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N° 245 JUIN 2010 dépasser les frontières ZOOM Peintures rupestres Jean-Loïc Le Quellec, l’homme qui réinterprétait les mythes Rien n’arrête les mathématiques NEUROSCIENCES, éCOLOGIE, ASTRONOMIE… EXC L USI F Entretien avec Alain Fuchs, président du CNRS

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N° 245 JUIN 2010

dépasser les frontières

zoomPeintures rupestres

Jean-Loïc Le Quellec, l’homme qui réinterprétait les mythes

Rien n’arrête les

mathématiques

NeUroscIeNces,écologIe,astroNomIe…

eXclUsIF Entretien avec

Alain Fuchs, président du CNRS

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L’ENQUÊTE18

Le journal du CNRS n° 245 juin 2010

NEUROSCIENCES, ÉCOLOGIE, ASTRONOMIE, …

C’est l’effervescence chez les mathématiciens ! Les 8 et 9 juin,l’important congrès annuel de l’Institut de mathématiques Clay se tient à Paris. Et, quelques semaines plus tard, du 19 au 27 août, en Inde, le Congrès international des mathématiciens distinguera,comme tous les quatre ans, les lauréats de la médaille Fields, plusimportante récompense en la matière. Deux événements et deuxoccasions de redécouvrir l’immense influence des maths. Car, si ellespermettent depuis longtemps de résoudre les énigmes de la physique,elles sont aussi précieuses pour étudier la biodiversité, modéliser les épidémies, mieux comprendre le cerveau ou encore dévoiler lesarcanes de notre planète. Ce mois-ci, Le journal du CNRS mène l’enquête sur une discipline qui a vraiment le vent en poupe.

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Comment vont les maths ? « Ellesne se sont jamais aussi bien por-tées », répond sans ciller CédricVillani, directeur de l’InstitutHenri-Poincaré1, à Paris, qui

vient tout juste de se voir remettre le prestigieuxprix Fermat2. C’est bien simple, à l’ère du touttechnologique, il n’est plus une activité humainequi n’ait besoin de compter, structurer, pré-voir ou optimiser des données de plus en plusnombreuses et de plus en plus complexes. Aupoint que, pour Amy Dahan, historienne dessciences au Centre Alexandre-Koyré3, à Paris,« aujourd’hui, le terrain de jeu des mathématiquesest devenu le monde dans sa totalité ».Cette santé insolente, les mathématiques la doi-vent d’abord à elles-mêmes et à ceux qui lespratiquent. Le nombre de mathématiciens estainsi passé de quelques centaines à plusieursdizaines de milliers en moins d’un siècle. Etcette communauté, habituée depuis toujours àcollaborer en petits groupes flexibles et déloca-lisés, est parfaitement à son aise dans un mondeglobalisé où l’information circule en un clic.Sur le fond, la période est faste. Elle se carac-térise par « l’émergence, avec une intensité et unerapidité inégalées, de liens nouveaux entre domai-nes mathématiques différents », précise Jean-Pierre Bourguignon, directeur de l’Institut deshautes études scientifiques, à Bures-sur-Yvette,et président du Comité d’éthique du CNRS(Comets). Non pas que le découpage tradi-tionnel de la discipline (géométrie, topologie,algèbre, analyse, probabilités…) soit d’un coupdevenu obsolète, mais « comme en musique,l’apprentissage des formes classiques permet

désormais de les dépasser », explique CédricVillani. C’est ainsi, grâce à l’apport inattendude la géométrie, qu’a été résolu, en 2003, parle russe Grigoriy Perelman, un pur problèmede topologie : la démonstration de la conjecturede Poincaré, énoncée un siècle plus tôt. Celle-ci faisait partie des sept problèmes dits du mil-lénaire, pour la résolution desquels 1 millionde dollars est offert par l’Institut de mathé-matiques Clay, aux États-Unis. Les 8 et 9 juin,le colloque de cet institut, organisé cette annéepar l’Institut Henri-Poincaré, à Paris, sera d’ail-leurs l’occasion de célébrer cette réussite.

DES INTERACTIONS CONTINUESÀ cette porosité interne aux mathématiquesfont écho les interactions de cette disciplineavec les autres sciences. En premier lieu la

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Le journal du CNRS n° 245 juin 2010

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Une discipline à vocationuniverselle

Chaque année, le Salon de la culture et des jeuxmathématiques, auquel participele CNRS, prouve l’intérêt dupublic pour la discipline.

UNE DISCIPLINE À VOCATION UNIVERSELLE > 19 LA BIODIVERSITÉ EN ÉQUATIONS > 20

DES FORMULES CONTRE LES ÉPIDÉMIES > 22LA PHYSIQUE ACCRO AUX MATHS > 23

DES THÉORÈMES PLEIN LES NEURONES > 24LES MATHS À L’ÉCOUTE DE LA TERRE > 26

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pas assez attractives en général. On observe uneérosion des effectifs des étudiants en mathémati-ques. Si cette tendance persiste une dizaine d’an-nées, cela peut devenir dramatique pour l’avenirde la discipline. » De son côté, Cédric Villanijoue, lui, la carte de l’optimisme : « Les problè-mes sont identifiés. Je reste persuadé que noustrouverons les solutions. Il faut transmettre l’idéeque les mathématiques n’ont rien d’une vieillescience carrée et poussiéreuse. Au contraire, ellessont aujourd’hui en pleine effervescence et deman-dent avant tout… de l’imagination. »

Mathieu Grousson

1. Unité CNRS / Université Paris-VI.2. D’un montant de 20 000 euros attribués par la régionMidi-Pyrénées, ce prix est décerné tous les deux ans parl’Institut de mathématiques de Toulouse.3. Unité CNRS / EHESS Paris / MNHN / Cité des sciences et de l’industrie.4. Unité CNRS / ENS Paris / Inserm.5. CNRS / Universités Paris-VI et -VII.

