Pourquoi la gauche est-elle de droite et vice-versa ?

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Quant aux turpitudes de la gauche politique, inutile d’en dresserl a longue litanie, de l’abolition de la république le 10 juillet 1940, la complicité intellectuelle avec le fascisme, le déclenchement des guerres coloniales, l’impéritie dans la conduite des opérations militaires des deux guerres mondiales jusqu’à la folklorique et indécente gauche caviar, nouvelle oligarchie parasitaire portée au pouvoir par le mitterrandisme. Il ne s’agit pas non plus d’absoudre une droite qui n’a plus d’autreprojet que de jouer les idiots utiles en en rajoutant dans l’adhésion auxmythes modernistes et communautaristes qui sont devenus le pain quotidien de l’oligarchie politico médiatique. Il s’agit de comprendre pourquoi gauche et droite ont exactement les mêmes fondamentaux philosophiques et quelle est la ligne de démarcation qui les oppose à la conception républicaine de l’Etat et de la société.

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Comité de Rédaction :Élisabeth Altschull

Suzel AnstettFrançois GauduPatrick Guiol

Edouard HussonAnne-Marie Le Pourhiet

Thierry MesnyFrançois MorvanFrancis PothierClaude RochetJacques Sapir

PERSPECTIVES RÉ[email protected]

www.perspectives-republicaines.fr

ISSN 1777-6864

Directeur de Publication : François MORVAN

Secrétaire de rédaction : Thierry MESNY

Maquette : Jean-Pierre FLECHARD

Edité par l’Association Vive La République - VLR!

Siège Social : 18, rue Tournefort, 75005 PARIS

Imprimerie GRENIER 94250 Gentilly

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N°4 — décembre 2006

SOMMAIRE

DROITE - GAUCHEDu pareil au même ?

ÉDITORIALpar Thierry MESNY.............................................7

LES TROIS MORTS DE LA GAUCHEpar François MORVAN..........................................9

LA « GAUCHE ETHNIQUE », UN MYTHE EN PERDITIONpar François GAUDU..........................................23

POURQUOI LA GAUCHE EST-ELLE DE DROITE ET VICE-VERSA ?

par Claude ROCHET ..........................................37

LES SUBVENTIONS ET AUTRES ENTRAVES À LA CONCURRENCE SONT-ELLES À PROSCRIRE OU NÉCESSAIRES AU BON FONCTIONNEMENT DE L’ÉCONOMIE ?

par Jacques SAPIR ............................................53

ÉGALITÉ DES CHANCES, LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS, DIVERSITÉ :L’ÉGALITÉ RÉPUBLICAINE EN DANGER

par Jeanne ÉGALITÉ..........................................63

UNE CONSTITUTION CONÇUE POUR UN CHANGEMENT DERÉGIME

par Patrick GUIOL ............................................73

LE PRINCIPE DE PRÉCAUTIONpar Jacques COEUILLET......................................89

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On ne tire pas sur les ambulances et notre propos n’est pas dedénoncer une nouvelle fois les turpitudes de « la gauche qui n’estplus de gauche » au nom d’une supposée gauche authentique, cette

« gauche ethnique » qu’analyse François Gaudu dans ce numéro. Lagauche a eu une certaine réalité, qui s’est construite au XIXe siècle parl’adhésion à la philosophie des Lumières et qui s’est traduite par le soucides lois sociales et de faire rayonner la Raison dans le monde entier, notam-ment par l’œuvre coloniale. Cette prétention est fort peu fondée sur la

réalité puisque la plupart des lois sociales ont été votées, tant en Francequ’en Angleterre, par des gouvernements libéraux et conservateurs qui lefirent tout simplement pour éviter les conflagrations sociales qui auraientruiné la prospérité issue de la révolution industrielle. Ce sont les mouve-ments sociaux qui furent le moteur le plus actif du progrès social et ceux-ci furent souvent mieux entendus par des gouvernements de droite que degauche. Quant aux turpitudes de la gauche politique, inutile d’en dresserla longue litanie, de l’abolition de la république le 10 juillet 1940, lacomplicité intellectuelle avec le fascisme, le déclenchement des guerrescoloniales, l’impéritie dans la conduite des opérations militaires des deuxguerres mondiales jusqu’à la folklorique et indécente gauche caviar,nouvelle oligarchie parasitaire portée au pouvoir par le mitterrandisme.

Il ne s’agit pas non plus d’absoudre une droite qui n’a plus d’autreprojet que de jouer les idiots utiles en en rajoutant dans l’adhésion auxmythes modernistes et communautaristes qui sont devenus le pain quoti-dien de l’oligarchie politico médiatique. Il s’agit de comprendre pourquoigauche et droite ont exactement les mêmes fondamentaux philosophiqueset quelle est la ligne de démarcation qui les oppose à la conception répu-blicaine de l’Etat et de la société.

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C. R

OCH

ET

POURQUOI LA GAUCHE EST-ELLE DE DROITE

ET VICE-VERSA ?

par Claude ROCHET

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1 Jean-pierre Le Goff, LaBarbarie douce, LaDécouverte 19992 Rédacteur en chef de lasuperbe revue toulousaine«L’Opinion indépendante»http ://www.opinion-ind.presse.fr/

Nos élites ont, à l’issue de ces « trente piteuses », quitté le monde réelpour un monde imaginaire peuplé d’individus virtuels d’où l’individu réelissu de la tradition républicaine et des Lumières a disparu. Il a été remplacépar un surhomme qui s’affranchit de toutes les contingences liées à sonhumanité : le sexe, l’âge, la culture, toute différence est vécue comme uneinsulte à cette volonté de puissance.

Au réel se substitue la théatralisation du réel. À propos des luttessociales, souligne Jean- Pierre Le Goff1 :

« se trouvent amalgamées d’emblée en un tout les luttes les plusdiverses : des grèves et luttes revendicatives dans les servicespublics et les entreprises aux luttes des homosexuels. Et PierreBourdieu de recommander au mouvement gay, dont les «‘agents »sont « dotés d’un fort capital culturel », de se « mettre au servicedu mouvement social dans son ensemble » ; ou, pour sacrifier uninstant à l’utopisme, de se placer à l’avant-garde, au moins sur leplan du travail théorique et de l’action symbolique (où certainsgroupes homosexuels sont passés maîtres), des mouvements poli-tiques et scientifiques subversifs (...) ».

