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BRUYLANT PRENDRE LA CADUCITÉ PAR DISPARITION DE L’OBJET AU SÉRIEUX RAFAËL JAFFERALI (1) CHARGÉ DE COURS TITULAIRE DE LA CHAIRE DE DROIT DES OBLIGATIONS À L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES (ULB) AVOCAT AU BARREAU DE BRUXELLES (SIMONT BRAUN) « Le droit français a ignoré l’impossibilité en tant que problème autonome ; il a surtout refusé d’en faire le fondement de la responsabilité contractuelle. Il ne l’a envisagée qu’indirectement, par le biais de la force majeure. (…) [L’impossibilité] n’est, en droit français, ni une notion juridique fondamentale, ni une institution ». L.-J. CONSTANTINESCO, Inexécution et faute contractuelle en droit comparé, Stuttgart, W. Kohlhammer Verlag, et Bruxelles, Librairie encyclopédique, 1960, n° 273, pp. 431-432. « (…) l’histoire est le récit de nos erreurs et des efforts que nous faisons pour découvrir la vérité ». — F. LAURENT, Principes de droit civil, t. XVII, 4 e  éd., Bruxelles, Bruylant et Paris, Marescq, 1887, n° 472, p. 465. INTRODUCTION 1. De la disparition de la cause à celle de l’objet, un monde de dif- férences. La caducité du contrat par disparition de sa cause n’en nit pas de faire parler d’elle. Admise en matière de donations en 1989 (2), restreinte en 2000 aux libéralités testamentaires dont la cause dispa- (1) Je remercie vivement Paul Alain Foriers, Professeur ordinaire à l’Université libre de Bruxelles (ULB) et avocat à la Cour de cassation, pour sa relecture attentive de ce texte et ses sti- mulantes réexions. Les opinions exprimées dans ce rapport le sont naturellement à titre personnel. (2) Cass., 16 novembre 1989, Pas., 1989, I, I, p. 331, Ann. dr. Liège, 1990, p. 334, note P. DELNOY, R.C.J.B., 1993, p. 73, note S. NUDELHOLE, R.G.D.C., 1990, p. 294, note L. RAUCENT. Bibliothèque de la Faculté de Droit de l'ULB (164.15.26.14) Introduction Éditions Larcier - © Groupe Larcier

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PRENDRE LA CADUCITÉ PAR DISPARITION DE L’OBJET AU SÉRIEUX

RAFAËL JAFFERALI (1)

CHARGÉ DE COURS TITULAIRE DE LA CHAIRE DE DROIT DES OBLIGATIONS À L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES (ULB)

AVOCAT AU BARREAU DE BRUXELLES (SIMONT BRAUN)

«  Le droit français a ignoré l’impossibilité en tant que problème autonome  ; il a surtout refusé d’en faire le fondement de la responsabilité contractuelle. Il ne l’a envisagée qu’indirectement, par le biais de la force majeure.  (…) [L’impossibilité] n’est, en droit français, ni une notion juridique fondamentale, ni une institution ».

— L.-J.  CONSTANTINESCO, Inexécution et faute contractuelle en droit comparé, Stuttgart, W.  Kohlhammer Verlag, et Bruxelles, Librairie encyclopédique, 1960, n° 273, pp. 431-432.

«  (…) l’histoire est le récit de nos erreurs et des efforts que nous faisons pour découvrir la vérité ».

— F. LAURENT, Principes de droit civil, t. XVII, 4e  éd., Bruxelles, Bruylant et Paris, Marescq, 1887, n° 472, p. 465.

INTRODUCTION

1. De la disparition de la cause à celle de l’objet, un monde de dif-férences. La caducité du contrat par disparition de sa cause n’en finit pas de faire parler d’elle. Admise en matière de donations en 1989 (2), restreinte en 2000 aux libéralités testamentaires dont la cause dispa-

(1) Je remercie vivement Paul Alain Foriers, Professeur ordinaire à l’Université libre de Bruxelles (ULB) et avocat à la Cour de cassation, pour sa relecture attentive de ce texte et ses sti-mulantes réflexions. Les opinions exprimées dans ce rapport le sont naturellement à titre personnel.

(2) Cass., 16 novembre 1989, Pas., 1989, I, I, p. 331, Ann. dr. Liège, 1990, p. 334, note P. DELNOY, R.C.J.B., 1993, p. 73, note S. NUDELHOLE, R.G.D.C., 1990, p. 294, note L. RAUCENT.

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raît avant le décès du testateur et exclue pour les actes ne présentant pas le caractère d’une libéralité (3), apparemment définitivement condamnée en 2008 en ce compris pour les donations (4), puis admise contre toute attente en 2014 en matière de tontine (5), cette cause de dissolution des contrats demeure, encore aujourd’hui, entourée d’un épais voile d’incertitudes (6).

En comparaison, la caducité par disparition de l’objet fait figure d’institution presque banale.

Elle a certes fait une entrée remarquée dans notre droit positif lors du prononcé de l’arrêt de la Cour de cassation du 28 novembre 1980 ou, plus exactement, de la parution du commentaire auquel celui-ci a donné lieu (7). On se souvient en effet que, dans cette af-faire, la Cour a admis qu’un bailleur, quoique responsable par sa négligence de la perte des lieux loués, puisse tenir le contrat de bail pour « résolu », alors pourtant qu’il ne pouvait se prévaloir, ni de la théorie des risques (étant en faute), ni de la résolution prévue par l’article  1184 du Code civil (celle-ci étant réservée à la victime de l’inexécution, donc au preneur) (8).

Cette décision singulière aurait pu être reçue comme n’étant que l’expression d’une particularité du droit du bail, voire comme un simple arrêt d’espèce. Elle a cependant acquis toute l’importance qui est aujourd’hui la sienne à travers l’analyse que lui a consacrée le Professeur Foriers.

Dans son commentaire publié à la Revue critique de jurisprudence belge, celui-ci a en effet démontré que cette décision, loin de consti-tuer une anomalie, s’inscrivait au contraire parfaitement dans la

(3) Cass., 21 janvier 2000, Pas., 2000, n° 56, J.T., 2000, p. 676, obs. P.A. FORIERS, R. Cass., 2001, p. 77, note M. VAN QUICKENBORNE, R.C.J.B., 2000, p. 77, note J.-Fr. ROMAIN ; voy. égal., dans la même affaire, Cass., 12 octobre 2006, Pas., 2006, n° 482.

(4) Cass., 12 décembre 2008, Pas., 2008, n° 723, Act. dr. fam., 2009, p. 149, note S. NUDELHOLC, J.T., 2010, p.  321, note P.  DELNOY, R.A.B.G., 2009, p.  811, note B.  VERLOOY, Rev. not. b., 2009, note P. MOREAU, R.G.D.C., 2009, p. 236, note M.A. MASSCHELEIN, R.W., 2008-2009, p. 1666, note R. BARBAIX.

(5) Cass., 6 mars 2014, Pas., 2014, n° 181, A.C., 2014, n° 181, avec les conclusions contraires de M. l’avocat général VAN INGELGEM, J.T., 2015, p. 617, obs. V. WYART, Rev. not. b., 2015, p. 524, note A.-C.  VAN GYSEL, R.G.D.C., 2014, p.  261, note F.  PEERAER, R.W., 2013-2014, p.  1625, note D. MICHIELS.

(6) Comp. égal., sur la base de la théorie de l’abus de droit, Cass., 14 octobre 2010, Pas., 2010, n° 603, D.A.O.R., 2012, p. 5, note J. VAN ZUYLEN ; Cass., 21 septembre 1989, Pas., 1990, I, p. 84.

(7) Cass., 28  novembre 1980, Pas., 1981, I, p.  369, R.C.J.B., 1987, p.  70, note P.A.  FORIERS, « Observations sur la caducité des contrats par suite de la disparition de leur objet ou de leur cause ».

(8) Pour plus de détails, voy. infra, n° 6.

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logique du système juridique belge. L’idée selon laquelle la dispa-rition, même fautive, de l’objet du contrat entraîne la dissolution de plein droit – plus précisément, la caducité – de celui-ci vaut ainsi non seulement en matière de bail (9), mais également de société (10), de mandat (11), de cautionnement (12) et de contrats accessoires en général (13) ou encore de vente (14). Elle peut dès lors être admise comme cause générale de dissolution des contrats (15).

Cette analyse, développée dans les contributions ultérieures du même auteur et en particulier dans sa thèse de doctorat (16), a très rapidement emporté la conviction tant de la doctrine (17) que de la jurisprudence, au point que cette dernière lui a rapidement reconnu le statut envié de principe général du droit (18). À la différence de la disparition de la cause, dont le statut demeure à ce jour encore

(9) P.A. FORIERS, « Observations sur la caducité des contrats par suite de la disparition de leur objet ou de leur cause », R.C.J.B., 1987, n° 5, p. 79.

(10) Ibid., nos 9 et s., pp. 83 et s. (11) Ibid., n° 14, p. 90. (12) Ibid., n° 15, pp. 90 et s. (13) Ibid., n° 15, p. 91. (14) Ibid., 1987, nos 16 et s., pp. 91 et s. (15) Ibid., 1987, nos 18 et s., pp. 95 et s. (16) Voy. P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément

essentiel à leur formation. De la nature des choses à l’équité, de l’impossibilité au principe de l’exé-cution de bonne foi, Bruxelles, Bruylant, 1998 ; voy. égal. P.A. FORIERS, Groupes de contrats et en-sembles contractuels. Quelques observations en droit positif, Bruxelles, Larcier, 2006 ; P.A. FORIERS et M.-A. GARNY, « La caducité de l’obligation par disparition d’un élément essentiel à sa formation », Chronique de jurisprudence sur les causes d’extinction des obligations (2000-2013), Bruxelles, Larcier, 2014, pp. 232 et s.

(17) Voy. A.  BOËL, «  La caducité  », Obligations. Commentaire pratique, f. mob., Waterloo, Kluwer, 2008, V.2.5 ; C. CAUFFMAN, « Het verval van de verbintenissen wegens het teloorgaan van hun voorwerp erkend als algemeen rechtsbeginsel », note sous Cass., 14 octobre 2004, R.W., 2005-2006, pp. 860 et s. ; B. CLAESSENS et N. PEETERS, « Verval », Bestendig Handboek Verbintenissenrecht, f. mob., Antwerpen, Kluwer, 2005, V.3 ; T. DE LOOR, « Het verval als wijze van beëindiging van een rechtshandeling ten gevolge van het wegvallen van voorwerp of oorzaak », R.W., 1995-1996, pp. 761 et s. ; S. JANSEN, Prijsvermindering. Remedie tot het bijsturen van contracten, Antwerpen, Intersentia, 2015, n° 894, pp. 700 et s. ; I. MOREAU-MARGRÈVE, C. BIQUET-MATHIEU et A. GOSSELIN, « Grands arrêts récents en matière d’obligations », Act. dr., 1997, pp. 19 et s. ; J.-Fr. ROMAIN, « Clarifications concernant la théorie de la caducité des actes juridiques, en particulier des libéralités testamen-taires, par disparitionde leur cause-mobile déterminant », R.C.J.B., 2004, n° 15, p. 101 ; S. STIJNS, De gerechtelijke en buitengerechtelijke ontbinding van overeenkomsten. Onderzoek van het Belgische recht getoetst aan het Franse en het Nederlandse recht, Antwerpen et Apeldoorn, Maklu, 1994, nos 23 et s., pp. 60 et s. ; S. STIJNS, Verbintenissenrecht, Boek 1, Brugge, die Keure, 2005, n° 138, pp. 100 et s. ; P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, Les obligations, Bruxelles, Larcier, 2013, nos 649 et s., pp. 988 et s. ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, Théorie générale du contrat, 2e éd., Bruxelles, Larcier, 2011, n° 1020, pp. 943 et s. ; contra : L. CORNELIS, Algemene theorie van de verbin-tenis, Antwerpen et Groningen, Intersentia, 2000, nos 649 et s., pp. 842 et s.

(18) Voy. les décisions de la Cour de cassation analysées infra, nos  5 et s., et spéc. l’arrêt du 14 octobre 2004.

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incertain, la disparition de l’objet du contrat fait donc incontesta-blement partie du droit positif belge (19).

2. Objet du présent rapport. Dans ces conditions, apporter encore quelque chose de neuf à l’étude de la caducité par disparition de l’objet serait-il une tâche impossible ? Je ne le pense pourtant pas.

En effet, le motif principal pour lequel la caducité par dispari-tion de l’objet a été reçue aussi favorablement en droit positif est le fait que cette nouvelle cause de dissolution a pu être accueillie sans bouleversement majeur des solutions existantes, qu’elle contribue au contraire à expliquer. Tout l’art du Professeur Foriers a en effet consisté à montrer à quel point des situations a priori aussi éloi-gnées que le décès de la partie à l’égard de laquelle le contrat a été conclu intuitu personae (20), la promulgation d’une loi impérative ou d’ordre public frappant d’illégalité le contrat en cours d’exis-tence (21), ou encore le sort commun des groupes de contrats en cas de dissolution de l’un d’eux (22), peuvent se ramener à l’idée commune d’impossibilité d’exécution et, ainsi, de perte de l’objet de la convention. Dans chacun de ces cas, en effet, l’exécution en nature du contrat se trouve exclue et, quelle que soit la raison de cette situation, il semblerait déraisonnable de permettre au créan-cier d’exiger une prestation qui ne peut par hypothèse plus lui être fournie  ; la nature même des choses semble en ce cas imposer de prendre acte de cet état de fait en considérant l’obligation et, le cas échéant, toute la convention comme caduque, quitte à réserver la question d’éventuels dommages-intérêts si le débiteur est respon-sable de cette situation (23).

Cette présentation du problème, si elle est assurément séduisante et a permis à la caducité de trouver assez aisément sa place dans les manuels de droit civil belge, présente toutefois l’inconvénient de minimiser le caractère foncièrement novateur de cette institution. Comme pour tout principe général du droit, on est tenté de croire qu’il a toujours été présent, à l’état latent, dans l’ordre juridique

(19) Et ce, même si la frontière exacte entre la disparition de l’objet et celle de la cause demeure dans certains cas difficile à tracer : voy. à ce propos infra, n° 16.

(20) P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essentiel à leur formation, op. cit., nos 27 et s., pp. 32 et s.

(21) Ibid., nos 30 et s., pp. 34 et s. (22) Ibid., nos 40 et s., pp. 42 et s. (23) Ibid., nos 17 et s., pp. 21 et s. Sur cet appel à la nature des choses comme fondement de la

caducité, voy. égal. infra, n°43.

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avant que sa reconnaissance officielle par la Cour de cassation ne le rende manifeste aux yeux de tous (24). On en finirait presque par oublier que, pour un juriste du XIXe siècle, l’admission de la dispa-rition de l’objet comme cause générale de dissolution des contrats aurait constitué une véritable révolution (25).

Tout en prenant la caducité par disparition de l’objet comme une donnée acquise, la présente contribution ambitionne dès lors d’exa-miner sans détour les retouches et, parfois, les véritables aménage-ments que la reconnaissance de cette institution en droit positif im-pose d’apporter à la théorie générale du contrat. Comme on le verra, la question se pose principalement en ce qui concerne l’articulation de la caducité avec les autres modes de dissolution de la convention. Ainsi, est-il cohérent que la caducité agisse de plein droit alors que la nullité et la résolution pour inexécution requièrent classiquement l’introduction d’une action en justice ? La théorie des risques, qui quant à elle intervient également de plein droit, se trouve-t-elle

(24) La célèbre fable des habits neufs de l’empereur (voy. H.C. ANDERSEN, Contes d’Andersen (trad. D. SOLDI), Paris, Hachette, 1856, pp. 9 et s.) évoque à cet égard assez bien la façon dont, selon certains, le principe général du droit accéderait à la reconnaissance : « Les principes généraux du droit, qui sont “applicables même en l’absence d’un texte” (…), ne sont pas une création de la jurisprudence et ne sauraient se confondre avec de simples considérations d’équité (…) ils ont valeur de droit positif ; leur autorité et leur force ne se rattache pas à une source écrite (...) ; ils existent en dehors de la forme que leur donne le texte lorsque celui-ci s’y réfère ; le juge les déclare ; il en constate l’existence (…), ce qui permet de dire que la détermination des principes généraux du droit n’autorise pas une recherche scientifique libre (…) Ils se forment en dehors du juge mais, une fois formés, ils s’imposent à lui (…) » (W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH, « Propos sur le texte de la loi et les principes généraux du droit », J.T., 1970, p. 567). D’autres auteurs, de manière sans doute plus conforme à la réalité du processus, admettent plus volontiers la part de création que comporte la reconnaissance d’un tel principe  : « Si le juge ne crée pas les principes généraux du droit, on ne peut nier que sa démarche excède la simple constatation, sans pour cela contrevenir à l’article 6 du Code judiciaire qui lui interdit de prononcer par voie de dispositions générales ou réglementaires (…) C’est le lieu de rappeler que le pouvoir créateur de la jurisprudence, qui s’est manifesté à maintes reprises (...), en a fait une source de droit (...). Ce pouvoir créateur a suscité l’émergence des principes généraux du droit. Il est donc permis de dire que le juge “constate et crée tout à la fois dans le même temps” par la voie du raisonnement (...). Les principes généraux du droit sont élaborés par le juge  ; c’est dire qu’ils résultent d’un travail intellectuel  » (P. MAR-CHAL, Principes généraux du droit, Bruxelles, Bruylant, 2014, n°  20, p.  28  ; voy. dans le même sens X. DIEUX, Le respect dû aux anticipations légitimes d’autrui. Essai sur la genèse d’un principe général du droit, Bruxelles, Paris, Bruylant, LGDJ, 1995, nos 29 et s., pp. 78 et s.). Si les principes généraux du droit constituent une « invention », c’est donc bien dans le double sens que la langue latine lui donnait, à la fois découverte et produit de l’imagination (voy. F. GAFFIOT, Dictionnaire latin français, Paris, Hachette, 1934, v° inventio, p. 852).

(25) Voy. par ex. F. LAURENT, Principes de droit civil français, t. XVII, 4e éd., Bruxelles, Paris, Bruylant, Marescq, 1887, nos 471 et s., pp. 464 et s., qui critique les auteurs qui prétendent que « les obligations s’éteignent par la survenance d’un empêchement qui rend impossible l’accomplissement de l’obligation » alors que cette cause d’extinction ne figure pas à l’article 1234 du Code civil. Seule la perte de la chose par cas fortuit pouvait selon lui, conformément à l’article 1302 du Code civil, libérer le débiteur. Voy. égal. infra, n° 22.

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entièrement absorbée par la caducité, spécialement en cas de perte partielle ? La caducité est-elle cantonnée à un rôle strictement subsi-diaire, ou bien peut-elle dans certains cas exercer une fonction déro-gatoire, voire subversive ?

À côté de ces questions importantes en pratique, le débat peut être porté à un niveau sans doute plus abstrait, mais qui n’en est pas moins fondamental pour une approche systématique du droit des obligations. Le problème peut être posé en des termes en appa-rence fort simples : qu’advient-il d’une obligation devenue impos-sible à exécuter par la faute du débiteur ? La dette de réparation qui lui incombe, généralement sous la forme de dommages-intérêts, constitue-t-elle alors le simplement prolongement de l’obligation inexécutée, ou une obligation nouvelle et distincte ? Ces questions, dont les implications théoriques sont nombreuses, comportent également des incidences pratiques non négligeables, telles que la possibilité d’octroyer une réparation en nature ou celle pour le créancier d’offrir l’exécution de ses propres obligations nonobs-tant l’impossibilité d’exécution frappant l’obligation corrélative du débiteur.

Pour tenter d’apporter une réponse à ces différentes interroga-tions, un recours de droit comparé, envisagé dans une perspective essentiellement pratique (26), pourra s’avérer précieux. Pour clore cette introduction, je donnerai dès lors dans les paragraphes qui suivent un aperçu de la situation en droit français et en droit alle-mand, avant de m’y référer plus ponctuellement au fil de ce rap-port. Il me semble ensuite utile de faire le point sur les traits de la caducité par disparition de l’objet qui peuvent être considérés comme raisonnablement certains, dès lors qu’ils ont été consacrés par la jurisprudence de la Cour de cassation (Section 1). J’aborde-rai ensuite de manière systématique le régime de la caducité, selon qu’elle intéresse les différentes obligations nées du contrat (Sec-tion  2) ou le contrat lui-même (Section  3). Il sera enfin temps de conclure.

(26) Pour plus de détails sur cette approche, voy. R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat. Étude d’une notion fonctionnelle à la lumière du principe constitutionnel d’égalité, Bruxelles, Bruylant, 2014, nos 34 et s., pp. 63 et s.

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Il convient encore de préciser que le terme « caducité  », utilisé sans autre précision, visera exclusivement dans la suite de ce rap-port la caducité par disparition de l’objet. Je laisserai par ailleurs en dehors de mon analyse des hypothèses où le contrat est égale-ment considéré comme «  caduc  », mais pour des motifs étrangers à son impossibilité d’exécution, et dès lors soumises à un régime différent (27).

3. Aperçu du droit français. L’idée que la caducité puisse consti-tuer un mode de dissolution général des actes juridiques trouve sans doute son origine dans la thèse du Professeur Buffelan-Lanore, qui définissait en conclusion la caducité comme suit : « Un acte juridique est caduc, de plein droit et sans rétroactivité lorsque, pleinement valable à sa formation et avant qu’il ait pu produire ses effets juri-diques, il est privé d’un élément essentiel à sa validité par la sur-venance d’un événement postérieur à sa formation et indépendant de la volonté de son auteur » (28). Encore observera-t-on immédia-tement que l’institution ainsi définie se distingue à plus d’un titre de celle qui se dégage de l’arrêt de la Cour de cassation de Belgique du 28 novembre 1980 (29). La définition proposée est en effet, d’une part, plus large, puisqu’elle requiert la disparition de tout élément essentiel au contrat, et non uniquement de son objet. Elle est, d’autre part, plus étroite, puisqu’elle suppose que cette disparition découle d’un événement indépendant de la volonté de son auteur, à l’exclu-sion donc de la faute du débiteur comme c’était le cas dans l’arrêt du 28 novembre 1980.

La doctrine française ne s’est cependant pas arrêtée là et, stimu-lée par des applications jurisprudentielles variées, a consacré à la caducité des travaux ultérieurs, parmi lesquels plusieurs thèses de

(27) On songe, notamment, à la caducité du contrat pour cause de défaillance de la condition suspensive ou aux hypothèses de caducité légale prévues par le droit des libéralités (voy. not. les art. 1043, 1088 et 1089 du Code civil). On n’examinera pas non plus la déchéance, qui se traduit en néerlandais par « verval » tout comme la caducité mais constitue au contraire de celle-ci une véritable sanction (voy. à ce propos M.A. MASSCHELEIN, Het verval van een recht in het materieel privaatrecht, Antwerpen, Intersentia, 2010).

(28) Y.  BUFFELAN-LANORE, Essai sur la notion de caducité des actes juridiques, Paris, LGDJ, 1963, p. 161.

(29) Voy. S. STIJNS, De gerechtelijke en buitengerechtelijke ontbinding van overeenkomsten, op. cit., n° 29, p. 69.

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doctorat (30). Elle a même encore étendu le domaine de la caducité en envisageant, à côté de la disparition d’un élément essentiel à la convention, l’hypothèse de la non-survenance d’un événement né-cessaire à la production de ses effets (tel que, par exemple, la défail-lance de la condition suspensive) (31).

Les auteurs demeurent toutefois partagés sur la question de sa-voir si la caducité peut jouer en cas de faute de l’une des parties (32). De manière plus générale, la construction ne présente pas le même degré d’achèvement qu’elle a acquis en droit belge, probablement grâce à son domaine plus restreint, à savoir celui de l’impossibilité d’exécution. En droit français, au contraire, « sous une appellation unique, se cache une institution hétérogène et malléable du fait de la variété de ses applications, de la grande disparité de ses faits généra-teurs et de l’incertitude de ses effets » (33). La toute récente réforme du droit des contrats (34) traduit ces hésitations. Certes, le dernier projet de la Chancellerie consacre l’institution de la caducité en des termes apparemment fermes (35). Les explications données dans les

(30) Voy. ainsi R. CHAABAN, La caducité des actes juridiques. Étude de droit civil, Paris, LGDJ, 2006  ; F.  GARRON, La caducité du contrat (étude de droit privé), Aix-en-Provence, PUAM, 2000  ; C. PELLETIER, La caducité des actes juridiques en droit privé français, Paris, L’Harmattan, 2004  ; voy. égal. M.-C. AUBRY, « Retour sur la caducité en matière contractuelle », Rev. trim. dr. civ., 2012, pp. 625 et s. ; J. GHESTIN, G. LOISEAU et Y.-M. SERINET, Traité de droit civil, La formation du contrat, t. 2, L’objet et la cause – Les nullités, 4e éd., Paris, LGDJ, 2013, nos 2065 et s., pp. 767 et s. ; V. WESTER-OUISSE, « La caducité en matière contractuelle : une notion à réinventer », JCP G, 2001, I, n° 290.

(31) J. GHESTIN, G. LOISEAU et Y.-M. SERINET, La formation du contrat, t. 2, op. cit., n° 2067, pp. 768-769.

(32) Voy. ainsi, sans prendre position, J. GHESTIN, G. LOISEAU et Y.-M. SERINET, La formation du contrat, t. 2, op. cit., n° 2067, p. 768, et réf. citées.

(33) J. GHESTIN, G. LOISEAU et Y.-M. SERINET, La formation du contrat, t. 2, op. cit., n° 2066, p. 768. (34) On rappellera, à cet égard, que la loi française n° 2015-177 du 28 janvier 2015 de modernisation

et de simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures a habilité le Gouvernement à procéder par voie d’ordonnance à la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. Voy. not. à ce propos S. VAN LOOCK, « De hervorming van het Franse verbintenissenrecht : Le jour de gloire, est-il arrivé ? », R.W., 2014-2015, pp. 1562 et s.

(35) Voy. à cet égard les art. 1186 et 1187 du Code civil français, tels qu’ils résultent de l’ordon-nance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, J.O.R.F., 11 février 2016, ainsi que le Rapport au Président de la Répu-blique publié avec ce texte :

« Art. 1186. – Un contrat valablement formé devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît.Lorsque l’exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d’une même opération et

que l’un d’eux disparaît, sont caducs les contrats dont l’exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie.

La caducité n’intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l’existence de l’opération d’ensemble lorsqu’il a donné son consentement.

Art. 1187. – La caducité met fin au contrat entre les parties.Elle peut donner lieu à restitution dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9.

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projets Catala (36) et Terré (37), dont le texte de l’ordonnance s’ins-pire librement, laissent cependant entrevoir toutes les incertitudes que suscite encore la figure de la caducité en droit français.

Ce n’est pas à dire, cependant, que le juriste belge ne puisse y trouver aucune source d’inspiration. Tout au plus faudra-t-il garder à l’esprit que sous l’étiquette de « caducité », le droit français traite de situation parfois éloignées de celles qu’un juriste belge rattacherait à cette insti-tution, telle que la défaillance de la condition suspensive ou l’expiration de la promesse de contrat. Au-delà d’une terminologie trompeusement semblable (38), la comparaison ne présente donc d’intérêt qu’à condi-tion de comparer des situations véritablement semblables, à savoir des cas où l’objet de la convention est devenu impossible à exécuter.

4. Aperçu du droit allemand. Bien que le droit allemand ne connaisse pas en tant que tel le concept de caducité par disparition de l’objet, les conséquences d’une impossibilité d’exécution y ont été soigneusement examinées, tant vis-à-vis de l’obligation que du contrat. Il paraît dès lors indiqué d’évoquer les grandes lignes de ce régime, qui a du reste connu une évolution intéressante lors de la réforme du droit des obligations entrée en vigueur en 2002 (39).

(36) Voy. P. SIMLER, « Sanctions (art. 1129 à 1133) », in P. CATALA (dir.), Avant-projet de réforme du droit des obligations (articles 1101 à 1386 du Code civil) et du droit de la prescription (articles 2234 à 2281 du Code civil), 22 septembre 2005 (accessible sur http://bit.ly/catala2005), p. 45 : « La caducité existe et comporte de nombreuses facettes  : caducité des libéralités, dans diverses circonstances, caducité d’un acte dépendant d’un autre qui est lui-même annulé ou résolu, caducité du mariage, même, en cas de changement de sexe d’un époux... Elle ne peut être assimilée à aucun autre concept, tel que la nullité ou la résolution. Elle mérite donc une place dans le Code civil. Sa définition est cependant difficile. S’il est aisé de la différencier de la nullité ou de la résolution, il l’est moins de la définir positivement. Ses causes sont très diverses. Ses effets, au surplus, sont variables, puisqu’elle est tantôt rétroactive, tantôt non. Elle apparaît en quelque sorte comme une forme résiduelle d’inefficacité pour toute autre cause que l’absence d’une condition de validité ou l’inexécution. Aussi est-il proposé de n’inscrire dans le Code civil qu’une définition, en des termes suffisamment larges pour permettre d’embrasser des hypothèses diverses ».

(37) Voy. D.  HOUTCIEFF, «  Les sanctions des règles de formation des contrats  », in F.  TERRÉ (dir.), Pour une réforme du droit des contrats, Paris, Dalloz, 2009, nos 30 et s., pp. 236 et s. : « La notion de caducité est difficile à saisir (…) le régime de la caducité est incertain, qui oscille entre automati-cité ou caractère judiciaire, entre effets pour l’avenir et effet rétroactif. (...) ».

(38) Il s’agit au demeurant d’une difficulté classique du droit comparé  : voy. K. ZWEIGERT et H. KÖTZ, An Introduction to Comparative Law, 3e éd., trad. T. WEIR Oxford, OUP, 1998, pp. 34 et s.

(39) Compte tenu de la grande complexité de cette matière et de l’objectif essentiellement pra-tique en vue duquel la comparaison est menée (voy. supra, n° 2), je me concentrerai sur l’hypothèse d’une impossibilité totale d’exécution, en laissant de côté les questions plus accessoires, telles que le cas où le créancier peut exiger du débiteur qu’il lui transfère l’indemnité venue remplacer dans son patrimoine la chose détruite (ancien § 281, devenu le nouveau § 285 du BGB, correspondant à l’art. 1303 du Code civil) ou celui où l’impossibilité d’exécution est imputable à la faute du créancier. Les controverses doctrinales ne seront pas non plus détaillées.

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I. Avant la réforme de 2002 (40), le texte du Code civil allemand (BGB) distinguait soigneusement l’hypothèse d’une impossibilité fortuite d’exécution de l’obligation de celle d’une impossibilité im-putable à l’une des parties.

En cas d’impossibilité fortuite, l’ancien § 275, alinéa 1er, prévoyait une solution qui correspond à l’article 1302 du Civil belge : le débi-teur se trouvait en effet libéré de son obligation devenue impossible à exécuter après la conclusion du contrat en raison d’une circonstance dont il n’avait pas à répondre. On considérait en effet que, puisque l’obligation n’était pas remplacée par une dette de dommages-in-térêts, son maintien aurait été dépourvu de sens (41). En ce sens, le créancier supportait donc le risque de la prestation (42). Par ailleurs, l’ancien § 323, alinéa 1er, prévoyait que le créancier était en ce cas réciproquement libéré de son obligation. Cette solution, qui repose sur le caractère synallagmatique du contrat, implique que le risque de la contre-prestation était quant à lui subi par la débiteur (puisque, quoique libéré de son obligation, il ne pouvait de son côté exiger le paiement du prix initialement convenu) (43), (44). On précisera enfin que cette libération du créancier intervenait de plein droit, par le seul effet de la loi, sans qu’il fût tenu de résoudre le contrat (45). Si, au moment où cette libération intervenait, il avait déjà exécuté son obligation, il pouvait alors, en vertu de l’ancien § 323, alinéa 3, exi-ger la restitution de sa prestation selon les règles de l’enrichissement sans cause.

Les choses se présentaient sous un jour fort différent en cas d’im-possibilité fautive, imputable au débiteur. L’ancien § 280, alinéa 1er, prévoyait en ce cas que le débiteur, loin d’être libéré, était tenu de réparer le dommage subi par le créancier en raison de l’inexécution. Cette dette secondaire de dommages-intérêts se substituait à l’obli-gation primaire inexécutée, avec pour conséquence que les sûretés

(40) Voy. à ce propos V. EMMERICH, in Münchener Kommentar zum Bürgerlichen Gesetzbuch, t. 2, 4e éd., 2001, München, Beck, §§ 275, 280 et 323-326 aF ; K. LARENZ, Lehrbuch des Schuldrechts, vol. I, Allgemeiner Teil, 14e éd., München, Beck, 1987, §§ 21 et s., pp. 304 et s.

(41) K. LARENZ, Lehrbuch des Schuldrechts, vol. I, Allgemeiner Teil, op. cit., § 21, p. 308. (42) Ibid., p. 308. (43) Ibid., p. 310. (44) On aura noté que cette répartition des risques, selon qu’ils se rapportent à la prestation ou

à la contre-prestation, correspond aux adages res perit domino et res perit debitori, tels qu’ils sont connus en droit belge (voy. à ce propos R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 264, pp. 575 et s.).

(45) K. LARENZ, Lehrbuch des Schuldrechts, vol. I, Allgemeiner Teil, op. cit., § 21, p. 311.

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consenties pour garantir cette dernière étaient maintenues en faveur de la première (46). Toutefois, cette solution était inapplicable dans le cadre d’un contrat synallagmatique. En ce cas, le régime prévu par l’ancien § 280 était écarté au profit de celui prévu par l’ancien § 325 (47). Celui-ci permettait au créancier de choisir, en substance, entre deux possibilités (48)  : il pouvait ainsi, soit exiger des dom-mages-intérêts (49), soit provoquer la dissolution du contrat (50), mais en ce cas sans pouvoir réclamer des dommages-intérêts com-plémentaires (51).

Au-delà des particularités techniques de ces deux régimes, il est intéressant de noter qu’alors que l’impossibilité fortuite entraînait l’extinction automatique tant de l’obligation que du contrat, en re-vanche, l’impossibilité fautive faisait naître une situation d’attente, jusqu’à ce que le créancier ait exercé son choix entre les dommages-intérêts et la dissolution du contrat. La loi visait ainsi à permettre au créancier de choisir la solution la plus intéressante pour lui. Si, en effet, le contrat s’avérait économiquement avantageux pour lui, il pouvait ainsi obtenir le bénéfice qu’il espérait en retirer en exigeant des dommages-intérêts ; dans la négative, il pouvait se délier en ob-tenant la dissolution du contrat (52). En cas d’impossibilité fautive, le droit allemand excluait donc toute idée de caducité de plein droit du contrat.

(46) Ibid., § 22, p. 333. (47) Ibid., § 22, p. 336. (48) Ibid., § 22, p. 336. (49) Doctrine et jurisprudence permettaient au créancier de calculer les dommages-intérêts se-

lon deux méthodes distinctes (K. LARENZ, Lehrbuch des Schuldrechts, vol. I, Allgemeiner Teil, op. cit., § 22, pp. 340 et s.). Selon la Surrogationsmethode, le créancier exigeait l’exécution par équivalent de l’obligation devenue impossible à exécuter en nature, mais devait en retour exécuter lui-même sa propre obligation. Selon la Differenzmethode, applicable pour autant que le créancier n’ait pas encore exécuté ses propres obligations, les deux parties étaient libérées de leur obligation de prester en nature, mais le débiteur restait tenu de la différence de valeur entre les prestations respectives des parties. Cette seconde méthode de calcul était utilisée pour permettre au créancier d’obtenir, d’un point de vue économique, le bénéfice d’une résolution avec dommages-intérêts complémentaires des-tinés à couvrir l’intérêt positif, ce que la loi ne permettait normalement pas d’obtenir (pour plus de détails, voy. R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 394, pp. 897 et s.).

(50) Plus précisément, le créancier avait le choix entre provoquer la résolution du contrat au sens strict (Rücktritt, ancien § 325, al. 1er, 1re phrase) ou priver le débiteur de son droit d’exiger la contre-prestation sans pour autant résoudre le contrat (ancien § 325, al. 1er, 3e phrase juncto ancien § 323, al. 1er). Dans les deux cas, une déclaration de la part du créancier était requise (K. LARENZ, Lehrbuch des Schuldrechts, vol. I, Allgemeiner Teil, op. cit., § 22, p. 337). Le seul intérêt de la distinction entre ces deux hypothèses est que les restitutions se faisaient selon les règles de la résolution dans le pre-mier cas et de l’enrichissement sans cause dans le second (ibid., p. 338).

(51) K. LARENZ, Lehrbuch des Schuldrechts, vol. I, Allgemeiner Teil, op. cit., § 22, p. 339. (52) Ibid., p. 338.

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II. La réforme de 2002 a entièrement réécrit les dispositions du BGB relatives à l’inexécution du contrat (53). Les solutions pra-tiques demeurent toutefois, pour la question qui nous occupe, rela-tivement semblables.

En apparence, le nouveau §  275, alinéa  1er, du BGB aborde les choses sous un angle fondamentalement différent puisqu’il pré-voit désormais que toute impossibilité d’exécution de l’obligation entraîne, de plein droit (54), la libération du débiteur. Aucune dis-tinction n’est à cet égard faite entre l’impossibilité fortuite et celle imputable au débiteur (55). L’alinéa 4 réserve toutefois l’application des dispositions relatives aux dommages-intérêts et à la résolution du contrat. En d’autres termes, la libération prévue à l’alinéa 1er ne concerne que l’obligation d’exécuter en nature l’obligation (56) mais ne préjuge ni de la responsabilité contractuelle du débiteur, ni du sort du contrat.

Pour ces deux dernières questions, la distinction entre impossibi-lité fortuite et impossibilité fautive refait donc surface.

En cas d’impossibilité fortuite, aucun dommage-intérêt ne peut être réclamé au débiteur (§ 280, al. 1er, 2e phrase). Par ailleurs, le dé-biteur, libéré de son obligation par le § 275, ne peut pas non plus exi-ger l’exécution de sa contre-prestation par le créancier (§ 326, al. 1er, 1ère phrase). Comme sous le droit antérieur, la dissolution du contrat intervient de plein droit (57) et trouve sa justification dans la nature synallagmatique du contrat (58). Le débiteur continue donc à sup-porter le risque de la contre-prestation (59). Si, avant l’impossibilité fortuite, le créancier a déjà exécuté sa part du contrat, il pourra ob-

(53) Voy. not. à ce propos W.  ERNST, in Münchener Kommentar zum Bürgerlichen Gesetzbuch, t. 2, 7e éd., 2016, München, Beck, §§ 275, 280, 283 et 323-326 ; B. GSELL, in Bürgerliches Gesetzbuch mit Eïnführungsgesetz und Nebengesetzen. Band 5/2. Schuldrecht 3/2. §§ 320-327 (éd. H.T. SOERGEL), 13e éd., Stuttgart, Kohlhammer, 2005, § 326 ; D. MEDICUS et S. LORENZ, Schuldrecht I. Allgemeiner Teil, 18e éd., München, Beck, 2008, §§ 36 et s., pp. 195 et s. ; R. SCHULZE, in Bürgerliches Gesetzbuch. Handkommentar, 8e éd., Baden-Baden, Nomos, 2014, §§ 275, 280, 283 et 323-326.