Àl’heure où la biodiversité s’érodedangereusement, les écologuesdisposent aujourd’hui d’un alliéde poids : les mathématiques.Théorie des probabilités et des

processus aléatoires en tête, elles sont en effetparvenues à intégrer dans des modèles la plu-part des processus aux fondements de l’évolu-tion. De quoi aider à quantifier la richesse bio-logique de notre planète et son évolution et, quisait, à trouver des solutions pour la protéger.En commençant par s’interroger sur la notionmême de biodiversité. De fait, intuitivement,plus le nombre des espèces augmente, plus elle est importante. Mais Vincent Bansaye, duCentre de mathématiques appliquées de l’Écolepolytechnique (CMAP)1, nuance : « Quelle estla contribution à la diversité biologique d’une partde deux espèces de fourmis, d’autre part d’uneespèce de fourmis et d’une autre de hérissons? »Cette question n’a l’air de rien, mais elle est enréalité redoutable. Comme de savoir si la bio-diversité est plus mise à mal par la disparitionde deux espèces de mammifères emblémati-ques, ou bien par celle d’un coléoptère inconnu,mais jouant un rôle important dans un éco-système. Autant d’interrogations auxquellesdes mathématiques complexes peuvent aiderà apporter des réponses en introduisant desoutils précis dans une science tradition-nellement empirique.

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physique, qui les stimule depuis plusieurssiècles en même temps qu’elle en recueille lesfruits. Encore aujourd’hui, pour Cédric Villani,« les attentes les plus vives concernent des secteursoù les mathématiques se frottent aux autres dis-ciplines ». Le scientifique en veut pour preuvele domaine des équations aux dérivées par-tielles, dans lequel des avancées importan-tes pourraient avoir des répercussions aussibien en mécanique des fluides que pour lessciences du climat.De là à envisager que l’apport des mathéma-tiques puisse devenir un recours universel, iln’y a qu’un pas. D’autant que de nombreusesdisciplines scientifiques (biologie, économie,sociologie, théorie de la décision…) font deplus en plus couramment usage de techni-ques et de concepts mathématiques sophisti-qués. Pour Jean-Pierre Bourguignon, « du faitde leur caractère abstrait, les mathématiques ontune vocation universelle. Attention, pour autant,rien de ce qui est extérieur aux mathématiques nepeut se réduire à elles ». Michel Morange, duCentre Cavaillès de l’École normale supérieure4,à Paris, abonde dans le même sens : « Je meméfie des simplifications du genre ‘‘les maths sontl’avenir de la biologie’’. Je suis convaincu que,dans plusieurs domaines, elles vont apporter beau-coup. Mais l’idée d’une mainmise des mathéma-tiques sur les autres sciences est naïve. »

UNE MATIÈRE REINE EN FRANCECe qui ne les empêche pas d’avoir véritable-ment le vent en poupe. Au point de faire desadeptes au-delà des cercles de spécialistes. C’esten tout cas le sentiment de Séverine Leidwan-ger, de l’Institut de mathématiques de Jussieu5,à Paris, et coorganisatrice d’événements dansle cadre de la Fête de la science : « Il y a deuxans, le temps était exécrable. Pourtant, nous avonscompté de nombreux participants à notre rallye demathématiques. De même, nous organisons desconférences de vulgarisation qui attirent un publiclarge. Y compris des personnes qui gardaient unmauvais souvenir des maths au lycée et qui décou-vrent tout à coup qu’elles peuvent y comprendre quel-que chose! » De quoi susciter des vocations chezles plus jeunes ? S’appuyant sur une traditionqui place les maths au centre de la formationde ses élites, la France reste encore aujourd’huiune terre de prédilection pour la discipline. Unchiffre en atteste : sur les 48 lauréats de l’his-toire de la médaille Fields – la plus prestigieuserécompense de la discipline, remise tous lesquatre ans –, douze sont issus de laboratoiresfrançais. La prochaine attribution lors duCongrès international des mathématiciens, quiaura lieu en Inde à la fin du mois d’août, vien-dra peut-être confirmer cette tendance.Jean-Pierre Bourguignon s’inquiète néanmoinspour l’avenir : « Les carrières de chercheurs ne sont

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La biodiversité en équations

CONTACTSÔ Jean-Pierre Bourguignon, [email protected]

Ô Amy Dahan, [email protected]

Ô Séverine [email protected]

Ô Michel Morange, [email protected]

Ô Cédric Villani, [email protected]

Les maths peuventaider les écologues à calculer combien de faons il y a dansune forêt.

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Ainsi, Sylvie Méléard, elle aussi du CMAP, arécemment développé un modèle capable dedécrire des processus qui conduisent à l’appari-tion de nouvelles espèces2. « Pour ce faire, nousavons intégré des phénomènes très divers, allant desmutations génétiques survenant au niveau de lareproduction d’un individu jusqu’à l’influence del’environnement sur une population, détaille lamathématicienne. Et, grâce à la démonstrationrigoureuse de théorèmes, nous sommes parvenus àexpliciter les conditions conduisant à des paliers évo-lutifs ou bien à l’apparition d’espèces nouvelles. »

MIEUX RECENSER LES ESPÈCESPlus concrète encore, la question confiée récem-ment par Sylvie Méléard, également porteusede la chaire Modélisation mathématique et bio-diversité (Muséum national d’histoire natu-relle, Veolia Environnement et École poly-technique), à l’un de ses étudiants en thèse : àpartir de quel seuil une espèce est-elle condam-née à disparaître ? Comme l’indique la scien-tifique, « les modèles classiques échouent à répon-dre à cette question, car ils ne sont pas adaptés auxpopulations de faible effectif. Mais, en tenantcompte de la variabilité génétique des individusdans un petit groupe, nous sommes en train decomprendre comment l’apparition de mutations quin’auraient pas eu d’effets dans un groupe impor-tant peuvent à l’inverse accélérer la disparitiond’une population réduite ».

Autre cas pratique, la mise au point d’instru-ments mathématiques pour connaître l’effectifd’une population à partir d’informations incom-plètes. Une problématique que Vincent Bansayerésume de la manière suivante : « Lors d’une pro-menade en forêt, je peux voir un premier chevreuil,puis un second une vingtaine de minutes plus tardà 1 kilomètre de distance. Quelle information perti-nente puis-je déduire de ces données sur la popula-tion totale? » Les travaux en cours pourraientavoir, on le comprend, un impact sur le recen-sement d’espèces difficiles à observer. De même,des travaux menés par le chercheur et son collègueAmaury Lambert3, au département de biologie del’École normale supérieure, à Paris, sur l’in-fluence de la fragmentation de l’habitat sur l’évo-lution des populations permettront peut-être demettre en œuvre de mesures de sauvegarde dansun contexte où les territoires disponibles pour lesespèces sauvages se réduisent.

