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83 Quartier France de Grand-Bassam : les enjeux de la sauvegarde d’un patrimoine mondial menacé ANDIH Kacou Firmin Randos, Chercheur au Centre de Recherches Architecturales et Urbaines (CRAU) / Université Félix Houphouët-Boigny (Abidjan-Côte d’Ivoire) Résumé Première capitale de ce qui était la colonie française de Côte d’Ivoire de 1893 à 1900, la ville historique de Grand-Bassam appelée « quartier France » a gardé sa configuration coloniale et une grande partie de ses bâtiments d’origine malgré l’usure du temps. Aujourd’hui, cet héritage qui fait de Grand-Bassam le « berceau de la Côte d’Ivoire » est transformé en lieu touristique. Avec l’inscription du quartier France au patrimoine mondial de l’UNESCO le 29 juin 2012, Grand-Bassam se présente comme un patrimoine sauvé et légué à l’humanité. Toutefois, le quartier France demeure une cité en danger en raison non seulement de la décrépitude des bâtiments coloniaux, des tentatives ratées de rénovation mais aussi de la montée des eaux marines. La présente publication est le résultat de recherches documentaires, d’observations et de collecte de données iconographiques sur le terrain et d’entretiens avec les autorités administratives locales. Elle dévoile les vestiges exceptionnels de la ville coloniale, identifie es menaces qu’ils subissent et présente les défis et enjeux de la conservation de ce patrimoine. Mots clés : Grand-Bassam, patrimoine, menaces, enjeux, sauvegarde Abstract First capital of what was the French colony of Ivory Coast from 1893 to 1900, the historic city of Grand-Bassam called “Quartier France" has kept its colonial configuration and a large part of its original buildings despite wear time. Today, this legacy that makes Grand-Bassam the "cradle of Côte d'Ivoire" is transformed into a tourist site. With the inscription of the Quartier France at the UNESCO World Heritage on June 29, 2012, Grand-Bassam presents itself as a heritage saved and bequeathed to humanity. However, the Quartier France remains a city in danger because of not only the decrepitude of the colonial buildings, failed attempts at renovation but also the rise of marine waters. This publication is the result of desk research, observations and collection of iconographic data in the field and interviews with local administrative authorities. It reveals the exceptional vestiges of the colonial city, identifies the threats they face and presents the challenges and challenges of conserving this heritage.

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Quartier France de Grand-Bassam : les enjeux de la sauvegarde d’un

patrimoine mondial menacé

ANDIH Kacou Firmin Randos, Chercheur au Centre de Recherches

Architecturales et Urbaines (CRAU) / Université Félix Houphouët-Boigny

(Abidjan-Côte d’Ivoire)

Résumé

Première capitale de ce qui était la colonie française de Côte d’Ivoire de 1893 à

1900, la ville historique de Grand-Bassam appelée « quartier France » a gardé sa

configuration coloniale et une grande partie de ses bâtiments d’origine malgré

l’usure du temps.

Aujourd’hui, cet héritage qui fait de Grand-Bassam le « berceau de la Côte

d’Ivoire » est transformé en lieu touristique. Avec l’inscription du quartier

France au patrimoine mondial de l’UNESCO le 29 juin 2012, Grand-Bassam se

présente comme un patrimoine sauvé et légué à l’humanité. Toutefois, le

quartier France demeure une cité en danger en raison non seulement de la

décrépitude des bâtiments coloniaux, des tentatives ratées de rénovation mais

aussi de la montée des eaux marines.

La présente publication est le résultat de recherches documentaires,

d’observations et de collecte de données iconographiques sur le terrain et

d’entretiens avec les autorités administratives locales.

Elle dévoile les vestiges exceptionnels de la ville coloniale, identifie es menaces

qu’ils subissent et présente les défis et enjeux de la conservation de ce

patrimoine.

Mots clés : Grand-Bassam, patrimoine, menaces, enjeux, sauvegarde

Abstract

First capital of what was the French colony of Ivory Coast from 1893 to 1900,

the historic city of Grand-Bassam called “Quartier France" has kept its colonial

configuration and a large part of its original buildings despite wear time.

Today, this legacy that makes Grand-Bassam the "cradle of Côte d'Ivoire" is

transformed into a tourist site. With the inscription of the Quartier France at the

UNESCO World Heritage on June 29, 2012, Grand-Bassam presents itself as a

heritage saved and bequeathed to humanity. However, the Quartier France

remains a city in danger because of not only the decrepitude of the colonial

buildings, failed attempts at renovation but also the rise of marine waters.

This publication is the result of desk research, observations and collection of

iconographic data in the field and interviews with local administrative

authorities.

It reveals the exceptional vestiges of the colonial city, identifies the threats they

face and presents the challenges and challenges of conserving this heritage.

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Keywords: Grand-Bassam, heritage, threats, stakes, safeguard.

Introduction

Construite sur le cordon littoral à 43 kilomètres à l'Est d'Abidjan (entre l’océan

Atlantique et la lagune Ouladine), Grand-Bassam fut la porte d’entrée des

explorateurs dans l’arrière-pays .du territoire qui deviendra la Côte d’Ivoire en

1893. Bien qu’ayant été décapitalisée au profit de Bingerville en 1900 à cause de

la fièvre jaune, la ville a continué de rayonner économiquement sur la Côte

d’Ivoire jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, Grand-

Bassam a subi d’énormes mutations, passant de la ville européenne en Afrique à

la ville africaine occidentalisée. La ville historique appelée « quartier France » a

gardé sa configuration coloniale et une grande partie de ses édifices d’origine.

Toutefois, l’usure du temps, les travaux de restaurations inadaptées et les actions

humaines liées à la croissance de la ville constituent des menaces pour ce

patrimoine historique national.

La lutte pour la préservation de ce joyau historique engagée depuis trente-cinq

ans a abouti à l’inscription du quartier France de Grand-Bassam au patrimoine

mondial de l’UNESCO le 29 juin 2012. Mais la ville n’est pas sauvée pour

autant car les défis à relever pour sa conservation sont grands.

