une œuvre de charité destinée à la cons-truction d’un foyer pour accueillir des lorettes repenties.L’hiver dernier, Monsieur le Chanoine, silencieux et songeur, présidait l’une de nos réunions hebdomadaires à l’ouvroir, quand soudain, il prit la parole et nous pressa de participer à la vente de charité organisée par les Sœurs de la Miséricorde, déterminées à loger des filles sans vertu. Il nous exhorta à nous investir dans la vente des billets de tombola émis par ces bonnes religieuses. Après avoir recueilli notre assentiment, la nouvelle directrice, Mademoiselle Mitaine, s’engagea à satis-faire la requête du brave ecclésiastique. Le premier lot était un voyage à Biarritz, avec la possibilité d’entrevoir leurs Majestés prenant des bains de mer.Nous n’avons pas la vanité de croire que pratiquer la charité reste notre privilège. Mais au cours de nos visites chez les plus grands dames patronnesses de la capi-tale, nous avons pu mesurer l’étendue de leur générosité. Imaginez que ces belles âmes doucereuses et sournoises, ces fiel-leuses pies-grièches se vantent d’être plus charitables que nous ! Vous tenir plus

Des vacances impériales…

récit historique

longtemps dans l’ignorance de la séche-resse de cœur de ces personnes et de leur façon de recevoir quand vous pénétrez dans l’intimité de leurs salons, serait vous faire offense. Il s’échappe de leurs appar-tements des relents de ragots que même les domestiques n’oseraient colporter. Vous ne pouvez imaginer les sourires nar-quois et les moues désapprobatrices aux-quels nous nous sommes heurtées. Et leur regards ? Des yeux luisants d’ironie sous des paupières mi-closes. Croyez-vous qu’elles aient consenti à nous écouter ? Que nenni ! Elles ont seulement laissé fil-trer de leurs bouches perfides :« Mes pauvres chères, pourquoi vous commettre avec ces gueuses et leur pro-géniture ? »A force d’essuyer des refus polis, mais ennuyés, nous nous sommes lassées et nous avons f ini par acheter les billets que nous devions vendre. Et bien nous en a pris car, de ce fait, nous avons gagné tous les lots !Voilà pourquoi je vous écris de cette bour-gade chère à leurs Majestés et Dieu seul sait pourquoi. Même Jacquot refuserait de demeurer dans un tel endroit. Vous n’avez pas oublié, je pense, qui est JACQUOT II. Mon nouveau perroquet, plumage terne et bec mobile, s’agite autant et même beau-coup plus que mon premier perroquet. Ce petit volatile bavard et hargneux se hausse sur ses courtes pattes pour ne pas per-dre un pouce de sa taille, se démène sur son perchoir sans bouger d’un iota mais en faisant du bruit pour que l’on sache qu’il existe. Ce caractériel a fini même par écœurer sa perruche et l’a poussée à le fuir pour échapper à sa domination. Car il a le goût du pouvoir ! D’ailleurs ce n’est pas tant la plage qui l’épouvanterait que

le côtoiement d’autres volailles tout aussi ambitieuses et plus futées que lui.Cela me ramène au but de notre voyage, apercevoir la mer et surprendre leurs Majestés libérées des contraintes de la Cour. Pour nous mettre à l’aise, M. le Chanoine nous invite à ôter nos chaussu-res, lui-même donnant l’exemple, nous le regardons patauger dans une mare que le jusant a délaissée. M. le Chanoine a les pieds épais, il les enfonce avec délice dans le sable mouillé. Il se baisse et ramasse un coquillage qu’il tend pour l’honorer à la vicomtesse Pré Joyeux de Monceau- Courcelles. Celle-ci pousse un cri et s’ex-clame : « Oh ! que c’est gluant ! » et laisse retomber l’ormeau que l’on appelle aussi oreille de Vénus.Leurs Majestés ont voyagé dans le célè-bre et luxueux train impérial offert à l’em-

pereur et à l‘Impératrice par la Compagnie de l ’ E s t , r a p p o r t e l a baronne de Guerlace qui

a ses entrées à la Cour. Ils iront s’installer à la villa Eugénie, poursuit-elle. Trop près de la mer ! déplore Mérimée qui n’appré-cie guère le séjour : « Le temps se passe ici comme dans toutes les résidences impé-riales, à ne rien faire en attendant qu’on fasse quelque chose ». (1).Déjà la mer remonte et de l’autre côté de la palissade ceinturant la villa Eugénie, des bruits se font entendre, les soupirs s’étouf-fent, les rires fusent, les étoffes bruissent, des cabines montées sur roues descendent vers la mer tirées par des chevaux que conduisent des domestiques costumés en garçons de bains. L’on perçoit les aboie-ments d’un chien, un molosse aux bons yeux « plus gros qu’un âne » poursuit Mérimée. Sa Majesté a acheté ce berger des Pyrénées pour égayer ses loisirs, ce qui

Vous n’avez pas oublié, je pense,

qui est JACQUOT II

dessin : J. Bernadac

Dessin de Victor Hugo(Bibliothèque Nationale)

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enrage l’Impératrice dont le caractère dif-ficile s’accommode mal de la présence du chien. Pour apaiser les nerfs de son impé-riale épouse, l’empereur lui a fait donner la sérénade à l’espagnole et Mademoiselle de Montijo ferme ses beaux yeux sur les nuits de Grenade, sa ville natale, à l’épo-que où, jeune fille, elle rêvait d’un fabu-leux destin.Les mauvaises langues l’ont surnommée « Grenadine » car elle rougit très fort quand elle est en colère, ce qui se produit fréquemment. Je dois à la vérité de préci-ser que nous tenons ces anecdotes de la férocité de la Vicomtesse Pré Joyeux de Courcelles-Monceau. Elle est intarissa-ble lorsqu’il s’agit des potins de la Cour. On chuchote même que cette jolie femme aurait eu des complaisances pour notre souverain du temps où il n’était encore que Prince-Président. Après son mariage, Louis-Napoléon s’est montré reconnais-sant et a élevé sa chère vicomtesse au rang de dame d’honneur de l’Impératrice.« Avez-vous du fluide ? »Telle est la question du jour. à la Villa Eugénie, s’est répandue une étrange épi-démie de spiritualisme, un extravagant engouement pour les tables tournan-tes. Le dénommé Douglas Hume médium écossais au fluide ahurissant – aussi ne lui pose-t-on jamais la question – est devenu la coqueluche de la capitale et consécra-tion suprême, le médium est invité à se produire devant l’Impératrice. (2)Cher et tendre cousin, à la fin de la semaine nous serons de retour à Paris. Peut-être y trouverai-je un billet écrit de votre main ? Conservez votre belle santé, poursuivez vos chevauchées nocturnes, mais prenez garde aux bois de Malbuisson, ils sont malsains même pour un bretteur chevronné comme vous. Mille tendresses à Marie-Odyle et pour vous, cher cousin, oserais-je le dire, mes plus tendres pensées.Votre très affectionnée cousine.

Denise FRANCOIS

1. Prosper Mérimée à Biarritz, rapporté par André Castelot dans : Napoléon III empereur des Français.2. André Castelot : Napoléon I I I et Eugénie à Biarritz.

Carhaix, le 10 août 1861

Ma très chère et douce cousine

Quelle virtuosité ! Je vous savais suivre la Cour, mais je vous croyais à Plombières lorsque j’appris que le séjour de leurs Majestés les conduisait à Vichy… et main-tenant Biarritz !Vous m’étourdissez !Et je sens aussi que vous êtes vous-même tout autant étourdie qu’au sortir d’une de ces valses diaboliques, mazurkas, galops et autres quadrilles de notre bon Monsieur Strauss* ou de Monsieur Waldteufel dont retentit en per-manence la villa Eugénie. Oui vous m’étourdissez car vous vous engagez dans un tourbillon de justifica-tions caritatives, qui sont autant de pré-textes à vos excursions mondaines et à vos promenades halieutiques les pieds dans l’eau. Je conçois fort bien que votre vicomtesse Pré Joyeux de Monceau-Courcelles puisse faire la dégoûtée face à la gluance d’une oreille de Vénus quand je pense que sur nos côtes bretonnes certains même vont jusqu’à les manger… Je préfère penser à la trace laissée par vos pieds délicats sur le sable humide avant que la marée ne la recouvre.Vous continuez aussi à m’étourdir avec vos séances de spiritisme…

Mais cela va être à mon tour de vous étourdir des dernières aventures de notre déplorable cousine. Oui, vous m’avez deviné, je vais encore une fois vous par-ler des frasques d’Alice. Vous avez certai-nement été prévenue, avant votre départ pour Biarritz, que notre chère et vénérée cousine nous avait dotés d’une petite cou-sine aussi braillarde que laide. Comme il est de notoriété publique qu’elle a tou-jours, depuis son hyménée, refusé la porte de sa chambre à son brave Léon de mari, la société s’interrogeait. J’ose même dire qu’à mon cercle des rires francs et même parfois gras avaient succédé aux regards obliques et aux sous-entendus.Et notre brave Léon dans tout cela… Je dois dire que son infortune a fait de lui un autre homme, virevoltant, joyeux, jouis-seur même oserai-je dire. Les regards que lui porte la gent féminine sont explicites. Notre Léon, de par cette infortune causée par celle dont tout le monde se gaussait, a acquis une sorte d’aura… bref, sans le

vouloir vraiment il s’est révélé séducteur, les cornes lui vont bien, il les arbore avec magnificence, comme un cerf au sortir du printemps.Mais revenons au rejeton. On se perd en conjectures pour savoir qui est le père. Mais qui donc aurait pu être assez aveu-gle pour se jeter sur cette punaise d’Alice ? De qui a-t-elle porté le coupable fruit ? Figurez vous que, je ne sais d’ailleurs d’où il est venu, le bruit a couru ces dernières semaines que le dit suborneur aurait été un capitaine marchand mort en mer, ver-sion qui a dérivé bientôt vers le fils d’un riche armateur enrôlé comme subrécar-gue sur un navire paternel et qui ne serait jamais revenu.

Votre écossais de Hume a eu ici des ému-les. Si les tables tournent à Biarritz, à Quimper les guéridons dansent la gavotte pour ne pas dire qu’ils sont atteints de la danse de Saint Guy. Il n’y a pas un thé, un

ouvroir où l’on ne cherche à rappeler l’âme du défunt père pour qu’il raconte son histoire. En visite chez

Madame de Kermarc’h dont c’était le jour, j’ai vite battu en retraite quand on m’a demandé de prendre place autour du gué-ridon infernal !Et Léon là dedans ? Eh bien ma chère, il est devenu la coqueluche de notre pré-fecture, il écoute avec un intérêt (que je lui crois totalement feint) les rapports de ces dames au sortir de leurs séances, et va ensuite leur demander quelques préci-sions… En privé !

Quant à Alice, plate et sèche comme vous la connaissez, elle est allé chercher une nourrice dans la plus arriérée des cours de ferme, et elle a trouvé la perle rare : la fille est muette ! Rassurez vous toutefois, notre cousine a encore du bien, elle ne sera donc pas à la rue et vous-même, comme les Sœurs de la Miséricorde n’aurez à la secourir, comme une vulgaire lorette.

Je garde le meilleur pour la fin, un billet porté par la nourrice muette m’a fait savoir qu’Alice nous voulait comme par-rain et marraine du rejeton…. Comme il se doit elle portera le doux nom de Denise, celui de sa marraine comme il est de cou-tume dans nos familles. Nous aurons ainsi l’occasion de nous retrouver prochaine-ment devant un baptistère, j’eusse préféré d’autres circonstances, surtout avec vous dans une église.Votre très affectionné cousin qui n’attend que de vous revoir bientôt.

Pcc Roland GREUzATIsaac Strauss, auteur, entre autres, de la Marche Impériale, de la Valse de l’Impératrice et… de la Polka Léontine, n’est en rien apparenté aux Viennois (par contre sa descendance comptera un certain Claude Levi Strauss). On rapporte à son propos qu’un soir de bal de mardi gras plutôt échevelé l’Empereur lui aurait dit : « Vous êtes bien heureux, vous, de pou-voir conduire les français à la baguette »…

Dessin de Victor Hugo

elle a trouvé la perle rare :

la fille est muette

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Mémoires d’un épicier de la Villette

À la ferme, au moment de la rentrée des grains, j’observe que beaucoup de poules pondent en dehors du poulailler. La fer-mière m’avait dit : «Ramasse tout ce que tu trouves et je te donne un sou pour cha-que douzaine.» J’ai compté que cela pou-vait me rapporter quatre sous par jour. Je consacre quotidiennement une heure et demi à la chasse aux œufs. Je garde l’œil grand ouvert dès que je vois une poule quitter le poulailler et se percher sur une échelle. Il y a aussi les pintades ; mais il est qua-siment impossible de trouver leur nid. La patronne me conseille de les suivre lors-qu’elles vont couver. Je me mets à la tâche et peu de temps après, je reviens avec les œufs de pintade ; la fermière mire chacun d’eux pour mettre les pintades à couver sur les œufs fécondés.

J’ai aussi visité le bois qui entoure le canal et ramené trois poules avec douze poulets et quatre œufs. En ajoutant les pintades aux poules, j’augmente ma cagnotte de 2,50 francs. Il va falloir être argenté après la campagne. J’ai fait des progrès au tra-vail : je sais conduire un cheval attelé, fau-cher et bêcher. Un jeune garçon de 17 ans m’accompagne ; arrivé depuis la Saint-Jean, il est élève charretier. Un jour du mois d’août, nous étions devant l’entrée de la ferme, tous allon-gés dans l’herbe après le dîner. Mon chien Brissac a la tête posée sur ma poitrine. Un loustic dit au petit apprenti : « Tiens ! Je te parie que tu ne mettras pas debout le gamin qui est là !»- Oh ! répond le gosse, je n’ai pas besoin des deux mains pour cela.- Je parie que non, mon gars !Il se lève et vient vers moi. Je ne bouge pas et j’ai la main posée sur le collier de mon chien. Il se penche sur moi mais, avant qu’il ne m’ai touché, Brisac est debout et lui montre les crocs ; leur seule vue le stoppe dans son élan. Nous avons tous bien ri.- Tu as perdu, alors paye !Mais le chien fait toujours la grimace et lance au gars un regard féroce. Je lui dis :- Mon vieux, ne viens pas traîner dans l’étable sinon Brisac se chargera de te faire sortir.Quelques temps plus tard le gars quittait la ferme à cause de mon chien.J’ai passé là sept à huit mois de l’année. J’ai appris bien des choses avec des gens sérieux qui ne demandaient qu’à m’apprendre. Mais je trou-vais que je ne gagnais pas suf-fisamment malgré l’espoir que j’avais de voir mes gages aug-menter. Vajoux n’a pas voulu accéder à ma demande et, à la Saint-Martin, je suis rentré à la maison. Après quelques jours de repos, je retour-nais en classe ; j’eusse préféré travailler. J’étais profondément marri.J’allais à Montereau-fault-Yonne pour ren-dre visite à ma sœur qui travaillait chez le docteur Petit. Tout jeune médecin, il venait de se marier. Son beau-père mon-sieur Renard était fabricant de chaussu-res en gros. Le docteur était un ami de nos parents et, chaque fois qu’il passait à Laval,

il venait nous saluer à la maison et don-ner des nouvelles de ma sœur Cécile. Elle est appréciée pour les soins qu’elle donne aux deux bébés de sa patronne et pour la qualité de sa cuisine. Elle me présente à la famille et à la belle-famille du médecin qui me questionne sur mes connaissances en matière de chevaux. Je lui réponds que j’ai appris à conduire et à soigner les chevaux à la ferme. Néanmoins, il reste sceptique quant à mon expérience en regard de mon jeune âge. Avec la recommandation de ma sœur, il accepte de me prendre à l’essai.J’entre donc à son service, ravi d’échap-per ainsi à l’école et surtout, heureux pour maman qui recevra 20 francs par mois et n’aura plus à me nourrir. Ma voiture bien astiquée, mon cheval bien soigné, je gran-dis dans l’estime de mon patron. C’était un jeu pour moi que ce travail. En plus, je dois surveiller les feux de la maisonnée, surtout celui du bureau du docteur. Sa belle-mère, madame Renard me donne les rudiments du service à table. Elle m’apprend ainsi le métier de valet de chambre que je n’ai pas le temps de parfaire. J’aurais pu en pre-nant mes disponibilités de l’après-midi, mais je n’ai aucun goût pour le métier de larbin (sic transit).Le temps disponible, je l’emploie au maga-sin de chaussures. Madame Renard donne un dernier coup de brosse à reluire aux souliers qu’elle met en vente. Elle accepte que je l’aide. Je mets aussi les œillets et les lacets que je passe à la teinture noire. Avec le reliquat du cuir, je fabrique et pose

des talons ; à cela j’ai vite pris le coup. J’accompagne sou-vent le docteur en campagne. Il constate que je sais bien con-duire mon cheval, garder ma droite sur la route et apprécie mon savoir-faire de palefrenier.

Ainsi, il m’autorise à sortir seul avec les dames qui me félicitent pour mon adresse de cocher.Je dois aussi tenir en ordre le bureau de mon patron avec ses outils en état de grande propreté. C’est, pour moi, un véri-table amusement.J’occupe une superbe chambre indivi-duelle au deuxième étage. La sonnette de nuit m’avertit que les clients réclament le docteur que je dois prévenir. Alors je selle

Une jeunesse domestique (suite 8)

1897- gardeuse d’oies

François-Ernest Michaut (QL 102 et précédents) poursuit la relation des souvenirs de son enfance rurale confrontant sa préadolescence aux difficultés de temps incertains. Formé par les exploiteurs et les direc-teurs de conscience du conformisme social du XIXe siècle, le jeune Michaut continue de se satisfaire pres-que de son sort d’enfant exploité1.

…avant qu’il

ne m’ai touché, Brisac est debout

et lui montre les crocs

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le cheval et : « En route ! » Cela arrive de temps en temps. Le samedi, les jours de marché, je reçois les clients et je les con-duis jusqu’à la salle d’attente.Nous voici en 1875. J’ai treize ans et je suis très heureux à mon poste. Bien nourri, pas trop mal payé, j’ai quelques avanta-ges avec les travaux complémentaires, aussi l’année est-elle superbe. Pourtant, ma sœur Cécile est contrainte à partir sans que je sache pourquoi ; aucune fâcherie du côté des maîtres. Une nouvelle cuisinière est embauchée. C’était une veuve avec une petite fille d’une douzaine d’années. Comme à chaque repas je sers à table, je procède comme avec ma sœur en lui fai-sant les couteaux que je passe au blanc d’Espagne. Elle aurait voulu que je lui fasse également la vaisselle, mais je refu-sais ce surcroît de travail. Elle tenta alors de me faire donner ses ordres par madame

Renard sans pour autant que j’obtempé-rasse. Je m’en fis ainsi une ennemie. Cela dura jusqu’en septembre, période au cours de laquelle elle trouva autre chose pour me nuire.Elle avait une chambre plus petite que la mienne, qu’elle partageait avec sa fille sur le palier commun. Elle demanda à madame Renard que nous interchangions. Je refu-sais obstinément. Elle revenait régulière-ment à la charge et je demeurais ferme sur mes positions. Notre patronne cherchait désespérément un accord mutuel auquel je me refusais. Pour finir, je déclarais que si l’on m’obligeait à cet échange, je quitte-rais la maison.Un jour, la cuisinière me dit :« J’ai pris votre chambre et j’ai porté vos effets ainsi que votre couchage dans la mienne ; c’est madame Renard qui m’y a autorisée.» Je ne lui réponds point, serrant

nerveusement ma main sur les clefs dans ma poche. Je sers le repas et, cette fois-ci, ne fais pas les couteaux.Je monte dans ma nouvelle chambre, fais un paquet des effets que je veux empor-ter et termine mon bagage. Ces dames sont au salon et le docteur au bureau de l’usine de chaussures où il travaille jusqu’à 22 heures.Je prends mon baluchon, le jette sur mon épaule et me voilà parti sur le chemin qui me ramène chez ma mère.(À suivre).

