DIXNEUYIEME SERMON.

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473 SUR L'EPITRE AUX EPHESIENS. 474 pour venir à ia perfection de vie, de clairté et de tout bien: et cependant nous sommes admonnestez de profiter en la foy, iusques à ce que nous soyons bien persuadez qu'en bataillant contre les tenta- tions qui nous pourront assaillir, nous en aurons la victoire par le moyen de la foy: et finalement nous pourrons nous glorifier (comme S. Paul en parle au huitieme chap. des Rom. sur tout) et contre la vie et contre la mort, et contre les puissances hau- tes et basses, que nous despiterons toutes difficultez, sçachant bien qu'il n'y a rien qui nous puisse se- parer de l'amour que nostre Seigneur Iesus nous a monstree et que Dieu son Pere nous a aussi de- claree en sa personne. Et de lá aussi vient qu'il faut que nos prieres soyent fondees en pleine cer- titude: car (comme dit sainct Iaques) celuy qui pense rien obtenir en doutant, ii se trompe. Il faut donc que nous soyons asseurez par les pro- messes de l'Evangile, que Dieu est prest de nous recevoir à merci en venant à luy. Et voilà, com- me nous sçaurons que S. Faul n'a point dit en vain, que si nous avons la foy, il ne faut point que nous cerchions rien plus que Iesus Christ: mais qu'il soit tout nostre thresor, puis qu'en luy nous posse- dons toutes choses qui sont requises à nostre ioye et à nostre contentement. Or nous-nous prosternerons devant la maiesté de nostre bon Dieu etc. DIXNEUYIEME SERMON. Chap. III, v. 13—16. C'est merveilles comme les hommes ayans tant de moyens pour approcher de Dieu, taschent à s'en reculer tant qu'il leur est possible, et ne leur faut qu'un festu pour leur faire tourner bride: et cependant ils cuident avoir excuse bien raisonnable quand ils diront, I'ay esté empesché à ceci et à cela: ce qui ne sera rien: mais la moindre occasion leur suffit, pource que desia ils ne demandent sinon à» s'eslongner de Dieu. Et cela est auiourd'huy par trop commun : car ceux qui se veulent iustifier, d'autant qu'ils reiettent la doctrine de l'Evangile, ameneront tousiours en avant des scandales, Ho, voilà» qui me trouble, voilà qui m'oste tout le goust et l'appetit de la doctrine, voilà, qui m'a fait tout quitter. Tout ce qu'ils pourront alleguer ne sera sinon frivole: mais d'autant plus nous faut-il tra- vailler de surmonter tous les empeschemens et toutes les difficultez que le diable tasche de nous obiecter, en sorte que nous poursuyvons tousiours nostre train et nostre course. Et voilà, à quoy tend ici 8. Paul, exhortant les Ephesiens de n'estre point desbauchez, que tousiours ils ne continuent en vraye perseverance en la foy de l'Evangile, combien qu'ils peuvent prendre scandale de le voir prisonnier et comme desia condamné. Or il est bien certain que ce n'estoit pas pour les faire de- cliner de la pure verité de Dieu, que S. Paul en- duroit pour le tesmoignage de ce qu'il avoit presché: mais à l'opposite il proteste que cela estoit leur gloire, que desia ils pouvoyent faire leurs triomphes, voyant ceste constance invincible qui luy estoit donnee. Mais (comme i'ay desia dit) outre ce que nous avons desia touché, il y a ceste malice enra- cinee en nostre nature, que nous sommes bien aises d'avoir quelque couleur apparente pour nous retirer de Dieu, et semble que nous soyons du tout quittes et absous. Or S. Paul n'a pas seulement parlé pour un peuple : mais il a ici donçé une instruction qui nous doit auiourd'huy servir: c'est, combien que la plus- part du monde soit enragee contre l'Evangile, et bataille tant qu'elle peut, à, fin que la memoire de nostre Seigneur Iesus Christ soit esteinte: combien que les fideles soyent persecutez, qu'on les diffame, qu'on les tormenté, tant y a que nous ne devons point fleschir ni perdre courage, attendu que cela nous doit tant plus confermer en la foy de nostre Seigneur Iesus Christ, et avons dequoy nous glori- fier, voyant que Dieu tient la main forte à ce que son Eglise ne soit pas du tout opprimee et vaincue. Si l'Evangile estoit receu sans contredit et d'un commun accord, il esfc vray que nous aurions à benir Dieu, et il y auroit une melodie au ciel et en la terre, que les hommes et les Anges pour- royent à pleine bouche magnifier la "bonté de Dieu, qui reluiroit ainsi sur tous: mais tant y a que l'Evangile estant ainsi combatu, nous avons un tes- moignage certain que Dieu en est l'autheur, quand ceux qui sont emprisonnez, qui sont mesmes trainez à la mort, ne laissent pas de persister constamment. Ainsi Dieu desploye là une vertu admirable, et cognoist-on que quoy que Satan machine, si est-ce neantmoins que nous avons approbation que Dieu est de nostre costé, et qu'il bataille pour nous, et que nous sommes maintenus par sa vertu: non pas qu'il nous exempte d'affliction: mais si est-ce que

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pour venir à ia perfection de vie, de clairté et detout bien: et cependant nous sommes admonnestezde profiter en la foy, iusques à ce que nous soyonsbien persuadez qu'en bataillant contre les tenta-tions qui nous pourront assaillir, nous en aurons lavictoire par le moyen de la foy: et finalement nouspourrons nous glorifier (comme S. Paul en parleau huitieme chap. des Rom. sur tout) et contre lavie et contre la mort, et contre les puissances hau-tes et basses, que nous despiterons toutes difficultez,sçachant bien qu'il n'y a rien qui nous puisse se-parer de l'amour que nostre Seigneur Iesus nousa monstree et que Dieu son Pere nous a aussi de-claree en sa personne. Et de lá aussi vient qu'il

faut que nos prieres soyent fondees en pleine cer-titude: car (comme dit sainct Iaques) celuy quipense rien obtenir en doutant, ii se trompe. Ilfaut donc que nous soyons asseurez par les pro-messes de l'Evangile, que Dieu est prest de nousrecevoir à merci en venant à luy. Et voilà, com-me nous sçaurons que S. Faul n'a point dit envain, que si nous avons la foy, il ne faut point quenous cerchions rien plus que Iesus Christ: mais qu'ilsoit tout nostre thresor, puis qu'en luy nous posse-dons toutes choses qui sont requises à nostre ioyeet à nostre contentement.