Cet article, contribution à l’aménagement et la gestion de l’espace urbain

ivoirien a pour objet de montrer les richesses de la ville coloniale, d’identifier

les principales menaces sur ces vestiges et de présenter les défis relevés ou à

relever pour leur conservation.

1. Méthodologie : espace d’étude et méthodes

1.1. Présentation de la zone d’étude

La ville de Grand-Bassam (5° 12′ Nord et 3° 44′ Ouest) est située à 43

kilomètres au Sud-Est d’Abidjan en Côte-d’Ivoire (voir figure. 1). Elle est

formée de deux entités spatiales et urbaines séparées par la lagune

Ouladine. L’une située sur le cordon littoral (sud) est constituée de la ville

coloniale appelée le quartier France (figure 2) et l’autre sur la terre ferme (nord)

constituant la ville indigène. La ville coloniale est un exemple d’urbanisme

rationnel présentant deux entités architecturales:

‐ Le quartier France ou la ville européenne de Grand-Bassam

D’une longueur de deux kilomètres pour une largeur de 350 m, ce pan de Grand-

Bassam abrite des bâtiments publics et administratifs construits entre 1885 et

1925 par les Européens. Elle conserve les traces de la présence coloniale

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Figure 1: Situation géographique du quartier

France de Grand-Bassam (Côte d’Ivoire)

Source : Archives CCT/ BNETD, reprises par

UNESCO, 2014 p.7.

française avec ses constructions de type monumental. La ville coloniale a connu

une expansion après son érection en commune mixte en 19141.

‐ Le village N’Zima

Antérieur au quartier européen qu’il jouxte, le quartier villageois ou Essanté est

un village de peuplades autochtones (pêcheurs et courtiers).

Figure 2: La ville historique de Grand-Bassam en 1950

Source : Atlas de Grand-Bassam, 2004, p.34

1 Le 31 décembre 1914, un arrêté érige Grand-Bassam en commune mixte. C’est la première commune de Côte

d’Ivoire.

Village N’Zima

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1.2. Technique de collecte des données

Trois techniques ont été utilisées pour la collecte des données présentées

dans cet article.

D’abord, la recherche documentaire qui a consisté à rassembler les écrits sur

Grand-Bassam et le quartier France. Ainsi nous avons pu collecter des

documents scientifiques tels que des mémoires, thèses, atlas, etc., des documents

historiques, des ouvrages, des articles de presse, des plans, de photographies

aériennes sur la ville de Grand-Bassam, des rapports de missions du Comité

opérationnel pour l’inscription de la ville au patrimoine de l’UNESCO, des

textes réglementaires et juridiques sur la sauvegarde du patrimoine historique.

Ces documents ont été fournis par la Maison du Patrimoine, la Mairie, le Centre

Culturel J-B Mockey, la Direction de la construction et de l’urbanisme de la

ville, la Bibliothèque Nationale, la presse écrite et Internet. Cette collecte de

données secondaires a duré de janvier 2016 à juillet 2017. Parallèlement, à la

recherche documentaire, nous avons (munis de guides d’entretien semi-directifs)

eu des interviews auprès des responsables d’institutions locales tels que la

Maison du patrimoine, la Mairie, le Musée du costume et la direction

départementale de la construction et de l’urbanisme de la ville. Les échanges ont

permis d’identifier les patrimoines historiques et de noter les actions menées par

les autorités ivoiriennes pour la conservation de cet héritage colonial devenu

désormais patrimoine culturel mondial de l’UNESCO. Enfin, deux visites

guidées par le Sous-directeur de la Maison du patrimoine et le guide du musée

du costume sur le terrain ont permis de localiser, les principaux patrimoines,

d’observer leur état et les menaces. D’importantes données iconographiques ont

été collectées à cet effet. La cartographie présentée dans cet article est tirée

principalement de cartes coloniales réadaptées avec le logiciel Adobe Illustrator.

2. Résultats

Les résultats de cette étude portent sur trois points : (i) la présentation du

patrimoine du quartier France, (ii) l’identification des menaces sur les vestiges et

les enjeux de la sauvegarde et (iii) l’analyse des actions pour la mise au

patrimoine de l’UNESCO et sa préservation.

2.1. Quartier France de Grand-Bassam : un exceptionnel

patrimoine historique et culturel national

Construite au milieu du XXe siècle, la ville de Grand-Bassam a connu un essor

remarquable entre 1897 et 1950. Le quartier France appelé la ville coloniale a

bénéficié de nombreuses infrastructures et équipements monumentaux

considérés aujourd’hui comme un patrimoine historique et culturel national. Il

possède un ensemble de patrimoines matériels et touristiques exceptionnels.

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Un patrimoine architectural unique

Le quartier France est un exemple d’urbanisme rationnel avec plusieurs entités

architecturales.

Les constructions de type monumental avec un type architectural appelé

« maison à véranda », en bois surélevées par des pilonnes, en brique de ciment,

en terre cuite ou en matériaux préfabriqués importés (de la métropole) et bâti

pour l’essentiel en hauteur. Les bâtiments servant de résidences, de bureaux ou

de commerces, se caractérisent par de grands toits en pente débordante pour

lutter contre les effets des pluies fréquentes et violentes. Le premier niveau des

maisons est souvent surélevé pour arrêter la remontée de l’humidité du sol tandis

que des galeries construites le long des façades protègent du soleil. De

nombreuses ouvertures et des menuiseries persiennes permettent de garantir une

bonne ventilation des locaux.

Le plan en damier, d’orientation nord-sud, présente « l'avantage inestimable »

d’une aération qui ne nécessite « aucun système de climatisation ».

