PREMIER SERMON.

7
PREMIER SERMON. Chap. I, v. 1—3. En lisant les Epistres que S. Paul a escrites çà et là, nous devons tousiours penser que Dieu a voulu qu'elles servissent, non pas seulement pour un temps ou pour certains peuples: mais à iamais, et en general pour toute l'Eglise. Et de faict, quand on aura bien consideré la doctrine qui y est contenue, il nous sera facile de iuger que Dieu a voulu estre escouté en ce qui est ici dit, iusqu'à la fin du monde. Et aussi il a eu telle solicitude de nous, qu'il n'a rien obmis ni oublié de ce qui nous pouvoit estre profitable à nostre salut. La somme de ceste Epistre que nous avons maintenant prinse à exposer, est que sainct Paul conferme ceux qui ont esté auparavant enseignez en l'Evangile, à fin qu'ils cognoissent que c'est là où il le faut arrester, comme à la vraye perfection de sagesse, et qu'il n'est point licite d'y rien adiouster. Et monstre que les biens qui nous ont esté apportez par nostre Seigneur Iesus Christ, et desquels nous sommes faits participans par le moyen de l'Evangile, sont si excellens, qu'il faut que nous soyons par trop ingrats, si nous voltigeons çà et là, comme n'ayans point de repos ou contentement. Et là dessus aussi il monstre ce que nous avons en Christ, à fin que nous soyons tellement retenus en luy, que nous ne presumions point d'emprunter aucune aide de costé ne d'autre, sçachant que nostre Seigneur Iesus nous a apporté le tout. Et d'autre part, il monstre qu'il a si bien pourveu à son Eglise, que si nous sçavons user des graces qu'il nous offre, nous aurons pleine et parfaite felicité. Et cependant il exhorte ceux qui ont esté ainsi enseignez en la verité de l'Evangile, de cheminer sainctement, et monstrer qu'ils ont profité (comme ils doyvent) en l'escole de Dieu. Or cela n'est pas seulement pour la ville d'Ephese, ne pour quelque pays: il n'est pas pour un aage, ou pour quelque temps: mais nous avons besoin d'estre ainsi avancez de plus en plus, voyant que le diable machine sans fin et sans cesse de nous desbaucher. Et quand il ne peut nous desvoyer du tout de la doctrine de Iesus Christ, il tasche de nous en desgouster en quelque façon, en la desguisant, et de nous entortiller en des curiosites nouvelles, pour faitre tant que nous ne soyons pas pleinement constans en la foy que nous avons receuë, mais que nous soyons en branle. Et puis, quand nous avons nos appetis fretillans, il est certain que d'un costé l'ouverture est faite pour effacer la memoire de tout ce que nous avions apprins auparavant, et recevoir beaucoup de folies, et mesmes des doctrines erronées, qui sont pour corrompre et pervertir toute la pureté de nostre foy. Nous voyons donc comme auiourd'huy la doctrine qui est contenue en ceste Epistre, s'adresse à nous, et qu'elie nous est dediee, et que Dieu par son conseil admirable a pourveu à ce que non seu- lement nous avons eu les fondemens de l'Evangile pour y estre appuyez, mais que de iour en iour nostre foy croisse, et qu'elle s'augmente, et que nous soyons avancez iusques à ce que nous soyons venus à nostre perfection. Or en premier lieu, sainct Paul s'attribue l'au- thorité qui luy estoit donnee de Dieu, à fin qu'on ne s'amuse point à sa personne, comme si un homme mortel avoit parlé. Car de faict, nostre Seigneur Iesus Christ est le seul Maistre duquel il nous faut apprendre: car le tesmoignage luy est donné du ciel (et non à autre) que c'est luy qu'il nous faut escouter. Comme aussi de tout temps Dieu a voulu avoir la conduite de son Eglise, et que sa parole fust receue sans contredit: mais ii n'a point donné ce priviîege-là à aucune creature. Or quand Iesus Christ a esté establi au lieu de Dieu son Pere, c'est d'autant qu'il est Dieu manifesté en chair, et qu'il est la verité infaillible, et sa sagesse qui a esté de tout temps. Au reste, si les hommes parlent, il faut que ce ne soit pas en leur nom privé, et que ils n'apportent aussi rien de leur fan- tasie ou cerveau, mais qu'ils proposent fidelement ce que Dieu leur a enioint, et ce qu'il leur a donné en charge. Voilà donc pourquoy sainct Paul use de ceste preface (comme partout) qu'il est Apostre de nostre Seigneur Iesus Christ. Il tient 16*

Transcript of PREMIER SERMON.

Page 1: PREMIER SERMON.

PREMIER SERMON.Chap. I, v. 1—3.

