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Avril 2014
Mtropolisation et dynamique des territoires
Institut Franais dUrbanisme - Dir. Anne Clerval
Edouard Proust & Iris Deniau
Barcelone : lvolution des luttes urbaines au gr
des politiques de dveloppement urbain (1950-2015)
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BARCELONE: LVOLUTION DES LUTTES URBAINES AU GR DES POLITIQUES DE DVELOPPEMENT URBAIN
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Sommaire
Introduction / p.3
1. Une histoire urbaine imprgne des mouvements de rsistance / p.4
1.1. La priode franquiste, entre spculation sauvage et mergence des mouvements sociaux urbains / p.4 1.1.1. La Catalogne comme simple opportunit de profit financier (1re phase des luttes
urbaines : avant 1965) 1.1.2. Des conditions de vie devenues intenables : lmergence dune conscience urbaine
populaire (2me phase: 1965-1975)
1.2. La transition dmocratique : le rle des associations de voisins dans la rnovation urbaine (3me phase : 1975-1986) / p.7 1.2.1. Lintgration des associations de voisins aux projets urbains 1.2.2. Des outils de gouvernance adapts la demande citoyenne: un urbanisme participatif
avant la lettre
2. La prparation des Jeux de 1992 et lrosion progressive des mouvements de rsistance (4me phase : 1986-1992) / p.10
2.1. Un projet long termes visant la cration dun capital urbain/ p.10 2.1.1. Le redploiement de la centralit 2.1.2. Le dveloppement massif des infrastructures
2.2. Des retombes conomiques dexception dans lhistoire qui tendent masquer de graves consquences sociales / p.11 2.2.1. Des retombes conomiques dexception dans lhistoire des Olympiades modernes 2.2.2. Expulsions, hausse de loyers et ingale redistribution des richesses 2.2.3. La dislocation des solidarits populaires
2.3. Ltat dexception mentale li aux JO et la dsintgration des associations de voisins / p.14 2.3.1. Une manifestation temporaire capable dannihiler durablement les idaux 2.3.2. La gense dun projet urbain lisse et consensuel
3. Le tournant libral du projet de ville et lmergence de nouvelles formes de lutte (5me phase : aprs 1992) / p.16
3.1. Laprs JO : une mtropole prise par le jeu de la concurrence conomique mondiale / p.16 3.1.1. La nouvelle politique de dveloppement urbain dune mtropole devenue attractive 3.1.2. Les grands projets de dveloppement lancs aprs 1992 3.1.3. Barcelone prise dans la concurrence internationale
3.2. Les impacts de la politique de mtropolisation sur les quartiers Ciutat Vella et Poble Nou / p.19 3.2.1. La gentrification de Ciutat Vella 3.2.2. La banalisation du paysage urbain de Poble Nou (projet 22@)
3.3. Lmergence de mouvements de rsistance dun genre nouveau: la gurilla de la communication / p.24 3.3.1. Un cadre participatif pens pour satisfaire lintrt de la nouvelle bourgeoisie 3.3.2. La remise en cause de lordre social dominant: quelques exemples de luttes
Conclusion / p.27 Synthse de linteraction entre luttes urbaines et politique de dveloppement urbain: Barcelone la croise des chemins ?
Bibliographie / p.30
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Introduction
Faut-il voir dans les Jeux Olympiques de 1992 la seule cause du rcent renouveau urbain
de Barcelone ?
"Selon une conception assez rpandue, lessentiel dun projet urbain consiste en une opration phare
porteuse dune image forte et qui doit induire un dveloppement conomique, social et urbain acclr. [...]
On peut considrer une telle vision comme trop rductrice. Lexprience barcelonaise, par exemple, sinscrit
bien au-del dun tel contenu." (Sokoloff, 2002)
On a souvent tendance vouer aux Olympiades ayant eu lieu Barcelone en 1992 toute
la primeur du "renouveau urbain" qu'a rcemment connu la ville. Cet vnement nous a
transmis l'image d'une ville transfigure du jour au lendemain. Ce serait pourtant passer ct
d'une ralit riche en enseignements : la capacit des luttes urbaines influencer le destin dune
ville toute entire.
Le projet urbain barcelonais a dbut bien avant la dsignation en 1986 de Barcelone
comme ville organisatrice des Jeux, le Plan Gnral Mtropolitain tant entr en vigueur avec
larrive des socialistes au pouvoir en 1979. Ce projet, dans ses modalits de ralisation, prend
mme racine durant la priode franquiste. Sous la dictature, s'est en effet mise en place, au
milieu d'autres mouvements sociaux urbains, une forme de rsistance d'une longvit hors du
commun dans un contexte politique autoritaire tel que celui-ci : les asociaciones de vecinos. Ces
dernires prendront une importance toute particulire dans la mise en place du projet urbain de
Barcelone. Elles constituent de ce fait un cas de rsistance urbaine unique au monde. (Akors,
2008)
Au regard de la littrature sur le sujet, il apparat galement que le projet menant la
mtropolisation de Barcelone n'est pas linaire et est marqu par une succession de ruptures.
(Sokoloff, 2002) L'exprience mtropolitaine peut alors tre dcoupe sous forme de phases
successives durant lesquelles les enjeux urbains et les modes de faire et dapprhender la ville
apparaissent comme extrmement diffrencis. Pour ces raisons, il nous a sembl intressant
d'tudier l'volution des luttes urbaines survenues Barcelone au prisme du processus
mergent de mtropolisation de la ville. Nous verrons que mouvements de rsistance et projet
de mtropolisation sont intimement lis et simpactent mutuellement, dans un rapport de force
variable. En fin danalyse, nous serons en mesure de rpondre ces questions : Comment le
projet urbain est-il parvenu tirer parti des mouvements de rsistance ? Et pourquoi peut-on dire
que ces mouvements constituent un lment fondamental du processus de mtropolisation ?
La prsente tude s'organise sous forme chronologique, autour de 5 grandes priodes
de luttes urbaines (selon notre propre terminologie). Ces priodes ont t tablies sur la base
dun corpus bibliographique, au croisement des grandes phases de politiques urbaines menes
par la municipalit et des mouvements de rsistance. Le passage dune priode lautre se fait
suite un changement majeur, un point dinflexion dordre politique, vnementiel ou
conjoncturel.
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La priode tudie (plus de 60 ans), permet galement davoir une vision globale et
nuance des dynamiques analyses.
La premire partie correspond aux luttes urbaines durant la dictature franquiste (phase
1 et2 des mouvements urbains) et la priode de transition dmocratique qui commence avec
la chute de Franco en 1975 (phase 3). La seconde partie correspond la priode de prparation
des Jeux Olympiques (1986-1992). Elle montre lrosion progressive des mouvements de
rsistance et lorientation librale que prennent les politiques urbaines (phase 4). Le processus
de mtropolisation, transversal toutes ces priodes et latent durant les premires phases,
s'acclre au fil des suivantes, avec comme principaux points de rupture la chute du rgime
dictatorial et les Jeux Olympiques, vnement ayant contribu propulser Barcelone sur la
scne conomique mondiale. La dernire partie couvre la priode qui sen suit jusqu nos jours
(phase 5). Elle dtail la politique de mtropolisation et illustre ces consquences sociales. Nous
dtaillerons ces dernires au fil de l'tude, au travers notamment de l'analyse spcifique de deux
quartiers que sont Ciutat Vella et Poble Nou. Ces quartiers ont en effet constitu (et constituent
encore) les avant-postes du projet de mtropolisation de Barcelone.
1. Une histoire urbaine imprgne des mouvements de
rsistance
1.1. La priode franquiste, entre spculation sauvage et mergence des mouvements
sociaux urbains
1.1.1. La Catalogne comme simple opportunit de profit financier (1re phase des luttes urbaines
: avant 1965)
L'extension anarchique urbaine, la destruction des centres historiques et la politique de
zonage se sont rpandus dans la majorit des villes europennes aprs la seconde guerre
mondiale. Pour autant, le franquisme a contribu aggraver ces effets ngatifs dans les villes
espagnoles. Le rgime a mis en place une forte rpression politique et sociale envers la
Catalogne, traditionnellement autonomiste, assimile lennemi intrieur. Outre les
bombardements de mars et dcembre 1938 o prirent des milliers d'habitants, le centralisme
autoritaire du rgime franquiste avait dcid de soumettre la Catalogne une forme de non
dveloppement conomique. [...] Jusqu'en 1950, Barcelone sera exclue des programmes nationaux
de reconstruction. (Akors, 2008) Les investissements publics y resteront galement drisoires
tant que durera la dictature.
Jusquen 1976, lEspagne connat un systme centralis concernant les questions
damnagement spatial et urbain. Lamnagement de lespace est alors encadr par la loi de
1956 qui oblige les villes de plus de 50.000 habitants tablir leur charge un plan gnral
damnagement. Nayant pas les ressources financires ncessaires, moins dune commune
espagnole sur dix appliquera la loi, restant ainsi sans garde-fou face la spculation immobilire
galopante. Cest notamment le cas de Barcelone.
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Dans les annes 1950, de nombreux migrants quittent les zones rurales dune extrme
pauvret pour sinstaller Barcelone. La crise du logement qui en dcoule se traduit par une
sous-location massive, un surpeuplement des appartements et l'extension dsespre des
bidonvilles. En 1953, il manquait 100.000 logements. Sur 1.280.000 habitants, 400.000 vivaient
dans des conditions d'habitations anormales. (Akors, 2008) Dans les annes 1960, la ncessit
de rsorber les bidonvilles, de loger une main d'uvre bon march devient une source de
bnfices pour les spculateurs, associs aux grands groupes financiers. Louverture de
l'Espagne sur le march europen et lafflux de migrants pauvres venant du sud du pays
permettront au march de l'immobilier de devenir l'un des principaux secteurs de relance et
d'accumulation. (Akors, 2008) La municipalit s'associera directement avec les investisseurs
privs pour la construction de grands ensembles d'habitat en priphrie. Ces programmes ont
pour principale ambition la collectivisation des dpenses et la privatisation des plus-values
(Henry, 1992). Les amnagements construits taient caractriss par une forte densit btie et
l'absence de tout quipement public, faisant de ces nouveaux quartiers priphriques des zones
de relgation notamment pour la main d'uvre bon march issue de l'immigration. Ce boom de
la construction eu pour consquence llargissement des frontires de laire mtropolitaine et la
naissance de nouveaux quartiers, notamment Nou Barris dont la majorit des habitants tait
dorigine ouvrire. Cette croissance mtropolitaine priphrique (Hache, 2005) sest par
ailleurs droule de manire sectorielle, sans planification globale et sans coordination.