Un patrimoine historique riche et varié

Le patrimoine historique du quartier France est de loin le plus riche des villes

côtières de Côte d’Ivoire. Il traduit le plus clairement les traces de plus de 70

années de domination politique, administrative et économique française en Côte

d’Ivoire. Quoiqu’effacées dans les esprits, les traces du passé politique

demeurent visibles au « quartier France », la ville historique. L’ancien palais des

gouverneurs (cf.photo 1) Louis-Gustave Binger2, Eugène Bertin (1896)

3, Louis

Mouttet (1896-1898) et Henri Charles Roberdeau (1898-1902) avec son tribunal

coutumier et sa prison secrète, le palais de justice4 (1911), la commanderie, le

Mess des officiers sont les vestiges de l’autorité politique et administrative

française. Les rues aux noms d’illustres résidents et militaires français

permettent de perpétuer les souvenirs de cette présence. Marcel Treich-Laplène,

considéré comme le fondateur de la Côte-d'Ivoire et Gabriel Angoulvant, le

pacificateur du territoire sont immortalisés dans les rues du quartier France de

Grand-Bassam.

Bien qu’ayant été décapitalisée en 1900 pour des questions sanitaires au profit

du village d’Adjamé Santé rebaptisé Bingerville, Grand-Bassam a conservé son

rayonnement politique et administratif avec son érection en première commune

de Côte d’Ivoire en 19145 et commune de plein exercice en 1955.

2Ier gouverneur de la Côte d’Ivoire de 1893 à 1896.

3 Mort en Côte d’Ivoire après quelques mois de gouvernance, il est enterré au cimetière municipal.

4 Destiné au départ à juger les citoyens français, il sera ouvert aux indigènes en 1930.

5 Une des premières communes mixtes d’A.O.F après Saint-Louis et Rufisque au Sénégal.

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Photo1 : Ancien palais du gouverneur construit en 1893, aujourd’hui Musée du costume

Source : Cliché Andih R. (2015)

Un patrimoine commercial révélateur d’une domination économique

Le patrimoine commercial de la ville historique de Grand-Bassam est très

présent. Dominateur de l’économie coloniale par la diversité de ses

infrastructures de commerce, la ville a été le principal centre des échanges

commerciaux avec l’extérieur. De la maison Verdier, le bureau des douanes

(1894), à la chambre de commerce en passant par les compagnies commerciales

(CFC, SCOA, CFAO, cf. photo 2), aux banques (BFA, BCA en 1900 ;cf.

photo3), au trésor et aux différents marchés (aux légumes en 1934, aux

poissons...) et entrepôts (telle que la maison des chargeurs réunis devenue

maison des artistes), les édifices commerciaux de la ville traduisent l’intensité de

l’exploitation de la colonie. Ce dynamisme économique a été à la base de la

construction de plusieurs hôtels accueillant les colons et explorateurs de passage

à Grand-Bassam.

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Photo 2: Compagnie française de l'Afrique

de l’ouest

Photo 3: La Banque Commerciale Africaine

(1890), première banque de Côte d'Ivoire

Source : Clichés Andih R, 2015

Un patrimoine socioculturel et religieux impressionnant

Le quartier France concentre un patrimoine culturel et religieux très

impressionnant avec les vestiges de l’instruction française et religieuse encore

visibles dans cette partie de la ville. Introduites au XIXe siècle par les

missionnaires français (Pères Alexandre Hamard et Emile Bonhomme)

débarqués en 1895 (cf. photo 4) avec les colons pour « évangéliser les âmes

perdues », l’école et l’église occidentales sont entrées dans la civilisation des

peuples ivoiriens. Les traces de cette colonisation culturelle et culturelle

occidentales sont les écoles, la stèle en mémoire des « pères blancs » morts en

mission pour Christ est érigée au lieu du débarquement (Wharf), monument ‘’du

grolo’’ dédié à l’ange Gabriel en 1893 et aux colons comme Treich-Laplène (cf.

photo 5 et 6) morts en terre étrangère sont remarquables.

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Photo4: Stèle aux

premiers missionnaires

blancs en Côte d'Ivoire

Photo5: Monument à

Treich-Laplène

Photo6 : Monument aux morts

de l'épidémie de fièvre jaune

qui décima 45 des 60 français

présents en 1899

Source: Clichés Andih R, 2015

La maison du Père Williams Jacob, l’Eglise du « Sacré-Cœur », église

cathédrale, la mission catholique et ses tombes de prêtres, l’Ecole Régionale,

l’Ecole de France sont autant de traces visibles qui forment le patrimoine

culturel colonial de la ville. Le bâtiment de la presse, la maison des câbles, la

maison de la poste et des télécommunications (PTT en 1894) abritant

aujourd’hui la maison du patrimoine (cf. photo 7), le cercle de l’Union

Européenne (1910)6 sont encore les vestiges de domination au niveau de la

communication des colons dans la ville. Le premier hôpital (1905) et le

dispensaire colonial devenu aujourd’hui dispensaire urbain sont encore visibles

parmi les bâtiments de l’époque (cf. photo 8).

6 Espace de retrouvailles des Européens pour débattre des sujets d’actualité en Europe.

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Photo 7 : Ancien bâtiment de la poste

(1894) aujourd'hui Maison du

patrimoine

Photo 8: Ancien hôpital de

1905

Source : Archives du Comité Opérationnel, 2012.

Au niveau du village N’Zima appendice du quartier France, le patrimoine

matériel socioculturel est constitué du palais royal des Nzima (lieu de prise de

décisions concernant le royaume), des monuments Sider et grolo, à la place de

l’Abissa (fête annuelle des peuples N’Zima ou Apolloniens), de la forêt sacrée,

de la bibliothèque municipale, et du centre culturel Jean Baptiste Mockey.

La présence européenne dans la ville a également laissé des traces dans la

patronymie locale. Certains indigènes, pour bénéficier de privilèges auprès des

colons (principalement leurs correspondants commerciaux anglais) ont adopté

des noms occidentaux. Selon Aka Assie (2015)7

, « M. Edouard Aka, un

exploitant forestier, fait partie de ces familles africaines qui ont par la suite opté

pour des noms européens (Blackson, Clinton, Hamilton, Bright, Maurisson, etc.)

afin d’avoir accès aux crédits des banques occidentales, notamment la banque

anglaise ; Ainsi, sa deuxième maison porte le nom Adouko Blackson, faisant

plus européen ».

