Pour une démocratisation du financement de nos entreprises

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Pourquoi les entreprises du Québec n’inscrivent-elles pas leurs actions à la cote des bourses autant que le font les entreprises établies ailleurs au Canada? L’écart est considérable et il s’accentue depuis plusieurs années. En agissant ainsi, les entreprises du Québec se privent d’un des outils les plus efficaces pour assurer leur croissance et leur compétitivité sur les marchés, à l’échelle mondiale.

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POUR UNE DÉMOCRATISATION DU FINANCEMENT DE NOS ENTREPRISES Pourquoi les entreprises du Québec n’inscrivent-elles pas leurs actions à la cote des bourses autant que le font les entreprises établies ailleurs au Canada? L’écart est considérable et il s’accentue depuis plusieurs années. En agissant ainsi, les entreprises du Québec se privent d’un des outils les plus efficaces pour assurer leur croissance et leur compétitivité sur les marchés, à l’échelle mondiale. PwC et FMC, de leur propre initiative, ont tenté de répondre à cette question. Pour ce faire, nous avons personnellement rencontré plus de 60 dirigeants d’entreprises du Québec afin de recueillir leurs commentaires. Les avantages et les inconvénients des marchés publics de capitaux sont sensiblement les mêmes partout au pays, la réglementation ayant été grandement harmonisée dans toutes les provinces canadiennes. Pourquoi alors les leaders d’entreprises du Québec sont-ils moins portés à recourir aux marchés publics de capitaux que ceux d’ailleurs au Canada? Les propos que ces chefs d’entreprises nous ont tenus, l’analyse que nous en avons faite ainsi que les conclusions que nous en avons tirées font l’objet de notre rapport. Ce dernier contient également les recommandations que nous proposons suite aux constats que nous avons tirés de notre démarche. Nous avons entre autres constaté qu’autant les dirigeants des sociétés publiques que ceux des sociétés privées reconnaissent les avantages à recourir aux marchés publics de capitaux. Sans surprise, tous y voient également un certain nombre d’inconvénients. De fait, au niveau de l’importance relative des avantages et inconvénients d’être une société publique, tel que perçus par les dirigeants interrogés, les conclusions suivantes se dégagent : Sociétés privées

• voient clairement l’outil de financement; • accordent moins d’importance à la notoriété; • accordent une plus grande importance aux inconvénients.

Sociétés publiques

• pour la grande majorité, ils « n’hésiteraient pas à aller public » si c’était à recommencer. Les points de vue que nous ont exprimés les chefs d’entreprises nous amènent à conclure que la réponse à notre question peut, en partie, être trouvée dans l’analyse de ce que nous avons appelé l’écosystème financier au Québec. Les particularités de cet écosystème jouent un rôle déterminant tant au niveau des options disponibles que dans les choix qu’exercent nos entreprises quant à leur mode de financement.

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La consolidation de l’industrie des valeurs mobilières au sein des banques a entrainé un désintéressement de leur part pour les émissions publiques de taille modeste. De plus, les financements par placements privés par les fonds publics et fiscalisés occupent au Québec une place plus importante qu’ailleurs; ces investisseurs institutionnels sont peu enclins à recourir à un premier appel public à l’épargne comme solution de sortie. Notre rapport contient un certain nombre de recommandations conçues pour favoriser un meilleur équilibre entre les avenues de financement par capital-actions. Dans une économie développée, le financement sur les marchés publics de capitaux constitue un maillon essentiel d’une chaîne de financement équilibrée et performante. À cette fin, nous prônons des mesures pour :

• Favoriser le financement public des entreprises québécoises à faible capitalisation; • Valoriser le financement sur les marchés publics des capitaux, entre autres, en réhabilitant la

structure de capital comportant des actions à vote multiple et en corrigeant les perceptions de façon à ce que les choix s’effectuent sur la base d’une information équilibrée et éclairée sur les nombreux avantages et inconvénients de l’inscription en bourse;

• Apprivoiser l’environnement réglementaire; • Inciter la participation des investisseurs individuels au financement des entreprises à faible

capitalisation, y compris au moyen de mesures incitatives, au niveau fiscal, différentes de celles présentement en vigueur;

• Favoriser la pérennité des sociétés québécoises; • Promouvoir la culture entrepreneuriale au Québec.

Nous avons porté une attention toute particulière, dans notre rapport, au secteur minier, compte tenu de la grande importance de ce secteur d’activité pour le Québec. Michel Brunet Président FMC

Pierre Lortie Conseiller principal, Affaires FMC

Guy LeBlanc Associé directeur PwC

Russell Goodman Associé PwC

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POUR UNE DÉMOCRATISATION DU FINANCEMENT DE NOS ENTREPRISES

INTRODUCTION

La population du Québec représente 23,2 % de la population canadienne. Pourtant, les sociétés québécoises inscrites à la cote du TSX et du TSX Croissance ne représentent respectivement que 13 % et 9 % du nombre total de sociétés canadiennes inscrites en bourse. En 2010, sur les 74 sociétés canadiennes qui se sont inscrites à la cote du TSX, trois seulement étaient du Québec, dont deux provenant du TSX Croissance. Au TSX Croissance, onze seulement des 206 nouvelles inscriptions de sociétés canadiennes provenaient du Québec. En 2010 toujours, les sociétés québécoises n’ont représenté que 5 % (5,5 % si on exclut le secteur pétrole et gaz) des nouvelles inscriptions. On observe en fait une érosion rapide de la proportion de sociétés québécoises dans le total des nouvelles inscriptions en bourse au Canada. Pourquoi?

La grande majorité des fleurons de l’économie québécoise ont accédé aux marchés publics de capitaux tôt dans leur développement. Il est peu probable que les Alimentation Couche-Tard, Astral, Bombardier, CAE, CGI, Cascades, SNC-Lavalin, Transat, Transcontinental, Uni-Sélect et bien d’autres auraient eu une telle réussite si elles étaient restées sociétés fermées et n’avaient compté que sur leurs capitaux internes sans l’apport de capitaux externes permanents. Dans de nombreux cas, le premier appel public à l’épargne visait des montants relativement petits : Cascades, 5 millions de dollars; Uni-Sélect, 3 millions de dollars; CGI, 10 millions de dollars.1 Qui seront les moteurs économiques de demain si un nombre insuffisant de sociétés québécoises se donnent une structure de capital qui favorise leur développement et soutient leur croissance?

La croissance rapide d’une entreprise exige des capitaux importants. Rares sont celles qui peuvent soutenir une croissance accélérée avec des fonds autogérés. L’apport de capitaux externes constitue donc, pour la grande majorité de ces sociétés, un passage obligé, une condition sine qua non de succès, dans la mesure, évidemment, où la direction veut exploiter tout le potentiel de son entreprise.

Nous reconnaissons d’emblée que le financement public ne convient pas à toutes les entreprises. C’est une source de capital permanent qui comporte beaucoup d’avantages mais qui entraîne aussi des exigences et des obligations. Il n’en demeure pas moins que, dans une économie développée, le financement sur les marchés publics de capitaux constitue un maillon essentiel d’une chaîne de financement équilibrée et performante.

Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer la sous-représentation des sociétés québécoises à la cote des bourses canadiennes. Nous étions soucieux de les valider car la situation que nous observons est préoccupante pour l’avenir du Québec. Notre enquête avait donc pour objet de cerner les raisons des différences de comportement des entrepreneurs québécois par rapport à ceux des autres provinces, notamment l’Alberta, la Colombie-Britannique et l’Ontario eu égard aux marchés publics de capitaux. Nous voulions aussi identifier les principaux facteurs qui sous-tendent la faible propension des sociétés québécoises à recourir aux marchés publics de capitaux.

1 En dollars 2011, le montant équivalent de ces émissions serait Cascades, 10,4 millions de dollars; Uni-

Sélect, 5,5 millions de dollars et CGI, 17,6 millions de dollars.

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Nous avons sollicité, au premier chef, l’opinion des dirigeants d’entreprises, car la décision de recourir aux marchés publics de capitaux procède d’abord et avant tout de la vision et des objectifs des principaux dirigeants (et propriétaires) quant à la nature et à l’avenir de leur entreprise. Aux fins de l’enquête, nous avons consulté individuellement plus de 60 dirigeants d’entreprises québécoises répartis en cinq groupes distincts. Le premier groupe était formé de dirigeants d’entreprises qui se sont inscrites à la cote du TSX depuis 1985. Leur expérience permettait de cerner les avantages et les inconvénients de l’inscription en bourse, avec un certain recul. Le second groupe était constitué de dirigeants d’entreprises inscrites ou qui ont été inscrites à la cote du TSX Croissance. Ce marché diffère considérablement de celui du TSX tant par sa dynamique que par le type de participants. Le troisième groupe était composé de dirigeants, souvent propriétaires, de sociétés fermées. Le point de vue de ce groupe est essentiel pour comprendre le phénomène que nous cherchons à comprendre.

Enfin, deux autres groupes d’intervenants ont été consultés en raison de leur rôle essentiel dans le financement des entreprises. Le premier était constitué de dirigeants de sociétés de courtage en valeurs mobilières actives au Québec dans le financement d’entreprises; le second était composé d’investisseurs institutionnels et privés.

Notre rapport vise à fournir aux décideurs des secteurs privé et public un diagnostic éclairé sur les facteurs qui expliquent la situation actuelle, et à proposer des mesures souhaitables pour favoriser un développement plus rapide des entreprises québécoises motrices, c’est-à-dire celles qui affichent une croissance très rapide et qui sont responsables de la création de la majorité des emplois nets au sein d’une économie.

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1. LA PERSPECTIVE DES DIRIGEANTS D’ENTREPRISES ET DES AUTRES INTERVENANTS

1.1 LES DIRIGEANTS D’ENTREPRISES

La décision d’effectuer un premier appel public à l’épargne (« PAPE ») est lourde de conséquences. À la suite d’un PAPE, les dirigeants assument de grandes responsabilités envers les nombreux actionnaires individuels ou institutionnels qui ont souscrit au plan d’affaires de la société et cru à sa capacité de le réaliser méthodiquement. La décision est pratiquement irrévocable car il est difficile de faire marche arrière et de privatiser « sa » société.

Les marchés publics de capitaux constituent la principale source de financement pour les sociétés canadiennes. En décembre 2010, les instruments financiers de marché représentaient 64,9 % de la capitalisation totale des entreprises canadiennes. La valeur du capital-actions émis annuellement par les sociétés canadiennes inscrites en bourse est dix à quinze fois plus importante que celle du financement provenant d’autres sources. Il s’agit donc d’une réalité incontournable pour peu que l’on se soucie du développement de l’économie québécoise et de ses entreprises motrices.

Les principaux avantages et inconvénients du statut de société ouverte sont bien connus. Nous avons demandé aux chefs d’entreprises qui ont participé à l’enquête d’indiquer l’importance qu’ils accordaient aux avantages et inconvénients associés à l’accès aux marchés publics des capitaux.

Avantages :

- Lever les fonds propres requis pour financer la croissance ou une acquisition;

- Réduire l’endettement de la société;

- Permettre aux fondateurs/dirigeants de réaliser une partie de leur investissement dans la société et de diversifier leur patrimoine;

- Créer une monnaie d’échange pour les acquisitions;

- Renforcer la notoriété et l’image de la société auprès des clients, fournisseurs, employés et gouvernements;

- Faciliter la mise en place de programmes incitatifs pour les employés.

Inconvénients:

- Le coût d’un premier appel public à l’épargne;

- La fragilisation/perte du contrôle de la société;

- Le fardeau, y compris les coûts initiaux et récurrents, des exigences réglementaires;

- Les exigences de divulgation de l’information;

- La nécessité de maintenir des communications suivies avec les investisseurs et les analystes financiers.

Les résultats du sondage sont présentés dans le Tableau 1 pour les avantages et dans le Tableau 2 pour les inconvénients.

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Tableau 1 Importance relative des avantages d’être une société ouverte

Selon les dirigeants de sociétés ouvertes et fermées

Les principales observations qui se dégagent des réponses des dirigeants de sociétés se résument ainsi :

- Les dirigeants de sociétés fermées comme ceux de sociétés ouvertes reconnaissent les avantages du recours aux marchés publics de capitaux.

- En règle générale, les dirigeants de sociétés fermées accordent une importance plus grande à certains avantages, alors qu’ils en sous-estiment d’autres que les dirigeants de sociétés ouvertes considèrent comme très importants.

- Les dirigeants de sociétés fermées attribuent un poids beaucoup plus important aux inconvénients que ne le font les dirigeants de sociétés ouvertes.

Créer une monnaie d’échange pour les acquisitions.

Lever l’équité requise pour financer la croissance ou une acquisition.

Renforcer la notoriété et l’image de la société auprès des clients, fournisseurs,

employés et gouvernements.

Faciliter la mise en place de programmesincitatifs pour les employés.

Permettre aux fondateurs/dirigeants de monétiser leur investissement dans la société.

Réduire l’endettement de la société.

83 %

59%

77 %

91 %

50 %

33 %

45 %

38 %

38 %

48 %

56 % 37 %

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Tableau 2 Importance relative des inconvénients d’être une société ouverte

Selon les dirigeants de sociétés ouvertes et fermées

Les propos recueillis durant les entrevues donnent du relief aux données quantitatives. La grande majorité des dirigeants de sociétés ouvertes nous ont indiqué sans ambages qu’ils n’hésiteraient pas à « aller public », si c’était à recommencer. Tous ceux qui avaient une opinion favorable ont insisté sur le fait qu’ils poursuivaient des objectifs de croissance exigeants, que leur PAPE a permis de financer soit par l’investissement du produit de l’émission, soit en utilisant leurs actions cotées en bourse comme monnaie d’échange. Les sociétés qui avaient un plan à long terme et qui l’ont réalisé au rythme anticipé ont connu un succès en bourse et une valorisation importante de leur société. Par contre, celles qui n’ont pas réalisé une bonne croissance et généré le rendement attendu sur le capital utilisé ont eu tendance à vivoter. Le jugement des dirigeants d’entreprises quant à leur expérience de société ouverte varie manifestement selon qu’ils sont dans l’une ou l’autre catégorie.

Les dirigeants de sociétés ouvertes sont plutôt en désaccord avec l’affirmation voulant que « les sociétés ouvertes sont forcées de privilégier le court terme au détriment du long terme ». Le propos d’un dirigeant résume bien l’opinion générale : « il est faux de prétendre que la gestion [des sociétés ouvertes] est à court terme. Une direction disciplinée peut répondre adéquatement aux exigences d’information sans perdre de vue les objectifs à moyen et long terme ».

