Politiques de Développement Pastoral au Sahel

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Politique de développement pastoral au Sahel. Mémoire pour le Diplôme de Recherche IUED. Roland Hammel 2005 1 MÉMOIRE DE RECHERCHE SOUMIS A L'INSTITUT UNIVERSITAIRE DTUDES DU DÉVELOPPEMENT, IUED GENÈVE. Politiques de développement pastoral au Sahel. Les ambitions de développement de la coopération internationale et la dynamique du système pastoral nigérien. Analyse comparative et historique. Proposé par Roland Hammel sous la Direction de Daniel Fino, Chargé de cours. Diplôme de recherche 146 accordé à la soutenance le 25 août 2006

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This report analyses the ambitions of the international development cooperation and the dynamics of the pastoral system in Niger (past and present). [ Originally posted on http://www.cop-ppld.net/cop_knowledge_base ]

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Politique de développement pastoral au Sahel. Mémoire pour le Diplôme de Recherche IUED. Roland Hammel 2005

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MÉMOIRE DE RECHERCHE SOUMIS A L'INSTITUT UNIVERSITAIRE

D'ÉTUDES DU DÉVELOPPEMENT, IUED GENÈVE.

Politiques de développement pastoral au Sahel.

Les ambitions de développement de la coopération internationale et

la dynamique du système pastoral nigérien.

Analyse comparative et historique.

Proposé par Roland Hammel sous la Direction de Daniel Fino, Chargé de cours.

Diplôme de recherche N° 146 accordé à la soutenance le 25 août 2006

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Table des matières.

1.1.1.1. Présentation.Présentation.Présentation.Présentation. _____________________________________________________ 5

1.1. Cadre de la recherche.____________________________________________________ 5 1.1.1. Cadre général.______________________________________________________________ 5 1.1.2. Définition thématique. _______________________________________________________ 6

1.1.2.1. Politiques de développement pastoral au Sahel. _________________________________ 6 1.1.2.2. De l'analyse comparative des stratégies des bailleurs de fonds, agences de coopération et ONG, avec les dynamiques du système pastoral. __________________________________________ 8

1.1.3. Questions spécifiques. _______________________________________________________ 8 1.1.4. Méthodologie.______________________________________________________________ 9

1.1.4.1. L'ambition initiale.________________________________________________________ 9 1.1.4.2. La méthodologie elle-même. _______________________________________________ 10

1.2. Précision des concepts utilisés. ____________________________________________ 11

1.3. Répertoire des sigles et abréviations. _______________________________________ 14

2.2.2.2. Cadre technique de référence.Cadre technique de référence.Cadre technique de référence.Cadre technique de référence. _________________________________ 16

2.1. Définitions et cadrage de l'étude .__________________________________________ 16 2.1.1. Contexte du pastoralisme au Sahel. ____________________________________________ 16

2.1.1.1. Climat et cycles._________________________________________________________ 16 2.1.2. Ecologie des pâturages. Notions essentielles._____________________________________ 18

2.1.2.1. Description générale de l'environnement. _____________________________________ 18 2.1.2.2. Influences sur l’équilibre de la végétation des savanes du Sahel. ___________________ 19 2.1.2.3. Germination et croissance des herbacées annuelles. _____________________________ 21 2.1.2.4. Variations de l’offre fourragère durant l’année et impact du cheptel sur le milieu. Un équilibre instable. _________________________________________________________________ 24 2.1.2.5. Adaptation du cheptel aux conditions climatiques. ______________________________ 26 2.1.2.6. Contexte social de base.___________________________________________________ 28 2.1.2.7. Contexte économique. ____________________________________________________ 30

2.1.2.7.1. Importance économique du pastoralisme dans la satisfaction des besoins de base. __ 30 2.1.2.7.2. Importance de l'élevage dans les économies nationales. _______________________ 31 2.1.2.7.3. Rôle économique de l'élevage pastoral dans les régions. _______________________ 32

3.3.3.3. Description analytique et profil historique des politiques de Description analytique et profil historique des politiques de Description analytique et profil historique des politiques de Description analytique et profil historique des politiques de

développement pastoral.développement pastoral.développement pastoral.développement pastoral.______________________________________________ 33

3.1. Période Coloniale. ______________________________________________________ 33 3.1.1. Chronologie générale et description brève. ______________________________________ 33 3.1.2. Prédominance d'une vision purement vétérinaire de l'élevage au Sahel. _______________ 36 3.1.3. Orientations stratégiques et recherches. _________________________________________ 37

3.1.3.1. Trois postulats fondateurs . _______________________________________________ 37 3.1.3.2. De l'amélioration du cheptel local. Des illusions aux remises en causes._____________ 38

3.1.4. Espaces pastoraux, de la logique militaro administrative aux ambitions de gestion rationnelle. 41

3.1.4.1. La période de conquête . __________________________________________________ 42 3.1.4.2. La période coloniale pacifiée. ______________________________________________ 46 3.1.4.3. La décennie de l'indépendance. ____________________________________________ 53

3.1.5. Transformer le pasteur "patriarche" en producteur averti.__________________________ 55

3.2. De l' indépendance jusqu'en 1972. _________________________________________ 60 3.2.1. L'élevage et ses filières. _____________________________________________________ 60 3.2.2. La gestion des espaces pastoraux. _____________________________________________ 62

3.2.2.1. Le cadre institutionnel de la modernisation pastorale.____________________________ 62 3.2.2.2. Mise en valeur des espaces pastoraux… sur le terrain. ___________________________ 64 3.2.2.3. Qui pilote ces orientations ? Expert ou bailleurs ? ______________________________ 67

3.3. de 1973 à 1985, les lendemains qui déchantent. ______________________________ 68 3.3.1. Réactions des pasteurs.______________________________________________________ 68

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3.3.2. Idéologie dominante dans les politiques de développement. _________________________ 70 3.3.3. Création des centres de multiplication du bétail. __________________________________ 73 3.3.4. La mise en œuvre de la modernisation pastorale.__________________________________ 75

3.3.4.1. Le rôle de l'IEMVT.______________________________________________________ 75 3.3.4.1.1. Le modèle de base : ___________________________________________________ 77

3.3.4.2. Le PENCE. Résumé de son action.__________________________________________ 80 3.3.4.3. Les acquis essentiels des grands projets et la lutte pour un nouveau paradigme du pastoralisme. _____________________________________________________________________ 81 3.3.4.4. La sécheresse de 1984, sur fond de doutes et désillusions.________________________ 83

3.4. L'après 1985. __________________________________________________________ 87 3.4.1. Sur le terrain, l'abandon du secteur pastoral. _____________________________________ 87 3.4.2. Abandon des fleurons de la modernisation pastorale.______________________________ 88 3.4.3. Les tendances de l'après 85. __________________________________________________ 89

3.5. De 1990 à nos jours. proximité et "responsabilisation", l'ère des sociologues et des juristes.______________________________________________________________________ 93

3.5.1. Nouvelles perspectives et incertitudes.__________________________________________ 93 3.5.1.1. Un contexte trouble, des incertitudes nombreuses. ______________________________ 93 3.5.1.2. La gestion de l'espace pastoral revue et corrigée, la perte de toutes illusions.__________ 95 3.5.1.3. La "gestion de Terroirs" et le "développement local". Un recentrage des efforts sur le monde agricole.___________________________________________________________________ 97 3.5.1.4. Dans la zone Nord, entre urgence, temporisation du conflit et développement pastoral. Recherche d'interlocuteurs.__________________________________________________________ 98 3.5.1.5. Les ONGs et la question pastorale dans les années 90. __________________________ 102 3.5.1.6. Emergence du secteur associatif. ___________________________________________ 103 3.5.1.7. La sélection du cheptel partagée avec les éleveurs. Innovation de la CTB. __________ 106

3.5.2. Code rural, terroirs d'attache et décentralisation. L'ère des juristes. __________________ 107 3.5.2.1. Les soutiens aux commissions foncières. ____________________________________ 108 3.5.2.2. L'insoluble débat sur les terroirs d'attaches.___________________________________ 108 3.5.2.3. Le mythe du ranching refait surface. ________________________________________ 109

3.5.3. "Le rêve porteur de développement". Nouvelle approche de la DDC pour l'élevage sahélien. ______ 110 3.5.3.1. L'enthousiasme contagieux…….___________________________________________ 110 3.5.3.2. ………Puis le dogme métaphysique.________________________________________ 111 3.5.3.3. Le dogme devient doctrine de politique interne. _______________________________ 115

4.4.4.4. Dynamiques actuelles du système pastoral et coopération au Dynamiques actuelles du système pastoral et coopération au Dynamiques actuelles du système pastoral et coopération au Dynamiques actuelles du système pastoral et coopération au

développement.développement.développement.développement. ______________________________________________________ 118

4.1. Sécheresses, sentiment de rupture climatique ? _____________________________ 119 4.1.1. Quelques rappels et précisions. ______________________________________________ 119 4.1.2. L’irrégularité inter-annuelle, et le sentiment de rupture d’équilibre. __________________ 121 4.1.3. Rappel de la réalité historique du climat. _______________________________________ 121

4.1.3.1. Préhistoire du climat. ____________________________________________________ 121 4.1.3.2. Fluctuations minimes au 20 ème siècle. _____________________________________ 122 4.1.3.3. Des perceptions à court terme sur le terrain. __________________________________ 123

4.1.3.3.1. Facteurs « conjoncturels de crise » liés à l’environnement et au climat. __________ 124 4.1.3.3.2. Facteurs liés aux systèmes de production. _________________________________ 126

4.2. Identification à l'espace, nomadisme et sédentarité.__________________________ 131 4.2.1. Difficulté de cerner une réalité mouvante. ______________________________________ 131

4.2.1.1. La mobilité, des formes infiniment variées.___________________________________ 131 4.2.1.2. La possession matérielle _________________________________________________ 132 4.2.1.3. Le village et la brousse, complémentaires et opposés. __________________________ 135

4.2.2. Eléments de perturbation du système de gestion des pâturages en saison sèche. _________ 136 4.2.2.1. Surabondance de points d’eau. ____________________________________________ 137 4.2.2.2. Accès par abreuvement mobile.____________________________________________ 138

4.2.3. Cadre législatif en gestation. ________________________________________________ 140 4.2.3.1. Situation actuelle des processus globaux, description et interprétation. _____________ 140 4.2.3.2. Reconnaissance formelle des Terroirs d’Attache. Formule salvatrice ou hérésie ? ____ 144 4.2.3.3. Risques inhérents à la formalisation des Terroirs d’Attache. _____________________ 146

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4.2.3.4. Extrême des perceptions de sécurisation d’accès en zones pastorale, sur les espaces identitaires des pasteurs et voie médiane. ______________________________________________ 151 4.2.3.5. Scénarios possibles d’évolution non souhaitables pour les 15 ans à venir. ___________ 152

______________________________________________ ___________________________________ 156 4.2.4. Caractériser le phénomène de sédentarisation.___________________________________ 157

4.2.4.1. Résumer le phénomène de sédentarisation. ___________________________________ 159 4.2.4.2. Risques du phénomène de sédentarisation. ___________________________________ 160

4.2.4.2.1. Risque social dans les agglomérations. ___________________________________ 160 4.2.4.2.2. Risque écologique. ___________________________________________________ 161

5.5.5.5. Le pastoralisme sahélien, plus dynamique que jamais.Le pastoralisme sahélien, plus dynamique que jamais.Le pastoralisme sahélien, plus dynamique que jamais.Le pastoralisme sahélien, plus dynamique que jamais._______ 162

5.1. L' affrontement des idées. _______________________________________________ 162 5.1.1. L’Etat et les bailleurs…. peu d'avancées conceptuelles.____________________________ 162 5.1.2. Les Communes rurales… Outil à double tranchant._______________________________ 164

5.2. Résistance et adaptation du système. ______________________________________ 166 5.2.1. Maintien de la mobilité et des systèmes d'accès aux ressources. _____________________ 166 5.2.2. Evolution des systèmes d'échange et stratégies commerciales. ______________________ 168 5.2.3. Agro pastoralismes, exodes et stratégies de crises._______________________________ 169 5.2.4. Récupération des innovations utiles. __________________________________________ 169

6.6.6.6. Conclusion.Conclusion.Conclusion.Conclusion. _____________________________________________________ 170

6.1. Reconnaissance de la rentabilité économique et sociale de l'élevage familial…? __ 170

6.2. Reconnaissance de la mobilité opportuniste comme meilleur outil de gestion ? ___ 172

6.3. Reconnaissance du pouvoir de gestion des ressources par les pasteurs…? _______ 173

6.4. Dépasser la crise de confiance. ___________________________________________ 173

7.7.7.7. ANNEXES.ANNEXES.ANNEXES.ANNEXES. ______________________________________________________ 175

7.1. Annexe 1. Textes. ______________________________________________________ 175 7.1.1. Sur la modernisation pastorale ______________________________________________ 175 7.1.2. Sur la limite Nord des cultures. ______________________________________________ 176 7.1.3. Terroirs d'attache des pasteurs._______________________________________________ 179

7.2. Histoire de Baleiri à travers les deux sécheresses.___________________________ 182

7.3. Description des résultats d’enquête et analyse à Tannatahmo. _________________ 194

Une gestion privative d'espaces pastoraux._____________________________________ 194 7.3.1. Historique du site : ________________________________________________________ 194 7.3.2. Système de gestion des pâturages. ____________________________________________ 195

7.3.2.1. Système théorique. Principes de base. _______________________________________ 195 7.3.2.2. Questions quant à la répartition de la charge. _________________________________ 197

7.3.3. Principes de base, réalité du milieu, évolution actuelle. ___________________________ 198 7.3.4. Stratégie commerciale. _____________________________________________________ 199 7.3.5. Analyse rapide de la situation foncière. ________________________________________ 200

7.3.5.1. Statut de terroir d’attache. ________________________________________________ 200 7.3.5.2. Sur la question de la priorité et du droit d’exclusion. ___________________________ 201

7.4. tableau des valeurs fourragère des principaux ligneux._______________________ 203

7.5. Capacité de Charge.____________________________________________________ 204

7.6. Documentation. _______________________________________________________ 207 7.6.1. Document de travail généraux sur les études antérieures et de référence globale. ________ 207 7.6.2. Documents cités dans le texte. _______________________________________________ 208

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1.1.1.1. Présentation.Présentation.Présentation.Présentation.

1.1. CADRE DE LA RECHERCHE.

1.1.1. CADRE GENERAL. Cette recherche a été menée sous l'égide de l’IUED et de Daniel Fino, Chargé de cours, dans le cadre du Diplôme de Recherche, afin d'analyser avec son appui et encadrement, les politiques de développement et de coopération qui se sont attachées à proposer et mettre en œuvre des stratégies de renforcement technique ou structurel de l’Elevage en Afrique sub-saharienne depuis les indépendances. L’auteur1 a bénéficié, avant de proposer cette recherche, de 14 années de collaborations diverses au Niger, Tchad et Mauritanie dans des projets d’appui à l’élevage. Ces collaborations ont concerné des contrats de moyenne durée avec des ONGs ou autre structures sur des projets déjà partiellement défini (VSF, UICN, OXFAM,) la création et la mise en œuvre de projets avec une ONG du Sud à vocation corporative, (4 ans avec l’AREN au Niger), l'évaluation de projets de développement pastoral en Guinée (AFD), l'évaluation d'un projet d'appui au pastoralisme au Burkina-Faso pour la DDC. Plus récemment, une collaboration d'expert à moyen terme avec GTZ au Niger en 2004-2005 pour la réalisation de deux études, l'une sur la gestion des risques en milieu pastoral, l'autre sur la définition d'une stratégie de projet en matière de GRN pour un projet pastoral dans le Nord du Niger, a permis d’affiner encore le travail de recherche et d’apporter des éléments que les expériences précédentes n’avaient pas permis de bien approfondir. Dans ces différents contextes de travail, au contact de philosophies diverses, l’auteur a pu être progressivement amené à relativiser le rôle de l’aide publique ou privée au développement de l’élevage au Sahel, en se confrontant aux contradictions des projets dans lesquels il avait à travailler, mais aussi par observation des réalisations et approches d’autres projets ou agences de développement dans les même pays, voir dans les mêmes régions. Cette recherche se concentre principalement sur un pays, le Niger et des parallèles utiles à la compréhension globale de l'évolution des politiques de développement seront opérés fréquemment sur la base d'exemples dans d'autres pays sahéliens. Par exemple, comprendre la philosophie du développement de l'élevage de la DDC au Sahel nécessitera un regard sur le terreau expérimental qui a nourri ses idées au Burkina-Faso durant les années 90. Certains courant de pensées ont pu agir différemment en Mauritanie.

1 Ancien éleveur de moutons, l'auteur est au bénéfice d'un diplôme d'Etat Français BAC +2 d' Agent de Développement International. Largement autodidacte dans le pastoralisme sahélien, ce mémoire est une synthèse de son expérience au Sahel et l'aboutissement de ses recherches personnelles.

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1.1.2. DEFINITION THEMATIQUE.

1.1.2.1. Politiques de développement pastoral au Sahel. Il convient ici de préciser ce que l'on entend par " Politiques de développement" dans le cadre de cette recherche. Les politiques de développement, tel que nous l'entendons ici, sont l'ensemble des orientations stratégiques des bailleurs de fonds et des Etats, qui sous-tendent l'utilisation des moyens financiers et les traduisent en "projets de développement" et en actions concrètes sur le terrain. Elles peuvent faire (ou non ) l'objet de lettres d'orientation interne formelles chez les bailleurs et les Etats sous différentes formes (Lettre de politique thématique, plans de développement sur du moyen et long terme, stratégies définies dans les programmes de développement, etc…), mais sont en réalité la composante de ces orientations, de pratiques sur le terrain, et de courants d'influences divers, qu'ils soient scientifiques, politiques ou le fruit de débats internes chez les bailleurs. Nous nous intéresserons davantage à la manière dont les politiques sont appliquées sur le terrain, aux stades de connaissances, aux croyances et aux influences qui leur donnent leur caractère effectif et leurs effets, qu'aux textes qui les fixent temporairement par écrit. Ces politiques fluctuent dans le temps et sont la résultante de multiples combinaisons de facteurs et d'influences. Le développement et la croissance économique des pays concernés sont leur finalité, mais selon des angles de vue variables. Parmi les facteurs et influences, les avancées de la recherche scientifique mais aussi ses besoins de champs d'expériences, figurent en bonne place. L'interaction entre développement et recherche est un facteur que l'on peut qualifier "d'historique" sur ce thème précis et l'on cherchera plus loin a en relever les impacts sur les politiques. Les épisodes de sécheresses du Sahel, l'incertitude climatique, mais surtout la perception de ces contraintes par les structures de développement sont une autre influence majeure qui fera l'objet d'attention particulière. Les politiques intérieures des Etats concernés ont également une part dans l'ensemble des influences sur les politiques de développement, mais ces politiques sont elles mêmes soumises globalement aux mêmes paramètres d'analyses cités plus haut, recherche et incertitude climatique. Les besoins de sédentarisation en vue de meilleur contrôle des populations sont fréquemment mis en avant mais nous les relativiserons. Une influence qui n'est pas à négliger sera les propres politiques de développement agricole des pays donateurs et l'avancée de ces débats au Nord. La "pensée productiviste" en matière de développement agricole, si elle est remise en question au Nord avec une certaine efficacité et audience depuis quelques années, n'en reste pas moins la base de pensée du développement agricole du monde industrialisé. Les experts du développement ressortissant des pays du Nord ont été formés à cette école… ainsi que ceux des pays du Sud qui en sont parfois les plus fervent défenseurs. A l'inverse, on verra que le renversement de tendance "alternatif" amorcé dans les années 60 et qui est entré aujourd'hui dans les sphères de décision des Etats du Nord, a également engendré ou soutenu au Sud des remises en questions parfois salutaires et parfois hasardeuses des politiques de développement de l'élevage. Ainsi, des multiples facteurs se combinent et se chevauchent pour contribuer chez les différents partenaires de développement et bailleurs, à dessiner en permanence une idée fluctuante et imprécise de : "ce qui serait sage et pertinent pour appuyer l'élevage des pays

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sahéliens". Des courants de pensée forts et parfois passionnés se confrontent, des intérêts se mêlent au débat et le complexifient, des effets de mode dans "les cultures internes des technostructures du développement" 2 passent et se suivent sous l'influence de personnalités marquantes ou d'événements. Enfin, dans les zones pastorales, donc chez les premiers intéressés, les conditions environnementales, la démographie, les évolutions sociales chez les pasteurs, modifient à chaque décennie les paramètres de ce que l'on pourrait chercher à caractériser comme une réalité de base, mais qui échappe constamment à la synthèse. Sur le plan de la finalité économique des politiques de développement de l'élevage, on peut retrouver les oppositions des orientations politiques les plus classiques des orientations de politique agricole dans le monde. La recherche d'une augmentation de "rentabilité" de l'élevage se traduit souvent par la promotion d'idées de développement économique de type "entreprise" en opposition avec un développement basé sur l'économie familiale des éleveurs. D'un côté, on considère que des investisseurs appliquant un certain nombre de pratiques jugées modernes sont plus à même de garantir un usage plus rentable des ressources naturelles utilisées par un cheptel national donné. Ces investisseurs, consommateurs d'intrants importés, utilisant des salariés et valorisant les disponibilités techniques et scientifiques disponibles dans les pays concernés, sont souvent perçu comme l'avenir incontournable d'un élevage qui serait plus rentable et dégageraient plus de revenus au niveau national. Les systèmes commerciaux et les quelques utilisations de techniques supplémentaires au système traditionnel contribuent à hausser l'image de cette activité auprès du niveau politique qui a tendance à favoriser ce type d'investissement. La Banque Mondiale représente sans doute la position la plus extrême de cette vision et influence beaucoup la politique nigérienne comme on le verra plus loin. On peut qualifier cette tendance de libérale ou capitaliste dans sa pensée. A l'inverse, on considère que l'élevage devrait rester de type familial , argumentant sur sa plus grande rentabilité nette, sur la dimension sociale de sa nature profonde et historique, mais surtout sur le fait qu'il fait vivre des millions de pasteurs détenant un savoir faire irremplaçable3 dans les pays sahéliens. Il s'agit ici de maintenir un niveau maximum de pasteurs indépendants disposant de troupeaux modestes mais avec un fort taux d'exploitation au profit d'économies familiales. La maîtrise foncière des espaces pastoraux par les communautés de pasteurs représente un des enjeux majeurs des relectures des textes régissant l'accès aux ressources naturelles et des processus de décentralisation depuis les 15 dernières années dans tous les pays sahéliens. La tendance privilégiant l'élevage de type familial peut être qualifiée de "socio-écologique" en opposition avec la première décrite plus haut et elle comporte sans doute une composante "utopique" dans le sens où elle vise également à assurer la perpétuation de cultures millénaires. Cette dimension anthropologique souvent perçue à tort comme teintée de nostalgie, nuit parfois à un débat objectif et contribue à renforcer le fait que les tenants de la tendance "technico-libérale" considèrent l'élevage familial et pastoral comme archaïque. Des divergences de vues tranchées sont donc à l'œuvre pour modeler en permanence les politiques de développement nationales et les positions des bailleurs en fonction d'objectifs

2 Ce terme explicite est emprunté à FINO Daniel chargé de cours à l'IUED et directeur de cette recherche. Ouvrage collectif sous la Direction de Daniel Fino, Impasses et Promesses, l'ambiguïté de la coopération au développement. IUED Genève, 1996. 3 On remarquera dès ici que les investisseurs ne peuvent se passer de ce savoir-faire, recrutant les bergers ruinés pour entretenir leurs troupeaux dans des zones pastorales aux conditions très difficiles.

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économiques. Cette mouvance d'idées est aggravée par le fait que les agences et structures du développement ne disposent pas toujours de réelles compétences dans leurs sphères de décisions pour estimer avec l'efficience et le réalisme scientifique nécessaires, les différentes options qui leur sont proposées et pour se doter de stratégies cohérentes. Nous allons décrire les différentes orientations et les confronter avec une description objective et scientifique du pastoralisme selon les recherches les plus récentes.

1.1.2.2. De l'analyse comparative des stratégies des bailleurs de fonds, agences de coopération et ONG, avec les dynamiques du système pastoral.

La comparaison porte sur deux objets :

• D'une part les politiques telles que définies au point 1.1.2.1. Leur traduction en projets de développements avec leurs effets est présentée.

• D'autre part une vision la plus complète possible du système pastoral, à la lumière des connaissances scientifiques et des recherches récentes.

De cette comparaison, qui s'inscrit sur un profil historique couvrant environ un siècle, soit depuis la colonisation des pays sahéliens, doit émerger un certain nombre de champs d'analyses précis. Il s'agit de comprendre où et sur quels points précis, la coopération au développement a atteint ou non ses objectifs, et surtout pourquoi. Le postulat de base de cette recherche était de démontrer que la simplification des problèmes et l'absence de vision globale de la question pastorale avaient occulté aux décideurs des pans entiers de la réalité et continuent encore d'engager des actions de développement et des usages de fonds importants dans des voies sans issue. ___________________________________________________________________________

1.1.3. QUESTIONS SPECIFIQUES. Ces questions sont strictement celles qui étaient proposées dans le dossier de recherche présenté à l'IUED en 2002. Elles ont servit de guide tout au long de la recherche mais ne seront pas reprises dans le mémoire de manière systématique. Faible impact des aides au développement de l'élevage.

- Les Ambitions de l'aide au développement de l'élevage sont-elles réalistes ? - Les décalages à la réalisation, descriptions d'objectifs cachés divergents des

acteurs. - Les procédures des technostructures du développement. Intentions du

développement participatif et réalité. Possibilités réelle ou supposées d'améliorer les conditions de l'élevage.

- Attentes des éleveurs, visions locales du développement. - Possibilité d'amélioration techniques réelles.

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- Illusions courantes des possibilités de renforcement technique. - Description de cas concrets d'objectifs sans rapports avec les besoins. - Exemples de progrès réels et adaptés aux attentes - Exemple de APESS/DDC. Une tentative de rupture avec les concepts passés. - Tendances nouvelles de renforcement des capacités de négociation pour l'accès

aux RNs, dans le cadre des décentralisations en cours et de la relecture ou création des textes fonciers.

Ce qui a changé réellement depuis 40 ans en terme d'évolution positive.

- Accès aux soins de santé animale - Vaccination, régression de certaines épizooties - Reconnaissance du système, jusque dans les intentions des textes législatif. - Emergence des organisations de base des éleveurs - Prise de conscience progressive des partenaires du développement, (mais avec

distorsions) - Infrastructures laissées par les projets.

Part d'innovations et mutations imputable aux projets.

- Les campagnes de sensibilisation - L'effet d'imitation par le milieu - Les récupérations spontanées d'améliorations techniques par le milieu

Rôles des structures professionnelles des éleveurs.

- Distinction, complémentarité et/ou contradiction des deux rôles fondamentaux, recherche d'appui et outil de représentation des intérêts.

- Part variable de ces deux aspects selon le vécu des intéressés et la part de revenu que représente l'élevage dans leur économie.

- Comment sont-elles perçues par les agences de développement ? - Quels sont les courants et les difficultés qui les traversent ? - Analyse des perceptions réciproques et des objectifs à travers les outils de

compréhension des conflits. ___________________________________________________________________________

1.1.4. METHODOLOGIE.

1.1.4.1. L'ambition initiale. La méthodologie de la recherche et de sa présentation, répondaient dès le départ au souci de partager des convictions issues de la capitalisation d'une expérience professionnelle acquise au contact des pasteurs et de multiples rencontres et collaborations avec d'autres experts. Un constat : Plus on apprend sur le système pastoral du Sahel, plus sa complexité apparaît, et plus on relativise la possibilité de réellement apporter une aide efficace à travers les processus de la coopération internationale selon les mécanismes actuels. Après avoir suivi en confiance bien des chemins de pensée décrits dans ce mémoire comme sans issues, l'auteur a aujourd'hui le souci d'aider au dépassement de malentendus historiques et de recentrer les débats sur le pastoralisme là où il lui semble utile de se concentrer durant les décennies à

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venir. Le choix du Niger est lié a une plus grande expérience de l'auteur de ce pays, mais aussi au fait que la problématique pastorale y est plus précise et plus exacerbée que dans les pays voisins. La longue description analytique de l'histoire du développement pastoral, ou tout au moins des efforts consentis dans sa direction, est donc essentielle pour tracer la genèse des errements et tâtonnements déguisés en certitudes scientifiques depuis que la colonisation a tenté de prendre les rênes de l'histoire sur le continent africain, compromettant à tout jamais d'autres futurs possibles. Les influences venues du monde industrialisé, ses croyances, ses visions de l'avenir, font partie intégrante de cette histoire, et agissent comme des influences cachées sur tout les débats actuels au sahel nigérien quand on parle d'élevage. La pauvreté du pays, la lutte pour la survie, la compétition pour l'espace, les jeux politiques, la survivance d'une aristocratie pastorale, les innombrables mécanismes et réflexes sociaux engendrés par l'aide au développement et la création de l'Etat moderne, sont d'autres éléments qui complexifient le débat. Tout ceci est tellement imbriqué dans tous les thèmes que la logique peut déterminer concernant le pastoralisme actuel, que de multiples raccords entre les chapitres du documents ont été inévitables, au risque de créer des répétitions. Nous espérons qu'à la fin de la lecture de ce document, les malentendus pourront être compris et dépassés, et que les priorités actuelles pour permettre au pastoralisme nigérien de survivre seront clarifiées.

1.1.4.2. La méthodologie elle-même. L'ambition de démontrer la nécessité d'aborder le pastoralisme par une vision globale, nécessitait de l'aborder nous même en tenant compte de toute les voies académiques existantes. La climatologie, la science vétérinaire, la sociologie, l'analyse juridique, l'histoire, l'écologie, l'économie, participent à parts égales à la compréhension de ce système. Le choix d'une description des politiques successives en ordre chronologique s'est imposé par l'existence des grands courants de pensées qui sont décrits, et qui sont liés à l'histoire. Concernant la phase de collecte des données, c'est sur la base d'une prévision détaillée des thèmes à traiter, approuvée par l'IUED, qu'elle a été menée. Une mission de trois semaines à Niamey en 2003 a permi de collecter plus de 109 documents, dont 2/3 en format papier et 1/3 sur support informatique. Une grande partie d'entre eux provient des archives du Ministère du développement rural, et le reste est issu des rencontres avec les différents projets et bailleurs de fonds. La DDC notamment a mis à disposition ses archives à Niamey. Le Secrétariat Permanent du Code Rural nous a fourni tous les textes de Lois sur CD-rom. Une part non négligeable de la documentation utilisée était déjà en possession de l'auteur, une autre partie a été trouvée auprès de sources diverses, experts, bibliothèque IUED, Internet. Les deux études de 2004 et 2005 pour le LUCOP-Tan, GTZ, ont également permis de collecter de la documentation et surtout de repréciser des points essentiels des postulats de base de la recherche. ___________________________________________________________________________

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1.2. PRECISION DES CONCEPTS UTILISES. Termes utilisés Définition dans le cadre de la recherche Climax Type végétal caractéristique et persistant qui domine

un site quelconque en fonction du sol et du climat de ce site. Si ce climax se trouve dérangé (par surpâturage en saison des pluies ou déficit pluviométrique ou passage du feu…), la végétation d’origine peut y revenir en passant par des étapes successionnelles. 4

Communauté Tout ensemble d’individu qui a une stature sociale, économique ou culturelle avérée et dont les membres se reconnaissent comme tels et sont perçus comme tels par les autres.

Conflit Un conflit5 est une situation de polarisation antagonique entre deux ou plusieurs communautés, entre une (des) communauté(s) et l’Etat. La source de cette polarisation est une contradiction structurelle affectant la vie des acteurs concernés. L’antagonisme résultant de ladite polarisation génère une hostilité quasi permanente pouvant engendrer des confrontations violentes récurrentes et/ou durables entre les acteurs en question, confrontations ayant le potentiel de compromettre gravement la quiétude sociale. Il est considéré comme latent, tant qu’il reste caractérisé par une hostilité et une polarisation des intérêts. Il est déclaré ouvert lorsque les manifestations violentes ont déjà été déclenchées par l’une ou plusieurs des parties.

Endodromie6 Henri Barral a fait une recherche sur les systèmes pastoraux dans la province d’Oudalan au Nord du Burkina Faso (1974). Délimitant les parcours partagés, il a employé le concept d’ « endodromie » avec lequel il conçoit les aires pastorales à l’intérieur desquelles s’effectuent, selon un cycle annuel, les déplacements d’un nombre à peu près constant de troupeaux et de la population qui les accompagne. Chaque zone d’endodromie pastorale comporte :

� un certain nombre de points d’eau pérennes utilisés en saison sèche

� des parcours de saison sèche exploités à partir de ces points d’eau

� des terrains de culture « nomades » ou des terroirs villageois rattachés à ces points d’eau

des points d’eau temporaires de saison des pluies et les parcours qui leur sont associés.

Gestion des Ressources Naturelles On entend par Gestion, le fait de mettre en place et d’appliquer des règles d’usage raisonnées et viables des RN permettant leur renouvellement et la préservation

4 Repenser l’écologie des parcours, implications pour la gestion des terres de parcours en Afrique. R.H. Behnke et I. Scoones, dossier IIED N° 33, 1992 5 Etude d’identification et d’analyse des conflits dans les zones d’intervention du PNN et du PDRT. Août 2002, Dr. Pascal de Campos, Cabinet Nazari. 6 Mission d’appui à la formulation d’une stratégie au processus de sécurisation foncière dans les arrondissements de Tchintabaraden et d’Abalak. Ingrid Poulsen, RDP Livestock, Rapport de Mission, 21 novembre – 6 décembre 2002

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de leurs conditions de production. La gestion se distingue de l’utilisation simple par le fait que des règles existent et sont en vigueur. La gestion peut être le fait de règles formelles ou informelles, écrites, orales, ou même tacites (tacite = connues mais non exprimées).

Ligneux Le terme "ligneux" désigne les arbres et arbustes en différenciation avec les plantes dites "herbacées" dont les tissus constitutifs ne se "lignifient " pas en tiges permanentes (troncs et branches).

Litige Situation de divergence de vues et de concurrence d’intérêts entre deux ou plusieurs communautés, entre une (des) communauté(s) et l’Etat. Le litige se caractérise par le fait que des voies pacifiques, administratives, coutumières, restent les voies utilisées par les parties, dans le but d’obtenir gain de cause, mais aussi dans le but partagé d’éviter au litige d’évoluer vers le conflit.

Nomadisme Ce mot désigne à l’origine le fait de vivre sans domicile fixe et en déplacement à la recherche de ressources ou de moyens de vivre, en communautés familiales. Les Nomades, par définition, ne sont pas forcément des pasteurs. Ils peuvent être pêcheurs, chasseurs, musiciens, artisans, etc…. Des usages abusifs et indifférenciés ont donné à ce mot un sens imprécis au Sahel et au Sahara d’une manière générale. Tout pasteur pratiquant le pastoralisme est nomade par définition, puisqu’ il est en déplacement continuel pour ajuster les besoins de son cheptel aux ressources disponibles. On devrait distinguer ce système avec la pratique agropastorale qui induit généralement un lieu de domicile fixe pour la pratique agricole. Les agropasteurs ne sont donc pas nomades, même si leur cheptel et ses bergers sont Transhumants. Pourtant, le mot nomade sert aujourd’hui à désigner les pasteurs pratiquant une faible mobilité à l’intérieur d’une zone d’attache, n’en sortant que par nécessité conjoncturelle. L’usage des mots nomade et nomadisme nous parait impropre à qualifier ce mode de mobilité réduite. Le terme correct pour désigner ce mode de mobilité réduite est Endodromie. Nous n'utiliserons donc pas le mot Nomade dans notre texte en raison des usages différents qui en sont fait au Sahel et avec lesquels nous sommes en désaccord.

Pasteurs 7…tout groupe humain et social qui se caractérise historiquement et socialement par sa mobilité et dont l’élevage constitue l’activité principale. Nous préciserons ici la nécessité de pratiquer l’élevage mobile au quotidien pour être qualifié de pasteurs, afin de différencier le pasteur de celui qui dispose d’un cheptel gardé par des bergers tout en restant sédentaire et pratiquant d’autres activités.

Pastoralisme Mode d’élevage valorisant des ressources dispersées dans le temps et l’espace grâce à la mobilité du cheptel et des familles de pasteurs qui en sont propriétaires et

7 Texte complémentaire du Code Rural Nigérien. Décret N° 97-007/PRN/MAG/E du 10 janvier 1997 fixant statut des terroirs d’attache des pasteurs

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qui en vivent. Le mot pastoralisme est utilisé pour désigner un élevage mobile familial, avec une interdépendance entre la famille et le cheptel qui la fait vivre, ainsi qu’une culture et une connaissance technique liées à ce mode d’élevage. La seule mobilité des animaux ne suffit pas à l’usage du mot « pastoralisme ».

Ressources Naturelles Eau de surface et du sous-sol, pâturages herbacés et aérien, espace, produits de cueillettes, bois. Par Naturelle on comprend une ressource produite par la nature, d’une manière non organisée et planifiée par l’homme. Le pâturage, même faisant l’objet d’une gestion, est une RN. Les récoltes de champs cultivés et semés ne sont pas une RN, mais l’espace sur lequel est implanté le champ et la terre qui le constitue avec sa vie biologique est une ressource naturelle. Le mot Ressource quant à lui, indique que le produit concerné est utilisé par l’Homme pour ses besoins.

Structurel Tout aspect constitutif du tissu social, économique ou culturel ayant un effet sur l’accès et l’exploitation des RN, la répartition des richesses, le statut social, les idéologies ou tout autre paramètre pouvant affecter de larges pans de la société.

Terroirs d’Attache 8Unité territoriale déterminée et reconnue par la coutume et/ou les textes en vigueur à l’intérieur de laquelle vivent habituellement durant la majeure partie de l’année des pasteurs, unité territoriale à laquelle ils restent attachés lorsqu’ils se déplacent, que se soit à l’occasion de la transhumance, du nomadisme ou des migrations. Ainsi, « Terroirs d’attache » ne désigne pas seulement le Droit d’usage prioritaire formalisé par les textes et l’inscription au dossier rural, mais préfigure antérieurement une notion réelle à laquelle les pasteurs souscrivent largement lorsqu’une définition réaliste leur en est donnée. Tous les pasteurs, y compris les plus mobiles, ont un terroir d’attache, même dans le cas où celui-ci ne leur est pas entièrement dévolu et qu’ils le partagent avec d’autres. Par ailleurs, cette notion antérieure au texte concerne les pasteurs sahéliens et sahariens en générale, pas seulement les pasteurs du Niger.

Transhumance Déplacement régulier du cheptel vers une destination plus ou moins définie et à une période plus ou moins précise de l’année. Les vastes mouvements vers le Nord en SP par exemple, ou vers le Sud en SS, sont une transhumance. De grandes variables interviennent dans les itinéraires et destinations en fonction de la localisation des ressources recherchées et des droits d’accès à ces ressources. Dans le langage actuel sur le terrain et chez la plupart des intervenants au Niger, le mot transhumant sert à désigner les pasteurs pratiquant une grande amplitude de mobilité vers des directions variables en opposition au mot "nomadisme et nomades" qui eux désignent des pasteurs à mobilité réduite et endodromique. Nous nous distancerons de cette distinction car nous la jugeons trop réductrice et peu conforme à la réalité.

8 Idem

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Zone agricole Zone située au Sud de l’isohyète 400 mm, où la culture sous pluie trouve des rendements satisfaisants et réguliers même en année relativement sèche. Au Nord de cette isohyète, les récoltes ne peuvent intervenir que deux ans sur trois en moyenne, sur certains terrains seulement, et avec des rendements faibles.

Zone agropastorale Zone intermédiaire située approximativement entre le 13 ème et le 15 ème parallèle, entre les isohyètes 300 et 400 mm, dans laquelle pastoralisme et agriculture doivent cohabiter. En pratique, l’agriculture est devenue de fait prioritaire dans cette zone, et les conflits entre usagers sont fréquents et récurrents. L’agriculture a triplé ces surfaces dans cette zone depuis les années 70.

Zone pastorale Une définition existe sur la base de la Loi 1961, fixant la limite Nord des cultures. Nous ne la retiendrons pas puisqu’elle ne fût jamais vraiment appliquée. Nous retiendrons toutefois une limite au Nord de la zone de l’isohyète 300 mm, au delà de laquelle la culture sous pluie devient aléatoire et non rentable, conférant à la zone une vocation pastorale quasi exclusive. Nous situerons cette limite à hauteur du 15 ème parallèle environ, même s’il est évident que des cultures sous pluies existent au Nord de cette limite. La limite de l’isohyète 300 mm est également celle au Nord de laquelle les pâturages acquièrent une haute valeur fourragère, notamment par leur teneur en MAD et phosphore.

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1.3. REPERTOIRE DES SIGLES ET ABREVIATIONS. AEF Afrique Equatoriale Française. Entité administrative coloniale française couvrant

plus ou moins l'actuelle Afrique centrale francophone, moins la RDC qui était une possession belge.

AFD Agence Française de Développement

AG Assemblée Générale

AGRHYMET Créé en 1974, le Centre Régional AGRHYMET est une institution spécialisée du Comité Permanent Inter-Etats de Lutte contre la Sécheresse dans le Sahel (CILSS). Centre de formation et de recherche en météorologie notamment, orienté vers la production agricole et la sécurité alimentaire. Basé à Niamey.

AOF Afrique Occidentale Française. Entité administrative coloniale française, actuelle Afrique de l'Ouest francophone.

APESS Association de Promotion de l'Elevage au Sahel et en Savane

AREN Association pour la redynamisation de l'élevage au Niger.

AZAWAK Race bovine de l’Est du Niger dont un projet de la CTB pratique la sélection et la diffusion, et dont il a prit le nom.

BP Before Present, référence internationale en archéologie et préhistoire. Il s'agit de l'année 1950 utilisée comme point 0 dans les mesures de temps par radiocarbone

BRGM Bureau de recherche géologiques et minières. France

CAPAN Collectif des associations pastorales du Niger

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CILSS Comité Permanent inter Etat de lutte contre la sécheresse dans le Sahel.

CIPEA Centre pour la promotion de l'élevage en afrique

CMB Centre de multiplication du bétail

COFO Commissions foncières

CTB Coopération technique belge

GRN Gestion des ressources naturelles.

IEMVT Institut d'Elevage et de Médecine Vétérinaire des Pays Tropicaux

IIED Institut international pour l'environnement et le développement (GB)

INRAN Institut national de recherche agronomique au Niger

IRAM Institut de recherche en méthodologie appliquée. Bureau d'étude français

LUCOP Lutte contre la pauvreté, projet GTZ , parfois accompagné de "Tan" qui signifie Tahoua et Nord.

MAD Matière Azotée Digestible. Il s'agit de la part de protéines réellement assimilables par la digestion des ruminants dans un type de fourrage ou une plante donnée. Cette mesure différencie de la teneur en protéines totales qui ne sont pas toutes sous une forme assimilable.

MARP Méthode accélérée de recherche participative. Le mot "accélérée" fût souvent remplacé vers la fin des années 90 par "active".

MS Matière sèche. Il s'agit de la matière totalement déshydratée d'une plante fourragère, soit environ 30% de son poids initial. Le fourrage est toujours exprimé en MS dans les calculs de ration ou les estimations de production fourragère d'une zone donnée.

NRLP Niger range livestock project

ODI Oversas institut development ( GB)

OP Organisations de Producteurs

PAAPB Projet d'appui aux associations pastorales de Bermo. Bermo est un poste administratif au Nord de Dakoro, département de Maradi.

PASEL Projet d'appui au secteur élevage (DDC)

PASP Projet agro-sylvo-pastoral

PENCE Projet Elevage Niger Centre Est

PGCRN Programme pour la Gestion Conjointe des Ressources Naturelles

PNN Projet Nord Niger de la GTZ

POCR Principes d'Orientation du Code Rural. Premier texte produit par le SPCR en 1993

PPCB Péripneumonie contagieuse bovine

PPP Projet Pastoral Pilote

PROZOPAS Projet zone pastorale de l'UE

RESAL Réseau sécurité alimentaire

RN Ressources naturelles

SAF Schéma d'aménagement foncier

SP Saison des Pluies

SPCR Secrétariat permanent du Code Rural

SS Saison sèche

SSC Saison sèche chaude

SSF Saison sèche froide

T.A. Terroirs d'Attaches, selon l'idée juridique définie par les textes complémentaires au Code Rural en 1997.

UBT Unité Bovin Tropical : animal de référence de 250 kg ayant achevé sa croissance (norme Boudet et Rivière, IEMVT). Le coefficient de correspondance d’une espèce animale en UBT est égal au poids métabolique de l’animal divisé par 62,9 soit 0,81 UBT pour un bovin ; 0,18 UBT pour un ovin ; 0,16 UBT pour un caprin ; 1,18 UBT pour un camelin et 0,63 UBT pour un asin.

UE Union Européenne

VSF Vétérinaires sans frontières

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2.2.2.2. Cadre technique de référenceCadre technique de référenceCadre technique de référenceCadre technique de référence.... Le pastoralisme doit être envisagé par différents angles scientifiques pour être abordé avec une compréhension globale. On ne peut donc faire l'économie d'en dessiner les contours à la lumière des recherches pertinentes et récentes avant de poursuivre. Les connaissances minima sur les fonctionnements de la végétation des pâturages sont indispensables à la compréhension des fondements de la mobilité du cheptel. Nous tenterons ici de résumer au maximum les notions de base nécessaires afin de permettre la lecture de ce qui suit sans alourdir le texte. Cela suppose que des références, des analyses, des exemples concrets issus de nos recherches personnelles ou de celles d'autres confrères ne figureront pas dans ce chapitre. Nous renverrons donc aux annexes.