En lisant les Epistres que S. Paul a escritesçà et là, nous devons tousiours penser que Dieu avoulu qu'elles servissent, non pas seulement pourun temps ou pour certains peuples: mais à iamais,et en general pour toute l'Eglise. Et de faict,quand on aura bien consideré la doctrine qui y estcontenue, il nous sera facile de iuger que Dieu avoulu estre escouté en ce qui est ici dit, iusqu'à lafin du monde. Et aussi il a eu telle solicitude denous, qu'il n'a rien obmis ni oublié de ce qui nouspouvoit estre profitable à nostre salut. La sommede ceste Epistre que nous avons maintenant prinseà exposer, est que sainct Paul conferme ceux quiont esté auparavant enseignez en l'Evangile, à finqu'ils cognoissent que c'est là où il le faut arrester,comme à la vraye perfection de sagesse, et qu'iln'est point licite d'y rien adiouster. Et monstreque les biens qui nous ont esté apportez par nostreSeigneur Iesus Christ, et desquels nous sommesfaits participans par le moyen de l'Evangile, sontsi excellens, qu'il faut que nous soyons par tropingrats, si nous voltigeons çà et là, comme n'ayanspoint de repos ou contentement. Et là dessus aussiil monstre ce que nous avons en Christ, à fin quenous soyons tellement retenus en luy, que nous nepresumions point d'emprunter aucune aide de costéne d'autre, sçachant que nostre Seigneur Iesusnous a apporté le tout. Et d'autre part, il monstrequ'il a si bien pourveu à son Eglise, que si noussçavons user des graces qu'il nous offre, nous auronspleine et parfaite felicité. Et cependant il exhorteceux qui ont esté ainsi enseignez en la verité del'Evangile, de cheminer sainctement, et monstrerqu'ils ont profité (comme ils doyvent) en l'escolede Dieu.

Or cela n'est pas seulement pour la villed'Ephese, ne pour quelque pays: il n'est pas pourun aage, ou pour quelque temps: mais nous avonsbesoin d'estre ainsi avancez de plus en plus,voyant que le diable machine sans fin et sanscesse de nous desbaucher. Et quand il ne peut

nous desvoyer du tout de la doctrine de IesusChrist, il tasche de nous en desgouster en quelquefaçon, en la desguisant, et de nous entortiller endes curiosites nouvelles, pour faitre tant que nousne soyons pas pleinement constans en la foy quenous avons receuë, mais que nous soyons en branle.Et puis, quand nous avons nos appetis fretillans,il est certain que d'un costé l'ouverture est faitepour effacer la memoire de tout ce que nous avionsapprins auparavant, et recevoir beaucoup de folies,et mesmes des doctrines erronées, qui sont pourcorrompre et pervertir toute la pureté de nostrefoy. Nous voyons donc comme auiourd'huy ladoctrine qui est contenue en ceste Epistre, s'adresseà nous, et qu'elie nous est dediee, et que Dieu parson conseil admirable a pourveu à ce que non seu-lement nous avons eu les fondemens de l'Evangilepour y estre appuyez, mais que de iour en iournostre foy croisse, et qu'elle s'augmente, et quenous soyons avancez iusques à ce que nous soyonsvenus à nostre perfection.

Or en premier lieu, sainct Paul s'attribue l'au-thorité qui luy estoit donnee de Dieu, à fin qu'onne s'amuse point à sa personne, comme si unhomme mortel avoit parlé. Car de faict, nostreSeigneur Iesus Christ est le seul Maistre duquel il nousfaut apprendre: car le tesmoignage luy est donnédu ciel (et non à autre) que c'est luy qu'il nousfaut escouter. Comme aussi de tout temps Dieua voulu avoir la conduite de son Eglise, et que saparole fust receue sans contredit: mais ii n'a pointdonné ce priviîege-là à aucune creature. Or quandIesus Christ a esté establi au lieu de Dieu sonPere, c'est d'autant qu'il est Dieu manifesté enchair, et qu'il est la verité infaillible, et sa sagessequi a esté de tout temps. Au reste, si les hommesparlent, il faut que ce ne soit pas en leur nomprivé, et que ils n'apportent aussi rien de leur fan-tasie ou cerveau, mais qu'ils proposent fidelementce que Dieu leur a enioint, et ce qu'il leur adonné en charge. Voilà donc pourquoy sainct Pauluse de ceste preface (comme partout) qu'il estApostre de nostre Seigneur Iesus Christ. Il tient

16*

Page 2: PREMIER SERMON.

247 SERMON I 248

donques ce principe-là comme tout resolu, que siquelqu'un s'ingére de parler en son nom, il n'y aque temerité en luy. Pourquoy? car il s'usurpece qui appartient à Dieu seul. Et au reste, puisque nostre Seigneur Iesus Christ a esté envoyé àceste condition qu'il nous donnast une conclusionfinale pour avoir telle sagesse qu'il n'y eust plusque redire, voilà pourquoy sainct Paul dit qu'il estApostre envoyé de luy. Cela presuppose deuxchoses: l'une, c'est que sainct Paul avoit la chargequi luy estoit commise: et puis, qu'il s'en est ac-quitté deuement, qu'il s'est employé fidelement enl'office auquel il estoit appelé. Car si un hommeestoit le plus suffisant et le plus excellent du monde,quand il se met en avant de soy et de son mouve-ment propre, il trouble toute police. Et nous sçavonsque Dieu veut qu'il y ait ordre, et non point con-fusion entre nous, comme sainct Paul en parle auquatorzieme chapitre de la premiere aux Corinthiens.Il faut donc que celuy qui parle, voire pour ensei-gner, que celuy-là ait sa vocation, c'est à dire, qu'ily soit appelé, qu'il ait sa charge, tellement quechacun ne s'avance point d'un zele inconsideré,comme nous avons dit. Au reste, de parler plusoutre de la vocation de sainct Paul, il n'est ia be-soin pour ceste heure: car nous sçavons commentDieu luy a rendu tesmoignage qu'il l'advouoit pourson Apostre. Et de faict, il n'en dispute pas ici beau-coup, pource qu'en l'Eglise d'Ephese cela estoit assezcognu. Mais d'autant que les Galates avoyent estétroublez par des seducteurs, et que là on avoitamoindri l'authorité de sainct Paul et mesmes lenom de Dieu, nous avons veu qu'il se maintenoiten son degré, allegant qu'on ne pouvoit pas luyoster la reverence qui estoit deuë à un Apostrede Iesus Christ, qu'on ne renversast l'ordre deDieu. Ici ce luy est assez d'avoir dit en un mot, qu'ilest Apostre de Iesus Christ.