La nécessité de maintenir des communications suivies avec les

investisseurs et les analystes financiers

Le fardeau des exigences réglementaires

Les exigences de divulgation

Le coût d’un premier appel public à l’épargne

Fragilisation/perte du contrôlede la compagnie

71%

45 % 59 %

43 %

63 %

42 %

50 %

38 %

38 %

56 %

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Plusieurs dirigeants de sociétés ouvertes ont affirmé que le principal motif qui les avait incités à effectuer un PAPE – et l’un des principaux avantages à être coté en bourse – est la diversification de leurs sources de financement. Ils considèrent que l’appel public à l’épargne est un moyen de « démocratiser le financement des entreprises ». Un dirigeant relate que le syndicat bancaire avec lequel il faisait affaires depuis des décennies « n’était soudainement plus là en 2009, au moment où il fallait renouveler les lignes de crédit ». Le fait que la société était inscrite en bourse et qu’elle avait enregistré une bonne performance au cours des années a, selon ce dirigeant, permis à la direction de remplacer le syndicat bancaire à des conditions avantageuses en un temps record. « Privé, je doute qu’on aurait pu réaliser ces refinancements dans les délais et aux mêmes conditions que celles que nous avons obtenues», nous a-t-il dit.

Les dirigeants de sociétés ouvertes ont souvent insisté sur le fait que leur inscription en bourse avait accru leur notoriété et leur statut auprès de leurs clients et fournisseurs ainsi qu’auprès des autorités gouvernementales. Cela a contribué à générer plus d’occasions d’affaires et ainsi favorisé la croissance organique et par acquisitions. « C’est une belle carte de visite auprès de clients potentiels ». Plusieurs ont noté que leur statut de société ouverte facilitait le recrutement de personnel mieux qualifié et expérimenté, ce qui contribue à une meilleure performance. La plupart étaient d’avis qu’il était plus facile comme société ouverte d’obtenir du financement bancaire ou institutionnel et d’instaurer des régimes de fidélisation des employés et cadres supérieurs. Enfin, certains ont affirmé qu’étant une société ouverte, il avait été beaucoup plus facile de régler le partage des actifs entre les membres de la seconde (et troisième) génération et de préserver ainsi la pérennité de la société.

En ce qui concerne les inconvénients, la majorité des dirigeants de sociétés ouvertes reconnaissent leur existences, mais, ils sont d’avis que les avantages l’emportent. Ils ont appris à gérer ces inconvénients et ont implanté les systèmes et procédures nécessaires pour répondre aux exigences des marchés publics. Certains y voient même des aspects bénéfiques pour leur société : « La réglementation nous force à plus de rigueur dans la gestion financière, ce qui se traduit par une fermeture rapide des livres et l’adoption de contrôles financiers correspondants, la mise en place d’un service de vérification interne, bref, des moyens nécessaires à l’amélioration continue de notre performance et de notre capacité de gérer notre croissance ». Ces dirigeants n’en demeurent pas moins critiques envers une réglementation qui ne cesse de changer (conversion aux IFRS, etc.) et de s’alourdir2. Ils sont aussi préoccupés par les effets dysfonctionnels de cette « inflation réglementaire », notamment sur les sociétés à faible capitalisation. Mais l’exigence qui pèse le plus pour eux est le temps qu’ils doivent consacrer à expliquer les orientations poursuivies, les projets importants et les résultats obtenus aux analystes et investisseurs institutionnels. Leurs doléances semblent fondées; les dirigeants de sociétés ouvertes à faible capitalisation ont souvent exprimé des avis plus nuancés que ceux des sociétés plus importantes sur les avantages de l’inscription en bourse, et ont porté des jugements plus sévères sur les inconvénients et les défis qu’elle engendre.

Pour la plupart des dirigeants de sociétés fermées que nous avons interrogés, l’appel public à l’épargne ne constitue pas une option à privilégier. La dilution du contrôle, la personnalité des dirigeants qui les rend peu enclins à remplir le rôle public qu’exige l’inscription à la cote d’une bourse et le rythme de croissance « imposé » ont été les arguments mentionnés le plus fréquemment. Alors que les dirigeants de sociétés ouvertes affirment que les normes imposées par les marchés publics de capitaux sont exigeantes mais gérables, les dirigeants de sociétés fermées y voient principalement une perte

2 Quelques sociétés québécoises sont des émetteurs assujettis aux États-Unis et doivent donc respecter la

règlementation américaine (e.g. Sarbanes – Oxley, etc.).

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d’autonomie et une augmentation de leur charge de travail dans des activités qu’ils considèrent sans valeur ajoutée pour leur société. Il est clair, par ailleurs, que le volet médiatique ne les enthousiasme pas, ni la pression sur la croissance, ni l’obligation de publier les résultats financiers trimestriellement.

Plusieurs dirigeants de sociétés fermées ont affirmé sans hésiter qu’au Québec la disponibilité des capitaux pour financer les initiatives de développement et les projets d’expansion n’est pas un enjeu qui les préoccupe : les capitaux seraient disponibles en abondance. Plusieurs prétendent bénéficier des avantages qu’offrent l’accès aux marchés publics de capitaux, sans en subir les inconvénients. Selon eux, ils bénéficient déjà d’un bon accès au capital, d’une gestion rigoureuse, de systèmes financiers de qualité et d’une bonne gouvernance grâce à d’excellents conseils d’administration ou comités consultatifs. En prime, ils estiment bénéficier de la souplesse requise pour apporter rapidement les correctifs qui s’imposent, le cas échéant. Ils auraient également des coûts de financement moindres, sans être contraints de publier des informations stratégiques et financières sur leurs activités.

Quelques dirigeants voient dans le financement privé institutionnel une étape de transition vers un PAPE et l’inscription en bourse. Il est significatif que plusieurs dirigeants qui voient beaucoup d’avantages « à demeurer privé » ne soient pas non plus disposés à envisager une prise de participation par un fonds de placements privé ou une société de capital de risque. Ces investisseurs recherchent généralement un rendement correspondant aux risques qu’ils encourent et leur horizon temporel est relativement court. Leur objectif est de maximiser la valeur de leur investissement à la sortie et il est peu probable que cette obligation de performance à court terme soit préférable à la « tyrannie » des marchés qui permettent, à tout le moins, de bénéficier de capitaux permanents. Dans un cas comme dans l’autre, une croissance rapide et soutenue est de rigueur. On comprend donc sans peine que ce ne soit pas tous les propriétaires ou dirigeants d’entreprises qui acceptent de s’astreindre à un tel régime de performance, surtout s’ils considèrent que la société québécoise ne valorise pas de tels efforts.

D’autres dirigeants voient dans le financement privé institutionnel un piège à éviter. Un dirigeant considère qu’un des avantages à faire un PAPE est que « l’on n’est pas empêtré dans une convention d’actionnaires, surtout s’il y a plusieurs investisseurs institutionnels ». Ce dirigeant voudrait accéder aux marchés publics de capitaux mais a dit retarder cette échéance à cause « du boycottage des small caps » et du fait que la taille de son émission « créerait des problèmes de liquidité ».

Les coûts associés à un PAPE et aux exigences d’information, de contrôle et de gouvernance auxquelles sont soumises les sociétés ouvertes constituent sans l’ombre d’un doute un inconvénient majeur du recours aux marchés publics de capitaux.

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Les résultats présentés dans le Tableau 3 révèlent que, dans l’ensemble, les dirigeants de sociétés fermées sous-estiment les avantages d’être inscrit en bourse.

Tableau 3 Point de vue des dirigeants de sociétés ouvertes et fermées

à l’égard de certaines affirmations

77 Je crois que l’inscription de ma société en

bourse m’a permis (me permettrait) de saisir plus d’opportunités d’investissement

45

56 Je crois que l’inscription de ma société

en bourse facilite (faciliterait) les financements bancaire ou obligataire

45

48 Je crois que nos coûts de financement

sont moins onéreux que si j’étais demeuré (comme) une société privée

47

40 Les sociétés publiques sont forcées

de privilégier le court terme au détriment du long terme

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Les préoccupations dont nous ont fait part les dirigeants des sociétés fermées sont valables et à-propos. Cependant, elles n’expliquent pas l’écart considérable entre le Québec et les autres provinces dans le nombre de sociétés qui accèdent aux marchés publics. Les exigences réglementaires qui s’appliquent aux sociétés inscrites en bourse sont sensiblement les mêmes partout au pays, compte tenu des efforts des autorités pour les harmoniser. Les avantages et inconvénients qui nous ont été mentionnés ne diffèrent pas d’une province à l’autre. Les coûts sont les mêmes partout au Canada, mis à part ceux reliés à la traduction pour les émetteurs inscrits au Québec. Pourquoi alors, nos dirigeants en arrivent-ils à des conclusions différentes de celles auxquelles en arrivent les dirigeants d’entreprises des autres provinces lorsqu’arrive le temps de choisir leur options?

1.2 LE SECTEUR MINIER

L’importance du patrimoine minier au Québec et les caractéristiques particulières du financement de l’exploration et de la mise en valeur des ressources minérales au Canada justifiaient que nous portions une attention spéciale à ce secteur.

Les dirigeants de sociétés minières dont le siège social est au Québec partagent un point de vue similaire aux autres dirigeants de sociétés ouvertes quant aux avantages et inconvénients de l’inscription en bourse. Cependant, en ce qui les concerne, l’inscription en bourse n’est pas un choix mais une nécessité. Ils sont cependant très critiques à l’égard de l’environnement financier du Québec qu’ils jugent déficient à plusieurs titres. On déplore l’absence des grandes institutions québécoises dans le financement de l’aménagement de projets miniers : « ils attendent qu’on soit rendu au 3e but! » Le commentaire laconique « Montréal est hors circuit en ce qui concerne le financement minier. Au Canada, c’est à Toronto, Vancouver ou Calgary que ça se passe » reflète bien le point de vue de ces dirigeants. On note

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également que la pénurie relative d’activités de financement minier a des effets sur la qualité et l’expertise des professionnels qui servent les entreprises de ce secteur.

Nous avons rencontré des dirigeants de sociétés minières de tailles variées. Ceux-ci nous ont affirmé sans aucune hésitation : sans financement public, point d’activité. Dans l’ensemble, ils sont d’avis que l’inscription à la cote du TSX Croissance est un passage obligé pour le financement des sociétés « juniors » d’exploration et de mise en valeur. Le mécanisme d’actions accréditives est puissant et nécessaire, et les fonds spécialisés SODEMEX et SIDEX jouent un rôle méconnu, mais combien important, dans le financement des activités québécoises de nos sociétés minières « juniors ». Les courtiers en valeurs mobilières actifs dans ce segment de marché partagent cet avis.

L’émulation dans le secteur de l’exploration minière est un facteur important qui s’exprime de trois façons. Premièrement, l’activité se déplace rapidement là où il y a eu un succès. Par exemple, durant la période difficile entre 1993 et 2000, les sociétés d’exploration ont tiré avantage de la découverte de diamants dans le Nord canadien et de nickel, de cuivre et de cobalt à Voisey’s Bay. De même, au Québec, le développement du gisement de minerai de fer du Lac Bloom a donné un élan à plusieurs autres projets potentiels dans la Fosse du Labrador. Deuxièmement, le succès des financements des sociétés juniors exige que les investisseurs soient convaincus de la présence des trois facteurs principaux suivants: des prix favorables des métaux, des perspectives porteuses et des nouvelles positives concernant les projets. Ici encore, la participation de certains investisseurs, surtout lorsqu’il s’agit d’investisseurs considérés comme avertis, entraîne la participation des autres. Troisièmement, les succès de quelques sociétés encouragent d’autres « spécialistes » de l’industrie à « faire le saut » et à lancer leur propre société.

Les commentaires qui nous ont été exprimés ne permettent pas de répondre de façon satisfaisante à la question fondamentale : pourquoi les sociétés minières québécoises sont-elles sous-représentées à la cote du TSX et du TSX Croissance alors que le patrimoine minier québécois est l’un des plus importants et des plus prometteurs au Canada? Les observations suivantes ont été suggérées comme éléments de réponse :

Entrepreneurship : Les décideurs de l’industrie que nous avons rencontrés sont optimistes quant à l’avenir de l’industrie au Québec et fiers de l’expertise et de la qualité des géologues et ingénieurs miniers québécois qui œuvrent à travers le monde. Ils ajoutent, cependant, que cette grande expérience « technique » ne les préparent pas bien à assumer le rôle de dirigeants d’une petite société minière où l’interaction étroite avec le secteur financier et les marchés des capitaux est un facteur décisif de succès.

Éducation : Les activités d’exploration minière et de mise de valeur sont, de façon inhérente, très risquées. Il faut donc s’attendre à ce que plusieurs projets – sinon la majorité – soient des échecs partiels ou complets. Par contre, les succès produisent des rendements supérieurs. Ce profil de rendement ne convient pas à tous les investisseurs, loin s’en faut. Force est de reconnaître, cependant, que les investisseurs de certaines provinces démontrent un intérêt plus marqué pour ce profil de rendement que les investisseurs québécois. La suggestion qu’il s’agirait là d’une « différence culturelle » ne convainc pas.

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1.3 L’ENVIRONNEMENT SOCIÉTAL

L’un des éléments les plus récurrents dans nos entrevues a été, sans conteste, l’expression d’une vive préoccupation, teintée d’une certaine amertume, à l’égard du fait qu’au Québec, les succès entrepreneuriaux étaient souvent dénigrés plutôt que salués et que le goût de l’entrepreneuriat était émoussé. Les dirigeants que nous avons rencontrés saluent avec enthousiasme l’initiative de Monsieur Marc Dutil, du Groupe Canam, qui a fondé l’École d’entrepreneurship de la Beauce, une initiative privée sans précédent au Québec. Mais il ressort cependant que le climat social serait un facteur explicatif non négligeable du phénomène que nous cherchons à comprendre.

Les données publiées récemment par la Fondation de l’entrepreneurship et la Banque de développement du Canada sur l’entrepreneuriat au Canada appuient le diagnostic des dirigeants. Les résultats de l’enquête présentés dans le Tableau 4 indiquent que le Québec est en retard sur la plupart des régions du pays dans toutes les étapes du processus entrepreneurial.

Tableau 4 Le processus entrepreneurial dans l’ensemble de la population canadienne

(2010)

Canada Alberta/CB Ontario Québec Intention d’entreprendre 11,2 % 16,9 % 11,1 % 6,9 %

Démarches en cours 4.6 % 6,1 % 4,8 % 3,6 %

Propriétaires d’entreprise 10,1 % 13,2 % 11,4 % 5,1 %

Fermetures 6,7 % 8,5 % 6,4 % 5,5 %

Les résultats de cette enquête indiquent une intention d’entreprendre au Québec pratiquement deux fois moindre que dans l’ensemble du Canada, signe annonciateur d’un appauvrissement de notre pipeline d’entreprises émergentes à fort potentiel de croissance. Qu’en sera-t-il de la relève de l’importante cohorte d’entrepreneurs qui prendront leur retraite au cours de la décennie à venir?