Or nous-nous prosternerons devant la maiestéde nostre bon Dieu etc.

DIXNEUYIEME SERMON.Chap. III, v. 13—16.

C'est merveilles comme les hommes ayanstant de moyens pour approcher de Dieu, taschent às'en reculer tant qu'il leur est possible, et ne leurfaut qu'un festu pour leur faire tourner bride: etcependant ils cuident avoir excuse bien raisonnablequand ils diront, I'ay esté empesché à ceci et àcela: ce qui ne sera rien: mais la moindre occasionleur suffit, pource que desia ils ne demandent sinonà» s'eslongner de Dieu. Et cela est auiourd'huypar trop commun : car ceux qui se veulent iustifier,d'autant qu'ils reiettent la doctrine de l'Evangile,ameneront tousiours en avant des scandales, Ho,voilà» qui me trouble, voilà qui m'oste tout le goustet l'appetit de la doctrine, voilà, qui m'a fait toutquitter. Tout ce qu'ils pourront alleguer ne serasinon frivole: mais d'autant plus nous faut-il tra-vailler de surmonter tous les empeschemens ettoutes les difficultez que le diable tasche de nousobiecter, en sorte que nous poursuyvons tousioursnostre train et nostre course. Et voilà, à quoytend ici 8. Paul, exhortant les Ephesiens de n'estrepoint desbauchez, que tousiours ils ne continuenten vraye perseverance en la foy de l'Evangile,combien qu'ils peuvent prendre scandale de le voirprisonnier et comme desia condamné. Or il estbien certain que ce n'estoit pas pour les faire de-cliner de la pure verité de Dieu, que S. Paul en-duroit pour le tesmoignage de ce qu'il avoit presché:mais à l'opposite il proteste que cela estoit leurgloire, que desia ils pouvoyent faire leurs triomphes,voyant ceste constance invincible qui luy estoitdonnee. Mais (comme i'ay desia dit) outre ce que

nous avons desia touché, il y a ceste malice enra-cinee en nostre nature, que nous sommes bien aisesd'avoir quelque couleur apparente pour nous retirerde Dieu, et semble que nous soyons du tout quitteset absous.

Or S. Paul n'a pas seulement parlé pour unpeuple : mais il a ici donçé une instruction qui nousdoit auiourd'huy servir: c'est, combien que la plus-part du monde soit enragee contre l'Evangile, etbataille tant qu'elle peut, à, fin que la memoire denostre Seigneur Iesus Christ soit esteinte: combienque les fideles soyent persecutez, qu'on les diffame,qu'on les tormenté, tant y a que nous ne devonspoint fleschir ni perdre courage, attendu que celanous doit tant plus confermer en la foy de nostreSeigneur Iesus Christ, et avons dequoy nous glori-fier, voyant que Dieu tient la main forte à ce queson Eglise ne soit pas du tout opprimee et vaincue.Si l'Evangile estoit receu sans contredit et d'uncommun accord, il esfc vray que nous aurions àbenir Dieu, et il y auroit une melodie au ciel eten la terre, que les hommes et les Anges pour-royent à pleine bouche magnifier la "bonté de Dieu,qui reluiroit ainsi sur tous: mais tant y a quel'Evangile estant ainsi combatu, nous avons un tes-moignage certain que Dieu en est l'autheur, quandceux qui sont emprisonnez, qui sont mesmes trainezà la mort, ne laissent pas de persister constamment.Ainsi Dieu desploye là une vertu admirable, etcognoist-on que quoy que Satan machine, si est-ceneantmoins que nous avons approbation que Dieuest de nostre costé, et qu'il bataille pour nous, etque nous sommes maintenus par sa vertu: non pasqu'il nous exempte d'affliction: mais si est-ce que

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tousiours il nous donnera la victoire, qui nous doitbien suffire. Voilà en somme ce que nous avonsà retenir de ce passage de sainct Paul: c'est quenous soyons apprestez à soustenir tous les alarmesque Satan nous dressera: et si nous voyons que ladoctrine de l'Evangile soit mal receuë du monde, etnon seulement qu'on la mesprise et qu'on l'ait endédain, mais qu'on la haysse, et que les incredulessoyent enflammez d'une rage diabolique pour l'abys-mer, que toutesfois nous ne luy portions pas moinsde reverence: car nous ne devons point estimer lamaiesté de Dieu par l'opinion des hommes. Pre-nons le cas que Dieu soit despité par tout, selonqu'il y a une ingratitude si vileine en la pluspart,qu'ils sont monstres faits contre nature, si ne faut-il pas que Dieu perde son droict que nous luydevons: car nous luy devons faire hommage entoute humilité, non obstant la rebellion de ceux quivoudroyent l'envelopper parmi leurs iniquitez. Ain-si en est-il de la pure doctrine de l'Evangile.Combien donc que le monde se dresse à l'opposite,et que plusieurs la foulent au pied, que beaucoups'en moquent, que les autres grincent les dents àl'encontre, que les feux mesmes soyent allumez, quetousiours nous recevions paisiblement et avec touteobeissance, ce que nous sçavons estre procedé deDieu. Voilà donc comme nostre foy doit tousioursaller son chemin: combien qu'il se dresse beaucoupde machinations et d'entreprinses contre les fideles,et que par tout on orra Sire qu'il n'y a que com-plots, menaces, furies, et choses semblables, quetoutesfois nous ne laissions pas de constamment ba-tailler sous l'enseigne de Iesus Christ, et de posse-der nos ames en patience.