François-Ernest MICHAUT (°1862-†1949). PCC/ Marie et Jean-François DECRAENE.

1 Pour en savoir plus sur le travail des enfants au XIXe siècle, cliquer sur http://histgeo.free.fr/quatrieme/revoind/enri.html

Trouvaille chez un bouquiniste : un livre consacré à « La salu-brité, les fosses d’aisances et les égouts ». La partie la plus impor-tante de l’ouvrage a été publiée en 1821 mais elle est accompagnée, dans la reliure, d’autres mémoi-res sur le même sujet datant, pour le plus ancien , de 1785, le plus récent étant de 1877.

Il relate un événement à l’origine de la plu-part des études concernant « La Grande Voirie de Montfaucon »,située alors dans ce qui est une partie du 19ème arrondis-sement actuel.En 1818, dans un navire de commerce chargé de « poudrette », sorte d’engrais , une moitié de l’équipage périt, l’autre

moitié arrive à destination dans un état de santé déplorable, les gens chargés de débarquer la cargaison éprouvent aussi de graves malaises.Monsieur Parent-Duchâtelet, docteur en médecine, fait des recherches pour com-prendre le phénomène.Il se trouve que cette « poudrette », impor- tée de France, des environs du Paris d’alors, plus précisément de la « Voirie de Montfaucon » rapporte un revenu très important à la ville de Paris et est, par ailleurs, entr’autres utilisations indispensa-ble pour « régénérer le sol appauvri de nos colonies des Antilles ».Mais les « courtilliers », petits récoltants de vergers et jardins potagers occupant environ deux hectares dans l’est de Paris, eux aussi, fumaient leurs terres à l’aide des matières de vidanges apportées des fos-ses d’aisances, desséchées naturellement

et transformées en poudre fine à la Voirie. Celle-ci, après déménagements divers et agrandissements, se situait depuis 1772 près de la rue de Meaux et de l’actuel bas-sin de la Villette, dans les environs de l’an-cien gibet de Montfaucon, englobant le marché Secrétan, le lycée Bergson, l’école Jacquard, la rue Pailleron, la rue Armand Carrel, l’avenue Laumière….

Description :• Sixbassinssesuccédaient,superposésen gradins, l’un au dessus de l’autre. Les charrettes à bras et voitures à cheval de vidange déchargeaient leurs immmondices dans le premier et le deuxième bassin et les liquides passaient ensuite par des rigo-les dans les bassins suivants. Un trop plein existait dans le troisième bassin et se vidait dans le grand égout de ceinture, près de la rue de Lancry.

La grande voirie de Montfaucon

Extrait du plan illustrant le mémoire scientifique rédigé à l’attention de l’Académie Royale de Médecine de France en 1821 par A. J. B. B. Parent- Duchâtelet, docteur en médecine.On y trouve l’empla-cement des bassins, le terrain destiné à étendre et faire sécher les matières, le lieu d’accumu-lation quand elles étaient séchées.

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• Septterrainsd’épandagepermettaientd’étaler et de faire sécher les matières extraites des bassins.• Troiscollinesétaientforméesparl’accu-mulation des matières déssechées.• Deuxemplacementsrecevaientlesche-vaux qui mouraient tous les jours dans Paris.• Deshangarsetdesmaisonnettescon-tenaient le matériel pour faire fondre la graisse des chevaux.• Unbâtimentspécialiséservaità faire cuire et torréfier le sang de bœuf pour la fabrication du « bleu de Prusse ».Tout autour étaient les terrains cultivés des jardiniers et des horticulteurs.

La quantité des matières amenées était de 16 000 voitures (à cheval !) environ par année (exemples de 1810-1811-1812), soit 498 700 tinettes (récipients utilisés dans les lieux d’aisance, sans fosse ni tout à l’égout).25 chevaux par jour, soit 9 125 en 1784, jusqu’à 15 000, selon les femmes char-gées de les écorcher, après être laissés par-fois plusieurs jours serrés les uns contre les autres pour ne pas tomber, quel que soit le temps ou la température, sans nourriture, sans eau… jusqu’à leur abattage !On en récupérait la crinière, les crins de la queue, la peau, éventuellement la chair s’ils avaient été condamnés à la suite d’une fracture.

Chaîne sans fin :• sur les cadavres: des vers pour lespêcheurs…• rapidementdesratsparmilliers,pou-vant dévorer en une journée 20 chevaux laissés après abattage (rats : 5 à 6 portées/an de 14 à 18 ratons chacune)• leschats…Leshumains récupéraient pour leur hiver les peaux des matous qu’ils trucidaient. Mais, écrit M.Parent-Duchâtelet on laissait malgré tout perdre beaucoup de produits utiles : la graisse et les os des chevaux dont on aurait pu tirer du noir animal indispen-sable pour certains arts et le raffinage du sucre.• Desvapeursdangereusessedégageaientde cette zone, surtout vers Belleville où en raison des vents, la commune était atteinte par ces odeurs, au moins 75 jours par an.

Déménagement et évolution :En 1844 le dépotoir est déplacé à la Petite-Villette sur l’actuel quai de Metz.Puis en 1850 « un système réparateur » permet de laisser s’écouler, après traite-ments par des moyens chimiques les pro-duits liquides dans les caniveaux et les égouts.En 1900, par jour, 300 à 400 « voitures-citernes de vidange » vont déverser à la Petite-Villette leurs produits.C’est un dépôt provisoire pour les matiè-res solides envoyées ensuite par le canal à Bondy, dans des tonneaux, toujours pour la fabrication de la « poudrette » encore

utilisée en agriculture, sur un terrain de 30 hectares.Pour les chevaux un abattoir spécial fonc-tionnera plus tard dans le 15ème arrondis-sement, au lieu-dit des Morillons.

Et le navire de commerce :M.Parent-Duchâtelet explique ainsi les causes des intoxications et accidents mor-tels : l’humidité, la chaleur provoquant une fermentation de la « poudrette », celle-ci pouvait exploser si un marin descendait dans la cale, avec sa pipe ou même si le gaz (le méthane, pas encore connu) attei-gnait 6 à 16 % de l’air, comme dans les coups de grisou des mines. Pour éviter ces catastrophes il suffisait d’utiliser le plâtre des carrières d’Amérique (situées dans le Parc des Buttes-Chaumont actuel), pour absorber l’humidité de la car-gaison et empêcher ainsi la fermentation.

Depuis cette époque :Les engrais naturels (fumier…), verts (luzerne), ont remplacé la « poudrette ». Même les déjections canines qui étaient autrefois utilisées pour la tannerie n’ont plus d’usage autre que… d’être ramas-sées par les propriétaires des chiens ou… de coûter aux contribuables l’achat et l’en-tretien des « motos-crottes ».

André NICAUD Jacqueline HERFRAY

On a luLa Maternelle de Léon Frapiééditions Phébus

Ce roman a obtenu le Prix goncourt en 1904.Un roman ? non, c’est une enquête sur l’école et sur son rôle auprès des classes les plus défavorisées de la société, c’est un texte d’une force et même d’une vio-lence exceptionnelles.

Cette enquête prend la forme d’un journal tenu pendant toute une année scolaire dans une école du quartier de Ménilmontant, au début du vingtième siècle : et on passe de l’admiration initiale pour l’école, son rôle, ses objectifs, aux interrogations, à l’inquié-tude, et enfin à la condamnation. Au cœur de la critique de l’école, les leçons de morale qu’elle dispense. Car petit à petit la vérité apparaît : l’école n’a d’autre but que d’apprendre l’obéissance et la rési-gnation aux classes populaires : « en guise de régénérescence par l’école, écoutez la leçon d’inertie, de routine qui s’abat sur les nuques molles » quand la maîtresse raconte « L’ambition punie ». Sans que les maîtresses qui s’y dévouent sincèrement soient jamais saisies par le doute : « par une ironie sans pareille, le dévouement sublime, la foi profession-nelle totale se trouvent unis à de mesquins préjugés, à une vue fausse du peuple, du monde. »Résultat : l’école est le lieu où l’enfant apprend la dissimulation et l’hypocrisie : « c’est le meilleur de l’individu qui se dis-sout à l’école ».

Ce livre pulvérise deux mythes qui nous sont chers : celui de Ménilmontant, d’abord. Nous l’imaginons, au début du vingtième siècle, comme un quartier populaire pau-vre mais chaleureux, et il apparaît dans le roman comme un quartier sordide peuplé d’êtres déchus : pères alcooliques et vio-lents, mères abruties de grossesses et de coups, enfants chétifs, battus, mal nourris, mal vêtus :« Qu’est-ce que le samedi ? » demande-t-on à une petite fille de 3 ans ? « C’est le jour où qu’on se saoule ». Voilà pour nous apprendre à idéaliser le passé.Et celui de l’école au service du peuple et de son élévation.

Même si le texte a été écrit il y a plus de cent ans, il mérite encore d’être lu : parce qu’il est bien écrit, avec de terribles formu-les, parce qu’il y a là un document d’his-toire, et aussi (surtout ?)une source de réflexion pour notre temps.

Elisabeth CRéMIEU

Le gibet de Montfaucon :Le gibet a gardé son nom bien que déplacé

en 1760 du quartier de la grange aux Belles au quartier Secrétan.

il a été remplacé en 1792 par la guillotine.

Courrier des lecteurs :Dans notre prochain n°, une nouvelle rubrique…

Exprimez-vous !

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Depuis que l’homme existe, le gouverne-ment des sociétés humaines s’équilibre dans une répartition, voire dans une con-fusion des pouvoirs, entre le responsable civil, le commandant militaire et le pasteur religieux.Jouant sur la hantise de la condition mor-telle, sur la soif d’immortalité et sur le désir d’éternité des individus, l’avantage resta longtemps aux clercs et prêtres des reli-gions. Par leur poids sur les consciences, ils dirigèrent les groupes humains en manipu-lant le pouvoir civil du chef, légitimé par la force militaire. Le principe de base de la survie de la collectivité sacrifie l’individu au groupe.Pour l’individu, la première amorce de la laïcité est sa volonté à séparer sa cons-cience individuelle de la conscience col-lective qui s’appuie sur la croyance en des dieux tutélaires de la société à laquelle il appartient ; la volonté affirmée du libre arbitre, d’une morale individuelle affran-chie d’une foi quelconque imposée par le pouvoir religieux, devient la démarche de la pensée laïque.Limitons notre réflexion à la civilisation occidentale à laquelle nous appartenons ; les société gauloises et romaines utili-sent le pouvoir des prêtres pour diriger les consciences et maintenir l’ordre social. Les Romains vont jusqu’à intégrer les dieux des peuples conquis dans un panthéon jus-tifiant leur impérialisme par l’intégration des croyances exogènes. Mais Jeshua Bar Joseph arrive ! Jésus vient ! La confusion entretenue depuis des millénaires entre le pouvoir religieux et le pouvoir politique apporte son lot d’incertitudes et d’espoir : Et si ce Messie était le libérateur attendu ? Le fils de Marie répond sans ambiguïté : « Mon royaume n’est pas de ce monde ! »Paradoxalement, la première manifesta-tion de l’esprit laïque vient de celui dont se réclameront tous les régimes cléricaux du monde occidental. Cette affirmation d’évi-

dence pour la libération de l’homme et l’équilibre social mettra 20 siècles à s’im-poser à notre civilisation.Depuis la nuit des temps, les druides gau-lois réunissent les délégués envoyés par chaque tribu le 21 juin de chaque année au lieu dit La Monjoie, point culminant du village romanisé sous le toponyme de Catolacus en Île-de-France, actuelle cité de Saint-Denis. Durant ce Convent des Gaules qui se déroule pendant les trois jours de lumière les plus longs de l’an-née, les délégués élisent, pour un an, deux représentants de la nation gauloise : le bren chef de guerre, chargé de la direction des armées pour la défense commune, et le vercingétorix, magistrat suprême, inspi-rateur de la politique générale de la fédé-ration nationale. De leurs côté, les druides élisent leur Grand Prêtre, représentant du clergé auprès du pouvoir civil. Nos ancêtres prat iquaient déjà la séparation des pouvoirs, embryon de la laïcité moderne : d’un côté le pouvoir religieux des druides, de l’autre le pouvoir militaire du bren, au sommet du triangle le pouvoir civil suprême du vercingétorix.Plus tard, le mythe fondateur de la France chrétienne s’impose aux consciences par la décollation de saint Denis, évêque légen-daire, sur les lieux même de la vénération des dieux tutélaires de la nation gauloise : sur la butte de La Montjoie. Le sang du martyr efface la présence des anciens dieux protecteurs transformant le clergé druidique local en prêtres chrétiens, fanati-ques comme tous les néophytes, de trans-mettre la nouvelle foi révélée pour prouver la sincérité de leur conversion et... pour conserver les prébendes de l’ancien pèle-rinage lucratif.« In hoc signo vinces ! » En 310, pour vaincre les résistances à sa conquête, Constantin s’annexe les principes moraux

et les prêtres de la nouvelle religion chré-tienne, balayant de ses armes soutenues par l’ombre de la croix plusieurs siècles de morale grecque imprégnée de tolérance, de stoïcisme et de circonspection. La phi-losophie hellène avait relégué les dieux au-delà de l’Olympe et inspiré la morale civique des premiers temps de la républi-que romaine.L’édit de Milan de 313 pourrait paraî-tre comme un acte de tolérance religieuse puisqu’il reconnaît l’égalité complète du culte chrétien et du culte païen. Mais, une fois éliminé son rival Licinius, Constantin prend ouvertement parti contre le paga-nisme. L’empereur convoque un concile à Nicée, assemblée cléricale qui règle défi-nitivement la question religieuse en décla-

rant la doctrine d’Arius comme hérétique. L’intermède de tolé-rance de Julien entre dans l’histoire officielle avec le sur-nom d’Apostat que la chré-tienté accole au patronyme de l’empereur philosophe pour le discréditer.

Dès la prise de pouvoir de Théodose, les arrêts du Concile de Nicée et son Credo deviennent lois d’état par la promulga-tion de l’édit de Thessalonique ; le foyer du temple de Vesta est éteint, le sera-peum d’Alexandrie, construit par Ptolémée Sôter pour le culte de Sérapis est rasé. Les Ariens, les Donatiens et les disciples de Manès sont éliminés. Hipatie, mathémati-cienne et philosophe grecque est torturée et dépecée vivante par des moines fana-tiques sur les accusations d’être à la fois femme et hérétique. Toutes les maisons du Savoir, Académie, Lycée et bibliothèques sont réduites en cendres. À la fin du ive siècle, le Sénat romain abolit les prati-ques religieuses autres que celles de la reli-gion chrétienne prouvant, une fois encore, qu’une religion ne reste tolérante que lors-qu’elle est minoritaire.

La Laïcité française, une originalité politique mûrie par 2.000 ans d’histoire

Une idée reçue, un préjugé également partagé par le monde scolaire et par le monde politique serait que la conception laïque de l’ordre social n’existât en France que depuis 100 ans, au moment de la pro-mulgation de la loi de Séparation des Églises et de l’État en 1905 !Suivons, de sa genèse à son aboutissement, le chemin historique de la laïcité, originalité de la conception sociale de la nation française.

