Prix Varenne 1

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LEXIQUE Encours L’encours de la dette représente le capital de l’ensemble des em- prunts contractés restant à rem- bourser. Instrument de couverture C’est un titre financier dont l’objet est de couvrir le portefeuille contre un risque non désiré. L’achat d’un « cap » (une assurance contre une hausse de taux) est un exemple de couverture. Comme on l’observe dans le tableau ci-dessus, 30 % des instruments souscrits par LMCU pour couvrir les risques fi- nanciers l’ont été auprès de la Royal Bank of Scotland, contre la- quelle elle est aujourd’hui en procé- dure judiciaire. Produit structuré Un produit bancaire combinant op- tions, swaps... basé sur des para- mètres souvent opaques et vendu avec des marges importantes. Le produit est dit « toxique » dès lors qu’il engendre un actif financier que l’on ne peut plus vendre ou échanger, et donc qu’il ne vaut plus rien. Swap Un contrat d’échange de taux d’in- térêt entre deux parties valable du- rant une période de temps définie dès le départ. En décembre 2009, les élus LMCU votaient un nouveau cadre de gestion de la dette. Mis en cause par les collectivités, les commerciaux des banques ont la vie dure. Michel (*), un temps commercial chez Dexia, a proposé aux communautés de com- munes les produits financiers aujourd’hui dénoncés. Il s’élève contre l’idée que les agents territo- riaux en face de lui n’y comprenai- ent rien. « La plupart étaient des ad- ministrateurs de haut niveau avec lesquels nous pouvions discuter des semaines durant. » L’un de ses collè- gues, Arnaud (*), évoque malgré tout des produits vendus dont il es- timait très bien la toxicité : « Sou- vent, ça commençait par des taux faibles, puis les produits s’in- dexaient sur des devises exotiques (...). On expliquait à nos interlocu- teurs que ça allait être formidable. Très souvent, des deux côtés, c’était : "Après nous, le déluge." » Mais Arnaud aussi distingue peti- tes communes des grandes collecti- vités : « Le maire d’une petite ville ou son subalterne n’avaient aucune chance. La moindre des choses était de ne pas leur proposer. » « Tout le monde était d’accord !, s’écrie Régis Dos Santos, président du Syndicat national de la banque (CFE-CGC). On ne peut pas avoir ac- cepté la libéralisation totale, à gau- che comme à droite, et aujourd’hui dénoncer une escroquerie. »« Le monde politique est prompt à s’exo- nérer, renchérit-il. Mais les élus ne voyaient souvent que l’intérêt à court terme. » « On avait confiance » L’élu syndical refuse la mise à l’in- dex des commerciaux. Lampistes des directoires des grandes ban- ques, coupables, selon lui, d’avoir tout misé sur la spéculation, au dé- triment de la banque de détail. « On avait confiance en nos modèles et nos produits, soupire Michel. Pour preuve, j’avais placé 100 % de mon capital en actions Dexia. De 25 , elles sont descendues à 0,30 . J’ai tout perdu. » Gavée d’actifs toxiques, Dexia Crédit local est aujourd’hui démantelée. Un accord de reprise a été signé par la Banque postale, la Caisse des dépôts et consignations et l’État. J. L. (*) Prénoms modifiés. Depuis plus de deux ans, Lille Mé- tropole Communauté urbaine tente de désamorcer les bombes à retardement constituées par une di- zaine de contrats. Martine Aubry a confié le déminage à son bras droit, Jean-Marc Germain, directeur de cabinet de la présidente de LMCU et de la première secrétaire du PS. Les hostilités avaient été lancées fin 2009 à l’encontre de Dexia Cré- dit local et de Royal Bank of Scot- land (RBS), accusés d’avoir failli à leurs obligations d’informer leur client des risques encourus. Mais LMCU s’est vite heurtée à l’inertie des établissements bancaires. Dans le même temps, LMCU se dotait d’un nouveau cadre de gestion de la dette qui n’autorise plus que les emprunts libellés en euros, et entre- prend de simplifier et sécuriser le portefeuille de dette. En 2009 toujours, la présidente se séparait de son agence de notation Standard & Poor’s. Martine Aubry ne cachait pas son agacement à l’encontre de l’agence qui, par le passé, avait salué la gestion active de la dette. Dominique Baert, grand argentier de LMCU, abon- dait en dénonçant ces sociétés qui « non seulement n’ont joué aucun rôle d’alerte dans la crise