Or â. cela nous doit servir ce que dit S. Paul,que c'est nostre gloire: car nostre foy seroit commeamortie, sinon que Dieu l'esprouvast Mais quandnous voyons les fideles estre ainsi examinez, nousaurons tousiours autant de confirmation de la doc-trine, laquelle nous est donnee de Dieu. Il estvray qu'elle doit estre fondee au ciel, c'est à direen l'authorité de Dieu seul, sans que nous ayonsesgard à nulles creatures. Car les Anges mesmesde Paradis ne seroyent pas suffisans pour autho-riser l'Evangile: il faut que la maiesté de Dieuvienne au devant, et que nous soyons appuyez suricelle, pource qu'alors nous ne serons iamais es-branlez. Mais tant y a que quand les Martyrssans difficulté aucune exposent leur vie pour letesmoignage de la verité de Dieu, alors nous som-mes (comme i'ay desia dit) tant plus incitez (ou ledevons estre) à recevoir la doctrine, et elle estcomme seellee en nos coeurs. D'autant donc queles persecutions nous servent pour mieux approuverla doctrine, voilà pourquoy 8. Paul dit que c'estnostre gloire, et que nous devons faire nos triom-

phes, voyant que Dieu maintient ainsi ceux qu'ilenvoye au combat et qu'il les fortifie. Car il estcertain, selon la fragilité de la chair, qu'ils defau-droyent tantost. Mais s'ils surmontent, notons quec'est Dieu qui besongne là d'une façon toute mani-feste, et nous avons dequoy le glorifier. Si main-tenant nous sommes troublez, et que si tost qu'ilse dressera quelque esmeute nous soyons tentez ànous retirer et à tout quitter, c'est signe que nousne sçaurions faire nostre profit des moyens queDieu nous donne pour nous attirer à luy, et nousy faire adherer en droite perseverance. Ainsi ba-taillons contre nostre foiblesse et contre la malicede nostre nature, à fin qu'en voyant comme partout le diable machine de ruiner l'Evangile, quenous cognoissions que Dieu n'oublie pas les siens,qu'il les fortifie tellement en sa vertu, que leur foyest victorieuse, à fin que nous esperions le sembla-ble. Et cependant que nous sommes à nostre aiseet en repos, que nous ne laissions pas de nous pre-parer à leur exemple, quand il plaira à Dieu denous tendre la main, et de nous faire venir ànostre reng et tour, qu'alors nous soyons munis delongue main, et que nous ne soyons point preoccu-pez de ceste fantasie, comme ceux qui se font àcroire qu'ils seront tousiours exemptez de fascherieet de moleste: mais que nous ayons tousiours lesarmes apprestees pour batailler. Cependant S. Paulmonstre que ce n'est point assez que nous soyonsenseignez: car nous ne laisserons pas cependant detousiours fremir, et d'estre comme à demi transsis,iusques à ce que Dieu face valoir sa doctrine, telle-ment que nous en soyons touchez au vif.

Or donc, apres avoir exhorté les Ephesiens, ildit, Ie ploye les genoux devant le Pere de nostreSeigneur Iesus Christ. S'il suffisoit d'exhorter, àfin que chacun eust bon courage, sainct Paul n'eustpas adiousté ce qu'il dit ici des prieres : mais à finde monstrer ce que les Ephesiens avoyent à faire,il se met en chemin pour leur monstrer exemple*Et ainsi, notons que quand nous aurons les aureil-les batues de la parole de Dieu pour nous monstrerquel est nostre devoir, et que non seulement nousserons instruits, mais que nous serons exhortez etpiquez: si est-ce que tousiours il y aura de la pa-resse, et froidure, et lascheté en nous, tellement quela doctrine sera inutile, iusqu'à ce que Dieu noustouche par son S. Esprit. Et cela est pour abatrotoute presomption en nous: car il y en a beaucoupqui cuident estre assez habiles gens pour fairemerveilles, et ils se trouvent trompez quand cevient au besoin. Mesme nous voyons ce qui estadvenu à Pierre: il promet, et sans feintise, ques'il faut mourir pour son Maistre, iamais ne defau-dra. Voilà Pierre qui se vante beaucoup: il estvray qu'il ne le fait pas sinon d'un zele qu'on dira