Et progressivement, les vraies luttes sociales sont dévalorisées au seulprofit des « luttes symboliques » :

«Alain Touraine est ainsi amené à déconsidérer les conflits et lesluttes existant dans la sphère du travail, ramenés peu ou prou à desaspects étroitement revendicatifs, voire corporatistes, pour fairejouer aux mouvement écologistes, féministes, homosexuels, antira-cistes, lycéens... le rôle d’avant garde sociale et culturelle dans lamutation du monde que nous vivons. ».

Le grand avantage est que la réalité du pouvoir est transférée vers lesmanipulateurs de symboles, le discours devient autoréférentiel : ilcontient sa propre justification et exclut l’analyse critique des faits, quin’existent d’ailleurs plus, n’étant que le produit du discours et n’ayant pasd’existence objective. Le mode de gouvernement actuel a sacré la prise dupouvoir par le virtuel : ne rien faire, n’avoir d’autre projet que de sesoumettre à des « impératifs » externes, mais gérer son image : faire« jeune » et « de gauche », brasser des symboles et du vent et se faireplébisciter par les sondages. La droite, qui tient à sa réputation et veutrester « la plus bête du monde », lui emboîte le pas. Depuis Giscard elles’est mise à l’ouvrage : on autorise les sex-shops, on fait de la Marseillaiseune marche funèbre, on tente de supprimer le 8 mai des fêtes officielles,il fallait faire « jeune » pour liquider le gaullisme et ouvrir la voie au « libé-ralisme avancé ». Les conseillers en communication remplacent laréflexion. Seule l’image compte.

Les nouveaux bien pensants

Cette mise en scène est parfaitement orchestrée par les « nouveauxbien-pensants » que décrit Christian Authier2 « Les nouveaux bien-pensantsaniment aujourd’hui un monde où toutes les frontières ont disparu saufcelle de l’argent, la seule qui trouve grâce à leurs yeux. Les libéraux degauche gèrent le grand capital aussi bien que les libéraux de droite. Pour

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3 Denis Collin et JacquesCotta, « L’Illusion plurielle,pourquoi la gauche n’estplus la gauche », Lattès,20014 Christopher Lasch « Larévolte des élites ou latrahison de la démocratie »Climats, 19965 Sur cette période etl’histoire de l’extrême-gauche radicale, lirel’ouvrage bien documenté deChristophe Bourseiller «Lesmaoïstes, la folle histoiredes gardes rouges français»,Plon 1996

faire oublier ses renoncements et la soumission de la volonté politique àl’autorégulation des flux financiers, la gauche morale entonne sur lesquestions de société la vieille musique soixante-huitarde et libertaire. Lesconcubins et les gays sont plus importants à ses yeux que les trois millionsde chômeurs et les nombreux autres millions de français en situationprécaire. La parité se substitue à la véritable lutte contre les inégalités.Les pseudo-révolutionnaires de 68 dictent le discours officiel. La « margi-nalité » est devenue la norme, les homosexuels rêvent de mariage etd’exemptions fiscales, la « contre-culture » se fait moralisatrice et avidede subventions. La modernité et l’avant-garde ne sont que les masquesfatigués du conservatisme le plus étroit. »

Même des marxistes orthodoxes comme Denis Collin et Jacques Cotta3,qui continuent leur quête de « la vraie gauche » constatent que :

« …la domination marxiste des années 60 n’a servi qu’à interdire lalecture de Marx chez qui l’on trouvera cependant l’analyse perti-nente quant au passage de l’idéologie libertaire révolutionnaire auplus plat capitalisme ».

Le phénomène est mondial et son cœur est au Etats-Unis : le discoursmoralisant, humanitariste est celui des nouvelles élites que décritChristopher Lasch, détachées, à la différence des élites précédentes, detout lien avec la tradition et la transmission au nom d’une idéologie « révo-lutionnaire » masquant les inégalités croissantes du capitalisme mondialqu’ils dominent sous un manteau de moralisme et de tolérance obligatoire.Mais « la moindre opposition fait oublier aux humanitaristes les vertusgénéreuses qu’ils prétendent défendre. Ils deviennent irritables, phari-siens, intolérants4 ».

Comment en est-on arrivé là ? Le comprendre nous emmène dans uneplongée dans le nihilisme dont la contre-révolution de mai 1968 assura letriomphe.

Le jeunisme, stade suprême de la sénilité

Depuis 1968 les jeunes sont à l’honneur et parés de toutes les vertus.Entre les jeunes et les vieux le mythe de l’éternelle jouvence bâtit uneopposition radicale.

Au début de 1971, Richard Deshayes, membre d’un groupuscule d’ex-trême-gauche « Vive la Révolution » (VLR) animé par Roland Castro-devenu depuis une des grosses fortunes de la gauche caviar - publie lemanifeste du « Front de Libération des Jeunes » :

« Assez de baffes, assez de brimades, assez de chantages. On n’a paspeur de l’âge, on a peur de devenir vieux, et vous, bourgeois, vousnous faites vieillir. Qu’une chose soit claire : nous ne sommes pascontre les vieux, mais contre tout ce qui les fait vieillir. »5

Richard Deshayes était mon camarade au lycée Buffon où nous suivionsl’enseignement de philosophie de Maurice Clavel. Nous avions été à l’ini-tiative, dès l’automne 67 de la création d’un mouvement d’opposition à laguerre du Vietnam qui s’était fait remarquer par sa radicalité et sesactions énergiques. Assez tôt, nous avons divergé et Richard condamnaitce qu’il considérait (déjà!) comme une dérive droitière : un radicalisme

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6 Alain Peyrefitte, « C’étaitde Gaulle », T.3, p. 24,Fayard 2000

idéologie trop faible et une inquiétude devant le niveau de violence quenous avions rapidement atteint et ses conséquences sur nos camarades.Romantique, adepte de l’engagement total, séduisant et plaisant auxfemmes, Richard allait pousser jusqu’au bout sa logique qui allait lui êtrefatale. Derrière cette rhétorique séduisante se révèle une réalité touteautre : le FLJ rassemblait des éléments du lumpen-prolétariat le plusradical. Au nom du spontanéisme, ils pillent et incendient la propre librairiedu mouvement, en janvier 71, dans ce même élan antiautoritaire quipoussa, au nom du féminisme les femmes à dénoncer leur conjoint, et aunom du jeûnisme les enfants à vomir leurs parents. Le 31 janvier, c’est l’at-taque du Palais des Sports où a lieu un concert des « Soft Machines »:

« Ce soir, on refuse les flics, on refuse leur caisse, on refuse le spec-tacle ; le spectacle, c’est la vie, c’est la révolution… la musique està nous, ce soir on la reprend » - signé FLJ.