Venons au second que nous avons touché, qu'ilne suffit pas qu'un homme soit appelé, sinon qu'ils'acquitte en pure conscience et integrité de sonoffice. Et S. Paul prend aussi cela comme unechose toute conclue: et il en avoit donné assezd'experience. Car les seducteurs se pourront bienvanter à pleine bouche qu'ils sont appelez (commeon le voit). Car tous ceux qui bataillent contreDieu et sa parole, qui mettent trouble et zizanieen l'Eglise, voudront faire bouclier de cela et ausside leur zele: car ils s'appeleront Chrestiens tant etplus: mais cependant S. Paul avoit assez approuvécomme il n'estoit point venu de soy-mesme, etcomme aussi ii ne taschoit sinon à s'employer pourl'edification de l'Eglise, d'autant que cela estoittout cognu en Ephese (ainsi que nous le pouvonsrecueillir de l'histoire de sainct Luc) et que mes-mes il y avoit soustenu de si grans combats, voilà

pourquoy en un mot il se contente de dire qu'ilest Apostre de nostre Seigneur Iesus Christ. Orici nous sommes admonnestez en premier lieu, denous tenir à la pure doctrine que nous cognoissonsestre procedee de Dieu: car suyvant ceste reiglenous ne pouvons faillir. Et d'autant qu'en nostreSeigneur Iesus Christ nous avons l'accomplissementde tout ce qui est requis et utile pour nostre in-struction, que nous ne soyons point en doute s'ilnous faut tenir à l'Evangile, ou s'il y faut rien ad-iouster: contentons nous d'avoir le Fils de Dieupour Maistre, voire d'autant qu'il luy plaist s'abaisseriusques là, et qu'il en a prins la charge: et aussiqu'il proteste que quand nous aurons bien profitéen sa doctrine, nous serons venus iusqu'au vraybut où ii nous faut parvenir.

Yoilà donc le premier advertissement que nousavons à recueliir de ce passage, c'est que nostrefoy ne soit point agitée ni çà ni là: mais qu'elleait son fondement certain et immuable, sur lequelelle s'appuye, c'est à sçavoir la verité de Dieu,voire comme elle est contenue en l'Evangile. Etd'autant que S. Paul nous est assez approuvé, quenous ne doutions point que l'Esprit de Dieu neparle auiourd'huy à nous par sa bouche, et quenous n'oyons point ceste doctrine comme si elleestoit subiete à nostre iugement: mais que nouscaptivions nos sens et nos esprits pour la recevoirsans aucune dispute, sinon que nous vueillions ànostre escient faire la guerre à Dieu et nous es-lever contre luy. Voilà donc encores ce que nousavons à observer sur ce passage.

Et au reste, à fin que ceste doctrine non seu-lement ait une maiesté envers noue, mais qu'ellenous soit amiable, notons que S. Paul a parlé aunom de Christ, voire lequel nous a esté envoyé deDieu son Pere, pour nous annoncer la paix. Etaussi ayons memoire de ce qu'il dit en l'autre pas-sage, qu'il a esté establi pour porter le messaged'apointement, et qu'il exhorte au nom de Dieu,qu'on se reconcilié à Dieu. Or i'ay dit que ceciest pour nous rendre la doctrine de l'Evangiledouce, que nous la desirions et que nous y soyonsdu tout adonnez. Car quand il nous est dit queDieu parle à nous, il est vray que cela est assezpour authoriser tout ce qu'il dira: mais nous pour-rions trembler à sa voix, et cependant elle nousseroit fascheuse. Comme nous en voyons beaucoupqui confesseront assez que Dieu merite qu'on luyobéisse et qu'on luy soit du tout subiet: mais ce-pendant ils fuyent et s'esgarent de luy tant qu'ilspeuvent: car sa voix leur est terrible. Mais quandIesus Christ parle à nous comme estant Mediateurde Dieu et des hommes, nous pouvons hardimentapprocher. Car (comme il est dit en l'Epistre auxHebrieux) nous ne sommes plus comme en la mon-

Page 3: PREMIER SERMON.

249 SUR L'EPITRE AUX EPHESIENS. 250

tagne de Sinai, où les esclairs voloyent en l'air,quand la Loy fut publiee: que si une beste en es-toit approchee, il faloit qu'elle mourust. La Loydonc que Dieu alors publia, estoit espovantable.Mais auiourd'huy quand nous sommes exhortez parl'Evangile de recevoir la grace qu'il nous offre, etd'autant qu'il veut abolir la memoire de nos pechez,que nous souffrions d'estre ainsi iustifiez par sabonté gratuite et de luy estre paisibles et obeis-sans. Car cela nous doit bien esmouvoir de venirà luy comme poures affamez, pour estre repeus dela pasture celeste qu'il nous veut donner. Voilàdonc en somme ce que nous avons à retenir, quandS. Paul s'appelle Apostre de Iesus Christ.