2.1. DEFINITIONS ET CADRAGE DE L'ETUDE .

2.1.1. CONTEXTE DU PASTORALISME AU SAHEL.

2.1.1.1. Climat et cycles. Il peut être utile de rappeler brièvement le cadre environnemental dans lequel évolue le pastoralisme au Sahel et plus précisément au Niger. Ce mode d'élevage des ruminants est induit par la fluctuation dans le temps et dans l'espace des ressources fourragères naturelles, composées en majeure partie de graminées annuelles à cycle court. La mobilité du cheptel et des familles permet d'accéder aux ressources Ci contre, fourrage aérien, Marua crassifolia.

fourragères là où elles se trouvent, leur production étant aléatoire, variable dans l'espace et imprévisible. Le pastoralisme utilise et valorise des espaces arides au nord de l'isohyète 350 mm où l'agriculture sous pluie est peu ou pas du tout présente en raison de l'insuffisance et de l’irrégularité des précipitations. Il utilise également en saison sèche, des zones au Sud de

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cet isohyète où il cohabite avec les utilisateurs agricoles de l'espace, mais le plus souvent en dehors des périodes de végétation. On distingue le plus souvent deux "grandes saisons". La saison des pluies, de juin à septembre, durant laquelle la totalité des pluies annuelles tombent et durant laquelle la végétation est vivante. La saison sèche dure d’octobre à mai. Durant cette saison le bétail consomme en majeure partie des pailles sèches sur pied issue la saison des pluies précédente. On distingue plus précisément, dans le cycle pastoral lié à ce climat, 5 saisons.

o La saison froide, de novembre à février, au cours de laquelle la température peut descendre jusque vers 5° au matin et ne dépasse guère 25° dans la journée.

o La saison sèche chaude, de mars à mai, période la

plus éprouvante en raison de la chaleur et de la déperdition de valeur nutritive des plantes sèches sur pied. La température dépasse fréquemment les 45° en pleine journée. Ici à droite, des stocks de fourrage sur pied en saison sèche chaude.

o Le début de la saison des pluies, de juin à mi-

juillet selon les années. Cette période est la plus difficile car les animaux souffrent des privations de la saison sèche passée, les stocks de fourrage sur pied sont épuisés, alors que les repousses de pâturages sont encore insuffisantes et incertaines. Par ailleurs, c'est également la saison durant laquelle des déplacements importants ont lieu notamment vers le Nord car les conflits sont fréquents avec les agriculteurs dans les zones méridionales mieux arrosées en raison de la reprise des cultures pluviales.

o La saison des pluies "installée", de mi-juillet à

fin septembre. le pâturage herbacé vert est abondant et d'une qualité croissante vers le Nord, les eaux de surfaces permettent un abreuvement sans les puits, c'est la période de reconstitution des forces, pour les pasteurs comme pour le bétail. Ici à droite, une vallée de savane en saison des pluies à maturation des graminées.

o La petite saison chaude, de fin septembre à novembre. C'est période où la

température remonte sensiblement après la saison pluvieuse. Le fourrage est maintenant sec sur pied mais les eaux de surfaces ne sont plus disponibles dans le Nord. C'est la saison durant laquelle le risque de feux de brousse est le plus élevé en raison de la forte densité de paille sèche encore peu consommée par le bétail.

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2.1.2. ECOLOGIE DES PATURAGES. NOTIONS

ESSENTIELLES. Nous tenterons uniquement ici de présenter quelques bases de cette écologie, et surtout d'en dégager les points qui nous semblent essentiels pour la compréhension du système, notamment en vue de servir de référence aux analyses des politiques de développement qui suivent.

On retiendra que les zones arides et semi arides, donc où l'élevage mobile reste le mode d'usage des ressources naturelles le plus courant, représentent 55 % des terres émergées d'Afrique, et qu'elles abritent 59 % de son cheptel, toutes espèces confondues.

2.1.2.1. Description générale de l'environnement. Le type d’environnement concerné en premier lieu par le pastoralisme de l’Afrique de l’Ouest est la savane. La savane se défini comme étant composée d’une strate herbacée continue, et d’une strate ligneuse dont la fréquence permet de différencier plusieurs types de savane9 : • Savane boisée ( arbres et arbustes forment un couvert clair) • Savane arbustive ou arborée ( le couvert ligneux est disséminé ) • Savane herbeuse ( arbres et arbustes sont quasiment absents) La savane est caractérisée par une symbiose entre les ligneux et la strate herbacée. 1/4 des terres émergées du globe sont composées de savanes, si on englobe dans cette catégorie, les steppes. La steppe dans son sens le plus strict est caractérisée par des espèces vivaces et surtout par un rythme biologique comportant deux périodes de repos annuelles, (hiver - été). Or un tel rythme est absent de l'Afrique tropicale, et l'on devrait plutôt adopter le terme de pseudo - steppe, ou encore celui plus précis de "savane steppique", là où la savane, aux limites de l'aridité, revêt un couvert discontinu10.

9 Accord interafricain sur la définition des types de végétation de l'Afrique Tropicale. Trochain J-L 1957, Bulletin de l'Institut d'Etudes Centrafricaines N° 13-14 pp 55-93. 10 Riou G. 1995, Savanes - l'herbe, l'arbre et l'homme en terre tropicales, Masson-Armand Colin, Paris, cité par B.Thébaud en 1999, formation au nouveau paradigme, SOS-Sahel GB / IIED, Zinder, Niger.

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A gauche, savane arbustive, à couvert continu et à dominance d’Acacia radiana. A droite, savane de type « steppique » à couvert discontinu, à Commiphora africana, au premier plan.

2.1.2.2. Influences sur l’équilibre de la végétation des savanes du Sahel.

Des influences diverses modifient constamment la végétation des savanes du Sahel: - La pluviométrie - Les sols - Le relief et la topographie - L’Homme et l’élevage. - la faune sauvage - Le feu. Les zones pastorales du Sahel sont façonnées par un équilibre toujours fragile entre le cheptel de ruminants et les plantes, arbres et herbacées. Il ne s'agit pas d'un milieu à proprement parler "originel" ou primaire. Les savanes sahéliennes sans l'élevage seraient plus pauvres d'un point de vue de la diversité botanique, traversées de feux beaucoup plus importants, et le couvert arboré lui-même serait moins dense. Au Sahel, la strate herbeuse est composée essentiellement de graminées annuelles, et de légumineuses annuelles. Les plantes herbacées pérennes y sont rares et généralement localisées. Leur contribution à la biomasse herbacée est très faible. Ces plantes annuelles n’ont qu’une durée de vie limitée aux quelques mois de saison pluvieuse, de juin à septembre, et n’ont d’autre finalité biologique que de produire des semences pour l’année suivante. La biomasse à l’état sec des plantes herbacées, racines comprises, n’est donc pas considérée comme faisant partie du cycle végétatif. Sa destruction par le feu, par exemple, n’a pas de conséquence négative pour la repousse de l’année suivante. Le feu permet parfois de débarrasser le sol des résidus des annuelles qui perturbent la croissance des plantes nouvelles. Ce sont les semences des annuelles, enfouies dans les sols à des profondeurs variables, qui assurent la pérennité du tapis herbacé. La consommation totale des pailles résiduelles par le bétail n’a également aucune conséquence négative.

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(un «réveil» des plantes vivaces par le passage des feux est souvent cité comme avantage, mais dans la réalité, dans l'écosystème sahélien, ce phénomène est rendu rarissime par la rareté des pâturages où les espèces vivaces ont une contribution significative ). On ne peut donc pas parler de surpâturage de la strate herbacée en saison sèche. Au contraire, il faut que les résidus secs des annuelles soient consommés pour permettre à la strate herbacée nouvelle de pousser. Le surpâturage ne peut concerner que des espaces soumis en permanence à la pâture durant la période croissance des plantes, par exemple en saisons des pluies autour des villages avec un cheptel non mobile. L’absence ou l’insuffisance de pâture, par contre, à des effets négatifs très importants, car la strate herbacée sèche va se coucher et pourrir en un tapis épais lors des pluies suivantes. La germination des semences et surtout la levée des plantules en seront perturbées. En saison

sèche, le feu interviendra avec plus de probabilité, le combustible étant important, mais surtout, il interviendra avec plus d’intensité, mettant en danger la survie des ligneux si la saison est avancée. On voit sur l’image de gauche, prise en Mauritanie en juillet, que la repousse est fortement gênée là où le feu s’est arrêtée et qu’elle est favorisée là où le terrain était nu. C’est pourquoi le feu précoce est utilisé comme outil de gestion dans les parcs nationaux, sous contrôle des spécialistes, car la pâture

par la faune est généralement insuffisante. Enfin, le brassage des couches superficielles du sol sur les terrains sableux par le piétinement du bétail est également un élément important qui favorise la germination. L’absence de cet important facteur réduit notablement le taux de germination des semences sur une surface donnée (A ne pas confondre avec le phénomène de compactage des sols partiellement argileux, qui concerne des phénomènes liés justement à une insuffisance de mobilité des troupeaux). Il faut ajouter que le bétail contribue largement à la dissémination des semences des annuelles, participant ainsi de façon très significative aux transports de matériel génétique et à la sauvegarde de la biodiversité. Ce déplacement des semences s’effectue de plusieurs manières : Zoochorie Par accrochement au pelage des animaux Endozoochorie Par les tubes digestifs. Pour les graminées, c’est 10% des semences

ingérées qui gardent leur pouvoir de germination. Pour les graines des principaux ligneux, on sait que la dormance des graines ne peut être levée sans le passage dans le tube digestif. L’absence de bétail signifie directement l’absence de régénération des ligneux au Sahel (cette règle est valable pour Balanites aegyptiaca, Acacia albida, Acacia seyal, Acacia nilotica, et la plupart des espèces de Combrétacées, soit la grande majorité des arbres et arbustes du Sahel)

Anénochorie transport par le vent, facilité par le brassage des couches superficielles du sol.

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2.1.2.3. Germination et croissance des herbacées annuelles. Nous nous limiterons à en relever la complexité, sans en détailler tous les facteurs et mécanismes. Le Pouvoir Germinatif moyen des semences des graminées est de 90%. Celui des légumineuses n’est que de 50 %. Il est donc aléatoire, ce qui explique leur présence moins marquée dans la strate herbacée, largement dominée par les graminées annuelles11. La germination des semences dépend de conditions diverses qui se combinent, pour multiplier à l’infini les scénarios sur la parcelle de terrain. Elle dépend de :

La température. D’une portion de sol à l’autre, d’un jour à l’autre, cette température varie considérablement selon l'inclinaison, l'exposition. L’humidité. D’une portion de sol à l’autre, cette humidité est variable selon la position dans une pente, l'infiltration, l'évaporation, la structure du sol. De plus, l’irrégularité des pluies en début de saison détermine la germination ou non de telle ou telle espèce, qui a ses préférences. La profondeur à laquelle se trouve la graine. En surface, ou à 5 cm, les conditions ne sont pas du tout les mêmes. La génétique. C’est l’aspect le plus complexe. Même appartenant à la même espèce, et placées dans des conditions absolument identique, même en laboratoire, certaines graines vont germer à la première humidification, d’autre à la seconde, à la troisième, à la quatrième....ou de ne pas germer et attendre un an, deux ans, 10 ans.....

On appelle cette germination «étalée» en raison de plusieurs facteurs, levées successives par cohortes. Cette complexité du pouvoir germinatif des semences est l’une des raisons pour laquelle la composition floristique et la biomasse d’une parcelle varient d’une année à l’autre, et qu’il est quasiment impossible de faire des prévisions sûres dans ce domaine au Sahel. A l’inverse, sur des pâturages composés de plantes pérennes, comme dans les climats tempérés par exemple ou dans les plaines d’Amérique du Nord ou d’Océanie, les compositions floristiques restent inchangées durant plusieurs années avec des contributions stables des espèces implantées, à la biomasse totale d’une production qui varie peu également. On verra qu'une prise en compte insuffisante de cette différence fondamentale a pu engager la recherche elle-même et les politiques de développement vers des voies peu fécondes en terme de résultat et consommatrices de fonds importants. A droite, pousse de Cenchrus biflorus, graminée, avec Zornia glochidiata, légumineuse. 11 Pastoralisme, troupeaux, espace et sociétés, ouvrage collectif sous la coordination de Daget P et Godron M, Universités francophones, Hatier, Paris, 510 pages. Chapitre 6.

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La production numérique de semences des graminées annuelles au Sahel est importante. Par exemple, Panicum laetum, une graminée annuelle courante du Sahel, peut produire de 50 000 à 70 000 graines au m2. Ces graines sont ce que l’on appelle le stock semencier initial. Une partie sera emportée par le vent, les fourmis et termites, les oiseaux, etc... il restera le stock semencier final qui représente 50% du stock semencier initial. Une partie, variable selon les conditions cette année là, va germer en saison pluvieuse, et l’autre partie va constituer ce qui est appelé le stock résiduel. Ce stock résiduel, comme on l’a vu plus haut, pourra continuer à germer au gré des saisons et des conditions qui lui seront favorables, durant plusieurs années. Ceci explique comment des espèces que l’on croyait disparues depuis plusieurs années dans certains endroits, font des réapparitions spectaculaires lorsqu’elles retrouvent les conditions climatiques qui leur conviennent. Un exemple récent a bien illustré ce mécanisme au Niger en 1999. A la suite de 2 saisons des pluies excellentes aussi bien dans le cumul pluviométrique que dans la régularité, la plante semi-vivace Chrozophora brochiana s'est ré-implantée massivement sur les ensembles dunaires fixés qui composent la zone pastorale du centre entre 300 mm et 150 mm d'isohyète après plus de 10 ans d'absence. Ces mécanismes complexes sont encore influencés par les variations inter-annuelles des régimes des pluies. D’une année à l’autre, ni la biomasse totale, ni la composition floristiques des herbages ne peuvent être identique. Les écarts peuvent être de 1 à 10. Exemples de variations pluviométriques inter annuelles à Widou Thiengoli (zone pastorale du Ferlo, dans le Nord du Sénégal)

Ecarts pluviométrie / production

0

50

100

150

200

250

300

350

400

450

500

0 Kg

200 Kg

400 Kg

600 Kg

800 Kg

1000 Kg

1200 Kg

Pluviométrie en mm. Rendement Kg/M S/hectare

Année

81

82

83

84

85

86

87

88

89

90

91

92

Pluviométrie

353

207

105

131

303

323

242

344

471

304

219

119

Rendement Kg/MS / hectare

1000

610

210

112

931

965

1051

1055

1081

555

607

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On voit ici que la production de biomasse est influencée par le cumul pluviométrique, mais pas de manière absolument linéaire. Durant les années 86, 87, et 88, malgré des cumuls pluviométriques médiocres, la production a continué à augmenter. De la même manière, les excellentes pluies de 1989 ne se sont pas accompagnées d’une augmentation spectaculaire de la production. Un facteur important qui n’apparaît pas ici est la régularité de ces pluies, qui influencent non seulement la biomasse, mais également la composition floristique, très variable d’une année sur l’autre, ce qui influence bien sûr la qualité fourragère du pâturage. Toutefois, à fin de prévision ou de planification, on admet un chiffre moyen d’estimation de production de biomasse, qui est de 2,5 kg /hectare, par 1mm de pluie12. On considère également une moyenne de production de biomasse, au-delà de laquelle le pâturage perd de sa qualité fourragère, qui est de 1000 kg/hectare. En effet, la valeur fourragère du pâturage décroît en fonction de l’importance de la biomasse. Ainsi, les pâturages du Nord, moins denses, ont une valeur supérieure à ceux des climats soudaniens par exemple. La migration des troupeaux vers le Nord quand le pâturage est disponible, a donc un peu le même sens que la recherche de pâturage de qualité dans les climats européens, avec les déplacements en altitude. Dans la partie méridionale du Sahel, le déficit d'azote et de phosphore constitue le facteur limitant à la croissance des plantes et pénalise également leur valeur nutritive. Dans la partie septentrionale, c'est le déficit pluviométrique par sa faiblesse et son irrégularité qui constitue la contrainte majeure de la production primaire. La ligne de démarcage entre ces deux zones se situerait aux alentour de l'isohyète des 300 mm13. Dans la partie septentrionale, là où l'eau constitue la contrainte, la valeur en protéines des jeunes plantes est d'environ 18% et se stabilise à 12 % vers la fin de la période de croissance, soit à l'apparition des graines. Dans les régions sud, où la croissance est limitée par l'azote et le phosphore, la valeur protéique des plantes décroît rapidement jusqu'à 3-6 %. Ainsi, au Sud la biomasse augmente mais les protéines diminuent, et au nord la biomasse diminue et les protéines augmentent. Or si un bovin consomme en moyenne 6,25 Kg de Matière Sèche (MS plus loin dans le texte) par jour quelle que soit la qualité du fourrage, la quantité de protéines ingérée dépend directement de la valeur du fourrage.

Cette variabilité qualitative détermine les mouvements des troupeaux, mais également les migrations des diverses populations de pasteurs qui depuis le 19 ème siècle à nos jours ont été fortement influencées par ce facteur. Selon Maliki14, la montée vers le Nord des Wodaabés au Niger dans les années 30, a signifié l'entrée dans une région extrêmement favorable, surtout par rapport aux deux critères majeurs de productivité de la production laitière et de la fécondité. Cette situation a été très favorable pour les Wodaabés (Maliki parle de période d'euphorie) mais a sans doute déterminé le passage à un mode d'élevage plus mobile que dans les décennies précédentes pour valoriser cette meilleure position. Cela a signifié pour beaucoup de familles la fin d'une période agropastorale avec l'abandon des cultures.

12 Pastoralisme, troupeaux, espace et sociétés, ouvrage collectif sous la coordination de Daget P et Godron M, Universités francophones, Hatier, Paris, 510 pages. Chapitre 6. 13 Selon Penning de Vries et Djiteye, 1982, cités par Angelo Maliki Bonfiglioli, "Duddal" Histoire de familles, Histoires de troupeaux, éditions de la maison des sciences de l'homme, Paris, 1988. 14 DUDDAL, Angelo Maliki, Bonfiglioli, histoire de famille, histoire de troupeau, éditions de la maison des sciences de l'homme, Paris, 1988

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2.1.2.4. Variations de l’offre fourragère durant l’année et impact du cheptel sur le milieu. Un équilibre instable.

Les ruminants du Sahel ne bénéficient d’une strate herbacée vivante que durant 3 à 4 mois. A cette saison, les éleveurs bougent énormément, suivant les pousses du pâturage, selon des critères de quantités mais surtout de qualité. On trouve donc un effet bénéfique de la pâture sur la qualité des herbages. La pâture sélective des ruminants dans un contexte de mobilité, favorisent le tallage et la dominance des plantes les plus intéressantes sur le plan fourrager. Ceci se comprend aisément si l’on considère que le choix sélectif des animaux va aux plantes les plus intéressantes sur le plan fourrager. Le broutage de la plante va provoquer une réaction biologique qui démultiplie les feuilles participant à la photosynthèse mais aussi les tiges porteuses de graines. Les plantes recherchées par le bétail fourniront ainsi davantage de semences que les autres et seront donc favorisées à long terme. Par plantes « intéressantes sur le plan fourrager », il faut entendre celles qui combinent les deux avantages suivants :

• D’être appréciées par le bétail et donc consommées facilement en quantité, • D’avoir une teneur en Matière Azotée Digestible (MAD plus loin dans le texte)

importante. Les teneurs des plantes herbacées en MAD sont bien sûr très variables, et la connaissance de ces valeurs aux différents stades phénologiques sont des éléments déterminants des choix opérés par les éleveurs dans la recherche de pâturages en saison des pluies. Les légumineuses telles que Zornia glochidiata par exemple ou encore les graminées annuelles Dactyloctenium aegyptium et Panicum leatum ont une haute valeur. A l’inverse, la graminée annuelle Schoenefeldia gracilis contient peu de MAD mais sera appréciée surtout en saison sèche pour sa bonne conservation à l’état sec et sa valeur en énergie. Cenchrus biflorus, graminée à l’inflorescence particulièrement piquante, n’est appréciée pour sa haute valeur que dans sa phase jeune jusqu’à la montaison, car l’apparition de l’épi la rend difficilement consommable durant une période qui va jusqu’à la chute des graines en novembre ou décembre. Il y a donc, durant cette période de végétation, une influence bénéfique des troupeaux sur la dynamique de végétation à condition que la grande mobilité soit la règle, car elle induit des périodes de repos pour les plantes. Sur des parcelles fermées avec une charge définie ou sur des parcours quotidiens, l’effet est inverse, et ce système conduit à la disparition progressive des plantes «nobles». L’exemple est frappant autour des villages, où le bétail est présent chaque jour de la saison pluvieuse, et l’on peut observer la disparition des bonnes plantes par surconsommation. Avec la mobilité sur les grands espaces, l’effet est inverse. En saison sèche, les plantes à l’état sec sont consommées. Il est admis que cette consommation représente 30% de la biomasse sèche. Les 70% restants étant détruits par les termites, la dessiccation, le vent, et le piétinement. ( Cette disparition de la biomasse résiduelle est une nécessité écologique, comme on l’a vu plus haut ). Cette estimation vraiment large de 30% intervient dans des calculs pourtant très précis et très scientifiques, nécessaires à la détermination de la capacité de charge, comme on le verra plus loin. Mais la paille sèche ne peut suffire à fournir les éléments indispensables aux animaux en saison sèche. Elle fourni la ration d’encombrement (exprimée en MS, soit Matière Sèche),

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un apport très insuffisant de minéraux, et un apport minimum en énergie (exprimée en UF, soit Unité Fourragère). Par contre, les besoins en Matière azotée digestible (MAD) nécessaire à la croissance et à la production de lait et à la croissance, ainsi qu’en vitamine A et E, nécessaires entre autres choses, à la fertilité, ne sont pas couverts dans les fourrages herbacés à l’état nécrotique, car ces éléments y sont quasiment inexistants. Le phosphore est également un élément essentiel au métabolisme qui doit être apporté en suffisance. Sa carence dans la ration induit des comportements dits « de pica » chez le bétail qui se met à ronger ce qu’il trouve à la recherche de satisfaction de ce besoin minéral important. Il est connu que la contamination à certaines pathologies, notamment le botulisme et le charbon, est largement favorisée par l’attrait qu’offrent au bétail carencé, les ossements d’animaux morts abandonnés dans les zones pastorales. MAD, vitamine A et E, ainsi que Phosphore et d’autres éléments doivent être fournis en saison sèche soit par des plantes vivaces, que l’on trouvera surtout dans les bas-fonds ou dans des régions méridionales, quoique assez rarement en quantité significative, mais principalement par les produits des ligneux (terme désignant généralement les arbres et arbustes pour les agrostologues), fruits et feuilles, tombées à terre, ou broutées sur l’arbre, ou encore mis à disposition par élagage ou gaulage. Besoins alimentaires journaliers des bovins en région tropicale, pour une UBT, soit un bovin de 250 kg (source : divers documents IEMVT)

Eau : 3 litres par Kg/MS ingérée MS : 6,25 Kg Vit A : 0,1 grm soit 100 mg Phosphore : 7,5 grm MAD : 60 gr par 100 Kg de PV (poids vif). (Augmentation de 60 gm de MAD par litre de lait produit)

La survie des ruminants durant 7 mois de saison sèche ne pourrait en aucun cas être basée exclusivement sur les stocks de paille sèche du tapis herbacé. Une UBT devrait consommer

en saison sèche en moyenne 2 kg de MS issus des ligneux, par jour, sur une ration de 6,25 Kg, pour assurer ses besoins en MAD15 . A gauche, Balanites aegyptiaca et repousses intensives par les racines. Arbre fourrager par excellence. 10 à 15 ligneux par hectares, peuvent fournir environ 50 kg de matière sèche MS accessible, de bonne qualité. Or, la nature faisant bien les choses, les arbres et arbustes des zones pastorales du Sahel ont souvent des

rythmes phénologiques « décalés » par rapport à ceux du tapis herbacé et leurs fourrages sont disponibles justement durant la saison sèche, ce qui rend leur apport d’autant plus précieux. L’ annexe 7.4. contient un tableau issu des chiffres de valeur fourragère de Hubert Gillet, et permet de mesurer à quel point les espèces ligneuses les plus courantes sont essentielles au

15 Notions d’agrostologie et d’aménagement sylvo-pastoral. Rép du Niger, MAE, institut pratique de développement rural Kollo, spécialité Eaux et Forêt, Francis Tasse, septembre 1987.

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cycle fourrager en complément à la paille sèche, par la consommation des feuilles et des fruits ou gousses. Mais il faut souligner que cette dépendance du bétail au peuplement arboré n’est pas à sens unique et que l’on constate un phénomène de relation d’interdépendance entre troupeaux et peuplements arborés.

Il faut savoir qu’en l’absence de « traitements naturels » à travers l’appareil digestif des ruminants, les graines des espèces courantes utilisées en pépinière par exemple doivent être soit cuites dans l’eau bouillante, soit traitées à l’acide, soit scarifiées par des méthodes assez brutales et dont l'équivalence est improbable en milieu naturel sans intervention humaine. A gauche, jeunes feuilles et fleurs d’Acacia Erhenbergiana. Cette espèce est un bel exemple de la relation d’interdépendance

entre cheptel et peuplement arboré. Naturellement, la dissémination des semences par les animaux et plus encore la levée de dormance des graines amorcée par les sucs gastriques des ruminants sont les conditions de l’existence de l’arbre dans les savanes du Sahel, et la disponibilité des éléments nutritifs des gousses et feuilles des arbres conditionnent l’existence des troupeaux de ruminants.

Sur cette image, l’espèce Maerua crassifolia contribue à la fourniture de MAD et éléments essentiels en saison sèche dans cette savane arbustive. On remarque la forme particulière des arbustes qui sont intensément broutés et garderont cet aspect toute leur vie.

2.1.2.5. Adaptation du cheptel aux conditions climatiques. Dans les zones arides et semi arides du Sahel, les plantes se sont adaptées à la rudesse du climat en développant des mécanismes complexes de survie. Développement racinaire important et profond, capacité de limiter l'évaporation de l'eau, système de germination étalée par levées en cohortes, dissémination maximum des semences, dormance longue des graines, etc……

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Le cheptel des ruminants domestique actuel est lui aussi le fruit d'une adaptation particulièrement remarquable. 4 espèces se côtoient, bovins, ovins, caprins et camelins. Toutes fournissent aux pasteurs des protéines lactées et carnées, et sont l'objet de ventes sur pied dans les marchés locaux ou à l'exportation. Leur proportion ou présence dans les troupeaux varient selon les ethnies et les latitudes, ainsi que leur fonction dans l'équilibre du troupeau familial.

• Les camelins sont particulièrement adaptés aux conditions sahariennes par leur capacité à se passer d'abreuvement durant plusieurs semaines s'il le faut et à consommer des plantes dures, voir des branches d'épineux. Ils ont particulièrement développé au cours de leur évolution, la capacité de stocker les graisses et de les mobiliser en cas de besoin énergétique non couvert par le fourrage. Leur lait est très apprécié.

• Les caprins sont prolifiques et très résistants, mais leur particularité tient surtout au

fait qu'ils peuvent se nourrir à 70 % de feuillage et fruits des arbres, voir exclusivement durant un temps. Or, ces fourrages sont fréquemment disponibles même en période de mauvaise pousse des pâturages herbacés, ce qui donne aux caprins un rôle particulier pour assurer la survie minimum des pasteurs en cas de sécheresse. Les caprins sont la principale espèce autoconsommée par les pasteurs en raison de leur multiplication rapide et de leur faible prix de revient sur les marchés. Le lait des caprins est apprécié par certaines ethnies seulement.

• Les ovins à poils ras du Sahel sont prolifiques et représentent un bon rapport de

rentabilité sur les marchés, notamment en raison d'un attrait suscité par la religion musulmane. Leur lait est consommé dans les régions sahariennes principalement. Leur élevage est relativement difficile car ils sont exigeants sur le plan alimentaire. Ils ne peuvent consommer les produits ligneux à plus de 30% de leur ration quotidienne et les fourrages herbacés doivent être fins et tendres pour qu'ils puissent les consommer. Les ovins sont fréquemment les premiers à souffrir de la sécheresse.

• Les bovins représentent la plus grande part en UBT du cheptel des pays sahéliens. Les

races actuelles descendent depuis le 14 ème siècle d'une race de zébu dont l'origine se situe vers l'Afghanistan. Ce zébu aurait supplanté progressivement la race taurine originaire d'Egypte et appelée Hamitique16. Les zébus sahéliens représentent la plus grande part du bétail exporté. Le lait des bovins est consommé par tous les groupes ethniques et se vend également sous différentes formes dans les marchés locaux et en ville, voir également sous forme industrielle. Les bovins comme les ovins ne peuvent consommer plus de 30 % de leur ration en produits ligneux en raison de la teneur en tanins de ces fourrages. Par contre, ils se contentent de fourrages assez grossiers et leur adaptation leur permet d'assimiler des pailles dures. Comme le dromadaire, ils ont la capacité de stocker les graisses dans une bosse située sur le garrot. Mais leur principale adaptation réside dans leur capacité à mettre leur organisme en semi somnolence durant la saison sèche chaude, avec une dépense d'énergie et production

16 Des descendants de cette race hamitique subsistent dans des zones localisées, Guinée, et Lac Tchad dont la race actuelle Kouri est sans doute la plus proche. Les taurins résistent mieux à la Trypanosomiase et cette particularité leur a permis de ne pas disparaître au profit des zébus dans les régions à forte infestation.

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laitière la plus réduite possible et l'arrêt des processus de croissance au moment où les ressources fourragères sont rares et de mauvaise qualité. La mobilisation des graisses situées dans la bosse intervient alors. Dès le retour de bonnes conditions fourragères, cet état de dormance fait place à un phénomène inverse appelé "croissance compensatrice" au cours duquel l'assimilation des fourrages est maximum pour soutenir une croissance accélérée et une reconstitution physique rapide.

Différentes strates de production fourragère sont exploitées dans un même milieu par les 4 espèces. L'exploitation d'un milieu donné est donc maximum pour une famille de pasteurs qui dispose des 4 espèces. Cette diversification à également un coût de main d'œuvre qui doit être en rapport avec les revenus dégagés par le cheptel17.

Les bovins ont besoin de fourrage herbacé, même grossier pour s’alimenter. Les dromadaires peuvent se nourrir quasiment exclusivement sur les partie élevées des arbustes, qui seraient inaccessibles aux caprins. _________________________________________________________________________

2.1.2.6. Contexte social de base. Les populations de pasteurs actuelles sont sans doute issues de populations plus anciennes pratiquant l'élevage au néolithique dans les zones sahariennes. De nombreuses migrations, des probables métissages, des fluctuations dans leurs modes d'exploitation entre vie sédentaire et mobile, des guerres, font que de retracer leur origine reste incertain. Une origine située dans l'Egypte antique est parfois avancée pour les Peuls18. On distinguera au Sud du Sahara 5 groupes ethniques distincts tous attachés à l'ensemble arabo-berbère.

o Peuls o Touaregs o Arabes o Toubous o Maures

Dans leur morphologie, elles se distinguent généralement des populations négro-africaines par la finesse des traits du visage et une couleur de peau plus claire, ce qui contribue à accréditer une différence d'origine très lointaine dans le temps et l'espace. Au néolithique déjà, cette

17 Voir dans le cadre de référence technique, le chapitre consacré aux seuils de viabilité des économies familiales. 18 Cheik Anta Diop et Amadou Hampâté Bâ y font allusions dans leurs œuvres littéraires.

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différence morphologique a été mise en évidence par l'archéologie19 qui a pu distinguer sur la base des arts rupestres, des sépultures des débris divers, des cultures très différentes cohabitant durant les deux périodes dites " nigéro-tchadienne" entre 11000 et 6000 ans BP (before present, notion d'usage courant en archéologie) et "petit Sahara", soit 6000 et 4500 BP.

A gauche, cette gravure située sur une paroi rocheuse au Nord de In-Gall montre un bovin de race hamitique, donc sans bosse, de la culture bovidienne. A droite, cette photographie de l’archéologue F.Paris prise dans la même zone, démontre à quel point les bovins sont partie intégrante de la culture dite « bovidienne », puisque un taureau a été sacrifié dans la tombe de cet homme au néolithique. Dans le courant du dernier millénaire, les peuples pasteurs ont été les propagateurs de la religion musulmane au Sud du Sahara et les grands Empires basaient leur Lois et société sur l'Islam avec une vocation de conquête, de pacification et d'Islamisation affirmée. Ces populations évoluent dans un environnement social diversifié et dynamique. Elles sont depuis longtemps au contact de populations purement négro-africaine, culturellement très différente et pratiquant en premier lieu l'agriculture comme mode d'utilisation des ressources naturelles Elles ont développé avec ces dernières une complémentarité très étroite et enrichissante basée sur la distinction des productions et des besoins. A titre d'exemple, on ne peut imaginer le système pastoral sahélien fonctionnant en vase clos sans possibilité d'échange permettant d'acquérir des céréales. Les populations pastorales n'ayant pas développé de liens étroits et relativement pacifiques avec les populations agricoles dans les siècles passés, ont dû avoir recours à des captifs principalement affectés aux travaux agricoles pour diversifier leurs sources de production (Maures et Touaregs surtout, Peuls dans une moindre mesure). Toutefois, les populations pastorales pratiquent aussi, parfois et à des degrés divers, différentes formes d'agriculture. Les populations agricoles pratiquent aussi l'élevage. Existe-t-il une différence profonde entre l'agriculteur possédant du bétail et le pasteur qui cultive ? Même si l'on tend actuellement à minimiser ces différences afin d'atténuer des inégalités sur le terrain ou de désamorcer des occasions de conflits, nous pensons que la 19 Ces différenciations morphologiques sont notamment mise en évidence par Malika Hachid, du Centre national de recherches préhistoriques anthropologiques et historiques d'Alger ( CNRPAH) à travers ces recherches des 20 dernières années dont Science et Avenir propose une présentation dans son numéro d'Août 2005.

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différence est très marquée. Le passage à l'agro-pastoralisme pour le pasteur est en général un choix de survie. Soit le cheptel est trop réduit pour dégager des marges de revenu suffisante à faire la famille ou la tribu pour l'achat des céréales, soit des facteurs politiques, climatiques ou sociaux contraignent pour un temps (ou durablement) à développer une stratégie de stabilité, occupation d'espace et marquage de territoire dont la culture extensive sera l'expression en raison des paramètres courant d'appréciation dans les Etats concernés. Certaines populations pastorales se sont installées dans un mode de civilisation agro-pastoral depuis plusieurs siècles20, d'autres ne l'ont fait ou ne le font que conjoncturellement et de manière peu significative sur le plan de la couverture des besoins alimentaire. A l'inverse, lorsque le milieu agricole développe un élevage de ruminants important, il s'agit d'accumulation de richesse et de diversification de revenu permise par une certaine aisance. La sédentarité reste la règle dans ce cas, et le recours aux populations de pasteurs est systématique pour assurer la mobilité du cheptel (des exemples existent au Tchad, toutefois, de populations d’origine purement agricole, devenues pastorale et très mobile, sans habitat fixe). Le principe même de cette distinction entre pasteurs mobiles et agriculteurs sédentaires, basé sur une réalité historique qui remonte au néolithique, a été, et reste encore, au centre de débats sans fins sur les plans politiques, administratifs, fonciers, juridiques, dans tous les pays sahéliens. Au Niger, la problématique "nomade" dans le plan de décentralisation reste encore un point d'ombre et différentes études21 se succèdent pour trouver des solutions pratiques satisfaisantes. Cette différence a pu être tour à tour niée, exagérée, utilisée, par les Etats et les bailleurs de fonds pour justifier des divisions de traitement, des inégalités sociales, ou au contraire pour envisager des solutions de développement adaptées et cohérentes. A la recherche de solutions pour intégrer cette différence, les Etats sahéliens tentent actuellement de mettre en place des systèmes adaptés à travers de nouveaux textes régissant l'accès aux ressources naturelles, la tenure foncière et la décentralisation. Ces transformations se font dans la douleur, sur fonds de malentendus historiques, d'incompréhensions mutuelles, de divisions entre pasteurs eux-mêmes et de récupération opportunistes par les nantis. __________________________________________________________________________

2.1.2.7. Contexte économique.

2.1.2.7.1. Importance économique du pastoralisme dans la satisfaction des besoins de base.

Présenter l'importance numérique des populations de pasteurs dans les pays subsahariens permet de replacer rapidement la dimension économique et sociale de l'élevage pastoral. Dans les chiffres ci-dessous qui datent de 1992, on parle bien des populations de PASTEURS, donc qui tirent leurs revenus en priorité d'un élevage mobile et non des populations d'ethnie d'origine et de culture pastorales. Si c'était le cas, on obtiendrait un chiffre supérieur à 50% au Niger et de quasiment 100% en Mauritanie.

20 L'Empire Peul du Macina ou celui de Sokoto par exemple. 21 Notamment toutes les études liées à la création et relecture des textes de loi foncières et à la décentralisation

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Population pastorale en Afrique sub-saharienne. Source : NOPA, 1992 Pays Population en

millions Population de pasteurs en millions

% du total

Burkina-faso 9 0.5 6 Tchad 5 1 20 Ethiopie 49,2 5 15 Kenya 24 3,5 15 Mali 9,2 1 11 Mauritanie 2 0,3 15 Niger 7,7 1 13 Sénégal 7,3 1 13 Somalie 7,5 4,5 60 Soudan 25,2 3,5 14

TOTAUX 146,1 21,3 18,2 Dans les pays intéressés par l'étude soit globalement ceux du Sahel ouest africain, le pourcentage de population vivant du pastoralisme se situe autour des 13 à 15 %. Ce n'est donc pas anecdotique, comme on le croit trop souvent et ce n'est pas une relique des temps anciens. Cette activité qui valorise plus de 50% des territoires nationaux de ces pays représente bel et bien une importance économique majeure, ne serait-ce que parce que 15% de la population nationale dispose d'un moyen de revenu et de la couverture de ses besoins vitaux par la maîtrise d'une activité hautement spécialisée et qui est le fruit d'une adaptation millénaire à un environnement particulièrement difficile.

2.1.2.7.2. Importance de l'élevage dans les économies nationales. Il est courant d'argumenter l'importance de l'élevage sahélien à l'aide des chiffres d'exportation et de pourcentage du P.I.B. Ces chiffres sont disponibles ici pour le Niger dans le tableau ci-dessous. Toutefois, nous en relativiserons l'utilité, car une grande part des exportations de bétail sur pied (le bétail sur pied représente l'essentiel des exportations de l'élevage) n'est pas comptabilisée, étant le fait de filières informelles. Autre limite des statistiques économiques, elles ne tiennent pas compte de l'autoconsommation des pasteurs eux mêmes et la consommation intérieure du pays est sous estimée par insuffisance de moyens de collectes des données. Autre biais important, ces chiffres ne permettent pas de distinguer entre l'activité pastorale elle-même et l'ensemble des produits de l'élevage qui comprennent également l'élevage en zone sédentaire et l'aviculture. Malgré tout, le chiffre de 26 milliards de fr CFA soit 23 % des exportations nationales en 2003, est sans doute imputable à plus de 80% à l'activité pastorale et permet de mesurer la place du pastoralisme dans l'économie, en sus de sa capacité à faire vivre directement un million de personnes. Quand à la place de l'élevage dans le P.I.B. du Niger, elle représentait 11% en 200322.

22 Etude de faisabilité du projet d'appui à l'élevage dans le département de Zinder. CAMEL - Bestconsult. 2005

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Proportion des exportations de produits de l'élevage au Niger23. Année Valeur exportations Valeur exportations produits nationales (x 1.000 cfa) de l’élevage (x 1.000 CFA) 1999 110 018 000 20 133 000 soit 18,3% 2000 139 362 000 37 887 000 soit 27,3% 2001 119 042 000 32 441 000 soit 27,3% 2002 117 535 000 27 378 000 soit 23,3% 2003 116 054 000 26 701 000 soit 23,0%

2.1.2.7.3. Rôle économique de l'élevage pastoral dans les régions.

Si l'importance économique de l'élevage pour les familles de pasteurs et pour les Etats semble évidente et repose sur des chiffres sans doute imparfaits mais disponibles, le rôle primaire du pastoralisme dans les régions "à vocation pastorale" des pays du Sahel est plus difficile à mettre en évidence. Il faut pour cela se reposer davantage sur l'observation que sur la disponibilité de chiffres qui sont, dans ce cas, peu explicites. Dans toute la zone Nord du Niger, soit au Nord de la limite de l'hisoyète 350 mm, les pasteurs "actifs", c'est-à-dire vivant de l'élevage en mobilité, représentent sans doute plus de 50 % de la population totale. On peut soustraire des 50% restants une très faible part de population vivant des jardins irrigués, du tourisme ou d'emplois dans l'appareil de l'Etat que nous estimerons globalement à 10 %. Les 40% restants en fin de calcul vivent indirectement de l'élevage pastoral. Il s'agit des commerçants en bétail et de leurs intermédiaires, des forgerons et artisans, des commerçants en tout genre qui alimentent les marchés locaux en céréales et biens de consommation, des puisatiers, des bouchers, etc… Le système d'élevage familial est ainsi le point de départ de toute une chaîne d'activité économique qui permet le peuplement de régions arides et semi-arides où l'agriculture ne peut être que très marginale. Il faut également considérer que la population pastorale ne produit pas les céréales qu'elle consomme. La part du marché intérieur24 des céréales par les pasteurs et les populations qui vivent indirectement du pastoralisme doit se situer, et ce n’est qu’une estimation personnelle, entre 20 et 30 % du total des céréales commercialisées.

23 Projet de promotion des exportations agro-pastorales. Ministère du Développement Agricole. Niger. Mars 2005. 24 Cet aspect semble n'avoir pas été détaillé jusqu'ici.

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3.3.3.3. Description analytique et profil Description analytique et profil Description analytique et profil Description analytique et profil

historique des politiques de historique des politiques de historique des politiques de historique des politiques de

développement pastoral. développement pastoral. développement pastoral. développement pastoral.

3.1. PERIODE COLONIALE. 25 Genèse de malentendus historiques, de la domination de "l'idéologie technico-économique" et de la prédominance d'une vision purement vétérinaire de l'élevage au Sahel, alors que la composante administrative se révèle souvent plus proche des éleveurs.

3.1.1. CHRONOLOGIE GENERALE ET DESCRIPTION BREVE.

Les origines des politiques de développement de l'élevage dans les territoires français de l'Afrique sous la colonisation, sont intimement lié à l'histoire de l'Ecole Nationale Vétérinaire d' Alfort. En 1774, moins de dix années après sa création, son directeur et fondateur, BOURGELAT, fut sollicité pour fournir quelques élèves vétérinaires pour Saint-Domingue et la Guadeloupe, où sévissait depuis 1772 une épizootie catastrophique. Il s’ensuivit l’organisation, à Alfort, d’un Service colonial pour les élèves appelés à exercer leur art outre-mer à partir de 1781. Le premier vétérinaire envoyé aux colonies fut BEAUVAIS, qui partit dès 1771 pour l’île de France et l’île de Bourbon. En Afrique, la première mission d’un vétérinaire français fut celle qu’effectua HUZARD fils au Sénégal, en 1819, avec l’ordre «d’effectuer des recherches sur les races de chevaux et de bêtes de somme qui pourraient être introduites en France, ainsi qu’aux Antilles et à la Guyane, avec avantage ». Cette recherche resta sans suite. Ce n'est qu'à partir de 1890 que commença réellement à s'éveiller un intérêt pour l'élevage en AOF quand quelques vétérinaires militaires de l'escadron de Spahis Sénégalais s'intéressèrent au bétail local. Ils publièrent les premiers documents traitant des races locales, des pathologies et des méthodes d'élevage et montrèrent le parti qu'on pouvait en tirer. L'élevage commençait alors à susciter de l'intérêt chez les administrateurs coloniaux en tant que source d'alimentation pour les armées et pour les populations. A cette époque, l'insuffisance de protéines animale dans l'alimentation des populations indigènes est identifiée comme un facteur limitant important du développement rural, industriel et économique. On n'oubliera pas qu'à cette époque, les efforts portaient sur la démographie des populations, car on envisageait à long terme des besoins de main d'œuvre importants dans les mines, les plantations et les cultures d'exportation vers la métropole. En outre, jusqu'à la seconde guerre mondiale, on imaginait que les colonies devraient un jour exporter viande et produits laitiers vers la métropole (Dans les années trente, un projet de chemin de fer transsaharien fût même

25 Notre source principale pour ce point 3.1.1. traitant de l'époque coloniale sera Etienne Landais et son article de 1990 dans les Cahiers des Sciences Humaines, N° 26, tant cette étude est complète et bien illustrée d’exemples et de références. Nous ne mentionnerons donc que les références différentes.