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estre bon et sainct, et cuide avoir ceste affeetion-làsi arrestee, qu'en la necessité il monstrera de quoy.Mais cependant à la menace d'une seule chambriere,il renonce Iesus Christ et seroit prest de le renon-cer cent fois: il se maudit et deteste. Quand nousavons un tel miroir, cognoissons nostre infirmitéen la personne de Pierre, et (comme sainct Paulnous monstre ici) recourons à celuy qui a toutevertu en soy. Car ce n'est pas assez d'avoir cog-nu la maladie, si nous ne cerchons le remede. Enpremier lieu donc, despouillons-nous de toutes folesopinions dont le monde est abruvé, qu'on pourrapar son franc-arbitre surmonter toutes tentations:plustost apprenons de nous aneantir du tout, co-gnoissant que si Dieu nous fait la grace de nousenseigner par sa parole, que ce ne sera pas poursatisfaire à nous fortifier, mais seulement pour noustenir tant plus coulpables et convaincus, à fin quenous ne puissions faire bouclier d'ignorance. Voilàpour un item. Cependant n'en demeurons point là:mais si nous sommes debiles en nous, d'autant queDieu a en soy assez de vertu, que nous recourionsà luy: car il est certain qu'il nous y appele et con-vie. Et cependant, que nous ne pensions pointestre frustrez quand nous viendrons nous ietterainsi bas comme demis morts, voire comme povrestrespassez, à ses pieds, ne doutans pas qu'il nenous releve. Et ainsi S, Paul n'a pas ici parlédes prieres qu'il faisoit à Dieu seulement pour pro-tester qu'il s'acquittoit de son office : mais à fin quecela servist à tous fideles, et qu'apres avoir cognuleurs defauts, ils eussent leur refuge du tout à Dieu,sçachans qu'il se reserve de nous tenir la mainforte: et apres qu'il nous a donné la foy, d'adiou-ster aussi une constance invincible, tellement quenous persistions iusques en la fin. Voilà en sommece que nous avons à retenir. Et pourtant soyonsadmonnestés, quand nous venons pour ouir la pa-role de Dieu, de ne point nous fier en nostre senspropre, et de ne point aussi rien presumer de nosvertus: mais requerons nostre Dieu, que tout ainsiqu'il veut que sa Parole nous soit preschee par labouche d'un homme, qu'il parle à nous au dedanset en secret par son sainct Esprit, et que par cemoyen la doctrine que nous oyons prenne racine,à fin qu'elle profite et fructifie.

Mais au reste, quand nous voyons par experi-ence que Dieu requiert de nous outre nostre porteeet nostre mesure, qu'alors nous luy demandionsqu'il suppleé à nos defauts, comme i'ay desia pro-posé pour exemple, que c'est bien contre le sensde nostre chair que nous allions à la mort, s'il estbesoin, et que nous renoncions au monde et à nostrevie propre. Cela ne se trouvera point en l'homme,s'il veut tousiours suyvre son conseil et son appe-tit: il faut donc que Dieu besongne ici, et qu'il re-

medie à nostre infirmité. Mais combien que cesoyent choses difficiles, et qui surmontent toute ca-pacité humaine, que de souffrir pour l'Evangile, etd'aller comme les yeux bendez à la mort, et qu'onn'en soit point destourné ni abatu pour rien quisoit, si est-ce que Dieu nous assistera en telle sorteque nous surmonterons toutes difficultez, quandnous prendrons les armes qu'il nous donne: c'estqu'apres avoir cognu sa volonté, si nous ne pouvonsmarcher comme il le commande, que nous le prionsqu'il nous donne les iambes, et qu'il nous fortifietellement que nous surmontions tout. Or là dessuson ne peut pas dire que ceste doctrine soit inutile:car pourquoy est-ce que nostre Seigneur nous donnepar son S. Esprit ce que nous n'avons point denature? C'est qu'il fait valoir la doctrine, à finqu'elle ne soit frustratoire. Ceux donc qui calom-nient, disant que si nous ne pouvons de nostrefranc-arbitre suyvre Dieu, qu'il vaudroit mieuxqu'on se déportast de prescher, d'autant que c'estpeine perdue, ceux là monstrent qu'ils ne cognois-sent pas quel ordre Dieu tient pour nous asseurerà soy. Et l'experience monstre assez, que, quandon presche la parole, ce n'est sinon un instrumenspar lequel Dieu besongne en secret. Quand doncnous aurons cela tout resolu, alors nous verronsbien que Dieu s'accorde tresbien, quand il veutque l'Evangile nous soit presché, et toutesfois qu'ilnous monstre que cela ne seroit rien, sinon d'au-tant qu'il luy plaist de besongner en nos coeurpar son sainct Esprit.

Or eu disant que l'Evangile est instrument,c'est comme quand on dira qu'un laboureur avecsa charrue, avec ses boeufs et avec tout le restesera un instrument, et ce n'est pas 'pourtant qu'ilface produire les fruits de la terre. Et pourquoy?Dieu se reserve cela : et c'est pourquoy nous luydemandons nostre pain ordinaire. Car il faut quenous cognoissions que tout ainsi qu'un pere a lesoin de ses enfans et les apastelle, par maniere dedire, que Dieu veut aussi que nous recevions nour-riture de sa main. Et pour ceste cause dit-il,Quand le peuple sera venu en la terre de Chanaan,combien qu'il labouré la terre et qu'il la cultive,qu'il ne dise point, Voilà que i'ay acquis par mamain: mais que tous cognoissent qu'ils sont nourrispar la parole procedante de la bouche de Dieu,c'est à dire, de ceste grace interieure que Dieudonne à ses creatures, tellement que nous en som-mes substantez. Or tant y a que tout le labeurdes hommes ne profitera rien sinon entant queDieu le benit. Et que sera-ce donc de ce qui estbeaucoup plus excellent? Car la pasture des amesn'est-elle pas beaucoup plus precieuse que celle quinous sert seulement pour le corps? Ainsi ne pen-sons pas qu'il suffise quand nous viendrons au ser-

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mon, et que chacun lit là en son privé: mais re-courons à Dieu, à fin qu'il donne l'accroissement.Et pour ceste cause aussi sainct Paul met en avantceste similitude, que celuy qui plante n'est rien,que celuy qui arrouse n'est rien: mais c'est Dieuqui donne l'accroissement d'enhaut. Or il ne parlepoint là des laboureurs de la terre, mais de ceuxqui sement la parole de Dieu et qui cultivent sonEglise par exhortations continuelles. Combien doncque nous prenions grand'peine, toutesfois nous neprofìterons rien en tout nostre labeur, sinon queDieu y besongne par son sainct Esprit. Mais quandil y besongne, c'est à fin que nostre labeur serve:et alors il est dit que l'Evangile est la puissancede Dieu en salut à tous croyans: car Dien desployetellement la vertu de son sainct Esprit, que ce sontchoses coniointes, et qui ne peuvent estre separees,à sçavoir la doctrine de l'Evangile, quand elle sepublie, et la vertu secrete et interieure du sainctEsprit. Voilà donc en somme ce que nous avonsà retenir de ce passage de sainct Paul.