financière et dans la diffusion des produits toxi- ques, mais au contraire ont conso- lidé les notes de ceux qui en fai- saient usage ». Entre 2009 et 2011, LMCU mène ensuite vingt-huit « opérations de sécurisation » pour mettre en sû- reté 637 M. La part des produits hautement spéculatifs passe de 33 % en 2008 à 26 % trois ans plus tard. Elle devrait s’établir à 20 % fin 2012. Depuis fin 2011, LMCU continue de se débattre pour effacer l’ardoise potentielle de ses produits toxiques. Trois procédures au contentieux ont été engagées contre la Royal Bank of Canada, la Deutsche Bank et la RBS. LMCU est même allée plus loin à l’encontre de cette dernière (dont les trois swaps, d’un montant total de 165,3 M, pourraient se révéler extrêmement défavorables à partir de cette année) en refusant de payer l’intégralité des intérêts dus à la banque. Une démarche simi- laire à celle de Saint-Étienne qui sera tranchée au tribunal. Quant à Dexia, avec laquelle les dis- cussions avaient un temps semblé profitables, elle fera également l’ob- jet d’une procédure judiciaire. LMCU a décidé de l’attaquer pour tromperie. Sans garantie non plus de réussite. J. L. Des années 90 jusqu’en 2008, la communauté urbaine de Lille a entretenu des liaisons dangereuses avec les banques pour répondre aux objectifs de développement. Désormais dénoncée, la gestion « active » de la dette a longtemps été le fer de lance de cette politique, soutenue par tous les élus. Pourquoi brûle-t-on aujourd’hui ce qu’on a adoré ? PAR JULIEN LÉCUYER [email protected] INFOGRAPHIE GIEM ET PH. S. MORTAGNE « Si nous pratiquons une gestion ac- tive de la dette, avec notre équipe de techniciens connus et réputés, c’est pour faire faire des économies à no- tre communauté, et ça marche ! » Ces mots, Dominique Baert, pre- mier vice-président aux finances de LMCU, les prononcent le 27 novem- bre 2008, alors que les vagues de la crise bancaire commencent à toucher le rivage lillois. Trois ans plus tard, le décor a changé. Deux rapports, du cabinet Klopfer et de la chambre régionale des comptes (CRC), dénoncent la prise de risque des services financiers de LMCU et la part des emprunts toxiques dans le portefeuille métropolitain. La CRC chiffre même le désastre à ve- nir : 106,9 Mde pertes potentiel- les à l’horizon 2027 (voir ci-des- sus). Les fonctionnaires étaient-ils incompétents ? Les élus aveugles ? Les banquiers escrocs ? Ou tout ce monde a-t-il dansé sur des sables mouvants en se persuadant d’être sur la terre ferme ? Le début de l’histoire est à situer dans les années 90. Pierre Mauroy est arrivé aux commandes de la communauté urbaine avec un ac- cord programmatique d’investisse- ment massif. En une décennie, la dette bondit d’un milliard à deux vers 1998. Un record français qui accentue la dépendance de la com- munauté urbaine à l’égard des ban- ques. Et surtout vis-à-vis de l’une d’elles : le Crédit local de France, de- venu Dexia en 1996. La banque des collectivités s’est vite inquiétée de l’endettement de la métropole. Dès 1992, Pierre Richard, prési- dent fondateur du Crédit local, re- çoit Pierre Mauroy pour lui suggé- rer de ralentir les investissements. L’ex-Premier ministre s’exécute, tout en maintenant la ligne. « Quand on a soulevé la question de la faisabilité, au regard de la dette, raconte un témoin, un vice-prési- dent nous a répondu : "On fait de la politique, pas de la gestion ! " C’était clair. » À la charnière du XXI e siècle, cette nécessité d’alléger le fardeau de la dette coïncide avec l’apparition de nouveaux produits financiers. « En 1996, ils n’étaient pas bien méchants (...), évoque Mi- chel Klopfer, du cabinet éponyme, devant les parlementaires en no- vembre. Puis, on est progressive- ment passés à ce que j’ai appelé (...) des "tartes aux fraises". » Soit de pe- tites « douceurs » qui s’avèrent dou- loureuses au fil des ans. Dominique Baert a vu s’unir trois volontés. Celle des banques, « qui voulaient élargir leurs marges com- merciales en faisant travailler le stock dormant de la dette ». Celle des élus, « tentés de céder à la dicta- ture du court terme ». « Il était sé- duisant de réduire les charges d’inté- rêt sur plusieurs années, quitte à les reporter dans dix ou vingt ans. » Celle enfin des fonctionnaires zélés, qui « ont joué avec une technicité