PROCESSUS DE DÉSINSERTION PROFESSIONNELLE

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PROCESSUS DE DÉSINSERTION PROFESSIONNELLE : Des outils et des exemples pour situer son entreprise

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PROCESSUS DE DÉSINSERTION

PROFESSIONNELLE :

Des outils et des exemples pour situer son entreprise

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PROCESSUS DE DÉSINSERTION PROFESSIONNELLE :Des outils et des exemples pour situer son entreprise

La carrière d’un salarié est jalonnée d’événements (ex : changement de poste, accident du travail, réorganisation au sein de l’entreprise…) susceptibles d’engendrer un processus qui peut impacter sa capacité à tenir son emploi dans la durée : ceci est le processus de désinsertion professionnelle. Ces événements peuvent être cumulatifs avec d’autres phénomènes comme le vieillissement.

Le processus mis en œuvre peut avoir des issues diverses et plus ou moins certaines et réversibles, selon le moment où l’on agit. Ainsi, plus on agira tardivement et plus le processus de désinsertion sera installé et irréversible. Inversement, si l’on agit le plus en amont possible, la désinsertion est encore incertaine et le processus réversible.

A titre d’exemple, on pourra citer les situations d’usure professionnelle ou de pénibilité (désinsertion incertaine, processus en cours) ou le licenciement pour inaptitude (désinsertion avérée, fin du processus). Il y a donc tout intérêt à agir en prévention.

Ce guide pratique a vocation à :

• Donner des repères permettant d’évaluer la présence d’un processus de désinsertion professionnelle et son stade d’avancement

• Montrer que la prévention de la désinsertion professionnelle se joue d’abord via des actions précoces sur les conditions de travail, et pas seulement en agissant sur l’emploi (actions de reclassement, maintien dans l’emploi)

Plus globalement, ce guide trouve également sa place dans un contexte réglementaire (pénibilité, seniors…) et socio-économique où la qualité de vie au travail devient un enjeu stratégique de développement et de compétitivité pour les entreprises. ■

INTRODUCTION

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UNE DÉMARCHE GLOBALE 6 ET INTÉGRÉE

DES OUTILS AU SERVICE 9 DE LA DÉMARCHE

Le recueil de données et la construction d’indicateurs 9

Les outils d’analyse du travail 11

Les outils de Gestion des Ressources Humaines 24

SITUER SON ENTREPRISE 26 POUR AGIR

SOMMAIRE

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Si l’on pose un regard rétrospectif sur la notion de Désinsertion Professionnelle, on peut noter une évolution de la problématique dans le temps. En effet, historiquement, les entreprises et les salariés confrontés à la désinsertion professionnelle abordaient le sujet sous l’angle du maintien dans l’emploi, en réponse à des situations individuelles de salariés concernés par des restrictions d’aptitudes physiques, des inaptitudes… ou toute autre atteinte à leur intégrité physique.

Prévenir la désinsertion professionnelle et maintenir les salariés dans l’emploi a donc longtemps consisté à mener des actions correctives orientées vers la conception/adaptation des postes de travail ou l’orientation des salariés concernés vers des postes adaptés à leurs capacités physiques, dégradées (postes « doux »).

Des actions liées à l’organisation du travail ont pu être menées mais elles ne représentent pas la majorité des actions engagées par les entreprises pour lutter contre ce processus.

Un facteur d’explication de la prégnance des actions orientées « postes de travail » est celui du traitement au cas par cas. Cette approche ne poussant pas l’entreprise à avoir une vision globale de la problématique, de causes parfois organisationnelles et donc d’un impact potentiel sur un collectif de travail.

Le constat que l’on peut faire à partir des interventions récentes que nous avons menées en Basse-Normandie est celui d’une évolution de la façon dont les salariés peuvent être touchés par la Désinsertion Professionnelle.

La majorité des interventions réalisées par les chargés de mission de l’ARACT Basse-Normandie depuis 2010 concerne des entreprises dont les salariés sont touchés par des problématiques de Stress au Travail. Nulle restriction d’aptitude physique ou inaptitude pour ces salariés et pourtant, force est de constater que le processus de désinsertion professionnelle est enclenché pour nombre d’entre eux.

Cela se traduit la plupart du temps par une multiplication de salariés souffrant de syndromes anxio-dépressifs, une baisse de la motivation et de l’implication dans leur travail, une fragilisation du lien social dans et hors de l’entreprise.

Prévenir la Désinsertion Professionnelle de ces salariés pousse les entreprises à trouver d’autres solutions que l’aménagement physique des postes de travail et donc à se pencher sur des aspects plus organisationnels et collectifs, à partir d’un diagnostic initial dont l’objectif serait de mettre en lumière les déterminants du stress au travail et au-delà les déterminants de la Désinsertion Professionnelle. ■

PRÉAMBULE

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UNE DÉMARCHE GLOBALE ET INTÉGRÉE

Un certain nombre de conditions de réussite doivent être réunies pour que la démarche de prévention de la désinsertion professionnelle apporte des résultats pérennes.

• Expression et affichage d’une volonté politique du chef d’entreprise.

• Définition collective d’objectifs et d’un cadre, d’un périmètre à la démarche de prévention.

• Mise en place d’une démarche projet avec la nécessité de définir un pilote, des moyens humains et temporels, et constitution d’un comité de pilotage du projet.

• Implication d’acteurs à différents niveaux (direction, représentants du personnel, encadrement et salariés) pour susciter une dynamique d’échanges de points de vue qui aboutira à une meilleure compréhension de la problématique actuelle de l’entreprise, ses enjeux actuels et futurs et à repérer les actions à mettre en œuvre.

• Transversalité : intégration de la réflexion sur la désinsertion professionnelle dans TOUS les projets de l’entreprise.

• Communication à destination de l’ensemble des acteurs de l’entreprise et aux différentes étapes du projet.

La démarche peut être formalisée en 5 étapes successives :

1) Identifier les objectifs et définir le périmètre de la démarche en travaillant sur les données de base existant dans l’entreprise, ce qui permet de dégager des grandes tendances, problématiques pour l’entreprise. Ceci permet de caractériser la typologie de l’entreprise au regard du risque de désinsertion professionnelle (voir chapitre sur le recueil de données).

Recueil de données,

travail sur les

indicateurs

Analyse des

populations

au travail

Analyse des

Co-construction

Ouvrir le champ

des solutions

Définition

des enjeux et du

périmètre de la

problématique

Diagnostic

partage

Plan

d’actions

Mise en

œuvre du

plan d’action

Évaluation

et suivi

Projet

transverse

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2) Réaliser un diagnostic partagé. Ce diagnostic s’articule autour de plusieurs points :

• Réaliser un état des lieux par le croisement de données et la construction d’indicateurs.