Un musée maritime

Le quartier France a conservé les infrastructures portuaire et maritime liées aux

échanges commerciaux avec l’Europe à l’époque coloniale. Elles sont

transformées en patrimoine national. Le débarcadère pour les obélisques, le

magasin du port, les reliques du Wharf, le phare datant de 19148, le dépôt de

bois, le pont Millies-Lacroix, le pont de la victoire (1929) en sont les preuves.

Le wharf lagunaire (débarcadère situé sur le rivage Sud de la lagune Ouladine)

était composé d’un appontement de dix-neuf mètres de long sur six mètres de

large. Sa plate-forme débarcadère était équipée d’une grue de cinq tonnes et

d’une roulante de cinq tonnes également. Ce wharf lagunaire permettait à

7 Ressortissant du village.

8 Haut de 17 mètres pour une portée de 33 kms, il fut construit en 1914 et mis en service de 1915 à 1951.

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Grand-Bassam de communiquer avec les autres villes du littoral et de l’intérieur

à travers un réseau de voies d’eau (lagunes, fleuves et canaux).

Un patrimoine touristique né sur les ruines coloniales

Le quartier France est en lui-même « un album touristique ». Les principaux

centres d’intérêt sont la maison des artistes (logée dans l’ancienne maison des

chargeurs unis), le centre artisanal (ancien quartier général des colons), le centre

céramique (ancien cercle de l’Union Européenne bâti en 1910), le palais du

gouverneur (transformé en musée du costume en 1981) ou les manguiers

centenaires ou encore les fresques retraçant l’histoire coloniale.

Situé sur le cordon littoral, le quartier France abrite de nombreux réceptifs

hôteliers dont les plus anciens (hôtel de France, Atlantique hôtel construits au

début du XXe siècle) en décrépitude avancée ont laissé la place à de nouveaux

complexes hôteliers, modernes, accueillant des visiteurs, touristes et autres

séminaristes sur le bord de mer occupé de paillotes et d’hôtels.

Pour finir l’on peut retenir que le quartier France ou la ville européenne de

Grand-Bassam dispose d’un patrimoine très riche hérité de ses ‘’60 glorieuses’’9

. Ce patrimoine tombé en déclin à la fin de la colonisation, subit

malheureusement, depuis plusieurs décennies l’action de forces centrifuges qui

menacent sa suivie.

2.2. Quartier France de Grand-Bassam : des vestiges menacés

Des menaces contre l’intégrité et l’authenticité du site

Même si l’intégrité du tissu urbain et de l’environnement est préservée, il n’en

demeure pas moins que l’intégrité architecturale de plusieurs bâtiments reste

menacée dans de nombreux cas par l’abandon et l’absence d’entretien. Si

certains édifices ont été convenablement restaurés et réutilisés, l’intégrité

architecturale d’un grand nombre d’immeubles est souvent médiocre voire

mauvaise, et leur authenticité parfois altérée par de mauvaises adaptations. Les

mauvaises restaurations sont aussi une menace majeure sur l’intégrité des bâtis.

De nombreux facteurs constitutifs de menaces

Ce sont entre autres :

Les actions de l’homme : les menaces dues à l’action de l’homme sont

nombreuses. Il s’agit de l’abandon, le manque d’entretien ou la surexploitation

des bâtiments, la mauvaise exécution des travaux de réhabilitation, le

vandalisme et la destruction des édifices. Ces actions ont pour conséquences le

vieillissement, la défiguration, la déstructuration et la ruine des édifices. Les

9Le transfert en 1954, à Abidjan, du Palais de Justice qui faisait jusqu’à cette date de Grand-Bassam, la capitale

judiciaire de la colonie signe l’acte final du déclin de la ville qui a connu 60 années de gloire (1893-1954).

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rivages (lagunaire et marin) du quartier France sont également pollués et

dégradés par les populations riveraines (par des dépôts d’immondices) et les

touristes qui abandonnent leurs emballages non biodégradables sur les plages.

Les pressions liées aux activités économiques : la découverte au large des

côtes de Grand-Bassam d’une importante réserve de pétrole suscite des

inquiétudes puisque l’exploitation de ce pétrole pourrait, sur le long terme,

porter préjudice au caractère patrimonial de la ville historique. L’exploitation

des carrières de sable au niveau de l’embouchure malgré l’interdiction (par

décision municipale), se présente aussi comme une menace pour le site.

Avec la forte fréquentation de la partie balnéaire de la ville, l’on peut craindre

dans un futur lointain, que le développement du tourisme puisse porter préjudice

au paysage actuellement harmonieux du quartier France.

La non maîtrise de l’urbanisation : La densification de la population10

dans la périphérie de la ville coloniale et dans la zone tampon est une menace à

terme pour le patrimoine.

Les catastrophes naturelles : Au quartier France de Grand Bassam,

l’océan avance de façon continue d'un mètre par an11

et endommage une grande

partie du rivage. L’érosion due au transit littoral du sable provoque le

rapprochement progressif de la mer du continent et menace directement

l’intégrité du site. Aussi, le sel marin contenu dans l’embrun oxyde-t-il les

éléments métalliques et est à l’origine de la fissuration des bâtiments.

Chaque année, des végétaux flottants tels que les Eichorniacrassipes et Salvinia

molesta envahissent les eaux lagunaires et le fleuve Comoé qui traversent la

ville. Aussi, la fermeture de l’embouchure du Comoé entraine-t-elle

régulièrement des inondations dans le village N’Zima.

2.3. Les enjeux et stratégies de sauvegarde de la vieille ville

Les enjeux de la sauvegarde du patrimoine

Les enjeux de la sauvegarde du quartier France de Grand-Bassam sont

nombreux car Grand-Bassam a besoin de retrouver son âme et sauver ses

bâtiments qui depuis des décennies « luttent pour éviter de mourir » (Yedagne,

2011). La mise en patrimoine tant au niveau national qu’international a constitué

la seule alternative pour sauver le patrimoine historique et culturel de la ville. Il

faut sauver le quartier France pour les raisons suivantes :

Préserver pour ce que Grand-Bassam représente pour la Côte d’Ivoire :

Grand-Bassam est le berceau de la Côte d’Ivoire. Selon le chef du quartier

Impérial de Grand-Bassam, Nanan Kouamé Adou, « Avant d'être ivoirien, on est

10

En 2008, l’aire proposée pour inscription comptait 5000 habitants et la zone tampon 2000 habitants, soit 7000

habitants. En 2015, la population a presque doublé. 11

Le site est exposé à des raz de marrées qui inondent régulièrement l’intérieur des terres sur près de 200 mètres.