Quant à ce qu'il adiouste, que c'est par la vo-lonté de Dieu, cela est pour couper broche à toutesdisputes, â fin qu'on ne l'accuse point de presomp-tion, comme s'il cuidoit beaucoup plus valoir queles autres: car il proteste que ce n'est pas qu'il ensoit digne: mais d'autant que Dieu Fa choisi àcest office-là. Cependant ce n'est pas une humilitéfeinte, quand il dit qu'il a esté establi en cest estatpar la pure grace de Dieu et par son election.Car nous voyons en d'autres passages comme ilproteste qu'il n'est pas digne d'un tel honneur:mais plustost qu'il meritoit condamnation extreme:et pourtant qu'il doit estre tenu comme un miroirde la bonté infinie de Dieu, en ce qu'il l'a eslevési haut, luy qui estoit meurtrier des Chrestiens,qui avoit espandu le sang des Martyrs, qui avoitblasphemé contre Dieu et contre sa parole, ainsiqu'il en parle. Nous voyons donc qu'il n'y a nullefeintise en ceste confession qu'il fait qu'il a estémis en cest estat et degre par la pure volonte deDieu. Et ceci nous sert encores beaucoup, à finque nous n'estimions point la parole de Dieu selonla qualité de ceux qui la portent. Car voilà aussil'astuce dont le diable use coustumierement pour di-minuer de la reverence de la parole de Dieu: c'estqu'il nous met devant les yeux ceux qui la por-tent. Or il est certain que nous sommes des vais-seaux fragiles et de nulle valeur, voire mesmescomme des pots cassez. Qu'y a-il en ceux queDieu ordonne pour Ministres de sa parole? Maistant y a que le thresor est tousiours inestimable,combien que les vaisseaux soyent contemptibles.Notons bien donc, quand les nommes viennent ànous pour estre tesmoins de la remission de nospechez et du salut qu'il nous faut esperer, quenostre foy doit monter plus haut, et qu'il n'est pasquestion de nous enquerir, et cestuy-ci merite-ìld'estre escouté? Et qui est-il en sa personne?Contentons-nous que Dieu par ce moyen-3à nousveut attirer à soy, c'est le chemin par où il nousfaut marcher: et si nous en declinons, nous" voilàesgarez et en train de perdition. Notons bien donc

qu'il nous faut assubietir à la volonté de Dieu età son conseil, pour recevoir sans aucune difficultéla doctrine qui nous est preschee par la bouchedes hommes mortels. Car si nous voulons estresages comme beaucoup qui demandent, et Dieu nepourroit-il pas envoyer ses Anges du ciel et nousinstruire par revelations? Et au reste, il y a aussides coquars qui se font à croire qu'ils ont le S.Esprit en leur manche, sans daigner recevoir lesdons comme ils sont dispensez de Dieu. A fin quenous ne soyons point ensorcelez de Satan en tellesorte, notons ce qui est ici dit, c'est à sçavoir quec'est à la volonté de Dieu que l'Evangile se preschepar la bouche des hommes, et qu'ils nous en sontcomme tesmoins: et quiconque s'exempte de cestordre, c'est autant comme s'il repoussoit la mainde Dieu quand elle luy offre certain tesmoignageet infaillible de son salut. Voilà donc encores ceque nous avons à retenir sur ce passage. Et aureste, ceux qui sont appelez pour porter la parolede Dieu, doyvent bien estre advertis par l'exemplede S. Paul de cheminer en humilité. Car quisommes-nous si nous faisons comparaison de nospersonnes avec la sienne? Il nous monstre qu'iln'a point esté choisi pource que il fust suffisant ouhomme assez habile: mais pource que Dieu l'aainsi voulu. Cognoissons donc que nous tenonstout de luy et de sa pure grace, et que nous nenous attribuyons rien, sinon que nous le vueillionsdespouiller de son droict. Et nous sçavons qu'unetelle ingratitude ne seroit point supportable.

Là dessus il dit, A tous les saincts qui sont enEphese, et aux fideles en lesus Christ Vray estque le nom de la ville est ici exprimé: tant y a(comme desia nous avons touché) que ceste doctrinenous est commune, et que Dieu l'a auiourd'huydestinee à nostre usage, et qu'il la faut recevoircomme si S. Paul estoit vivant et qu'il fust aumilieu de nous : et mesme il ne faut point regarderà luy simplement, mais à celuy duquel il a estéenvoyé. Car il est trespassé apres avoir achevésa course: mais cependant l'Esprit de Dieu estimmortel. Quoy qu'il en soit, il nous faut retenirpour nostre instruction ce qui est ici dit, quand S.Paul parle aux Saincts et fideles en Iesus Christ.Combien donc que nous ne soyons pas de ce temps-là, combien que nous ne soyons pas du pays etnation d'Asie, toutesfois puis que il a pleu à Dieude nous unir avec ceux ausquels S. Paul a escritde son temps, que nous sçachions qu'il nous fautauiourd'huy estre confermez en la foy que nousavons par l'Evangile, d'autant que ç'a esté l'inten-tion et le conseil du S. Esprit, d'exhorter à per-severance tous ceux qui ont les rudimens de l'Evan-gile, et qui sont encore foibles, et qui ont besoinde confirmation plus ample.

Page 4: PREMIER SERMON.