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discuté très sérieusement avec pour objectif de ravitailler la France et le Maghreb en produits animaux venant des pays sahéliens). Ce n’est cependant qu’en décembre 1904 et dans le but de coordonner les efforts entrepris dans les différentes colonies, que le Gouverneur Général ROUME créait le “ Service Zootechnique et des Epizooties “. D’abord composé d’un très petit nombre de techniciens, tous militaires, ce Service se renforçait peu à peu en recrutant des vétérinaires civils lesquels, effectuant toute leur carrière en A.O.F., allaient conférer à l’action engagée la continuité indispensable. Toutefois, les effectifs en service et les moyens financiers restèrent longtemps trop réduits pour que des résultats importants puissent être obtenus. On doit à cette époque l’organisation du contrôle des mouvements commerciaux et de l’exportation du bétail, l’inspection des abattoirs et des marchés, ainsi que les premières études précises sur les maladies parasitaires et microbiennes du cheptel26. Dans la foulée des expériences emmagasinées par ce début d'organisation et de collecte de données, on se rendit compte qu'une spécialisation préalable allait s'avérer nécessaire. Un enseignement postscolaire de médecine exotique fut mis en place à l’école d’Alfort en 1920 pour répondre à ce besoin. Deux ans plus tard, il prenait le nom d’Institut de Médecine Vétérinaire Exotique. En 1924, on créait à Bamako la première école vétérinaire africaine et du personnel auxiliaire était formé dans chaque territoire. En 1948, l’Institut de Médecine Vétérinaire Exotique prend sa dénomination d'Institut d'Elevage et de Médecine Vétérinaire des Pays Tropicaux (IEMVT) , qu'elle conservera jusqu'à très récemment. Sa vocation s'élargit au-delà de la pure médecine vétérinaire en intégrant les "techniques de l'élevage et de l'exploitation de ses produits". L’année 1948 voit aussi la transformation des Services zootechniques et des épizooties d’AOF en Services de l’élevage et des industries animales27, dont les attributions et les règles de fonctionnement seront précisées par décret le 26 décembre 1950. Les effectifs furent renforcés grâce à des crédits plus importants et en 1955, le service de l'élevage de l'AOF disposait de 98 vétérinaires africains, de 25 contrôleurs de colonisation, de 29 assistants d’élevage et de 720 infirmiers vétérinaires. En quelques années (1949-1954) furent édifiés le laboratoire de Dakar Hann, Centre fédéral pour les recherches en pathologie animale en AOF, celui de Farcha (Fort-Lamy) pour l’AEF, et celui de Tananarive pour Madagascar. Chacun de ces centres s’appuyait sur un réseau de laboratoires territoriaux, situés par exemple, pour l’AOF, à Saint-Louis, Bamako, Niamey et Ouagadougou. De nombreux postes vétérinaires (les Centres d’immunisation et de traitement), dotés d’équipes mobiles, complétaient le dispositif. Un important réseau d’établissements expérimentaux et de fermes d’élevage avait pour mission d’appliquer et de vulgariser les résultats acquis par les Centres fédéraux, et d’effectuer les essais d’intérêt local. Chaque territoire d’AOF, à l’exception de la Mauritanie, disposait ainsi d’un tel établissement en 1955 : Dahra au Sénégal, Nioro-du-Sahel au Soudan (Mali), Filingué-Toukounouss au Niger créé déjà en 1931, Banankélédaga en Haute-Volta, Korhogo en Côte d’ivoire, Ditinn en Guinée, Panakou-Okpara au Dahomey. L'objectif principal de cette organisation fût, dès la découverte du vaccin antibovipestique en 1926, l'éradication de la peste bovine identifiée à l'époque comme la principale contrainte sanitaire à la productivité de l'élevage de la colonie et à sa rentabilité. Ce n'est toutefois qu'à partir de l'adaptation du vaccin aux cultures cellulaires en 1953 que la prophylaxie de masse

26 Feunteun, 1955, cité par E.Landais 1990. 27 Cette dénomination a perduré au Niger dans les appellations officielles des Ministères jusqu'en l'an 2000, véhiculant avec elle la survivance de visions archaïques de la profession vétérinaire en Afrique.

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pût réellement commencer à grande échelle et porter ses fruits. Les vaccinations des troupeaux devinrent alors obligatoires et systématiques et l'efficacité de cette vaccination de masse a eu pour conséquence un important accroissement numérique du cheptel. Cette politique vaccinale s'est ensuite étendue à la péripneumonie contagieuse bovine (PPCB) selon les régions et les zones d'endémie. La vaccination de masse et l'éradication totale28 de la Peste Bovine reste l'action la plus spectaculaire et la plus visible de la profession vétérinaire en Afrique subsaharienne29. Le ligne de politique d'intervention des services de l'élevage ainsi que l'objectif premier de tout le réseau de laboratoires nationaux et des instituts de recherche créés en AOF et AEF sont centrés sur la prévention, la prophylaxie. La vaccination de masse contre plusieurs endémies, l'élévation globale du niveau de santé et de production du cheptel colonial sont les objectifs de chaque intervenant sur le terrain. L'unité pathologique de base n'est pas l'animal individuel, mais le troupeau. Le vétérinaire colonial, ni d'ailleurs ses auxiliaires, ne sont des médecins de l'animal. Leur priorité absolue est la lutte sanitaire qui va du troupeau au cheptel national. A l'époque, l'idée "d'Unité Pathologique du Troupeau" est nouvelle. Cette idée a déterminé bien des stratégies de conduite de troupeau et de prophylaxie également en Europe et reste d'actualité comme un principe de base aujourd'hui largement accepté. Au-delà de la prophylaxie, la chaîne de commercialisation a bénéficié également d'attention avec l'introduction des principes élémentaire de santé publique avec l'inspection vétérinaire des carcasses dans les abattoirs des centres urbains, puis avec la construction d'abattoirs. Plus d'un demi siècle plus tard, cette ligne reste celle des Ministères en charge de l'élevage au Niger et dans la plupart des pays du Sahel. On remarquera que durant toute cette période, l'éleveur, le pasteur, ou selon l'appellation de l'époque "l'indigène", semble absent du débat et des préoccupations des vétérinaires. Lorsqu'il est mentionné, c'est en général avec un arrière fond de regrets, que le cheptel doive être entretenu et détenu par des populations irrationnelles et qui ne viseraient pas à intégrer cette richesse dans l'économie. Les pasteurs indigènes sont en générale mentionnés pour faire référence à leurs résistances au changement et comme une contrainte pour mettre en application des politiques sur le terrain. Ceci sera encore compliqué par l'usage politique d'une discrimination administrative entre "nomades" et "sédentaires" de la part de l'administration coloniale et nous en ferons la genèse plus loin. Entre une anthropologie caricaturale peu présente, teintée de la mission civilisatrice coloniale et une science vétérinaire centrée sur la prophylaxie et des rêves d'exportation, l'émergence d'une réelle compréhension du système pastoral tarde à se faire. L'illusion d'un profit économique possible pour la colonie et la volonté de justifier la domination coloniale ont retardé de près d'un siècle la possibilité de voir émerger une politique cohérente qui aborde la question pastorale avec une vision large et réaliste.

28 Les programmes "peste bovine" internationaux actuels se contentent de gérer des stocks de vaccins non utilisés et de surveiller l'éventuelle réapparition de cette endémie. Seuls des foyers limités subsistent en Afrique centrale et de l'Est dans des zones inaccessibles à la vaccination pour cause d'insécurité ou de guerre. 29 Quasi-anéantissement du cheptel bovin ouest-africain par les épizooties majeures de peste bovine qui frappèrent en 1828, 1866, de 1891 à 1893 du Tchad et au Soudan, de 1915 à 1917 puis de 1918 à 1922 du Niger au Sénégal (GALLAIS, 1972), et encore en 1955-56 au Sénégal et en Mauritanie.

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3.1.2. PREDOMINANCE D'UNE VISION PUREMENT

VETERINAIRE DE L'ELEVAGE AU SAHEL. Depuis la création de l'Ecole vétérinaire à Alfort en 1765, l'élevage et tout ce qui avait affaire de près ou de loin à l'animal domestique concernait uniquement le vétérinaire, homme de l'art, dont les connaissances couvrait tous les aspects de la santé, de la multiplication et de l'exploitation des animaux. Personne ne remettait en cause cette hégémonie scientifique du vétérinaire envers le monde animal, d'autant que la participation des vétérinaire à l'épopée pastorienne a encore accru leur aura scientifique dans le public. Après la Première Guerre mondiale, les vétérinaires ont de plus en plus de mal à faire face, en matière de zootechnie, à la concurrence des agronomes. La défense de leur compétence universelle et exclusive en matière d’élevage, puis de leur simple prééminence, représente un enjeu essentiel pour la profession durant l’entre-deux-guerres. La situation bascule dans la décennie 1945-1955, sous l’influence d’A.-M. LEROY, professeur à l’Institut national agronomique de Paris, véritable père de la zootechnie moderne. La zootechnie ramifie ses champs de compétence sous l'influence des recherches scientifiques. L'alimentation animale est intimement liée désormais à la production fourragère et à l'industrie de transformation industrielle des fourrages. Les paramètres zootechniques de production se lient toujours davantage à l'économie rurale, à l'organisation de la main d'œuvre, à la mécanisation et aux marchés, faisant des questions de santé animale et de reproduction, des facteurs parmi d'autres. Campée sur des positions défensives, la profession vétérinaire reste majoritairement à l’écart de cette nouvelle révolution scientifique, qui est amplifiée par la création, en 1946, de l’Institut National de la Recherche Agronomique, INRA, dont les «agros» constituent l’essentiel des cadres, et auquel la recherche vétérinaire ne sera rattachée qu’en 1960. Le domaine d’influence de la profession vétérinaire se trouve ainsi progressivement réduit à celui de la pathologie et de la physiologie animale. La période 1920-1960 a donc été marquée, en France, par le recul de l’emprise de la profession sur les institutions chargées de la recherche, de l’enseignement et du développement dans le domaine de l’élevage30. En Afrique, les réussites de la profession vétérinaire et l'ancienneté de sa présence sur le continent permit aux vétérinaire de conserver leur monopole et la place laissée aux agronomes fût limitées aux expérimentations dans l'association agriculture élevage ou les productions fourragères. Les vétérinaires défendirent ainsi leur hégémonie avec efficacité puisqu'ils transmirent le flambeau intact à leurs successeurs africains aux indépendances. Ainsi, le crédo de la profession en Afrique repose encore aujourd'hui, essentiellement sur les pathologies et la prophylaxie. Cette défense de la profession est même toujours très âpre au Niger, comme en témoigne l'étonnante résistance des services de l'élevage à toute ouverture pour former les éleveurs eux-mêmes à l'usage des produits d'usage courant ou à la vaccination, comme si la maîtrise de la filière de commercialisation de ces produits restait la seule condition de survie de leur profession.

30 Cette description sévère pour la profession vétérinaire est issue de Etienne Landais et son article de 1990 dans les Cahiers des Sciences Humaines, N° 26

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3.1.3. ORIENTATIONS STRATEGIQUES ET RECHERCHES.

3.1.3.1. Trois postulats fondateurs31 . Autour du rayonnement dominant de la vision économique d'un élevage colonial qui puisse, sinon alimenter la France, tout au moins nourrir en protéines une population qu'on cherche à augmenter pour bénéficier de main d'œuvre et dégager des revenus, trois constats sont établis durant le début la période coloniale pour générer des angles de recherches spécifiques en satellites de l'objectif économique.

1. Le cheptel local serait peu productif en comparaison avec les races de ruminants européennes. Il devrait être possible de faire profiter les colonies de l'avancée de la recherche zootechnique en augmentant la production laitière et le poids des animaux de boucherie. La seule augmentation numérique permise par la prophylaxie verrait son impact économique démultiplié par une plus grande productivité du cheptel.

2. Le cheptel utiliserait sans gestion apparente de très vastes espaces. Or on sait

qu'en Europe, ou mieux en Argentine et en Australie sur des espaces semi-arides, une gestion plus technique des pâturages à l'intérieur de clôtures a permit d'entretenir plus de cheptel sur les mêmes surfaces et avec un meilleur résultat des paramètres de production. On doit donc penser que l'augmentation numérique du cheptel devra s'accompagner de techniques modernes de gestion des espaces pâturables. La pratique de la transhumance est vue comme un frein sérieux à tout développement sur le plan social.

3. Les éleveurs resteraient figés dans des pratiques archaïques de subsistance et

semblent accumuler sans aucun profit, un important cheptel tout en vivant pauvrement. Le bétail des colonies serait donc une richesse sous-exploitée. Il convient d'intégrer l'élevage dans une véritable économie de marché et d'amener les éleveurs à mettre en vente un cheptel qu'on suppose pléthorique.

Ces trois constats, fondateurs de la recherche en matière d'élevage au Sahel, pêchent par insuffisance d'études objectives et se basent sur des postulats non vérifiés qui se révèleront en grande partie insuffisamment fondés sur le plan scientifique et technique pour constituer des objectifs réalistes. Cette remise en question ne pu se faire que vers la vers la fin du 20 ème siècle à la suite d'études sérieuses et de publications courageuses. Ils engagèrent pourtant trois axes de recherche majeurs, orientèrent les politiques de développement de la période post-coloniale et firent engager des sommes colossales durant plus 50 ans pour la recherche, l'expérimentation, la vulgarisation et la diffusion. Pour la suite de l'étude, il nous semble important de résumer les débuts de ces recherches et de montrer également que parmi les scientifiques de l'époque coloniale, parmi les vétérinaires et les administrateurs militaires, des voix s'étaient élevées sans succès pour mettre en doute la pertinence de certaines recherches et expérimentations. Il reste que ces trois postulats ont engagé des décennies de gaspillage de ressources dans des recherches sans application ou des expériences sans lendemain. Aujourd'hui encore, les survivances de ces croyances reviennent comme des lames de fonds dans le paysage du

31 Ces trois constats sont notre interprétation personnelle.

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développement, engagent des recherches et des projets pilotes, mais surtout, rendent très complexe un débat fécond, ce qui est le plus dommageable. On y reviendra.

3.1.3.2. De l'amélioration du cheptel local. Des illusions aux remises en causes.

Il est délicat de décrire l'historique des expériences sur ce sujet, alors que strictement aucune, nous disons bien aucune, application pratique utile ou quelconque amélioration n'est issue de cette recherche, ce qui n'empêche pas les bailleurs de continuer à financer ponctuellement des recherches et des expérimentations le plus souvent proposée par des scientifiques recherchant des occasions de publication et des crédits. Nous serons évidemment très critique sur ce point. Les quelques résultats avancés ne sont que des leurres, et ne servent qu'à camoufler un des échecs les plus cuisants de l'histoire du développement de l'élevage en Afrique de l'Ouest. Cette description ne pourrait être, et il faut s'en excuser, qu'une succession d'échecs, imputables à la profession vétérinaire, mais surtout sa branche " tropicale et africaine". Car si les premières tentatives peuvent être prises comme des expériences pionnières qu'il fallait tenter, il n'en est rien de celles qui se sont succédées sans interruptions, ni remises en cause, durant près d'un siècle, malgré les signaux forts venus du milieu, malgré les réticences internes du milieu scientifique colonial lui-même et malgré des réorientations de politiques qui sont restées parsemées d’exceptions. Nous n’en mentionnerons donc que quelques unes. Au point 2.1.1.2.5. "Adaptation des ruminants aux conditions climatiques", nous avons esquissé la manière dont les différentes espèces caprines, ovines, camelines et bovines, ont développé une adaptation très spécifique à leur milieu en fonction de contraintes climatiques très dures. Or, si le premier vétérinaire français en mission en Afrique en 1819 avait pour objectif de dénicher des bêtes de somme qui seraient meilleures que les races européennes, la plupart de ses successeurs s'attachèrent plutôt durant plus de 140 années à ne pas voir le potentiel des races locales ou leur admirable adaptation et à imaginer toute sorte d'infusions de sang amélioré, de croisements potentiellement miraculeux, qui permettraient de produire davantage à partir des mêmes conditions climatiques. La seule contrainte qui semble observée est celle de la résistance psychologique des indigènes au changement (!). Quelques expériences de ce type démarrent dès 1904 avec la création des services zootechniques en AOF et un pic important se situe entre 1920 et 1940, époque à laquelle toutes les stations du Sénégal au Tchad se concentrent sur cette recherche. Un programme a connu une dimension extraordinaire dans ces stations de recherche durant plus de 20 ans, de la Mauritanie au Tchad avec l'infusion dans les races ovines locales, de sang Karakul, race laineuse noire originaire d’Europe de l’Est (Roumanie notamment) dont les peaux de fœtus constituaient le fameux « Astrakan ». L'objectif premier du programme était de produire de la laine et des fourrures de fœtus et concerna plus d’un million de têtes entre les différentes stations. A la station de Filingué au Niger, les rapports des vétérinaires Tanière et Bouche en 1950, indiquent que les métis produits supportent bien le climat. L'échec de la diffusion de la race dans le milieu indigène est expliqué par le fait que les moutons noirs

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seraient considérés comme "maudits" par les indigènes et que le "cram-cram"32 rendait la laine quasiment irrécupérable. Les auteurs concluent tout de même que l'élevage des karakuls est possible à Filingué. En 1948, un autre vétérinaire ( Lalanne) écrivait que la vulgarisation était un "lamentable échec" pour deux raisons. D'une part les éleveurs n'avaient pas accordé aux béliers de sang les soins nécessaires (ils mourraient donc souvent…), et d'autre part, les acheteurs de laine n'accordaient pas d'importance à la qualité et "avaient ruiné un demi siècle de recherche expérimentale en station"…… on peut imaginer que cette dernière phrase est un déguisement

d' autocritique ou d'autodérision à peine voilée si on imagine des tonnes de laine, noire de surcroît, donc difficilement commercialisable33, imbriquée en ballots compacts avec des millions de minuscules épines acérées de Cenchrus biflorus. Jeune agneau Karakul d’un jour. Aujourd’hui, on attend la naissance de l’agneau pour le sacrifier et utiliser sa fourrure. Certes, le recul permet souvent de voir plus clair. Mais on s'étonnera tout de même que l'idée de ce croisement ait pu germer dans l'esprit des vétérinaires coloniaux, qu'un demi siècle aie été nécessaire pour se rendre compte que si les races

locales sont sans laine et à poil très ras, ce n'est pas le fruit du hasard, et on cherche à comprendre comment on a pu s'entêter à diffuser ce produit de croisement et des géniteurs de sang chez les éleveurs34……. Pensait-on sérieusement que cette action pouvait porter des fruits ? La seule possibilité de trouver des crédits et de publier les recherches était-elle la seule motivation des hommes de l'art ? Il est de même, selon Landais, des métissage de race bovine Montbéliarde chez les peuls de l'Adamaoua, qu'il considère également comme un cuisant échec. Les importations de reproducteurs européens se sont poursuivies jusqu’à nos jours dans tous les pays sahéliens à la faveur de programmes pilotes, d’expérimentations, de visions utopistes. Piettre en 1930, est convaincu que l’amélioration brutale du cheptel enclenchera automatiquement le processus d’intensification de l’élevage. Il l’affirme en ces termes :

« Le point capital est de mettre en mouvement la roue du progrès et, pour cela, il suffit de commencer par l’amélioration du cheptel, le reste viendra ensuite automatiquement ».

La constitution de réserves fourragères s’intègre évidemment aux plans d’amélioration du cheptel et des efforts sont faits pour amener les éleveurs à constituer des stocks depuis les années 20. On envisage également de modifier la flore sahélienne par l’introduction d’espèces plus riches et à cultiver des fourrages. Ces idées, bien qu’on ne trouve pas d’exemple de vulgarisation qui aie été suivies et mis en pratique35, font toujours partie des

32 Infloraison très piquante de la graminée Cenchrus biflorus, qui s'accroche à tout pelage, vêtement, qu'elle rencontre. Véritable supplice en saison sèche par sa capacité à se loger sous la peau, le cram-cram devait probablement rendre la vie de ces brebis laineuses et de leur bergers insupportable. 33 La laine doit être blanche pour servir valablement l'industrie, tout les efforts de sélection vont normalement dans ce sens. 34 Il faut s’imaginer que l’astrakan doit être produit par césarienne sur les mères avant la naissance. Dans le milieu éleveur au Sahel, le respect de l’animal exige qu’on ne l’abatte pas avant son âge adulte. 35 Les pratiques existantes de conservation des fourrages existaient déjà, elles n'ont fait que s'intensifier depuis 20 ans sous la pression du milieu et pas grâce à la vulgarisation.

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« nouveautés » présentée régulièrement par divers projets pour intensifier l’élevage. Elles font partie, en quelque sorte, d’un héritage de recettes théoriques que les techniciens se repasseraient de générations en générations, convaincus que les échecs de la vulgarisation sont le fait des ruraux et en aucun cas de l’inadéquation des paquets techniques avec la réalité. Pourtant ces expérimentations ne faisaient pas l’unanimité, loin s’en faut. Au Niger, en 1922 déjà , le Gouverneur Brévié, fraîchement nommé et basé dans la capitale Zinder, écrivait une missive à ses subordonnés du territoire pour décourager de tenter de telles expériences de métissage de races en ces termes : " on a déjà suffisamment fatigué l'indigène avec ces expériences sans intérêts…….." Du côté des vétérinaires qui s’impliquent dans cette recherche et qui mettent leurs efforts dans sa réussite, le premier à exprimer des doutes en 1949 est Doutressoule, lorsqu’il écrit conjointement avec Traoré :

« Il paraît inutile d’entreprendre l’amélioration du bétail sans en améliorer au préalable les conditions de vie, répétant l’erreur que nous avons souvent commise. Notre cheptel est parfaitement adapté à ce milieu sahélien; il constitue avec les nomades une symbiose que nous ne devons pas rompre. Vouloir lui demander à l’heure actuelle plus de viande, de lait, de laine, est une utopie. Nous devons nous contenter d’en augmenter le nombre en diminuant la morbidité et la mortalité de nos troupeaux. Plus tard, mais bien plus tard, nous améliorerons les individus ».

Ces phrases qualifiées de courageuses par E.Landais (dont l’article est la principale source de ce chapitre), vont influencer considérablement la conférence de Bamako deux ans plus tard, et l’état major vétérinaire colonial établit cette réorientation douloureuse en confiant à Mornet, le soin de la rédiger et de l’expliquer. Ce dernier conclut que le bilan des différentes tentatives en AOF est décevant, et que l’acclimatation de races étrangères en AOF n’est possible que dans des conditions exceptionnelles « rarement réunies en Afrique Tropicale ». La nouvelle politique sera une sélection du bétail local en vue de son amélioration et l’on reconnaît tout à coup que les colonies recèlent « des sujets intéressants dont le potentiel n’attend que des conditions favorables pour éclater. » Pourtant, et sans remettre en cause cette nouvelle orientation politique, les expériences vont encore se succéder avec les mêmes résultats. A Bouaké Minankro, la race D’Ndama fait l’objet d’un croisement avec la race Jersiaise. On tente d’introduire la race Brahman au Cameroun. A Madagascar, on relève la création d’une race fixée issue de Limousin / Zébu Malgache / Afrikander, appelée Renitelo à Madagascar….. Selon E.Landais, par la suite, plus de 15 opérations d’introduction de race européennes ont été financée par la France depuis 1975 en Afrique francophone, sans compter les initiatives des autres pays, tout ceci bien sûr sans résultats utiles ou concrets et sur les fonds déjà congrus de l’aide au développement. La sélection des races locales, quant à elle, fourni alors de nouveaux champs d’application à la recherche zootechnique et s’est poursuivie jusqu’à nos jours en restant strictement confinée dans les stations de recherche. Depuis la conférence de Bamako en 1951, les stations se concentrent désormais à améliorer les paramètres de production des races locales, notamment la vitesse de croissance, le poids à la naissance, la production laitière. Les races locales, objets de soins attentifs dans des stations de recherche et soustraites aux stress habituels de leur milieu d’origine, ont tôt fait de démontrer des capacités d’améliorations encourageantes grâce à des critères de sélection standards qui ne sont pas forcément les mêmes que ceux des

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éleveurs. Leur réintroduction dans le milieu sera techniquement aisée quoique anecdotique en terme de nombre, mais les bienfaits de la sélection seront confrontés à la réalité du milieu. On ne peut parler de ce sujet concernant le Niger sans parler de la Chèvre Rousse de Maradi, mais cet exemple ne sera abordé que dans le point traitant de la période post coloniale.

3.1.4. ESPACES PASTORAUX, DE LA LOGIQUE MILITARO

ADMINISTRATIVE AUX AMBITIONS DE GESTION

RATIONNELLE. Cette question est centrale dans la recherche qui nous intéresse. Mais elle est vaste et une littérature abondante a été produite par de nombreux chercheurs pour tenter de dénouer les fils d'inextricables incompréhensions qui font actuellement l'actualité dans les pays du Sahel, surtout au Niger, sous la nécessité des processus actuels de relecture des textes fonciers et de mise en place de la décentralisation. Remonter à l'époque coloniale permet de s'imprégner de l'histoire de ces débats, des forts courants de pensée, des influences qui les sous-tendent et surtout, c'est là le plus important, de comprendre les malentendus actuels. L' attitude de l'administration coloniale sur ce sujet peut être très schématiquement décrite en 3 périodes :

1. La période de conquête, durant laquelle les populations Touarègues principalement résistaient à la domination militaire française.

2. La période coloniale proprement dite, pacifiée, au cours de laquelle les populations nomades, donc les pasteurs, ont fait l'objet de certaines attentions en vue de développer leur élevage, bénéficiant d'une assez bonne compréhension de leur système par les administrateurs.

3. La décennie de l'indépendance, qui voit arriver l'ambition de gérer le potentiel fourrager avec plus de rigueur et d'efficacité sous l'impulsion de nouveaux types d'agronomes. Nous fixerons ici une période de dix ans, de 1959 à 1969, qui malgré le changement de pouvoir, sera bien marquée dans notre sujet puisque c'est celle de l'implantation des stations de pompage.

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3.1.4.1. La période de conquête . A cette époque, Mopti et Tombouctou sont les centres administratifs importants. L'actuel République du Niger n'est que la rive gauche du Fleuve, déjà exploré et reconnu comme territoire français depuis la convention de 1898 qui trace une frontière entre domination britannique et française. La tristement célèbre mission Voulet - Chanoine36 fût la première à "marquer" physiquement au Sud du 15 ème parallèle l'empreinte coloniale, du Fleuve au Lac Tchad en 1899, et le traité de Versailles en 1919 entérina le partage entre les deux puissances militaires.

Voulet Paul Chanoine Ce qui suit concerne essentiellement la boucle du Niger et a été admirablement développé par A.Marty37. Toutefois, cette politique de l'époque, si elle concerne surtout la partie Ouest de l'actuel Niger et le Nord (Agadez, Azawak et Aïr), a tout de même été fondatrice de la politique coloniale pour la Colonie entière après1922. A.Marty rappelle que:

"la pénétration ( d'Ouest en Est ) du continent coïncidait grosso modo avec l'aire de rencontre entre des populations s'adonnant à l'élevage extensif, donc mobiles, et celles s'adonnant à prioritairement à l'agriculture céréalière, avec un mode de vie beaucoup plus fixe".

A.Marty développe ensuite l'idée qu'il n'existait pas de frontière bien nette entre ces deux types de population, mais qu'il s'agissait

" d'une bande de confluence et d'interpénétrations se découpant à travers des jeux complexes d'alliances liant ensemble nomades et sédentaires, en opposition souvent avec des duos voisins de même nature".

Cette complémentarité des deux mondes, qui est toujours d'actualité, est expliquée ensuite avec simplicité et évidence :

"N'étaient viables que des ensembles humains composés de sociétés différentes….assurant les complémentarités de base, en commençant par le grain et le cheptel…..n'étaient donc stables, que des systèmes favorisant les ajustements et les échanges de services entre ethnies,

36 Pour rappel, Voulet et Chanoine, qui avaient déjà conquis le pays Mossi en rasant Ouagadougou, partirent pour rejoindre Fort Lamy depuis Gao. Outrepassant les ordres, ils pillèrent, massacrèrent, détruisant tout sur leur passage. L'armée française envoya le Lieutenant Klobb pour les arrêter. Voulet et Chanoine purent être arrêtés, après que Chanoine eût clairement manifesté sa sédition en donnant l'ordre de faire feu contre les troupes de Klobb, ( qui fût tué dans la bataille) et affirmé qu'il n'était plus français, qu'il était devenu un Roi Noir. Voir aussi à ce sujet, le site Web : http://www.ldh-toulon.net 37 La division sédentaires-nomades. Le cas de la boucle du Niger au début de la période coloniale. André Marty. IRAM, 1998.

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entre zones et entre activités économiques différentes mais indispensables les unes aux autres".

Nous adhérons à cette présentation de la période précoloniale, mais nous souhaitons tout de même ajouter la dimension de domination guerrière de ces liens entre nomades et sédentaires, dont Marty minimise, selon nous, l'importance. Les alliances des sédentaires avec un groupe nomade donné, avaient aussi pour but de les protéger des vols et exactions d'autres groupes, moyennant une certaine allégeance. Les batailles et razzias entre les groupes nomades, s'ils se traduisaient par le vol du bétail et des femmes, voir des esclaves, avaient sans doute souvent pour origine de se disputer les jeux d'allégeances et de soumission des populations noires. Nous voulons rappeler tout de même, par soucis d'objectivité, que la percée coloniale apporta une stabilité nouvelle à la zone sahélienne, qui s'est traduit, grâce à la sécurité, par l'extension et la dispersion des aires cultivées et l'accès des pâturages aux troupeaux. Avec la sécurité, c'est sans doute aussi un changement dans la société qui s'est engagé, la question guerrière n'occupant plus la place centrale dans les esprits (ce qui nous parait un progrès notable). Nous prendrons comme référence chronologique à cette époque de conquête, la période située entre 1893 et 1922. Le Niger fût érigé en territoire militaire en 1900 puis devint une Colonie Française en 1922 avec Zinder pour capitale et Jules Brévié comme premier Gouverneur. La capitale fût transférée à Niamey en 1927. Cette période est marquée par d'intenses débats entre administrateurs et Chefs militaires concernant l'attitude à adopter vis-à-vis des nomades et principalement des Touaregs. Ces derniers font preuve de résistance, parfois armée avec quelques victoires notables sur les troupes françaises, parfois simplement par désobéissance civile. D'un côté, certains courants de pensée dans le pouvoir militaire cherchent à éviter l'affrontement. En effet, l'importance de l'élevage nomade est curieusement mieux reconnue par les premiers militaires que par les vétérinaires qui leur ont succédés. Gironcourt38 en 1910, note que :

" Sans ces populations parfaitement adaptées, hommes et animaux, ces surfaces énormes resteraient improductives".

Le Dr Decorse39 affirme lui dès 1907, qu'il faut soutenir le nomadisme et que seul ce mode de vie est possible hors de la vallée du Fleuve Niger et surtout sur sa rive gauche de la boucle. Il a admirablement compris comment le mode de vie nomade est intimement liés au milieu :

"Une population ne naît pas nomade, elle le devient. Touaregs et Bellahs disparus, ceux qui leur succèderont, livrés à eux-mêmes, deviendront d'autres Bellahs et d'autres Touaregs. Au change, nous n'aurons rien gagné".

Par ailleurs, une des critiques les plus fortes contre la "division sédentaire - nomades" et qui est toujours très actuelle, consiste à mettre en évidence que la frontière culturelle et ethnique entre ces deux extrêmes est loin d'être bien définie, et d'autre part que ces sociétés sont complémentaires dans leur mode de production. En effet, toute une part de la population dite "noire" et de dominance agricole est culturellement liée à des ethnies nomades. Certes, le servage est souvent avancé comme la principale origine de ces liens, mais on ne peut simplement écarter le fait qu'un grand nombre de Peuls sont agro-pasteurs à cette époque déjà

38 La mission de Gironcourt en Afrique Occidentale. 1908-1909. Bulletin de la société géographique de l'Est. 201-211. 39 Lettres du DR Decorse. Les Touaregs de la boucle. Bulletin de la société géographique et commerciale de Paris. 1907.

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et se situent encore à la frontière Sud de la zone d'influence Touarègue, que les Maures occupent de l'espace agricole avec les Harratins. Bien des sous-groupes ethniques minoritaires se trouvent à la frontière de ces deux entités que le colonisateur à voulu distinguer de manière aussi tranchée. Au Niger, le cas des Peuls Katsinawa40 par exemple est éloquent. Les populations touarègues noires haoussaphones de la zone agro-pastorale du Niger en sont un autre (Filingué, Kornaka…). La rébellion touarègue armée des années 90 au Niger a eu également certaines difficultés à définir ses revendications territoriales sur la base de l'occupation géographique, autant que sur la base ethnique, tant les imbrications sont nombreuses sur le plan des métissages culturels et des partages de territoires. Cette complexité était déjà la réalité à l'époque de la conquête coloniale, même si l'on peut relever que la domination guerrière touarègue dans les limites de son interaction avec les autres groupes nomades du Nord et la vassalité des populations noires, servaient de clefs de répartition des droits de chacun dans la région. Pour rendre encore plus complexe la situation, les sociétés touarègues elles-mêmes sont hiérarchisées en castes qui ne sont pas toutes guerrières avant la guerre contre l'armée française. Mais la logique de guerre et de domination amenait les chefs militaires à des positions extrêmes, et ceci avec d'autant plus de conviction que les tribus touarègues manifestaient les signes d'insoumissions et d'hostilité. Dès 1898, le Lieutenant Colonel Audeoud écrivait :

" Etant donné qu'on ne pourra jamais se faire des alliés de ces tribus… il faut les supprimer si l'on peut en les affamant, les hommes en les empêchant d'acheter des céréales, les animaux en leur interdisant les rives du fleuve (fleuve Niger, région de Tombouctou)."

Pour cet auteur, le moyen d'y parvenir est évident…"C'est sur la population noire qu'il faut nous appuyer". L'administration centrale refuse d'abord de cautionner officiellement la stratégie du refoulement des nomades touaregs loin de la vallée du fleuve et ainsi de concrétiser une division qui lui paraît contrevenir aux intérêts de la colonie en perturbant des équilibres économiques et sociaux utiles41. En effet, la complémentarité des systèmes de production ne lui a pas échappé. Le Gouverneur Général de l'AOF en visite à Tombouctou le 14 juillet 1906, s'écrie42 :

" Notre politique ne peut consister à refouler dans le désert les tribus nomades et à protéger contre leurs incursions "nos" populations sédentaires : Ces deux éléments ont besoin l'un de l'autre et se complètent mutuellement. Les nomades, pour vivre, sont obligés d'accéder au Fleuve, et, d'autre part, les sédentaires pour prospérer, doivent pouvoir maintenir et même accroître les relations commerciales par la voie des caravanes".

Malgré ce sage plaidoyer pour une solution pacifique, toute la stratégie consista à affaiblir les sociétés Touaregs en supprimant leur pouvoir de domination militaire sur les communautés sédentaires. Ces dernières se voient ainsi particulièrement bien considérées par l'armée coloniale et en dehors d'un ralliement Songhaï de Gao à un chef touareg local en 1916, on

40 Peuls agropasteurs sédentaires arborant les tatouages faciaux Haoussa, alors que les Peuls de Sokoto dominaient militairement les Haoussas jusqu'à les contraindre à l'islamisation forcée. 41 A cette époque, les caravanes des touaregs y compris dans le Sud, sont le principal véhicule de tous les échanges commerciaux. 42 La division sédentaires-nomades. Le cas de la boucle du Niger au début de la période coloniale. André Marty. IRAM, 1998.

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peut penser que les populations sédentaires trouvaient un avantage à passer du statut de vassaux des tribus touarègues à celui d'allié du colonisateur français Nous nous distancerons donc d'une vision d'un "Eden précolonial", car cette période était celle des razzias. Razzias des Touaregs contre les sédentaires, contre les Peuls, entres tribus touarègues, entre Toubous et Touaregs, entre Arabes et Touaregs, la zone pastorale était marquée par l'insécurité des luttes d'influence pour le contrôle des territoires de razzias, des expéditions punitives, des captures d'esclaves. La conquête coloniale a mit fin à cette terreur et à cette culture de la guerre dominée par le pouvoir aristocratique. On ne peut que le saluer. Pour cela, l'armée française s'est appuyée aussi sur d'autres populations de nomades pasteurs, et notamment les Arabes Kountas sous le commandement de Sidhâr Marcheikh. Ils utilisèrent le nouveau pouvoir que leur donnaient les armes à feu françaises pour apporter aux Touaregs et notamment aux Iwillemmeden les plus guerriers, une vision plus spirituelle et plus pacifiste de l'Islam43 et ceci jusqu' après la guerre de Kaocen qui signa la victoire française en 1918 et la reddition des tribus rebelles.

Il n'en reste pas moins que la pacification française fût extrêmement brutale et ne fût durable qu'au prix du démantèlement et morcellement des structures sociales44, de déplacements massifs de population (dans l'Aïr notamment), de destructions de puits profonds, d'exécutions. Malgré la victoire militaire sur les Touaregs et malgré le fait que finalement, les autres groupes ethniques nomades n'étaient pas l'objet premier de la dichotomie sédentaires-nomades en l'absence de véritable résistance armée, celle-ci ne sera jamais remise en cause et devint très vite un instrument considéré comme allant de soi. Cet outil servit dès lors, non seulement à diviser pour régner, mais à classer les sociétés locales.

Kaocen, Chef de la résistance contre l’armée coloniale française. Selon A.Marty, 1998, cette distinction a servit dès lors à codifier un rapport social et à le transformer en grille de lecture ou de référence pour toute analyse ou décision future. Tout d'abord utile à celui qui s'arroge le pouvoir classificateur, ici la puissance coloniale, la distinction finit par être intériorisée par les groupes. A.Marty cite P. BOURDIEU45 en indiquant que cette distinction va désormais devenir un "mot d'ordre" qui pourra modeler la réalité à l'image de son inventeur. Le nomade sera donc désormais tour à tour diabolisé ou idéalisé et le sédentaire manipulé ou instrumentalisé contre le premier. A.Marty mentionne qu’à l’arrivée de la sécheresse de 1913-1914, le Commandant de Région Sadorge est en train d’étudier comment faire respecter les frontières des cercles et empêcher le bétail nomade d’accéder au fleuve et aux bourgoutières46 ainsi qu’aux zones agricoles. Il se 43 Entretiens personnels avec le 4 èm Chef de Tribu Kounta, Rhalifa Mohamed à Assouman, Ouest de In-Gall en octobre 2004. 44 de 6 grandes tribus appelées confédérations touarègues en 1896, on passe à 70 tribus en 1912. 45 La distinction. Critique sociale du jugement. page 560 . P. Bourdieu. Paris 1979, éditions de minuit. 46 Bourgou : Echinochloa stagnina, graminée flottante atteignant 2 m qui pousse en suivant la crue du fleuve, riche en azote et en sucres. Pâturage de saison sèche de qualité exceptionnelle et qui borde les rives du fleuve.

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trouve toutefois dans l’obligation de laisser les troupeaux accéder aux zones du Macina, mit devant l’évidence des irrégularités du climat. Des 1918, la division tente d'être appliquée de force et avec de plus en plus d’efficacité durant les trois décennies suivantes. On regroupe les champs éparpillés dans des zones de cultures définies et le cheptel nomade est refoulé dans les zones non cultivées, même en dehors des périodes de culture. On prévoit une augmentation du cheptel villageois et on tient ainsi à lui réserver des espaces d'où seraient exclus les nomades. De cette époque et de cette division est issue toute une politique administrative et foncière qui va priver les éleveurs de leur emprise sur les espaces pastoraux du Nord et donner plein pouvoir aux sédentaires dans les zones agropastorales du Sud, créant par là une inégalité génératrice de nombreuses frustrations et incompréhensions entre communautés. L'administration coloniale d’après 1922 créera en effet tout un organigramme de pouvoirs locaux que l'on qualifiera improprement de "Chefferie traditionnelle". Les sédentaires seront sous la houlette d'un Chef de Canton à qui sera attribué un territoire bien délimité sur lequel il dispose d'un fort pouvoir, alors que les nomades seront sous la chefferie d'un Chef de Groupement sans territoire, tout juste destiné à régler les affaires entre nomades et à collecter l'impôt. Cette distinction sera lourde de conséquence à partir des années 70, lorsque la démographie humaine, l'accroissement des surfaces cultivées et la formidable expansion du cheptel créeront des points de litiges fonciers qui empoisonneront toute la fin du 20 èm siècle et le début du nouveau millénaire. En outre, le monde nomade est resté à l’écart des centres de pouvoirs situés le long de la vallée du fleuve, manquant la scolarité de ses enfants et sa participation aux mécanismes politiques de la pré-indépendance. Il faut aussi remarquer que cette politique de refoulement vers les zones Nord fonctionna, plus ou moins, dans le contexte favorable de 3 décennies exceptionnelles de bonnes pluviométries qui marquèrent le climat sahélien. Au retour de l’irrégularité dès 1973, le monde nomade se découvrit alors plus fragile par absence de possibilité de repli vers le Sud et par la perte des stratégies de grande mobilité dans la mémoire collective. __________________________________________________________________________

3.1.4.2. La période coloniale pacifiée. C'est à partir de 1922 que l'on peut différencier l'historique de la politique de développement de l'élevage du Niger avec celle, plus globale, de l'AOF. Dans le nouvel Etat colonial, dès 1922, la société Touarègue dans son ensemble se plie avec résignation aux adaptations nécessaires, après ses défaites contre le colonisateur. La razzia et la capture d’esclaves n’entraient plus dans le système économique, la domination sur l’espace pastoral n’était plus possible, les populations déplacées se ré-installent alors et s’organisent parfois sur des bases nouvelles avec un passage à l’agro-pastoralisme pour certains ou au contraire plus de mobilité pour d'autres.

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Mais pour le monde pastoral dans son ensemble, pour les pasteurs eux-mêmes, Touaregs, Peuls Fulbé, Peuls Wodaabés, Arabes, cette période peut-être considérée malgré tout comme un âge d’Or47, malgré l'impôt sur le bétail. La politique de division amena un certain nombre de contraintes et d’inconvénients, mais une conjonction de facteurs climatiques favorables et d’actions positives de l’administration coloniale fit que, les conséquences réellement limitantes de la division ne se firent sentir que bien plus tard, lorsque le développement des activités de production agricoles et pastorales atteindront les limites de leur croissance extensive. Il faut expliquer cette apparente contradiction en soulignant les éléments qui font de cette période, qui dura environ 40 ans, une sorte de parenthèse entre les périodes précoloniale de conquête et la période de l’après indépendance : 1. Fin de l’insécurité. Accès pacifié aux zones de pâtures, disparition relative du « racket d’allégeance48 », des dominations ethniques et du vol de bétail. Cette pacification permet aux Peuls Wodaabés de remonter vers le Nord et d’installer leurs attaches sur des puits profonds situés au Nord de l’hisoyète de 350 mm, préférant également la situation administrative plus favorable au Nord, loin des centres de décision de l’Etat, que dans les zones agricoles. 2. Politique d’hydraulique pastorale relativement bien adaptée aux réalités. Ouverture de zones immenses autrefois inaccessibles en saison sèche. 3. Lutte contre les épizooties. La peste bovine recule. 4. Développement des échanges commerciaux internes à l’AOF et avec la colonie britannique (actuel Nigéria). Augmentation de la demande en bétail sur les marchés, création de la voie ferrée qui relie Kano à la côte dès 1911. 5. Stabilité du climat. Ce point est sans doute le principal facteur……Depuis la sécheresse de 1913-14, la pluviométrie est favorable. En dehors d’une sécheresse mineure en 1948-49, la pluie tombera régulièrement jusqu’en 1969. La production des pâturages est stable. Cet épisode de stabilité, sera prit à tort ensuite comme une « normalité », lorsque l’irrégularité du climat sahélien se fera de nouveau sentir dès 1969. Cette conjonction a produit un développement spectaculaire du pastoralisme au Niger, favorisé la remontée vers le Nord des Peuls Wodaabés dans les années trente, et surtout, engagé une multiplication du cheptel à des niveaux jamais atteints dans les siècles précédents. De 1940 à 1970 les effectifs bovins des pays du Sahel ont été multipliés par 6. Alors qu’auparavant, les économies des peuples pasteurs étaient le plus souvent mixtes et diversifiées ( commerce caravanier, divers modes d’agro-pastoralismes), la part de revenu de l’élevage pour les familles pastorales augmente et devient très souvent exclusive49. Les Peuls

47 Cette impression se dégage avec force dans les entretiens avec les pasteurs ayant vécu cette période. Le terme « Âge d’ Or » est donc une image toute personnelle qui se dégage de notre recherche. 48 Il n'a jamais vraiment disparu et des exemples connus de nous sont là pour en attester. Vous payez et on ne vole pas votre bétail. Dès que la présence de l'Etat sur le terrain s'affaiblit au gré des changements politiques, ce phénomène revient gangrener les rapports entre tribus. 49 Pastoralisme, agro-pastoralisme et retour : itinéraires sahéliens. A. Maliki Bonfiglioli 1990. Cahiers des Sciences Humaines 26.

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Wodaabés abandonnent toute forme d’agriculture dès les années trente et deviennent, sous l’influence des facteurs favorables, beaucoup plus mobiles50. Nous nous concentrerons ici sur les approches qui ont été celles du colonisateur pour valoriser le potentiel énorme de la zone pastorale nigérienne. Cette période a principalement été marquée par une attitude relativement positive envers les éleveurs nomades, avec le souci de permettre un développement pacifique de l'activité pastorale. Pour cela, il fallait s'attaquer à la principale contrainte limitante de l'époque, l'affouragement en saison sèche, tout en maintenant le plus possible le cheptel et les nomades, au-delà des zones d'occupation sédentaires Djermas-Songhaï et Haoussas. En effet, tout le Nord dispose de réserves de fourrages qui semblent immenses et qui sont fréquemment parcourues de feux de grandes ampleurs, mais sont inaccessibles au cheptel par manque de points d'abreuvement. Or, plus les puits sont rares, plus ils représentent un enjeu de pouvoir et renforcent la position de ceux qui en ont le contrôle. Les puits existants à cette époque au Nord du 15 ème parallèle sont tous sous contrôle Touaregs, (sauf dans le Nord Ouest de l'Azawak, où les Arabes maîtrisent leurs puits)), soit qu'ils les ont creusés, soit qu'ils ont redécouvert les anciens puits ensablés des grès d'Agadez dont on ne sait toujours pas aujourd'hui avec certitude qui en étaient les artisans51. En 1948, sur les fonds du plan FIDES52, un millier de puits pastoraux seront creusés au Niger. Les premières stations de pompages motorisées ne furent installées qu'à partir de 1961, contrairement au Ferlo Sénégalais où un programme entièrement basé sur les forages voyait le jour dès 195153. Si une stratégie basée sur les puits profonds plutôt que sur les forages mécanisés est préférée au Niger, cela tient sans doute au coût plus réduit, vu la dimension des espaces concernés. On doit toutefois mentionner ce débat qui a lieu entre deux des artisans de ce programme, MERLIN et RECEVEUR. Alors que RECEVEUR défend plutôt l'implantation de forages espacés et à gros débit, MERLIN défend au contraire la création de nombreux puits cimentés de faibles débits et dans un maillage assez rapproché54. Cette divergence de vue entre les deux experts résume déjà ce que sera dans les décennies qui suivent, deux point de vue diamétralement opposés concernant l'ensemble d'une vision de développement du monde pastoral et pas uniquement sur la question de l'eau.