L’état des lieux se fait à partir d’une hypothèse simple qui consiste à dire que le travail laisse des traces et que celles-ci se manifestent au travers :

› des politiques de gestion des ressources humaines, avec la structure démographique de la population en emploi (âge, ancienneté et genre) ;

› de l’état de santé (usure professionnelle, restrictions d’aptitudes, absentéisme, turn over…) et les perspectives professionnelles des salariés (mobilité, polyvalence…) ;

› de la performance de l’entreprise (qualité, productivité…).

Ces données doivent être mises en lien avec l’histoire de l’entreprise.

• Analyser les situations de travail et les populations au travail

L’analyse des données et des situations de travail doit permettre de recentrer le débat sur le travail, les conditions de sa réalisation, et sur la population qui l’accomplit.

Il s’agit de repérer les contraintes professionnelles des salariés et de voir comment ils y font face au regard des ressources mises à leur disposition, de leur histoire professionnelle, de leur âge, de leur état de santé, de l’histoire de l’entreprise…

3) Proposer des pistes d’action et élaborer un plan intégré d’actions

Ces pistes d’action sont co-construites entre les différents acteurs de l’entreprise et seront les plus transverses possibles, comme évoqué précédemment dans les conditions de réussite de la démarche.

4) Mettre en œuvre les actions et pérenniser la démarche

Il s’agit ici de mettre en place les actions et de les piloter dans la durée. En effet, les organisations du travail dans les entreprises sont en évolution permanente car elles sont liées aux évolutions et au développement de l’entreprise elle-même. Ces évolutions sont à l’origine d’une dynamique à laquelle il est indispensable d’ajuster les actions en conséquence, en vue d’un résultat efficace dans la durée.

5) Évaluer et suivre dans la durée

Pour ce faire, les indicateurs construits dans la première étape de la démarche sont utilisés. Leur évolution (dégradation, stagnation ou amélioration de ces indicateurs) constitue en elle-même un indicateur de l’efficacité du projet et du plan d’actions et doit amener l’entreprise à ajuster son diagnostic et ses actions de prévention en conséquence.

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Au cœur de la démarche de prévention de la désinsertion professionnelle, les trois premières étapes mobilisent des outils spécifiques et induisent un changement de posture de l’entreprise (passer de l’individuel au collectif, agir en amont des problématiques de reclassement et de maintien dans l’emploi).

L’approche des situations de travail proposée dans ce guide étant globale et intégrée, il en découle que les actions à mettre en œuvre dans le cadre de cette problématique ne lui sont pas spécifiques. C’est pourquoi nous proposons de centrer la suite de ce guide sur les aspects méthodologiques de la démarche à mettre en œuvre.

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Si la démarche proposée répond au schéma classique de la conduite de projet, il nous semble qu’il est important d’insister sur certains points qui relèvent d’une approche spécifique au réseau ANACT :

• Le travail sur les indicateurs : pour identifier les enjeux de l’entreprise et définir le périmètre de la démarche.

• L’analyse des situations de travail et des parcours professionnels : le cœur du diagnostic partagé.

À noter que les outils évoqués ci-dessous doivent être mobilisés au sein d’un comité de pilotage ou d’un groupe de travail qui serait mis en place dans le cadre du projet. Dans les cas particuliers des interventions menées par l’ARACT Basse-Normandie cités en exemple dans ce guide, les personnes ayant mobilisé ces outils ont été : des opérateurs, des représentants du personnel (nombre et statut variables en fonction de la taille et de la structure de l’entreprise), le médecin du travail, des membres de l’encadrement (responsable RH, HSE, responsable de site…) ayant souvent joué un rôle d’animation des groupes de travail, et un animateur externe (consultant, CARSAT, ARACT…).

Le recueil de données et la construction d’indicateurs

La construction et le suivi d’indicateurs constituent des outils pertinents pour :

• alerter sur un processus de désinsertion en cours,

• identifier les enjeux auxquels l’entreprise est confrontée,

• anticiper des problématiques à venir,

• initier une démarche de compréhension du ou des phénomènes observés.

La construction et le suivi d’indicateurs posent la question du moment où les indicateurs sont utilisés : se trouve-t-on face à un processus en cours avec des effets avérés ou dans une situation aujourd’hui favorable mais dans laquelle le risque de désinsertion professionnelle est présent ?

Cette entreprise de l’agro-alimentaire fabrique des plats cuisinés. La Carsat lui indique qu’elle est concernée par un taux d’absentéisme et un taux d’accidents du travail supérieurs à la moyenne du secteur. L’analyse montre que ces moyennes cachent des situations très différenciées d’un secteur à l’autre de l’entreprise. Ainsi, dans l’un des secteurs de l’entreprise, tous les indicateurs analysés sont défavorables. Les taux d’absentéisme sont particulièrement préoccupants ; en effet, si l’effectif de ce secteur représente 5 % de l’effectif total de l’entreprise, l’absentéisme pour maladie représente 15 % du nombre total de jours d’arrêts de l’entreprise, celui pour accidents du travail 17 % et celui pour maladie professionnelle 42 % ! Cet absentéisme touche tout particulièrement les populations possédant une forte ancienneté et occupant le métier d’agent de production. Au contraire, d’autres secteurs sont sous représentés au regard de leur poids dans les effectifs. Ainsi, les indicateurs permettent dans ce cas, d’une part, de pointer un processus

DES OUTILS AU SERVICE DE LA DÉMARCHE

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avéré de désinsertion et d’autre part, de poser quelques hypothèses explicatives et en particulier celle d’une exposition dans la durée à des conditions de travail sans doute défavorables.

L’entreprise en question appartient au secteur du BTP et compte plusieurs sites sur les territoires Hauts et Bas Normands. Composé d’environ 80 salariés, le site en question réalise des préfabriqués en béton. La demande de l’entreprise porte sur les règles de coffrage (équipements permettant de mouler les préfabriqués) qui sont utilisées dans le hall de préfabrication et leurs possibles impacts sur la santé des salariés au regard des caractéristiques de l’activité de travail.

Le traitement des données de l’entreprise n’a pas montré de caractéristiques défavorables au niveau de la population concernée, en termes d’absentéisme et de turn-over. Aucune maladie professionnelle n’est déclarée ni reconnue. Néanmoins, le médecin du travail fait part d’un certain nombre de plaintes. Des douleurs sont exprimées pour 60 % d’entre elles au niveau du dos. 50 % des salariés concernés ont plus de 40 ans et entre 20 et 30 ans d’ancienneté et les 50 % restants ont moins de 25 ans et moins de 5 ans d’ancienneté. Cette analyse des indicateurs de l’entreprise ne fait donc pas apparaître de processus de désinsertion avéré (absentéisme, turn-over et maladies professionnelles constituent des indicateurs non défavorables) ; néanmoins, il existe un enjeu à agir dès maintenant pour cette entreprise, en amont du processus de désinsertion professionnelle, aux vues des plaintes santé et des caractéristiques de la population concernée.

