Porphyre - Principes de la théorie des intelligibles

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PORPHYRE. PRINCIPES DE LA THÉORIE DES INTELLIGIBLES DISTRIBUÉS DANS L'ORDRE DES ENNÉADES.

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PORPHYRE.PRINCIPES DE LA THORIE DES INTELLIGIBLES DISTRIBUS DANS L'ORDRE DES ENNADES.

XLVPRINCIPES DE LA THORIE DES INTELLIGIBLES PAR PORPHYRESUIVIS DE FRAGMENTS D'AMMONIUS ET DE NUMNIUSXLVITABLEAUIndiquant la concordance des numros que portent les 44 paragraphesDES PRINCIPES DE LA THORIE DES INTELLIGIBLES DANS LA TRADUCTION FRANAISE, DANS L'DITION DE CREUZER ET DANS CELLE D'HOLSTENIUS.Trad. fr.Creuzer.Holstenius.

IXXXIVXXXIV

IlVIIIVIII

IIIIXIX

IVXXVIIXXVIII

VXXXX

VIXVIIIXVIII

VIIXXIVXXV

VIIIXIXXIX

IXVllVII

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XIIXX

XlllXIIXII

XIVXXVIXXVII

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XVIIIIVIV

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XXVIVI

XXIXXVIIIXXIX

XXIIXXIXXXX

XXIIIXXXIIXXXIII

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XXVXVIXVI

XXVIXIXI

XXVIIXXVXXVI

XXVIIIXIVXIV

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XXXXXXXXXI

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XXXIVXXIIIXXIV

XXXVXLIVXLIV

XXXVIXXXVXXXV

XXXVIIXXXVIXXXVII

XXXVIIIXXXVIIXXXVIII

XXXIXXXXIXXL

XLXLXLI

XLIXXXIIIXXXVI

XLIIXXXVIIIXXIX

XLIIIXXXIXXXII

XLIVXLIXLII

XLVIIAVERTISSEMENT.Parmi les documents dont la lecture est propre faciliter l'tude des Ennades de Plotin et leur servir d'introduction, un des plus utiles est l'crit intitul (01) (Sententiae ad intelligibilia ducentes),Principes de ta thorie des intelligibles. C'est, comme nous l'expliquons ci-dessous, un ensemble de morceaux qui ont t composs par Porphyre pour rsumer ou pour commenter les livres les plus importants des Ennades. Les Sentences (), dit M. Ravaisson (02), dans lesquelles est renferm presque tout ce que nous savons de la doctrine de Porphyre sur la nature des principes, prsentent en abrg celle desEnnades; seulement il y rgne, au lieu de l'obscurit ordinaire Plotin, cette heureuse clart qu'on remarquait dans tous les ouvrages de Porphyre, et les principes fondamentaux de la doctrine No-platonicienne y sont mis dans une lumire toute nouvelle..En 1548, P. Victorius fit paratre pour la premire fois Florence, la suite du trait de PorphyreSur l'Abstinence des viandes, et sous le titre , le texte grec de 28 paragraphes de cet ouvrage. Marsile Ficin les avait prcdemment traduits en latin sous ce titre :De occasionibus sive causis ad intelligibilia ducentibus(Ficini opera, II, 870, Parisiis, 1641, f). Ces 28 paragraphes furent dans la suite publis plusieurs fois, mais sans rien gagner en tendue, jusqu' Holstenius, qui fit paratre, en 1630, une dition beaucoup plus complte de l'crit de Porphyre dans un volume intitul:Porphyrii philosophi liber De vita Pythagorae, ejusdem Sententiae ad intelligibilia ducentes, De Antro nympharum quod in Odyssea describitur.Lucas Holstenius Hamburgensis latine vertit. DissertationemDe vita et scriptis Porphyrii(03), et ad vitam Pythagorae; observationes adjecit. Ad Illustrissimum et Reverendissimum S. R. E. Card. Franciscum Barberinum. Romae. Typis Vaticanis. MDCXXX.Dans ce volume, lesPrincipes de la thorie des intelligiblessont diviss enXLVIIItrois parties. La Ire (p. 59-79) comprend 33 paragraphes, I-XX, XII-XXXIII, XXXVI. Sur ces 33 paragraphes, il y en a 5 d'ajouts par Holstenius ceux qu'on connaissait avant lui, savoir IX, XIV, XV, XXXIII, XXXVI, qu'il a tirs de Stobe (04). La 2e partie (p. 80-98) contient 6 paragraphes, XXXIV, XXXV, XXXVII-XL, tirs d'un manuscrit du Vatican (Secunda pars, quae nunc primum ex Vaticano codice prodit). La 3e partie (p. 136-147) contient 5 paragraphes, XLI-XLV, tirs d'un autre manuscrit du Vatican (Alia appendix eruta ex M. S. codice, quem Cl. V. Aloysius Lolinus Bellunensis Episcopus Bibtiothecae Vaticanae legavit). Il y a en tout 44 paragraphes (et non 45 comme on pourrait le croire en lisant la traduction d'Holstenius qui, en numrotant les paragraphes, a omis le numro XXI). Les additions ainsi faites par Holstenius sont trs importantes; elles comprennent les morceaux les plus tendus et les plus prcieux.Depuis Holstenius,les Principes de la thorie des intelligibles, bien que rimprims en 1855 Cambridge, n'ont t l'objet d'aucun travail particulier jusqu' M. Fr. Creuzer, qui les a publis en tte de l'dition desEnnadesqui a paru chez M. A.-F. Didot Paris, en 1855. Il a amlior le texte grec en consultant l'dition de Cambridge et en se servant des connaissances spciales que lui donnait son prcdent travail sur Plotin. Malheureusement, et que cela soit dit sans manquer au respect que nous devons cet illustre savant, il a encore laiss beaucoup faire ses successeurs. Il est loin d'avoir tir parti de toutes les ressources qu'offrait l'tude du texte de Plotin pour corriger les imperfections des manuscrits. La ponctuation est reste vicieuse dans plusieurs endroits. La traduction latine n'a pas t mise en harmonie avec les amliorations qu'a reues le texte grec, et on y retrouve des contresens qu'il et t facile de corriger. Enfin, au lieu de grouper les paragraphes d'une faon rationnelle d'aprs l'analogie des matires et la liaison des ides, M. F. Creuzer les a laisss placs dans l'ordre tout fortuite de leur dcouverte, tels qu'ils se trouvaient dans Holstenius, en se contentant de rectifier les numros des paragraphes (05).Nous avons maintenant rendre compte de notre propre travail.D'abord, pour la traduction, nous nous sommes appliqu la mettre en harmonie avec celle desEnnadesen rendant les termes techniques avec la plus grande fidlit qu'il nous a t possible Les pages que M. Ravaisson a consacres Porphyre dans son savantEssai sur la Mtaphysiqued'Aristote (t. II, p. 467-476), et surtout l'excellent travail de M. Vacherot sur ce mme philosophe dans sonHistoire de l'cole d'Alexandrie(t. II, p. 11-55), nous ont t d'un grand secours.Nous avons en outre essay de rsoudre deux questions importantes:XLIX1 Quelle est l'origine et la destination des Principes de ta thorie des intelligibles de Porphyre ? 2 Dans quel ordre convient-il de disposer les fragments qui composent cet crit ?1. Pour le premier point, nous trouvons dans laVie de Ptotin( 24, p. 32) des indications prcieuses donnes par Porphyre lui-mme sur la nature du travail qu'il fit en revoyant et en publiant lesEnnades:Voil, dit-il, comment nous avons distribu en six Ennades les cinquante-quatre livres de Plotin. Nous avons ajout plusieurs d'entre eux des Commentaires sans suivre un ordre rgulier ( (06)), pour satisfaire quelques-uns de nos amis qui dsiraient avoir des claircissements sur certains points. Nous avons fait des Sommaires () pour tous les livres, en suivant l'ordre dans lequel ils ont t publis, l'exception du livreDu Beau, dont nous ne connaissions pas l'poque. Du reste, nous avons rdig non seulement des sommaires spars pour chaque livre, mais encore des Arguments (), qui sont compris dans le nombre des sommaires.De ce passage, M. Fr. Creuzer a dduit que lesPrincipes de la thorie des intelligiblessont des dbris soit desCommentaires, soit desSommaireset desArgumentscomposs par Porphyre. A l'appui de son opinion, il dit qu'Olympiodore, dans sonCommentaire sur le Phdon(p. 82, B), cite une phrase du XLIV, en ajoutant qu'elle se trouve dans leCommentairede Porphyre. En outre, il dmontre que le motest l'quivalent de(07).Adoptant l'opinion de M. Fr. Creuzer sur l'origine desPrincipes de la thorie des intelligibles, nous avons essay d'en dmontrer la vrit par de nouvelles preuves. Nous les avons cherches dans le texte mme que nous avions traduire. En le comparant celui de Plotin, nous sommes parvenu non seulement indiquer quel livre des Ennades se rapporte chaque paragraphe de Porphyre (08), mais encore signaler, dans les morceaux les plus tendus et les plus importants, les phrases que notre auteur emprunte littralement son matre pour les claircir et les commenter (09). Par ces recherches, qui seront compltes dans les volumes suivants, s'il y a lieu, nous esprons avoir achev un travail que M. Fr. Creuzer n'avait qu'bauch dans son Introduction (10) et qui tait cependant ncessaire pour l'intelligence de l'oeuvre de Plotin aussi bien que pour celle de Porphyre.II. Les explications prcdentes nous dispensent de justifier longuement l'ordre dans lequel nous avons rang les 44 paragraphes qui composent lesPrincipes de la thorie des intelligibles. Puisque ces morceaux taient destins soit rsumer, soit expliquer la doctrine contenue dans lesEnnades, le seul ordre qui ft rationnel consistait les disposer d'aprs le plan qui a t suivi par Porphyre lui-mme pour classer les livres auxquels ils se rapportent.LC'est aussi celui que nous avons adopt, en mettant en tte de ces fragments des titres propres en montrer la destination et en faciliter l'intelligence.Pour complter cette introduction l'tude desEnnades, nous avons ajout auxPrincipes de la thorie des intelligiblesd'autres morceaux de Porphyre qui nous ont t conservs par Stobe et par Nmsius, ainsi que des fragments prcieux d'Ammonius Saccas et de Numnius, que nous avons extrait de Nmsius et d'Eusbe.Eub. LVQUE.1 Voici les titres des trois traits de Porphyre dont les fragments sont traduits intgralement ci-aprs :Des Facults de l'me:1 Des parties et des facults de l'me.... p. LXXXVII;2 De la mmoire... p. LXII (note 3);De la Sensation....p. LXVII (note 1);Mlanges(Union de l'me et du corps).... p. LXXVII (note 1).Les autres traits de Porphyre qu'on trouvera cits ou mentionns dans ce volume sont:Lettre Marcella.... p. LII (note 3) ;Du prcepte : Connais-toi toi-mme... p. LIV (note 3), LXXXVI, (note 1);De l'Abstinence des viandes.... p. LV (note 1), 140 (note 3);Du Retour de l'me Dieu... p. LXX (note );Du Styx... p. LVII (note 4);De l'Antre des Nymphes... p. LXVI (note 1), CVIII (note3), 542 (note 5).