La philosophie hellène avait

relégué les dieux au-delà

de l’Olympe …

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En 496, Clovis comprenant le poids du clergé sur les consciences populaires, se soumet au dieu de Clotilde en acceptant les symboles sacrés de l’onction pontificale transmise par l’évêque Rémy à Reims. Le 27 juillet 754 en la basilique de Saint-Denis, Pépin le Bref est ceint de la couronne royale des mains du pape Boniface. Son fils Charlemagne affirme le Pape Léon iii dans ses états. Il reçoit la dignité impé-riale en même temps que la consécration de l’autorité religieuse. Par reconnaissance au souverain pontife, il confie l’instruction des populations de son empire aux clercs des ordres religieux. Cette autorité sur la transmission formelle et conforme à l’or-dre politique d’un savoir orienté annihilant les consciences par mille ans de spoliation morale, durera jusqu’aux lois scolaires de Jules Ferry.En matière de spiritualité, la seule règle acceptable pour la gouvernance des peuples est régie par le principe, ejus (Rex)regio, cujus religio : la religion du prince est la religion du peuple. Est exclu de la communauté nationale, de la protection royale du souverain père de ses sujets, tout individu dont la croyance religieuse est différente de celle du suzerain : hors de l’église temporelle point de salut. Après avoir été mar-qués du signe d’infamie de la rouelle jaune par Louis iX, dit le saint, les Juifs sont défi- nitivement chassés du royaume de France, le 17 septembre 1394, par Charles Vi le fol.En 1685, signé par Louis XiV, l’édit de Fontainebleau exclut de la terre de France qui les abritait de manière précaire les Protestants protégés jusque-là par l’édit de Nantes, octroyé par Henri iV en 1598. La France doit rester « la fille aînée de l’Église » avec un peuple de croyants una-nimes groupés sous l’étendard de Jehanne la pucelle.Il en est de même pour les autres peuples du monde connu : l’inquisition domini-caine annihile la liberté de conscience en Flandres et en Espagne, la foi calviniste fulmine ses anathèmes et allume un bûché à Genève, l’intégrisme musulman spolie les adeptes des religions minoritaires dans l’Empire turc, les popes orthodoxes invi-tent leurs fidèles aux pogroms génocidaires dans la sainte Russie. Les Juifs attendront la résurrection d’un état théocratique pour se conduire comme les autres, avec autant de zèle dans leur capacité d’exclusion.Mais, la flamme de l’esprit laïque couve sous la cendre des autodafés, ranimée par l’analyse scientifique de la tolérance du Siècle des Lumières. Les philoso-phes humanistes Érasme, Moore, Swift, Spinoza ont une conception individuelle, voire individualiste, de la croyance en une entité supérieure satisfaisant la préoccu-pation métaphysique des mortels. En pré-curseur de la laïcisation des modes de vie, François Rabelais, démontre dans son Quart Livre que la morale qui règle la vie des adeptes de l’Abbaye de Thélème peut

être issue de la seule raison humaine sans référence à une morale religieuse inspirée par une foi en Dieu ou tirée des évangiles. C’est, pour l’époque, le modèle utopique d’une société idéale.Sur le plan politique, sous l’impulsion de Jean-Étienne Portalis, conseiller juridique de Choiseul, Louis XV accorde un statut de reconnaissance civile aux Protestants du Désert. Les mariages clandestins des adeptes de la Religion Prétendue Réformée sont enfin reconnus par la légalisation des registres d’état civil détenus par ses pas-teurs. À Lyon, seconde ville du royaume, Antoine Prost de Royer, consul local et lieutenant-général de police, préconise d’associer les femmes à l’administration de la cité, reconnaissant explicitement l’éga-lité civique des deux sexes, avancée sup-plémentaire de la laïcité, au sens moderne du terme.Il est paradoxal que ce soit dans ces pages qu’il faille rendre hommage et justice au bon roy Louis XVi. Mais, n’est-ce pas notre mission de citoyens que de com-

battre les préjugés et d’affir-mer la réalité historique ? Deux ans avant le déclanchement des orages qui le coucheront sur la planche basculante de la guillo-tine, le dernier roy de France de droit divin accomplit plusieurs

actes de civisme laïque qui conduiront, cent dix-huit ans plus tard, à la Séparation des églises et de l’état.Le 29 novembre 1787, reprenant les élé-ments juridiques de Jean-étienne Portalis, Louis XVi révoque l’Édit de Fontainebleau et le remplace par l’Édit de Tolérance. Il étend la protection royale à l’ensemble de ceux qui ne font pas profession de la religion catholique. Par cette phrase, il reconnaît implicitement l’égalité civile des Protestants, mais aussi des athées et des agnostiques. Sur les conseils de son envi-ronnement humaniste, le roi permet, par le décret de Noël 1789, l’accession des non-catholiques à tous les emplois publics, civils et militaires. Le 3 septembre 1791, la monarchie devient constitutionnelle. Acceptée et signée par Louis XVI, la Constitution garantit, comme droits naturels et civils, la liberté à tout homme de parler, d’écrire, d’im-primer et publier ses pensées, sans que les écrits puissent être soumis à aucune censure ni inspection avant leur publica-tion, et d’exercer le culte religieux auquel il est attaché. Par cette Constitution, pour la première fois en Europe - et c’est la monarchie française de droit divin qui le proclame - la loi garantit la liberté absolue de conscience.Sous l ’ impuls ion de l ’ incorrupt ible Robespierre et de ses amis, la concep-tion républicaine et laïque de la vie sociale cantonne Dieu dans la réflexion privée de chacun ; elle garantit par la loi la liberté de croyance du citoyen ; elle fait abstrac-tion de la foi pour régler la vie publique, estimant, comme dans la morale antique,

que l’instruction, la conscience collec-tive et la responsabilité civique de chaque citoyen, suffisent à l’équilibre politique et à l’harmonie sociale. Par l’acceptation de la multiplicité des croyances individuelles, la société laïque limite le fait religieux à la sphère privée. La religion ne peut interve-nir dans la vie publique sans déséquilibrer l’ordre social républicain qui tient sa sou-veraineté des seuls suffrages du peuple aux croyances multiples et non d’un droit divin oint par un ordre clérical.Malgré la reconnaissance des maria-ges civils et le vote de la première loi de Séparation de l’église et de l’état en 1795, le couperet du réactionnaire Barras tran-che la progression de la laïcité et amène, après cinq ans de désordres concussionnai-res et de coups d’état, un général factieux au pouvoir.L’Empereur autoproclamé organise et réforme la société, tant pour l’administra-tion publique que pour la vie privé. Jean-étienne Portalis, encore vivant, âgé mais lucide, prend la direction des commis-sions constitutionnelles et juridiques. Le résultat, paraphé par l’ex-général sédi-tieux Buonaparte donne le Code Civil qui devient un modèle universel de genèse juridique laïque, malgré la volonté du nou-veau maître de l’Europe à vouloir réinstal-ler le catholicisme comme religion d’état. Les articles sont rédigés avec le souci d’af-firmer la primauté de l’autorité masculine. Les femmes devront attendre quelques lustres pour être libérées juridiquement de la tutelle de leur père, de leur frère aîné et de leur époux.La Restauration, retour à l’Ancien Régime, remet au clergé l’ensemble de ses privilè-ges. Napoléon iii poursuit l’œuvre de son oncle et maintient les lois cléricales de la Restauration. L’insurrection parisienne de la Commune, héritière des principes révolutionnaires, rend au peuple sa souveraineté et réaf-firme, le 3 avril 1871, la séparation de l’Église et de l’état avec la laïcisation de la vie publique. La répression de la Semaine sanglante écrase la volonté citoyenne et rétablit le conformisme social avec la morale cléricale.La Troisième République, héritière des mouvements sociaux d’une classe ouvrière consciente de sa force et d’une bour-geoise humaniste conclut en installant la laïcité dans les faits par la proclamation des lois scolaires de 1880. Elle supprime ainsi mille ans de cléricalisme instauré par les Capitulaires de Charlemagne. Les tex-tes républicains retirent, en partie, aux clercs des ordres religieux la main mise sur les consciences enfantines. Avec un corps d’instituteurs formés et rémunérés par la République, l’Instruction Publique pri-maire devient gratuite et laïque, puis obli-gatoire pour les citoyens des deux sexes de six à quatorze ans.Enfin, Émile Combes, Président du Conseil en charge de l’Intérieur et des Cultes, élabore la loi de Séparation des Églises et

… la flamme de l’esprit laïque

couve sous la cendre des

autodafés

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de l’État après avoir interdit, en 1904, l’en-seignement à toutes les congrégations reli-gieuses. C’est Aristide Briand, rapporteur de la commission préparatoire des textes législatifs, qui sera chargé de la mise en application de la loi du 9 décembre 1905, émile Combes ayant dû démissionner à la suite de l’Affaire des Fiches. La République protège de ses lois la liberté absolue de conscience. Elle supprime la rémunération des cléricalismes de toute confession, en laissant à leurs fidèles le soin d’en assurer la subsistance.Par son aspect fonctionnel, la laïcité intè-gre dans la nation tout individu et tout groupe d’individus, en reconnaissant et en préservant l’identité de chacun. Elle permet la cohabitation des différences sans en pri-vilégier aucune. Elle repose sur la tolérance mutuelle, le respect des autres, le libre arbitre de la raison individuelle pour abou-tir à l’établissement de lois protégeant tous les citoyens, hommes et femmes, croyants et athées, filles ou fils de Maghrébins, de Woloffs, de Peuls, de Basques, de Cata- lans, d’Alsaciens ou de Bretons, tous libres et égaux en droits. La laïcité rejette le com- munautarisme réclamant le bénéfice de l’application de la loi au seul profit de la communauté la plus puissante, la plus influente ou la plus riche.La confusion entre le religieux et le politi-que a des conséquences inattendues pour la paix civile. Dans nos banlieues populai-res, le soutien aux Palestiniens se mélange avec l’antisémitisme religieux. Les popu-lations confondent l’islamisme avec le soutien aux peuples musul-mans opprimés et mélangent le judaïsme avec le sionisme. Les fissures creusées dans la laï-cité citoyenne par la faillite de l’intégration républicaine laisse sourdre le racisme en le travestissant du masque de l’anticléricalisme. Les communautaris-mes religieux et régionaux installent leurs structures sociales sur les ruines des admi-nistrations républicaines en éliminant l’in-dividualité citoyenne que ces organismes devaient instruire, soutenir et protéger.La République laïque abandonne aux com-munautés une partie de ses obligations de services publics. En substituant l’Édu-cation nationale à l’Instruction publique, ce n’est pas uniquement le vocabulaire qui a changé. La mission d’Instruction publi-que est abandonnée au bénéfice d’une éducation qui est naturellement dévolue à l’autorité des chefs de famille. Le rôle de l’instituteur se limitait à instruire ses élèves tout en leur donnant une forma-tion civique. Les professeurs des écoles se substituent aux familles défaillantes en tentant d’inculquer aux enfants des prin-cipes d’éducation qui appartiennent au cercle restreint de la vie privée familiale. Confusion des mots, confusion des genres, confusion des idées, confusion des rôles ! Paradoxe des temps, assurées du soutien financier des lois Falloux, Astier, Marie, Pompidou, Barangé, Debré et guermeur,

les écoles confessionnelles jouent un rôle de rééquilibrage face aux carences de l’école publique qui abandonne la mission qui lui était confiée. Depuis 1880, instau-rée par Jules Ferry, la mission de l’école laïque républicaine est affirmée : instruire

et former les esprits des enfants à la réflexion et au libre arbi-tre, conduisant ses élèves sur le chemin de l’autonomie républi-caine, puis de l’indépendance

citoyenne. La seule école libre reste et doit rester l’école publique, laïque, répu-blicaine.Le libéralisme doctrinal ayant pour seule morale celle de l’argent, médiatise par la déformation linguistique l’adjectif libéral alors que le vrai qualificatif de liberté est : libertaire. L’Europe que propose la nou-velle conception d’un ordre social libéral étouffe la laïcité libertaire. L’espace géo-graphique et politique affirmé est celui du Saint Empire romain qui dissout la républi-que laïque au sein de royaumes constitu-tionnels et de démocraties concordataires affirmant comme vérités dogmatiques le fait religieux et la morale cléricale.Pour le citoyen laïque, il n’est aucune vérité à imposer à son semblable ; il existe de multiples vérités se fondant dans le corps social des citoyens qui souhaitent appli-quer ensemble les principes de Liberté absolue de conscience et d’opinion, d’éga-lité devant la loi et de Fraternité mutuelle dans une Europe républicaine. Mais on est loin de cet universalisme préconisé par les conventionnels, par Condorcet, par l’abbé Henri grégoire et par gaspard Monge, tous honorés au Panthéon des grands hommes.

Les communautarismes s’affirment néan-moins par le rappel incessant aux lois natu-relles, celle du plus fort contre le plus faible, celle du plus riche contre le plus pauvre, celle du plus rentable contre le moins pro-ductif. Les particularismes affirment leur identité tribale en isolant la femme sous le voile de l’obscurantisme, en marginalisant le vieux, le chômeur, le handicapé phy-sique ou mental, le jeune, le pauvre. Les cléricalismes de tous les bords s’allient en communautés homogènes qui se consti-tuent sur des critères religieux, régionaux, linguistiques, sexuels en refusant l’individu aux origines multiples, en excluant le métis génétique avec le métis culturel.Le patrimoine intellectuel et philosophi-que de la conscience laïque est en danger ! Il se dissout dans les communautarismes babéliens, dans la confusion des langues régionales et dans l’altération des idéaux au bénéfice de Mammon, dieu de l’argent et du productivisme.Un fois disparue la notion de citoyenneté républicaine, quel refuge restera-t-il à mes petits-enfants dont les ancêtres sont pêle-mêle : catholiques et flamands, animistes et tartares, juifs russes et autrichiens et dont les parents sont un mélange de plu-sieurs des nationalités et des croyances du bassin méditerranéen ? Quelle commu-nauté assurera leur développement et leur survie ? Sans la protection laïque pour le maintien précaire de l’équilibre politique et social, pourront-ils toujours, en séparant le public du privé, rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ?

Jean-François DECRAENE

on est loin de cet universalisme préconisé par les conventionnels

La séparation de l’Église et de l’État, dessin de Léandre paru dans Le Rire, 20 mai 1905. (le personnage du milieu est Jean-Baptiste Bienvenu-Martin, ministre de l’Éducation nationale)

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La rencontre, par exemple, de Mgr Maillet, directeur de la fameuse manécanterie des Petits Chanteurs à la croix de bois, celle des acteurs Suzy Prim et Michel Etcheverry, du musicien organiste Pierre Cochereau, du poète Fagus, du peintre Camille Bambois, de l’historien Emmanuel Jacomin, des illus-tres cabaretiers de la Courtille Gilles et Jean-Claude Dénoyez… Souvent, la vie de ces morts a constitué un chapitre de la chronique de notre montagne. Tel est le cas de Léon Gaumont, dont la sépul-ture est assurément la plus belle pièce de notre cimetière. Dans des articles à venir de Quartiers Libres, nous nous arrêterons devant l’ultime demeure des autres vedet-tes mais, pour l’heure, penchons-nous – à tout seigneur, tout honneur – sur la tombe du fondateur de la mondialement célè-bre compagnie cinématographique à l’em-blème de la marguerite (1).

Commençons par nous poser une ques-tion : pourquoi Léon Gaumont (1864-1946) repose-t-il en cette place alors qu’il décéda à Sainte-Maxime, en sa riche rési-dence du Château des Tourelles ? Et à tant faire que demander à la famille de remonter son corps de la Côte d’Azur à Paris, pourquoi le défunt a-t-il choisi cette humble nécropole périphérique plutôt que le Père-Lachaise (ou Montmartre ou Montparnasse), d’un prestige bien supé-rieur ? Une belle et noble réponse saute spontanément à l’esprit : n’était-il pas naturel que Léon Gaumont voulût ratta-cher sa dépouille à la terre dans laquelle son empire et sa fortune avaient leurs raci-nes ? Nous l’avons raconté dans Quartiers libres n° 80-81, c’est en effet en lisière des Buttes-Chaumont que les premiers studios de la firme cinématographique virent le jour en 1905. Un véritable complexe usi-

nier, une ruche d’activités, que les rive-rains connaîtront longtemps sous le nom légendaire de cité Elgé (LG). Cette rai-son a certainement pesé dans la « der-nière volonté » de Léon Gaumont mais, croyons-nous, une autre sentimenta-lité, bien plus intime, encore que roman-tique à l’égal, a aussi joué. Les inscriptions visibles sur le monument funéraire de la rue du Télégraphe nous en indiquent la piste : Léon Gaumont a souhaité rejoin-dre la femme, Camille Louise Maillard, avec laquelle il vécut quarante-cinq ans et eut ses enfants. Aînée dans le couple, elle mourut treize ans avant son mari, en octobre 1933. Alors, nous n’en avons pas la certitude mais c’est probablement en cette circonstance que Léon acheta une concession au cimetière de Belleville, pré-voyant de l’habiter à son tour en l’heure venue.

Belleville à tombeau ouvert :les hôtes remarquables du cimetière de la rue du Télégraphe.

1. Léon et Camille gaumontSe cultiver en visitant les cimetières, c’est tendance. Les nécropoles se présentent en effet comme des dictionnaires de personnalités et l’on peut circuler entre les tombes un peu comme se feuillettent les pages d’un Larousse. Certes, les « articles » qu’offre le modeste cimetière ex-communal de Belleville sont infiniment moins riches que ceux du gros « bouquin » du Père-Lachaise. Et puis le décor n’a pas le même pouvoir d’attraction. Il n’y a donc pas photo mais la déambulation au sein du carré de la rue du Télégraphe n’en ménage pas moins des surprises intéressantes.

De haut en bas

et de gauche à

droite :

Plan du Cimetière

de Belleville

Tombe gaumont

au cimetière de

Belleville.

(Maxime Braquet)

Les évolutions du

logo gaumont

(archives

gaumont)

Construction du

premier atelier

gaumont,

au 12 de la rue

des Alouettes

(dans un segment

appelé Carducci

de nos jours).

1896

(Cinémathèque

française)

Léon gaumont

tout jeune, à

l’époque de son

mariage avec

Camille.

(Cinémathèque

française)

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Il accomplissait ce faisant un geste d’affec-tion envers sa compagne qui, née en 1859 rue de la Villette, a pratiquement passé sa vie entière dans cette artère peu éloignée de la rue du Télégraphe. Une pareille mar-que d’hommage, il la devait d’autant plus à Camille que cette femme, authentique Bellevilloise, fut la personne qui lui fit met-tre tout à la fois le pied dans l’ascenseur social et sur notre montagne.

Les beaux-parents MaillardSon père, Charles Constant Maillard (1827-1884), était architecte. Vers la fin de sa vie, il exerçait surtout son art dans la mainte-nance mais, entre autres plans de construc-tion, il dessina ceux de l’immeuble du 108, rue de Belleville – juste à côté de l’école communale – qui, par désagrément pour notre mémoire des lieux, vient d’être rasé. M. Maillard fut par ailleurs un notable car, dans les années 1870, il remplit les fonc-tions d’adjoint au maire du 19e arrondisse-ment. Au sein du conseil municipal, il eut pour collègue Félix Richard, industriel dont l’entreprise de fabrication d’instruments optiques de mesures (notamment des baromètres), joua (2) un certain rôle dans la carrière de Léon Gaumont. Aisé sinon franchement riche, Charles Maillard avait, sous le Second Empire, acheté au 69 de la rue de la Villette (renuméroté plus tard 61 puis 55) une belle propriété aujourd’hui disparue. C’est là que Camille naquit et fit la connaissance de son époux, en 1886. Son frère Henri, camarade d’études du futur empereur du cinéma, le lui avait pré-senté en l’invitant sous le toit familial à l’occasion d’une permission de Léon tandis qu’il effectuait son service militaire.Le jeune homme de 22 ans qu’il était à cette date n’imaginait certes pas le des-tin grandiose qui l’attendait. Enfant d’une famille modeste, il avait dû interrompre sa scolarité avant de décrocher un diplôme mais nourrissait le ferme espoir de réussir dans la vie. Il entra comme simple gratte-papier au sein d’une maison de mécani-que optique, la maison Carpentier, où, besogneux, opiniâtre, il acquit peu à peu les connaissances techniques de la par-tie. Il les consolida en suivant les cours du soir à l’Institut populaire du progrès, réputé pour les conférences sur l’astrono-

mie qu’il dispensait. Chez son employeur, Léon apprit aussi les bases de la gestion d’entreprise. Nanti de ces bagages, devenu de fait un ingénieur, il peuplait sa tête de projets mais son manque de fortune ne rendait pas l’avenir évident.Les ambitions de l’autodidacte plurent en tout cas à la femme déjà mûre qu’était Camille en 1886. Ils se fréquentèrent et s’épousèrent deux ans plus tard. La mariée était assez bien dotée et avait hérité au surplus d’un pécule honnête à la mort de son père. Le jeune ménage habita chez madame Maillard mère, au 55, rue de la Villette, puis, après le décès de celle-ci, en 1892, disposa seul de la résidence. En 1889 (ou 1890), Camille, répondant sans doute déjà à des visées de son mari, avait acheté quelques terrains de la ruelle des Sonneries, une venelle qui embouchait alors dans la rue des Alouettes, derrière la demeure du couple. Six ans plus tard, Léon Gaumont leur trouva une utilisation. Entre-temps, en effet, il avait avancé sur le che-min professionnel. Après avoir été le fondé de pouvoir d’une entreprise commerciali-sant des appareils photographiques, près du Palais-Royal, il acheta celle-ci à son patron, Félix-Max Richard, et constitua une société à son nom avec le soutien d’un certain Gustave Eiffel (3). Il se lança aus-sitôt dans la construction des appareils et, pour ce faire, fit bâtir un atelier au bout de la ruelle des Sonneries. En 1895 se cons-titua ainsi, grâce au concours de Camille, la première brique de ce qui allait devenir la cité Elgé.