Il existe, au sein des entreprises, au moins trois types de données qui permettent la construction d’indicateurs à suivre et à croiser dans ce type de démarche. Ces données sont relatives à la santé des salariés, aux ressources humaines et à la production.

Le schéma ci-dessous les reprend et les précise :

Si ces données existent la plupart du temps dans les entreprises, elles ne sont pas systématiquement mises en lien et croisées entre elles. Or, le croisement de données constitue un point de passage obligé pour donner un sens à la donnée brute et identifier plus précisément les enjeux auxquels doivent faire face les entreprises.

AT/MP PATHOLOGIES

PLAINTES

SANTÉ

QUANTITÉ QUALITÉ

ÉVOLUTION

PRODUITS

PRODUCTION

DÉMOGRAPHIE TURN-OVER

ABSENTÉISME

RH

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On peut donner quelques types de croisement pertinents à titre d’exemple :

• Croisement sexe / âge / ancienneté / état de santé

• Croisement état de santé / service / métier / statut

• Croisement productivité / absentéisme / secteur

• Croisement absentéisme / âge / ancienneté / métier, statut ou service

La désinsertion professionnelle étant un processus, l’entreprise a tout intérêt à analyser ces données d’un point de vue dynamique (évolution dans le temps) et non statique (photo à un instant T).

L’enjeu concerne ici le travail collaboratif entre les services qui détiennent toutes ces données mais qui ne les croisent jamais ou très rarement (nécessité de décloisonnement).

Pour plus d’informations sur le recueil de données et la construction d’indicateurs, nous vous invitons à vous reporter à la fiche pratique n° 13 « Prévenir la désinsertion professionnelle : des indicateurs à prendre en compte », disponible sur le site de l’Aract Basse-Normandie.

Les outils d’analyse des situations de travail

L’enjeu de l’analyse des situations de travail est d’appréhender le travail réel, c’est-à-dire le travail tel qu’il est réalisé par les salariés et non tel qu’il devrait l’être dans le prescrit (fiche de poste…), et ses effets sur la santé et l’efficacité.

Pour ce faire, divers outils peuvent être mobilisés, en fonction des contraintes de chaque entreprise et des caractéristiques de l’activité.

On pourra notamment nommer la chronique d’activité, le safari-photo et les séquences vidéos.

La chronique d’activité

Dans cet établissement du secteur médico-social, certains salariés (notamment les masseurs kinésithérapeutes et les ergothérapeutes) sont dans un processus de désinsertion professionnelle avancé (absentéisme et turn-over importants, maladies professionnelles déclarées / reconnues et douleurs exprimées). L’intervention mise en place fait notamment intervenir des groupes de travail composés de salariés et de membres de la direction, dans lesquels le travail réel est mis en débat (sur la base d’observations de 2 journées de travail des professionnels). L’outil choisi pour analyser le travail réel dans le groupe est la chronique d’activité.

La chronique d’activité est une représentation du déroulement de l’activité dans le temps et l’espace. La succession d’actions, d’événements, d’aléas dans le temps et l’espace peuvent ensuite être analysés sous l’angle des contraintes mais aussi des moyens dont disposent les salariés pour gérer ces divers événements, et les déterminants identifiés. Deux types de représentations de chroniques d’activité se trouvent ci-dessous :

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Représentation n°1 : la chronique sur plan

Cette représentation montre qu’à 14 h 37 (horaire indiqué en haut du schéma), un certain nombre d’événements surviennent sur le plateau de rééducation des masseurs-kinésithérapeutes (ici, un seul masseur-kinésithérapeute représenté par une silhouette de couleur orange, mais étant amené à se déplacer à plusieurs endroits du plateau : en bas à gauche, en bas à droite…). En l’occurrence, le patient représenté par une silhouette grise, une fois qu’il a terminé son cours de gymnastique, rejoint le kinésithérapeute (qui s’occupe du patient représenté par une silhouette rouge) avec lequel il a maintenant rendez-vous et lui annonce que c’est aujourd’hui sa dernière séance dans l’établissement. Le professionnel, nullement au courant, doit donc organiser la dernière demi-journée du patient dans l’établissement, et notamment faire en sorte que le patient voit plusieurs professionnels (ergothérapeute, médecin…) avant sa sortie. Cela se traduit par un certain nombre de déplacements (auprès de la secrétaire médicale, puis sur le plateau des ergothérapeutes).

Cette représentation croise donc bien les dimensions spatiales et temporelles de l’activité.

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Représentation n°2 : le chronogramme

Trois axes sont représentés :

• Un axe horizontal qui présente le déroulement des actions dans le temps (ici entre 14 h et 17 h)

• Deux axes verticaux : l’axe de gauche présente de haut en bas la prise en charge de 7 patients, une consultation spécialisée et des aléas (il s’agit donc plutôt d’actions), puis les différents lieux dans lesquels se situe le professionnel observé. L’axe de droite présente le temps passé à chaque action et dans chaque lieu

Cette représentation se lit donc dans les deux axes. A titre d’exemple, à 14 h, le professionnel observé se trouve dans la salle des masseurs-kinésithérapeutes (salle MK) et gère le patient n°1, puis gère un aléa, puis de nouveau le patient n°1, puis de nouveau un aléa (qui dure plus longtemps), le patient n°1, puis le patient n°2, 3, 4, 2, etc…

Peu avant 15 h, un nouvel aléa oblige le professionnel à se rendre à l’accueil, puis dans le bureau d’une secrétaire médicale puis sur le plateau d’ergothérapie. Il s’agit du même aléa que celui qui figure dans la représentation n°1.

Les deux représentations expliquent donc la même chose. Le chronogramme permet en outre, sur une échelle de temps plus importante (ici 3 h d’activité entre 14 et 17 h), de montrer le temps passé dans chaque lieu et avec chaque patient, permettant ainsi de mettre en évidence des variabilités dans les temps de prise en charge des patients (de 2 minutes pour l’un à 30 minutes pour l’autre).

L’un des enjeux majeurs, dans l’usage de ces outils, est de mettre en lumière la réalité du travail, c’est-à-dire, l’ensemble des événements survenant dans le quotidien des salariés et les moyens qu’ils ont (ou pas) à disposition pour les gérer. Ainsi, un décalage dans le planning, des modifications de planification, l’impact de ces événements sur le salarié, mais aussi la façon dont s’organise le collectif de travail autour de ces événements, sont autant d’éléments qu’il est utile de mettre en débat dans l’entreprise pour avoir une représentation partagée du travail et envisager des pistes d’action pérennes et comprises de tous. Dans cette structure, le processus de désinsertion était déjà bien engagé. Les

Patient 1Patient 2Patient 3Patient 4Patient 5Patient 6Patient 7

CSGère aléa

30 min24 min5,5 min29,5 min39 min2 min24 min5 min22 min

1 h 2418 min15 min2 min2 min5 min1 min51 min3 min

Salle MKSalle consult

GymnaseAccueil

Bureau secr. médicaleStaff

Salle ergoBureau

Bureau orthophoniste

15 : 00 16 : 00 17 : 00

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déterminants à l’origine de cette situation étaient de l’ordre des évolutions de l’activité (prise en charge de patients plus âgés et moins autonomes avec des pathologies lourdes) et des évolutions sociétales (passage aux 35 h), des caractéristiques des espaces de travail, de la planification de l’activité, des modes de gestion des aléas, des interdépendances entre métiers et de la gestion des sorties.