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tous Bassamois que l'on soit N'zima ou pas ». Pour beaucoup d’Ivoiriens de

l’époque coloniale comme Bernard B. Dadié (1981), « Bassam est l’enfance de

la Côte d’Ivoire toute entière ». Première capitale coloniale, portuaire,

économique et juridique de la Côte d’Ivoire, il a toujours témoigné des relations

sociales complexes entre les Européens et les Africains. Pour ce symbole, il

fallut sauver Bassam.

Sauvegarder de la ruine les traces de l’histoire coloniale : la

décapitalisation de Grand-Bassam au profit de Bingerville (1900 à 1934) a

entraîné la délocalisation progressive des équipements symboles de la

domination économique de la ville. La mise en service du wharf de Port-Bouët

en 1931, a marqué le début du déclin de la vie économique de la ville. Grand-

Bassam était une ville en danger en raison de la dégradation avancée de

plusieurs bâtiments d’intérêt patrimonial. Seulement 24% de ses édifices

coloniaux étaient en bon état, 48,5% en moyen état, 15, 5% en mauvais état et

12% en ruine. Ils nécessitaient des travaux d’entretien, de mise en valeur, de

réparation et de reconstruction d’autant plus que ce patrimoine historique et

culturel n’offrait plus d’attrait aux yeux des populations dont les centres

d’intérêts ont désormais migré vers ses plages, ses nombreux restaurants et

hôtels.

Protéger les monuments des menaces anthropiques et naturelles : entre

effacement des traces de la colonisation et conservation des vestiges par des

restaurations inadaptées, la ville coloniale de Grand-Bassam a souffert des

actions humaines. En effet, dès la fin de la colonisation en 1960, les bâtiments

coloniaux ont été l’objet de pillage par les indigènes. Les souvenirs matériels de

la domination coloniale devant être effacés, plusieurs édifices ont été dépouillés.

Précipité dans les oubliettes, cet héritage à la merci des modifications était

soumis aux actions sus-indiquées menaçant pour ainsi dire son intégrité.

Aussi l’avancée de la mer due à l’érosion marine risque-t-elle d’engloutir

plusieurs bâtiments et faire connaitre au quartier France le même sort que

certaines villes côtières comme Grand-Lahou, située au Sud-Ouest de la Côte

d’Ivoire. Selon Kanga (2011), l’ouverture de l’embouchure du fleuve Comoé est

une solution durable. Dans le même ordre d’idée que Cédric Lombardo

(2012)12

affirme ce qui suit: « La Comoé, en se jetant ici dans l'océan,

retardait l'érosion de la côte. Il faudrait rouvrir l'embouchure si on veut sauver

Grand Bassam » (cité par Duval, 2012).

L’enjeu économique : l'inscription du quartier France au patrimoine

mondial de l'Unesco suscite de nombreux espoirs pour l'obtention de moyens

financiers qui permettraient de remédier à ses nombreux problèmes. Selon M.

Maurice Bandaman, Ministre de la Culture et de la Francophonie en 2012,

12

Cédric Lombardo est un consultant français qui se bat depuis des années pour la cause écologique.

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« Grand-Bassam va être connu sur le plan mondial comme les sept (7)

merveilles du monde. En Collaboration avec des opérateurs hôteliers, nous

allons transformer certains bâtiments en hôtels. Nous allons aussi travailler

avec la Mairie de Grand-Bassam pour que cela puisse profiter à la Côte

d’Ivoire ».

La mondialisation du patrimoine : stratégie clé pour la sauvegarde de

la ville historique

La patrimonialisation de la ville historique est passée par trois étapes :

La première étape est à l’initiative des autorités locales et gouvernementales.

En effet, l’idée de sauver Grand-Bassam est née dans les années 1970. Elle a

donné lieu à certaines initiatives émanant de l’Etat, de la Mairie, de particuliers

et de la société. Les premières études diagnostiques en vue de la conservation et

la mise en valeur du patrimoine architectural de la ville historique ont été

menées par le Centre de Recherches Architecturales et Urbaines (CRAU) de

l’Université d’Abidjan sur la commande du Ministère de la Construction et de

l’Urbanisme. Elles ont été suivies des actions suivantes :

D’abord, les premières actions de préservation ont été effectuées sur des

bâtiments privés comme publics, à partir de 1974. Des travaux ponctuels de

restauration entrepris par le Ministère de la Culture. Divers travaux de

restauration sont donc effectués de 1980 à 2002 sur des édifices qui seront

affectés à de nouvelles fonctions (cf. tableau 1 ci-après).

Les édifices privés ont aussi été l’objet de restauration par des initiatives

privées. Il s’agit de maisons Stewart, du Colombier, Tambonau, Métayer, etc.

Toutes ces restaurations du patrimoine public et privé se sont effectuées dans le

strict respect de la loi n°87-806 du 28 juillet 1987 portant protection du

patrimoine culturel, en ses articles 2, 5 à 36. Elles témoignent des efforts

entrepris par le gouvernement ivoirien pour sauver de la ruine le patrimoine

architectural de la ville historique dans la perspective de l’inscription de la ville

au patrimoine mondial.

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Tableau 1: Les édifices restaurés et leurs nouvelles affectations

d’ordre

Edifice et Date de

construction

Dates de

restauration

Nouvelles

affectations

1 Palais du

Gouverneur

1893 1977 / 1980 Musée National du

Costume

2 Marché au Poisson - 1982 Centre culturel JB.

Mockey

3 Ancien Centre

culturel Français

1910 1985 Centre coopératif des

Céramistes

4 Hôpital de Grand

Bassam

1905 2001 Direction Régionale

de la Santé

5 Marché des

légumes

1934 2001 Bibliothèque

Municipale

6 Hôtel des Postes et

de la douane

1894 1993 / 2002 Maison du

Patrimoine

Source : Adapté à partir du Dossier de nomination à l’UNESCO, 2012 p.39.