On aurait également tort de sous-estimer l’influence de l’émulation au sein du milieu des affaires sur le comportement des chefs d’entreprise. Ceux que nous avons interrogés admettent que ce facteur constitue un éperon puissant. La cuvée de premiers appels public à l’épargne de la fin des années soixante et celle du milieu des années quatre-vingt illustrent bien l’effet d’entrainement et l’importance de l’émulation dans l’éclosion et le maintien d’un environnement porteur. Il subsiste peu de doutes dans notre esprit que plusieurs dirigeants de sociétés fermées que nous avons rencontrés n’éprouveraient pas les hésitations qui les tiraillent présentement s’ils n’étaient pas seuls à faire le pas. Plusieurs dirigeants d’entreprises ouvertes ont souligné que durant la période 1983-1987, où un nombre sans précédent de PAPE ont été effectués par des sociétés québécoises, « il existait un buzz dans la communauté d’affaires » nourri par des interrelations fréquentes, formelles et informelles, entre dirigeants d’entreprises, financiers, comptables et avocats. Le caractère public de plusieurs grands investisseurs institutionnels au Québec entraîne une certaine réserve de la part de leurs dirigeants et maintient les relations dans un cadre formel. La situation est différente à Toronto et à Calgary : « Tu vas dans les restaurants et tu y vois toute la communauté financière interagir avec les dirigeants d’entreprises. Tous travaillent à faire un deal. On ne voit plus ça à Montréal. »

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1.4 L’ÉCOSYSTÈME FINANCIER DU QUÉBEC

Pour les entreprises qui ont dépassé le stade du démarrage et qui ont besoin d’apports de capitaux externes, le secteur financier est un acteur incontournable. Dans le cadre de notre étude, trois facettes du secteur financier ont été examinées : le rôle des courtiers en valeurs mobilières; celui des investisseurs institutionnels eu égard aux sociétés ouvertes à faible capitalisation3; et, le rôle des investisseurs institutionnels dans le domaine des placements privés. Ces rôles sont symbiotiques et cette caractéristique a largement été rappelée dans nos entrevues. On constate également que la structure de l’industrie des services financiers au Québec entraîne un effet déterminant sur les comportements.

1.4.1 L’industrie des valeurs mobilières au Québec

La révision décennale de la Loi sur les Banques en 1987 a permis aux banques canadiennes d’exercer les activités de courtier en valeurs mobilières directement ou par l’intermédiaire d’une filiale. En peu de temps, ces activités ont été consolidées au sein des banques qui représentent aujourd’hui près de 70 % de l’activité en valeurs mobilières au Canada. Au Québec, les cinq plus importantes firmes de courtage en valeurs mobilières regroupent 82 % de l’actif recueilli auprès des particuliers. Cette concentration au sein de grandes institutions n’est pas sans conséquence, notamment en ce qui concerne leur politique relative au financement public des sociétés.

Nous avons constaté que nos interlocuteurs œuvrant au sein des grandes institutions « bancaires » ciblent tous le même segment de marché : les PAPE d’une valeur minimale de 50 à 75 millions de dollars, ce qui devrait correspondre à une capitalisation boursière moyenne d’environ 250 à 300 millions de dollars. Aussi sont-ils d’avis que peu d’entreprises québécoises rencontrent leurs critères et que celles qui auraient atteint la taille voulue sont peu empressées à accéder aux marchés publics de capitaux. À cet égard, force est de reconnaître que la structure de coût de ces grandes institutions canadiennes, le mode de rémunération des dirigeants de leur filiale de courtage et de leurs représentants, ainsi que les préoccupations concernant les risques d’entacher la réputation de la banque suite à l’échec d’une société qu’elles auraient aidée à faire un PAPE sont des facteurs importants qui modulent leur comportement.

3 Les critères définissants une entreprise de petite ou faible capitalisation diffèrent entre les juridictions.

Aux États-Unis, le Comité consultatif sur les petites sociétés ouvertes de la SEC a défini une société à petite capitalisation (« small cap company ») comme étant celle dont la valeur au marché se situe approximativement entre 129 et 787 millions de dollars US. Les sociétés dont la valeur au marché est inférieure à 128 millions de dollars US sont définies comme étant des micro-capitalisations (« microcap companies »). L’Union Européenne définit les PME selon la valeur maximale des actifs nets : environ 65 millions de dollars pour une entreprises moyenne, 20 millions de dollars pour une petite entreprise et 4 millions de dollars pour une micro-entreprise. Statistiques Canada définit une PME comme étant tout établissement d’affaires comptant 0 à 499 employées et moins de 50 millions de dollars en revenus annuels. Aux fins de notre rapport, une entreprise de faible ou de petite capitalisation est une société ouverte dont la valeur au marché se situe entre 5 et 50 millions de dollars.

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On observe le même phénomène au États-Unis : suite à l’adoption de la loi Gramm-Leach-Bliley en 1999, qui a éliminé la loi Glass-Steagall et permis aux banques commerciales de s’engager dans le commerce des valeurs mobilières, celles-ci ont acquis la grande majorité des courtiers spécialisés dans le financement des petites entreprises. Concurremment avec cette restructuration de l’industrie américaine, on observe une diminution significative du nombre de PAPE, principalement dans la catégorie des entreprises à petite et moyenne capitalisation, et une chute du nombre de nouvelles inscriptions de sociétés à la cote de l’American Stock Exchange et du NASDAQ.

Il importe de faire la distinction entre les caractéristiques et la dynamique des marchés publics de capitaux et les considérations d’ordre interne qui déterminent les activités qu’une institution veut ou peut poursuivre. L’argument que « les marchés publics ne sont pas faits pour les petites entreprises » n’est pas très probant lorsqu’on observe ce qui se passe dans d’autres provinces canadiennes et ailleurs dans le monde. On ne peut ignorer le fait qu’en 2010, 206 sociétés canadiennes se sont inscrites à la cote du TSX Croissance et que la valeur moyenne des PAPE de ces sociétés s’élevait à 6,6 millions de dollars (4,0 millions de dollars en 2009).

Deux ou trois firmes de courtage en valeurs mobilières québécoises ont ciblé le segment des petites émissions. Nos interlocuteurs ont indiqué que cette activité répondait aux objectifs de rentabilité de leur société. Pour certaines, il s’agit d’un développement récent. Le fait demeure, cependant, qu’il s’agit d’une activité qui est considérée d’un œil critique et marginalisée par le secteur financier au Québec. Cette attitude pèse sur le développement de ce segment de marché de multiples façons. Par exemple, les fonds institutionnels refusent généralement de participer comme investisseur d’ancrage (« lead investor ») dans ces émissions sous prétexte que le placement serait trop petit pour eux. Dans un autre cas, un gestionnaire spécialisé et reconnu dans ce type de placements reçoit une fin de non recevoir de la part des fonds institutionnels au prétexte qu’il sont mieux à même de le faire directement!

Il serait étonnant que la structure de l’industrie des valeurs mobilières au Québec n’ait pas de conséquence sur la propension des sociétés québécoises à recourir aux marchés publics. L’examen des émissions de fiducie de revenus est révélateur. Cette structure de financement typique dans le secteur immobilier a été étendue aux autres secteurs de l’économie à partir de 1995. La formule a été bien accueillie car, déjà en 1997, la valeur des émissions au Canada atteignaient 10,3 milliards de dollars. Mais, il a fallu attendre jusqu’en 1998 pour voir la première émission d’une fiducie de revenus québécoise.

Au cours des années subséquentes, les montants émis par les fiducies de revenus québécoises sont demeurés faibles par rapport à celles de l’Ontario et du reste du Canada; depuis 1995, les produits bruts d’émissions de fiducies du Québec a été inférieur à 9% du total émis au Canada. Pourtant, les sociétés québécoises telles que Boralex, Genivar, Groupe Pages Jaunes, Transforce et autres, qui se sont prévalues de ce mode de financement public, ont connu une forte croissance alimentée par de nombreuses acquisitions.

Il faut se rendre à l’évidence. Dans toutes les juridictions, la vitalité du financement public des entreprises à petite capitalisation dépend de l’existence de firmes de courtage en valeurs mobilières qui se spécialisent dans ce segment de marché.4 La propriété de ces sociétés est généralement locale et

4 Une analyse de la performance du marché des titres à la suite à des PAPE effectués entre 1980 et 2000

aux États-Unis conclut que les sociétés dont l’émission a été placée par les principales firmes de courtage (« top tier underwriters ») ou financée par une société de capital de risque démontraient une volatilité

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indépendante des grands groupes financiers d’envergure nationale et internationale. Les conclusions d’une analyse d’impact du régime-épargne actions du Québec (REAQ) sont particulièrement pertinentes :

« Le REA a également littéralement permis à l’industrie de financement public de se structurer. Avant ce régime, peu de firmes de courtage étaient réellement actives à Montréal dans ce domaine. L’expertise était pour bonne part absente et peu de recherche était effectuée sur place. En 1986, on retrouvait au moins huit firmes québécoises actives dans le financement public versus deux quelques années plus tôt. » (Secor, 1986)

Ce changement structurel de l’industrie québécoise des valeurs mobilières, caractérisé par l’émergence d’un nombre appréciable de firmes indépendantes, est l’un des facteurs importants qui explique le grand nombre d’émissions effectuées dans le cadre du REAQ entre 1983 et 1988. Ces firmes indépendantes ont, pour la plupart, disparu au Québec, alors qu’elles sont encore bien présentes dans d’autres provinces. Or, en théorie, ces firmes canadiennes spécialisées dans le financement des sociétés à faible capitalisation devraient voir le Québec comme un marché porteur sans grande concurrence. En pratique, la quasi-absence d’émissions est un signal que l’environnement québécois n’est pas propice – sinon réfractaire – et, par conséquent, selon les dirigeants de ces sociétés, que les chances de succès ne sont pas proportionnelles aux ressources et aux efforts qu’elles devront consentir.

Nous avons posé les questions suivantes aux dirigeants de sociétés ouvertes et fermées : [Croyez-vous] que la qualité des conseillers au Québec est comparable à celle qui existe ailleurs au Canada et qu’ils sont en nombre suffisant (ouvertes). Dans l’éventualité d’un financement, [éprouverez-vous de la] difficulté à identifier des conseillers chevronnés au Québec (fermées). Les dirigeants de sociétés fermées étaient singulièrement plus positifs (71 %) que ceux de sociétés ouvertes (56 %). L’élément faisant quasi-unanimité chez ces derniers est que la très grande majorité des analystes financiers sont situés à l’extérieur du Québec. Cet état de fait entraîne plusieurs conséquences. D’abord, elle impose l’anglais comme langue de communication, ce qui pénalise certaines équipes de direction et le cours des actions des sociétés qu’elles dirigent. Ensuite, l’éloignement ne favorise pas les relations informelles entre les analystes et la direction des sociétés. Cette situation a des effets plus marqués sur les entreprises à petite capitalisation car les évaluations doivent accorder une certaine prépondérance à la qualité de l’équipe de direction par rapport au plan d’affaires de la société. Enfin, les rapports des analystes contribuent de façon importante à promouvoir les transactions sur les actions et favoriser ainsi leur liquidité

1.4.2 Les investisseurs institutionnels et les entreprises à faible capitalisation

La liquidité, c’est-à-dire la possibilité d’échanger rapidement un titre au cours affiché, est l’un des facteurs importants dans la détermination du prix d’un titre. Évidemment, plus la valeur boursière de la société et le nombre de porteurs de ses titres sont élevés, plus le marché sera liquide. Les entreprises à faible capitalisation sont donc confrontées à une dynamique de marché qui ne leur est pas favorable. Les effets sur le cours des actions peuvent être amenuisés considérablement par l’adoption de certaines mesures de gestion des marchés ou, en leur absence, exacerbés.

relative plus élevée et un taux de survie inférieur à celui des titres dont les PAPE avaient été réalisés par les firmes de courtage spécialisées (Peristrani, 2003).

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Toutes les grandes places boursières ont en place des mécanismes pour soutenir la liquidité des marchés. Les spécialistes ou mainteneurs de marché ont l’obligation d’acheter ou de vendre les titres aux cours affichés en l’absence d’une tierce contrepartie. Ainsi, le cours des actions n’est pas indûment influencé par la configuration du flux d’ordres d’achat ou de vente. Un tel mécanisme existe, par exemple, pour le TSX et le NASDAQ mais non pour le TSX Croissance, une lacune qui s’explique mal, du moins pour les titres dont le cours excède un niveau minimal.

Le succès du financement d’une entreprise de faible capitalisation dépend de la liquidité du marché secondaire de ses actions. Pour obtenir cette liquidité, des conditions particulières doivent être créées, tant au moment de l’émission primaire que par la suite. Celles-ci se résument comme suit :

- Une participation importante des investisseurs individuels est un facteur critique de succès, car elle a pour effet de multiplier les intervenants.

L’idée maintes fois répétée que la transformation des marchés avait éliminé la détention d’actions par les individus au profit de fonds communs de placement et autres fonds d’investissement ne résiste pas à l’analyse. Les données indiquent qu’outre les actions détenues dans les comptes de retraite privés autogérés, 9,9 % des familles canadiennes détiennent des actions, proportion qui s’est maintenue depuis 1999. À cet égard, le Québec avait pratiquement rejoint la moyenne canadienne en 1984. À la fin de 2010, la valeur du portefeuille d’actions des Québécois détenues auprès des courtiers en valeurs mobilières (autre que les fonds communs de placements) était de 81,6 milliards de dollars.

Cependant, il est exact d’affirmer que les grandes sociétés de courtage en valeurs mobilières privilégient « la gestion des actifs financiers » de leurs clients et imposent de sévères restrictions sur les titres qu’ils peuvent recommander à leurs clients. Cela ne favorise pas la distribution d’actions émises par les PME québécoises, car, en règle générale, elles ne répondent pas à leurs critères de conformité pancanadiens.

- Le succès d’une nouvelle émission repose souvent sur l’obtention d’une ou deux participation d’ancrage par des investisseurs reconnus.

Les exigences réglementaires et de liquidité limitent généralement la participation d’un investisseur institutionnel à 10 % de l’émission. On constate immédiatement le problème que cette situation crée pour un grand investisseur institutionnel : 10 % d’une émission de 5 à 10 millions de dollars signifie un placement de 500 000 $ à 1 millions de dollars, un montant qui est bien en-deçà du seuil minimum d’un placement dans le portefeuille d’actions inscrites en bourse de telles institutions. La valeur moins imposante du portefeuille de plusieurs caisses de retraite devrait, en théorie, favoriser de tels investissements. Selon nos interlocuteurs qui connaissent bien ce secteur d’activité, « les comités de retraite sont réfractaires à de tels placements ».