qu’ils ne maîtrisaient pas ». Non maîtrisé, vraiment ? Entre 2001 et 2006, Lille Métropole a pu se délester de 20 % de son stock de dette. Ses performances sont sa- luées par l’agence de notation Stan- dard & Poor’s. Le directeur du ser- vice de gestion financière est même désigné, en 2005, meilleur prévi- sionniste de taux d’intérêt Écodéfi. « Que ce soit le contrôle de légalité, le comptable du Trésor ou la CRC, personne n’y a trouvé à redire », re- marque Dominique Baert. « La douche froide » La crise financière de 2008 change la donne. « Aucun spécialiste ne pouvait prédire que certains indices allaient évoluer au point de dégra- der le calcul des frais financiers », es- time un connaisseur du dossier. La nouvelle présidente de LMCU, Mar- tine Aubry, commande un audit au cabinet Klopfer. « À l’automne 2008, c’est la douche froide », se rappelle D. Baert. Le géant LMCU constate sa fragilité, comme des centaines de collectivités françai- ses. « On a pris conscience que cer- tains algorithmes pouvaient déra- per », poursuit l’élu. Doux euphémisme. Le rapport Klo- pfer, à l’automne 2009, révèle que l’encours de la dette de Lille Métro- pole serait adossé, pour 36 % (554 millions), à des produits « hau- tement spéculatifs ». La CRC va plus loin dans son rapport de no- vembre 2011. Les produits contrac- tés entre 2001 et 2010 par LMCU pourraient entraîner, après un gain de plus de 62 M, une perte de près de 170 millions ! La faute à qui ? La CRC n’est pas tendre avec le service de gestion financière. Opaque, quasi incompétent, à lire le rapport. On en viendrait à se de- mander comment ce service a réussi à dégager des profits jusqu’à son départ en 2007. La réalité est qu’aucun élu ne sa- vait ou ne souhaitait savoir quel risque était pris tant que le poids de la dette baissait. Il est marquant de constater que Jean-Pierre Bal- duyck, pourtant vice-président de tutelle du service, n’a pas été en- tendu par la CRC. Pourquoi ? Parce que le service bénéficie alors de toute latitude pour négocier. La signature du président de LMCU ? « Souvent faite à la machine à si- gner », révèle un témoin. Le rythme des renégociations tend pourtant à accréditer la thèse de la fuite en avant, alors que les ban- ques proposent des produits de plus en plus complexes. La CRC pointe ainsi un swap dont l’algo- rithme de calcul est « absolument inintelligible ». Comme si un parti- culier livrait le taux de son prêt à une formule seulement compréhen- sible de son banquier. Ou si d’autres produits, dans l’espoir de profits à court terme, engendraient des risques spéculatifs quasi illimi- tés. C’est le cas de trois swaps contractés auprès de la Royal Bank of Scotland, dont la valeur de mar- ché s’estimait en 2010 à - 90,5 M(et pour lesquels LMCU est en procé- dure judiciaire, lire ci-contre). Mais aussi risquée fût-elle, la ges- tion active de la dette s’appuyait sur une stratégie de renégociation continuelle des produits pour évi- ter le dérapage. « Les produits mis en place, note un spécialiste, n’avaient pas vocation à rester dura- blement dans le portefeuille. » Ce qui se produit pourtant en 2008, quand Martine Aubry décide de re- voir sa stratégie financière. « Arrê- ter la gestion active en 2008 (...), au regard des produits souscrits, ne pouvait avoir que des conséquences dangereuses pour l’établissement. » Or, poursuit-il, « des opportunités (de renégociations) se sont présen- tées fin novembre et début décembre 2008, ainsi qu’en mars 2009. Je ne sais pas si Lille Métropole les a saisies. » Les éléments manquent pour savoir dans quelle mesure la position de fermeté choisie par Mar- tine Aubry à partir de 2008 a pu peser sur la détérioration des pro- duits souscrits. « Tout le monde était d’accord » Martine Aubry et les banques : le bras de fer depuis 2009 Dette de Lille Métropole : comment tout a dérapé Martine Aubry a décidé d’affronter les banques responsables, selon elle, de la dette toxique de LMCU. PHOTO STÉPHANE MORTAGNE NOTRE ENQUÊTE RETOUR SUR VINGT ANS DE GESTION AU SEIN DE LA COMMUNAUTÉ URBAINE Il était séduisant de réduire les charges d’intérêt, quitte à les reporter... » DOMINIQUE BAERT 8 MÉTROPOLE LILLOISE ACTUALITÉ LA VOIX DU NORD VENDREDI 2 MARS 2012 ACTUALITÉ MÉTROPOLE LILLOISE 9 LA VOIX DU NORD VENDREDI 2 MARS 2012 2256.