(Macrobe a tir de ce dernier trait le commencement du chapitre 12 du livre I de sonCommentaire sur le Songe de Scipion.). , , , , .1 . , , , .2 , . , - - , , , , , . , , , . , , - - , , . , , . , . , . . , . , , , .3 , , , , . .4 , , , , , , , , . , , , , , . , . , . , , . , **. , , , . , , . , . , . . , . , , , , . , , . , . , , , - - . . , , . . , . , , , , , , . , , .PRINCIPES DE LA THORIE DES INTELLIGIBLES PAR PORPHYRE, DISTRIBUS DANS L'ORDRE DES ENNADES.PREMIRE ENNADE.LIVRE DEUXIME.DES VERTUS(11).I. Autres sont les vertus ducitoyen, autres les vertus de l'homme qui tche de s'lever la contemplation, et que, pour cette raison, on appelle espritcontemplatif; autres encore sont les vertus de celui qui contemple l'intelligence; autres enfin sont les vertus de l'intelligence pure, qui est compltement spare de l'me.1Les vertus civiles(12) ( ) consistent tre modr dans ses passions, et suivre dans ses actions leslois rationnelles du devoir( ). Le but de ces vertus tant de nous rendre bienveillants dans notre commerce avec nos semblables, elles sont appelescivilesparce qu'elles unissent les citoyens entre eux.La prudence se rapporte la partie raisonnableLIIde notre me; le courage, la partie irascible; la temprance consiste dans l'accord et l'harmonie de la partie concupiscible et de la raison; la justice enfin, dans l'accomplissement par toutes ces facults de la fonction propre chacune d'elles, soit pour commander, soit pour obir (13).2 Les vertus de l'homme qui tche de s'lever la contemplation consistent se dtacher des choses d'ici-bas: aussi les appelle-t-on despurifications() (14). Elles nous commandent de nous abstenir des actes qui mettent en jeu les organes et des affections qui se rapportent au corps. L'objet de ces vertus est d'lever l'me l'tre vritable. Tandis que les vertus civiles sont l'ornement de la vie mortelle et prparent auxvertuspurificatives, ces dernires commandent l'homme qu'elles embellissent de s'abstenir des actes dans lesquels le corps joue le rle principal. Aussi, dans les vertus purificatives,laprudenceconsiste ne pas opiner avec le corps, mais agir par soi-mme, ce qui est l'uvre de la pense pure; latemprance, ne pas partager les passions du corps; lecourage, ne pas craindre d'en tre spar, comme si la mort plongeait l'homme dans le vide et le nant; lajusticeenfin exige que la raison et l'intelligence commandent et soient obies. Les vertus civiles modrent les passions : elles ont pour but de nous apprendre vivre conformment aux lois de la nature humaine. Lesvertus contemplativesarrachent de l'me les passions: elles ont pour but de rendre l'homme semblable Dieu (15).Autre chose estse purifier, autre chosetre pur. Aussi lesvertus purificatives( ) peuvent, comme la purification elle-mme, tre considres sous deux points de vue : elles purifient l'me, et elles ornent l'me qui est purifie, parce que le but de la purification est la puret. Mais,puisque la purification et la puret consistent s'tre spar de toute chose trangre, le bien est autre chose que l'me qui se purifie. Si l'me qui se purifie etLIIIpossd le bien avant de perdre sa puret, il lui suffirait de se purifier; dans ce cas mme, ce qui lui resterait aprs la purification, ce serait le bien, et non la purification. Mais l'me n'est pas le bien ; elle peut seulement y participer, en avoir la forme; sinon, elle ne serait pas tombe dans le mal. Le bien pour l'me, c'est d'tre unie son auteur; son mal, de s'unir aux choses infrieures (16).Quant au mal, il y en a deux espces : l'une, c'est de s'unir aux choses infrieures ; l'autre, c'est de s'abandonner aux passions. Les vertus civiles doivent leur nom de vertus et leur prix ce qu'elles affranchissent l'me d'une de ces deux espces de mal [des passions]. Lesvertus purificativessont suprieures aux premires, en ce qu'elles affranchissent l'me de l'espce de mal qui lui est propre [de son union avec les choses infrieures] (17). Donc, quand l'me est pure, il faut l'unir son auteur : sa vertu, aprs sa conversion, consiste dans la connaissance et la science de l'tre vritable; non que l'me n'ait pas cette connaissance, mais parce que, sans le principe qui lui est suprieur, sans l'intelligence, elle ne voit pas ce qu'elle possde (18).3 Il y a une troisime espce de vertus, qui sont suprieures aux vertus civiles et aux vertus purificatives, lesvertus de l'mequi contemple l'intelligence ( ). Ici laprudenceet lasagesseconsistent contempler les essences que contient l'intelligence; la justice est pour l'me de remplir sa fonction propre, c'est--dire de s'attacher l'intelligence et de diriger vers elle son activit; la temprance est la conversion intime de l'me vers l'intelligence; le courage est l'impassibilit, par laquelle l'me devient semblable ce qu'elle contemple, puisque l'me est impassible par sa nature (19). Ces vertus ont entre elles le mme enchanement que les autres. 4 Il y a une quatrime espce de vertus,les vertus exemplaires( ), qui rsident dans l'intelligence. Elles ont sur les vertus de l'me la supriorit qu'a le type sur l'image : car l'intelligence contient la fois toutes les essences qui sont les typesLIVdes choses infrieures. Dans l'intelligence, laprudenceest la science ; lasagesseest la pense; latempranceest la conversion vers soi-mme; lajusticeest l'accomplissement de sa fonction propre; lecourageest l'identit de l'intelligence, sa persvrance rester pure, concentre en elle-mme, en vertu de sa supriorit (20).Il y a ainsi quatre espces de vertus : 1 les vertus exemplaires, propres l'intelligence, l'essence de laquelle elles appartiennent; 2 les vertus de l'me tourne vers l'intelligence et remplie de sa contemplation; 3 les vertus de l'me qui se purifie ou qui s'est purifie des passions brutales propres au corps; 4 les vertus qui embellissent l'homme en renfermant dans d'troites limites l'action de la partie irraisonnable et en modrant les passions.Celui qui possde les vertus de l'ordre suprieur possde ncessairement [en puissance] les vertus infrieures. Mais la rciproque n'a pas lieu [21]. Celui qui possde les vertus suprieures ne prfrera pas se servir des vertus infrieures par cela seul qu'il les possde; il les emploiera seulement quand les circonstances l'exigeront (22). Les buts, en effet, diffrent selon l'espce des vertus. Le but desvertusciviles est de modrer nos passions pour rendre notre conduite conforme aux lois de la nature humaine; celui desvertus purificatives, de dtacher l'me compltement des passions; celui des vertus contemplatives, d'appliquer l'me aux oprations intellectuelles, au point de n'avoir plus besoin de songer s'affranchir des passions ; enfin, celui desvertus exemplairesa de l'analogie avec le but des autres vertus. Ainsi, les vertus pratiques font l'homme vertueux ; les vertus puriticatives, l'homme divin ou le bon dmon; les vertus contemplatives, le dieu; les vertus exemplaires, le Pre des dieux. Nous devons nous appliquer surtout aux vertus puriticatives, en songeant que nous pouvons les acqurir ds cette vie, et que leur possession conduit aux vertus suprieures. Il faut donc pousser aussi loin que possible la purification, qui consiste se sparer du corps et s'affranchir de tout mouvement passionn de la partie irrationnelle. Mais comment peut-on purifier l'me Jusqu'o peut aller la purification ? Voil deux questions que nous allons examiner.D'abord, le fondement et la base de la purification, c'est de se connatre soi-mme, de savoir qu'on est une me lie un tre tranger et d'essence diffrente (23).LVEnsuite, quand on est persuad de cette vrit, il faut se recueillir en soi-mme en se dtachant du corps et en s'affranchissant compltement de ses passions. Celui qui se sert trop souvent des sens, bien qu'il le fasse sans attachement et sans plaisir, est distrait cependant par le soin du corps et y est enchan parla sensibilit. Les douleurs et les plaisirs produits parles objets sensibles exercent sur l'me une grande influence et lui inspirent de l'inclination pour le corps. Il est important d'ter l'me une pareille disposition (24)Dans ce but,LVIelle n'accordera au corps que les plaisirs qui lui sont ncessaires, qui servent le gurir de ses souffrances, le dlasser de ses fatigues, l'empcher d'tre importun (24b). Elle s'affranchira des douleurs ; si cela n'est pas en son pouvoir, elle les supportera patiemment et les diminuera en ne consentant pas les partager. Elle apaisera la colre autant que possible ; elle essaiera mme de la supprimer entirement ; du moins, si cela ne se peut pas, elle n'y participera en rien par sa volont, laissant une autre nature [ la nature animale] (24c) l'emportement irrflchi, et encore rduisant et affaiblissant le plus possible les mouvements involontaires. Elle sera inaccessible la crainte, n'ayant plus rien redouter : l encore, elle comprimera tout brusque mouvement; elle n'coutera la crainte (24d) que si c'est un avertissement de la nature l'approche d'un danger. Elle ne dsirera absolument rien de honteux : dans le boire et le manger, elle ne recherchera que la satisfaction d'un besoin tout en y restant trangre. Quant aux plaisirs de l'amour, elle n'en jouira mme pas involontairement ; du moins, elle ne dpassera pas les lans de l'imagination qui se joue dans les songes. Dans l'homme purifl, la partie intellectuelle de l'me sera pure de toutes ces passions. elle voudra mme que la partie qui ressent les passions irrationnetles du corps les peroive sans tre agite, par elles et sans s'y abandonner; de cette manire, si la partie irrationnelle vient elle-mme prouver des motions, celles-ci seront promptement calmes par la prsence de la raison. Il n'y aura donc pas de lutte quand on aura fait des progrs dans la purification. Il suffira que la raison soit prsente; le principe infrieur la respectera au point de se fcher contre lui-mme et de se reprocher sa propre faiblesse, s'il prouve quelque agitation qui puisse troubler le repos de son matre. Tant que l'me prouve encore des passions, mme modres, il lui reste faire des progrs pour devenir impassible. Ce n'est que lorsqu'elle a cess complte-LVIIment de partager les passions du corps qu'elle est rellement impassible. En effet, ce qui permettait la passion de s'agiter, c'tait que la raison lui lchait les rnes par suite de sa propre inclination.