Le spectacle finira en émeute sanglante. L’épopée de Richard allaits’achever tragiquement le 9 février lors d’une manifestation pour la libéra-tion des maoïstes emprisonnés lors de l’émeute. La manifestation étantinterdite, les pontes du maoïsme avaient donné pour consigne de chercherl’incident et de casser du flic. Consigne que Richard ne prenait jamais à lalégère. Son errance allait s’arrêter au carrefour de la rue Damrémont et dela rue Ordener où un policier lui tira à bout portant une grenade dans lafigure. Les leaders maoïstes allaient promener la photo du visage défiguréde Richard dans de nouvelles manifestations, tandis qu’il trouvait encore laforce de publier de nouveaux appels depuis son lit de souffrance.

Richard ne se remettra pas du déchaînement ahurissant de violencequ’il avait déclenché et dans lequel il avait entraîné la police, absolumentpas préparée à cette époque à canaliser de tels assauts. Il disparut de lavie publique. Je le revis quelque temps après, dans une communauté céve-nole où nous avions entrepris de relancer la sériciculture disparue. Levisage refait, méconnaissable, rasé, dorlotant un poupon en celluloïd,prononçant quelques bribes d’un pseudo-mysticisme, son parcours politiques’était arrêté là.

En 1959, le général de Gaulle se rend au bal de l’École normale supé-rieure de la rue d’Ulm. Après avoir été applaudi par les élèves, il s’avancevers eux pour leur serrer la main. Un élève s’interpose entouré de quatreautres, mains serrées le long du corps, lui barrant le passage. De Gaulle luitend la main. Refus. « Monsieur je voudrais juste vous serrer la main », ditde Gaulle. Refus de l’élève. En décembre 1998, Alain Peyrefitte parvient àrencontrer l’élève - devenu depuis professeur d’université- dans un dînerorganisé par un ami normalien commun. Il lui avoue sa honte, son aveugle-ment lié à son engagement politique «C’est seulement plus tard, après leretrait du Général que j’ai regretté de l’avoir offensé. J’ai pensé le luiécrire, mais il est mort avant que j’aie rédigé ma lettre »6. Même à laveille de la retraite, les acteurs de cet exploit gardent l’anonymat.Honteux tant de l’absurdité de l’acte que du ridicule des auteurs, élèvesde la plus prestigieuse école de la République, où l’on porta le deuil pourla mort de Staline (« Heureusement, il nous reste ses écrits ! » s’écria undes élèves dans la bibliothèque, raconte Pierre-Gilles de Gennes). Honted’avoir été si bien emballés par les manipulateurs de symboles.

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Et les autres ? Ils n’ont pas honte : ils sont au pouvoir.Vouant depuis cette époque une haine inexpiable à la classe ouvrière

qui s’était contentée de la satisfaction de ses revendications après lesaccords de Grenelle et n’avait pas suivi les ténors de l’ultra-gauche sur laroute des lendemains qui chantent, les petits marquis de 1968 allaientfaire des « jeunes » une catégorie messianique. Le mythe du « jeûne »allait remplacer le mythe de l’ouvrier. À un détail près : Le « jeûne » ettous les autres succédanés produits par l’intelligentsia, les « exclus », les« sans-papiers », « l’homosexuel » ne sont que des catégories virtuelles,tout aussi virtuelles que l’activité agricole de José Bové, dotées de droitsvirtuels qui devront se garder de la tentation de toute réalité.

Commentant les incidents habituels qui suivent les manifestationslycéennes, un journaliste eut cette expression « les jeunes ont attaqué leslycéens ! ». Le « jeûne », c’est le lumpen des banlieues, pas celui quiétudie, implicitement accusé de déviance par cette nouvelle orthodoxie.N’est « jeune » que ce qui correspond aux images d’Épinal des nouveauxbien-pensants.

Aucune civilisation, depuis la Grèce antique, n’a considéré la jeunessecomme une source de sagesse et de vertu. La jeunesse, c’est le dyna-misme, pas la sagesse qui est le fait des adultes mûrs. Le culte de lajeunesse comme source de toute vie et de toute innovation est un héritagedu nazisme qui y vit le modèle de la « brute blonde » construisant l’avenirsur les ruines du passé.

Le jeunisme est la manifestation d’un monde où les adultes ont renoncéà leur rôle de sage parce qu’ils n’ont plus rien à dire. Cela porte un nom: la sénilité.

Adulés dans ce monde virtuel, « les jeûnes » sont depuis 30 ans lessacrifiés du monde réel régi par l’individualisme absolu. Une formation debase rabaissée par une succession de réformes de l’enseignement qui n’ontcessé de procéder à des ajustements par le bas, livrés à la violence desquartiers déstructurés, une maturité affective mutilée par le règne del’hédonisme agressif, des familles disloquées au nom du « jouir sansentraves », cibles prioritaires des dealers de toutes sortes, chômeursprivilégiés du nouvel eldorado européen, les jeunes du monde réel peuventremercier leurs aînés et commémorer 68 dans la fête.

Le nihilisme

« Tel est le funeste destin de l’Europe : ayant cessé decraindre l’homme, nous avons cessé de l’aimer, de le vénérer,d’espérer en lui et même de le vouloir. Désormais le spectaclequ’offre l’homme fatigue. Qu’est-ce qu’aujourd’hui que lenihilisme, sinon cela ?(…) Nous sommes fatigués de l’homme »

NIETZSCHE, Généalogie de la morale

Le nihilisme n’est pas en soi une mauvaise chose. Expérience dutragique et du vide de la vie humaine, il peut être un fondateur au sens del’expérience de l’absurde chez Albert Camus.