Fig.1 - Un exemple de programme spculatif dhabitat Vall dHebron. (Akors, 2008) Le rsultat: un projet non compos de barres et tours en srie, absence damnits et non termin
Dans le mme temps, l'habitat informel se dveloppait, occupant des terrains
priphriques non urbanisables tel que les pentes de Monjuc ou encore, les bords des voies
ferres: le front Est maritime de la ville, aujourd'hui succession de 4 plages et d'espaces de loisirs,
tait un immense bidonville. (Akors, 2008). La municipalit nayant pas cr de filire ddie au
logement social, les catgories les plus pauvres taient en effet systmatiquement exclues de la
ville.
Lorsque l'Espagne sort de son isolement diplomatique et entame son dcollage
conomique, Barcelone est donc soumise une pure logique de profit, la pratique urbanistique
se rsumant la spculation foncire et immobilire. Il est ici question dune urbanisation
brutale et prdatrice, face laquelle les habitants sadaptent tant bien que mal, notamment par
des rseaux de subsistance: la cration de services collectifs autogrs par les habitants, le
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dveloppement de solidarits entre voisins et le resserrement des liens familiaux. Une capacit
dinitiative habitante et une culture de lentraide qui est au cur des faits urbains qui suivront et
feront de Barcelone une ville part dans lhistoire des luttes urbaines.
1.1.2. Des conditions de vie devenues intenables : lmergence dune conscience urbaine
populaire (2me phase: 1965-1979)
Les conditions de vie sont devenues inhumaines dans les bidonvilles : absence deau courante,
dlectricit, dquipements sanitaires et scolaires. En 1955, les quartiers les plus pauvres et
notamment les baraquas engagent des mouvements sociaux. Lopinion publique partage ces
revendications, ainsi que le monde ecclsiastique. Au milieu des annes 60, plusieurs initiatives
socioculturelles ainsi quun mouvement citoyen de protestation pacifiste se dveloppent
paralllement au mouvement ouvrier. Une mergence rendue possible par l'assouplissement des
mesures d'interdiction du rgime politique qui autorisa (la loi d'Associations civiles de 1964) ou
tolra une certaine libert d'expression dans certains domaines et notamment dans les questions
relatives la politique municipale. (Akors, 2008) Profitant de cette nouvelle rglementation, on
voit apparatre la fin des annes 60 des Asociaciones de Vecinos. Ces associations de voisins
portent lexpression de leur quartier dans le cadre des luttes urbaines contre le laisser faire des
autorits et le pouvoir des grands spculateurs.
Fig.2 - Tracts distribus par les asociaciones de vecinos dans les annes 80
(Stallbohm, 2007)1
L'avant-garde architecturale barcelonaise et une partie de llite cultive prendront
publiquement partie contre la politique urbaine mene, la destruction du patrimoine bti et
soutiendront les luttes urbaines, leur apportant ainsi une premire forme de lgitimit. Dans les
annes 1970, on peut noter que les luttes rassemblaient classes moyennes et couches
populaires, soit une importante majorit des habitants de la ville (Hache, 2005):
- les habitants des quartiers paupriss du centre historique et ceux des zones dgrades,
sous-quipes de la priphrie; principales victimes du systme, ils organisrent les
premiers mouvements revendicatifs urbains
- les habitants des quartiers dcents voire aiss : bien que n'tant pas directement menacs
par la politique urbaine du franquisme, ceux-ci exprimaient des revendications globales en
rapport avec la dgradation des conditions de vie et l'absence de reprsentativit politique.
1 Mariana Stallbohm, 2007, Proyecto de tesis Master Oficial, Programa de Master Oficial Gestin y Valoracin Urbana 2006/2007, Universidad Politcnica de Cataluny. URL: www-cpsv.upc.es/tesis/presentacioPTMR07MarianaStallbohm.pdf
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Au sein de cette catgorie, de nombreux intellectuels et professionnels s'engagrent et leur
rle fut dterminant pour relayer efficacement les revendications populaires.
- les petits propritaires exclus de la spculation immobilire accapare par les grands
propritaires, associs aux principaux groupes financiers; leur mcontentement s'tait
manifest au sein de nombreux comits de dfense de rsidents.
Les associations exprimaient leur dsapprobation au travers dune diversit de modes
d'action. Les grandes manifestations et les grves de loyer taient massives dans les grands
ensembles d'habitat social. Aides par des avocats et des architectes engags, les associations se
lancrent galement dans des procdures judiciaires visant dnoncer nombre de projets
manant de la municipalit et des acteurs privs, ces derniers ne respectant parfois ni la loi ni
les rglements d'urbanisme. Les actions les plus marquantes seront celles des associations de
quartier en lutte contre les constructions des nouvelles voies rapides, rocades et autoroutes
urbaines. Le rseau associatif devint un vritable creuset politique exprimentant des pratiques
de participation populaire. Vecteur du changement socio-politique, il formera " le tissu para
dmocratique". (Akors, 2008)
Fig.3 - La croissance de Barcelone laune des annes 80 (Sokoloff, 1999: 19) Si la population de Barcelone a cr rgulirement par tranches de 250 000 personnes pour chaque dcennie entre 1950 et 1970, passant de 1 276 000 habitants en 1950 1 974 000 en 1970, elle sest stabilise par la
suite, atteignant 1 752 000 habitants en 1981 pour une superficie de 97,62 km.
1.2. La transition dmocratique : le rle des associations de voisins dans la rnovation
urbaine (3me phase: 1979-1985)
1.2.1. Lintgration des associations de voisins aux projets urbains
La chute du franquisme est marque par une mobilisation simultane de tous les milieux
"autour de la tradition autonomiste et de lidentit catalane (Sokoloff, 2002). Les socialistes
arrivent au pouvoir en 1979. Contre toutes attentes, la nouvelle mairie mettra la mobilisation
populaire (devenue une vritable tradition Barcelone) et ses revendications au cur de son
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projet urbain. Il faut dire que les groupes de citoyens, et notamment les asociaciones de vecinos
qui ont acquis au fil du temps un poids important auprs de la population locale durant la
dictature, oprent une pression importante sur la municipalit. Les lus consultent alors
activement les citoyens et les grandes lignes du projet de dveloppement urbain seront
labores au travers dune plateforme lectorale (Sokoloff, 2002). Cela permet notamment au
projet dobtenir un large consensus, favorisant la rlection des socialistes deux reprises (en
1983 et 1987) et la prolongation du projet urbain pendant prs dune dcennie.
Une institutionnalisation progressive des pratiques damnagement aura lieu. Ainsi,
lactivisme citoyen dans un contexte de forte mobilisation va peu peu perdre de son caractre
subversif. Dans le mme temps, la ralisation rapide des projets de quartiers, qui va apporter
une forte lgitimit au tandem politiciens/professionnels de lamnagement, mnera une
rorganisation des services municipaux. Ce changement offrira notamment aux lus plus de
marge de manuvre et aux professionnels plus dautonomie daction.
1.2.2. Des outils de gouvernance adapts la demande citoyenne : un urbanisme participatif
avant la lettre
Les deux grands outils daction des pouvoirs publics dalors sont le Plan Gnral
Mtropolitain (PGM) et les plans partiels territorialiss. Le PGM est labor en 1976 avec la
vocation de dfinir une grande planification urbaine. Celle-ci sera critique par les architectes du
fait dune trop grande rigidit et de son caractre fonctionnaliste, notamment Oriol Bohigas,
alors directeur des services de lurbanisme et chantre du rgionalisme critique.2 La priorit
tait donne aux endroits les plus dans le besoin et capables de crer un effet d'entranement
local (des effets bnfiques plus large chelle). Les plans de quartiers raliss taient de 3
types. Les premiers avaient pour objectif de requalifier de manire douce les tissus anciens
dgrads, comme par exemple la Ciutat Vella. Il sagissait des PERI (Plans Spciaux de
Rhabilitation Intrieure). Les seconds, les Plans Spciaux de protection (PS) visaient les
quartiers dans lesquels la qualit de vie tait correcte, notamment lEixample. Il sagissait dans
ce cas de prserver le tissu et son identit. Enfin, un dernier type de plans de quartiers ciblaient
les priphries modernes soumises la spculation immobilire durant la dictature. Il sagissait
dans ce cas de palier un manque dquipement et daccessibilit, de crer des conditions de
sociabilit mais aussi une identit au quartier. (Sokoloff, 1999)
Cette logique de projet, marque par un fort ancrage dans le lieu et le respect des tracs
historiques, va de pair avec un contexte de conjecture conomique difficile. La municipalit
montre ainsi une forte capacit rpondre aux besoins des habitants. Lobjectif de ces projets,
largement aids par limplication des intellectuels et professionnels de lamnagement de
lpoque, tait dharmoniser rapidement la qualit de vie entre les diffrents quartiers de la ville.