Le 11 juillet 2002, la Maison du patrimoine est créée par décret et rattachée au

ministère de la Culture et de la Francophonie. Son premier objectif fut de

procéder à un inventaire et de mettre en valeur le patrimoine culturel de Grand-

Bassam afin de créer un pôle d’attraction permettant le développement culturel,

artistique et touristique du littoral Est de la Côte d’Ivoire.

Ensuite, la réalisation d’enquêtes de terrain par une équipe constituée

d’experts nationaux, d’ONG et la notabilité du village a permis en 2004 de

collecter les documents sur l’histoire de la ville.

Enfin, des travaux d’aménagement ont été réalisés à l’initiative du Maire

de la ville pour l’embellissement du site, l’adressage des rues, le bitumage de

certaines voies et la viabilisation des certaines maisons coloniales. Avec le

concours du Conseil Général et la Maison du patrimoine, des sensibilisations ont

été menées auprès de la population sur la préservation de ce patrimoine national.

La deuxième étape : l’évolution du cadre législatif et réglementaire. En effet,

pour renforcer les atouts culturels de la ville, plusieurs dispositions juridiques

ont été prises depuis le vote de la loi n°87-807 du 28 juillet 1987 portant

protection du patrimoine Culturel. C’est ainsi que le décret n°91-23 du 30

janvier 1991 classe des monuments de la ville de Grand-Bassam ; tandis qu’en

1999, un autre délimite le périmètre de protection du patrimoine architectural et

en 2001, un arrêté interministériel réglementait la conservation, la restauration et

la mise en valeur du patrimoine architectural de Grand Bassam.

En 2008, le quartier France fut inscrit par la Côte d’Ivoire sur la liste-

candidature, mise en renvoi en juin 2009 lors de la 33è conférence du comité du

patrimoine mondial de l’Unesco réuni à Séville en Espagne. Après le rejet de

Page 15: Quartier France de Grand-Bassam patrimoine mondial menacé ...

97

son dossier en 2010 par l’UNESCO, la ville s’est préparée à nouveau pour

l’inscription au patrimoine mondial en créant un Comité Opérationnel pour

l’Inscription de la Ville historique de Grand-Bassam (COI-VGB). Les

recommandations sur le dossier ont permis de corriger les sept points de lacunes

pour une meilleure présentation pour la session de juin 2012.

La même année, plusieurs ajustements réglementaires ont été faits avec la

création du comité local de gestion de la ville historique, de la commission

chargée de l’examen du permis de construire sur le site de la ville historique; le

classement des monuments et la délimitation du périmètre de protection du

patrimoine architectural (cf. figure 3), ou encore la création de l’office ivoirien

du patrimoine culturel et la mise en place du plan de préservation de la ville

historique de Grand-Bassam. Figure 3 : Limites du bien proposé pour inscription et de la zone tampon

Source : Cabinet d’Architecte AUP, UNESCO 2014, p.14

Troisième étape : l’inscription du quartier France sur la liste de patrimoine

mondial de l’UNESCO le vendredi 29 juin 2012.Elle est le couronnement de

plus de trente-cinq ans d’actions menées par le maire de la ville, en collaboration

avec le ministère de la Culture et de la Francophonie. Selon le rapport de

l’UNESCO (Comité Opérationnel, 2012), la ville de Grand-Bassam est proposée

à l’inscription sur la base des critères iii et iv13

.

13

Le critère (iii) stipule que le bien doit « apporter un témoignage unique ou du moins exceptionnel sur une

tradition ou une civilisation vivante ou disparue ».Le critère (iv) formule que le bien doit « Offrir un exemple

éminent d’un type de construction ou d’ensemble architectural ou technologique ou de paysage illustrant une

période ou des périodes significatives de l’histoire humaine ».

Page 16: Quartier France de Grand-Bassam patrimoine mondial menacé ...

98

Le bien mis en patrimoine et son état

La surface du bien proposé au patrimoine couvre une surface de 109,40 ha. Elle

est protégée par une zone tampon de 561,38 ha. Le bien inscrit sur la liste de

l’UNESCO est composé d’un patrimoine culturel immobilier et d’un patrimoine

culturel immatériel.

Le patrimoine culturel immobilier : à l’origine, il convient de noter que

vingt (20) bâtiments historiques de nature publique situés sur le périmètre de la

Ville historique de Grand-Bassam ont fait l’objet de classement sur la liste du

patrimoine culturel national par le décret n° 91-23 du 30 janvier 1991 en

application des dispositions de la loi N° 87-806 du 28 juillet 1987 portant

protection du patrimoine culturel.

A cette liste du patrimoine culturel national, ont été ajoutés quinze (15) autres

bâtiments exceptionnels et/ou remarquables par l’arrêté n°09/MCF-CAB du 20

janvier 2012 qui complète les dispositions du décret N° 91-23 du 30 janvier

1991 portant classement des monuments de la Ville Historique de Grand-

Bassam. Soit un total de trente et cinq (35) bâtiments protégés dans le périmètre

de protection. Ce patrimoine matériel composé de bâtiments anciens (coloniaux,

traditionnels, monuments religieux), des paysages culturels (bois sacré,

manguiers centenaires) et des monuments d’art commémoratifs bénéficie d’une

protection particulière. Le patrimoine de Grand-Bassam est classé en quatre

groupes répartis dans les quatre zones urbaines du quartier France (figure 4). Il

s’agit des biens du patrimoine exceptionnel, des biens du patrimoine

remarquable, des biens du patrimoine ordinaire et des biens inscrits sur liste du

patrimoine national. Figure 4 : Répartition des biens selon les zones urbaines

Source : Cabinet d’architecte AUP, 2012

Page 17: Quartier France de Grand-Bassam patrimoine mondial menacé ...