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Prix Varenne 2012

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� LEXIQUE

EncoursL’encours de la dette représente lecapital de l’ensemble des em-prunts contractés restant à rem-bourser.

Instrument de couvertureC’est un titre financier dont l’objetest de couvrir le portefeuille contreun risque non désiré. L’achat d’un« cap » (une assurance contre unehausse de taux) est un exemple decouverture. Comme on l’observedans le tableau ci-dessus, 30 %des instruments souscrits parLMCU pour couvrir les risques fi-nanciers l’ont été auprès de laRoyal Bank of Scotland, contre la-quelle elle est aujourd’hui en procé-dure judiciaire.

Produit structuréUn produit bancaire combinant op-tions, swaps... basé sur des para-mètres souvent opaques et venduavec des marges importantes. Leproduit est dit « toxique » dès lorsqu’il engendre un actif financierque l’on ne peut plus vendre ouéchanger, et donc qu’il ne vautplus rien.

SwapUn contrat d’échange de taux d’in-térêt entre deux parties valable du-rant une période de temps définiedès le départ.

En décembre 2009, les élus LMCU votaient un nouveau cadre de gestion de la dette.

Mis en cause par les collectivités,les commerciaux des banquesont la vie dure. Michel (*), untemps commercial chez Dexia, aproposé aux communautés de com-munes les produits financiersaujourd’hui dénoncés. Il s’élèvecontre l’idée que les agents territo-riaux en face de lui n’y comprenai-ent rien. « La plupart étaient des ad-ministrateurs de haut niveau aveclesquels nous pouvions discuter dessemaines durant. » L’un de ses collè-gues, Arnaud (*), évoque malgrétout des produits vendus dont il es-timait très bien la toxicité : « Sou-vent, ça commençait par des tauxfaibles, puis les produits s’in-dexaient sur des devises exotiques(...). On expliquait à nos interlocu-teurs que ça allait être formidable.Très souvent, des deux côtés,c’était : "Après nous, le déluge." »Mais Arnaud aussi distingue peti-tes communes des grandes collecti-vités : « Le maire d’une petite villeou son subalterne n’avaient aucunechance. La moindre des choses étaitde ne pas leur proposer. »« Tout le monde était d’accord !,