Ces déterminants ont été mis en évidence, objectivés et partagés par une approche du travail réel en groupe de travail. Le principe consiste à évoquer les événements qui sont survenus lors d’une journée de travail et d’en tirer des enseignements pour la compréhension du travail, permettant ensuite de le transformer.

Le safari-photo :

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Cette PME de 30 salariés est spécialisée dans le traitement des métaux. Appartenant à un Groupe composé de 5 PME disséminées entre la Basse-Normandie et l’Ile-de-France, elle bénéficie depuis peu de l’appui d’une responsable HSE Groupe. Dans le cadre d’une intervention de l’ARACT visant à aider l’entreprise à prévenir l’usure professionnelle de ses salariés et donc enrayer un processus de désinsertion potentiellement enclenché, un groupe de travail a été mis en place. Composé de la responsable HSE, d’un délégué du personnel, d’un salarié directement concerné par la situation de travail étudiée et animé par un chargé de mission de l’ARACT BN, ce groupe de travail s’est centré sur l’analyse des facteurs d’usure rencontrés sur les situations de travail mais aussi sur les éléments facilitateurs de l’activité. Afin de préparer cette réflexion commune, chaque membre du groupe avait pour consigne de prendre en photo ce qui, pour lui, était potentiellement générateur d’usure ou au contraire positif d’un point de vue conditions de travail.

Le cas traité ici concernait l’activité du ponceur, le premier intervenant du process, concerné par la préparation des pièces avant peinture.

Les uns après les autres, les membres du groupe de travail ont donc présenté les clichés réalisés dans l’atelier et expliqué les raisons qui les ont poussés à sélectionner ces photos plutôt que d’autres (la consigne initiale limitait le nombre de clichés à 2 ou 3 afin d’obliger les interlocuteurs à prioriser les facteurs d’usure et donc à prendre du recul sur une pré-analyse de l’activité). Force est de constater que dans ce groupe de travail, comme dans la plupart des groupes mis en place, les interlocuteurs prennent rarement les mêmes clichés et s’attardent donc sur des éléments différents. En l’occurrence, dans cet exemple, la responsable HSE s’est surtout attardée sur des aspects très physiques de la pénibilité de l’activité, avec une approche très biomécanique des contraintes générées par la taille ou le poids des pièces soulevées. De leur côté, le DP et le ponceur ont aussi pris des photos de pièces volumineuses pour pointer la charge à soulever mais surtout pour pointer les dysfonctionnements organisationnels à l’origine de la situation prise en photo : cette pièce n’aurait jamais dû être affectée sur ce site, non équipé pour la traiter. Une autre photo prise par ces derniers montrait une co-activité forte entre le ponceur, le peintre et l’emballeur lorsque l’un d’entre eux repérait un problème qualité. L’entraide étant montrée comme un facteur facilitant mais mettant aussi en lumière des problèmes d’activité hachée à cause d’éléments nuisant à la qualité du produit fini. C’est ainsi que des éléments sur l’intégration des nouveaux salariés et le transfert de compétences ont pu être proposés au-delà de la ‘simple’ mise en place d’aides à la manutention qui n’auraient pas résolu les problèmes à la source.

On voit bien dans cet exemple l’intérêt du croisement des représentations sur le travail et les conditions de travail. Croiser les regards, à partir des photos prises par 2 ou 3 personnes, a permis ici à la responsable HSE d’élargir la palette de solutions à explorer pour enrayer le processus de désinsertion professionnelle. Sans ce travail, la responsable HSE, en charge de mettre en place une politique de prévention dans l’entreprise, aurait pris des décisions et un cap à partir de sa seule représentation de ce qui génère de l’usure dans l’atelier, alors que les échanges autour des photos lui ont montré que sa vision du problème était partielle.

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Les séquences vidéos

Cette entreprise est une petite cidrerie (11 salariés), positionnée sur un marché de niche. Dans le cadre de l’initiation de sa démarche de Développement Durable et n’ayant pas les ressources (temps et compétences) en interne pour mener à bien un projet d’amélioration des conditions de travail, la direction de la cidrerie a sollicité l’ARACT Basse-Normandie pour prendre en compte le versant social de sa démarche. Les premières informations relatives à la relation santé – travail dont nous disposons laissent penser que l’entreprise est dans une situation favorable du point de vue des conditions de travail puisqu’elle ne dénombre aucune pathologie d’origine professionnelle à ce jour. Cependant, comme sa direction le pressent, les différentes situations de travail auxquelles sont exposés les salariés, caractérisées par des sollicitations physiques importantes, peuvent aboutir à des pathologies de type TMS des membres supérieurs ou des lombalgies. Dans un cas de figure comme celui-ci, l’enjeu a moins été d’analyser les raisons liées aux conditions de travail qui feraient que des maladies professionnelles pourraient être déclarées à terme, mais plus de comprendre et faire comprendre pourquoi, malgré les caractéristiques des situations de travail, les atteintes à la santé du personnel ne sont pas manifestes. Et du coup, de comprendre comment les salariés parviennent à gérer les dangers inhérents à leur activité.

Dans cette entreprise, l’outil d’analyse qui a été choisi a été l’outil vidéo. Dans ce cadre, des petites séquences vidéos sont réalisées à partir de rushs plus importants réalisés durant un temps variable en fonction du type d’activité. Ces séquences vidéos constituent également un matériau analysé sous l’angle gestes et postures, de la conception des équipements, l’organisation spatiale, l’organisation du travail, la gestion des aléas, le traitement des informations, les déplacements, la dimension collective de l’activité, etc.

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L’intérêt de cet outil réside dans son aspect dynamique et dans le principe de l’auto-confrontation. L’aspect dynamique de la vidéo permet, contrairement à l’outil photo, de visualiser les enchaînements d’action et donc d’analyser les stratégies qui guident ces actions. Ces stratégies étant elles-mêmes mises en place en réponse aux caractéristiques de la situation de travail (organisation du travail, environnement, espace à disposition, contraintes de production…), elles permettent donc de mettre le doigt sur les causes potentiellement à l’origine d’un processus de désinsertion professionnelle.