(54) W. ERNST, in Münchener Kommentar, op. cit., § 275, n° 68. (55) Ibid., n° 57. (56) Ibid., n° 1. (57) Ibid., § 326, n° 10 ; B. GSELL, in Bürgerliches Gesetzbuch mit Eïnführungsgesetz und Nebenge-

setzen, op. cit., § 326, n° 2, p. 211 ; R. SCHULZE, in Bürgerliches Gesetzbuch. Handkommentar, op. cit., § 326, n° 4.

(58) B. GSELL, in Bürgerliches Gesetzbuch mit Eïnführungsgesetz und Nebengesetzen, op. cit., § 326, n° 8, p. 213.

(59) Ibid., n° 2, p. 211 ; D. MEDICUS et S. LORENZ, Schuldrecht I. Allgemeiner Teil, op. cit., § 37, n° 436, p. 209 ; R. SCHULZE, in Bürgerliches Gesetzbuch. Handkommentar, op. cit., § 326, n° 4.

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tenir la restitution de sa prestation sur la base des règles applicables en cas de résolution (§ 326, al. 4). Enfin, si certaines des obligations du contrat demeurent en vigueur, parce qu’elles ne se trouvaient pas dans un lien synallagmatique avec l’obligation impossible à exécuter ou en cas d’impossibilité partielle, le créancier dispose néanmoins de la possibilité de résoudre la totalité du contrat (§ 326, al. 5) (60).

Les choses s’avèrent plus complexe en cas d’impossibilité fautive, imputable au débiteur. D’une part, le créancier est en ce cas autorisé à exiger des dommages-intérêts à la place de l’obligation inexécutée (§ 280, al. 1er et 3, juncto §§ 281 et 283) (61). D’autre part, le § 326 ne distingue pas formellement entre l’impossibilité fortuite et l’impos-sibilité fautive. Il faudrait donc théoriquement en déduire que, dans les deux cas, le contrat est dissous de plein droit. Toutefois, dans le second cas, la doctrine estime qu’il serait injuste d’imposer une telle dissolution au créancier. Elle considère en effet que, lorsque la propre obligation du créancier demeure possible à exécuter en nature, celui-ci devrait se voir reconnaître le choix, soit de dissoudre le contrat en réclamant le cas échéant des dommages-intérêts complémentaires si la libération du créancier ne suffit pas à réparer entièrement le dom-mage subi du fait de l’inexécution, soit d’exécuter sa propre obliga-tion et d’obtenir alors du débiteur l’exécution par équivalent de son obligation corrélative (62).

III. En conclusion, tant sous l’empire du nouveau que de l’ancien droit allemand des obligations, la caducité du contrat n’intervient pas nécessairement de plein droit en cas d’impossibilité d’exécution de l’obligation du débiteur. Certes, en cas d’impossibilité fortuite, celle-ci entraîne l’extinction automatique de l’obligation du débi-teur et libère de plein droit le créancier de son obligation corrélative. En revanche, en cas d’impossibilité fautive imputable au débiteur, seul s’éteint le droit du créancier d’obtenir l’exécution en nature. Le contrat demeure en revanche en vigueur afin de permettre au

(60) Voy. B. GSELL, in Bürgerliches Gesetzbuch mit Eïnführungsgesetz und Nebengesetzen, op. cit., § 326, n° 6, p. 212 ; W. ERNST, in Münchener Kommentar, op. cit., § 326, n° 107.

(61) Sous réserve de controverses, le créancier continue à calculer à son choix les dommages-in-térêts selon la Surrogationstheorie ou la Differenztheorie (D. MEDICUS et S. LORENZ, Schuldrecht I. All-gemeiner Teil, op. cit., § 37, n° 453, p. 217).

(62) Les auteurs s’accordent généralement sur la nécessité d’apporter un tel aménagement au §  326 sans pour autant s’entendre sur le fondement technique de celui-ci  : voy. et comp. W. ERNST, in Münchener Kommentar, op. cit., § 326, n° 14 ; B. GSELL, in Bürgerliches Gesetzbuch mit Eïnführungsgesetz und Nebengesetzen, op. cit., § 326, n° 15, p. 216, et les réf. citées par ces auteurs.

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créancier de choisir entre la dissolution du contrat (accompagnée le cas échéant, dans le droit nouveau, de dommages-intérêts com-plémentaires) et l’exécution par équivalent de la part du débiteur moyennant l’exécution par le créancier de ses propres obligations.

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SECTION 1. ACQUIS DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR DE CASSATION

5. Objet de la présente section. Avant de tenter de présenter un régime cohérent de la caducité par disparition de l’objet en droit belge, il me paraît utile de repartir des enseignements des arrêts de la Cour de cassation, en considérant ceux-ci comme des acquis, c’est-à-dire comme des fondations solides dont des conclusions peuvent être tirées et sur lesquelles des raisonnements plus complexes peuvent être bâtis. Même si la figure de la caducité pourrait être décelée dans des arrêts antérieurs, j’ai choisi par ailleurs de ne pas remonter dans ce panorama avant l’arrêt du 28  novembre 1980, car c’est celui-ci qui – comme on l’a dit (63) – constitue le véritable point de départ des réflexions ayant abouti à la consécration de la caducité par dis-parition de l’objet en droit positif.

6. Arrêt du 28 novembre 1980 (64). Les faits de cette affaire sont bien connus. Un bailleur avait, par sa faute, en négligeant d’accom-plir les travaux de réparation qui lui incombaient, laissé périr les bâtiments d’une exploitation agricole, rendant cette dernière im-possible à poursuivre. Seul subsistait, outre les terres cultivables, le corps de logis de la ferme dans lequel le fermier habitait encore.

Le juge du fond avait déclaré le bailleur responsable de la perte subie, mais avait néanmoins déclaré le bail résolu et condamné le fermier à une indemnité du chef d’occupation sans titre ni droit des terres et de la ferme.

Le fermier se pourvut en cassation en faisant valoir que le bail ne prend fin par la perte des lieux loués que lorsque celle-ci est due à la force majeure (art. 1722 C. civ.) ou à la faute de la partie qui s’oppose à la résolution, donc du défendeur (art. 1741 C. civ.). Or, en l’espèce,

(63) Voy. supra, n° 1. (64) Cass., 28  novembre 1980, A.C., 1980-1981, p.  352, Pas., 1981, I, p.  369, R.C.J.B., 1987,

p. 70, note P.A. FORIERS, « Observations sur la caducité des contrats par suite de la disparition de leur objet ou de leur cause ».

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le jugement attaqué avait constaté que la perte était due à la faute de la partie se prévalant de la résolution – soit le bailleur –, de sorte qu’il n’aurait pas pu prononcer celle-ci.

Le raisonnement semblait imparable (65). La Cour de cassation rejette cependant le pourvoi. Tout en admettant l’inapplicabilité tant de l’article 1722 (en raison de la négligence du bailleur) que de l’article 1741 (la faute ayant été commise par la partie qui se prévaut de la résolution), elle décide «  toutefois que, en raison de la perte matérielle totale du bien donné à bail, le contrat devient sans objet ; qu’en effet il devient impossible dans ce cas pour le bailleur de four-nir la jouissance du bien loué, de sorte que la convention est réso-lue » (66). La formulation ainsi retenue (« est résolue ») indique par ailleurs que cette « résolution » intervient de plein droit.

Si la solution retenue peut surprendre, elle n’était pas pour autant inédite. Depuis longtemps, en effet, la Cour de cassation de France considère également que « le bail prend fin de plein droit par la perte totale de la chose survenue par cas fortuit ou même par la faute de l’une des parties sauf les dommages-intérêts pouvant être mis à la charge de celle des parties déclarée responsable de cette perte » (67). La justification donnée à cette solution diffère cependant fortement. En effet, ce motif est donné au visa des articles 1722 et 1741 du Code civil (68). La Cour de cassation de Belgique, au contraire, s’en tenant à une interprétation plus traditionnelle de ces dispositions (69), pré-

(65) Voy. Cass., 5 mai 1966, Pas., 1966, I, p. 1130. (66) Voy. déjà, antérieurement, Cass., 5 mai 1949, Pas., 1949, I, p. 340. La portée de cette déci-

sion était cependant discutable dès lors que la cassation était prononcée en raison d’une ambiguïté et d’une contradiction dans les motifs. Or, la contradiction dans les motifs est en principe étrangère à toute erreur de droit (voy. Cass., 9 novembre 2012, Pas., 2012, n° 604, A.C., 2012, n° 604, pt 1, avec les conclusions de M. l’avocat général G. DUBRULLE ; Cass., 30 avril 2012, Pas., 2012, n° 266 ; Cass., 23 décembre 2008, Pas., 2008, n° 750). – On notera que, dans la version originale de l’arrêt, « le contrat devient sans objet » se lit « de pachtovereenkomst haar bestaansreden verliest ». Sur cette différence de rédaction, voy. infra, n° 14.

(67) Voy. Cass. fr., 22 janvier 1997, Bull., 1997, III, n° 17, D., 1998, p. 43, note S. FARNOCCHIA, et les arrêts antérieurs cités à la note n° 1.

(68) Comp. cependant F. GARRON, La caducité du contrat, op. cit., n° 90, pp. 110 et s., qui y voit une application de l’idée de caducité.

(69) Ainsi, envisageant les causes de résolution de plein droit du bail, Pothier enseigne que : « Le bail se résout avant l’expiration du temps sans le consentement des parties, quand s’est éteinte, par cas fortuit, la chose qui a été louée ; comme si la maison que je tenois à loyer a été incendiée par le feu du ciel » (R.J. POTHIER, Traité du contrat de louage, Paris, Thomine et Fortic, 1821, n° 309, pp. 215-216). Il ajoute toutefois immédiatement : « Mais si c’étoit par la faute du locataire [que la chose a péri], il ne seroit pas libéré » (ibid., n° 309, p. 216). On comprend donc que la résolution devrait dans ce cas être demandée en justice par le bailleur. Réciproquement, « le locataire peut demander la résolution du bail, lorsque la maison devient inhabitable faute de réparations, et que le locateur [c’est-à-dire

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fère voir dans la perte des lieux loués par la faute du bailleur une cause distincte de « résolution » du bail.

Comme on l’a déjà indiqué (70), l’apport du Professeur Foriers est d’avoir perçu et démontré que, loin de constituer un arrêt d’es-pèce, cette décision de la Cour de cassation repose sur un principe, dont le Code civil contient plusieurs autres applications, en vertu duquel le contrat devenu impossible à exécuter, fût-ce par la faute du débiteur, est dissous de plein droit, sans préjudice de tous dom-mages-intérêts à charge du débiteur fautif. Le terme «  caducité  » a été choisi pour souligner la spécificité de ce mode de dissolution qui, à la différence de la résolution pour inexécution, ne nécessite pas d’action en justice et peut être invoqué même par le débiteur fautif.

Un autre élément intéressant de l’arrêt est le fait que le bail ait pu prendre fin alors que la totalité des lieux loués n’avaient pas péri. En effet, comme on l’a indiqué, seuls les bâtiments d’exploitation avaient péri, le fermier continuant à habiter le corps de logis. Cette constatation du juge du fond n’a cependant pas empêché la Cour de retenir une « perte matérielle totale du bien donné à bail ». Cette solution s’explique sans doute par le fait que, comme la Cour l’avait décidé antérieurement, « il n’est pas nécessaire que l’objet ait péri en sa totalité ; qu’il suffit que la perte soit telle que la chose ne puisse plus servir à l’usage en vue duquel le contrat a été fait » (71). Or, pré-cisément, en l’espèce, « la perte était totale car le bail avait pour objet non une simple habitation entourée de terres, mais une exploitation agricole rendue impossible en raison de la ruine des bâtiments d’ex-ploitation » (72). La notion de perte totale doit, en d’autres termes, s’apprécier en fonction de la commune intention des parties (73).

le bailleur] a été mis en demeure de les faire faire » (ibid., n° 325, p. 225). On voit donc que, dans cet enseignement traditionnel qui se trouve à l’origine des articles 1722 et 1741 du Code civil, la perte de la chose n’entraîne la dissolution de plein droit du bail que lorsqu’elle est fortuite, et que la perte imputable au bailleur ne peut entraîner la résolution qu’à la demande du preneur.

(70) Voy. supra, n° 2. (71) Cass., 5 mai 1949, Pas., 1949, I, p. 340. (72) P.A. FORIERS, « Observations sur la caducité des contrats par suite de la disparition de leur

objet ou de leur cause », op. cit., n° 3, p. 77, note n° 16. (73) Voy. égal. infra, n° 19.

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7. Arrêt du 12 décembre 1991 (74). Dans ce deuxième arrêt, la so-ciété G. avait concédé à la société K. le bénéfice d’une promesse uni-latérale de vente portant sur un immeuble, incluse dans un bail de cet immeuble, et lui permettant d’acquérir l’immeuble pour un certain prix, sous déduction de la moitié des loyers déjà payés. L’immeuble ayant été incendié pour une cause étrangère à G., K. leva néanmoins l’option d’achat, en espérant bénéficier des indemnités d’assurance versées à G. Il fut cependant débouté par le juge du fond. Celui-ci considéra que l’article 1303 du Code civil, qui impose au débiteur en cas de perte fortuite de la chose de céder au créancier les droits ou actions qu’il acquiert par rapport à cette chose, ne s’applique pas en cas de disparition de l’objet d’une promesse de vente.

Le pourvoi formé par K. contre cet arrêt fut rejeté par la Cour de cassation. Après avoir considéré que le promesse de vente « n’en-gendre dans le chef du promettant qu’une obligation de faire et que la vente n’est réalisée qu’au moment où l’option d’achat est levée par le bénéficiaire ; qu’avant la levée de l’option d’achat, le promesse de vente ne confère au bénéficiaire aucun droit sur la chose qui en est l’objet », elle déduit des conclusions de l’arrêt attaqué que « l’objet de la promesse de vente a disparu avant la levée de l’option ». Elle considère ensuite que « le créancier ne peut bénéficier de la subroga-tion réelle prévue par l’article 1303 du Code civil, que s’il possède un droit sur la chose ; que le demandeur qui ne disposait d’aucun droit sur l’immeuble avant sa destruction ne peut prétendre faire porter la promesse de vente sur les droits ou actions en indemnité se rap-portant à cet immeuble, par application de l’article 1303 précité ». Enfin, elle conclut que « la promesse de vente est devenue sans objet, entraînant ainsi la caducité de l’engagement » de G. (75)

L’apport principal de cet arrêt concerne l’interprétation de l’ar-ticle 1303 du Code civil. L’arrêt suscite néanmoins un certain nombre d’observations concernant la question de la caducité.

La première chose qui frappe est que le recours à l’idée de cadu-cité apparaissait superflu en l’espèce. La perte fortuite de la chose constitue en effet déjà une cause légale d’extinction de l’obligation

(74) Cass., 12 décembre 1991, A.C., 1991-1992, n° 198, Pas., 1991, I, n° 198, avec les conclusions de M. l’avocat général JANSSENS DE BISTHOVEN, R.C.J.B., 1994, p. 7, note Fr. GLANSDORFF, R.W., 1992-1993, p. 217, note A. CARETTE.

(75) Comp. la traduction néerlandaise de l’arrêt : « dat de verkoopbelofte doelloos is geworden (...) ». Sur cette différence de rédaction, voy. infra, n° 14.

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en vertu de l’article 1302 du Code civil. La mention de la caducité de l’engagement apparaît donc d’autant plus surprenante et témoigne de la réception dont cette figure juridique bénéficie dans la jurispru-dence de la Cour de cassation depuis l’arrêt du 28 novembre 1980 (76).

Deuxièmement, en considérant que la perte de l’objet a « entraîn[é] la caducite de l’engagement », la Cour de cassation confirme que ce mécanisme intervient de plein droit, en l’absence de toute action en justice.

Troisièmement, l’arrêt invite à réfléchir sur l’étendue de la ca-ducité. D’après ses motifs, en effet, seul l’engagement de G. était frappé de caducité. Il est vrai que le juge du fond avait décidé, sans être critiqué de ce chef, que la convention conclue entre les parties constituait « un contrat mixte s’analysant en un contrat synallag-matique de louage de chose et en un contrat unilatéral de promesse de vente » (77). Il semble résulter de cette analyse que la promesse unilatérale de vente pouvait être considérée comme divisible du reste de la convention et que, dès lors que cette promesse ne com-portait d’engagement que dans le chef de G., la caducité de son enga-gement se confondait avec la caducité de la promesse toute entière. Il est toutefois permis de se poser la question de savoir – à laquelle la Cour de cassation n’avait il est vrai pas à répondre compte tenu des termes du pourvoi dont elle était saisie – ce qu’il serait advenu de la convention si la promesse de vente était intimement liée à ses autres stipulations. La perte d’objet de la promesse aurait-elle dans ce cas entraîné la caducité de toute la convention ? (78)

Quatrièmement et enfin, l’arrêt témoigne de ce que l’impossibilité doit être appréciée souplement, en tenant compte de toutes les carac-téristiques de la convention. À première lecture, en effet, on pourrait être surpris à l’idée que la promesse unilatérale de vente portant sur un immeuble détruit par cas fortuit soit véritablement impossible à exécuter. Car, comme la Cour de cassation le rappelle dans le même arrêt, la promesse unilatérale de vente engendre uniquement une obligation de faire, à savoir celle de maintenir l’offre pendant le délai

(76) On relèvera ainsi que l’étude précitée du Professeur Foriers publiée sous l’arrêt de 1980 est expressément citée par le ministère public, avec d’autres sources, à l’appui de l’idée selon laquelle « l’objet de la promesse de vente a totalement disparu avant la levée de l’option, ce qui a pour effet de rendre caducs le contrat et les obligations qui en découlent » (concl. précitées, Pas., 1991, I, p. 291).

(77) Concl. précitées, Pas., 1991, I, p. 285. (78) Sur cette question, voy. infra, nos 27 et s.

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d’option (79). Or, à première vue, on n’aperçoit pas en quoi une telle obligation de faire deviendrait impossible à exécuter du seul fait de la perte de l’immeuble. Toutefois, il faut être conscient qu’en cas de levée de l’option et de formation de la vente, celle-ci serait alors nulle faute d’objet (art. 1601 C. civ.). Tout comme dans l’arrêt de 1980, l’impossibilité de l’objet ne doit donc pas être appréciée de manière strictement matérielle, mais en ayant égard à la logique économique de l’opération. Dans cette mesure, il paraît raisonnable d’admettre qu’une promesse unilatérale de vente qui ne pourrait plus donner lieu qu’à une vente nulle est elle-même dotée d’un objet impossible.

8. Arrêt du 14 octobre 2004 (80). Cette troisième affaire présente un lien certes plus ténu avec la caducité, mais comporte néanmoins un enseignement essentiel à ce propos.

Un sieur K., propriétaire d’un appartement, s’était fait condam-ner, à peine d’astreinte, à conférer la jouissance de cet appartement à une dame V. Or, il s’avère que trois mois avant le prononcé de cette condamnation, K. avait signé un compromis de vente portant sur ce même appartement, rendant impossible l’exécution de la condam-nation. Poursuivi en paiement de l’astreinte, il ressaisit le tribunal en application de l’article 1385quinquies du Code judiciaire (81) pour obtenir la suppression rétroactive de l’astreinte.

Le tribunal, siégeant en degré d’appel, fit droit à cette demande, mais uniquement pour l’avenir. Il estima en effet que la condam-nation principale était devenue impossible à exécuter et que l’effet coercitif de l’astreinte ne se concevait plus dans un tel cas, mais consi-déra néanmoins que K. devait être sanctionné pour avoir lui-même provoqué l’impossibilité dont il entendait se prévaloir. L’astreinte fut donc maintenue pour la période courant de la signification du jugement de première instance jusqu’au prononcé du jugement d’appel.

(79) H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. IV, vol. I, 4e éd. par A. MEINERTZHAGEN-LIMPENS, Bruxelles, Bruylant, 1997, n° 283, p. 376.

(80) Cass., 14 octobre 2004, A.C., 2004, n° 483, Pas., 2014, n° 483, R.W., 2005-2006, p. 859, note C. CAUFFMAN.

(81) Pour rappel, celui-ci dispose : « Le juge qui a ordonné l’astreinte peut en prononcer la sup-pression, en suspendre le cours durant le délai qu’il indique ou la réduire, à la demande du condamné, si celui-ci est dans l’impossibilité définitive ou temporaire, totale ou partielle de satisfaire à la condamnation principale. Dans la mesure où l’astreinte était acquise avant que l’impossibilité se fut produite, le juge ne peut la supprimer ni la réduire ».

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K. se pourvut en cassation contre celui-ci en invoquant, notam-ment, la violation de deux principes généraux du droit : celui « relatif à la caducité des obligations par disparition de leur objet  » (82) et celui « interdisant de poursuivre l’exécution en nature d’une obliga-tion impossible à exécuter en nature ».

Tout l’intérêt de l’arrêt réside dans le fait que, alors qu’il consi-dère que le second des principes invoqués « n’existe pas », il décide seulement que le principe général du droit relatif à la caducité des obligations par disparition de leur objet « n’est pas d’ordre public ni impératif », de sorte qu’à défaut d’avoir été invoqué devant le juge du fond, il ne pouvoir l’être pour la première fois devant la Cour de cassation (83). Ce faisant, la Cour reconnaît, de manière impli-cite mais certaine, l’existence d’un tel principe général du droit (84), auquel elle confère cependant un caractère supplétif.

Sur le fond, la Cour rejette décide enfin, sur le fondement du seul article 1385quinquies du Code judiciaire, que « dans la mesure où il soutient que le juge a l’obligation de prononcer la suppression de l’astreinte dès que l’impossibilité d’exécuter l’obligation principale

(82) Dans la traduction néerlandaise de l’arrêt  : «  Het algemeen rechtsbeginsel “van het verval van de verbintenissen door het teloorgaan van hun voorwerp” ». « Objet » est donc bien rendu ici par « voorwerp » (voy. à ce propos infra, n° 14).

(83) On notera que la jurisprudence de la Cour de cassation sur la recevabilité des moyens nou-veaux apparaît divisée. Le courant traditionnel, dans lequel s’inscrit l’arrêt commenté, considère en effet que le moyen, qui est fondé sur des dispositions légales qui ne sont ni d’ordre public ni impéra-tives, qui n’a pas été soumis au juge du fond, dont celui-ci ne s’est pas saisi de sa propre initiative et dont il n’était pas tenu de se saisir, est nouveau et, partant, irrecevable (voy. not. Cass., 16 février 2015, n° S.13.0085.F, premier moyen, avec les conclusions de M. l’avocat général J.-M. GENICOT  ; Cass., 14  février 2014, Pas., 2014, n°  121, avec les conclusions de M. le premier avocat général A. HENKES, alors avocat général ; Cass., 18 octobre 2012, Pas., 2012, n° 540, avec les conclusions de M. le premier avocat général A. HENKES, alors avocat général). Pourtant, il semble désormais acquis que le juge est tenu de trancher le litige conformément aux règles juridiques qui lui sont applicables, et qu’il a dès lors l’obligation, sous réserve du respect des droits de la défense, de soulever « d’office » les fondements juridiques – fussent-ils même supplétifs – dont l’application s’impose par les faits spécialement invoqués par les parties à l’appui de leurs demandes (voy. not. Cass., 17 avril 2015, n° C.13.0550.N, pt 20, avec les conclusions de M. l’avocat général A. VAN INGELGEM ; Cass., 10 février 2014, Pas., 2014, n° 105, pt 4 ; Cass., 5 septembre 2013, Pas., 2013, n° 526, pt 1). Or, dans la mesure où le juge du fond est tenu d’élever d’office les règles dont l’application était commandée par les faits spécialement invoquée par les parties même si elles n’étaient ni impératives, ni d’ordre public, il semble plus conforme aux principes de considérer que le moyen pris de la violation de telles règles est recevable même s’il est invoqué pour la première fois devant la Cour de cassation (voy. Cass., 28 juin 2013, Pas., 2013, n° 404, pt 9, A.C., 2013, n° 404, avec les conclusions de M. l’avocat général A. VAN INGELGEM ; Cass., 25 mai 2012, Pas., 2012, n° 339 ; Cass., 16 septembre 2004, Pas., 2004, n° 415), pour autant bien sûr qu’il ne soit pas mélangé de fait et de droit (voy. Cass., 22 janvier 2014, Pas., 2014, n° 55, avec les conclusions de M. l’avocat général D. VANDERMEERSCH).

(84) Voy. déjà P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élé-ment essentiel à leur formation, op. cit., n° 19, p. 23.

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est totale, sans qu’il y ait lieu de rechercher si cette impossibilité résulte d’un cas fortuit, du fait ou de la faute de la partie condamnée, le moyen, en cette branche, manque en droit  » (85). S’agissant de l’interprétation d’un texte relatif au mécanisme particulier de l’as-treinte, rien ne me paraît toutefois pouvoir en être déduit pour la théorie générale de la caducité.

9. Arrêt du 4  février 2005 (86). Cette affaire a pour origine la vente entre deux sociétés d’une machine en vue de la fabrication de fenêtres, comportant une clause de réserve de propriété jusqu’au complet paiement du prix. La machine ne fonctionnant pas de la manière attendue, l’acheteur, qui reprochait au vendeur d’avoir manqué à ses obligations, pouvait, comme le prévoit l’article 1184 du Code civil, choisir entre demander l’exécution forcée en nature et la résolution de la convention. Après avoir opté dans un premier temps pour l’exécution forcée, il se ravisa toutefois en cours de pro-cédure en préférant désormais poursuivre la résolution de la conven-tion (87). En effet, depuis l’introduction de l’instance, la machine litigieuse avait été détruite par un incendie, constitutif d’un cas de force majeure, de sorte que l’exécution en nature était devenue im-possible.

Le juge du fond fit droit à l’action en résolution de l’acheteur et, en conséquence, condamna le vendeur à restituer la partie du prix déjà perçue ainsi qu’au paiement de dommages-intérêts complé-mentaires. Il dispensa en revanche l’acheteur de la restitution de la machine au motif que celle-ci était devenue impossible en raison de sa destruction fortuite.

(85) On relèvera que cette interprétation est conforme à la jurisprudence ultérieure de la Cour de justice Benelux, qui décide certes que «  l’article  4, alinéa 1er, de la loi uniforme Benelux rela-tive à l’astreinte doit être interprété en ce sens que lorsque l’impossibilité alléguée par le condamné résulte de son propre manque de diligence, antérieur à la condamnation, seules des circonstances particulières peuvent autoriser le juge à refuser de prendre une des mesures prévues dans ladite dis-position » (C.J. Benelux, 29 avril 2008, Pet Center, pt 13, avec les conclusions de M. l’avocat général J.-F. LECLERCQ), mais précise que parmi lesdites circonstances particulières, « on peut songer notam-ment aux actes que le condamné a commis délibérément dans l’éventualité d’une condamnation afin d’en empêcher l’exécution ou de la rendre malaisée » (pt 8), ce qui paraît bien avoir été le cas dans l’affaire tranchée par l’arrêt du 14 octobre 2004.

(86) Cass., 4 février 2005, A.C., 2005, n° 67, Pas., 2005, n° 67, R.A.B.G., 2006, p. 9, note J. BE-KAERT, R.W., 2005-2006, p.  587, note S.  MOSSELMANS, Chroniques notariales, Bruxelles, Larcier, 2011, pp. 9 et s., n° 20, note C. BIQUET-MATHIEU.

(87) On rappellera à cet égard que l’exercice de l’option ouverte au créancier par l’article 1184 du Code civil n’est pas définitif (voy. not. P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, Les obligations, op. cit., n° 587, p. 892).

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Le vendeur se pourvut alors en cassation contre cette décision. Il fit valoir qu’en cas de retard du transfert de propriété jusqu’au com-plet paiement du prix, le transfert des risques se trouve pareillement retardé jusqu’à la même date (88). Par dérogation au droit commun de la vente où les risques passent en principe sur la tête de l’acheteur dès la conclusion du contrat (res perit creditori), les risques auraient donc pesé en l’espèce sur la tête du vendeur (res perit debitori). Il soutenait, par conséquent, qu’en cas de perte de la chose par cas for-tuit, celle-ci entraîne dans ce cas aussi bien la libération du vendeur que celle de l’acheteur en sorte que « la convention est caduque ». Il ajoutait que : « Lorsque la convention est caduque, la résolution ne peut plus être demandée. La demande de résolution suppose en effet l’existence d’une convention (art. 1184 C. civ.) ».

Le raisonnement du demandeur en cassation reposait donc en substance sur deux prémisses pour le moins discutables, à savoir que (i) la perte fortuite de la chose avait entraîné la caducité de la convention et que (ii) cette caducité faisait obstacle à l’introduction de toute action en résolution.

La seconde de ces prémisses appelle, comme nous le verrons, de sérieuses réserves (89). C’est toutefois sous l’angle de la première que la Cour de cassation s’est placée pour rejeter le pourvoi, rendant su-perflu l’examen de la seconde.

Après avoir rappelé le texte des deux premiers alinéas de l’ar-ticle 1302 du Code civil, la Cour de cassation décide : « Que dans un contrat de vente la perte de la chose due n’entraîne pas nécessairement l’extinction des autres obligations résultant du contrat ; Qu’en cette branche, le moyen qui est entièrement fondé sur l’hypothèse que la caducité de l’obligation d’une partie en raison de la perte de la chose entraîne l’annulation de l’obligation de l’autre partie, manque en droit ».

Cette décision semble avoir laissé les commentateurs perplexes.

Ainsi, S.  Mosselmans souligne à juste titre qu’en soi, il serait certes faux de prétendre que la perte de la chose entraîne « nécessai-rement » l’extinction des autres obligations résultant du contrat, et

(88) Solution consacrée par Cass., 9  novembre 1995, Pas., 1995, I, p.  1014  ; voy. déjà Cass., 29 octobre 1863, Pas., 1864, I, p. 134, avec les conclusions de M. le procureur général M. LECLERCQ.

(89) Voy. infra, n° 36.

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en particulier la libération de l’acheteur. Tout dépend, en effet, de savoir sur quelle partie pesait la charge des risques (90). Pourtant, et contrairement à ce que la lecture de la décision de la Cour pourrait donner à penser, le pourvoi ne se contentait pas de soutenir que la perte de la chose devait nécessairement libérer l’acheteur  ; il allait plus loin en soutenant qu’en l’espèce, les risques pesaient, compte tenu de la clause retardant le transfert de propriété, sur la tête du vendeur, de sorte que la libération de celui-ci entraînait bien celle de son cocontractant (91).

Une seconde interprétation de l’arrêt est suggérée par J.  Be-kaert (92). Selon cet auteur, la raison pour laquelle la perte fortuite de la chose n’aurait pas entraîné la caducité de toute la convention serait à rechercher dans le fait que le vendeur avait, avant la surve-nance de cette perte, manqué à ses obligation. Ce manquement avait fait naître à sa charge une obligation d’indemnisation du dommage subi par l’acheteur que la perte ultérieure de la chose n’avait pu faire disparaître, de sorte qu’elle exclurait la caducité de la conven-tion. Cette interprétation peine toutefois à convaincre à un double titre. Premièrement, elle se concilie mal avec les motifs reproduits ci-avant, où la Cour de cassation écarte la caducité de la convention, non en raison de la survie, malgré la perte de la chose, de l’obligation d’indemnisation du vendeur, mais bien de l’obligation «  de l’autre partie », c’est-à-dire de l’acheteur. Deuxièmement, l’arrêt fondateur du 28  novembre 1980 avait déjà établi que l’existence d’une obli-gation d’indemnisation dans le chef du débiteur fautif n’exclut pas que la convention elle-même puisse être frappée de caducité (93). L’interprétation proposée ne paraît donc guère convaincante.

À mon sens, la meilleure manière de comprendre l’arrêt du 4 fé-vrier 2005 consiste à y lire la consécration de la thèse, certes minori-taire (94), selon laquelle la clause retardant le transfert de propriété de la chose n’empêche pas le passage immédiat des risques sur la tête

(90) S. MOSSELMANS, op. cit., R.W., 2005-2006, n° 6, p. 589. (91) Pour cette observation, C. BIQUET-MATHIEU, ibid., qui en déduit qu’ainsi, « lu à l’aune du

moyen tel qu’il avait été développé, le dernier attendu de l’arrêt apparaît-il énigmatique ». S. Mos-selmans considère également qu’en l’espèce, les risques pesaient sur le vendeur (n° 2, p. 588).

(92) J. BEKAERT, op. cit., R.A.B.G., 2006, n° 3, p. 14. (93) Voy. supra, n° 6. (94) En ce sens, P.A. FORIERS et C. DE LEVAL, « Force majeure et contrat », Le droit des obligations

contractuelles et le bicentenaire du Code civil, Bruxelles, La Charte, 2004, n° 44, p. 274 ; R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 265, I, p. 578, et les réf. citées à la note n° 2501.

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l’acheteur. En effet, si les risques pesaient en l’espèce sur l’acheteur, il devient évident que la perte de la chose par cas fortuit ne pouvait entraîner la caducité de la convention : l’acheteur demeure en effet dans ce cas tenu au paiement du prix (95).

Quoi qu’il en soit, l’arrêt du 4 février 2005 me paraît apporter une nuance importante à la théorie de la caducité esquissée par l’arrêt du 28  novembre 1980 (96). Celui-ci aurait pu en effet donner l’im-pression que la perte de l’objet de la convention (en l’occurrence un bail) entraîne automatiquement la caducité de toute la convention. L’arrêt ultérieur montre qu’il n’en va pas nécessairement ainsi, spé-cialement en cas de perte fortuite de la chose formant l’objet d’un contrat translatif de propriété, le régime de la caducité devant en ce cas être aménagé pour tenir compte de la théorie des risques (97). Il laisse en revanche entière la question de savoir si un contrat caduc peut encore faire l’objet d’une action en résolution (98).

10. Arrêt du 25 juin 2010 (99). Dans cette dernière affaire, la com-mune de Charleroi était tenue, en vertu d’une convention remontant à 1896, de fournir gratuitement de l’eau à la commune de Pont-à-Celles, à concurrence de 60 litres d’eau par jour et par habitant. Au 1er janvier 1979, la commune de Pont-à-Celles transféra cependant son réseau de distribution d’eau à la S.N.D.E. Le juge du fond consi-déra que la commune de Pont-à-Celles ne disposait dès lors plus des installations destinées à recevoir l’eau qui devait lui être fournie gra-tuitement par la commune de Charleroi. Il en déduisit que l’obliga-

(95) Vainement objecterait-on que le vendeur était en l’espèce en demeure, ce qui aurait impli-qué un renversement de la charge des risques sur sa tête. En effet, il est constant que la machine se trouvait en l’occurence dans les locaux de l’acheteur, de sorte que même si le vendeur avait correc-tement exécuté ses engagements, la machine aurait de toute façon péri. Or, dans un tel cas de figure, le débiteur se trouve également libéré par la perte fortuite de la chose et l’on en revient aux effets de droit commun de la force majeure et de la théorie des risques, comme s’il n’y avait pas eu de mise en demeure (P.A. FORIERS et C. DE LEVAL, Le droit des obligations contractuelles et le bicentenaire du Code civil, op. cit., n° 54, p. 284). L’interprétation proposée aurait ainsi le mérite d’expliquer pour quels motifs la Cour de cassation a pris le soin de reproduire dans son arrêt les deux premiers alinéas de l’article 1302 du Code civil, et non uniquement le premier. Cela étant, il est permis de se demander si l’arrêt attaqué n’aurait pas pu faire l’objet d’une autre critique. En effet, dès lors que l’acheteur se trouvait dans l’impossibilité de restituer la chose par un cas fortuit, le vendeur aurait à mon sens dû être libéré de sa propre obligation de restituer le prix, conformément à la règle res perit debitori (voy. à ce propos R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 450, p. 997). La Cour de cassation n’était cependant pas saisie d’un tel grief.

(96) Voy. supra, n° 6. (97) Voy. égal. infra, n° 38. (98) Voy. à ce propos infra, n° 36. (99) Cass., 25 juin 2010, Pas., 2010, n° 460.

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tion relative à cette fourniture d’eau était nécessairement devenue sans objet. Dès lors, la commune de Charleroi fut admise à invoquer « la caducité (et donc la disparition), sinon de la convention (…), à tout le moins de l’obligation précitée, relative à la fourniture gra-tuite d’une certaine quantité d’eau ».

La commune de Pont-à-Celles se pourvut en cassation en fai-sant valoir que la caducité de l’obligation suppose une impossibilité d’exécution en nature, laquelle ne résultait pas du seul constat de l’apport du réseau de distribution d’eau à la S.N.D.E.  Le pourvoi fut toutefois rejeté par la Cour de cassation. À son estime, par les motifs précités, l’arrêt attaqué, « qui considère ainsi que l’exécution matérielle de l’obligation a été rendue impossible, justifie légalement sa décision que l’obligation de celle-ci est devenue sans objet et, dès lors, caduque » (100).

L’arrêt de la Cour confirme ainsi que la caducité de l’obligation résulte de plein droit de son impossibilité d’exécution en nature. On relèvera, en l’espèce, que cette impossibilité ne résultait, ni d’une faute du débiteur, ni d’un véritable cas fortuit, mais d’un fait impu-table au créancier de l’obligation. La Cour, en revanche, ne se pro-nonce pas – et n’avait d’ailleurs pas à le faire – sur le sort du contrat dont l’obligation principale devient ainsi caduque (101).

11. Conclusions intermédiaires. À ce stade, les traits suivants de la caducité par disparition de l’objet se dégagent des arrêts exami-nés :

– la caducité de l’obligation résulte de l’impossibilité d’exécuter son objet en nature, que cette impossibilité soit due à un cas for-tuit (arrêts des 12 décembre 1991 et 4 février 2005), à la faute du débiteur (arrêt du 28 novembre 1980) ou même au fait du créancier (arrêt du 25 juin 2010) ;

– l’impossibilité ne doit pas être entendue de manière abstraite mais s’apprécie à la lumière de l’objet tel que les parties l’ont conçu (arrêts des 28 novembre 1980 et 12 décembre 1991) ;

(100) Dans la traduction néerlandaise de l’arrêt : « (…) dat die verbintenis geen voorwerp meer heeft en bijgevolg vervallen is ». Sur l’usage du mot « voorwerp », voy. infra, n° 14.

(101) Comme le relève C. BIQUET-MATHIEU, note sous Cass., 25 juin 2010, in Chroniques nota-riales, op. cit., p. 48.

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– la caducité concerne au premier chef l’obligation (arrêts des 14 octobre 2004 et 25 juin 2010) ; elle peut s’étendre à tout le contrat (arrêt du 28 novembre 1980) mais il n’en va pas néces-sairement ainsi (arrêt du 4 février 2005) (102) ;

– la caducité produit ses effets de plein droit (arrêt des 28  no-vembre 1980, 12 décembre 1991 et 25 juin 2010) ;

– la caducité par disparition de l’objet constitue un principe général du droit (arrêt du 14 octobre 2004) (103) ;

– la caducité constitue une règle supplétive, n’étant ni une règle impérative, ni d’ordre public (arrêt du 14 octobre 2004).

Je tiendrai ces caractéristiques pour acquises en tentant de pré-ciser, dans la suite de ce rapport, le régime de la caducité. Alors que les auteurs abordent souvent d’un même souffle les deux niveaux d’analyse, je veillerai à distinguer l’impact de la disparition de l’ob-jet sur l’obligation (Section  2) de ses éventuelles incidences sur le contrat tout entier (Section 3).