99

Dans la zone résidentielle située entre le Boulevard Angoulvant et le cimetière

municipal (30,75 ha), 87 bâtiments principaux classés en patrimoines

exceptionnels et remarquables et 44 annexes en dehors des neuf complexes

hôteliers sont identifiés. Le Mess des officiers est classé comme patrimoine

exceptionnel tandis que la Maison Diaw, l’ancienne Ecole Régionale, l’Ecole

primaire publique 4 et l’ancien hôpital sont classés au patrimoine remarquable.

Dans la zone administrative (située entre la rue du Général Mangin et le

boulevard Angoulvant) de superficie 22, 9 ha, 80 bâtiments principaux et 41

annexes ont été classés. Dans cette zone, les biens classés patrimoines

exceptionnels sont le Palais de justice, le Palais du gouverneur, la Maison du

patrimoine culturel et l’Evêché. Ceux classés patrimoines remarquables sont

l’ancienne Limonaderie (actuelle maison Morisson), la Préfecture, la Maison des

artistes (ancien bâtiment des chargeurs réunis), l’Eglise du sacré Cœur, le

Presbytère et l’ancien siège de la CFAO. Les biens classés patrimoine ordinaires

sont composés des deux monuments commémoratifs ; la Stèle à Treich-Laplène

et le Monument du débarquement. Les biens inscrits sur la liste du patrimoine

national sont nombreux. Il s’agit entre autres de la Mairie, l’hôtel des postes et la

douane, l’ancienne maison du trésor, l’ancien marché, la CFCI, le phare, le

wharf maritime, le débarcadère, les voies Decauvilles, etc.

Dans la zone commerciale (allant de la rue Mangin à la place Abissa) d’une

superficie de 22,58 ha, il y a 218 bâtiments principaux et 38 annexes classés en

dehors de 06 restaurants et deux complexes hôteliers. Le bien classé patrimoine

exceptionnel est la Maison Ganamet. Les biens du patrimoine remarquable sont

le Centre culturel Jean baptiste Mockey (ancien marché), la Bibliothèque

(ancien marché), le centre culturel français (actuel Centre céramique), la Maison

AkilBorro, la Maison Edouard Aka, l’Hôtel de France, l’ancien BCA, la Maison

Varlet et la Maison Kétouré.

Dans le Village N’Zima (partant de la place Abissa à l’embouchure soit 10,20

ha), en dehors du village retenu pour l’histoire et l’approche conviviale de

l’espace, les monuments Sider et Gros lot, le Bouakey, lieu de purification du roi

et ses attributs sont également classés au patrimoine mondial.

Le patrimoine culturel immatériel est formé de l’Abissa. C’est une

manifestation annuelle14

marquée par des danses et des séances rituelles, des

chants satiriques et des critiques sociales destinés à apaiser les conflits et les

tensions au sein de la communauté. C’est un évènement social d’une importance

capitale institué par le peuple N’Zima Kotoko depuis plusieurs générations.

14

Se déroule pendant une semaine, du dernier dimanche du mois d’octobre au premier dimanche de novembre.

Page 18: Quartier France de Grand-Bassam patrimoine mondial menacé ...

100

Sous ses apparences carnavalesques, l’Abissa est une danse de purification, de

retrouvailles et de pardon mutuel perpétué par les sept clans du groupe ethnique.

Il a été classé patrimoine culturel immatériel.

Quel est l’état du bien après l’inscription au patrimoine mondial ?

Au niveau du bâti dans les zones administratives et résidentielles, mis à part

l’ancien Palais de justice et l’école régionale qui sont en état de ruine, la

majorité des édifices publics a été maintenu en état et leurs caractéristiques

patrimoniales globalement préservées. Il en est de même des édifices privés qui,

pour la plupart bien entretenus, n’ont pas été dégradés. Cependant, certaines

maisons appartenant à l’Etat ne sont pas bien entretenues.

Dans la zone commerciale, un certain nombre d’édifices sont dégradés, du fait

de leur abandon par leurs occupants (maison Ganamet, Edouard Aka, Hôtel de

France...). Par ailleurs, des édifices comme la maison Treich-Laplène ont été très

dégradés par des travaux de rénovation qui ont totalement défiguré leur structure

d’origine. Il est prévu, dans le plan de gestion, un programme de restauration et

de réutilisation de ces bâtiments. Dans cette perspective, des travaux de

rénovation réussie viennent d’être réalisés même si par ailleurs, des malfaçons

sont à noter sur certains bâtiments rénovés (exemple de la maison Ketouré).

Dans le village N’Zima, les constructions en matériaux durables résistent au

temps, alors que celles à base végétale font l’objet d’une perpétuelle

réhabilitation par leurs occupants compte tenu de leur fragilité face aux

intempéries. Pour tous les édifices qui sont encore en ruine, des dispositions sont

en train d’être prises par les autorités en vue d’assurer leur restauration

Au niveau de la voirie qui s’organise autour de trois axes principaux que sont le

boulevard Angoulvant, le boulevard Treich-Laplène et le boulevard Louis

Alphonse Bonhoure., on note qu’en dehors du boulevard Angoulvant qui connaît

un problème de drainage perceptible en temps de pluie, les deux autres

boulevards (bitumés) sont dans un état relativement bon. Dans l’ensemble, les

rues sont bien entretenues, à l’exception des rues Fleuriot de Langle et Général

Mangin envahies par la broussaille. Cependant, des travaux d’assainissement et

de préservation du littoral prévus dans le plan de gestion attendent d’être réalisés

pour aider à solutionner les problèmes de drainage.

Les stratégies de préservation

Deux stratégies sont mises en place pour préserver et sauvegarder le patrimoine

historique de Grand-Bassam. Il s’agit de :

-La mise en place de plans de préservation, de conservation et de gestion

élaborés par ‘’La Maison du Patrimoine Culturel’’. Créée en 2002, cette

institution assure la gestion actuelle du site à partir des orientations du Comité

Local de Gestion (CLG). Ces plans sont un ensemble de servitudes et

Page 19: Quartier France de Grand-Bassam patrimoine mondial menacé ...

101

prescriptions architecturales et techniques définis pour la conservation, la

restauration et la mise en valeur du patrimoine architectural et urbain à

l’intérieur du périmètre de protection et de la zone tampon délimités sur la

commune de Grand Bassam.