D’autre part, le fait que des salariés soient confrontés au film de leur propre activité ou de l’activité de leurs collègues permet de prendre conscience et d’objectiver des savoir-faire, des compétences et des stratégies (individuelles ou collectives) souvent peu formalisés car totalement intégrés dans le fonctionnement des salariés. Cette formalisation est très utile dans le cadre par exemple de problématiques liées à la gestion de transferts de savoir-faire liés à des départs à la retraite par exemple (c’est le cas du caviste pour cette entreprise).

Pour l’ensemble de ces outils, il convient d’analyser la situation de travail sous deux angles, et notamment de repérer :

• Les contraintes qui pèsent sur les salariés, c’est-à-dire tout ce qui peut leur poser des difficultés dans l’exercice de leur activité. Il peut s’agir de contraintes d’ordre physique (manutentions, postures, gestes répétitifs, déplacements…), cognitif (concentration soutenue, grand nombre d’informations à traiter, signalisation, contrôle permanent, déficit de compétences...), temporel et organisationnel (tâches courtes et répétitives, situations d’urgence ou dégradées répétées, travail sous cadence, délais serrés, interruptions fréquentes, grande variabilité de l’activité sans pouvoir anticiper...), environnemental (bruit, températures élevées ou basses, manipulations de produits toxiques...).

• Les moyens et ressources dont les salariés disposent pour y faire face : marges de manœuvre (autonomie, ajustement des objectifs, anticipation possible, développement des compétences adaptées..), modalités de coopération dans les équipes, savoir-faire liés à l’expérience et stratégies de protection mises en place individuellement et collectivement.

Les contraintes et les ressources ici évoquées constituent en soi des indicateurs qualitatifs sur le travail

Cette analyse vise une meilleure compréhension des conditions réelles de travail.

Un aspect innovant de ce mode d’analyse est notamment d’identifier aussi ce qui fait ressource pour les salariés, en partant de l’hypothèse que, de la même façon que les contraintes peuvent être réduites, les ressources peuvent également être développées et constituer un puissant vecteur de prévention. Comme le montre le schéma ci-dessous, l’objectif est de passer d’une situation déséquilibrée (contraintes > ressources) à une situation d’équilibre (contraintes = ressources) voire de déséquilibre « positif » (contraintes < ressources).

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Concrètement, en groupe de travail, l’utilisation de ces notions passe par une interrogation en deux temps et peut être formalisée sous la forme du tableau ci-dessous (exemple tiré d’une intervention) :

RESSOURCES

CONTRAINTES RESSOURCES

CONTRAINTES

Si moyens (ressources) non mis à dispositionpour gérer la variabilité

Altération de la santéImpacts négatifs sur l’efficacité

Construction de la santéPerformance de l’entreprise

Si moyens (ressources) mis à dispositionpour gérer la variabilité

Comment ?Organiser, anticiper, surveiller, prévenir, (se) déplacer, soulever/porter, manipuler,

monter/descendre, se contorsionner, ranger, échanger, gérer le temps, brancher/débrancher, savoir-faire

Caractéristiques favorables de la situation

de travail à créer ou conserver

Caractéristiques défavorables qui les

empêchent et qu’il faudrait faire évoluer

> Savoir-faire d’anticipation : appréciation du stade

de transfert pour organiser la suite de la journée

> Marges de manœuvre disponibles pour mettre en

place une organisation précise et maîtrisée par le

caviste (limite des déplacements, le travail dans la

précipitation, la recherche d’équipements, etc.)

> Regroupement de tâches permettant de limiter les

déplacements avec ports de charge, de gérer au

mieux la contrainte temporelle sans précipitation

> Des déplacements fréquents (d’un étage à

l’autre, d’un bâtiment à l’autre) pour recherche

d’équipements ou de tuyaux

> Conception des passerelles : étroitesse, rebords,

« fosse »

> Conception des cuves : hauteur et étroitesse de

l’entrée de la cuve, système d’éclairage nécessitant

l’usage d’une échelle

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Les interventions menées dans les différentes entreprises ont fait ressortir des facteurs de désinsertion professionnelle et des facteurs de qualité de vie au travail.

Les facteurs de désinsertion professionnelle :

• Mode de gestion des inaptitudes inadapté :

Cette société faisant partie d’un groupe est spécialisée dans la fabrication de caisses frigorifiques installées sur des châssis roulants. Elle emploie 370 personnes avec une forte ancienneté, dont 260 en production. Si les accidents du travail (coupures,...) ont chuté de 50 % en un an, les maladies professionnelles en revanche, concernent de plus en plus la population de moins de 40 ans et ayant une ancienneté inférieure à 10 ans. Jusqu’à présent l’entreprise n’a pas eu à faire face à des inaptitudes totales puisqu’elle a systématiquement engagé des actions de reclassement. L’entreprise estime maintenant que ces actions « au fil de l’eau », deviennent de moins en moins réalisables et la réorganisation du travail par division des tâches, pour créer de l’activité de travail, de plus en plus délicate.

Pour faire face à cette impression de « voie sans issue » et se donner des marges de manœuvre, l’ARACT Basse-Normandie a encouragé l’entreprise, sans mettre fin à de multiples actions de prévention des risques professionnels classiques, à aborder la question sous l’angle de la prévention de la désinsertion professionnelle. Ce qui revient à poser la question de la prévention plus en amont.

La question qui se pose alors est donc la suivante : Comment maintenir la capacité de travail des salariés dans un contexte de mutation démographique et organisationnel ?

La notion de maintien de la capacité de travail pouvant ici s’entendre à plusieurs niveaux :

› Capacités physiques de travail : Les conditions de travail actuelles permettent-elles à des salariés vieillissant de continuer à exercer leur métier sans risque pour leur santé ?

› Motivation : Comment faire en sorte que les évolutions passées et à venir ne représentent pas une contrainte insurmontable et fassent perdre aux salariés l’intérêt et le sens de leur travail ?

• Inadéquation entre situations de travail et ressources (moyens matériels et temporels, organisation inadaptée, déficit de collectif, déficit de prescrit, compétences)

Cette entreprise de l’agroalimentaire est spécialisée dans la fabrication de produits de la mer. Très automatisé, le process n’en est pas moins piloté par l’homme ou plutôt par des femmes sur toute la partie emballage. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si aucun aléa technique ne venait perturber la production. En effet, dans l’un des ateliers de conditionnement de cette entreprise, de nombreux dysfonctionnements techniques généraient des non-conformités produits, ceux-ci étant éjectés afin de contrôler la réalité de la non-conformité et en isoler la cause. Plusieurs éléments ont été mis en lumière dans le cadre des analyses réalisées sur les situations de travail :

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› Les systèmes de détection des non-conformités étaient pour la plupart trop sensibles ou mal réglés et éjectaient des produits pourtant conformes que les opératrices allaient devoir « tester » après les avoir mis en bacs, stockés en attente, manipulés unitairement avant de les réintégrer dans le flux. Les produits étant censés être tous conformes, l’espace n’était pas prévu pour gérer les non-conformes en si grand nombre. Le temps alloué pour ces opérations n’était pas dimensionné à la hauteur du besoin réel non plus.