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Découvrir qu’il n’y a rien et que le monde est vide et sans sens, que noussommes responsables de nos buts et de leur atteinte, que le sens ne nousest pas donné, mais que ce qui nous a été donné c’est la capacité à donnerdu sens à notre vie, est une expérience du tragique. Elle est fondatrice carc’est une expérience de la liberté : l’homme peut le meilleur autant quele pire. Le XIXe siècle, en bouleversant les cadres des sociétés tradition-nelles, vit la naissance du nihilisme moderne qui allait prendre diversesformes : celle du nihilisme actif, furieux de découvrir que là où l’onpensait qu’il y avait quelque chose il n’y avait rien et voulant faire de cettedécouverte une nouvelle fondation, et celle du nihilisme passif contempo-rain, celui du dernier homme dont Nietzsche annonçait l’arrivée dans Ainsiparlait Zarathoustra qui se contente de ne plus croire à rien après la mortde Dieu et de vivre sa petite vie dans la passivité tranquille du triptyque«santé, sécurité, confort ».

Un point commun à ces variantes du nihilisme: la volonté de puissance.La volonté de puissance, c’est le refus de l’homme faillible et libre amenéà délibérer sur les buts qu’il veut se donner, et le contenu qu’il veut donnerà sa liberté. C’est le refus de la nature, du droit naturel, pour l’affirmationde la volonté de l’homme de se façonner indépendamment de toutes lescontingences et de toute norme exogène liées à son humanité. Vouloir àtout prix de peur de subir, la volonté comme unique objet de la volonté,telle est la volonté de puissance. Sa forme la plus radicale fut le nazisme,refus régressif de la modernité instituée par les lumières et l’Aufklärungpour la quête d’un surhomme mythique, mais également le communismequi, s’il n’était pas nihiliste dans ses motivations le fut dans ses moyens etdans ses fins. Les formes « soft » de la volonté de puissance sont aujour-d’hui l’hédonisme agressif du « jouir sans entraves » qui est le refus de lacontingence pour la quête d’un monde sans contraintes.

Mettre rien là où il y a quelque chose

« Pourquoi y-a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » À cette éternelleinterpellation de Leibniz, les nihilistes ont leur réponse : Puisque laconnaissance du monde et de l’homme nous montre qu’il n’est pas parfait,c’est donc que toute perfection ne peut être de ce monde. Puisque le sensne nous est pas donné, tout sens ne peut être qu’une illusion que le nihi-liste se doit de détruire. Plutôt rien que quelque chose d’imparfait !

Le subjectivisme radical ou le triomphe du « je » sur le « nous »

C’est en 1967 que Raoul Vaneigem publia ce qui allait devenir le mani-feste idéologique des trente piteuses : le « Traité de savoir-vivre à l’usagedes jeunes générations ». L’idée fondamentale du « Traité » est le subjec-tivisme radical ou l’opposition irréductible entre ce que Louis Dumontappelle l’auto-nomie (les normes que je suis moi-même capable de mefixer) et l’hétéro-nomie (les normes qui me viennent des autres, c’est-à-dire du corps social).

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Le Traité est explicitement nihiliste, d’un nihilisme actif qui cherche larévolution dans la démonstration que toute idée, toute institution est unealiénation et une mutilation de la créativité. Le nihilisme actif estprésenté comme un point de passage obligé au delà duquel peut naître larévolution par la destruction de tous les conformismes :

«Les nihilistes sont, en dernier ressort, nos seuls alliés. Ils viventdans le désespoir du non-dépassement ? Une théorie cohérentepeut, leur démontrant la fausseté de leur vue, mettre au service deleur volonté de vivre le potentiel énergétique de leurs rancoeursaccumulées… Nihilistes, aurait dit Sade, encore un effort pourdevenir révolutionnaires»

Niant toute hétéronomie, le subjectivisme rejette toute transcendanceet tire toute vérité de l’instant - « Il y a plus de vérité dans vingt-quatreheures de la vie d’un homme que dans toutes les philosophies » - etproclame la volonté de puissance du sujet : « Une réalité sur laquelle jen’ai pas de prise, n’est-ce pas le vieux mensonge remis à neuf, le stadeultime de la mystification ? ». La seule source de vérité ne peut résiderque dans la spontanéité et la créativité individuelle. Aucun « nous » nepeut exister en dehors de l’addition des « je » libérés de toutescontraintes :

« Rien ne m’autorise à parler au nom des autres, je ne suis déléguéque de moi-même et, pourtant, je suis constamment dominé parcette pensée que mon histoire n’est pas seulement une histoirepersonnelle mais que je sers les intérêts d’hommes innombrables envivant comme je vis et en m’efforçant de vivre plus intensément,plus librement ».

Rédigé en un langage révolutionnaire à coups de dénonciation de la« bourgeoisie » et des « conformismes », le traité de M. Vaneigem - qui fitdepuis toute sa carrière comme fonctionnaire de l’État belge - allaitdevenir la bible des libertaires spontanéistes dont le pouvoir idéologiqueallait s’affirmer en France à partir de 1970 : Vive le « je » donc, à bas le« nous », source de toutes les oppressions. Les libéraux et les libertairesallaient trouver là les habits neufs de leur alliance pour la domination dela société et du monde.

Toute expression d’un vouloir vivre collectif, école, État, loi, famille,tout mythe fondateur républicain devenait une cible. La première seral’histoire et le morceau de choix la Résistance et l’antifascisme, laseconde ce qui assure la cohésion sociale donc l’école et la clé de voûte lepost-modernisme qui apportait la « théorie cohérente » annoncée parVaneighem.

« Tout est suspect » : le flirt du gauchisme avec le révisionnisme

« Sur les « faits », ordres d’Hitler, chambres à gaz, chiffres (dontj’affirme qu’à ce jour ni ceux des historiens officiels, ni ceux des «révisionnistes » ne reposent sur aucune base scientifiquesérieuse)…, je ne suis pas loin de penser que les révisionnistes ontraison ; (…) Si l’on peut douter de l’existence des chambres à gaz,

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c’est qu’elle ne tient que sur des récits de témoins (aveux,mémoires, témoignages au procès) et que ces récits sont contradic-toires en eux-mêmes et entre eux… ».