251 SERMON I 252

Mais retenons bien ces mots, quand il est dit,Saincts et fidéles en Iesus Christ Car S. Paul nousmonstre qu'il n'y a que feintise en toute la sainc-teté des hommes, iusques à ce que Dieu les ait ap-pliquez à son service, qu'il les ait là dediez et con-sacrez par la foy. Car nous sommes tous pollusde nature, et de nous il ne pourra iamais sortirqu'infection. Vray est quand les hommes aurontprins quelque beau lustre et apparence, on les esti-mera iustes tant et plus, leurs vertus seront pre-schees partout: comme nous voyons qu'un hommeacquerra bruit de grande perfection, quand il auraquelques belles choses en luy. Mais nous devonsretenir ce qui est dit au 15. chap. des Actes, queDieu purifie les coeurs par foy. Or il en est bienbesoin: car c'est un abysme d'horrible confusion quele coeur de l'homme, ainsi que dit le prophete Ie-remie. Nous n'appercevrons pas cela : mais Dieu ales yeux plus clairs que nous. Quoy qu'il en soit,que cest article nous soit resolu, que toute la sainc-teté que les hommes cuident avoir, iusques à cequ'ils soyent unis par la foy de l'Evangile, n'estque corruption, et que tout cela est abominable de-vant Dieu. Voilà donc pour un item, qu'il n'y aautre saincteté que Dieu accepte et advouë, sinonde ceux qui sont fideles: car sans estre Chrestienspremierement, nous sommes aveugles et ne pou-vons rendre à Dieu ce qui luy est deu. Et quandil n'y auroit que ce sacrilege-là, n'est-ce pas pourinsecter toutes les vertus que nous pourrions avoirau reste? Et puis il est certain que d'autant qu'enIesus Christ l'esprit de la crainte de Dieu, l'espritde perfection, l'esprit de iustice, l'esprit de puretéa reside et qu'il y a son siege, que tous ceux quisont separez de Iesus Christ, encores qu'on leurapplaudisse selon le monde, n'ont en eux que viceset toutes pollutions: mais aussi d'autre costé, no-tons que tous ceux qui se vantent d'avoir foy enl'Evangile et ne sont pas sanctifiez à Dieu, mon-strent leur feintise et mensonge et se demententpar leur propre vie, quoy que leur bouche dise ouchante: comme nous en voyons beaucoup qui pro-fanent auiourd'huy ce nom de la foy, qui doit estresi sacré: chacun se dira fidele: et ceux qui en ontle moins sont les plus hardis à dire qu'il n'y afoy que pour eux. Et pleust à Dieu que cela" nefust que pour la moitié: mais de tous ceux qui senomment Chrestiens, on voit qu'en toute leur vieils sont desbordez et dissolus, et se moquent pleine-ment de Dieu, et sont contempteurs de toute reli-gion: et cependant toutesfois (comme i'ay desia dit)pensent qu'on leur fait grande iniure, si on ne lesrepute bons Chrestiens et catholiques. Toutesfoisnous voyons que S. Paul conioint ces deux chosesd'un lien inseparable: c'est que quand nous avonsla foy de l'Evangile, il faut quant et quant que

nous soyons dediez à nostre Dieu, et que nous soyonsseparez des corruptions de ce monde, comme nousavons veu aux Galatiens, qu'il dit que nostre Sei-gneur Iesus Christ est venu à ceste fin-là, que noussoyons dediez par son sang à ce que nous rendionsmaintenant obeissance avec toute pureté à Dieu sonPere. Et (comme il dit en l'autre passage) nousne sommes point appelez à immondicites mais àiustice: tellement que le nom de Dieu soit honoréet glorifié par nous.

Yoilà donc en somme ce que nous avons àretenir de ceste preface, à fin que nous soyons tantmieux preparez à recevoir la doctrine qui est con-tenue en ceste Epistre, et qu'aussi elle ait son au-thorité envers nous selon qu'elle merite : et qu'outrecela elle soit rendue amiable, et que nous sçachionsque c'est nostre souverain bien que d'estre enseignezpar S. Paul, entant qu'il nous est tesmoin de lagrace de nostre Seigneur Iesus Christ, et qu'ilnous amene à Dieu pour estre reconciliez à luy,au lieu que de nature nous sommes enfans d'ire.Et puis apres, que nous puissions estre agreables àDieu, tellement que nous ayons la hardiesse del'invoquer comme nostre Pere: et que nous soyonsasseurez aussi qu'il nous repute pour ses enfans.

Là dessus il use d'une action de graces poureslever les coeurs de tous à cognoistre combien ilssont tenus et obligez envers Dieu: voire, attenduqu'il s'est monstré si liberal envers eux et qu'ils'est eslargi en toutes sortes. Benit soit Dieu (dit-il)et Pere de nostre Seigneur Iesus Christ, lequel nousa benits en toutes benedictions spirituelles és chosescelestes, ou aux lieux celestes, en Christ. S. Paul aregardé en premier lieu, d'autant que le principalsacrifice que Dieu demande, c'est que ses beneficessoyent recognus des homines, qu'ils luy en facenthommage, que cela les doit inciter à faire leur de-voir : car nous y sommes tant lasches que c'est unehorreur. Nous confessons bien que nostre principalestude se doit appliquer là, pour avoir une vie bienreiglee: c'est à sçavoir, de louer Dieu. Car si ondemande pourquoy nous sommes en ce monde, pour-quoy Dieu a un tel soin de nous, pourquoy noussommes nourris de sa bonté: brief, que tant debiens qu'il nous fait, nous crevent quasi les yeux:c'est à fin que nous luy en facions quelque reco-gnoissance. Car (comme il est dit au Pseaume)nous ne luy pouvons apporter nul profit de nostrecosté, et aussi il ne demande autre eschange queceste action de graces, comme il est dit au Pseaume116, Qu'est-ce que ie rendray à Dieu, ayant receutant de biens de luy, sinon que ie prendray le ca-lice de salut et invoqueray son nom? Voilà donctout ce que nous pouvons apporter à Dieu, c'estque nous confessions tenir tout de luy.

Page 5: PREMIER SERMON.