Pour la valorisation du patrimoine, un plan de gestion des sites, des outils de

planification communale et des organes de gestion incluant des dispositifs

traditionnels de gestion ont été mis en place. Ainsi au niveau du cadre juridique,

la réglementation a été actualisée, avec un cadre institutionnel et un dispositif

juridique adaptés, permettant de renforcer son efficacité et faciliter son

application effective. Les moyens de gestion quant à eux sont basés sur le

Service Technique de la Mairie de Grand-Bassam (qui assure l’entretien courant

du site) et sur une commission chargée des permis de construire (qui s’occupe

du contrôle des constructions et aménagements sur le site).

Les principes clés du cadre de gestion du patrimoine sont le partage des

responsabilités (coopération Etat-collectivités, mutualisation des ressources),

l’association des populations (consultation et participation) et la construction

d’une approche transversale (le patrimoine étant inscrit dans une dynamique de

développement urbain et de stratégies économiques).

-La restauration des édifices coloniaux par des initiatives publiques et privées.

Ces initiatives visent à renforcer celles effectuées avant 2012.Les règles

architecturales imposées pour la restauration des édifices et les nouvelles

constructions dans le périmètre protégé sont définies par la loi de 1987 portant

protection du patrimoine. Cet instrument juridique garantit la protection de

l’intégralité du quartier France, par le respect de son harmonie architecturale.

Ainsi, toute maison nouvellement construite dans l’enceinte de ce périmètre

protégé doit se conformer à l’architecture coloniale en reproduisant les

caractéristiques et en n’excédant pas les deux étages. Des dispositions en

matière de contrôle sont prises par les agents de la maison du patrimoine culturel

pour suivre l’effectivité de ces mesures (Yedagne 2011).

Page 20: Quartier France de Grand-Bassam patrimoine mondial menacé ...

102

3. Discussion

Si pour la sauvegarde du patrimoine du quartier France de Grand-Bassam, le

défi de l’inscription sur la liste des patrimoines mondiaux de l’UNESCO a été

relevé le 29 juin 2012, la conservation du bien, quant à elle, reste un pari non

encore gagné d’avance.

En effet, l’inscription de la ville historique de Grand-Bassam au patrimoine

mondial ne doit pas faire perdre de vue les défis à relever pour la maintenir sur

la liste (Traoré 2014). C’est un pari qui n’est pas gagné d’avance, ce que mesure

pleinement M. Georges Ezaley15

, le Maire (de 2013 à 2018) de la ville lorsqu’il

affirme que « il faut surtout conserver, préserver ce label de patrimoine mondial

de l’UNESCO parce que ce n’est pas un acquis, rien n’est définitif » (Joyce,

2014). Plusieurs actions nécessaires à la conservation du patrimoine de la ville,

sont initiées ou réclamées par les bénéficiaires et partenaires. Mais les facteurs

de succès de ce pari sont d’abord le financement des investissements. Selon

Traoré (2014), réhabiliter le bien et son environnement nécessite des

investissements importants, essentiellement à la charge de l’Etat et de la Mairie.

Or les capacités d’investissement global annuel de la commune de Grand-

Bassam ne sont estimées qu’à 859 millions de francs CFA16

dont une partie (6%

) est destinée à l’entretien et à l’assainissement du site (Traoré, 2014). Une

augmentation du budget alloué à la restauration du site est donc souhaitée.

Comme solution, La Traoré (2014) propose des investissements privés pour la

réhabilitation du patrimoine privé, pouvant être utilisé à des fins de logements,

d’équipements et infrastructures pour saisir les nouvelles opportunités lucratives

touristiques ou de loisirs. De nouvelles sources de financement ou des mesures

d’exonération fiscale pouvant incitée les opérateurs privés à investir dans la

restauration des bâtiments devront alors être envisagées. Tout cela montre que la

gestion des sites mis en patrimoine doit être inscrite dans une vision stratégique,

ce qui rejoint la proposition de Kanga (2011) concernant la préservation du bien.

Il préconise l’élaboration d’une vision stratégique, de principes et d’instruments

fondés sur deux impératifs ; celui de la préservation de l’intégrité (éviter de

détruire) et la préservation de l’authenticité (éviter de dénaturer). De ce fait, la

sensibilisation permanente des acteurs et du public apparait comme une autre clé

de succès des plans de préservation. Stratégie que partage l’UNESCO (2014)

lorsqu’elle préconise une sensibilisation sous forme d’actions à vocation

culturelle, comme l’organisation de journées thématiques et d’expositions sur la

ville de Grand-Bassam ou de communications institutionnelles à l’exemple des

opérations de replantage d’arbres visant à reconstituer les alignements des

boulevards Treich-Lapleine et Bonhoure. Ces opérations devraient associer les 15

Lors d’une interview accordée au magazine ivoirien « Top Visage » le 27 janvier 2014. 16

FCFA : Communauté Financière Africaine; US $1 = 500 FCFA ; £1 = 1000 FCFA ; 1 € = 655 ,957FCFA.

Page 21: Quartier France de Grand-Bassam patrimoine mondial menacé ...

103

établissements scolaires de la commune pour permettre aux nouvelles

générations de participer à la sauvegarde du passé. Le développement de la ville

doit donc être en adéquation avec la conservation du patrimoine mondial.

Conclusion

Grand-Bassam est la plus ancienne capitale qui a marqué l’histoire coloniale de

la Côte d’Ivoire. Sa domination politique éphémère de 1893 à 1900 n’a pas pour

autant mis fin à son hégémonie économique et culturelle sur la Côte d’ivoire.

Plus d’un siècle plus tard, Grand-Bassam, conserve toujours sa valeur de ville

historique, mémoire de la Côte d’Ivoire. L’inscription du quartier France au

patrimoine mondial de l’UNESCO en 2012 a permis de sauver de la ruine cette

ville qui est désormais un patrimoine légué à toute l’humanité. Toutefois, cet

héritage doit être préservé pour continuer à subsister sur la liste des merveilles

du monde et dans la mémoire des Ivoiriens.

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