Nous avons rencontré deux gestionnaires de fonds spécialisés qui comblaient ce besoin de participations d’ancrage. Le premier, axé sur les secteurs technologique, industriel et commercial, a cessé ce type d’activité à la demande expresse des institutions qui ont contribué à ses nouveaux fonds sous gestion et qui, à la sortie de la crise, n’avaient pour leitmotiv que la « protection du capital ». Le second gestionnaire se concentre sur le secteur minier, principalement dans le financement des sociétés d’exploration et de mise en valeur des ressources minérales et des « juniors » minières. La contribution de ce type de fonds

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institutionnels au succès des PAPE et aux financements publics subséquents des entreprises à faible capitalisation est considérée comme essentielle par les principaux intervenants dans ce segment de marché. Le drame, de l’avis de nos interlocuteurs, c’est que ces investisseurs institutionnels ou privés sont l’exception au Québec.

- La liquidité des actions sur le marché secondaire est essentielle au maintien de leur juste valeur.

La réglementation empêche les sociétés émettrices de négocier leurs propres titres et d’exercer ainsi une influence sur la liquidité du marché; les dirigeants sont donc largement impuissants à corriger les « anomalies de marché » qui ont une incidence notable sur la valeur de leur société. Cette prohibition ne s’applique pas aux intervenants du secteur financier, dans la mesure où leurs interventions ne visent pas à manipuler le marché.

Les firmes qui exercent les fonctions de « spécialistes » ou de « mainteneurs de marché » doivent y consacrer un montant de capital important. En règle générale, les firmes de courtage spécialisées dans le financement public de petites et moyennes entreprises ne consacrent pas à cette activité spécialisée les ressources financières et humaines requises par ces opérations de négociation pour compte et le contrôle serré des risques que ces activités exigent. Par contre, l’expérience probante d’un fonds institutionnel québécois spécialisé dans les actions des sociétés minières « juniors » démontre que les activités de maintien de marché adaptées aux caractéristiques du marché des titres inscrits à la cote du TSX Croissance est à la fois très bénéfique pour les sociétés québécoises inscrites et leurs actionnaires et profitables pour cet investisseur.

1.4.3 Le Financement institutionnel des entreprises au Québec

La situation du Québec en termes de financement en fonds propres est tout à fait particulière. Elle se caractérise par une offre abondante de capitaux par des organismes gouvernementaux ou des fonds fiscalisés. Ces caractéristiques ont d’ailleurs été soulignées dans le rapport du Groupe de travail sur le rôle de l’État québécois dans le capital de risque (rapport Brunet, 2003) qui estimait, à l’époque, que l’intervention de l’État au Québec représentait 70 % de l’offre de capital de risque, et ce sans compter le rôle de la Caisse de dépôt et placement (« CPDQ »).

Au cours de nos consultations, certains dirigeants de fonds de capital de risque privés nous ont fait part de leur réticence à concurrencer les fonds publics et fiscalisés, ou même à s’associer avec eux dans un investissement. Ces réticences ne trouvent pas leur source dans de simples considérations « idéologiques » mais bien dans des différences difficilement conciliables dans les objectifs de rendement et les orientations de développement des sociétés dans lesquelles ils investissent.

Les commentaires que nous avons recueillis concernant le rôle et le comportement des fonds publics et fiscalisés eu égard au financement des petites et moyennes sociétés à potentiel de croissance élevé soulèvent des interrogations. Quelques dirigeants ont indiqué qu’ils s’accommodaient de la participation de ces fonds publics et fiscalisés « parce qu’ils sont des partenaires silencieux et non exigeants tant que l’on crée de la valeur ».

Compte tenu de la taille restreinte de l’économie québécoise, le succès d’une entreprise motrice passe obligatoirement par la pénétration de marchés extérieurs. La contribution des investisseurs individuels et institutionnels qui réussissent dans le financement de PME repose essentiellement sur leur

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connaissance intime du secteur d’activité dans lequel évolue ‘leur’ PME et sur leur capacité à favoriser les rapprochements avec les leaders de l’industrie. Ils ont également accès à d’autres dirigeants expérimentés auxquels ils n’hésitent pas à faire appel afin de guider les dirigeants de la société qu’ils financent. Les commentaires que nous avons recueillis n’étaient pas particulièrement élogieux à l’égard de cette capacité à intégrer les PME québécoises au sein des réseaux industriels et financiers nord-américains. « Lorsque l’on compare les résultats obtenus par les gestionnaires américains à ceux de gestionnaires québécois dans des entreprises similaires de même taille et dans le même segment de l’industrie, la performance des sociétés américaines est considérablement supérieure à celle des sociétés canadiennes, tant en termes du rythme de croissance que de rendement.» Abordant le même sujet, un dirigeant d’une institution financière observait que les entrepreneurs/gestionnaires québécois n’étaient pas « branchés » sur des réseaux industriels et commerciaux nord-américains, d’une part parce que les sources de placements privés au Québec n’entretiennent pas de tels réseaux et, d’autre part, parce que la langue constitue une barrière qu’on a tendance à sous-estimer. Selon une étude récente réalisée par l’Institute for Competitiveness and Prosperity (2010), l’un des effets de cette ségrégation est que la créativité constitue un élément concurrentiel moins important pour les sociétés québécoises que pour celles de l’Ontario et des États-Unis.

Bien qu’on dénombre plusieurs fonds publics et fiscalisés au Québec, plusieurs interlocuteurs ont souligné que ceux-ci avaient tendance à se concerter dans les décisions d’investissement. Par exemple, le montage de Teralys, un fonds de fonds, prévoit une mise de fonds à la hauteur de 250 millions de dollars par la Caisse de dépôt et de placements du Québec (CDPQ), de 250 millions de dollars par le Fonds de solidarité des travailleurs du Québec (FSTQ) et de 200 millions de dollars par Investissements Québec. GO Capital constitue au autre exemple. Géré par la BDC, ce fonds de capital de risque formé pour soutenir la création de sociétés dans tous les secteurs de la science et des technologies au Québec regroupe les Partenaires FIER, la BDC, la CDPQ, le FSTQ et Fondaction CSN. Nous ne doutons aucunement que les initiateurs de ces regroupements étaient bien intentionnés. Cependant, cette structure oligopolistique et la propension des principaux acteurs à s’associer n’est pas sans conséquences car le résultat est que, dans les créneaux visés, des centres de décisions indépendants ont été éliminés. L’avantage premier d’un marché découle du fait que les décisions sont prises par un grand nombre de décideurs mus par des évaluations et des considérations distinctes et indépendantes. Il appert que la direction des principaux fonds soit sensible à cette problématique et qu’ils ont mis en œuvre des initiatives visant à en atténuer les conséquences par des prises de participations dans un certain nombre de fonds et de sociétés de capital de risque privés.

L’importance des sommes que les fonds publics et fiscalisés doivent investir semblent les inciter à décourager les dirigeants des sociétés fermées à accéder aux marchés de valeurs. Exprimée par les banquiers d’affaires, cette critique peut être considérée comme visant la concurrence. Cependant, lorsque des dirigeants de sociétés fermées témoignent du fait que ces institutions « mettent pas mal de pression pour que je n’aille pas public et offrent de me donner le capital dont j’aurai besoin », les questions concernant leur responsabilité quant à la sous-représentation des sociétés québécoises cotées en bourse prennent un autre relief.

1.5 CONCLUSION

Les données concernant l’économie québécoise révèlent que les sociétés québécoises demeurent sous-capitalisées par rapport au niveau de l’ensemble du Canada, et ce, malgré l’intervention prononcée du Gouvernement du Québec pour stimuler l’offre de fonds propres par le biais de nombreux programmes et organismes gouvernementaux.

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Cette sous-capitalisation relative se traduit irrémédiablement par un sous-investissement chronique en technologies de l’information et des communications, en machinerie, en commercialisation des innovations et en développement des marchés d’exportation par rapport à nos principaux concurrents; bref, par voie des conséquences, par un niveau de productivité moindre qu’en Ontario et qu’aux États-Unis et par une érosion graduelle de notre compétitivité. Cette situation exige que nous fassions un diagnostic rigoureux de la performance relative de l’économie québécoise afin de mieux cerner les enjeux et identifier, sans complaisance, les forces et faiblesses de l’écosystème financier québécois.

Plusieurs interlocuteurs ont suggéré qu’un retrait significatif des interventions gouvernementales directes était une condition nécessaire pour favoriser une meilleure allocation du capital de risque vers les entreprises motrices, responsables d’une grande part de la croissance économique et des emplois. Sans pour autant épouser ce point de vue, nous sommes d’avis qu’une approche orientée vers les marchés publics de capitaux donnerait au Québec des résultats beaucoup plus probants que ceux obtenus jusqu’ici.

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2. LES MOTEURS DE LA CROISSANCE DE L’ÉCONOMIE QUÉBÉCOISE

Les dirigeants d’entreprises que nous avons consultés étaient nombreux à exprimer leurs préoccupations quant au dynamisme de l’économie québécoise, à sa capacité à soutenir la concurrence et à générer un accroissement de notre richesse collective à moyen et à long terme. Ce sentiment est le reflet d’un malaise nourri par leur expérience à la barre de leur entreprise, du défi concurrentiel auquel ils sont soumis et du peu de valorisation que la société québécoise semble accorder aux succès des chefs d’entreprises.

Si nous devons nous réjouir du fait que l’évolution de la situation de l’emploi au cours des trois dernières années a fait en sorte que le Québec soit relativement épargné des méfaits de la crise économique qui a frappé durement d’autres régions, on ne doit pas se leurrer : les finances publiques québécoises présentent des défis majeurs et ne peuvent accommoder un accroissement significatif de notre endettement. Le déclin accéléré de la proportion de la population active (16-64 ans) par rapport à la population totale entraînera inexorablement un ralentissement important de la croissance économique. Selon le ministère des Finances du Québec, le taux moyen de croissance du PIB réel, qui était de 2,1 % durant la période 1982-2008, va ralentir graduellement jusqu’à 1,4 % entre 2021 et 2025. Cela signifie que nous subirons une baisse de la richesse per capita, à moins qu’il n’y ait un accroissement considérable de la productivité. Cela ne pourra être réalisé que par l’innovation et une meilleure pénétration des marchés extérieurs, ce qui nécessitera, entre autres, un bien meilleur score dans la création et l’adoption d’innovations et leur commercialisation. Compte tenu de la nature des défis qui pointent rapidement à l’horizon, un fort dynamisme de la part de nos entrepreneurs et du secteur privé québécois sera nécessaire pour renverser le cours probable des évènements.

La nature structurelle des défis économiques auxquels le Québec est confronté fait en sorte que la croissance est un impératif incontournable. Car, si une société peut s’enorgueillir de son histoire, elle ne connaîtra pas un bel avenir si elle est économiquement faible. Compte tenu du rôle central des entreprises pour assurer une croissance économique soutenue, nous nous sommes appliqués à valider le diagnostic des dirigeants d’entreprises, à situer leurs préoccupations dans un cadre d’analyse des moteurs de la croissance économique et à établir la comparaison avec la situation qui prévaut ailleurs au Canada en ce qui concerne l’accès au capital, un des facteurs critiques de la croissance.

Les conclusions qui se dégagent de l’analyse qui suit confirment plusieurs observations et commentaires des dirigeants d’entreprises, notamment quant aux avantages incontestables des marchés publics de capitaux et de leur effet d’aiguillon eu égard à la performance des entreprises. Elles infirment par ailleurs certaines idées dominantes concernant le financement public et privé des entreprises.

2.1 LES MOTEURS DE LA CROISSANCE

La compréhension des mécanismes de création d’emploi a pris un tournant décisif en 1981 avec la publication par David Birch, du Massachusetts Institute of Technology, des résultats d’une étude exhaustive sur cette question. Depuis, on prend généralement pour acquis qu’environ les deux-tiers des nouveaux emplois sont créés par des PME. C’est un peu court. Des études subséquentes basées sur des banques de données longitudinales plus complètes ont permis de raffiner l’analyse et de mieux cerner les sources de création d’emplois. Les principales conclusions qui se dégagent de ces études jettent un éclairage mieux équilibré sur cette réalité complexe et identifient les moteurs de la croissance :

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- Les écarts entre les taux de croissance régionaux, en Amérique du Nord et en Europe de l’Ouest, s’expliquent par le fait que les régions qui connaissent une croissance rapide sont celles où le rythme de création d’emplois est le plus vigoureux, car le taux de pertes d’emplois est sensiblement le même d’une région à l’autre.5

- Une minorité d’entreprises, entre 4 % et 7 % du nombre total, est responsable de la création de la majorité des emplois nets. Durant la période 2002-2006, ces entreprises à forte croissance – les entreprises motrices – ont créé 84 % des emplois nets aux États-Unis (Acs et al. 2008). Au Canada, les entreprises motrices qui ont eu une continuité d’exploitation entre 1985 et 1999 ont créé 56 % des emplois nets durant cette période même si elles ne représentaient que 6 % de l’ensemble.

- Les entreprises à forte croissance sont autant de taille moyenne et grande que petite. Elles sont situées partout au pays, dans les diverses régions et présentes dans toutes les industries. Elles ne sont pas concentrées dans les secteurs à haute technologie. Ces entreprises connaissent généralement beaucoup de succès sur les marchés d’exportation. Entre 1993 et 2002, les entreprises exportatrices à forte croissance ont créé 47 % des emplois même si elles ne comptaient que pour 5,5 % des entreprises canadiennes (Parsley et al 2008).

- Les nouvelles entreprises sont généralement orientées vers les marchés locaux. Répondant essentiellement à une demande locale (le secteur induit), leur contribution à l’accroissement de la richesse collective est marginale. Ces nouvelles entreprises créent beaucoup d’emplois mais comme leur taux de mortalité est élevé, le résultat net est minime. Une minorité d’entres elles atteindront une taille supérieure à 20 emplois permanents.

- Le taux de création de nouvelles entreprises dépend du taux de croissance de la population, et non l’inverse comme il est souvent postulé. Étant donné qu’entre 1989 et 2009, la croissance annuelle moyenne de la population au Québec n’a été que de 44 % du taux observé en Ontario, la vitalité relative de l’économie québécoise en termes de création d’entreprises a dû être affectée en conséquence. Effectivement, en décembre 2009, on comptait au Québec 3930 établissements employeurs de moins qu’en juillet 2002, alors que, durant cette période, le nombre a augmenté de 56 177 dans le reste du Canada.

Les résultats des études sur la productivité et l’innovation sont tout à fait cohérents avec ces observations.

- Les entreprises motrices affichent les taux de croissance de la productivité les plus élevés (Leung et al. 2008). Ceci s’explique par le fait qu’elles utilisent généralement les technologies les plus avancées et qu’elles déplacent celles qui sont moins productives.

5 De 1977 à 2005 aux États-Unis, le taux annuel moyen de création de nouveaux emplois a été de 18% des

emplois totaux alors que celui des pertes d’emplois fut de 16% (Haltiwanger et al 2008).