(102) L’arrêt du 12 décembre 1991 représente à cet égard un cas particulier puisqu’il concernait une promesse unilatérale de vente, en sorte que l’engagement du promettant se confondait en pra-tique avec la convention toute entière.

(103) Cet arrêt ne reconnaît comme principe général du droit que la caducité de l’obligation, mais on peut raisonnement supposer, à la lumière notamment de l’arrêt du 28 novembre 1980, que la caducité du contrat tout entier constitue également un principe général du droit (voy. en ce sens J.-Fr. ROMAIN, « Clarifications concernant la théorie de la caducité des actes juridiques, en particu-lier des libéralités testamentaires, par disparitionde leur cause-mobile déterminant », op. cit., n° 15, p. 101), qui suppose toutefois évidemment que ses conditions d’application soient réunies.

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SECTION 2. CADUCITÉ DE L’OBLIGATION

12. Plan. La caducité par disparition de l’objet se caractérise par l’impossibilité d’exécution en nature. Je tâcherai de préciser cette notion (§ 1) avant d’envisager ses effets au niveau de l’obliga-tion (§ 2).

§ 1. Conditions

13. Condition de base  : l’impossibilité d’exécution. Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de cassation examinée, la caducité par disparition de l’objet découle, plus précisément, de l’impossibilité

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d’exécution en nature de l’obligation (104). En revanche, si l’obliga-tion n’est pas devenue impossible à exécuter mais que le débiteur ac-cuse un simple retard dans son exécution ou refuse volontairement de s’exécuter, l’obligation n’est pas caduque pour autant (105). La cause de l’impossibilité importe peu : la caducité intervient, qu’elle trouve sa source dans un cas fortuit, dans le fait ou la faute de l’une ou de l’autre partie au contrat (106). L’impossibilité acquiert ain-si en droit positif belge une place centrale puisqu’elle est érigée en mode général d’extinction des obligations. On mesure tout le chemin parcouru depuis le système classique du Code civil, qui ne conférait un tel rôle à la perte de la chose que lorsqu’elle était fortuite (107).

L’impossibilité envisagée doit cependant remplir un certain nombre de conditions (108).

I. Tout d’abord, l’impossibilité d’exécution doit en principe être postérieure à la conclusion du contrat. En effet, si elle était contem-poraine à celle-ci, le contrat ne serait pas valablement formé, de sorte qu’on se trouverait plutôt sur le terrain de la nullité de l’obli-gation (109). Nous verrons toutefois que ce point de vue doit être

(104) Voy. supra, n° 11 ; voy. égal. A. BOËL, Obligations. Commentaire pratique, op. cit., V.2.5, n°  1.8, p.  3  ; P.A.  FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essentiel à leur formation, op. cit., nos 17 et s., pp. 21 et s. ; S. STIJNS, De gerechtelijke en buitengerechte-lijke ontbinding van overeenkomsten, op. cit., n° 43, p. 85.

(105) Civ. Bruxelles, 22  mars 2006, J.J.P., 2007, pp.  199 et s., spéc. p.  205  ; Comm. Hasselt, 26 mars 1997, R.G.D.C., 1999, p. 67.

(106) Voy. supra, n° 11 ; voy. égal. A. BOËL, Obligations. Commentaire pratique, op. cit., V.2.5, n°  1.9, p.  4  ; B.  CLAESSENS et N.  PEETERS, Bestendig Handboek Verbintenissenrecht, op. cit., V.3, n° 4412, p. 36 ; P.A. FORIERS, « Observations sur la caducité des contrats par suite de la disparition de leur objet ou de leur cause », op. cit., n° 18, p. 95 ; S. STIJNS, De gerechtelijke en buitengerechtelijke ontbinding van overeenkomsten, op. cit., n° 42, p. 85 ; comp. J.-Fr. ROMAIN, « Clarifications concernant la théorie de la caducité des actes juridiques, en particulier des libéralités testamentaires, par dis-paritionde leur cause-mobile déterminant », op. cit., n° 16, p. 102, qui exige sans s’en expliquer que l’événement provoquant la caducité soit indépendant de la volonté des parties.

(107) Voy. les art. 1234, al. 7 juncto et 1302 du Code civil. Voy. égal. la citation du célèbre com-paratiste L. CONSTANTINESCO citée en tête du présent rapport.

(108) Pour construire cette notion générale d’impossibilité, on peut notamment s’inspirer de la jurisprudence relative à la notion de force majeure, où le concept d’impossibilité est déjà bien balisé (F. GARRON, La caducité du contrat, op. cit., n° 92, p. 113, note n° 172). On peut également se fonder sur la jurisprudence précisant dans quels cas l’exécution en nature est impossible dans le contexte de l’article 1184 du Code civil.

(109) Arg. art.  1601 du Code civil  ; voy. A.  BOËL, Obligations. Commentaire pratique, op. cit., V.2.5, n° 1.8, p. 3  ; B. CLAESSENS et N. PEETERS, Bestendig Handboek Verbintenissenrecht, op. cit., V.3, n° 4411, p. 36 ; T. DE LOOR, op. cit., R.W., 1995-1996, n° 58, p. 776 ; F. LAURENT, Principes de droit civil, t. XVI, op. cit., n° 235, p. 318 ; J.-Fr. ROMAIN, « Clarifications concernant la théorie de la caducité des actes juridiques, en particulier des libéralités testamentaires, par disparitionde leur cause-mobile déterminant », op. cit., n° 16, p. 102 ; S. STIJNS, De gerechtelijke en buitengerechtelijke ontbinding van overeenkomsten, op. cit., n° 41, p. 83.

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nuancé en raison des effets qui sont néanmoins attribués à l’obliga-tion nulle tant qu’elle n’est pas effectivement annulée (110).

II. Ensuite, l’impossibilité suppose que l’obligation n’ait pas déjà été entièrement exécutée (111). En effet, la caducité de l’obligation ne vaut que pour l’avenir (112). Or, si l’obligation a été exécutée, elle est déjà éteinte (113), de sorte qu’elle ne pourrait s’éteindre une seconde fois en raison d’une impossibilité d’exécution postérieure (114). Si, en revanche, l’exécution n’est pas encore achevée, voire n’a pas en-core commencé, la caducité peut encore intervenir (115) et frappera l’obligation ou, à tout le moins, la partie non encore exécutée de celle-ci (116). En pratique, la caducité intéresse donc principalement les contrats successifs, mais même si l’on a de ceux-ci une conception large (117), les contrats instantanés peuvent dans certains cas être également concernés (118).

III. Par ailleurs, l’impossibilité doit concerner l’exécution de l’obligation par le débiteur, et non simplement l’exercice du droit corrélatif par le créancier. C’est ainsi, par exemple, que dans un arrêt du 27 juin 1946, la Cour de cassation a estimé que « l’impossibilité de

(110) Voy. infra, n° 40. (111) A. BOËL, Obligations. Commentaire pratique, op. cit.,V.2.5, n° 1.8, p. 3 ; P.A. FORIERS, La

caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essentiel à leur formation, op. cit., n° 60, p. 58 ; J. GHESTIN, G. LOISEAU et Y.-M. SERINET, La formation du contrat, t. 2, op. cit., n° 2068, p. 771 ; J.-Fr. ROMAIN, « Clarifications concernant la théorie de la caducité des actes juridiques, en particulier des libéralités testamentaires, par disparitionde leur cause-mobile déterminant », op. cit., n° 16, p. 102.

(112) Voy. infra, n° 26. (113) Art. 1234, al. 2, C. civ. (114) Pour une application, voy. Cass., 17 juin 1993, Pas., 1993, I, n° 291, avec les conclusions de

M. l’avocat général JANSSENS DE BISTHOVEN, R.C.J.B., 1996, p. 227, note J. HERBOTS : dès lors, que dans le contrat de location-financement, les parties sont convenues que l’obligation de délivrance du lessor est réduite à l’acte purement matériel par lequel la chose promise est mise à la disposition du lesee, les parties peuvent valablement convenir que la perte ultérieure de jouissance, totale ou partielle, du matériel loué n’entraîne ni suspension ni résiliation du bail (ou, en d’autres termes, ne provoque par la caducité de l’obligation du lessor, déjà entièrement exécutée lors de la délivrance).

(115) T. DE LOOR, op. cit., R.W., 1995-1996, n° 9, p. 763 ; S. STIJNS, De gerechtelijke en buitenge-rechtelijke ontbinding van overeenkomsten, op. cit., n° 25, p. 64 ; comp., en France, l’opinion plus res-trictive de Y. BUFFELAN-LANORE, Essai sur la notion de caducité des actes juridiques, op. cit., p. 155.

(116) Ceci pose alors la question du régime de l’impossibilité partielle d’exécution  : voy. à ce propos infra, n° 19.

(117) On sait, à cet égard, qu’il existe une controverse sur le point de savoir si les contrats suc-cessifs comprennent uniquement les contrats à exécution continue (tels qu’un bail) ou incluent éga-lement les contrats à prestations échelonnées (tels qu’une vente à tempérament). Voy. à ce propos P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, Les obligations, op. cit., n° 68, pp. 147 et s.  ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 75, p. 99.

(118) Voy. P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essentiel à leur formation, op. cit., n° 60, p. 59, qui donne l’exemple de la vente dont le prix est laissé à l’arbitrage d’un tiers qui n’effectue pas l’estimation (art. 1592 C. civ.).

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“fournir la jouissance promise” ne peut se concevoir que dans le chef de la personne qui est tenue à cette prestation, c’est-à-dire, dans le chef du bailleur (Code civ., art. 1719) ; Attendu, dès lors, que consta-tant qu’il n’y avait pas, en l’espèce, impossibilité pour le bailleur de prester la jouissance promise, le juge du fond ne pouvait légalement faire application de l’article 1722 du Code civil » (119).

Les choses sont cependant plus complexes, comme le montre la même décision. Celle-ci poursuit en effet en considérant que le juge du fond a légalement considéré le bail comme dissous dès lors qu’il a constaté que le preneur s’était trouvé dans l’impossibilité en rai-son d’un cas fortuit de jouir de la chose louée suivant sa destina-tion (120), ce qui constitue non un simple droit, mais une obligation dans le chef du preneur (121). Dans d’autres décisions, la Cour de cassation a par ailleurs admis la dissolution du bail lorsqu’un cas de force majeure empêchait le bailleur d’exécuter son obligation de faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail (122).

La nuance est donc subtile : en soi, la simple impossibilité pour le créancier d’exercer un droit n’entraîne pas la caducité de l’obligation corrélative, mais lorsque cette dernière se trouve elle-même impos-sible à exécuter, ou lorsqu’une autre obligation du créancier devient pour la même cause impossible à exécuter, alors la caducité peut in-tervenir. Impossibilité d’exercer un droit et impossibilité d’exécuter une obligation ne se confondent donc pas nécessairement (123).

(119) Voy. Cass., 27 juin 1946, Pas., 1946, I, p. 271, troisième moyen, et la note (4), J.T., 1947, p. 166, note M. SLUZNY, R.C.J.B., 1947, p. 268, note A. DE BERSAQUES  ; voy. égal. Cass., 17 sep-tembre 1982, Pas., 1983, I, n° 46 ; Cass., 17 avril 1980, Pas., 1980, I, p. 1030 ; Y. MERCHIERS, « Le bail en général », Rép. not., t. VIII, l. 1, Bruxelles, Larcier, 2014, n° 555, p. 334. Comp. F. LAURENT, Principes de droit civil, t. XVI, op. cit., n° 273, p. 336, pour qui l’impossibilité fortuite pour le preneur de jouir des lieux loués met fin au contrat de bail.

(120) Voy. Cass., 27  juin 1946, Pas., 1946, I, p.  271, quatrième moyen, et la note (5) signée R.H. En l’occurence, le pouvoir nazi occupant avait retiré au preneur (la société Métro-Goldwyn Mayer), le 2 mai 1941, sa licence d’exploitation de représentations cinématographiques, ce qui l’em-pêchait de continuer à exploiter le cinéma loué selon sa destination (voy. A. DE BERSAQUES, op. cit., R.C.J.B., 1947, p. 275).

(121) Art. 1728, 1°, C. civ. (122) Art. 1719, 3°, C. civ. ; voy. ainsi Cass. 5 juillet 1923, Pas., 1923, I, p. 410 ; Cass., 9 janvier

1919, Pas., 1919, I, p. 52. (123) C’est ainsi, par exemple, que l’impossibilité pour le preneur de jouir des lieux loués pour

un événement inhérent à sa personne (tel qu’une jambe dans le plâtre) n’emporte pas la dissolution du bail, car elle n’implique en principe aucune impossibilité pour les parties d’exécuter leurs obliga-tions de respecter la destination des lieux loués (voy. H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. IV, 3e éd., Bruxelles, Bruylant, 1972, n° 638 ; Y. MERCHIERS, « Le bail en général », Rép. not., t. VIII, l. 1, Bruxelles, Larcier, 2014, n° 555, p. 334).

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IV. Il faut encore que l’impossibilité d’exécution soit définitive. En effet, si l’impossibilité n’est que temporaire, elle ne donne lieu qu’à la suspension de plein droit de l’obligation (et, par voie de consé-quence, de tous les engagements se trouvant en lien synallagmatique avec l’obligation suspendue) en cas d’impossibilité fortuite (124) ou, en cas d’impossibilité fautive, permet au créancier de réclamer des dommages-intérêts (125), de mettre en œuvre, à certaines condi-tions, l’exception d’inexécution (126), ou encore de demander en jus-tice la résolution de la convention à condition que le manquement soit suffisamment grave (127). Dans l’un et l’autre cas, la survie de l’obligation n’est donc pas automatiquement menacée. Toutefois, si l’impossibilité temporaire se prolonge après le terme au-delà duquel l’exécution ne présenterait plus aucune utilité pour les parties, alors l’impossibilité temporaire est assimilée à une impossibilité définitive et entraîne de plein droit la caducité de l’obligation (128). Dans cette mesure, on préférera peut-être, avec les juristes allemands, parler d’une impossibilité durable d’exécution (129).

V. Précisons également que l’obligation doit devenir impossible à exécuter en nature. Le seul fait qu’elle puisse encore être exécutée par équivalent, sous la forme de dommages-intérêts, ne suffit donc pas à empêcher la caducité de l’obligation (130). On rappellera en revanche que, lorsque l’obligation a pour objet des choses de genre non encore spécifiées (en ce compris une somme d’argent), l’obliga-tion ne devient impossible qu’en cas de perte du genre tout entier, ce qui est exceptionnel (genera non pereunt) (131).

(124) Voy. Cass., 9  octobre 1958, Pas., 1959, I, p.  143  ; Cass., 13  janvier 1956, Pas., 1956, I, p. 460.

(125) Art. 1147 et 1153 C. civ. (126) On notera à cet égard que « l’exception d’inexécution ne peut être invoquée dans des condi-

tions contraires à la bonne foi et, notamment, par une partie qui se trouve elle-même à l’origine de l’inexécution de son cocontractant. Cette dernière circonstance ne se déduit toutefois pas nécessaire-ment de ce qu’elle n’a pas exécuté certaines de ses propres obligations. Il appartient au juge du fond d’apprécier si une partie peut se prévaloir de l’exception à la lumière de toutes les circonstances de la cause » (Cass., 23 octobre 2009, Pas., 2009, n° 610). En d’autres termes, pour l’application de l’excep-tion d’inexécution et à la différence de la caducité, la cause de l’inexécution n’est pas indifférente.

(127) Art. 1184 C. civ. (128) Voy. infra, n° 18. (129) R. SCHULZE, in Bürgerliches Gesetzbuch. Handkommentar, op. cit., § 275, n° 2. (130) Voy. l’arrêt du 28 novembre 1980, supra, n° 6. Sur la notion d’exécution par équivalent,

voy. égal. infra, n° 21. (131) Voy. not. A. DE BOECK, « Genera non pereunt, of toch wel ? », R.G.D.C., 2009, pp. 437 et s. ;

P.A. FORIERS et C. DE LEVAL, Le droit des obligations contractuelles et le bicentenaire du Code civil, op. cit., nos 28 et s., pp. 262 et s. ; F. LAURENT, Principes de droit civil, t. XVIII, op. cit., n° 514, p. 524 ; R.J. POTHIER, Traité des obligations, t. II, Paris, Siffrein, 1821, n° 658, p. 129.

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VI. Enfin, l’impossibilité doit être appréciée, non de manière ab-solue, mais de manière relative, par référence au critère du débiteur normalement diligent et prudent (132). Quoique la frontière soit par-fois difficile à tracer (133), les simples difficultés d’exécution, caracté-ristiques d’un cas d’imprévision, ne suffisent donc pas à entraîner la caducité de l’obligation (134). C’est ainsi, par exemple, que lorsqu’il se borne à relever que « les travaux ont entraîné des désagréments, influençant défavorablement l’activité commerciale, et ont obéré la situation financière des [preneurs], sans constater l’impossibilité pour la [bailleresse] d’en fournir la jouissance, conformément à la destination du bien », le juge du fond ne peut valablement prononcer la dissolution de plein droit du bail conformément à l’article 1722 du Code civil (135).

14. Domaine de l’impossibilité : l’objet de l’obligation. L’impossi-bilité d’exécution, qui entraîne la caducité de l’obligation, est celle qui concerne l’objet de l’obligation. Celui-ci appelle dès lors quelques mots d’explication.

Ainsi, la caducité envisagée dans le présent rapport ne concerne que l’objet, à l’exclusion de la cause. Certes, une certaine hésitation était à l’origine permise, dès lors que le terme « objet » était la tra-duction, dans l’arrêt du 28 novembre 1980, du mot « bestaansreden », à savoir littéralement la raison d’être du contrat (136). Certains au-teurs s’étaient dès lors demandés si, plutôt que la perte de l’objet proprement dit, la Cour de cassation n’avait pas eu plutôt à l’esprit

(132) Voy. P.A. FORIERS, « Observations sur la caducité des contrats par suite de la disparition de leur objet ou de leur cause  », op. cit., n° 20, p. 97, note n° 120  ; P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essentiel à leur formation, op. cit., nos 66 et s., pp. 63 et s. ; en matière de force majeure : P.A. FORIERS et C. DE LEVAL, op. cit., Le droit des obli-gations contractuelles et le bicentenaire du Code civil, nos 9 et s., pp. 248 et s.  ; P.  WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 564, p. 540.

(133) En particulier si l’on envisage l’impossibilité juridique découlant d’un abus de droit : voy. infra, n° 18.

(134) Voy. Liège, 19 mars 1998, R.D.C., 1999, pp. 278 et s., spéc. p. 280 ; Comm. Liège, 15 sep-tembre 1995, R.D.C., 1998, pp. 446 et s., spéc. p. 450 ; S. STIJNS, De gerechtelijke en buitengerechtelijke ontbinding van overeenkomsten, op. cit., n° 45, p. 89 ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 506, p. 486. Sur la théorie de l’imprévision, voy. égal. le rapport de S. GOLDMAN et S. LAGASSE dans le présent ouvrage.

(135) Cass., 5 décembre 1996, Pas., 1996, I, n° 485. (136) Voy. supra, n° 6. Comp. également, dans l’arrêt du 12 novembre 1991, l’idée que la pro-

messe de vente est devenue « doelloos » (littéralement sans but), supra, n° 7.

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la disparition de la cause, du moins si on l’entend dans le sens de cause interne ou objective (137).

On sait, à cet égard, que « Dans un contrat synallagmatique, la cause des obligations de l’une des parties ne réside pas exclusive-ment dans l’ensemble des obligations de l’autre partie [cause interne ou objective], mais dans celui des mobiles qui a principalement inspiré son débiteur et l’a déterminé à contracter [cause externe ou subjective] » (138). Mais, à supposer qu’en visant la perte de la rai-son d’être de la convention, la Cour de cassation ait entendu viser spécifiquement la disparition de la cause objective ou interne, il s’agirait là d’un détour inutile du raisonnement, puisque celle-ci se confond alors toujours avec la disparition de l’objet de l’obligation de l’autre partie (139). C’est sans doute pourquoi, dans ses arrêts plus récents, la Cour de cassation préfère évoquer la disparition de l’objet (« voorwerp ») (140).

Quoi qu’il en soit, il est clair que la disparition de la cause externe ou subjective, c’est-à-dire des mobiles déterminants qui excèdent la simple exécution des obligations de l’autre partie, répond à un régime juridique entièrement différent (141).

15. Liens entre objet, obligation et prestation. Puisque la caducité suppose une impossibilité d’exécution de l’objet, les liens entre celui-ci, l’obligation et la prestation méritent d’être précisés (142).

De manière générale, « l’objet d’une obligation est la prestation à laquelle le débiteur s’est engagé » (143).

(137) Voy. à ce propos S. STIJNS, De gerechtelijke en buitengerechtelijke ontbinding van overeen-komsten, op. cit., n° 38, p. 79 ; P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essentiel à leur formation, op. cit., n° 14, p. 19.

(138) Voy. Cass., 14 mars 2008, Pas., 2008, n° 181, R.C.J.B., 2011, p. 329, note S. NUDELHOLC. (139) Le détour par la notion de cause présente tout au plus un intérêt pédagogique pour expli-

quer, non la caducité de l’obligation, mais les effets de celle-ci sur le reste du contrat (P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essentiel à leur formation, op. cit., n° 89, p. 90). Sur cette question, voy. infra, n° 29.

(140) Voy. les arrêts des 14 octobre 2004 et 25 mars 2010, supra, nos 8 et 10. (141) Voy. supra, n° 1. (142) Voy. récemment à ce propos T. DERVAL et L. GRAUER, « Infraction urbanistique et illicéité

de l’objet du contrat de vente : un trait d’union ténu », R.G.D.C., 2015, nos 9 et s., pp. 428 et s. ; J. VAN MEERBEECK, « Le juge et l’ordre public : libres propres quant à l’impact des normes régionales sur le bail à l’aune de la théorie des nullités », Le bail et le contrat de vente face aux réglementations régionales (urbanisme, salubrité, PEB), Bruxelles, Larcier, 2015, nos 14 et s., pp. 164 et s.

(143) Cass., 4 octobre 2012, n° C.10.0510.F (inédit) ; voy. de même Cass., 19 mai 2005, Pas., 2005, n° 284 ; Cass., 14 septembre 2000, Pas., 2000, n° 470, avec les conclusions de M. le premier avocat général A. HENKES, alors avocat général ; Cass., 8 avril 1999, Pas., 1999, I, n° 199.

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À cet égard, on sait qu’une obligation peut avoir pour objet une prestation de donner, de faire ou de ne pas faire (144). Or, cha-cune de ces prestations est elle-même dotée d’un objet qui lui est propre (145). Ainsi, la prestation de donner consiste dans le transfert ou la constitution d’un droit réel, lequel porte directement sur une chose (146). La prestation de ne pas faire consiste quant à elle à s’abs-tenir d’accomplir un acte juridique ou matériel déterminé, qui peut le cas échéant concerner une chose (147). Enfin, la prestation de faire est la catégorie résiduaire qui englobe, au sens le plus large, les ser-vices qui peuvent être promis par un débiteur. Or, ceux-ci peuvent également concerner – indirectement – une chose, qui constitue en quelque sorte l’objet du service (148).

Par ailleurs, des liens étroits unissent l’objet de la prestation à l’obligation elle-même. C’est ainsi, par exemple, que l’obligation devient impossible à exécuter, et s’éteint par voie de conséquence, lorsque le transfert qu’elle visait à réaliser porte sur une chose qui a péri par cas fortuit (149). De même, l’obligation du vendeur de transférer la propriété serait frappée de caducité si elle portait sur une chose future qui ne vient finalement pas à existence (150) ou si, avant la date prévue pour le transfert de propriété, la chose était aliénée à un tiers (151).

(144) Art. 1101 C. civ.  ; P.  VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, Les obligations, op. cit., n° 7, p. 35 ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 5, p. 16.

(145) P.  VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, Les obligations, op. cit., n°  10, pp. 43 et s.

(146) Du moins dans la conception classique : sur celle-ci et sur les discussions qu’elle a suscitées, voy. V. SAGAERT, « Les interférences entre le droit des biens et le droit des obligations : une analyse de l’évolution depuis le Code civil », Le droit des obligations contractuelles et le bicentenaire du Code civil, Bruxelles, La Charte, 2004, nos 4 et s., pp. 354 et s.

(147) Ainsi, par exemple, l’interdiction faite au dépositaire de se servir de la chose (art. 1930 du Code civil).

(148) Voy. P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essentiel à leur formation, op. cit., n° 22, p. 25. Ainsi, par exemple, le bail impose au bailleur de déli-vrer au preneur la chose louée, d’entretenir cette chose et d’en faire jouir paisiblement le preneur (art. 1719 C. civ.), autant de prestations de faire qui se rapportent indirectement à une chose.

(149) Art. 1302 C. civ. ; comp., au stade de la formation du contrat, l’art. 1601 C. civ. (150) H.  DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. IV, vol. I, op. cit., n°  91, p.  156  ;

F. GARRON, La caducité du contrat, op. cit., n° 97, pp. 119 et s. (151) En effet, lorsque le transfert de propriété a été retardé et que le vendeur n’est plus proprié-

taire à l’échéance du terme, la vente n’est pas annulable sur la base de l’article 1599 du Code civil ; tout au plus le paiement qu’effectuerait le vendeur serait-il alors nul en vertu de l’article 1238 du Code civil (P. WÉRY, « La vente de la chose d’autrui et les obstacles à son annulation », note sous Cass., 8 février 2010, R.C.J.B., 2011, n° 7, pp. 22 et s., spéc. note n° 55). Mais, puisqu’aucun paiement ne peut plus être valablement effectué par le vendeur, il me semble qu’il faille admettre que son obligation est en réalité devenue impossible à exécuter et, partant, caduque (voy. égal. infra, n° 40).

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On se gardera toutefois d’admettre toute automaticité en la ma-tière.

C’est ainsi, par exemple, que le bail de la chose d’autrui, valable alors même que le bailleur ne serait pas en mesure de conférer la jouissance promise au preneur (152), n’est pas nécessairement frappé de caducité immédiatement après sa conclusion si le bailleur n’a pas acquis depuis celle-ci le droit de faire jouir le preneur. Dans l’esprit des parties, en effet, la convention constitue généralement une forme de porte-fort, le bailleur escomptant obtenir l’autorisation du verus dominus pour conférer la jouissance au preneur (153). Ce n’est donc que lorsque le refus du propriétaire apparaît raisonnablement cer-tain que l’objet pourra être considéré comme impossible à exécuter et, partant, l’obligation caduque (154).

Il se peut, au demeurant, que la prestation promise par le débi-teur soit possible alors même que cette prestation se rapporte à une chose illicite et donc, dans une certaine mesure, impossible (155). Ainsi, par exemple, il est possible d’assurer contre l’incendie un immeuble qui se trouve pourtant en infraction aux règles d’urba-nisme (156) ou de s’engager à transférer la propriété de ce bien (157). Il est de même possible d’assurer le risque provoqué par les consé-quences civiles d’une infraction commise par négligence (158) ou, de manière plus générale, de transiger sur les conséquences civiles

(152) Voy. Cass., 24 septembre 2004, Pas., 2004, n° 435 (« Qu’un contrat de bail n’est pas nul par le seul fait que le bailleur n’a pas de droit réel sur la chose louée ou n’en a pas lui-même la jouissance, ou n’a pas l’autorisation de louer la chose de celui qui a un droit sur la chose ou qui en a la jouissance ; que, même en pareil cas, celui à qui le contrat accorde la jouissance de la chose a la qualité de pre-neur »). Voy de même Cass., 14 juin 1979, Pas., 1979, I, p. 1185

(153) Voy. H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. IV, op. cit., n° 509, 4°, a). (154) Comp. H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. IV, op. cit., n° 509, n° 5, pour

qui « la situation change lorsqu’au moment de la conclusion du bail, le preneur savait que le bail ne serait jamais, à aucun titre, exécutable (…). Dans ce cas, non seulement les dommage-intérêts ne se conçoivent évidemment pas, mais le preneur ne peut même pas demander l’exécution du contrat, car pareil bail manque, en réalité, d’objet (...) », ce qui justifie sa nullité (ibid., n° 6, a) et b)). De manière similaire, le bail de la chose d’autrui ne me paraît donc caduc qu’à partir du moment où il est acquis, après la conclusion du contrat, qu’il ne pourra être exécuté à aucun titre.

(155) Le lien entre illicéité et impossibilité est classique : voy. not. l’art. 1172 du Code civil. Sur l’impossibilité juridique, voy. égal. infra, n° 17.

(156) Voy. Cass., 19 mai 2005, Pas., 2005, n° 284 ; Cass., 8 avril 1999, Pas., 1999, I, n° 199. (157) Voy. les conclusions précitées de M. le premier avocat général A.  HENKES, Pas., 2000,

p. 1341 ; T. DERVAL et L. GRAUER, op. cit., R.G.D.C., 2015, n° 16, pp. 433 et s. Sur la mise en location d’un tel bien, voy. et comp. J. VAN MEERBEECK, Le bail et le contrat de vente face aux réglementations régionales, op. cit., n° 16, pp. 166 et s.

(158) Voy. Cass., 14 septembre 2000, Pas., 2000, n° 470, avec les conclusions de M. le premier avocat général A. HENKES, alors avocat général.

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d’une infraction (159). Dans chacun de ces cas, la Cour de cassation admet la licéité de l’objet dès lors qu’il n’a pas pour effet de créer ou maintenir une situation contraire à l’ordre public (160). Ce faisant, elle appréhende donc l’objet de l’obligation à la lumière du résultat concret poursuivi par la prestation, et ce sans nécessairement s’arrê-ter aux caractéristiques de l’objet de cette prestation, en lui-même illicite (161).

À l’inverse, la Cour de cassation a admis la caducité de la pro-messe unilatérale de vente portant sur une chose ayant péri par cas fortuit, alors que, techniquement, la prestation promise par le débi-teur – à savoir le maintien de son consentement destiné à faire naître le contrat de vente en cas de levée de l’option – n’était en soi pas impossible ; mais, dès lors que le contrat de vente auquel la levée de l’option aurait donné naissance aurait lui-même été doté d’un objet impossible (162), cette impossibilité a contaminé, en quelque sorte, l’engagement du promettant (163).

16. Dimension subjective de l’objet. Ceci m’amène à une réflexion plus générale sur le domaine de l’impossibilité : l’objet de l’obligation n’est pas une donnée abstraite, qui vaudrait dans toutes les hypo-thèses envisageables ; il doit au contraire toujours se comprendre à la lumière de la conception qu’en ont eue les parties. « Même lorsque l’obligation porte sur une chose (…) cette chose ne se résume pas en un simple être physique, mais consiste dans la représentation que s’en font les parties en fonction notamment des fins de leur conven-tion, de sa raison d’être  » (164). C’est ce qui explique, notamment, que dans l’arrêt du 28  novembre 1980, la survie du corps de logis n’ait pas empêché d’admettre la perte totale de l’objet du bail, parce que celui-ci visait dans l’esprit des parties à permettre une exploitation agricole et non uniquement à offrir un logement au preneur (165) ou que, dans la promesse unilatérale de vente, l’enga-

(159) Art. 2046, al. 1er, C. civ. (160) Voy. T. DERVAL et L. GRAUER, op. cit., R.G.D.C., 2015, n° 10, pp. 429 et s. ; J. VAN MEER-

BEECK, Le bail et le contrat de vente face aux réglementations régionales, op. cit., n° 16, p. 166. (161) Pour plus de détails, voy. T. DERVAL et L. GRAUER, op. cit., R.G.D.C., 2015, n° 13, pp. 431

et s. (162) Ou, plus précisément, la prestation de donner promise par le vendeur aurait porté sur une

chose impossible, à savoir le transfert de la propriété d’une chose certaine qui a péri. (163) Arrêt du 12 décembre 1991 ; voy. supra, n° 7. (164) P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essen-

tiel à leur formation, op. cit., n° 65, p. 63. (165) Voy. supra, n° 6.

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gement du promettant soit caduc en cas de perte de la chose qui fait l’objet de la vente envisagée (166).

On trouve encore une illustration de cette idée dans le cadre du contrat de location-financement ou leasing. En effet, bien que ce contrat comporte un élément de bail puisque le lessee se voit concé-der un droit de jouissance personnel et temporaire sur une chose, l’obligation de délivrance du lessor est, dans ce contexte, réduite à l’acte purement matériel de mise à disposition de la chose, de sorte que cette obligation est entièrement exécutée lors de la livraison de la chose et que les parties peuvent donc valablement prévoir que la perte de jouissance totale ou partielle du matériel loué n’entraîne ni la suspension ni la résiliation du contrat (167). En d’autres termes, la caducité de l’obligation du lessor se trouve exclue, nonobstant la perte de la chose, en raison de la manière très restrictive dont les parties ont conçu l’objet de son obligation. L’objet comporte donc bien une dimension subjective (168).

Cette idée permet également d’expliquer le sort des contrats conclus en considération de la personne du débiteur (169) en cas de décès, de faillite ou d’incapacité de celui-ci. À cet égard, lorsque la personne du débiteur est véritablement intégrée à l’objet (« réifiée »), l’impossibilité dans laquelle se trouve ce débiteur d’exécuter person-nellement l’obligation entraîne alors la caducité de celle-ci. En effet, même si la prestation pourrait théoriquement être encore fournie par un tiers, celle-ci ne serait pas la prestation promise telle que les parties se la sont représentée (170).

(166) Voy. supra, n° 7. (167) Voy. Cass., 17 juin 1993, Pas., 1993, I, n° 291, avec les conclusions de M. l’avocat géné-

ral JANSSENS DE BISTHOVEN, R.C.J.B., 1996, p. 227, note J. HERBOTS  ; voy. égal. et comp. Gent, 21 novembre 1996, R.W., 1997-1998, p. 823, note J. HERBOTS  ; Comm. Mons, 30 septembre 2004, D.A.O.R., 2005/73, p. 33 ; P.A. FORIERS, op. cit., La caducité des obligations contractuelles par dispa-rition d’un élément essentiel à leur formation, n° 68, pp. 66 et s.

(168) P.A. FORIERS et M.-A. GARNY, op. cit., Chronique de jurisprudence sur les causes d’extinc-tion des obligations (2000-2013), n° 8, p. 237.

(169) Si la notion de contrat intuitu personae est classiquement invoquée pour décrire ce genre de situation, l’expression est cependant ambiguë, puisqu’elle désigne parfois également un contrat conclu en considération de la personne du créancier (P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n°  68, p.  92), comme le contrat d’ouverture de crédit qui est conclu en considération de la per-sonne du crédité (R.  FELTKAMP, De overdracht van schuldvorderingen. Naar een meer eenvormige tegenwerpbaarheidsreling voor overdrachten in de burgerlijke en handelsrechtelijke sfeer ?, Antwerpen et Oxford, Intersentia, 2005, n° 128, p. 138).

(170) Voy. P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essentiel à leur formation, op. cit., nos 27 et s., pp. 32 et s.  ; S. STIJNS, De gerechtelijke en buitenge-rechtelijke ontbinding van overeenkomsten, op. cit., n° 46, p. 90 ; P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit

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La lecture de l’objet à la lumière des intentions communes des parties – qui ne constitue en définitive qu’une application de l’ar-ticle 1156 du Code civil – permet, à mon sens, de réserver un accueil favorable en droit belge à la théorie allemande de l’accomplissement du but (Zweckerreichung) (171). En vertu de celle-ci, l’obligation de-vient impossible à exécuter, et s’éteint conformément au §  275 du BGB (172), lorsque le résultat visé par l’exécution de l’obligation est atteint autrement que par le fait du débiteur. Comme exemples clas-siques, on cite le cas où la maison que l’entrepreneur s’était engagé à démolir s’effondre d’elle-même, ou celui où le patient guérit avant l’intervention prévue du médecin. Dans le même ordre d’idées, on admet en droit belge que l’accomplissement par le mandant de l’objet du mandat met fin à celui-ci (173). Ces hypothèses sont intéressantes dans la mesure où elles soulignent à nouveau à quel point l’objet ne peut se comprendre qu’à la lumière des attentes des parties (174). Ainsi, dans le cas précité, l’intervention du médecin serait théori-quement encore possible, mais elle serait néanmoins dépourvue de tout sens dans l’intention des parties (175). Ceci démontre bien que l’objet de l’obligation ne se borne pas à des actes matériels (l’exécu-tion de telle opération, la prescription de tel traitement), mais inclut également un certain objectif (en l’occurrence, la démolition de la maison ou la guérison du patient). Cette conception élargie de l’objet contribue, il est vrai, à brouiller la distinction entre la disparition

civil belge, t. II, Les obligations, op. cit., n° 70, p. 150 ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 68, pp. 92 et s.

(171) Voy. à ce propos W. ERNST, in Münchener Kommentar zum Bürgerlichen Gesetzbuch, op. cit., § 275, n° 154 ; R. SCHULZE, in Bürgerliches Gesetzbuch. Handkommentar, op. cit., § 275, n° 10.

(172) Voy. supra, n° 4. (173) Voy. P.A. FORIERS, op. cit., n° 14, p. 90, qui montre que si cette solution est classiquement

analysée comme un cas de révocation implicite du mandat, on peut également y voir un cas de dis-parition de l’objet du mandat.

(174) Pour une application de la même idée en droit belge, voy. Comm. Brussel, 28 novembre 2005, R.W., 2007-2008, p. 492 (caducité d’un bail portant sur une installation de purification d’eau concédé en vue de dépolluer un site qui, quoique matériellement exécutable, a perdu son but [« zin-loos, doelloos, zonder oorzaak geworden »] parce que l’OVAM a indiqué que le site ne devait plus être dépollué)  ; Comm. Mons, 15  février 2001, J.L.M.B., 2001, p.  1169 (caducité par perte de l’intérêt d’assurance dans le chef de l’assuré).

(175) À l’inverse, du seul fait qu’un tableau, qui faisait l’objet d’un droit conventionnel de pré-férence, fasse ultérieurement l’objet d’un droit de préférence légal, on ne peut en déduire que le droit de préférence conventionnel serait rendu caduc à défaut d’objet (voy. Gent, 11 décembre 2013, R.G.D.C., 2015, p. 466, pt 3.4, et la note d’E. VAN DEN HAUTE, « Le pacte de préférence conclu sans durée et ses sanctions », spéc. n° 8, p. 473). Certes, en cas d’exercice du droit légal, celui-ci aura prio-rité sur le droit conventionnel, et rendra alors celui-ci caduc ; mais, tant que le droit légal n’est pas exercé, on ne peut considérer qu’il ferait « double emploi » avec le droit conventionnel, puisqu’il ne bénéficie pas à la même personne.

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de l’objet et celle de la cause (176). Elle ne doit dès lors être admise qu’avec prudence, dans les cas où la volonté des parties de « réifier » le but de la prestation promise est établie de manière certaine (177).