s’écrie Régis Dos Santos, présidentdu Syndicat national de la banque(CFE-CGC). On ne peut pas avoir ac-cepté la libéralisation totale, à gau-che comme à droite, et aujourd’huidénoncer une escroquerie. » « Lemonde politique est prompt à s’exo-nérer, renchérit-il. Mais les élus nevoyaient souvent que l’intérêt àcourt terme. »

« On avait confiance »L’élu syndical refuse la mise à l’in-dex des commerciaux. Lampistesdes directoires des grandes ban-ques, coupables, selon lui, d’avoirtout misé sur la spéculation, au dé-triment de la banque de détail.« On avait confiance en nos modèleset nos produits, soupire Michel.Pour preuve, j’avais placé 100 % demon capital en actions Dexia. De25 €, elles sont descendues à0,30 €. J’ai tout perdu. »Gavée d’actifs toxiques, Dexia Créditlocal est aujourd’hui démantelée. Unaccord de reprise a été signé par laBanque postale, la Caisse des dépôtset consignations et l’État. � J. L.

� (*) Prénoms modifiés.

Depuis plus de deux ans, Lille Mé-tropole Communauté urbainetente de désamorcer les bombes àretardement constituées par une di-zaine de contrats. Martine Aubry aconfié le déminage à son bras droit,Jean-Marc Germain, directeur decabinet de la présidente de LMCUet de la première secrétaire du PS.Les hostilités avaient été lancéesfin 2009 à l’encontre de Dexia Cré-dit local et de Royal Bank of Scot-land (RBS), accusés d’avoir failli àleurs obligations d’informer leurclient des risques encourus. MaisLMCU s’est vite heurtée à l’inertiedes établissements bancaires. Dansle même temps, LMCU se dotaitd’un nouveau cadre de gestion dela dette qui n’autorise plus que lesemprunts libellés en euros, et entre-prend de simplifier et sécuriser leportefeuille de dette.En 2009 toujours, la présidente seséparait de son agence de notationStandard & Poor’s. Martine Aubryne cachait pas son agacement àl’encontre de l’agence qui, par lepassé, avait salué la gestion activede la dette. Dominique Baert,grand argentier de LMCU, abon-dait en dénonçant ces sociétés qui« non seulement n’ont joué aucunrôle d’alerte dans la crise financièreet dans la diffusion des produits toxi-ques, mais au contraire ont conso-lidé les notes de ceux qui en fai-saient usage ».

Entre 2009 et 2011, LMCU mèneensuite vingt-huit « opérations desécurisation » pour mettre en sû-reté 637 M€. La part des produitshautement spéculatifs passe de33 % en 2008 à 26 % trois ansplus tard. Elle devrait s’établir à20 % fin 2012. Depuis fin 2011,LMCU continue de se débattre poureffacer l’ardoise potentielle de sesproduits toxiques. Trois procéduresau contentieux ont été engagéescontre la Royal Bank of Canada, laDeutsche Bank et la RBS. LMCU estmême allée plus loin à l’encontre

de cette dernière (dont les troisswaps, d’un montant total de165,3 M€, pourraient se révélerextrêmement défavorables à partirde cette année) en refusant depayer l’intégralité des intérêts dusà la banque. Une démarche simi-laire à celle de Saint-Étienne quisera tranchée au tribunal.Quant à Dexia, avec laquelle les dis-cussions avaient un temps sembléprofitables, elle fera également l’ob-jet d’une procédure judiciaire.LMCU a décidé de l’attaquer pourtromperie. Sans garantie non plusde réussite. � J. L.