Comment le théoricien gauchiste Jean-Gabriel Cohn-Bendit en vient-ilainsi à prendre la défense des révisionnistes ? Pierre Vidal-Naquet a analyséce phénomène.

À l’origine on trouve des archéologues du marxisme, disciples deBordiga, un marxiste italien des années trente, passé, comme PierreGuillaume, par l’Internationale situationniste où il cotoya Vaneigeim, et quiallait fonder le groupe « La vieille taupe », devenu le temple du révision-nisme. Quel est l’enjeu pour eux ? Torpiller la « démocratie bourgeoise »qui se refait une vertu de sa lutte contre le nazisme. L’objectif est demontrer que la démocratie n’étant pas parfaite, ou à tout le moins, pasconforme aux mythes qui se sont forgés après guerre, elle ne peut être quecoupable, et donc à mettre que dans le même sac que le nazisme et lestalinisme.

On recourt pour cela à une analyse purement technique des faits : onn’a pas de sources écrites, donc les faits n’existent pas ! Les témoignagessont contradictoires, donc les faits n’existent pas ! Si l’on suivait la« méthode historique » des révisionnistes lorsque l’on est en présenced’une évaluation contradictoire du nombre de manifestants par les organi-sateurs et par la police, on conclurait, du seul fait de cette divergence, quela manifestation n’a pas eu lieu. Le raisonnement devient particulièrementmonstrueux dans le cas du génocide, puisque toute la politique des nazis aconsisté à détruire toute source et toute trace matérielle et que la logiquede l’univers concentrationnaire était bâtie sur un «comment» édulcoréévitant, au travers d’un langage bureaucratique neutre, toute évocation du«quoi», de l’extermination, au profit d’une logique purement technique debon fonctionnaire.

Dernier argument : la liberté d’expression. Les révisionnistes se sont eneffet tissé un manteau de vertu des poursuites dont ils furent l’objet, etc’est pour défendre la liberté que les Cohn-Bendit sont venus à leursecours. Il est évident que l’interdiction ne résout rien et qu’une lecturecommentée de Mein Kampf dans les écoles serait le meilleur moyen dedémonter l’attrait malsain qu’exerce la mythologie nazie. Mais telle n’estpas la préoccupation de nos héros qui, une fois devenus les hérauts dunouvel ordre moral, ont soutenu le vote de la loi Gayssot – qui va donnernaissance à la pratique des « lois mémorielles », lois liberticides parlesquelles le Parlement se permet de proclamer une vérité officielle souspeine de sanction pénale.

Non, le but des frères Cohn-Bendit est de montrer que la démocratie, etsurtout la République, étant un régime imparfait pour des hommes impar-faits, où la mythologie diverge nécessairement de la rigueur historique, estde ce seul fait aussi mauvaise que les autres régimes.

Ainsi se renforce en politique le relativisme obsessionnel, au nom du« mettre rien là où il y a quelque chose ».

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Le post-modernisme et le basculement de la gauche dans l’obscurantisme

Au printemps 1996 une revue américaine renommée, Social Text,publiait un article très mode d’Alan Sokal au titre alléchant «Transgresserles frontières : vers une herméneutique transformative de la gravitationquantique», délibérément bourré, aux dires de son auteur, d’absurdités etd’illogismes flagrants et affichant un relativisme cognitif extrême, allantjusqu’à nier l’existence d’un monde objectif, extérieur à notre cons-cience. Le projet d’Alan Sokal était de voir si ce tissu d’absurdités seraitpublié. Il le fut. Et dans un numéro spécial consacré à une réponse auxinquiétudes des scientifiques aux dérives du post-modernisme. La conclu-sion aurait pu être signée de Jack Lang, de Philippe Douste-Blazy, deRoseline Bachelot ou tout autre idiot utile de la droite actuelle :

« .. tout ceci n’est qu’une première étape : le but fondamental detout mouvement émancipatoire doit être de démystifier et dedémocratiser la production de la connaissance scientifique … cettetâche doit commencer avec la jeune génération, à travers uneprofonde réforme du système éducatif. L’enseignement de lascience et des mathématiques doit être purgé de ses caractéris-tiques autoritaires et élitistes et le contenu de ces sujets doit êtreenrichi par l’incorporation des aperçus dus aux critiques féministes,homosexuelles, multiculturelles et écologiques ».

« L’affaire Sokal - Bricmont » commençait avec la publication posté-rieure de leur ouvrage « Impostures intellectuelles » dénonçant l’ensembledu courant post-moderniste parmi lequel figure les figures de proue del’intelligentsia française les plus en vue aux États-Unis, les fondateurs dela French Theory qui allait faire du relativisme le cœur de l’enseignementen sciences sociales : Deleuze, Derrida, Guattari, Lacan, Lyotard, Serres,Baudrillard, Kristeva et Virillio entre autres7.Que disent les imposteurs ? Ils tirent partie des conclusions de la sciencemoderne, de la mécanique quantique notamment, sur l’indétermination dumonde et son inaccessibilité à notre totale compréhension pour conclureque toute connaissance est impossible et que tout exercice de la raison estvain. Un des chefs de file de ce courant dit « post-moderne » estFeyerabend, adversaire radical de Karl Popper qui assimile tout exercicede la raison à un rationalisme qui ne peut mener qu’à la tyrannie. Le post-modernisme fonde ainsi une nouvelle philosophie libertaire et nihiliste, où,faute de pouvoir connaître le réel on le remplace par une pure spéculationintellectuelle. Jacques Bouveresse s’interroge sur ce goût subit des intel-lectuels post-modernes pour la mécanique quantique, la théorie du chaos,la géométrie fractale ou le théorème de Gödel. D’où vient-il ? Du besoinde prestige et de pouvoir, répond-il, à l’heure où il semble falloir seréclamer de la science pour pouvoir être reconnu, notamment aux États-Unis.

Pourquoi, par ailleurs, la pratique d’un recours à la science s’accom-pagne-t-elle, dans le même mouvement, d’un usage de l’analogie où l’es-thétique l’emporte sur la rigueur ? Parce que, dit Bouveresse, nous vivonsune époque où la liberté de penser ne doit pas être entravée par le souci

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7 « Imposturesintellectuelles » Allan Sokal,Jean Bricmont. OdileJacob,1997.

logique ou la confrontation aux faits, et où ceux qui rappellent que lapensée a des règles se trouvent accusés de pusillanimité. Dès lors, lespleins pouvoirs sont donnés à l’imagination, qui peut n’en faire qu’à sa têteau nom de « l’aventure de la pensée ».