Des Alouettes aux Tourelles et retourLa villa des Gaumont se trouva dès 1908 insérée dans le tissu dense des bâtiments de cette cité active ; elle en bordait l’entrée sur la rue de la Villette. Henri Fescourt, l’un des premiers cinéastes de la com-pagnie, rapporte que, se rendant au pla-teau de tournage, il ne franchissait jamais le portail de la cité sans avoir le sentiment que le patron le regardait passer des fenê-tres de son bureau. En réalité, Léon, qui supervisait de haut la dimension artistique des activités de sa firme, ne mit jamais le nez dans la “ cuisine ” de la réalisation des films. Ses employés le voyaient rarement

sous la verrière géante de ce qu’on n’ap-pelait pas encore, à l’américaine, studio mais « théâtre de prises de vues ». Il délé-gua la responsabilité de ce domaine à deux collaborateurs de grand mérite, Alice Guy d’abord puis Louis Feuillade. Le pré carré du chef d’entreprise Gaumont, c’était les appareils de cinéma, le perfec-tionnement de leur mécanique, l’inven-tion de procédés techniques pour ajouter le son et la couleur à l’image en noir et blanc muette. L’ingénieur Léon fut un pré-curseur de rang mondial en ces matières. Voilà en tout cas ce qui l’occupait vraiment dans les ateliers et laboratoires des Buttes-Chaumont. En 1930, âgé de 66 ans, il prit sa retraite et, cédant la cité Elgé à des con-tinuateurs, se retira avec son épouse dans la belle propriété de Sainte-Maxime qu’ils avaient achetée en 1906, au début de la fortune du couple. Camille mourut là-bas mais exprima sa volonté de revenir à Belleville y reposer à jamais.

Maxime BRAQUET

(1) Voir l’emplacement sur le plan (p. 12)(2). Félix-Max était l’un des fils de ce Félix Richard dont nous avons cité plus haut le nom. Avant de se séparer de son frère Jules, en 1891, il avait codirigé avec lui la fabrique que leur père avait installée en 1874 au 8 de l’impasse Fessart (25-29, rue Mélingue de nos jours ; l’usine a été démolie vers 1972). Comme celui-ci avait côtoyé Charles Maillard au conseil municipal, c’est de façon assez naturelle que Léon, en 1893, cher-cha à se faire embaucher à la maison Richard. Découragé par Jules, il se rabattit alors sur la société de Félix-Max. Jules Richard, soit dit en passant, est à l’origine du lycée technique poly-valent qui porte aujourd’hui encore son nom au 21 de la rue Carducci.(3). Léon s’était fait remarquer de l’illustre père de la Tour à l’Institut populaire du progrès. Un des secrets de la réussite de Gaumont fut le choix qu’il sut toujours faire de ses relations et l’art qu’il possédait de les entretenir. C’est ainsi que Jules Carpentier, le premier patron qui l’em-ploya, fut témoin à son mariage avec Camille dans l’hôtel municipal de la place Armand-Carrel.

De gauche à droite :La série de films Fantômas, de Louis Feuillade

Alice Guy(1873-1968)La première femme cinéaste en 1907

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Evidemment, cela n’a plus rien à voir avec les fins de semaines heureuses du début du xxe siècle et de la glorieuse année 36 où elle emmenait les citadins pour de brefs loisirs dans des lieux qui sentaient encore bon la campagne, grâce à sa jonction avec la ligne de la Bastille. Après l’euphorie voya-geuse de ce début de siècle, la seconde partie de celui-ci fut moins enthousiaste ; c’est après la seconde guerre mondiale que tout doucement le passage des trains se fit plus rare .Qu’en est-il actuellement ? Après avoir transporté des passagers pour leurs loi-sirs, puis des marchandises, cette ligne aurait bien fini en simple tramway. Elle est là, des politiques en parlent, des associa-tions la défendent, d’autres s’installent sur son parcours, des cinéastes la mettent en valeur. Imperturbable, elle étale toujours son ruban sur l’est parisien pour le plus grand plaisir des riverains, surtout ceux du 12ème arrondissement.Au sortir des voies SNCF, elle passe sur la rue de Cambrai et son viaduc sert d’entrée à l’Espace du pont de Flandre desservant les Magasins Généraux (photo A). Puis elle entame un grand coude, frôle le canal Saint Denis, une gare est encore présente près du métro Corentin Cariou. Entre cette partie et le canal de l’Ourcq, le viaduc qui soutient les voies est annexé par les habi-tations limitrophes. C’est à partir de la rue Barbanègre qu’elle offre à de nom-breuses personnes et associations un local afin de pouvoir s’exprimer. C’est ainsi que le passage des voûtes accueille des artis-tes travaillant leurs arts sous ces arcades centenaires à la fraîcheur de végétations récentes comme cette association d’artis-tes « la Vache Bleue » (photo B). Les voies traversent ensuite le canal de l’Ourcq (photo F). C’est à cet endroit qu’un lieutenant de police pourchassait un mal-faiteur pour un épisode du feuilleton PJ.La petite ceinture dans le 19ème arrondis-sement est assez discrète, souvent cachée,

encadrée par des immeubles officiels, sous un tunnel ou en tranchée profonde comme dans le parc des Buttes Chaumont afin des traverser l’une des plus hautes collines de Paris.Les voies sortent de terre après un autre parc, celui de Belleville, pour quelques centaines de mètres, juste le temps de nous laisser une passerelle, celle de la rue de la Mare et un emplacement de gare à peine visible. Nous sommes à présent dans le 20ème arrondissement. C’est dans ce quartier encore intact que fut tournée une scène du film « Casque d’Or ».Les voies de la petite ceinture s’enfoncent de nouveau sous terre pour le cimetière du Père- Lachaise.Ce n’est qu’à partir de Charonne que les voies sont à l’air libre et que tout le charme de la petite ceinture opère. Prendre un verre dans une ancienne gare, celle de la rue de Bagnolet, regarder les voies à par-tir de la terrasse aménagée de ce Bar peu ordinaire (photo C). Le comptoir est cons-titué de traverses, quelques dessus de tables sont des panneaux de limitation de vitesse, les sièges ressemblent étonne-ment à ceux des premières classes d’avant guerre, la décoration d’intérieur est typi-quement ferroviaire. On s’apprête à rêver ! C’est certainement de cette station que « Casque d’Or », habitante du quartier, pris le train afin de rejoindre Manda (son amant) à Joinville .Notre imagination troublée par le bruit et la vapeur du percolateur, nous conduit tout droit sur les rails. Nous passons une gare, celle de la rue d’Avron dont les abris de quais en bois sont perdus dans la végé-tation. Un moment d’hésitation, un roule-ment sourd couvre le chant des oiseaux. Et si un train passait afin de nous emmener en direction de la Seine ! Le bruit vient des ateliers de la RATP en dessous de nous, une rame entre dans le bâtiment. Nous continuons notre chemin en traversant le Cours de Vincennes par un voyage métal-

La petite Ceinture du Canal Saint Denis

à la Seine A

B

C

D

Avant de pénétrer dans le 19ème arrondissement, les rails venant de l’Ouest parisien se fraient un passage dans un entrelacs de voies de toute nature. Encore un effort et par un dernier tunnel au dessous des rails de la Gare de l’Est, la petite ceinture est passée, toujours là pour terminer son tour de la Capitale et ce depuis plus d’un siècle.

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lique, quelques immeubles anciens, puis nous entrons dans un autre monde, celui du végétal, c’est de nouveau la campagne en plein Paris. Chemin faisant, nous pas-sons au-dessus de la « promenade plan-tée » (ancienne ligne Bastille -Verneuil l’Etang).À la hauteur de la rue du Sahel, le square Charles Péguy (photo D) ; c’est ici que l’écrivain prit le train pour son dernier voyage. Continuons vers le sud, l’avenue Daumesnil, la rue de Picpus et la rue Claude Decaen sont franchies par des ouvrages métalliques. Soudain dans l’enceinte d’une gare, un jardin extraordinaire : les mem-bres actifs d’une association entretiennent les quais de la gare Claude Decaen (photo E). Musardons, regardons les 1450 espè-ces végétales répertoriées par les respon-sables. Si nous avons de la chance, nous verrons un des écureuils et la fouine que les habitués ont rencontrée. A présent le chemin jusqu’à la Seine nous semblera morose, des voies et encore des voies, celles de la gare de Lyon et des ate-liers, de l’autre côté de la Seine, les voies de la gare d’Austerlitz. Il n’y a aucun doute, ce n’est que dans l’est parisien que la petite ceinture mérite d’être contemplée, et c’est là, en partie, que s’est écrit l’histoire de Paris.

Texte et photos de René MINOLI

Qui se souvient encore de la « Grande Guerre » ? Pour l’avoir faite, il faut avoir dépassé les 100 ans de vie. Ils sont quel-ques uns qui peuvent encore dire les souffrances qu’ils ont endurées.

L’un d’eux vient de nous quitter le 6 juin dernier dans sa 110ème année : Léon, Roger WEIL.Il était l’un de nos voisins de l’est pari-sien, né dans le 10ème, vivant dans le 19ème à la fin de sa vie, chez ses enfants.

Sur son faire-part de décès on lit :Chevalier de la Légion d’HonneurMédaille militaire Croix de Guerre 1914-1918Croix de Guerre 1939-1945Croix du Combattant Volontaire de la Résistance.Car ce jeune chasseur alpin mobilisé en 1916 vécut les horreurs des batailles de 1917 connues pour les milliers de morts : Le Chemin des Dames, Craonne, les batailles dans le Ballon des Vosges, et les tranchées avec moins 15 degrés…Il n’avait pas de haine pour les adversai-res, il disait : « Les Allemands, ils étaient comme nous des pauvres types qui se faisaient casser la gueule pour rien ». Il ajoutait au profit des marchands de canons : « Cette machine à faire des

veuves et des orphelins »… « et à enri-chir les marchands de canons ». Sa haine il la réservait à ces injustices : ses deux frères ne revinrent pas.

La paix revenue, il vécut une heureuse vie de famille. Occupant ses loisirs avec la pratique de la boxe amateur qui lui fit rencontrer les grands champions : Marcel Thil et Marcel Cerdan.Il avait également une grande passion pour le théâtre et une dévotion à Sarah Bernhardt.

Mais en 1939, la haine raciste d’Hitler déclencha une nouvelle guerre mon-diale.C’est dans la Résistance, que Léon WEIL lutta contre l‘occupant, passant des messages secrets entre les deux zones. En 1943 il entra dans le Réseau GALLIA. Son action fut récompensée par les titres énoncés ci-dessus.

Cette belle vie, nous tenions à vous la faire connaître brièvement. Dans notre époque cruelle, violente, égoïste, il est bon de rappeler qu’on peut être un humain aimant la vie et défendant de touts ses forces la liberté.

M.A.A.

La Croix titre : « Léon WEIL rêvait de paix avec « les types d’en face » ;Le Monde écrit : « Une vie volée à la mort, l’un des derniers survivants de 14-18 ».

E

F

À 109 ans Léon WEIL

nous a quittés...

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Mon docteur m’a dit que j’avais un

D.A.D.A. Pour qui ignore ce que c’est,

je vais en donner les symptômes.

Par exemple, ce matin, je décide de laver ma voiture. Alors que je me dirige vers le garage, je remarque qu’il y a du courrier sur la commode de l’entrée. Je décide de regarder le courrier avant d’aller laver la voiture. Je pose mes clés de voiture sur la commode, mets tout le courrier publici-taire dans la corbeille à papiers et remarque que cette der-nière est pleine. Alors je décide de reposer les factures sur la commode et de vider d’abord la corbeille.

C’est alors que je me dis que, puisque je vais me trouver à côté de la boîte aux lettres quand je vais vider la cor-beille dans la poubelle, autant préparer d’abord le règle-ment des factures. Je prends mon carnet de chèques, et je vois qu’il ne m’en reste plus qu’un. Mon autre chéquier est dans mon bureau ; donc, j’y vais, et je trouve, sur le bureau, la bouteille de jus de fruit que j’ai commencé à boire. Je vais chercher mon chéquier, mais, avant tout, il faut que j’enlève ce jus de fruit de là avant que je com-mette une maladresse et que je le renverse. Je remarque qu’il commence à devenir tiède, je décide donc d’aller le mettre dans le frigo.

Alors que je me dirige vers la cuisine avec le jus de fruit, le vase sur le plan de travail de la cuisine me saute aux yeux : les fleurs ont besoin d’eau. Je pose le jus de fruit sur le plan de travail de la cuisine et découvre mes lunettes pour lire (que je cherchais depuis le matin). Je me dis que je ferais mieux de les remettre dans mon bureau, mais avant, je vais donner de l’eau aux fleurs. Je repose les lunettes sur le plan de travail de la cuisine, remplis un pichet d’eau, et soudain j’aperçois la télécommande. Quelqu’un l’a laissée sur la table de la cuisine. Je me dis que, ce soir, quand on va vouloir regarder la télé, je vais la chercher partout, et je

ne me souviendrai plus qu’elle est dans la cuisine.

Je décide donc de la remettre dans le salon où est sa place, mais avant, je vais rajouter de l’eau aux fleurs. Je verse l’eau, mais j’en renverse une grande quantité sur le sol. Alors je remets la télécommande sur la table, vais chercher une serpillière et nettoie des dégâts. Ensuite je reviens dans l’entrée, et j’essaie de me rappeler ce que je venais y faire.

A la fin de cette journée : la voiture n’est pas lavée, les factures ne sont pas réglées, il y a du jus de fruit tiède sur le plan de travail de la cuisine, les fleurs n’ont pas assez d’eau, je n’ai pas mon nouveau chéquier, je ne trouve plus la télécommande, je ne sais pas où sont mes lunettes, et je n’arrive pas à me souvenir de ce que j’ai fait des clés de voiture.

Ai-je été assez clair ? Il me semble. Quand je me rends compte que rien n’a été fait aujourd’hui, je n’y comprends rien : je n’ai pas arrêté de la journée, et je suis complète-ment crevé. Je réalise que j’ai un sérieux problème et qu’il faut que j’essaie de me faire aider, mais d’abord je vais m’occuper de mes mails. Ne pourrait-on me rendre ce ser-vice ? Envoyer ce message à qui de connaissance, car je ne me souviens plus à qui je l’ai déjà envoyé.

Il me semble que maintenant il est possible de bien se représenter ce qu’est un D.A.D.A. Ah oui ! Qu’est-ce que D.A.D.A. veut dire ? C’est simple, c’est un Déficit d’Atten-tion Dû à l’Âge. Il paraît que lorsqu’on est quinquagénaire et à plus forte raison sexagénaire, on a de grandes chan-ces d’être touché par ce mal. Alors qu’on ne se gausse point, si ce n’est encore le cas, cela peut bien nous arri-ver un jour.

En ce qui me concerne, il me semble avoir toujours eu ça. J’ai dû tomber dedans quand j’étais petit.

Frédéric MONNETd’après Joëlle DINEUR

J’ai un

D.A.D.A.Dessin de Marcel Créach

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Quartiers libres

Quand notre Seigneur Dieu eut achevé sa semaine de trente –cinq heures, con-sacrée à la création du monde, le sep-tième jour il s’arrêta pour se reposer.

Ici Galahad m’interrompt :« Dis Papy, le bon Dieu, il a mis toute une semaine pour créer le monde. ?Ben, c’est pas rapide ! La Fée Clochette, elle va bien plus vite. Un coup de baguette, et hop ! »« La différence, vois-tu, c’est que la Fée Clochette ne fait des miracles que dans les bandes dessinées, tandis que Dieu existe vraiment. »« Ah, oui ? Et il est où ? « « Partout, partout où il y a amour et harmonie. »« J’comprends pas. »« C’est pas bien difficile. Quand les hommes, au lieu de s’entredéchirer ou de s’entre-tuer, s’aiment, s’entendent, s’entr’aident, se mettent d’accord pour loger les gens qui dorment dans la rue, ou pour donner à manger à ceux qui ont faim, etc… ça c’est Dieu ! » « Mais alors, le vieux monsieur, avec sa longue barbe, qui plane sur des nuages et qui joue aux boules avec le soleil, la terre et la lune ? »« Ca, si c’est bien fait, c’est de l’histoire de l’art « .« Et sinon ? »« Sinon, ce sont de belles images. »

« Et le diable, l’enfer, tout ça, ça existe aussi ? »« Et comment que ça existe. »« C’est quoi ? »« C’est la haine et la violence qui rava-gent périodiquement notre planète. C’est des millions de nos semblables qui crèvent de faim, des centaines de mil-liers qui meurent parce qu’on ne les soi-gne pas, c’est l’égoïsme des riches et la misère des pauvres, c’est l’occupation et la torture, c’est les guerres, surtout les guerres – qui note bien, commencent parfois dans les familles et les cours de récréation. »« Et pourquoi est-ce que… »« Ecoute Galahad, si tu m’interromps tout le temps, je n’arriverai jamais au bout de mon histoire. »« Elle est vraie au moins ton histoire ? « « Non elle est complètement inventée. « « Ben alors ? »« Alors, tu sais bien qu’il y a des histoi-res inventées qui sont quelques fois aussi vraies que les vraies. »« Ah, oui ! comme Le petit chaperon rouge ? »« Par exemple. »

« Je disais donc qu’après sept jours, Dieu se reposa.Mais n’allons pas croire qu’il s’en tint là : il lui restait à fignoler son ouvrage. Pour le détail, on peut se reporter à La

Genèse. Mais ce qu’elle ne dit pas, la Genèse, c’est que Dieu trouva la terre bien insipide. Au surplus, les hommes, qu’il avait comblés de bienfaits, com-mencèrent à s’adonner furieusement à leurs folies.Dieu estima qu’il fallait remédier à ce désordre en leur donnant en abondance le sel de la sagesse. Il manda donc un bel archange, qui remplissait les fonctions de grand saulnier : c’est lui qui était chargé de saler les avenues du ciel, les nuits de grands froid et de gel. Le Seigneur lui ordonna donc de verser sur la terre, aidé par son équipe de petits saulniers, des cuves et des cuves de sel.Vu que le firmament est immobile , comme son nom l’indique, et que la terre tournait, déjà bien avant Galilée, les ton-nes de sel qui se répandaient sur la pla-nète se répartissaient régulièrement sur toute sa surface, terrestre et maritime : il y en avait pour tout le monde.Mais les hommes, hélas – on dirait que c’est chez eu une manie – se mirent de nouveau à pécher exagérément. Et il a fallu que le Roi des cieux leur envoie le Déluge pour les calmer un peu. Le Dieu de la Bible, c’est bien connu est rancu-nier, et n’hésite pas à châtier les peuples voyoux, comme un vulgaire Bush.Le Déluge ne se contenta pas d’extermi-ner des multitudes d’affreux pécheurs, il causa aussi des ravages écologiques

Pourquoi la mer est-elle salée ?Histoire pour petits enfants, adultes

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Résumé des épisodes précédents :Gafy est chargé par ses compagnons « Les guests » de la survie du groupe en trouvant une nouvelle source d’énergie car un man-geur de lumière les menace. « Les guests » vivent dans un monde parallèle au notre et se déplacent par télépathie(1) grâce à la lumière. Lors d’un voyage dans notre monde, Gafy rencontre Lisa, une petite fille de 10 ans, habitante de Belleville. Il se présente et lui explique comment se déplacer par télépathie.