Comme le précisait récemmentDenis Couvet, directeur de l’unitéConservation des espèces, res-tauration et suivi des popula-tions4, à la rédaction des Échos 5,« on ne peut pas réduire la biodi-

versité à de simples équations. Mais les modèlesmathématiques permettent une approche dépas-sionnée et objective des écosystèmes ». Et SylvieMéléard de conclure : « Il serait présomptueuxd’affirmer que les mathématiques vont révolution-ner l’étude de la biodiversité. Mais elles offrent assu-rément un nouvel angle d’étude. »

Mathieu Grousson

1. CNRS / École polytechnique.2. Collaboration avec Régis Ferrière, au laboratoire Écologieet évolution de l’École normale supérieure, à Paris, et Nicolas Champagnat, à l’Inria, à Sophia-Antipolis.3. Du Laboratoire de probabilités et modèles aléatoires(CNRS / Universités Paris-VI et -VII).4. Unité CNRS / MNHN.5. Les Échos, 2 février 2010.

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CONTACTSÔ Vincent Bansaye [email protected]

Ô Denis Couvet, [email protected]

Ô Amaury Lambert, [email protected]

Ô Sylvie Mélé[email protected]

Les maths pourraient avoir un rôle clé dans la compréhension des maladies génétiquesneuromusculaires. Directrice de l’unitéGénomique des micro-organismes1, à Paris,impliquée depuis 2006 dans le programmeinternational de Lutte contre la dystrophiemusculaire, Alessandra Carbone mène uneenquête sur les protéines associées à cespathologies. Comme l’explique la récentelauréate du prix Irène-Joliot-Curie de lafemme scientifique de l’année, « on connaîten partie les gènes impliqués dans cesaffections, mais pas le rôle précis desprotéines pour lesquelles ils codent, àl’origine des dysfonctionnements ». Pourélucider ce problème, elle s’est lancée dansun programme titanesque : préciser, grâce àdes modélisations sur ordinateur, la manièredont interagissent entre elles environ 2 000 protéines présentes chez l’homme. Or deux protéines prises au hasard peuventse positionner l’une par rapport à l’autre de100 000 à 500 000 manières différentes. Mêmeen bénéficiant du réseau des centaines demilliers d’ordinateurs de la World CommunityGrid, vérifier ces combinaisons prendrait des siècles! Ainsi, pas d’autre solution quede “deviner” à l’avance quels sont les sitesactifs (ceux ayant une fonction biologique)sur chaque protéine, afin de limiter le nombre de configurations à tester. Comment?Les biologistes savent que si les protéinessont différentes chez chaque espèce, ellespossèdent des sites actifs semblables

correspondant à des résidusd’ADN communs à toutes

les espèces. En passantà la moulinette

de la théorie del’information et

des probabilitésplusieurs centaines de

milliards de séquencesADN référencées dans

toutes les banquesgénétiques du monde,il est théoriquement

possible d’identifier,avec une probabilité

raisonnable, ces fragments codant pour unmorceau “intéressant” de protéine. « Grâce à ce travail préparatoire, nous devrions avoirterminé nos calculs d’ici mai 2011 », prévoitAlessandra Carbone.

Mathieu Grousson

1. Unité CNRS / Université Paris-VI.

Contact : Alessandra [email protected]

Les mathématiques du hasard sont utilisées pour modéliser lesprocessus évolutionnaires, commel’apparition d’espèces de pinsonsdifférant par la taille de leur bec.

L’étude statistique degénomes permet de prévoirles sites chimiquement actifsd’une protéine. De quoi faireavancer la recherche sur lesmaladies génétiques.

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LES MATHS S’INVITENTDANS LA GÉNÉTIQUE

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Pourquoi la diphtérie et la polio-myélite ne sont-elles plus que desmauvais souvenirs en France ?Qu’est-ce qui permet d’espérer qu’àun niveau mondial le paludisme et

la tuberculose peuvent être éradiqués ? Les poli-tiques de santé publique et les actions menéespar les organismes d’aide sanitaire, bien sûr.Mais pas seulement : aussi large soit-elle, unecampagne de vaccination n’empêchera jamaisquelques malades de passer entre les maillesdu filet. En fait, l’allié invisible des campagnesde vaccination est un résultat mathématiquequi apparaît dans tous les modèles de propaga-tion d’infections contagieuses : pour se diffuser,toute épidémie a besoin localement d’un nom-bre minimal de malades ; en dessous de ce seuil,la maladie finit par s’éteindre d’elle-même,comme un feu qui s’étouffe, privé d’air.En épidémiologie – cet exemple l’illustre –, lesmathématiques cernent les mécanismes de conta-gion. Pourquoi certaines épidémies sont-ellescycliques ? Pourquoi la grippe A s’est-elle trans-formée en pandémie en se propageant dans lemonde comme un feu de paille? Sans les mathé-matiques, nous n’aurions pas de réponses à cesquestions. En 2008, une équipe internationaleimpliquant le Laboratoire de physique théori-que d’Orsay 1 avait montré, modèle mathémati-que à l’appui, que le réseau international destransports aériens expliquait, dans ses grandeslignes, les cartes des épidémies mondiales.Sans les mathématiques nous échapperait éga-lement l’origine d’épidémies dues à des maladiesnon transmissibles comme le cancer. Les sta-tistiques sont reines dans ce domaine. « Le can-cer du poumon est l’exemple type de cancer qui a été

détecté de façon statistique », décrit Jacques Istas,professeur au Laboratoire Jean-Kuntzmann2, àGrenoble, et auteur d’un livre sur la modélisa-tion mathématique dans les sciences du vivant.« Dans les années 1930, des médecins allemands ont observé un lien entre le cancer des poumons etla consommation de tabac, même s’ils ne compre-naient pas pourquoi », ajoute ce spécialiste dumouvement brownien, un modèle mathémati-que façon couteau suisse, capable de décrirel’ostéoporose comme le trafic Internet et lapropagation d’une épidémie. La maladie deCreutzfeld-Jacob et le diabète appartiennent àl’immense groupe d’infections non contagieu-ses qui ont été décelées via des études statistiquesavant que les causes profondes n’émergent deséprouvettes des biologistes.