II. , , , , . , .III. , , .LIVRE NEUVIME.DU SUICIDE.De la sparation de l'me et du corps (23x).II. (23y) Ce que la nature a li, la nature le dlie. Ce que l'me a li, l'me le dlie. La nature a li le corps l'me ; mais c'est l'me qui s'est lie elle-mme au corps. Donc il appartient la nature seule de dtacher le corps de l'me, tandis que c'est l'me elle-mme qui se dtache du corps.III. (23z) II y a une double mort : l'une, connue de tous les hommes, consiste dans la sparation du corps d'avec l'me ; l'autre, propre aux philosophes, rsulte de la sparation de l'me d'avec le corps (24y). Celle-ci n'est nullement la consquence de celle-l.

IV. , , , , . , .LVIIIDEUXIME ENNADE.LIVRE QUATRIME.DE LA MATIERE.De la conception de la matire.IV. (25) Nous engendrons par la pense lenon-tre[la matire] en nous sparant de l'tre. Nous concevons aussi leNon-tre[l'Un] (26) en restant unis avec l'tre. Par consquent, si nous nous sparons de l'tre, nous ne concevons pas leNon-trequi est au-dessus de l'tre. [l'Un], mais nous engendrons par la pensequelque chose de mensonger, nous nous mettons dansl'tat[d'indtermination] dans lequel on se trouve en sortant de soi-mme. De mme que chacun peut rellement et par soi-mme s'lever auNon-trequi est au-dessus del'tre[ l'Un] ; de mme [en se sparant de l'tre par la pense], on arrive au non-tre qui est au-dessous de l'tre.

V. , , . , , , , . , .VI. , , , .VII. , , , .LIXTROISIME ENNADE.LIVRE SIXIME.DE L'IMPASSIBILIT DES CHOSES INCORPORELLES(27).De l'incorporel.V. (28) Le nom d'incorporelne dsigne pas un seul et mme genre, comme le nom decorps. Les incorporels doivent leur nom ce qu'on les conoit par abstraction du corps. Aussi, les uns [comme l'intelligence et la raison discursive] sont des tres vritables, existent sans le corps comme avec lui, subsistent par eux-mmes, sont par eux-mmes des actes et des vies; les autres (comme la matire, la forme sensible sans la matire, le lieu, le temps, etc.] ne constituent pas des tres vritables, sont unis au corps et en dpendent, existent par autrui, n'ont qu'une vie relative, ne subsistent que par certains actes. En effet, en donnant ces choses le nom d'incorporelles, on indique ce qu'elles ne sont pas, on ne dit pas ce qu'elles sont.De l'impassibilit de l'me.VI. (29) L'me est une essence sans tendue, immatrielle, incorruptible; son tre consiste dans une vie qui est la vie elle mme.VII. (30) Quand l'tre d'une essence est la vie elle-mme et que ses passions sont des vies, sa mort consiste dans une vie d'une certaine nature et non dans l'entire privation de la vie (31) : car la passion que cette essence prouve par la mort ne la conduit pas la perte complte de la vie.

VIII. , , , . , , , . , , , , , , . , , , , .IX. .LXVIII. (32) Autre est la passion des corps, autre est la passion des choses incorporelles. Ptir pour les corps, c'est changer. Au contraire, les affections et les passions propres l'me sont des actes qui n'ont rien de commun avec le refroidissement ou l'chauffement des corps. Par consquent, si, pour les corps, la passion implique toujours un changement, il faut dire que toutes les essences incorporelles sont impassibles. En effet, les essences immatrielles et incorporelles sont toujours identiques en actes (33). Quant aux essences qui touchent la matire et aux corps, elles sont impassibles en elles-mmes, mais les sujets dans lesquels elles rsident ptissent. Ainsi, quand l'animal sent, l'me ressemble une harmonie spare de son instrument, laquelle fait vibrer d'elle-mme les cordes mises l'unisson; quant au corps, il ressemble une harmonie insparable des cordes. La cause pour laquelle l'me meut l'tre vivant, c'est qu'il est anim. II y a ainsi analogie entre l'me et le musicien qui fait produire des sons son instrument parce qu'il a en lui-mme une puissance harmonique. Le corps frapp par l'impression sensible ressemble des cordes mises l'unisson. Dans la production du son, ce n'est pas l'harmonie elle-mme qui ptit, c'est la corde. Le musicien la fait rsonner parce qu'il a en lui-mme une puissance harmonique. Cependant, malgr la volont du musicien, l'instrument ne produirait pas d'accords conformes aux lois de la musique, si l'harmonie elle-mme ne les dictait.IX. (34) L'me se lie au corps en se tournant vers les passions qu'il prouve ( ). Elle se dtache du corps en se dtournant de ses passions () (35).

X. - - , - - , , , , . , , , , __ , , , , . , , , , , , .De l'impassibilit de ta matire.X. (36) Voici les proprits de la matire d'aprs les Anciens : La matire est incorporelle, parce qu'elle diffre des corps. Elle est sans vie, parce qu'elle n'est ni intelligence, ni me, rien de ce qui vit par soi. Elle est informe, variable, infinie, sans puissance; par consquent, elle n'est pas tre, elle est non-tre; elle n'est pas le non-tre de la manire dont le mouvement est le non-tre; elle est vritablement le non-tre. Elle est une image et un fantme de l'tendue, parce qu'elle est le sujet premier de l'ten-LVIdue. Elle est l'impuissance, le dsir de l'existence. Si elle persvre, ce n'est pas dans le repos [c'est dans le changement]; elle parat toujours renfermer en elle-mme les contraires, le grand et le petit, le moins et le plus, le dfaut et l'excs. Elle devient toujours, sans persvrer jamais dans son tat ni pouvoir en sortir. Elle est le manque de tout tre; par consquent elle ment dans ce qu'elle parat tre : si, par exemple, elle parat grande, elle est petite; comme un vain fantme, elle fuit et s'vanouit dans le non-tre, non par un changement de lieu, mais par le dfaut de ralit. II en rsulte que les images qui sont dans la matire ont pour sujet une image infrieure. C'est un miroir dans lequel les objets prsentent des apparences diverses selon leurs positions, un miroir qui semble rempli quoiqu'il ne possde rien, et qui parait tre toutes choses.

XI. , , , , , , . - , . , , , . , - - , , , .De la passibilit du corps.XI. (37) Les passions se rapportent ce qui est sujet la destruction : en effet, c'est la passion qui conduit la destruction; ptir et tre dtruit appartiennent au mme tre. Les choses incorporelles ne sont point sujettes destruction : elles sont ou elles ne sont pas; dans l'un et l'autre cas, elles sont impassibles. Ce qui ptit ne doit pas avoir cette nature impassible, mais tre capable d'tre altr et dtruit par les qualits des choses qui s'y introduisent et le font ptir : car ce qui y subsiste n'est pas altr par le premier objet venu. Il en rsulte que la matire est impassible : car elle n'a point de qualit par elle-mme. Les formes qui ont la matire pour sujet sont galement impassibles. Ce qui ptit, c'est le compos de la forme et de la matire, dont l'tre consiste dans l'union de ces deux choses : car il est videmment soumis l'action des puissances contraires et des qualits des choses qui s'introduisent en lui et le font ptir. C'est pourquoi les tres qui tiennent d'autrui l'existence, au lieu de la possder par eux-mmes, peuvent galement, en vertu de leur passivit, vivre ou ne pas vivre. Au contraire, les tres dont l'existence consiste dans une vie impassible ont ncessairement une vie permanente; de mme les choses qui ne vivent pas sont galement impassibles en tant qu'elles ne vivent pas. Il en rsulte que changer et ptir ne conviennent qu'au compos de la forme et de la matire, au corps, et non la matire; de mme, recevoir la vie et la perdre, prouver les passions qui en sont laLXIIconsquence, appartiennent au compos de l'me et du corps. Rien de pareil ne saurait arriver l'me : car elle n'est pas une chose compose de vie et de non-vie (); elle est la vie elle-mme, parce que son essence est simple, et qu'elle se meut elle-mme.

XII. , , , , , .XIII. , , , , , , , , .XIV. , , , , .LIVRE HUITIME.DE LA NATURE, DE LA CONTEMPLATION ET DE L'UN(38).De la Pense.XII. (39) La pense n'est pas la mme partout : elle diffre suivant la nature de chaque essence. Elle est intellectuelle dans l'intelligence, rationnelle dans l'me, sminale dans la plante ; elle constitue une simple figure dans le corps; enfin, dans le principe qui surpasse toutes ces choses, elle est suprieure l'intelligence et l'tre.De la Vie.XIII. (40) Le mot corps n'est pas le seul qui se prenne dans plusieurs sens; il en est de mme du motvie. Autre est la vie de la plante, autre la vie de l'animal, autre la vie de l'me, autre la vie de l'intelligence, autre la vie du principe qui est suprieur l'intelligence. En effet, les intelligibles sont vivants quoique les choses qui en procdent ne possdent pas une vie semblable la leur.De l'Un.XIV. (41) Par l'intelligence on dit beaucoup de choses du principe qui est suprieur l'intelligence [de l'Un] (42). Mais on en a l'intuition bien mieux par une absence de pense que par la pense. Il en est de cette ide comme de celle du sommeil, dont on parle jusqu' un certain point l'tat de veille, mais dont on n'acquiert la connaissance et la perception que par le sommeil. En effet, le semblable n'est connu que par le semblable; la condition de toute connaissance est que le sujet devienne semblable l'objet (43).

XV. , .XVI. , , , , .XVII. , , , , .XVIII. , . .XIX. , , , .XX. , .

LXIIIQUATRIME ENNADE.LIVRE DEUXIME.DE L'ESSENCE DE L'ME(44).XV. Tout corps est dans un lieu; l'incorporel en soi n'est pas en un lieu, non plus que les choses qui ont la mme nature que lui.XVI. L'incorporel en soi, par cela mme qu'il est suprieur tout corps et tout lieu, est prsent partout sans occuper d'tendue, d'une manire indivisible.XVII. L'incorporel en soi, n'tant pas prsent au corps d'une manire locale, lui est prsent quand il veut, c'est--dire en inclinant vers lui, en tant que cela est dans sa nature. N'tant pas prsent au corps d'une manire locale, il lui est prsent par sa disposition.XVIII. L'incorporel en soi ne devient pas prsent au corps en essence ni en substance. Il ne se mle pas avec lui. Cependant, par son inclination pour le corps, il engendre et il lui communique une puissance de lui-mme capable de s'unir avec le corps. En effet, l'inclination de l'incorporel () constitue une seconde nature [l'me irraisonnable], qui s'unit avec le corps.XIX. (45) L'me a une nature intermdiaire entre l'essence qui est indivisible et l'essence qui est divisible par son union avec les corps: l'intelligence est une essence absolument indivisible; les corps sont seulement divisibles; mais les qualits et les formes engages dans la matire sont divisibles par leur union avec les corps.XX. (46) Les choses qui agissent sur d'autres n'agissent point parLXIVrapprochement et par contact ( ). Quand elles agissent par rapprochement et par contact, ce n'est qu'accidentellement.