Episode N°5 : Le voyage de LisaLisa n’en revient pas, on peut voyager par télépathie.Gafy lui explique le principe du voyage télépathique :- Tu me donnes la main,- Tu fermes les yeux,- Tu imagines un souvenir très agréable,- Et petit à petit, tu intensifies ce souve-nir.

Gafy lui propose d’expérimenter le voyage télépathique pour visiter le monde des « guests »Lisa hésite un instant :- Est-ce que je peux partir aussi rapi-dement sans prévenir ma tante de mon départ ?Elle est très gênée car elle ne peut pas lui raconter sa rencontre avec Gafy, sa tante ne la croirait pas.Elle ne peut pas non plus lui parler de son projet de voyage dans un monde parallèle car elle lui interdirait. - Quelle situation difficile, je ne sais pas quoi faire ? Gafy, combien de temps serons-nous absents ? - Dans notre monde vos heures représen-tent pour nous des minutes. Nous serons donc partis plusieurs heures.- Ma tante va être terriblement inquiète.

Lisa hésite encore plus.- Elle risque d’appeler la police et je devrais m’expliquer, révéler ton exis-tence. Les policiers ne me croiront jamais, pire ils vont me prendre pour une folle.

Gafy comprend son trouble. Il lui propose un plan:- Tu peux expliquer à ta tante que tu sou-haites aller te promener au parc des but-tes Chaumont avec les parents d’un ami.

La sortie durera toute la journée et se ter-minerais tard dans la nuit car ils te propo-sent de dîner sur place.

Lisa trouve l’idée très bonne.Elle s’empresse (2) d’aller demander l’autorisation de sortir à sa tante. Lisa lui précise qu’elle ne doit pas s’inquiéter car elle reviendra très tard dans la nuit.Sa tante accepte en lui demandant d’être très prudente et de bien obéir aux parents de son ami. Lisa n’aime pas mentir à sa tante, c’est d’ailleurs la première fois mais elle n’a pas le choix. Lisa prépare donc quelques affaires et retrouve Gafy au parc pour le grand voyage.

- C’est l’heure du départ, annonce Gafy car la luminosité(3) est excellente.Lisa sent son cœur battre de plus en plus fort. Un grand nombre de questions l’as-saillent (4).- Est-ce que je serais capable de me con-centrer correctement ?- Comment va se passer le voyage télé-pathique ?Comment est le monde des « Guests » ?Seront ils ravis de me voir ?Est-ce que je vais leur plaire ?Toutes les questions se bousculent dans sa tête.Gafy qui lit dans les pensées la rassure et lui dit de ne pas s’inquiéter, tout va bien se passe.Lisa est une nouvelle fois impressionnée (5).-Tu lis aussi dans mes pensées, c’est incroyable !Gafy lui sourit, lui prend la main et lui demande si elle est prête pour ce fantas-tique voyage.Lisa ferme les yeux. Elle imagine une magnifique prairie où des chevaux galo-pent librement. Petit à petit elle se voit près des chevaux et caresse leur crinière.A ce moment précis, elle ne ressent plus son corps, elle a l’impression de flotte dans les airs. Elle entend la voix de Gafy qui lui confirme leur départ.- C’est incroyable !Lisa n’en revient pas. Elle voyage par télé-pathie.Lisa imagine son retour à l’école lundi matin :- Personne ne voudra me croire lorsque je raconterai mon aventure.

Suite dans le prochain numéroCatherine EBOULé

1. Télépathie : Sentiment

de communication à distance par

la pensée.2. S’empresser :

Se hâter.3. Luminosité :

Puissance lumineuse.

4. Assaillir : Être tourmenté par

des questions.5. Impressionner :

Affecter d’une vive émotion.

considérables. Pense-donc : des pluies ininterrompues pendant quarante jours et quarante nuits. Tout était submergé. Pire qu’à la Nouvelle-Orléans ! Quand la colombe rapporta à ce veinard de Noé son rameau d’olivier, on comprit bien vite que les eaux se retiraient. Hélas, elles emportèrent avec elles tout le sel de la sagesse que Dieu, dans son infinie bonté, avait prodigué aux hommes. C’est ainsi que, depuis,les hommes continuent à se dessaler et que la mer est très salée.« Là tu rigoles, papy ! »« Pas tant que ça. »Tu ne peux pas savoir ce qu’ils sont capa-bles d’inventer, les hommes, pour ravager notre planète bleue : guerres et occupa-tions, effets de serre et pollution, obésité des uns et famine des autres, déforestation et désertification, gaspillage de l’eau, et j’en passe. De quoi faire pâlir le Ciel avec ses tsunamis, ses tremblements de terre et ses épidémies.« Papy tous ces malheurs, ça va durer longtemps comme çà ? »« Ca dépend de toi, mon bonhomme, de moi, de tous les hommes qui se décident à retrousser leurs manches, qui, veulent que ça change. Mais…je crois qu’il y a un petit espoir. écoute le début de la « Cantate de la Paix », que nous chantons à la chorale : Un jour, un jour peut-être, nous deviendrons de vrais amis : je vois déjà que tout s’éclaire du côté de la nuit……« J’aime bien quand tu chantes, papy ! »« Et moi, donc. Tu vois : la musique, c’est la joie, c’est la fraternité, c’est l’harmonie. »« C’est Dieu, quoi ! »« T’as tout compris ».

Arnaud FLORAND

illustration :Michel-Ange - Extrait de la fresque sur le plafond de la chapelle Sixtine - Vatican

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Le mercredi 14 juin dernier, le Mur des Justes du Mémorial de la Shoah, rue geoffroy-l’Asnier dans le 4ème arron-dissement, a été inauguré par Messieurs Dominique de Villepin, Premier ministre, Ehud Olmert, Premier ministre de l’Etat d’Israël et Bertrand Delanoë, Maire de Paris, en présence d’une foule considéra-ble. Complémentaire du Mur des Noms déjà érigé à l’entrée du Mémorial, le Mur des Justes prend appui sur le grand mur de schiste vert bordant le parvis au nord, du côté de l’allée des Justes. Sur 37 plaques de bronze ont été gravés les 2693 noms des Justes de France reconnus de 1964 jusqu’en décembre 2005. 9 plaques vier-ges ont été prévues afin d’accueillir chaque

année les noms des personnes nouvelle-ment honorées. 2 plaques explicatives, situées à chaque extrémité de l’accro-chage, complètent cet ensemble. Dans le sol, des luminaires éclairent le Mur. Le réaménagement du Mémorial de la Shoah a tenu à rendre un hommage mérité à l’action de ces hommes et de ces fem-mes modestes, dont le rôle a pourtant été essentiel dans l’organisation du sauvetage des trois quarts des membres de la com-munauté juive pendant la Seconde Guerre mondiale qui parvinrent, en France, à échapper à la destruction programmée par les nazis. A l’occasion de l’inauguration du Mur des Justes, le Mémorial de la Shoah orga-

nise, entre le début du mois de mai et la fin du mois d’octobre 2006, une exposi-tion sur les Justes de France, conçue sous la direction de Lucien Lazare, membre de la commission pour la désignation des Justes pour le Mémorial de Yad Vashem à Jérusalem, complétée par un cycle de films et de conférences. Ces différentes mani-festations seront clôturées dimanche 22 octobre et mardi 24 octobre par deux tables rondes consacrées aux réseaux de résistance dans le sauvetage et aux fonc-tionnaires dans le sauvetage, avec entre autres la participation des historiens Denis Pechansky, Marc Olivier Baruch, Pierre Birnbaum et Jean-Pierre Azéma.(renseignements au 01-42-77-44-72).

L’inauguration du Mur des Justes du Mémorial de la Shoah

Au fond d’une petite cour d’immeuble, au 83, rue de Belleville, se trouve l’atelier de l’ancien bottier Maurice Arnoult. Figure bellevilloise typique et reconnue (1), témoin de l’évolution de son métier et de son quartier depuis près d’un siècle (il est né en 1908, en province, et il s’est établi à son compte en 1937 dans le petit atelier qu’il occupe encore aujourd’hui), Maurice Arnoult a obtenu la médaille des Justes parmi les Nations. Le 18 octo-bre 1995, l’ambassadeur de l’Etat d’Israël lui a dédicacé dans son atelier le diplôme de Yad Vashem : « En hommage très ami-cal et infiniment reconnaissant pour votre grande œuvre de sauvetage de vos frères juifs de France ». L’obtention de cette dis-tinction s’est faite automatiquement, sans que l’intéressé ne l’ait sollicitée, grâce au témoignage d’un enfant caché, Joël. Son histoire est en fait emblématique de l’ac-tion modeste mais inestimable de ces héros de l’ombre de la résistance civile, qui contribuèrent en particulier au sauvetage des enfants cachés.Mobilisé en 1939 sur le front de la Sarre, entraîné dans la débâcle de 1940 et con-duit en captivité en Allemagne, Maurice Arnoult est libéré en 1941 et rentre à Paris « sans jouer les héros ». Il retrouve alors son atelier de cordonnerie dont il avait confié la gestion, avant de partir aux armées, à l’une de ses employées nom-mée Alice, en qualité de fondée de pouvoir dûment enregistrée devant la chambre des métiers. « Je l’avais embauchée comme on

achète une machine. Elle ne m’avait pas dit qu’elle était juive. C’était une femme intelligente qui n’était pas du métier. Elle était aimée des fournisseurs, des clients et des ouvriers. Son père était un Russe qui était devenu couturier. Elle, elle avait une place où elle avait été virée et moi je l’avais embauchée ». Marié avant-guerre à une femme tuberculeuse, Maurice Arnoult était devenu veuf durant sa cap-tivité. « Quand je suis revenu, (Alice) était là. Je l’ai regardée avec d’autre yeux et j’ai dit : Pas mal ! Il s’est passé ce qu’elle pensait aussi un peu ! Il est arrivé ce qui devait arriver. Elle a passé pour Madame Arnoult. Et cela l’a protégée ». De fait Alice, la petite juive, est officiel-lement déclarée au commissariat comme Madame Arnoult, ce qui la préserve des contrôles d’identité tatillons de la police française. Maurice Arnoult donne égale-ment sa carte d’identité au frère d’Alice, qui avait du quitter son métier de joaillier et qui sera finalement arrêté sur dénon-ciation.

Dès avant les grandes rafles de l’été 1942, le sort des étrangers et des juifs était devenu tout à fait précaire dans le Paris de l’Occupation. En pleine nuit, vers minuit, rue Crozatier, Maurice Arnoult assiste à des arrestations : « des gens en bras de chemi-ses, un bébé est arraché à une femme… J’avais déjà dans l’idée ce que m’avaient dit les juifs allemands (de Belleville dans les années 1930) ». Mais le bottier four-nissait aussi la femme d’un commissaire de police : celui-ci l’avertit des rafles de juifs en préparation, dont il ne connaissait pas la date exacte au demeurant. Au début du mois de juillet 1942, une rafle de grande ampleur était manifestement imminente. Maurice Arnoult prend alors les choses en main et déclare à Alice : « Il faut que dans les jours qui vont suivre tu trouves quel-que chose. Dès ce soir, amène-moi qui t’as. J’ai dit à Suzanne (la sœur d’Alice) qu’elle me donne « Riri », « Riri » qui avait six ans, toi apporte- moi Joël ». Les deux enfants juifs sont conduits en compagnie d’Annette, la fille qu’il avait eue de son

Entretien avec Monsieur Maurice Arnoult,Juste parmi les Nations

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premier mariage, dans son petit pavillon en bois de Savigny-sur-Orge. « Riri » est confié à la grand-mère de Maurice et Joël est remis au propre père de Maurice, qui disposait d’une autre baraque en bois sur le même terrain. Le souvenir de la conversation entre Maurice et son père, qui avait abandonné ses propres enfants au début de la Grande Guerre, reste encore chargé d’une intense émotion : - Maurice :« J’ai quelque chose à te demander : est-ce que tu pourrais pas gar-der des enfants ici ? »- Le père : « Écoute Maurice, j’ai jamais rien fait pour toi. Aujourd’hui demande-moi ce que tu veux, je le ferai. »-(Commentaire de Maurice : « Alors là, mon père s’est racheté ! »)- Maurice : « Je vais t’amener un ou plu-sieurs gosses et tu les garderas ». Mais le dévouement de Maurice Arnoult ne se limite pas à la protection des seuls enfants. Maurice dispose également d’un local situé au premier étage d’un immeuble industriel, au 90 rue Rébeval, dans lequel il héberge clandestinement dans la journée

deux oncles d’Alice, qui ne sortaient que la nuit pour rejoindre leurs femmes, déguisés en dessinateurs industriels. Quelles raisons ont poussé Maurice Arnoult à agir ainsi ? L’intéressé répond : « Pour moi, c’était un devoir. Quant j’ai vu qu’on arrêtait des gens comme ça, ce n’est pas une méthode. Mais je dois dire que je ne pensais pas qu’ils allaient disparaître et être tués quand je les ai vu être ramas-sés par la police. Si on me l’avait dit, je ne l’aurais pas cru ». Mais les actions de sauvetage au quotidien n’allaient pas sans présenter des risques. Il fallait aussi, en période de pénurie alimentaire, assurer le ravitaillement des personnes qui vivaient dans la clandestinité. « Cacher des gens nécessite de faire attention. Il faut occul-ter tout ça et se méfier des gens à l’affût, surtout des voisins. J’avais mon boulot. Ça m’a servi. Alice avait une clientèle de jeunes gens de 25 à 30 ans qui faisaient du marché noir admis par les Allemands. Ils achetaient des chaussures. Ils faisaient leurs affaires. J’ai dit qu’il faut qu’ils tirent parti de ça, des paysans qui vous achè-tent des chaussures. Achetez n’importe

quoi, je vous le paierai au besoin : pom-mes de terre, haricots, fromages, tout ce qui se mange. Tous ces jeunes gens m’ont permis de nourrir 6 personnes du côté de la famille d’Alice, deux oncles et deux tantes. Il fallait nourrir également Joël et « Riri » J’ai pu les nourrir comme ça faci-lement. Je ne me suis pas enrichi, mais je n’ai pas perdu d’argent ».Finalement, les contraintes de prudence et de sécurité que faisaient peser l’organisa-tion de la résistance civile et du sauvetage des victimes des persécutions constituaient une école d’humilité, fort éloignée des postures héroïques de la résistance active des maquis : « L’important, c’était d’éviter de parler des juifs. Je passai pour un doux abruti, pour un royal abruti même ici, qui vivait sa petite vie. Et surtout vous-même ne pas vous laisser aller et émettre une opinion quelconque sur la guerre ».

Propos recueillis par Michel FABRéGUET.

(1) Quartiers Libres a déjà consacré un arti-cle à l’évocation de « Maurice ou l’humble fierté de Belleville » dans son numéro 56-57, à l’automne 1993.

Comme dans la chansonà Paris au mois d’Aoûten vélo on dépasse les autos…pour un peu on rêveraitplace de la Concordequ’y broutent… paisiblesd’inattendus canassons ! mais cette annéeil se passe de drôles de choses !…à Beyrouth, fin Juillet début Août des obus aplatissent les autobusla population court aux abrisavant que dans le secteurles immeubles ne soient plus que gravats et débris !

Pas très loin mais on en parle moins, à Gazaça n’est pas non plus pour le cinémacomme depuis trop longtemps déjàquand donc a commencé l’Intifada ?de très jeunes hommes sans espoir de lendemaindes enfants pour certains d’entre eux encoresur des chars lancent pierres boulons et cailloux tout ce qu’ils trouvent à portée de main !…des voyous comme leurs Parents !

Des voyous imprudentscar c’est sensible un charextrêmement sensible…ça se froisse aisément !l’un d’eux crache une salve fétideet de sa mitraille fatalefrappe l’enfant en plein élan !que voulez vous…c’est dangereux les enfants !Pendant ce tempsles plus nobles diplomates de l’Occident clinquantprétendument pressés d’arrêter le massacre

font assaut d’imagination pour butter sur les difficultés !Où en est on de l’avancement de la négociation ?Il va falloir encore un peu de temps vous savezon se heurte toujours à de sérieux obstaclesmais cependant… outre une incontestable évolutionon note, il faut le dire… de vraies avancées !

Après la pause pour ce communiqué encourageantdans les salons dorés reprend la conversation dehors le canon qui n’a jamais cesséredouble et tonneoptimisant le temps qui reste ! par vagues les avions larguent leur tapis de bombescomme attendu… des hommes tombent !le plus souvent des civils, sous le béton ensevelisbeaucoup de femmes, autant d’enfants !mais qu’on se rassure…très affectés les diplomates sont à la tâches’exerçant inlassablement…au divin jeu, version Reality-show… du cadavre exquis !

Eté 2006Authentique au point de n’y pas croirel’inutile démonstration…de l’armée la plus puissante de cette régionpar une guerre démesurée, absurde, vaineet contre-productive !Accompagnée d’une consternante performance

diplomatique !Sans doute est ce là… la belle avancée annoncée…mais elle ne fait que répandre la nausée !à Paris et ailleurs, faisons… je n’sais quoi ?descendons dans la rue, grimpons sur les toitspour hurler, nos mains en porte-voix…plus fort que toutes les sirènes du pays rassembléesTrop ! c’est Trop !!… maintenant ça suffit ! ! !

GRAM (Août 2006)

Eté 2006Performance diplomatique !

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Des années au RMI, et cette année un million cent mille livres vendus, surtout des livres d’enfants et des albums, au prix de 70 centimes pièce, sans diffu-seur, grâce au bouche à oreille et avec trois camionnettes : Vincent Safrat mérite d’être connu ! Il espère d’ailleurs que cet article lui permettra de faire connaître son action et de vendre ses livres dans les écoles du 19e et du 20e arrondissement.