On y ralisa des quipements en tous genres ainsi que des espaces collectifs. Cest donc cette
poque que commencent voir le jour les places qui font aujourdhui la rputation de Barcelone
2 Le rgionalisme critique est une approche architecturale engage qui sest efforce de lutter contre lindiffrence provoque par larchitecture moderne en linscrivant dans son contexte, quil soit culturel, topographique, climatique, etc. Pilier de larchitecture catalane, Oriol Bohigas fut directeur de l'cole d'architecture de Barcelone de 1977 1980, directeur des services de lurbanisme de Barcelone jusqu'en 1984, puis conseiller municipal de la culture. Finalement dsign matre doeuvre de la ville olympique, O. Bohigas est lune des personnalits ayant un impact majeur sur la ville depuis la transition dmocratique jusquau coup denvoi des olympiades de 1992, comme en attestent ses cent projets pour changer Barcelone (Bohigas, 1985). Il partageait une conception sociale de la ville et du projet urbain, tourne avant tout vers les classes populaires. Voir ce propos lentretien avec Bohigas dans La ville: six interviews d'architectes dO. Fillon, (1994, URL: goo.gl/qBKMmQ).
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en termes despaces publics (Cohen, 1998): aration des tissus urbains sur densifis et
insalubres via la destruction stratgique de certains btiments, rduction de la circulation
automobile dans les tissus anciens, etc.
Durant cette priode, le projet de dveloppement urbain donne clairement la priorit
aux objectifs sociaux plutt quaux injonctions conomiques. Associations de quartiers, classes
populaires, lus et professionnels uvrent dans un objectif commun damlioration gnrale de
la qualit de vie, sans prfrence de quartier. Mme si ce descriptif peut paratre idaliste, la
littrature sur cette priode converge vers ce constat. La preuve que besoins des habitants et
projets urbain des dirigeants ne sont pas forcment.
Fig.4 - La carte des PERI, au dbut des annes 80 (Sokoloff, 1999: 38)
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2. La prparation des Jeux de 1992 : le tournant libral de la
politique de dveloppement urbain (4me phase : 1985-1992)
2.1. Un projet long terme visant la cration dun capital urbain
2.1.1. Le redploiement de la centralit
En 1986, Barcelone est dsigne comme ville organisatrice des Jeux Olympiques de
1992. Le choix du CIO avait avant tout t motiv par lambitieux projet de restructuration
urbaine imagin par la ville, qui se basait sur un principe de redploiement de la centralit au-
del du centre traditionnel quest Ciutat Vella (Sokoloff, 2002).
Ce projet nest pas antagoniste avec celui de la phase prcdente. En ralit, cette
priode connat la ralisation simultane des deux projets : Claude Sobry3 qualifie la dmarche
urbanistique alors mise en uvre dexemplaire de la volont de mler, dans la mesure du
possible, projet de ville et projet urbain. (Augustin, 2008) La volont de diffusion de la centralit
est galement rapprocher de la vision dquit qui avait prvalue llaboration des premiers
plans de quartiers de la phase prcdente. Il sagit de mettre niveau certains quartiers
priphriques par rapport au centre de la ville dans une optique plus entreprenante cette fois-ci,
plus radicale. On passe des projets de plus grande chelle, raliss en priorit sur les friches
industrielles et faisant davantage appel la planification au travers dune logique de zonage. On
sloigne donc de la proximit au lieu pour une logique de sites pralablement dlimits. Un
partenariat public-priv de grande ampleur est mis en place et finance du budget olympique
(Brunet, 1993).
Les Jeux Olympiques constitueront un puissant levier de dveloppement des nouvelles
centralits. Comme nous lexplique J-P. Augustin (2008), la plupart des quipements sportifs
prvus pour les Jeux taient regroups dans 4 sites distincts, situs aux quatre coins de la ville
en des points destins faire natre de nouveaux ples urbains, autour dune mixit dactivits et
dquipements sportifs majeurs.
La colline de Monjuc constituait le plus important des sites olympiques. Le second site,
dvolu linstallation du village olympique, tait pour sa part situ le long de la mer, l'Ouest du
quartier populaire de San Mart.4 Lemplacement avait cependant une vocation plus large, le
principal objectif de la rnovation urbaine au niveau du village olympique tant d'ouvrir sur la
mer une ville qui auparavant lui tournait le dos. Le projet prit rapidement lallure d une
importante opration de rnovation littorale qui entrana la destruction dun quartier ouvrier.
(Augustin, 2008) Cette destruction provoqua de vifs dbats entre les tenants dun courant plus
fidle lhistoire et les partisans du redveloppement des sites en fonction de leurs nouvelles
vocations (Sokoloff, 2002) et constituera, avec la transformation du vieux port en une
imposante esplanade, les principales critiques formules lencontre dOriol Bohigas5 et son
quipe. A lendroit du quartier ouvrier de San Mart et dans prolongement, 2000 logements
furent construits, ainsi que deux tours (un htel de luxe et des bureaux), le Palais des congrs,
un nouveau port de plaisance et un parc. Aprs les Jeux, le quartier devint la proie du tourisme
3 Cit par J-P. Augustin (2008): SOBY Claude, 1993, Les grandes manifestations et installations sportives prtextes lamnagement du territoire, Hommes et terres du Nord n2, p. 69-73. 4 Soit l'emplacement du bidonville historique de Barcelone 5 Voir note n2 page 8.
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mondial, avec la gentrification du quartier comme principale consquence et le pass populaire
de ce dernier devint un lointain souvenir. On peut aujourdhui lire sur un site touristique que "la
construction du Village Olympique a permis Barcelone de disposer enfin dune plage. Cette zone
est un aimant touristes grce ses bars, ses restaurants et botes de nuit.6 Il serait cependant
inexact de penser que ce rsultat est luvre du hasard. En effet, comme lcrit K. bernardi
(2010): Paralllement lamnagement du front de mer, la Municipalit va profiter des Jeux
Olympiques de 1992 pour moderniser et scuriser les quartiers historiques de la ville, lexemple
du Raval , afin den faire des lieux touristiques incontournables, gnrateurs du dveloppement
conomique et social. Lattractivit touristique tait donc bien une volont des pres du projet
urbain attenant aux Olympiades. Une autre des multiples volutions de politique des architectes
de lpoque, avec un projet dsormais non plus seulement destin aux seuls habitants, mais
aussi tourn vers d'hypothtiques futurs rsidents ou visiteurs.
2.1.2. Le dveloppement massif des infrastructures
Ds la candidature de Barcelone aux Jeux Olympiques, Les projets urbains entrepris sont
perus comme loccasion dune modernisation capable de bouleverser la ville en favorisant
lexpansion conomique et la mutation du tissu social." (Augustin, 2008). Ce changement de
politique vient essentiellement de la progressive monte en puissance des investisseurs privs
dans les dcisions damnagement, et de l'essoufflement des associations de voisins (nous
reviendrons sur ce point dans les pages suivantes). Ainsi, la prparation des Olympiades est
marque par le lancement de grands travaux dinfrastructures : un anneau priphrique semi-
souterrain qui relie les sites olympiques est cr, tandis que le rseau ferroviaire et laroport
sont redvelopps. Au final, ce seront moins de 15% de linvestissement total7 qui seront ddis
la stricte organisation des jeux, le reste tant utilis pour amliorer l'infrastructure urbaine.
(Brunet, 2012: 221) Il est par exemple dit quavant les Jeux, Barcelone consacra en huit ans
autant dinvestissements aux infrastructures quau cours des cinquante annes prcdentes.
(COHRE, 2008) On lit bien ici, la conception utilitariste de l'vnementiel, prtexte la
formation dun capital fixe pour la ville, rutilisable par les gnrations futures. Les grands
gagnants des Jeux furent surtout les investisseurs privs au travers de la hausse programme
des loyers qui suivit lannonce de Barcelone comme ville organisatrice.
2.2. Dimportantes retombes conomiques qui tendent masquer de graves
consquences sociales
2.2.1. Des retombes conomiques dexception dans lhistoire des Olympiades modernes
Les JO de 1992 furent un succs financier, avec un budget quasi quilibr lors de
lvnement et des retombes conomiques long terme: La venue des Jeux Olympiques a
incontestablement servi de tremplin une ville transforme, poumon conomique de lEspagne et
quatrime ville daffaires dEurope. Mais au-del de la seule ville de Barcelone, cest lensemble de
lEspagne qui a surf sur la vague olympique en 1992. (Bernardi, 2010) Une grande rflexion
6 Barcelonapoint.com, "Sant Mart, un quartier innovant", 3 Juin 2014. URL: www.barcelonapoint.com/fr/blog/visites-et-circuits/lieux-interet/sant-marti-un-quartier-innovant 7 Le budget total octroy aux Jeux de Barcelone se monte 9,38 milliards de dollars d'investissement (1.120 milliards de pesetas), soit 2 fois plus que pour Sydney 8 ans plus tard, environ 1,6 fois moins quAthnes 2004 et Londres 2012 et 4 fois moins que Pkin en 2008. (Calculs effectus daprs les chiffres accessibles cette page: http://jeuxolympiques-jo.e-monsite.com/pages/page-2.html)
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avait t mene sur la rutilisation des infrastructures aprs les JO (tel que le village olympique
en logements) et le calibrage des infrastructures sportives selon les besoin prvus de la
population. Les Jeux de 1992 sont aussi la conscration du financement par partenariat public-
priv. A cet gard, le projet urbain olympique est symptomatique du nouveau penchant libral
des politiques urbaines de la 4me phase de mtropolisation que nous avons dcrites
prcdemment. Les retombes conomiques positives sur le long terme sont principalement
issues de la grande attractivit qua connue la ville au lendemain de la dsignation de Barcelone
comme ville organisatrice. Une attractivit touristique mais aussi entrepreneuriale, avec une
hausse des investissements privs. Des consquences double tranchant comme nous allons le
voir.