253 SUR L'EPITRE AUX EPHESIENS. 254

Or tant y a que nul ne s'acquitte de son de-voir, non pas de la centieme partie en cest endroit,tellement que nous le fraudons tous depuis le plusgrand iusques au plus petit, d'autant que par nostremalice nous ne cessons d'ensevelir la louange deDieu qui devroit retentir en nos bouches. Pourceste cause nostre Seigneur nous redargue de nostrenonchalance. Car toutesfois et quantes que l'Es-criture saincte nous exhorte de louer Dieu, etqu'elle use de tant de propos, ne pensons pointqu'ils soyent superflus: mais cognoissons que cesont autant de reproches de nostre malice et denostre vilenie, d'autant que nous defaillons en cequi estoit si requis, et ce qui estoit (comme i'ay dit)le principal de nostre vie. Il est vray que souventle S. Esprit nous propose d'autres argumens demagnifier le nom de Dieu, quand il met en avantTordre de nature, et les fruicts que la terre produit,et les* aides et secours que Dieu nous donne, etchoses semblables: voilà donc desia matiere suffi-sante de louer Dieu. Mais S. Paul nous amene iciplus haut, et veut que Dieu soit sur tout glorifiéde nous, d'autant qu'il ne s'est point contenté denous avoir mis au monde, et nous y nourrir, etprouvoir à toutes nos necessitez, pour nous y fairepasser ceste vie caduque: mais qu'il nous a choisispour estre heritiers de son royaume et de la vieceleste. Nous avons donc double obligation, etbeaucoup plus estroite envers Dieu, que n'ont pasles poures ignorans et incredules. Oar combienque desia ils soyent obligez tant et plus à Dieu,si est-ce neantmoins que le bien qu'il nous a faiten Iesus Christ, est sans comparaison plus excellentet plus noble, d'autant que Dieu nous a vouluadopter pour ses enfans. Estans hommes mortels,il est vray que nous sommes du nombre de sescreatures formees à son image: mais quoy? Cesteimage a esté effacee en nous par le peché et parla corruption de laquelle nous sommes entachezpar la desobeissance d'Adam. Et puis, quel heri-tage avons nous sinon de son ire et la mort eter-nelle? Brief, nous ne sommes pas dignes d'estremis au reng des bestes brutes, si nous demeuronsen la condition telle que nous avons de nature. Orquand Dieu nous fait membres de son Fils uniqne,qu'il nous met au reng de ses Anges, qu'il nousprepare pour estre faits participans de sa nature etde sa gloire (comme sainct Pierre en parle en sapremiere Epistre), ne devons nous pas sentir là unegrace si haute et si noble que nous y soyons dutout ravis?

Voilà donc ce que 8. Paul a voulu dire en cepassage: c'est en premier lieu, qu'ici nous sommesexhortez d'appliquer du tout nostre estude à louerDieu, voire d'autant que nous y sommes par tropfroids et nonchalans, sinon qu'on nous y pousse, et

quasi qu'on nous y contraigne. Et au reste, S. Paula encore eu un autre esgard, c'est de nous repaistretellement de la grace que nous avons par l'Evangile,que nous n'appetions plus ne ceci ne cela, commenous avons accoustumé de faire. Nous voyons commenous sommes volages de nature: et quand Dieunous a fait ce bien de nous mettre en avant saparole, nous voudrions avoir ou ceci ou cela: rienne nous contente. Et qui en est cause? c'est quenous sommes hebetez, et que nous n'avons iamaisbien comprins ni entendu ce que Dieu nous monstrepar sa parole. Car nous verrons ci apres que ceuxqui ont cognu l'amour que Dieu nous a monstreeen nostre Seigneur Iesus Christ, que ceux-là ontet haut et bas, et de long et de large, tout ce qu'ilspeuvent desirer. Aussi maintenant S. Paul s'escrieque benit soit Dieu, à fin que nous soyons retenusdu tout en ceste doctrine, en laquelle est toute per-fection de felicité, voire quand nous en sçauronsfaire nostre profit.

Au reste, notons aussi que non sans cause ildit que c'est en benediction spirituelle. Car com-bien qne nous ne puissions manger un morceaude pain, ni boire une goute d'eau sans estre larronsà Dieu, sinon que nous luy rendions confession ettesmoignage que vrayment en cela il se monstrePere envers nous, toutesfois ce n'est rien de ce quiconcerne nos corps et ceste vie transitoire, au prisde ce qui est pour le salut eternel de nos ames.Et de faict, S. Paul nous a ici voulu exhorter àbenir tellement Dieu en ses benedictions celestes,que cependant il nous advertit que nous devonsestre patiens si nous sommes affligez selon la chair,si nous n'avons pas tout à souhait, si Dieu nousretranche nos morceaux, qu'il ne nous traite pas simignardement comme nous voudrions. Il y a doncici deux choses contenues: l'une c'est que nouscognoissions où gist nostre vraye felicité et parfaite,c'est à sçavoir en la vie que nous esperons, et quinous est encores cachee, à fin que nous ne soyonspoint retenus en ce monde. Voilà pour un item.Et puis pour le second, que nous soyons confermezen patience, si ce monde nous reiette et nous mes-prise, si on se moque de nous: et cependant queles contempteurs de Dieu facent leurs pompes etbravades, et qu'il semble que nous soyons m alo t r usau pris d'eux, et que les uns ayent faim et soif,les autres soyent sachez et molestez iniustement :que nous passions outre, et pourquoy? D'autant quenous avons à nous contenter des benedictions celestesque Dieu nous a eslargies. Il faut donc que cesteexcellence si grande, si haute et si inestimable nousface surmonter toutes les fascheries que nous pour-rons concevoir, d'autant que Dieu en ce monde-cinous exerce et nous esprouve par beaucoup d'af-flictions, et qu'il veut que nous ayons disette et

Page 6: PREMIER SERMON.