Ces différentes illustrations confirment que l’impossibilité d’exé-cution est intimement liée à l’objet de l’obligation, tel que les par-ties l’ont conçu. On ne sera donc pas surpris que les parties puissent faciliter la tâche de l’interprète en précisant expressément, dans leur convention, la portée et les limites qu’elles entendent conférer à cet objet. C’est notamment ce qu’elles font lorsqu’elles règlent contrac-tuellement la charge des risques (178). Par ailleurs, s’il paraît a priori difficile d’exclure contractuellement la caducité d’une obligation qui deviendrait impossible à exécuter en nature (179), une telle clause ne sera pas pour autant dépourvue de tout effet. Elle pourra ainsi signifier, selon le cas, que le débiteur a souscrit une véritable obli-gation de garantie en s’engageant à indemniser le créancier même si l’obligation est devenue impossible à exécuter par cas fortuit (180), ou, à l’opposé, que les parties ont en réalité entendu exclure toute obligation du débiteur (181).

17. Impossibilité matérielle ou juridique. La disparition de l’ob-jet  – au sens que l’on vient de préciser – peut prendre des formes multiples.

Le cas le plus classique est celui de la disparition matérielle de la chose qui forme l’objet de la prestation promise (182). Plusieurs dispositions du Code civil font application de cette idée, principale-ment en cas de perte fortuite de la chose (183). On peut rapprocher

(176) Comp. supra, n° 14. (177) Une autre manière d’arriver au même résultat consisterait à considérer que les parties

n’ont contracté que sous la condition résolutoire implicite de l’obtention du résultat promis (tel que la guérison du patient) pour une cause étrangère au débiteur, mais un tel raisonnement me paraît plus artificiel.

(178) Sur la licéité de telles clauses, voy. P.A. FORIERS et C. DE LEVAL, Le droit des obligations contractuelles et le bicentenaire du Code civil, op. cit., n° 15, p. 253, qui relèvent que de telles clauses « aboutissent ainsi à définir l’étendue de l’obligation du débiteur ».

(179) C. CAUFFMAN, op. cit., R.W., 2005-2006, n° 7, p. 862. (180) Voy. P.A. FORIERS et C. DE LEVAL, Le droit des obligations contractuelles et le bicentenaire

du Code civil, op. cit., n° 16, p. 253. (181) Comp. ainsi le cas du leasing, évoqué supra au texte, où le maintien intégral des obligations

du lessee malgré la perte de la chose s’explique par le fait que le lessor ne s’est en réalité pas engagé à lui fournir la jouissance continue de la chose mais que son obligation s’est limitée à sa délivrance matérielle.

(182) P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 506, p. 487. (183) Voy. not. art. 1042, 1245, 1302 et 1722 C. civ. ; art. 39, 2°, C. soc.

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ce cas de celui où une obligation de ne pas faire a été méconnue. En effet, lorsque le débiteur a fait ce qu’il lui était contractuelle-ment interdit de faire, il semble à première vue matériellement im-possible d’encore obtenir l’exécution de l’obligation (184). Encore faut-il toutefois être nuancé. Il faut en effet distinguer selon que l’obligation de ne pas faire porte sur une prestation unique (par exemple, une clause d’inaliénabilité) ou une prestation continue (par exemple, une clause de non-concurrence). En cas de mécon-naissance de l’interdiction, on se trouve, dans le premier cas, face à une impossibilité totale d’exécution, et dans le second, face à une impossibilité partielle (185). En outre, l’impossibilité ne peut être considérée comme définitive que si la violation n’est pas suscep-tible d’être défaite ou rattrapée (186).

La disparition de l’objet ne se résume toutefois pas aux cas d’im-possibilité matérielle d’exécution (187). On admet, en effet, que la ca-ducité puisse également résulter d’une impossibilité juridique d’exé-cution (188). Les cas d’application sont à cet égard extrêmement variés. On songe, notamment, à la mise hors commerce de la chose formant l’objet de la prestation (189), à son expropriation pour cause d’utilité publique ou à sa réquisition par l’autorité (190), à l’entrée en vigueur d’une règle impérative ou d’ordre public rendant illicite

(184) C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le créancier est en ce cas dispensé de le mettre en demeure (art. 1145 C. civ.).

(185) W. ERNST, in Münchener Kommentar zum Bürgerlichen Gesetzbuch, op. cit., § 275, n° 50. Sur la différence entre ces deux formes d’impossibilité, voy. infra, n° 19.

(186) R. SCHULZE, in Bürgerliches Gesetzbuch. Handkommentar, op. cit., § 275, n° 14. Ainsi, par exemple, en cas de méconnaissance d’une clause d’inaliénabilité, la chose peut encore être récupérée entre les mains de l’acquéreur lorsque celui-ci était tiers complice de la violation de ses obligations par le débiteur (voy. ainsi, à propos de la méconnaissance d’un pacte de préférence, Cass., 27 avril 2006, Pas., 2006, n° 246, pt 4 ; Cass., 30 janvier 1965, R.C.J.B., 1966, p. 77, note J. DABIN). Sur les conséquences d’une impossibilité temporaire d’exécution, voy. supra, n° 13.

(187) Comp. Cass., 5 juillet 1923, Pas., 1923, I, p. 410  : « Attendu que la décision attaquée ne méconnaît nullement et qu’elle admet en principe que lorsque par un fait de l’ennemi en temps de guerre, portant sur l’immeuble loué, la jouissance du preneur a été rendue impossible, la règle inscrite dans l’article 1722 du Code civil peut être appliquée, encore qu’il n’y ait pas de destruction matérielle totale ou partielle ». Voy. dans le même sens Cass., 17 avril 1980, Pas., 1980, I, p. 1030.

(188) P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essen-tiel à leur formation, op. cit., n° 29, p. 33 ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 506, p. 487.

(189) Art. 1302, al. 1er, C. civ. ; F. LAURENT, Principes de droit civil, t. XVIII, op. cit., n° 510, p. 521. Comp. également le cas du bail portant sur des lieux ne remplissant plus les conditions légales d’habitabilité en cours d’exécution  : voy. à ce propos J.P. Grimbergen, 5 mars 2014, Huur, 2014, p. 120 ; J.P. Grâce-Hologne, 23 juillet 2002, Les Echos, 2002, p. 206.

(190) P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essen-tiel à leur formation, op. cit., n° 29, p. 34.

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la prestation promise (191) ou au décès du débiteur en considération duquel le contrat a été conclu (192). On peut aussi penser au cas où l’objet devient indéterminable parce qu’il était laissé à l’arbitrage d’un tiers qui refuse de procéder à la détermination requise (193) ou fixé par référence à des critères extérieurs (tel qu’un indice des prix) qui font ensuite défaut (194). C’est également sous l’angle de l’impossibilité juridique d’exécution que l’on peut analyser, partiel-lement, la problématique des groupes de contrats liés à telle enseigne que la dissolution de l’un entraîne celle des autres (195). Citons en-core l’hypothèse où le débiteur refuse de déférer à la condamnation à exécuter l’obligation en nature prononcée à sa charge lorsque celle-ci impliquerait une contrainte physique sur sa personne (196), celle où

(191) P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essen-tiel à leur formation, op. cit., nos 30 et s., pp. 34 et s. ; F. GARRON, La caducité du contrat, op. cit., n° 100, p. 122, note n° 188 ; P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, Les obligations, op. cit., n° 649, p. 991. Pour une application, voy. Comm. Bruxelles, 28 mars 2006, J.T., 2006, p. 506, obs. crit. P. KILESTEK et C. STAUDT (effets de l’adoption du règlement n° 1400/2002/CE sur les conven-tions de distribution dans le secteur automobile ; les annotateurs de la décision contestent cependant qu’il ait vraiment été question d’une impossibilité juridique d’exécution en l’espèce)  ; cons. égal. Y. MERCHIERS, « L’incidence sur les relations contractuelles entre bailleur et preneur de normes nou-velles émanant d’une autorité publique imposant des travaux de transformation et d’aménagement du bien », note sous Cass., 29 mai 1989 (deux espèces), R.C.J.B., 1990, pp. 540 et s.

(192) Sur le contrat intuitu personae, voy. supra, n° 16. (193) Arg. art. 1592 C. civ. (194) Voy. H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. IV, vol. I, op. cit., n° 39, p. 87 ;

P.A. FORIERS, « Observations sur la caducité des contrats par suite de la disparition de leur objet ou de leur cause », op. cit., n° 2, p. 75 ; P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par dispa-rition d’un élément essentiel à leur formation, op. cit., nos 32 et s., p. 36 ; S. STIJNS, De gerechtelijke en buitengerechtelijke ontbinding van overeenkomsten, op. cit., n° 27, p. 66. On notera qu’alors que ce rai-sonnement trouve son inspiration première dans la jurisprudence de la Cour de cassation de France du début des années 1970, celle-ci fortement évolué depuis les arrêts rendus en assemblée plénière le 1er décembre 1995 (voy., à ce propos de ce revirement et sur sa portée, J. GHESTIN, G. LOISEAU et Y.-M. SERINET, La formation du contrat, t. 2, op. cit., nos 119 et s., pp. 99 et s.).

(195) Ainsi, par exemple, lorsque la dissolution du bail principal rend impossible la poursuite de l’exécution de la sous-location. Sur la problématique des groupes de contrats, qui excède celle de la caducité par disparition de l’objet dès lors que les contrats peuvent également être liés par la cause, voy. S. AMRANI-MEKKI, « Indivisibilité et ensembles contractuels : l’anéantissement en cascade des contrats », Rép. Defrénois, 2002, pp. 355 et s. ; X. DIEUX, « Les chaînes et les groupes de contrats en droit belge – Pour un retour aux sources ! », Les obligations en droit français et en droit belge. Conver-gences et divergences, Bruxelles, Paris, Bruylant, Dalloz, 1994, pp. 109 et s. ; P.A. FORIERS, Groupes de contrats et ensembles contractuels. Quelques observations en droit positif, Bruxelles, Larcier, 2006 ; F. GARRON, La caducité du contrat, op. cit., nos 101 et s., pp. 124 et s. ; R. JAFFERALI, La rétroacti-vité dans le contrat, op. cit., nos 325 et s., pp. 752 et s. ; D. MAZEAUD, « Groupes de contrats : liberté contractuelle et réalité économique », note sous Cass. fr., 28 octobre 2010, D., 2011, pp. 567 et s. ; S. MERCOLI, La rétroactivité dans le droit des contrats, Aix-en Provence, PUAM, 2001, nos 95 et s., pp. 110 et s. ; I. SAMOY, « Nietigheid van een samenhangende overeenkomst : is er ruimte voor een sneeuwbaleffect ? », T.P.R., 2008, pp. 555 et s. ; P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, Les obligations, op. cit., nos 504 et s., pp. 768 et s., et n° 649, p. 991.

(196) Sur ce cas d’impossibilité, voy. Cass., 17 décembre 1998, Pas., 1998, I, n° 526 ; H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. III, op. cit., n° 96, p. 125 ; S. STIJNS, De gerechtelijke en bui-

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l’exécution en nature porterait atteinte à des droits acquis par des tiers de bonne foi (197), ou encore celle où la loi exclut l’exécution forcée en nature (198).

Ainsi, lorsqu’un contrat à durée indéterminée est résilié même sans préavis suffisant, on ne peut, en raison du principe général du droit d’ordre public prohibant les engagements perpétuels, imposer à l’autre partie de reprendre l’exécution de la convention (199). Il en va de même, sauf exception, dans les contrats de travail, qu’ils soient à durée indéterminée ou même déterminée (200), ainsi que dans les contrats de service, fussent-ils même à durée déterminée, qui permettent à l’une des parties de résilier unilatéralement la convention (201). En revanche, en dehors de ces cas particuliers, la résiliation d’un contrat à durée déterminée avant terme ne rend pas impossible la poursuite du contrat ni n’entraîne dès lors sa

tengerechtelijke ontbinding van overeenkomsten, op. cit., n° 241, p. 334 ; P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, Les obligations, op. cit., n° 549, pp. 842 et s. ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., nos 497 et s., pp. 478 et s., qui insiste sur la distinction entre la condamnation à exécuter en nature (toujours possible) et l’exécution forcée en nature (impossible dans la mesure où elle im-plique une contrainte physique). Comp. également le cas – examiné dans le rapport d’E. CRUYSMANS, J.-F. PUYRAIMOND et A. STROWEL publié dans le présent ouvrage – où un auteur, après avoir accepté la commande d’une oeuvre, refuse finalement de divulguer celle-ci en invoquant son droit moral.

(197) Voy. P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essentiel à leur formation, op. cit., n° 39, p. 34 ; P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, Les obligations, op. cit., n° 551, p. 846 ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 506, p. 487 (on pense notamment au tiers protégé par les articles  1690 ou 2279 du Code civil ou 1er de la loi hypothécaire).

(198) P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 506, p. 487. (199) Le lien avec l’idée d’impossibilité est très clairement fait par Cass., 9  mars 1973, Pas.,

1973, I, p. 640, premier moyen, seconde branche : « Attendu que la résiliation unilatérale, entraînant l’extinction immédiate de la convention, rend juridiquement impossible le recours à l’exécution for-cée, fût-ce par équivalent, et ne peut donner lieu qu’à la réparation du dommage établi ». Voy. égal. Cass., 12 janvier 2007, Pas., 2007, n° 21, pt 5, qui précise que : « Dans un tel cas, le juge des référés dispose toutefois de la possibilité de prendre des mesures limitées conservatoires des droits de nature notamment à permettre une réelle indemnisation ou encore à ne pas rendre purement théorique le maintien des droits contractuels de la partie adverse ».

(200) Voy. à ce propos les art. 39 et 40 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail ; Cass., 20 juin 1988, Pas., 1988, I, n° 645, avec les conclusions de Mme le procureur général E. LIEKEN-DAEL, alors avocat général ; C. CLESSE, G. SANGRONES-JACQUEMOTTE, V. LOUCKX et I. BOUIOUKLIEV, in Guide social permanent, t. 5, Commentaire droit du travail, f. mob., Waterloo, Kluwer, 2014, Par-tie I, Livre I, Titre V, Chapitre I, 2, n° 1720, p. 59 ; P.A. FORIERS, La caducité des obligations contrac-tuelles par disparition d’un élément essentiel à leur formation, op. cit., n° 163, pp. 178 et s. ; P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, Les obligations, op. cit., n° 550, p. 845.

(201) On songe notamment au mandat ou à l’entreprise ; voy. P.A. FORIERS, La caducité des obli-gations contractuelles par disparition d’un élément essentiel à leur formation, op. cit., n° 179, p. 196 ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 506, p. 487.

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caducité (202) ; une telle résiliation est simplement inefficace si elle n’est pas acceptée par son destinataire (203).

18. Abus du droit d’exiger ou d’imposer l’exécution en nature. Il reste enfin un cas d’impossibilité juridique d’exécution qui mérite quelques développements. Il s’agit de l’hypothèse où exiger l’exé-cution en nature serait constitutif d’abus de droit, soit dans le chef créancier, soit dans celui du débiteur (204).

Si l’on se place dans la perspective du créancier, il est tout d’abord constant qu’il ne peut exiger l’exécution forcée en nature de l’obliga-tion lorsque celle-ci constituerait un abus de droit de sa part (205). Ainsi, la Cour de cassation a déjà admis, dans le cas d’un bail de neuf ans où le locataire avait fautivement mis fin à l’occupation au cours de la troisième année, que le juge du fond considère comme abusive l’action en exécution forcée du bail jusqu’à l’échéance de son terme, dès lors que le locataire lui avait fait des propositions raisonnables de résiliation et que le bailleur voulait retirer un avantage dispro-portionné de la situation, et en prononce dès lors plutôt la résolu-tion (206). Certes, le juge doit toujours veiller à caractériser l’abus sur la base des circonstances concrètes de la cause, et ne peut dès lors se contenter de constater par exemple que le locataire a quitté les lieux (207). Toutefois, dans la mesure où il semble désormais acquis qu’en cas de résolution, le créancier a droit à la réparation de son

(202) Comm. Hasselt, 26 mars 1997, R.G.D.C., 1999, p. 67. (203) Cass., 7 juin 2012, Pas., 2012, n° 370. (204) La question mérite d’être examinée dans le chef des deux parties dès lors que l’exécution en

nature, qui constitue le mode normal d’exécution des obligations (Cass., 30 janvier 2003, Pas., 2003, n° 69 ; Cass., 13 mars 1998, J.L.M.B., 2000, p. 136 ; Cass., 14 avril 1994, Pas., 1994, I, n° 179 ; Cass., 30 janvier 1965, R.C.J.B., 1966, p. 77, note J. DABIN ; voy. égal. voy. Cass., 23 décembre 1977, Pas., 1977, I, p. 477, R.W., 1978-1979, col. 362, note A. VAN OEVELEN), représente un droit tant pour le créancier que pour le débiteur (H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. III, op. cit., n° 94, p. 122, note n° 1 ; P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, Les obligations, op. cit., n° 547, p. 840 ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., nos 504 et s., pp. 485 et s.).

(205) S.  STIJNS, De gerechtelijke en buitengerechtelijke ontbinding van overeenkomsten, op. cit., n° 241, p. 335 ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 507, pp. 487 et s. On notera que le droit allemand distingue l’impossibilité véritable d’exécution, qui entraîne la caducité de plein droit de l’obligation (§ 275, al. 1er, du BGB), du cas où cette exécution imposerait une charge ou une contrainte disproportionnée au débiteur, qui n’entraîne la caducité de l’obligation que si le débiteur s’en prévaut (§ 275, al. 2 et 3, du BGB). La ratio legis de cette distinction est de permettre au débi-teur de néanmoins exécuter le contrat alors que cette exécution ne pourrait raisonnablement lui être demandée, en vue d’obtenir la contre-prestation ou d’inciter par exemple le créancier à conclure des opérations futures avec lui (D. MEDICUS et S. LORENZ, Schuldrecht I. Allgemeiner Teil, op. cit., § 36, n° 427, p. 204).

(206) Voy. Cass., 16 janvier 1986, Pas., 1986, I, n° 317 ; voy. égal. et comp. Cass., 6 janvier 2011, Pas., 2011, n° 12, avec les conclusions de M. l’avocat général A. HENKES.

(207) Voy. Cass., 30 janvier 2003, Pas., 2003, n° 69.

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intérêt positif, c’est-à-dire des dommage-intérêts complémentaires destinés à le replacer dans la même situation que si le contrat avait été correctement exécuté (208), il me semble que la preuve d’un abus de droit du créancier s’en trouve facilitée, puisque l’exécution en nature ne lui accorde en règle pas plus d’avantage que la résolution accompagnée de dommage-intérêts, tout en pouvant se révéler plus pénible à supporter par le débiteur (209).

On enseigne également qu’imposer l’exécution en nature serait abusif de la part du débiteur lorsqu’elle ne présenterait plus d’intérêt pour le créancier (l’exemple classique étant la livraison de sapins de Noël intervenue tardivement le 10 janvier) (210). On a fait valoir, à cet égard, qu’il ne s’agirait pas d’un véritable cas de caducité, parce que, si le créancier ne pourrait – à défaut d’intérêt à agir – exiger l’exécution en nature de l’obligation, celle-ci demeurerait néanmoins possible en sorte que le débiteur pourrait encore s’exécuter volontai-rement (211). J’avoue ne pas être entièrement convaincu par cette analyse. En effet, le débiteur ne pourrait à mon sens contraindre le créancier à accepter un paiement ne présentant pour ce dernier plus aucun intérêt, à peine de commettre un abus de droit (212). Cette si-tuation doit dès lors à mon sens être mise sur le même pied que l’abus de droit commis par le créancier et implique, dans les deux cas, une impossibilité juridique d’exécution. On en trouve la confirmation dans un arrêt de la Cour de cassation du 13 janvier 1956 (213). Celui-ci décide en effet que, si la force majeure temporaire suspend l’exé-cution des obligations des parties à un contrat synallagmatique, ceci

(208) Voy. Cass., 13 octobre 2011, Pas., 2011, n° 544, R.P.S., 2011, p. 444, avec les conclusions de M. l’avocat général G. DUBRULLE et la note D. LECLERCQ  ; Cass., 26  janvier 2007, Pas., 2007, n° 51 ; Cass., 26 janvier 2007, Pas., 2007, n° 49 ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 681, p. 640. Pour une justification de cette solution et un mode d’évaluation de cet intérêt positif, voy. R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., nos 381 et s., pp. 874 et s.

(209) Voy. R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 420, I, p. 946. (210) Voy. H.  DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. III, op. cit., n°  96, p.  124  ;

S.  STIJNS, De gerechtelijke en buitengerechtelijke ontbinding van overeenkomsten, op. cit., n°  241, p. 333 ; P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, Les obligations, op. cit., n° 551, p. 846.

(211) Voy. P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essentiel à leur formation, op. cit., n° 39, pp. 41 et s., et n° 54, pp. 53 et s.

(212) On rappellera, à cet égard, que l’abus consiste notamment à causer par l’exercice d’un droit un préjudice sans proportion avec l’avantage recherché ou obtenu par le titulaire du droit (Cass., 21 mars 2013, Pas., 2013, n° 203 ; Cass., 17 février 2012, Pas., 2012, n° 118 ; Cass., 17 janvier 2011, Pas., 2011, n° 47 ; Cass., 6 janvier 2011, Pas., 2011, n° 12, avec les conclusions de M. le premier avocat général A. HENKES, alors avocat général ; Cass., 14 octobre 2010, Pas., 2010, n° 603 ; Cass., 1er octobre 2010, Pas., 2010, n° 571 ; Cass., 9 mars 2009, Pas., 2009, n° 182).

(213) Cass., 13 janvier 1956, Pas., 1956, I, p. 460.

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suppose que «  le contrat peut encore être utilement exécuté après le délai convenu ». Toutefois, « si la force majeure persiste, de sorte que cette dernière condition n’est plus remplie, le contrat est dissous de plein droit ». Cette décision confirme que le débiteur ne pourrait pas contraindre le créancier à accepter l’exécution en nature d’une obligation qui aurait perdu tout intérêt pour ce dernier.

19. Impossibilité totale ou partielle. Les cas examinés jusqu’à présent concernaient tous, par souci de simplification, une impos-sibilité totale d’exécution, qui entraînait logiquement la caducité totale de l’obligation. Il se peut, cependant, que l’impossibilité ne soit que partielle. Quelle sera, en ce cas, l’étendue de la caducité ? Cette question, en apparence simple, suscite en réalité des difficultés de trois ordres différents.

Tout d’abord, se pose la question de la définition précise de l’ob-jet. On a vu, en effet, que celui-ci devait être compris à la lumière des intentions des parties (214). Il se peut, dès lors, que ce qui ne constitue qu’une perte partielle de la chose implique en réalité une perte totale de l’objet, tel que les parties l’ont conçu (215). Ainsi, par exemple, en cas de vente d’une maison, les obligations du ven-deur sont caduques si cette maison est incendiée avant la date pré-vue pour le transfert des risques, et ce bien que la chose ne soit pas à proprement parler entièrement détruite (puisqu’ils subsistent encore le terrain, les décombres, etc.)  ; l’objet n’en est pas moins totalement perdu, sauf si l’acheteur avait de toute façon l’intention de démolir le bien et que cette intention était entrée dans le champ contractuel (216). De même, dans l’arrêt du 28  novembre 1980, le corps de logis demeurait habitable mais la Cour n’en a pas moins admis la perte totale de l’objet, dès lors que l’exploitation agricole, qui constituait la destination véritable des lieux loués, était devenue impossible à réaliser (217). En d’autres termes, la perte partielle de la chose n’impliquera une impossibilité totale d’exécution que si la

(214) Voy. supra, n° 16. (215) Voy. P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément

essentiel à leur formation, op. cit., n° 64, p. 62, qui relève que « tout dépend évidemment des circons-tances, car tout dépend de la représentation que les parties se sont faites de l’objet de leurs accords ». Voy. égal. F. GARRON, La caducité du contrat, op. cit., n° 100, p. 123 ; F. LAURENT, Principes de droit civil, t. XVIII, op. cit., n° 513, p. 523.

(216) Voy. P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essentiel à leur formation, op. cit., n° 64, pp. 61 et s.

(217) Voy. supra, n° 6.

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prestation pouvait être considérée comme indivisible dans l’esprit des parties (218).

Admettons maintenant que l’objet, tel que les parties l’ont conçu, n’ait subi qu’une perte partielle tout en étant divisible. En ce cas, la caducité se limite à la partie de l’obligation devenue impossible à exé-cuter (219). Ainsi, « lorsque le cas fortuit ou la force majeure laissent subsister la possibilité d’une exécution partielle, celle-ci doit être accomplie » (220). Les mêmes principes s’appliquent en cas de perte partielle fautive mais, en ce cas, sans préjudice de tous dommages-intérêts (221), comme d’ailleurs en cas de caducité totale (222).

Enfin, se pose la question de savoir si la caducité – totale ou par-tielle – d’une obligation entraîne des effets sur le maintien du contrat dont cette obligation est issue. Cette question sera examinée ulté-rieurement (223).

§ 2. Effets

20. Position du problème. Quel est l’effet de l’impossibilité d’exé-cution sur l’obligation ?

Les choses s’avèrent simples lorsque l’impossibilité trouve sa source dans un cas fortuit. Dans ce cas, en effet, le débiteur est tout simplement libéré (224), dans la mesure de cette impossibilité (225).

(218) Voy. W.  ERNST, in Münchener Kommentar zum Bürgerlichen Gesetzbuch, op. cit., §  275, n° 121 ; R. SCHULZE, in Bürgerliches Gesetzbuch. Handkommentar, op. cit., § 275, n° 16.

(219) P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essen-tiel à leur formation, op. cit., n° 61, p. 59 ; S. STIJNS, De gerechtelijke en buitengerechtelijke ontbinding van overeenkomsten, op. cit., n° 47, p. 91 ; S. STIJNS, Verbintenissenrecht, Boek 2, Brugge, die Keure, 2009, n° 197, p. 149.

(220) H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. II, op. cit., n° 584, p. 576. Voy. aussi l’art. 1245 du Code civil (en cas de détériorations, remise de la chose « en l’état où elle se trouve lors de la livraison ») ; R.J. POTHIER, Traité des obligations, t. II, op. cit., n° 669, p. 136.

(221) P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essen-tiel à leur formation, op. cit., n° 61, p. 60.

(222) Voy. infra, n° 24. (223) Voy. infra, n° 29. (224) Art. 1302 C. civ. ; voy. égal. les art. 1042 et 1245. Pour une application, voy. Cass., 9 no-

vembre 1995, Pas., 1995, I, p. 1014 : dans une affaire où les risques pesaient sur le vendeur et où la chose vendue avait péri par cas fortuit, la Cour décide que « si le juge constate que, dans ces circons-tances, la convention ne peut plus être exécutée, le vendeur n’est pas obligé d’exécuter le contrat en nature ou en liquide [lire : en argent (in geld)] et que, dès lors, la contre-valeur de la chose vendue n’est pas due totalement ou partiellement à l’acheteur ».

(225) Sur l’impossibilité partielle, voy. supra, n° 19.

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Que décider, en revanche, lorsque l’impossibilité trouve sa cause dans la faute du débiteur ? On considère en ce cas, depuis l’arrêt du 28 novembre 1980, que l’obligation est pareillement caduque (226). Certes, ajoute immédiatement la doctrine, cette extinction inter-vient sans préjudice des dommages-intérêts que le débiteur pourrait encore être condamné à payer, mais elle n’en présente pas moins des conséquences étendues puisque, lorsque l’impossibilité concerne une obligation essentielle du contrat, c’est l’entièreté de celui-ci qui est menacé de dissolution (227). Dans ce raisonnement en deux temps – caducité de l’obligation menant à la caducité du contrat –, la pre-mière étape joue donc le rôle essentiel d’un déclencheur.

En réalité, la solution consacrée par l’arrêt du l’arrêt du 28 no-vembre 1980 est loin de constituer une évidence. Elle constitue plutôt l’aboutissement d’une longue évolution, révélatrice de la conception que l’on se fait en droit belge des notions d’exécution par équivalent et de responsabilité contractuelle (228). Sans pour autant remettre en cause les acquis de cette jurisprudence (229), il me paraît dès lors utile de replacer celle-ci dans son contexte afin de bien en cerner toutes les implications. L’on y trouvera au passage la confirmation de ce que les solutions, qui paraissent à une époque donnée les plus évidentes en droit, sont souvent celles susceptibles de donner lieu aux revirements les plus spectaculaires (230).

21. Conception classique  : la perpétuation de l’obligation inexé-cutée sous la forme de dommages-intérêts. Selon l’article 1302, ali-néa 1er, du Code civil, en cas de perte de la chose, «  l’obligation est éteinte si la chose a péri ou a été perdue sans la faute du débiteur et avant qu’il fût en demeure ». Compte tenu de cette rédaction, on est naturellement porté à penser qu’a contrario, lorsque la perte est due à la faute du débiteur, l’obligation n’est pas éteinte (231). Mais quel

(226) Voy. supra, n° 6. (227) Voy., pour plus de détails, infra, n° 29. (228) L’histoire de ces concepts résumée ici s’appuie largement sur les travaux antérieurs  :

voy. et comp. G. VINEY, Traité de droit civil, Introduction à la responsabilité, 3e éd., Paris, LGDJ, 2008, nos 161 et s., pp. 395 et s. ; P. RÉMY, « La “responsabilité contractuelle” : histoire d’un faux concept », Rev. trim. dr. civ., 1997, pp. 323 et s. ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 533, pp. 510 et s.

(229) Voy., sur le point de départ de ma démarche, supra, n° 2. (230) Comp. le passage de LAURENT cité en tête du présent rapport, formulé spécialement à pro-

pos de la disparition d’un élément essentiel du contrat en cours d’exécution de celui-ci. (231) F.  LAURENT, Principes de droit civil, t. XVIII, op. cit., n°  519, p.  528  ; voy. encore, au

XXe siècle, R. DEMOGUE, Traité des obligations en général, t. V, Paris, Rousseau, 1925, n° 1232, p. 527.

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sera, en ce cas, la portée de la dette, puisque la chose a par hypothèse disparu ? Le dernier alinéa de l’article, qui vise le cas particulier du voleur, semble répondre implicitement à la question  : en effet, la perte de la chose « ne dispense pas celui qui l’a soustraite, de la resti-tution du prix ». À s’en tenir aux textes, il semble donc que le débi-teur d’une chose certaine qui a laissé périr celle-ci par sa faute ne soit pas libéré de son obligation, mais demeure tenu d’en payer le prix au créancier, et ce, à titre de dommages-intérêts dus pour avoir manqué à son obligation de conserver la chose jusqu’à sa livraison (232).

Le système que l’on vient d’esquisser paraît bien correspondre à la volonté des auteurs du Code civil, qui se sont contentés sur ce point de consacrer la doctrine de Pothier. Celui-ci enseignait en effet que si la chose a péri par la faute du débiteur, «  la dette n’est pas éteinte, et elle se convertit pareillement en l’obligation du prix de la chose » (233). Le cas fortuit survenu alors que le débiteur était en demeure de livrer la chose est à cet égard assimilé à la perte fautive. Ainsi, la demeure « perpétue la dette, nonobstant l’extinction de la chose due, (...) par forme de dommages et intérêts » (234). Pour em-ployer une terminologie plus actuelle, les dommages-intérêts dus en cas d’inexécution d’un contrat constituent donc dans cette optique l’exécution par équivalent de l’obligation inexécutée (235). Pothier semble bien sur ce point suivre la doctrine romaine de la perpetuatio obligationis (236).

Cet enseignement a, comme on l’a vu, été consacré à l’article 1302 du Code civil. Sa portée est cependant plus vaste. En effet, dans le système du Code, les dommages-intérêts sont conçus comme un effet de l’obligation contractée en cas d’inexécution de celle-ci (237). On en veut pour preuve le fait que les articles 1136 à 1155, qui constituent

(232) Arg. art. 1136 C. civ. (233) R.J. POTHIER, Traité des obligations, t. II, op. cit., n° 662, p. 131. (234) R.J. POTHIER, Traité des obligations, t. II, op. cit., n° 664, p. 132. (235) Comp. P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 590, p. 563, note n° 505 : « L’exé-

cution par équivalent reste malgré tout une exécution de l’obligation ». (236) En substance, les juristes romains avaient élaboré cette fiction pour échapper à la rigueur

de la procédure formulaire, qui permettait uniquement d’obtenir la condamnation du débiteur d’une chose certaine à payer la valeur de celle-ci au jour du jugement. En cas de perte fautive de la chose, il était donc nécessaire de faire comme si la chose existait encore pour permettre la condamnation du débiteur au paiement de sa contre-valeur avant sa destruction. Pour plus de détails,voy. M. KASER, « ‘Perpetuari obligationem’ », Stud. doc. hist. iur., 1980, pp. 87 et s., spéc. n° VIII, pp. 127 et s.

(237) F. TERRÉ, P. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, 11e éd., Paris, Dalloz, 2013, n° 559, p. 607.

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le fondement légal des dommages-intérêts, figurent sous un cha-pitre  III intitulé De l’effet des obligations. Or, l’obligation de dare n’est pas la seule à se transformer en une dette de dommages-intérêts en cas d’inexécution ; il en va de même de l’obligation de facere ou de non facere qui, selon les termes de l’article 1142, « se résout en dom-mages et intérêts, en cas d’inexécution de la part du débiteur » (238).

Un autre point vient renforcer la doctrine de la perpétuation de l’obligation. Dans la logique du Code civil de 1804, si le débiteur doit il est vrai réparer tant le damnum emergens que le lucrum cessans subi par le créancier (art. 1149), il n’est cependant tenu que de répa-rer le dommage prévisible (art. 1150), sauf en cas de dol (art. 1151). Le Code ne fait sur ce point, à nouveau, que consacrer la doctrine de Pothier (239). Celui-ci enseignait en effet que, sauf le cas du dol, le débiteur ne pouvait être tenu que de réparer le dommage intrinsèque (à savoir le dommage prévisible parce qu’il se rapporte directement à la chose due), par opposition au dommage extrinsèque (imprévisible parce que subi dans les autres biens du débiteur) (240). Or, dans la mesure où le dommage intrinsèque présente un lien étroit avec l’ob-jet de l’obligation et équivaut généralement au prix de celui-ci (241), il paraît plus facile d’admettre que la dette de dommages-intérêts

(238) Voy. égal. l’article  1146 qui sanctionne par l’octroi de dommages-intérêts l’inexécution « lorsque la chose que le débiteur s’était obligé de donner ou de faire ne pouvait être donnée ou faite que dans un certain temps qu’il a laissé passer », c’est-à-dire en cas d’inexécution d’une obligation devenue impossible à exécuter dans le délai convenu.

(239) Voy. R.J. POTHIER, Traité des obligations, t. Ier, op. cit., nos 161 et s., p. 181 et, à ce propos, L. CORNELIS, « Le sort imprévisible du dommage prévisible », note sous Cass., 11 avril 1986, R.C.J.B., 1980, nos 4 et s., pp. 83 et s. ; R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 385, pp. 879 et  s.  ; F.  LAURENT, Principes de droit civil, t.  XVI, op. cit., nos  286 et s.  ; J.-Fr. ROMAIN, Théorie critique du principe général de bonne foi en droit privé. Des atteintes à la bonne foi, en général, et de la fraude, en particulier (fraus omnia corrumpit), Bruxelles, Bruylant, 2000, nos 216 et s., pp. 233 et s.

(240) Pour illustrer cette distinction, l’auteur donne l’exemple du bailleur tenu à garantie envers son locataire évincé par un tiers : il sera tenu des frais du déménagement et du dommage subi par le locataire jusqu’à l’échéance du bail au cas où celui-ci n’aurait pu se reloger que moyennant un loyer supérieur, mais ne devra pas indemniser le locataire, par exemple, pour le manquer à gagner sur le commerce établi dans les lieux loués après le commencement du bail, ou pour la perte d’un meuble précieux survenu pendant le déménagement, car ces dommages n’étaient pas prévisibles lors de la conclusion du bail.

(241) Toutefois, il serait excessif de prétendre que les dommages-intérêts auraient dans ce sys-tème une fonction exclusivement orientée vers l’exécution, à l’exclusion de toute idée de réparation (en ce sens, P. RÉMY, op. cit., Rev. trim. dr. civ., 1997, pp. 323 et s., spéc. n° 47 ; contra : G. VINEY, Traité de droit civil, Introduction à la responsabilité, 3e éd., Paris, LGDJ, 2008, nos 166-1 et s., pp. 403 et s.). L’exemple, emprunté à Pothier, donné à la note précédente montre bien que les dommages-intérêts, tels qu’ils étaient conçus à l’époque, pouvaient déjà couvrir certains postes qui excèdent l’objet proprement dit de l’obligation convenue.

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ne constitue que le prolongement de la dette initiale sous une autre forme (242).

On notera au passage que, déjà dans ce système, les dommages-intérêts ne sont dus que dans la mesure où le créancier a subi un dommage causé par la faute du débiteur. Dès lors, en l’absence de dommage subi, rien n’est plus dû au créancier (243).

22. Implication de la conception classique : exclusion de la cadu-cité. Les considérations qui précèdent pourraient sembler purement académiques (244). À mon sens, cependant, elles constituent la toile de fond d’un cadre conceptuel qui ne laissait aucune place à une caducité de l’obligation – et a fortiori du contrat – en cas d’impossi-bilité d’exécution due à la faute du débiteur.

Un ancien arrêt de la Cour de cassation de France est à cet égard tout à fait révélateur (245). Un sieur Vasseur avait souscrit certaines obligations relatives à ses moulins à eau envers un sieur Crignier. Il avait ensuite donné à bail lesdits moulins sans imposer à son fermier le respect des obligations souscrites au profit du sieur Crignier. Le juge du fond en avait déduit que « Vasseur se trouve dans l’impossi-bilité absolue d’exécuter par lui-même, et de faire exécuter par son fermier ladite convention qui était, dès lors, résolue en dommages-intérêts qui sont dus à cause de la perte que Crignier éprouve, et du gain dont il est privé par l’inexécution de la convention ». Cette décision, qui admet donc en d’autres termes la caducité du contrat devenu impossible à exécuter par la faute du débiteur, sans préjudice des dommages-intérêts dus par celui-ci, fut cependant cassée par la

(242) Comp. R.J. POTHIER, Traité des obligations, t. Ier, op. cit., nos 183 et s., pp. 201 et s. L’auteur y distingue l’obligation primitive, à savoir « celle qui a été contractée principalement, en premier lieu, et pour elle-même », et l’obligation secondaire, à savoir « celle qui est contractée en cas d’inexé-cution d’une première obligation  ». Celle-ci vise notamment «  l’obligation des dommages et inté-rêts en laquelle se convertit naturellement et de plein droit l’obligation primitive qu’un vendeur a contractée de livrer ou de garantir une chose, en cas d’inexécution de cette obligation » ; en ce cas, l’obligation secondaire « est subrogée à la primitive qui ne subsiste plus ». En revanche, en cas de simple retard dans l’exécution, les dommages-intérêts « ne font qu’accéder à l’obligation primitive sans la détruire ».

(243) Voy. F. LAURENT, Principes de droit civil, t. XVI, op. cit., n° 279, p. 339 ; R.J. POTHIER, Traité des obligations, t. II, op. cit., n° 664, p. 132.

(244) Voy. en ce sens P.A.  FORIERS, «  Les concours de responsabilités contractuelle et extra-contractuelle. Observations sur le droit positif », Les obligations contractuelles en pratique. Questions choisies, Limal, Anthemis, 2013, n° 1, p. 112, note n° 5.

(245) Cass. fr., 1er décembre 1828, Rép. Dalloz, t. XXXIII, v° Obligations, Paris, Bureau de la Jurisprudence générale, 1860, n° 659, p. 183, note (1), décision approuvée par F. LAURENT, Principes de droit civil, t. XVI, op. cit., n° 179, p. 240.