En 2012, Maite Fandos, maire-adjointe de Barcelone, tait fire de dclarer propos des
Jeux de 92 que cela nous a placs sur la carte du monde du point de vue sportif. [...] Le plus
tonnant cest cet impact des Jeux Olympiques, non seulement en termes de manifestations
sportives mais aussi de rgnration urbaine. [...] Ils ont permis la cration dun nombre important
demplois pour la population locale. [...] Aprs ce qui sest pass ici en 1992, Barcelone est la source
dinspiration pour toute cit qui souhaite organiser les Jeux Olympiques !8 En effet, Barcelone est
devenu rapidement, le modle par excellence de dveloppement urbain et conomique par
l'vnementiel... mme si aucune ville organisatrice n'est jusqu' aujourd'hui parvenue faire
davantage des Jeux qu'un gouffre financier pour la collectivit9 et un acclrateur de l'ingale
rpartition sociodmographique l'chelle mtropolitaine. (COHRE, 2008)
2.2.2. Expulsions, hausse de loyers et ingale redistribution des richesses
Malgr les retombes conomiques positives, le changement de paradigme des
politiques damnagement via la prparation des Jeux Olympiques sont lorigine dun certain
nombre de consquences sociales et urbaines ngatives. Ces effets collatraux sont
principalement lis larrive massive d'investisseurs dans la ville, attirs notamment par les
importantes dpenses annonces, notamment en termes de construction. Certains disent que les
Jeux, mme sils pouvaient paratre sduisants sur le papier, consistaient dans les fait faire
entrer le loup dans la bergerie. Ds l'annonce de la victoire de Barcelone, le capital international
s'intressa cette mtropole, certes peu importante sur l'chiquier europen compare Londres,
Paris, Madrid, mais qui prsentait le considrable avantage d'tre, outre l'organisatrice des
prestigieux et mdiatiques Jeux Olympiques, une des moins chres d'Europe. (Akors, 2008)
Lannonce des Jeux eut ainsi pour effet immdiat une hausse du prix du foncier, et donc des
loyers: En 1992, les JO de Barcelone ont eu un impact ngatif sur la disponibilit et le cot du
logement. Dans un contexte de rduction de lintervention de ltat dans le secteur du logement, les
JO exacerbrent les effets de la privatisation. Les prix du logement la location et la vente
augmentrent respectivement de 145 et 139 % entre 1986 et 1993, faisant suite une baisse
globale de 75,92 % entre 1986 et 1992. Le secteur de la construction battit tous les records de
8 Citation issue du site officiel des Jeux: www.olympic.org/news/la-tenue-des-jeux-olympiques-de-1992-a-totalement-transforme-barcelone/168379 9 Des tudes montrent que le lien entre vnement et retombes conomiques n'est pas vrifi. (Weinmann & Monnin, 1999) Notons dailleurs ce sujet le point de vue de Victor Matheson, conomiste spcialise dans les questions ayant trait aux vnements sportifs: "Mon premier conseil pour n'importe quelle ville qui souhaite soumettre sa candidature aux Olympiades est de s'enfuir au plus vite !" (Washington Post, 2013) Et ce ne sera pas Tessa Jowell, Ministre britannique en charge des JO de Londres 2012, qui affirmera le contraire: "Si nous avions su ce que nous savons maintenant, aurions-nous postul pour accueillir les Jeux Olympiques? Il est quasiment certain que non." (Le Monde, 2008)
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croissance dans les annes prcdant les Jeux. La construction de logements neufs augmenta de 101
% entre 1986 et 1992. (COHRE, 2008)
Fig. 5 - La hausse des loyers survenue Barcelone ds lannonce ds 1986. (Brunet, 1993: 17)
Un autre trait bien connu des Jeux Olympique consiste en la multiplication des
procdures dexpulsion: Ces 20 dernires annes l'amnagement du territoire li l'accueil des
Jeux Olympiques dans les diffrentes villes a entrain le dplacement de plus de 2 millions de
personnes, principalement des populations pauvres, des sans-abris ou des minorits ethniques. 10
Et sur ce point, Barcelone ne drogera pas la rgle, bien au contraire, elle marquera le record
dexpulsions raliss jusquici dans le cadre de lorganisation dOlympiades. (COHRE, 2008)
2.2.3. La dislocation des solidarits populaires
Finalement, hausse des loyers et procdures dexpulsion, ont eu pour consquence un
renouvellement de la population dans les quartiers populaires de la ville, avec un dplacement
des classes les moins aises en priphrie. Ce dplacement soudain a dtruit les liens de
voisinages et les rseaux dentraides mis en place de longue date. Une disparition qui,
additionne aux implications psychologiques issues du dplacement forc (perte des repres et
sensation de dracinement), est capable de produire des parcours dramatiques pour certains
mnages. Des consquences dautant plus marques chez les minorits ethniques, les
travailleurs de rue (le commerce informel ou du sexe) et les personnes fragiles (handicaps
physiques ou mentaux, personnes ges, enfants). A Barcelone, durant la priode prolympique,
le groupe le social le plus violemment touch par les expulsions fut celui des personnes ges.
(COHRE, 2008)
Pour les promoteurs, les banques, les hommes d'affaire catalans et espagnols, les JO tait
considrs comme un horizon radieux de profits inestimables. Les dirigeants de leur ct, pavs
de bonnes intentions en voyant dans ce nouvel apport financier lopportunit exceptionnelle
damliorer les zones dgrades de la ville, habites par le proltariat et les populations les plus
prcaires, pensaient alors tre en mesure de canaliser toute la puissance financire des groupes
capitalistes, force de consensus, de rgles, dans un projet de ville rpondant l'intrt gnral.
10 Citation issue de: NINNIN Justine, 2014, Le rve carioca : entre planification urbaine et dplacements forcs de population, L'Espace Politique 22. URL : http://espacepolitique.revues.org/2950. Le chiffre de 2 millions est tir de ltude du COHRE (2008).
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(Akors, 2008) Malgr tout, les intrts privs prirent rapidement le dessus et les verrous
rglementaires contre la spculation finirent par sauter les uns aprs les autres.
Certains visionnaires avaient vu venir trs tt ces consquences regrettables la tenue
dans la capitale catalane des Jeux Olympiques. Cest notamment le cas de M. Vzquez Montalbn
(1987) qui, dans son ouvrage Barcelonas, formule sa pense dune manire quasi prophtique:
Tout indique que la Barcelone qui se dtruit et qui se construit est guide par le dsir
inavou d'liminer presque entirement ce qui avait fait d'elle une ville ouvrire et littraire. [...]
Barcelone dtruit les traces archologiques de la lutte des classes, disperse ses quartiers
rsidentiels ou les ramnage pour nouveaux riches, tranche dans le vif de ses chairs marginales et
les relgue la priphrie, dsinfecte ses gueux au point d'en faire de risibles fantmes hantant les
labyrinthes que crent les bulldozers. La culture de l'emballage et du simulacre domine la
rinauguration d'une ville qui s'ouvre la mer et aux exterminateurs de toutes ses bactries.
J'ignore qui mettra en littrature cette ville de yuppies, partages entre penseurs organiques du
nant et du pas grand-chose, peuple d'employs en transit et de fast-foods opulents.
2.3. Ltat dexception mentale lie aux JO et la dsintgration des associations de
voisins
2.3.1. Une manifestation temporaire capable dannihiler durablement les idaux
La politique urbaine mene durant la priode prolympique est de moins en moins
populaire. Comment expliquer ce changement ? Et pourquoi les habitants et les associations de
voisins ne firent entendre leur voix comme par le pass pour dnoncer ces injustices ?
La thse de l tat dexception mentale lie aux grands vnements, dveloppe par
Centre on Housing Rights and Eviction (2008), aide expliquer ce phnomne. Il est dcrit ainsi:
Une sorte d tat dexception mental accompagne en gnral lannonce de la slection
de la candidature de la ville aux JO. Cette opportunit est considre comme tellement importante
pour la ville quelle rclame ou justifie des mesures dexception pour se concrtiser. Dans ce
contexte, la population et ses dirigeants acceptent plus facilement une simplification des
procdures, la limitation des droits et autres mesures juges ncessaires pour tenir le calendrier
et mettre de lhuile dans les rouages. [...] . Dautres mesures dexception peuvent abaisser le niveau
de protection des locataires, modifier les rgles durbanisme et de chantiers et limiter les droits
civiques. (COHRE, 2008)
Lchance rapproche joue galement en la faveur de ces mesures exceptionnelles: il
faut agir vite! Par dfinition, la prparation des Jeux apparat antagoniste une production
urbaine naturelle, qui est cense stablir sur le temps long ( limage de la ville mdivale,
constitue par strates temporelles successives). Au contraire, cet vnement dans ses acceptions
urbanistiques, semble avoir t pens pour permettre la concentration du surproduit
capitalistique dans les villes organisatrices (Harvey, 2008) au travers de la ralisation des
infrastructures ncessaires au droulement de la manifestation. Les mesures mises en place
dans le cadre de lvnement serait donc invitablement contre-nature, et par extension,
brutales et antipopulaires. A lannonce de lchance rapproche, les architectes barcelonais,
Oriol Bohigas en tte, pourtant acquis la cause populaire, firent alors le choix dune petite
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BARCELONE: LVOLUTION DES LUTTES URBAINES AU GR DES POLITIQUES DE DVELOPPEMENT URBAIN
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entorse au rglement en laissant entrer les investisseurs dans leur ville. Ce fut l une erreur car
ces derniers nen ressortirent jamais plus.