Or ayant parlé des prieres, il dit, Que vous soyésconfermez selon Vhomme interieur, par la vertu de sonsainct Esprit Ici il nous remonstré la debilité dontnous avons desia fait mention : car si nous ne sentonsnostre disette, iamais nous ne daignerons venir à Dieucomme povres mendians. Nous sçavons que l'hommeestant retenu en soy, ne veut point confesser sapovreté, sinon qu'il en soit convaincu. A fin doncque nous venions à Dieu sans feintise, et estansvrayement humiliez, ceci est requis, que nous ayonsexperimenté que nous ne pouvons rien du tout, etque nous sommes inutiles au bien, iusques à ceque nostre Seigneur nous ait renouvelez. Voilà ceque sainct Paul nous a voulu faire sentir. Carcombien que tout le monde en general demandeà Dieu son aide, tant y a qu'à grand'peine entrouvera-on de cent l'un qui face cela en verité etsans hypocrisie. Car si on sonde ce qui est end'aucuns, on trouvera qu'ils crevent, comme cra-paux, de fierté et d'ordure, et qu'ils presumentmerveilles d'eux. Ils iront demander secours àDieu, et ils cuident avoir en eux-mesmes ce qu'ilsdemandent. Or c'est une vilenie par trop enorme:mais tant y a que c'est un vice qui regne par trop.Quoy qu'il en soit, si nous desirons que Dieu es-tende sa main pour nous secourir, apprenons enpremier lieu de nous aneantir, et cognoissons quenous n'avons pas une force suffisante de nostrenature, et qu'il faut que cela vienne d'enhaut et deson sainct Esprit, comme sainct Paul l'a ici ex-primé: Que vous soyez donc confermez (dit-il) parla vertu de son sainct Esprit. Il n'y a nulle doutequ'il ne face comparaison de choses oppositos: carcependant que l'homme peut quelque chose en soy,il n'a point faute que l'Esprit de Dieu suppleé:

mais quand toute la vertu procede de la bonté gra-tuite de Dieu, voilà en quoy il nous est monstréque nous ne pouvons rien, et tout ce que nousimaginons avoir de vertu n'est que fumee qui s'es-vanouit, et toute illusion de Satan, lequel cerchede nous retenir en quelque folle arrogance, à finque nous ne recourions point à nostre Dieu, et quepar ce moyen nous soyons du tout destituez. Oroutre cela, sainct Paul monstre encores que c'estun benefice gratuit, c'est à dire, procedant d'unepure liberalité, à fin que nous ne cuidions point,quand Dieu nous a secourus, qu'il ait eu esgard àautre chose qu'à nos miseres, et non pas qu'il nousvist bien disposez. Et voilà qui est cause qu'ilnous subvient en toutes nos necessitez. Et ainsisainct Paul dit ici qu'il faut que nous soyons for-tifiez par la vertu de son sainct Esprit, et que celasoit un don.

Or il dit, selon les richesses de sa gloire. Pour-quoy est-ce qu'il magnifié tant les richesses de labonté de Dieu, sinon pour rabatre toutes ces follesopinions dont les hommes s'enyvrent, en cuidantapporter de leur propre ie ne sçay quoy, et sefaire par ce moyen compagnons de Dieu? Pourtantil nous faut bien retenir ceci : car sainct Paul parleà ceux qui desia avoyent monstré grande vertu:mais tant y a qu'il faloit que Dieu en fust tousioursloué. Ils estoyent fort avancez, ils avoyent desiacombatu pour l'Evangile: et toutesfois sainct Pauldemande qu'ils soyent fortifiez. En cela voyons-nous que tant s'en faut que nous puissions com-mencer à bien faire, que quand Dieu nous aura misau chemin, qu'il nous aura tendu la main, que deiour en iour il aura continué ses graces en nous,il ne faut sinon une minute, il ne faut sinon tour-ner la main, et nous defaudrons du tout. Ainsinous sommes admonnestez (comme desia nousavons veu auparavant) que tout ainsi que Dieucommence nostre salut, aussi il le parfait, et qu'iln'y a nulle perseverance, sinon d'autant que noussommes soustenus de luy et de son sainct Esprit.Et voilà comme nous devons estre solicitez deprier de iour en iour, et tout le temps de nostrevie. Car ceux qui s'oublient et s'endorment,incontinent se sentiront estre despouillez de la gracede Dieu. Et pourquoy? Ils n'en sont pas dignes,quand ils ne la cercheflt pas avec une solicitudecontinuelle. Pour bien donc nous esveiller et denostre paresse et de nostre lascheté, il nous fautretenir ceci, que quand Dieu nous a appelez en sonEglise, qu'il nous a touchez au vif pour recevoirson Evangile en vraye obeissance, qu'il faut qùed'autant plus cela nous conferme iusques en la fin.Voilà pour un item. Et puis cognoissons qu'il fautque Dieu monstre les richesses de sa gloire, quandil augmente ainsi par degrez son sainct Esprit en