XXI. . , - - , . , , . , , LIVRE TROISIME.DOUTES SUR L'ME.Union de l'me et du corps (47).XXI. (48) La substance corporelle n'empche pas l'incorporel en soi d'tre o il veut et comme il veut : car, de mme que l'intendu ne peut tre contenu par le corps, de mme la substance tendue ne fait point obstacle l'incorporel et est pour lui comme le non-tre. L'incorporel ne se transporte pas o il veut par un changement de lieu : car il n'y a que la substance tendue qui occupe un lieu. L'incorporel n'est pas non plus comprim par le corps : car il n'y a que la substance tendue qui puisse tre comprime et dplace. Ce qui n'a ni tendue ni grandeur ne saurait tre arrt par la substance tendue ni tre expos un changement de lieu. tant partout et n'tant nulle part, l'incorporel, partout o il se trouve, ne fait sentir sa prsence que par une disposition d'une certaine nature ( ). C'est par cette disposition qu'il s'lve au-dessus du ciel ou qu'il descend dans un coin du monde. Ce sjour mme ne le rend pas visible aux yeux. C'est seulement par ses uvres qu'il manifeste sa prsence.

XXII. , , , . , , , .XXII. (49) Si l'incorporel est contenu dans le corps, il n'y est pas renferm comme une bte dans une mnagerie : car il ne peut tre renferm ni embrass par le corps. Il n'y est pas non plus comprim comme de l'eau ou de l'air dans une outre. Il produit des puissances qui du sein de son unit (50) rayonnent au dehors : c'est par elles qu'il descend dans le corps et qu'il le pntre (51). C'est par cette ineffable extension de lui-mme qu'il vient dans le corps et qu'ilLXVs'y enferme. Rien ne l'y attache si ce n'est lui-mme. Ce n'est point le corps qui dlie l'incorporel par suite d'une lsion ou de sa corruption ; c'est l'incorporel qui se dlie lui-mme en se dtournant des passions du corps.

XXIII. - , - , , , , . , . , , , . , , , , . , , , , , , , , . , , , . , , , . , , , .De la Descente de l'me dans le corps et de l'Esprit.XXIII. (52) De mme qu'tre sur la terre, pour l'me, ce n'est point fouler le sol, comme le fait le corps, mais seulement prsider au corps qui foule la terre; de mme,tre dans les enfers, pour l'me (53), c'est prsider une image dont la nature est d'tre dans un lieu et d'avoir une essence tnbreuse. C'est pourquoi, si l'enfer plac sous la terre est un lieu tnbreux, l'me, sans se sparer de l'tre, descend dans l'enfer quand elle s'attache une image. En effet, quand l'me quitte le corps solide auquel elle prsidait, elle reste unie l'esprit() qu'elle a reu des sphres clestes (54). Comme, par l'effet de son affection pour la matire, elle a dvelopp telle ou telle facult en vertu de laquelle elle avait une habitude sympathique pour tel ou tel corps pendant la vie (55), par suite de cette disposition, elle imprime une forme l'esprit par la puissance de son imagination, et elle s'attache ainsi une image (56). On dit que l'me est dans l'enfer parce que l'esprit qui l'entoure se trouve avoir ainsi une nature informe et tnbreuse;et, comme l'esprit pesant et humide descend jusqu'aux lieux souterrains, on dit que l'me descend sous terre; non que l'essence mme de l'me change de lieu ou soit dans un lieu, mais parce qu'elle contracte les habitudes des corps dont la nature est de changer de lieu et d'tre dans un lieu. C'est ce qui fait que l'me, d'aprs sa disposition, s'adjoint tel corps plutt que tel autre (57) : car le rang et les qualits particulires du corps dans lequel elle entre dpendent de sa disposition.Ainsi, l'tat de puret suprieure, elle s'unit un corps voisin de la nature immatrielle, un corps thr. Lorsqu'elle descend du dveloppement de la raison celui de l'imagination, elle reoit un corps solaire. Si elle s'effmine et se prend d'amour pour les formes, elle revt un corps lunaire. Enfin, quand elle tombe dans les corps terrestres, qui, tant en analogie avec son caractre informe, seLXVIcomposent de vapeurs humides, il en rsulte pour elle une ignorante complte de l'tre, une sorte d'clipse et une vritable enfance.Au sortir d'un corps terrestre, ayant son esprit encore troubl par cet vapeurs humides, elle s'attache une ombre qui l'appesantit (58) : car un esprit de cette sorte tend naturellement descendre dans les profondeurs de la terre moins qu'il ne soit retenu et relev par une cause suprieure. De mme que l'me est attache la terre par son enveloppe terrestre; de mme l'esprit humide, auquel elle est unie, lui fait traner aprs elle une Image qui la rend pesante. Or elle s'entoure de vapeurs humides quand elle vient se mler la nature dont le travail est humide et souterrain. Mais si elle se spare de la nature, une lumire sche, sans ombre et sans nuage, brille aussitt autour d'elle. En effet, c'est l'humidit qui forme les nuages dans l'air; la scheresse de l'atmosphre produit une clart sche et sereine.

XXIV. , , . , , , .XXV. , .LIVRE SIXIME.DE LA SENSATION ET DE LA MMOIRE(59)De la Sensation.XXIV. (60) L'me contient les raisons [essences] de toutes choses. Elle opre selon ces raisons, qu'elle soit provoque l'acte par un objet extrieur, ou qu'elle se tourne vers ces raisons en se repliantLXVIIsur elle-mme (61). Quand elle est provoque l'acte par un objet extrieur, elle y applique ses sens; quand elle se replie sur elle-mme, elle s'applique aux penses. Il en rsulte, dira-t-on peut-tre, qu'il n'y a pas de sensation ni de pense sans imagination: car, de mme que, dans la partie animale, il n'y a pas de sensation sans une impression produite sur les organes des sens; de mme, il n'y a pas de pense sans imagination. Sans doute : il y a l analogie. De mme que l'image sensible () rsulte de l'impression prouve par la sensibilit (62); de mme l'image intellectuelle () rsulte de la pense (63).De la mmoire.XXV. La mmoire ne consiste pas garder des images. C'est la facult de reproduire les conceptions dont notre me s'est occupe (64).

XXVI. , .XXVII , .XXVIII. , . , , , , . , , , , .XXIX. , , , .

LXVIIICINQUIME ENNADE.LIVRE DEUXIME.DE LA GNRATION ET DE L'ORDRE DES CHOSES QUI SONT APRS LE PREMIER(65).De la Procession des tres.XXVI. Quand les substances incorporelles descendent, elles se divisent, se multiplient, et leur puissance s'affaiblit en s'appliquant l'individuel. Quand elles montent, au contraire, elles se simplifient, s'unifient et leur puissance surabonde.XXVII. Dans la vie des incorporels, laprocession() s'opre de telle sorte que le principe suprieur demeure ferme et inbranlable dans sa nature, qu'il donne de son tre qui est au-dessous de lui, sans rien perdre et sans changer en rien. Ainsi, ce qui reoit l'tre ne reoit pas l'tre avec une corruption ou un changement; il n'est pas engendr comme la gnration [l'tre sensible], qui participe de la corruption et du changement. Il est donc non-engendr et incorruptible parce qu'il est produit sans gnration ni corruption.XXVIII. Toute chose engendre tient d'autrui la cause de sa gnration, puisque rien ne s'engendre sans cause. Mais, parmi les choses engendres, celles qui doivent leur tre une runion d'l-LXIXments sont par cela mme prissables. Quant celles qui, n'tant pas composes, doivent leur tre la simplicit de leur substance, elles sont imprissables, en tant qu'indissolubles; en disant qu'elles sont engendres, on n'entend pas qu'elles soient composes, mais seulement qu'elles dpendent d'une cause. Ainsi les corps sont doublement engendrs, d'abord comme dpendant d'une cause, ensuite comme composs. L'me et l'intelligence sont engendres sous ce rapport qu'elles dpendent d'une cause, mais non sous ce rapport qu'elles seraient composes. Donc les corps, tant doublement engendrs, sont dissolubles et prissables. L'me et l'intelligence, n'tant pas engendres sous ce rapport qu'elles ne sont pas composes, sont indissolubles et imprissables: car elles ne sont engendres que sous ce rapport qu'elles dpendent d'une cause (66).XXIX. Tout principe qui engendre en vertu de son essence est suprieur au produit qu'il engendre. Tout tre engendr se tourne naturellement vers son principe gnrateur. Quant aux principes gnrateurs, quelques-uns [les substances universelles et parfaites] ne se tournent pas vers leur produit, d'autres [les substances particuliresLXXet sujettes incliner vers le multiple] se tournent en partie vers leur produit et restent en partie tourns vers eux-mmes, d'autres enfin se tournent vers leur produit et ne se tournent pas vers eux-mmes.

XXX. , , , , . . , . , . , . , .Du Retour des tres au Premier.XXX. Des substances universelles et parfaites, aucune ne se tourne vers son produit. Toutes les substances parfaites se ramnent aux principes qui les ont engendres. Le corps du monde lui-mme, par cela seul qu'il est parfait, se ramne l'me intelligente, et c'est pour cela que son mouvement est circulaire (67). L'me du monde se ramne l'Intelligence, et l'Intelligence au Premier (68). Tous les tres aspirent donc au Premier, chacun dans la mesure de son pouvoir, depuis celui qui occupe le dernier rang dans l'univers. Ce retour des tres au Premier ( ) est ncessaire, qu'il soit d'ailleurs mdiat ou immdiat. Aussi peut-on dire que les tres n'aspirent pas seulement Dieu, mais qu'ils en jouissent encore chacun selon son pouvoir (69). Quant aux substances particulires et sujettes incliner vers le multiple, il est dans leur nature de se tourner non seulement vers leur auteur, mais encore vers leur produit. C'est de cela que rsulte leur chute et leur infidlit. La matire les pervertit parce qu'elles peuvent incliner vers elle, quoiqu'elles puissent aussi se tourner vers Dieu (70). Ainsi, la perfection fait natre des premiers principes et tourne vers eux les tres qui occupent le second rang. L'imperfection, au contraire, tourne les choses suprieures vers les choses infrieures, et leur inspire de l'amour pour ce qui s'est avant elles-mmes loign des premiers principes [pour la matire] (71).

XXXI. , , , , , . , , , , .LIVRE TROISIME.DES HYPOSTASES QUI CONNAISSENT ET DU PRINCIPE SUPRIEUR(72)L'Intelligence se connat par un retour sur elle-mme.XXXI. (73) Quand un tre subsiste par autrui, qu'il ne subsiste point par lui-mme en se sparant d'autrui, il ne saurait se tourner vers lui-mme pour se connatre en se sparant du sujet par lequel il subsiste : car il s'altrerait et il prirait en se sparant de son tre. Mais quand un tre se connat lui-mme en se sparant de celui auquel il est uni, qu'il se saisit lui-mme indpendamment de cet tre, qu'il le fait sans s'exposer prir, il ne tient videmment pas sa substance de l'tre dont il peut, sans prir, se sparer pour se tourner vers lui-mme et pour se connatre lui-mme d'une manire indpendante. Si la vue, si la sensibilit, en gnral, ne se sent point elle-mme, ne se peroit pas en se sparant du corps, et ne subsiste point par elle-mme; si l'intelligence, au contraire, pense mieux en se sparant du corps, et se tourne vers elle-mme sans prir : il est clair que les facults sensibles ne passent l'acte que par le secours du corps, tandis que l'intelligence possde par elle-mme, et non par le corps, l'acte et l'tre.