50 Ceci contribuera dans les décennies suivantes à les caractériser hâtivement comme des errants qui seraient sans territoires depuis le fond des âges, alors que cette grande mobilité n’était pas si ancienne. 51 Des dizaines, peut-être des centaines de puits creusés dans le grès et d'un fort diamètre ont été désensablés au 19 èm siècle et début du 20 èm. Ils appartenaient peut être à la population "ancêtre" des haoussas qui aurait peuplé ces régions depuis l'antiquité jusqu'à l'arrivée des Touaregs depuis le Nord Est. Les Arabes Kounta mentionnent ce peuple sous le nom de "JAOUDHÀR" dans leur tradition orale (entretiens personnels avec Rhalifa Mohamed, 4 ème Chef de tribu Kounta, Assouman). 52 Fonds d'Investissement pour le Développement Economique et Social, programme de "coopération coloniale". 53 Les pasteurs nomades africains, du mythe éternel aux réalités présentes. Edmond Bernus, 1990, Cahier des Sciences Humaines 26. 54 Politique d'hydraulique pastorale et gestion de l'espace au Sahel. Brigitte Thébaud, 1990, Cahier des Sciences Humaines 26.

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Tout d'abord, la vision de MERLIN55 l'emporte depuis le plan FIDES jusqu'à la fin des années 50. Reconnaissant la plus grande rentabilité technique du forage au vu du nombre de têtes abreuvées, il affirme tout de même :

« Il y a un inconvénient à créer des points d’eau trop importants, car l’accumulation sur une surface restreinte d’un bétail trop nombreux conduit à l’épuisement du pâturage et à la disparition totale de la terre arable dans la région. Il est du reste évident que la solution consistant à placer un point d’eau important tous les 40 km n’est pas la solution idéale. Là où la création de points d’eau n’est pas trop coûteuse, il est préférable de créer des points d’eau plus rapprochés et moins puissants ; on évite ainsi les trop grandes concentrations de pasteurs et de cultivateurs. » Autrement dit, "on aura toujours intérêt, sauf dans de rares exceptions, à préférer le puits, là où il est possible, au forage »

Pour RECEVEUR56, au-delà de 35 m de profondeur, seule l’exhaure mécanique se justifie, car :

«le puisage manuel ou à l’aide d’animaux tel qu’il se pratique en de nombreuses régions ne permet que l’entretien d’un nombre réduit d’animaux». Il considère également que " le débit minimum doit être de 4 litres par seconde, tout débit inférieur entraînant une hausse du prix de revient du m3 d’eau pompée. La rentabilité des ouvrages devait en principe satisfaire à deux exigences : permettre l’utilisation optimale de l’aire desservie, tout en réduisant le plus possible le montant investi par animal utilisant le point d’eau. Dans la pratique, cependant, ce critère est rarement apparu comme déterminant, l’important étant d’assurer la totalité des besoins en eau d’un effectif d’importance telle que la plus-value à attendre à une échéance raisonnable couvre l’amortissement et le fonctionnement en une première étape, puis assure par la suite une rentabilité normale de l’opération (...) ; sans compter les avantages sociaux : regroupement des éleveurs, amélioration des conditions de vie : école, santé, commerce . . . "

Sa vision finira par l'emporter vers la fin de l' ère coloniale et au début de l'indépendance. Elle influencera en outre les grands projets des années 70 et 80.

A gauche, abreuvement au puits, exhaure animale et manutention. Les animaux boivent chacun leur tour et une main d’œuvre importante est nécessaire. Les temps d’attente sont long et limitent la capacité d’abreuvement. Receveur y voyait un frein au développement de l’élevage. A droite, accès libre aux nombreux abreuvoirs, pas de main d’œuvre, pas de fatigue, et disponibilité de l’eau à de grands troupeaux commerçants. Sur cette photo, passage au forage de Toufaminir, un des grands forages réalisé dans les années 60….. en panne ce jour là (février 2005). Le bétail a dû s’abreuver difficilement sur les puits alentours. Nous soutenons bien sûr le point de vue de Merlin dans ce débat.

55 MERLIN (P,), 1951. - L’hydraulique pastoral en AOF - Rapport présenté à la Conférence des Chefs de Service de I’Elevage de I’AOF, Bamako (Soudan français), 22-27 janvier. Cité par B.Thébaud, 1990. 56 RECEVEUR (P.), 1959-1960. - Rapport Annuels, Ministère de l’Économie Rurale, Direction de I’Élevage et des Industries animales, Politique de mise en valeur de la zone sahélienne, chap. 1 à IX. Cité par Marty, 1972 et B.Thébaud 1990. RECEVEUR (P.), 1975. - Aménagements pastoraux en zone sahélienne, IEMVT, Paris.

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Ici, il faut analyser plus à fond ce qui sous-tend ces deux visions opposées et nous voulons proposer une interprétation. Pour MERLIN, un grand nombre de puits cimentés ont l'avantage de répartir la charge animale sur des espaces plus étendus en saison sèche et de multiplier les points d'eau dans l'espace tout en limitant les risques. Il pressent également que la végétation pourrait souffrir de charges trop importantes par une pression sur la végétation et les sols. Ce sont là ses arguments techniques, et bien entendu, l' expérience lui a donné raison, ce qu'il est facile aujourd'hui de relever avec le recul des années. Mais au-delà de ces évidences techniques qui furent sans doute les arguments officiels en faveur de ce programme, des enjeux sociaux majeurs leurs sont liés. On a dit plus haut que le contrôle des puits est un élément de pouvoir et de contrôle. Ce pouvoir s'exerce sur le contrôle des ressources fourragères, soit les réserve de paille sèche, et sur les tribus alliées ou amies qui y auront accès. Durant la saison sèche, les points d'eau représentent en effet la clef d'accès aux ressources fourragères et le contrôle des puits donne de fait aux ayant droits ou propriétaires, le droit de contrôle sur l'aire d'influence du puits (cette aire circulaire s'étend à de 13 à 30 km de rayon selon les auteurs et selon les exigences d'entretien ou de production, soit la distance maximum que des bovins peuvent parcourir pour aller s'abreuver). Or, les points d'eau de la zone pastorale sont rares et distants à cette époque. Les ayants droits de ces puits ont donc un pouvoir très grand par le droit d'accès qu'ils peuvent accorder ou refuser. Multiplier les points d'eau permet de répartir ce pouvoir de gestion dans un plus grand nombre de décideurs et de permettre l'accès à une configuration multiethnique de pasteurs. On évite ainsi la concentration de pouvoir aux mains d'une ethnie ou tribu sur des zones très vastes, pouvant déboucher à terme sur des réflexes de territorialité ethnique que l'administration cherche à éviter, surtout de la part des groupes touaregs. Par ailleurs, la répartition des pouvoirs de gestion de l'espace pastoral par un bon maillage de points d'eaux permet de vivifier les rapports d'alliances entre tribu et entre ethnies57. Les réserves de fourrages seront toujours accessibles quelle que soit leur localisation, par un puits ou un autre, et chaque tribu se doit de garder vivant les alliances qu'elle possède avec le plus grand nombre de groupes extérieurs. On pourrait encore ajouter que l'échelle sociale d'un groupe détenant les droits d'accès pour un puits est ainsi plus réduite, puisqu'un cheptel moindre pourra s'y abreuver et que ces puits sont plus nombreux. De cet état de fait, découle une gestion plus familiale des points d'eaux, qui deviennent le centre d'entités sociales pastorales réduites et plus homogènes, constituées autour d'intérêts communs, avec un leadership de plus faible influence en terme de nombre, mais plus efficace et plus représentatif aussi, sur un groupe réduit qui reconnaît mieux sa représentation.

57 Photo. Le puits de In-Wagar est un bon exemple. D’une profondeur de 132 mètres, il appartient à un groupe Touareg, mais l’alliance ancienne avec les Wodaabés Binga’en permet à ces derniers d’y abreuver pour de longues périodes, comme ici en février 2005.

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Ces clans, tribus, groupes de nomadisation, groupe multi-ethniques parfois, ont développé ou retrouvé un sentiment, non pas de territorialité, mais d'identification à des points centraux, à des points d'attaches sur leurs puits de saison sèche où ils passaient pourtant moins de la moitié de leur cycle annuel de transhumance. Devant toujours négocier les accès aux pâturages lorsqu'ils étaient en transhumances, tout les groupes nomades disposaient de points d'attache sur lesquels ils détenaient collectivement les droits d'accès en accordant ou refusant l'accès aux puits58 à d'autres pasteurs. Tour à tour demandeur ou décideurs, chaque groupe maintenaient vivant les liens de réciprocité qui régissaient les alliances afin de pouvoir s'assurer les accès en toute saison et selon les aléas des pluies. Répartition de la charge animale, répartition des risques, répartition des pouvoirs et reconnaissance des entités familiales larges comme unité de production, possibilité d'identification spatiale et vivification des alliances et réciprocités entre pasteurs, sont finalement les acquis majeurs de la vision de MERLIN. En effet, la pratique d'attribution formelle des ouvrages représentait un élément très important de la mise en œuvre sur le terrain et permit au monde pastoral de se structurer autour des pratiques d'utilisation des espaces par la maîtrise de l'eau. Il faut s'imaginer qu'après la reddition touarègue, toute la configuration du monde pastoral était en train de se redéfinir, avec en toile de fond l'accès à de nouvelles zones de pâture, un plus grand brassage ethnique sur le terrain grâce à la pacification. Un accès par trop libre et sans règles aurait peut-être généré des difficultés et fait réapparaître des tensions entre communautés. Au contraire, l'établissement de règles bien acceptées par tous et sur la base d'une approche assez diplomatique et consensuelle de l'administration coloniale permit aux pasteurs de faire appliquer entre eux leurs règles anciennes, voir de s'en inventer de nouvelles au gré des besoins. L'application de cette politique sera un élément très positif du programme d'hydraulique pastorale du FIDES. On comprend, à cette époque, que le puit et la ressource fourragère qu'il dessert sont en "équilibre relatif ". La quantité de cheptel que l'on peut abreuver sur ce puits dépend du débit de la nappe et du captage, de la profondeur déterminant le temps de remonte des poches, et de la main d'œuvre disponible pour ce travail harassant. Le soin est laissé aux pasteurs de gérer ces équilibres et on ne tentera pas, à cette époque, de mettre en place des règles techniques dans ce sens. Un millier de puits cimentés furent creusés ou vinrent remplacer des puits profonds non cimentés. Les ouvrages étaient attribués à des groupes ou tribus bien identifiés et l'administration locale veillait généralement à obtenir les consensus des autres utilisateurs de la région avant de prendre ses décisions. Dans certains cas, deux puits étaient foncés assez éloignés pour éviter les frictions à l'abreuvement entre groupes potentiellement concurrents, mais le plus souvent, la répartition des fourches de bois sur un même ouvrage était faite avec l'appui de l'administration. Cette politique permit aux Peuls Wodaabés de s'implanter encore davantage vers le Nord, ce qu'ils avaient commencé à faire depuis 1930 en fonçant des puits ou en les achetant aux Touaregs. 58 L'accès à un troupeau de passage n'est JAMAIS refusé. Il existe le DROIT de la SOIF. C'est le stationnement dans l'aire du puits et le passage régulier sur ce dernier durant un certain temps qui fait l'objet de négociations.

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Le puit de Alakat, par exemple59, (Sud ouest In-Gall, 16 èm parallèle, photo ci-contre), de 62 mètres de profondeur, 4,5 mètres de diamètre et taillé dans le grès d'Agadez, fût acheté par les Wodaabés Bingawa à des Touaregs en 1940, donc avant le programme du FIDES. Ces derniers l'avaient découvert et désensablé vers 1902, car il fait partie de ces puits anciens dont les artisans restent non identifiés. L'acte de vente rédigé par l'administration coloniale à Tahoua était gravé sur une pierre plate. De Alakat, ils rayonnèrent en creusant d'autres puits à 15 kilomètres de là. A Tagdumt, autre exemple de partage des pouvoirs sur l'espace, plus au Nord cette fois et à 45 km à l'ouest d'In-Gall seulement, le puits fût creusé en 1959 là où n'existait qu'une mare temporaire dont l'usage était prolongé par des puisards. L'administration donna l'attribution de ce puits aux Wodaabés (bikoronen) et les Touaregs ( Kel fadey ) qui étaient les premiers "résidents", se partagèrent 4 autres puits relativement proches et foncés dans le même programme, Anoula, Atarak, Abajlalam et Amloé. Plus au Sud et à l'Est de Dakoro, le puits pastoral de Maï Adoua était réalisé pour les Peuls Wodaabés Bi-hama'en. Environné de champs dès 1970, il fût abandonné par les pasteurs quand la montée des cultures transforma le site en ce qui est aujourd'hui le village de Sakabal. Les puits anciens restèrent aux mains des tribus propriétaires et d'autres puits non cimentés furent encore creusés dans cette période, sur financement direct des usagers. Dans ce cas, l'administration instaura le système de double accord, à savoir un accord des ayants droits des puits voisins (la distance minimale était de 6 km), qu'un second accord de l'administration venait entériner. Ce principe reste actuellement en vigueur, même si son application a souffert ces 20 dernières années de corruption et de luttes d'influences qui l'ont presque rendue caduque. Enfin, bien que cet aspect soit rarement mit en lumière et que nous n'en avons pas trouvé mention dans la littérature, c'est dans les années 50 que furent délimités la plupart des grands couloirs de transhumances actuels. Le fait qu'ils étaient sans doute respectés sans difficultés et que la pression agricole n'étaient pas encore très forte à cette époque explique peut-être que cette importante innovation de l'administration coloniale soit restée largement ignorée. __________________________________________________________________________

59 Ces exemples sont puisés dans notre propre expérience sur le terrain, ayant réalisé l'historique de ces différents sites en 1999, 2001 et 2004.

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3.1.4.3. La décennie de l'indépendance. C'est l'ère de la modernisation, celle des scientifiques et des visions utopique de l'avenir. Les idées de RECEVEUR et ses études pour l'implantation de forages semblent convenir aux ambitions optimistes de l'époque et un programme d'implantation de stations de pompage démarre dès 1959. Jusqu'en 1969, 20 stations furent successivement ouvertes, dans la partie Ouest de la zone pastorale (Abouraya, Tchin-Tabaraden, Al-Mota, Toufaminir, In-wagar, etc…..), le plus souvent sur les mêmes sites exactement que les puits du programme précédent. 9 autres forages furent réalisés dans la région de Gouré, dont le forage Nga Gorsé, que Brigitte Thébaud prend en exemple dans son livre de 1986 pour décrire cette problématique. L'avantage le plus souvent avancé pour défendre les forages, est que le travail d'exhaure animale est supprimé. Un enfant peut conduire les animaux au puits, et cette tâche n'est plus une limite pour la charge de l'ouvrage. Les grands abreuvoirs suppriment les temps d'attente des troupeaux, l'eau est propre. A l'IEMVT, on valorise les recherches des botanistes qui arpentaient l'AOF et l'AEF en classant et nommant, reclassant et renommant toutes les plantes qui se côtoient dans les zones pastorales au Sud du Sahara, sans beaucoup d'application utiles depuis le début du siècle. L'agrostologie, science nouvelle, doit pouvoir conjuguer les expériences acquises ailleurs dans le monde, Europe, Amérique et Australie, avec les connaissances botaniques acquises au Sahel. L'objectif ? Rentabiliser au maximum l'utilisation des pâturages naturels en instaurant des règles de pâture basées sur l'expérimentation scientifique. La question d'établir des règles d'usages autour des forages et des puits est tout d'abord le point de départ. Puis la question de chercher des modes de gestion plus rationnelle pour l'ensemble de la zone pastorale deviendra vite un objectif lointain qui sera envisagé à la faveur de mannes budgétaires pour la recherche. On va s'atteler à rechercher des "modèles" de gestion qui puissent être facilement vulgarisés pour le plus grand profit des éleveurs eux-mêmes. Une idée nouvelle s'impose, la connaissance précise des ressources fourragères, quantitative mais aussi qualitative, doit être mise systématiquement en rapport avec la connaissance des ressources hydrauliques. L'IEMVT se lance alors dans la cartographie des pâturages de tout le Sahel, du Sénégal au Tchad. Les pâturages sont classés en dizaines de types et sous-types différents et leur répartition apparaît sur des cartes colorées complexes aux contours torturés, mises en lumière avec les ressources hydrologiques, disponibles à différentes échelles. Nous ne disposons pas des chiffres de ce que ce travail a coûté, ni le nombre de chercheurs, botanistes, géographes, géologues et arpenteurs divers sur le terrain qu'il a mobilisé jusqu'en 1975. Malheureusement, ce travail ne fût disponible qu'après l'implantation des forages, alors qu'il devait servir de guide à des plans de maillage hydraulique. Cette ère de "modernité" se situe dans le courant de l'époque. On croît au développement, à la croissance illimitée, à la révolution technologique. Le bon sens commun qui prévalait chez les administrateurs coloniaux et qui leur avait permit d'accompagner l'expansion pastorale des trente dernières années en accord avec les évidences du système et du climat, n'est plus de mise. Les scientifiques se rejoignent, sur ce sujet, avec la création à Alfort, du service

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d' "agrostologie" à l 'IEMVT, sous la direction de BOUDET. Un manuel sur les pâturages tropicaux est édité à des fins de vulgarisation puis sera encore amélioré dans les années 70. Des agronomes sont désormais aux côtés des vétérinaires depuis la formation jusque sur le terrain. Hydrogéologues, Vétérinaires, Agronomes, tout le monde semble tirer dans le même sens. L'eau, le pâturage, l'unité sanitaire des troupeaux, sont abordés désormais ensemble dans une vision globale purement technique. Les soucis d'organisation sociale des administrateurs coloniaux ne semblent plus du tout préoccuper les scientifiques, qui planifient ou tentent de planifier une gestion technique et économique des ressources pastorales. Une Loi "historique" est promulguée en 1961. Elle trace la limite Nord des cultures. La zone au Nord de cette limite, qui suit plus ou moins l'hisoyète 350 mm, est appelée " Zone de modernisation pastorale". Ce terme traduit à lui seul l'enthousiasme politique de l'époque pour un développement entièrement tourné vers une ère nouvelle. Les cultures y sont toujours autorisées pour les pasteurs qui y vivent déjà, mais le texte prévoit qu'aucune indemnité ne pourra être réclamée en cas de dégâts aux champs. Toute implantation nouvelle de champs ou de hameau de culture par les sédentaires doit faire l'objet d'autorisations spéciales, alors qu'auparavant, seuls les Chefs de Cantons sédentaires disposaient d'un droit pour leurs administrés, les Chefs de Groupement nomades n' ayant pas de territoires. En fait, cette Loi qui devait protéger la zone pastorale de l'avancée des cultures ne pût jamais être vraiment appliquée. Autour des forages, on a prévu des règles de gestion, que Brigitte Thébaud60 décrit ainsi : A l’occasion du Rapport annuel de l’élevage de 1959-60, RECEVEUR- établit que, sur la base d’un rayon maximum de pâturage de 8 km, d’un besoin par tête de 7 ha et d’un fonctionnement du forage pendant 8 mois de saison sèche (soit de février à juillet), la charge animale ne doit pas dépasser 5 000 bovins ou 10000 unités bétail divers. Le 25 juillet 1961, un décret précisait que l’usage des stations de pompage et des zones de pâturage qui y étaient rattachées serait réservé à des collectivités d’éleveurs selon une liste arrêtée par décret et en tenant compte des droits coutumiers reconnus à ces collectivités (Ce point est le seul qui soit encore positif). Le 2 décembre 1961, un décret fixait enfin officiellement les règles d’utilisation des stations de pompage et des zones de parcours en dépendant. Ce décret indiquait que les dates d’ouverture et de fermeture des forages devaient être fixées par les commandants de cercle, après consultation des populations. Pendant leur fermeture, les pâturages situés dans un carré de 20 km de côté ayant pour centre la station de pompage étaient déclarés interdits. De plus, dans un carré de 40 km de côté, les pâturages étaient considérés comme réservés. À l’extérieur, ils pouvaient faire l’objet d’un accès réglementé par le commandant de cercle, qui devait également fixer, en collaboration avec le service de l’élevage, les charges animales maximales, qui ne devaient jamais dépasser 5 ha pour 1 bovin, 1 dromadaire ou 10 petits ruminants. De plus, des systèmes très stricts de contrôle des feux de brousse étaient instaurés. Faut-il préciser que ces règles complexes ne furent jamais mises en pratique ? Au-delà des manifestations d'enthousiasme pour la modernisation du secteur, ce changement général d'attitude traduit une orientation claire des scientifiques et des politiques pour ne voir

60 Politique d'hydraulique pastorale et gestion de l'espace au Sahel. Brigitte Thébaud, 1990, Cahier des Sciences Humaines 26.

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l'élevage que comme un secteur économique. Les pasteurs qui avaient jusque-là bénéficié d'une réelle reconnaissance de l'administration pour leur formidable capacité à valoriser ces espaces et à y vivre, sont maintenant perçus comme des ignorants venant tout droit du néolithique. On retourne à une vision dévalorisante des pasteurs, alors qu'au Niger, l'administration coloniale avait su reconnaître leur valeur en tant que peuples hautement spécialisés à partir des années 20. La science est toute puissante et les chercheurs ont le vent en poupe, galvanisés par la véritable révolution technique de l'agriculture européenne. Pourtant, cette décennie engage les scientifiques dans une aventure qui se traduira par de cuisants échecs. La principale erreur sera d'avoir fait reposer toute l'ambition du développement pastoral sur un postulat scientifique erroné… celui de ressources fourragères stables, dans un climat qui connaîtrait rarement quelques déficits pluviométriques61. La cartographie des pâturages, les programmes de gestion des pâturages autour des forages, la réduction de la mobilité, l'intensification de la production, tout ceci reposait sur la croyance en un climat beaucoup plus stable et une production fourragère relativement régulière62. Le retour à l'irrégularité "normale" du climat et de la production fourragère ramènera durement les scientifiques et les décideurs politiques à la réalité. Il faudra tout de même du temps pour cela, deux grandes sécheresses et près de 20 ans de recul, pour l'admettre, et ceci en toute discrétion. Malgré tout, les poches de résistance ça et là témoignent encore de la persistance du mythe de l'aménagement et de la "gestion rationnelle des pâturages", qui continue à faire des adeptes contre toute logique. ____________________________________________________________________

3.1.5. TRANSFORMER LE PASTEUR "PATRIARCHE" EN PRODUCTEUR AVERTI.

Cette ambition date des débuts de la conquête coloniale et reste d'actualité encore aujourd'hui, pourtant, aucun modèle de gestion des troupeaux n'a jusqu'ici fait la preuve de sa supériorité zootechnique et économique par rapport à la gestion pastorale existante dans ce contexte. Sous des formes variables, et selon les arguments des époques, la tentation de dépeindre les pasteurs comme des gens irrationnels ne sachant pas valoriser la richesse de leurs troupeaux revient avec une lancinante constance. Cette tentation s'accompagne le plus souvent de développement d'idées qui relèvent du jugement de valeurs sur les options de vie, davantage que d'arguments objectifs. Lorsque des ambitions de développement technique ou des intérêts quelconque en ont besoin, l'image du pasteur accumulant sans raison un cheptel peu productif est ressortie des tiroirs et brandie comme le symbole d'un scandaleux gaspillage de ressources. Le fait que les pasteurs puissent aimer leur mode de vie rude et se trouver mal à l'aise dans les agglomérations, qu'ils considèrent les travaux agricoles comme peu valorisants, concourent à renforcer l'opinion chez les techniciens et politiques, qu'ils sont d’irrécupérables reliques des temps anciens. Lorsque l'on veut convaincre, même de nos jours, pour une raison ou une autre qu'il est possible de produire plus et de gagner plus d'argent en faisant de l'élevage d'une autre 61 Voir à ce sujet, le point 2. de ce document, "Cadre Technique", qui explique l'irrégularité de la production fourragère. 62 On continue encore, à cette époque, à se baser sur le fait que la notion de climax s'appliquerait aux pâturages sahéliens. Voir point 2. Cadre technique.

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manière, la seule référence à l'élevage dit "traditionnel" suffit à véhiculer l'idée qu'il produit peu en raison de son archaïsme. Cette idée fait tellement partie de l'histoire et des représentations des techno-structures du développement et des Etats Sahéliens eux-mêmes, que chaque génération doit d'abord y être confrontée avant de l'analyser et de s'en faire une opinion. Ce malentendu trouve sans doute ses origines dans le choc des cultures de la conquête coloniale. Pour les militaires coloniaux de la fin du 19 èm siècle, qui sont encore très imprégnés du monde rural français de l'époque, les troupeaux des pasteurs apparaissent très important en nombre, alors que dans le terroir d'origine de ces soldats, la possession de quelques 10 vaches seulement est déjà un signe de richesse certain. Or, l'arrivant est tout de même frappé par le mode de vie ascétique des pasteurs, leur apparent dénuement matériel. Cette impression est d'autant plus forte qu'il n'est pas acclimaté et que cet environnement lui apparaît extrêmement rude, en raison de la chaleur, de la poussière, de la sécheresse de l'air ou au contraire de l'insalubrité de la saison pluvieuse. Lorsque lui-même a besoin, pour simplement survivre, de vêtements, de chaussures solides et montantes pour marcher dans cette brousse pleine d'épines de toutes sortes, d'un couvre-chef pour éviter l'insolation, d'une alimentation riche en protéines carnées, il s'étonne de voir des pasteurs peuls à demi nus, vêtus de peaux et de quelques vagues tissus, se couchant à la belle étoile, essuyant les pluies sans broncher, se nourrissant de bouillies de mil et d'un peu de lait et de cueillette, n'abattant que rarement un animal pour le consommer. Alors que toute sa culture d'origine l'investit du rôle divin de domestication de la nature et l'amène a mesurer les degrés de civilisations d'après les réalisations matérielles, il se trouve confronté à des peuples qui se fondent dans leur environnement, sans constructions, sans aménagement autres que les puits, sans empreintes territoriales visibles, et ne possèdent rien que leurs animaux ne peuvent transporter sur leur dos. Et quand quelques constructions témoignent tout de même d'une empreinte physique, il ne s'agit que de boue argileuse tout juste modelée en habitat sommaire, et qu'une grosse pluie pourrait rendre à la terre en quelques jours. Il constate qu'hommes et bêtes vivent très proches et qu'un lien indéfinissable semble les lier, d'autant que ces bêtes plutôt agressives envers l'étranger sont dociles et obéissantes avec leur famille humaine. Il lui suffit d'assister à la peine qu'occasionne la mort d'un animal auquel l'éleveur est attaché pour conclure à un attachement sentimental irraisonné, voir mystique. La fierté de l'éleveur devant ses bêtes et le constat que le prestige social est lié à la taille du troupeau lui occulte une part de la réalité, à savoir que l'importance numérique est une sécurité dans ce contexte d'irrégularité, et non un simple prestige. Investi d'une mission civilisatrice galvanisée par "Les Lumières", il oublie que dans ses campagnes d'origine aussi, les vaches portent un nom, qu'elles sont en permanence proche de leur famille humaine, à l'étable ou au pâturage, que leur propriétaire en connaît parfaitement l'ascendance, que leur mort imprévue est douloureusement ressentie, que ce milieu social est tout autant, sinon plus encore, teinté de mysticisme irrationnel que celui des Peuls, même si l'on s'en tient à mentionner le seul catholicisme sans parler d'autres croyances qui courent dans les campagnes de l'époque. Il n'est pas suffisamment capable de s'intéresser aux pratiques pour réaliser que les troupeaux qu'il voit devant lui sont fréquemment des regroupements familiaux, des transferts, des héritages, des répartitions en catégories pour des impératifs d'élevage. Il ne pense pas à explorer ces possibilités et les éleveurs eux-mêmes, lorsqu'un dialogue peut s'instaurer, ne pensent pas à les lui décrire.

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De là, il est facile pour lui de se forger une opinion. Le dénuement dans lequel vit l'éleveur serait un avarice et s'il ne vend pas ou ne troque que peu de bétail pour améliorer sa condition, c'est en raison d'un attachement sentimental qui semble désuet. Se trouvant à un niveau archaïque de développement, il ne ressentirait pas les besoins d'améliorer sa condition. La mentalité de l'éleveur serait donc entièrement tournée vers l'accumulation de cheptel pour la seule reconnaissance sociale. En outre, aucune analyse sérieuse ne vient contredire ces à priori, pour mettre en évidence les taux d'exploitation par exemple ou simplement dénombrer les catégories de sexe et d'âge dans les troupeaux. Les logiques des déplacements des nomades n'apparaissent pas toujours à l'arrivant. Cette apparente errance ajoute encore à l'impression d'absence totale de bon sens. Enfin, il le classe parmi les reliques des sociétés de l'Antiquité, qui n'auraient pas encore atteint le stade de la sédentarité et de l'agriculture. S'ils étaient dominants à la période de conquête, il apparaît que par la suite, ces préjugés n'étaient pas unanimement partagés comme on pourrait le croire. Il s'agit bien, dès cette époque, d'opinions tranchées entre deux tendances qui continueront à diverger jusqu'à nos jours dans leurs visions de l'avenir de l'élevage sub-saharien. En témoigne la série d'extrait suivante qui, dans un ordre chronologique, affirment successivement des conclusions très contraires dans les revues scientifiques les plus sérieuses. Cité par E. LANDAIS (1990), le point de vue dominant chez les vétérinaires et agronomes dans les publications de l'époque reste toutefois dévalorisant et manque cruellement d'analyse objective. Il est très clairement exprimé par BRIZARD en 193863 :

«Avare à sa manière, le Peulh Sambourou accroît patiemment son cheptel pour le seul plaisir des yeux et vit très pauvrement à côté de ses richesses. Ne vendant que quelques animaux chaque année pour payer l’impôt de capitation, vivant uniquement sur le lait des vaches dont il prive le jeune zébu, cet éleveur a l’habitude de conserver dans son troupeau des bêtes tombant de vieillesse qu’il abat pour sa nourriture en dernière extrémité ou qui le plus souvent périssent au cours des déplacements. Les épidémies de peste bovine et de péripneumonie, rapidement jugulées à l’heure actuelle par les mesures sanitaires et les interventions prophylactiques qui augmentent en nombre chaque année ne causent plus les grandes pertes de jadis (...). Quelle conclusion peut-on tirer de cet exposé? Une seule, que la mentalité de ces nomades, qui se traduit par une passion pour le troupeau plus forte que le désir de mieux vivre, est une entrave à l’essor économique de toute une région, je dirai même une atteinte partielle à la richesse du Soudan. ».

Etienne Landais, livre dans son article une critique de cet extrait qui nous parait résumer parfaitement le ton général de l'époque et que nous restituons telle quelle :

"Tout est dit : non contents de spolier le jeune zébu, principale richesse de la colonie, les pasteurs, par leur avarice, mettent en cause l’intérêt général. L’auteur désigne également les méthodes d’intervention : il faut recenser, évaluer, taxer. Sous couvert d’une approche économique objective, l’affirmation de la richesse des pasteurs repose en réalité sur une base d’évaluation parfaitement arbitraire et une indifférence totale vis-à-vis des sociétés concernées" E. Landais.

63 BRIZARD (M.), 1938. - «Un capital en partie improductif : le cheptel bovin des Peulhs Sambourous ». Bulletin des Services Zootechniques et des Épizooties de I’AOF, 1 : 21-23.

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Et pourtant, DOUTRESSOULE64, toujours cité par E. Landais, avait déjà écrit en 1937, donc un an plus tôt :

«Les règles générales qui doivent être à la base de notre action sont les suivantes : ne pas chercher à plier les populations pastorales à nos méthodes, mais modifier celles-ci de façon à ce qu’elles ne heurtent pas leur traditionalisme; en raison du peu de valeur du bétail et de la nature du milieu, il faut faire de l’élevage extensif et non intensif. Le pasteur foulah possède un sens pratique très développé de l’élevage, une habileté particulière à profiter des conditions climatiques pour l’alimentation de son bétail par le choix des zones de pâtures. Il est très attaché à son bétail et cherche par tous les moyens à augmenter la valeur numérique de son troupeau. Nous devons donc agir en utilisant au mieux ses connaissances pratiques, son expérience de l’élevage, son orgueil de posséder un gros troupeau, et surtout bien nous garder de vouloir lui imposer nos méthodes pseudo-rationnelles dont il se moque, qui ne sont pas consacrées par l’expérience. »

BERNUS65, nous livre un exemple inverse en citant le Géographe RICHARD-MOLARD66 qui en 1944, malgré tout, prenant le risque d'entrer dans un débat étranger à sa formation de base, parle de "Prétendu élevage" et affirme avec conviction :

« Etrange éleveur aussi dont le troupeau s’encombre d’une quantité inadmissible à nos yeux de vieilles vaches depuis longtemps infécondes [...] dont on espère toujours une ultime naissance [...]. Etant donné l’insuffisance des ressources en verdure en saison sèche, ce maintien sentimental est préjudiciable aux éléments féconds et aux jeunes. » {…} « Même pour le Noir le bétail sert toujours à quelque chose, ne serait-ce qu’à satisfaire quelque rite religieux. Mais rien de tel pour le Peu1 non touché encore par la “civilisation”. La bête à cornes ne lui sert de rien. Elle lui donne une raison de vivre. C’est lui qui la sert."

E.Bernus relève à ce sujet que : "A cette époque, pourtant proche de nous, on n’a pas encore mesuré que le gonflement des effectifs est rationnel dans un contexte d’insécurité, et que les vieilles vaches, mieux immunisées, peuvent après une épizootie être l’amorce de la renaissance d’un troupeau." Nous ajouterons que si Richard-Molard avait passé ne serait-ce qu'une seule nuit en modeste invité auprès d'un campement Peul, il aurait consommé les viscères et la viande d'un animal égorgé en l'honneur de sa visite et but du lait frais à satiété. L'estomac bien rempli dans la fraîcheur de la nuit, contemplant les étoiles, il aurait alors été plus enclin à trouver un intérêt quelconque aux "bêtes à cornes" du Peul. Concernant l'idée d'une accumulation irraisonnée du bétail par les pasteurs, si ce préjugé reste encore vivant aujourd'hui ça et là dans toutes les sphères scientifiques et chez les politiques, il avait pourtant été relativisé, voir démystifié déjà depuis les années 50. On s'explique donc mal sa survivance envers et contre toute étude sérieuse qui puisse l'argumenter. LANDAIS nous éclaire sur ce point en citant FEUNTEUN67, qui en 1955, écrivait dans la revue "Elevage et Médecine Vétérinaires des Pays Tropicaux" :

64 DOUTRESSOULLE (G.), 1937. - Plan décennal de la mise en valeur du cheptel guinéen. Rec. Méd. Vét. Exot., 10 : 21-38. 65 EDMOND BERNUS, Les pasteurs nomades africains, du mythe éternel aux réalités présentes, Cahier des Sciences Humaines 26, 1990. 66 RICHARD-M• LARD (J.), 1944. - « Essai sur la vie paysanne au Fouta-Djalon », Revue de Géographie Alpine, Grenoble, t. XxX11, fasc. II 67 FEUNTEUN (L. M.), 1955. - «L’élevage en AOF. Son importance économique et sociale ; les conditions de son développement et de son amélioration ». Rev. Él. Méd. Vét. Pays Trop., 8 (2-3) : 137-162.

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«Il est souvent fait mention, dans les rapports traitant de 1’Elevage en ACF, de l’esprit conservateur des éleveurs qui les porte à garder dans leurs troupeaux un nombre inconsidéré de têtes de bétail et à ne vendre leurs animaux qu’en cas de besoin absolu, ce qui a pour résultat la non-utilisation du bétail au point optimum de son développement et une gestion anti-économique du troupeau. Ce fait est généralement considéré comme déplorable. Hormis certaines fautes de gestion relatives a un manque de sélection et à une trop longue conservation dans le troupeau de femelles stériles ou de bœufs, nous ne pensons pas que l’esprit conservateur des éleveurs soit très critiquable. C’est grâce à cet esprit que le troupeau a pu se reconstituer dans le passé après les hécatombes périodiquement provoquées par la peste bovine et c’est aussi grâce à lui et au développement de la protection sanitaire que le troupeau bovin de la Fédération a pu doubler depuis trente ans. »

Plus tard, l'Edition 1974 du Mémento de l'agronome, qui est largement utilisé par les vétérinaires et les agronomes français comme par ceux des pays sahélien, aurait dû contribuer à bannir définitivement cette conception simpliste, puisqu'on peut y lire en page 1026 :

« Le mythe de l’éleveur qui thésaurise ses animaux est à bannir des conclusions des études sur le développement de l’élevage. L’éleveur exploite réellement son troupeau dans la limite de son rendement, naturellement faible. »

Au final, au-delà de la prophylaxie et des aspects sanitaires, les professionnels de la santé et de la production animale se retrouvent bien démunis à cette époque, pour espérer apporter des nouveautés zootechniques aux pasteurs, pour concrétiser l'ambition de les voir améliorer la productivité globale et les paramètres de leur élevage :

• La sélection des mâles reproducteurs sur la base des carrières des femelles est déjà acquise depuis des siècles et les critères de sélection sont cohérents du point de vue scientifique même s'ils s'accompagnent de critères moins scientifiques, tels que le caractère, la docilité, l'agressivité ou des paramètres physiques qui ont dessiné au cours des âges les styles particuliers des races actuelles.

• La castration des mâles non reproducteurs est déjà une pratique usuelle et banale. • La logique de mise en marché est cohérente à l'intérêt économique, les animaux étant

conservés jusqu'à l'âge adulte puisque le fourrage n'a pas de coût direct. • Les éleveurs ont compris depuis longtemps, les vétérinaires le reconnaissent, qu'ils ont

intérêt à long terme, à la conservation des femelles âgées, puisque leur âge témoigne d'une bonne immunité contre les épizooties qu'elles ont traversées. Leur ultime descendance a donc de fortes chances de transmettre des gènes de résistance.

• Enfin, vu les coûts de production extrêmement faibles dans la contexte de mobilité et la faible valeur du bétail dans les termes d'échange, il est illusoire de vouloir introduire des améliorations dans l'affouragement.

Au Niger, après les tentatives d'amélioration avec des races importées que nous avons relatées et qui sont restées sans effets, les seuls réels investissements de la profession dans le domaine de la zootechnie jusqu'à l'indépendance, seront la poursuite patiente et en milieu protégé, de la sélection laitière de la race bovine Azawak à la station de Filingué-Toukounous.

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3.2. DE L' INDEPENDANCE JUSQU'EN 1972.

3.2.1. L'ELEVAGE ET SES FILIERES. La période 1960 - 1969 est appelée "phase de modernisation de l'économie"68. Durant cette période, sont créées les sociétés d'Etat pour la commercialisation de l'arachide SONARA, du coton et textile SONITEXTIL, du riz RINI, de lait OLANI, du bétail SONERAN, ainsi que la COPRO-Niger et l'UNCC, Union des coopératives. Cette période est décrite par nos personnes ressources comme une continuité de la politique engagée dans les années 50 concernant l'élevage. En clair, l'indépendance n'a pas produit de rupture marquante de la politique de développement de l'élevage en raison du changement d'administration, d'autant que la France soutien toujours financièrement les recherches en cours et les programmes. Nous avons déjà détaillé les orientations politiques en matière de gestion des espaces pastoraux et les réalisations du programme d'hydraulique pastorale du FIDES et notamment la création des stations de pompage, ainsi que les courants de pensées de l'époque sur ce sujet au point 3.1.1.3.3. Nous n'y reviendrons donc pas. La vaccination antibovipestique et anti PPCB s'intensifie encore et touche tous les éleveurs. Dans le Nord Dakoro, les Wodaabés Bi-hama'en et Kassaoussawa y sont confrontés pour la première fois en 1962. Cette année là fût appelée dans leur chronologie "army duka", soit littéralement "attache-tout" en langue haoussa, car des rendez-vous étaient pris à l'avance par les équipes de vaccination, et tout le bétail devait être trouvé le jour « J » avec les pattes attachées pour faciliter le travail69. Les services de l'élevage se démembrent sur le terrain jusque dans les arrondissements et des postes vétérinaires sont créés dans les "postes administratifs", plus petites entités du découpage. Les objectifs stratégiques restent donc sensiblement les mêmes, avec la santé animale et la création de points d'eau. Deux tentatives de courte durée viennent marquer leur époque et concrétiser la "modernisation" de l'économie dans le secteur élevage :

- La création de la SONERAN, Société Nationale d'Exploitation des Ressources Animales, et du "ranch" d’Ekrafan en 1966, au Nord de Niamey sur la frontière malienne.

68 Seyni Hamadou, Politiques et investissement dans les petites exploitations agricoles à Maradi, working paper 33, 2000, Dryland reaserch UK 69 Profil historique MARP réalisé en formation pour AREN en octobre 1999 vers le puits de Issou, avec l'appui de Pippa Trench, IIED.

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- La création à Maradi de la station de recherche caprine et de la tannerie industrielle de la SONETAN, qui assure également la collecte des cuirs et peaux à l'intérieur du pays.

Avec la SONERAN, l'Etat souhaite engager une politique de stabilisation des prix du bétail et favoriser l'exportation. Les taurillons étaient achetés aux éleveurs dans tout le Nord Filingué et disposaient de conditions favorables à l'intérieur du ranch d'Ekrafan pour parfaire leur embonpoint, pour être exportés vers les pays côtiers par la société et à son profit.

Les abattoirs frigorifiques de Niamey et Maradi( photo ci-contre) sont construits avec l'ambition d'exporter de la viande sous forme réfrigérée70. Dans les faits, seul le système de rachat et finition des taurillons à Ekrafan fût opérationnel quelques années, et l'ambition de contrôler le marché de la viande et des prix grâce à la société d'Etat resta une belle idée, ainsi que l'exportation de viande réfrigérée, en dehors de quelques commandes anecdotiques. Le marché légal ou informel des commerçants continuera, et continue toujours, à être le principal vecteur de l'exportation, et elle concernera toujours des animaux vivants. En parfaite conformité avec la politique qui vise à améliorer les

races locales par la sélection sans apporter du sang étranger, l'Etat crée la station Caprine de Maradi. Il s'agit promouvoir cette race de chèvre locale, très prolifique, de taille courte et adaptée au milieu agricole, dont la robe se décline entre le roux et le noir, et que l'on trouve grosso modo dans tout le pays Haoussa. L'intérêt de la Chèvre Rousse de Maradi, comme on l'appelle désormais en opposition à son appellation de Red Sokoto au Nigéria, tiens à la finesse de son cuir, qui convient parfaitement à la ganterie de haute qualité, alors en vogue en Europe. Au Nigéria voisin, des usines de tanneries fonctionnent déjà à la production de cuirs de toutes espèces qui ont fait l'objet d'un premier tannage et seront ensuite exportée en Europe pour un traitement plus sélectif, non seulement pour la ganterie fine, mais également pour d'autres formes de finitions.

Une usine de tannerie est donc créée pour valoriser ce qui apparaît alors comme une matière première importante. Ci-contre, un bouc sélectionné. ( Photo Coopération Belge.) La sélection zootechnique qui s'engage alors à Maradi est axée uniquement sur cet objectif. Seuls la finesse de la peau, l'absolue pureté de la couleur rousse pour la différencier de la sous espèce noire (cette distinction est discutable) et la gémellité

des naissances, seront utilisés comme critères. Les mâles issus de la sélection seront diffusés dans le milieu agricole afin d'améliorer l'ensemble de la production de cuir du département et la collecte est organisée, avec la création d'aires de séchages des cuirs sur tous les points d'abattage des marchés. Malheureusement, la mode des gants en cuirs va passer très vite dans les pays du Nord, la demande qui avait augmenté dans ce sens depuis les années 50 va s'effondrer et la tannerie ne tournera jamais à son niveau potentiel de production. Elle cessera ses activités après moins de 70 Entretiens avec Dr Boubé Hambali, Niamey, février 2003.

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15 ans. Une tentative de reprise par un privé en 1990 n'aura pas de suites, malgré le bon état général de toutes les machines et la capacité de production intacte de toute la chaîne. La station caprine, par contre, continuera ses activités jusqu'à aujourd'hui, sur financement de l'Etat et de bailleurs successifs qui auront bien voulu se laisser entraîner dans cette curieuse entreprise (récemment, c'est la coopération Belge qui a redémarré un projet sur les mêmes bases de sélection et diffusion, de 2001 à 2007, en deux phases). Sur la base des entretiens multiples que nous avons eu dans les années 80, puis plus tard, avec des responsables de la station ou d'autres agents de l'élevage qui y ont travaillé, aucune autre sélection n'a jamais eu lieu sur la Chèvre Rousse de Maradi, ni sur la production laitière (cette chèvre n'est jamais traite en milieu agricole pour des raisons culturelles, et le milieu touareg qui consomme le lait de chèvre possède des races plus adaptées aux conditions pastorales), ni sur la production de viande. Une fois que la finesse du cuir a disparu des objectifs de sélection par quasi absence de marché, la seule gémellité et la couleur de la robe ont continué à justifier l'entretien de la station et de son personnel. Pourtant, le nom de la chèvre est lié à celui de Maradi. Difficile de trouver une page sur Internet qui parle de près ou de loin de la ville de Maradi, sans que la mention de cette "célèbre" chèvre rousse n'apparaisse, comme si elle en était le signe distinctif. Toute la littérature concernant cette race met en avant la finesse de sa peau, et sa diffusion fait l'objet de proposition de projets et de programme depuis si longtemps qu'on l'impression que la station caprine est à l'origine de sa présence dans tout le Sud Niger et dans les pays voisins. Or, nous n'avons pas trouvé d'étude qui puisse réellement mettre en avant les acquis de la sélection sur les millions d'individus existants ou la diffusion de cette race dans une aire géographique quelconque. La station, grâce à son milieu protégé, a tout de même servi nombres de recherches universitaires individuelles sur l'alimentation ou la production laitière. Quand à l'exportation des cuirs et peaux spécifiquement liés à cette race, on est bien en peine de trouver des informations, hormis la mention ça et là, "que des débouchés existent". Le mythe fondé par les ambitions des années 60 est resté intact et continue de faire la fierté de la profession vétérinaire du Niger, malgré le cuisant échec de ce coup de poker économique. ___________________________________________________________________________

3.2.2. LA GESTION DES ESPACES PASTORAUX.

3.2.2.1. Le cadre institutionnel de la modernisation pastorale. Les pasteurs n'échapperont pas à la marche du progrès. L'Etat a mis des efforts sur la filière viande en aval, comme on l'a vu plus haut, afin de faire d'eux des producteurs modernes. Il voudra aussi mettre des efforts en amont des pasteurs, sur la gestion des pâturages, afin de pouvoir enfin tendre vers la rentabilité de ces centaines de milliers d'hectares et de ces millions d'UBTs qui les parcourent. En 1961, les pasteurs sont promus, pour la plupart sans jamais l'avoir su, exploitants des toutes nouvelles "zones de modernisation pastorale".