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nous. Gar quand il nous attire à soy de primeface, ne faut-il pas bien que là il y ait des thre-sors infinis de sa bonté? Où sommes-nous quandDieu nous prend et qu'il nous élit? Il ne noustire pas seulement d'un bourbier puant, mais desabysmes d'enfer. Car voilà ce que nous apportonsd'heritage du ventre de nostre mere, c'est d'estremaudits et comme ennemis de Dieu, et n'avoir ennous que malice et rebellion, d'estre povres aveuglesd'estre (bref) adonnez à tout mal, tellement queSatan domine sur nous, et que nous luy soyonsesclaves, que nous soyons detenus sous la tyranniede peché. Or quand Dieu a pitié de nous, voyantque nous sommes si miserables creatures, il fautbien que là il y ait des richesses admirables de sabonté, et qu'il en soit glorifié de mesmes: et (com-me i'ay desia dit) nous devons estre mieux touchezde cela, que comme il nous a adoptez pour ses en-fans, nous monstrions que nous le voulons tenirpour nostre Pere. Mais quoy que nous facions,encores qu'il nous ait reformez à son image, sifaut-il qu'il deeploye les richesses de sa bonté, etqu'il augmente ses dons en nous, et qu'il face quenous poursuyvons tousiours nostre course. Et d'au-tant plus nous faut-il retenir ceste doctrine, quandnous voyons que le monde a esté abusé de ces trom-peries, quand chacun s'est persuadé que par son franc-arbitre on pouvoit bien s'avancer, ou pour le moins sepreparer de venir à Dieu. Et puis, que quand Dieuadiouste grace sur grace, c'est d'autant que leshommes ont bien usé de ce qu'il leur avoit donnéauparavant et eslargi. Or quant au premier, com-ment sera-il possible que nous apportions rien àDieu pour nous faire valoir? Veu que nous sommescomme povres trespassez, que nous sommes commedes charongnes pourries, quelle preparation pour-rons-nous avoir pour acquerir grace envers Dieu?Ne faut-il pas que les hommes soyent plus qu'en-sorcelez, quand ils conçoivent telles folies? Appre-nons donc d'attribuer le commencement de nostresalut à Dieu, et la perseverance, et la fin, et quenous detestions toutes ces illusions diaboliques, queDieu en nous adioustant ses graces, regarde com-ment chacun de nous l'a desservi. Car à l'oppositesainct Paul declare qu'il ne nous faut ici rien avoirdevant les yeux que les richesses de ceste bonté,quand Dieu se monstre si liberal envers nous, queiamais il ne se lasse de nous bien faire. Il n'estpoint semblable aux hommes mortels qui diront, C'estassez, quand ie t'ay fait du bien, contente toy: maisselon que Dieu a espandu les dons de son Espriten nous, il est incité à y adiouster à ceste mesure-là, iusques à ce que nous soyons amenez au comble,c'est à dire à toute perfection.

Or cependant sainct Paul notamment aussiadiouste l'homme interieur. Car nous voudrions

Calvini opera. Vol. LL

bien que Dieu tousiours nous fortifiast et nous aug-mentast en ce monde: mais cependant la vie celestene nous est quasi rien. Car les uns se veulentmonstrer vaillans, et sont tellement ravis en leursens, qu'ils cuident estre comme Anges, moyennantqu'on parle de leurs prouesses, et qu'ils soyentestimez habiles gens, qu'ils ayent acquis reputation.Voilà donc les forces que les hommes desirent. Lesautres, moyennant qu'ils se puissent augmenter ouen marchandise, ou comment que ce soit, qu'ilsacquierent possessions et autres richesses. Les autres,quand ils seront en credit et authorité. Bref, voilàcomme nous voudrions que Dieu se monstrast libe-ral envers nous, c'est selon nostre sensualité et nosappetis terrestres. Or à l'opposite sainct Paul nousramene à l'homme interieur, c'est à dire à cestevie spirituelle qui nous est cachee, sinon d'autantque nous en avons tesmoignage. Car voilà commeil parle de l'homme interieur aussi bien aux Corin-thiens, disant que l'homme exterieur se corrompt:mais si est ce que l'interieur est renouvelé. Pourceque ces mots ne sont pas encores trop communs enFrançois, interieur c'est ce qui est caché au dedans,et exterieur c'est ce qui apparoist. Qu'es t-ce doncque sainct Paul a entendu par ce qui apparoist?Les richesses, la santé corporelle, les honneurs, d'e-stre en credit et authorité: bref, tout ce que nousappetons selon nostre nature. Voilà que c'est del'homme qui apparoist.

Or (comme i'ay desia dit) nous voulons bienestre fortifiez en cela, et cependant nous mesprisonsl'homme qui est caché au dedans, c'est à dire cequi appartient à la vie celeste. Et pourquoy? Carnous ne le voyons pas, d'autant que nous sommesgrossiers, estans enveloppez en ce monde. Pourtantici sainct Paul nous monstre que si Dieu nous veutamoindrir selon l'apparence du monde, qu'il nousfaut porter cela en patience, comme en ce passageque ie vien d'alleguer il dit le semblable. Car lesincredules et toutes gens profanes qui ont leurthresor en ce monde, quand ils se voyent aller endecadence, ils gemissent, Helas! et où sont lesbras du temps passé? où sont les iambes? ils sedespitent là à l'encontre de Dieu. Apres, si unhomme est riche, et qu'il se voye diminué, et queDieu luy retranche ce qu'il possedoit, il est en uneinquietude horrible, il aimeroit mieux estre desiaen terre, que de voir qu'il ait ainsi les ailes accour-cies. Apres, ceux qui sont menez d'ambition, etqui ne demandent sinon à se faire valoir selon lemonde, s'ils ne sont plus en leur credit accoustumé,ils cuident que tout soit perdu. Mais à l'opposite,les enfans de Dieu qui de leur bon gré fermentles yeux à tout ce qui a beau lustre ici bas, et quicontemplent par foy l'heritage des cieux, ils nesont point ainsi tormentez quand ils se voyent di-