Découverte de la lectureMoi, j’ai découvert la lecture tout seul. J’étais un ado qui aimait pas lire, j’ai quel-ques souvenirs de lectures enfantines qui m’ont beaucoup plu, mais ça c’était arrêté là, comme beaucoup de garçons, et après, ado, je lisais plus, je préférais jouer au bas-ket. J’étais pas très bon élève, moyen, quoi, et j’ai abandonné l’école au début de la Terminale sans savoir trop quoi faire, en me disant : « j’ai pas envie qu’on m’em-bauche, j’ai pas envie d’un patron, je me débrouillerai », mais je savais pas quoi faire..Et à peu près un an plus tard, j’ai découvert la lecture réellement, tout seul, comme ça, en ramassant un bouquin qui était posé sur une table et c’était un bouquin de Flaubert et là j’ai eu le coup de foudre pour cet auteur. Flaubert, c’est vraiment l’auteur que j’ai le plus aimé, et ça m’a donné envie de lire, mais de lire beaucoup. Alors là je suis devenu un lecteur, j’ai découvert la lecture, ça a duré des années, et je me suis dit que ça apprenait tellement, j’avais l’im-pression que ça remplaçait les études que j’avais pas faites.Et petit à petit je me suis dit : « je pour-rais bien faire quelque chose autour des

livres », et j’avais aussi cette envie, une envie sociale, d’aider les autres. Donc la seule idée que j’ai, c’est que grâce à la lecture on peut peut-être mieux s’en sor-tir dans la vie que si on ne lit pas, et on n’a besoin de personne pour lire, il suffit d’avoir le coup de foudre, et là on apprend beaucoup, on comprend mieux le monde, ça remplace les études, ou un héritage...Voilà, je me suis dit : « ça serait super que ça puisse arriver à d’autres, on voit tout de suite la différence entre les gens qui aiment lire et ceux qui ne lisent pas ».

Le porte- à - porteJe viens de la banlieue parisienne, des pavillons, pas des cités, je voyais bien que dans les maisons de mes copains, y avait un petit peu de bouquins, une cinquan-taine de livres, et dans les cités, par contre, y a plein d’apparts avec zéro livre.Je continuais à ne pas savoir quoi faire, j’ai essayé à un moment d’imprimer des livres moi-même, parce qu’on m’avait prêté une petite offset, ça n’a pas marché. Je vou-lais faire des livres pas chers, mais je savais pas comment faire. J’allais moi-même dans les librairies essayer de les vendre, mais j’y arrivais pas.

Tout en faisant ça, j’ai appris que le pilon existait. Le pilon, c’est la destruction des livres invendus. C’est des tonnes de livres qui partent au pilon chaque année. Je me suis dit : je vais essayer, y a plus de pro-blème d’argent, je vais donner les livres qu’on va me donner, et j’ai tout de suite pensé au porte-à-porte gratuit dans les cités.Je suis allé frapper chez tous les éditeurs, alors ça c’était courageux ! J’ai beaucoup, beaucoup essayé, je demandais des stocks, pas un carton de livres. Y a plein d’éditeurs qui donnaient un carton de livres pour l’année, y en a qui en donnaient 300 000.

J’avais pas d’argent, pas de stock, je vivais avec le RMI. J’ai fait ça pendant six ans. Pour me loger je me débrouillais, j’arrivais toujours à trouver des combines . J’avais pas d’entrepôt non plus, donc je stockais ça partout, j’avais trouvé un stock gratuit dans un foyer d’ados, qui avait de grandes caves. Je bricolais. C’était sans argent, tout ça, et donc c’était vachement bien.J’organisais des distributions gratuites de livres tous les week ends dans les cités, jamais seul, je faisais ça avec des maisons de quartier ou avec des bibliothèques, et ce que je faisais aussi, je leur demandais un franc par livre donné et ça me servait parce que j’avais quand même quelques frais, c’était pour les frais de fonctionne-ment parce qu’il y en a toujours un petit peu. Pour les gens c’était totalement gra-tuit, c’était bien.Là-dessus sauver les livres du pilon, c’est très difficile, j’ai jamais eu les bons argu-ment peut-être.A la fin des six années, on donnait 100 000 livres par an, ça faisait pas beaucoup, ça fait 10 000 livres par mois, mais quand même c’est du boulot. Chaque semaine y avait une délégation de gens du quartier qui venait m’aider, je demandais de l’aide, des gens, des volontaires, c’était assez vivant, on se partageait les immeubles, on partait avec nos cartons dans les escaliers.Au bout de ces six années, j’avais tou-jours autant de mal à récupérer les livres et j’arrivais pas à en récupérer de plus en plus, parce que moi je suis ambitieux, mon ambition c’était pas l’argent mais c’était de donner plus de livres que ça, cent mille ça me paraissait trop peu, quand je voyais tout ce qui partait au pilon. Je récupérais des miettes, vraiment des miettes. Pour moi c’était un échec, je n’arrivais pas à les convaincre de me donner plus.Quand on fait du porte-à-porte, on voit bien que les enfants s’intéressent aux livres

Vincent Safrat, l’éditeur social,

fondateur de « Lire c’est partir »

Paroles d’immigrés (suite 5)

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jusqu’à 10-12 ans, après les garçons c’est fini, les filles non. Les adultes assez rare-ment ils prenaient un bouquin, souvent ils disaient : « c’est bien pour les mômes », pour eux c’est utile, c’est très lié à l’école, c’est pas la lecture plaisir. On était super bien reçus parce qu’il y avait les enfants.

Editeur socialLà-dessus un éditeur, en fait un sol-deur m’a dit que faire imprimer un livre de poche ça coûtait un franc, ça, je le savais pas. Un franc, et moi je deman-dais un franc !D’abord c’était pas un franc, c’était deux, et pour que les livres valent deux francs, il faut faire de grands tira-ges. Je me suis dit : « je vais faire imprimer vingt livres à 20 000 exemplaires, pour les enfants », parce que pendant les distri-butions ce qui marchait c’étaient les livres pour enfants. Et je me suis retrouvé avec 400 000 bouquins. Là c’était génial, c’était le contraire, le problème c’était plus d’avoir les livres, c’était de les distribuer. Pour aller plus vite, je me suis dit : « je vais les dis-tribuer dans les écoles », et si j’avais des invendus je m’en foutais, mais j’ai vendu tous les livres dans l’année, je les ven-dais 3,50 francs, j’avais loué un entrepôt à la ferme de Trousseau, c’était pas cher. L’année suivante, j’ai refait une série. Et c’est la dixième année.Petit à petit les distributions se sont éten-dues à toute la France, avec des relais associatifs partout. Trois francs cinquante, j’avais du mal à payer l’imprimeur, j’ai mis à quatre francs et je suis resté à quatre francs jusqu’au passage à l’euro.A l’époque j’étais tout seul. Les quatre ou cinq premières années, je passais ma vie sur les routes, plutôt en province. J’ai eu du succès tout de suite dans le Nord, en Moselle, dans tout l’Est, et puis petit à petit il y a eu des contacts, des rencontres. Maintenant ça marche bien en Bretagne, à Lyon, et puis il y a des endroits où il y a des gens très motivés : à Caen, c’est excep-tionnel, c’est là que ça marche le mieux.Et ces petits bouquins qui valent 0,70 euros maintenant, c’est un prix qui me permet de payer tout largement, y a même un peu de bénéfices, et maintenant il y a six salariés. J’ai acheté cette maison, ça appartient à Lire-C’est-Partir. J’ai vraiment aucun pro-blème d’argent alors que c’est 70 centimes. Donc c’est vachement bien, financièrement ça tient tout seul, et ça augmente chaque année, de 10 %. Maintenant on vend un million cent mille livres par an, c’est quand même mieux ! parce que je veux donner des livres à tout le mondeUn truc qui me paraît bien : quand on va dans les écoles vendre les livres aux enfants, c’est la même ambiance que quand je donnais les livres gratuits dans les cités : si on va dans une école d’une cité, y a les enfants, les parents qui sont là, le prix n’est pas un obstacle et surtout on a résolu le problème de la proximité, qui est aussi important que le prix. Les gens achètent des livres en venant chercher leur gamin à

l’école, les livres sont là , ils les voient, à ce prix ils se gênent pas, ils en prennent deux-trois, trois-quatre, des fois ils en prennent dix. C’est une petite librairie très populaire qui dure une heure, à la sortie des clas-ses, c’est très éphémère, et on peut reve-nir tous les ans avec les nouveautés, parce qu’on a des nouveautés une fois par an, mais cette petite librairie elle fonctionne à fond. C’est tout-à-fait mon but, c’est vrai-ment bien, c’est le côté éditeur social.Les ventes qu’on fait aux inst it s, ça dépend. Y a plein d’instits qui disent : « c’est super, vous vous rendez compte, nous les enfants qu’on a, ils ont des livres qu‘à l’école, chez eux y en a pas ». Dans les campagnes y a une grande misère. En Meurthe-et-Moselle autour de Nancy, on fait des ventes dans des écoles de campa-gne, c’est des écoles de deux-trois classes, ils achètent deux cents bouquins.Si on veut apporter des livres à des gens qui n’en achètent pas du tout, il faut leur résoudre le problème de la proximité et aussi leur faire un prix très bas, c’est vrai-ment pas compliqué.

AmbitionsToutes les écoles nous disent : « avant on pouvait pas faire de séries, maintenant depuis qu’on vous connaît on peut faire des séries », ça veut dire que tous les élè-ves ont le même livre. Pour cent francs, on a un livre pour toute la classe, ils payent ça avec la coopérative scolaire. Y a plein d’écoles qui les offrent, mais dans l’ensem-ble ils les gardent, ils les mettent dans les bibliothèques de classe. Mais on entend aussi des instits dire : « à ce prix-là je le leur laisse ». Qu’on crée une bibliothèque c’est bien aussiOn distribue 1,1 million de livres mais en fait y a plein d’écoles qui ne savent pas

qu’on existe. Notre réseau, il est efficace entre guillemets.L’imprimeur c’est Brodard et Taupin, il fait tous les Folio, les 10/18, les Livres de Poche d’Hachette, nous on fait des tirages qui dépassent de loin les autres. L’année dernière j’ai tiré à 30 000, 35 000 les albums, et à Noël j’ai réimprimé un livre sur trois. En trois mois on a vendu 30 000 bouquins de plein de titres, sans distribu-teur. Mais on pourrait faire le double ou même le triple.Moi mon ambition serait que toutes les écoles nous connaissent et qu’elles sachent qu’il y a une collection de 30 bouquins qui sort chaque année et que si on veut, on peut avoir des livres à 70 centimes. La réussite ça serait ça, ça voudrait dire qu’on en vend 2 à 3 millions par an, et ça va arri-ver, parce que le bouche à oreille fonc-tionne très bien. Par exemple à la Rochelle pendant des années ça ne marchait pas, et cette année ils en demandent beaucoup.Dans les nouveautés, y a des vedettes, un livre de Patrick Cauvin et un d’Alexandre Jardin. Avec lui, on est complètement d’ac-cord, il a créé Lire et faire Lire, des retrai-tés qui vont faire la lecture dans les écoles, hors temps scolaire. Je l’aime bien, au niveau social il veut faire quelque chose, il a déjà fait quelque chose.Si on arrive à faire des choses dans le 19e, on peut débarquer sur simple demande, il faut seulement que l’info soit bien faite aux enfants, et on vient à la sortie des classes.

http://lirecestpartir.free.fr/[email protected]

Photos et propos recueillis par élizabeth CRé[email protected]

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C’est en août que nous découvrons, dans le journal Ouest-France, ce peintre bellevillois et ses amis: Christian Caillard, peintre éga-lement et Irène Champigny, habitant aussi Belleville. Maurice LOUTREUIL était d’ori-gine sarthoise. Une retrospective de son oeuvre dans cette région a présenté en août, 15O huiles, aquarelles et dessins.La reproduction en couleurs de cinq de ses tableaux attire tout de suite le regard . Peinture figurative très expressive en raison de ses touches de pinceau larges, intenses et du climat tragique qui s’en dégage.Quelques renseignements dans l’article d’Olivier Renault: Maurice LOUTREUIL, issu de la bourgeoisie, a choisi de vivre de la peinture, mais non de s’en nourrir:pain ,

légumes et dépenses pour les couleurs...il meurt en 1925 à 39 ans.Evidemment, l’aide sympathique d’un habi-tué d’Internet nous donne d’autres détails surprenants pour qui ne le connaissait pas.Connu à son époque, il a exposé à plu-sieurs reprises. Après sa mort ses tableaux ont leur place à la GALERIE CHARPENTIER, à côté de BRAQUE,CHAGALL,CHIRICO, MASSON,SOUTINE,PICASSO ; des salons lui rendent hommage à l’étranger, au Brésil, au Japon... avant que le Musée de TESSE et l’abbaye de l’EPAU (dessins et aquarelles), ne le fassent dans la Sarthe.«L’Insoumis» part en Italie quand il est appelé en 1914, bien qu’il ait été réformé.Il voyage beaucoup mais revient toujours à

Belleville où il s’achète une petite maison en 1922, et à Montparnasse.À la suite de sa désertion, il avait écrit au commandant du bureau de recrutement du Mans : « Je réprouve l’usage des armes et je veux le manifester clairement... Il y a besoin d’hommes pour pratiquer les vérités acquises et acquérir celles qui ne le sont pas encore : je ne connais pas d’autre devoir. Je regrette tout ce qui tendrait à me limiter, à m’entraver. »Les anarchistes le reconnaissent comme l’un des leurs.

Jacqueline HERFRAYAppel : à Belleville, Maurice Loutreuil a-t’il laissé des traces ? des tableaux ? Cela nous intéresse.

Maurice LOUTREUiL, peintre bellevillois - 1885-1925

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Le site Carré-de-Beaudouin, bulletin A.H.A.V. N° 35 (1)Par Maxime BRAQUET

Le « Carré-de-Beaudouin » est, parmi les nombreuses résidences qui ont émaillé les hauteurs de Belleville et Ménilmontant à partir de la fin du 14ème siècle, une des rares à ne pas avoir disparu au cours des multiples transformations de ces quartiers.Située à l’angle des rues de Ménilmontant et des Pyrénées elle prolonge son histoire. Son jardin a été ouvert au public en octo-bre 2005, et ses divers bâtiments seront encore utilisés.Maxime Braquet, grâce à une riche docu-mentation, y replace ses différents proprié-taires et occupants dans quatre chapîtres successifs et donne envie d’aller y rencon-trer quelques fantômes.De 1700 à 1836, elle change souvent de propriétaires : tantôt des artisans aisés y résident en permanence ou occasionnel-

lement, tantôt des nobles y installent leur « folie ». Parmi ceux-ci, Nicolas Carré-de-Beaudouin ajoute la façade néo-palla-dienne – à colonnes – qui en fait tout le charme. Confisquée à la Révolution elle est achetée en indivision par les familles Tissot-Lefebvre – Le Bas de Courmont puis est revendue en 1936 à M. et Mme.Castin.Pendant la courte période : 1826-1836, l’indivision des hôtes – plus tard illustres : les frères Goncourt y passent des vacances inoubliables = c’est le thème du deuxième chapître. En 1892 Edmond se souvient encore, dans son journal de leur tante Nephtalie de Gourmont ! » Elle mettait en moi l’amour des vocables choisis, techni-ques, imagés, des vocables lumineux… Elle a fait cent fois plus que les illustres maîtres qu’on veut bien me donner ».Vendu encore en 1838 ce lieu servira de 1852 à 1971 à des œuvres diverses des religieuses – Filles de la Charité-, elles y créent : - Un orphelinat pour enfants de 2 à 12 ans - une école de jeunes filles externes - un « ouvroir », où 170 jeunes filles qui vien-

nent travailler de 8 h. du matin à 4 h. de l’après-midi – un « vestiaire », office de dons de vêtements – une pharmacie, avec mission de visiter les pauvres malades.Le pavillon du 18ème siècle devient l’in-tendance.Moments difficiles : pendant la Commune en 1871, et en 1905, date de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, leur retirant le droit d’enseignement.Enfin en 1971 les locaux sont loués à l’As-sociation de Groupements Educatifs puis en 2003 , achetés par la Mairie de Paris, pour continuer les activités liées à la jeu-nesse, en lien avec toutes les animations du quartier des Amandiers .

J. H.

(1) L’Association d’Histoire et d’Archéologie du 20ème arrondissement a pour but : de faire con-naître le passé du 20ème – effectuer des recher-ches et études en vue de leur publication – pren-dre toutes les initiatives destinées à valoriser l’ar-rondissement. Elle édite des plaquettes dont : Le du Père-Lachaise, la Résistance dans le 20ème, 1905 : la laïcité et le 20ème. Siège social 1 rue Frédérick Lemaître 75020.

On a lu

Le lundi 5 juin 2006, dans le square attenant au pavillon Carré-de-Beaudouin, les spectateurs attendaient la nuit. Un film de fiction en mémoire et pour fêter le Front Populaire, était projeté. L’association Belleville en vue(s), pour la création d’un cinéma de quartier à Belleville, assurait la prestation technique. (photos isabelle Abiven) Belleville en vue(s) 01 40 33 29 89

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Ainsi, en 1933, la silhouette massive du garde-meuble Odoul émerge et sur-plombe un quartier d’artisanat et de peti-tes industries. Le bâtiment, visible de loin, fait la publicité de l’entreprise Odoul, avec son enseigne monumentale, et affiche sa modernité.Le garde-meuble est vite considéré comme emblématique des théories fonctionnalis-tes portées par les architectes du mouve-ment moderne, Le Corbusier en tête. En effet, Beaudouin et Lods ont cherché à adapter au mieux le bâtiment à sa fonction de garde-meuble. La structure en béton armé a permis de libérer l’espace au rez-de-chaussée, destiné à servir de garage pour les camions de déménagement, et de le cloisonner dans les étages, de manière à construire un maximum de « cases », les pièces à l’intérieur desquelles sont conser-vés les meubles. Dans ce même souci fonc-tionnaliste, les architectes ont fait appel à la société Jaspar pour créer un monte-charge hors du commun. Supportant une charge de huit tonnes, il permettait de monter les camions pleins dans les étages, ce qui réduisait les manutentions de moi-tié. La qualité des espaces imaginés par Beaudouin et Lods a permis à l’entreprise Odoul d’utiliser ces locaux pendant plus de 70 ans sans y effectuer de modifications.

L’esthétique de ce bâtiment en briques a contribué à donner une image moderne à la société Odoul. Ses lignes dépouillées et sa façade à gra-dins ajoutent à la fonctionnalité de l’édi-fice des qualités plastiques indiscutables. Aussi, il est inscrit à l’inventaire supplé-mentaire des monuments historiques en 2003, quand la famille Odoul décide de se

séparer de son garde-meuble suite à une cessation d’activité.Les projets de réhabilitation doivent donc tenir compte de la protection des faça-des et de la toiture. Rapidement s’impose la solution la plus rentable : transformer ce local industriel en lofts. Cette nou-velle fonction implique des modifications majeures du bâtiment. Les baies en ban-deau au sud et au nord sont élargies de manière importante de façon à éclairer les logements, bouleversant le rythme des façades. Les acquéreurs des lofts, livrés brut de gros œuvre, profiteront des vastes espaces lumineux du bâtiment, et d’une vue sur tout Paris de leurs terrasses orien-tées plein sud.