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La Loi 61-5 du 26 mai 1961 fixant une limite Nord des cultures71, puis la Loi n° 61-06 du 27 mai 1961 érigeant en zone de modernisation pastorale la zone Sahélienne d'Elevage située au Nord de la limite légale des cultures, viennent marquer une division très nette entre zone agricole et zone pastorale. Désormais, en théorie, toute culture sera interdite, autre que celles dites "de subsistance" des pasteurs et celles dites "oasiennes", soit les jardins irrigués. Ces dispositions viennent répondre premièrement à une observation pertinente : le front des cultures sous pluies avance très vite vers le Nord, et les conflits pour les dégâts aux champs commencent à devenir une des questions majeures réglées au quotidien par l'administration. On perçoit une menace sur l'espace pastoral et nous avons des témoignages de Peuls Wodaabés qui dans ces années là, avaient déjà établi des cultures le long de la limite vers Maïkoulaké (voir le texte de Loi en annexe) afin de marquer physiquement la limite aux agriculteurs72. Dans les faits, non seulement les cultivateurs ne quitteront pas leurs zones de culture situées au Nord de la limite, mais la colonisation de l'espace pastoral par des hameaux de culture dispersés loin au Nord, se poursuivra sans interruption. Les hameaux de cultures deviennent progressivement des gros villages, On continuera d’amender tous dégâts aux cultures à des tarifs honteusement élevés et sans référence à la Loi qui défini pourtant des procédures de dédommagements. Bien au contraire, depuis les années 60 aux années 2000, durant près de 40 ans, les éleveurs furent rackettés sans vergogne au nom de "dégâts champêtres" sur des champs situés loin au Nord de cette limite. Cette pratique fût tellement institutionnalisée qu'on utilisa même dans le langage administratif, le terme de "champs pièges" lorsque la situation du champ qui est l'objet du litige, est trop manifestement située sur les passages des animaux. La création de multiples fourrières par les autorités administratives dites "traditionnelles" se généralisera, et l'on prendra le bétail en otage en exigeant des prix exorbitants pour sa libération. Plus grave encore, des dizaines de puits pastoraux creusés par l'Etat sur les fonds du plan FIDES, se verront encerclés par les champs, puis par les paillotes, et deviendront progressivement les puits villageois de gros villages de cultivateurs. Fuyant les risques de

dégâts aux champs, fuyants les conflits d'usage de ces puits, sans aucun soutien à espérer des autorités, les pasteurs se déplaceront progressivement vers le Nord. C'est ainsi que le puits de Maï Adoua, deviendra le village de Sakabal et que ses utilisateurs se replieront vers le puits de Bermo, à 45 Km de là au Nord de la fameuse limite. Au Nord de Bermo même, des puits pastoraux font l'objet d'encerclement stratégique depuis une dizaine d'année.

Ci-dessus, bas-fonds essentiels au cycle pastoral et mis en culture.

71 Voir annexes. 72

Illustration de la vie pastorale. Histoire de Baleiri à travers les deux sécheresse, et examen sommaire de l’économie pastorale actuelle du campement. R. Hammel, support de formation au Pastoralisme, 2001.

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Quelques exemples……. A gauche, on voit très bien une zone mise en culture et le sol nu en saison sèche, loin au Nord de la fameuse limite de 1961. D’un côté le sol reste couvert par des restes de graminées, de l’autre le sol est nu, engendrant ainsi une érosion éolienne qui soustrait aux couches superficielles du sol, les éléments fins et indispensable à la fertilité. A droite, on constate que ces immenses surfaces sont totalement dénudées de toute végétation arbustive. La paille résiduelle est totalement récoltée et les tiges de mil elles-mêmes sont stockées. On est loin de l’image d’une complémentarité entre agriculture et élevage. En bas à gauche, un âne affecté au ramassage de la paille en zone pastorale. Cette pratique, interdite, est vigoureusement combattue par les éleveurs mais en pure perte. Il s’agit, il faut le dire, d’une collecte effectuée par des gens très pauvres qui trouvent là un revenu modeste. En bas à droite, la mise en culture des bas fonds s’accompagne d’un défrichement radical. Ici, on a passé les grands Balanites aegyptiaca par la hache et le feu.

Photos Jacques Chabert et Roland Hammel

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3.2.2.2. Mise en valeur des espaces pastoraux… sur le terrain. Même si les pasteurs ignorent tout des grandes ambitions scientifiques de l'Etat sur les zones de modernisation, le langage des administrateurs et des scientifiques intègre très vite le nouveau découpage, qui s'est enrichi d'une nouvelle théorie : La zone de modernisation pastorale serait une zone dite "de naissance". En effet, on envisage de mettre en place une stratification en 3 zones, l'une "de naissance", l'une "d'engraissement", et la dernière, au Sud, "de finition". En 1966, le rapport de l'étude de "mise en valeur du

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complexe pastoral situé au Nord de l'Axe Filingué - Tahoua73", appelle sans hésiter l'ensemble du Nord de cet axe, "Zone pastorale de naissance". On suppose en effet, que puisque les sous produits agricoles se trouvent en zone agricole, et que les populations sédentaires sont plus aptes à pratiquer l'engraissement, il suffira que les nomades vendent leurs animaux en bas âge, que leur croissance s'achève en zone intermédiaire, et que la finition de l'engraissement se fasse en stabulation chez les agriculteurs qui disposent de fanes d'arachides, de son, et de divers aliments que l'industrie fournira bientôt. Fort heureusement, aucune action réellement concrète ne viendra tenter de faire appliquer ce plan simpliste. Le ranch d'Ekrafane est créé et clôturé en 1966, les études agrostologiques ayant été menées pour sa création dès 1962 par B. Peyres de Fabregues, agrostologue de l'IEMVT et véritable chef de fil de la recherche dans ce domaine durant deux décennies. Situé en pleine zone pastorale, le ranch a pourtant la vocation de terminer l'engraissement des animaux achetés jeunes aux éleveurs par la société SONERAN, qui n'est pas encore créée formellement et que l'on désigne sous son nom provisoire de SERAN. B. Peyres de Fabregues s'inquiète dans son rapport, des 300 kms que le bétail devra parcourir à pied jusqu'à l'abattoir de Niamey, et de la perte de poids qui en résultera. Il défend le principe de l'achat d'un camion adapté pour acheminer vers la capitale les quelques 10 000 bovins par an qui sont espérés pour l'exportation (ce trajet, encore aujourd'hui, suit une piste très sableuse qui est difficilement praticable même avec les véhicules tout terrain). 4 stations de pompages sont équipées et fonctionnelles sur le ranch dès 1966. Concernant la situation autour des forages de la préfecture de Tahoua, B. Peyres de Fabregues relève que des rayons de près de 7 kms présentent un sol totalement nu dès le mois de février, en raison de la surcharge en bétail. Mieux, il identifie que des zones desservies par les puits profonds sont sous-utilisées car nombre d'éleveurs sont venus abreuver aux forages par facilité. Pour lui, la clef du problème se trouve dans une ouverture plus tardive, vers février seulement, des stations de pompage. Il semble toutefois émettre des doutes quand à la pertinence de la multiplication des stations de pompages74 :

L'enquête permettra de fixer la date et les conditions d'ouverture et de fermeture des stations de pompage. On doit enfin remarquer que du point de vue humain, créer une telle habitude de facilité, sinon d'oisiveté, peut avoir les conséquences les plus graves, le bétail, en effet, va à sa guise du pâturage à l'abreuvoir.

Il est prévu, et cela sera fait, de réaliser une cartographie détaillée des pâturages du ranch d'Ekrafane entre juin 66 et fin 67. Pourtant, B. Peyres de Fabregues relève à ce sujet :

De nos observations périodiques des parcours du ranch du Nord Sanam depuis 1962, il ressort que l'évolution du tapis herbacé montre de très importantes variations annuelles. Ainsi, par exemple, autour de Digdiga, les pâturages médiocres en 1962-63, nuls en 1964-65, présentent cette année une excellente composition75.

73 Mise en valeur du complexe pastoral situé au Nord de l'Axe Filingué - Tahoua, 1966. B. Peyre de Fabregues, J. Greigert, J.P. Marty.. Secrétariat d'Etat aux affaires étrangères chargé de la coopération. République Française. 74 Même document page 26. 75 Mise en valeur du complexe pastoral situé au Nord de l'Axe Filingué - Tahoua, 1966. B. Peyre de Fabregues, J. Greigert, J.P. Marty.. Secrétariat d'Etat aux affaires étrangères chargé de la coopération. République Française. Page 25.

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Ainsi, on se rend compte grâce à des études qui se répètent sur les mêmes parcours, que non seulement la production nette de MS, mais également la composition floristique des pâturages change d'une année sur l'autre. Cela ne découragera pourtant pas le vaste programme de cartographie des pâturages de tout le Sahel dont nous avons parlé au point 3.1.

Précision et exemple. Pourtant, si la quantité de production et la composition floristique sont instables d'une année sur l'autre de manière aléatoire en raison de trop nombreux facteurs, on ne voit guère ce qui peut être cartographié, donc figé sur le papier à un moment donné, avec un quelconque intérêt concernant le tapis herbacé. Les indications utiles de ces cartes restent celles concernant la pédologie et l'hydrographie, mais les classifications de types de pâturages en fonction de dominances botaniques restent peu utiles et imprécises en raison des variations très grande des compositions floristiques. En ce qui concerne les ligneux, des variations interviennent aussi mais sur des périodes plus longues. Malgré tout, on peut signaler l'exemple de la rive Nord du Koren Tamaya, au Sud Est d'Agadez. Cet ensemble est classé comme "Savane Arborée" sur les cartes des pâturages IEMVT, en raison de la présence très marquée de Sclerocarya birrea et d'un couvert assez remarquable. Après 1984-85, cette zone présentait l'aspect d'un cimetière de grands arbres et seuls quelques pieds de Balanites aegyptiaca avaient survécu dans le lit mineur de l'écoulement. Dans les 20 années suivantes, la colonisation de divers arbustes de la famille des combrétacées et des euphorbiacées s'est engagée. Aujourd'hui, Acacia radiana, albida et Balanites aegyptiaca ont suffisamment repris pied dans cette zone et on peut raisonnablement penser à une évolution vers un type "Savane arborée", mais avec d'autres espèces que celle indiquées dans les années 70. Cet exemple illustre très bien la notion de "milieu en déséquilibre constant".

B. Peyres de Fabregues ne développe pas davantage ses observations dans ce document, mais propose au paragraphe suivant de suivre l'observation continue des pâturages sur les mêmes transects durant plusieurs années. En effet, on se rend compte que si des variations de production herbacées sont aussi marquées, il faut impérativement parvenir à trouver quelle est la CLEF de ces variations, car l'ambition finale est résumée dans le même document :

"Une telle étude permettra de préciser les bases d'une réglementation de l'utilisation des parcours en vue de les sauvegarder d'une dégradation irréversible."

Une étude incluant 4 missions de photographies aériennes et des relevés de terrain au sol sera menée jusqu'en 1970. L'objectif est reprécisé encore dans le rapport de juin 196876, il s'agit bien de définir une méthode utilisant les techniques croisées de photographie aérienne et de relevés au sol, afin de définir la capacité de charge de chaque zone pour l'année à venir. B. Peyres de Fabregues précise ensuite que cette méthode :

…pourra ensuite être utilisée à des aménagements adéquats des cycles pastoraux dans la région nomade du Sahel et à l'établissement du plan d'utilisation des points d'eau, pour l'année considérée.

76 Mise en valeur du complexe pastoral situé au Nord de l'Axe Filingué - Tahoua, rapport de campagne juin 68. B. Peyre de Fabregues, IEMVT.

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Le transect qui est l'objet de ce ( coûteux ) programme d'étude ne représente que 20 km sur 180 km, donc une fraction infime de la zone pastorale du Niger. Pourtant, B. Peyres de Fabregues traduit ici l'enthousiasme de l'époque et n'hésite pas à faire miroiter qu'un jour proche, on pourra appliquer cette méthode à quasiment l'ensemble de la zone pastorale, puisqu'on prévoit à terme l'installation générale de station de pompages dans tout le pays. Même si ce n'est pas dit formellement, cela laisse entendre que les scientifiques disposeront de moyens conséquents et qu'à la fin de chaque saison des pluies :

- on dressera un bilan cartographié des ressources fourragères d'une zone couvrant environ 300 km sur 1200 km, ,

- que l'on sera en mesure de réguler la charge animale sur les espaces en dirigeant plus de 1 millions de pasteurs nomades en organisant et planifiant leurs déplacements et stationnements en fonction de l'outil de gestion qui serait mis au point.

L'objectif sera que les troupeaux utilisent les pailles résiduelles en totalité, sans souffrir de la faim, et surtout sans "surpâturer" les pâturages. Si le système de pâture peut, en plus, contribuer à améliorer la qualité floristique, l'outil de gestion fera la preuve de son excellence. A cette époque, B. Peyres de Fabregues mentionne dans les objectifs secondaires de son étude, la nécessité d'établir si le surpâturage en saison sèche a des répercussions sur la production de l'année suivante et notamment sur la composition floristique. On sait aujourd'hui que cette question est sans objet (voir Cadre technique), mais ce n'est pas encore le cas à l'époque. Par ailleurs, la question de fluctuation de la capacité de charge d'un site donné alors que le niveau de cheptel est relativement inchangé n'apparaît pas vraiment. On se rappelle que la production n'est pas aussi irrégulière que la normale dans cette période de 30 années de stabilité exceptionnelle, et cette question ne se pose pas ou peu aux chercheurs. On se rend compte que cette période est réellement le début de la recherche agrostologique. On n'a pas encore remis en cause le fait que des climax de base seraient la norme dans chaque ensemble écologique et l'on n'a pas encore de raison de remettre en cause la notion "d'équilibre" des systèmes écologiques sahéliens. Bien des évidences restent à découvrir, et la croyance dans un modèle de gestion universel et applicable n'est pas très étonnante dans le contexte de marche triomphante du progrès qui déteint sur les rêves de l'Afrique Noire post coloniale. Le nomade issu du fond des âges passera de l'âge de pierre dans le futur technologique avec une grande aisance……..du moins dans les rêves des scientifiques, des économistes et des politiques. A partir de 1969, les irrégularités des pluies déroutent quelque peu les plans de développement en cours, et la sécheresse de 1973-74 viendra rappeler brutalement la réalité.

3.2.2.3. Qui pilote ces orientations ? Expert ou bailleurs ? On est en face d'une question essentielle et qui se pose avec acuité quand on se livre à l'exercice, plus facile à posteriori, de tirer les leçons de ces échecs historiques. On constate par exemple, que Peyres de Fabrègues, qui figure parmi les experts les plus connus et renommés, exprime fréquemment des doutes en signalant des faits ou en mettant en avant des

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difficultés. Par exemple ( point 3.2.2.2), il relève l'éloignement du Ranch d'Ekrafane et signale que la distance à parcourir à pied n'est pas cohérente avec la notion de "finition" d'embonpoint qui est à la base du projet, puisque les distances à parcourir jusqu'aux marchés terminaux sont longues et fatiguantes. Lors des études d'identification du PENCE77, que nous aborderons au point 3.3.4.1.1. plus loin, on remarquera qu'il tente de faire partager son expérience en mentionnant que les pasteurs préfèrent toujours les puits traditionnels parce qu'ils en maîtrisent l'accès. Il relève encore que si l'on réalise des puits cimentés il serait pertinent de les attribuer. On a vu au point précédent, comment il relève les grandes variations inter annuelles de la production herbacée sur les parcours étudiés et se met à douter de la possibilité réelle de mettre en place des modèles de gestion. On a vu comment bien des vétérinaires ou des administrateurs, durant la période coloniale, doutent du bien fondé des orientations et se permettent de les contredire. Chez les bailleurs, tout semble se passer parfois comme si personne n'était réellement chargé d'étudier les actions prévues sous l'angle de la pertinence et de l'efficience. Leur mécanismes d'analyse sont-ils si peu efficaces ? Les capacités techniques et les ressources humaines expérimentées font-elles défaut dans leurs structures de décision ? Tout porte à le croire. On y reviendra plus loin. ___________________________________________________________________________

3.3. DE 1973 A 1985, LES LENDEMAINS QUI

DECHANTENT.

3.3.1. REACTIONS DES PASTEURS. Les années sèches à partir de 1969, puis la véritable sécheresse de l'hivernage 1973 ont permit de révéler les faiblesses d'une attitude trop confiante qui s'est installée à la faveur des 3 décennies de bonne pluviométrie. En effet, même si l'année 1948 était présentée comme une grave sécheresse, elle n'était qu'une mauvaise saison isolée. L'année 1947 fût satisfaisante et l'année 1949 aussi. Par ailleurs, la densité démographique et la faible occupation des sols dans la zone soudanienne avaient permis aux troupeaux de rejoindre assez tôt des zones d'accueil qui en ce temps là ne faisaient pas défaut. Les pertes furent assez minimes au regard d'un niveau de possession de cheptel assez confortable chez la plupart des pasteurs. Or depuis 1948, la mémoire collective avait relativisé le risque climatique et les pasteurs s'étaient engagés dans une certaine stabilité de parcours, stationnant en saison sèche à

77 PENCE. Agropastoralisme, rapport de synthèse. B.Peyres de Fabregues. déc.1980 Page 45

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proximité des puits, ne se déplaçant que pour des choix qualitatifs dans les fourrages sur pied, ou des facilités d'abreuvement et non pour la survie du troupeau car les stocks de pailles sur pieds étaient largement suffisant en générale. Les éleveurs Touaregs du Nord furent plus touchés en 73 et subirent des pertes massives, car ils sont éloignés de la zone soudanienne et des zones refuges, considérant les zones Sud comme insalubres pour les hommes et les dromadaires et plus enclins encore à rester attachés à leurs vallées dans un système endodromique qui n'inclut pas les déplacements longs vers le Sud. La plupart des éleveurs peuls retrouvèrent assez rapidement les réflexes de mobilité, ainsi que les éleveurs touaregs de bovins basés au sud du 17 ème parallèle. Jean Marc BELLOT78 (1978) relate un réflexe différent chez les Arabes Eddas de la région d'In-Gall et Tassara, qui vendirent massivement leur cheptel encore en bon état sanitaire pour investir dans la création de commerces dans toute la zone pastorale. Les éleveurs Peuls Wodaabés et certains éleveurs Touaregs au Sud du 16 ème parallèle réagirent après la sécheresse en s'engageant encore davantage dans la grande mobilité et ceux qui restaient encore agro-pasteurs pour des raisons de marquage de territoire79 se délestèrent des attaches contraignantes des cultures sous pluies80 et multiplièrent et diversifièrent leur emprise sur l'espace pastoral par les puits traditionnels, sans tenir compte des débats sur ce sujet qui divisaient les experts. Cette stratégie très peu connue prend de l'ampleur avec discrétion et sans être réellement remarquée par le milieu scientifique. Patrick PARIS nous l'a décrite dans son rapport de fin d'activité au PENCE en 1988 en ces termes, prenant le Nord Dakoro comme exemple :

Pratiquement inexistants dans le secteur pastoral jusqu'en 1910-20, les puits traditionnels profonds sont aujourd'hui plus de cent. En 1955, la monographie de Dakoro en signale 17 pour 9 puits cimentés (du programme FIDES, précision R.Hammel). En 1970, l'inventaire BRGM y identifie 58 puits traditionnels, pour 11 puits cimentés et une station de pompage. En 1983, les enquêtes réalisées par le PENCE à partir de 1982, recoupées et complétées partiellement en 1988 indiquent qu'il y avait alors environ 120 puits traditionnels pour 15 puits cimentés. En 1988, le nombre de puits traditionnels ne nous est pas connu avec exactitude, mais on peut avancer sans risques qu'il a atteint 130, tandis que celui des puits cimentés actuellement utilisables est de 13.

Nous reviendrons plus loin sur cette stratégie mise en oeuvre par le monde pastoral sans aucune subvention extérieure et selon un plan qui semble si évident aux pasteurs, qu'il est largement mis en œuvre sans concertation formelle dans tout le pays. En Mauritanie, les pertes furent sévères dans le milieu pastoral Maure, dont J.M. BELLOT (1978) relève "la décadence"81. En Mauritanie, le réflexe d'une grande partie des éleveurs Maures fût de se replier vers les centres urbains sous la protection de riches commerçants. En effet, la sédentarisation et la perte de leurs esclaves avaient rendu leur société peu apte à

78 Sécheresse et élevage au Sahel. J.M. Bellot, diplôme d'études approfondies, écologie et géographie tropicale. Université de Bordeaux III. Juin 1978. 79 Roland Hammel, Illustration de la vie pastorale, Histoire de Baleiri à travers les deux sécheresses. support de formation au pastoralisme. 2001. 80 Patrick Paris, rapport de fin d'activité du PDENCE, 1989. 81 même document que la référence 70, page 4.

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réagir à la sécheresse, ayant perdu l'habitude et le goût à la vie pastorale mobile. Nous avons nous même relevé cette faiblesse en 2001 dans "l'étude sur la vulnérabilité des pasteurs à l'insécurité alimentaire" pour le RESAL (HAMMEL, IRAM, 2001). Par la suite, une sédentarisation en villages de tentes "fixes" s'engagera, et l'élevage sera dominé par les Chefs de Tribus et commerçants. Les grands troupeaux de ces commerçants et leur mode de gestion utilisant main d'œuvre salariée, véhicules, en prise permanente avec les mouvements des marchés grâce au téléphone satellite, aura une influence sur les visions d'avenir des cadres de l'élevage nigériens et surtout des commerçants Arabes nigériens. Le contexte est toutefois radicalement différent par rapport à la réactivité des marchés, mais surtout, on oublie qu'en Mauritanie, l'exploitation "latifundiaire" d'une grande part du cheptel pose un grand nombre de problèmes sociaux et environnementaux. Mais si J.M. BELLOT prévoit en 1978, que les Peuls assoiront leur contrôle sur l'espace pastoral en Mauritanie au cours des décennies suivantes, cette prédiction ne s'est pas réalisée. ___________________________________________________________________________

3.3.2. IDEOLOGIE DOMINANTE DANS LES POLITIQUES DE

DEVELOPPEMENT. En 1974, le coup d'Etat porte au pouvoir, Seyni Kountché. Un nouveau modèle de société verra le jour, appelée Mouvement National pour la Société de Développement, qui deviendra le Parti Unique MNSD. Une pyramide d'organisation sociale et administrative est mise en place avec à la base, les Comités de Développement Villageois, CVD. L'équivalent pastoral du CVD sera le GMP, Groupement mutualiste pastoral. Cette structure est mise en parallèle directe avec la structure coopérative nationale. Si la composante pastorale n'a guère été dynamique dans ce processus (les GMP sont restés très théoriques), l'ensemble du monde villageois sédentaire a participé avec un certain enthousiasme, d'autant que l'Etat disposait dans cette période, des retombées du "Boom de l'Uranium" et qu'il avait les moyens de sa politique pour réellement améliorer les conditions de la population en matière de santé, communication, scolarité, encadrement agricole, fourniture de biens de consommation et achat des productions agricoles. Envers la question pastorale, l'idéologie restait celle de la nécessité de changements profonds du système. A la Cure Salée de In-Gall, fête annuelle des éleveurs et de rencontre avec le haut sommet de l'administration, le Président Kountché déclarait " que pour lui, il n'y avait pas ici de Peuls, de Touaregs, mais des éleveurs modernes prêts pour le développement "82. Enfin, souhaitant démocratiser l'accès aux ressources pastorales, tous les puits cimentés de l'Etat et les stations de pompage sont décrétées d'accès libre à tous. Les anciennes priorités des uns et des autres survivront sur les puits privés, mais la désorganisation s'installe autour des ouvrages qu'on appellera désormais "publics". La zone pastorale est définie comme une portion de territoire non construite et non cultivée appartenant à l'Etat, et désignées comme "terres vacantes et sans maîtres". Cette libéralisation aura de graves répercussions dans l'organisation des droits d'accès aux points d'eaux, et partant, aux pâturages. Nous renonçons à en faire la genèse car ce sujet est vaste, mais nous renvoyons aux publications de Brigitte

82 Déclaration lue dans un vieil exemplaire du journal "le Sahel" datant de 1980 ou 81. Cette page emballait des plantes de l'herbier dans la Réserve Aïr Ténéré. Nous n'avons pu retrouver sa référence plus précise.

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Thébaud sur ce sujet, dans les Cahiers des Sciences Humaines N° 26 déjà cité et à son ouvrage de 1988.83 L'Etat nigérien réagit avec une certaine vigueur après la sécheresse sur le plan des aides directes, en sus d'une aide alimentaire :

• Dans l'Irhazer, où les populations Touarègues se trouvaient très démunies, les sources artésiennes furent aménagées par des captages de surface, des canaux et des périmètres de cultures maraîchères tout le long de la plaine, afin de permettre aux pasteurs de survivre en attendant la reconstitution progressive de leur cheptel.

• 10 milliards de francs CFA furent débloqués pour un programme de reconstitution du

cheptel. Le bétail était acheté dans les régions moins sinistrées et remis à crédits aux familles. 2 bovins ou 10 petits ruminants étaient généralement remis aux familles bénéficiaires. Nous n'avons pas de document pour dresser le bilan de cette action, mais notre informateur84 a suivi ce programme à l'époque. Il ressort que même si un certain nombre de ces animaux a été remis aux notables et Chefs coutumiers, l'opération fût tout de même très appréciée. Nous avons pu recueillir ça et là des témoignages de pasteurs ayant reçu des animaux dans le cadre de cette opération. Seule ombre au tableau, la récupération des fonds n'a jamais eu lieu.

Mais la sécheresse vint surtout renforcer les idées en cours sous l'impulsion de la recherche, à savoir que les pâturages devraient être mieux gérés, avec l'aide des scientifiques. On achève de se convaincre que l'élevage traditionnel engage un surpâturage, dont les conséquences auraient aggravés les effets de la sécheresse. En 1976, la FAO rend publics les résultats de son "Etude prospective pour le développement agricole des pays de la zone sahélienne". Ce rapport désigne comme un "critère favorable", la "baisse des effectifs de ruminants entraînant une baisse du surpâturage", ainsi qu' "une ouverture au changement manifestée par les éleveurs dans la conduite de leurs troupeaux, une prise de conscience des gouvernements dans la nécessité d'améliorer les techniques de production." De cette époque, et les citations de ce rapport ci-dessus semblent le confirmer, date sans doute le quiproquo le plus marquant et le plus difficile à contourner dans le dialogue entre éleveurs et représentants de l'Etat, qu'ils soient administrateurs ou techniciens. Pour les représentants de l'Etat, il ne fait plus l'ombre d'un doute que les éleveurs soient responsables de la dégradation des pâturages. La raison ? Un mode d'élevage trop archaïque qui reposerait sur le nombre et le mouvement, au lieu de s'intensifier et de valoriser des ressources rares et précieuses avec des "méthodes modernes" d'élevage que l'on peine à définir avec précision. On est toujours à la recherche, en stations, du modèle zootechnique performant qui améliorera rentabilité de l'élevage, et du modèle qui permettra de gérer rationnellement les pâturages. Bien que l'expérience de 1973-74 aie démontré la suprématie de la mobilité et des marges de sécurité permises par des troupeaux numériquement conséquents, bien que les éleveurs les plus sédentaires soient assistés par l'Etat, bien que les éleveurs les plus mobiles se soient mieux tirés de ce mauvais pas, le politique s'acharne à vouloir faire la promotion d'un mode de vie plus sédentaire, d'un élevage plus intensif avec un cheptel réduit. Les années

83 Elevage et développement au Niger, quel avenir pour les pasteurs du Sahel ? B. Thébaud. 1988. B.I.T. 84 Dr Boubé Hambali.

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d'irrégularité des pluies auraient pu alerter les politiques et scientifiques sur la précarité de leurs ambitions en matière de gestion "rationnelle" des pâturages et les amener à mettre en doute la possibilité de trouver des modèles de gestion. Curieusement, la sécheresse aura l'effet contraire et encouragera encore à persévérer dans ce sens. Chez les pasteurs, on constate facilement que ceux qui ont joué le jeu de la sédentarisation passagère autour de jardins maraîchers ont bénéficié d'avantage des aides de l'Etat. Chez les grands transhumants, c'est surtout la solidarité interne et les redistributions codifiées de capital bétail qui ont permit aux familles sinistrées de continuer l'activité pastorale au sein des groupes lignagers. Une conséquence de cette politique et de ce malentendu85.

Dès lors, et jusqu'à aujourd'hui, le pasteur désirant être bien vu d'un chercheur, d'un consultant de passage, d'un Chef administratif ou d'un agent de l'élevage, et ceci avec l'espoir de quelques retombées sous forme d'aide diverses, affirmera avec tout le sérieux du monde de son intention de bien gérer son troupeau, de ne conserver qu'un cheptel réduit, de dépenser des sommes considérables pour l'aliment d'appoint, de réduire sa mobilité au strict nécessaire. Cette mal communication chronique qui teinte tout débat dans la zone pastorale est un véritable phénomène sociologique. Les grands projets de développement de l'élevage ont basé leur stratégie sur la Foi dans ce quiproquo. Les administrateurs de la zone pastorale sont le plus souvent convaincus par ce discours, même si ce n'était pas leur idée au départ. Les pasteurs disent aux personnes extérieures, ce qu'ils supposent qu'elles veulent entendre. Nous en avons fait l'expérience durant des années, et nous sommes nous-mêmes tombés dans l'erreur. Ecoutant les pasteurs revendiquer avec des objectifs cachés, des actions qu'ils ne souhaitaient pas et qui allaient à l'encontre de nos propres convictions, nous avons parfois défendu des positions fausses alors que les pasteurs poursuivaient en réalité des objectifs plus réalistes basés sur la mobilité du cheptel et l'accroissement numérique. Or ce discours à contre sens paralyse actuellement le débat sur les terroirs d'attache comme on le verra plus loin. Ceux qui développent leur installation sur les terroirs d'attache la présente à l'extérieur comme une sédentarisation et une volonté d'intensification, alors que ce n'est pas le cas. Cette attitude prive ainsi les chercheurs défendant le principe de mobilité de précieux arguments, alors que les techniciens et politiques centrés sur une vision technique et économique les soutiennent, par erreur, dans ce sens, en accordant foi à une présentation tendancieuse de leurs objectifs. Dépasser ces malentendus inextricables est à l'heure actuelle, un véritable défi dans tout dialogue en zone pastorale et même entre experts.

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85 Il s'agit ici d'un constat personnel, issu de l'expérience. On pourrait le qualifier de subjectif car il est malaisé d'en démontrer la réalité par des citations ou références.

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3.3.3. CREATION DES CENTRES DE MULTIPLICATION DU

BETAIL. Un postulat érigé en certitude préside à la création des Centre de Multiplication du Bétail (CMB) : L'élevage traditionnel aurait des paramètres de production très faibles en raison des contraintes du milieu et de la faiblesse technique des producteurs. L'Etat, bénéficiant des acquis des recherches agrostologiques et vétérinaires, est en mesure de faire beaucoup mieux. Les CMB auront plusieurs objectifs86 :

• Ils serviront de ranch de ré élevage, selon le modèle d'Ekrafan. La zone située au Nord du 15 ème parallèle étant désignée comme zone de "naissances", rappelons-le, on pourra acheter les jeunes bovins aux éleveurs à des prix attractifs pour les revendre "sans bénéfice87" sur le marché du Sud après une période estimée à 18 mois.

• Un troupeau de race locale sera entretenu dans des conditions optimales. il permettra

une reconstitution plus rapide des effectifs qui seront réinjectés dans le milieu éleveur.

• Le troupeau de race locale fera l'objet des mêmes efforts de sélections que ceux mit en œuvre à la station de recherche de Filingué Toukounouss.

• L'espace clôturé du CMB pourra servir de refuge en cas de production déficitaire des

pâturages. On accueillera alors des noyaux de femelles reproductrices et des veaux afin de sauvegarder un cheptel minimum pour chaque famille de pasteurs.

On créera donc 4 CMB :

- Ibeceten au Nord du 16 ème parallèle, le plus vaste avec 44 000 hectares - Facko, au Nord de Dakoro, avec 38 000 hectares. - Baté, vers Belbéji, à l'Est de Tanout, de dimension plus modeste, - Sayam, vers Diffa, avec l'objectif supplémentaire de préserver la race Kouri88.

A ces objectifs, s'ajouteront en cours de route la production de fromage traditionnel, uniquement amélioré de quelques mesures d'hygiène. Dans les faits, il faut l'admettre, aucun de ces objectifs n'était réaliste et aucun ne fût réalisé. On supposait que le cheptel placé dans des conditions de charge très faible aurait de meilleurs paramètres de fécondité. Il est probable que des études réellement objectives sur les taux de fécondités existant dans le milieu d'origine auraient pu permettre de s'éviter ce postulat, mais aucune étude de ce type n'est mentionnée dans l'étude de faisabilité que nous avons citée. Le

86 Ranch de ré élevage du Nord Dakoro. Etude de factibilité. 1977, O. Bremaud, Dr vétérinaire, B.Mazet, ingénieur génie rural, M.Quesnel, Economiste élevage. SEDES 87 Cette précision se trouve dans le document cité (82). 88 Race taurine descendante de la race hamitique, à la production laitière remarquable. Elle est localisée dans le pourtour du Lac Tchad et ne supporte pas les conditions sahéliennes hors de son milieu. Elle est effectivement menacée par le croisement effectué par les pasteurs en vue d'améliorer la production laitière des différentes races de zébus en périphérie du Lac.

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ranch ne pu jamais remplir ses objectifs de multiplication à un rythme différent de celui des troupeaux des éleveurs. La sélection elle-même n'a pas débouché sur des améliorations quelconques, ni en production laitière, ni sur la croissance, n'étant pas différente de la sélection déjà appliquée par les pasteurs. Certes, des femelles étaient périodiquement déstockées, mais les éleveurs n' ont pas manifesté d'intérêt à ces opérations. Seuls des notables et des fonctionnaires se portaient acquéreurs, et ceci était sans doute plus en raison de l'attrait de prestige que le ranch conférait à ce bétail "sélectionné", qu' à de réelles performances. D'ailleurs, à Facko, si l'ambition était d'assurer une sélection de la race Azawak à partir d'un noyau venu de Toukounouss, un métissage plutôt accidentel avec des zébus Bororos de la zone fit modifier l'objectif avec l'idée de mise au point d'un croisement. Le rôle de réserve fourragère destinée à des noyaux bien choisis devant assurer la relève après la sécheresse ne fonctionna pas en 1984. Au contraire, c'est le bétail du ranch de Facko qui dût sortir de ses barrières pour trouver refuge vers le Sud. On mentionnera encore cette ambition de relais entre les pasteurs et le marché du Sud, avec l'idée que les pasteurs allaient se défaire de leurs veaux, et qui ne fût pas tentée. Les ranchs furent ainsi constitués au détriment des espaces de parcours d'éleveurs qui disposaient de puits dans ces zones réquisitionnées par l'Etat. On y pratiqua un élevage d'Etat que l'on peut qualifier "de prestige", sans retombées ni économiques, ni zootechniques, aux frais des services de l'Etat qui finança les salaires, les équipements, l'entretiens des véhicules, etc….. . A Facko, par exemple, depuis les années 80 et 90, c'est entre 350 et 800 UBTs qui composait le troupeau bovin, ce qui détermine une charge située entre 108 ha/UBT et 47,5 Ha/UBT, quand les acquis de la recherche scientifique recommandent une charge moyenne située entre de 7 et 15 ha/UBT. le document de base lui-même recommandait une charge comprise entre 12,7 et 7,9 ha/ UBT. On admire la précision de ce calcul qui suppose un cheptel de 3 689 UBT89, soit 10 fois plus que le ranch n'en a jamais compté. Lors des années de sécheresse relative, les stocks de pailles sous exploitées du ranch ont toujours été l'objet de convoitise, quand la faim pousse les troupeaux des pasteurs à l'assaut des clôtures (qui n'existent plus depuis longtemps). Ces stocks ont aussi fait l'objet de marchandage dans les années difficiles lors de périodes politiques particulières, certains nantis pouvant se voir accorder le droit de faire pâturer leurs troupeaux au détriment des plus pauvres, maintenus à la périphérie par les forces de l'ordre. Malgré ces constats largement partagés au Niger, les CMB sont toujours considéré avec un respect quasi sacré au Ministère du Développement Rural. La remise en cause de leur raison d'être reste un débat impossible et la Banque Mondiale elle-même n'y est pas parvenu en 1985. ___________________________________________________________________________

89 Il existe aussi une contradiction évidente…..avec une charge prévue équivalente au milieu pastoral, comment le ranch pourrait-il servir de zone de refuge ? Que cette charge n'est jamais été atteinte n'enlève rien à l'incohérence de différents objectifs incompatibles entre eux dès le départ. Sources des chiffres idem que ( 82).

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3.3.4. La mise en œuvre de la modernisation pastorale.

3.3.4.1. Le rôle de l'IEMVT. Rien ne découragera les bailleurs de fonds et l'Etat, la modernisation de la zone pastorale sera poursuivie sur les mêmes bases idéologiques, encouragées par la recherche qui a besoin de terrains d’expérimentation. Dès 1974, "sur requête du Ministère de l'Economie Rurale de la République du Niger", le Ministère Français de la Coopération confie à l'IEMVT, une mission d'experts consultants ayant pour tâche la rédaction de dossiers de financements pour l'aménagement et la mise en œuvre de projets d'intervention dans 4 zones pastorales modernisées. Cette mission qui se déroulera du 14 octobre au 12 décembre 1975, soit à peine deux mois, sera exécutée par J.COULOMB, Dr Vétérinaire à l'IEMVT et Mlle M.QUESNEL, socio économiste au SEDES90. 4 Zones de modernisation pastorales sont identifiées :

- Le "Sud Tamesna", arrondissement de Tchin-Tabaraden, pour une superficie de 900 000 ha.

- La région d'In gouchoul, dans le Nord de l'Irhazer pour 370 000 ha - la région de Téjira, arrondissement de Gouré, pour 710 000 ha - le Manga, arrondissement de N'guigmi, pour 656 000 ha.

Le rapport très dense en chiffres et volumineux, (201 pages sans les annexes), aborde principalement les fronts suivants comme axes de travail du projet avec les éleveurs, qui sont les "principaux acteurs" de ce projet, et qui seront "les bénéficiaires d'un encadrement rapproché par des techniciens," il faut le préciser:

- Amélioration de la conduite des troupeaux (le document s'abstient de préciser quelles sont ces améliorations).

- Introduction systématique des vaccinations et déparasitages. - Gestion rationnelle des parcours. - Utilisation des compléments alimentaires pour le bétail. - Déstockage précoce des jeunes mâles avec création de stations d'embouches en

aval. Ce programme sur 5 ans doit intéresser, selon le document, 8% du cheptel total de la zone pastorale et son coût global est estimé à près de 3 milliard de frs CFA. Les résultats attendus sont précisés. On prévoit une amélioration de 10 % du taux de fécondité chez les bovins et une augmentation des poids moyens des différentes catégories d'âges de 10 %.

90 Projet d'aménagement et d'intervention dans 4 zones de modernisation pastorale du Niger. Dossier général, 1976, Coulomb et Quesnel, IEMVT.

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Plus ambitieux encore, l'accroissement numérique plus rapide permis par les bénéfices de l'encadrement technique devra être compensé par une adaptation de la politique de déstockage lorsque les effectifs compatibles avec les ressources de la zone seront atteints (point 1.22 - page 170 du document). Sans rentrer dans le détail de toutes les dizaines de pages de calculs de poids, de taux d'exploitations et de bénéfices divers de ce programme, on peut croire à cette lecture, que ce projet ambitionne ni plus ni moins que de confisquer la gestion de leurs troupeaux à des centaines de familles de pasteurs pour faire la démonstration de méthodes modernes durant quelques années. Le ton général du document laisse penser en effet que le projet, donc l'Etat, va gérer les troupeaux, décider des ventes, décider des déplacements et des modes d'abreuvement. On est encore assez proche du langage colonial qui parlait de " notre cheptel" et de "nos éleveurs". On mentionne bien que des difficultés vont apparaître, car aucune expérience de ce type n'a jamais été tentée avec des pasteurs, mais on se convainc que le recrutement d'animateurs et de techniciens issus du milieu éleveur permettra de susciter l'adhésion et la collaboration des pasteurs. Concernant la gestion des parcours, le projet se donne une année pour étudier les différentes composantes de ce problème avec les pasteurs. Une fois ce travail fait, il serait possible que les autorités proposent aux pasteurs des schémas d'usage des parcours qui seront reconnus par contrat (page 106). A la page 107, les auteurs regrettent toutefois que dans le cadre de l'étude….

"…Il n'a pas été possible de demander aux éleveurs si leur transhumances habituelles se situaient bien dans les limites des parcours nécessaires à une conduite rationnelle des troupeaux. Il sera alors peut-être nécessaire de revoir les limites actuelles des zones d'encadrement du projet, de manière à ce qu'il y ait une cohérence entre la zone et les parcours normalement utilisés par les éleveurs."

Ainsi, on a élaboré tout ce programme sans même interroger les éleveurs concernant leurs "parcours habituels", et l'on se demande même si ces parcours ne sont pas trop grands par rapport à une gestion rationnelle des troupeaux. On suppose donc déjà que bien des déplacements sont inutiles et fatiguent le bétail. Même si on précise "qu'on se refuse à formuler une doctrine définitive en matière de gestion des parcours…" on trace tout de même des bases de réflexion sans équivoques (page 107) :

- on devra avoir une connaissance approfondie des familles afin de délimiter judicieusement les zones de parcours.

- l'affectation des zones de parcours devra être faite à des groupes bien déterminés. - "pour les débuts", il semble préférable d'affecter les points d'eaux et les parcours à

des groupes qu'à des familles, - Aucune décision de découpage de l'espace rural ne doit être faite sans prendre

l'avis des groupes concernés. - Le découpage devra bien différencier les zones de saison des pluies et les zones de

saison sèche. - Dans certains cas, la transhumance de saison des pluies en dehors des espaces

délimités devra être maintenue.

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- Des études agrostologiques devront être menées pour définir la mise en repos temporaire de certains pâturages et pour faire adhérer les utilisateurs à ce type d'action.

Même si on se défend d'une quelconque doctrine, c'est bien une gestion sur périmètres réduits et avec rotations et calculs de charge que l'on veut tenter, convaincu que la démonstration des résultats séduira le monde pastoral et permettra de généraliser cette méthode à l'ensemble du pays. On prévoit déjà, page 108, qu'un futur Code Pastoral basé sur ce type de gestion sera l'instrument indispensable d'une politique de gestion pastorale nationale. En pratique, c'est une version beaucoup moins ambitieuse qui sera mise en œuvre et uniquement dans la zone appelée "sud Tamesna91", et deviendra le projet "Sud Tamesna" de la coopération française. Nous n'avons pas pu trouver de documents relatifs à la période d'exécution de ce projet et il en est fait très peu mention ailleurs. Il a, de toute évidence et selon nos informateurs, été de peu d'importance sur le plan de ses impacts ou des avancées dans les conceptions de l'époque. Il semble qu'il ait finalement suivi les mêmes voies que le NRLP et le PENCE92 dont nous développerons plus loin les ambitions et les réalisations.

3.3.4.1.1. Le modèle de base : Sur le plan purement technique, il faut ici démontrer a quel point on a voulu simplifier la gestion pastorale, et à quel point on avait foi dans la mise au point d'un modèle. En 1975, L' IEMVT sous la rédaction BOUDET G. publie le fameux Manuel sur les Pâturages Tropicaux et les cultures fourragères. Ce livre fût une véritable bible pour les agropastoralistes du Sahel. Il vulgarisait nombre de données, telles que les valeurs fourragères des différentes plantes appétées des pâturages et des ligneux, fournissait les chiffres de base de l'alimentation, etc….. Il anticipe déjà le modèle qu'on cherchera à mettre en œuvre les années suivantes sur le terrain dans les grands projets et en présente un plan schématique qu'il faut ici restituer dans sa forme originale :

91 Le mot Tamesna en Tamachèque, désigne les grands espaces du Nord d'une manière très vague. C'est uniquement le monde administratif qui tente depusi 30 ans de coller une logique gégraphique définie à une région ou encore à un type de pâturages supposés s'appeler Tamesna. projet Sud Tamesna, littéralement traduit, signifie "le Sud du Nord". 92 Niger Range Livestock project, USAID, et Projet Elevage Niger centre Est, Banque Mondiale.

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Extrait du manuel sur les pâturages tropicaux, G.Boudet, 1975. IEMVT, repris par le manuel " Notions d'agrostologie et d'aménagement sylvo - pastoral93 ". IPDR Kolo, MAE / Niger. Francisse Tasse CTB, septembre 1987. On conçoit aisément que ce modèle avait bien peu de chance de pouvoir être appliqué. Nous souhaitons le décortiquer ici au regard des plus simples évidences :

1. On suppose ici que les ressources fourragères seront sensiblement égales d'une année sur l'autre. Le diamètre du cercle n'est que de 32 kms.

2. Les marres de Saison des Pluies (SP) sont admirablement bien réparties sur ce plan. cela suppose qu'on devra les créer artificiellement, et que le terrain s'y prête.