Ce « postmodernisme » consiste à tout relativiser, à tout mettre sur unpied d’égalité au nom de la liberté de penser. Une pensée qui a perdu soncaractère critique : la liberté de dire n’importe quoi est mieux défendueque celle de dire que tel ou tel propos dit n’importe quoi. Celui qui s’yrisque est immédiatement dénoncé à la vindicte publique comme« fasciste ».

Pratiquement, le postmodernisme apporte une justification prétendu-ment scientifique au discours sur l’hétérogénéité qui est au cœur de lapensée dominante actuelle.

Son fondement théorique est le relativisme : il n’y a pas de vérité, lesfaits ne sont que le produit de notre langage. « L’avantage de cettenouvelle notion de fait, c’est qu’on n’a jamais tort » : la vérité n’est plusqu’affaire de croyance qui n’a pas à chercher à se confronter au réel.

Son origine est le découragement politique : les idéologies de gaucheont failli. Or, la gauche a été le porte-drapeau de la philosophie deslumières : il faut donc rejeter les Lumières ! La science et la raison sontrejetés avec la prétention folle du communisme à connaître parfaitementle monde et à le transformer. Le postmodernisme jette le bébé avec l’eaudu bain, la science avec le scientisme, la raison avec le rationalisme. Lagauche trahit l’héritage des Lumières et devient obscurantiste !

Son fantasme est « les nouveaux mouvements sociaux » : antiracisme,homosexuels, féministes, ces mouvements n’ont pas été pris en compte parla gauche traditionnelle, ils deviennent autant de nouvelles idéologies quise fondent sur les prétentions scientifiques du postmodernisme et sondiscours sur la « différence » et son goût pour les réalités virtuelles loin dumonde réel, alors que les revendications légitimes des ces mouvements «peuvent trouver une base bien plus solide (…) dans la tradition égalitaire,radicalement démocratique et rationaliste issue des Lumières »7

Son projet est le libéralisme le plus dur par l’abandon de la solidarité,de l’égalité, le dégoût de la vérité et de la recherche des faits au profit dudiscours.

En même temps qu’il sonne le glas de la gauche politique, le postmo-dernisme transforme l’université en instrument de crétinisation de masseoù les étudiants « apprennent à répéter et à élaborer des discours auxquelsils ne comprennent pas grand-chose. Ils peuvent même faire carrière àl’université en devenant experts dans l’art de manipuler un jargon érudit »

Le désintérêt pour le monde réel est ainsi théorisé et systématisé. Lanégation de la poursuite du bien commun reçoit le vernis d’une cautionscientifique. Le projet de transformation du monde est remplacé par lagesticulation verbale.

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Le triomphe du dernier homme

« Un peu de poison par-ci par-là : cela donne des rêves agré-ables. Et beaucoup de poison enfin, pour mourir agréable-ment….On ne travaille point, car le travail est une distraction. Maison veille à ce que la distraction ne débilite point.On ne devient ni pauvre ni riche, ce sont des choses trop péni-bles…On a son petit plaisir pour le jour et son petit plaisir pour lanuit : mais on respecte la santé. Nous avons inventé lebonheur – disent les derniers hommes et ils clignent desyeux… »

NIETZSCHE, Ainsi parlait Zarathoustra

Le nihilisme passif, culte éperdu de la jouissance de l’instant et rejetradical de toute contrainte qu’imposerait la poursuite du bien commun,est l’enfant naturel de la société à irresponsabilité illimitée. Il est aujour-d’hui victorieux. Ce nihilisme a trois caractéristiques : le rejet de lapensée, la fascination du néant et l’individualisme absolu.

La médiacratie et le refus de la pensée

Anxiogène, la pensée est remplacée par le spectacle de la versatilitédes opinions. Le débat d’idées fait place à la mise en scène de joutes entrefaiseurs d’opinions. Plus aucune réflexion de fond, plus d’examen desfaits, plus d’appels au discernement et à la raison : la médiacratie, lasociété du spectacle par médias interposés, offre au dernier homme uneprothèse de pensée dépourvue du doute et de l’angoisse, consubstantielsà la liberté de l’homme. Son besoin de révolte est satisfait par des spec-tacles de télé poubelle à la Ardisson et à la Ruquier qui clouent au piloritous ceux qui mettent en cause le pouvoir des révoltocrates, qui décidentdésormais sans appel de ce qui est bien ou mal, de ce qu’il faut dire ou nepas dire, de ce qui est « ringard » et de ce qui est « moderne ». Assisdevant son téléviseur, le dernier homme compte les points et donne raisonau plus habile. Il ne pense plus, cela est trop pénible, il est retourné dansla caverne des opinions, selon l’expression de Leo Strauss.

Point, bien sur, de critère de vérité possible. La seule vérité est cellede l’audimat et des enquêtes de satisfaction. Les opinions divergentes nepeuvent être que des prétextes à des happenings de mise en scène. Desassociations sans membres uniquement destinées à accueillir des militantsmicrophages disent la « vérité », des artistes sont appelés à donner lacaution de la symbolique affective qu’ils représentent… l’information estfabriquée pour correspondre au monde virtuel des biens pensants, seullégitime.

Le dernier homme est un homme moyen, au revenu moyen, d’intelli-gence moyenne. C’est l’archétype des « deux Français sur trois » dontGiscard d’Estaing fit l’apologie. Quand l’existence sociale obéit auxnormes du spectacle, quand la communication anesthésie toute la vie poli-tique, alors les desseins politiques authentiques cèdent la place à desimages et au leader de charme à l’apparence sécurisante, reflet magnifié

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de l’homme moyen, du dernier homme, avide de sécurité, qui se substituesur les écrans à l’homme d’État porteur d’une vision politique.