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Haute juridiction : « Que l’arrêt a déclaré cette convention résolue, en donnant pour unique motif de cette décision que la convention était devenue inexécutable par le fait de Vasseur : ce qui ne suffisait, d’après aucune loi, pour autoriser des juges à en prononcer la résolu-tion, et constitue, par cela même violation de l’article [1134] » (246).

Un article du Code civil, souvent perdu de vue en raison de son importance pratique négligeable, repose du reste sur la même conception. Ainsi, l’article 1705 dispose que : « Le copermutant qui est évincé de la chose qu’il a reçue en échange, a le choix de conclure à des dommages et intérêts, ou de répéter sa chose » (247). Il peut donc, en d’autres termes, choisir entre l’exécution par équivalent de l’obli-gation devenue impossible à exécuter du fait de l’éviction, auquel cas il demeure tenu de livrer la chose qu’il a lui-même promise en échange, et la résolution du contrat, qui lui donne le droit de répéter sa chose, sans préjudice des dommages-intérêts complémentaires en cas de différence de valeur entre les deux choses échangées (248). De caducité automatique du contrat, il n’est donc point question (249).

Plus proche de nous, Henri De Page enseigne qu’en cas d’inexécu-tion d’un contrat synallagmatique : « Il s’ouvre, au profit du créan-cier, une option : l’exécution forcée des obligations nées du contrat ou la résolution du contrat avec dommages-intérêts. Le créancier peut choisir l’une ou l’autre branche de l’alternative, suivant ses convenances (…). S’il opte pour l’exécution forcée, il peut pour-suivre celle-ci sous l’une ou l’autre de ses formes : l’exécution directe ou en nature, ou si celle-ci n’est pas ou n’est plus possible, l’exécution par équivalent (dans un cas comme dans l’autre, à condition d’offrir lui-même l’exécution de ses propres obligations), d’une part, ou la résolution du contrat avec dommages-intérêts complémentaires, de l’autre. À lui de juger s’il a intérêt au maintien du contrat (ce que

(246) L’intérêt de cette décision pourrait sembler limité pour le sieur Crignier, car le juge du fond avait constaté qu’il n’avait subi aucun préjudice pour le passé. Dans le système de la Cour, le sieur Crignier se voyait cependant reconnaître le droit de continuer à réclamer à l’avenir, jusqu’au terme normal de la convention, l’exécution par équivalent de celle-ci.

(247) Comp. également l’art. 1638 C. civ. (248) Sur cette disposition telle qu’elle était comprise au XIXe siècle, voy. G.  BAUDRY-

LACANTINERIE et L. SAIGNAT, Traité théorique et pratique de droit civil. De la vente et de l’échange, 3e éd., Paris, Sirey, 1908, nos 982 et s., pp. 980 et s. ; F. LAURENT, Principes de droit civil français, t. XXIV, op. cit., n° 622, pp. 609 et s.

(249) Comme le relève finement T.  GÉNICON, La résolution du contrat pour inexécution, Paris, LGDJ, 2007, n° 42, p. 29.

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l’exécution par équivalent n’empêche point) ou à la résolution du contrat » (250).

On voit donc que, dans un système où l’obligation impossible à exécuter par la faute du débiteur se perpétue sous la forme de dom-mages-intérêts, il n’y a guère de place pour l’idée de caducité. Les dommages-intérêts ne constituent en effet que le prolongement de la dette initiale et, en l’absence d’extinction de celle-ci, il n’existe aucun motif pour admettre la dissolution de plein droit du contrat tout entier (251).

23. Conception moderne : la responsabilité (contractuelle) comme source d’une obligation nouvelle. Vers la fin du XIXe siècle, cette vision classique va évoluer dans un sens plus favorable à la recon-naissance de la caducité par disparition de l’objet (252).

Cette évolution eut pour point de départ un débat sur la différence ou l’identité de nature des dommages-intérêts dus en cas d’inexécu-tion d’une obligation contractuelle (art. 1146 et s.) ou de commission d’un délit ou d’un quasi-délit (art. 1382 et s.).

En 1884, Sainctelette exprima la conception dominante de son temps (253) en présentant ces deux types de sanctions comme étant radicalement différentes, au point qu’il proposa de les baptiser «  garantie  » en cas d’inexécution d’une obligation contractuelle et «  responsabilité  » en cas de violation de la loi (254), et de les sou-mettre à deux régimes entièrement distincts (255).

Huit ans plus tard, Grandmoulin défendit la thèse inverse selon laquelle la violation du contrat engage, tout comme celle de la loi, la responsabilité de son auteur sur la base de l’article 1382 du Code

(250) H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. III, op. cit., n° 98, D, p. 131. (251) Comp. en ce sens T. DE LOOR, op. cit., R.W., 1995-1996, n° 32, pp. 768 et s. : « Een equi-

valente uitvoering is (…) een gedwongen uitvoering van de overeenkomst, wat het voortbestaan van de overeenkomst veronderstelt. Het is dan ook tegenstrijdig te beweren dat de overeenkomst beëindigd is, maar nog vatbaar voor gedwongen uitvoering ».

(252) Pour une analyse de l’évolution des idées sur la notion de responsabilité, voy. les réf. citées supra à la note n° 228.

(253) Voy. sur ce point G. VINEY, Introduction à la responsabilité, op. cit., n° 162, p. 397. (254) C. SAINCTELETTE, De la responsabilité et de la garantie (accidents de transport et de travail),

Bruxelles, Paris, Bruylant, Marescq, 1884, spéc. n° 5, p. 8. (255) « Il y a donc de la garantie à la responsabilité la différence de l’obligation à l’engagement,

du contrat à la loi d’ordre public, des volontés privées à la volonté publique. C’est confondre ce qui doit être distingué que de soumettre l’une de ces deux situations aux règles faites pour l’autre. Régir les relations contractuelles par les règles de la responsabilité, c’est méconnaître le fait, choquer la raison, violer la justice » (ibid., n° 32, p. 44).

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civil (256). À l’appui de cette démonstration, il avança un argument qui constitue sans doute la première expression (257) de la théorie de la caducité par disparition de l’objet en droit franco-belge. Il soutint en effet que : « L’obligation initiale de donner, faire ou ne pas faire, née du contrat, est éteinte par la perte ou l’impossibilité de son objet, due à la faute du débiteur. – L’obligation de payer des dommages-intérêts n’est donc pas l’obligation primitive, née du contrat, mais une obligation née de la loi qui, dans l’article 1382, impose la répa-ration du dommage causé par une faute » (258). Cette solution nou-velle était justifiée par référence au rôle de l’objet (259) et à l’idée d’impossibilité (260).

Ni Sainctelette ni Grandmoulin ne parvinrent à déterminer entiè-rement l’évolution du droit positif. La doctrine ultérieure adopta en effet une position intermédiaire, consistant à admettre l’existence distincte de la responsabilité contractuelle aux côtés de la respon-sabilité quasi-délictuelle, mais s’efforçant dans le même temps de rapprocher ces deux régimes (261). L’influence de Grandmoulin fut toutefois essentielle sur un point. Il sembla en effet désormais ac-quis que la responsabilité contractuelle résultant de l’inexécution du contrat est – tout comme la responsabilité quasi-délictuelle – la source d’une obligation nouvelle, à savoir celle de réparer le dommage

(256) J.  GRANDMOULIN, De l’unité de la responsabilité ou nature délictuelle de la responsabilité pour violation des obligations contractuelles avec application à la combinaison de la responsabilité & de l’incapacité, Rennes, Le Roy, 1892, spéc. la conclusion p. 88 : « La théorie de la Responsabilité est une. — L’infraction à l’obligation contractuelle est un délit civil au même titre que l’infraction à l’obligation légale. — Toute contravention à une obligation, quelle que soit sa source, fait naître une responsabilité délictuelle. — La responsabilité dite “contractuelle” n’existe pas ».

(257) J’en veux pour preuve le fait que les rares auteurs cités par Grandmoulin à l’appui de cet argument paraissent encore fort imprégnés par la conception classique de la perpétuation de l’obli-gation inexécutée sous forme de dommages-intérêts (voy. supra, n° 21).

(258) Ibid., p. 7. (259) « Un droit de créance ne peut naître sans un objet possible. Comment pourrait-il survivre à

l’existence et à la possibilité de l’objet nécessaire à sa formation ? Ni le droit de propriété, ni le droit de créance ne peuvent se former sans une res. Avec elle tombe le droit de propriété, pourquoi le droit de créance survivrait-il ? » (ibid., p. 8).

(260) « Ce n’est pas le dol ni la faute qui libèrent le débiteur : c’est la perte de la chose. Le bon sens le veut. La loi ne peut ordonner l’exécution de ce qui ne peut être exécuté, la livraison de ce qui n’existe pas. Toute sa puissance vient échouer contre l’impossible. Elle ne peut qu’imposer une réparation pécuniaire dont, selon nous, la source juridique se trouve dans l’article 1382 et suivants » (ibid., p. 15).

(261) Voy. G. VINEY, Introduction à la responsabilité, op. cit., n° 164, pp. 399 et s. En Belgique, voy. en particulier J. VAN RYN, Responsabilité aquilienne et contrats en droit positif, Paris, Sirey, 1933, n° 8, pp. 8 et s., qui se réfère tant à la thèse de Sainctelette qu’à celle de Grandmoulin pour leur préférer une « opinion moyenne ».

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causé par l’inexécution, qui remplace l’obligation inexécutée (262). Tout au plus demeurait-il la question de savoir si ce remplacement intervient en cas de simple inexécution, même temporaire, de l’obli-gation (263) ou s’il suppose plutôt que l’obligation primitive soit de-venue définitivement impossible à exécuter (264). Il s’agit surtout, à mon sens, d’une question de présentation du problème (265).

Ainsi comprise, la responsabilité contractuelle s’oppose donc à l’exécution par équivalent. Cette dernière implique, comme on l’a vu, la perpétuation de l’obligation sous une forme différente (266)  ; la responsabilité contractuelle, au contraire, implique l’extinction de l’obligation initiale, quitte à donner naissance à une obligation dis-tincte de réparation. Si les deux analyses semblent de prime abord difficiles à distinguer sur le plan pratique (267), la reconnaissance de la responsabilité contractuelle comme source d’une obligation nou-velle apparaît toutefois comme une étape essentielle sur la voie de

(262) Voy. H. MAZEAUD, L. MAZEAUD, J. MAZEAUD et J. CHABAS, Leçons de droit civil, t. II, vol. I, 9e éd., Paris, Montchrestien, 1998, n° 376, p. 368 ; M. PLANIOL, Traité élémentaire de droit civil, t. II, 9e éd., Paris, LGDJ, 1923, n° 890, p. 300.

(263) Voy. en ce sens H. MAZEAUD et L. MAZEAUD, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et contractuelle, t. I, 2e éd., Paris, Sirey, 1934, n° 100, p. 103 : « L’une des parties refuse d’exécuter l’obligation mise à sa charge par le contrat ou l’exécute mal  ; de ce fait, l’autre partie subit un dommage. Alors naît une obligation nouvelle qui se substitue à l’obligation préexistante, soit entièrement, soit en partie  : l’obligation de réparer le préjudice causé par l’inexécution ou la mauvaise exécution du contrat. Si le contrat est une source d’obligation, l’inexécution du contrat, c’est-à-dire la responsabilité contractuelle, en est donc une autre. Quand un contrat est passé, une première obligation naît : celle, pour chacune des parties, d’exécuter la prestation promise. Lorsque cette obligation n’est pas ou est mal remplie, lorsqu’il y a inexécution totale ou partielle du contrat, un nouveau lien de droit se forme  : l’obligation pour le débiteur, pour l’auteur du dommage, de réparer le préjudice subi. Et ces deux obligations successives sont, au moins théoriquement, bien distinctes l’une de l’autre, car si la première naît de la volonté commune des parties, l’autre existe en dehors d’elles : c’est malgré lui que celui qui n’exécute pas devient débiteur de dommages-intérêts ; c’est contre son gré qu’il est obligé de réparer le préjudice subi ».

(264) Comme l’enseignait GRANDMOULIN  ; voy. égal. L. JOSSERAND, Cours de droit civil positif français, t. II, 3e éd., Paris, Sirey, 1939, n° 484, p. 288 (« il n’est pas exact qu’une obligation s’éteigne par cela seul que le débiteur se refuse à l’exécuter ») ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 594, p. 566.

(265) En effet, les partisans de la première thèse admettent qu’en cas d’inexécution partielle, la substitution de l’obligation nouvelle à l’obligation primitive n’est elle-même que partielle. En d’autres termes, il n’est pas contesté, d’une part, que l’obligation primitive subsiste dans la mesure où elle est encore susceptible d’exécution en nature, et que, d’autre part, lorsque tel est le cas, le débiteur n’en est pas moins tenu de réparer les conséquences de son inexécution temporaire (géné-ralement par le paiement d’intérêts de retard). Savoir si cette dernière obligation de réparation, qui se cumule avec l’obligation primitive, implique ou non un remplacement partiel de cette dernière, importe au fond assez peu.

(266) Voy. supra, n° 21. (267) Comme le concèdent H.  MAZEAUD et L.  MAZEAUD, Traité théorique et pratique de la

responsabilité civile délictuelle et contractuelle, t. I, op. cit., n° 100, p. 103 in fine  ; voy. cependant infra, n° 25.

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l’admission de la caducité par disparition de l’objet, laquelle présup-pose que l’obligation devenue impossible à exécuter s’éteigne même lorsque cette situation résulte de la faute du débiteur. Admettre l’exécution par équivalent de l’obligation devenue impossible à exé-cuter par la faute du débiteur paraît au contraire incompatible avec la caducité de cette obligation (268).

Il y a du reste un second facteur qui a fragilisé l’idée classique de perpétuation de l’obligation. En effet, vers la fin des années 1920, le droit belge a connu une évolution qui a eu pour effet de relâ-cher significativement le lien qui unissait jusqu’alors l’obligation contractuelle inexécutée aux dommages-intérêts auxquels le créan-cier pouvait prétendre. Nous avons vu, en effet, que jusqu’alors, les articles 1150 et 1151 du Code civil étaient compris en ce sens que seul le dommage prévisible, c’est-à-dire le dommage susceptible d’être prévu par les parties lors de la conclusion du contrat, était répa-rable (269). Depuis 1928, la Cour de cassation a toutefois largement privé la condition de prévisibilité de sa portée en décidant qu’elle ne concernait que la cause du dommage et non son étendue, de sorte que presque tout dommage répond en pratique à cette condition (270). Or, la thèse selon laquelle les dommages-intérêts dus en cas d’inexé-cution ne constituent que le prolongement de l’obligation devient plus difficile à défendre dès lors qu’ils peuvent avoir pour objet de réparer un dommage dont l’étendue était le cas échéant totalement imprévisible pour les parties lors de la conclusion du contrat (271). Cette évolution est donc venue renforcer la position des partisans de la responsabilité contractuelle comme source autonome d’obligation et, ainsi, faciliter l’accueil de la caducité par disparition de l’objet en droit positif.

24. Droit positif. En France, un célèbre article de P. Rémy paru en 1997 a mis en perspective l’émergence du concept de responsabilité contractuelle et a appelé à un « retour au code » (272). Cette contribu-

(268) Voy. supra, n° 22. (269) Voy. supra, n° 21. (270) Voy. Cass., 4 février 2010, Pas., 2010, n° 84, pt 1 ; Cass., 11 avril 1986, R.C.J.B., 1990, p. 79,

note L. CORNELIS ; Cass., 23 février 1928, Pas., 1928, I, p. 85 et la note (1). – On notera qu’en France, la condition de prévisibilité du dommage continue au contraire à jouer un rôle important en pratique (voy. F. TERRÉ, P. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, op. cit., n° 564, pp. 611 et s.).

(271) Voy. dans le même sens J. GRANDMOULIN, De l’unité de la responsabilité, op. cit., p. 12  ; G. VINEY, Introduction à la responsabilité, op. cit., n° 166-8, p. 410.

(272) P. RÉMY, op. cit., Rev. trim. dr. civ., 1997, pp. 323 et s., spéc. n° 47.

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tion a déclenché une importante controverse doctrinale (273), dont on perçoit les ramifications jusque dans la toute récente réforme du droit des obligations (274). Ainsi, alors que le Projet Catala consacre expressément la responsabilité contractuelle comme pendant de la responsabilité extracontractuelle (275), le Projet Terré, au contraire, présente les dommages-intérêts comme l’un des remèdes offerts au créancier en cas d’inexécution du contrat (276). Une bataille – mais non la guerre – semble bien avoir été gagnée par les partisans de la thèse classique puisque le nouveau droit français des contrats adopte sur ce point la solution du Projet Terré (277).

La Belgique, au contraire, a jusqu’à présent été épargnée par ces hésitations. Tout en ayant connaissance des travaux de P. Rémy, la doctrine contemporaine manifeste en effet son attachement au concept de responsabilité contractuelle, dont l’existence n’est guère mise en doute (278). Certes, la jurisprudence, adopte parfois sur ce point une terminologie ambiguë. Ainsi, sous l’influence sans doute d’Henri De Page (279), la Cour de cassation enseigne classiquement que l’exécution par équivalent s’impose lorsque l’exécution en na-ture n’est plus possible (280). Toutefois, dès lors qu’il est aujourd’hui acquis que cette impossibilité d’exécution en nature rend l’obliga-tion caduque (281), mieux vaudrait éviter dans ce cas l’expression

(273) Voy. à ce propos G. VINEY, Introduction à la responsabilité, op. cit., nos 165 et s., pp. 401 et s., et réf. citées.

(274) Voy. sur ce point D. MAZEAUD, « Les projets français de réforme du droit de la responsabilité civile », LPA, 13 mars 2014 (n° 52), pp. 8 et s., spéc. n° 9. Sur les références de ces textes, voy. supra, n° 3.

(275) Art. 1340 et s. (276) Art. 97 et 117 et s. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le rapport consacré à l’inexécution

du contrat est de la plume de P. RÉMY (pp. 253 et s.). (277) Art.  1217 et 1231 et s. Comp. cependant le Rapport au Président de la République,

J.O.R.F., 11 février 2016, p. 25, qui réaffirme l’existence de la responsabilité contractuelle. (278) Voy. not. S. STIJNS, Verbintenissenrecht, Boek 1, op. cit., nos 194 et s., pp. 141 et s. ; P. VAN

OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, Les obligations, op. cit., n° 544, p. 834 ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 533, p. 511.

(279) En effet, tout en reconnaissant l’existence de la responsabilité contractuelle (H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. II, op. cit., nos 583 et s., pp. 572 et s.), le savant auteur enseigne que l’exécution par équivalent est due notamment lorsque l’exécution est devenue impossible par le fait du débiteur (H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. III, op. cit., n° 96, 1°, p. 124) et précise à ce propos que : « C’est l’obligation originaire qui subsiste, quoique exécutée par équivalent. Seule, la FORME de cette exécution est modifiée. (…) Quoique sous forme d’équivalent, c’est l’exécu-tion de l’obligation elle-même, et, partant, du contrat, qui est poursuivie (…). Ce contrat subsiste donc ; il ne doit être ni résilié ni résolu » (ibid., n° 98, C, p. 130). Voy. égal. le passage cité supra, n° 22.

(280) Voy. Cass., 30 janvier 2003, Pas., 2003, n° 69 ; Cass., 13 mars 1998, J.L.M.B., 2000, p. 136 ; Cass., 14 avril 1994, Pas., 1994, I, n° 179 ; Cass., 30 janvier 1965, R.C.J.B., 1966, p. 77, note J. DABIN.

(281) Voy. supra, n° 11.

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d’« exécution par équivalent » qui donne l’impression que l’obligation existerait encore (282). On préférera dès lors la formulation adoptée par un arrêt du 9 mars 1973 qui distingue nettement l’exécution par équivalent de la réparation due en cas d’impossibilité d’exécution de l’obligation (283). Cette réparation constitue en réalité l’expression de la responsabilité contractuelle, qui est la source d’une obligation nouvelle (284).

Vainement objecterait-on, à cet égard, que l’obligation n’est caduque que dans la mesure où elle s’avère impossible à exécuter en nature, mais qu’elle subsisterait dans la mesure où elle encore susceptible d’exécution par équivalent (285). S’il fallait raisonner de la sorte, on ne s’expliquerait pas que, dans l’arrêt fondateur du 28 novembre 1980, le bail tout entier soit frappé de caducité (286). En effet, pourquoi l’obligation du preneur de payer le loyer devrait-elle tomber si le bailleur restait tenu – fût-ce par équivalent – de lui fournir la jouissance des lieux loués ? (287) En réalité, les obligations des deux parties sont frappées de caducité, ce qui n’empêche pas que le bailleur demeure tenu d’indemniser le preneur au titre de la responsabilité contractuelle, qui constitue pour lui la source d’une obligation nouvelle (288).

À mon sens, il n’y a de place pour l’exécution pour équivalent que lorsque l’exécution en nature de l’obligation demeure possible, et donc pour autant que celle-ci ne soit pas frappée de caducité. On songe au cas où le créancier obtient des dommages-intérêts pour l’indemni-ser du retard mis par le débiteur à exécuter l’obligation ou à celui

(282) Voy. à ce propos supra, n° 21. (283) Cass., 9 mars 1973, Pas., 1973, I, p. 640, premier moyen, seconde branche : « Attendu que

la résiliation unilatérale, entraînant l’extinction immédiate de la convention, rend juridiquement impossible le recours à l’exécution forcée, fût-ce par équivalent, et ne peut donner lieu qu’à la répa-ration du dommage établi ».

(284) Voy. supra, n° 23. (285) En ce sens, P.A. FORIERS, op. cit., R.C.J.B., 1987, n° 21, pp. 98 et s. (286) Voy. supra, n° 6. (287) En effet, dans la conception classique, les obligations du créancier victime d’une inexé-

cution fautive « ont une cause, puisqu’il a encore en face de lui un débiteur tenu en vertu du même contrat » (M. PLANIOL, note sous Cass. fr., 14 avril 1891, D., 1891, p. 330). Comp. dans le même sens F. LAURENT, Principes de droit civil français, t. XVII, n° 122, p. 137 : « Il n’est donc pas exact de dire que lorsque l’acheteur ne paye pas le prix, l’obligation du vendeur n’a point de cause[ ;] le vendeur a une action, et une action munie d’un privilège ; il peut forcer l’acheteur à exécuter son engagement et lui, de son côté, doit remplir le sien ».

(288) En ce sens, P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élé-ment essentiel à leur formation, op. cit., n° 54, p. 53. Sur l’intérêt pratique de la distinction entre exé-cution par équivalent de l’obligation initiale et obligation nouvelle de réparation, voy. infra, n° 25.

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où, sans opposition du débiteur (289) et sauf abus de droit (290), le créancier réclame des dommages-intérêts en lieu et place de l’exécu-tion en nature (291). Dans l’un et l’autre cas, les dommages-intérêts constituent certes une réparation due au titre de la responsabilité contractuelle (292), qui suppose donc la preuve d’une faute, d’un dommage et d’un lien de causalité (293), mais cette responsabilité se distingue fondamentalement de celle encourue en cas d’impossi-bilité fautive d’exécution puisque l’obligation inexécutée n’est pas pour autant éteinte (294). Il en résulte, notamment, que la partie qui obtient l’exécution par équivalent de ses droits demeure tenue d’exécuter ses propres obligations corrélatives et ne peut donc plus continuer à opposer l’exception d’inexécution (295).

25. Intérêt pratique de la caducité de l’obligation. Ce long détour par l’histoire du concept de responsabilité contractuelle permet éga-lement de mieux saisir l’importance pratique de la caducité de l’obli-gation.

Celle-ci se manifeste tout particulièrement dans la détermination de l’étendue des dommages-intérêts lorsque l’obligation devient im-possible à exécuter en nature par la faute du débiteur. À cet égard, on tend à enseigner indifféremment que le débiteur demeure tenu de s’exécuter par équivalent ou que la caducité laisse intacte le pro-blème de la responsabilité contractuelle. Or, les deux expressions ne se recoupent pas entièrement (296).

(289) On rappellera en effet que l’exécution en nature constitue un droit tant pour le créancier que pour le débiteur de sorte qu’ils ne peuvent en principe en être privés sans leur accord (voy. supra, note n° 204).

(290) Pour une application, voy. Cass., 6 janvier 2011, Pas., 2011, n° 12, avec les conclusions de M. l’avocat général A. HENKES. On notera que la décision attaquée ne semble pas avoir clairement distingué l’abus du droit d’exiger l’exécution en nature (normalement sanctionné par la caducité de l’obligation : voy. supra, n° 18) et l’abus du droit d’exiger l’exécution par équivalent (sanctionné ici par le rejet de toute exécution forcée).

(291) Voy. P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 602, p. 575. (292) Voy. en ce sens P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 590, p. 563. (293) Voy. P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, Les obligations, op. cit., n° 812,

pp. 1188 et s. (294) Du moins totalement : comp. supra, note n° 265. (295) Voy. Cass., 15 mai 2009, Pas., 2009, n° 323, pt 1 : « L’acheteur, qui invoque la délivrance

non conforme de la chose vendue et qui, ayant la possibilité de suspendre en tout ou en partie le paiement du prix en vertu de l’exception d’inexécution contenue dans [l’article 1184 du Code civil], ne demande pas la résolution de la convention, ne peut pas à la fois ne pas payer le prix et réclamer des dommages-intérêts en réparation de la chose livrée ».

(296) Voy. supra, n° 24.

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Pour s’en convaincre, on partira d’un exemple emprunté à la doc-trine allemande (297). Supposons que A convienne d’échanger un tableau en sa possession, d’une valeur de 5.000 €, contre une voiture en la possession de B, d’une valeur de 6.000 €. Après la conclusion du contrat mais avant la date convenue pour la livraison, la voi-ture périt dans un accident dont B est responsable. L’obligation de B étant devenue impossible à exécuter par la faute de ce dernier, elle est incontestablement caduque. Reste toutefois à déterminer com-ment la situation globale va se dénouer (298).

Si A était en mesure de demander l’exécution par équivalent de l’obligation de B, il pourrait exiger de celui-ci le paiement de 6.000 € (soit la valeur de la voiture) moyennant l’exécution de sa propre part du marché, en remettant à B le tableau promis.

Telle n’est toutefois pas la solution du droit positif belge. L’obli-gation de B étant caduque, elle s’éteint et donne naissance à une dette de responsabilité. En outre, l’obligation de B présentant un caractère essentiel, elle éteint corrélativement l’obligation de A, libérant celui-ci de l’obligation de livrer un tableau d’une valeur de 5.000 EUR (299). Reste alors à déterminer l’étendue du dommage subi par A, en comparant la situation dans laquelle il se serait trou-vé en cas d’exécution correcte du contrat (obtention d’une voiture d’une valeur de 6.000  €) et sa situation actuelle (possession d’un tableau d’une valeur de 5.000  €) (300). Son dommage est donc de 1.000 € (soit 6.000 € – 5.000 €), qu’il pourra réclamer à B en argent tout en conservant le tableau.

Comme on le voit, l’intérêt pratique de la caducité de l’obliga-tion ne se situe pas nécessairement au niveau des chiffres. Dans les deux cas, A possède en effet à la fin de l’opération la somme totale de 6.000 € dans son patrimoine. La forme que prend cette valeur varie toutefois grandement, puisqu’il obtiendrait dans le premier cas une satisfaction purement monétaire, tandis que dans le second, il est dispensé de sa propre prestation et obtient une compensation moné-taire complémentaire.

(297) Voy. K. LARENZ, Lehrbuch des Schuldrechts, vol. I, Allgemeiner Teil, op. cit., § 22, p. 339. (298) Les deux solutions abordées aux paragraphes suivants correspondent respectivement,

dans la terminologie allemande, à la Surrogationsmethode et à la Differenzmethode (voy. supra, n° 4). (299) Voy. infra, n° 29. (300) Le créancier a en effet droit à être replacé dans la même situation que si le contrat avait

été correctement exécuté, c’est-à-dire à la réparation de son intérêt positif : voy. à ce propos supra, n° 18 et réf. citées.

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Les deux modes de raisonnement ne s’équivalent cependant pas nécessairement en valeur. Supposons ainsi que le tableau vaille 6.000 € tandis que la voiture ne vaudrait que 5.000 €. Si l’on admet-tait l’exécution par équivalent, B devrait donc payer 5.000 € à A, qui devrait encore remettre son tableau, d’une valeur supérieure, à  B.  A  subirait donc au total une perte sèche de 1.000  €. Dans la logique de la caducité, au contraire, A est autorisé à conserver son tableau de 6.000 €, mais ne peut engager la responsabilité contrac-tuelle de B, puisqu’il ne subit aucun dommage complémentaire (301). Quant à B, il ne peut exiger de A que celui-ci lui paie les 1.000 € de bénéfices qu’il espérait réaliser, puisque A n’a commis aucune faute.

Ainsi compris, l’intérêt pratique de la caducité est donc double. Elle permet en effet au créancier de l’obligation devenue impossible à exécuter par la faute du débiteur, non seulement, de se dispenser de fournir sa propre prestation, mais aussi, le cas échéant, d’échapper aux conséquences d’une mauvaise affaire. On notera cependant que cette dispense de prestation est imposée au créancier, qui ne pourrait contraindre le débiteur à payer la contre-valeur de la totalité de la prestation devenue impossible à exécuter, même moyennant l’exé-cution des obligations corrélatives du créancier. Dans cette mesure, la position du créancier se trouve donc amoindrie par une impossibi-lité d’exécution qui ne lui est pourtant pas imputable.

D’autres implications peuvent également être mentionnées. Ain-si, selon une doctrine autorisée, la réparation en nature ne peut être accordée que lorsque l’exécution en nature est elle-même devenue impossible (302), c’est-à-dire, en d’autres termes, à la condition que l’obligation soit caduque. Par ailleurs, la caducité de l’obligation impose de repenser l’idée classique selon laquelle la mise en demeure a pour effet d’inverser la charge des risques (303).

On notera enfin que la caducité de l’obligation demeure sans ef-fet sur les sûretés consenties pour garantir l’exécution de celle-ci.

(301) Cette conclusion, à première vue surprenante, s’explique par le fait que l’opération était éco-nomiquement défavorable à A dès la conclusion du contrat (hypothèse dite du bad bargain). Pour plus de détails à ce propos, voy. R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 392, pp. 893 et s.

(302) Voy. P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 594, p. 566. (303) Si, par exemple, la chose périt alors que le vendeur se trouvait en demeure de la livrer,

cette perte rend caduque l’obligation du vendeur nonobstant la faute de celui-ci, et rend également caduque par voie de conséquence l’entièreté du contrat, sans préjudice des dommages-intérêts éven-tuellement dus à l’acheteur. Ce n’est donc que de manière approximative que l’on peut encore dire que la mise en demeure inverse la charge des risques. Pour plus de détails, voy., brevitatis causa, R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 445, III, pp. 987 et s.

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L’obligation s’éteint certes, mais ces sûretés sont maintenues et garantissent désormais la dette nouvelle née de la responsabilité contractuelle du débiteur (304).

26. Mécanisme de la caducité. Sous le bénéfice de ces observa-tions, le mécanisme de la caducité de l’obligation proprement dit n’appelle plus que des développements assez brefs (305).

Tout d’abord, la caducité de l’obligation intervient de plein droit (306). Elle résulte donc automatiquement de l’impossibilité d’exécution, même à l’insu des parties, et provoque ainsi l’extinc-tion immédiate de l’obligation (sans préjudice de la responsabilité contractuelle du débiteur lorsque cette impossibilité lui est impu-table et a causé un dommage au créancier). Si cette impossibilité est contestée, la question peut bien sûr – conformément au droit com-mun – être portée devant le juge, mais celui-ci ne fera que constater, a posteriori, l’extinction (ou, si l’obligation était en réalité toujours possible à exécuter, le maintien) de l’obligation (307).

Ensuite, la caducité de l’obligation intervient pour l’avenir (308). Deux précisions doivent être formulées à cet égard. Premièrement, lorsque l’obligation n’avait jusque-là connu aucun commencement d’exécution, la caducité aboutit alors à la priver de tout effet utile, comme si elle n’avait jamais été contractée (309). On peut y voir une forme de rétroactivité au sens large (310). Deuxièmement, il importe de préciser que l’absence de rétroactivité de la caducité de l’obliga-

(304) La solution a toujours été admise même par les opposants à la perpétuation de l’obligation inexécutée  : voy. ainsi J.  GRANDMOULIN, De l’unité de la responsabilité, op. cit., p.  15. Voy. égal. H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. III, op. cit., n° 98, p. 130 ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 590, p. 563, note n° 505.

(305) Voy. déjà supra, n° 11. (306) B. CLAESSENS et N. PEETERS, op. cit., Bestendig Handboek Verbintenissenrecht, V.3, n° 4425,

p. 40b ; P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essentiel à leur formation, op. cit., n°  54, p.  53  ; S.  STIJNS, Verbintenissenrecht, Boek 2, Brugge, die Keure, 2009, n° 197, p. 149.

(307) Comp. avec le contrôle exercé lorsqu’une partie se prévaut d’une clause résolutoire ex-presse (voy. à ce propos Cass., 11 mai 2012, Pas., 2012, n° 295).

(308) P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essen-tiel à leur formation, op. cit., n° 54, p. 54 ; J.-Fr. ROMAIN, « Clarifications concernant la théorie de la caducité des actes juridiques, en particulier des libéralités testamentaires, par disparitionde leur cause-mobile déterminant », op. cit., n° 16, p. 102  ; S. STIJNS, Verbintenissenrecht, Boek 2, op. cit., n° 197, p. 149.

(309) Voy. P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essentiel à leur formation, op. cit., n° 55, pp. 54 et s., qui cite le cas où le tiers désigné en vertu de l’article 1592 du Code civil refuse de faire l’estimation du prix.

(310) Sur cette notion, voy. R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 58, p. 107.

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tion ne préjuge pas des conséquences – rétroactives ou non – que cette caducité entraîne, par voie de répercussion, sur le reste du contrat (311).

Enfin, la caducité de l’obligation est en principe supplétive (312), caractéristique intimement liée à la liberté reconnue aux parties de définir l’objet de leur engagement et, ainsi, les conditions dans lesquelles celui-ci devient impossible à exécuter (313). À cet égard, deux précisions doivent à nouveau être faites.

Premièrement, lorsque l’impossibilité d’exécution découle d’une règle impérative ou d’ordre public, alors la caducité qui en résulte emprunte, par exception, son caractère à cette règle (314).

Deuxièmement, on a parfois voulu déduire du caractère supplé-tif de la caducité l’idée que seule la personne protégée pourrait se prévaloir de cette caducité, à l’exclusion de l’autre partie, des tiers et même du juge qui ne pourrait la soulever d’office (315). Cette déduction me semble inexacte. S’agissant du juge, tout d’abord, il est désormais acquis qu’il a non seulement le pouvoir, mais même l’obligation de soulever d’office les règles, même supplétives, dont l’application est commandée par les faits spécialement invoqués par les parties à l’appui de leurs prétentions (316). Par conséquent, si les parties invoquent spécifiquement à l’appui de leurs prétentions des faits donc résulte l’impossibilité d’exécuter en nature l’obligation, le juge a le devoir de constater la caducité de celle-ci même si elle n’est invoquée par aucune partie. Ensuite, il est incontestable que le débi-teur lui-même peut se prévaloir de la caducité de l’obligation (317). Par ailleurs, les tiers doivent également se voir reconnaître la pos-sibilité d’invoquer cette caducité à titre de fait juridique, s’agissant

(311) Voy. infra, n° 31. (312) Voy. l’arrêt du 14 octobre 2004 analysé supra, n° 8. Antérieurement, voy. contra T. DE

LOOR, op. cit., R.W., 1995-1996, n° 35, p. 770. (313) Voy. supra, n° 16. (314) C. CAUFFMAN, op. cit., R.W., 2005-2006, n° 9, p. 863. (315) C. CAUFFMAN, op. cit., R.W., 2005-2006, n° 8, p. 862. (316) Ceci bien sûr dans le respect des droits de la défense : voy. les réf. citées supra, note n° 83.

Lorsque l’application de la règle n’est justifiée que par des faits adventices, dont les parties n’ont pas fait le coeur de leurs prétentions, l’obligation devient une simple faculté pour le juge : voy. Cass., 8 mai 2015, n° C.14.0231.N, pt 2.

(317) Voy. not. les arrêts de la Cour de cassation des 28 novembre 1980 et 25 juin 2010 analysés supra, nos 6 et s.

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d’un effet externe du contrat (318). Enfin, on n’aperçoit pas a priori pourquoi le créancier de l’obligation devenue impossible à exécuter ne pourrait pas se prévaloir de la caducité de celle-ci en vue d’en déduire la caducité de ses propres engagements (319). Ces questions doivent cependant être examinées de manière plus approfondie à la lumière des dérogations qu’elles sont susceptibles d’apporter aux modes ordinaires de dissolution du contrat (320).

(318) Art. 1165 C. civ. Les tiers peuvent d’ailleurs, sur la même base, se prévaloir de la nullité (Cass., 27 novembre 1995, Pas., 1995, I, p. 1071), de la réalisation d’une condition résolutoire (Cass., 24 janvier 2011, Pas., 2011, n° 64, pt 5, A.C., 2011, n° 64, avec les conclusions de Mme l’avocat géné-ral R. MORTIER) ou même de la révocation de commun accord du contrat (Cass., 9 mai 2003, Pas., 2003, n° 288).

(319) P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, Les obligations, op. cit., n° 650, p. 992, considère ainsi que toutes les parties à la convention peuvent se prévaloir de la caducité.

(320) Voy. ainsi, à propos de l’impossibilité partielle fortuite dans le bail, infra, n° 39.

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SECTION 3. CADUCITÉ DU CONTRAT

27. Plan. La caducité par disparition de l’objet n’est pas canton-née à l’obligation ; partant de celle-ci, elle peut – à certaines condi-tions – contaminer tout le contrat (§ 1). Reste alors à examiner com-ment cette solution peut être conciliée avec les modes traditionnels de dissolution du contrat (§ 2).

§ 1. Passage de l’obligation au contrat

28. Position du problème. Même si la caducité présente certaines incidences pratiques au niveau de l’obligation (321), c’est surtout lorsqu’elle menace la survie même du contrat qu’elle retient l’atten-tion. C’est ainsi, en particulier, que dans l’arrêt fondateur du 28 no-vembre 1980, la perte des lieux loués par le défaut d’entretien du bailleur a pu être invoquée par celui-ci pour justifier la cessation du contrat de bail dans son ensemble (322). Depuis lors, on admet que la caducité par disparition de l’objet constitue – aux conditions qu’il convient encore de préciser – une cause générale de dissolution, appli-cable donc à toute convention (323).

(321) Voy. supra, n° 25. (322) Voy. supra, n° 6. (323) Voy. not. T.  DE LOOR, op. cit., R.W., 1995-1996, n°  35, p.  770  ; P.A.  FORIERS, op. cit.,

R.C.J.B., 1987, n° 20, p. 97 ; P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essentiel à leur formation, op. cit., n° 17, p. 21 ; I. MOREAU-MARGRÈVE, C. BIQUET-MATHIEU et A. GOSSELIN, op. cit., Act. dr., 1997, p. 19 ; P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, Les obligations, op. cit., n° 649, p. 990 ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 1020, p. 944.