Mais, pour les habitants du quartier, le garde-meuble Odoul constituait un témoi-gnage du passé industriel de Belleville. Nombreux sont ceux qui font part de leur émotion à le voir ainsi éventré, passage inévitable avant que le bâtiment trouve une nouvelle vie. Ce sont d’ailleurs les habitants du quartier qui avaient alerté la mairie des risques que courrait le bâti-ment avant que des mesures de protection soient prises. Peut-être aurait-il été souhai-table que cet édifice remarquable prenne une fonction collective (musée, lieux de vie…) dans un quartier qui manque d’équi-pements. Au lieu de cela, ils assistent à la naissance d’un nouvel îlot fermé dont ils seront exclus. Cependant, la mairie du 19e arrondissement a réservé 385 m2 jusqu’à la fin de la mandature actuelle, et l’on peut espérer qu’elle les utilise au mieux par la suite.

édith LAUTONtexte et photos

De l’entrepôt aux lofts, le garde-meuble ODOUL change de peau

Le garde-meuble en 1933

Vue du quartieren 1933

Le garde-meuble en 2005

La transformationen 2006

La famille Odoul s’installe à Belleville dès 1875, rue Bichat. L’activité du garde-meuble et du déménagement est alors en pleine expansion, et très vite, l’entreprise éprouve le besoin de s’agrandir. Une parcelle est achetée rue de l’Atlas, et les Odoul font appel aux architectes modernes Beaudouin et Lods, qui conçoivent un bâtiment parfaite-ment fonctionnaliste.

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Héritiers d’une famille lyonnaise lointai-nement ancrée dans l’artisanat du textile, les frères Richard sont devenus à la char-nière des xixe et xxe siècles des figures de proue de l’industrie française, Jules s’il-lustrant dans le domaine des instruments de mesure de précision et des appareils photographiques ; Félix-Max et Georges Richard, dans ceux de la construction des automobiles (marque Unic) et des avions (Spad). C’est en 1862 que leur père, Félix, ayant quitté le berceau rhodanien, ouvrit son usine d’instruments de mesure des don-nées environnementales (dont les baro-mètres) sur le boulevard de la Villette. Le secteur était alors beaucoup plus industriel qu’aujourd’hui et l’établissement de Félix eut ainsi pour voisin la manufacture du moutardier-vinaigrier Alexandre Bornibus. Huit ans après, enrichi, Félix se détourna quelque peu des affaires et versa dans la politique : maire du 19e arrondissement en 1870 et 1871 puis conseiller municipal jusqu’en 1874. Dans ce cadre, il aida à la réalisation d’une idée qui, en tant qu’en-trepreneur, lui était chère : celle de la for-mation professionnelle des jeunes. Cette question économique et sociale, posée

dès le milieu des années 1860, requit des réponses urgentes aux lendemains de la Commune. Directeur de l’enseignement primaire de la Seine, Octave Gréard, le futur recteur qui présida à la reconstruc-tion de la Sorbonne, lança alors, en 1872, le projet de la création d’une école tech-nique pilote dans un quartier ouvrier de Paris et le choix s’arrêta sur Belleville. Félix Richard fit la proposition de céder à prix avantageux ses locaux du boulevard de la Villette à la Ville. L’ancienne fabrique ayant été rapidement réaménagée, l’école, de statut municipal, ouvrira dès janvier 1873. Grimpant la côte bellevilloise, l’indus-triel transporta ses activités au 8 de l’im-passe Fessart, amorce de ce qui deviendra en 1899 notre rue Mélingue. La société qu’il dirigeait, passablement sacrifiée à ses goûts de bonne vie, était menacée de faillite quand Félix décéda, en 1876. Mais Jules, son second fils (1849-1930), la remonta complètement en moins d’une dizaine d’années, faisant d’elle le chef de rang national dans son domaine d’acti-vité. Sur la base de cette prospérité, Jules Richard, passionné de photographie, lança en 1893 une nouvelle ligne de pro-duction : les appareils de prise de vue en

relief, c’est-à-dire la stéréoscopie. Le pro-duit photographique vedette de la maison, le Vérascope, rencontrera un considéra-ble succès. Témoins de la réussite de leur chef, les établissements Richard essaimè-rent autour de 1900 de chaque côté de la rue Mélingue, occupant une bonne moitié des terrains de celle-ci (n° 25-29 et 24-28) et s’étendant en profondeur vers les rues Clavel ou de la Villette.

Un sacré bonhommeQuand on parcourt aujourd’hui la rue Mélingue, c’est une artère toute résiden-tielle qui s’offre au regard. Il faut beau-coup d’imagination pour se représenter l’ambiance besogneuse qui y régnait voilà moins de quarante ans. N’oublions pas que les ateliers de fabrication des appa-reils de la société Gaumont ainsi que ses studios de tournage cinématographique, la légendaire cité Elgé, étaient voisins ; ils eurent d’ailleurs une antenne au 24 de la rue Fessart. Vers 1960, les habitants du quartier ne pouvaient pas rater l’usine Richard, qui s’ouvrait sur la rue Mélingue par un pavillon monumental. Presque à l’angle avec la rue Fessart, au n° 33, sur le flanc des installations industrielles, le

Personnalités de Belleville, les industriels Richard, ou :

De l’école d’apprentissage Diderot au lycée technique polyvalent Jules-RichardAu 60, boulevard de la Villette (et au 6 de la rue Burnouf), d’importants travaux sont actuellement en cours en vue de l’installation de l’école d’architecture Paris-Belleville (1). Avant 1994, il y avait ici le lycée tech-nique Diderot (2), institution du quartier et descendant de l’école municipale d’apprentissage ouverte en 1873 (3). Au 21 de la rue Carducci, sur le plateau bellevillois prolongeant vers le sud la butte Chaumont, continue de fonctionner de nos jours un autre lycée d’apprentissage, appelé du nom de son initiateur, Jules Richard, qui le créa en 1924. Un lien existe entre les deux : c’est en effet le père de Jules, Félix Richard, qui favorisa l’édification de l’établissement scolaire du boulevard de la Villette. Qui sont ces Richard (4) dont l’usine et les nombreuses dépendances – entièrement disparues dans les années 1970 (5) – des rues Mélingue et Fessart ont pourtant représenté pendant cent ans l’un des sites industriels majeurs sur notre montagne ?

De gauche à droite :Jules Richard

vers 1885.

Entrée principale de l’usine Richard

dans la rue Mélingue

vers 1950.

Ouvriers au travail dans un atelier de l’usine, vers 1920.

Crédit : Coll. Famille Richard

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« boss » avait fait construire aux environs de 1910 un hôtel de résidence particulier où étaient aussi abrités les bureaux de la société. La richesse de M. Richard se lisait dans le décor intérieur, grandiose et amé-nagé dans le style Renaissance. Des meu-bles raffinés, des murs et des plafonds somptueusement parés. Jules avait hérité de son père l’amour de la bonne vie. Au 26 de la rue Mélingue, en face de l’usine, il fit également bâtir un théâtre de prise de vues très particulier qu’il appela Atrium. Dans un cadre évoquant l’Anti-quité grecque et dont une petite piscine occupait le centre, des naïades moder-nes dévoilaient leur plastique impeccable aux caméras des opérateurs de la mai-son. Jouxtant le studio, un jardin clos per-mettait, par les beaux jours, de composer d’autres tableaux dénudés. En principe, le but de ces photographies réalisées grâce au Vérascope n’était que commercial : ali-menter de plaques d’un délicat érotisme la demande des clients des visionneuses sté-réoscopiques Richard. Mais Jules, à n’en pas douter, avait aussi conçu l’Atrium pour son propre plaisir. Cet homme, qui ne se maria jamais, aimait beaucoup les fem-mes et, sans être vraiment un noceur, fré-quentait volontiers les cabarets légers de Montmartre, comme le Tabarin.Cela ne nuisait nullement à la rigueur de sa gestion de l’entreprise. Jules donnait dans le genre « patron social », déléguant les responsabilités à ses collaborateurs, veillant aux bonnes conditions de travail de ses salariés. Pourtant, il s’opposa en 1920 à la loi réduisant la durée hebdoma-daire du labeur parce que, avança-t-il, cela diminuait la qualité de la production. Tout un débat.

L’école Jules-RichardComme Félix, son père, Jules manifesta la préoccupation de former de jeunes ouvriers hautement qualifiés. En 1922, il préleva 5 millions de francs sur sa fortune

afin de constituer un fonds pour la créa-tion d’une école d’apprentissage consa-crée aux métiers de son secteur d’activité. Le lieu d’installation prévu, une ancienne communale de la rue Carducci, se trou-vait d’ailleurs à deux pas de l’usine. A l’ori-gine, en 1924, l’école accueillit des élèves entre 13 et 16 ans qui avaient passé avec succès les épreuves d’un examen d’entrée. 40 inscrits en tout dont les frais de scola-rité, la nourriture pendant le temps sco-laire, les outils, étaient entièrement pris en charge par la fondation (la vêture d’atelier et le nettoyage de celle-ci incombant aux parents). L’année scolaire, copieuse, allait du 15 septembre au 31 juillet ; l’horaire hebdomadaire était de 47 heures sur six jours, divisé en 32 heures de travaux assis-tés en atelier de mécanique, 6 heures de dessin technique, le reste réparti en cours de français, d’arithmétique, de géométrie et de sciences physiques. Quelques pério-des d’une semaine de vacance reposaient les apprentis. La formation s’étalait sur trois ans. Les meilleurs élèves recevaient une prime de 400 à 600 francs à l’issue de la deuxième année du cycle, de 800 à 1 200 au terme de la formation. Les éta-blissements Richard constituaient bien sûr un débouché tout désigné aux études.Privée mais liée depuis sa création par une convention à la Ville de Paris, l’école poly-valente Jules-Richard, promue lycée, est toujours en fonction en 2006, recevant désormais 300 adolescents. Elle s’est agrandie, modernisée, et a bien sûr réorienté ses cours vers les techniques informatiques sans abandonner les bases de la mécanique classique. Le lycée s’est mué en un spécialiste de la micromécani-que et l’excellence de son enseignement se voit fort appréciée des chefs d’entreprise de différents domaines industriels.De la « cité » Richard, rien ne subsiste, pas même le luxueux hôtel particulier. L’inscription sur marbre vert « Fondation Jules-Richard » ornant la façade au-dessus

de l’entrée de l’établissement scolaire est de nos jours seule à rappeler aux passants l’existence du créateur du lieu et l’em-preinte sur le quartier de ce personnage à plus d’un titre remarquable.

Maxime BRAQUETNotes. 1. L’école d’architecture demeure pour l’instant rue Rébeval (n° 88), dans les locaux de l’an-cienne usine de jouets Meccano. 2. Le lycée technique municipal Diderot, devenu régional, a été déplacé en 1995 rue David-d’An-gers, dans de vastes installations modernes en partie construites sur les terrains de l’ex-hôpital Hérold, près de la place de Rhin-et-Danube. 3. Parce que le succès rapide de cette école pilote, qui deviendra lycée Diderot en 1883, rejaillit sur la gloire de Belleville, il importe de signaler qu’elle servit de modèle à la création dans toute la France de nombreux autres établissements du genre dans le dernier quart du xixe siècle. Les 19e et 20e arrondissements renferment l’école Jacquart (à l’angle des rues Bouret et Edouard-Pailleron) pour les métiers de la couture et l’école d’horlogerie du 30, rue Manin (19e), toutes deux fondées avant 1900, ainsi que le lycée technique polyvalent Martin-Nadaud (rue de la Bidassoa, 20e), qui, lui, date des années 1930.4. Les lecteurs attentifs des articles de Quartiers libres ont déjà rencontré un membre de cette famille : l’ar ticle « Le commandant Jules Vallès... », dans le n° 102, montrait ainsi le révo-lutionnaire communard aux prises avec le maire Félix Richard. Dans ce numéro même, l’article sur Léon et Camille Gaumont évoque le rôle que Jules et Félix-Max Richard, fils de ce Félix, ont joué dans l’ascension du fondateur de la firme cinématographique.5. Les établissements Jules Richard Instruments ont émigré en 1972 à Bezons, où ils sont encore actifs aujourd’hui.

BibliographieJacques Périn, Jules Richard et la passion du relief, éd. Prodiex, 1997. A la Bibl. hist. de la Ville de Paris.

L ’Atrium de Jules Richard, rue Mélingue. intéressantes prises de vue photographiques.Crédit : Coll. Famille Richard

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Chaque nuit nous sommes visités par des songes, et le jour nous avons par-fois besoin de rêverie, d’évasion, de pren-dre la clef des champs. Mais comme chez tous les enfants en détresse, ce besoin a été pour moi plus grand que celui des autres. C’est à travers ces rêves-refuges que la petite fille libre a amassé un trésor intérieur. il m’a permis de gagner ma vie dans le milieu du spectacle, notamment à l’Opéra de Paris, pendant plus de 25 ans. Cependant, les problèmes non réso-lus de cette enfant rêveuse ont finit par la rattraper. J’ai dû à l’âge de 29 ans com-mencer un parcours thérapeutique, qui est allé de l’analyse freudienne à la ges-talt (plus portée sur l’ici et maintenant et sur l’émotionnel) jusqu’au Rêve Eveillé Libre (REL). Ce qui m’a séduit dans cette méthode, c’est qu’elle unissait mes 2 principaux centres d’intérêt : le rêve et le travail sur soi. Avec cet technique, c’est la libre expression de mon imaginaire qui devenait l’instrument de mon futur bien-être. Comme si mon engouement pour la rêverie n’avait pas été seulement une fuite, mais que j’avais eu l’intuition des pouvoirs salutaires du rêve. Tout comme l’enfant peut affronter l’ogre à travers le conte de fée, en REL l’adulte va pouvoir affronter ses peurs sous la protection de son imaginaire.

Les aventures d’ « Elisa Au Pays Du REL » …

Qu’est-ce que le REL ?

C’est une démarche thérapeutique nova-trice initiée par G. Romey (1.). Elle vient prolonger l’œuvre de R. Desoille (2.) qui avait découvert le RED (Rêve Eveillé Dirigé) dès 1923.Une séance se déroule en 3 phases : - une phase d’accueil en face à face - une phase de rêve où après une courte relaxation le

patient allongé, les yeux fermés, accueille et verbalise les images qui lui viennent à l’esprit - une phase de dialogue où le thé-rapeute propose au patient le décryptage du REL par l’interprétation des symboles. La totalité de la séance dure 1h30. Mais plutôt que de vous faire un exposé théorique ennuyeux, prenons un exemple concret, et examinons quelques uns des principaux jalons de la cure d’une personne que nous appellerons Elisa par commodité. Ce qui n’est pas son vrai prénom, confidentialité oblige.C’est une jeune femme célibataire de 27 ans très souriante, qui travaille pour poursuivre ses études. Elle démarre sa cure avec un lourd traumatisme d’abandon qui a provo-qué entre autre une difficulté à construire un couple stable, des problèmes d’expres-sion émotionnel, et une consommation d’alcool un peu excessive. Lors de notre première séance, elle se plaint surtout de ne pouvoir être elle-même sous le regard des autres. Cette cure sera menée en une dizaine de séances. Cette rapidité est un peu excep-tionnelle, une cure de REL compte en moyenne une trentaines de rêves.Nous analyserons quelques phrases clefs, courts extraits significatifs de la cure d’Elisa, centrés sur 5 points de sa problé-matique : Le rapport aux autres, le blo-cage de l’émotionnel, l’harmonisation de l’ANIMA (3.) et de L’ANIMUS (3.) qui sont les composantes féminines et masculines de la psyché (4.), la rencontre avec l’OM-BRE (3.) c’est à dire la part de lui-même que le patient vit à tors ou à raison comme « mauvaise », et la réconciliation des opposés qui amène à l’accomplissement de l’être, à l’éveil du SOI (3.). C’est ce SOI, centre de la psyché, véritable guide inté-rieur, qui produit et transmet les images thérapeutiques sous forme de symboles au patient ; c’est lui aussi qui nous envoie nos rêves nocturnes. Par soucis de simplifica-

tion, nous laisserons de coté le travail sur la castration, le complexe d’Œdipe, les deuils non réalisés, etc. qui s’accomplit néan-moins durant cette cure qui agit comme une thérapie complète.

REL 1:Le 09/12/05. Environ ½ page, extraits :« …Je me sens oppressée. Il neige. Tout est transparent, les vitres sont transparen-tes…Je suis oppressée. » dans une cham-bre… Je vois un chat dans le couloir, des mains qui portent un toast… Je suis tou-jours oppressée. » Le fait qu’Elisa se vive comme spectatrice de ces mains qui por-tent un toast nous parle de son sentiment d’exclusion. Rappelons nous bien cette image. Elle va nous revenir à la fin de son 5ème REL sous une toute autre forme.Mais ici débute surtout un travail impor-tant, c’est la réhabilitation de l’émotion-nel. En effet, le symbole de la Neige qui dénonce le gel de l’âme, le refus d’impli-cation dans la vie, provoque en même temps une prise de conscience qui dans la dynamique du REL, prépare déjà son opposé. Avec la Transparence on va plus loin ; la rêveuse crée un pont virtuel qui assure le passage entre le paraître et l’être, comme un appel à la transparence à soi-même. Ce symbole entraîne irrésistible-ment la rêveuse vers un élargissement de la conscience. Quand au Verre il assume le même type de fonction symbolique, mais il appelle une suite. Il devra être brisé dans le développement de la cure, afin de permet-tre le passage de « L’Autre Côté », c’est à dire l’accès à la valeur inverse : ici la vérité du sentiment. La disponibilité nouvelle au changement s’affirme avec la présence du Chat, l’ani-mal de la souplesse, de la flexibilité, et se confirme avec la phrase qui va clôturer ce 1er REL :«… Je suis à cheval, ça va très vite, c’est des grands espaces. » : Avec cette dernière phrase commence la réhabilitation des élans vitaux, de la liberté du sentir.

Aimez-vous rêver ? rêver éveillé ? rêver libre ?

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Malgré qu’elle se soit sentie oppressée pendant le REL, quand je demande à Elisa comment elle se sent lorsqu’elle ouvre les yeux, elle rit. Ce qui laisse supposer que la vérité de son émotionnel ne lui est pas encore accessible, bien que sa cure débute très favorablement.