La loi du plus fou, ou la fascination du néant

En matière éducative comme en matière d’intervention sociale, on adissocié systématiquement la prévention de la répression, les opposantl’une l’autre. Oui à la prévention, non à la répression, tel fut et tel esttoujours le mot d’ordre. Dans ces conditions, quelque esprit chagrindemandera pourquoi faudrait-il prévenir ce qui n’est pas répréhensible ?Bonne question à laquelle on a trouvé la réponse : on ne prévient désor-mais pas plus qu’on ne réprime.

La sécurité devient une affaire de riches, réservée à ceux qui peuventse la payer, comme dans les quartiers chics des villes américaines. Le droitpénal ne reste pas pour autant inactif : un adulte blanc sur quinze est enprison aux États-Unis, un homme de couleur sur sept, et la populationpénale y est passée de 280 000 à 2 millions de personnes ces vingt dernièresannées. En Californie, un détenu coûte 2 800 euros par mois à l’État, soitplus qu’un étudiant.

Recul de la norme et progrès du droit pénal ? Que se passe-t-il donc ?Le droit pénal envahit progressivement la sphère privée, là où, selon les

théoriciens du droit moderne, il devait s’arrêter. Il vient pallier le déclin dela responsabilité, avec la multiplication des procès en responsabilité civileet pénale dans le domaine de la médecine et de la vie quotidienne.

Plus une société est immorale, plus elle est répressive. Il n’ y a pas desociété sans lien social, qui s’incarne soit par une morale commune, soitpar la Loi, et qui s’exerce soit par le consentement, soit par la contrainte.L’abandon de la régulation des comportements par la morale ne peutqu’ouvrir la porte à l’intrusion de droit pénal dans la sphère privée. Lemarché, présenté comme le seul régulateur pertinent, ne régule riend’autre que la logique d’un libéralisme qui devenu idéologie, ne libèrepersonne. Il détruit le droit civil, qui est progressivement «pénalisé ».

Face à la jungle, la société s’organise en tribus qui définissent leurspropres codes. Qu’il s’agisse des motards, des bandes de « jeunes », deslobbys,… chacun définit son propre champ de règles qu’il n’a nulle peine àjustifier dans une société dominée par le relativisme.

Dans tous les cas, l’individu est perdant : la pénalisation à outrancen’est plus un droit créateur de normes par l’exemplarité de la peine. Lesdélinquants à l’ancienne mode ne contestaient pas le principe de la peine.Ils avaient pleinement conscience d’enfreindre les normes sociales, et sefaire prendre était perdre à un jeu. Les nouveaux délinquants de l’époquede l’hédonisme agressif n’ont aucune conscience d’enfreindre les règles :ils affirment l’injustice des règles dominantes comme s’opposant à l’ex-pression débridée de leur spontanéité et la justice de leur propre règle. Cequi est réellement nouveau dans la grande et dans la petite délinquance,c’est la disparition du sentiment de culpabilité. Les incendiaires d’autobusn’ont aucun sentiment d’enfreindre une règle : il veulent imposer uneautre règle. C’est un à combat d’une conception de la société contre uneautre que l’on assiste, la société policée républicaine contre la société

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8 « Non à la sociétédépressive! », TonyAnatrella, Champs,Flammarion

barbare du crime. Il atteint son paroxisme au Brésil où existe désormais unPCC, Parti criminel combattant, qui entend imposer son ordre face à celuide l’État.

Cette jungle des bandes est le système le plus oppressif qui soit, la plusparfaite négation de l’individu. Privé de son identité, l’individu la retrouvepar procuration de la bande.

Ce désespoir identitaire se retrouve dans les consultations chez lepsychanalyste. Freud avait fondé la psychanalyse sur la somatisation dusentiment de culpabilité et l’inhibition de la sexualité et de l’angoisse quien résultait. Ses héritiers (Gilles Deleuze et Felix Guattari notamment) enont déduit la légitimité d’un hédonisme allant jusqu’à la pédophilie qui nes’inscrit nullement dans la pensée de Freud qui voyait dans la répressionde l’instinct le facteur civilisateur par excellence, et la loi comme condi-tion de reproduction de l’espèce. Après la destruction des inhibitions vis-à-vis des normes et du sexe, la recherche d’identité ne peut plus se faireque dans la compétitivité. Il faut être dans les normes, notammentsexuelles, fixées par le marché et les magazines qui en sont le porte-voix.Les « radios jeunes » édictent à longueur d’antennes la codification despratiques sexuelles « libérées » sur un mode aussi gai et épanouissantqu’un article du code la route.

« Pas de normes » conduit à des normes implicites beaucoup plus tyran-niques que dans l’ancien ordre des choses. Nous sommes parvenus à unstade beaucoup plus subtil d’abaissement de l’individu auquel on a retirétout sens à l’existence et qui cherche dans la violence un exutoire à cetabsurde. Faute de normes, les interactions sont commandées par lespulsions ou les effets de groupe, et la violence devient l’expression de laloi non pas tant du plus fort que du plus fou. À force de nier l’hétéronomieau profit de l’autonomie, c’est l’individu lui même qui organise son inhibi-tion. Nous sommes durablement entrés dans l’ère de la « société dépres-sive » qu’à décrite Tony Anatrella8.

La libération du « je » par le rejet du « nous » se retourne donc contrelui. Rétablirl’équilibre entre le « je » et le « nous » ne sera pas si simple.Déjà on voit poindre à l’horizon la vengeance du « nous », au travers destructures totalitaires qui nient le « je ». C’est le poids croissant des sectesqui pénètrent maintenant jusqu’au sommet de l’État. La quête d’identitéest devenue un marché où vont proliférer tous les vendeurs de miraclesdans le désert laissé par les apôtres du « subjectivisme intégral ».

Nous nous préparons à partir dans l’ivresse vers une période de noirebarbarie.

Est-ce inévitable ? Non, à une seule condition : que le « nous » puissese reconstruire et rebâtir de nouveaux principes identitaires à partir del’initiative des « je ». Face à cela, le dynamisme de la vie associative estun espoir. C’est dans les projets, dans les quartiers, en apprenant àtravailler sur des problèmes concrets au-delà des tabous imposés par lesbien pensants, que se reconstruira, par le dialogue restauré du « je » etdu « nous » la possibilité d’une vie sociale et que se profilera la possibilitéde sortir de la jungle.