› La politique de réduction des stocks déployée par l’entreprise à tous ses niveaux depuis la mise en place du Lean Production avait aussi eu des conséquences sur la réactivité du service Maintenance en cas de panne sur les machines. Ces dernières étant la cause première des non-conformités produit. Comment donc fabriquer un produit conforme avec des outils en mauvais état de fonctionnement dans les meilleurs délais ?

› À ces éléments s’ajoutait la présence de nombreux intérimaires ou CDD que les salariés permanents devaient former, tout en assurant leur production.

Cet exemple met en lumière le lien qui existe entre l’inadéquation des ressources à disposition des salariés et l’impact sur leurs conditions de travail. Dans cette entreprise, les ressources peuvent être absentes (manque matériel maintenance) mais elles peuvent aussi être présentes mais inadaptées (système de contrôle conformité trop sensible qui génère du travail supplémentaire non prévu dans le temps de travail des opératrices), conjugué au fait que les opératrices doivent former sans cesse de nouveaux venus tout en gardant un œil vigilant sur les dysfonctionnements potentiels de leur outil de travail, on se trouve face à une situation générant à la fois de l’usure physique mais aussi mentale, facteurs de désinsertion professionnelle.

• Parcours professionnel défavorable ou absence de parcours

Cette entreprise de moins de 50 salariés développe une activité de filetage de poisson. Si elle est organisée en deux grands ateliers correspondant à deux types de poissons différents, l’activité est de même nature, même si l’un des ateliers est beaucoup plus automatisé que l’autre. Or, dans le cas présent, des maladies professionnelles commencent à apparaître chez les femmes possédant une ancienneté importante et l’entreprise s’interroge sur les solutions qu’elle pourrait mettre en place. L’analyse montre que la population masculine évite le problème d’une exposition dans la durée en quittant l’entreprise après quelques années. Finalement, cet emploi est pour eux une solution temporaire qu’ils abandonnent dès qu’ils ont l’opportunité de trouver une position correspondant mieux à leur ambition professionnelle. Au contraire, les femmes restent dans l’entreprise, le territoire leur étant moins favorable en termes d’emplois, et sont exposées dans la durée aux caractéristiques de l’activité. L’une des marges de manœuvre possibles de l’entreprise dans ces situations est d’organiser pour ces salariés des parcours professionnels qui permettent de diversifier les situations de travail et les compétences à mettre en œuvre. Mais dans le cas présent, la taille de l’entreprise, les caractéristiques très proches des différents types de postes existants, rendent cette solution inopérante.

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• Compétences non développées (stagnation vs évolutions du métier, de l’entreprise)

Sur les lignes de conditionnement de cette entreprise de l’agro-alimentaire, les salariés effectuent des tâches répétitives de mise sous blister, contrôle qualité et mise en carton. De ce fait, l’entreprise n’a jamais considéré qu’une formation technique à la conduite de ligne soit nécessaire pour les opératrices. Lors de la mise en place d’une nouvelle ligne, dédiée à un nouveau produit, les dysfonctionnements récurrents des machines ne permettent pas d’atteindre le taux de rendement synthétique visé. L’analyse montre que face à ces nombreux dysfonctionnements, les opératrices ont développé des repères visuels et auditifs qui leur permettent d’intervenir sur la machine avant que le problème ne survienne : redresser un flacon qui risque de se coincer, évacuer un contenant dont le bouchon ne s’est pas positionné correctement … Mais, elles ne peuvent tout anticiper. Alors, dès qu’un problème survient et qu’il est nécessaire de réaliser un réglage, elles doivent faire appel à la maintenance. Or, les salariés de ce service ne sont pas toujours disponibles immédiatement (les temps de réglage n’ont pas été évalués à la bonne hauteur et d’autres tâches leur sont confiées). Ils s’étonnent des dysfonctionnements permanents, voire s’interrogent sur la manière dont les opératrices travaillent… De leur côté, les opératrices ne possèdent aucune formation technique leur permettant d’analyser ce qui fait problème, voire d’intervenir pour effectuer un réglage. Dans cette situation, où les compétences de conduite de ligne n’ont pas été développées, les opératrices se trouvent en situation de dépendance par rapport à la maintenance. Pour contrecarrer cette situation, elles se mettent en situation de vigilance permanente entraînant une charge cognitive et une multiplication de la gestuelle défavorable à terme pour leur santé.

D’autres facteurs de désinsertion professionnelle existent, comme par exemple :

• Compétences Inadaptées (Compétences attendues vs compétences existantes)

• Compétences non reconnues (par la hiérarchie, ses pairs)

• Prise en compte insuffisante des caractéristiques des populations (âge, ancienneté, état de santé) dans la définition des conditions de travail

• Expression de stress

• Impossibilité de parcours pour les salariés de TPE et petites PME (difficulté renforcée par la non-mixité des métiers et l’isolement géographique)

• Absence de projet dans un service au profit d’autres services d’une structure

• Absence de prise en compte des conditions de travail dans un projet

Les facteurs de Qualité de Vie au Travail :

• Favoriser la dimension collective du travail (possibilités d’entraide, possibilités de coopération et de coordination…) et le développement de compétences collectives

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Dans cette enseigne de la grande distribution alimentaire, l’entreprise est structurée autour de différents rayons auxquels sont affectés les personnels (35 salariés). L’entreprise connaît des arrêts de travail longs pour de nombreux salariés qui ont conduit le médecin du travail à alerter son dirigeant. Le rayon boucherie est un rayon qui se distingue des autres par un moindre taux d’absence et un développement significatif de son chiffre d’affaires. Cette situation a attiré notre attention : pourquoi une telle situation, sur un secteur pourtant réputé comme pénible dans le métier ? L’une des clefs tient dans la compétence collective présente au sein de cette équipe de trois personnes dont l’ancienneté a permis le développement. On observe ainsi des pratiques communes qui relèvent de différents champs :

• les membres sont tous bouchers de métier et partagent donc les mêmes savoirs et savoir faire

• ils sont capables de mettre en place des inter-actions efficaces : je connais les compétences de mes collègues, je sais qu’il est plus rapide que moi sur la découpe de tel type de pièce de bœuf, quand il y en a en arrivage le matin, je lui laisse prendre en charge cette tâche et je me charge ce jour-là de l’alimentation du rayon et inversement lorsqu’il s’agit de travailler d’autres types de morceaux

• ils co-construisent ensemble des solutions ad-hoc pour faire face aux différents événements qui surgissent. Si ce matin-là, de nombreux produits ont subi des changements de prix, leur mise à jour dans le système informatique sera prise charge immédiatement par l’un des équipiers qui se dégagera de ses tâches habituelles pour éviter que les premiers clients ne soient pas facturés au bon prix.