DES STATISTIQUES DE HAUT VOLL’usage routinier des statistiques ne signifie pastoutefois que celles-ci se sont émancipées deleur tutelle mathématique. Et heureusement,car « les statistiques sont une source inépuisable depièges », met en garde Bernard Prum, du labo-ratoire Statistique et génome3, expert en géné-tique des maladies épidémiques. Imaginonsque vous soupçonniez être atteint d’une mala-die mortelle qui touche une personne sur 10000.Vous passez un test qui, comme n’importe queltest, possède une marge d’erreur et n’est précisqu’à 99 %. Le test se révèle positif. Quelle chanceavez-vous de posséder la maladie? Votre réponseprobable : 99 %. Tout faux. En fait, la réponse(contrintuitive) est moins de 1 % (se reporter à unmanuel de statistique pour le détail des calculs).L’analyse de données épidémiologiques est pavéede chausse-trapes de ce genre…

Pis, la complexité des analyses statistiques estdémultipliée depuis qu’on est capable d’allerchercher à l’intérieur du génome les facteursaggravants des maladies. Il faut en effet savoirque les maladies monogéniques (dont les symp-tômes ne sont dus qu’à la mutation d’un seulgène) sont l’exception. La plupart des maladies,les cancers en particulier, sont l’expression dedizaines de gènes qu’il faut rechercher parmi les30 000 du génome des patients.

DÉMÊLER LE VRAI DU FAUX« Quand on tient compte de l’expression génétique,on arrive facilement à plusieurs dizaines de milliersde paramètres à considérer, souligne Philippe Besse,de l’Institut de mathématiques de Toulouse4 et spé-cialiste de statistique appliquée à la biologie. La dif-ficulté dans ces cas-là est qu’on arrive toujours à trou-ver des liens statistiques entre les symptômes et des gènesprétendument responsables de la maladie, sans tou-jours savoir si ces liens sont pertinents ou non. »D’où le développement ces dernières années d’al-gorithmes issus du domaine de l’intelligence arti-ficielle capables de distinguer les liaisons signifi-catives des liens trompeurs. Nommés boostingou bagging, ces algorithmes « permettent d’obtenirdes modèles avec de meilleures qualités prédictives »,continue le chercheur, qui développe quant à luides outils mathématiques pour aider les biolo-gistes à comprendre le rôle dans les cellules degènes et de protéines spécifiques. Les outilsmathématiques développés par Philippe Besse etses collègues ont, par exemple, permis d’étudierl’influence sur l’organisme du bisphénol A, cecomposé chimique qui entre dans la compositionnotamment des biberons et qui est soupçonné detoxicité. Ces recherches ont ainsi montré que lebisphénol A perturbait le système hormonal desouris soumises à de faibles doses de ce composé.Dans l’ensemble, les mathématiciens travaillanten biologie s’accordent pour dire que les scien-ces de la vie vont jouer au XXIe siècle le rôle demuse pour les mathématiques, comme la phy-sique l’a été au siècle dernier.

Xavier Müller

1. Laboratoire CNRS / Université Paris-XI.2. Laboratoire CNRS / Universités Grenoble-I et -II /Institut polytechnique de Grenoble.3. Unité CNRS / Université d’Évry.4. Unité CNRS / Universités Toulouse-I et -III / Insa Toulouse.

Des formulescontre les épidémies

CONTACTSÔ Philippe [email protected]

Ô Jacques Istas, [email protected]

Ô Bernard Prum, [email protected]

Le modèle mis au point à Orsays’appuie sur le trafic aérienpour prévoir la propagationd’une épidémie,ici celle du Srasen 2002-2003.L’épaisseur d’untrait indique laprobabilité duchemin associé.

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La nature est un livre écrit en langagemathématique. » La phrase est deGalilée. Et, depuis le XVIIe siècle, nom-bres et abstractions sont devenusinséparables de la physique. La raison

de ce goût immodéré des physiciens pour lesmathématiques? Leur « déraisonnable efficacité »,répondait Eugene Wigner, Prix Nobel de physi-que en 1963. Celle de faire émerger unité et loisfondamentales, là où l’observation brute ne ren-voie qu’au désordre et à l’irrégularité des phé-nomènes. Pour le comprendre, rien de tel qu’unexemple concret que des chercheurs du CNRSremettent actuellement à la une de l’actualité. Aumilieu des années 1970, le célèbre physicienanglais Stephen Hawking montre que les trousnoirs, des objets du cosmos censés avalerjusqu’au moindre grain de lumière entrant dansleur sphère d’attraction, émettent en réalité une

faible radiation. Joie des théoriciens, cette pré-diction est l’une des seules à marier sur le papierrelativité générale (la théorie einsteinienne de lagravitation) et mécanique quantique (reine de l’in-finiment petit). Désespoir des expérimentateurs :l’intensité de la radiation Hawking est si faiblequ’aucun appareil de mesure ne pourra jamaisla mettre en évidence.

DÉTECTER LA RADIATION HAWKINGC’était sans compter sur les mathématiques. Eneffet, en 1981, Bill Unruh, à l’université de Colom-bie britannique, prouve que les “ingrédients” dela radiation Hawking ne sont pas propres à la phy-sique des trous noirs. Plus précisément, en rem-plaçant sur le papier la gravitation par l’écoule-ment d’un liquide, et les ondes lumineuses, pardes vaguelettes à la surface de l’eau, on obtientla même physique. « Ici, les mathématiques ont

permis de montrer quantitativement l’équivalence de deux phénomènes d’apparence très différents, en ce sens qu’ils sont régis exactement par les mêmeséquations », explique Germain Rousseaux, duLaboratoire Jean-Alexandre-Dieudonné1, à Nice.Au point que ce physicien a entrepris récem-ment de détecter la radiation Hawking dans le bas-sin à houle de l’entreprise Acri, à Nice, spéciali-sée en génie côtier ! Une expérience dans laquellela radiation Hawking devrait prendre la forme devaguelettes émises en une zone du bassin oùune vague voit sa propagation arrêtée net par uncourant de sens contraire.