255 SERMON I 256

necessité de beaucoup de choses. Voilà en sommece que nous avons à retenir de ce passage.

Maintenant devant que venir au reste, notonsque ce mot de Benediction, se prend en divers sens,quand S. Paul l'applique ou à Dieu ou à* nous. Ilest dit que nous benissons Dieu. Et comment?comme il nous benit ? Et Dieu en quelle sorte nousbenit-il ? Nous ne le benissons pas comme il nous benit :il s'en faut beaucoup. Car i'ay desia allegué du Pseaume16, que tous nos services ne luy peuvent profiter derien : et puis il nous faut conclure (comme i'ay aussiallgueé de l'autre Pseaume 116) que tout ce que nouspouvons apporter à Dieu, c'est ceste protestation quenous tenons tout de luy ce que nous avons de biensVoilà donc quelles sont nos benedictions, c'est de rendreâ Dieu sacrifices de louange. Voilà pour un item.Or maintenant, quand Dieu nous benit, est-ce seule-ment de paroles? Nenni: mais c'est pource qu'ilnous remplit et nous eslargit (entant que besoinest) ce qui nous defaut. Et ce mot de Benediction,pourquoy estce qu'il luy est ainsi attribué? Pourcequ'il ne faut pas qu'il travaille, ne qu'il mette beau-coup de peine pour aider les siens et pour leurdonner ce qu'il cognoist leur estre utile. Quand ila dit le mot, c'est à dire, qu'il a declaré sa volonté,la chose est faite. D'autant donc que Dieu qui acreé le monde par sa seule parole, a aussi la vertude nous bien faire, seulement en le promettant:voilà pourquoy il est dit que nous sommes richesde sa seule benediction, c'est à dire, quand il monstrequ'il nous est propice et favorable. Maintenantregardons si nous sommes excusables quand Dieuest fraude de nous, quand nous ne daignons pasouvrir la bouche pour confesser combien nous sommestenus et obligez à luy, apres que nous aurons receutant de biens de sa main. Qu'on mette en balancetoutes les benedictions que peuvent apporter tousles hommes du monde à Dieu, et la benediction delaquelle il les enrichit: qui vaudra mieux? Toutce qu'ils pourront mettre en avant, c'est qu'il fautqu'ils confessent qu'ils ne peuvent dire ne fairechose qui vaille: et cependant Dieu nous monstrequ'il a tout ce qui est requis à nostre felicité. Cen'est point donc sans cause que S. Paul dit ici,que les fideles doyvent du tout vaquer et appliquerleur sens et estude à benir le nom de Dieu: puisqu'ainsi est qu'il leur en donne si ample occasion,ou qu'ils sont du tout ingrats et vileins.

Il dit donc deux choses, Le pere de nostre Sei-gneur Iesus Christ, qui nous a lenit en Christ Quandil dit Dieu et Pere de Iesus Christ, il nous fautainsi resoudre cela: c'est que le Dieu que noussentons si favorable envers nous, est Pere de nostreSeigneur Iesus Christ. Ceste circonstance est bien ànoter. Car sainct Paul nous advertit que les biensde Dieu, et surtout ceux qui appartiennent à la

vie celeste et au salut eternel de nos ames, nepourroyent parvenir iusques à nous, sinon que IesusChrist en fust comme le canal, et que par son nomnous en fussions faits participans. Notons bien doncque la porte est close à tous les benefices de Dieuet à tout ce qui concerne le salut de nos ames, si-non que Iesus Christ eu soit le moyen. Il est vrayque les incredules boyvent et mangent et gourman-dent tant et plus: le soleil luira sur eux: maisquoy qu'il en soit, si est-ce qu'ils ne iouissent pas,à parler proprement, de tout ce que Dieu leur donne,pource qu'ils Pusurpent sans titre legitime. Car lemonde est creé pour les enfans de Dieu, et mesmec'est au regard du chef, qui est nostre SeigneurIesus Christ. Brief, ce n'est point sans cause quesainct Paul monstrant comme Dieu s'est eslargienvers nous, dit que c'est pource qu'il est Pere denostre Seigneur Iesus Christ. Mais (comme desianous avons touché) il n'est pas question ici de boireet de manger : mais de choses beaucoup plus grandeset plus precieuses: c'est que Dieu nous a adoptezpour ses enfans. Voilà donc en somme ce que nousavons à retenir. Mais pour mieux encores fairenostre profit de ce passage, notons que c'est pournous retenir, à fin de ne point extravaguer enbeaucoup de speculations, quand nous cognoissonsDieu, Pere de nostre Seigneur Iesus Christ. Etpourquoy? Les Papistes auront assez ce mot deDieu en la bouche: ils auront aussi le mot de Ie-sus Christ: mais cependant ils ont transfigure Ie-sus Christ et ont du tout falsifié la doctrine de sonEvangile, en laquelle it doit estre contemplé. Ilsont donc un Dieu: voire par imagination confuse:et cependant ils ne le cognoissent point. Et de faict,ils ne sçauroyent definir quel Dieu ils servent etadorent, non plus que les Turcs. Et nous sçavonsce que dit nostre Seigneur Iesus Christ au 4. chap.de S. Iean, que ceux qui n'ont point la doctrinepour se bien reigler, ne sçavent qu'ils adorent, ilsse forgent tousiours des idoles. Il n'y a donc qu'unseul moyen pour avoir bonne adresse à Dieu, etinfaillible, c'est que nous le contemplions en son imagevive, car sa maiesté est trop haute, et trop cachee,et trop profonde pour nous: mais Iesus Christs'est communiqué et accommodé à nostre foiblesseet nous a enseigné ce qui estoit requis de cognoistrepour parvenir à Dieu son Pere.