XXXII , . , . , . , . , . , , . , . , . , , . , . , , , . , , , . , , . , . , , . , , , , , , . , , , . , , , . , , , , , . , , , , . , , . LXXIL'acte de l'intelligence est ternel et indivisible.XXXII. (74) Autre chose est l'intelligence et l'intelligible, autre chose le sens et le sensible. L'intelligible est uni l'intelligence comme le sensible l'est au sens. Mais le sens ne peut se percevoir lui-mme (75)... L'intelligible, tant uni l'intelligence, est saisi par l'intelligence et non par le sens. Mais l'intelligence est intelligible pour l'intelligence. Si l'intelligence est intelligible pour l'intelligence, l'intelligence est elle-mme son propre objet. Si l'intelligence est intelligible et non sensible, elle est un objet intelligible. Si elle est intelligible par l'intelligence, et non par le sens, elle sera intelligente. Elle est donc la fois ce qui pense et ce qui est pens, tout ce qui pense et tout ce qui est pens. Elle n'agit pas d'ailleurs la manire d'un instrument qui frotte et qui est frott :Elle n'est pas dans une partie d'elle-mme sujet, et dans une autre, objet de la pense; elle est simple, elle est tout entire intelligible pour elle-mme tout entire. (76) L'intelligence tout entire exclut toute ide d'inintelligence (). II n'y a pas en elle une partie qui pense, tandis que l'autre ne penserait pas: car alors, en tant qu'elle ne penserait pas,elle serait inintelligente ().Elle n'abandonne pas un objet pour penser un autre : car elle cesserait de penser l'objet qu'elle abandonnerait. Donc, si elle ne passe pas successivement d'un objet un autre, elle pense tout ensemble ; elle ne pense pas tantt l'une, tantt l'autre; elle pense tout prsentement et toujours (77)...Si l'intelligence pense tout prsentement, s'il n'y a pour elle ni pass ni futur, sa pense est un acte simple, qui exclut tout intervalle de temps. Ainsi tout y est ensemble, sous le rapport du nombre aussi bien que sous le rapport du temps. L'intelligence pense donc toutes choses selon l'unit et dans l'unit, sans que rien y tombe dans le temps ou dans l'espace. S'il en est ainsi, l'intelligence ne discourt point et n'est pas en mouvement [comme l'me]; c'est un acte qui est selon l'unit et dans l'unit, qui rpugne au changement, au dveloppement, toute opration discursive (78). Si, dans l'intelligence, la multitude est ramene l'unit, si l'acte intellectuel est indivisible et ne tombe point dans le temps, il est ncessaire d'attribuer une pareille essence l'tre ternel dans l'unit. Or c'est l l'ternit (79). DoncLXXIIl'ternit constitue l'essence mme de l'intelligence.Quant cette intelligence d'autre espce qui ne pense pas selon l'unit et dans l'unit, qui tombe dans le changement et dans le mouvement, qui abandonne un objet pour s'occuper d'un autre, qui se divise et se livre une action discursive (80), elle a pour essence le temps (81). La distinction du pass et du futur convient son mouvement. En passant d'un objet un autre, l'me change de penses: non que les premires prissent et que les secondes sortent subitement d'une autre source ; mais celles-l, tout en semblant vanouies, demeurent dans l'me, et celles-ci, tout en paraissant venir d'ailleurs, n'en viennent rellement point, mais naissent du sein mme de l'me qui ne se meut que d'elle elle, et qui porte son regard successivement sur telle ou telle partie de ce qu'elle possde. Elle ressemble une source qui, au lieu de s'couler au dehors, reflue circulairement en elle-mme. C'est ce mouvement de l'me qui constitue le temps comme la permanence de l'intelligence en elle-mme constitue l'ternit. L'intelligence n'est point spare de l'ternit, comme l'me ne l'est point du temps. L'intelligence et l'ternit ne forment qu'une seule hypostase. Ce qui se meut simule l'ternit par la perptuit indfinie de son mouvement, et ce qui demeure immobile simule le temps en paraissant multiplier son continuel prsent mesure que le temps passe. C'est pourquoi quelques-uns ont dit que le temps se manifestait dans le repos aussi bien que dans le mouvement, et que l'ternit n'tait que l'infinit du temps. Ils transportaient ainsi chacune de ces choses les attributs de l'autre. C'est que ce qui persiste toujours dans un mouvement identique figure l'ternit par la perptuit de son mouvement, et que ce qui persiste dans un acte identique figure le temps par la permanence de son acte. Au reste, dans les choses sensibles, la dure diffre selon chacune d'elles. Autre est la dure du cours du Soleil, autre la dure du cours de la Lune, autre la dure du cours de Vnus, etc. ; autre est l'anne du Soleil, autre est l'anne de chacun de ces astres; autre est enfin l'anne qui embrasse toutes les autres annes et qui est conforme au mouvement de l'Ame, sur lequel les astres rglent leurs mouvements. Comme le mouvement de l'me diffre du mouvement des astres, son temps diffre aussi du temps des astres: car les divisions de cette dernire espce de temps correspondent aux espaces parcourus par chaque astre et par des passages successifs en divers lieux.

XXXIII. , . , . , , . , , . , . . , , . , , . , , . , . _ . , . , . , . , , - . , , ; , , , - , . - - , . , .LXXIIIL'Intelligence est multiple.XXXIII. (82) L'Intelligence n'est pas le principe de toutes choses : car elle est multiple. Or le multiple suppose avant lui l'Un (83). Il est vident que l'intelligence est multiple : les intelligibles qu'elle pense ne forment pas une unit, mais une multitude, et ils sont identiques avec elle. Donc, puisque l'Intelligence et les intelligibles sont identiques et que les intelligibles forment une multitude, l'Intelligence elle-mme est multiple (84).Quant l'identit de l'intelligence et de l'intelligible , voici comment on peut la dmontrer. L'objet que l'intelligence contemple doit tre en elle ou exister hors d'elle. Il est vident d'ailleurs que l'intelligence contemple () : car pour elle, penser (), c'est tre intelligence () ; lui enlever la pense, c'est lui enlever son essence (85).- Ceci pos, il faut dterminer de quelle manire l'intelligence contemple son objet. Nous y arriverons en examinant les diverses facults par lesquelles nous acqurons des connaissances : ce sont la Sensation, l'Imagination, l'Intelligence.Le principe qui se sert des Sens ne contemple qu'en saisissant des choses extrieures, et, loin de s'unir aux objets de sa contemplation, il ne recueille de cette perception qu'une image (86) Donc quand l'il voit l'objet visible, il ne peut s'identifier avec cet objet: car il ne le verrait pas s'il n'en tait une certaine distance. De mme, si l'objet du tact se confondait avec l'organe qui le touche, il s'vanouirait. Il est donc vident que les sens, et le principe qui se sert des sens, s'appliquent ce qui est hors d'eux pour percevoir l'objet sensible.De mme, l'Imagination applique son attention ce qui est hors d'elle pour s'en former une image; c'est par cette attention mme ce qui est hors d'elle qu'elle se reprsente comme extrieur l'objet dont elle se forme l'image.Telle est la manire dont la sensation et l'imagination peroivent leurs objets. Aucune de ces deux facults ne se replie et ne se concentre sur elle-mme, que l'objet de leur perception soit une forme corporelle ou incorporelles (87).Ce n'est pas de cette manire que peroit l'Intelligence (88) : c'est en se tournant vers elle-mme, en se contemplant elle-mme. SiLXXIVelle sortait de la contemplation de ses propres actes, si elle cessait d'en tre l'intuition, elle ne penserait plus rien. L'intelligence peroit l'objet intelligible comme la sensation peroit l'objet sensible, par intuition. Mais, pour contempler l'objet sensible, la sensation s'applique ce qui est hors d'elle, parce que son objet est matriel. Au contraire, pour contempler l'objet intelligible, l'intelligence se concentre en elle-mme au lieu de s'appliquer ce qui est hors d'elle. De l vient que quelques philosophes ont pens qu'il n'y avait entre l'intelligence et l'imagination qu'une diffrence nominale: car ils croyaient que l'intelligence tait l'imagination de l'animal raisonnable; comme ils voulaient que tout dpendt de la matire et de la nature corporelle, ils devaient naturellement en faire dpendre aussi l'intelligence. Mais notre intelligence contemple d'autres essences que les corps. Donc [dans l'hypothse de ces philosophes] elle contemplera ces essences places dans quelque lieu. Mais ces essences sont hors de la matire ; par consquent, elles ne sauraient tre dans un lieu. Il est donc vident qu'il faut placer les intelligibles dans l'intelligence.Si les intelligibles sont dans l'intelligence, l'intelligence contemplera les intelligibles et se contemplera elle-mme en les contemplant; en se comprenant elle-mme, elle pensera, parce qu'elle comprendra les intelligibles. Or les intelligibles forment une multitude (car l'intelligence pense une multitude d'intelligibles (89), et non une unit) ; donc elle est multiple. Mais le multiple suppose avant lui l'Un; par consquent, il est ncessaire qu'au-dessus de l'Intelligence il y ait l'Un.

XXXIV. , , .XXXIV. (90) La substance intellectuelle est compose de parties semblables, de telle sorte que les essences existent la fois dans l'intelligence particulire et dans l'intelligence universelle. Mais, dans l'intelligence universelle, les essences particulires elles-mmes sont conues universellement; dans l'intelligence particulire, les essences universelles sont, conues particulirement aussi bien que les essences particulires.