UNE LUNETTE DE GROSSISSEMENTMais les mathématiques auront ici un autre rôle :celui d’aider à démêler les données des expé-riences en cours. « Pour ce faire, nous avons intro-duit dans notre description les outils mathémati-ques des systèmes dynamiques, traditionnellementutilisés pour étudier l’évolution temporelle de systè-mes comme les planètes du système solaire, indiqueGermain Rousseaux. Cet emploi dérivé illustre sim-plement que plus on introduit de mathématiquescomplexes pour étudier un phénomène, plus on révèlede détails. Les maths sont comme une lunette degrossissement pour la physique. »Dans certains cas, elles sont même le seul etunique moyen d’accéder à un phénomène.Comme ceux qui se produiront dans le futurréacteur expérimental thermonucléaire inter-national (Iter), actuellement en construction àCadarache. Un prototype destiné à vérifier la fai-sabilité de la fusion nucléaire comme nouvellesource d’énergie. De fait, dans pareil réacteur,un gaz ionisé contenu par un puissant champmagnétique est porté à une température dequelque 100 millions de degrés ! Soit une four-naise à laquelle aucun capteur ne serait enmesure de résister.Seule solution, récolter des mesures indirecteseffectuées sur la surface du plasma avant de lesincorporer dans un modèle mathématique per-mettant de calculer numériquement ce qui sepasse à l’intérieur. Comme l’explique JacquesBlum, lui aussi du Laboratoire Jean-Alexandre-Dieudonné, « pour cela, il était nécessaire de

La physique accro aux maths

Les trous noirs astronomiquessont un phénomène invisible,mais qui possède un analoguehydrodynamique. Desmathématiciens du CNRS tententici de reproduire ce phénomènedans un bassin à houle.

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Représentation d’un trou noir, un astre si dense que toutce qui tombe à l’intérieur, même la lumière, y resteprisonnier à jamais.

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développer une approximation de l’équation àrésoudre. Le rôle du mathématicien est ici de véri-fier dans quelle mesure celle-ci reste valable pourétudier le problème initial. Par ailleurs, avec Iter,on veut connaître les paramètres internes duplasma en temps réel pour un contrôle en continude l’expérience. Ce qui passe par le développementde nouveaux algorithmes rapides et fiables ».

INVENTER EN PERMANENCECertes, les équations qui régissent le phéno-mène à étudier sont connues depuis long-temps grâce à l’hydrodynamique. Mais de nou-velles techniques mathématiques sont àinventer perpétuellement, afin de résoudreces équations complexes dans des conditionspratiques. « Cela demande le développement

d’une véritable ingénierie mathématique, confirmePierre Degond, de l’Institut de mathématiquesde Toulouse2, lui aussi impliqué dans le pro-gramme Iter, afin notamment de gérer d’épineuxproblèmes d’interaction entre différentes échellesspatiales, depuis celle de quelques atomes jusqu’auplasma tout entier. » Aujourd’hui, les philoso-phes des sciences sont loin de s’être mis d’ac-cord sur la portée définitive de la phrase pro-noncée par Galilée. Une chose est néanmoinscertaine, sans mathématiques, la physiquen’existerait tout simplement pas !

Mathieu Grousson

1. Laboratoire CNRS / Université Nice-Sophia Antipolis.2. Unité CNRS / Universités Toulouse-I et -III / Insa Toulouse.

L’ENQUÊTE24

Le journal du CNRS n° 245 juin 2010

Les biologistes le savent : pour per-cer un jour tous les arcanes dufonctionnement du cerveau, l’ap-port des mathématiques est indis-pensable. Car cet organe est un

parangon de complexité. « Outre le fait que lecerveau possède environ 100 milliards de neuro-nes de différents types, décrit Pascal Chossat,mathématicien au Laboratoire Jean-Alexandre-Dieudonné1, à l’université Nice-Sophia Anti-polis, ceux-ci sont très connectés les uns auxautres : un neurone est branché en moyenne à10 000 autres neurones. Ils forment des circuitsdont la structure est très variable et dont lesconnexions elles-mêmes évoluent au cours dutemps. Enfin, les aspects dynamiques sont essen-tiels : par exemple, les signaux électriques quipermettent aux neurones de communiquer entreeux peuvent se renforcer ou interférer. »Les biologistes, aidés des mathématiciens, tra-vaillent d’arrache-pied pour décrypter cettecomplexité. « L’activité de recherche en mathé-matiques pour le cerveau est en plein boom »,confirme Pascal Chossat, qui appartient à ungroupe de chercheurs placés sous la houletted’Olivier Faugeras, du Laboratoire d’informa-tique de l’École normale supérieure2, qui tentede décrypter le circuit de la vision par uneapproche mathématique. Il faut dire que celui-ci reflète à merveille la structure en étages ducerveau : les influx nerveux issus des yeux sontdispatchés en fonction de leur provenance surla rétine en diverses régions du cortex visuel,elles-mêmes subdivisées en zones spécialiséesdans une tâche donnée, comme détecter unecouleur ou une forme.