REL 2 :le 16/12/05. Environ ½ page…

REL 3 : Le 26/12/05 . Je vous le livre en intégralité :« Je vois un joueur de flûte dans la mon-tagne avec des chèvres, de la neige et du soleil. Le soleil brûle très très fort. La musique est mélancolique. »Elisa a demandé l’arrêt du REL car elle m’a dit se sentir trop mal. Durant la ½ h. en face à face, elle a évoqué des événements particulièrement difficiles de son enfance – d’un ton aussi dégagé que s’il s’était agit de quelqu’un d’autre –, ce qui a bloqué le flux des images. Nous noterons surtout ici la présence à nouveau de la Neige, qui indique qu’elle poursuit le travail sur le refoulement du sentiment, et celle du Soleil « qui brûle très très fort », ce qui nous révèle que le blocage de l’émotionnel est en rapport avec des difficultés relationnelles avec le père. Car dans la dynamique de l’ima-ginaire comme dans la plupart des tradi-tions, si la Lune est le symbole de la mère, le Soleil est le symbole du père. L’on cons-tatera également que cela la rend triste, « mélancolique », malgré son perpétuel sourire affiché.Mais en REL, conscience égale déjà pré-mices de changement, donc toute image à caractère « négatif » est positive en soi, puisque porteuse de sa résolution. Ici se poursuit le mouvement vers la réhabi-litation des sentiments, et s’amorce une réconciliation avec l’image paternelle.C’est en effet la 1ère fois qu’elle m’avouera son mal être, sans se sentir obligée d’en rire.

REL 4 : Le 02/01/06. Environ ½ page, extraits :1ère phrase : « Je suis dans un train. Je vois des nuages par la vitre. C’est très chargé de nuages… » : Première rencon-tre avec un des symboles le plus important du REL : tous ce qui concerne le cycle de l’Eau donc de l’ANIMA, part féminine de l’être. Elle nous apparaît ici sous la forme du Nuage, sa forme la plus insaisissable, continuellement changeante. Elle nous parle donc de la capacité à l’infinie liberté d’être, par l’adhésion aux transformations de la psyché. Vous reconnaissez à nou-veau la Vitre, l’obstacle transparent qui ne demande qu’à être brisé, afin de franchir le seuil qui sépare l’être de l’apparence.« …Le désert… Des hommes voilés avec des turbans. C’est un désert de sable, il y a beaucoup de sable. Je ne sais pas ce que je fais dans ce désert …» : À cette question nous pouvons lui répondre qu’elle cher-che de l’Eau, donc son féminin, donc elle-même. Qu’il soit homme ou femme, c’est à la quête de son ANIMA qu’invite le sym-bole du Désert. Et ne nous étonnons pas si la rêveuse insiste sur la présence du Sable, un des agents les plus actifs de la dyna-mique de l’imaginaire. Comme les dunes du Désert sans cesse changeantes sous le moindre souffle de vent, il dit la disponi-bilité pour la métamorphose. Il délivre des résistances du mental en plaçant le patient devant les notions d’infini et d’éternité, l’emportant de l’avoir vers l’être. Quand à ces hommes voilés énigmatiques, peu-ple de cette terre des révélations, ils comp-tent parmi les figures les plus éminentes du REL…Mais nous verrons cela plus tard.« …Je tourne, je monte en spirale, je tourne, tout mon corps fait des cer-cles… » : Tout mouvement circulaire est symbole d’animation psychique. Il se déve-loppe ici jusqu’à la figure de la Spirale : pure expression de la dynamique d’évolu-tion.« …Mon père, papa, il n’est pas là mais j’entends une voix qui dit : Papa ! Je me

vois bébé… ». Le travail sur l’image pater-nelle se poursuit, préparant l’harmonisa-tion de l’ANIMUS, composante masculine de l’être en résonance directe avec le rap-port au père.« …A nouveau le désert, très grand, très vaste, ouvert, sans fin. Je me sens comme un petit point figé… » : Très important. Elisa nous dit comment elle se sent : déri-soire et toute raide.« Le soleil qui tape et cogne…». Toujours le travail sur l’image paternelle ; sans com-mentaire.« …Y’a du vert, de l’eau… des trottoirs, des gouttières avec de l’eau qui file à toute allure. J’entre dans un bar. » : L’ANIMA arrive en force.« …Le désert à nouveau, très fort, comme de la pâte à modeler…Je vois de la neige qui tombe par la fenêtre… » : C’est l’avant dernière phrase. « Comme de la pâte à modeler » ! La rêveuse a tout compris sur la malléabilité que procure le symbole du Désert de Sable. Néanmoins toujours la Neige…« …Je tombe dans un trou, ça glisse. » Fin du REL 4. Cette petite phrase nous assure qu’à cet instant, la rêveuse n’offre plus de résistance à la dynamique de l’imaginaire. D’ailleurs pour la 1ère fois, Elisa dit qu’elle « se sent très bien, toute ouverte, toute détendue » après le REL.Que va trouver Elisa au fond du trou ? Vous le saurez en lisant la suite des aven-tures d’ « Elisa Au Pays Du REL » dans le prochain numéro de Quartiers Libres.

Claire JOACHIM01 53 72 43 19

1 G. Romey : écrivain, chercheur, psy-chothérapeute. 2 R. Desoille : écrivain, chercheur, psychothérapeute. 3 Voir C.G.Jung : « L’Homme et ses symboles » chez Robert Laffont. 4 Psyché : Tout ce qui concerne l’esprit, la pensée.

Aimez-vous rêver ? rêver éveillé ? rêver libre ?

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Cet été en France, des dizai-nes de milliers de familles sans-papiers ont vécu au rythme des démarches auprès des préfectu-res, et surtout dans l’angoisse d’être expulsés vers leurs pays d’origine.

C’est notamment le cas pour Adiela Médina et sa fille Marina, qui habitent dans le 19ème arrondissement de Paris. Il y a cinq ans, elles quittaient la Colombie pour venir en France, alors que Marina n’avait qu’un an. Elles espéraient alors que la vie leur serait enfin un peu plus « douce ». C’était sans compter avec les récents projets de loi Sarkozy qui durcissent à nouveau les conditions d’entrée et de séjour en France et surtout, la campagne de « rafles » et d’expulsions lancée cet été par notre minis-tre de l’Intérieur, en direction des familles sans-papiers et de leurs enfants scolarisés en France.

Régulièrement inscrite à l’école élémen-taire de la Rue Rampal, la petite Marina est une enfant comme les autres, à un détail près : sa maman n’a pas de papiers. Une situation dont elle a pleinement conscience et qui l’inquiète plus que ne l’imagine sa mère. Dans le cadre d’un projet de dessin animé au sein de son école, elle fait la con-naissance d’Anaïs Vaugelade, auteur de livres pour enfants, qui habite par ailleurs dans le 20ème arrondissement voisin. Par un « heureux » concours de circonstan-ces, cette dernière apprend en toute fin d’année scolaire, la situation de la mère de Marina. Or depuis plusieurs semaines déjà, l’actualité des expulsions d’enfants scola-risés et de leurs parents défrayait la chro-nique. C’est donc sans aucune hésitation qu’Anaïs Vaugelade et Julien Netter, l’insti-

tuteur de Marina, décident d’apporter leur soutien à cette famille.Comme pour 7000 autres familles pari-siennes, et près de 30 000 dans toute la France, Adiela Médina et sa fille reçoivent « la protection » du Réseau Education Sans Frontières (RESF), auquel appartient l’ins-tituteur de Marina. Pour ce dernier, « c’est une manière de ne pas être d’accord avec la façon dont les choses sont faites actuel-lement par le gouvernement et le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy. Et leur enga-gement s’est concrétisé par le parrainage de Marina et sa mère, lors d’une cérémonie républicaine à la mairie du 19ème arron-dissement le 19 juillet dernier. L’occasion pour cette maman et sa fille, d’exhiber fiè-rement les 600 signatures qu’a recueillie la pétition de soutien qu’elles ont fait circu-ler. Ce qui atteste de leur parfaite intégra-tion dans le quartier. C’est donc avec beaucoup d’espoir que leur dossier a été constitué, avant d’être déposé le 5 juillet dernier, lors d’un dépôt collectif du Réseau éducation sans fron-tières à la préfecture de police de Paris. Convoquées ensuite le 13 septembre der-nier, Médina et sa fille attendent toujours une réponse de la Préfecture de Police de Paris, alors même qu’elles répondaient à l’ensemble des conditions fixées par la fameuse circulaire Sarkozy. Pour le RESF, la Préfecture de Police de Paris, comme beaucoup d’autres, a eu une lecture par-tiale de la circulaire. Datée du 13 juin 2006, cette dernière énu-mère six critères différents : la famille doit résider en France depuis au moins deux ans, les enfants doivent être nés en France ou y être arrivés avant l’âge de 13 ans et être scolarisés depuis septembre 2005, l’essentiel de la vie familiale doit se situer en France, les parents contribuent effec-tivement à l’entretien et à l’éducation de

l’enfant, et enfin, la famille doit manifester une réelle volonté d’intégration.Alors qu’en juin et au début du mois de juillet, certaines préfectures comme celle de Paris justement revendiquaient une lec-ture plutôt libérale de la circulaire, expli-quant « qu’à priori, les critères ne seraient pas appliqués de manière cumulative », Nicolas Sarkozy a fait une mise au point fin juillet, en affirmant que les critères étaient cumulatifs. Pis, il a rajouté un septième critère dont la formulation est particuliè-rement floue, puisqu’il parle d’étrangers « dont il avait demandé de suspendre l’éloignement jusqu’à la fin de l’année sco-laire 2005-2006 » On peut donc s’interro-ger sur le fait de savoir si la régularisation n’était pas réservée aux personnes ayant déjà fait l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière. Ce qui pourrait peut-être expli-quer les 6000 régularisations annoncées à l’avance par Nicolas Sarkozy et confirmées par lui en août dernier. Un chiffre consi-déré par les associations d’aide aux sans-papiers comme un quota fixé à priori par le ministre de l’intérieur, alors que les auto-rités préfectorales ont reçu au total près de 30 000 demandes de régularisation sur l’ensemble du territoire. (Le 18 septembre, sur France 2, Nicolas Sarkozy annonce le chiffre définitif de 6924 régularisations).

Pour Stéphane Maugendre, avocat spé-cialisé dans le droit des étrangers, « l’an-nonce de Sarkozy fait naître beaucoup d’espoirs chez les familles de sans-papiers. Or, ces critères sont cumulatifs et la plu-part en induisent d’autres, implicites. C’est un entonnoir. On y entre volontiers, mais on en sort au compte-gouttes. Le nom-bre de régularisations est marginal ! C’est surtout de la poudre aux yeux. Une loi hyper répressive sur l’immigration est votée, puis une circulaire est publiée, qui

Jusqu’à quand allons nous accepter sans bouger :LES EXCLUSIONS … les reconduites aux frontières, les séparations des familles,les mises en centres de rétention, les enfants refusés dans les écoles… ?Que sommes-nous devenus pour supporter cela ?On ne met pas dehors des familles sans conséquences pour l’équilibre de notre société.Certes des associations se battent : RESF (Réseau éducation Sans Frontières), le MRAP, la LDH, etc., mais c’est à nous, citoyens, de savoir quelle société nous voulons, dans un monde où l’ar-gent est le moteur de toute action.C’est une troisième guerre… et il faut la gagner contre l’égoïsme, le racisme et la lâcheté.

La chasse aux sans-papiers et leurs enfants

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vise à montrer que Sarkozy est humain » Et comme pour prouver son humanisme, le ministre de l’Interieur a nommé l’avocat Arno Klarsfeld médiateur dans ce dossier. Lorsqu’on sait que ce dernier n’est autre que le fils de Serge et Beate Klarsfeld, fon-dateurs de l’Association des fils et filles de déportés de France, il est légitime de s’in-terroger sur une éventuelle instrumenta-lisation d’un « symbole ». D’ailleurs, de nombreuses associations s’étonnent que ce fils de « chasseurs de nazis » ait pu accepter de servir de caution morale à ce qu’elles considèrent comme une véritable opération de chasse aux enfants. De plus, certaines associations considè-rent qu’il est sorti de son rôle en accu-sant les associations de démagogie, dans Le Monde daté du 13-14 août, emboîtant ainsi le pas à des propos identiques tenus par le ministre de l’Intérieur. « Comment peut-on être médiateur et porter un juge-ment sur l’une des parties ? Entre qui et qui peut-il désormais faire office de média-teur ? » s’interroge Laurent Giovanonni, secrétaire général de la CIMADE, ser-vice œcuménique d’entraide. De son côté, Nicolas Sarkozy souffle le chaud et le froid. Après avoir occupé le terrain tout l’été pour essayer de calmer le jeu, face à la mobilisation contre « l’immigration jeta-ble », il a brutalement serré la vis en août dernier, en faisant expulser par la police le plus grand squat de France situé à Cachan,

en région parisienne. Le 17 août dernier à 9 heures, alors que la plupart des hommes viennent tout juste de se rendre à leur tra-vail, la police fait évacuer un ancien bâti-ment universitaire occupé depuis trois ans par des centaines de personnes, principa-lement des Ivoiriens et des Maliens.

Cet immeuble de cinq étages situé dans le campus de Cachan appartient au Centre régional des œuvres universitaires. Les trois cents chambres qu’il compte étaient occupées depuis avril 2003, par près d’un millier de personnes, dont la moitié envi-ron sont sans-papiers. La préfecture du Val-de-Marne a précisé que l’évacuation avait été décidée à la demande du recteur de l’académie de Créteil en raison « des dangers d’incendie » qui pesaient sur l’im-meuble. Mais lorsqu’on sait que le tribu-nal de Melun avait ordonné l’évacuation du bâtiment le 14 avril 2004, l’on peut rai-sonnablement s’interroger sur le choix du ministère de l’Intérieur de procéder à une évacuation maintenant, sans aucune con-certation et sans avoir étudié des solutions de relogement pour tous les squatters. D’ailleurs, le Réseau éducation sans fron-tières n’a pas hésité à dénoncer « une opération médiatique de Nicolas Sarkozy, destinée à souligner sa fermeté à l’égard de la question de l’immigration »

Christian EBOULé

l’enfant frontière

je n’ai de frontières que les veines de mes braset l’eau noire du sang versant dans la merdes diables d’écumes perdant conscience en enferces oiseaux à tête blanche volent bas... la tête dans le vide, sanglé sous un camionesclave affranchi des barrièresje suis le petit cadavre qui fait le mortpour planter le drapeau de ma peau de lumièredans ce sol couvert de garnisons depuis toujours c’est l’éclipse noire dans le grand livredans la peur de l’aubele fracas à la porte des maisonsje suis le miroir de ton propre horizon je suis venu vivre

TIAN

La mairie du 19e,comme la mairie du 20e, soutiennent les familles sans papiers.Le 28 juin, dans le 20e, 70 familles ont été parrainées, et plus de 90 le 14 septembre.(photos C. Éboulé, isabelle Ab.)

Pour avoir des informations, pour aider ceux qui sont menacés d’expulsions,prendre contact avec le Réseau éducation Sans Frontière :

http://www.educationsansfrontieres.org/RESF 19e : 06 76 13 71 92RESF 10-11-20e : 06 82 84 50 56

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Birago Diop, David Diop, Léopold Sédar Senghor, Jean Métellus, Aimé Césaire, Paul Niger,Guy Tirolien, Jacques Roumain, Nicolas Guillen, Roussan Camille, Bernard Binlin Dadié,Et Gilbert Gratiant…Ils sont tous noirs, d’Afrique, des Antilles, de la Guyane, d’Haïti et de Cuba…Ils ont fait naître la poésie « négro-afri-caine d’expression française », dans les années 50/60.« Pour moi, il s’agit d’une réelle appro-priation de ces paroles, faire entendre à la manière du conteur africain cette poé-sie, ces mots, qui font rayonner la voix, le corps et le cœur.Poésie chaude, apparentée au rythme du tam-tam, à la mélodie lyrique de la kora ou au libre souffle du jazz » (Amadou GAYE)

Photographe, comédien, Amadou GAYE est né à St Louis du Sénégal, puis a grandi à Dakar. A treize ans, il rêve d’être réalisa-teur et comédien.Il arrive à Paris en 1976, et suit des cours de photographie dans une école profes-sionnelle.« J’ai cherché à retrouver mon identité dans la photographie, c’est alors que je me suis rappelé les griots de mon enfance. Depuis, je chante la beauté des petites gens, des anonymes. »Parallèlement à son travail de photo-graphe, il est aussi l’interprète des poè-tes Aimé Césaire et autres chantres de la négritude. « A travers mes photos et mes interprétations, je reviens à mes propres racines. »Le 22 mars 2006 est paru « Paris la Douce », livre de photographies d’Amadou Gaye, préfacé par Josiane Balasko aux édi-tions Grandvaux (voir p. 3).

LE LOCAL est un lieu de création, d’ac-tions culturelles et de pratiques artisti-ques animé par l’association OMBRE EN LUMIèRE.Depuis plus de trois ans, des parisiens, des bellevillois d’âges et origines divers, viennent au LOCAL pour assister à des spectacles et participer à des ateliers…Ils se laissent surprendre et émouvoir en s’ouvrant à des formes artistiques origina-les.

Les projets de création de l’équipe artis-tique s’axent sur la mémoire, les mémoi-res des populations issues de l’immigration présentes à Belleville.Dans le cadre de l’année de la francopho-nie, « NéGRITUDES » invite à découvrir des auteurs trop souvent méconnus.

Gabriel DEBRAY, metteur en scène :« J’ai rencontré Amadou GAYE lors du Printemps des Poètes au LOCAL, en mars 2005. Son engagement physique, sa généro-sité avec le public, pour donner à enten-dre cette poésie multiple de la négritude m’ont ému… Je partage avec Amadou Gaye ce chemin en quête d’authenticité pour faire connaître la langue de ces poè-tes… »Pour donner à voir et entendre ces textes poétiques, l’espace est vide. Les specta-teurs sont en cercle. La mise en scène, sans artifice est au service des textes. Seules les

lumières créent les Atmosphères qui scan-dent le rythme de la balade. « Après une formation de comédien, Gabriel DEBRAY assiste des metteurs en scène : J oë l J oua nneau , M i che l R a sk ine , Christian Schiaretti...De 1987 à 2005, il monte de nombreux spectacles comme metteur en scène.Parallèlement, il crée en 1994 l’association OMBRE EN LUMIèRE , dont il est le direc-teur artistique et pédagogique. Depuis 2002, il dirige LE LOCAL, lieu de CRéATION et de PRATIQUES ARTISTIQUES dans le quartier de BELLEVILLE.

Négritudes, balade poétiqueDe AMADOU GAYEAu LOCALMise en scène Gabriel Debray18, rue de l’Orillon Paris 11ème01 46 36 11 89

Amadou gayeNégritudesbalade poétique...

« …je ne suis pas l’acteurtout barbouillé de suiequi sanglote sa peinebras levés vers le ciel sous l’œil des caméras

Je ne suis pas non plusstatue figée du révoltéou de la damnationje suis bête vivantebête de proietoujours prête à bondirà bondir sur la vie… »Extrait de « Ghetto » de Guy Tirolien

« …Ecoute plus souventles choses que les êtres.La voix du feu s’entend,entends la voix de l’eau,écoute dans le ventle buisson en sanglots. C’est le souffle des ancêtres,Le souffle des ancêtres morts,qui ne sont pas partis,qui ne sont pas sous terre,qui ne sont pas morts. »Extrait de « Souffles » de Birago Diop

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