• ils aménagent des solutions d’organisation : si l’un des membres de l’équipe est absent à la prise de poste, les deux autres équipiers n’auront pas besoin de se concerter longtemps pour se repartager différemment les différentes tâches à effectuer, en reporter certaines, afin d’être malgré tout en capacité de servir le client au mieux.

• Faire en sorte de définir une quantité de tâches adaptée (charge de travail) au regard des compétences en jeu, des effectifs présents, des objectifs à atteindre…

Dans cette entreprise de la métallurgie, le départ en retraite prévu de l’outilleur conduit l’entreprise à formaliser son métier et les compétences qui y sont attachées dans le but d’ externaliser cette fonction. L’analyse montre que sa connaissance des différentes machines-outils sur lesquels seront installés les outillages qu’il développe, des produits qui y sont fabriqués, permettent au technicien du bureau d’étude qui conçoit les outillages de gagner du temps. En effet, il n’est pas rare que ce dernier se concerte avec l’outilleur avant d’opérer tel ou tel choix. Par ailleurs, nul n’est besoin d’un cahier des charges détaillé, d’un plan en 3D, d’un suivi du planning … toutes opérations qui seraient pourtant nécessaires s’il s’agissait de confier cette prestation à un fournisseur externe. Ici, l’ancienneté de l’outilleur et les compétences qu’il a acquises permettent au technicien du bureau des méthodes de sécuriser sa conception et de passer trois fois moins de temps dans la formalisation de sa commande qu’il ne le ferait pour un sous-traitant. Choisir d’externaliser cette fonction à l’occasion du départ de son titulaire, c’est prévoir d’accroître la charge de travail du technicien méthode. L’analyse a permis ici d’anticiper cette situation et d’éclairer la décision que l’entreprise pensait prendre, évitant ainsi de mettre ce technicien dans une situation défavorable.

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• Anticiper la perte de savoir-faire et organiser leur transfert > Tutorat

Dans la cidrerie, l’activité de caviste se caractérise par une autonomie et une organisation au service de la santé, la sécurité, et l’efficacité.

Cette activité ne fait pas l’objet d’un découpage en phases qui s’intégreraient dans un process défini. Le caviste doit remplir un certain nombre de missions (vérification des niveaux dans les cuves, désinfection et nettoyage des cuves, gestion des transferts de jus) dans la journée. La définition des cuves qui doivent être nettoyées et des jus qui doivent être transférés se fait en lien avec le directeur du site.

Le caviste construit ensuite l’organisation nécessaire à la gestion de ces différentes missions, en arbitrant entre les différentes priorités (transfert des jus prioritaire sur le nettoyage des cuves par exemple).

L’analyse, en groupe de travail, de l’activité du caviste a montré que ce dernier avait les moyens, les marges de manœuvre pour construire et mettre en place de nombreux savoir-faire (de prudence, d’anticipation, d’organisation, de gestion du temps) qui lui permettent de gérer au mieux les risques présents dans les situations de travail et de garantir l’efficacité.

La formalisation de ces compétences et savoir-faire et des caractéristiques de la situation de travail permettant leur mise en place a permis à l’entreprise de prendre la décision d’une période de tuilage de 6 mois pour permettre le transfert de ces compétences et savoir-faire entre le caviste partant à la retraite et le futur caviste. Il y a fort à parier que ce transfert soit un facteur indispensable dans la prévention de la désinsertion professionnelle pour le futur caviste.

On notera également :

• Favoriser les marges de manœuvre dans le travail (spatiales, temporelles, autonomie, possibilité de mise en place de stratégies individuelles et collectives)

• Garantir les conditions permettant au management de se situer sur un registre de soutien par rapport aux salariés

• Permettre un développement et une reconnaissance des compétences

• Favoriser le partage de « bonnes pratiques » entre salariés

• Penser la question des parcours professionnels en imaginant les parcours les plus favorables au regard des compétences à acquérir, des caractéristiques des conditions de réalisation du travail, des parcours professionnels antérieurs…

• Prendre en compte les temps d’apprentissage lors d’une prise de poste (conditions temporelles de travail, objectifs à atteindre…)

• Construire des tableaux de bord permettant d’anticiper la problématique, de suivre son évolution dans le temps

• Être en capacité de passer de problématiques individuelles (cas individuels) à des problématiques collectives (l’arbre qui cache la forêt)

• Être en capacité d’acquérir, dans les entreprises, des compétences permettant d’effectuer des traitements de données, d’analyser des situations de travail

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Les outils de Gestion des Ressources Humaines

Si la désinsertion professionnelle peut être appréhendée du point de vue de la pénibilité physique des conditions de travail, l’aspect organisationnel s’avère tout aussi important à investiguer. Les différents outils présentés plus haut permettent d’ailleurs de dépasser l’aspect purement physique et technique pour lancer les débats sur l’organisation du travail, la répartition des tâches, l’organisation spatiale.

Point n’est besoin de créer de nouveaux outils complexes, l’important est ici, avant tout, d’inciter les gestionnaires de ressources humaines à s’intéresser aux caractéristiques du travail. Ce changement de perspective est porteur de leviers d’actions complémentaires à ceux déjà mobilisés de façon classique par les entreprises.

Les outils de Ressources Humaines, qu’il s’agisse des entretiens individuels, des plans de formation, des cartographies des métiers permettant la gestion de carrière… sont utilisés pour permettre l’expression des salariés en termes d’évolutions, pour favoriser l’adaptation des compétences de ces derniers aux évolutions de l’entreprise, voire leur montée en qualification, pour détecter les potentiels et préparer des parcours qui permettent de retenir les meilleurs…

Mais les gestionnaires de Ressources Humaines se préoccupent encore assez peu de santé au travail. Il est vrai que bien souvent ce domaine est dévolu à des fonctions QHSE.

Cette situation est dommageable. En effet, dans de nombreuses situations, on se prive de moyens d’anticipation des situations de désinsertion.

Les outils classiques de gestion des ressources humaines peuvent être utilisés dans cette perspective :

› Rien n’empêche de prévoir dans le support d’entretien annuel une question qui invite le salarié à exprimer les contraintes qu’il ressent dans son travail.

› L’analyse du plan de formation permet de poser la question de la mobilisation de cet outil à des fins de prévention

› Les outils de cartographie des emplois peuvent être utilement complétés pour intégrer à côté des proximités de compétences afférentes aux différents métiers, une description des contraintes physiques et cognitives qui y sont attachées, permettant alors de construire non plus seulement des parcours de carrières, mais aussi des parcours intégrant des enjeux de santé.