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- Le niveau de productivité des entreprises est fonction de leur taille. Cette relation positive entre la taille de l’entreprise et la productivité vaut pour tous les secteurs. Au Canada, on observe que les entreprises de plus de 500 employés et celles ayant de 100 à 500 employés ont respectivement un niveau de productivité supérieur de 30 % et de 20 % à celui des entreprises de moins de 100 employés. Cet écart de productivité se creuse avec le temps. C’est une conséquence du fait que les gains de productivité dépendent de l’internalisation du savoir-faire, des compétences et des meilleures pratiques au sein des entreprises et de leur adaptation continue, un processus qui nécessite du temps.

- L’accroissement de la productivité selon la taille des entreprises est lié à leur meilleure capitalisation. D’ailleurs, les écarts de productivité entre les entreprises de taille différente inscrites en bourse sont beaucoup moins prononcés (Lee et Tang 2001).

- Les dépenses en R&D augmentent avec la taille des entreprises. Par contre, les données sont

moins déterminantes en ce qui concerne l’intensité de la R&D qui est généralement mesurée en terme de dépenses de R&D par employé ou en fonction des revenus. Dans certaines industries, l’intensité croît avec la taille de l’entreprise alors que c’est l’inverse dans d’autres. Quoiqu’il en soit, la R&D est une activité qui comporte des risques importants, qui exige beaucoup de capitaux mais qui ne se finance pas par emprunt, à cause, entre autres, du caractère incorporel des actifs qu’elle utilise et qu’elle génère. La capacité de convertir les résultats de la R&D en de véritables innovations commerciales constitue un facteur certain du succès des entreprises motrices.

- Dans tous les secteurs industriels, la volatilité et la dispersion des taux de croissance des emplois

sont singulièrement plus élevées dans les sociétés fermées que dans les entreprises inscrites en bourse (Davis et al. 2006).

2.2 LA PERFORMANCE DE L’ÉCONOMIE QUÉBÉCOISE : UN DIAGNOSTIC INQUIÉTANT Au cours de la dernière décennie, le nombre d’emplois au Québec est passé de 3 402 000 à 3 844 000, soit une augmentation de 13 %. Cette augmentation se compare à celle de l’ensemble du Canada qui s’établit à 14 %. Le PIB par habitant au Québec suit une tendance assez proche de celle de l’ensemble du Canada. La comparaison de ces indices économiques est rassurante pour plusieurs et explique sans doute une certaine insouciance devant l’érosion de notre compétitivité et l’ampleur des défis qui se présenteront au Québec avec de plus en plus d’acuité au cours des prochaines années. Une analyse plus détaillée des données dépeint une situation préoccupante.6 Ainsi, on observe que :

- La population du Québec, qui représentait 25,27 % de la population canadienne en 1990, ne comptait que pour 23,2 % en 2010.

6 Plusieurs analyses examinent la performance de l’économie québécoise au cours des récentes décennies.

Voir en particulier « Le Québec économique 2009 : Le chemin parcouru depuis 40 ans » (CIRANO 2010), « La performance et le développement économiques du Québec : Les douze travaux d’Hercule » (CIRANO 2009) et « Le Québec économique 2010 : Vers un plan de croissance pour le Québec » (CIRANO 2010).

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- De 2001 à 2010, le produit intérieur brut (PIB) réel québécois a augmenté de 15 % comparativement à 20 % pour le reste du Canada.

- Le Québec a créé, entre 1981 et 2009, seulement 16,8 % des emplois à temps plein au Canada. Depuis 2000, les emplois à temps plein ont augmenté de 10 % au Québec comparativement à 13 % pour le reste du Canada.

- Le Québec est confronté à un défi considérable du fait du déclin démographique rapide de sa population active. Pourtant, on observe qu’en 2009, le taux de participation des 55-64 ans au marché du travail n’était que de 51,2 % comparé à 59,4 % dans le reste du Canada et de 62,1 % aux États-Unis.

- Les faillites commerciales au Québec en 2009 représentaient 35 % du total canadien. En relation du PIB, le taux de faillites commerciales au Québec est plus du double de celui constaté dans le reste du Canada.

L’environnement concurrentiel du Québec ne se limite pas à celui des autres provinces; nous sommes des Nord-américains. Le Canada accuse un retard en termes de productivité relativement à ses principaux partenaires commerciaux, principalement les États-Unis, et le Québec est en retard par rapport à l’Ontario et à la moyenne canadienne. Nous n’avons pas le choix : c’est à l’aune des régions canadiennes et américaines les plus performantes que nous devons nous comparer. Les données empiriques indiquent que les entreprises les plus productives se caractérisent par :

- des investissements plus importants dans la machinerie et le matériel, en particulier dans les technologies de l’information et des communications (TIC),

- une présence sur les marchés étrangers,

- une plus grande propension à investir dans la recherche et le développement (R&D) et l’innovation.

Au chapitre de l’investissement dans la machinerie et le matériel et dans les TIC, le Québec ne fait pas bonne figure et cette situation perdure depuis quelques décennies. La différence dans le ratio des investissements privés au PIB réel au Québec par rapport au reste du Canada durant la période 2000-2008 représente à elle seul un sous-investissement de 66,6 milliards de dollars sur l’ensemble de cette période et de 7,9 milliards de dollars en 2008. Cet écart entraine une détérioration graduelle de nos capacités de production et d’innovation et produit un effet corrosif sur notre compétitivité. Ainsi, on observe que la diminution des investissements en machinerie et en équipements s’accompagne d’une diminution relative de la productivité de l’économie québécoise, particulièrement depuis 2000. Mais le véritable problème est que la comparaison avec la moyenne canadienne cache l’ampleur des retards accumulés par rapport aux États-Unis. Entre 1987 et 2009, au Canada, les investissements par travailleur dans la machinerie et le matériel et dans les TIC représentaient respectivement en moyenne 77 % et 59 % de ceux consentis aux États-Unis. En 2009, les travailleurs canadiens disposaient en moyenne de seulement la moitié, en valeur, des immobilisations en machinerie et matériel et en TIC dont bénéficiaient leurs homologues américains.

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Les principaux fleurons de l’industrie québécoise ont un rayonnement international impressionnant. Il n’en demeure pas moins que seulement 4,2 % des entreprises québécoises exportent à l’étranger. Depuis 2000, la part des exportations canadiennes aux États-Unis a reculé de 20 à 14 %, et la tendance s’est accentuée depuis 2005, alors que la part des importations américaines en provenance de la Chine est passée de 8 à 19 %. La diminution de notre part sur notre plus important marché est, à plusieurs égards, attribuable à une érosion de notre productivité. Les économies émergentes comptent approximativement pour les deux tiers de la croissance économique mondiale et la moitié de l’augmentation des importations mondiales. Si nous ne pouvons pas maintenir nos parts de marché chez notre voisin immédiat, comment pouvons-nous espérer récolter de meilleurs succès dans ces nouveaux marchés asiatiques et latino-américains ou même en Europe? La performance du Québec en matière d’investissements en R&D est la preuve que des politiques publiques bien conçues peuvent modifier le cours des choses. En 1982, les dépenses en R&D représentaient 1,1 % du PIB au Québec; en 2007, elles représentaient 2,53 % du PIB, un niveau d’intensité supérieur à celui du Canada (1,91 %), de l’Union Européenne (1,77 %), des pays de l’OCDE (2,28 %) et très près de celui des États-Unis (2,66 %). Fait à noter, la majorité des investissements en R&D sont effectués en entreprise, ce qui n’est pas le cas dans le reste du Canada. Par contre, le score est moins reluisant en ce qui a trait à l’innovation. Le Forum économique mondial place le Canada en dix-neuvième position, très loin derrière les États-Unis, l’Allemagne et le Japon quant à notre habileté à convertir la R&D en réussites commerciales.

2.3 L’ACCÈS AUX MARCHÉS PUBLICS DE CAPITAUX PAR LES ENTREPRISES CANADIENNES Les enquêtes menées auprès des propriétaires de petites et moyennes entreprises canadiennes et américaines révèlent que l’accès au financement serait plus difficile au Canada qu’aux États-Unis. La proportion de la dette dans la structure de capital des PME canadiennes et américaines est comparable, mais la source des fonds diffère. Les PME canadiennes ont moins recours aux institutions financières; elles compensent ce déficit en faisant davantage appel aux prêts de particuliers, membres de la famille et amis (Leung et al, 2008). La constitution de plus en plus répandue de réseaux d’investisseurs providentiels constitue une source de financement grandissante à travers le Canada. Ce capital de démarrage est essentiel mais insuffisant pour assurer le développement du plein potentiel des entreprises motrices. Il vient un moment où l’entreprise doit solidifier ses assises financières, consolider sa croissance passée, menacée en raison d’un taux d’endettement trop élevé, et favoriser sa croissance future soit de façon organique, par des investissements conséquents en machinerie et équipements et l’expansion sur des marchés extérieurs, ou par des acquisitions. Ces besoins de financement en capital-actions peuvent être comblés par des placements privés auprès d’investisseurs importants ou par l’émission d’actions sur les marchés publics de capitaux.

2.4 LES PLACEMENTS PRIVÉS Le placement privé constitue une source importante de capitaux externes pour les entreprises. Ces opérations de financement sont menées dans le cadre d’un régime de dispense en vertu de la réglementation des valeurs mobilières qui est généralement plus libérale au Canada que dans les autres pays industrialisés.

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Les études empiriques démontrent qu’au Canada le placement privé est majoritairement une activité locale, intra-provinciale. Les données présentées dans le Tableau 5 sont forts révélatrices. Entre 2003 et 2010, les investisseurs en capital de risque québécois ont placé 90,7 % de leurs investissements privés en capital-actions au Québec; ces investissements représentaient 88,6 % du capital-actions de risque investi en placement privé au Québec. Les données correspondantes sont respectivement 78,6 % et 83,7 % pour l’Ontario, et 85,5 % et 53,0 % pour la Colombie-Britannique. Ces données signifient que cette source de capital est moins porteuse de connaissance et d’implications dans les réseaux industriels nord-américains et internationaux au Québec qu’ailleurs au Canada.

Tableau 5 Provinces d’origine et de destination des investissements des sociétés canadiennes de capital de risque au Canada

(janvier 2003 – avril 2010)

Entreprises financées (Nb)

% du total canadien

% des investissements reçus en provenance de

la même province

% réalisés dans la même province

Alberta 87 3,7 79,0 60,9 Colombie-Britannique 365 15,7 53,0 85,5

Saskatchewan 100 4,3 84,1 58,0 Manitoba 57 2,4 83,6 80,7 Ontario 859 36,8 83,7 78,6 Québec 778 33,4 88,6 90,7 Provinces Atlantiques 86 3,7 46,4 60,5

Total : 2332 100 81,6 81,6 Source : Suret, Jean-Marc et Céline Carpentier, « Réglementation des valeurs mobilières au Canada : un réexamen des

arguments avancés pour justifier la commission unique », Rapport préparé pour l’Autorité des marchés financiers du Québec, 20 juin 2010.

L’industrie canadienne du capital de risque n’a pas produit au cours des années les rendements nécessaires pour inciter les investisseurs institutionnels canadiens et étrangers à y consacrer beaucoup de ressources. Au cours de la dernière décennie, chaque année, le rendement annuel des sociétés canadiennes de capital de risque a été inférieur au rendement des bons du Trésor, sauf en 2001. Comme l’indique le Tableau 6, les taux de rendement obtenus ne peuvent être soutenus. Cela explique pourquoi les montants annuels mobilisés par l’industrie du capital de risque au Canada ont plafonné à environ 1,0 milliard de dollars, le même niveau qu’au milieu des années 1990.

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Tableau 6 Taux de rendement des sociétés de capital de risque aux États-Unis,

en Europe et au Canada, 1995-2005 Ensemble des sociétés (%) Premier quartile (%) États-Unis 27,6 76,6 Europe 6,5 38,1 Canada -3,0 19,2 Fonds de travailleurs -1,4 s.o. Privés indépendants -3,9 23,3 Autres -3,6 14,5 Source : Duruflé, Gilles, « La performance du capital de risque au Canada, en Europe et aux États-Unis, Éléments de comparaison », Association canadienne du capital de risque et d’investissement, Forum Canada-France, 13 février 2007. Les sociétés de capital de risque privées et indépendantes (SCRP) ont recueilli depuis 2005 environ 62 % des nouveaux capitaux alloués à cette fin au Canada. Les fonds gouvernementaux et les fonds fiscalisés comblent la différence. Les deux groupes contribuent de façon à peu près égale aux investissements dans les sociétés canadiennes car les SCRP investissent environ 40 % de leurs capitaux à l’étranger, principalement aux États-Unis. Depuis quelques années, les fonds de capital de risque étrangers comptent pour environ le tiers des investissements au Canada.7 En ce qui concerne les investissements des sociétés de capital de risque au Canada, on observe que :

- La majorité des investissements sont effectués dans le secteur des technologies de l’information (53 %), des biopharmaceutiques et des sciences de la vie (20 %) et de l’énergie/environnement (9 %). Les secteurs non technologiques comptent pour moins de 20 % des investissements.

- L’investissement moyen par entreprise d’une société canadienne de capital de risque est de 3,1 millions de dollars. Ce montant est inférieur à l’investissement moyen des sociétés étrangères au Canada qui s’élève à 8,5 millions de dollars.

- Durant la période 2008-2009, 35 % de la valeur des investissements des sociétés de capital de risque au Canada a été investie au Québec (411 millions de dollars/année). Durant cette période, la part de l’Ontario a été de 36 % et celle de la Colombie-Britannique, de 17 %.

- En 2009, 4 des 10 plus importants investissements en capital de risque au Canada ont été effectués dans des sociétés québécoises (3 biopharma/1 TI-communications). Fait à noter, 65 % du capital investi dans ces 10 sociétés provenait de l’extérieur du Canada.

- Entre 2003 et 2009, les sociétés de capital de risque ont liquidé leur investissement dans 264 sociétés canadiennes. De ce nombre, le PAPE a été utilisé dans 46 cas (17 %), alors qu’aux États-Unis cette avenue est utilisée dans plus de 30 % des cas.8

7 Les données concernant les sociétés de capital de risques sont tirées de « Canada’s Venture Capital

Industry in 2009 », Thompson Reuters. 8 Entre 1991 et 2004, les sociétés de capital de risque au Canada ont ‘monétisé’ leur investissement par un

appel public à l’épargne dans 5,85% des cas comparé à 35,65% aux États-Unis.

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- La vente de la société à d’autres intérêts constitue donc la voie privilégiée par les sociétés de capital de risque au Canada, y compris les institutions publiques et les fonds fiscalisés. Ce mode de sortie entraine des conséquences à long terme pour l’économie québécoise. Premièrement, de telles ventes d’entreprises éliminent toute possibilité qu’elles deviennent des sociétés autonomes d’envergure, sauf dans les rares cas de consolidation de sociétés québécoises. Deuxièmement, les analyses aux États-Unis indiquent que la majorité des emplois créés par les entreprises appuyées par les sociétés de capital de risque le sont suite au PAPE, c’est-à-dire, après que l’entreprise soit devenue une société ouverte.