93 Ce manuel est utilisé pour la formation des agents des Eaux et Forêts au Niger.

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3. Les campements se rapprochent à 10 Km du puits en Saison Sèche Froide (SSF), puis à 5 Km en Saison Sèche Chaude (SSC). Cette logique ne tient compte que de la théorie voulant limiter les déplacements du bétail en fin de saison sèche pour limiter les pertes de poids.

4. En SP, période de végétation, le pâturage repousse après la pâture. Plus de bétail peut donc stationner sur le même espace car la production est continue. En SP, pour être plus clair, la charge peut être de 3 ha ou moins encore, par UBT, d'autant que cette période est très courte, 4 mois au maximum. En SS, donc durant 8 mois, c'est plutôt 15 ha voir plus qu'il est nécessaire par UBT. Pourtant, dans ce plan dont nous avons calculé les surfaces, le cheptel utilisera 23 000 ha en SP et 31 000 ha seulement en SS alors qu'il lui en faudrait 5 fois plus qu'en SP.

5. En SS, on recherche les qualités de fourrage, et notamment la présence d'arbres ou de résidus de récolte pouvant fournir des compléments à la ration quotidienne. La gravitation proche du puits n'est pas toujours liée à une bonne disponibilité de ces apports.

6. Enfin, et c'est là le plus important, ce plan circulaire ne tient pas compte du fait que la transhumance de SP à pour objectif d'aller vers le Nord, là où le fourrage est beaucoup appété et plus riche en MAD et phosphore, où le bétail souffre moins des mouches et des pluies.

C'est que ce plan a tout prévu. En fin de SSC, les manques de quantité et de qualité dans la ration seront fournis par l'aliment bétail, graines de coton, sons, et compléments divers. Les traitements externes des pelages préviennent les dérangements par les insectes volants, et le déparasitage interne systématique préviendra contre toute pathologie liée à la pâture des espaces trop arrosés. On remarquera qu'il est indiqué près du puits, un "Village sédentarisé". BOUDET, en 83, aura largement modifié sa vision des choses comme on le verra plus loin. Ce modèle servira donc de base aux grands projets "théorique ou virtuelle" de la fin de décennie 70 jusqu'en 82. Les GMP seront regroupés en Unités Pastorales ( UP ), et on prévoit de leur confier la gestion de Centres Mutualistes Pastoraux, ( CMP ), avec pour centre un puits cimenté ou un forage, parfois un petit dispensaire de base, une boutique coopérative. Viendra se greffer en cours de route, la formation d'auxiliaires d'élevage. C'est toute la zone pastorale du Centre et de l'Est du Niger qui seront concernés et tous les bailleurs s'engageront résolument avec l'Etat dans ce programme. Dès 1974, le PENCE94, Projet de Développement de l'Elevage dans le Niger Centre Est, est identifié et défini dans sa forme sur cette base d'organisation sociale et spatiale des pasteurs. Il démarrera en 1979 sur financement BIRD de 3 385 240 000 CFA95 pour une durée de 5 ans. Il sera reconduit de plusieurs courtes phases jusqu'en 1989. Il concerne les départements de Maradi, Zinder et Diffa. On relèvera dans les prévisions de ce projet, pour expliquer cette foi dans le modèle qui nous semble tellement irraisonnée aujourd'hui, cette hypothèse de risque qui nous est citée par Hao LE VU et Michel PRE, du SEDES lors de l'évaluation du PENCE en 1987 : 94 Sa dénomination a varié, de PDENCE à PENCE. 95 Evaluation de la première phase 1979-1986 PENCE, SEDES. Paris

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L'occurrence d'un nouvel accident climatique avait été jugée à l'époque hautement improbable. Le risque est de 2% selon l'évaluation-identification du PENCE en 1979 par la BIRD.

L'IEMVT est dans l'aventure, et Peyres de Fabregues96 mènera une étude en 1980, afin de :

- Etudier la productivité et la répartition des ressources pastorales. - Elaborer une proposition de plan de gestion de l'espace pastoral - Enumérer les contraintes du facteur pâturage. - Mettre en place une équipe d'observateurs qui seront chargé des inventaires

pastoraux, (donc des pâturages) chaque année et serviront de liens vulgarisateurs entre projet et pasteurs.

Au cours de cette mission, il relève en page 20 de son rapport :

Les difficultés d'exploitation de l'eau et des pâturages et les conflits entre éleveurs, qui résultent toujours de la création de puits publiques cimentés, font que les éleveurs s'accordent à reconnaître que généralement, il eût mieux valu ne pas les construire. Ils préfèrent n'avoir que la possibilité de creuser leurs propres puits traditionnels (ce qu'ils font parfois pour avoir la paix), quand c'est possible, que de voir s'améliorer l'abreuvement et se compliquer leur vie sociale. Ils souhaitent cependant tous voir construire des puits cimentés en remplacements des puits traditionnels à la condition qu'ils soient attribués.

Il relève ensuite l'immensité de cette tâche au regard du nombre d'ouvrages dans toute la zone pastorale. Il fait ensuite de ce constat, en page 21, un argument pour la défense du principe de modèle qui sera mit en œuvre :

Seule la création de centres pastoraux, en permettant la mise en place progressive d'associations d'éleveurs,97 permettra de sélectionner parmi les demandes de nouveaux puits et de décider la construction de points d'eau modernes dont le statut pourra plus aisément être défini dans le cadre de l'association elle-même.

___________________________________________________________________________

3.3.4.2. Le PENCE. Résumé de son action. Le PENCE de 1979 à 1986 fût en réalité, un projet intégré qui aborda tous les aspects d'une sécurisation du système pastoral. Le modèle IEMVT ne fût jamais tenté et la semi sédentarisation du mouvement transhumant ne fût pas expérimentée. La "gestion des pâturages" fût un thème quasiment abandonné. Seuls 5 centres mutualistes pastoraux furent créés, et tous dans le Département de Zinder. ( Yogum, Tejira, Tenhia, N'japtooji, Intabanout ). 108 GMP furent créés autour de ces 5 CP, 89 étant encore identifiables en 1986 par l'évaluation.

96 PENCE. Agropastoralisme, rapport de synthèse. B.Peyres de Fabregues. déc.1980 Page 45 97 Les GMP et UP.

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Les centres abritaient des fonctionnaires de l'Etat et étaient articulés autour d'un ensemble d'infrastructures et de services, tel que :

- Point d'eau à fort débit, forage ou puits. - Ecoles. - Boutique coopérative. - Formation de secouristes en santé humaine et matrones. 192 formés - Formation d'auxiliaires d'élevage 192 formés - Postes vétérinaires

Dans les autres départements, Maradi et Diffa, 20 structures plus légères furent installées sous le nom de "relais pastoraux", essentiellement des boutiques dont la zone pastorale avait cruellement besoin pour l'approvisionnement de proximité en huiles, sucre et céréales notamment. Les aliments bétail étaient aussi disponibles mais l'écoulement total des 20 relais de 79 à 84 indique 10 tonnes de compléments pour veaux et 50 tonnes de son de blé. C'est un volume anecdotique. La formation des auxiliaires para vétérinaire, la première au Niger, intégrait les éleveurs formés au système d'épidémio surveillance et leur donnait la possibilité d'utiliser des médicaments non injectables, tels que les antiparasitaires internes et externes, les compléments minéraux et vitaminiques, ainsi que des sulfamides en poudre à administrer par voie orale. La politique de prophylaxie accrû la couverture vaccinale en raison des moyens mis par le projet aux services de l'élevage, du rôle de relais des auxiliaires et de la construction de 81 couloirs de vaccinations supplémentaires. ___________________________________________________________________________

3.3.4.3. Les acquis essentiels des grands projets et la lutte pour un nouveau paradigme du pastoralisme.

Ce qui a surtout marqué l'époque, et c'est bien cela qui nous intéresse dans cette recherche, nous est relaté dans nos entretiens avec le Dr Vétérinaire Hakilou Habou, ancien Directeur du PENCE , que nous avons interviewé en 2001 à Niamey. Pour lui, le fait marquant de ces années là, sera la naissance d'une approche plus "systémique". On s'intéresse au système existant et les anthropologues et sociologues font leur apparition dans la recherche pastorale où ils impulsent une manière nouvelle et plus globale d'appréhender le pastoralisme. Patrick Paris, dont la langue Peule est la spécialité académique, poursuit des recherches sur les performances comparées des troupeaux, leurs structures, et les transferts de bétail, avec toute la rigueur d'un zootechnicien, mais avec l'ampleur de champ d'analyse d'un anthropologue spécialiste de la société Wodaabé. B.Thébaud développe des recherches sur l'économie familiale des pasteurs et se penche sur la question de l'hydraulique pastorale. Un projet voisin qui s'est basé sur les mêmes postulats de départ, à savoir la rationalisation de la production avec tous ses paramètres, le NRLP98 dont Jeremy Swift était le responsable du volet socio-économique, conduit aussi des recherches similaires et les experts se rencontrent, échangent leurs résultats. Cynthia White analyse les structures de propriété du cheptel chez les Wodaabés et les mécanismes de transmissions du capital bétail au sein de la communauté.

98 NRLP Niger Range Livestock project. USAID. En Français, projet de Gestion des Paturages et Elevage

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Les acquis de la recherche en Afrique Anglophone99 sont ainsi partagés dans les échanges de terrain entre ces deux projets et il se dégage alors une vision beaucoup plus positive des pasteurs, qui apparaissent désormais à nouveau comme des spécialistes compétents de leur élevage. On démontre, à la faveur des études de terrain (Patrick Paris), que les taux de fécondité des femelles sont de 60% en zone pastorale contre 50% en zone agricole, contrairement à ce qu'on avait supposé durant des décennies. Les études d'économie familiale démontrent que les pasteurs ne sont pas "riches" et que leurs troupeaux ont des taux d'exploitation très élevés (Thébaud). Enfin, on reconnaît aux éleveurs la validité de leurs choix concernant l'organisation des cycles pastoraux et des parcours. Les experts se font tous les défenseurs d'une politique d'hydraulique pastorale SANS forages à grand débit et qui remettent aux usagers, les droits de priorité d'accès, voir les droits tout court de gestion des ouvrages hydrauliques. On commence à dégager la notion de droits d'usages prioritaires et de réciprocités de ces droits. On commence à pouvoir formuler la manière dont les pasteurs répartissent constamment les charges en bétail dans le temps et l'espace en fonction de ressources fourragères, par ce qu'on appellera la "mobilité opportuniste", qui fonctionne par le jeu des alliances et des réciprocités de droits d'accès sur les puits. On est à présent certain, en tout cas dans le milieu restreint des chercheurs et des cadres des projets, que la recherche de modèle de gestion rationalisée des ressources pastorales est un mirage. Pour la recherche agrostologique et ses ambitions de mise en application de modèles, cette approche systémique reconnaissant la valeur de la gestion traditionnelle des parcours n'est pas de très bon augure, d'autant que la démonstration pratique de ses théories se fait toujours attendre en milieu réel. En effet, sans champs d'application, sans développement de la recherche, la raison d'être du chercheur n'est plus. Hélas, cette reconnaissance du "modèle" traditionnel ne plait pas à l'Etat et aux bailleurs des projets. Le décalage est devenu très grand entre le gouvernement, qui reste en attente des résultats de la modernisation pastorale et les chercheurs de tendance "socio-écologique" qui découvrent ensemble, grâce aux possibilités d'études offertes par le projet, ce que l'UNSO appellera 10 ans plus tard "le nouveau paradigme de l'élevage au Sahel" (Bamako 1994). La vision de l'éleveur apathique "suivant" ses animaux sans en tirer de revenus demeure dominante à Niamey, dans une administration largement composée de cadres issus des ethnies agricoles, toujours teintée des idéologies de progrès et qui peine à modifier ses vues à la faveur des deniers constats. Le projet NRLP, qui devait au départ étudier la possibilité de faire des GMP - UP de véritables entreprises de ranching sur la base du modèle IEMVT, a beaucoup dévié des objectifs dans ses recherches selon l'USAID. Le projet s'était principalement consacré à des activités prévues en annexe, comme le crédit pour l'achat de bétail, les boutiques coopératives et la formation de secouristes. Il prendra fin en 1983. En avril 1984, soit à la suite de 2 années médiocres mais avant la grande catastrophe, le Chef de l'Etat stigmatise "l'élevage contemplatif", l'apathie des éleveurs et leur résistance à entrer de plein pied dans le monde moderne et l'économie de marché. Il rappelle que :

La valeur du capital bétail a atteint 405 milliards de francs en 1983, dégageant près de 118 milliards de valeur ajoutée, soit 19,88 % du PNB.

99 Les britanniques ont pu expérimenter davantage les idées de gestion des pâturages en Afrique de l'Est, et les ont relativisées plus tôt que la partie francophone.

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L'élevage est ainsi reconnu pour son importance économique, il fait vivre 25 % de la population du Niger, mais on doit faire mieux en changeant de mentalité. Il traduit ainsi l'opinion générale du milieu administratif et même celle d'une grande partie des cadres de l'élevage qui restent en attente de la modernisation, espérant voir leur rôle valorisé. Dr Hakilou Habou estime qu'il doit transmettre les acquis conceptuels des grands projets au plus grand nombre . Il se lance alors dans un plaidoyer qui restera historique par un article dans le Bulletin du CND, Conseil national de Développement100 en juin 1984, alors que les pluies se fond attendre mais qu'on ignore encore la catastrophe qui se prépare. Dans cet article, il défend admirablement les pasteurs et les acquis conceptuels des projets PENCE, mais aussi NRLP, et démystifie les préjugés les plus courants, notamment sur la faiblesse économique du système. (Cela lui vaudra, selon ses propres termes, d'être arrêté et emprisonné sous prétexte de détournements de fonds.) On est en pleine crise paradigmique. La révolution scientifique nécessaire sera douloureuse, fortement combattue, et les idées nouvelles ne parviendront pas à s’imposer suffisamment pour éviter au Monde du Développement et au Monde Politique de retomber dans les mêmes ornières les décennies suivantes. __________________________________________________________________________

3.3.4.4. La sécheresse de 1984, sur fond de doutes et désillusions. Nous ne ferons pas l'historique de cette sécheresse. Nous nous bornerons ici à poursuivre l'évolution des tendances et des courants d'idées. Il apparaît en fait que la sécheresse de 84-85 n'a pas été un événement très déterminant pour l'évolution de ces idées, mais plutôt un révélateur de nouveaux postulats déjà en gestation, dont l'analyse est apparue tardivement dans la décennie suivante. Quand arrive la sécheresse de l'hivernage 1984, les tendances et les courants de pensée sont déjà fortement différenciés en fonction des quelques 30 années de "développement" de l'élevage, depuis la fin des années 50, soit depuis qu'on a imaginé d'introduire une gestion moderne des pâturages et des troupeaux. D'un côté, celui de la tendance "technico-libérale" on estime que l'on a pas fait les efforts attendus pour amener enfin la production animale du pays à son potentiel supposé. Les grands projets se seraient enlisés dans une vision passéiste qui semble puiser ses racines dans des approches anthropologiques que l'on soupçonnent de sentimentalisme, comme si on cherchait à cautionner le maintient de sociétés archaïques en les présentant sous un jour exagérément favorable. L'approche que le Dr. Hakilou Habou présente comme systémique est perçue comme antiprogressiste. La recherche agrostologique et vétérinaire, dominées par l'IEMVT et ses experts, reste majoritairement de cet avis. Pourtant, en 1983, soit 7 ans après la parution du manuel, BOUDET lui-même reconnaît l'extrême variabilité du système écologique sahélien et

100 en annexe.

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relativise implicitement la possibilité de mettre en place une gestion planifiée101 en décrivant comment la capacité de charge d'une zone donnée peut varier de 1 à 10 suivant les conditions:

Cependant, si 5 000 UBT peuvent être entretenues autour d’un point d’eau au cours d’une bonne année (à condition que le couvert arboré puisse fournir un complément azoté satisfaisant), ces animaux doivent avoir accès, en année faiblement déficitaire, à un rayon pâturable de 13 km, allant jusqu’à 18 km en mauvaise année. A 100 mm de pluie, la charge optimale devrait être réduite à 500 UBT pouvant pâturer sur un rayon de plus de 30 km.

L'Etat et ses représentants restent également majoritairement influencés par les rêves de modernisation rapide de la zone pastorale. D'un côté, il y a la tendance générale à moderniser l'ensemble de la société et d'accéder à des niveaux de développement humain plus élevés. Que le monde pastoral n'y aspire pas, ou du moins pas selon les mêmes standards, déroute une administration et des cadres issus dans leur quasi-totalité, du monde agricole Djerma et Haoussa. Vivre de manière sédentaire reste, pour tout fonctionnaire Nigérien de cette décenie, la seule manière possible d'accéder à un niveau de vie acceptable. Les pasteurs restent perçus comme des reliques d'un passé révolu et leur disparition ne serait qu'une question de temps, à moins qu'ils ne s'adaptent à l'économie de marché et aux standards de production moderne. Les affectations en zone nomade sont, pour les fonctionnaires, une sorte de brimade ou tout au moins une période difficile de leur carrière. Cette tendance est également partagée par la Coopération Française, principal bailleur de fonds, qui a investi beaucoup à travers l'IEMVT et le soutien aux stations de recherche des pays sahéliens. Sous d'autres cieux, en Afrique du Nord, la gestion des parcours a pu trouver beaucoup de champs d'application, d'autant que ces sociétés se modernisent rapidement et investissent dans la mécanisation. Les exemples de mise en œuvre de gestion planifiée en Afrique de l'Est et Australe, notamment autour des parcs nationaux, sont également là pour témoigner que cette voie serait la bonne, car le milieu anglophone n'a pas encore vraiment procédé à la remise en question de ces principes. De l'autre côté, la tendance "socio-écologique" est née, mais s'affirme dans des cercles pour l'instant restreints, qui sont surtout composés des chercheurs ayant poursuivi leurs travaux par de plus ou moins longues immersions dans le milieu102. Quelques cadres vétérinaires ou agents d'élevage des services de l'Etat en font partie mais ils restent très peu nombreux. Leur formation les a préparé à être les vecteurs de la science sur le terrain. Il est difficile d'accepter que bien peu d'améliorations zootechniques sont possibles, et que le milieu pastoral n'est pas cette terre inculte sur laquelle ils allaient pouvoir mettre en chantier les grandes idées de développement apprises en cours et en stage, parfois à l'étranger. Reconnaître ces éleveurs analphabètes comme les premiers professionnels de l'élevage demandera une véritable révolution culturelle aux cadres du Ministère et cela devra attendre les années 2000 pour commencer réellement à pénétrer lentement dans les esprits. Pour l'instant, toute approche de développement qui touche l'élevage reste encore purement technique. Cultures fourragères, sélection du bétail, vaccination, hydraulique publique, rêves de ranching à la pointe du

101 BOUDET (G.), 1983. - La transhumance et la gestion de l'eau et des pâturages dans l’espace, IEMVT, Paris. Cité par B.Thébaud Cahier Sciences Humaines. 26. 102 Patrick Paris, notamment, totalement immergé dans le milieu Wodaabé durant toute sa vie, propriétaire de troupeau et vivant modestement y compris durant les deux sécheresses. Il fût récupéré en brousse lors de la sécheresse de 84 par la mission catholique de Bermo, en état d'inanition et pesant moins de 50 kg. Angelo Maliki Bonfiglioli, frère catholique, est resté lui aussi très longtemps en milieu Toubou et Peul wodaabé. Les autres chercheurs connus ont vécu des périodes plus courtes et seulement dans le cadre de leurs recherches avec des soutiens financiers extérieurs, ce qui est très différent.

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progrès, restent les seules approches. On nourrit une grande admiration pour les CMB et pour la station de recherche de Toukounous, fleurons du Ministère. L'hivernage de 1983 est médiocre et beaucoup de pasteurs impliqués dans le processus des centres pastoraux et des UP, engagent des mouvements longs vers le Sud et se dispersent, rendant toute participation aux actions des grands projets, improbable. Ils reviennent, mais durant l'hivernage de 1984, le pâturage ne poussera pas au Nord d'une ligne qui correspond plus ou moins au 13 ème parallèle. Les pasteurs restent d'abord majoritairement à proximité de leurs points d'eau de saison sèche, car jusqu'en août, on maintient l'espoir que des pluies viendront tout de même sauver la saison. Chaque nuage qui crève ça et là attire des milliers de têtes de bétail qui n'arrive que pour trouver des plantules trop petites ou déjà en voie de dessèchement. Certains parviennent à prendre assez tôt la décision de partir vers le Sud et gagnent le Bénin ou les zones frontières du Nigéria (Le Nigéria avait fermé sa frontière dans le contexte d'un changement de monnaie). Beaucoup d'éleveurs resteront à proximité des centres de distribution de l'aide alimentaire et se trouveront ensuite piégés par une large bande quasiment abiotique infranchissable, quand ils voudront descendre vers le Sud. A l'Est, les Peuls Wodaabés réagiront rapidement et se dirigeront massivement vers les zones lacustres et le Cameroun, alors que les Peuls Foulbés, attachés à leurs habitats sédentaires dans les cuvettes qui composent le système écologique de cette zone, verront tout leur cheptel décimé. Globalement, selon le rapport du CIPEA en décembre 1985 issu de relevés photographiques, la population animale du Niger a baissé ainsi, selon les catégories. Bovins: - 87 % Camelins -71 % Ovins et caprins: - 63 % Cette estimation est basée sur la présence des troupeaux et non sur le décompte des mortalités, qui sont très difficiles à chiffrer. Il reste qu'à la période des comptages aériens, une bonne partie du cheptel se trouvait hors des frontières et n'a pas été comptabilisé. Nous disposons de chiffres concernant l'Arrondissement de Dakoro, qui nous sont fournis par P. Paris dans son rapport de fin d'activité du PENCE en 1988. On y voit que les pertes ont été peu significatives à la sécheresse de 1973 et dans la décennie 66-76, c'est plutôt d'un basculement dans la proportion des espèces qu'il s'agit. La forte représentation des Ovins/Caprins en 1987, tient au fait de leur multiplication rapide, avec une gestation de 5 mois et un âge de maturité sexuelle très bas. En 1987, les femelles nées après la sécheresse ont pu déjà mettre bas une fois. En revanche, le croît est beaucoup plus lent chez les gros ruminants. Cheptel estimé de l'arrondissement de Dakoro. Sources : Estimations des rapports SVD 1966, SDP Maradi 1977, MRA/H 1987

BOVINS OVINS / CAPRINS CAMELINS 1966 160 000 330 000 8 000 1976 135 000 400 000 18 000 1987 76 260 301 514 3 006

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La désorganisation fût totale, aussi bien chez les éleveurs que dans les services de l'Etat, que chez les bailleurs. On avait tout prévu sauf ça. On se souvient que l'étude de faisabilité du PENCE estimait ce risque à " mois de 2 %, donc hautement improbable". Le gouvernement mit en place des opérations d'achat de bétail et de boucanage de la viande, mais le volume de ces opérations restait dérisoire devant l'ampleur de cette catastrophe. Quelques réquisitions de camion dans le département de Tahoua permirent d'acheminer des troupeaux vers le Sud103. Le rôle de zone d'accueil des CMB ne fonctionna pas bien entendu, ces zones étant aussi sinistrées que l'ensemble de la zone pastorale. C'est la mobilité qui permit de sauver le cheptel. Or cette mobilité est le fruit d'une attitude générale des pasteurs et doit être maintenue en tant que capacité de réaction dans le quotidien. La sécheresse de 1984 a amplement démontré que les pasteurs qui avaient émoussé leur

capacité de mobilité en s'installant près des forages ou dans un agropastoralisme de confort, ne disposaient parfois pas des animaux de bât nécessaires au déplacement, ou encore du matériel d'exhaure permettant de prendre une route jalonnée de puits profonds. A gauche ci-contre, matériel d’exhaure, cordes, poches et poulies. Cet équipement nécessite un savoir, pour son usage, mais aussi pour sa fabrication et son entretien ( Photo, Mauritanie 2001) On signale ça et là des résistances de l'administration pour autoriser le passage des troupeaux vers le Sud (Dakoro notamment), alors qu'il était déjà clair que les récoltes étaient compromises. Quelques riches commerçants eurent l'idée d'investir en prenant de

gros risques. Achetant les bovins pour quelques poignées de mil à des éleveurs affamés et désemparés, ils purent en sauver une partie à grands renforts d'achats de fourrages au Nigéria et ils constituèrent ainsi des troupeaux important qui prospérèrent dans les années suivantes. Nombre d'éleveurs ruinés se retrouvèrent employés de ces commerçants durant les 20 années qui suivirent, sans espoir de retrouver un niveau de vie indépendant en raison des conditions de quasi servilité dans lesquels ils étaient contraints de travailler, sans salaires autre que l’accès au lait des femelles et quelques vivres de subsistance. On reprend les programmes de cultures maraîchères pour les pasteurs démunis et nombre d'entre eux deviennent agro-pasteurs dans une stratégie classique, qui permettra à certains d'entre eux de retrouver la vie nomade une dizaine d'année plus tard. La plupart s'en sortiront en combinant stratégies d'exode, soumissions aux commerçants, captage d'aides diverses, voir même " conversion contre aide " avec les églises évangéliques "étasuniennes" pour certains d'entre eux. ______________________________________________________________________

103 Initiative de Tanja Mamadou, alors préfet de Tahoua.

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3.4. L'APRES 1985.

3.4.1. SUR LE TERRAIN, L'ABANDON DU SECTEUR PASTORAL.

Tétanisés par la catastrophe et l'ampleur de leur impuissance, déjà en proie à des remises en questions et des dissensions internes et avec l'Etat avant la sécheresse, les bailleurs de fonds sont gagnés par le découragement. Le secteur élevage ne fera plus l'objet de financements importants avant la fin des années 90. Sont maintenus :

- le soutien français au Laboratoire Central de l'Elevage, LABOCEL, qui fabrique les vaccins contre le charbon et la pasteurellose, et mènent quelques enquêtes épidémiologiques sur le terrain.

- Le soutien à la campagne de vaccination annuelle du service de l'élevage contre la Peste des petits ruminants et la péri-pneumonie.

- La phase restante du PENCE jusqu'en 1988, avec des activités réduites, mais quelques opérations de prêts de vaches reproductrices qui sont à signaler comme effort pour la reconstitution. La phase proposée pour 1989-1994 ne sera pas financée.

Les financements vont vers les programmes de réhabilitation des populations sinistrées, le maraîchage, la reconstitution du cheptel d'exhaure dans l'Aïr par exemple. L'ONG "Vétérinaire sans Frontière" s'illustre en 1987-88 par un programme de développement de l'aviculture dans le département de Maradi104 qui multipliera par 10 le cheptel aviaire et sécurisera son élevage en milieu agricole avec un certain succès grâce à la vaccination anti-new-castle par des auxiliaires formés par les services de l'élevage. Certains de ces auxiliaires étaient des anciens auxiliaires du PENCE qu'on a recyclés. Les ONGs, telles que les Volontaires du Progrès, le Peace corps, Afrique Verte, Eirene, etc… ne s'intéressent guère à l'élevage, quand bien même ils le voudraient, les bailleurs de fonds ne suivraient pas pour travailler en milieu pastoral. L'élevage qui semble encore mériter le montage de petits projets par les agents de l'Etat et les ONGs, est celui du milieu agricole. Les petits projets de crédits pour l'engraissement de moutons ou de taurillons, communément appelés "projets d'embouche", voient le jour et suscitent un effet de mode aussi durable que surprenant, la rentabilité de ces opérations n’ayant jamais été clairement démontrée. "Vétérinaire sans frontière", VSF, parvient à retrouver un financement auprès de la coopération française afin de rebondir de son projet "aviculture" sur un projet "petits-ruminants" qui justifiera le maintient de sa présence au Niger105. Mal défini, voir même indéfini dans sa forme et ses objectifs, ce projet qui démarre en 1989 et sera arrêté en octobre 1990 ne concernera que le milieu agricole. Alors que les pasteurs du Nord Dakoro luttent pour se rétablir après la sécheresse, les quelques rares financements disponibles pour l'élevage (et des primes de fonctionnement aux services de l'élevage) vont à un projet qui vise à développer l'élevage en milieu agricole.

104 Financement USAID 105 Ainsi que l'engagement de l'auteur dans son premier poste en Afrique sahélienne en 1989.

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L'équipe sur place à Maradi corrigera ce paradoxe en développant une activité non prévue dans le document de financement. 18 auxiliaires d'élevage seront formés en milieu Peul Wodaabé, et leur formation comprendra la vaccination contre les charbons symptomatiques et bactéridiens. C'est une première, des éleveurs sont autorisés à utiliser des seringues sur du bétail, jusqu'ici privilège exclusif des agents de l'Etat. Cette exception à la règle, cette entorse à une législation rigide ne fût possible que grâce à la prise de responsabilité du Chef de l'Elevage de Dakoro106. Les deux tiers de ces auxiliaires nomades travaillaient encore 10 ans après l'arrêt du projet, alors que les 130 auxiliaires de la zone agricole formés par le projet en milieu agricole arrêtèrent leurs activités quelques mois seulement après la fin du projet. En 1998, l'un de ces auxiliaires nomades formés en 1989, écoulait à lui seul chaque année 20 000 doses de vaccin contre le charbon, alors que le total des vaccinations « charbon » des services de l'élevage de l'arrondissement n'atteignait pas 5000 doses. On verra plus loin que cette exception n'aura guère de suite quand nous aborderons la question de la santé animale et du conservatisme en vigueur. _________________________________________________________________________

3.4.2. ABANDON DES FLEURONS DE LA MODERNISATION

PASTORALE. Le prix de l' uranium s'effondre, l'âge d'Or de l'Etat Nigérien est terminé. La Banque Mondiale fait un certain nombre de recommandations de privatisation et liquidations qui ne seront pas suivies107 : La SONERAN, qui ne sera pas privatisée mais simplement liquidée, est indexée par le rapport que nous citons ici, en ces termes :

Cette société, avec son système vertical de production de viande de bœuf, n'apporte presque pas de bénéfice financier et ne présente pas d'intérêt technique. Elle fait simplement concurrence à la production de bétail par le système traditionnel, avec une perte annuelle importante pour le gouvernement.

Avec la liquidation de la SONERAN, suit l'abandon du ranch d'Ekrafan. La SONITAN ne trouvera pas d'acquéreur. L'usine de tannerie de Maradi étant arrêtée depuis plusieurs années, cette société ne faisait plus que de collecter et exporter de faibles tonnages de peaux non traitées vers le Nigéria. Elle sera simplement liquidée. La Station de recherche pour la Chèvre Rousse de Maradi continuera à fonctionner aux frais de l'Etat sans bailleurs extérieurs. On y adjoindra une unité de production avicole, qui fourni des poussins de ré-élevage et vend des œufs dans une boutique de la ville.

106 Dr Ibrahim Boubé, décédé en 2000, dont nous saluons la mémoire. 107 Analayses des conditions de l'élevage et propositions de politiques et de programmes. OCDE / CILSS. Résumé et recommandations. H. Breman, A.Bonfiglioli, JH. Eriksen, JJHM Ketelaars, K. Sawadogo, N. Traoré. Novembre 1985,

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VETOPHAR, Société d'importation de médicaments vétérinaires sera privatisée puis immédiatement mise en faillite par ses acquéreurs. Le petit projet de Vétérinaires sans frontières sera durant quelques temps, le seul importateur de médicaments vétérinaires dans le pays, avec des volumes bien sûr très faibles. Quelques années plus tard, émergera une structure semi-privée qui viendra combler ce manque. La Banque Mondiale recommande purement et simplement la liquidation et le démantèlement des CMB. Le Rapport du CILSS de novembre 1985 insiste encore sur ce point en relevant le "succès limité" de leur action et leur coût pour l'Etat. Le Gouvernement s'y opposera et maintiendra à ses frais le fonctionnement des CMB malgré le fait que le bétail présent ne représente qu'à peine 10 % des effectifs prévus et que les clôtures sont pour la plupart déjà arrachées et recyclées sur le marché informel. _________________________________________________________________________

3.4.3. LES TENDANCES DE L'APRES 85. Nous dépeindrons brièvement ici le climat qui prévaut à cette époque sur la base de trois documents déjà cités :

- Le Rapport de fin d'activité du PENCE de Patrick Paris, de 1988. - Le Résumé des propositions de politique et de programme du CILSS de nov.

1985108. - Elevage et développement au Niger. B. Thébaud, 1986

On l'a vu, l'idéologie de la gestion rationalisée des espaces pastoraux sous forme de "modèles"et la prise en main de la répartition des charges animales sur le terrain par les scientifiques a perdu du terrain et ne fait plus guère d'adeptes, ceci depuis les années qui ont précédé la sécheresse de 84-85. L'extrême adaptation des systèmes de mobilité au climat, est reconnue, notamment par les travaux de Jeremy Swift et Cynthia White présenté dans le rapport NRL de 1984. Les grands projets ont eu le mérite de démontrer les taux d'exploitation élevés des troupeaux pastoraux, la grande spécialisation des pasteurs, en clair de mettre en relief la grande rentabilité de ce système, et ceci avant la grande crise, en décalage avec leurs postulats de départ. Par ailleurs, la modernisation n'a pas tenu ses promesses. Avec la liquidation de la SONERAN, dont on ne peut mettre en évidence l'utilité, le désaveu de la Banque Mondiale et du CILSS concernant les CMB, le peu d'efficacité de tout le système (Etat + bailleurs) face à la sécheresse, l'idéologie de modernisation a vécu. En dehors des bilans de la sécheresse, des aides aux populations sinistrées, nous avons relevé l'apparition de thèmes nouveaux dans les différents documents et dans leur ton général.

108 Breman H, A.Bonfiglioli, JH. Eriksen, JJHM Ketelaars, K. Sawadogo, N. Traoré. Novembre 1985, Analyses des conditions de l'élevage et propositions de politiques et de programmes. OCDE / CILSS. Résumé et recommandations.

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A) On commence à mentionner l'existence d'éleveurs investisseurs. Ces gros propriétaires de bétail ne sont pas issus du milieu pastoral, et leurs objectifs ne sont pas ceux d'une production performante, à la différence du milieu éleveur, mais de spéculation marchande. Cet élevage est estimé moins rentable. Certains ont commencé à investir dans ce secteur avant la sécheresse, mais cette crise leur a permis de multiplier leur cheptel car ils disposaient du cash pour acheter massivement des animaux à bas prix et pour les nourrir jusqu'à la fin de la crise. Ce phénomène est décrit comme une menace. Le rapport du CILSS en 1985 déjà , page 8 et 9 propose très sérieusement à l'Etat109 :

…des normes restrictives dont le rôle serait d'empêcher des personnes ou des groupes de monopoliser les ressources collectives et de les exploiter à des fins privées.

Ces mesures vont de l'imposition de taxes, à différentes formes de paiements progressifs en fonction du cheptel possédé110. B) Apparaît la notion de "Dégradation" des pâturages. Certes, le mot était connu et parfois utilisé, mais dès 1985, il prend une importance démesurée et par sa simplicité, vient desservir une analyse objective de la situation dont la plupart des experts font l'économie dans le courant de la "désertification". Bien entendu, après cette terrible sécheresse, le paysage a changé. Les ensembles écologiques ont régressé, les grands arbres sont morts et gisent sur le sol, des espèces herbacées seront absentes durant plusieurs années. On se focalise sur la disparition des espèces vivaces comme signe de dégradation, même si ces espèces sont d'un intérêt discutable pour l'élevage. Deux très bons exemples illustrent notre propos, le recul vers le Sud de Andropogon gayanus et la disparition momentanée de Panicum turgidum, qui sont fréquemment citées comme des indices de dégradation, alors que ces deux espèces sont peu consommées et ne représentaient pas un enjeu important Le rapport du CILSS a le très grand mérite, pour l'époque, de stigmatiser surtout les dégradations et formations de glacis résultant de l'agriculture itinérante, mais curieusement, insiste tout de même sur la notion de "respect des capacités de charge" des pâturages, comme s'il était possible de réguler les flux de cheptel mieux que les disponibilités de fourrage ne le font déjà. Le rapport indique des actions possibles pour améliorer ou restaurer les pâturages en réintroduisant des espèces herbacées111 et recommande de s'engager dans des programmes de conservation et de restauration des ressources naturelles. C) Le rapport du CILSS est formel, pour permettre à l'élevage de prendre réellement la place qui lui revient et de remplir son rôle économique, ce n'est pas sur les paramètres de production de l'élevage qu'il faut agir car ils sont au maximum de leur potentiel en raison de l'excellence du système traditionnel, mais sur ceux de l'agriculture, qui elle, est archaïque, consommatrice de ressources et engendre la désertification par disparition des arbres. On prévoit de graves crises dans les 20 ans à venir, avec le doublement de la population, si l'agriculture continue à répondre à la demande de céréale par l'accroissement irraisonné des surfaces au détriment de l'espace pastoral. L'usage des engrais complet (et non pas seulement 109 Breman H, A.Bonfiglioli, JH. Eriksen, JJHM Ketelaars, K. Sawadogo, N. Traoré. Novembre 1985, Analyses des conditions de l'élevage et propositions de politiques et de programmes. OCDE / CILSS. Résumé et recommandations. 110 Nous avons reformulé ces propositions 20 ans après dans la stratégie GRN du LUCOP, In-Gall, pour la GTZ car elles sont vivement demandées par le milieu pastoral. 111 Ce ne sera tenté que sur des parcelles expérimentales et généralement sans succès. On s'étonne de cette proposition au vu de l'immensité du territoire pastoral……même si les mécanismes complexes de diffusion des plantes herbacées sahéliennes n'étaient pas encore bien connu. Voir point 2.

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de l'urée, comme cela s'est fait plus tard) est recommandé car la carence générale en phosphore des sols nigériens est connue comme un facteur limitant majeur de la production. L'usage des légumineuses en association avec les céréales est également avancé comme un élément essentiel. (Cette recommandation sera suivie et l'Etat fera de gros efforts de recherche et de vulgarisation dans ce sens avec l'INRAN). D) Pour la première fois, on pose très sérieusement le problème de la concurrence déloyale de la viande européenne (et Sud-Américaine) sur les marché des pays côtiers d'Afrique de l'Ouest. Le rapport du CILSS relève la contradiction pour les pays européens, et notamment la France, de promouvoir un développement de l'élevage au Sahel, tout en autorisant l'exportation à bas prix de viande européenne en surplus, dont le prix de revient sur les marchés d'Abidjan et Lagos est plus bas que celui de la viande sahélienne, limitant ainsi gravement les débouchés commerciaux des pasteurs du Sahel. Ce débat sera repris par les ONGs européennes dans la décennie suivante et des limitations seront imposées par l'UE à ces exportations. La dévaluation du CFA en 1994 viendra redonner une plus-value à la viande sahélienne qui sera alors plus compétitive. E) Enfin, et le constat est largement partagé, la question des droits d'accès en zone pastorale se pose avec acuité. Les tenants de la tendance socio-écologique militent pour une attribution des points d'eau modernes afin de contrecarrer la désorganisation constatée avec le statut public des ouvrages, et également pour barrer la route aux commerçants et notables qui investissent dans le bétail au détriment des pasteurs. Le CILSS recommande de mettre à l'étude de nouvelles législations. De son côté, P.Paris, bien que son travail ait eu assez peu d'échos car trop spécifique, trop avant-gardiste par rapport aux idées de l’époque, s'attache à restituer l'imposant travail d'enquête sur les troupeaux qu'il a réalisé dans l'arrondissement de Dakoro pour le PENCE. En dehors de la restitution de paramètres zootechniques acquis par de minutieuses enquêtes, il insiste sur la notion de ratio entre population et cheptel. Il démontre comment la sécheresse à provoqué une plus grande "pastoralisation" des groupes Wodaabés spécialisés dans l'élevage, même si un agropastoralisme de circonstance en avait relativement attaché certains à des champs durant quelques années. Il met à jour la stratégie des pasteurs qui ont multiplié les points d'eaux depuis les années 70 dans cet objectif de développer la mobilité et de la sécuriser112. Il différencie les spécialisations des différents groupes ethniques en mettant en lumière le peu d'importance de l'élevage dans les populations Touarègues du Centre, contrairement aux idées reçues, et ceci depuis les temps coloniaux113 :

112 Nous pensons qu'il est le premier à avoir formulé ce constat à l'époque. 113 Nous maintenons que la société touarègue, notamment dans le Centre est très diversifiée, et davantage commerçante que pastorale, même si son milieu de vie induit une inclinaison à posséder du bétail.

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Bétail par tête d'habitant selon la catégorie ethnico-administrative de l'arrondissement de Dakoro. Monographie de 1955, cité par P.PARIS, 1989. Sédentaires Peuls Touaregs Bovins 0,6 9 1 Ovins 0,4 7 2 Caprins 1,7 4 5 Camelins 0,06 0,01 0,07 U:B:T: 0,88 8,97 1,99 Ce tableau nous renseigne bien sur le fait que les Peuls sont en réalité les vrais éleveurs de cette région à l'époque. Pour mémoire, le seuil de viabilité pastorale est fixé au Niger à 3,5 UBT par personne. En dessous de ce seuil, intervient obligatoirement une autre activité rémunératrice. Ici, avec une moyenne de 1,99 UBT/personne, la population touarègue est largement en dessous de ce seuil.114 P. Paris démontre, en se basant sur des textes coloniaux comment les effets combinés des sécheresses et de la démographie ont rendu les économies pastorales familiales vulnérables :

L'examen des statistiques oriente les études socio-économiques à mener vers l'évaluation et la compréhension de ce qui apparaît comme l'effondrement d'une économie pastorale qui semblait pourtant promise à un bel avenir en 1953, quand Ardo Maytoukouwa se faisait recenser à Dakoro venant de Maradi, et déclarant 164 personnes, 6819 moutons et 2197 bovins " (Archives de Maradi 1953, réf. 14.3.132, archives nationales de Niamey).

Le calcul issu de cette déclaration nous donne une possession de cheptel de 17, 36 UBT/ personne ce qui est très élevé. Le chiffre concernant le rapport UBT/ personne chez les Peuls en 1955 est de 8,97, ce qui est encore élevé. Aujourd'hui, rares sont les familles qui atteignent le chiffre de 3,5 UBT, pourtant considéré comme le seuil de viabilité. La tendance à l'appauvrissement s'est poursuivie. Brigitte Thébaud, de son côté, publie son ouvrage en 1986 édité par le B.I.T., qui a financé sa recherche sur le terrain. Ce livre est sans doute le recueil le plus complet de tous les paramètres à prendre en compte pour appréhender la question pastorale dans les années 80. La rigueur scientifique et l'approche pluridisciplinaire de son ouvrage en font la meilleure synthèse et la vulgarisation la plus complète des acquis des grands projets, PENCE et NRLP, dont elle s'inspire largement pour argumenter sa recherche. B.Thébaud développera particulièrement, le plaidoyer en faveur de l'attribution des ouvrages hydrauliques pour la maîtrise de l'espace pastoral, l'arrêt des programmes de stations de pompage, et introduira dans le public la connaissance des mécanismes de l'économie pastorale avec la notion de seuil de viabilité économique dans la possession de cheptel, en s’inspirant largement des travaux de J. Swift et C. White au NRLP. Malheureusement, son travail restera peu connu au Niger et l'on regrettera cette diffusion quasi confidentielle de l'ouvrage. La connaissance partagée de ce travail de lecture facile, aurait permit de réelles avancées sur le plan conceptuel au sein des services de l'élevage de l'Etat.

114 L'administrateur de Dakoro à l'époque a réalisé un travail imposant de recensement systématique et son travail est l'un des plus crédibles de l'histoire colonial du Niger. Fort apprécié des éleveurs, il est resté dans la mémoire collective sous le surnom de Maï bougajé, "chef des éleveurs "ou "chef des touaregs" selon l'interprétation. Nous n'avons pu retrouver son nom au moment de la rédaction.

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3.5. DE 1990 A NOS JOURS. PROXIMITE ET

"RESPONSABILISATION", L' ERE DES SOCIOLOGUES ET DES JURISTES.

3.5.1. NOUVELLES PERSPECTIVES ET INCERTITUDES.

3.5.1.1. Un contexte trouble, des incertitudes nombreuses. A partir de 1990, le secteur élevage recommence progressivement, lentement, à susciter de l'intérêt chez les bailleurs de fonds, notamment grâce à un effort des chercheurs en sciences humaines qui influencent les structures du développement (Paris, Thébaud, Bonfiglioli, Swift). Le milieu anglophone du développement, lui, est resté intéressé à l'élevage au Sahel mais travaille peu dans les pays francophones. Les publications les plus intéressantes sont faites outre-manche ( par IIED, ODI ) et concernent le plus souvent des contextes similaires en Afrique de l'Est et Australe. Les ONGs OXFAM et ACORD sont largement en avance sur le plan conceptuel, par l'apport des sciences humaines, en comparaison avec les ONGs francophones, Vétérinaires sans Frontières en tête, dont les débats ont longtemps stagner sur des questions de privatisation du secteur vétérinaire et d'approvisionnement en intrants, avec toujours la fourniture de protéines animales à la population comme credo de base à sa recherche de fonds. C'est dans le milieu des chercheurs anglophones que le Pastoralisme a trouvé les définitions les plus pertinentes et que la recherche a pu dégager l'essentiel des arguments pour défendre le principe de son soutien par les bailleurs de fonds. Durant les années 90, un certain nombre d'événements dans la recherche au niveau internationale, dans l'évolution socio-politique du pays, font que notre sujet gagne en complexité. Nous souhaitons relever tout d'abord les faits marquants de cette époque proche de nous avant d'aller plus loin, car les politiques de développement de l'élevage de cette période sont fortement teintées de réactions somme toute assez rapides aux événements et à leurs implications diverses :

- En 1992, l'IIED115, publie un article courageux, car à contre courant, qui bouleversera la compréhension de l'écologie des pâturages du Sahel sous le titre : Repenser l'écologie des parcours: Implications pour la gestion des terres de parcours en Afrique, de R.H. BEHNKE et I. SCOONES.

- En 1993, après des travaux démarrés dans les années post 85, sont publiés les

Principes d'orientation du Code Rural, ordonnance 93-015, qui visent à doter le Niger d'un droit foncier moderne. Ils seront suivis en 1997 du Recueil de textes complémentaires à l'ordonnance 93-015 parmi lesquels figure un texte traitant du droit d'usage prioritaire des pasteurs sur leurs terroirs d'attache.