XXXV. , , , . . , , . , , . , , . , , , .LXXVSIXIME ENNADE.LIVRE QUATRIME.L'TRE UN ET IDENTIQUE EST PARTOUT PRSENT TOUT ENTIER(91).De l'Incorporel.XXXV. L'incorporel est ce que l'on conoit par abstraction du corps; c'est cela qu'il doit son nom. A ce genre appartiennent, selon les Anciens, la matire, la forme sensible, quand elle est conue spare de la matire, les natures, les facults, le lieu, le temps, la surface. Toutes ces choses en effet sont appeles incorporelles parce qu'elles ne sont pas des corps. Il est d'autres choses qu'on appelle incorporelles par catachrse, non parce qu'elles ne sont pas des corps, mais parce qu'elles ne peuvent engendrer de corps. Ainsi, l'incorporel de la premire espce subsiste dans le corps ; l'incorporel de la seconde espce est compltement spar du corps et de l'incorporel qui subsiste dans le corps. Le corps en effet occupe un lieu et la surface n'existe pas hors du corps. Mais l'intelligence et la raison Intellectuelle [la raison discursive] n'occupent pas de lieu, ne subsistent pas dans le corps, ne constituent pas le corps, ne dpendent point du corps ni d'aucune des choses qu'on appelle incorporelles par abstraction du corps. D'un autre ct, si l'on conoit le vide comme incorporel, l'intelligence ne peut tre dans le vide. Le vide en effet peut recevoir un corps, mais il ne peut contenir l'acte de l'intelligence ni servir de lieu cet acte. Des deux espces d'incorporel dont nous venons de parler, les sectateurs de Znon rejettent l'une [l'incorporel qui existe hors du corps] et admettent l'autre [l'incorporel qu'on spare du corps par abstraction et qui n'a pas d'existence hors du corps] : ne voyantLXXVIpas que la premire espce d'incorporel n'est pas semblable la seconde, ils refusent la premire toute ralit; ils devraient cependant reconnaitre que l'incorporel [qui subsiste hors du corps] est une autre espce [que l'incorporel qui ne subsiste pas hors du corps] , et ne pas croire que, parce qu'une espce d'incorporel n'a pas de ralit , l'autre n'en a pas non plus (92).

XVI. , , . . , , , . , - - , , - , - , , . , . . , , , , , . , , . , , , , , . , . , , , . , , , , , , , . , , . . , , .

Rapport de l'incorporel et du corporel.XXXVI. (93) Toute chose, si elle est quelque part, y est d'une manire conforme sa nature. Pour le corps qui se compose de matire et possde un volume, tre quelque part, c'est tre dans un lieu. Aussi, le corps du monde, tant matriel et possdant un volume, a de l'tendue et occupe un lieu. Le monde intelligible au contraire, et en gnral l'tre immatriel et incorporel en soi, n'occupe point de lieu, en sorte que l'ubiquit ( ) de l'incorporel n'est pas une prsence locale.Il n'a pas une partie ici et une partie l (94) : car de cette manire, il ne serait pas hors de tout lieu ni sans tendue;partout o il est, il est tout entier. Il n'est pas prsent ici et l absent :car, de cette manire il seraitLXXVIIcontenu dans tel lieu et exclu de tel autre. Il n'est pas non plus voisin d'un lieu ni loign d'un autre,parce qu'il n'y a que les choses qui occupent un lieu qui comportent des rapports de distance. Par consquent, le monde sensible est prsent l'intelligible dans l'espace; mais l'intelligible est prsent au monde sensible sans avoir de parties ni tre dans l'espace. Quand l'indivisible est prsent dans le divisible, il est tout entier dans chaque partie,identique et numriquement un.Si l'tre indivisible et simple devient tendu et multiple, ce n'est que par rapport l'tre tendu et multiple qui le possde, non tel qu'il est rellement, mais de la manire dont il peut le possder. Quant l'tre tendu et multiple, il faut qu'il devienne intendu et simple dans son rapport avec l'tre naturellement tendu et simple pour jouir de sa prsence. En d'autres termes, c'est conformment sa nature, sans se diviser, ni se multiplier, ni occuper de lieu, que l'tre intelligible est prsent l'tre naturellement divisible, multiple et contenu dans un lieu; mais c'est d'une manire divisible, multiple, locale, que l'tre qui occupe un lieu est prsent l'tre qui n'a point de rapport avec l'espace. Il faut donc, dans nos spculations sur l'tre corporel et sur l'tre incorporel, ne pas confondre leurs caractres, conserver chacun sa nature, et bien nous garder d'aller, par imagination ou par opinion, attribuer l'incorporel certaines qualits des corps. Personne ne prte aux corps les caractres de l'incorporel, parce que chacun vit, dans le commerce des corps; mais, comme on a peine connatre les essences incorporelles, on ne s'en forme que des conceptions vagues et on ne peut les saisir tant qu'on se laisse guider par l'imagination.II faut se dire soi-mme : l'tre sensible occupe un lieu et est hors de lui-mme parce qu'il a un volume; l'tre intelligible n'est pas dans un lieu, mais en lui-mme, parce qu'il n'a point de volume. L'un est une copie, l'autre est un archtype; l'un tient l'tre de l'intelligible, l'autre le trouve en lui-mme : car toute image est une image de l'intelligence.II faut bien se rappeler les proprits du corporel et de l'incorporel pour ne point s'tonner qu'ils diffrent malgr leur union, s'il est permis de donner le nom d'union () leur rapport : car il ne faut pas ici penser l'union de substances corporelles, mais l'union de substances dont les proprits sont compltement incompatibles. Cette union diffre entirement de celle des substances qui ont la mme essence : aussi n'est-elle ni un mlange, ni une mixtion, ni une union vritable, ni une juxtaposition. Le rapport du corporel et de l'incorporel s'tablit d'une faon diffrente, qui se manifeste dans la communication des substances de mme nature, mais dont aucune opration corporelle ne peut donner une ide (95): l'tre incorporel est tout entier sans tendue dans toutes les parties de l'tre tendu, le nombre de ces parties ft-il infini;il est prsent d'une faon indivisible, sans faire correspondre chacune de ses parties une des parties de l'tre tendu;il ne devient pas multiple pour treLXXVIIIprsent d'une manire multiple une multitude de parties. Il est tout entier dans toutes les parties de l'tre tendu, dans chacune d'elles et dans toute la masse, sans se diviser ni devenir multiple pour entrer en rapport avec le multiple, enfin, en conservant son unit numrique (96). Ce n'est qu'aux tres dont la puissance se disperse qu'il appartient de possder l'intelligible par parties et par fractions. Souvent ces tres, en s'cartant de leur nature, imitent par une apparence trompeuse les tres intelligibles, et nous hsitons reconnatre leur essence parce qu'ils semblent l'avoir change contre l'essence incorporelle.

XXXVII - - , , - , - - , - , , , , , .XXXVII. (97) L'tre rel n'est ni grand ni petit. La grandeur et la petitesse sont les attributs de la masse corporelle. Par son identit et son unit numrique, l'tre rel n'est ni grand ni petit, ni trs grand ni trs petit, quoiqu'il fasse participer sa nature ce qu'il y a de plus grand et de plus petit. Qu'on ne se le reprsente donc pas comme grand : on ne saurait concevoir alors comment il peut se trouver dans le plus petit espace sans tre diminu ni resserr. Qu'on ne se le reprsente pas comme petit: on ne comprendrait plus comment il peut tre prsent dans tout un grand corps sans tre augment ni tendu. Concevant la fois l'infiniment grand et l'infiniment petit, on doit se reprsenter, dans le premier corps venu et dans une infinit d'autres corps de grandeur diffrente, l'tre rel conservant son identit et demeurant en lui-mme : car il est uni l'tendue du monde sans s'tendre ni se diviser, et il dpasse l'tendue du monde aussi bien que celle de ses parties en les embrassant dans son unit. De mme, le monde s'unit l'tre rel par toutes ses parties, autant que le lui permet sa nature, et il ne peut cependant l'embrasser tout entier ni contenir toute sa puissance. L'tre rel est infini et incomprhensible pour le monde parce que, entre autres attributs, il possde celui de n'avoir aucune tendue.

XXXVIII. , , . , . , , . , , . , , , , . , , . , , , . , , . . , .XXXVIII. La grandeur du volume est une cause d'infriorit pour un corps si, au lieu de le comparer aux choses de mme espce, on le considre par rapport aux choses qui ont une essence diffrente : car le volume est en quelque sorte une procession de l'treLXXIXhors de lui-mme et un morcellement de sa puissance. Ce qui possde une puissance suprieure est tranger toute tendue : car la puissance n'arrive possder toute sa plnitude qu'en se concentrant en elle-mme; elle a besoin de se fortifier pour acqurir toute son nergie. Aussi le corps, en s'tendant dans l'espace, perd-il de sa force et s'loigne-t-il de la puissance qui appartient l'tre rel et incorporel; mais l'tre rel ne s'affaiblit pas dans l'tendue, parce que, n'ayant point d'tendue, il conserve la grandeur de sa puissance. De mme que l'tre rel n'a ni tendue ni volume par rapport au corps, de mme l'tre corporel est faible et impuissant par rapport l'tre rel. L'tre qui possde la plus grande puissance n'occupe point d'tendue. Aussi, quoique le monde remplisse l'espace, qu'il soit uni partout l'tre rel, il ne saurait cependant embrasser la grandeur de sa puissance (98). Il est uni l'tre rel, non par parties, mais d'une manire indivisible et indfinie (99). Donc l'incorporel est prsent au corps, non d'une manire locale, maispar assimilation, en tant que le corps est capable d'tre rendu semblable l'incorporel et que l'incorporel peut se manifester en lui (100). L'incorporel n'est pas prsent au matriel, en tant que le matriel est incapable de s'assimiler un principe compltement immatriel; l'incorporel est prsent au corporel, en tant que le corporel peut s'assimiler lui. L'incorporel n'est pas non plus prsent au matriel par rceptivit [en ce sens qu'une des deux substances recevrait quelque chose de l'autre]; autrement le matriel et l'immatriel seraient altrs, le premier, en recevant l'immatriel, puisqu'il se transformerait en lui, et le second, en devenant matriel. Donc, quand un rapport s'tablit entre deux substances aussi diffrentes que le corporel et l'incorporel, il y a assimilation et participation rciproque la puissance de l'un et l'impuissance de l'autre. C'est pourquoi le monde reste toujours fort loin de la puissance de l'tre rel, et celui-ci de l'impuissance de l'tre matriel. Mais ce qui tient le milieu, ce qui assimile et est assimil tout ensemble, ce qui unit les extrmes, devient une cause d'erreur leur sujet, parce qu'il rapproche par l'assimilation des substances fort diffrentes.