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minuer à veuë d'oeil, quand iis voyent que Dieules fait escouter petit à petit, ils prennent cela enpatience. Et pourquoy ? Ils regardent à l'eschange :c'est que par ce moyen Dieu les renouvelle, pourleur donner ce qui est caché, et leur faire repren-dre plus de vigueur, comme s'il les approchoit duroyaume des cieux. Voilà donc ce que S. Paulmaintenant nous monstre, c'est &elon que noussommes transportez de nos fols appetis, que chacunvoudroit que Dieu se rengeast à ses íantasies: maisau contraire en priant Dieu qu'il nous fortifie, qu'ilne nous face point mal si nous declinons quant aucorps, moyennant que nous ayons ceste vigueurspirituelle qui nous face approcher de plus en plusde nostre Dieu: et que nous regardions à ce roy-aume celeste qui ne nous peut faillir, cognoissantque si nous allons en bas, c'est pour estre eslevezen haut, et que s'il nous faut descendre au sepul-chre, ce n'est pas pour y perir du tout: mais c'estpour estre renouvelez. Que nous souffrions doncd'estre ainsi aneantis, àfin que nous soyons restaurezpar la vertu de nostre Dieu: et si nous sommespovres et contemptibles en ce monde, que noussouffrions cela patiemment, et cependant ne laissonspas d'avoir ce certain tesmoignage, que Dieu besong-nera en nous comme ii le promet.

Et au reste, notons bien ce que S. Paul metici: car il n'use pas simplement du nom de Dieu:mais il dit, le Tere de nostre Seigneur Iesus Christ,duquel tout parentage est nommé au ciel et en ia terre.Or par cela en premier lieu il nous monstre laprivauté que nous pouvons avoir pour venir à Dieu,selon que desia il a esté touché. Et dimanche passéce passage fut declaré suffisamment, où il nousmonstroit comment nous pouvons parvenir à Dieu.Or il mettoit la foy en premier degré. Quand doncnous avons tesmoignage que la porte nous estouverte, voilà comme nous avons hardiesse pourvenir à Dieu. Et ceste foy-là engendre fiance ennos coeurs, et la fiance adiouste la hardiesse : S. Paulmettoit ces trois degrez là. Ici il nous monstrecomment nous obtenons ce privilege, c'est à sçavoir,d'autant que Dieu n'a pas seulement sa maiestéceleste pour estre adoré de nous. Car combienqu'alors nous luy devions hommage, si est-ce quenous serions estonnez pour fuir sa presence, tantqu'il nous seroit possible. Mais quand il adioustece titre de Pere, et qu'il dit qu'il nous tient pourses enfans, voilà comme nous ne sommes plus eneffroy: et s'il faut approcher de luy, que nous jvenions familierement, puis qu'il a les bras esten-dus pour nous recevoir. Voilà donc un article quiest bien à mediter. Car si nous ne pouvons invo-quer Dieu, que sera-ce de nous, et quelle seranostre condition? Il est dit que tout nostre salutgist en cela, que nous puissions avoir nostre refuge

à Dieu. Or maintenant si nous cuidons estreexaucez en priant Dieu en doute et en dispute,c'est un abus, comme dit S. Iaques. Il ne faut pasdonc que nous soyons comme roseaux branlans àtous vents, ou comme des flottes de mer: mais quenous ayons ceste certitude bien arrestee, que Dieuqui nous appelle à soy, ne nous veut point frustrer.Quand donc nous prions Dieu, il faut que ce soiten fiance que nous n'aurons point perdu nostrepeine. Or comment pourrons-nous avoir cela? Carvoilà Dieu qui a une maiesté incomprehensible: etquelle distance j a-il entre luy et nous? Quandnous pourrions voler par dessus les nues, encoresne pourions-nous point approcher de Dieu, selonceste hautesse infinie qui est en luy: les cieux nele comprennent point. Nous serions donc commegens esperdus et esvanouis, sinon que Iesus Christfust là au milieu pour nous donner acces.

Et c'est ce que S. Paul dit maintenant, qu'ilprie le Pere de nostre Seigneur Iesus Christ, à finque nous sçachions qu'il n'est point eslongné denous, quand nous tiendrons le chemin qu'il nousmonstre, à sçavoir que Iesus Christ soit nostre ad-vocat, qu'il porte la parole, et que nous parlionscomme par sa bouche: car il est entré à ceste fin-là au sanctuaire des cieux pour se presenter ennostre nom, et que ce soit autant comme s'il nousportoit sur ses espaules, à fin que nous soyons re-ceus et advouez de Dieu avec toutes nos prieres:et que nous sçachions qu'elles ne s'espandent pointen l'air à l'aventure : mais que Dieu les reçoit commes'il estoit prochain de nous, ainsi qu'il l'a promisau Pseaume, qu'il sera prochain de tous ceux quil'invoquent en verité. Or si ceci eust esté biengardé, le povre monde ne se tormenteroit point tantà cercher les saincts et les sainctes pour leurs pa-trons et advocats. Comme quand ces miserablesPapistes disent qu'il faut avoir la vierge Marie etsainct Michel pour intercesseurs, et les autressaincts qu'ils ont forgez en leur cerveau, ils diront,Ho, nous ne sommes pas dignes d'aller à Dieu. Ilest bien vray: mais aussi ceste indignité-là nousdoit faire cercher le remede qui nous est proposéde nostre Dieu, c'est à sçavoir, que nous venionsà nostre Seigneur Iesus Christ, lequel est la voyepour nous conduire à Dieu son Pere: comme iidit, Ie suis la voye, la verité, et la vie: et touteschoses que vous demanderez à Dieu mon Pere enmon nom, il vous sera ottroyé. Là nostre SeigneurIesus promet que tout ce que nous requerrons àDieu son Pere en son nom, il nous sera donné.Et par cela il ratifie ceste doctrine. En sommedonc notons, puis que nostre Seigneur Iesus s'offreet se presente d'estre la voye pour nous conduireà Dieu son Pere, qu'il ne faut point que nous al-lions tracasser ni çà ni là: que si nous voulons