CONTACTSÔ Jacques Blum, [email protected]

Ô Pierre Degond [email protected]

Ô Germain Rousseaux, [email protected]

Les équations utilisées pour lelancement d’une fusée sontconnues… depuis le XVIIe siècle. Ce qui n’empêche pas l’industriespatiale d’être consommatrice de mathématiques de pointe. En témoigne la collaboration entre le Laboratoire de mathématiques,applications et physiquemathématique1 à Orléans,l’université d’Orléans et EADSAstrium aux Mureaux. « Le logicielutilisé pour calculer la trajectoire

optimale d’une fusée Arianenécessite de calculer des centainesde trajectoires avant de sélectionnerla meilleure. Il est de ce faitextrêmement gourmand en temps de calcul », explique EmmanuelTrélat, qui collabore sur ce problèmeavec Thomas Haberkorn. Ce qui peut être la cause du report d’unlancement de plusieurs jours lorsqueles conditions du tir, par exempleatmosphériques, changent audernier moment. Afin de s’adapter en temps réel aux aléas d’un vol, le mathématicien développe unnouveau logiciel capable d’effectuer

un pré-tri des trajectoires possibles,avant de calculer intégralement lesparamètres de la solution retenue.« Le principe de la méthode date desannées 1950, indique le scientifique.Mais il demande beaucoup desavoir-faire pour une mise enœuvredans des situations précises. »Mise sur orbite prévue de ce super-logiciel : fin 2011.

Mathieu Grousson

1. CNRS / Université d’Orléans.

Contacts : Thomas [email protected] Trélat [email protected]

LA BONNE TRAJECTOIRE POUR LA FUSÉE ARIANE

Prédécesseur d’Iter, le réacteur JET, à Culham, en Grande-Bretagne, permetd’étudier la fusion thermonucléaire (à gauche). Dans la chambre de combustion,circule un plasma (en rose) dont lescaractéristiques complètes sont calculéesgrâce au logiciel Equinox (à droite) à partir de mesures expérimentales.

Des théorèmes plein les neurones

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La trajectoire d’une fusée (ici Ariane 5) est déterminée par des logiciels sophistiqués.

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Le journal du CNRS n° 245 juin 2010

Spécialiste de la théorie des bifurcations, dis-cipline qui vise à décrire les changements sou-dains de comportement d’un système, PascalChossat tente d’appliquer ses connaissancesaux hallucinations visuelles dont sont victimesles sujets sous l’emprise de certaines drogues(LSD…) ainsi que certains schizophrènes.« L’idée est de comprendre comment une imageapparaît spontanément dans le cortex visuel »,commente le chercheur. En travaillant sur lesujet, il a découvert que certains aspects dufonctionnement du cortex visuel pouvaient êtrereprésentés par des fonctions définies dansun espace hyperbolique, un type d’espaceétrange où deux lignes parallèles à une troi-sième peuvent se couper. « C’est la premièrefois que ce type d’objet apparaît en biologie », seréjouit le mathématicien.

UNE AIDE À L’IMAGERIE MÉDICALE Si les liens avec la neurobiologie se renforcentaujourd’hui, c’est en partie grâce aux techniquesd’imagerie qui permettent de voir les neurones“penser”. Des techniques qui sont sous per-fusion des mathématiques appliquées. Et ce, dèsque le patient a placé son crâne dans l’appareild’imagerie : pour pouvoir déduire à partir destrajectoires des particules émises par son cer-veau (des photons pour l’électroencéphalo-gramme ou pour l’imagerie par résonance

magnétique [IRM], des protons pour la tomo-graphie par émission de positons…) les zonesd’émission de ces particules, une opérationmathématique d’inversion est nécessaire. Lessismologues localisent la source d’un séismeà partir des ondes sismiques avec le mêmegenre d’outils mathématiques.L’analyse des images exige elle aussi des mathé-matiques. Car, aussi nettes soient-elles, lesimages obtenues par les IRM et les magnéto-encéphalographies sont muettes. La tache blan-che apparue sur l’IRM est-elle une tumeurbénigne ou maligne ? Impossible à dire à par-tir des seules images. « Le problème, c’est quel’IRM ne donne aucune indication sur des para-mètres physiques tels que la dureté ou la conduc-tion électrique, deux paramètres qui peuvent révé-ler des tumeurs », analyse Habib Ammari, duDépartement de mathématiques et applica-tions de l’École normale supérieure3, qui déve-loppe des modélisations mathématiques etnumériques de nouveaux systèmes d’imageriemédicale. Le même problème concerne en faitun grand ensemble de méthodes d’imagerie.Pour épauler les médecins dans leur diagnostic,

des modèles mathématiques de la réponse des tis-sus cérébraux aux méthodes d’imagerie ont doncété développés. Ils les aident à prédire l’aspectque prennent sur les images les zones patholo-giques. Une autre solution se profile pour amé-liorer les diagnostics : le mariage de techniquesd’imagerie. Avec les équipes de Mathias Fink etde Claude Boccara, physiciens à l’Institut Lange-vin4, à Paris, Habib Ammari et son groupe ontainsi élaboré de nouvelles méthodes d’imageriemêlant l’emploi d’ondes sonores (comme en écho-graphie) et électromagnétiques. Appliquées aucancer du sein, elles possèdent une excellentespécificité. Autrement dit, elles ne donnent pres-que jamais de faux positifs, tout en fournissant desimages d’une netteté incomparable. Dans le futur,des combinaisons similaires de techniques multi-ondes pourraient révolutionner l’imagerie médi-cale. La reconstruction des images étant d’uneprofonde complexité, les mathématiciens serontpartie prenante de cette révolution.

Xavier Müller

1. Laboratoire CNRS / Université Nice-Sophia Antipolis.2. Laboratoire CNRS / ENS Paris / Inria.3. Unité CNRS / ENS Paris.4. Unité CNRS / ESPCI ParisTech / Universités Paris-VI et -VII.