115 International Institut for Environment and Development. Dossier N° 33

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- En 1994 à Bamako, l'UNSO mentionne un nouveau paradigme du pastoralisme

dans un atelier à Bamako.

- Dès 1990, un bailleur de fonds nouveau dans le monde des réflexions sur le pastoralisme fait son entrée avec des thèses nouvelles et à contre courant. La DDC se positionne dans le débat sur l'élevage sahélien avec le Dr Ly Boubacar et son association APESS, sur la base de ses expériences au Burkina-Faso.

- En octobre 1991, à Toda près de Maradi, 129 Peuls, principalement des femmes,

des vieillards et des enfants, sont massacrés ou brûlés vifs par des villageois Haoussas. Au démarrage de ce terrible événement, des dégâts aux champs par du bétail. Les événements violents de ce type, quoique faisant moins de victimes116 se reproduiront sans cesse dans tout le pays, faisant du "conflit Agriculteurs-Eleveurs", un thème majeur des approches de développement, révélant ainsi les prédictions du CILSS en 1985.

- Dès la fin 1991, la rébellion touarègue armée éclate au Niger. Elle se prolongera

jusqu'en 1996 et sera clôturée par des accords de paix qui incluront la mise en place d'un projet d'urgence UE dans tout le Nord. Un banditisme résiduel important sévira toutefois jusqu'en 2000 environ, suivant les régions117. Toutes les zones pastorales seront touchées par l'insécurité et la diminution grave des échanges commerciaux. Les milices Peules armées (et encadrées par quelques instructeurs mercenaires rémunérés) verront le jour dans différentes régions du pays pour protéger le bétail des razzias touaregs dans tout l'Ouest et le Centre. A l'Est, une véritable guerre civile se déroulera entre milices Peules et Toubous dans la plus totale indifférence du reste du Monde. La reddition touboue permettra de signer des accords de paix en 1999.

- La première association d'éleveur de type syndicale, l'AREN, est créée à Birnin

N'Gaouré en 1990. Elle devient rapidement très présente dans les débats locaux et même au niveau gouvernemental où elle instaure un lobbying pour la défense des droits des pasteurs.

- En 1991, aura lieu la conférence nationale. Elle aura peu d'importance pour les

pasteurs hormis les quelques prétextes qui y ont été trouvé pour le déclanchement de la rébellion armée et la ( relative) franchise nouvelle qui en découlera dans les débats de toute nature.

- En 1996, le Général Baré renverse le gouvernement. Il est élu quelques mois plus

tard lors d'élections controversées. Cet événement politique ne serait pas mentionné si la période de son pouvoir n'avait engendré des situations graves en raison d’un délitement de la crédibilité de l’Etat et des forces de sécurité dans les zones pastorales.

- En 1996 et 1997, deux très mauvaises saisons des pluies plongent les pasteurs dans

la désolation. Les pertes de bétail par mortalité, et surtout par décapitalisation sont

116 Le plus important fût celui de Kornaka en 1997 avec 40 morts. 117 La région du Nord Filingué vers la frontière du Mali, vit encore cette insécurité jusqu'en 2005, avec les razzias organisées des Touarègues maliens sur le bétail.

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importantes. Les bailleurs de fonds n'interviennent pas car l'Etat nie la situation de famine.

- En 1999, suite à la saisie des urnes des "communales" par l'armée dans tout le

pays, le Général Baré est tué et le Gouvernement de transition restaure la légalité et la confiance dans les pratiques administratives à l'intérieur du pays.

- En 2000, Tandja Mahamadou est élu président de la République. Sa victoire tient

en partie à une mobilisation forte des pasteurs peuls, qui ont votés massivement pour la première fois dans l'histoire. Il s'était clairement positionné durant la campagne en faveur d'un soutien à l'élevage. Il engage les bailleurs de fonds à reconsidérer l'élevage comme une priorité.

_________________________________________________________________________

3.5.1.2. La Gestion de l'Espace Pastoral revue et corrigée, la perte de toutes illusions.

Deux chercheurs contribuent à enterrer définitivement toute crédibilité à la recherche de modèles de gestion des parcours sahéliens, BEHNKE et SCOONES118. Cette publication reprend une présentation générale des thèmes présentés à la réunion technique sur l'écologie des parcours organisée par le Secrétariat du Commonweath à Woburn, Grand Bretagne, en novembre 1990 qui a réuni 25 scientifiques ayant tous travaillé abondamment en Afrique. Ian Scoones vient de soutenir sa thèse de doctorat à l'Université de Londres suite à ses recherches au Zimbabwé. Il est maintenant chercheur associé à l'IIED. Roy Benhke est coordinateur du Réseau Pastoral à l'Overseas Development Institut, ODI. D'un haut niveau scientifique et se référençant sur les travaux de plus 60 spécialistes différents de l'écologie des pâturages y compris du milieu francophone, l'article décortique toute l'approche utilisée depuis des décennies en matière de recherche agrostologique et en démontre l'inadaptation au contexte sahélien. La grande mobilité telle que les pasteurs la pratique et la préservation de sa fluidité sont mises en avant comme les composantes essentielles de toute gestion pastorale. Ils popularisent la notion de "gestion opportuniste", qui consiste pour les pasteurs, selon WESTOBY et WALKER, à saisir des occasions et d'éviter des risques, autant que faire se peut119." La notion de milieu " not at equilibrium" est popularisée. Dans ce milieu en déséquilibre, selon SANDFORD120, "le nombre de bêtes est perpétuellement ajusté en fonction de la disponibilité courante du fourrage". Nous sélectionnerons deux éléments essentiels qui se dégagent de ce travail et qui ont été les principaux arguments pour amener cet important changement dans les conceptions en matière de gestion pastorale :

118 Repenser l'écologie des parcours: Implications pour la gestion des terres de parcours en Afrique, de R.H. BEHNKE et I. SCOONES. IIED. Mars 1992. 119 Opportunistic management for rangelands not at equilibrium. journal of range management 42: 266-274. 1989. Westoby, Walker et Noy-Meir. 120 Management of pastoral development in the Third World, S. Sandford 1983. Chichester, Wiley

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A) La notion de climax est remise en cause. Le climax suppose qu'en fonction du milieu écologique, sols et climat, une végétation type est associée à ces conditions. On considère qu'en cas de stress, surpâturage, sécheresse, feux, la végétation revient obligatoirement à ce climax d'origine en passant par des étapes successionnelles. Or, les recherches ont longtemps portés sur la modélisation de ces principes de succession, avec pour objectif de les prévoir et de les influencer pour obtenir des conditions fourragères optimum sur des espaces donnés. Cette recherche, au bout du compte (et au bout de 40 ans de financement), a finalement démontré que le "climax" supposé, quand on parvenait à en définir un, ne pouvait être observé qu'exceptionnellement tant les facteurs qui influencent la végétation, et donc en modifient la composition floristique, sont nombreux. Le climax d'un micro système écologique devenait l'exception, ce qui rendait son existence même caduque. Il fallait un certain courage aux auteurs pour tenter de démontrer implicitement à leurs pairs, que cette voie de recherche scientifique qui avait suscité tant de travaux et de publications était sans issue et basée sur un postulat faux.

B) La notion de capacité de charge est remise en cause. En effet, les variations de production sont telles, que le calcul devrait être fait chaque année en fin de saison de végétation, et ceci sur une multitude d'ensembles, différents par nature. Or c'est un travail réellement conséquent sur le terrain. De plus, cette capacité de charge, généralement définie pour préserver l'environnement d'une trop forte charge animale, ne peut quasiment jamais être dépassée dans le système traditionnel puisque sur les pâturages de graminées annuelles, en saison sèche, la notion même de surpâturage n'a pas lieu d'être. Pour finir, la gestion elle-même de la charge supposerait la mise en place de règles impossibles à imaginer dans le contexte de l'élevage au Sahel. La conclusion de ces deux experts est sans ambiguïté et leur position est clairement affirmée en page 23 :

Il faut reconnaître les problèmes que pose le concept de Capacité de Charge et cesser de tenter de l'appliquer.

Sur le terrain, chez les bailleurs, dans les sphères de l'Etat, cette révolution est plutôt perçue comme une douche froide. La leçon est durement acceptée et la tendance est plutôt à la non - réaction, au désintérêt. Durant quelques années, plus personne ne veut s'engager dans ce débat, ni imaginer de nouvelles recherches ou programmes. Cette désillusion s'ajoute à celle qu'il a fallu accepter quelques années auparavant, concernant l'hydraulique pastorale d'accès ouvert et la désorganisation de la mobilité qui s'en est suivie. Plus personne ne veut financer un puits pastoral…..trop compliqué, trop de risques……. puisque aucun modèle de gestion n'est possible……C'est donc l'anarchie qui règne et on ne pourra pas responsabiliser les populations ou s'assurer des bénéficiaires réels…. On continue à parler de dégradation des pâturages ça et là, mais sans beaucoup de conviction, uniquement lorsqu'un bailleur peu informé accepte de financer des actions de reboisement qui dégageront des per-diem aux agents de l'Etat ou du food for work aux populations. On citera un exemple qui nous est bien connu, la dune de Bermo, au Nord Dakoro, qui fait périodiquement l'objet d'actions de "fixation" par diverses méthodes et par divers bailleurs, alors qu'elle est stable depuis des siècles, et que des arbres centenaires trônent à son sommet. On ne pourra pas faire la liste des innombrables opérations de restauration des terres par demi-lunes ou cordons de pierre, fixation de dune supposées mobiles, qui ont tenu lieu de "gestion des ressources naturelles" sur le terrain, faute de mieux, en faisant pousser quelques

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arbustes121 sur des terres marginales avec seul effet de compliquer les accès de ces espaces aux pasteurs transhumants. Qu'elle aient été le fait des grands projets avec des machines lourdes ( PASP GTZ par exemple) ou le fruit de food for work des ONGs (par exemple Eirene), les impacts de ces travaux sont toujours très limités en terme de résultats, mais surtout de surface. Il apparaît que c'est généralement la recherche de Droits supplémentaires sur ces espaces au détriment des transhumants qui convainc les populations sédentaires de s'engager dans ces travaux. __________________________________________________________________________

3.5.1.3. La "gestion de Terroirs" et le "développement local". Un recentrage des efforts sur le monde agricole.

Pour le monde pastoral, ces approches ont eu un effet de marginalisation. Rarement impliqués dans les recherches, ou à travers des représentants pas forcément représentatifs, les pasteurs sont perçus dans ses approches comme des marginaux, ne disposant pas de droits fonciers puisqu'ils utilisent les espaces de manière périodique et irrégulière. Dans le contexte de saturation des zones cultivables, les politiques mises en œuvre sur le terrain dans la zone agropastorale ont contribué à refouler les pasteurs sur les terres les moins accueillantes. La grande lacune de ces projets aura été de ne pas prendre en compte la nécessaire mobilité des troupeaux et le rôle clef que représente la zone agricole pour l'ensemble du système pastoral national. Seul le "problème" posé par les éventuels conflits entre éleveurs et agriculteurs a motivé les gestionnaires de ces projets à prendre en compte les pasteurs. Cette tendance à la facilité était largement encouragée par les agents de l'Etat collaborant à ses projets, d'autant que la perception négative de l'élevage mobile et pastoral restait encore largement ancrée dans les esprits. Le développement spontané d'un élevage sédentaire que l'on suppose toujours plus productif encouragera encore les projets à traiter le pastoralisme comme un archaïsme pour lequel on consent à céder quelques espaces non cultivables, comme une sorte de "réserve" à des peuples qui vivent en dehors du monde moderne. L'apparition de la MARP (méthode tout d'abord accélérée, puis finalement "active" de recherche participative) devient à cette époque une mode, puis carrément un dogme. L'usage de cette méthode est alors quasiment incontournable pour espérer être crédible. Son usage garantit dans les esprit des décideurs, et sans qu'il soit besoin de vérifications, que toutes les composantes de la population sont parvenues à définir leurs objectifs, à planifier le développement de leur terroir dans le temps et l'espace, et que l'ensemble de l'action entreprise ne génèrera pas de litiges et sera fécond dans le long terme. Or, si cette méthode est effectivement un outil permettant d'intégrer les ruraux dans la planification et l'analyse de concepts abstraits, sa mise en application nécessite un soin, une attention, et surtout une expérience considérable pour être valide. Pourtant sur le terrain, on envoie des agents de niveau BAC, sans expérience et peu motivés par la rigueur, "marper" des "terroirs" en quelques jours. Le milieu agricole et sédentaire apprend très vite le bénéfice qu'il peut tirer de cette méthode en excluant les groupes de pasteurs ou en minimisant leur rôle dans l'exploitation des RNs.

121 Et encore, principalement des Prozopis juliflora, espèce importée, sans guère d’utilité, voir toxique pour le bétail, qui est souvent envahissante et finit par devenir un problème écologique en soit, selon les témoignages recueillis partout au Niger chez les pasteurs.

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La GTZ, qui a fortement basé ses approches au Sahel sur la Gestion de terroirs et qui en a retiré une certaine expérience, innove en créant le PRASET, espace de concertation international des projets en vue de promouvoir la transhumance et de favoriser sa prise en compte dans les projets de développement. Le CILSS est dans le mouvement, car en 1993 à Praïa, lors d'un forum international sur le foncier, la mobilité de l'élevage et la nécessité de trouver des statuts fonciers aux espaces pastoraux avaient été identifiées et formulées comme une des recommandations fortes aux Etats sahéliens. La composante Niger de la GTZ participera peu à ces échanges du PRASET et les projets de gestion de terroirs en cours ne modifieront pas ou peu leurs approches. La DDC quant à elle, développe ses concepts de développement local, notamment à Gaya. Il faudra la fin des années 90, alors que quasiment tout l'espace pastoral à disparu dans cette zone, pour que des contacts réellement intentionnés aient lieu avec des représentants des pasteurs qui vivent une situation dramatique dans cet arrondissement, sous la menace permanente d'agriculteurs qui sont venus conquérir en force ces terres fertiles et qui n'hésitent pas à des actions de représailles collectives violentes en cas d'incursion du bétail dans leurs champs. Les conflits et les morts d'hommes sont fréquents, et il faudra 10 ans pour envisager de travailler enfin sur des concertations qui permettent le tracé de quelques couloirs de passage ou la délimitation des rares poches de milieu naturel permettant encore à l'élevage d'exister. __________________________________________________________________________

3.5.1.4. Dans la zone Nord, entre urgence, temporisation du conflit et développement pastoral. Recherche d'interlocuteurs.

Mais les années 90 puis jusqu'en 2004, resteront surtout celles des projets qui ont été signés dans la foulée des accords de paix, le PNN pour la GTZ, et le PROZOPAS pour l'UE, et d'autres projets de plus faible dimension comme celui d'AFRICARE. L'analyse sous l'angle de notre recherche de ces projets n'est pas aisée, ceci pour deux raisons :

- Ces expériences sont encore relativement fraîches. Les soumettre à la critique comporte le risque de mettre en cause, même sans intention, des personnes et des structures. Or nous ne souhaitons pas suivre un courant de pensée un peu trop simpliste, qui a tendance à mettre l'accent sur les erreurs et les travers de ces projets, sans tenir compte de l'extrême difficulté de cette période troublée. L'aide de ces projets a été un élément de pacification et de redressement de l'économie globale du Nord Niger, c'était l'objectif premier et il a été globalement atteint.

- La rétrospection des intervenants n'a pas encore été faite, si tant est qu'elle le sera un jour. Ni les anciens cadres des projets, ni les bailleurs, ni l'Etat, ni aucun chercheur indépendant, ne s'est aventuré à publier des analyses critiques de ces programmes. La recherche documentaire que nous avons menée à Niamey en 2003, s'est heurtée à une fermeture manifeste concernant le Prozopas, autant du côté de l'UE que du Ministère du Plan, tutelle du Prozopas. Le peu de documentation en notre possession nous vient de connaissances personnelles.

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Trois constats négatifs sont généralement faits concernant le Prozopas et dans une moindre mesure le PNN, concernant surtout leur manière de cibler les bénéficiaires des actions, et nous pouvons les mentionner, ce qui ne signifie pas que nous les validions comme des faits :

1) Le milieu Peul Wodaabé du Nord Niger aurait eu beaucoup de peine à bénéficier des actions du projet. Les Chefs de Tribus Touaregs et les leaders des différentes fractions de la rébellion faisaient écran à leur implication.

2) Les notables, Chefs de groupements et leaders des mouvements rebelles auraient massivement détourné les aides à leur profit pour asseoir davantage leur pouvoir (Le projet PROZOPAS a eu le mérite de lutter avec vigueur contre ce problème, n'hésitant pas à mettre des gens en prison pour récupérer des fonds de crédits).

3) Les commerçants, investisseurs en bétail de la zone pastorale ont été favorisés, voir "boostés" par des subventions à l'équipement, se présentant comme des personnes influentes et crédibles de communautés restreintes, au détriment de l'élevage pastoral. Cette réalité n'est pas toujours liée à des actions directes du projet, mais parfois à des "actions satellites ou partenaires." On y reviendra.

Ceci dit, le principal intérêt pour notre recherche dans ces projets, restera leurs difficultés à se positionner pour définir des échelles et des catégories sociales d'intervention. La structure sociale de la région est complexe mais les projets souhaitaient travailler au plus près des populations afin de s'assurer de l'appropriation des actions et processus mis en oeuvre. Dès lors, les projets devaient répondre à deux questions :

- De l’échelle de population avec laquelle travailler. - De la légitimité des représentants directement visibles des pasteurs.

Travailler au niveau des groupements administratifs n'était pas souhaitable car ces derniers sont trop vastes pour la plupart, même si la structure est officielle et bien définie, donc bien visible, il a été tout de même retenu par le Prozopas que la visibilité la plus évidente n’est pas toujours garante de légitimité. Dans le même ordre d'idée concernant les Chefferies administratives, l’élargissement du champ social, (et donc du nombre de personnes concernées mais aussi de groupes d’intérêts différents) multiplie le risque de conflit autour des ressources et de divergences de vues. En principe les pasteurs sont tous affiliés à une tribu, et les tribus à des groupements122 et des représentants sont facilement identifiables. L'échelle de la tribu pouvait donc être retenue. Mais cette apparente simplicité n'est pas la réalité sur le terrain. Un grand nombre de tribus sont dites "non groupées" parce qu'elles n'appartiennent pas un groupement administratif. Les tribus sont plusieurs centaines, et de taille diverses. Certaines tribus sont relativement homogènes et leurs membres nomadisent en restant relativement proche, ou tout au moins en contact. D'autres tribus sont vastes, leurs membres dispersés et sans contact entre eux depuis des années. Certains groupes ont tendance à multiplier le nombre de tribus réduites, à se subdiviser en groupuscules (Bikorawas, Yamawas pour les Peuls Wodaabés, Kel temerkes pour les Touaregs). Un second problème apparaît ensuite, les membres d’une tribu sont très souvent dispersés dans l’espace par les mouvements pastoraux mais parfois aussi sur des points d’attaches différents ( Kel Hoggar, Igamen, par exemple…). En outre, des pasteurs de certaines tribus non recensées dans les groupements localisés dans une localité donnée, sont pourtant devenus 122 Voir les tableaux présentant ces structures en annexe.

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des permanents, à la faveurs d’alliances informelles avec d’autres groupes, dans une répartition stratégique du cheptel et des familles (familles Wodaabés Japto’en liées aux Kunta de Rafia par exemple à l'ouest d'In-Gall…). D’autres interrogations se dégagent alors de ce constat, puisque la base administrative est écartée :

- Approche sur la base des entités sociales ? - Approche sur la base géographique ?

L’équation contient donc 4 éléments qu’il faudrait combiner :

- Grande échelle - Echelle réduite - Approche socio-administrative - Approche géographique

Un développement optimum et généralisé des structures associatives modernes pourrait aider à résoudre l’équation, malheureusement ces structures sont quasiment absentes de la zone concernée à l'époque123. Tous les intervenants en zone pastorale ont été et sont toujours confrontés à la question des interlocuteurs représentatifs et des échelles de travail (En milieu agricole, le village ou les groupes de villages sont des entités bien déterminées, fixes et stables).

Nous proposons ici une description sommaire de quelques exemples récents dans la zone Nord. Ces exemples sont exempts de critiques de notre part et sont restitués tels que les responsables des projets nous les ont présenté.

� Centre d’Appui Ruraux. Prozopas. Approche géographique avec grande

échelle. Regroupement de divers groupes ethniques sur la base d’intérêts communs autour d’un point central de terroir reconnus par tous après un diagnostique participatif ( MARP). Activités gérées séparément par comités spécifiques.

� Approche village. Africare. Approche géographique. Le terme village désigne

ici les terroirs d’attache. Selon cette démarche, les terroirs d’attaches sont « inclusifs » et nombre de familles d’origine différentes gravitent en satellites autour du groupe prioritaire d’origine. Tous les ménages sont recensés dans le détail et l’on fait volontairement abstraction des structures tribales ou sociales. Les activités sont gérées par un Comité de Sécurité Alimentaire CSA et l’ensemble est chapeauté par un Comité de Gestion Villageois CGV qui inclus les notables et les Chefs.

� Comités Locaux de Développement CLD. Cette approche géographique du

PMR, (Projet Micro réalisation, UE, qui a suivi le PROZOPAS dès 2002) est identique à celle d’Africare avec néanmoins un système moins élaboré pour le diagnostique de départ. 116 micro réalisations ont été menées de 2002 à 2004

123 Sauf dans le Nord Dakoro.

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pour un budget de 703 millions de francs cfa, sur les départements de Tchirozérine et Aderbissinat.

� ZAP, Zone d’Abreuvement et de Pâturage. Cette notion sur laquelle APPEL-

ZP base son contact avec les éleveurs membres est sans doute la plus proche d’une réalité des éleveurs. Elle a l’avantage, en théorie, de faire le lien entre dimension géographique non figée de l’espace et population. Toutefois, si elle ressemble à celle développée par l’ONG GAGE et le PAGRNAT dans l’Aïr124 sur la base des Terrains de Parcours, avec un puits principal comme centre, elle est sans doute difficile à mettre en œuvre en zone pastorale, du fait de la plus grande mobilité et des croisements ethniques.

� Groupement Associatif, AREN. Ces groupements sont auto-constitués sur la

base des intérêts communs des membres. C'est généralement la tribu qui sert de base à leur définition et AREN n'intervient pas dans les motivations des membres pour se grouper. Un système de triple cotisation au groupement puis à la coordination régionale, puis au bureau national, permet de garantir des adhésions sérieuses d'autant que chaque membre doit également déposer sa photographie au niveau national dans les registres. Ces groupements et leurs coordinations agissent au niveau local pour défendre juridiquement et administrativement leurs membres et disposent d'une grande indépendance. Totalement auto-créé avant leur affiliation à AREN, ces structures n'ont pas d'ambition de structuration sur une base géographique, ni de quelconque idéologie de développement pastoral. Ils sont peu nombreux dans le Nord durant la décennie.

� Le PNN, Projet Nord Niger de la GTZ, s'est essentiellement reposé sur les

groupements administratifs. Lors de nos enquêtes sur le terrain pour la GTZ en 2004, cette approche fût toujours fortement critiquée par les pasteurs, qui ont suivi les multiples détournements et dilapidations de fonds de ce projet par leurs responsables administratifs.

Sur le plan de l'idéologie en terme de développement pastoral, aucun de ces projets n'a eu clairement de position. Les Centres d'Appuis Ruraux ou CAR du Prozopas étaient davantage des bases de services incluant écoles, couloirs de vaccinations, boutiques, banques céréalières, parfois cases de santé, que des structures cherchant une quelconque organisation spatiale des mouvements du cheptel. Il en est de même pour les autres projets. Aucune action directe vers le cheptel et l'élevage n'est vraiment entreprise par ces projets, ni en alimentation animale, ni en zootechnie. La mobilité est reconnue globalement. Les soutiens à la villagisation par l'ONG AFRICARE répondent au souci de trouver des solutions aux plus démunis qui ne peuvent plus transhumer, et non pas à améliorer la gestion de l'espace et des troupeaux. La coopération française de son côté, reste timide en matière de développement pastoral et raisonne en terme de filière dans sa stratégie de cette décennie125. Les projets concernant

124 Elaboration d'une stratégie pour une gestion durable des ressources naturelles dans la zone pastorale et l'Aïr. Etude pour le LUCOP-GTZ, R. Hammel, 2005. 125 L'aide française au Niger. Evaluation de la politique française 1990 - 2001. Cabinet Evalua, Minsitère des affaires étrangère. 2002.

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l'élevage sont rangés dans cette catégorie. Faut-il y voir une sorte de réserve vis-à-vis de ce secteur ? Un projet intitulé Projet Pastoral Nord Zinder, PPNZ, de faible envergure géographique, et qui visait notamment à améliorer le maillage des puits de la zone et à mettre en place des mécanismes de sécurisation économique, sera clôturé quelques mois après son démarrage par suite d'insécurité dans la zone et de menaces de la part des groupes résiduels de la rébellion. __________________________________________________________________________

3.5.1.5. Les ONGs et la question pastorale dans les années 90.

1) Plusieurs ONGs s'attellent de front à la question de la gestion conjointe des ressources naturelles avec une forte inclination à prendre en compte, voir à favoriser la préservation de la mobilité pastorale. SOS-Sahel GB, investi ses efforts de 1996 à 2002 sur une forêt classée de 6 000 ha dans le département de Zinder à Takiéta126, conjointement avec les services forestiers. La recherche et la mise au point d'outils de concertation basés sur la MARP est le principal enjeu, avec l'espoir de pouvoir étendre le champ d'action ultérieurement. L'usage pastoral de la forêt à certaines saisons par des transhumants est l'objet de beaucoup d'attention et de concertation avec les usagers agricoles de la périphérie. L'IIED intervient en appui conceptuel à ce projet, ainsi qu'au PAAPB dont il sera fait mention plus loin, avec des financements séparés pour actions précises. L'IIED développe durant cette décennie une approche d'avant-garde qui vise à désenclaver les activités agricoles et pastorales pour promouvoir le concept d'usages communs et différenciés des mêmes ressources par des utilisateurs différents.

2) Karkara, une ONG nigérienne, développe un programme de type gestion de terroir

dans l'Est, à Goudoumaria, avec en toile de fond la lutte contre la désertification mais également un fort soutien à la sécurisation pastorale par des aides au système économique (crédits, banques céréalières, etc…..). Fortement soutenue par la coopération française, elle s'engagera à ses côtés pour la réalisation du Projet de renforcement institutionnel et technique de la filière cameline, plus connu sous le nom de projet camelin. Ce projet s'attachera surtout à la filière du lait de chamelle à Agadez et à développer des charrettes et outils agricoles adaptés à la traction cameline (malgré des résultats techniques réellement probants, on doit conclure à l'absence d'impact de ce dernier volet). Des vulgarisations et des formations spécifiques aux pathologies des dromadaires sont mises au point et introduites dans les formations des agents d'élevage. Cette spécificité était quasiment absente de leur formation de base jusque là.

126 Gestion conjointe des ressources communes. Une étude cas à Takiéta, Niger. Kees et Gill Vogt. IIED, Mai 2000.

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3.5.1.6. Emergence du secteur associatif. On nous reprochera peut-être, sur ce point, de ne parler que des actions d'une seule association, alors que des dizaines sont répertoriées au Ministère de l'Intérieur, et qu'elles sont membres d'un collectif créé en 2000 sous le nom de CAPAN. Pourtant, si l'on doit présenter des actions et des résultats tangibles du secteur associatif, seule l'association AREN127 peut être mentionnée, en dehors de quelques instrumentalisations des autres associations par des bailleurs divers et pour des actions très ponctuelles. AREN est née dans la confidentialité en 1990, alors que les textes régissant les associations n'ont été promulgués qu'en 1992. Très vite, les premiers groupements qui se constituent à l'Ouest s'investissent dans la concertation locale pour faire respecter les couloirs de passage ou en délimiter de nouveaux. Alors qu'il faut attendre 1998 pour que les premiers bailleurs de fonds commencent à s'intéresser à la question des forums entre agriculteurs et éleveurs et au tracé des couloirs de passage (la DDC serait la première en 1998 avec le couloir international de transhumance de Dakoro - Guidan Roumji), l'AREN organise et finance sur les fonds propres des éleveurs, des dizaines de forum et de délimitations entre 1990 et 1996, incluant l'administration et prenant en charge ses frais de déplacement. Malheureusement, par manque de moyens humains et administratifs, toute cette expérience ne fût jamais comptabilisée et mise en lumière. Dans la zone du Parc du W, l'AREN s'investi pour faire respecter le Droit élémentaire lors des incursions des éleveurs dans le Parc et ses zones tampons. Progressivement, l'AREN devient le rempart des éleveurs contre les abus de toute sorte dont ils sont victimes, que se soit pour les dégâts aux champs et mise en fourrières abusives du bétail, des emprisonnements ou pour le respect des couloirs de passage qui pour la plupart, datent de l'époque coloniale. En raison de ses résultats sur le terrain, les éleveurs, surtout les Peuls de toutes les régions, y adhèrent massivement, au point que le petit bureau bénévole de Niamey ne parvient plus à suivre le rythme. Jusqu'à Diffa, l'AREN devient LE syndicat éleveur du Niger, même si le mot syndicat ne figure jamais dans les débats et les écrits. Les groupements et les coordinations régionales n'étant pas créées en vue de capter les aides au développement, ces structures présentaient un niveau de débat élevé et semblaient devoir être les structures de base les plus crédibles et les plus fiables en milieu éleveur. Pour les projets et bailleurs, cette organisation spontanée pouvait représenter l'alternative de collaboration idéale en vue de se soustraire aux difficultés inhérentes à la structuration tribale et administrative. De la même manière, cela permettait de travailler en lien direct avec les populations, car les structures de type associatif pouvaient remplacer légalement les services techniques sur le terrain. Le Ministère de l'Intérieur devenant alors une tutelle très indirecte et peu impliquée techniquement pour le partenaire extérieur qui voulait investir et mener ses propres démarches avec les populations sans l'interférence de plus en plus critiquée des services techniques, et ceci dans tout les domaines. Malheureusement, un fort discrédit se répandait sur l'ensemble des associations, car parallèlement, bon nombre de fonctionnaires s'étaient engouffrés dans cette voie en créant de toute pièce des associations non crédibles (l'une d'entre elles128 avait réussi à se faire verser 17 millions de fr CFA par la DDC pour une "fausse" assemblée générale à Diffa. A titre de

127 Association pour la Redynamisation de l' Elevage au Niger. 128 Elle existe toujours pourtant, avec le même leader, et des bailleurs ont commencé à travailler avec elle sur le terrain.

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comparaison, le budget d'AG de l'AREN est de 3 à 5 millions et elle le finance sur ses cotisations). En 1997, toutefois, AREN pourra mettre en œuvre un programme défini par ses groupements du Nord Dakoro pour trois ans, de 1998 à 2000 avec trois partenaires : - SOS-SAHEL GB avec 50% du financement issu de l'UE. - DDC avec 35 % du financement - HEKS-EPER avec 15 % du financement venant de ses fonds propres. Le financement total est de 335 millions de Fr CFA. A ce programme est joint un assistant technique SOS-Sahel GB, concepteur du programme et le financement d'un staff de trois personnes jusqu'ici bénévoles au bureau national est lié au programme, qui s'intitulera PAAPB, programme d'appui aux associations pastorales de Bermo. Les groupements affiliés à d'autres associations sont intégrés au même titre que les groupements AREN. Le programme construit ses bâtiments à Bermo, à 85 km au Nord de Dakoro et engage trois personnes sur le terrain, les éleveurs participant à leur recrutement selon leurs critères propres. Un Conseil élu de 7 éleveurs gère le projet sur le terrain avec l'aide des employés et prend toutes les décisions importantes. Le projet travaille sur les axes suivants, tous définis par l'assemblée des 32 Présidents de groupements associatifs :

- Crédits à la commercialisation du bétail selon un système nouveau. - Banques céréalières. - Formation à la technique du foin pour les éleveurs démunis qui se

sédentarisent sur les sites d'attache. - Crédits pour les femmes - Formations d'auxiliaires vétérinaires disposant de 3 vaccins indispensables et

d'antibiotiques injectables.129 - Soutien aux écoles nomades. - Sensibilisation adaptée au milieu Wodaabé pour le virus HIV. - Vulgarisation des textes de Lois à des délégués élus chargés de défendre les

intérêts des éleveurs. Ces derniers se retrouveront ultérieurement dans un comité de gestion et prévention des conflits.

Le débat de fond dans la zone Nord Dakoro à cette époque est la colonisation des espaces pastoraux par l'agriculture, contre laquelle les éleveurs Peuls et Touaregs luttent avec une stratégie commune. L'IIED apporte son soutien au projet à travers son programme international PGCRN et fourni des appuis conceptuels par des consultants tout en finançant des formations et des actions spécifiques concernant la gestion conjointe des ressources. Vers les années 2000, d'autres bailleurs s'engagent avec l'AREN, mais toujours pour financer SES projets, ceux qu'elle a défini avec ses membres, et non pas comme un exécutant de

129 Comme dans le cas des vaccinateurs formés par VSF en 1989, ce contournement de la Loi voulait ouvrir le débat et a été possible par la prise de risque du Chef de l'Elevage de Dakoro, Abdou Yahouza.

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projets déjà mis en forme. Un plan stratégique est mit au point pour l'ensemble du pays en 1999. Il sera progressivement financé à Diffa, Maradi et Tillabéry, avec NOVIB et OXFAM. Nous souhaitons tout de même donner quelques orientations sur ce qu'est, selon nous, une organisation de type associatif "syndicale". On doit insister sur le fait qu’il est nécessaire de vérifier sur le terrain, la réalité d’une organisation. Un grand nombre d’entre elles ne sont que des groupuscules de personnes, souvent extérieurs au système pastoral et le connaissant très mal, et n’ont pas de base populaire130. Par base, nous entendons des structures de terrain rassemblant des familles de pasteurs, coordonnées par une structure régionale à une échelle ou une autre. Le paiement d’une cotisation et la visite d’un leader ne suffisent pas pour conclure à la réalité d’une association. En effet, bien des structures ne justifient leur existence que par une unique visite à des éleveurs, quelques discours, l’encaissement de quelques centaines de francs CFA par personne au titre de cotisation ou non. L’absence de moyens est généralement avancée par la suite pour expliquer l’absence totale d’activités. Ce schéma concerne selon nous l'essentiel des associations ou prétendument telles, qui s’affichent au Niger et cherchent à se faire financer. L’absence de discernement des bailleurs dans ce sens est telle, que certaines parviennent à toucher des fonds, et nombre d’entre elles sont membres du CAPAN, collectif constitué sous impulsion de IIED dès l’année 2000, ceci au même titre que l'AREN, organisation d’envergure nationale. Cette dernière dispose de multiples coordinations de terrain auto-financées, de milliers de membres enregistrés, et leurs réalisations sur le terrain des droits de l’homme, de la gestion des RN, ou du soutien aux initiatives locales se comptent par centaines131. L’échec des tentatives de rassembler ces organisations dans une structure globale cohérente est patent au Niger, et on doit souligner que des études préalables fouillées et pertinentes sont nécessaires avant d’engager une collaboration avec une association sur le terrain au Niger, tant les pseudos associations font écran à la réalité.

On doit également rendre attentif sur la grande diversité de capacité au sein de ces structures, qui fonctionnent essentiellement sur un bénévolat. Un travers courant des projets de collaboration avec les Organisations de Producteurs, OP, est de mettre en place des systèmes de suivi ou de financement trop complexes, que les OP ne parviennent pas à assumer par la suite. Il faut également relever l’absence totale de moyens de fonctionnement des OP132 et en tenir compte en accompagnant financièrement chaque étape du renforcement de capacité ou d’exécution des actions. 130 Curieusement, on doit rappeler que le fait d’être issu d’une ethnie « éleveur » et d’avoir grandi dans le milieu ne suffit pas pour être compétent en matière de pastoralisme. Les préjugés et les méconnaissances les plus classiques se rencontrent beaucoup chez les représentants intellectuels du monde pastoral, ces derniers ayant acquis leur base de connaissance par le milieu administratif et scolaire. 131 L’AREN est actuellement la seule organisation de cette envergure nationale qui fonctionne selon des ressources internes pour ses activités souveraines et dont les leaders soient élus démocratiquement selon des périodes fixes. APPEL-ZP tend à devenir également une association crédible dans ce sens, mais sur une zone localisée. Par ailleurs, concernant cette dernière, les concepts techniques et idées de développement qui fondent sa philosophie semblent y être plus descendants qu’ascendants. 132 Il faut distinguer les moyens de fonctionnement selon les critères du développement et des bailleurs en opposition avec les simples capacités d’assumer les dépenses de souveraineté (assemblées générales, coordinations, frais administratifs et de représentation). Ces dépenses de souveraineté sont couvertes par les fonds propres issus des cotisations.

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Enfin, les organisations de base, selon nous, ne sont pas des prestataires. L’instrumentalisation des OP par les projets représente un risque majeur de corrompre leur vocation première qui est de susciter des initiatives à la base et de défendre les intérêts des éleveurs. Quand des OP acceptent (par attrait des petits moyens consentis), de diffuser des vulgarisations et sensibilisations inadaptées mises au point par les bailleurs, ou de se transformer en relais pour la sensibilisation ou des actions de DRS, la confusion s’installe chez leurs membres qui voient alors leur association comme un projet et perdent ainsi l’occasion d’avancer sur le terrain d’une démarche syndicale et démocratique. Les projets et les partenaires financiers du développement portent ainsi une grande responsabilité, car leur influence involontaire sur les mécanismes sociaux permettant l’émergence de réels mouvements de producteurs est le plus souvent négative. Une réflexion trop hâtive, peu informée et peu motivée sous-tend généralement l’entrée en collaboration avec les OP. Des mouvements intéressants se trouvent ainsi corrompus par l’instrumentalisation de leurs structures de base et de leurs leaders, et des associations constituées sur des bases fausses se trouvent en position de perdurer grâce à des soutiens extérieurs. __________________________________________________________________________

3.5.1.7. La sélection du cheptel partagée avec les éleveurs. Innovation de la CTB.

En août 1998, la Coopération technique Belge s'engage dans une voie laissée quasiment à l'abandon depuis 1985, voir même depuis 73, par un projet bilatéral pour la sélection de la race Bovine Azawak, sous le nom de "projet AZAWAK". Ce projet continue ses activités jusqu'à aujourd'hui. Pour rappel, la station de Filingué Toukounous a été créée en 1931 et travaille à cette sélection depuis les années 50. La CTB reprend donc les infrastructures vieillissantes de la station de Toukounous, qui à cette époque continue à produire du lait et de le vendre sous forme réfrigérée aux acheteurs venus de Niamey (Olani et privés ) ou à fournir le marché des femmes fromagères des villages environnants. Un cheptel issu de sélections est disponible et selon les responsables133, cette sélection a continué à être rigoureuse permettant d'identifier de bons géniteurs. La nouveauté, sera de diffuser dans le milieu éleveur, non plus des femelles, mais les géniteurs mâles eux-mêmes. En effet, envers et contre toute logique zootechnique, la station de Toukounous, et les CMB qui ont eu également dans leurs ambitions de démultiplier la diffusion, revendaient essentiellement des femelles "améliorées" par la sélection, et non les mâles, dont le potentiel de diffusion de sang sélectionné aurait été évidemment beaucoup plus rapide. Le projet mettra au point la notion "d'éleveur sélectionneurs" pour ceux dont les troupeaux auront été reconnus aptes et qui auront acheté des reproducteurs. Ils pourront désormais,

133 Entretiens avec Dr. Michel Maricaux, CTB, assistant technique projet AZAWAK, et Dr Boubé Hambali, directeur du projet, 2003.

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forts de leur affiliation à un réseau de sélectionneurs, revendre leur bétail pour l'élevage avec un label de qualité qui leur donnera une plus value. Dans la seconde phase, à partir de l'année 2000, le CMB de Facko est intégré au processus, malgré le métissage de son cheptel, et la diffusion de géniteurs venus de Toukounous et des éleveurs sélectionneurs se répand également dans le Centre du Niger. La clientèle est majoritairement touarègue et arabe. Les éleveurs investisseurs se profilent comme des clients réguliers et deviennent également des éleveurs sectionneurs. Des suivis de croissances sont mit en place chez 48 éleveurs disposant de géniteurs sélectionnés et permettent de mesurer les performances en milieu réel cette fois-ci et ces troupeaux bénéficient d’encadrements techniques rapprochés. Selon le rapport final produit en 2002, tous les paramètres zootechniques auraient subit des améliorations notables entre 1998 et 2001. Les taux de fécondité auraient augmenté de 21%, le taux de mortalité globale serait passé de 6,9 % à 1 %, le croît du troupeau serait passé à 11 %, alors que le taux d'exploitation diminue et passe de 17,9 % à 8,5 %. La croissance pondérale est mesurée sur les veaux de 6 mois issus des reproducteurs et sur des veaux témoins. Il ressort que le poids à 6 mois est d'environ 10 kg de plus pour les veaux issus de la sélection avec 66 kg pour les mâles et 64,8 pour les femelles. Le projet aura diffusé 191 géniteurs et 130 génisses dans sa première phase de 1998 à 2001. Nous n'avons pas de chiffres concernant les années suivantes134. 6 éleveurs sélectionneurs sont identifiés, principalement chez des investisseurs commerçants. On verra plus loin l'impact de ce choix. La seconde phase du projet est formulé en 2001 pour 2002 - 2006, la contribution belge se montant à 2 millions d'Euros135. Notons encore que l'Université de Turin a implanté une banque de sperme à Toukounouss en satellite du projet AZAWAK avec l'ambition de promouvoir l'insémination artificielle. ___________________________________________________________________________

3.5.2. CODE RURAL, TERROIRS D'ATTACHE ET DECENTRALISATION. L'ERE DES JURISTES.

La genèse complète de ce processus serait longue et pourrait représenter un thème en soit. Nous nous limiterons donc à l'essentiel pour ce qui concerne les idéologies et les confrontations de visions du développement qui en découlent. L'historique de la question foncière pour le Niger est réalisé par le Ministère, en tant que contribution au Forum sur le Foncier et le Développement Durable de Bamako en 2003, (CILSS). En 1993, sont publiés les "principes d'orientation du Code Rural, qui visent à formaliser un nouveau type de propriété privative du sol au Niger, et principalement concernant le sol 134 Projet d'appui à l'Elevage des bovins de race Azawak au Niger, NER/00/001, Rapport final. 2002. 135 Projet d'appui à l'Elevage des bovins de race Azawak au Niger, Phase II, rapport de formulation. Sept 2001.

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agricole. La terre agricole fait déjà l'objet de transactions financière même en l'absence de législation, et les droits coutumiers tendent à se diluer avec la forte monétarisation de l'économie rurale, ce qui génère d'innombrables litiges. En zone pastorale, l'espoir repose sur une relecture des textes et une volonté nouvelle de faire enfin appliquer la limite Nord des cultures de 1961. En 1997, les textes complémentaires au Code Rural sont édités et validés par l'Etat. L'un d'entre eux concerne les pasteurs, avec la définition d'un concept nouveau sur le plan juridique, les " terroirs d'attaches". Pourtant proches des réalités sur le terrain et correspondant au souhait des pasteurs de voir leur priorité d'usage reconnues dans les périphéries de leurs puits, ce texte sera violemment attaqué par les Chefferies administratives des éleveurs et les associations. ___________________________________________________________________________

3.5.2.1. Les soutiens aux commissions foncières. Les bailleurs de fonds s'intéressent à la mise en place du processus, et apportent des soutiens localisés aux commissions foncières sur le terrain. La DDC se concentre à Gaya où elle intervient depuis les années 80 par son programme de développement local. Africa 70, une ONG du Nord, s'attache au soutien du processus dans le département de Zinder, et le Prozopas entame timidement des actions de soutien par le financement de l'installation des commissions foncières dans le Nord. Il s'agit d'un début, et d'expérience de structuration sur le terrain et de précision des responsabilités subsidiaires des différentes structures, du niveau village au niveau départemental. La question pastorale est très peu abordée, et la notion de terroirs d'attache reste prudemment écartée des priorités puisqu'une polémique au niveau national s'intensifie sous la pression des associations et de quelques experts du Nord. Bien que les Chefs de groupements administratifs soient partie prenante des Commissions foncières (nous les appelons Cofos dans la suite du texte), aucun terroir d'attache ne sera jamais reconnu et validé. ________________________________________________________________________

3.5.2.2. L'insoluble débat sur les terroirs d'attaches. Ce débat fait l'objet de crispations fortes au Niger et curieusement, se sont principalement les défenseurs de la mobilité et du pastoralisme qui en sont les principaux adversaires. La position des associations durant les années qui ont suivi la publication du texte était un peu simpliste, à savoir l'inégalité de traitement entre agriculteurs qui deviennent propriétaires, et éleveurs qui n'aurait que des "Droit Prioritaires". On détaillera dans le point 4, les différentes positions des uns et des autres et nous chercherons à clarifier ce débat. _________________________________________________________________________

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3.5.2.3. Le mythe du ranching refait surface. Les éleveurs investisseurs développent leur activité dans cette décennie. Disposant de camions, il peuvent déplacer leur cheptel sur de plus longues distances et amener l'eau sur place lorsque c'est nécessaire. Disposant d'appuis politiques, ils peuvent se faire attribuer ou ils peuvent racheter des points d'eau modernes, puits cimentés ou même des forages. Ils deviennent parfois eux-mêmes politiciens et députés. Disposant de connexions dans le milieu notable des chefferies administratives, ils peuvent abreuver en priorité sur des ouvrages stratégiques, au détriment des éleveurs dont ils consomment l'essentiel du pâturage avec leurs grands troupeaux. Disposant de connexions commerciales et de marge de manœuvres économiques, ils peuvent exporter et profiter des fluctuations du marché (alors que l'éleveur de base, lui, les subit par manque de cash disponible). Employant les éleveurs démunis sur des bases de contrats assez variables (du lait comme seul salaire dans les années 80 - 90, à des salaires décents à partir de 2000), ils bénéficient du professionnalisme du monde pastoral. Comme si ces pouvoirs conjugués de la fortune et des appuis politiques qui permettent de contourner ou modifier les règles sur le terrain ne suffisaient pas pour dominer les pasteurs de manière déloyale, les projets de développement apportent leurs appuis. Certains investisseurs se voient ainsi renforcés par le Prozopas, par des puits, des infrastructures. Certes, ces réalisations sont réalisées pour l'usage commun, mais elles resteront après coup sous les décisions de ces commerçants et renforceront encore leur pouvoir sur le terrain face aux éleveurs, dans le système d'alliance et d'allégeance d'intérêts. Le Projet Pastoral Pilote du Ministère, financé par la Banque Mondiale, met en place des périmètres en zone pastorale sur lesquels des expériences de gestion dite "holistique" des pâturages seront menées. Il s'agit de démontrer que durant la période de végétation, une rotation calculée des parcelles pâturées avec des périodes de repos, permet d'accroître la production nette des herbacées et donc, d'entretenir plus de cheptel. La base de cette recherche repose sur des expériences faites aux Etats-Unis dans la réserve des Indiens Navajos, sur des pâturages de plantes vivaces. Il faut donc identifier des groupes de pasteurs prêts à partager l'expérience sur leur site. L'expérience intéresse les groupes de pasteurs, puisqu'elle leur permettra de disposer de droits forts sur leurs terroirs et de décider qui et quand pourra faire pâturer son bétail. Il s'agit surtout d'une nouvelle possibilité d'exclure les autres pasteurs, en déconnexion totale avec les règles d'usage et de réciprocité. Un site est ainsi engagé avec des pasteurs Peuls Wodaabés qui développent une base de type terroir dans le Nord Dakoro (Tacha Ibrahim). Ils reçoivent des dromadaires pour effectuer la surveillance et l'application de la mise en rotation des parcelles qui sont définies à la suite d'une étude agrostologique pointue. Hormis l'absence d'impact visible et réellement mesurables du système et quelques gains accessoires pour les pasteurs, cette expérience restera sans grandes démonstrations. Par contre, vers Abalak, l'expérience permettra réellement l'aboutissement des objectifs cachés qui étaient pourtant évidents dès le départ, sous forme de ranching. Nous reviendrons sur cette analyse plus en détail au point 4. __________________________________________________________________________

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3.5.3. "Le rêve porteur de développement". Nouvelle approche de la DDC pour l'élevage Sahélien.