Voilà donc comme nous devons avoir nostreSeigneur Iesus Christ pour nostre voye, à fin dene point errer. Car puis que Dieu est Pere denostre chef et de celuy qui s'est uni à nous, voilàcomment nous pourrons avoir acces pour venirprivement à luy: et sans ce Mediateur, il est cer-tain que nous en sommes tous forclos, et la maiestéde Dieu nous doit faire dresser les cheveux enla teste: mais quand nous cognoissons qu'il s'est

Page 7: PREMIER SERMON.

257 SUR L'EPITRE AUX EPHESIENS. 258

intitulé Pére de celuy qui est nostre chef, cognoissonsqu'il faut qu'il nous advoue aussi pour ses enfans,d'autant qu'il nous a rachetez. Au reste, combienque S. Pani met ici en un mot les benedictionsspirituelles, si est-ce qu'il monstre que ce n'est pointen une sorte seulement que Dieu s'est monstréliberal envers nous: et il en fera une declarationplus ample, et specifiera les biens que nous obtenonspar l'Evangile: car tout ce chapitre en est plein.Mais quoy qu'il en soit, si est-ce qu'il nous advertiten ce passage, que Dieu ne nous a point eslargide ses graces en partie, et qu'il ne nous les veutpoint faire gouster à leche doigt (comme on dit),mais qu'il nous en a donné une telle diversité etplenitude, que nous avons de quoy le magnifier entout et par tout. Cognoissons donc quand IesusChrist nous est ainsi donné, qu'en luy nous obtenonstout ce qui est utile pour nostre salut et pour unepleine felicité: comme aussi sainct Paul en parleau 8. chapitre des Rom. Et si le Fils unique nousa esté donne, comment tous les biens qu'il a en soyne nous seront ils communiquez en luy et par sonmoyen quant et quant? Or quoy qu'il en soit,apprenons de tellement savourer les graces spirituel-les de Dieu, que tous nos sens soyent recueillispour les priser. Et pour ce faire, advisons de neavoir point nos appetis par trop adonnez au monde.Car voilà qui est cause de nous distraire tellement,que nous ne cognoissons pas la centieme partie desbiens que Dieu nous fait, et ne les pouvons appliquerà nostre profit: c'est (di-ie) nostre vanité, pourceque chacun se trompe en ses folles cupiditez et ex-travagantes. Ainsi apprenons de reietter ce quinous empesche de venir à nostre Seigneur IesusChrist. Et combien que nostre nature mauvaisenous sollicite à chercher les choses caduques dece monde, que nous mettions peine à nous en retirer,tellement que nous puissions venir d'une affectionfranche nous rendre à Dieu, et que nous ayons undesir ardent de luy estre obeissans, et de nousadonner pleinement à luy, selon aussi qu'il veut quenous y soyons conioints.

Voilà ce que nous avons à observer sur ce quesainct Paul, apres avoir parlé de ces benedictionsspirituelles, adiouste quant et quant, aux lieux^ oués choses celestes i pour monstrer, iusques à ce que

nous ayons cognu qu'il n'y a rien en ce monde quinous doyve retenir, que nous ne sommes pointcapables de recevoir les graces qui nous ont estécommuniquées en nostre Seigneur Iesus Christ, etque Dieu veut que nous possedions. Mais quandnous aurons cognu que nous ne sommes point creezet formez pour demeurer en ce monde, et que c'estseulement pour y passer comme pelerins: mais quenostre heritage et repos permanent est là haut auciel, que là dessus nous y tendions, et nous y effor-cions de plus en plus. Et au reste, combien quenous soyons debiles, ne defaillons point: mais pre-nons courage, et prions Dieu qu'il nous le donne.Et voilà aussi pourquoy sainct Paul met les bene-dictions, à fin que nous cognoissions que si le diablea beaucoup d'embusches pour nous desbaucher etpour nous distraire du bon chemin, que Dieu prou-voira à tout. Et pourquoy? Car ii a une tellemultitude de benedictions, qu'il pourra destruire etrenverser tout ce qui pourroit estre contraire à nostresalut.

Or nous nous prosternerons devant la maiestéde nostre bon Dieu, en cognoissance de nos fautes,le priant que de plus en plus il nous en vueilletoucher pour nous amener à une vraye repentance.Et que, nous condamnans en nous mesmes, nousvenions cercher en nostre Seigneur Iesus Christtout ce qui nous defaut, et que ce ne soit pointpour un iour, ou pour quelque bouffee : mais qu'ily ait une vraye perseverance et une vraye fermetéiusques en la fin de nostre vie. Et quoy qu'il nousadvienne, que nous cognoissions tousiours que nousavons bien de quoy louer nostre Dieu: si noussommes povres et miserables en ce monde, que lafelicité celeste est bien pour nous appaiser et pournous adoucir toutes nos afflictions et tristesses,et nous donner un tel contentement que nousayons neantmoins la bouche ouverte pour benirnostre Dieu, qui s'est monstré si humain et liberalenvers nous, voire iusques à nous adopter pour sesenfans, et nous monstrer que l'heritage qui nous aesté acquis par le sang de son Fils unique nousest appresté, et quil ne nous peut faillir, moyennantque nous y tendions avec une vraye constance defoy et invincible. Que non seulement il nous faceceste grace, mais aussi à tous peuples, etc.

Calvini opera. Vol. LL