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À cet égard, on résistera à la tentation de suivre la position fran-çaise, qui consiste à considérer que la disparition de tout élément essentiel du contrat après sa formation devrait entraîner sa cadu-cité (324). Tel n’est en effet pas l’état du droit positif belge, qui ne met ainsi pas sur le même pied, par exemple, la disparition de l’objet et celle de la cause (325).

Mais, même en se limitant à la disparition de l’objet, comment expliquer que la caducité de l’obligation puisse entraîner celle du contrat tout entier ? Ce passage a sans doute été facilité par l’ambi-guïté de la notion d’objet lorsqu’elle est appliquée au contrat. En l’absence de position claire adoptée par le Code civil, ce terme peut en effet viser, selon le cas, l’ensemble des effets juridiques – c’est-à-dire essentiellement des obligations – produits par le contrat, l’obligation caractéristique du contrat (par exemple, le transfert de propriété dans la vente), voire l’objet de cette obligation caractéristique (326). Si les lieux loués sont détruits, ce n’est donc pas seulement l’obliga-tion du bailleur de faire jouir le preneur qui perd son objet ; c’est, en un certain sens, le contrat de bail lui-même qui devient dépourvu d’objet, ce qui paraît pouvoir justifier la dissolution de ce contrat.

Une telle justification n’est toutefois qu’une première approxi-mation. Nous avons vu, en effet, que la perte de la chose vendue, alors même que le transfert de la propriété de celle-ci constitue l’obli-gation caractéristique du contrat, n’entraîne pas nécessairement l’extinction des obligations de l’acheteur, ni donc la caducité du contrat (327). En d’autres termes, la caducité d’une obligation peut entraîner la caducité du contrat dans son ensemble, mais n’implique pas automatiquement celle-ci. Reste donc à préciser le critère appli-cable.

29. Critère  : la divisibilité du contrat. Un critère simple semble pouvoir être avancé pour déterminer si la caducité d’une obligation

(324) Voy. supra, n° 3. (325) Voy. supra, n° 1. (326) Voy. à ce propos P.A.  FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par dispari-

tion d’un élément essentiel à leur formation, op. cit., n°  3, pp.  2 et s.  ; P.  WÉRY, Droit des obliga-tions, vol.  1, op. cit., n°  281, p.  269. En France, on constate une tendance croissante à désigner par objet du contrat l’opération juridique qu’il vise à réaliser : voy. ainsi J. GHESTIN, G. LOISEAU et Y.-M.  SERINET, La formation du contrat, t.  2, op. cit., nos  57 et s., pp.  45 et s.  ; H.  MAZEAUD, L.  MAZEAUD, J.  MAZEAUD et J.  CHABAS, Leçons de droit civil, t. II, vol. I, n°  231, pp.  231 et s.  ; F. TERRÉ, P. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, op. cit., n° 265, p. 300.

(327) Voy. l’arrêt du 4 février 2005 analysé supra, n° 9.

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déterminée entraîne ou non la caducité de tout le contrat, en ce com-pris donc des obligations dont l’exécution en nature demeurerait possible. Il s’agit de la divisibilité du contrat et de ses clauses (328).

Ce critère est emprunté au domaine, voisin, de la validité du contrat (329). On sait en effet que l’illicéité affectant une clause n’entraîne pas nécessairement la nullité de toute la convention, ni d’ailleurs même de toute la clause ; il n’en va ainsi que lorsque cette clause ou cette convention présente un caractère indivisible (330). La même idée est parfois exprimée en considérant que la caducité du contrat résulte de l’impossibilité d’exécution portant sur un élément déterminant de la volonté des parties (331) ou sur une obligation essentielle du contrat (332). Le critère de la divisibilité me semble toutefois plus souple dès lors qu’il est parfois difficile de détermi-ner si une obligation présente, dans l’esprit des parties, un caractère principal ou accessoire (333).

Comme souvent en droit des obligations (334), la divisibilité devra être appréciée sur la base d’une approche à la fois subjective (d’après la volonté, expresse ou tacite, des parties) et objective (d’après la nature et l’économie de l’opération conclue). Elle impose de recher-cher si la partie du contrat qui demeure possible à exécuter présen-terait encore une utilité dans l’esprit des parties (335). En d’autres

(328) Voy. P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essentiel à leur formation, op. cit., n° 90, pp. 90 et s. ; J.-Fr. ROMAIN, « Clarifications concernant la théorie de la caducité des actes juridiques, en particulier des libéralités testamentaires, par dispari-tionde leur cause-mobile déterminant », op. cit., n° 17, p. 103.

(329) Pour un tel rapprochement, voy. P.A. FORIERS, « Observations sur la caducité des contrats par suite de la disparition de leur objet ou de leur cause », op. cit., n° 20, p. 97 ; F. GARRON, La caducité du contrat, op. cit., n° 100, p. 122.

(330) Voy. Cass. (plén.), 25 juin 2015, n° C.14.0008.F, avec les conclusions contraires de M. l’avo-cat général T. WERQUIN, J.T., 2015, note S. LAGASSE, p. 717 (réduction d’une clause de non-concur-rence partiellement contraire au principe de la liberté de commerce et d’industrie) ; Cass., 10 janvier 2014, Pas., 2014, n° 14, avec les conclusions de M. le premier général A. HENKES, alors avocat général (décision qui concerne en réalité plutôt un groupe de contrats).

(331) F. GARRON, La caducité du contrat, op. cit., n° 100, p. 121. (332) Voy. P.A. FORIERS, « Observations sur la caducité des contrats par suite de la disparition

de leur objet ou de leur cause », op. cit., n° 18, p. 95 ; J.-Fr. ROMAIN, « Clarifications concernant la théorie de la caducité des actes juridiques, en particulier des libéralités testamentaires, par dispari-tionde leur cause-mobile déterminant », op. cit., n° 15, p. 101 ; S. STIJNS, Verbintenissenrecht, Boek 1, op. cit., n° 138, p. 100.

(333) Comme le relève S. STIJNS, De gerechtelijke en buitengerechtelijke ontbinding van overeen-komsten, op. cit., n° 164, p. 243.

(334) Voy. à ce propos P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essentiel à leur formation, op. cit., nos 75 et s., pp. 72 et s.

(335) Voy. P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, Les obligations, op. cit., n° 650, p. 992 ; comp. dans le même sens, dans le cadre de la théorie des risques, P. WÉRY, Droit des obliga-tions, vol. 1, op. cit., n° 576, p. 548.

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termes, « il s’agit de savoir si l’impossibilité d’exécuter une disposi-tion contractuelle (donc son inexécution) rend encore possible l’exé-cution en nature de la convention telle qu’elle a été conçue par les parties à la lumière de sa cause » (336).

C’est ainsi que l’indivisibilité sera aisément admise dans les contrats synallagmatiques. Ceux-ci se caractérisent en effet par une interdépendance mutuelle des obligations (337). L’une des impli-cations de ce principe est que l’impossibilité d’exécution d’une des obligations d’un tel contrat pour cause de force majeure entraîne automatiquement l’extinction de l’obligation réciproque (338). En d’autres termes, la caducité du contrat se confond ici avec l’appli-cation de la théorie des risques (339). De la même manière, le lien synallagmatique constitue l’un des fondements de la rétroactivité de la résolution du contrat pour cause d’inexécution des obligations d’une partie (340). D’autres justifications à la caducité du contrat peuvent également être avancées sans qu’elles impliquent de véri-table différence sur le plan technique (341).

Toutefois, même dans les contrats synallagmatiques, l’ensemble des obligations nées du contrat ne présenteront pas nécessairement un caractère indivisible. Ainsi, par exemple, dans la vente, le trans-fert des risques sur la tête de l’acheteur implique que celui-ci demeu-rera tenu du paiement du prix nonobstant la perte de la chose par cas fortuit (342). En d’autres termes, lorsque les risques pèsent sur la tête de l’acheteur, l’obligation de payer le prix est divisible de celle

(336) P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essen-tiel à leur formation, op. cit., n° 90, p. 92.

(337) Art. 1102 C. civ. (338) Voy. Cass., 17 juin 1993, Pas., 1993, I, n° 291, avec les conclusions de M. l’avocat général

JANSSENS DE BISTHOVEN, R.C.J.B., 1996, p. 227, note J. HERBOTS ; Cass., 27 juin 1946, Pas., 1946, I, p. 271, quatrième moyen, et la note (5) signée R.H., J.T., 1947, p. 166, note M. SLUZNY, R.C.J.B., 1947, p. 268, note A. DE BERSAQUES.

(339) Pour plus de détails, voy. infra, n° 37. (340) L’effacement rétroactif de la convention se justifie en ce cas également par l’idée de sanc-

tion : voy., pour plus de détails, R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., nos 371 et s., pp. 859 et s.

(341) On peut ainsi, notamment, justifier la caducité du contrat par recours à la notion de cause, d’utilité ou d’économie contractuelle (voy. P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essentiel à leur formation, op. cit., nos  89 et s., p.  90  ; J.-Fr. ROMAIN, « Clarifications concernant la théorie de la caducité des actes juridiques, en particulier des libéralités testamentaires, par disparitionde leur cause-mobile déterminant », op. cit., n° 9, p. 97).

(342) Art. 1138, al. 2, C. civ. ; voy. égal. l’arrêt du 4 février 2005 analysé supra, n° 9.

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de livrer la chose et survit donc à la caducité de cette dernière pour cause de cas fortuit (343).

30. Caducité partielle. L’article 1722 du Code civil contient une autre illustration intéressante de l’idée de divisibilité. Il prévoit en effet que : « Si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n’est détruite qu’en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail » (344). Généralisant cette idée, la doctrine a élaboré la notion de caducité partielle (345). Celle-ci recouvre en réalité deux hypothèses différentes, quoique proches en pratique.

Il se peut tout d’abord que l’obligation ne soit devenue que partiel-lement impossible à exécuter. En ce cas, et pour autant que l’obliga-tion elle-même apparaisse comme divisible dans l’esprit des parties, l’obligation n’est que partiellement caduque (346). Se pose ensuite la question de l’impact de cette caducité partielle de l’obligation sur le contrat. Si cette obligation se trouve en lien synallagmatique avec une autre obligation, mais que celle-ci est elle-même divisible, alors cette obligation sera frappée de caducité à due concurrence. Telle est l’hypothèse visée par l’article 1722 : si, par exemple, le preneur prend en location un hangar de 1000 m2, que la moitié du hangar est incendiée et que la location était cependant divisible dans l’esprit des parties, alors seule la moitié du bail sera frappée de caducité et le loyer sera réduit de moitié. Si, en revanche, l’obligation corrélative est indivisible, alors l’obligation divisible doit tomber entièrement en même temps que l’obligation indivisible afin de préserver l’équi-libre synallagmatique voulu par les parties (347).

(343) On notera que cette divisibilité ne vaut qu’en cas de perte fortuite de la chose. En cas de perte fautive, au contraire, l’obligation de payer le prix s’éteint également (arg. art. 1610, 1630 et 1644 C. civ. qui offrent à l’acheteur la possibilité d’agir en résolution de la vente en l’absence de livraison de la chose ou manquement à la garantie due par le vendeur).

(344) Comp. également les art. 1617 et 1638 C. civ. (345) Voy. A. BOËL, op. cit., Obligations. Commentaire pratique, V.2.5, n° 3.6, p. 17 ; B. CLAESSENS

et N. PEETERS, op. cit., Bestendig Handboek Verbintenissenrecht, V.3, n° 4425, p. 40b ; P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essentiel à leur formation, op. cit., nos 61 et s., pp. 59 et s. ; J.-Fr. ROMAIN, « Clarifications concernant la théorie de la caducité des actes juridiques, en particulier des libéralités testamentaires, par disparitionde leur cause-mobile déterminant », op. cit., n° 17, p. 103, note n° 45 ; P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, Les obligations, op. cit., n° 650, p. 992.

(346) Voy. supra, n° 19. (347) Comp. Cass., 4 juin 2004, Pas., 2004, n° 305, avec les conclusions de M. l’avocat général

X. DE RIEMAECKER : le défaut de paiement des arrérages d’une rente viagère (obligation divisible)

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Une seconde hypothèse de caducité partielle est le cas où une obli-gation devient – en tout ou en partie – impossible à exécuter mais où cette obligation était entièrement séparable, dans l’esprit des parties, du reste des obligations conclues. En ce cas, le reste de la convention subsiste et la caducité partielle du contrat ne se distingue guère de la caducité – totale ou partielle – de l’obligation devenue impossible à exécuter. Tel sera généralement le cas lorsque l’obligation ne présen-tait qu’un caractère accessoire (348). Par conséquent, tout comme la résolution (349) et la théorie des risques (350), la caducité de la convention n’affecte en principe pas les clauses accessoires présen-tant une certaine autonomie, telles que les clauses d’élection de droit ou de for, d’arbitrage, etc. C’est ainsi, par exemple, qu’une clause pénale demeure en principe applicable aussi bien en cas de résolution que de caducité de la convention (351).

31. Mécanisme de la caducité. Reste à préciser les caractéristiques de la caducité du contrat, ainsi définie.

Celle-ci intervient de plein droit (352). Chaque partie à la conven-tion peut donc se prévaloir de la caducité du contrat (353), et les tiers peuvent également l’invoquer au titre des effets externes du contrat (354). Le caractère automatique de la caducité n’empêche

entraîne la résolution du transfert de la nue-propriété qui en constitue la contrepartie (obligation indivisible) et impose de restituer les arrérages déjà versés. Pour une analyse de cette décision, voy. R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 433, II, p. 968.

(348) P.A. FORIERS, « Observations sur la caducité des contrats par suite de la disparition de leur objet ou de leur cause », op. cit., n° 20, p. 98.

(349) Voy., pour plus de détails, R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., nos 489 et s., pp. 1075 et s.

(350) Voy. F. LAURENT, Principes de droit civil, t. XVI, op. cit., n° 270, p. 332. (351) F. GARRON, La caducité du contrat, op. cit., n° 196, p. 242, note n° 424. Encore faut-il cepen-

dant que la clause pénale vise à réparer le dommage complémentaire à la dissolution du contrat (en tenant donc compte du bénéfice que le créancier retire de la libération de ses propres obligations), et n’équivale donc pas purement et simplement à la valeur de la prestation inexécutée. Comp. à ce propos R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 490, p. 1078 et supra, n° 25.

(352) T. DE LOOR, op. cit., R.W., 1995-1996, n° 10, p. 763 ; F. GARRON, La caducité du contrat, op.  cit., n°  156, p.  189  ; J.  GHESTIN, G.  LOISEAU et Y.-M.  SERINET, La formation du contrat, t.  2, op. cit., n° 2071, p. 776 ; S. STIJNS, De gerechtelijke en buitengerechtelijke ontbinding van overeenkoms-ten, op. cit., n° 47, p. 91  ; S. STIJNS, Verbintenissenrecht, Boek 1, op. cit., n° 138, p. 100. Voy. déjà supra, n° 26, à propos de la caducité de l’obligation.

(353) A.  BOËL, op. cit., Obligations. Commentaire pratique, V.2.5, n°  3.4, p.  16  ; J.  GHESTIN, G. LOISEAU et Y.-M. SERINET, La formation du contrat, t. 2, op. cit., n° 2071, p. 776 ; P. VAN OMMES-LAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, Les obligations, op. cit., n° 650, p. 992.

(354) J. GHESTIN, G. LOISEAU et Y.-M. SERINET, La formation du contrat, t. 2, op. cit., n° 2071, p. 776.

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évidemment pas de saisir le juge pour la faire constater en cas de contestation (355).

On s’accorde également à considérer que la caducité du contrat intervient en principe pour l’avenir (356). La question de savoir si elle peut, exceptionnellement, présenter un effet rétroactif est cependant controversé (357). Ainsi, pour certains, il ne ferait pas de doute que la caducité dissout le contrat de manière rétroactive lorsque celui-ci présentait un caractère instantané (358), ou même dans les contrats successifs présentant un caractère indivisible (359). La caducité présenterait dans ce cas des effets analogues à la nul-lité (360) ou à la résolution pour inexécution (361). Pour d’autres, au contraire, l’effet rétroactif attaché à la nullité ou à la résolution pour inexécution serait intimement lié à leur caractère de sanction (362). La caducité étant dépourvue d’un tel caractère – puisqu’elle peut également être invoquée par la partie en faute, voire en l’absence de toute faute –, elle ne pourrait pas non plus se voir reconnaître un caractère rétroactif (363).

Cette question appelle à mon sens une réponse nuancée. On com-mencera par relever que, dans un arrêt du 9 novembre 1995, la Cour

(355) Voy. F. GARRON, La caducité du contrat, op. cit., n° 153, p. 187 ; J. GHESTIN, G. LOISEAU et Y.-M. SERINET, La formation du contrat, t. 2, op. cit., n° 2071, p. 777.

(356) T. DE LOOR, op. cit., R.W., 1995-1996, n° 10, p. 763  ; P.A. FORIERS, « Observations sur la caducité des contrats par suite de la disparition de leur objet ou de leur cause », op. cit., n° 20, p. 98 ; F. GARRON, La caducité du contrat, op. cit., n° 158, p. 195, et n° 228, p. 276 ; J.-Fr. ROMAIN, « Clarifications concernant la théorie de la caducité des actes juridiques, en particulier des libéralités testamentaires, par disparitionde leur cause-mobile déterminant », op. cit., n° 16, p. 102 ; S. STIJNS, De gerechtelijke en buitengerechtelijke ontbinding van overeenkomsten, op. cit., n° 48, p. 92  ; P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, Les obligations, op. cit., n° 650, p. 992.

(357) Comp., en France, l’incertitude de la doctrine qui se traduit par l’imprécision du texte des projets de réforme sur ce point : voy. supra, n° 3.

(358) P.A. FORIERS, « Observations sur la caducité des contrats par suite de la disparition de leur objet ou de leur cause », op. cit., n° 20, p. 98 ; J.-Fr. ROMAIN, « Clarifications concernant la théorie de la caducité des actes juridiques, en particulier des libéralités testamentaires, par disparitionde leur cause-mobile déterminant », op. cit., n° 17, p. 104.

(359) Voy. A. BOËL, op. cit., Obligations. Commentaire pratique, V.2.5, n° 3.9, p. 17  ; P.A. FO-RIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essentiel à leur formation, op. cit., nos 91 et s., pp. 92 et s.

(360) P.A. FORIERS, « Observations sur la caducité des contrats par suite de la disparition de leur objet ou de leur cause », op. cit., n° 20, p. 98.

(361) P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essen-tiel à leur formation, op. cit., n° 92, p. 95.

(362) S.  STIJNS, De gerechtelijke en buitengerechtelijke ontbinding van overeenkomsten, op. cit., n° 48, p. 93.

(363) S.  STIJNS, De gerechtelijke en buitengerechtelijke ontbinding van overeenkomsten, op. cit., n° 48, p. 94, qui réserve néanmoins le cas où les restitutions pourraient se fonder sur les règles de la résolution pour inexécution.

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de cassation s’est prononcée sur la question des effets dans le temps d’une perte de la chose par cas fortuit (364). Dans cette affaire, deux camions avaient été vendus par un contrat retardant le transfert de propriété jusqu’au complet paiement du prix. Les deux camions avaient été détruits avant que le prix n’ait été entièrement payé. Après avoir considéré que la clause retardant le transfert de propriété avait eu pour effet de laisser les risques sur la tête du vendeur (365), la Cour décida que, sauf clause contraire, celui-ci « ne peut plus obte-nir le paiement du prix et est tenu de restituer à l’acheteur le prix ou la partie du prix déjà payée ; que, toutefois, le vendeur a droit à la contre-valeur de la jouissance de la chose par l’acheteur ».

Cette décision est remarquable. En effet, alors que l’extinction de l’obligation du vendeur n’intervient que pour l’avenir (366), elle lui impose de restituer la totalité du prix perçu, comme si l’obligation de l’acheteur était effacée depuis l’origine. Réciproquement, elle impose à l’acheteur d’indemniser le vendeur pour la jouissance de la chose, ce qui laisse entendre que l’acheteur est privé depuis l’origine du droit d’user de la chose que le contrat lui avait pourtant confé-ré (367). Appliquée à un contrat instantané indivisible, la théorie des risques se voit ainsi reconnaître les mêmes effets que si le contrat n’avait jamais été conclu, de sorte qu’on peut parler au minimum d’une rétroactivité au sens large (368). Or la théorie des risques, à la différence de la résolution pour inexécution ou de la nullité, est dépourvue de toute idée de sanction.

Ce raisonnement me paraît parfaitement transposable à la ca-ducité du contrat. Rien n’empêche donc de reconnaître à celle-ci, dans certaines circonstances, un effet rétroactif au sens large. On

(364) Cass., 9 novembre 1995, Pas., 1995, I, p. 1014. (365) Comme je l’ai indiqué, la Cour me paraît être revenue sur cet enseignement dans son arrêt

du 4 février 2005 (voy. supra, n° 9). (366) Sur cette caractéristique de la caducité de l’obligation, voy. supra, n° 26. (367) Curieusement, la Cour n’impose pas au vendeur le paiement d’un intérêt sur le prix à resti-

tuer, alors que celui-ci constitue un fruit qui correspond à l’indemnité de jouissance dont l’acheteur est tenu (sur la corrélation entre ces deux postes, voy., en cas de restitutions consécutives à une réso-lution pour inexécution, R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 424, pp. 953 et s.). L’arrêt n’évoque pas non plus l’incidence de l’éventuelle bonne foi des parties alors que celle-ci les dispense en principe de verser une indemnité pour les fruits ou la jouissance de la chose, du moins lorsque les restitutions découlent de la nullité du contrat (voy. Cass., 2 octobre 2008, Pas., 2008, n°  521, J.L.M.B., 2009, p.  1257, note P.L, R.G.D.C., 2011, p.  157, note S.  SURMONT, R.W., 2009-2010, p. 617, note J. DEL CORRAL). Il est vrai que le pourvoi ne portait pas spécifiquement sur ces questions.

(368) Sur cette notion, voy. R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 58, p. 107.

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se laissera guider, à cet égard, par les mêmes critères que ceux qui permettent de déterminer l’étendue de la caducité du contrat (369), à savoir la divisibilité de celui-ci et le souci de conserver ou de réta-blir l’équilibre contractuel (370). On notera à cet égard que même les auteurs qui considèrent que la caducité ne joue que pour l’avenir admettent qu’il y ait lieu à restitutions lorsqu’une seule partie s’est exécutée avant la caducité du contrat sans recevoir de contrepar-tie (371).

Ainsi par exemple, dans l’arrêt précité du 9  novembre 1995, la chose se trouvait – le transfert des risques ayant été retardé – dans un lien de dépendance réciproque avec le prix ; dès lors que la chose périt entièrement, il est normal que l’obligation de payer le prix soit également entièrement effacée, à peine d’engendrer un déséquilibre entre les parties contraire à leurs intentions. Celles-ci n’ont pu vou-loir, en effet, que le vendeur soit autorisé à conserver une partie du prix alors que la chose qui en constitue la contrepartie a entière-ment péri (372). Dans les contrats successifs, au contraire, et pour peu qu’ils soient divisibles dans le temps, la caducité d’une obliga-tion (résultant par exemple de la destruction des lieux loués) n’en-traînera que l’extinction pour l’avenir des obligations réciproques (en l’occurrence, l’obligation de payer le loyer), les loyers perçus jusqu’alors demeurant l’équivalent contractuel de la jouissance des lieux jusqu’à leur destruction (373).

En revanche, il me paraît douteux que la théorie des risques ou la caducité puissent se voir reconnaître un véritable effet rétroactif, tel que celui reconnu à la résolution pour inexécution. Il est exact, en effet, que cet effet rétroactif ne constitue pas la simple conséquence du caractère synallagmatique du contrat, mais représente plutôt un renforcement de la sanction conférée par la loi au créancier de

(369) Voy. supra, n° 29. (370) P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essen-

tiel à leur formation, op. cit., n° 91, pp. 93-94. (371) Voy. à cet égard F. GARRON, La caducité du contrat, op. cit., n° 243, p. 296. (372) Comp. supra, n° 30. (373) En revanche, si le bail n’a encore reçu aucune exécution, la destruction des lieux loués

imposera au bailleur la restitution de l’acompte ou de la garantie constituée par l’acheteur (P.A. FO-RIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essentiel à leur formation, op. cit., n° 56, p. 56). Le raisonnement est à cet égard tout à fait similaire à celui suivi pour détermi-ner l’étendue dans le temps de la résolution pour inexécution : voy. à ce propos R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 436, pp. 973 et s. et réf. citées.

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l’obligation inexécutée (374). La différence entre les deux régimes demeurera toutefois limitée en pratique (375).

Enfin, on rappellera que la caducité du contrat se produit sans préjudice de l’éventuelle responsabilité contractuelle des parties (376). À cet égard, le caractère éventuellement rétroactif de la caducité n’y change rien, puisqu’on admet pareillement que la résolution pour inexécution et l’effet rétroactif qui y est attaché n’excluent pas le caractère contractuel des dommage-intérêts complémentaires à celle-ci (377).

§ 2. Régimes concurrents

a) Position du problème

32. Rôle ambivalent des principes généraux du droit. La caduci-té, fondée sur la notion d’impossibilité d’exécution (378), a vocation à régir des situations qui, avant la reconnaissance de cette figure juridique, relevaient jusqu’alors d’autres institutions, telles que la résolution pour inexécution et la théorie des risques. La question qui vient dès lors spontanément à l’esprit est de savoir comment le régime de la caducité s’articule avec celui de ces institutions concur-rentes. La caducité l’emporte-t-elle, ou bien doit-elle céder le pas en toutes circonstances ? Doit-elle, en d’autres termes, être cantonnée dans un rôle purement subsidiaire ou présente-t-elle le cas échéant un potentiel subversif ? À moins qu’une voie médiane ne doive être empruntée ?

Pour répondre à ces questions, on pourrait être tenté de se fon-der sur la nature de principe général du droit de la caducité (379). Classiquement, en effet, on enseigne que : « Le principe général non écrit ne permet pas au juge de se dispenser d’appliquer la loi (...)  ; sans doute a-t-il force législative (…) et doit-il être appliqué, même

(374) Voy. sur ce point R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 375, p. 864. (375) La principale différence me paraît se manifester dans les rapports avec les tiers. Il semble

ainsi douteux qu’en l’absence d’une rétroactivité au sens strict, le créancier de la restitution puisse faire fi des droits réels ou réalisés ayant grevé la chose dans l’intervalle (voy. ibid., n° 375, p. 865).

(376) Voy. supra, nos 23 et s. (377) Voy. R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 380, pp. 872 et s. (378) Voy. supra, n° 13. (379) Voy. à ce propos l’arrêt du 14 octobre 2004 analysé supra, n° 8. La discussion est ici limitée

aux principes généraux du droit qui, comme la caducité, se voient reconnaître une valeur législative, à l’exclusion donc des principes à valeur constitutionnelle ou réglementaire.

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sans texte ; mais s’il est un élément fondamental du droit, il ne peut aller à l’encontre de la loi écrite (…), c’est-à-dire que le législateur a le pouvoir d’y déroger en intervenant pour régler une matière déter-minée » (380). Ainsi, les principes généraux du droit n’auraient qu’un caractère supplétif ou subsidiaire  : « S’ils s’effacent dans la mesure où la loi a réglé une matière déterminée, ils suppléent la loi dans la mesure où celle-ci ne l’a pas réglée  » (381). En d’autres termes, les principes généraux du droit pourraient s’appliquer praeter legem, mais jamais contra legem (382).

Cet enseignement ne me paraît pas cependant rendre entièrement compte de l’état nuancé du droit positif.

À cet égard, on relèvera tout d’abord que certains principes géné-raux du droit remplissent une fonction correctrice de la législation existante (383). Tel est notamment le cas du principe général fraus omnia corrumpit (384) et de celui relatif à l’abus de droit (385). Ces principes généraux du droit ont précisément pour effet d’écarter les conséquences ordinaires des règles juridiques normalement appli-cables et produisent donc bien, en un certain sens, des conséquences contra legem.

Mais il y a plus. À y regarder de plus près, en effet, la frontière s’avère souvent difficile à tracer entre le caractère purement supplé-tif des principes généraux du droit et les véritables dérogations qu’ils peuvent parfois apporter à la loi. Quelques exemples permettront de faire mieux saisir le propos.

Ainsi, l’article 1998, alinéa 2, du Code civil prévoit expressément que le mandant «  n’est tenu de ce qui a pu être fait au-delà [des pouvoirs du mandataire], qu’autant qu’il l’a ratifié expressément ou tacitement  ». La matière semble donc expressément réglée par le législateur. Et pourtant, même en l’absence de toute ratification,

(380) W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH, « Propos sur le texte de la loi et les principes généraux du droit », op. cit., p. 567.

(381) P. MARCHAL, Principes généraux du droit, op. cit., n° 17, p. 26. (382) Voy. ainsi, à propos du respect dû aux anticipations légitimes d’autrui, Cass., 26 mai 2003,

Pas., 2003, n° 318, avec les conclusions de M. le premier avocat général J.-F. LECLERCQ ; (383) P. MARCHAL, Principes généraux du droit, op. cit., n° 25-3, pp. 38 et s. (384) Voy. récemment à ce propos Cass., 30 septembre 2015, n° P. 14.0474.F. (385) Voy. récemment à ce propos Cass., 2 avril 2015, n° C.14.0281.F, avec les conclusions de

M. le premier avocat général J.-F. LECLERCQ ; Cass., 19 mars 2015, n° C.13.0218.F.

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le mandant peut être tenu sur la base de l’apparence (386), celle-ci constituant pour la majorité de la doctrine un principe général du droit (387). Alors que l’apparence peut ainsi déroger au fonctionne-ment normal des règles sur la représentation, d’autres applications, telles que la reconnaissance d’effets à la propriété apparente, sont en revanche envisagées avec une plus grande méfiance (388).

L’apparence se rattache par ailleurs à la question, plus générale, de la sécurité juridique. Or, à cet égard, si l’on considérait classi-quement que le principe de légalité devait toujours l’emporter sur la confiance légitime (en particulier celle des administrés) (389), un courant jurisprudentiel contraire d’apparition récente incline plutôt à procéder à une mise en balance de ces intérêts opposés (390). Le principe général du droit de la confiance légitime est donc suscep-tible d’apporter des dérogations ponctuelles, quoique non automa-tiques, à la loi.

Enfin, si le principe général du droit relatif à l’enrichissement sans cause présente incontestablement un caractère subsidiaire, la jurisprudence de la Cour de cassation en admet cependant

(386) Voy. Cass., 26  octobre 2012, Pas., 2012, n°  571  ; Cass., 2  septembre 2010, Pas., 2010, n°  494  ; Cass., 25  juin 2004, Pas., 2004, n°  357  ; Cass., 20  janvier 2000, Pas., 2000, n°  54  ; Cass., 20 juin 1988, J.T., 1989, p. 547.

(387) Voy. C.  CAUFFMAN, «  De vertrouwensleer  », Bijzondere overeenkomsten. Commentaar met overzicht van rechtspraak en rechtsleer, f. mob., Mechelen, Kluwer, 2005, n° 51, p. 10  ; S. STIJNS et I. SAMOY, « La confiance légitime en droit des obligations  », Les sources d’obligations extracontrac-tuelles, Brugge, die Keure et Bruxelles, La Charte, 2007, n° 79, p. 93 ; P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, Les obligations, op. cit., n° 1177, p. 1751 ; C. VERBRUGGEN, « La théorie de l’apparence  : quelques acquis et beaucoup d’incertitudes  », Mélanges offerts à Pierre Van Ommes-laghe, Bruxelles, Bruylant, 2000, n° 4, p. 304 ; tout en reconnaissance une certaine autonomie à la théorie de l’apparence, d’autres auteurs la rattachent à la bonne foi (P.A. FORIERS, obs. sous Cass., 20 janvier 2000, R.D.C., 2000, nos 13 et s., pp. 488 et s.), à l’équité (J.-Fr. ROMAIN, Théorie critique du principe général de bonne foi en droit privé, op. cit., n° 409, p. 957) ou au respect dû aux anticipations légitimes d’autrui (X. DIEUX, Le respect dû aux anticipations légitimes d’autrui, op. cit., nos 83 et s., pp. 200 et s.). Contra (considérant que l’apparence n’est pas un principe général du droit privé)  : J. BAECK, « Ontbinding en derden : niet storen a.u.b. », T.P.R., 2009, n° 43, p. 716.

(388) Voy. à cet égard R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 297, pp. 679 et s., et réf. citées.

(389) Voy. Cass., 11 février 2011, Pas., 2011, n°  123, pts 2 et 3, A.C., 2011, n°  123, avec les conclusions de M. l’avocat général D. THIJS ; Cass., 10 décembre 2009, Pas., 2009, n° 736, pt 1, avec les conclusions de M. l’avocat général D.  THIJS  ; Cass., 2  avril 2009, Pas., 2009, n°  232, avec les conclusions de M. l’avocat général P. DE KOSTER.

(390) Voy. en ce sens C.C., 9 juillet 2013, n° 97/2013, pts B.9 et s. ; C.C., 30 mai 2013, n° 73/2013, pts B.8 et s. ; C.C., 9 février 2012, n° 18/2012, pts B.8.1 et s., T.B.P., 2012, p. 354, note S. VERSTRAE-LEN ; C.C., 7 juillet 2011, n° 125/2011, pts B.5.4 et s. ; Cass., 29 septembre 2011, Pas., 2011, n° 512, pt  5, avec les conclusions de M. l’avocat général C.  VANDEWAL  ; Cass., 1er  mars 2010, Pas., 2010, n° 139, A.C., 2010, n° 139, pt 4, avec les conclusions de Mme l’avocat général R. MORTIER  ; Cass., 5 juin 2008, Pas., 2008, n° 346, pt 3 ; Cass., 20 décembre 2007, Pas., 2007, n° 653, pt 3, R.W., 2007-2008, p. 1368, note P. POPELIER ; voy. égal. Cass., 6 mai 2013, J.T., 2013, p. 455.

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exceptionnellement l’application pour contredire l’application nor-male de règles légales (391).

Pour en revenir à la caducité, on se souviendra que, dans l’arrêt fondateur du 28  novembre 1980, le raisonnement du demandeur en cassation consistait précisément à reprocher à la décision atta-quée d’avoir admis la « résolution » du contrat de bail alors que les hypothèses de résolution étaient exhaustivement couvertes par les articles 1722 et 1741 du Code civil (392). La Cour de cassation avait toutefois rejeté le pourvoi en considérant que, bien que l’on se situât en dehors des prévisions de ces deux dispositions légales, le contrat pouvait également être «  résolu  » (l’on dirait aujourd’hui  : caduc) lorsqu’il devient sans objet, fût-ce par la faute du débiteur. Un tel raisonnement peut, certes, être présenté comme tenu praeter legem en ce qu’il ajoute une nouvelle cause de dissolution du contrat à celles qui existaient jusqu’alors. Il n’échappera cependant pas au lecteur que la reconnaissance de la caducité implique également une certaine entorse aux règles existantes qui, en ne prévoyant la réso-lution que dans les hypothèses prévues aux articles 1722 et 1741 du Code civil, excluaient implicitement que le débiteur puisse se délier dans d’autres cas (393).

En principe subsidiaire, comme tout principe général du droit, la caducité peut donc également s’avérer subversive, si l’on entend par là son pouvoir de remettre en cause les solutions tenues jusque-là pour acquise (394). Reste à tracer les limites exactes de ce pouvoir.

33. Situations claires  : volonté certaine d’exclure la caducité. Deux hypothèses ne suscitent pas de difficulté.

(391) Voy., pour plus de détails, J.-Fr. ROMAIN, « La notion de cause justificative dans l’enrichis-sement sans cause et le mobile altruiste de l’appauvri », note sous Cass., 19 janvier 2009, R.C.J.B., 2012, nos 47 et s., pp. 122 et s.

(392) Voy. supra, n° 6. (393) Voy. l’art. 1134, al. 1er et 2, C. civ.  : « Les conventions légalement formées tiennent lieu

de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise ». On pourrait certes objecter qu’un principe général du droit constitue une « loi » au sens de l’article 608 du Code judiciaire de sorte qu’il n’y aurait pas de véritable dérogation à l’article 1134. Il n’en demeure pas moins que la reconnaissance de la caducité implique la consécration d’une nouvelle limite au principe de la convention-loi. Dans cette mesure, elle repré-sente donc bien une dérogation aux règles légales existantes.

(394) Ce potentiel perturbateur semble du reste inhérent à la nature et au fonctionnement des principes généraux du droit  : voy. à ce propos J.  VAN MEERBEEK, De la certitude à la confiance. Le principe de sécurité juridique dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, Bruxelles, Anthemis et Université Saint-Louis – Bruxelles, 2014, nos 393 et s., pp. 506 et s.

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La première est celle où les parties ont elles-mêmes entendu écar-ter la caducité. Une telle clause est en principe licite, compte tenu du caractère supplétif du principe (395).

La seconde est celle où la loi écarte de manière certaine l’appli-cation de la caducité. En ce cas, la volonté du législateur doit bien évidemment être respectée. On peut citer, à cet égard, l’article  15 de la loi du 16  février 1994 régissant le contrat d’organisation de voyages et le contrat d’intermédiaire de voyages (396). La Cour de cassation a décidé, à cet égard, que : « L’obligation d’assistance de l’organisateur de voyages vaut également lorsque l’inexécution du contrat de voyage résulte de la force majeure  » (397). Bien que l’arrêt ne le précise pas expressément, cette solution peut s’appuyer sur l’article 18 de la loi, qui prévoit que « l’organisateur de voyages est tenu, durant l’exécution du contrat, de faire diligence pour venir en aide et prêter assistance au voyageur en difficulté », et ce même lorsque les manquements de l’organisateurs « sont imputables à un cas de force majeure tel que défini à l’article 14, § 2, b » (398).

On songe également au droit pour le travailleur en incapacité dé-finitive de poursuivre le travail convenu pour cause de maladie ou d’accident de bénéficier d’une procédure de reclassement au sein de l’entreprise, moyennant le cas échéant un changement de fonctions ou certains aménagements (399).

(395) Voy. supra, n° 19, et n° 16 in fine sur l’interprétation à donner à une telle clause. (396) Cette disposition énonce :« S’il apparaît au cours du voyage qu’une part importante des services faisant l’objet du contrat

ne pourra être exécutée, l’organisateur de voyages prend toutes les mesures nécessaires pour offrir au voyageur des substituts appropriés et gratuits en vue de la poursuite du voyage.

En cas de différence entre les services prévus et les services réellement prestés, il dédommage le voyageur à concurrence de cette différence.

Lorsque de tels arrangements sont impossibles ou que le voyageur n’accepte pas ces substituts pour des raisons valables, l’organisateur de voyages doit lui fournir un moyen de transport équiva-lent qui le ramène au lieu de départ et est tenu, le cas échéant, de dédommager le voyageur. »

(397) Cass., 13 mars 2015, n° C.14.0335.N, pt 1. Comp., en France, F. GARRON, La caducité du contrat, op. cit., n° 193, p. 235.

(398) Art. 18, § 2, 3° juncto § 3, de la loi. Voy. à ce propos M. VERHOVEN, « Rechten van vliegtui-gpassagiers bij overmacht », R.G.D.C., 2012, p. 103 (cité par le ministère public dans le sommaire de l’arrêt du 13 mars 2015).