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9 Bateson fait ici allusionaux standards intellectuelsqui prévalent dansl’enseignement : ledualisme cartésien quioppose le corps à l’esprit, ladescription de tous lesphénomènes comme desphénomènes physiques aumépris des phénomènesmentaux, et la descriptionunique de tous lesphénomènes en termesquantitatifs au mépris del’esthétique et des critèresimmatériels. In La nature etla pensée, Le Seuil, 1991.

Sans idées il n’y a rien

En 1978 Gregory Bateson, éminent professeur, anthropologue,psychiatre et cybernéticien, s’adressait ainsi aux régents de l’Université deCalifornie :

« À la réunion du comité chargé de la politique de l’enseignementj’ai fait remarquer que les méthodes pédagogiques courammentemployées étaient une escroquerie du point de vue de l’étudiant(...) La conception du monde... que transporte l’ensemble de cesidées99 est démodée pour trois raisons :Au plan pragmatique il ne fait aucun doute que ces prémisses etleurs corollaires conduisent à la goinfrerie de la consommation, à lasur croissance monstrueuse, à la guerre, à la tyrannie et à la pollu-tion (...)Au plan intellectuel, ces prémisses sont obsolètes en ce que lathéorie des systèmes, la cybernétique, la médecine holistique,l’écologie et la psychologie de la gestalt peuvent démontrer qu’ellesoffrent des façons bien meilleures de comprendre le monde de labiologie et du comportementComme fondement de la religion, des prémisses comme celles quej’ai mentionnées sont devenues parfaitement intolérables et doncobsolètes depuis un siècle environ (...) Inéluctablement, notre civi-lisation, dans chacun de ses aspects, est coupée en deux de façonbéante. Dans le domaine de l’économie, nous sommes confrontés àdeux caricatures de la vie : la caricature capitaliste et la caricaturecommuniste ; de plus, on nous dit que nous devons prendre partiedans la lutte qui oppose ces deux idéologies monstrueuses (...) Il enva de même en religion : un protestantisme étrange, devenucomplètement séculier, tout un éventail de cultes magiques, et uneignorance religieuse totale.(...) 9».

Pour Bateson, le monde ne tourne plus rond parce qu’il ne sait pas gérerces deux tendances antagonistes de l’évolution, celle, externe, des tech-nologies (l’imagination) qui bouleverse notre environnement en se dévelop-pant à une vitesse qui n’est plus contrôlée, et celle, interne, des compor-tements humains (la rigueur), nécessairement conservateurs. Sansréconciliation de cette dualité contradictoire point de salut, dit Bateson.La mission de l’université est de donner aux étudiants un endroit d’où envi-sager cette dualité sous une plus vaste perspective.

Ce que rejette le nihilisme, c’est précisément cet exercice de confron-tation entre le risque et l’incertitude de l’imagination, la créativité et unensemble de normes permettant de sélectionner les idées. Ce que rejettel’idéologie dominante c’est la capacité de la pensée de sélectionner desmoyens au service d’une fin. Sous son verbiage moderniste, l’idéologieactuelle ne crée rien puisqu’elle rejette l’idée même de fin. Volonté depuissance, elle ne fait qu’exiger la satisfaction immédiate de sesfantasmes. Le monde actuel ne tourne pas rond car il a perdu toute capa-cité à concevoir des idées et la perspective d’où les penser. C’est unsystème fermé à la vie et promis à l’obsolescence.

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10 Roland Jaccard « LaTentation nihiliste », PUF,199111 Hannah Arendt, LaCondition de l’hommemoderne

Bateson concluait son intervention prophétique par une interpellation :« La question qui se pose alors est la suivante : en notre qualité demembres du conseil, encourageons-nous tout ce qui va contribuer àfaire naître chez les étudiants ces perspectives plus vastes quiredonneront à notre système la synchronie ou l’harmonie appro-priées entre la rigueur et l’imagination ? Comme professeurs,sommes-nous sages »

Retrouver cette sagesse, telle est le projet de la pensée ; définir cettenouvelle perspective, tel est le rôle du bien commun, tel est le rôle de lapensée républicaine.

Et cependant, tout arrive...

Le mythe de l’homme universel ne mène à rien et est la négation detoute forme de politique. Le mythe de l’universalisme hétérogène reposesur la conception d’un homme vide, vide de spiritualité, vide de sens, videde beauté, vide d’esthétique, vide de tout ce qui peut représenter uneréférence, une critique à la volonté de puissance.

C’est un nihilisme du pauvre dont il ne sortira rien de créateur et dontnos gouvernants sont l’illustration : on parle de tout mais ne fait rien, onparle de l’homme mais refuse tout risque lié à l’humanité de l’homme, onparle de liberté et de droits mais on diffuse l’esprit de soumission et onrejette la philosophie des droits de l’homme dans une pâle mouture devolonté de puissance. Pour reprendre la parabole de Roland Jaccard10, nosdeux stars autoproclamées de la présidentielle de 2007 attendent lepassage du Néant-Express, train fantôme dans une gare désaffectée, etlogent à l’Hôtel de l’Abyme, Sigmaringen Hip-Hop, où les deux préten-dants, maîtrisant à merveille la langue de caoutchouc, qui à la différencede la langue de bois qui sonne creux donne l’illusion du plein, refont lemonde alors que tout s’effondre autour d’eux, sur fond de rivalités sourdeset de haines d’autant plus tenaces qu’elles sont fondées sur une concep-tion du monde identique.

Mais ce Néant-Express, ils ne le prendront jamais. La prochaine gareserait celle du non-sens de leur raison d’être. Cette expérience de l’ab-surde pourrait être la source d’une renaissance : ils ne la feront pas.

Dans ce désert intellectuel et moral de fin de civilisation, face à unedroite et une gauche qui communient dans la même camelote pseudointellectuelle, à l’image de De Gaulle qui aimait citer ce passage deNietzsche :

Rien ne vaut rienIl ne se passe rienEt cependant tout arriveMais cela est indifférent

Montons dans le Néant-Express, car au-delà de l’absurde il y a la facultéde l’homme à retrouver du sens, « d’interrompre ce cours et decommencer du neuf, faculté qui est inhérente à l’action comme pourrappeler constamment que les hommes, bien qu’ils doivent mourir, ne sontpas nés pour mourir, mais pour innover »11

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Pour en savoir plus…..

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