2.3.2. La gense dun projet urbain lisse et consensuel
Anita Beaty (2007) va jusqu parler d tat hypnotique: (2007): La logique olympique
[] sinsinua mme chez les lus municipaux progressistes. Ils acceptrent des exceptions du type
juste pour les Jeux ou on peut bien le tolrer pour quelques semaines . La frnsie tourna au
patriotisme, et les gens qui normalement se souciaient de la ralit de la vie urbaine taient comme
sous hypnose. 11 Et cet tat dhypnose, aussi appel fivre olympique et qui croit au fur et
mesure que lvnement se rapproche, semble avoir aussi gagn la population catalane. A ce
propos, E. Ngrier et M. Toms (2003) rvlent Barcelone lusage historique de lvnement
urbain comme manire de suspendre temporairement les clivages politiques habituels. Mme si
les avis seront partags en ce qui concerne le caractre volontaire (ou non) de lutilisation de
lvnement pour supprimer les oppositions au projet urbain, force est de constater que
Barcelone est marque depuis plus dun sicle par la production, intervalles rguliers, de
manifestations dont le but est de stimuler la convergence dintrts contradictoires autour dun
projet collectif : les expositions universelles de 1888 et de 1929 ciblent cet au-del des oppositions
politiques (entre niveaux de gouvernement, mais aussi entre classes sociales). Les Jeux de
Barcelone sinscrivent dans cette logique: Un mme esprit sempare du collectif de gestion des
Jeux olympiques de 1992, o convergent les niveaux politiques et intrts organiss autour dun
projet de refondation urbaine. (Ngrier & Toms, 2003)
Finalement, il semble admis que lolympiade de 92 autorise des ngociations et
compromis impossibles dans le quotidien de laction publique. (Ngrier & Toms, 2003) Les
associations de voisins notamment, nafficheront pas dopposition particulire llaboration du
plan urbain li aux Jeux, faisant de ce dernier un projet totalement consensuel. Cette position
participa leur dsintgration progressive durant la priode 1986-1992, leur apport (et donc
leur raison dtre) rsidant principalement dans leur retour critique concernant le projet de
dveloppement urbain. De mme, elles furent victimes de leur passage de la clandestinit la
lgalit durant le dbut des annes 80: la "Dmocratie relle" a en effet remplac les structures
informelles et volontaires, qui furent efficaces parce que trs proches de la base, par le systme des
partis politiques, qui en sont, l'inverse trop loigns. Avec l'absorption du personnel associatif par
les partis politiques, un affaiblissement de la participation s'est produit. Enfin, les effets
sociodmographiques voqus plus haut, que les JO eurent sur les quartiers populaires,
marqurent un coup darrt aux associations de rsidents. Toute cette priode est ainsi marque
par une baisse de lengagement citoyen dans la ville et par labsence dobjection des diffrents
acteurs au projet Olympique (il sagit davantage ici dun dsintrt que dune vritable
adhsion). "Les naufrags du Titanic s'accrochrent l'espoir olympique, comme si l'on pouvait
vampiriser la musculature des athltes afin de rgnrer celle, fatigue, de la gnration du
changement, crira Manuel Vzquez Montalbn propos de cette priode.
11 Il est ici question dun groupe de travail sur les sans-abri dans le cadre de la prparation des Jeux dAtlanta.
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3. Le tournant libral du projet de ville et lmergence de
nouvelles formes de lutte (5me phase: aprs 1992)
3.1. Laprs Jeux Olympiques : une mtropole prise par le jeu de la concurrence
conomique mondiale
3.1.1. La nouvelle politique de dveloppement urbain dune mtropole devenue attractive
Les effets des Jeux Olympiques se firent sentir instantanment. En attestent notamment
les chiffres lis au tourisme ou encore lvolution des emplois crs. (Brunet, 2012) En 2005, la
province de Barcelone tait la plus densment peuple dEspagne aprs Madrid. En 2010, date
laquelle la population se stabilise dans la ville-centre pour avant tout se concentrer en
priphrie, on dnombre 1 595 110 habitants Barcelone et 3 186 461 rsidents de lAire
mtropolitaine (regroupant 36 communes). La ville concentre aujourdhui 22,1% de la
population de Catalogne (OPALE, 2010)
Bien entendu, la fulgurante monte de la mtropole catalane sur la scne internationale
est moins lier aux Jeux Olympiques qu certaines de ses caractristiques intrinsques, source
dattractivit latente : les JO, sorte de catalyseur, permirent seulement de faire connatre au
monde ces caractristiques. On en dnombre trois principales, que sont la situation
gographique stratgique de la ville, les nouvelles politiques urbaines forte tendance librale
et la qualit de vie de Barcelone. Dans ce paragraphe nous parlerons cependant principalement
de la nouvelle orientation des politiques publiques, largement axes libral. Pour ce qui est de
la position stratgique de la ville, notons simplement que celle-ci est situe en position mdiane
sur larc mditerranen latin (OPALE, 2010: 14). Ce qui en fait un secteur logistique cl, une
plaque tournante pour le commerce mondial (la logistique reprsente environ 10% du PIB de
la ville aujourdhui). Les capacits et la qualit de ses infrastructures portuaires12 et
aroportuaires, ainsi que la trs bonne connectivit entre port et aroport jouent aussi un rle
certain. (OPALE, 2010)
Mais au-del de laspect commercial, Barcelone sest fait une place auprs des plus
grandes mtropoles mondiales dans le secteur tertiaire. La ville, en bonne comptitrice de la
concurrence conomique mondiale a galement mis tout en uvre pour rendre sa bourse
historique comptitive sur le march international.13 Ce nouveau destin, Barcelone le doit
principalement une nouvelle orientation de la politique urbaine, laccent libral trs
prononc.
On note plusieurs grands traits de la politique de dveloppement urbain de cette phase.
(Sokoloff, 2002)
Les enjeux conomiques deviennent de plus en plus dterminants dans la politique
urbaine mene par la municipalit : les projets damnagement urbain sont dsormais perus
12 On parle ici des ports de Barcelone et de Tarragone. 13 La Bourse de Barcelone, officiellement inaugure en 1915 et enrichie dun nouveau sige en 1994 (le Parquet Electrnico de la Bolsa de Barcelona" situ sur le Passeig de Gracia) prend rellement son envol en 2002 avec la cration du groupe Sacs y Mercados Espaoles (BME): Iberclear sunifie aux autres marchs espagnols dans lobjectif affich d atteindre une comptitivit maximale. Il sagit galement de permettre aux marchs espagnols de sattaquer avec succs aux nouveaux dfis issus du contexte de mondialisation et d'internationalisation des marchs. La puissance conomique barcelonaise constituera dsormais le fer de lance de ce combat. (Borsa de Barcelona, Historia de la Bolsa de Barcelona. URL: www.borsabcn.es/htm/esp/BBarna/Historia/historia.aspx)
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avant tout comme un outil de dveloppement conomique et raliss dans une logique de
rentabilit. La ville cherche relancer son conomie et aspire dsormais jouer un rle de
mtropole europenne. Le projet de dveloppement passe ainsi une chelle encore plus large :
Barcelone mise dsormais sur sa position dans une microrgion allant de Montpellier Valence,
couvrant ainsi louest de laxe mditerranen (fig. 6).
Fig. 6 - Situation de Barcelone sur larc mditerranen (OPALE, 2010: 25)
Les acteurs privs ont dsormais linitiative. Aprs 1992 les rapports de force entre
acteurs sont de plus en plus lavantage du priv. Des concessions importantes sont faites par la
ville lors des ngociations, concernant la forme mais aussi la nature des projets. Lobjectif qui
prside la programmation et planification des nouveaux projets damnagement et de
renouvellement urbain, savoir la maximisation des profits, fait exploser la taille des oprations
ralises. On est ici bien loin du projet pointilliste de requalification des quartiers de lcole
catalane de la 3me phase durbanisation (1975-1986) et qui a fait de Barcelone une Mecque
pour toute une gnration darchitectes et durbanistes.14 Au contraire, durant les 4me et
5me phases de dveloppement urbain, on passe progressivement dune approche stratgique
une approche purement gestionnaire (Sokoloff, 2002).Les oprations de ramnagement
sont morceles, sorte de patchwork urbain, malgr l'effort constant de prservation des
continuits spatiales.
3.1.2. Les grands projets damnagement lancs aprs 1992
Suivant ces nouvelles orientations, la priode qui suit les Jeux Olympiques voit
lmergence de deux grands projets urbains. Pour consolider de la ville existante de grands
projets culturels sont mis en place, notamment Ciutat Vella, quartier trs pris par les
touristes. Cela a tendance prolonger le processus de gentrification qui stait empar du centre
ancien ds la phase durbanisation prcdente (Minassian, 2009). Le Village Olympique est
reconverti en quartier dhabitations (ce qui marque une tape dcisive dans la reconqute du
14 Une rflexion mise par Ariella Masboungi, dans une confrence mene lcole de Chaillot en 2009: MASBOUNGI Ariella, 2009, Faire un projet urbain, cest prendre un risque, La question du projet urbain dans les villes europennes, Cours Publics 2009-2010: Cit de lArchitecture et du Patrimoine. URL : www.citechaillot.fr/fr/auditorium/cours_publics_dhistoire_de_larchitecture/4e_session_2009-10/2540-19_la_question_du_projet_urbain_dans_les_ville_europeennes.html
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front maritime) dans le cadre dun important projet de renouvellement urbaine sur toute la
partie orientale de la ville (Sokoloff, 1999).
Fig. 7 - Les projets engags lEst de Barcelone depuis 2004 (Ajuntament de Bcn, 2011)15
Ce projet de renouvellement est constitu de 3 grands sites:
- le projet Forum 2004 sur le front maritime Est pour doter la ville des quipements
ncessaires au Forum Universel des Cultures en 2004.
- le projet, Sagrera AVE, au Nord, dune superficie de 164 hectares, prvoit la cration
dune nouvelle gare TGV de 48 hectares de de parcs et de 20ha dquipements.
- Le projet @22, pens pour devenir le fer de lance de la transition conomique post-
industrielle de la ville, lheure de lhgmonie de l conomie de la connaissance. (cf.
p.23). Initi en 2000, il vise rhabiliter le site industriel dsaffect de Poble Nou pour
en faire un quartier daffaires
tourn vers lindustrie et les
services du savoir ." (OPALE,
2010)
Ces trois sites (Forum
2004, Sagrera AVE et 22@)
ont cependant t penss
pour sinscrire dans un projet
dencore plus grande
envergure, dpassant les
limites communales cette
fois-ci: le Barcelona
Economic Trinagle (BET).
Soit un triangle constitu de
ples de comptitivits
15 Lien vers le diaporama: www.brookings.edu/~/media/research/files/papers/2011/6/barcelona-metro-innovation/06_barcelona_22_presenation.pdf
< Fig. 8 - Le Barcelona Economic
Triangle (OPALE, 2010: 25)
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tertiaires et hautement connects aux grands hubs internationaux (ports et aroport).