(399) Voy. les art. 39 et s. de l’arrêté royal du 28 mai 2003 relatif à la surveillance de la santé des travailleurs ; voy. et comp. à ce propos M. DAVAGLE, « L’incapacité définitive d’exercer son tra-vail (III/III). Le sort du contrat en cas d’acceptation ou de refus d’appliquer la décision du médecin du travail considérant le travailleur définitivement incapable de continuer à exercer son travail », Ors, 2011/2, nos 137 et s., pp. 19 et s.

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Plus délicate, en revanche, est la portée de dispositions du Code civil, telles que les articles 1638 et 1705, qui laissent le choix au créan-cier, malgré une impossibilité fautive d’exécution imputable au débi-teur, entre la résolution et l’exécution forcée par équivalent, donnant à penser que le contrat ne serait donc pas caduc de plein droit (400). Toutefois, dans la mesure où ces articles ont été rédigés à une époque où ni la figure de la caducité, ni celle de la responsabilité contrac-tuelle comme source autonome d’obligation n’existaient (401), il me paraît difficile d’y déceler la volonté certaine du législateur d’exclure le recours à la caducité dans de telles hypothèses.

34. Situations obscures : thèses en présence. Dans les autre cas, les opinions sont partagées. Elles peuvent schématiquement se ranger en trois groupes.

I. Un premier courant défend le caractère strictement subsidiaire de la caducité. On fait valoir ainsi que la caducité ne présente d’uti-lité que dans les cas où on ne peut faire appel à une autre cause de dis-solution du contrat. Puisque la résolution pour inexécution couvre déjà les cas où une faute est imputable au défendeur (généralement le débiteur), et la théorie des risques ceux où l’impossibilité d’exé-cution résulte de la force majeure et n’est donc imputable à la faute d’aucune partie, la caducité viserait donc essentiellement l’hypo-thèse où la partie qui a fautivement causé l’impossibilité d’exécution entend s’en prévaloir pour provoquer la dissolution du contrat (402).

Dans le même ordre d’idées, on fait valoir que le fondement de la caducité doit être spécifique (403), en ce sens qu’elle ne peut jouer que lorsqu’une autre cause d’extinction n’est pas de nature à justi-fier l’anéantissement de la convention (404). Elle serait donc subsi-diaire aux autres modes d’extinction, telle que la théorie des risques ou la résolution pour inexécution (405).

De manière plus générale, on rappelle enfin que le principe géné-ral du droit de la caducité ne peut être invoqué lorsqu’une disposi-tion légale particulière est applicable en l’espèce (406).

(400) Voy. supra, n° 22. (401) Sur l’invention de ces institutions, voy. supra, nos 23 et s. (402) Voy. T. DE LOOR, op. cit., R.W., 1995-1996, n° 60, p. 776. (403) F. GARRON, La caducité du contrat, op. cit., n° 12, p. 41. (404) F. GARRON, La caducité du contrat, op. cit., n° 23, p. 48. (405) F. GARRON, La caducité du contrat, op. cit., n° 85, pp. 106-107. (406) C. CAUFFMAN, op. cit., R.W., 2005-2006, n° 3, p. 861.

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Cette présentation de la caducité comme étant cantonnée à un rôle purement subsidiaire ne me paraît pas pouvoir être suivie. En effet, comme exposé précédemment (407), la caducité présente dès l’origine un certain potentiel subversif, puisqu’elle permet au débi-teur responsable de l’impossibilité d’exécution de se prévaloir de la dissolution du contrat alors que, à s’en tenir aux termes de l’ar-ticle 1184 du Code civil, seul le créancier aurait pu demander celle-ci en justice. L’existence de cette disposition légale précise, destinée à régler les conséquences de l’inexécution et de l’impossibilité d’exé-cution (408), n’a donc pas empêché la Cour de cassation d’admettre un mode de dissolution original répondant à un régime différent de celui prévu par ce texte.

II. Une seconde opinion tente d’expliquer ce résultat en présen-tant la caducité comme jouant sur un plan entièrement différent de celui de la résolution. Les deux institutions seraient donc comme deux droites parallèles, jamais susceptibles de se croiser ni donc de se contredire. Plus précisément, on considère ainsi que la caducité répondrait à la question du maintien du contrat mais serait étran-gère à toute idée de responsabilité des parties, qui devrait quant à elle être appréciée sur la base, selon le cas, des règles applicables à la résolution ou à la théorie des risques (409).

Cette thèse ne me paraît pas entièrement convaincante. Certes, il est exact que la caducité laisse entière la responsabilité contrac-tuelle de la partie à qui l’impossibilité d’exécution serait éventuel-lement imputable (410). Toutefois, il me paraît plus difficile de sou-tenir que la caducité ne puisse jamais influencer l’application de la

(407) Voy. supra, n° 32. (408) Voy. égal., dans le cadre du bail, les art. 1722 et 1741 C. civ. (409) Voy. en ce sens S. STIJNS, De gerechtelijke en buitengerechtelijke ontbinding van overeenkoms-

ten, op. cit., n° 43, pp. 86 et s. : « het verval gedeeltelijk andere gronden van tenietgaan overlapt, doch zonder deze geheel te kunnen vervangen of zelfs maar te verdringen. Het verval geeft immers antwoord op een andere vraagstelling. Niet deze naar de aansprakelijkheid of bevrijding van partijen, maar naar het lot van het contract dat geen bestaansreden meer heeft. Omdat het antwoord op deze laatste vraag zich in werkelijkheid letterlijk aan de partijen opdringt, gaat zij het aansprakelijkhidsonderzoek vooraf ». Elle ajoute que « Het verval gaat als het ware noodgedwongen en onafwendbaar vooraf aan de aansprakelijkheidsvraag en staat er los van. Maar dit sluit niet uit dat de aansprakelijkheid van de partijen ooit in rechte wordt getoetst. Doch deze toetsing is slechts eventueel en a posteriori. In die fase hernemen de regels van aansprakelijkheid hun plaats, de gerechtelijke ontbinding en de risicoleer kunnen verder toepassing vinden, doch niet meer om het lot van het contract te bepalen, doch enkel de eventuele schadeplichtigheid ». Voy. égal. B. CLAESSENS et N. PEETERS, op. cit., Bestendig Handboek Verbintenissenrecht, V.3, n° 4427, p. 40c ; T. DE LOOR, op. cit., R.W., 1995-1996, n° 56, p. 775.

(410) Voy. supra, nos 23 et s.

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résolution pour inexécution ou de la théorie des risques. En effet, avant d’apporter une réponse à la question de la responsabilité, ces deux institutions constituent avant tout un mode de dissolution du contrat, d’où précisément le risque de concurrence avec la caducité.

Supposons ainsi qu’un contrat soit rendu impossible à exécuter par la faute du débiteur. En ce cas, si l’on admet que la caducité qui en résulte s’impose aux deux parties et peut être invoquée par chacune d’elles (411), alors le créancier se trouve de ce fait dispensé d’agir en justice pour obtenir la résolution du contrat. En outre, si l’on admet que la caducité puisse avoir des effets moins étendus dans le temps que la résolution (412), il devient alors crucial de déterminer si le créancier peut encore agir en résolution d’un contrat déjà frappé de caducité ou si, au contraire, la caducité se substitue entièrement dans ce cas à la résolution. On n’échappe donc pas à la question de l’articulation exacte entre les différents modes de dissolution du contrat.

III. En réalité, la caducité «  apparaît donc comme un principe d’une nature particulière puisque s’il est recouvert en partie par d’autres causes de dissolution (théorie des risques, art. 1184 C. civ., révocation), il ne se confond pas entièrement avec elles, et, de plus, apporte des dérogations au mécanisme ordinaire de celles-ci » (413). C’est l’étendue de ces dérogations que je vais maintenant m’effor-cer de préciser en examinant, dans chaque cas, les implications concrètes d’un effet subsidiaire ou subversif de la caducité, afin de tenter d’identifier la solution la plus adéquate (414). Je commencerai à cet égard par le terrain le mieux balisé, puisqu’il s’agit de celui de la résolution pour inexécution, déjà défriché par l’arrêt du 28  no-vembre 1980 (b). Je poursuivrai en examinant la problématique de la théorie des risques (c) et de la nullité (d) et me risquerai enfin à faire une brève incursion sur le terrain des restitutions consécutives à la dissolution du contrat (e).

(411) Voy. supra, n° 31. Ceci semble également résulter du passage cité à la note n° 409. (412) Voy. supra, n° 31. (413) P.A. FORIERS, « Observations sur la caducité des contrats par suite de la disparition de leur

objet ou de leur cause », op. cit., n° 18, p. 95. (414) Outre les institutions examinées ci-après, on rappellera également que la résiliation irré-

gulière d’un contrat à durée indéterminée, de même que celle d’un contrat de travail à durée déter-minée ou indéterminée, constituent des hypothèses de caducité dans la mesure où il est impossible d’ordonner la poursuite de l’exécution de la convention (voy. supra, n° 17).

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Avant cela, on précisera encore que, pour éviter ces difficultés, il y a évidemment intérêt à rapprocher, autant que possible, par la voie de l’interprétation, les conditions et les effets des différentes causes de dissolution du contrat, dans la mesure où elles reposent sur une impossibilité d’exécution (415).

b) Résolution pour inexécution

35. Comparaison entre les deux institutions. Pour bien saisir l’en-jeu de la détermination du domaine respectif de la caducité et de la résolution pour inexécution, il convient de procéder à une comparai-son systématique des deux institutions. Celle-ci révèle les différences suivantes (416).

I. La caducité suppose une impossibilité définitive d’exécution, fautive ou non fautive, tandis que la résolution peut résulter de toute inexécution du contrat suffisamment grave, imputable à la faute du débiteur (donc non seulement une impossibilité fautive et définitive d’exécution, mais aussi, par exemple, une impossibilité temporaire d’exécution, une exécution défectueuse mais encore susceptible d’être remédiée voire un simple retard dans l’exécution).

II. La caducité peut frapper tout contrat, qu’il soit unilatéral ou synallagmatique (417). La résolution suppose au contraire un contrat synallagmatique.

III. La caducité intervient sans mise en demeure préalable, tandis que la résolution doit en principe être précédée de celle-ci. Toutefois, on admet qu’une telle mise en demeure n’est plus requise lorsqu’elle serait inutile  ; tel est précisément le cas en cas d’impossibilité

(415) Voy. en ce sens P.A.  FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essentiel à leur formation, op. cit., n° 90, p. 91. Un tel souci de rapprochement repose également sur une certaine vision du droit fondée, dans la lignée de la pensée de R. DWORKIN, sur la reconstruction d’un ordre juridique le plus cohérent possible (voy. à ce propos R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., nos 13 et s., pp. 23 et s., et réf. citées).

(416) Voy. T. DE LOOR, op. cit., R.W., 1995-1996, n° 56, p. 775 ; P.A. FORIERS, « Observations sur la caducité des contrats par suite de la disparition de leur objet ou de leur cause », op. cit., n° 18, pp. 95 et s. ; S. JANSEN, Prijsvermindering, op. cit., n° 894, pp. 703 et s. De manière plus générale, sur les caractéristiques de la résolution, cons. S. STIJNS, De gerechtelijke en buitengerechtelijke ontbinding van overeenkomsten, op. cit. ; P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, Les obligations, op.  cit., nos  582 et s., pp.  895 et s.  ; P.  WÉRY, Droit des obligations, vol.  1, op. cit., nos  659 et s., pp. 624 et s. Celles de la caducité ont été exposées ci-avant.

(417) T. DE LOOR, op. cit., R.W., 1995-1996, n° 56, p. 775.

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d’exécution (418). Sur ce point, les deux institutions ne se distinguent donc pas vraiment.

IV. La caducité intervient de plein droit, tandis que la résolution doit en principe être demandée en justice (art. 1184, al. 2 et 3, C. civ.).

Si la caducité est contestée, il peut certes être demandé au juge de constater ou non si elle est intervenue avant sa saisine. La diffé-rence avec une résolution prononcée en justice n’apparaît cependant pas purement théorique (419). En effet, lorsqu’une partie croit pou-voir agir en résolution, elle demeure néanmoins tenue par le contrat tant que la résolution n’a pas été prononcée, et commet donc elle-même une faute en refusant d’exécuter le contrat dans l’intervalle (sauf à pouvoir se prévaloir de l’exception d’inexécution) (420). Par conséquent, même si cette partie obtient finalement la résolution du contrat, elle aura elle-même commis une faute qui ne sera pas néces-sairement effacée par la résolution (421) et qui pourrait justifier le cas échéant que la résolution soit prononcée aux torts réciproques des parties. À l’inverse, lorsqu’une partie croit pouvoir invoquer la caducité du contrat, cette dernière est censée avoir mis fin immé-diatement un contrat. Pour autant que les conditions de la caducité soient véritablement remplies, cette partie ne commet donc aucune faute en refusant de continuer à exécuter le contrat sans attendre que la caducité en soit confirmée en justice.

Certes, la résolution peut également intervenir de manière extra-judiciaire, soit en vertu d’une clause résolutoire expresse, soit même de manière unilatérale dans des circonstances particulières (urgence, perte de confiance entre les parties, etc.). Toutefois, même dans ce

(418) T. DE LOOR, op. cit., R.W., 1995-1996, n° 56, p. 775. (419) En ce sens, cependant, S. JANSEN, Prijsvermindering, op. cit., n° 894, p. 704. (420) R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 357, p. 831. (421) Voy. en ce sens Cass., 5 décembre 2014, Pas., 2014, n° 755, pt 11, A.C., 2014, n° 755, avec les

conclusions contraires de M. l’avocat général A. VAN INGELGEM : « La résolution du contrat aux torts d’une partie contractante n’a pas pour conséquence de la priver du droit de prétendre à la réparation du dommage qu’elle a subi en raison du manquement de l’autre partie, même si elle n’a pas demandé la résolution du contrat sur cette base ». Il faudra toutefois veiller dans ce cas à circonscrire précisé-ment le dommage réparable en tenant compte du fait que le contrat a été rétroactivement dissous (comp., sur le maintien partiel du droit aux dommages-intérêts en cas de manquement antérieur à la défaillance de la condition suspensive, R.  JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 530, pp. 1126 et s.).

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cas, elle suppose au minimum une notification adressée par le créan-cier au débiteur (422).

V. La caducité peut être invoquée par chaque partie au contrat, y compris donc par la partie qui a provoqué l’impossibilité d’exé-cution. La résolution ne peut quant à elle être demandée que par la victime de l’inexécution, qui peut choisir entre l’exécution du contrat – tant qu’elle demeure possible – et la résolution (art. 1184, al. 2, C. civ.) (423). Elle ne peut donc être invoquée par le débiteur en faute, ni même par le créancier lorsque l’inexécution lui est impu-table (424). Cette différence s’explique par l’idée que la résolution est une sanction au profit de la victime, et ne peut dès lors être invoquée que par celle-ci (425). Toutefois, lorsque chaque partie a manqué à ses engagements, la résolution peut être demandée par chaque par-tie et est alors prononcée, le cas échéant, aux torts réciproques des parties.

VI. La caducité implique une compétence liée du juge en ce sens que, dès que l’impossibilité définitive d’exécution est acquise, l’obli-gation et, le cas échéant, le contrat tombent automatiquement. La résolution suppose en revanche un pouvoir d’appréciation du juge en opportunité quant à la gravité du manquement, et donc, une compétence discrétionnaire (426).

(422) En cas de clause résolutoire expresse, voy. Cass., 24 mars 1995, Pas., 1995, I, p. 358 ; en cas de résolution unilatérale, voy. Cass., 16 février 2009, Pas., 2009, n° 126 ; Cass., 2 mai 2002, Pas., 2002, n° 266, R.C.J.B., 2004, p. 293, note P. WÉRY, R.W., 2002-2003, p. 501, note A. VAN OEVELEN ; sur la résolution unilatérale, voy. égal. L. CORNELIS, « De ontbinding  : het treurige einde van een mooi verhaal  ?  », Sancties en nietigheden. Vormingsprogramma 2002-2003, Brussel, Larcier, 2003, pp. 226 et s. ; R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 360, pp. 837 et s. ; S. STIJNS, « La dissolution du contrat par un acte unilatéral en cas de faute dans l’inexécution ou de vice de formation », La volonté unilatérale dans le contrat, Bruxelles, Éditions Jeune Barreau de Bruxelles, 2008, pp. 325 et s.

(423) À cet égard, la première branche de l’option était classiquement comprise comme visant l’exécution en nature ou, lorsqu’elle n’était plus possible, l’exécution par équivalent, quant à elle toujours possible (voy. H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. III, op. cit., n° 98, D, p. 131). Nous avons vu, cependant, qu’en droit positif, l’impossibilité d’exécution en nature de l’obli-gation implique sa caducité et exclut dès lors toute possibilité d’exécution même par équivalent (voy. supra, n° 24).

(424) F. LAURENT, Principes de droit civil, t. XVII, op. cit., n° 125, p. 140. (425) P.A. FORIERS, « Observations sur la caducité des contrats par suite de la disparition de leur

objet ou de leur cause », op. cit., n° 6, p. 81. (426) Sur la différence entre compétence discrétionnaire et compétence liée, voy. récemment Cass.

(plén.), 19 février 2015, n° C.14.0369.N, avec les conclusions de M. l’avocat général C. VANDEWAL, et réf. citées. Même si le juge dispose donc à chaque fois d’un pouvoir d’appréciation (sur la réunion des conditions dans la caducité et en opportunité dans le second), la nature de ce pouvoir d’appré-ciation me paraît donc différente dans les deux cas. Comp. cependant S. JANSEN, Prijsvermindering, op. cit., n° 894, p. 704.

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VII. Contrairement à ce qu’on enseigne parfois, la caducité et la résolution produisent à mon sens des effets similaires dans le temps (427). En règle, elles n’interviennent que pour l’avenir, pour autant que le contrat soit divisible ; si, toutefois, le contrat est indi-visible, alors il peut tomber rétroactivement. Dans ce dernier cas, la résolution, qui constitue une sanction alors que la caducité est dépourvue de ce caractère, produit à mon avis des effets plus radi-caux que la caducité, spécialement dans les rapports avec les tiers.

VIII. La caducité et la résolution laissent toutes deux intactes la possibilité d’engager la responsabilité contractuelle de la partie en faute.

IX. La possibilité d’une caducité partielle est généralement ad-mise par la doctrine. À l’inverse, la possibilité d’une résolution par-tielle demeure très discutée (428).

36. Interactions entre les deux institutions. Le cas le plus frap-pant est précisément celui tranché par l’arrêt fondateur du 28 no-vembre 1980 (429)  : lorsque le contrat perd son objet par la faute du débiteur, celui-ci est admis, alors même qu’il ne pourrait agir en résolution du contrat, à se prévaloir de la caducité de celui-ci.

Cette idée de base suscite un certain nombre de questions.

Premièrement, il est permis de se demander si, dans la même si-tuation, le créancier est admis à se prévaloir d’initiative de la cadu-cité, ou s’il demeure quant à lui tenu d’agir en résolution s’il souhaite faire tomber le contrat dont, par hypothèse, le débiteur n’a pas invo-qué la dissolution.

Plusieurs arguments me paraissent plaider résolument en faveur de la première solution. Tout d’abord, la doctrine semble s’accor-der à considérer que la caducité intervient de plein droit, sans la moindre intervention des parties, chacune étant dès lors admise à s’en prévaloir (430). Ensuite, il semblerait paradoxal de traiter plus favorablement le débiteur en faute que le créancier victime de

(427) Il ne serait donc pas exact de considérer que la caducité du contrat interviendrait toujours pour l’avenir tandis que sa résolution serait toujours rétroactive : voy. supra, n° 31. Comp. cepen-dant T. DE LOOR, op. cit., R.W., 1995-1996, n° 56, p. 775.

(428) Pour un aperçu récent des opinions en présence, voy. et comp. R. JAFFERALI, La rétroac-tivité dans le contrat, op. cit., nos 478 et s., pp. 1043 et s., et S. JANSEN, Prijsvermindering, op. cit., nos 1250 et s., pp. 1001 et s.

(429) Voy. supra, n° 6. (430) Voy. supra, n° 31.

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l’inexécution. En effet, si le créancier n’était pas admis à invoquer d’initiative la caducité, il ne pourrait se délier du contrat qu’en agis-sant en justice en vue d’obtenir du juge le prononcé de la résolution, tandis que le débiteur pourrait, quant à lui, se considérer libéré sans devoir accomplir la moindre démarche (431). Enfin, si l’on devait admettre que le créancier reste tenu d’agir en résolution, encore le régime de celle-ci se rapprocherait-il à bien des égards de celui de la caducité (432). Comme on l’a vu, en effet, le créancier serait dispensé d’adresser à son débiteur une mise en demeure, celle-ci s’avérant inu-tile. L’option que lui reconnaît l’article 1184 du Code civil serait du reste fort restreinte puisqu’il ne pourrait plus solliciter l’exécution, même par équivalent, du contrat (433). La seule chose qu’il lui serait permis de demander serait donc la résolution (avec le cas échéant des dommages-intérêts complémentaires). Le juge ne pourrait la lui refuser, son pouvoir d’appréciation n’ayant plus non plus lieu d’être en cas d’impossibilité totale et définitive d’exécution (434). Enfin, le créancier pourrait normalement se dispenser de saisir le juge, l’im-possibilité totale et définitive d’exécution étant l’une des circons-tances rendant le recours préalable au juge inutile et permettant dès lors la résolution extrajudiciaire de la convention (435). En résumé, la résolution présente dans ces circonstances une telle ressemblance avec la caducité qu’il paraît préférable d’admettre simplement que le créancier est autorisé, au même titre que le débiteur, à invoquer la caducité du contrat sans avoir besoin d’agir en résolution.

On notera que cette solution, qui repose comme on le voit sur des arguments forts, n’en demeure pas moins remarquable puisqu’elle implique, en quelque sorte, une nouvelle entorse apportée par la caducité au mécanisme de l’article 1184.

(431) Comp. S.  STIJNS, De gerechtelijke en buitengerechtelijke ontbinding van overeenkomsten, op. cit., n° 70, p. 119, qui estime qu’il serait contraire aux exigences de la bonne foi de continuer à considérer la victime d’une impossibilité définitive d’exécution comme tenue par le contrat jusqu’au prononcé judiciaire de sa résolution.

(432) Voy. supra, n° 35. (433) Du reste, même s’il fallait considérer qu’une exécution par équivalent était encore pos-

sible, le créancier risquerait de commettre un abus de droit en n’optant pas dans ce cas pour la résolution (comp. Cass., 6 janvier 2011, Pas., 2011, n° 12, avec les conclusions de M. l’avocat général A. HENKES).

(434) Voy. S.  STIJNS, De gerechtelijke en buitengerechtelijke ontbinding van overeenkomsten, op. cit., n° 165, p. 245.

(435) Voy. en ce sens S. STIJNS, De gerechtelijke en buitengerechtelijke ontbinding van overeenkoms-ten, op. cit., n° 471, p. 610.

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Une deuxième question vient alors à l’esprit. Lorsque le contrat devient impossible à exécuter par la faute du débiteur, le créancier se trouve délié du contrat sans être tenu d’agir en résolution. Le peut-il encore néanmoins ? (436) La réponse me semble être positive (437). La Cour de cassation admet en effet que la résolution d’un contrat puisse encore être prononcée alors que ce contrat a déjà pris fin pour une autre cause, telle qu’un congé produisant ses effets à la même date (438). Rien ne me paraît donc s’opposer à ce que le créancier agisse en résolution d’un contrat déjà caduc par disparition de l’ob-jet. Dans cette mesure, la caducité présente donc encore un caractère subsidiaire à la résolution.

Le juge pourra, à cette occasion, clarifier les questions relatives à l’imputabilité de l’impossibilité d’exécution et de l’étendue des res-titutions et des dommages-intérêts dus (439). Il pourra également arriver que l’impossibilité partielle d’exécution intervenue ne justi-fie, eu égard à la divisibilité du contrat, qu’une caducité partielle du contrat, mais que le créancier parvienne à obtenir, en raison de la gravité des manquements du débiteur et de la perte de confiance qui en résulte, la résolution totale de la convention (440).

(436) Il est vrai qu’une telle action en résolution, si elle se fonde également sur l’impossibilité d’exécution du contrat, ne se distinguera généralement guère, dans ses effets pratiques, d’une action tendant à faire constater l’existence de la caducité préalablement intervenue de plein droit. On a vu, en effet, que la caducité et la résolution produisent des conséquences très similaires, puisque toutes deux laissent intacte la responsabilité contractuelle éventuellement encourue par les parties et produisent en principe les mêmes effets dans le temps, sous réserve de ce que l’effet rétroactif de la résolution s’avère sans doute plus radical dans les rapports avec les tiers (voy. supra, n° 31). Toute-fois, il peut arriver que la résolution remonte plus loin dans le temps que la caducité dans la mesure où elle se fonde sur des manquements antérieurs à la perte de l’objet. On songe notamment au cas où le preneur était en défaut depuis plusieurs mois de payer le loyer avant que l’immeuble ne brûle par sa faute (comp. J.P. Torhout, 29 octobre 1991, R.W., 1992-1993, p. 786). Sur la date jusqu’à laquelle remonte la résolution dans les contrats successifs, voy. R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., nos 428 et s., pp. 959 et s., et réf. citées.

(437) P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, Les obligations, op. cit., n° 650, p. 992 ; voy. égal. en ce sens J.P.  Torhout, 29  octobre 1991, R.W., 1992-1993, p.  786  ; P.A.  FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essentiel à leur formation, op. cit., n° 58, p. 57 ; S. STIJNS, De gerechtelijke en buitengerechtelijke ontbinding van overeenkomsten, op. cit., n° 44, p. 88 ; contra : F. GARRON, La caducité du contrat, op. cit., n° 200, p. 246, pour qui l’action en résolution serait dépourvue d’objet.

(438) Voy. Cass., 19 mai 2011, Pas., 2011, n° 326, avec les conclusions de M. l’avocat général J.-M. GENICOT ; voy. égal. Cass., 25 février 1991, Pas., 1991, I, n° 345, avec les conclusions de M. le premier avocat général J.-F. LECLERCQ, alors avocat général ; pour plus de détails, voy. R. JAFFE-RALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 355, pp. 825 et s.

(439) Les effets de la résolution ne se limitent donc pas à la question des dommages-intérêts (comp. supra, n° 34).

(440) Comp., sur les possibilités de résolution en cas d’inexécution partielle définitive, S. STIJNS, De gerechtelijke en buitengerechtelijke ontbinding van overeenkomsten, op. cit., n° 165, pp. 245 et s. ; comp. également P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément

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c) Théorie des risques

37. Comparaison entre les deux institutions. Tout comme la cadu-cité, la théorie des risques est une construction prétorienne qui n’est pas expressément formulée par le Code, même si elle peut s’appuyer sur certaines de ses dispositions. Ainsi, selon la Cour de cassation, l’article 1722 « n’est qu’une application de la règle de droit suivant laquelle, dans les contrats synallagmatiques, l’extinction, par la force majeure, des obligations d’une partie, entraîne l’extinction des obligations corrélatives de l’autre partie et justifie, dès lors, la dissolution du contrat » (441).

Cette origine commune, avec la souplesse qu’elle implique, ex-plique peut-être l’importance des points communs entre la théorie des risques et la caducité par disparition de l’objet. Je reprendrai ici brièvement les caractéristiques de la caducité déjà épinglés précé-demment (442).

I. Les deux institutions supposent chacune une impossibilité d’exécution. La caducité requiert cependant toujours une impossibi-lité définitive. La théorie des risques, quant à elle, peut entrer en jeu sur la base d’une impossibilité définitive ou même temporaire. Dans ce dernier cas, le contrat est simplement suspendu, sauf s’il finit par perdre toute utilité pour le créancier, auquel cas l’impossibilité est réputée définitive (443).

II. La caducité peut frapper tout contrat, qu’il soit unilatéral ou synallagmatique, tandis que la théorie des risques n’intéresse que les contrats de cette dernière catégorie.

III. Aucune mise en demeure n’est requise, que ce soit pour invo-quer la caducité ou la théorie des risques.

essentiel à leur formation, op. cit., n° 90, p. 91, qui considère que la résolution devrait être admise plus facilement que la caducité.

(441) Voy. Cass., 17 juin 1993, Pas., 1993, I, n° 291, avec les conclusions de M. l’avocat général JANSSENS DE BISTHOVEN, R.C.J.B., 1996, p. 227, note J. HERBOTS ; Cass., 27 juin 1946, Pas., 1946, I, p. 271, quatrième moyen, et la note (5) signée R.H., J.T., 1947, p. 166, note M. SLUZNY, R.C.J.B., 1947, p. 268, note A. DE BERSAQUES. Sur la théorie des risques, cons. not. P.A. FORIERS et C. DE LEVAL, op. cit., Le droit des obligations contractuelles et le bicentenaire du Code civil, nos  31  et s., pp. 265 et s. ; P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, Les obligations, op. cit., nos 564 et s., pp. 865 et s. ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., nos 568 et s., pp. 543 et s.

(442) Voy. supra, n° 35. (443) Voy. Cass., 13 janvier 1956, Pas., 1956, I, p. 460.

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IV. Elles interviennent toutes deux de plein droit, sans qu’une action en justice ne soit requise au préalable. En effet, l’impossibilité d’exécution étant acquise, le juge ne pourrait en toute hypothèse accorder aucun délai au débiteur pour lui permettre de s’exécu-ter (444). L’intervention du juge demeure toutefois permise si une contestation surgit entre parties quant à la réunion des conditions d’application ou aux effets de ces institutions.

V. Chaque partie est habilitée à se prévaloir de la dissolution du contrat qui en résulte.

VI. En cas de contestation, le juge ne dispose que d’une compé-tence liée, en ce sens qu’il constate ou non si les conditions d’appli-cation de l’institution sont réunies mais n’exerce en principe aucun pouvoir d’appréciation en opportunité.

VII. Tant la théorie des risques que la caducité jouent en principe pour l’avenir, mais un certain effet rétroactif, de portée identique, peut néanmoins leur être reconnu dans la mesure où la convention présente un caractère indivisible (445).

VIII. Enfin, tant la caducité que la théorie des risques peuvent entraîner la dissolution partielle de la convention lorsque l’impossi-bilité d’exécution n’est elle-même que partielle.

38. Interactions entre les deux institutions. De manière générale, on peut considérer qu’en cas d’impossibilité définitive et fortuite d’exécution, la caducité par disparition de l’objet n’offre pas de vé-ritable plus-value par rapport à la théorie des risques (446) ou, ce qui revient au même, que la théorie des risques ne constitue qu’un cas d’application de la caducité par disparition de l’objet (447). En d’autres termes, rien ne sert de distinguer les concepts là où ceux-ci ne présentent aucune différence de régime (448).

À cet égard, on a bien tenté de trouver une utilité à la caducité de l’obligation en insistant sur le champ d’application limité de l’ar-ticle 1302 du Code civil : dans la mesure où celui-ci ne viserait que

(444) Voy. F. LAURENT, Principes de droit civil, t. XVI, op. cit., n° 270, p. 332. (445) Voy. supra, n° 31. (446) S. JANSEN, Prijsvermindering, op. cit., n° 894, p. 703. (447) P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 576, p. 548. (448) Il s’agit là d’un postulat emprunté à la philosophie pragmatique classique  ; voy. à ce

propos S. HAACK, « On Legal Pragmatism : Where Does “The Path of the Law” Lead Us ? », Am. J. Jurisp., 2005, vol. 50, pp. 75 et s.

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la perte des choses corporelles, un recours à la caducité serait néces-saire pour justifier l’extinction des obligations ayant un autre objet, devenu impossible à exécuter (449). Un tel détour apparaît cepen-dant inutile. En effet, la doctrine donne à cette disposition légale une portée tout à fait générale, quel que soit la nature de l’obligation en cause (450).

On soulignera par ailleurs que la caducité du contrat ne peut jouer lorsque la théorie des risques ne peut elle-même être appliquée en raison d’une inversion de la charge normale des risques. On sait, à cet égard, que par dérogation à la règle res perit debitori qui constitue le droit commun et signifie que la libération du débiteur par cas fortuit entraîne la libération corrélative du créancier (451), l’article  1138, alinéa 2, du Code civil fait peser les risques sur la tête de l’acheteur, avec pour conséquence que celui-ci demeure en règle tenu de payer le prix nonobstant la destruction de la chose vendue par cas fortuit. Puisque le jeu de la théorie des risques se trouve dans ce cas exclue, il en va de même de la caducité (452). L’article 1138, alinéa 2, constitue en d’autres termes l’expression certaine de la volonté du législateur d’écarter l’application de la caducité dans ce cas (453).

39. Perte partielle des lieux loués. Il reste encore une question dé-licate, qui est celle de la dissolution partielle du contrat. Lorsqu’ils abordent la problématique de l’impossibilité partielle d’exécution, de nombreux auteurs la présentent comme une simple transposition des principes applicables en cas d’impossibilité totale (454). Ainsi, le débiteur se trouve libéré dans la mesure de l’impossibilité d’exécu-tion, et le créancier se trouve lui-même libéré de ses obligations corré-latives dans la même mesure. Il en résulte en principe une réduction proportionnelle des obligations du créancier. Toutefois, s’il apparaît

(449) En faveur de cette solution, F. GARRON, La caducité du contrat, op. cit., n° 91, p. 112. (450) Voy. P.A. FORIERS et C. DE LEVAL, Le droit des obligations contractuelles et le bicentenaire

du Code civil, op. cit., n° 22, p. 258. De manière similaire, la Cour de cassation considère, malgré les termes de l’article 1722, que le principe qu’il énonce ne se limite pas aux hypothèses de perte maté-rielle de la chose (Cass., 17 juin 1993, Pas., 1993, I, n° 291, avec les conclusions de M. l’avocat général JANSSENS DE BISTHOVEN, R.C.J.B., 1996, p. 227, note J. HERBOTS).

(451) Voy. supra, n° 37. (452) Voy. déjà supra, n° 29. Tel est à mon sens la signification à donner à l’arrêt du 4 février

2005, analysé supra, n° 9. (453) Sur ce critère, voy. supra, n° 33. (454) Voy. H.  DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. II, op. cit., n°  849, p.  817  ;

P.A. FORIERS et C. DE LEVAL, Le droit des obligations contractuelles et le bicentenaire du Code civil, op. cit., n° 47, p. 277 ; P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, Les obligations, op. cit., n° 568, p. 871 ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 576, p. 548.

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que le contrat présente un caractère indivisible, eu égard à l’absence d’utilité que présenterait la partie encore exécutable du contrat si elle était maintenue, alors créancier et débiteur se trouvent entière-ment libérés et le contrat est dissous comme en cas d’impossibilité totale.

Ainsi comprise, la théorie des risques applicable en cas d’impos-sibilité partielle d’exécution ne se distinguerait guère de la caducité partielle telle que nous l’avons vue (455). Les choses s’avèrent ce-pendant plus complexes. En effet, analysant plus précisément l’ar-ticle 1722 du Code civil sur la base duquel la théorie des risques a été élaborée, de nombreux auteurs considèrent qu’en cas de perte par-tielle des lieux loués, seul le preneur aurait le pouvoir de choisir entre la dissolution totale ou partielle du bail, ce choix étant cependant soumis au contrôle du juge (456). Il en résulterait notamment, selon une jurisprudence bien établie de la Cour de cassation de France, qu’en cas de perte partielle des lieux loués, le bailleur n’aurait pas le pouvoir de demander la dissolution du bail, ce choix n’appartenant qu’au preneur (457).

À y regarder de plus près, cette solution recouvre en réalité deux questions distinctes (458), à savoir : (i) la dissolution partielle du contrat peut-elle être invoquée par les deux parties ou seule-ment par le créancier de l’obligation inexécutée (en l’occurrence, le preneur) (459), et (ii) cette dissolution partielle intervient-elle de plein droit ou doit-elle être demandée en justice ?

La caducité partielle, telle que nous l’avons jusqu’à présent envi-sagée (460), peut être invoquée par les deux parties et intervient de plein droit. Si, en revanche, on adhère à l’interprétation précitée de l’article 1722, alors la théorie des risques applicable en cas d’impossi-

(455) Voy. supra, n° 29. (456) Voy. H.  DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. IV, op. cit., n°  639a, 3°  ;

S.  JANSEN, Prijsvermindering, op. cit., n°  917, pp.  722 et s.  ; F.  LAURENT, Principes de droit civil français, t. XXV, n° 404, p. 449 ; Y. MERCHIERS, op. cit., Rép. not., t. VIII, l. 1, n° 563, p. 338 ; comp. égal. P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essentiel à leur formation, op. cit., n° 90, p. 91.

(457) Cass. fr., 30 octobre 2012, n° 11-25.275 ; Cass. fr., 1er février 1995, Bull., 1995, III, n° 33 ; Cass. fr., 16 mars 1994, n° 91-21.999 ; voy. aussi Cass. fr., 9 décembre 2009, Bull., 2009, III, n° 269.

(458) Lesquelles sont clairement distinguées par S. JANSEN, Prijsvermindering, op. cit., n° 917, p. 723.

(459) Cette dernière opinion conduit certains auteurs français à introduire l’idée de « caducité relative » (voy. F. GARRON, La caducité du contrat, op. cit., n° 168, p. 205).

(460) Voy. supra, n° 31.

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bilité partielle d’exécution ne pourrait, au moins en matière de bail, être invoquée que par le preneur et requerrait la saisine d’un juge. Comment dès lors articuler ces deux régimes ?

Si l’on adhère à une conception stricte de la subsidiarité de la ca-ducité (461), on considérera tout simplement que le régime spécial de l’article 1722 qui vient d’être synthétisé l’emporte sur la construc-tion prétorienne de la caducité partielle.

Cette conclusion ne me paraît toutefois pas satisfaisante, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, dans l’arrêt fondateur du 28  novembre 1980, on avait précisément affaire, en un certain sens du moins, à une perte partielle des lieux loués (462). On se souviendra, en effet, que le dé-faut d’entretien du bailleur, qui avait causé la destruction de l’ex-ploitation agricole, avait néanmoins laissé subsister le corps de ferme dans lequel le preneur continuait à habituer. Cela n’avait cependant pas empêché le juge du fond, approuvé en cela par la Cour de cassa-tion, de permettre au bailleur de se prévaloir de la perte totale des lieux loués impliquant la dissolution totale du bail, dans la mesure probablement où le bail visait dans l’esprit des parties à une exploi-tation des terres et non au seul logement du preneur. À cet égard, la circonstance que la perte de l’objet ait été fautive ne me paraît constituer pas un élément suffisant pour exclure la transposition de cette solution à la théorie des risques. En effet, si le débiteur-bailleur est autorisé à se prévaloir de la dissolution du bail lorsque la dispari-tion de son objet est causée par sa propre faute, il me paraît devoir a fortiori pouvoir en faire de même lorsque cette disparition ne résulte que d’un cas fortuit.

Certes, dans l’arrêt du 28 novembre 1980, le débat devant la Cour de cassation n’avait pas porté spécifiquement sur le caractère total ou partiel de la perte de l’objet. Il faut être conscient, cependant, que les hypothèses de perte partielle constituent de très loin l’hypothèse la plus fréquente. Les contrats contiennent en effet très fréquem-ment des clauses accessoires (de droit applicable, d’élection de for, d’arbitrage, de non-concurrence, de notification, de confidentialité, etc.) dont l’exécution demeure techniquement possible nonobstant

(461) Voy. supra, n° 34. (462) Voy. supra, n° 6.