Des années 90 jusqu’en2008, la communautéurbaine de Lille a entretenudes liaisons dangereusesavec les banques pourrépondre aux objectifs dedéveloppement. Désormaisdénoncée, la gestion« active » de la dette alongtemps été le fer delance de cette politique,soutenue par tous les élus.Pourquoi brûle-t-onaujourd’hui ce qu’ona adoré ?

PAR JULIEN LÉ[email protected] GIEM ET PH. S. MORTAGNE

« Si nous pratiquons une gestion ac-tive de la dette, avec notre équipe detechniciens connus et réputés, c’estpour faire faire des économies à no-tre communauté, et ça marche ! »Ces mots, Dominique Baert, pre-mier vice-président aux finances deLMCU, les prononcent le 27 novem-bre 2008, alors que les vagues dela crise bancaire commencent àtoucher le rivage lillois. Trois ansplus tard, le décor a changé. Deux

rapports, du cabinet Klopfer et dela chambre régionale des comptes(CRC), dénoncent la prise de risquedes services financiers de LMCU etla part des emprunts toxiques dansle portefeuille métropolitain. LaCRC chiffre même le désastre à ve-nir : 106,9 M€ de pertes potentiel-les à l’horizon 2027 (voir ci-des-sus). Les fonctionnaires étaient-ilsincompétents ? Les élus aveugles ?Les banquiers escrocs ? Ou tout cemonde a-t-il dansé sur des sablesmouvants en se persuadant d’êtresur la terre ferme ?Le début de l’histoire est à situerdans les années 90. Pierre Mauroyest arrivé aux commandes de lacommunauté urbaine avec un ac-cord programmatique d’investisse-ment massif. En une décennie, ladette bondit d’un milliard à deuxvers 1998. Un record français quiaccentue la dépendance de la com-munauté urbaine à l’égard des ban-ques. Et surtout vis-à-vis de l’uned’elles : le Crédit local de France, de-venu Dexia en 1996. La banquedes collectivités s’est vite inquiétéede l’endettement de la métropole.Dès 1992, Pierre Richard, prési-dent fondateur du Crédit local, re-çoit Pierre Mauroy pour lui suggé-

rer de ralentir les investissements.L’ex-Premier ministre s’exécute,tout en maintenant la ligne.« Quand on a soulevé la question dela faisabilité, au regard de la dette,raconte un témoin, un vice-prési-dent nous a répondu : "On fait de lapolitique, pas de la gestion !"C’était clair. » À la charnière duXXIe siècle, cette nécessité d’alléger

le fardeau de la dette coïncide avecl’apparition de nouveaux produitsfinanciers. « En 1996, ils n’étaientpas bien méchants (...), évoque Mi-chel Klopfer, du cabinet éponyme,devant les parlementaires en no-vembre. Puis, on est progressive-ment passés à ce que j’ai appelé (...)des "tartes aux fraises". » Soit de pe-tites « douceurs » qui s’avèrent dou-loureuses au fil des ans.Dominique Baert a vu s’unir troisvolontés. Celle des banques, « quivoulaient élargir leurs marges com-merciales en faisant travailler lestock dormant de la dette ». Celledes élus, « tentés de céder à la dicta-ture du court terme ». « Il était sé-duisant de réduire les charges d’inté-rêt sur plusieurs années, quitte à lesreporter dans dix ou vingt ans. »Celle enfin des fonctionnaires zélés,qui « ont joué avec une technicitéqu’ils ne maîtrisaient pas ».Non maîtrisé, vraiment ? Entre2001 et 2006, Lille Métropole a puse délester de 20 % de son stock dedette. Ses performances sont sa-luées par l’agence de notation Stan-dard & Poor’s. Le directeur du ser-vice de gestion financière est mêmedésigné, en 2005, meilleur prévi-sionniste de taux d’intérêt Écodéfi.

« Que ce soit le contrôle de légalité,le comptable du Trésor ou la CRC,personne n’y a trouvé à redire », re-marque Dominique Baert.