CONTACTSÔ Habib Ammari, [email protected]

Ô Claude Boccara, [email protected]

Ô Pascal Chossat, [email protected]

Ô Olivier Faugeras, [email protected]

Ô Mathias Fink, [email protected]

Le temps de lire cette phrase, votre moelle osseuse aura produit plusieurs millions de cellulessanguines. C’est le phénomène d’hématopoïèse, une machinerie stakhanoviste doublée d’unecomplexité inouïe, qui met en jeu des milliers d’acteurs : gènes, protéines, hormones… D’où ladifficulté pour les biologistes de comprendre les dérèglements de l’hématopoïèse, qui donnent lieunotamment à des leucémies ou à des anémies chroniques (insuffisance de globules rouges). Pour les aider à y voir plus clair, Vitaly Volpert, mathématicien à l’Institut Camille-Jordan1, à Villeurbanne,et ses collègues développent des modèles combinant deux approches mathématiques : les cellulesde la moelle osseuse sont représentées comme de petites sphères au milieu de la matrice extra-cellulaire, considérée, elle, comme un milieu continu où les molécules peuvent diffuser et influencerles cellules. Ainsi, ils ont déjà montré que de multiples dysfonctionnements, qui peuvent en outre êtretrès différents d’un individu à un autre, naissaient d’un même déséquilibre de ce système complexe,ce qui expliquerait la difficulté rencontrée parfois par les médecins pour poser un diagnostic précis. « Nous sommes dans la phase de compréhension de ce qu’il se passe, souligne Vitaly Volpert.À long terme, nous espérons que le modèle aidera à soigner les maladies et à élaborer un traitementpersonnalisé pour chaque patient. »

Xavier Müller

1. Unité CNRS / Université Lyon-I / École centrale de Lyon / Insa Lyon.

Contact : Vitaly Volpert, [email protected]

DE LA COMPLEXITÉ DANS NOS VEINES

s plein les neurones

>Ci-dessus, représentationmathématique d’un typed’activité cérébrale pouvantapparaître spontanément et provoquer une hallucination.

Simulation numérique d’unetechnique d’imagerie médicale

photoacoustique (imageoriginelle et image reconstruite

grâce à la simulation).

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Les séismes ne sont pas les seules catastrophesnaturelles à générer des tsunamis. L’équipe aétudié le cas des glissements de terrain sous-marins qui se produisent dans le fleuve Saint-Laurent, au Québec. Ces glissements soulèventdes hautes vagues qui déferlent ensuite sur lesrivages, inondant les maisons. Avec leur savoir-faire, les chercheurs sont parvenus à produire descartes d’inondation des zones concernées.

Trois recherches, trois exemples où lesmathématiques nous aident à mieuxcomprendre notre planète. La pre-mière est une question de surviepour les populations du Pacifique

et de l’océan Indien, régulièrement endeuillées parles tsunamis. Comment les vagues mortelles nais-sent-elles et se propagent-elles dans l’océan? Peut-on anticiper les inondations qu’elles causent ?Plusieurs groupes de prévention des vagues géan-tes dans le monde disposent de modèles numé-riques d’hydrodynamique pour y répondre. Pro-blème : ces modèles se perdent dans les calculset deviennent muets face à des situations atypiques,comme des lignes de côtes trop déchiquetées ouun fond sous-marin trop accidenté. Le modèlenumérique Volna, développé depuis 2008 parDenys Dutykh et ses collaborateurs du Laboratoirede mathématiques 1 de l’université de Savoie, nesouffre pas de ce défaut. Son secret ? « Notremodèle utilise les dernières avancées du calcul numé-rique qui restaient inutilisées dans ce domaine »,explique le chercheur. Autre avantage, ce modèlereproduit correctement les tsunamis qui se pro-pagent alors que le fond sous-marin est toujoursactif, comme celui de Sumatra en 2004, causé parun séisme qui avait duré 10 minutes.

L’ENQUÊTE26

Quelle est l’importance des mathématiques dans lesentreprises françaises?Maria J. Esteban : Les mathématiques

jouent un rôle fondamentaldans de très nombreux

processusindustriels, même si leur présence est souventinvisible. Dans lepassé, les grandesentreprises avaientdes groupes

importants demathématiciens

identifiéscomme tels

dans leurséquipes

R&D.

Ce n’est plus le cas ces dernièresannées : il y a toujours desmathématiciens, mais en plus petitnombre, et ils jouent trop souvent unrôle d’ingénieurs ou de managers. On a aperçu récemment un changement,car certaines grandes entreprises ont compris que, si elles veulent créerde l’innovation, elles ont besoin demodélisation, d’algorithmes robustes et efficaces et de calculs rapides,c’est-à-dire de mathématiques et demathématiciens.

Pouvez-vous donner des exemples du travail d’un mathématicien dans l’industrie?M. J. E. : D’une manière générale, unmathématicien peut aider à modéliserun problème industriel que l’on veutrésoudre. Il peut également adapterdes algorithmes existants à dessituations nouvelles pour l’entreprise

et garantir que les résultats obtenusseront de vraies solutions, et non desrésultats qui n’auront que peu à voiravec le problème étudié. En outre, un mathématicien s’assurera que lessimulations numériques sontperformantes.

Quelles actions mène la SMAI pour développer les mathématiquesdans l’industrie?M. J. E. : La SMAI organiserégulièrement des journées maths-industrie autour d’un thème précis, par exemple sur l’agroalimentaire, l’acoustique,l’industrie pharmaceutique, la sécurité informatique, le risque, les géosciences… Des industriels y présentent leurs problèmes et leurs besoins. Nous avons ainsi accueilli des représentantsd’Areva, d’EADS, d’EDF, de Sagem,

de France Télécom, etc. La SMAIorganise aussi chaque été le Cemracs,une sorte d’école d’été originale qui fait interagir pendant six semainesdes chercheurs et des industriels.Nous sommes par ailleurs en train de finir la préparation d’un livre blanc sur la valorisation du doctorat de mathématiques appliquées dans l’industrie française. Il y a eneffet un grand besoin de docteursdans les entreprises, mais celles-ci paient mal ces derniers, qui ont pourtant un bac + 8, et pensent prioritairement à engager des ingénieurs.

Propos recueillis par Xavier Müller

1. Centre de recherches en mathématiquesde la décision (Unité CNRS / UniversitéParis-Dauphine).

Contact : Maria J. [email protected]://smai.emath.fr/

Avec ses 1300 adhérents, la Société de mathématiques appliquées et industrielles (SMAI) cherche à encourager le développement des maths appliquées. Sa présidente, Maria J. Esteban, directrice de recherche au CNRS1, nous en dit plus sur les enjeux et les actions menées avec les entreprises.

ENTRETIEN AVEC MARIA. J. ESTEBAN, PRÉSIDENTE DE LA SMAI

Le journal du CNRS n° 245 juin 2010

Bathymétrie

Carte du lit de la rivière Saint-Laurent, au Canada, utilisée parDenys Dutykh lors de l’étude desrisques d’inondations liées à desglissements de terrain fluviaux.