3.1.3. Barcelone prise dans la concurrence internationale
Finalement, la politique mene par Barcelone ressemble sy mprendre celle des
autres mtropoles mondiales : une politique axe sur lconomie tertiaire, moins dans lintrt
de ses habitants que dans celui de groupes sociaux et firmes extrieures la ville. Comme le
rsume B. Sokoloff (2002), on est pass depuis 1986 dune politique de rpartition sociale une
politique de rentabilit conomique, dun amnagement de proximit une logique urbaine
globale, dune mdiation institutionnelle une logique dacteurs. On parle bien ici de politique
de mtropolisation, lobjectif tant de grimper dans lchelle de la comptitivit conomique
internationale, quels quen soit les moyens. Le pari est atteint puisque lconomiste catalan F.
Brunet (2012) estime que Barcelone est passe en peine 20 ans (de 1990 2010) de la 23me
la 4me place des villes les plus influentes sur le march europen. Juste derrire Londres,
Paris et Francfort et devanant des capitales telles que Berlin ou Madrid.
3.2. Les impacts sociaux et paysagers de la mtropolisation sur les quartiers Ciutat
Vella et Poble Nou
Nous allons maintenant les dcrire plus prcisment les consquences de cette politique
de mtropolisation au travers de ltude de deux quartiers : Ciutat Vella en ce qui concerne le
processus gentrification et le nouveau quartier 22@ afin de dcrire la banalisation du paysage
urbain qui se dveloppe Poble Nou.
Fig.9 - Situation des zones tudis: Ciutat Vella et Poble Nou (projet 22@) (ral. E. Proust)
3.2.1. La gentrification de Ciutat Vella
Le district de Ciutat Vella ( Vieille Ville en catalan) est le centre ancien de Barcelone. Il
est identifiable par un tissu urbain ancien hrit de lhistoire urbaine antrieure au 19es. Son
dynamisme et les nombreux commerces offerts en font une des zones les plus vivantes de
Barcelone.
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Depuis les annes 1990, la Municipalit a prsent sa politique de revitalisation du
centre ancien comme une exprience exemplaire N. Calavita et A. Ferrer affirmaient en 2000 que
Leffort de marketing urbain de la ville de Barcelone navait pas t accompagn de la ngligence
de ses quartiers, de l'augmentation de la sgrgation gographique et sociale, ce qui la distinguait
de la plupart des autres villes. Quen est-il en ralit ? Selon le gographe Hovig Ter Minassian, le
processus de gentrification du centre urbain de Barcelone a t sous-estim car la rhabilitation
de Ciutat Vella ne saccompagne pas systmatiquement des signes tangibles dun processus de
gentrification.
La politique de rnovation de la municipalit sapparente effectivement une politique
volontariste qui tend requalifier le centre ancien dgrad. La municipalit a financ de
nombreux quipements culturels, notamment des muses, dont la population na pas lusage au
quotidien, et qui attirent essentiellement des non-rsidents et des touristes. Paralllement, trs
peu de programmes sont destins aux classes populaires originaires du quartier. La mairie
poursuit lobjectif semi-cach de renouveler la population du quartier. Des travaux important
ont t mens dans les quartiers. Lobjectif officiel tait la rduction de la densit : aration du
tissu urbain, destruction de certains btiments, cration de places et despaces publics. La
rnovation du bti et les travaux de voiries contribuent aussi scuriser le quartier, la violence
tant un frein important linvestissement du quartier par les classes moyennes.
Entre 1991 et 2005 le nombre dhabitants augmente considrablement, notamment la
part des dtrangers. La population du centre-ville devient de plus en plus cosmopolite. (fig.8)
Pour autant la gentrification, bien que visible en de nombreux points, ne peut tre gnralise
lensemble du centre ancien. (fig.11)
Fig. 10 - Caractristiques de croissance de Ciutat Vella (Ter Minassian, 2005: 97)
Certaines zones se gentrifient rapidement, linstar du Mercat Boqueria o de nouveaux
commerces, destins aux populations jeunes et/ou tudiantes apparaissent. H. Ter Minassian
parle dans ce cas de gentrification de consommation plutt que de gentrification
rsidentielle . Autour du Muse dart contemporain (MACBA) ou bien des Facults (Universitat
de Barcelona), les cafs branchs se multiplient et les artistes, pionniers de la gentrification
sont particulirement prsents dans la Ribera. Dans un primtre dlimit par la Via Laietana, la
rue Princesa, la rue Montcada et la place Santa Maria, leurs locaux se sont en effet multiplis
(bijouterie, artisanat local, confection), servant la fois dateliers (souvent en mezzanine) et de
boutiques.
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Fig. 11 - La gentrification diffrencie de Ciutat Vella, 1991 2005 (Ter Minassian, 2005: 99)
Dautres quartiers en revanche conservent un ancrage populaire, et limage du quartier
ne change pas aussi rapidement que les dcideurs lauraient souhait. Cette absence de retour
des classes moyennes Ciutat Vella sexplique par la mauvaise rputation dont font encore
lobjet certains quartiers du centre ancien comme le bas du Raval ou encore le Barrio Chino, qui
furent pendant longtemps de hauts lieux de la prostitution et du trafic de drogue (Cest toujours
le cas du Barrio Chino16). Dans ces zones, les oprations de voiries et dassainissement du tissu
urbain nont pas suffi convaincre compltement les classes moyennes, les secteurs qui
connaissent une amorce de gentrification, tant ceux qui bnficiaient dj dune meilleure
image.
Sokoroff propose une lecture historique des raisons de cette micro gentrification. Elle
serait notamment lie lindustrialisation tardive de la catalogne et donc sa tertiarisation
retarde par rapport la plupart des autres mtropoles europennes. Le centre s'est vu
pargner le type de grands projets modernistes qui ont dfigur tant d'autres villes. [...] Dans une
large mesure, le tissu traditionnel y a t prserv [...]. Malgr la tertiarisation progressive de
l'Eixample, celui-ci est demeur un centre vivant et habit. La Vielle Ville, l'encontre des autres
centres historiques europens, est reste un quartier populaire. (Sokoroff, 1999)
Ciutat Vella est donc lobjet dune institutionnalisation tacite de la gentrification, visant
avant tout une monte en gamme des logements et de la population (Neil Smith, 2003). Mme si
les effets de cette politique sont variables dune partie du quartier lautre, la volont est l et
laisse imaginer long terme lavenir du quartier si aucune politique inverse nest mene ds
maintenant, nouveau en faveur des habitants et non plus seulement des personnes extrieures.
Rien ne dit que leffet de rsistance populaire observe dans les quartiers encore prservs ne
tienne encore longtemps face la volont politique de gentrification, comme cela a dj t le
cas dans les autres zones dsormais embourgeoises de Ciutat Vella.
16 Voir aussi ce propos un article de 2009 ne laisse pas envisager de gentrification dans le Barrio Chino court comme moyen terme: Le Barrio Chino, une plaie ouverte dans le cur de Barcelone, Courrier International, 4 Juin 2009. URL: www.courrierinternational.com/article/1997/10/09/le-barrio-chino-une-plaie-ouverte-dans-le-coeur-de-barcelone
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BARCELONE: LVOLUTION DES LUTTES URBAINES AU GR DES POLITIQUES DE DVELOPPEMENT URBAIN
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3.2.2. La banalisation du paysage urbain de Poble Nou (projet 22@)
Le quartier Poble Nou a accueilli le
projet 22@Barcelona. Il se situe au Sud-
Ouest de la Plaa de les Glries Catalanes.
Nous ne reviendrons pas ici sur les grandes
lignes du projet qui ont dj t voques.
Nous nous contenterons de montrer les
consquences sur le paysage urbain de ces
orientations damnagement. Cette partie
sera essentiellement visuelle, base sur des
photographies.
On observe une forte tendance de
banalisation du paysage urbain, au travers
notamment de leffacement de lhistoire du
lieu. Trs peu de tmoins architecturaux du
pass sont conservs. Il subsiste par
exemple la chemine dusine en brique et la
conservation de quelques murs dune
ancienne manufacture Can Framis. (fig.12)
Les traces de lhistoire du lieu ne sont cependant gures plus nombreuses. Lautre indice de cette
volont de crer un quartier ex nihilo, cest le nom gnrique 22@ en lieu et place de San Marti
ou de Poble Nou.
Fig. 13 - Vues du quartier Poble Nou aujourdhui (Proust, 2010) A gauche: Le chantier de 2010 au sud-Est de la tour AGBar - A droite: vue de la Carrer de Roc Boronat
Finalement, le nouveau quartier dont nous avons pu suivre le chantier durant lt 2010,
consiste principalement en une addition de procds architecturaux sans grande cohrence, ni
rapport au lieu : les procds constructifs, les couleurs, les formes ne sont pas issues de la
culture catalane ou dautres lments contextuels. Ici, ce seront avant tout les contraintes
conomiques, les dlais de mise en uvre et le rgne de limage de synthse qui primeront sur la
conception.
Fig. 12 - La seule trace de lhistoire industrielle du lieu conserve dans lensemble en construction prs de la tour Agbar : le Can Framis (Proust, 2010)
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Une ambiance froide est perceptible dans les rues. Une sensation danonymat et
dindiffrence merge alors quon se trouve en plein cur de la Barcelone historiquement
connue pour son climat dhospitalit et la culture de rue de ses habitants. F. la Cecla donne une
explication cette sensation: Le quartier Poble Nou sombre dans lanonymat force de miser sur
une hyper modernit qui a fait table rase des squats, ateliers dartistes, gitans et discothques
improvises qui lui apportaient un dynamisme juvnile et transgressif. (La Cecla, 2011: 139) Une
autre explication vient aussi de labsence de logements dans de larges zones. Dans la premire
phase du projet par exemple (en chantier en 2010, lors de la prise de photos), cest dire
proximit de la Plaa de Glories, on ne rencontre aucuns logements sur aire importante,
seulement du tertiaire, des quipements culturels, des institutions/organisation, des htels... et
un espace public strile et vide. Quelle vie pouvait-on de toute faon attendre dun quartier
dconnect de ses fonctions rsidentielles ?