« La douche froide »La crise financière de 2008 changela donne. « Aucun spécialiste nepouvait prédire que certains indicesallaient évoluer au point de dégra-der le calcul des frais financiers », es-time un connaisseur du dossier. Lanouvelle présidente de LMCU, Mar-tine Aubry, commande un auditau cabinet Klopfer. « À l’automne2008, c’est la douche froide », serappelle D. Baert. Le géant LMCUconstate sa fragilité, comme descentaines de collectivités françai-ses. « On a pris conscience que cer-tains algorithmes pouvaient déra-per », poursuit l’élu.Doux euphémisme. Le rapport Klo-pfer, à l’automne 2009, révèle quel’encours de la dette de Lille Métro-pole serait adossé, pour 36 %(554 millions), à des produits « hau-tement spéculatifs ». La CRC vaplus loin dans son rapport de no-vembre 2011. Les produits contrac-tés entre 2001 et 2010 par LMCUpourraient entraîner, après ungain de plus de 62 M€, une perte

de près de 170 millions ! La faute àqui ? La CRC n’est pas tendre avecle service de gestion financière.Opaque, quasi incompétent, à lirele rapport. On en viendrait à se de-mander comment ce service aréussi à dégager des profits jusqu’àson départ en 2007.La réalité est qu’aucun élu ne sa-vait ou ne souhaitait savoir quelrisque était pris tant que le poids dela dette baissait. Il est marquant deconstater que Jean-Pierre Bal-duyck, pourtant vice-président detutelle du service, n’a pas été en-tendu par la CRC. Pourquoi ?Parce que le service bénéficie alorsde toute latitude pour négocier. Lasignature du président de LMCU ?« Souvent faite à la machine à si-gner », révèle un témoin.Le rythme des renégociations tendpourtant à accréditer la thèse de lafuite en avant, alors que les ban-ques proposent des produits deplus en plus complexes. La CRCpointe ainsi un swap dont l’algo-rithme de calcul est « absolumentinintelligible ». Comme si un parti-culier livrait le taux de son prêt àune formule seulement compréhen-sible de son banquier. Ou sid’autres produits, dans l’espoir de

profits à court terme, engendraientdes risques spéculatifs quasi illimi-tés. C’est le cas de trois swapscontractés auprès de la Royal Bankof Scotland, dont la valeur de mar-ché s’estimait en 2010 à - 90,5 M€

(et pour lesquels LMCU est en procé-dure judiciaire, lire ci-contre).Mais aussi risquée fût-elle, la ges-tion active de la dette s’appuyaitsur une stratégie de renégociationcontinuelle des produits pour évi-ter le dérapage. « Les produits misen place, note un spécialiste,n’avaient pas vocation à rester dura-blement dans le portefeuille. » Cequi se produit pourtant en 2008,quand Martine Aubry décide de re-voir sa stratégie financière. « Arrê-ter la gestion active en 2008 (...),au regard des produits souscrits, nepouvait avoir que des conséquencesdangereuses pour l’établissement. »Or, poursuit-il, « des opportunités(de renégociations) se sont présen-tées fin novembre et début décembre2008, ainsi qu’en mars 2009. Jene sais pas si Lille Métropole les asaisies. » Les éléments manquentpour savoir dans quelle mesure laposition de fermeté choisie par Mar-tine Aubry à partir de 2008 a pupeser sur la détérioration des pro-duits souscrits. �

« Tout le monde était d’accord »

Martine Aubry et les banques :le bras de fer depuis 2009

Dette de Lille Métropole : comment tout a dérapé

Martine Aubry a décidé d’affronter les banques responsables,selon elle, de la dette toxique de LMCU. PHOTO STÉPHANE MORTAGNE

NOTRE ENQUÊTE RETOUR SUR VINGT ANS DE GESTION AU SEIN DE LA COMMUNAUTÉ URBAINE

Il était séduisantde réduire les chargesd’intérêt, quitte à lesreporter... » DOMINIQUE BAERT

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LA VOIX DU NORDVENDREDI 2 MARS 2012

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