On peut noter qu’un des déterminants du processus de désinsertion professionnelle est rarement investigué et qu’il représente un levier d’action innovant et important : les parcours professionnels.

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Plusieurs questions autour de cette thématique se posent ici :

• La Pénibilité de certaines situations de travail a-t-elle dégradé une santé déjà fragilisée par la pénibilité des postes précédemment tenus ?

L’hypothèse ici développée concerne un processus de désinsertion professionnelle en lien avec une carrière jalonnée de postes pénibles, qui vont les uns après les autres dégrader l’état de santé des salariés concernés. On peut ici prendre l’exemple des salariés intérimaires qui passent souvent d’un employeur à un autre et à qui les postes proposés sont souvent les plus pénibles, ceux sur lesquels ne sont pas affectés les salariés en CDI.

• L’absence de parcours professionnels expose-t-elle certaines catégories de salariés à une durée d’exposition à des facteurs de pénibilité qui aboutissent à de l’usure professionnelle et un risque de désinsertion professionnelle ?

L’exemple ci-dessous valide cette hypothèse. En effet, dans cette imprimerie, si les hommes et les femmes sont tous recrutés en tant qu’Aides de Finition, l’analyse des parcours sur les dix dernières années montre clairement que si les hommes bénéficient de parcours vers d’autres postes et/ou d’autres ateliers, les femmes restent inexorablement sur le poste d’Aide de Finition. Au final, on observe une recrudescence de pathologies pour cette population, aboutissant dans certains cas à des licenciements pour inaptitude. Les hommes, eux, étaient faiblement touchés par les problèmes de santé ou d’absentéisme. Le processus de désinsertion professionnelle est donc ici caractérisé par une absence de parcours professionnels ayant pour effet une exposition longue à des facteurs de pénibilité que le diagnostic a pu mettre en lumière.

Notons que le risque de désinsertion professionnelle dans ce cas est double. En effet, hormis le phénomène d’usure professionnelle que cette situation génère, les salariés concernés par l’absence de parcours professionnels n’ont pas ou peu la possibilité de développer leurs compétences et se retrouvent ainsi fragilisés en cas de reclassement en interne ou pire en cas de recherche d’emploi dans une autre entreprise.

-- Santé +++ Absentéisme --

5. Conducteurs

3. Aides

2. Démissions1. Retraite3. Licenciements

1. «Presses»

15 < Embauches > 19

15 < Aides de Finition > 10

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Pour clore ce guide, vous trouverez ici quelques exemples de situations dans lesquelles votre entreprise peut se situer, ainsi que quelques conseils/ interrogations sur la nature des outils à mobiliser pour agir dans ces différentes situations :

1) Je constate que certains indicateurs Santé et/ou RH se dégradent (Turn-over et/ou absentéisme qui augmente(nt), présence de MP, de restrictions d’aptitude…) :

Un processus de désinsertion professionnelle est potentiellement en cours et pousse à agir à différents niveaux :

• Quels sont les secteurs/ateliers/services, métiers ou populations plus concernés par ce processus ?

• Quels sont les facteurs à l’origine du processus (pénibilité ? Inadéquations contraintes/ressources ? Absence de parcours ?...) ?

Boîte à outils :

• Indicateurs croisés (santé/services ou secteurs, santé/métiers, santé/population (âge, ancienneté))

• Outils d’analyse des situations de travail : chronique d’activité, safari-photo, séquences vidéos

• Liste des facteurs de désinsertion professionnelle et des facteurs de qualité de vie au travail

2) J’ai dû récemment gérer des cas de restrictions d’aptitude :

a) En procédant à des reclassements ou des aménagements de postes (les possibilités étant de plus en plus limitées).

b) En procédant à des licenciements pour inaptitude dans certains cas.

Le processus de désinsertion professionnelle est ici avéré et très avancé pour certains salariés, ce qui amène à agir en traitant au cas par cas pour tenter de maintenir les salariés en emploi.

Si la réversibilité du phénomène semble impossible ou limitée pour certains salariés, les origines de celui-ci concernent tous les salariés de l’entreprise et il est encore possible d’agir en amont et de faire de la prévention. Il est donc important de passer d’un mode de gestion correctif à un mode de gestion préventif en privilégiant l’approche collective à l’approche individuelle et en répondant à ces questions :

• Les salariés concernés ont-ils des caractéristiques communes au regard de l’âge, de l’ancienneté, du genre, du parcours dans l’entreprise ?

SITUER SON ENTREPRISE POUR AGIR

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• Les salariés concernés exerçaient-ils leur activité dans le même secteur/atelier/service ? Dans le même emploi ?

• Quelles sont les caractéristiques des situations de travail auxquelles sont ou ont été exposés ces salariés ?

Boîte à outils :

• Analyse des parcours professionnels en lien avec l’analyse des populations (âge, ancienneté, genre)

• Outils d’analyse des situations de travail : chronique d’activité, safari-photo, séquences vidéos

• Liste des facteurs de désinsertion professionnelle et des facteurs de qualité de vie au travail

3) Aucun indicateur ne m’alerte sur un processus de désinsertion professionnelle en cours, cependant, je suis conscient que certaines activités sont « pénibles ».

L’absence d’indicateurs dégradés signifie-t-elle que les salariés ne courent aucun risque ? L’entreprise se doit de rester vigilante quant à cette question :

• Les indicateurs que je suis me permettent-ils de prendre conscience de la mise en route d’un tel processus ?

• Quels sont les secteurs/ateliers/services, métiers ou populations plus concernés par ce processus (des indicateurs trop macros peuvent masquer des phénomènes concernant un faible effectif par exemple) ?

• Quelles sont les caractéristiques des situations de travail auxquelles sont ou ont été exposés ces salariés et quels sont les facteurs qui pourraient être à l’origine d’un processus de désinsertion professionnelle (avoir conscience de la pénibilité de certains postes ne signifie par pour autant avoir conscience des déterminants de cette pénibilité, et c’est pourtant sur ces déterminants que l’entreprise doit agir) ?

Boîte à outils :

• Indicateurs croisés (santé/services ou secteurs, santé/métiers, santé/population (âge, ancienneté))

• Outils d’analyse des situations de travail : chronique d’activité, safari-photo, séquences vidéos

• Liste des facteurs de désinsertion professionnelle et des facteurs de qualité de vie au travail

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Pantone 301 C

Noir 100 %Noir 35 %

VERSION 2 COULEURS

Cyan 100 % / Magenta 40 % Jaune 0 % / Noir 20 %

Noir 100 %

Noir 35 %

VERSION QUADRIAssociation Régionale pour l'Améliorationdes Conditions de Travail de Basse-Normandie

Immeuble Paseo - Parc Athéna12, rue Ferdinand-Buisson14280 St-Contest - Caen

Tél. : 02 31 46 13 90

E-mail : [email protected]