2.5 L’ACCÈS AUX MARCHÉS PUBLICS DE CAPITAUX Le Québec compte pour environ 21 % de l’économie canadienne et 23.2 % de la population du Canada. Les entreprises québécoises inscrites à la cote d’une bourse au Canada ne représentent pourtant que 10 % des inscriptions et 11 % de la capitalisation totale des sociétés canadiennes cotées. On ne peut être trop étonné de cette sous-représentation lorsque l’on sait que les entreprises québécoises ont effectué seulement 8 % du nombre d’appels publics à l’épargne au Canada, soit 17 % de la valeur totale des émissions effectuées entre 1993 et 2004. La sous-représentation des sociétés québécoises continue à s’aggraver. Seulement trois des 74 nouvelles sociétés inscrites à la cote du TSX en 2010 étaient du Québec dont deux provenaient du TSX Croissance. En ce qui concerne le TSX Croissance, les sociétés québécoises ne comptaient que pour onze des 206 nouvelles sociétés canadiennes inscrites. La capitalisation boursière des sociétés par rapport au PIB constitue un bon indicateur du développement et de l’efficience des marchés publics de capitaux. Selon cette mesure, le Canada se classe en tête de file des pays développés. En 2009, ce ratio pour le Canada était de 1,45, près du double du ratio du Québec (0,79). Voilà un autre indice certain des lacunes et faiblesses dans le fonctionnement des marchés publics de capitaux au Québec. Le TSX occupe le 8e rang mondial en terme de capitalisation. C’est, sans contredit, le marché principal des actions au Canada. Néanmoins, ses critères d’inscriptions sont moins exigeants que ceux de la majorité des marchés boursiers à travers le monde. Ils se comparent, par exemple, à ceux du Alternative Investment Market à Londres qui ont été établis précisément dans le but de faciliter l’accès des entreprises moyennes aux marchés boursiers. Dans ces conditions, la pénurie relative d’entreprises québécoises inscrites à la cote du TSX soulève beaucoup d’interrogations quant à son impact sur les perspectives de croissance du Québec. Compte tenu des caractéristiques des entreprises inscrites à la cote du TSX Croissance, ce marché est dominé par des investisseurs individuels. Les investisseurs institutionnels sont généralement absents de ce marché car les capitalisations sont faibles. Ainsi, en 2009, la valeur moyenne d’un PAPE pour un émetteur inscrit au TSX était de 69,5 millions de dollars, contre 4,0 millions de dollars pour le TSX Croissance. Cette réalité porte certains à dénigrer le TSX Croissance. Cette attitude prive les entrepreneurs québécois, notamment les jeunes entreprises motrices, d’un accès aux marchés financiers publics et privés qui s’est révélé, avec l’expérience, très performant pour cette catégorie d’entreprises. Il est certain que les placements dans les sociétés inscrites à la cote du TSX Croissance comportent un niveau de risque élevé et que le taux d’échecs et d’insuccès est élevé. Dans une large mesure, ce niveau de risque est inhérent à l’âge et à la taille de ces sociétés et la nature de leurs activités. Les rendements des sociétés de capital de risque présentés au Tableau 6 en témoignent. Dans le cas du TSX Croissance,

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tous les résultats sont du domaine public alors que la discrétion à l’égard des échecs est plutôt la règle pour ce qui est des résultats obtenus par les sociétés de capital de risque et les investisseurs institutionnels. L’analyse rigoureuse du marché des actions inscrites au TSX Croissance place les choses en perspective. Les études démontrent qu’entre 1995 et 2005, le rendement moyen d’un indice des entreprises qui se sont inscrites à la cote durant cette période a été de 15,69 % pour le TSX Croissance comparé à 10,7 % pour celui du TSX (Carpentier, C., et al, 2008). Au Canada, la voie du TSX Croissance donne des résultats supérieurs à ceux d’une prise de participation par une société de capital de risque, en ce sens que quatre fois plus d’entreprises œuvrant dans des secteurs autres que l’exploration minière qui ont choisi l’inscription au TSX Croissance plutôt que l’option du financement privé ont atteint la taille et la performance requises pour s’inscrire à la cote du TSX (Carpentier et al. 2008). Dans une perspective de croissance et de développement des jeunes entreprises motrices on ne peut écarter le fait que :

- 31.5% des sociétés canadiennes qui se sont inscrites à la cote du TSX entre 2007 et septembre 2010 étaient antérieurement inscrites à la cote du TSX Croissance.

- 20% des sociétés canadiennes comprises dans l’indice S&P/TSX sont des sociétés qui ont

‘gradué’ du TSX Croissance.

2.6 LES PLACEMENTS PRIVÉS DANS LES SOCIÉTÉS OUVERTES Les placements privés dans les sociétés ouvertes sont devenus, au Canada, le mode privilégié d’émissions subséquentes d’actions par les sociétés cotées en bourse. En 2010, la valeur des financements privés en capital-actions effectués par les sociétés inscrites à la cote du TSX et du TSX Croissance a été de 6 609 et 6 392 milliards de dollars, respectivement. Cette même année, 82 % de la valeur du financement par actions des sociétés inscrites à la cote du TSX Croissance a été effectué par placements privés. Pour la période 2008-2009, les sociétés inscrites à la cote du TSX Croissance ont obtenu 10,3 milliards de dollars en financement par actions. Ce chiffre est à comparer au 1,2 milliard de dollars investis en capital de risque au Canada durant cette même période. Outre le secteur des ressources naturelles où il est prévalent, ce type de financement est fréquemment utilisé par les PME des secteurs de la technologie et de la santé. Aux États-Unis, ces dernières comptent pour près de 65 % de la valeur totale des placements privés dans les sociétés inscrites à la cote d’une bourse. L’intérêt principal de ce type de financement pour une société cotée est qu’il est effectué dans le cadre d’un régime de dispense d’inscription et de prospectus. La société n’a, généralement, qu’à déposer une notice d’offre qui décrit les conditions du placement et énoncer les facteurs de risque. Elle peut négocier les conditions du placement directement avec le ou les investisseurs « avertis » ou par l’entremise d’un courtier en valeurs mobilières. Les coûts et les délais d’émission sont, par conséquent, considérablement réduits. La société demeure toutefois assujettie à la règlementation des marchés de valeurs mobilières, notamment celle relative à la divulgation d’information. Une conclusion s’impose : l’inscription d’une société en bourse ne signifie pas qu’elle n’aura pas accès aux financements privés, au contraire. L’expérience démontre plutôt que cette avenue ouvre davantage de portes, et ce, à des conditions de placement souvent moins onéreuses et tatillonnes.

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2.7 LE FINANCEMENT DU SECTEUR MINIER AU QUÉBEC Le Québec est doté d’un patrimoine minier considérable qui, favorisé par la conjoncture internationale, devrait constituer une source importante d’investissements et d’emplois. Influencée par les prix des minéraux sur les marchés mondiaux, la valeur des expéditions minérales, qui a été relativement stable de 1990 à 2004, a amorcé une augmentation rapide à partir de 2004 pour atteindre 6,2 milliard de dollars en 2009. La moyenne annuelle des investissements miniers en exploration et mise en valeur et en aménagement durant cette période s’est élevée à 1,3 milliards de dollars. Les perspectives demeurent fort porteuses car l’augmentation des prix des minéraux reflète une expansion de la demande mondiale de matières premières plus rapide que celle de l’offre. Relativement à l’ensemble du Canada, les livraisons minérales du Québec ont chuté de 19,8 % en 1999 à 13,2 % en 2008, une baisse qui s’explique en partie par la mise en production de nouvelles mines ou l’expansion de mines existantes ailleurs au Canada. La sous-performance relative du Québec au cours de la dernière décennie n’est sans doute pas étrangère au fait que, touchés par l’évolution des prix des minéraux, les travaux d’exploration et de mise en valeur au Québec ont chuté brutalement en 1988 et 1989 et sont demeurés à des niveaux anémiques jusqu’en 2004, moment où s’est amorcée une certaine reprise. Mais cela n’explique pas tout : entre 1998 et 2008, les dépenses d’exploration et de mise en valeur ont augmenté de 813 % en Colombie-Britannique et de 667 % en Ontario, contre 396 % au Québec. Les petites sociétés minières occupent depuis très longtemps une place importante dans l’exploration et la mise en valeur de gisements miniers au Canada. Depuis 2004, les investissements des sociétés ‘juniors’ dans ces activités dépassent ceux des grandes sociétés et elles sont le principal moteur de l’exploration au Canada. Représentant 53 % des dépenses totales d’exploration et de mise en valeur en 2004, ce ratio a cru jusqu’à 65 % en 2008. On observe le même phénomène au Québec. La valeur des investissements en exploration et mise en valeur en 2009 représentaient le double de ceux effectués en 2004; ce résultat est le fait des sociétés ‘juniors’ car l’activité des grandes sociétés a poursuivi sa tendance à la baisse. Cette caractéristique structurelle de l’industrie a deux conséquences majeures. D’une part, les activités des sociétés d’exploration sont effectuées hors site. En 2008, elles ont réalisé 71 % des activités de forage de surface au diamant. Par conséquent, leurs découvertes se matérialisent en de nouvelles mines avec les investissements majeurs que cela exige. D’autre part, cette structure de l’industrie entraine des conséquences majeures pour le financement des leurs activités d’exploration et de mise en valeur, car elles n’ont généralement pas de sources internes de revenus. Par ailleurs, la nature de leurs activités fait en sorte que le financement bancaire et le financement par les sociétés de capital de risque leur sont fermés. Au 31 décembre 2010, il y avait 353 sociétés minières inscrites à la cote du TSX et 1 178 à celle du TSX Croissance. Seulement 12 sociétés minières inscrites au TSX avaient leur siège social au Québec, comparativement à 104 en Ontario et 111 en Colombie-Britannique. De même, en ce qui concerne le TSX Croissance, on observe que 82 sociétés inscrites ont leur siège social au Québec, comparativement à 199 pour l’Ontario et 755 pour la Colombie-Britannique. Depuis 2006, les entreprises d’exploration minière et les minières juniors dont le siège est situé au Québec ont compté pour seulement 6 % des nouvelles inscriptions. En 2010, seulement 6 des 136 nouvelles sociétés inscrites étaient situées au Québec. L’enjeu de la propriété ne peut être évacué comme étant sans conséquence. En 2009, les grandes sociétés canadiennes ont dépensé 30 % de leurs budgets totaux d’exploration au Canada

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comparé à 55 % pour les petites sociétés. Selon le Metals Economics Group, l’acquisition de grandes sociétés canadiennes telles Inco et Falconbridge s’est traduite par une migration des budgets d’exploration « canadiens » vers l’étranger, un effet qui, jusqu’à présent a été dissimulé par l’augmentation des dépenses d’exploration des petites sociétés canadiennes. Le rôle du TSX Croissance dans le développement minier au Canada est considérable. Les sociétés d’exploration minière ainsi que les sociétés minières juniors représentent 55 % de toutes les sociétés inscrites à la cote du TSX Croissance. En 2010, 30 % de la valeur des émissions d’actions des entreprises du secteur minier au Canada émanait des sociétés inscrites à la cote du TSX Croissance alors que celles-ci ne représentent que 8 % de la capitalisation totale du secteur. La forte sous-représentation de sociétés québécoises à la cote du TSX Croissance se traduit inévitablement par une part réduite de ces nouveaux capitaux. On ne doit pas sous-estimer les conséquences. Par exemple, la Corporation Minière Osisko (Canadian Malartic) et Consolidated Thompson Iron Mines (Lac Bloom) ont d’abord inscrit leurs actions à la cote du TSX Croissance avant de passer au TSX. L’annonce par Goldcorp, le 24 février dernier, d’un investissement de 1,4 milliard de dollars pour mettre en production le projet aurifère Éléonore dans la région de la Baie-James a été bien accueillie. Le fait que ce gisement a été découvert en 2004 par une junior québécoise, Virginia Gold Mines, est passé inaperçu dans le tintamarre médiatique.

2.8 CONCLUSION Pour réussir, une politique de croissance doit répondre adéquatement aux besoins particuliers de cette minorité d’entreprises dynamiques capables d’une forte croissance. Une forte croissance accroît évidemment les risques pouvant mener à l’échec. Il existe aucune recette connue pour identifier a priori les entreprises à forte croissance qui auront une certaine pérennité. Dans une économie, celles-ci ne comptent que pour 4 % à 7 % du total des entreprises. L’expérience démontre que les marchés financiers constituent le meilleur mécanisme pour ce faire. La forte sous-représentation des entreprises québécoises à la cote du TSX et du TSX Croissance est source d’inquiétude quant à la performance future de l’économie québécoise. Les suggestions que cette situation s’expliquerait par un manque chronique de bons entrepreneurs au Québec ou encore, que « les sociétés fermées québécoises n’ont pas la taille suffisante pour accéder aux marchés publics» laissent songeur. En décembre 2009, 22 % des établissements employeurs au Canada étaient situés au Québec, une proportion qui correspond à peu près à l’importance relative de l’économie québécoise. On observe également que les établissements moyens (100 à 499 employés) du Québec représentaient 1,7 % du total des établissements employeurs, comparativement à 1,6 %, 1,4 % et 2,1 % respectivement en Alberta, en Colombie-Britannique et en Ontario. Les investissements importants du secteur du capital de risque au Québec en 2009 laissent croire que les causes suggérées ne sont pas nécessairement fondées et qu’il faut chercher ailleurs l’explication à la sous-représentation des sociétés québécoises à la cote des bourses canadiennes. Il faudra également adapter nos solutions en conséquence.