Les maths à l’écoute de la Terre>

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Le journal du CNRS n° 245 juin 2010

L’eau peut aussi dévaster l’intérieur des conti-nents. Même si les conséquences sont moins dra-matiques, le ruissellement de l’eau de pluie surles champs est un fléau pour les cultivateurs etles populations : il peut transporter vers l’avaljusqu’à plusieurs dizaines de tonnes de terrepar an et par hectare, entraînant une baisse nota-ble des rendements agricoles ou générant desinondations et des coulées boueuses. Les mesu-res antiérosion prises depuis plusieurs annéesen France (plantation d’un couvert végétal lesmois sans cultures afin que le sol ne se retrouveà nu, reconstitution du bocage…) sont-elles opti-males ? Le projet Méthode, composé d’hydro-logues, de mathématiciens et de chercheurs enagronomie et en informatique, tente d’y répon-dre en développant des modèles numériquesinédits de ruissellement.

DE PRÉCIEUX ALGORITHMES « La difficulté de simuler l’écoulement d’eau sur uneparcelle provient du fait que la lame d’eau est d’épais-seur comparable (quelques centimètres) avec celledes aspérités du sol », indique Cédric Legout, duLaboratoire d’étude des transferts en hydrologieet environnement2, à Grenoble. La présence de tur-bulences à petite échelle, la division de l’écoule-ment en flaques et la submersion des sillons dusol rendent difficile la prédiction des débits en sor-tie de parcelle. D’où le rôle de simplification

dévolu aux physiciens du groupe, chargés d’iden-tifier les phénomènes prépondérants à une échelledonnée. « Le rôle des mathématiciens est ensuite derendre les algorithmes compatibles avec les simplifi-cations opérées par les physiciens », poursuit le cher-cheur. Afin peut-être, un jour, de corriger les poli-tiques d’aménagement dans un souci de préserverles cultures et les populations des ravages de l’eau.

DES SIMPLIFICATIONS DÉLICATESIl n’est pas toujours possible de dénuder un sys-tème physique jusqu’à l’extrême. C’est le caspour les mouvements de convection au cœur dela Terre, qui produisent, par effet dynamo, lechamp magnétique terrestre. L’origine de cechamp et certaines de ses propriétés – il seretourne en moyenne tous les 100 000 ans –sont encore inexpliquées. « Nous avons une sériede théorèmes mathématiques qui montrent qu’ensimplifiant trop les modèles de dynamo terrestre onne pourra pas apporter de réponses à ces énigmes»,assène Emmanuel Dormy 3, du département dephysique de l’École normale supérieure .Commun à plusieurs laboratoires, le groupe derecherche auquel il appartient étudie des phé-nomènes (la circulation océanique ou atmos-phérique, la dynamo terrestre…) qui mettent enscène des déplacements de matière à différen-tes échelles, mais qui s’influencent mutuellement(les courants marins, les vents…). Les chercheurstentent d’identifier au milieu de tous les pro-cessus en jeu ceux qui peuvent être simplifiéssans pour autant perdre leur richesse.À défaut de pouvoir s’attaquer au problème dela dynamo dans sa globalité, cette équipe s’estainsi focalisée sur le frottement subi par lesmouvements de convection au contact de laparoi externe du noyau terrestre, 3 000 kilomè-tres sous nos pieds. Ce faisant, ils ont établi lerésultat contre-intuitif que le frottement étaitmoindre sur cette surface rugueuse que si lamême surface avait été lisse. C’est en accumu-lant ce genre de résultats que l’on décryptera ladynamo. « Celui qui se perd dans les détails netrouve pas la vérité », a dit un jour un écrivain.Celui-là n’était pas mathématicien.

Xavier Müller1. Laboratoire CNRS / Université de Savoie.2. Laboratoire CNRS / Université Grenoble-I / Institut polytechnique de Grenoble / IRD.3. Directeur de recherche CNRS dans le groupe MAG (ENS / Institut de physique du globe de Paris).

CONTACTSÔ Emmanuel [email protected]

Ô Denys [email protected]

Ô Cédric [email protected]

EN LIGNELe site Images des mathématiqueshttp://images.math.cnrs.fr/

À LIRE> Mathématiques pour le plaisir : un inventaire de curiosités, Jean-PaulDelahaye, Belin, coll. «Bibliothèquescientifique», 2010.

> De grands défis mathématiques :d’Euclide à Condorcet, sous ladirection d’Evelyne Barbin, Vuibert,2010.

> La Géométrie ou le Monde des formes, Benoît Rittaud, Éditions Le Pommier, 2009.

À VOIR> Les vidéos des conférences et tablesrondes du colloque Maths à venir, qui s’est tenu les 1er et 2 décembre2009, à Paris, sont en ligne sur www.maths-a-venir.org/2009/

> Un dossier consacré auxmathématiques et regroupant plusd’une trentaine de films est accessiblesur le catalogue de la vidéothèque du CNRS : http://videotheque.cnrs.fr/

Huit de ces films peuvent êtrevisionnés en ligne gratuitement. Parmi eux :> Mathématiques et physiquequantique (2007, 27 min), réalisé par Didier Deleskiewicz, produit par CNRS Images.> Si Dieu ne joue pas aux dés… saute-t-il à la corde? (2005, 15 min),réalisé par Gilles Sevastos, produit par CNRS Images et CSI.> Alain Connes (2004, 15 min), réalisépar Jean-François Dars et AnnePapillault, produit par CNRS Images.> L’Empire des nombres (2001, 53 min),réalisé par Philippe Truffault, produit par CNRS Images, Arte France, Trans Europe Film etGallimard.> Henri Cartan et le séminaireBourbaki de mars 1989 (2004, 6 min),réalisé par Jean-François Dars et Anne Papillault, produit par CNRS Images.

Contact : Véronique Goret (Ventes), CNRS Images – Vidéothèque Tél. : 01 45 07 59 69 –[email protected]

POUR EN SAVOIR PLUS

Représentation schématique des mouvements de convectionthermique qui siègent à l’intérieurdu noyau fluide terrestre.

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