Toute la logique que nous venons de
dcrire en images est rvlatrice dune
tendance gnrale dinstrumentalisation de
larchitecture, instaure depuis deux
dcennies dans lensemble de la ville, depuis
la reconstruction avant les Jeux du Pavillon
de lAllemagne17 de Mies Van der Rohe, icone
du style international (mouvement
moderne). Il sagit l une fois de plus
dattirer, de changer limage de la ville
(marketing urbain). Les Jeux Olympiques
avaient aussi t loccasion pour plusieurs
archistars18 de laisser leur marque dans la
capitale de la Catalogne, linstar de Frank
Ghery et de sa Baleine en cuivre sur le
front de mer en 1992. Suivront Jean Nouvel
avec la Tour Agbar sur la Plaa de Les
Glories en 2004 ou encore Norman Foster et
sa rnovation du Camp Nou (mythique
stade du FC Barcelone) ds 2011,...
(Bernardi, 2010). Ce trop-plein duvres
architecturales iconiques (comme autant de
logos) est rellement capable de gnrer des flux touristiques importants mais comporte le
risque, terme, de banaliser le paysage urbain local, pourtant lui aussi source de tourisme.
Les projets btis sont de taille importante mais les projets architecturaux sont sans
commune mesure avec les travaux dinfrastructure En tant que quartier de la connaissance,
22@ constitue le laboratoire de Barcelone en termes de Smart City. Cette ville intelligente est
loccasion dimportantes dpenses high-tech. Ce choix devrait mathmatiquement attirer des
socits de pointe en matire dlectronique et autres start-up davenir sur le march. Pour ces
raisons, la Smart City est le nouveau dada des mtropoles mondiale, dautant quelle se double
17 Le pavillon avait t ralis loccasion de lexposition universelle de 1929. Il a t reconstruit au pied de Montjuc, en face du Caixa Forum Barcelona. 18 Le terme archistar est issu de louvrage de Gabriella Lo Ricco et Silvia Micheli: Lo spettacolo dell'architettura. Profilo dell'archistar, 2003, Mondadori Bruno d., 229p.
Fig. 14 - Vue de Poble Nou aujourdhui (Proust, 2010) En fond : la tour AGBar, devenue un des symboles de Barcelone
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de la notion de dveloppement durable, trs positive en termes dimage. Cest ainsi qu
Barcelone est aujourdhui instrumentalis lamnagement urbain dans le but dalimenter
lconomie locale. Car cest ce prix que les investisseurs sont censs venir s'implanter dans la
ville. Pourtant, les principaux contributeurs financiers ce type de projets demeurent
invariablement les habitants, principalement au travers des taxes quils paient au quotidien. Des
impts officiellement destins financer des oprations en accord avec lintrt public. Une
notion bien subjective car on est ici pleinement dans la logique dj voque de la
collectivisation des dpenses et de privatisation des plus-values (Henry, 1992), dnominateur
commun de la spculation immobilire, des politiques de mtropolisation et plus gnralement
du processus durbanisation : une contribution financire identique pour tous en dbut de
chane pour une trs inquitable redistribution finale des richesses.
3.3. Lmergence de mouvements de rsistance dun genre nouveau: la gurilla de la
communication
La question que pose finalement la nouvelle voie prise par la politique urbaine de
Barcelone, cest le droit la ville voqu par Henri Lefebvre ds 1968. La politique entame
depuis lannonce des Jeux a trs frquemment t le vecteur de trajectoires individuelles
tragiques, ces souffrances lies aux projets urbains, intimement lies lessence de la dmocratie,
remettent [aussi] en cause lattachement des habitants au territoire et lespace public (Hache,
2005). Malgr cela, le projet urbain global reste dsesprment consensuel. Si les
revendications ont cesses, les drames personnels issus des projets urbains n'ont pas pour
autant disparus et nen sont pas moins douloureux. Pour reprendre les termes du groupe
activiste a.f.r.i.ka, comment comprendre que, dans nos socits, hommes et femmes acceptent
daussi bonne grce les rapports de domination auxquels ils sont soumis ? (Blissett & Brnzels,
2011)
3.3.1. Une cadre participatif pens pour satisfaire les intrts de la nouvelle bourgeoisie
Plus quelle ne linforme, la municipalit de Barcelone vend aujourdhui sa population
les grands projets but spculatif et tourns dans lintrt priv quelle entreprend coup de
campagnes marketing: Les slogans de la municipalit sont accompagns du grand B de
Barcelone, qui phontiquement signifie bien en catalan. Ce slogan Bien pour Barcelone
illustre aussi bien le nouvel difice de Jean Nouvel pour lentreprise responsable de la gestion de
leau (AGBar), la ralisation de Diagonal Mar, ou la projection du Plan 22@. (Hache, 2005) Ce
mensonge marketing, qui tend annihiler les ralits quotidiennes de la population par le biais
de slogans simplistes et dimages de projet avantageuses, a fini par devenir insupportable pour
certains barcelonais. Ce sont alors forms des groupes de revendication sinscrivant dans la
ligne de la gurilla de la communication qui entend faire voler en clats la fausse vidence de
lordre dominant. La force subversive souhaite par la communication-gurilla tient sa
volont de remettre en question la lgitimit du pouvoir et, ce faisant, de rouvrir un espace pour les
utopies. Son projet consiste rendre critiquable un tat de fait qui se drobe la critique,
transformer des discours verrouills en situations momentanment confuses susceptibles de
renverser les rgles du jeu." (Blissett & Brnzels, 2011)
Daprs Manuel Vzquez Montalbn (1992), "les avant-gardes pensaient : "Contre Franco,
nous tions mieux" - ou du moins, contre Franco, les ennemis taient plus nets et les amis plus
convaincus". Aujourdhui, le nouvel ennemi (la politique municipale) se pose au contraire en
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ami au travers dune fentre participative prvue aux revendications habitantes. La
municipalit nhsite pas instrumentaliser cette initiative, la faisant valoir comme une preuve
de lintrt quelle porte la cause populaire. Pourtant, force est de constater que ce cadre ne
convient pas lexpression des ralits vcues par la population. Elle aurait mme tendance
priver de leur voix des habitants convaincus den possder une et de vivre au sein dune
dmocratie laquelle ils avaient eux-mmes uvr avec la transition dmocratique. (Hache,
2005) Une des raisons cette perte de parole soudaine sexplique par lloignement de la base
(cest--dire des habitants) du processus participatif, distanci par le cadre politique auquel il
rpond. (Akors, 2008) Ce processus peine en effet relayer les problmes courants de la
population, par un manque de spontanit, dhumanit, dcoute, mais aussi par son caractre
trop formel, thorique et complexe, alors que les problmes en questions sont affectifs,
imprvisibles, vcus. Blissett et Brnzels (2011), les auteurs du guide destin la
communication-gurilla, sont convaincus que dans le cadre du dialogue avec les citoyens ,
mme la critique la plus cinglante du gouvernement ne sert en fin de compte qu renforcer la
hirarchie inscrite19 En dautres termes, accepter de rentrer dans le cadre lgal, cest--dire
conu par le pouvoir en place reviens donner son accord la politique urbaine de la mairie.
3.3.2. Nouvelles luttes urbaines : quelques exemples
Cest forts de tous ces constats que les nouveaux groupes de rsistance ont rcemment
mergs Barcelone, utilisant leurs propres moyens de communication et daction, parfois
illgaux, mais de manire assume et non-masque.20 Cette forme nouvelle de lutte a pris une
importante consonance idologique. Il ne sagit plus de remettre en question tel ou tel point dun
PERI comme ctait le cas des associations de voisins, mais de critiquer la manire globale de
faire la ville au travers dactions localises.
Afin dillustrer ces nouvelles tendances, nous citerons en exemple trois initiatives
barcelonaises ayant eu lieu partir des annes 2000.
Le collectif Forat de la vergonya (Le trou de la honte) sest lanc dans la cration
dun jardin collectif dans une nouvelle dent-creuse, en lieu et place des dcombres dun
immeuble. Ce btiment avait en effet t dtruit par la municipalit, et les gravas laisss
dessein dans lattente dune baisse du prix du sol (dans le cadre dun rachat ultrieur du terrain).
Le jardin subversif avait pour but de mettre la mairie face son acte, et plus gnralement
communiquer de manire crative autour du caractre capitaliste et antisocial de la politique
mene par lAjuntament. Il constituait aussi une preuve tangible (qui ne pouvait tre dmentie
car existante et palpable) quil existe des alternatives la politique mene par la municipalit.
Lors des lections municipales, des photos de la destruction du jardin de 2002 par les forces de
lordre seront galement ajoutes sous les portraits des personnages politiques responsables.
Le collectif RedActiva tente quant lui de limiter le phnomne de dsorientation des
habitants et usagers du lieu issu des formes spatiales dtruites, rformes ou construites qui
perturbent lvolution du connu ou de lappropri (Hache, 2005). Pour y parvenir le collectif
ralise un travail cartographique bas sur lexprience personnelle de chaque habitant,
permettent terme aux rsistances citoyennes de dcoder et de retourner la grammaire
19 La grammaire culturelle dsigne l'inculcation quotidienne ds le plus jeune ge, dun comportant satisfaisant un ordre social fond sur les rapports de pouvoir. Cet apprentissage est en grande partie ralis lcole, puis par les parent, eux aussi relais de cet ordre social. Les enfants ainsi form deviendront leur tour, l'ge adulte, les relais de cette notion d ordre subjective, notamment cre pour aller dans le sens du pouvoir en place. (Blissett & Brnzels, 2011) 20 La franchise joue un rle capital dans ce genre daction, lide tant de faire exactement linverse que ce que fait la mairie au travers de ses campagnes de publicit pro-spculation: masquer la ralit.
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dominante au stricte oppos des projets urbains et aux pratiques qui entourent leur mise en
uvre. Dans un contexte o le manque de moyens des habitants pour exprimer leur situation
reprsente souvent une des lignes majeures de souffrance, le travail dencadrement participatif
entrepris comble les lacunes du systme participatif officiel. Le projet men par RedActiva fait
merger une critique dun niveau idologique suprieur que le simple terrain: celui du droit la
ville et de la remise en question de lordre social.