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3. CONCLUSIONS GÉNÉRALES ET PISTES DE SOLUTIONS

Les principaux enjeux de l’économie québécoise vont constituer, dans quelques années, un étau qui réduira sensiblement les moyens et la capacité d’agir de la société québécoise, à moins que nous ne parvenions à accroître le rythme de la croissance économique de façon durable. Les moteurs d’une telle croissance sont des entreprises à forte croissance. Celles-ci se caractérisent généralement par une meilleure capacité à innover et à commercialiser leurs innovations, par un niveau de productivité supérieur et par une plus grande pénétration des marchés extérieurs. Ces entreprises motrices sont présentes dans tous les secteurs de l’économie et réparties à travers les régions. Elles constituent une minorité d’entreprises au sein d’une économie, entre 4 à 7 % du total. Les statistiques révèlent que seulement 4,2 % des sociétés québécoises exportent à l’étranger. Une politique de croissance bien conçue doit privilégier l’émergence et la croissance de telles entreprises motrices. L’objectif du Québec devrait être de faire en sorte que la proportion d’entreprises motrices dans la province atteigne la borne supérieure de 7 % environ, plutôt qu’un maigre 4 %. On ne doit pas sous-estimer l’impact d’une telle augmentation. Au sein d’une économie, les entreprises motrices sont généralement responsables de la création nette d’environ 60 % des emplois. Par conséquent, une augmentation de 4 % à 7 % de la proportion d’entreprises motrices au sein de notre économie aurait pour résultat d’augmenter le nombre total de nouveaux emplois permanents d’environ 45 %, année après année. La difficulté, c’est qu’il est illusoire de croire que les entreprises motrices peuvent être identifiées à priori. Un nombre important d’entreprises prometteuses dans les secteurs des hautes technologies ou des sciences de la vie ont été des échecs, alors que d’autres, dans des domaines moins en vogue, sont devenues des leaders nord-américains ou mondiaux de leur industrie. Le nombre de « mauvais investissements » dans les portefeuilles des sociétés de capital de risque constitue un indice certain des aléas de la croissance pour une jeune entreprise. Devant tant d’incertitudes, il appert qu’en règle générale, les marchés publics de capitaux constituent le mécanisme le plus efficient pour identifier les entreprises motrices et les soutenir sur leur trajectoire de croissance. Évidemment, l’accès aux marchés publics de capitaux n’est pas une panacée, mais il constitue un moyen puissant que nous avons tort de délaisser. Les pistes de solutions que nous esquissons ci-dessous visent à réduire les écarts par rapport au reste du Canada dans la propension des sociétés québécoises à tirer parti des possibilités offertes par l’accès aux marchés publics de capitaux.

3.1 POUR FAVORISER LE FINANCEMENT PUBLIC DES ENTREPRISES QUÉBÉCOISES À FAIBLE CAPITALISATION Nos consultations auprès de dirigeants d’entreprises et de firmes de courtage en valeurs mobilières ne révèlent pas de barrières importantes à l’accès aux marchés publics de capitaux pour les sociétés québécoises dont la capitalisation boursière excède 250 millions de dollars. Plusieurs dirigeants de sociétés ouvertes regrettent cependant la faible participation des grandes institutions québécoises à leur capital, l’absence chronique d’analystes financiers au Québec et le fait qu’ils doivent régulièrement se déplacer vers Toronto et d’autres centres financiers pour conclure leur financement et assurer les suivis avec les investisseurs institutionnels. Cela dit, les succès qu’ils obtiennent les portent à classer ces lacunes de l’écosystème financier québécois au rang des irritants plutôt que comme une entrave sérieuse à leur développement.

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Outre le fait rapporté plus haut que les grandes firmes de courtage en valeurs mobilières qui dominent l’industrie au Québec ne s’intéressent pas au financement des entreprises à faible capitalisation, il faut reconnaître que le financement public de ces entreprises comporte plusieurs écueils qui s’ajoutent à ceux associés au financement public de sociétés plus importantes. Ceux-ci sont liés principalement au manque de liquidité des titres.

3.1.1 Le financement des entreprises à faible capitalisation sur le marché primaire La consolidation de l’industrie des valeurs mobilières au sein d’institutions pancanadiennes et la forte taille des principaux fonds institutionnels posent un problème structurel important pour le financement public des entreprises à petite capitalisation. Le succès d’une émission d’actions dépend du nombre de participants, car cela aura une influence directe sur la liquidité du titre sur le marché secondaire. De plus, le statut d’un investisseur et les obligations réglementaires qui en découlent change dès qu’il traverse la barre des 10 % de la capitalisation de la société. En 2009, la valeur moyenne d’un PAPE pour une société s’inscrivant au TSX Croissance a été d’environ 4 millions de dollars. Cela signifie qu’une institution désirant participer au placement n’investira pas plus de 400 000 $, montant beaucoup trop petit pour la majorité des fonds institutionnels. Par ailleurs, l’objectif de 200 investisseurs se traduit par un investissement moyen de 20 000 $. Une telle somme est évidemment sans intérêt pour un fond institutionnel. Une conclusion s’impose : le financement des entreprises à petite capitalisation est d’abord et avant tout du domaine des investisseurs individuels. Il est futile de chercher d’autres avenues, sauf pour l’investissement d’ancrage (« Lead Investor »). Les investisseurs d’ancrage qui fournissent généralement entre 20 à 30% de la valeur d’une émission remplissent trois fonctions importantes. Premièrement, leur participation réduit singulièrement le risque d’échec de l’émission pour la société elle-même et pour la firme de courtage. Deuxièmement, ces investisseurs avertis exercent une influence déterminante sur les conditions de l’émission. Leur accord constitue un indice certain que ces conditions correspondent aux conditions du marché. Troisièmement, la participation d’investisseurs avertis constitue une forte indication que l’investissement est valable pour les autres investisseurs potentiels, notamment les investisseurs individuels. Certains gestionnaires de fonds se spécialisent dans les investissements de type « ancrage ». L’expérience, ici et ailleurs, est non ambiguë : ce type d’activités doit être mené dans un cadre indépendant de la gestion des portefeuilles d’actions cotées en bourse. L’analyse des placements, les modes d’intervention et la taille des placements de ces « petits » placements d’ancrage s’accommodent mal des pratiques « normales » de gestion des grands portefeuilles.

3.1.2 Le fonctionnement des marchés secondaires Une petite capitalisation implique que le volume de transactions sur le titre est réduit, ce qui a pour effet de causer un manque de liquidité et d’entraver le bon fonctionnement du marché secondaire. Le faible volume de transactions augmente les risques pour les investisseurs et influence les cours. Laissé à lui-même, le marché ne peut corriger cette déficience; des initiatives structurelles et institutionnelles sont requises pour augmenter la liquidité et combler les lacunes. Les marchés boursiers, particulièrement les plus actifs, ont institué des systèmes de « spécialistes » ou de « mainteneurs de marché » pour assurer la continuité des cours et la liquidité des titres inscrits à leur cote. Ce n’est malheureusement pas le cas pour le TSX Croissance.

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Les exemples de SIDEX, SODEMEX et SIPAR témoignent du fait que des fonds spécialisés peuvent fournir l’investissement d’ancrage et prendre le relais de façon profitable en injectant de la liquidité dans le marché secondaire d’actions d’entreprises à faible capitalisation par une gestion très active de leur portefeuille. De tels fonds favorisent ainsi le maintien d’un marché boursier plus robuste et plus intéressant pour les investisseurs. Nous suggérons que les principaux intervenants financiers au Québec envisagent sérieusement la création de fonds distincts et indépendants orientés vers les activités d’investissements d’ancrage et de participation active au marché secondaire des actions des PME québécoises inscrites en bourse.

3.2 POUR VALORISER LE FINANCEMENT SUR LES MARCHÉS PUBLICS DE CAPITAUX Les marchés publics de capitaux constituent, de loin, la plus grande source de financement par capital-actions pour les sociétés canadiennes. De surcroît, ce capital est de nature permanente et ne porte pas intérêt. Il faut convenir du fait qu’une société qui n’est pas en bonne position pour accéder aux marchés publics doit s’abstenir de le faire, car y aller prématurément pourrait lui nuire considérablement. Mais, lorsque l’apport de capital externe est requis, le choix de l’option de financement doit être fondée sur des faits réels et justifiés et non sur des perceptions inexactes. En d’autres termes, il faut favoriser, au Québec, l’émergence d’un environnement qui favorise une prise de décision juste et informée, en fonction des éléments positifs et négatifs associés au financement public. Se pourrait-il que les sociétés du Québec soient moins présentes en bourse parce que les fausses perceptions ont plus libre cours ici qu’ailleurs au Canada? Comptons-nous un nombre disproportionné de dirigeants de sociétés fermées qui sont convaincus que les inconvénients l’emportent sur les avantages, que le court terme doit être favorisé au détriment du long terme, que la perte de contrôle est inévitable, que la réglementation est ingérable et la croissance attendue, inatteignable? Les dirigeants de sociétés fermées qui pèsent le pour et le contre de l’appel public à l’épargne pour renforcer leur structure de capital devraient trouver beaucoup de réconfort dans les propos de ceux qui ont fait le choix de l’inscription en bourse, ont réussi et n’hésiteraient pas à recommencer. Il est important de noter, quitte à nous répéter, que : - L’inscription en bourse d’un grand nombre de sociétés québécoises reconnues pour leur succès a eu

lieu lorsque l’entreprise se trouvait à un stade relativement jeune et que sa capitalisation était fragile.

- Ces entreprises ont su favoriser la croissance continue exigée par les marchés publics de capitaux.

- Ces entreprises ont fait preuve de discipline et de méthode dans l’exécution de leur plan d’affaires.

- Elles ont souvent conservé le contrôle par l’émission d’actions ordinaires à vote multiple.

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3.2.1 Le maintien du contrôle de l’entreprise La crainte de perdre le contrôle, souvent invoquée, constitue un élément négatif sensible. Faut-il rappeler que le recours aux actions à vote multiple est un excellent moyen pour contrer cet « inconvénient ». Ces actions multivotantes accordent aux fondateurs d’une entreprise une protection efficace contre la perte de contrôle de celle-ci. Malheureusement, le recours à ce moyen est souvent dénigré par les grands fonds institutionnels et autres intervenants financiers au nom de principes liés à la gouvernance des entreprises et à leur préférence pour un marché sans entrave pour l’acquisition d’entreprises. Un mythe assez répandu veut que le recours à une telle structure de capital est une caractéristique des sociétés québécoises. Pourtant, en avril 2005, les deux tiers des sociétés inscrites au TSX qui possédaient une telle structure de capital étaient situées hors Québec. Treize pourcent de toutes les sociétés faisant partie de l’indice S&P/TSX ont émis deux catégories d’actions ordinaires afin de préserver le contrôle entre les mains des fondateurs. Ces structures sont très courantes en Europe. Elles le sont également aux États-Unis, mais dans une moindre proportion. Des entrepreneurs à succès comme les deux fondateurs de Google y ont eu recours lors de leur PAPE; Berkshire Hathaway, dirigé par Warren Buffet, possède une structure du capital de ce type. L’Institut sur la gouvernance des organisations publiques et privées (IGOPP) a étudié la question :

« Que l’entrepreneur-fondateur conserve des actions à droit de vote supérieur pour maintenir le contrôle sur son entreprise a semblé, et semble encore, une solution raisonnable. De fait, en l’absence d’une telle protection, la plupart des entrepreneurs se tiendront à distance des marchés publics pour financer la croissance de leur entreprise. Ils préfèreront réduire le rythme de croissance de leur entreprise ou trouveront d’autres sources, souvent moins efficaces, de financement. Les conséquences seraient négatives à plusieurs égards : le rythme d’innovation, les opportunités de placement, la croissance économique et même l’emploi en souffriraient. Même les plus farouches opposants aux actions multivotantes en conviennent, mais ils souhaiteraient réserver le « privilège des actions à vote multiple » aux petites entreprises, comme celles qui sont cotées à la Bourse de croissance TSX » (IGOPP, 2006).

L’IGOPP propose d’ailleurs « un encadrement et des balises qui protègeront les avantages de ce type de structure de capital et en minimisant les aspects négatifs » (IGOPP, 2006).

La réglementation concernant l’inscription à la cote du TSX ou du TSX Croissance de sociétés dont la structure de capital comprend des actions à vote multiple n’est pas clairement comprise, bien que les règles soient établies depuis longtemps. Les actions à droit de vote multiple sont autorisées à condition d’être accompagnées d’une protection en faveur des autres actionnaires en cas d’offre publique d’achat visant les « actions de contrôle ». Ainsi, une telle offre publique d’achat ne serait permise que si elle est faite aux autres actionnaires aux mêmes conditions (clause dite du « coattail »). Étant donné qu’il est généralement admis que les entreprises contrôlées par leurs fondateurs et leurs familles obtiennent des résultats souvent meilleurs que plusieurs autres, et étant donné l’environnement réglementaire qui prévaut, il serait souhaitable de valoriser le recours aux actions à droit de vote multiple et d’encourager leur utilisation dans un cadre de gouvernance approprié.

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3.2.2 Corriger les perceptions Que l’enjeu soit la croissance, le contrôle, la réglementation ou l’information, il existe un écart certain entre la perception des propriétaires de nombreuses sociétés fermées et celle des dirigeants qui ont vécu l’expérience de la société ouverte, et cet écart est, en grande partie, injustifié. Les dirigeants de sociétés fermées déterminés à réaliser le plein potentiel de leur entreprise et qui sont disciplinés dans la réalisation de leur plan d’affaires doivent recevoir une information plus équilibrée et un point de vue éclairé sur les nombreux avantages et inconvénients de l’inscription en bourse. De toutes nos recommandations, celle-ci devrait être, en principe, la plus facile à réaliser. Si la majorité des entrepreneurs qui ont inscrit leur entreprise à la cote d’une bourse sont satisfaits de leur expérience, il est certainement possible de changer la perception des autres. Cela dit, les perceptions négatives, informées ou non, nous apparaissent comme étant fortement enracinées et, souvent, véhiculées par des intervenants financiers influents. La consolidation du secteur financier au Québec, et la dynamique particulière qui l’anime, ne favorisent pas le financement public des entreprises à faible capitalisation. Ces conditions rendent difficile le changement d’attitude qui s’impose et la mobilisation d’intervenants informés et crédibles. Cette situation suggère une démarche en deux étapes. - Dans un premier temps, des forums regroupant des professionnels du financement, des

représentants d’investisseurs institutionnels et de sociétés ouvertes d’ici et d’ailleurs au Canada devraient être organisés afin de favoriser une meilleure compréhension des approches et méthodes utilisées ailleurs au Canada et cerner les différences avec les conditions et les pratiques en usage au Québec. Plusieurs organismes seraient justifiés de prendre l’initiative d’organiser de tels forums « professionnels » : la Fédération des Chambres de Commerce du Québec ou celle de Montréal, le Groupe TMX, la grappe Finance Montréal ou encore des institutions ou cabinets de professionnels actifs dans le secteur. Cette étape est cruciale car il est illusoire de penser que les dirigeants de sociétés fermées seront portés à examiner d’un œil plus favorable l’option du financement par appel public à l’épargne si les principaux intervenants du secteur financier sapent l’intérêt pour le financement public des entreprises à petite capitalisation, publiquement ou de façon larvée.

- Dans un second temps, des efforts de communication et de familiarisation seront nécessaires. Ceux-

ci pourraient prendre la forme de colloques d’information, de conférences ou d’ateliers de travail avec des groupes intéressés par le financement de sociétés en démarrage et de PME (Anges Financiers, FIERS, etc.).