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l’impossibilité d’exécution affectant les obligations principales nées du contrat. On peut également songer à l’hypothèse fréquente où une partie de l’objet subsiste mais ne répond plus aux intentions des parties (par exemple, lorsqu’après un incendie les lieux loués sub-sistent sous la forme des décombres et du terrain). Dans de tels cas de figure, où l’objet essentiel du contrat a disparu, il apparaîtrait exces-sif d’interdire au débiteur de se prévaloir de la caducité du contrat au seul motif que la perte ne serait pas totale (463).

Du reste, la possibilité reconnue à chaque partie de se prévaloir d’une dissolution partielle du contrat intervenue de plein droit n’a rien d’exceptionnel. On la rencontre en effet dans l’hypothèse où les parties insèrent dans leur contrat une condition résolutoire et qu’il résulte de leur volonté que la réalisation de cette condition doit lais-ser intacte certaines des stipulations convenues (464).

En réalité, l’article 1722 du Code civil me paraît devoir être relu à la lumière de la reconnaissance de la caducité dans notre droit posi-tif (465). Si le texte de cette disposition n’envisage que le cas où le preneur demande la diminution du loyer ou la résiliation du bail, c’est parce que c’est a priori cette partie qui est la mieux placée pour déterminer si, nonobstant la perte partielle des lieux loués, la par-tie subsistante présente encore une utilité suffisante pour justifier le maintien du contrat moyennant une réduction proportionnelle du loyer, ou si au contraire cette perte partielle doit être assimilée à une perte totale. Dans cette mesure, l’article  1722 n’a entendu à mon sens régler que le quod plerumque fit, sans exclure pour autant que le bailleur puisse établir, nonobstant l’opposition du preneur, que dans l’intention commune des parties, le bail a en réalité perdu tota-lement son objet (comme, par exemple, dans l’arrêt du 28 novembre 1980, lorsque la partie subsistante des lieux loués ne permet plus

(463) On objectera peut-être que l’objet doit être entendu à la lumière des intentions des parties (voy. supra, n° 16), que l’objet au sens juridique du terme ne se confond donc pas avec l’objet maté-riel concerné par le contrat, et que, dans cette mesure, la perte est donc bien totale. On concédera cependant qu’il sera souvent très difficile de distinguer en pratique entre la perte totale de l’objet juridique et la perte partielle de l’objet matériel. Un souci élémentaire de sécurité juridique incite donc à soumettre ces deux hypothèses au même régime.

(464) Voy. à ce propos R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 525, pp. 1117 et s., et réf. citées.

(465) Pour rappel, cette disposition est rédigée comme suit  : « Si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n’est détruite qu’en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l’un et l’autre cas, il n’y a lieu à aucun dédommagement ».

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de respecter la destination convenue) (466). La caducité du contrat constitue en effet un mécanisme objectif, découlant de l’interdépen-dance entre les obligations (467), et on n’aperçoit dès lors pas pour-quoi seule une des parties serait habilitée à s’en prévaloir. Si l’on ad-met dès lors que les deux parties peuvent invoquer la perte partielle des lieux loués pour en déduire les conséquences qui s’imposent, eu égard au caractère divisible ou indivisible du bail, rien n’empêche alors de considérer que la caducité, partielle ou totale, qui en résulte intervient bien de plein droit.

Certes, en cas de contestation entre les parties, un recours au juge sera toujours permis. On n’aperçoit pas, cependant, pour quel motif ce contrôle devrait nécessairement intervenir a priori alors que, dans le domaine voisin de la résolution, on admet que l’impossibilité fau-tive d’exécution constitue précisément une circonstance autorisant le recours à la résolution extrajudiciaire (468).

Une telle interprétation aurait donc le mérite d’assurer une unité de régime à la caducité, qu’elle soit totale ou partielle, fautive ou for-tuite, et qu’elle concerne le bail ou tout autre type de contrat (469). Elle constitue une autre illustration du potentiel subversif de la ca-ducité, qui impose de réexaminer attentivement les solutions posi-tives admises jusqu’alors.

d) Nullité

40. Interactions limitées entre les deux institutions. Les risques de chevauchement entre la nullité et la caducité par disparition de l’objet apparaissent, d’emblée, plus limités. La nullité constitue en effet une condition de formation du contrat tandis que la caducité suppose une impossibilité d’exécution survenue en cours d’exécu-tion  ; si cette impossibilité est contemporaine de la conclusion de l’acte, celui-ci est donc nul et non caduc (470).

(466) Du reste, il est permis de se demander si, en s’abstenant de demander la résiliation du bail alors que celui-ci ne présenterait plus objectivement aucune utilité pour lui, le preneur ne commet-trait pas un abus de droit (comp. supra, n° 36).

(467) Voy. supra, n° 29. (468) Voy. supra, n°  36. Pour le même rapprochement, voy. S.  JANSEN, Prijsvermindering,

op. cit., n° 925, pp. 728 et s. (469) Sur les mérites de la cohérence qui en résulte, voy. supra, n° 34. (470) Voy. supra, n° 13.

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À l’analyse, les choses s’avèrent cependant, une fois encore, plus complexes.

I. On sait en effet qu’en droit positif belge, la nullité est en prin-cipe judiciaire (471). Ceci signifie concrètement que, tant qu’il n’a pas été annulé en justice, le contrat nul produit les mêmes effets qu’un contrat valable, étant entendu cependant que son annulation l’effacera de manière rétroactive (472). Il en résulte, notamment, que lorsqu’un vendeur estime que la vente qu’il a conclue est entachée d’une cause de nullité, cela ne le dispense pas pour autant de livrer la chose au terme convenu ; même s’il pouvait raisonnablement esti-mer que la vente était nulle et ne commet aucune faute en agissant en nullité, il n’en demeure pas moins que, si l’action en nullité est finalement rejetée par le juge, il sera condamné aux dommages-in-térêts pour retard dans l’exécution de la vente (473).

Ces principes, bien ancrés dans notre droit positif, pourraient sem-bler malheureux à une époque où le recours au juge s’avère de plus en plus coûteux (474) et ardu, compte tenu de l’arriéré judiciaire. Ainsi, en présence d’une nullité (manifeste) de la convention, il ne semble plus opportun de toujours contraindre la partie qui entend s’en dé-lier à agir en justice, spécialement alors que la résolution unilatérale extrajudiciaire gagne du terrain (475). Ce sentiment explique sans doute le succès croissant d’alternatives à la nullité judiciaire, telles que l’idée qu’une clause puisse être réputée non écrite par le seul effet de la loi (476), spécialement en droit de la consommation (477).

(471) Sur ce principe et ses aménagements, voy. R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., nos 227 et s., pp. 470 et s.

(472) Voy. Cass., 21 mai 2007, Pas., 2007, n° 262, pt 6 ; Cass., 23 novembre 1956, Pas., 1957, I, p. 305.

(473) Voy. Cass., 30 octobre 2015, n° C.12.0296.F. (474) Outre la problématique de l’indemnité de procédure, on songe en particulier à la loi du

28  avril 2015 modifiant le Code des droits d’hypothèque, d’enregistrement et de greffe en vue de réformer les droits de greffe.

(475) Voy. sur ce point supra, n° 35. (476) Sur cette question, voy. et comp. R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit.,

n° 231, pp. 481 et s. ; S. STIJNS, La volonté unilatérale dans le contrat, op. cit., nos 74 et s., pp. 419 et s. ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., nos 333 et s., pp. 327 et s.

(477) Dans le domaine des clauses abusives imposées au consommateur, la Cour de justice pa-raissait à cet égard considérer qu’une telle clause ne lie pas le consommateur même en l’absence de toute action en justice de sa part (voy. en ce sens C.J.C.E, 4 juin 2009, Pannon GSM, C-243/08, ECLI :EU :C :2009 :350, pts 27 et s. ; voy. égal. S. STIJNS, La volonté unilatérale dans le contrat, op. cit., n° 73, p. 419 ; J. VAN ZUYLEN, « L’ordre public et le droit impératif dans les contrats spéciaux », Chro-nique de jurisprudence en matière de contrats, Liège, Anthemis, 2011, n° 25, p. 131 ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 335, p. 329). La jurisprudence récente de la Cour de justice paraît toutefois se montrer plus exigeante envers le consommateur. D’après celle-ci, « si la directive 93/13

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La Cour de cassation semble d’ailleurs bien avoir fait un (timide) pas dans cette direction dans un récent arrêt du 17  septembre 2015 (478). Dans cette affaire, le défendeur en cassation se plaignait de ne pas avoir reçu du demandeur, un mois avec la conclusion du contrat, les informations prévues à l’article  3 de la loi du 19  dé-cembre 2005 relative à l’information précontractuelle dans le cadre d’accords de partenariat commercial (479). En ce cas, l’article 5, ali-néa 1er, de la loi prévoit que «  la personne qui obtient le droit peut invoquer la nullité de l’accord de partenariat commercial dans les deux ans de la conclusion de l’accord » (480). La Cour de cassation a considéré à cet égard que cette disposition exige uniquement que la nullité de l’accord de partenariat commercial soit invoquée pendant le délai de deux ans, mais non qu’une action en nullité soit introduite dans ce délai (481). Cette décision est d’autant plus remarquable que le titulaire d’une action en justice ne peut en principe interrompre le délai de prescription de celle-ci qu’en introduisant l’action (482). Ce faisant, la Cour de cassation reconnaît donc certains effets de droit à l’invocation extrajudiciaire d’une cause de nullité alors que, dans la vision dominante de la théorie des nullités, la nullité n’est conçue que comme l’exercice en justice du droit de critique (483).

II. En attendant l’éventuelle consécration d’une véritable pos-sibilité d’annulation unilatérale sans recours préalable au juge

impose, dans les litiges mettant en cause un professionnel et un consommateur, une intervention positive, extérieure aux parties au contrat, du juge national saisi de tels litiges (...), le respect du principe d’effectivité ne saurait aller jusqu’à suppléer intégralement à la passivité totale du consom-mateur concerné. (…) Par conséquent, le fait que le consommateur ne peut invoquer la protection des dispositions législatives sur les clauses abusives que s’il engage une procédure juridictionnelle ne saurait être considéré, en soi, contrairement à ce que soutient la Commission, comme contraire au principe d’effectivité. En effet, la protection juridictionnelle effective garantie par la directive 93/13 repose sur la prémisse selon laquelle les juridictions nationales sont préalablement saisies par l’une des parties au contrat » (C.J.U.E., 1er octobre 2015, ERSTE Bank Hungary, aff. C-32/14, ECLI :EU :C :2015 :637, pts 62 et s.).

(478) Cass., 17 septembre 2015, n° C.14.0188.F, avec les conclusions de M. l’avocat général VAN INGELGEM.

(479) Devenu l’art. X.27 CDE. (480) Voy. aujourd’hui l’art. X.30, al. 1er, CDE. (481) Arrêt précité, pt 5. (482) Art. 2244, § 1er, C. civ. Ainsi, une simple mise en demeure ne suffit pas à interrompre la

prescription (M. MARCHANDISE, Traité de droit civil belge, t. VI, La prescription. Principes généraux et prescription libératoire, Bruxelles, Bruylant, 2014, n° 79, p. 122).

(483) Voy. par exemple Cass., 26 mars 2011, Pas., 2011, n° 224, où la confirmation est analysé comme une renonciation à la demande de nullité, c’est-à-dire en d’autres termes à l’action en justice.

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quoique toujours sous le contrôle a posteriori de celui-ci (484), la caducité pourrait déjà apporter un embryon de solution.

Supposons qu’une clause d’un contrat soit impossible à exécuter parce qu’elle heurterait une disposition d’ordre public (485). Ima-ginons ainsi un contrat d’entreprise prévoyant l’accomplissement par l’entrepreneur, sans recours possible à la sous-traitance (486), de certains travaux pour lesquels il ne dispose pas de l’autorisa-tion requise. Le contrat est dès lors frappé de nullité absolue (487). Néanmoins, compte tenu du caractère judiciaire de cette nullité, le maître de l’ouvrage demeure théoriquement tenu de payer le prix de l’ouvrage jusqu’à ce que cette nullité ait été prononcée en jus-tice. Cette exigence peut sembler peu problématique dès lors que, si l’entrepreneur s’avisait de demander le paiement du prix en justice, sa demande se heurterait alors à une exception de nullité, soulevée le cas échéant d’office par le juge. Il n’en demeure pas moins que le maître de l’ouvrage, qui voudrait se dispenser d’agir en justice, se trouve dans une situation inconfortable. Il se trouve en effet exposé, par exemple, au risque que l’entrepreneur effectue, sur la base du seul contrat d’entreprise et sans avoir besoin d’une autorisation pré-alable du juge (488), une saisie-arrêt conservatoire pour sûreté du prix. À cet égard, rien ne garantit que le juge des saisies se montre disposé à anticiper sur le prononcé de la nullité (489). Il me semble

(484) À ce propos, voy. et comp. R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 234, pp. 490 et s. ; S. STIJNS, op. cit., La volonté unilatérale dans le contrat, n° 68, pp. 410 et s. ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 322, p. 292 ; P. WÉRY, « La résolution unilatérale des contrats synallagmatiques, enfin admise ? », R.C.J.B., 2004, n° 32, pp. 345 et s.

(485) On rappellera à cet égard que l’impossibilité juridique d’exécution est également suscep-tible de déclencher l’application de la caducité : voy. supra, n° 17.

(486) En effet, la validité d’un contrat d’entreprise conclu avec un entrepreneur général ne dis-posant pas de l’accès à la profession pour tout ou partie des travaux visés au contrat ne peut, en règle, être mise en cause lorsque l’entrepreneur ne s’engage pas à effectuer lui-même les travaux nécessitant l’accès à la profession, ceux-ci devant être confiés à des sous-traitants ayant les attesta-tions requises (Cass., 13 janvier 2012, Pas., 2012, n° 40, avec les conclusions de M. le premier avocat général A. HENKES, alors avocat général).

(487) Cons. récemment à ce propos M.  DUPONT, «  Professions réglementées et sanctions judi-ciaires et civiles », J.T., 2015, pp. 631 et s. ; L.-O. HENROTTE, « La nullité absolue du contrat d’entre-prise conclu avec un entrepreneur qui ne dispose pas de l’accès à la profession ou l’histoire de “Nemo” en eaux troubles », Le Pli juridique, 2013/26, pp. 11 et s.

(488) Art. 1445 C. jud. (489) On sait, en effet, que le juge des saisies ne peut en principe modifier les rapports matériels

entre les parties au procès et que, s’il ne lui est pas interdit d’examiner ceux-ci, son examen demeure limité et provisoire ; voy. à ce propos les conclusions de M. le premier avocat général J.-F. LECLERCQ avant Cass., 3 septembre 2015, n° C.14.0310.N ; Cass., 12 janvier 2012, Pas., 2012, n° 31, A.C., 2012, n°  31, avec les conclusions de M. l’avocat général DUBRULLE  ; E.  DIRIX et K.  BROECKX, Beslag, 3e éd., Mechelen, Kluwer, 2010, nos 54 et s., pp. 39 et s. Comp., sur les pouvoirs du juge des référés

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toutefois que le maître de l’ouvrage pourra plus aisément s’opposer à une telle saisie en faisant valoir qu’indépendamment d’une éven-tuelle nullité dont le prononcé appartient au juge du fond, le contrat est en toute hypothèse impossible à exécuter dans la mesure de son illégalité et, partant, de plein droit caduc. La caducité apparaît ainsi comme un palliatif au caractère judiciaire de la nullité.

III. Il faut être conscient, cependant, qu’un raisonnement de ce type est de nature à remettre en cause certaines solutions que l’on croyait bien acquise. Songeons ainsi au cas – il est vrai fort parti-culier – de la nullité de la vente de la chose d’autrui (490). On sait à cet égard que sous l’Ancien droit, la vente n’était pas par elle-même translative de propriété ; le vendeur s’engageait seulement à trans-mettre la possession paisible de la chose à l’acheteur (491). Il en résultait que, si la chose vendue appartenait à autrui, le contrat de-meurait valable mais le vendeur pouvait simplement être condamné – dans la logique de la perpétuation de l’obligation sous la forme de dommages-intérêts qui avait cours à l’époque (492) – à indemni-ser l’acheteur (493). Les auteurs du Code civil ont bouleversé cette conception en faisant du transfert de propriété un élément consti-tutif essentiel du contrat de vente (494). Désormais, lorsque la pro-priété de la chose appartient à un tiers et ne peut dès lors être trans-férée par le vendeur, le contrat est frappé de nullité (495). Doctrine et jurisprudence ont cependant éprouvé un malaise à l’égard de cette nullité qui empiétait sur le terrain traditionnel de la garantie d’évic-tion, et ont dès lors tenté de l’enserrer dans des bornes étroites (496). C’est ainsi qu’on admet de longue date que cette nullité, étant rela-tive, ne peut être invoquée que par l’acheteur ; le vendeur n’est pas admis à s’en prévaloir (497). Il n’en demeure pas moins que, sauf si

d’anticiper sur le prononcé de la nullité du contrat, R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 228, p. 474.

(490) Voy. not. à ce propos H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. IV, vol. I, op. cit., nos 29 et s., pp. 65 et s. ; P. WÉRY, « La vente de la chose d’autrui et les obstacles à son annulation », note sous Cass., 8 février 2010, R.C.J.B., 2011, pp. 13 et s.

(491) Voy. P.A. FORIERS, « Variations sur le thème de la tradition », Justice et argumentation. Essais à la mémoire de Chaïm Perelman, Bruxelles, éd. Université de Bruxelles, 1986, n° 8, pp. 52 et s.

(492) Voy. supra, n° 21. (493) R.J. POTHIER, Traité des obligations, t. Ier, op. cit., n° 133, p. 167. (494) Art. 1583 C. civ. (495) Art. 1599 C. civ. (496) P.A. FORIERS, Justice et argumentation, op. cit., n° 9, pp. 54 et s. (497) Cass., 15  septembre 2011, Pas., 2011, n°  472, R.W., 2011-2012, p.  1515, note N.  VAN

HIMME ; Cass., 6 mars 1998, Pas., 1998, I, n° 125 ; Cass., 30 janvier 1941, Pas., 1941, I, p. 24.

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le vendeur a acquis entretemps la propriété de la chose, une telle vente demeure impossible à exécuter (498). Ne faut-il pas, dès lors considérer que le vendeur, à défaut de se prévaloir de nullité de la vente, peut néanmoins en invoquer la caducité ? (499) En ce cas, si le vendeur obtient finalement la propriété de la chose, celle-ci passerait à l’acheteur, non en exécution du contrat (puisqu’il est définitive-ment caduc), mais à titre de réparation en nature (puisque la cadu-cité laisse intacte la responsabilité contractuelle du vendeur) (500).

Tout le régime prétorien de la vente de la chose d’autrui se trou-verait de la sorte déjoué. Certains s’en réjouiront, en soulignant son caractère artificiel, pour ne pas dire abscons (501). D’autres s’effor-ceront, au contraire, de préserver celui-ci en invoquant un arrêt, peu commenté, du 15 septembre 2011 décidant que l’acheteur de la chose d’autrui, quoique habilité à confirmer la nullité relative édictée en sa faveur, ne peut pas pour autant poursuivre sur cette base la réso-lution de la vente pour inexécution (c’est-à-dire, plus précisément, pour manquement à la garantie d’éviction)  ; en effet, «  l’acheteur, qui invoque l’absence de transfert de propriété peut uniquement invoquer la nullité de la vente sur la base de l’article 1599 du Code civil et, s’il ignorait que la chose appartenait à autrui, demander, le cas échéant, des dommages-intérêts » (502). Si l’action en résolution se trouve exclue par l’article  1599 du Code civil, il semble raison-nable de déduire également de cette disposition la volonté certaine du législateur (503) d’exclure pareillement en ce cas la caducité de la vente, a fortiori lorsqu’elle est invoquée par le vendeur.

(498) La nullité de la vente de la chose d’autrui a d’ailleurs précisément été justifiée par l’idée que son objet est impossible à exécuter depuis l’origine (voy. G. BAUDRY-LACANTINERIE et L. SAIGNAT, Traité théorique et pratique de droit civil. De la vente et de l’échange, 3e éd., Paris, Sirey, 1908, n° 118, p. 110 ; H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. IV, vol. I, op. cit., n° 30, p. 66).

(499) La solution pourrait paraître choquante, mais pas plus, sans doute, que celle consistant à permettre au bailleur responsable de la perte des lieux loués d’invoquer la caducité du bail (voy. l’arrêt fondateur du 28 novembre 1980 analysé supra, n° 6).

(500) Comp. en ce sens H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. IV, vol. I, op. cit., n° 34, p. 82.

(501) Voy. à cet égard les critiques de H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. IV, vol. I, op. cit., n° 31, pp. 66 et s.

(502) Arrêt précité à la note n° 497. Cette décision se départit donc de l’opinion généralement admise selon laquelle l’acheteur a la possibilité d’invoquer la garantie d’éviction en lieu et place de la nullité de la vente (voy. H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. IV, vol. I, op. cit., n° 32, p. 71 ; F. LAURENT, Principes de droit civil français, t. XXIV, op. cit., n° 103, p. 111 ; P. WÉRY, op. cit., R.C.J.B., n° 16, p. 31).

(503) Sur cette limite au pouvoir subversif de la caducité, voy. supra, n° 33.

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e) Restitutions post-contractuelles

41. Défaut de pertinence de la caducité. Un dernier domaine que je souhaite évoquer est celui des restitutions postérieures à la disso-lution du contrat. Je pense principalement aux restitutions consécu-tives à la nullité, à la résolution pour inexécution ou à la réalisation d’une condition résolutoire. Sans vouloir entrer ici dans les détails de cette vaste question (504), je rappellerai simplement que les modes de dissolution précités donnent naissance à un rapport synallagma-tique inversé entre les parties, chacune étant tenue de restituer à l’autre ce qu’elle a reçu en exécution du contrat. Ainsi, par exemple, en cas d’annulation ou de résolution de la vente, le vendeur sera-t-il tenu à la restitution du prix tandis que l’acheteur sera tenu de res-tituer la chose.

Les restitutions pouvant être ordonnées longtemps après la conclusion du contrat, il n’est pas rare, cependant, qu’elles se heurtent à une impossibilité d’exécution, lorsque par exemple la chose a dans l’intervalle été consommée par une partie, aliénée à un tiers protégé par sa bonne foi (505), ou encore détruite par un cas fortuit. Il convient, à cet égard, de distinguer selon que la perte de la chose est imputable ou non à la partie débitrice de la restitution.

Lorsque la perte résulte d’une cause étrangère, doctrine et juris-prudence tendent très majoritairement, en droit belge, à transposer au rapport de restitution post-contractuel la théorie des risques éla-borées initialement dans le contexte contractuel. Plus précisément, le débiteur de la restitution (l’acheteur) se trouve libéré par la perte fortuite de la chose (506), en sorte que le créancier de la restitution (le vendeur), par application de l’adage res perit debitori, se trouve

(504) Cons. récemment à ce propos J. BAECK, Restitutie na vernietiging of ontbinding van overeen-komsten, Antwerpen et Cambridge, Intersentia, 2012 ; D. DE SART, « Les difficultés liées aux obliga-tions de restitution après annulation », Les obligations contractuelles en pratique, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2013, pp. 153 et s. ; P.A. FORIERS et C. DE LEVAL, « Les effets de la dissolution du contrat sur les dispositions contractuelles », Questions spéciales en droit des contrats, Bruxelles, Larcier, 2010, pp.  161 et s.  ; Fr. GLANSDORFF, «  Les obligations de restitution  », Questions spéciales en droit des contrats, Bruxelles, Larcier, 2010, pp. 72 et s. ; R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., nos 225 et s., pp. 466 et s.

(505) On songe en particulier, en matière mobilière, à l’article 2279 du Code civil. On sait, en revanche, qu’en matière immobilière, la propriété apparente n’est en principe pas protégée (voy. supra, n° 32).

(506) Art. 1302 C. civ.

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corrélativement libéré de son obligation de restituer le prix (507). Dans cette mesure, on peut dire que la perte fortuite de la chose à restituer rend caduc tout le rapport de restitution, même si cette ca-ducité ne se distingue guère de l’application de la théorie des risques à ce rapport.

Tout autre est en revanche la situation lorsque la perte de la chose est imputable au fait (même non fautif) du débiteur de la restitution. On admet en ce cas unanimement que celui-ci reste tenu de payer la contre-valeur de la chose. L’obligation de restitution, devenue im-possible à exécuter en nature, se maintient donc sous la forme d’une exécution par équivalent (508). On a donc conservé, dans le cadre des rapports post-contractuels, l’idée de la perpétuation de l’obligation inexécutée sous la forme de dommages-intérêts, qui avait cours dans le cadre des rapports contractuels proprement dit lors de l’adoption du Code civil (509). Le créancier de la restitution demeure, quant à lui, intégralement tenu de sa propre obligation de restitution, sauf à pouvoir opposer l’exception d’inexécution (510). En effet, au contraire de la théorie des risques, la résolution pour inexécution pré-vue à l’article 1184 du Code civil ne peut être appliquée au rapport de restitution consécutif à la dissolution du contrat (511). Dès lors et à la réflexion, l’application de la caducité aux rapports de restitu-tion post-contractuels me semble pareillement être exclue (512). Une

(507) Voy. not., en cas de nullité, H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. II, op. cit., n° 819, p. 791 ; R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 267, pp. 588 et s. ; S. NUDEL-HOLE, « Les incidences de la théorie des risques sur les restitutions consécutives à l’annulation d’un contrat », note sous Cass., 13 septembre 1985, R.C.J.B., 1988, n° 21, p. 239 ; T. STAROSSELETS, note sous Mons, 20 mai 2003, R.R.D., 2003, p. 261 ; P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, Les obligations, op. cit., n° 567, p. 869 ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 346, p. 340. On observera que la situation se trouve singulièrement compliquée dans le domaine des restitutions consécutives à la résolution du contrat par le fait que l’une des parties au moins se trouve néces-sairement en faute, puisqu’elle a par hypothèse commis un manquement suffisamment grave pour justifier la résolution de la convention. Cette circonstance, souvent perdue de vue lors de l’examen des restitutions, exerce une influence profonde sur l’application de la théorie des risques : voy. à ce propos R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., nos 449 et s., pp. 996 et s.

(508) Voy. not., en cas de nullité, H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. II, op. cit., n° 818, p. 789 ; R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 273, pp. 604 et s. ; S. NUDEL-HOLE, op. cit., R.C.J.B., 1988, n° 11, p. 231.

(509) Voy. supra, n° 21. (510) Voy. Cass., 21 novembre 2003, Pas., 2003, n° 586, R.G.D.C., 2006, p. 39, note P. WÉRY ;

Cass., 12 septembre 1986, Pas., 1987, I, n° 19 ; Cass., 23 novembre 1956, Pas., 1957, I, p. 305. (511) Voy. C. GUELFUCCI-THIBIERGE, Nullité, restitutions et responsabilité, Paris, LGDJ, 1992,

n° 843, p. 482 ; T. STAROSSELETS, « Effets de la nullité », La nullité des contrats, Bruxelles, Larcier, 2006, n° 5, p. 193.

(512) Sur ce lien effectué entre l’exclusion de la résolution pour inexécution et celle de la cadu-cité, voy. déjà, dans le cadre de la vente de la chose d’autrui, supra, n° 40.

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telle application risquerait du reste d’entraîner des conséquences inopportunes (513).

En bref, la caducité par disparition de l’objet ne me paraît guère présenter de pertinence dans le cadre des rapports post-contractuels de restitution, soit qu’elle se confonde avec la théorie des risques, soit qu’elle se trouve supplantée par un maintien de l’obligation sous la forme d’une exécution par équivalent en cas de perte imputable au débiteur de la restitution.

(513) En effet, dans les rapports contractuels, la caducité n’aboutit à une solution équitable que parce qu’elle laisse intacte la responsabilité contractuelle du débiteur en faute (voy. supra, n° 31). Elle peut en effet s’accompagner de dommages-intérêts complémentaires visant à compenser le dommage que l’extinction des obligations et les éventuelles restitutions consécutives ne suffisent pas à réparer. En revanche, dans le cadre des restitutions consécutives à l’annulation du contrat, le débiteur de la restitution peut parfaitement se retrouver dans une situation où il est, par son propre fait, dans l’impossibilité de restituer la chose sans pour autant qu’une faute lui soit véritablement imputable. Songeons ainsi au cas où la vente d’un meuble se trouve annulée en raison d’une erreur substantielle viciant le consentement du vendeur alors que la chose a dans l’intervalle été revendue de bonne foi à un sous-acquéreur également de bonne foi qui en a pris possession. Dans un tel cas de figure, s’il fallait admettre que le rapport de restitution soit caduque, entraînant la libération tant de l’acheteur de son obligation de restituer la chose que du vendeur de son obligation corrélative de restituer le prix, on n’aperçoit pas clairement sur quelle base ce dernier pourrait encore prétendre obtenir la condamnation de l’acheteur au paiement d’une indemnité destinée à couvrir la différence de valeur entre le prix de vente et la valeur réelle de la chose, au cas où celle-ci s’avérerait supérieure. L’application de la caducité compromettrait ainsi, sans raison valable, le retour au statu quo ante, qui constitue pourtant l’objectif premier poursuivi par l’effet rétroactif de la nullité et de la résolution pour inexécution.

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CONCLUSION

42. Prendre la caducité au sérieux. Depuis l’arrêt fondateur du 28 novembre 1980 (514), la caducité par disparition de l’objet jouit en droit positif belge d’une reconnaissance qui n’est plus guère contestée (515). Ainsi, l’obligation devenue impossible à exécu-ter s’éteint, quelle que soit la cause de cette impossibilité (516), en entraînant dans son sillage les obligations corrélatives ou, plus lar-gement, toutes celles auxquelles elle se trouve liée par un rapport d’indivisibilité (517).

Il n’est pas sûr, cependant, que chacun ait pris toute la mesure des ajustements que cette consécration impose d’apporter aux solu-tions enseignées jusqu’alors.

(514) Voy. supra, n° 6. (515) Voy. supra, n° 1. (516) Voy. supra, nos 13 et s. (517) Voy. supra, nos 28 et s.

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Ainsi, alors que De Page enseignait encore qu’en cas d’impossi-bilité d’exécution d’une obligation principale imputable à la faute du débiteur, le créancier avait le choix, soit d’exiger l’exécution par équivalent de ses obligations par le débiteur moyennant l’exécu-tion de ses propres obligations, soit de demander la résolution du contrat (518), en droit positif, il ne dispose plus d’un tel choix. En effet, le contrat est caduc de plein droit du seul fait de son impos-sibilité d’exécution. Si le créancier peut certes encore engager la responsabilité contractuelle du débiteur, celle-ci ne correspond nul-lement à une exécution par équivalent du contrat (519). En effet, les dommages-intérêts complémentaires à la caducité visent unique-ment à compenser le dommage qui n’est pas déjà réparé par la dis-pense accordée – et imposée – au créancier de fournir sa propre pres-tation. Alors que l’exécution par équivalent représentait la valeur de la totalité de la prestation du débiteur, les dommages-intérêts com-plémentaires à la caducité ne couvrent donc que la différence entre la valeur de la prestation du créancier et celle du débiteur (520).

Un autre changement majeur apporté au droit positif par la re-connaissance de la caducité est l’impact que celle-ci exerce sur les modes de dissolution du contrat classiquement analysés comme re-quérant un recours au juge. C’est ainsi que la caducité du contrat, qui intervient de plein droit dès qu’une obligation essentielle de ce-lui-ci devient impossible à exécuter en nature, permet, en cas d’im-possibilité fautive, au créancier de se prétendre délié de ses propres obligations sans même devoir agir en résolution (521). La caducité invite également à repenser l’application de la théorie des risques en cas d’impossibilité partielle d’exécution due à un cas de force majeure. Elle incite en effet à admettre une réduction proportion-nelle des obligations du créancier sans recours préalable à justice, nonobstant l’interprétation communément admise de l’article 1722 du Code civil (522). Enfin, même dans le domaine des nullités, d’or-dinaire nettement distingué de celui de la caducité en fonction du moment auquel l’impossibilité d’exécution se produit, la caducité peut, dans certains cas, constituer une alternative intéressante pour

(518) Voy. supra, n° 22. (519) Voy. supra, n° 24. (520) Pour un exemple chiffré, voy. supra, n° 25. (521) Voy. supra, n° 36. (522) Voy. supra, n° 39.

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la partie qui entend faire l’économie du prononcé judiciaire de la nullité (523).

Si la caducité a su trouver sans peine sa place en droit positif, son potentiel subversif ne doit donc pas être sous-estimé.

43. Fondement de la caducité – Prospectives. L’accueil chaleu-reux réservé par la doctrine et la jurisprudence à la figure de la ca-ducité par disparition de l’objet, en dépit des ajustements qu’elle commande d’apporter à certaines solutions jusque-là bien ancrées, s’explique sans doute, au moins pour partie, par la force du fonde-ment avancé pour justifier cette institution. La caducité par dispa-rition de l’objet est en effet présentée comme une conséquence auto-matique et nécessaire, découlant de la nature des choses (524).

Cette référence à la nature des choses doit être bien comprise (525). Contrairement à ce que l’on a pu croire (526), il ne s’agit nullement d’un appel à un ordre naturel, souvent fantasmé et instrumentali-sé (527), dans lequel on prétendrait trouver des enseignements per-tinents pour régir l’activité humaine. En effet, « la nature des choses pour le juriste n’est pas un retour nostalgique ou camouflé à un droit naturel. C’est très prosaïquement la reconnaissance par le juriste d’un agencement de faits ou de circonstances qui une fois reconnu

(523) Voy. supra, n° 40. (524) P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essen-

tiel à leur formation, op. cit., n° 20, p. 23 ; voy. égal. C. CAUFFMAN, op. cit., R.W., 2005-2006, n° 1, p. 860 ; B. CLAESSENS et N. PEETERS, Bestendig Handboek Verbintenissenrecht, op. cit., V.3, n° 4411, p. 36 ; T. DE LOOR, op. cit., R.W., 1995-1996, n° 35, p. 770 ; F. GARRON, La caducité du contrat, op. cit., n° 92, p. 114 ; R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 328, I, p. 758 ; I. MO-REAU-MARGRÈVE, C. BIQUET-MATHIEU et A. GOSSELIN, op. cit., Act. dr., 1997, p. 23 ; S. STIJNS, De gerechtelijke en buitengerechtelijke ontbinding van overeenkomsten, op. cit., n°  43, p.  87  ; P.  WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., 2e éd., n° 1020, p. 944. Comp. la justification traditionnelle don-née à l’extinction de l’obligation en cas d’impossibilité fortuite d’exécution : « Il ne peut y avoir de dette sans qu’il y ait quelque chose de dû, qui soit la matière et l’objet de l’obligation ; d’où il suit que lorsque la chose qui étoit due vient à périr, ne restant plus rien qui soit l’objet et la matière de l’obligation, il ne peut plus y avoir d’obligation. L’extinction de la chose due emporte donc néces-sairement l’extinction de l’obligation » (R.J. POTHIER, Traité des obligations, t. II, op. cit., n° 649, p. 124) ; comp. égal. la position de GRANDMOULIN, supra, n° 23.

(525) Voy. P.A. FORIERS, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essentiel à leur formation, op. cit., nos 20 et s., pp. 23 et s.

(526) Voy. ainsi O. CORTEN et A. SCHAUS, Le droit comme idéologie. Introduction critique au droit, Bruxelles, Kluwer, 2004, p. 229.

(527) Sur l’invocation récurrente, à des fins de domination, d’un prétendu droit naturel à l’en-contre des minorités (femmes, noirs, homosexuels, juifs...), cons. Fr. RIGAUX, Plaisirs, interdits et pouvoir. Une analyse des discriminations fondées sur le sexe, l’orientation sexuelle et la race, Antwer-pen, Kluwer, 2000, spéc. nos 19, 20, 23, 81, 83 et 99.

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s’impose à lui soit dans l’ordre de la réalité physique qu’il imagine, soit dans l’ordre rationnel auquel il souscrit » (528).

Cette mise au point permet également de souligner la relativité du fondement avancé. De manière générale, en effet, l’appel à la nature d’une institution juridique a souvent pour effet de laisser à l’arrière-plan du raisonnement les choix d’opportunité effectués, plus ou moins consciemment, pour aboutir à la solution retenue (529).

À cet égard, le régime de la caducité élaboré à partir de l’arrêt fondateur du 28 novembre 1980 s’inscrit harmonieusement dans la logique du système juridique belge (530). Il n’en est pas pour autant inéluctable, au sens où aucune autre solution ne serait envisageable. Le droit allemand en fournit une parfaite illustration. Nous avons vu en effet qu’en droit allemand, si l’impossibilité fautive d’exécution entraîne toujours l’extinction de l’obligation, il n’en va pas de même du contrat  : la dissolution de celui-ci demeure au pouvoir du seul créancier, qui peut préférer le maintien du contrat avec condamna-tion du débiteur à s’exécuter par équivalent, moyennant l’exécution par le créancier de ses propres obligations (531).

À l’heure où la réforme du droit des obligations est envisa-gée (532), ce système alternatif au droit positif belge, qui paraît plus respectueux des intérêts légitimes du créancier et mieux en phase avec le souci moderne de préserver autant que possible la survie du contrat (533), tout en renouant avec la tradition du Code civil de 1804 (534), mérite d’être examiné avec soin.

(528) P. FORIERS, « La motivation par référence à la nature des choses », La pensée juridique de Paul Foriers, vol. II, Bruxelles, Bruylant, 1982, pp. 795 et s., spéc. p. 812. Ainsi, par exemple, dans l’arrêt du 28 novembre 1980, rien n’empêcherait conceptuellement ni matériellement d’imposer au bailleur de reconstruire les lieux loués ; mais c’est parce que, dans l’ordre rationnel dans lequel on se place, l’obligation du bailleur se limite à l’entretien de la chose sans inclure sa reconstruction que l’on peut considérer que son obligation de faire jouir le locataire, devenue impossible à exécuter en nature, s’est éteinte par la force des choses (voy. P.A. FORIERS, Groupes de contrats et ensembles contractuels, op. cit., n° 39, p. 56).

(529) Voy. à ce propos K.F. RÖHL et H.C. RÖHL, Allgemeine Rechtslehre. Ein lehrbuch, Köln et München, Carl Heymann Verlag, 2008, § 7, V, p. 73 ; R. JAFFERALI, « La rétroactivité dans le contrat ou la recherche du juste milieu », R.G.D.C., 2015, n° 2, p. 125.

(530) Voy. supra, n° 1. (531) Voy. supra, n° 4. (532) Voy. à ce propos la «  Note de politique générale. Justice  », Doc. parl., Ch. repr., sess.

ord. 2015-2016, n° 54-1428/008, p. 44  ; E. DIRIX et P. WÉRY, « Pour une modernisation du Code civil », J.T., 2015, pp. 625 et s.

(533) Comme en témoigne la place croissante faite par le droit positif à des figures telles que la nullité partielle, la résolution partielle, la réduction du prix, l’imprévision, etc.

(534) Voy. supra, n° 21.

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