Le forum des cultures 2004 a t loccasion dun important mouvement de rsistance au
sein du milieu associatif barcelonais. A limage du slogan B comme Barcelone, le Forum a t
peru par de nombreuses associations comme la preuve du double discours men par la mairie :
rflchir et proposer des solutions aux questions dimportance mondiale telles que la paix,
lducation, la connaissance et les droits de l'homme et la diversit culturelle, et une manifestation
finance par des entreprises multinationales appuyant la stratgie de guerre en Irak (Indra par
exemple) et destine vivifier la spculation immobilire (notamment la reconqute spculative
de la zone Est de Barcelone via lamnagement dun parc immobilier compos dhtels, de
bureaux et dun centre commercial). Laction sest donc traduite par un boycott de lvnement
de la part des associations mais aussi par un dbarquement dactivistes sur le Forum.
Le mouvement d'els Indignats (version catalane des Indignados), notamment inspir du
livre de Stphane Hessel21, va galement dans ce sens, mme si les revendications portaient dans
ce cas non plus essentiellement sur la politique spculative mene par l'Ajuntament, mais
galement sur celle suivie au niveau national (la condition des jeunes espagnols tant pour le
moins prcaire). L'espace public fut le rceptacle de cette indignation, avec une longue
occupation de la Plaa Catalunya en Mai 2011. Le mouvement mettait en place durant la
manifestation des changes dont le but tait de faire merger des alternatives politiquement
viables au libralisme. La volont de reprise en main par la population de sa destine montre la
perte croissante de lgitimit de la nouvelle bourgeoisie22, classe infiniment minoritaire et
pourtant investie du pouvoir dcisionnel.
21 HESSEL Stphane, 2011, Indignez-vous!, Hachette UK, 48p. 22 GARNIER Jean-Pierre, 2010, Une violence minemment contemporaine. Essai sur la ville, la petite bourgeoisie intellectuelle et les classes populaires, Introduction : La contre-rvolution urbaine
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Conclusion Synthse de linteraction entre luttes urbaines et politique de dveloppement
urbain: Barcelone la croise des chemins ?
Sa rvolution architecturale sest laiss phagocyter par les lois du marketing et de la mode. Qui
voudrait continuer vivre dans une ville devenue un logo ? [...] A force de vouloir tre une ville
lavant-garde en Europe, elle risque de perdre cette qualit de vie qui la lance sur le march.
En fin de compte, elle est devenu un parfait exemple de gentrification grande chelle, alors
quelle tait si sduisante, pareille un grand Trastevere ou un grand Montparnasse. (La
Cecla, 2011: 141)
Daprs lhistorique prcdemment tablit, nous avons t en mesure de raliser le
modle qui suit (fig.15). Il rsume l'interaction qui a eu lieu Barcelone depuis le milieu du
20me sicle jusqu aujourdhui entre les luttes urbaines et les politiques urbaines menes par
lAjuntament.
Fig. 15 - Modle de linteraction entre luttes urbaines et processus durbanisation
Barcelone de 1950 aujourdhui (concept. /ral: E. Proust)23
Dans le modle, sont opposs taux de satisfaction de la population et taux de spculation
immobilire. Les luttes urbaines apparaissent lorsque la satisfaction populaire est devenue trop
basse. Cette satisfaction est directement lie au niveau de spculation, mais ragit cette
23 Bien videmment, ce modle prsente des limites. Les chelles de temps sont par exemple schmatiques et ne correspondent pas la ralit. De mme, les pics de satisfaction ne sont pas tous aux mmes niveaux dans la ralit. En prenant en compte ces remarques, les courbes relles seraient irrgulires, selon le degr de finesse historique quon voudra bien lui appliquer. Le prsent travail pourrait ainsi en inspirer des suivants, permettant de prciser ce modle.
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dernire de manire dcale, du fait du temps dadaptation au changement que ncessite la
population (li des effets daccoutumance et dinertie). Lorsque la spculation est trop haute,
favorise par les politiques publiques, les luttes sengagent quelques temps aprs. A linverse,
lorsque les luttes sont faibles, la spculation a davantage le champ libre, par absence
dopposition, et peut orienter en son sens le projet urbain : la spculation reprend lorsque le
niveau de satisfaction populaire est revenu un niveau satisfaisant. Les politiques publiques en
matire durbanisme ont donc un rle central puisquelles agissent en tant quarbitre : soit dans
le sens des habitants (augmentant ainsi leur satisfaction), soit dans le sens des investisseurs
privs (qui spculent alors davantage). Cest principalement sur elles que repose lavenir de
Barcelone.
Dcrivons maintenant le schma priode par priode au travers de lvolution connexe
des trois entits que sont la satisfaction de la population (criture en rouge), le niveau de
spculation (en bleu) et la position des pouvoirs publics en tant quarbitre (en noir).
(1) 1re phase (avant 1965)
Contexte: dictature franquiste.
La spculation immobilire massive. Cette spculation est ralise au vu et au su des pouvoir
publics, qui en deviennent mme les facilitateurs en y participant activement afin de satisfaire
les intrts personnels des personnes en place. Les habitants sadaptent tant bien que mal
cette situation politique, et par voie de consquence des conditions de plus en plus dgrades,
par lautosubsistance, lentraide, etc.
(2) 2me phase (1965-1975)
Contexte: dictature franquiste.
Les conditions de vie sont devenues intenables, la population sorganise en mouvements sociaux
urbains afin de lutter contre la spculation outrance et labsence de politique de logement
social. Parmi les mouvements, mergent les associations de voisins. La spculation immobilire
se prolonge mais se trouve inflchie sous laction grandissante des associations de voisins . La
position de la mairie suit cette tendance: durant toute la priode franquiste, lapplication dune
politique de laisser-faire par les pouvoirs publics vis--vis de la spculation rend quasi nul le
rle darbitre de ces derniers.
(3) 3me phase (1975-1986)
Contexte: fin de la dictature franquiste.
La population peut enfin faire entendre sa voie. Le parti socialiste prend la direction de la ville.
Les associations de voisins ont acquis un pouvoir important durant la phase 2 et sont en mesure
dinfluencer la politique urbaine mene par la nouvelle municipalit. La spculation immobilire
est coupe nette. Des projets de petite taille sont raliss de manire douce dans les creux du
tissu urbain: les PERI et les PS (Plans spciaux damnagement). Les projets sont phass dans le
temps en donnant la priorit aux zones les plus ncessiteuses. Lobjectif est dapporter les
amnits (espaces publics, quipement, desserte viaire, etc.) qui manquaient aux quartiers afin
dharmoniser la qualit de vie sur lensemble de la commune. Ces projets, vise sociale,
mrement penss et conus sur mesure partir du lieu, sont financs par le fond communal: les
investisseurs privs devront attendre et le taux de spculation baisse jusqu atteindre le point
0. En retour, la population est peu peu satisfaite par les projets damnagement, qui
correspondent leurs revendications.
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(4) 4me phase (1986-1992)
Contexte: Barcelone dsigne en 1986 comme ville organisatrice des Jeux Olympiques
Lannonce des Jeux Olympiques concentre lintrt des investisseurs du monde entier
sur Barcelone. Le doublement de la politique de rnovation des quartiers par des amnagements
de plus grande chelle (et donc coteux: nouvelles centralits, rseau de voies rapides) renforce
lattractivit de la ville pour le capital mondial. Dans le mme temps, la ville profite de cet apport
de capitaux privs pour se redessiner grce la mise en place de partenariats public-priv.
Mais le revers de la mdaille olympique est celle-ci: les loyers montent sous le coup de la
pression foncire (attractivit touristique) et les expulsions sont lgion sous le coup dun tat
dexception mental courant chez les dcideurs la veille de grands vnements sportifs.
Seulement, les habitants ne sen rendent pas encore compte, eux aussi comme aveugls par la
fivre olympique. Le projet urbain li aux Jeux, qui pourtant amorce un tournant en dfaveur des
classes populaires de la ville, apparat alors comme consensuel et le niveau de satisfaction de la
population continue de crotre. Dans ce climat de satisfaction auquel sajoute le progressif
dmantlement des rseaux habitants (expulsion et hausse des loyers dlocaliser les classes
populaires en priphrie de ville), les associations de quartiers perdent peu peu leur raison
dtre subversive en mme temps que leur capacit reprsenter des habitants des quartiers (le
nombre de ces derniers diminuant).
(5) 5me phase (aprs 1992)
Contexte: Barcelone est lance sur le march conomique mondial et devient mtropole.
Plus que jamais soumise au contexte de concurrence territoriale, la municipalit mise
toutes ses cartes sur le projet commun celui de toutes les mtropoles: celui consistant se
vendre linternational, se rendre attractive la fois pour les entreprise de lconomie de la
connaissance, pour les classes cratives et le tourisme de masse. Dans ce contexte, les projets de
requalification des quartiers trouvent un coup darrt. Le projet urbain, essentiellement tourn
vers les touristes et les rsidents venus dailleurs, est notamment marqu par une gentrification
institutionnalise, comme nous avons pu le voir Cituat Vella. La spculation suit son court et
les loyers ont atteint des sommets. En consquence de cette politique urbaine, merge le
dsintrt croissant des habitants pour lavenir de leur quartier. Se cre ainsi une spirale
ngative dindiffrence mutuelle entre la ville et ses rsidents, notamment les personnes ges
ayant particip la transition dmocratique. Dans ce contexte, linsatisfaction grandit, et de
nouveaux mouvements de rsistance se multiplient. Ils luttent contre les expulsions mais aussi
plus gnralement contre la politique marketing mene par la ville. Il est aujourdhui question
de communication-gurilla: contester le caractre consensuel et accept par tous du projet
urbain plus grande chelle, pourtant contraire au droit la ville, droit qui se pose comme
une des plus fortes questions co