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3.3 POUR APPRIVOISER L’ENVIRONNEMENT RÉGLEMENTAIRE Les propos que nous avons recueillis auprès des dirigeants d’entreprises et des autres intervenants concernés par le financement des PME québécoises par voie de capital-actions traduisent, d’une part, chez les PME, une méconnaissance des règles qui gouvernent les financements primaire et secondaire de même que celles applicables aux sociétés ouvertes et, d’autre part, des lacunes dans l’appréciation par les régulateurs des conditions dans lesquelles évoluent les sociétés ouvertes et fermées au Québec. À notre avis, le fossé qui sépare ces deux mondes n’est pas aussi profond que certains le perçoivent. Quoiqu’il en soit, le Québec serait mieux servi si un pont plus solide existait entre les deux mondes. La Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) avait établi en 2002 un Comité consultatif de la petite entreprise composé de 12 membres nommés pour un terme de deux ans. Le mandat de ce Comité consultatif était de formuler régulièrement des avis à la Commission et à son personnel de direction sur les aspects de la réglementation des valeurs mobilières qui touchaient les PME en Ontario. Ce Comité constituait également un forum privilégié pour faciliter les rapports entre la CVMO et les petites entreprises. Ce comité consultatif a exercé une influence certaine lors de l’élaboration de la règle 45-501 et de son adoption par la CVMO en 2003. Cette règle avait pour objet d’étendre considérablement les circonstances dans lesquelles l’émetteur était dispensé du prospectus pour des émissions auprès d’investisseurs accrédités. Une étude de l’impact de la règle 45-501 a conclu que cette révision de la réglementation des placements privés dans les sociétés ouvertes en Ontario avait eu pour effet d’augmenter le nombre, la valeur et la taille moyenne des émissions d’actions et d’élargir considérablement l’éventail des émissions en terme de valeur. De plus, cette révision des règles a eu pour effet d’accroître le nombre d’investisseurs accrédités individuels, corporatifs et institutionnels qui ont participé à ces émissions. Ces dispositions sont désormais, pour l’essentiel, intégrées dans la réglementation harmonisée à l’échelle canadienne dans le Règlement 45-106 sur les dispenses de prospectus et d’inscription et le Règlement 31-103 sur les obligations et dispenses d’inscription, ce qui illustre bien la contribution positive qu’un tel mécanisme peut apporter. L’Autorité des marchés financiers (« AMF ») a pour mission non seulement d’assurer la protection des épargnants et de favoriser l’efficience des marchés publics de capitaux, mais également de « promouvoir une offre de produits et services financiers de haute qualité et à un prix concurrentiel pour l’ensemble des personnes et des entreprises dans toutes les régions du Québec ». Nous reconnaissons que l’AMF a pris plusieurs initiatives dans le but de rapprocher ses actions de celles du milieu. La conférence annuelle réunissant la communauté juridique du Québec est, manifestement, un grand succès. Nous croyons, cependant, qu’un lien plus étroit et structuré avec la communauté des affaires serait indiqué. Par exemple, aucun de nos interlocuteurs n’étaient au courant qu’une consultation menée par les autorités en valeurs mobilières de l’Alberta, de la Colombie-Britannique, du Manitoba, du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et de la Saskatchewan, avec l’appui de l’AMF, au sujet d’une réglementation sur mesure pour les émetteurs émergents, était en cours. Nous sommes convaincus que la création par l’AMF d’un comité consultatif de la PME contribuerait au développement de politiques réglementaires mieux arrimées aux besoins des entrepreneurs québécois et favoriserait un dialogue constructif entre l’AMF et le milieu des affaires.

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3.4 POUR INCITER LA PARTICIPATION DES INVESTISSEURS INDIVIDUELS AU FINANCEMENT DES ENTREPRISES À FAIBLE

CAPITALISATION Le régime d’épargne-actions du Québec (REAQ) a été marquant à plus d’un titre. Dans l’élaboration d’un programme incitatif au financement sur les marchés publics de capitaux, il serait malavisé de ne pas tirer profit des leçons qui se sont dégagées de la mise en œuvre du programme REA depuis son adoption en 1979 et des mutations qu’il a subies depuis, notamment en 1983. Les études démontrent que les entreprises qui ont émis des « actions REA » avaient généralement un taux d’endettement supérieur à la moyenne canadienne de leur industrie, une conséquence du fait qu’elles éprouvaient des difficultés à obtenir du financement par émission d’actions. Ce même message nous a été communiqué haut et fort durant nos entrevues. « Notre compagnie était prisonnière du financement bancaire. Le REA a démocratisé le financement et nous a donné les moyens de réaliser notre plan de développement ». Effectivement, les données indiquent que le taux d’endettement des sociétés qui avaient émis des « actions REA » était passé de 80 % avant leur PAPE à 45 % dans les années qui ont suivi l’émission. Le REA a donc joué un rôle important en leur donnant un moyen de corriger la tendance à la sous-capitalisation des petites et moyennes entreprises à un stade critique de leur développement. Il faut également noter que, durant la période 1982-1986, les entreprises REA ont affiché un taux de croissance élevé, supérieur à la moyenne québécoise. Depuis le moratoire de 2003, le programme REA n’as plus d’effet structurant. Ni le régime actions-croissance PME instauré en 2005, ni les modifications apportées en 2009 pour créer le REA II n’ont suscité un intérêt conséquent. Le 7 janvier 2011, la liste d’actions éligibles maintenue par l’Autorité des marchés financiers ne comptait que 35 sociétés. La majorité des dirigeants d’entreprises que nous avons consultés nous ont dit que le REA II offrait peu ou pas d’attrait pour leur société.

3.4.1. Une préoccupation largement partagée Le financement des entreprises en expansion sur les marchés publics de capitaux est un souci partagé par la majorité des pays de l’OCDE. Leurs programmes incitatifs visent à stimuler tant l’offre que la demande. Par exemple, les programmes incitatifs de pays aussi différents que la Corée, l’Espagne, le Portugal et le Royaume-Uni portent essentiellement sur le traitement fiscal des gains en capital. Nous sommes d’avis que le Québec aurait avantage à s’inspirer fortement du programme instauré au Royaume-Uni pour favoriser le financement des entreprises motrices et leur inscription à la cote du Alternative Investment Market (AIM) de Londres. Les principaux éléments d’un tel programme se résumeraient comme suit :

Les dispositions concernant l’imposition d’un gain en capital réalisé sur un investissement en actions acquises lors de leur émission primaire par une société québécoise inscrite à la cote du TSX Croissance, du TSX ou du NASDAQ, et dont la capitalisation boursière est inférieure à 500 millions de dollars au moment de l’émission (« placement admissible ») prévoiraient que : a) Le gain en capital serait imposé à 50 % du taux actuel si les actions sont détenues

pendant plus de 12 mois.

b) Le taux d’imposition serait nul si les actions sont détenues pendant plus de 24 mois.

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c) L’impôt sur un gain en capital réalisé sur d’autres investissements serait reporté si le gain est réinvesti dans un placement admissible.

d) L’investissement annuel maximal admissible par contribuable serait limité à 100 000 $.

e) Le traitement fiscal des pertes en capital demeurerait inchangé. Un tel régime incitatif présenterait des avantages supérieurs à ceux du REA II. Premièrement, il faut constater que peu de courtiers en valeurs mobilières offrent à leurs clients des comptes REA individuels et les relevés nécessaires aux fins d’impôts en fin d’année. Le programme se révèle donc difficile à administrer pour les particuliers et, par conséquent, est négligé par les courtiers. Pourtant, la participation des investisseurs individuels est essentielle au succès de financements publics des entreprises à petite capitalisation. La mise en œuvre du programme suggéré n’exigerait pas de développements informatiques onéreux de la part de l’industrie des valeurs mobilières et s’explique très facilement aux représentants des firmes de courtage en valeurs mobilières comme à leurs clients. Deuxièmement, le régime n’entraîne pas d’effet pervers : l’investisseur n’en profite que si la société dans laquelle il a investi progresse et réalise ses objectifs de développement alors que les programmes actuels donnent l’avantage fiscal seulement pour le fait d’investir. Troisièmement, du point de vue des finances publiques, la charge budgétaire est répartie dans le temps. À cet égard, il faut également tenir compte des effets bénéfiques de la croissance ainsi que du fait que le coût des emprunts étant une dépense admissible aux fins d’impôt sur le revenu des sociétés, une meilleure capitalisation aura un effet positif sur les revenus de l’État.

3.5 POUR FAVORISER LA PÉRENNITÉ DES SOCIÉTÉS QUÉBÉCOISES S’il est un trait qui caractérise les dirigeants d’entreprise, c’est leur esprit compétitif. L’autre trait principal est la prudence, ce qui n’implique pas qu’ils évitent de prendre des risques, mais ce sont des risques calculés. Étant donné que les sociétés québécoises qui accèdent aux marchés de capitaux sont l’exception plutôt que la règle et devant le dénigrement à peine voilé de l’option de l’inscription en bourse qui a libre cours, il ne faut pas s’étonner de la réticence et des hésitations qui prévalent chez un nombre imposant de dirigeants de sociétés fermées. L’émulation étant un éperon puissant, il importe que cette situation change. Nous avons décrit dans les chapitres précédents l’importance du placement privé et sa dynamique au Québec. Nous avons également noté que le PAPE était moins souvent utilisé comme avenue de sortie au Canada qu’ailleurs; les proportions sont encore moindres au Québec. Nous ne remettons pas en question la position de quelques sociétés de capital de risque selon laquelle une émission d’actions ne leur permet pas « de récupérer toutes leurs billes », alors que la vente de la société permet la réalisation du placement. Cependant, les dirigeants de fonds publics et fiscalisés que nous avons rencontrés soulignent qu’ils disposent « de capital patient ». Par conséquent, les réserves exprimées par les sociétés de capital de risque privées devraient avoir moins de poids dans leurs décisions quant à la façon de valoriser leurs investissements.

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Compte tenu de la nature des fonds qu’ils gèrent, il nous semble incongru que la porte de sortie la plus souvent utilisée par les fonds publics et fiscalisés soit la vente à d’autres intérêts, souvent étrangers, des sociétés québécoises qu’elles ont aidées à grandir, plutôt qu’une avenue qui favoriserait le développement de sociétés autonomes au Québec. Bref, les préoccupations concernant la pérennité des sociétés québécoises devraient peser plus lourd dans la décision de réaliser leurs placements dans les sociétés québécoises. Le grand nombre de PME dans leur portefeuille de placements privés suggère que les fonds publics et fiscalisés au Québec devraient être en position d’encourager plusieurs sociétés au potentiel intéressant à accéder aux marchés de capitaux. Comme nous l’avons indiqué précédemment, ces fonds possèdent les moyens et peuvent se doter des instruments requis pour accroître la liquidité de ces titres sur les marchés boursiers. De telles actions de leur part favorisaient l’émergence d’un environnement mieux équilibré eu égard au financement public des sociétés et susciteraient l’émulation nécessaire pour réduire les hésitations et créer un climat favorable au développement d’un secteur financier actif, attentif aux besoins de ce segment des marchés de capitaux. Les correctifs que nous suggérons sont particulièrement d’actualité pour le secteur minier. Le Québec est un terreau fertile pour le développement rapide d’entreprises créatrices d’emploi dans ce secteur. Alors que le paysage minier actuel est dominé par des sociétés multinationales, l’objectif clairement établi et largement diffusé devrait consister à favoriser l’émergence d’un pôle solide d’entreprises minières cotées en bourse dont le siège social est situé au Québec. Nous croyons que cet objectif est tout à fait réalisable mais qu’il nécessitera un effort concerté pour améliorer l’écosystème financier. À cet effet, nous proposons l’organisation, dès l’automne 2011, d’un sommet réunissant les principaux intervenants de l’industrie minière au Québec, les principaux organismes de financement des sociétés d’exploration, de mise en valeur et d’exploitation et les autres intervenants qui participent directement au financement des entreprises du secteur minier. L’objectif du sommet consisterait à susciter l’engagement du secteur privé à renforcer l’écosystème financier de façon à ce qu’il soutienne les sociétés minières basées au Québec et à suggérer des politiques publiques qui soutiennent cet objectif.

3.6 POUR PROMOUVOIR LA CULTURE ENTREPRENEURIALE AU QUÉBEC

Les données fournies par la Fondation de l’entrepreneurship et par la Banque de développement du Canada (« BDC ») indiquent que le Québec accuse des retards par rapport à la plupart des autres régions canadiennes sur le plan de l’entrepreneurship. Les dirigeants d’entreprises que nous avons rencontrés ont souvent fait état de ce malaise et du climat qu’ils jugent peu valorisant pour les entrepreneurs et ceux et celles qui connaissent du succès en affaires. Nous souscrivons aux recommandations formulées par plusieurs organisations visant à promouvoir la culture entrepreneuriale au Québec, entre autres :

- Accorder une attention particulière à l’importance et à la valeur de l’entrepreneurship et des entreprises motrices créatrices d’emplois dans les médias et les politiques gouvernementales.

- Mettre en place un réseau de programmes de mentorat, similaire au programme M de la Fondation de l’entrepreneurship du Québec et au « Entrepreneurship Mentoring Program » des États-Unis, afin d’encourager les entrepreneurs expérimentés, et qui ont réussi, à offrir des conseils aux nouveaux entrepreneurs.

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- Publiciser davantage les réussites d’entreprises auprès des écoles secondaires, des CEGEPS et des universités.

- Accroître le nombre d’incubateurs similaires au Centre d’entreprises et d’innovation de Montréal, ou encore aux organismes américains (Techstars) ou britanniques (The Difference Engine, Seedcamp).

- Favoriser davantage la création de centres de recherche qui répondraient aux besoins de recherche avancée des petites et moyennes entreprises, comme l’Institut national d’optique (INO) à Québec et le Centre de recherche sur les biotechnologies marines (CRBM) à Rimouski.

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4. CONCLUSION

Ce rapport vise à fournir aux décideurs des secteurs privé et public un diagnostic éclairé et proposer des mesures souhaitables pour favoriser le développement des entreprises québécoises motrices.

Nous devrons travailler à changer des perceptions et à promouvoir une évolution de l’écosystème financier québécois de façon à ce qu’il favorise une plus grande accessibilité au financement sur les marchés publics de capitaux pour les entreprises motrices, petites et moyennes. L’émulation sera un facteur de succès important. La valorisation des succès et un engagement beaucoup plus ferme de la part du secteur financier et de la communauté des affaires à appuyer les dirigeants d’entreprise qui optent pour l’appel public à l’épargne auront un effet d’émulation bénéfique.

La contribution de tous les intervenants sera nécessaire afin de promouvoir la culture entrepreneuriale et de favoriser l’accès aux marchés publics de capitaux et la pérennité des sociétés québécoises.

Les dirigeants rencontrés ont fait preuve d’une grande générosité et d’une grande ouverture eu égard à ces sujets qui les animent et les préoccupent. Nous leur en sommes extrêmement reconnaissants.

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