XXXIX , , . , , , . , . , , , . , , , , , , - - , ; , , . , . , , . , , , .LXXXRapport des mes particulires avec l'me universelle.XXXIX. (101) Il ne faut pas croire que la pluralit des mes vienne de la pluralit des corps. Les mes particulires subsistent aussi bien que l'me universelle indpendamment des corps, sans que l'unit de l'me universelle absorbe la multiplicit des mes particulires, ni que la multiplicit de celles-ci morcelle l'unit de celle-l (102). Les mes particulires sont distinctes sans tre spares les unes des autres et sans diviser l'me universelle en une foule de parties; elles sont unies les unes aux autres sans se confondre et sans faire de l'me universelle un simple total: car elles ne sont pas spares entre elles par des limites et elles ne se confondent pas les unes avec les autres; elles sont distinctes les unes des autres comme les sciences diverses dans une seule me. Enfin, les mes particulires ne sont pas dans l'me universelle comme des corps, c'est--dire comme des substances rellement diffrentes (103) ; ce sont des actes divers de l'me universelle ( ).En effet, la puissance de l'me universelle est infinie, et tout ce qui participe elle est me; toutes les mes forment l'me universelle, et cependant l'me universelle existe indpendamment de toutes les mes particulires. De mme qu'on n'arrive point l'incorporel en divisant les corps l'infini, parce que cette division ne les modifie que sous le rapport du volume ; de mme, en divisant l'infini l'me, qui est l'Espce vivante ( ), on n'arrive qu' des espces : car l'me contient des diffrences spcifiques, et elle existe tout entire avec elles aussi bien que sans elles. En effet, si l'me est divise en elle-mme, sa diversit ne dtruit pas son identit. Si l'unit des corps, o la diversit l'emporte sur l'identit, n'est pas morcele par leur union avec un principe incorporel; si tous, au contraire, possdent l'unit de substance et ne sont diviss que par les qualits et les autres formes; que dire et que penser de l'Espce de la vie incorporelle, o l'identit l'emporte sur la diversit, o il n'y a pas un sujet tranger la forme et d'o les corps reoivent l'unit? L'u-LXXXInit de l'me ne saurait tre morcele par son union avec un corps, quoique le corps entrave souvent ses oprations. tant identique, l'me fait et dcouvre tout par elle-mme, parce que ses actes sont des espces, quelque loin que l'on pousse la division. Quand l'me est spare des corps, chacune de ses parties possde tous les pouvoirs que possde l'me elle-mme, comme une semence particulire a les mmes proprits que la semence universelle. De mme qu'une semence particulire, tant unie la matire, conserve les proprits de la semence universelle, et que, d'un autre ct, la semence universelle possde toutes les proprits des semences particulires disperses dans la matire; ainsi, les parties que l'on conoit dans l'me spare de la matire possdent toutes les puissances de l'me universelle (104). L'me particulire, qui incline vers la matire, est lie la matire par la forme que sa disposition lui a fait choisir; mais elle conserve les puissances de l'me universelle, et elle s'y unit quand elle se dtourne du corps pour se concentrer en elle-mme.Or comme, en inclinant vers la matire, l'me est rduite un dnuement complet par l'puisement total de ses facults propres, comme au contraire, en s'levant vers l'intelligence, elle recouvre la plnitude des puissances de l'me universelle , les anciens (105) ont eu raison de dsigner, dans leur langage mystique, ces deux tats opposs de l'me sous les noms de Penia et de Poros (106).

XL. , , , , , , . , , . , , , .LIVRE CINQUIME.L'TRE UN ET IDENTIQUE EST PARTOUT PRSENT TOUT ENTIER (107)L'tre incorporel est tout entier en tout.XL.(108) Pour exprimer le mieux possible la nature propre de l'tre incorporel, les anciens (109) ne se contentent pas de dire : il est un: ils ajoutent aussitt : et tout, comme un objet sensible est un tout.LXXXIIMais comme cette unit de l'objet sensible contient une diversit (car dans l'objet sensible l'unit totale n'est pas toutes choses en tant qu'elle est une et que toutes choses constituent l'unit totale), les anciens ajoutent aussi :en tant qu'un. Par l, ils veulent empcher qu'on ne s'imagine un tout de collection et indiquer que l'tre rel n'est tout qu'en vertu de son unit indivisible. Aprs avoir dit:il est partout,ils ajoutent :et nulle part. Enfin aprs avoir dit:il est en tout, c'est--dire dans toutes les choses particulires qui ont la disposition ncessaire pour le recevoir, ils ajoutent encore:tout entier. Ils le reprsentent ainsi la fois sous les attributs les plus contraires, afin d'en carter toutes les fausses imaginations qui sont tires de la nature des corps et qui ne peuvent qu'obscurcir la vritable ide de l'tre rel.

XLI. , , , , , , . , , , , , , .Diffrente de l'tre intelligible et de l'tre sensible.XLI. (110) Voici les caractres vritables de l'tre sensible et matriel : il est tendu, muable, toujours autre qu'il n'tait, compos; il ne subsiste point par lui-mme, il occupe un lieu, il a un volume, etc. Au contraire, l'tre rel et subsistant par lui-mme est difi sur lui-mme et toujours identique ; il a l'identit pour essence; il est essentiellement immuable, simple, indissoluble, sans tendue, hors de tout lieu ; il ne nat ni ne prit, etc. Attachons-nous ces caractres de l'tre sensible et de l'tre vritable ; ne leur donnons pas et ne leur laissons pas donner des attributs diffrents.

XLII. , , , . , , . , . , , . , , , . , , , , . , . , , , .XLII. (111) L'tre rel est dit multiple, sans qu'il soit vritablement divers quant l'espace, au volume, au nombre, la figure ou l'tendue des parties; sa division est une diversit sans matire, sans volume, sans multiplicit relle. Aussi, l'tre rel est un. Son unit ne ressemble pas celle d'un corps, d'un lieu, d'un volume, d'une multitude. Il possde la diversit dans l'unit. Sa diversit implique la fois division et union : car elle n'est pas extrieure ni adventice ; l'tre rel n'est pas multiple par participation une autre essence, mais par lui-mme. Il reste un en exerant toutes ses puissances, parce qu'il tient sa diversit de son identit mme, et non d'un assemblage de parties htrognes, comme les corps. Ces derniers possdent l'unit dans la diversit : car, en eux, c'est la diversit qui domine, l'unit est extrieure et adventice. Dans l'tre rel,LXXXIIIau contraire, c'est l'unit qui domine avec l'identit : la diversit est ne du dveloppement de la puissance de l'unit. Aussi, l'tre rel conserve son indivisibilit en se multipliant; le corps conserve son volume et sa multiplicit en s'unifiant. L'tre rel est difi sur lui-mme, parce qu'il est un par lui-mme. Le corps n'est jamais fond sur lui-mme, parce qu'il ne subsiste que par son extension. L'tre rel est donc une unit fconde, et le corps une multitude unifie. Il faut donc dterminer avec exactitude comment l'tre rel est un et divers, comment le corps est multiple et un, et ne pas donner l'un les attributs de l'autre.

XLIII. , , . - - , , , . - , , , , , - , , , , , . , .Dieu est partout et nulle part.XLIII. (112) Dieu est partout parce qu'il n'est nulle part. Il en est de mme de l'Intelligence et de l'me. Mais, c'est par rapport tous les tres qu'il surpasse que Dieu est partout et nulle part : sa prsence et son absence dpendent seulement de son tre et de sa volont (113). L'Intelligence est en Dieu, mais ce n'est que par rapport aux choses qui viennent aprs elle qu'elle est partout et nulle part. L'me est dans l'intelligence et en Dieu, mais c'est seulement par rapport au corps qu'elle est partout et nulle part (114). Le corps est dans l'me et en Dieu. Toutes les choses qui possdent ou ne possdent pas l'tre procdent de Dieu et sont en Dieu; mais Dieu n'est aucune d'elles, ni dans aucune d'elles. Si Dieu tait seulement prsent partout, il serait toutes choses et en toutes choses ; mais, d'un autre ct, il n'est nulle part; tout est donc engendr en lui et par lui, parce qu'il est partout, mais rien ne se confond avec lui, parce qu'il n'est nulle part. De mme, si l'Intelligence est le principe des mes et des choses qui viennent aprs les mes, c'est qu'elle est partout et nulle part ; c'est qu'elle n'est ni me, ni aucune des choses qui viennent aprs l'me, ni dans aucune d'elles ; c'est qu'elle est non-seulement partout, mais encore nulle part par rapport aux tres qui lui sont infrieurs. De mme enfin l'me n'est ni un corps ni dans le corps, mais seulement la cause du corps, parla raison qu'elle est la fois partout et nulle part dans le corps. Ainsi, il y a procession () dans l'univers [depuis ce qui est partout et nulle part]LXXXIVjusqu' ce qui ne peut tre la fois partout et nulle part et qui se borne participer de cette double proprit.

XLIV. , , , , , , , . , . , . , , __ , , . , , , , ** - , - , , . . , , , , . ; , . , , ; , , , . , , . , , , , . , ** , , , , . . , .L'me humaine est unie par son essence l'tre universel.XLIV. (115).Lorsque vous avez conu la puissance inpuisable et infinie de l'tre en soi, et que vous commencez entrevoir sa nature incessante, infatigable, qui se suffit compltement elle-mme,qui a le privilge d'tre la vie la plus pure, de se possder pleinement elle-mme, d'tre difie sur elle-mme, de ne dsirer et de ne chercher rien en dehors d'elle,ne lui attribuez pas une dtermination localeou une relation : car, en vous bornant par une considration de lieu ou de relation, vous ne bornez pas sans doute l'tre en soi , mais vous vous en dtournez en tendant sur votre pense le voile de l'imagination.Vous ne pouvez dpasser, ni fixer, ni dterminer, ni resserrer dans d'troites limites la nature de l'tre en soi, comme si elle n'avait plus rien donner au-del [de certaines limites] et qu'elle s'puisait peu peu.Elle est la source la plus intarissable qu'on puisse concevoir. Quand vous aurez atteint cette nature (116), et que vous serez devenu semblable l'tre universel, ne cherchez rien au del.Sinon, vous vous en loignerez, vous attacherez vos regards sur un autre objet.Si vous ne cherchez rien au del,si vous vous renfermez en vous- mme et dans votre propre essence,vous deviendrez semblable l'tre universel et vous ne vous arrterez aucune des choses qui lui sont infrieures. Ne dites pas : voil ce que je suis. En oubliant ce que vous tes (117), vous deviendrez l'tre universel. Vous tiez dj l'tre universel, mais vous aviez quelque chose en outre ; vous tiez par cela mme infrieur, parce que ce que vous possdiez outre l'tre universel venait du non-tre. l'tre universel, on ne peut rien ajouter.Lorsqu'on lui ajoute quelque chose d'emprunt au non-tre, on tombe dans la pauvret et dans un dnuement complet.Abandonnez donc le non-tre, et vous vous possderez pleinement vous-mme, [en sorte que vous aurez l'tre universel en cartant tout le reste: car, tant qu'on est avec le reste, l'tre ne se manifeste pas, n'ac-LXXXVcorde pas sa prsence] (118).On trouve l'tre, en cartant tout ce qui le rabaisse et l'amoindrit, en cessant de le confondre avec des objets infrieurs et de s'en faire une fausse ide. Sans cela, on s'loigne la fois de l'tre et de soi-mme. En effet, quand on est prsent soi-mme, on possde l'tre qui est prsent partout; quand on s'loigne de soi-mme, on s'loigne aussi de lui. Telle est l'importance qu'il y a pour l'me s'approcher de ce qui est en elle, et s'loigner de ce qui est hors d'elle : car l'tre est en nous, et le non-tre est hors de nous. Or l'tre est prsent en nous quand nous n'en sommes pas dtourns par d'autres choses.Il n'approche pas de nous pour nous faire jouir de sa prsence. C'est nous qui nous cartons de lui, quand il ne nous est pas prsent.Qu'y a t-il d'tonnant ? Pour tre prs de l'tre, vous n'avez pas besoin d'tre loin de vous-mme : car, vous tes la fois loin de l'tre et prs de lui, en ce sens que c'est vous qui vous approchez de lui et qui vous en cartez, quand, au lieu de vous considrer vous-mme, vous considrez ce qui vous est tranger. Si donc vous tes prs de l'tre tout en tant loin de lui, si, par cela mme vous vous ignorez vous-mme, si vous connaissez toutes les choses auxquelles vous tes prsent et qui sont loignes de vous plutt que vous-mme qui tes naturellement prs de vous, qu'y a-t-il d'tonnant ce que ce qui n'est pas prs de vous vous reste tranger, puisque vous vous en loignez en vous loignant de vous-mme? Quoique vous soyez toujours prs de vous mme et que vous ne puissiez vous en loigner, il faut que vous soyez prsent vous-mme pour jouir de la prsence de l'tre dont vous tes substantiellement aussi insparable que de vous-mme. Par l, il vous est donn de connatre ce qui se trouve prs de l'tre et ce qui s'en trouve loin, quoiqu'il soit lui-mme prsent partout et nulle part. Celui qui peut pntrer par la pense dans sa propre substance et en acqurir ainsi la connaissance se trouve lui-mme dans cet acte de connaissance et de conscience, o le sujet qui connat est identique l'objet qui est connu. Or, en se possdant lui-mme, il possde aussi l'tre. Celui qui sort de lui-mme pour s'attacher aux objets extrieurs, en s'loignant de lui-mme, s'loigne aussi de l'tre. II est dans notre nature de nous tablir au sein de nous-mmes, o nous jouissons de toute la richesse de notre propre fonds, et de ne pas nous dtourner de nous-mmesLXXXVIvers ce qui nous est tranger et o nous ne trouvons que la plus complte pauvret. Sinon, nous nous loignons de l'tre, quoiqu'il soit prs de nous : car ce n'est ni le lieu, ni la substance, ni un obstacle qui nous spare de l'tre; c'est notre conversion vers le non-tre. Notre entranement hors de nous-mmes et notre ignorance de nous-mmes sont ainsi une juste punition de notre loignement de l'tre. Au contraire, l'amour que l'me a pour elle-mme la conduit se connatre et s'unir Dieu (119). Aussi a-t-on dit avec raison que l'homme est ici-bas dans une prison parce qu'il s'est enfui du ciel (120):, et qu'il tache de rompre ses liens : car, en se tournant vers les choses d'ici-bas, il s'est abandonn lui-mme et s'est cart de sa divine origine; c'est, comme le dit [Empdocle],un fugitif qui a dsert la patrie divine(121). Voil pourquoi la vie de l'homme vicieux est une vie servile, impie et injuste, sonesprit (122) est plein d'impit et d'injustice. La justice, au contraire, consiste, comme on l'a dit avec raison, ce que chacun remplisse sa fonction (123).Rendre chacun ce qui lui est d, voil l'image de la vritable justice.