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cercher un autre chemin, nous ne ferons qu'errer,et iamais nous n'aurons nulle adresse pour appro-cher de Dieu. Et au reste, à fin de nous conten-ter de Iesus Christ seul, que nous retenions bience qu'il dit, que nous serons exaucez en toutes nosrequestes, quand elles seront fondees en son nom.Voilà, donc ce que sainct Paul a voulu monstreren premier lieu: c'est, toutesfois et quantes quenous devons prier Dieu, que nous sçachions com-bien que nous soyons indignes de venir à luy,toutesfois qu'il ne laisse pas de nous accepter, etnos prieres luy sont un sacrifice de bonne odeur,et qui luy est agreable, c'est à sçavoir, quand nousle cognoissons estre Pere de nostre Seigneur IesusChrist. Or il est vray cependant qu'il nous fautadiouster ce que l'Evangile nous monstre, c'est àsçavoir que nous sommes membres du corps deson Fils unique: car si nous n'avions nulle accoin-tance avec Iesus Christ, nous ne gagnerions riende sçavoir qu'il est Fils de Dieu. Mais d'autantque nous sommes unis à luy, et qu'il veut quenous ayons tous ses biens communs, voilà pour-quoy nous pouvons aussi appeler Dieu nostre Pere.Et voilà pourquoy aussi il disoit à ses disciples, Iem'en vay à mon Dieu et à vostre Dieu, à monPere et à vostre Pere. Voilà donc quant au premier.

Or cependant il nous faut aussi bien noter ceque S. Paul adiouste pour declaration plus ample,c'est que tout parentage est nommé de luy au ciel eten la terre. Quand il dit cela, en premier lieu ilmonstre que les Iuifs devoyent estre conioinctsavec les Payens, puis que la trompette de l'Evan-gile a sonne, qu'il faut que la grace de Dieu soitpubliee par tout, que de tous pays et nations oninvoque Dieu. Et par cela aussi il nous est monstrécombien que nous soyons descendus des Payens, quiavoyent esté auparavant retranchez du royaume deDieu, que toutesfois nous sommes faits domestiques,et sommes enrollez avec les citoyens des cieux, etque Dieu nous advoue pour tels. Voilà comme parle Pere de nostre Seigneur Iesus Christ, et pourceaussi que Iesus Christ s'est fait nostre chef, et nous

a receus pour son corps, voilà (di-ie) comme toutparentage est nommé par luy, d'autant que Dieudaigne bien nous accepter à soy, voire nous povreset miserables creatures, qui ne sommes pas dignesd'estre au reng des vers de terre: toutesfois Dieunous veut associer non seulemeut en la compagniedes Iuifs, qui estoyent la lignee saincte, qui estoyentle peuple éleu de Dieu, qui estoyent son heritage:mais il nous assemble avec les Anges de Paradis.Car sainct Paul ne se contente pas de mettre iciun parentage entre les hommes, pour monstrer quele plus petit des fideles est conioinct avec Abraham,avec David, avec sainct Pierre et sainct Paul: maisqu'il est conioinct avec les Anges. Et de faict,nous pouvons bien avoir une telle dignité, puis queIesus Christ mesmes veut estre nostre frere, commeil s'est conioint à nous d'un lien fraternel. Voilàdonc comme nous devons estre conduits quand ilest question de prier Dieu, que nous venions encrainte et reverence voyant la maiesté de Dieu, la-quelle est infinie. Et au reste, que nous ne soyonspoint estonnez pour tourner bride en arriere: maisque nous cognoissions, puis que Dieu a bien daignénous recevoir pour ses enfans, et que nostre SeigneurIesus s'est constitué Mediateur, à fin que nous puis-sions approcher de luy, que nous venions en pleinefiance devant ce throne de grace: et que nous nedoutions point d'appeler Dieu à pleine bouche nostrePere, d'autant qu'il a declaré qu'il nous tenoit pourses enfans, et d'autant que nous avons Iesus Christpour frere par adoption, que nous ne doutions pointaussi qu'alors tous les Anges de Paradis ne nousrecognoissent et advouent pour leurs freres, quandnous viendrons à Dieu estans ainsi conioincts ànostre Seigneur Iesus Christ: comme aussi au con-traire, si nous declinons de ce but-là, il faudra quenous soyons reiettez, et que les Anges mesmes noussoyent ennemis et parties adversos, et qu'ils soyentcontraires à toutes les oraisons que nous pour-rons faire.

Or nous-nous prosternerons devant la maiestéde nostre bon Dieu etc.

VINGTIEME SERMON.Chap. III, v. 14—19.

Nous avons veu ce matin quel acces nous avonspour prier Dieu, si nous voulons estre exaucez deluy, et avoir une pleine certitude que toutes nosoraisons luy seront agreables : c'est que Iesus Christ

nous y conduise, et qu'il soit nostre advocat, qu'ilintercede pour nous, tellement que nous ne par-lions sinon comme par sa bouche. Or il nous adonné ceste reigle de prier Dieu, en l'appelantnostre Pere. Et dont viendra aux hommes mortelsceste hardiesse ou presomption d'appeler Dieu leur

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