(01) Un manuscrit porte pour titre: , Introduction ta thorie des intelligibles.(02) Voy.Essai sur la Mtaphysique d'Aristote, t. II, p. 467.(03) Ce travail a t refait, d'une manire plus complte et plus exacte, par le savant M. Val. Parisot :De Porphyrio tria tmemata. Parisiis, 1845, in-8.(04) Voici comment Holstenius s'exprime ce sujet (p. 74) : Illumlibrum nunc triplo auctiorem habes ex Vaticana bibliotheca, ubi hactenus delituit. Sed ne sic quidem integrum esse arguunt ea quae Stobaeus inEclogassuas inde retulit et quae a me primae parti suo quaeque loco inseruntur; quorum tamen pleraque in Lolino codice postea reperi.(05) Pour trouver quels numros correspondent dans notre traduction les numros que les 44 paragraphes de Porphyre portent dans l'dition de Creuzer, et ceux qu'ils portaient dans l'dition d'Holstenius, voyez le tableau plac en regard de cet avertissement, p. XLVI.(06) Cette expression nous parait fort bien caractriser l'absence de toute liaison qu'on remarque dans lesPrincipes de la thorie des intelligibles.(07)Proemium in Porphyrii Sententias, p. XXVII de l'dition publie par M. A.-F. Didot, et dont nous avons parl plus haut.(08) Voy. les notes places au bas des pages de notre traduction.(09) Ces phrases sont indiques par des guillemets.(10)Proemium in Porphyrii sententias, p. XXVIII-XXX.(11) Le 1 est cit par Stobe,Florilegium, Tit. I, p. 22-24, d. Gesner. C'est un commentaire complet du livre II de l'Ennade I (Des Vertus), p. 52-62 de la traduction. Quant aux claircissements relatifs au sujet qui est trait ici, Voy. lesNotesplaces la fin de ce volume, p. 397-403.(12) Voy. liv. II, 1, p. 52.13) Nous mettons entre guillemets les phrases o Porphyre reproduit les termes mmes de Plotin.(14) Voy.Enn. 1, Iiv II, 3, p.55.(15) Porphyre dit dans sa Lettre Marcella :Le meilleur culte que tu puisses rendre Dieu, c'est de former ton me sa ressemblance : car seule la vertu lve l'me vers la patrie d'o elle est issue. Il n'est rien de grand aprs Dieu que la vertu; mais Dieu est plus grand que la vertu. Ce ne sont pas les discours du sage qui ont du prix prs de Dieu, mais ses uvres... C'est l'homme lui-mme, par ses propres uvres, qui se rend agrable Dieu, qui se divinise en conformant son me l'tre qui jouit d'une incorruptible batitude.Voy. M. Vacherol,Histoire de L'cole d'Alexandrie, t. II, p. 115.(16) Voy. Enn. I, liv. II, 4, p. 56.(17)Rechercher le bien-tre du corps, c'est ne point se connatre soi-mme, c'est ne pas comprendre celte sage maxime que ce qu'on voit de l'homme n'est pas l'homme mme, et qu'il faut possder une sagesse suprieure qui enseigne chacun se connatre soi-mme. Mais il est plus difficile d'y parvenir quand on n'a point purifi son me que de regarder le soleil quand on a les yeux malades. Or, purifier l'me, pour tout dire en un mot, c'est ddaigner les plaisirs des sens.(S. Basile,Homlie aux jeunes gens, 9.)(18)Voy.Enn. I, liv. II, 4, p. 57.(19)Ibid., 6, p. 60.(20) Voy.ibid., 7, p. 61.(21)Ibid., 7, p. 61.(22)Ibid., 7, p. 62. Voy. les Notes, p. 378.(23) Porphyre avait compos un long trait sur le prcepte:Connais-toi toi-mme. Stobe nous a conserv des extraits des livres I et IV dans sonFlorilegium, Tit. XXI, p. 184-186, d. Gesner. En voici un passage qui se rapporte parfaitement notre texte :Comme en descendant ici-bas nous sommes revtus del'homme extrieuret que nous tombons dans l'erreur de croire que ce qu'on voit de nous est nous-mme, le prcepteConnais-toi toi-mmeest fort propre nous faire connatre quelles facults constituent notre essence... Platon a raison de nous recommander dans lePhilbede nous sparer de tout ce qui nous entoure et nous est tranger, afin de nous connatre nous-mmes fond, de savoir ce qu'est l'homme immortel et ce qu'est l'homme extrieur, image du premier, et ce qui appartient chacun d'eux. A l'homme intrieur appartient l'intelligence parfaite; elle constitue l'homme mme, dont chacun de nous est l'image. A l'homme extrieur appartient le corps avec les biens qui le concernent. Il faut savoir quelles sont les facults propres chacun de ces deux hommes et quels soins il convient d'accorder chacun d'eux, pour ne pas prfrer la partie mortelle et terrestre la partie immortelle, et devenir ainsi un objet de rire et de piti dans la tragdie et la comdie de cette vie insense, enfin pour ne pas prter la partie immortelle la bassesse de la partie mortelle et devenir misrables et injustes par ignorance de ce que nous devons chacune de ces deux parties.On retrouve les mmes ides dveloppes de la manire la plus brillante dans l'homlie de saint BasileSur le prcepte : Observe-toi toi-mme. Saint Basile nous parat ne pas s'tre inspir seulement duPhilbeet duPhdonde Platon, mais encore avoir beaucoup emprunt au trait de Porphyre. Voici un passage extrait du 3 de cette homlie :Examine qui tu es et connais ta nature. Sache que ton corps est mortel et ton me immortelle; sache aussi qu'il y a en nous deux vies, l'une propre au corps et passagre, l'autre essentielle l'me et sans limite. Observe-toi toi-mme, c'est--tire ne t'attache pas aux choses mortelles comme si elles taient immortelles, et ne mprise pas les choses ternelles comme si elles taient prissables. Ddaigne la chair: car elle est prissable. Aie soin de ton me : car elle est immortelle. Observe-toi avec la plus grande attention, afin d'accorder la chair et l'me ce qui convient chacune d'elles : la chair, de la nourriture et des vtements ; l'me, des principes de pit, des murs douces, la pratique de la vertu et la rpression des passions.(24) Les rflexions qui prcdent se rapportent au 5 de Plotin, p. 58. Porphyre les a longuement dveloppes dans le livre I de son traitDe L'Abstinence des viandes. Voy. M. Vacherin,Histoire de l'Ecole d'Alexandrie, t. II, p. 63.(24b) Le morceau que nous mettons ici entre guillemets reproduit, avec de lgers changements, le 5 de Plotin, p. 58. Il a t mal ponctu par Holstenius, et il en rsulte qu'il y a plusieurs erreurs dans sa traduction latine. Il suffit d'ailleurs de comparer le texte de Porphyre celui de Plotin pour corriger ces fautes. Il est regrettable que M. Fr. Creuzer les ait laisses subsister dans l'dition qu'il a donne des Principes de la thorie des intelligibles.(24c) Sur l'me irraisonnable et animale, Voy. les Noies, p. 324,362.(24d) Il y a dans le texte de Porphyre . Il faut retrancher pour ne pas rompre l'enchanement des ides et se conformer au texte de Plotin(23x) Les ii et iii se rapportent au livre ix de l'Ennade l (Du Suicide), . 140, 141. Voy. le passage de Porphyre qui est cit page 140 (note 3)(23y) Le ii est cit par Stobe,Florilegium, Tit. CXVII, p. 600, d. Gesner. Voy. aussi l'extrait de Macrobe qui se trouve dans les Notes, . 441.(23z) Le iii est reproduit et dvelopp dans l'extrait de Macrobe qui se trouve dans les Notes, p. 440-441.(24y) Pour comprendre le iii et le prcdent, il faut se rappeler que Porphyre dfend le suicide, comme Plotin, au nom de la doctrine de la mtempsycose. On peut consulter ce sujet un fragment de Porphyre que nous a conserv Stobe (Eclog p