AVERTISSEMENT. Au vu du thème de cette recherche, passer sous silence l'expérience APESS n'était pas possible sans du même coup, écarter le principe de parler des expériences de la DDC. Notre travail se base sur les faits, qui sont rendus accessibles à notre analyse par les écrits, les témoignages et l'observation sur le terrain. Au vu de l'analyse de cette recherche, nous ne pouvions aborder la question de l'APESS et de la pensée du Dr. Ly qu'avec la même rigueur, en montrant ce qu'a été la politique de la DCC durant quelques années et comment elle a été influencée. Cette expérience ne peut être minimisée car c'est par cette voie que la DDC s'est enfin intéressée à l'élevage sahélien. Nous avons connu le Dr. Ly, et nous avons passé 2 semaines à Dori en 1994, venant du Tchad, pour recevoir sa formation en élevage et assister à l'assemblée générale de l' APESS. Par ailleurs nous avons également développé la technique du foin et assuré nous mêmes des formations à cette technique dans deux projets, sans l'APESS. Le foin n'est PAS l'invention de l'APESS et on peut valablement proposer cette méthode aux agropasteurs et pasteurs démunis, sans qu'il soit nécessaire d'y adjoindre des aspects métaphysiques ou des jugements de valeur sur leur manière de vivre. Nous aurions souhaité présenter cette expérience sans que notre critique soit aussi négative, mais comment le faire lorsque tous les documents disponibles sur cette philosophie du développement nous ramènent immanquablement aux mêmes questions, aux mêmes constats? Après avoir relevé les erreurs d'appréciations menant aux tentatives de rationalisations de gestion de l'espace pastoral par Boudet, Fabregues et d'autres, après avoir relevé l'aveuglement de certains scientifiques de l'époque coloniale, pouvait-on minimiser les égarement passagers136 à l'intérieur de la coopération de notre propre pays et ainsi réserver l'objectivité critique aux coopération des pays voisins ?

3.5.3.1. L'enthousiasme contagieux……. La DDC est restée largement à l'écart de l'élevage au Sahel jusque vers la fin des années 80. Au Burkina - Faso, un vétérinaire, le Dr. Ly Boubacar, développe alors une vision nouvelle de la question qui séduit le milieu peu expérimenté de la DDC concernant l'élevage au Sahel. Au départ, c'est l'élevage sédentaire du Liptako qui est le champ d'expérimentation. La culture d'une légumineuse fourragère, le Siratro, d'origine australienne, est vulgarisée comme la nouvelle panacée. Le fait que les éleveurs maîtrisent déjà le Niébé, légumineuse dont l'homme consomme la graine et le bétail le fourrage, ne décourage pas ce projet de tenter l'implantation d'une culture finalement plus complexe et moins intéressante. On créera l'APESS, Association de Promotion de l`Elevage au Sahel et en Savane (!), basée à Dori, bourgade du Nord d'où est originaire le Dr Ly. On y développera et enseignera aussi une

136 L'influence du Dr Ly est fortement retombée en 2005. Il est actuellement la vedette d'une émission sur la télévision burkinabé dans laquelle il développe ses thèses métaphysiques d'une manière encore plus globale sans se centrer sur l'élevage.

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méthode de transcription de la langue peule en caractère arabe, afin que l'école coranique puisse servir à écrire la langue locale. Le succès du Siratro est mitigé, mais le Dr Ly développera le concept de la récolte du foin naturel en vert, à maturité des graminées, qui aura plus de succès. Cette technique suppose pas mal de changement pour l'éleveur ou l'agropasteur. Tout d'abord, il faut disposer d'aires de stockage rigoureusement étanches à la pluie et d'assez grande taille, ce qui n'est pas tellement dans les habitudes, car même les habitations sont petites et d'une étanchéité très relative. Le stockage des pailles naturelles et feuilles de niébé se fait jusqu'ici uniquement après la fin des pluies et dans les fourches des arbres ou sur les toits. Ensuite, les outils locaux ne permettent pas la fauche de grandes surfaces en un temps réduit. Le Dr. Ly contournera ces obstacles en important des faux de Suisse et en développant le concept des granges à foins qu'on nommera sur le terrain "Hangar APESS", d'une forme impérativement rectangulaire et au toit à double pente. Le succès du foin est certain dans la région de Dori, et les éleveurs sédentaires se lancent dans une émulation à qui aura le plus grand hangar, qui fera le meilleur foin. L'APESS valorise admirablement ces innovations en les plaçant sur le plan culturel et organise des fêtes annuelles, des concours divers, fait la promotion de chansons sur le lait et le foin chez les griots. Des formations en élevage sont mises au point, et bientôt, des éleveurs sont envoyés de tous les pays d'Afrique de l'ouest et même de plus loin, pour bénéficier de cette formation. Ce succès rapide, tout de même poussé par la DDC qui finance les voyages des éleveurs de tous les pays vers Dori, masque une absence de vision globale de la question élevage. La mobilité du cheptel est considéré comme une relique du passé par l'APESS dans son discours et les transhumants font l'objet d'un certain mépris. Or, si effectivement dans la région de Dori, nombre d'éleveurs sont sédentaires dans un système agro-pastoral qui a développé un système foncier depuis l'époque de l'Empire du Macina, la majorité du cheptel reste mobile et transhume jusqu'au Bénin ou dans le Gourma voisin en saison sèche et au Nord dans la boucle du Niger et ses deltas au Mali. Solution idéale et magnifique adaptation pour les agro-éleveurs sédentaires, toute la philosophie de travail de l'APESS glisse progressivement vers un dogme intransigeant que l'on voudrait appliquer à tout les éleveurs du Sahel, sous peine que ces derniers ne restent arriérés et ne puissent jamais se "développer". ___________________________________________________________________________

3.5.3.2. ………Puis le dogme métaphysique. Le discours du Dr. Ly s'enflamme alors vers un mysticisme intolérant et radical, qui ne supporte pas la contradiction. Le monde des experts du développement se divise bientôt en deux catégories, ceux qui sont suffisamment "positifs" pour comprendre sa doctrine et y adhérer, et les autres, qui ne sont pas encore prêts pour ça. A la DDC, son emprise sur les esprits se répand progressivement, car l'avantage de sa doctrine est d'être, d'une certaine manière, en phase avec un courant alternatif qui cherche à se démarquer des vision trop réduites des techniciens et des économistes, à la recherche de nouvelles voies de pensée. Or, la philosophie du Dr. Ly trouve un terrain favorable à son éclosion en Suisse, car elle présente des similitudes avec la vision développée par Rudolf Steiner dans sa méthode d'agriculture biodynamique au début du siècle qui fait beaucoup

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d'adepte et de sympathisants en Suisse au sein du mouvement anthroposophique. Sans aller jusqu'à décrire des pratiques quasi magiques comme celles de Rudolf Steiner, le Dr.Ly aborde tout de même le développement de l'élevage par la voie métaphysique, spirituelle, et sur des argumentations que n'auraient pas reniées les occultistes des débuts du 20 ème siècle. Pour lui, certaines personnes ont un fluide qui leur permet de faire de l'élevage et d'autre non. Encore… lors d'un traitement avec un produit vétérinaire, les courants positifs de celui qui administre le médicament sont plus importants que la molécule agissante du produit. C'est la main qui soigne. Il y a des vaches qui sont "positives" et d'autre qui ne le sont pas. Seul l'initié peut les détecter. Et l'initiation, c'est évidement par un stage de formation financé par la DDC dans son centre de formation de Dori, le BERAP, qu’on peut espérer l'acquérir. C'est la théorie de la "Vache Positive Planétaire" et des "7 nœuds secrets de l'élevage". La formation, que nous avons suivie en 1994, aborde toute sorte de considérations qui n'ont rien à voir avec la question de l'élevage, mais débordent sur les autres aspects de la société, du développement, de la vie, du rôle des femmes dans la société, etc. Pour Dr. Ly, il y a des choses qui développent, donc positives et d'autres "qui ne développent pas". On ne peut espérer se développer si on maintient dans son entourage des choses négatives qui ont une influence négative sur l'homme, tel que les ânes par exemple. Touchez un âne, et vous êtes "asiné" Ce contact vous rendra inapte au développement, paresseux, négligent. Préférez le cheval, dont le contact vous grandira…. Stockez l'eau dans un récipient en métal, pour absorber la force du métal. Evitez d'élever et de consommer des pintades….idem que pour l'âne. Construisez votre case de forme carrée et non ronde, afin d'éviter les ondes de forme négatives et que vos pensées ne tournent en rond (on saluera cette remarquable reconnaissance des valeurs traditionnelles, l'essentiel de l'habitat Peul étant de forme ronde). Par contre, la formation aborde très peu la question du foin. On montre comment tenir et affûter la faux et tout cela reste très théorique. Il faut dire que les formations ont lieu toute l'année, donc pas forcément au moment où une formation pratique serait possible pour aboutir à une maîtrise correcte des étapes du séchage. La coopération Suisse, du moins un courant de sympathisants dominant en son sein, passe sur ces excentricités et l'absence de cohérence scientifique élémentaire de ce discours, avec un curieux détachement. Personne ne semble s'inquiéter d'un éventuel discrédit que la croyance dans ces théories pourrait faire peser sur l'ensemble de l'institution. Les personnes réticentes sont qualifiées de "négatives" et la bienveillance du Dr Ly envers ceux qui adhèrent à son discours les enveloppe d'une aura d'ouverture d'esprit et de qualité spirituelle. Il ne fait pas bon, à cette époque, mettre en doute la pertinence des approches de l'APESS et courir le risque d'être perçu comme un esprit faible. C'est que souvent, les éléments les plus irrationnels ne sont pas écrits. Le contenu écrit de la formation par exemple, montre des titres et des thèmes, mais rien ne permet d'y relever les incohérences citées plus haut. Nous n'avons pour étayer ce que nous présentons ici, que le large témoignage de tout ceux qui ont débattu de ces questions avec le Dr. Ly, nos propres expériences de la formation orale en 1994, les constats amusés de nombreux éleveurs amis qui ont fait le voyage « initiatique » de Dori, et les notes de notre animatrice du PAAPB que nous avions envoyée en formation à Dori en 1999. Un rapport d'évaluation réalisé en 1998 par 4 experts émet des doutes sur l'ensemble de la théorie en terme très diplomatiques et démontre sa dérive vers une doctrine rigide édictée par

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le SG de l'APESS, Dr Ly, ainsi que l'absence de remise en question de son rôle de secrétaire général. Les critiques de ce rapport sont pourtant réalisées en termes très prudents et toujours sous forme de questions. Ce rapport ayant provoqué la colère du Dr Ly, il ne sera pas accepté par la DDC et il ne sera pas rendu public. Nous ne pouvons donc pas en citer des références. Tout ceci serait resté relativement anecdotique et confiné dans un fait culturel particulier à Dori, si la DDC n'avait pas tenté de développer cette approche à l'échelon de tous les pays dans lesquels elle travaille en Afrique de l'ouest et centrale. Le Dr. Ly est invité à l'atelier du Louverain en 1993, sur le thème " quelle stratégie pour la DDA en Afrique de l'Ouest." Excellent orateur, il y développe alors sa vision de l'éleveur "rêveur", du "rêve" lui-même, et de "l'entreprise productive menant au rêve", qui totalisent à eux seuls, 45 % des composantes de sa « structure du développement », parmi 11 éléments.137 Les sphères pensantes de la DDC sont-elles tombées sous le charme ? Dr. Ly devient bientôt LA référence en matière d'élevage pour la DDC, qui rappelons-le n'avait strictement aucune expérience jusque là concernant le Sahel. Dès lors, Elevage = APESS. Au Niger, les projets de développement local aborderont l'élevage à travers l'APESS, donc les formations de type APESS et la récolte du foin. Dr Ly parcours le Niger en 1997 avec le Coordinateur du BUCO et Patrick Paris, qui est consultant occasionnel de la DDC. Sur le conflit agriculteurs éleveurs, Dr. Ly incrimine très sérieusement la race bovine Bororo élevée surtout par les Peuls du Centre et de l'Est. Selon lui, le port des cornes en lyre de cette race capte des ondes cosmiques négatives qui sont transmises aux éleveurs à travers le lait. Les éleveurs deviennent ainsi nerveux, paresseux, négligents, ce qui explique les conflits et leur paresse flagrante puisqu'ils continuent de nomadiser sans fin au lieu d'intensifier leur élevage. Lorsque le PASEL, projet d'appui au secteur de l'élevage dans le département de Maradi souhaite, sur l'influence de Patrick Paris, s'attaquer à l'importante question de la réhabilitation du couloir de transhumance international, la DDC à Berne s'y oppose tout d'abord en argumentant les propos du Dr. Ly lors d'une réunion à Berne :

" Les éleveurs sont libres, s'ils le souhaitent, d'acheter les champs qui obstruent les couloirs de passage pour les mettre en friche…."

Bien entendu, Dr. Ly est contre la réhabilitation des couloirs de passage. L'éleveur doit se concentrer sur un troupeau réduit, qu'il est capable de nourrir durant la saison sèche avec du foin récolté sur des parcelles aménagées. Là est l'avenir, la transhumance c'est du passé.

137 Atelier du Louverain, septembre 1993. Documents de l'atelier. DDA section afrique de l'ouest.

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Afin de ne pas être soupçonné d'exagération, on doit se résoudre à citer ses considérations concernant les éleveurs du Nord Dakoro en février 1997138 :

" Au niveau des hommes, leur dormance est grande. Elle va jusqu'à l'impuissance et à un attentisme ruineux. Personne n'a pensé que tout a une solution, que donc des solutions existent pour leur situation et qu'il faut se mettre en quête, à la recherche persistante de connaissances. Notre passage et l'instillation en eux de cette nécessité vitale de rechercher les connaissances qui apportent des solutions va-t-il les réveiller ?"

Ainsi, son rapide passage dans le Nord Dakoro est supposé devoir éclairer magiquement les consciences de ces éleveurs en "dormance"…..comme si sa seule présence durant quelques jours allait agir tel un miracle sur des esprits qui sont dans les ténèbres depuis l'époque coloniale….ou même avant. On n’est pas loin de l’auto investiture prophétique. Sur les conflits139, son rapport ne mentionne pas la forme des cornes des vaches, qui était une affirmation orale, mais pour lui la solution est très simple…….il y a deux éléments, l'un est psychique, c'est la connaissance. On peut l'acquérir à Dori en suivant la formation de l'APESS, c'est bien précisé, ils sont les spécialistes de cette question. L'autre élément est matériel, et c'est le lait:

"Le lait améliore toute chose normale et modère et éteint toute chose nocive. Il agit sur le corps, sur les sentiments, sur les pensées, sur la confiance en soi. C'est le produit complet de toute les situations. Là où le lait est abondant, curieusement, il n'y a jamais de conflits et la maladie ne s'y maintient pas. La faim disparaît et la pauvreté s'éloigne. Il n'y a pas plus efficace que le lait pour faire tomber l'agressivité d'un individu ou d'un groupe. La carence du lait dans ces zones ouvre la porte à toutes sortes de courants nocifs sur les gens. Tout encadrement doit donc trouver et transmettre aux éleveurs, la connaissance qui leur permet de faire abonder le lait continuellement".

Il s'agit ici d'un rapport de mission estampillé DDC qui a été transmit aux associations et Chefs de groupements, mais aussi aux Sous-préfets des trois arrondissements concernés par la mission, à savoir Guidan-Roumji, Dakoro et Madarounfa ainsi qu'au Préfet de Maradi et aux services techniques. Alors qu'au Niger et au Nigéria les affrontements violents entre agriculteurs et éleveurs se multiplient, que la plupart des bailleurs commencent à prendre conscience du problème foncier en zone agro-pastorale, alors que l'extension anarchique des surfaces cultivées menace la paix civile, alors que les bailleurs de fonds et l'Etat cherchent des solutions dans la mise en œuvre des textes fonciers et que tout le monde semble d'accord aujourd'hui pour reconnaître enfin l'importance de la mobilité du cheptel, après un siècle de tergiversations sur ce sujet, le Dr Ly affirme tranquillement et ce n'est pas de l' humour, que la seule disponibilité en lait permettra, non seulement de se sortir de ces conflits, mais en plus de trouver comme par magie les voies du développement. On rend publique son rapport, on le transmet aux autorités, et on persiste à baser la politique de la DDC sur la philosophie de l'APESS ou plutôt de son leader charismatique. Il y a là un mystère selon nous.

138 Rapport de mission pour le Compte de la DDC au Niger. BERAB, Bouabacar Ly, mars 1997. 139 Rapport de mission pour le Compte de la DDC au Niger. BERAB, Bouabacar Ly, mars 1997. pages 9 et 10.

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Heureusement, le bureau de Niamey temporisera le fondamentalisme utopique du Dr. Ly et le processus de réhabilitation du couloir de transhumance pourra démarrer, grâce à l'influence de Patrick Paris et de Moutari Mansour, coordinateur du PASEL, et aux prises de position de Giorgio Bianchi, coordinateur de l'époque. La DDC fera même un travail remarquable dans ce domaine, et 145 Km de piste de transhumance seront balisées au prix de 71 forums, la création de 117 comités de suivi le long de la piste, de la création de 5 observatoires de transhumance.140 La DDC a ainsi été le premier bailleur a s'atteler à ce travail en collaboration avec les associations et toute les composantes sur le terrain, et ceci dans des tracés de grande envergure. Il a fallu pour cela, que les experts sur le terrain ( P. PARIS et Moutari MANSOUR), se battent pour faire aboutir la volonté de s'y engager et parviennent à convaincre le coordinateur de Niamey, puis que lui-même s'engage à convaincre la section Afrique de l'Ouest, quand la DDC elle-même n'avait d'autre ambition que d'endoctriner les éleveurs au dogme de l'APESS. Bien sûr, on envoya tout de même des éleveurs à Dori et on soutint l'APESS sur le terrain, comme si c'était une condition pour pouvoir effectuer de l'autre côté un travail réellement sérieux. Un centre de formation APESS sera créé à Dogon Doutchi la même année afin de soutenir l'extension au Niger, puis sera fermé en 2003, son directeur ayant démissionné pour n'avoir pas supporté le diktat exercé sur la gestion de son centre depuis Dori. _________________________________________________________________________

3.5.3.3. Le dogme devient doctrine de politique interne. Le Dr. Ly parvient à renverser la pensée de toute la section Afrique de l'Ouest en sa faveur. On ne peut plus penser, décider, rédiger à la DDC sans référence au Dr. Ly. Des esprits universitaires occupant des postes à la DDC n'hésitent pas à relayer Dr Ly avec ses propres termes et dans ses propres visions spirituelles, comme des disciples obéissants recherchant la reconnaissance et reléguant aux orties la pensée scientifique la plus élémentaire. Nos propos paraissent-ils exagérés ? Quelques exemples : 1) En février 1997, le coordinateur du BUCO écrit aux associations141, Chefs coutumiers et au Projet Care Maradi. Il leur retrace le bilan de la mission effectuée avec Boubabacar Ly et P.Paris (ce dernier saura toujours s'abstenir de s'exprimer concernant la philosophie APESS). Il propose la formation APESS comme solution à tous les constats faits sur le terrain, et n'hésite pas à mentionner les critères de choix des éleveurs qui doivent y participer, à savoir "éveil et intelligence, audace et ténacité, courage et ardeur au travail, sens du partage des compétences". Il relève les contraintes observées pour les pasteurs de la zone et affirment qu'ils n'auront de choix, "soit de disparaître, soit d'être contraints à quitter la région". Plus bas, au point 2. (perspectives) de sa lettre, G. Bianchi propose immédiatement les formations APESS en mentionnant l'appui important et constant qui lui a été fourni par la DDC dans une perspective de rayonnement régional. C'est bien d'une alternative entre l'acquisition de la philosophie APESS et la disparition pure et simple des pasteurs dont parle ici le coordinateur du BUCO.

140 Document du financement du PASEL Maradi - Tillabéry. 2002. 141 N.réf: t.311 Niger 31 19 février 1997, G. Bianchi.

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2) Suite à l'atelier du Louverain en 1993, déjà cité, la pensée du Dr. Ly déborde du seul cadre de l'élevage. En octobre 1995, à St Louis, un atelier à lieu sur le thème de la maîtrise à la base des processus économiques142. Faisant intervenir des consultants très compétents dans ce domaine, une analyse de la situation de la vallée du fleuve Sénégal et des actions de la DDA sert d'illustration au sujet et le document est très professionnel jusqu'au chapitre 3, "Recherche de nouvelles clefs….." A partir de ce point et jusqu'à la fin du rapport, pas moins de 15 citations du Dr.Ly sont en bas de page, et toute la structure métaphysique du développement basée sur le rêve sert de base à l'analyse pour imaginer comment les acteurs à la base pourront maîtriser les processus socio-économiques. On n'hésite pas à parler du "rêve germinal" d'une société. Si ce rapport dit beaucoup de choses vraies, et par ailleurs déjà largement connues, comme le fait qu'on s'est axé sur la monoculture du riz dans certaines zones en privant l'élevage de ses accès au fleuve, on revient immanquablement à des explications pour le moins confuses sur, " Les racines et les ressorts du développement", lequel développement est "polarisé par un rêve". Ce rêve, deux Lois commandent son déploiement, toujours selon le même rapport à la page 35 : D'une part le principe de Dilatation et d'autre part le principe de Polarisation. Nous ferons l'économie des détails de cette page 35 et de celles qui suivent, qui véritablement, plongent le lecteur dans une dialectique confuse dont on ne sait si elle tient de la physique quantique, du délire scientologue ou de l'alchimie moyenâgeuse. On y parle des pôles d'attraction, de la transformation matérielle, de ce qui est le suprême aboutissement de la théorie, de l'anatomie et de la physiologie du système de développement. Car le "développement" n'est plus cette vision abstraite d'un avenir meilleur qui prend des multitudes de voies et de formes, c'est un processus spirituel et métaphysique très précis et obéissant à des lois occultes dont on s'attache très sérieusement à expliquer les mécanismes……c'est bien la mise au point d'une recette de la pierre philosophale, que le contribuable helvétique finance à son insu. Les autres nations engagées dans la coopération au développement sur le terrain, les cadres et chercheurs nationaux participants à ce type d'atelier, en sont certainement restés sans voix. 3) En 2003 au Burkina-Faso, nous avons réalisé l'évaluation d'une action financée par la DDC. Un réseau local appuie les agriculteurs et éleveurs à la délimitation des couloirs de transhumance et des aires pastorales, dans une zone ou l'existence de l'élevage est menacée par la culture du coton. Ces structures de types groupements travaillent en phase avec le gouvernement et les Lois récentes en matière de foncier et de pastoralisme au Burkina-Faso. Impressionné par le travail accompli et la pertinence des débats sur le terrain, notre évaluation recommandait à la DDC la poursuite de ce travail et même sa démultiplication par davantage de moyens, d'autant qu'ici encore, comme au Niger, la DDC avait été un véritable pionnier en se lançant dans la réalisation et matérialisation des couloirs de passage à grande échelle et avec une vision d'ensemble du problème, avec son partenaire local. Malgré tout, à Berne lors de la restitution, ce fût à nous de convaincre la DDC elle- même de l'excellence du travail accomplit et de la pertinence de délimiter les couloirs de transhumance, au cours d'un débat âpre. Alors que le bon sens aurait voulu qu'on détaille plutôt les voies et moyens d'améliorer encore ce travail, on en discutait la pertinence à la lumière des pensées du Dr. Ly….. Dr Ly, avait émis des critiques envers ce projet. Pourtant, sur le terrain, nous avions croisé des centaines d'anciens hangars APESS, que des éleveurs d'abord séduits, avaient abandonnés depuis des années. Malgré la qualité du travail fourni et le côté "pionnier" de ce projet, cette

142 Le processus économiques sont-ils maîtrisables par les acteurs à la base ? Synthèse du séminaire. Loïc Barbedette, oct 1995. DDA t.311

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action de balisage des couloirs est considérée comme marginale pour la DDC et elle n'est pas mise en avant, comme si le doute subsistait encore sur sa pertinence, comme si on craignait encore de se voir jeter l'anathème en défendant le principe des couloirs de transhumance au sein de la DDC, ou de se voir soupçonné de vouloir attaquer les principes du Dr.Ly. La pensée du Dr Ly est dogmatique. Il exerce une influence charismatique sur les esprits et ont pourrait retrouver dans son discours, les éléments d'endoctrinement d’une secte. Nous en voulons pour démonstration la mise en évidence de quelques points saillants très caractéristiques:

- La philosophie globale se base sur des faits non scientifiques, non vérifiables et non expérimentables. La main qui guérit, les ondes cachées qui agissent, le pouvoir miraculeux du lait, l'effet négatif de l'âne sur la paresse humaine.

- On flatte dès le départ les éleveurs qui recevront la formation en leur disant

qu'ils sont identifiés parmi les autres parce qu'ils sont éveillés et intelligents, qu'ils ont de l'audace et du courage….etc………puis on leur offre le voyage et la prise en charge à Dori. Comment ces gens qu'on a placé si haut pour les enseigner, pourraient ils ensuite porter des critiques sur le contenu de la formation ou mettre en doute un aspect de celle- ci ?

- Il n'est pas possible de discuter des faits exposés et de douter de leur réalité.

Mettre en doute des faits non vérifiés est considéré comme une faiblesse d'esprit……on n'a pas la Foi ou on est "pas capable" de comprendre.

- Une névrose collective s'installe dans le sillage du leader. Même en son

absence, des "élus" reprennent son discours. Un cercle de "croyants" se forme et tend à devenir majoritaire. Les "non croyants", ceux qui tentent de garder un esprit rationnel, sont mit à l'index et vu comme des esprits fermés ou faibles. Le courant devenant dominant, chacun doit se positionner. Comme le courant semble fort et durable, on n'osera pas s'en démarquer, de peur d'être écarté des débats. Il s'agit en premier lieu d'un milieu professionnel rappelons-le, dans lequel la carrière se joue à long terme sur des rapports subtils entre les personnes.

- Le leader est totalement convaincu de son destin prophétique. Cela transparaît

avec évidence dans son rapport de mission à Dakoro. Un esprit pouvant être éveillé le sera au contact du Maître. Un esprit définitivement fermé ne reconnaîtra pas le Maître.

- Des disciples prennent le relais de sa philosophie et sont capables de la

diffuser. Y a-t-il un moment dans un futur proche où la DDC regardera en arrière avec courage et se demandera comment on a pu aller aussi loin en suivant la construction mystique d'un seul individu, l'ériger en vérité prophétique et mettre ainsi en danger la crédibilité de l'institution ? __________________________________________________________________________

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4.4.4.4. Dynamiques actuelles du système Dynamiques actuelles du système Dynamiques actuelles du système Dynamiques actuelles du système

pastoral et coopération au pastoral et coopération au pastoral et coopération au pastoral et coopération au

développement. développement. développement. développement.

Contradictions et Faux postulats. L'affrontement d'idées et de perception du pastoralisme sahélien depuis les temps coloniaux est exacerbé à l'extrême. On n'observe pas de phénomène d'oppositions d'idées aussi tranchées par rapport à l'agriculture, à la pêche, à l'artisanat ou concernant tout autre secteur d'activité des sociétés sahéliennes. Nous avons beaucoup insisté sur l'historique de ces perceptions durant la période coloniale car nous pensons que les positions actuelles continuent d'en dériver. On a vu comment, dès l'époque coloniale, certains administrateurs civiles ou militaires, développent une vision réductrice et dévalorisante des pasteurs, ou au contraire, saisissent intimement les fondements de la mobilité et sa nécessité pour l'adaptation aux conditions climatiques particulières. On a vu comment les pasteurs sont décrits tour à tour comme des être irrationnels sans aucune logique, ou au contraire comme des peuples admirablement adaptés et spécialisés, seuls capables de valoriser les immenses espaces du Sud du Sahara à l'échelle d'un continent. La tendance socio-écologiste domine durant une grande partie de l'époque coloniale, soit à partir de la période où le Niger est un territoire colonial avec une administration civile, depuis 1922. Les tentatives de la vision technico-libérale, incarnée alors par certains vétérinaires et certains administrateurs (on a vu que des administrateurs et des vétérinaires s'en démarquent déjà à cette époque ), se limitent à des expériences en stations. L'administration agit de son côté avec bon sens en développant une politique d'hydraulique pastorale bien adaptée à la réalité et conforme aux objectifs de développement des pasteurs. Elle s'abstient d'intervenir sur leur mode d'élevage, apportant seulement quelques amélioration aux circuits de commercialisation et prélevant les taxes sur le bétail et sur les transactions de marché. A l'indépendance, voir quelques années avant, la tendance se renverse et les visions technico-libérales dominent à la faveur des ambitions de modernisation et sous la très forte poussée de la recherche agrostologique qui a besoin de champs d'expérience et de financements pour exister. Les sécheresses servent d'argument pour revenir à une vision dévalorisante des pasteurs, alors que tout est là pour démontrer au contraire, de la pertinence de la grande mobilité pour faire face aux aléas climatiques. C'est l'époque des forages à haut débit, de l'accès libre à la zone pastorale, mais aussi des tentatives de gestion administrative des zones de fourrage et de la recherche du modèle de gestion des pâturages. Les CMB voient le jour avec les ambitions et les résultats que nous avons décris. A partir des années 1990, la confrontation devient très vive lorsque les bailleurs se décident à revenir financer le secteur pastoral sous l'influence de la tendance socio-écologiste qui semble dominer grâce au poids de certains chercheurs qui ont le courage de faire des publications à

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contre courant (Thébaud, Behnke et Scoones, etc…). Mais en lames de fonds, des velléités de moderniser le secteur élevage sur des bases totalement commerciales et techniques agissent et s'implantent sur le terrain. L'émergence des commerçants investisseurs en bétail est favorisée par l'Etat et la tentation de l'élevage intensif derrière des barrière refait surface. Parfois avec l'aide de la coopération au développement, parfois malgré elle, le monde pastoral a évolué et trouvé des voies d'adaptation aux circonstances. En cela, il est extrêmement dynamique. Nous voulons démontrer aux points suivants, comment les pasteurs ont traversés ces effets de modes des bailleurs, comment ils se sont adaptés à leurs visions pour en tirer avantage, comment ils tentent actuellement de tirer parti des nouvelles législations. Enfin, on verra qu'aucune des deux tendances technico-libérale ou socio-écologiste décrites ne détient la vérité à elle seule, la vision socio-écologiste agissant également comme un frein dans certains cas, notamment par réflexe de crainte vis-à-vis des nouvelles législations qui comportent pourtant des germes de solutions en voulant remettre davantage de pouvoir de décisions aux pasteurs. ___________________________________________________________________________

4.1. SECHERESSES, SENTIMENT DE RUPTURE

CLIMATIQUE ?

4.1.1. QUELQUES RAPPELS ET PRECISIONS.

� Le système évolue dans un environnement semi-aride et aride dans lequel la production nette de biomasse herbacée, ressource de base, est sujette à de très fortes variations inter-annuelles. Ces variations dépendent autant du cumul de pluviométrie enregistré au cours de la saison pluvieuse, que de leur répartition spatiale et temporelle (d’autres facteurs interviennent également, tels que la température du sol, le brassage des couches superficielles du sol par le bétail, l’impact positif ou non du piétinement, etc…). Cette variabilité augmente au fur et à mesure que l’on va vers le Nord, et que le cumul pluviométrique moyen est plus faible.

� En revanche, la qualité des herbages, soit leur teneur en Matière Azotée Digestible

(MAD) et leur teneur en minéraux, augmente proportionnellement au décroît du cumul pluviométrique et de la production de MS à l’hectare. Une plante de même espèce sera plus nourrissante proportionnellement à son poids de matière sèche, si elle a poussé sous 200 mm de pluie, que si elle a poussé à 400 mm. La teneur en phosphore notamment, est généralement insuffisante dans les fourrages qui pousse à partir de 350 mm ou plus de pluie moyenne. De plus, certaines plantes particulièrement appréciées du bétail sont acclimatées à l’aridité et ne se rencontrent que dans les espaces pastoraux du Nord. Ainsi, les troupeaux des régions Sud sont

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menés vers le Nord en Saison pluvieuse pour bénéficier des avantages de ces herbages.

� La variabilité extrême des compositions floristiques des pâturages, de leur

production nette en MS et surtout de leur répartition spatiale, induit une forte mobilité de l’élevage et des pasteurs. Cette mobilité du bétail interagit fortement avec le milieu, qui s’est enrichi au cours des siècles, d’une plus grande diversité biologique végétale ainsi que d’une meilleure fertilité des sols. Il existe une interdépendance entre la pratique d’un élevage basé sur la mobilité, et le maintien de la diversité floristique (positive pour l’élevage) des pâturages. Il ne s’agit donc pas d’une exploitation de type minier, mais bien d’un système ou l’élevage vit en interdépendance avec un milieu qu’il influence et enrichi. La sédentarisation du cheptel sur les mêmes espaces, une pression trop forte ou pire, l’absence de pâture, peuvent avoir des effets négatifs sur la production des pâturages et entraîner des dégradations toutefois réversibles.

� Le milieu étant aride, la disponibilité de l’eau pour le bétail représente un enjeu

important. L’accès aux pâturages est déterminé premièrement par la possibilité d’abreuver le cheptel à une distance raisonnable, qui est de 15 km au maximum pour les petits ruminants et les bovins ( au delà de cette distance, la perte d’énergie pour les déplacements dépasse le bénéfice de la pâture), et qui peut être beaucoup plus importante pour les camelins suivant le type de pâturage et la saison. Généralement, en saison pluvieuse, l’accès aux marres résultant du ruissellement des pluies permet un accès libre de tous les troupeaux sur tous les espaces accessibles par eaux de surface. En saison sèche, des droits plus restreints s’appliquent par la possession des points d’eau (puits et forages) ou la reconnaissance de droits prioritaires coutumiers sur ceux-ci. La gestion des stocks fourragers secs sur pied devient donc théoriquement possible, et un certain ordre permet de gérer les accès des troupeaux. Ce principe est toutefois remis en question ça et là par l’existence de points d’eau publics à grand débit et non attribués. Dans ce cas, les éleveurs sont tentés par l’exploitation immédiate des meilleurs fourrages et ceux qui sont proches du puit. En saison sèche chaude, le bétail est donc contraint d’utiliser les fourrages les moins bons, et les plus éloignés du puit, ce qui est un contre sens. La multiplication des points d’eaux et l’interférence de leurs rayons d’influence est un autre facteur de déstabilisation de la gestion.

______________________________________________________________________

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4.1.2. L’IRREGULARITE INTER-ANNUELLE, ET LE SENTIMENT DE RUPTURE D’EQUILIBRE.

Les éleveurs sont unanimes, depuis 1984143, les années médiocres et années de crises se succèdent, à peine alternées de « bonnes années ». L’environnement serait sujet à la désertification, c’est du moins ce que beaucoup d’éleveurs avancent en premier lieu. Ce sentiment semble général, alors que deux années de pluviométrie exceptionnelle se sont récemment succédées en 1998 et 1999. L’année 1994 également était largement en dessus de la moyenne. Il faut voir ici l’influence d’un discours général, véhiculé par l’Etat depuis 1984, les projets, la vulgarisation, ajouté à une réalité plus complexe concernant une pression effectivement plus forte sur les ressources pastorales. Pourtant, tout le monde reconnaît une remontée vers le Nord des indices de végétation, et tout un chacun peut constater la recolonisation des espaces par les ligneux depuis 1984, et la forte proportion d’arbres jeunes dans la plupart des faciès, quel que soit le type d’ensemble. Ce phénomène est observable depuis une quinzaine d’années au moins dans toute la zone pastorale, depuis Dakoro jusqu’à In-Gall et également dans l'Est du Niger. Certes, le sentiment qui prévaut depuis 1984 est celui de la rupture d’un équilibre, et d’une dégradation climatique. Nous ne voulons pas nier l’impact de la faible pluviométrie sur la production fourragère et l’impact de ce facteur sur les situations de crise. Pourtant, il faut relativiser ce sentiment et replacer le contexte de production pastorale du Niger dans un champ plus large. _____________________________________________________________________

4.1.3.RAPPEL DE LA REALITE HISTORIQUE DU CLIMAT.

4.1.3.1. Préhistoire du climat. Le Sahara et sa bande Sud qui nous intéresse ici, est sujet à des flux et reflux dont les géologues ont retracé l'historique fort loin dans le temps. Le tableau ci-dessous nous renseigne de manière synthétique sur ces périodes de flux et reflux du front saharien144.

143 Appelée « Conjoncture » par les pasteurs. 144 2 sources pour les données de ce tableau créé pour notre formation en pastoralisme: La préhistoire de l'Afrique de l'ouest. SEPIA, recueil d'articles, 1996. Un million de générations, Jean Chaline. Seuil. septembre 2000-

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4.1.3.2. Fluctuations minimes au 20 ème siècle. Un événement atypique dans l’historique climatique du 20 ème siècle, serait plutôt la période qui s’étend de 1940 à 1971, soit durant près de 30 ans, et qui a modifié la perception des éleveurs et des Etats sur les conditions réelles de production. Ce rappel des événements qu’a vécu le Niger au cours du 20 ème siècle doit illustrer notre propos145 :

1902 Grave sécheresse. 1913-1914 Grave sécheresse, 80 % de la population du Niger émigre au Nigéria 1915-1939 Irrégularités des pluies. 1940 Sécheresse, mais exode devenu difficile. Création du marché d’Ayorou pour soutenir les prix du bétail et acheminer les animaux. 1940-1950 Décennie d’irrégularité des pluies avec 1948 mentionné comme

sécheresse, mais mineure. 1950-1970 augmentation de la pluviométrie de 30% au dessus de la moyenne, sans

aucun épisode sec, avec des ressources stables et prévisibles. * Les écrits du centre spirituel qu’à longtemps été Tombouctou, relatent l’histoire des sécheresses en remontant jusqu’ au 16e siècle. * De 1904 à 1913, la mission scientifique française Tilho, a travaillé au lac Tchad sur la Paléoclimatologie. On a fait ressortir l’histoire des sécheresses durant les derniers millénaires.

145 Cette reconstitution a été présentée par Brigitte Thébaud en 1999 lors de la formation en pastoralisme destinées aux cadres des projets de SOS-Sahel GB et nous l'avons quelque peu modifiée.

Périodes Nom de la période Caractéristiques. Flux ou reflux du front saharien.

40 000 ans BP Anté - Ghazalienne FLUX . Formation de dunes au Sahara et au Sahel.

40 000 - 20 000 BP Ghazalienne REFLUX . Période humide et formation de lacs au Sud. Petite phase pluviale à 38 000 et 22 000, entrecoupée d'une petite phase sèche entre 35 000 et 29 000.

20 000 - 12 000 BP Kaménienne FLUX. Extension en plusieurs périodes de 500 à 1 000 ans, avec refroidissement (dernière glaciation en Europe). Formation d'une zone hyper-aride au Sud du Sahara. Assèchement total du Lac Tchad remplacé par des dunes.

11 000 - 6 000 BP Nigéro - Tchadienne REFLUX. Lacs et rivières dans les bassins du Tchad, du Niger et du Tibesti et même au Hoggar. Coupure par une petite phase sèche. Début de colonisation par l'homme du Néolithique.

6 000 - 4 500 BP Petit Sahara REFLUX . Colonisation généralisée par l'homme du Néolithique. Sahara réduit à 100 km Nord-Sud.

4 500 BP à nos jours FLUX.

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Et à l’époque où a travaillé la mission Tilho, le lac Tchad était à son niveau le plus réduit du 20 ème siècle. Entre temps, il a repris plus d’ampleur, puis s’est à nouveau réduit. Sa plus grande surface a été déterminée au 18 e siècle avec la phase appelée «Mégatchad». N’guigmi aurait été sous l’eau à cette époque. En 2000, il est revenu à des niveaux jamais atteints depuis les sécheresses. * De nos jours, après les 2 grandes sécheresses des années 70 et 80, les précipitations sont irrégulières, avec une alternance de très bonnes années et de succession d’années médiocres. On s’est aperçu, grâce à la recherche, que les productions végétales étaient directement liées à la pluviométrie. La réapparition spectaculaire de plantes que l’on croyait disparues à la faveur d’une année favorable à leur espèce, a permis de ne plus considérer les reculs qualitatifs des compositions d’herbage dans des zones données comme définitifs et liés à une dégradation ou à une «rupture d’équilibre». Le recul nous permet de voir les choses de manière plus juste. Rien ne permet d’affirmer qu’il y a une tendance à une «désertification» climatique dans le long terme, mais tout concoure à démontrer que les ressources fourragères des savanes sahéliennes sont imprévisibles et irrégulières. __________________________________________________________________________

4.1.3.3. Des perceptions à court terme sur le terrain. Ce graphique indique la production en Kg de matière sèche à l’hectare sur une parcelle témoin du périmètre de Tanathamo, au Sud Ouest d’Abalak.146

moyennes MS / ha Tannatahmo

666572

1105

1683

484

1742

0

200

400

600

800

1000

1200

1400

1600

1800

2000

1996 1997 1998 1999 2000 2001

années

Kg

MS

/ H

a

Le graphique ci-dessous147 donne une idée de la variation interannuelle, mais surtout, illustre deux choses :

- La réalité d’une période humide vers le milieu du siècle. - Une remontée de la moyenne pluviométrique amorcée depuis le début des années 90.

146 Rapport de synthèse du Projet Pastoral Pilote. 147 Malheureusement, l’origine de ce graphique nous est inconnue et nous nous en excusons auprès de son auteur.

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L’irrégularité est soumise à des amplitudes inter-annuelles qui faussent la perception du problème. Les facteurs climatiques sont exagérément utilisés pour expliquer une crise structurelle plus complexe, que se soit par les pasteurs, les cadres de différents projets, les personnes ressources diverses.

4.1.3.3.1. Facteurs « conjoncturels de crise » liés à l’environnement et au climat.

Selon les témoignages des éleveurs lors de notre étude sur la gestion des crises en 2004 dans la zone de Abalak et In-Gall, la pousse des pâturages est insuffisante et mal répartie depuis l’année 2000 à l’année 2004. L’année 2002 a été particulièrement déficitaire sur ce plan, et nombreux sont ceux qui ont effectué des déplacements plus importants que de coutume, dépensé beaucoup en aliment bétail, et fortement décapitalisé le cheptel reproductif. L’hivernage 2004 a également été fortement déficitaire dans toute les régions du pays sur le plan des pâturages et la saison sèche chaude 2005 sera très difficile de l’avis général. Nous ne disposons pas de relevés pluviométriques qui reflètent réellement cette situation, car l’étendu de la zone en question ne peut être illustrée par des relevés effectués uniquement dans les deux centres que sont Abalak et In-Gall. A In-Gall, par exemple, le cumul à fin septembre était en 2002, de 214 mm pour 30 jours de pluies. Une grande pluie de 70 mm est intervenue le 1er octobre. Elle a porté le cumul à 284 mm, mais fût de peu d’utilité (sur les graminées) en raison de sa venue tardive, sauf pour le rechargement des mares. En 2003, le cumul était de 328 mm tombés en 34 jours, avec un étalement jusqu’au 11 octobre.

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En 2004, c’est 245 mm tombés en 28 jours qui constituent le cumul. Nous ne disposons pas de la moyenne interanuelle pour la comparaison. Les effets directs de l’insuffisance pluviométrique sur la production des pâturages et le cycle annuel sont détaillés ainsi selon les enquêtes réalisées par nous dans le cadre du projet LUCOP - GTZ :

Les graminées (alamouss) qui constituent le fourrage de base et les stocks de saison sèche sont absentes ou insuffisantes. Parmi celles qui sont appréciées on citera Panicum laetum, Cenchrus prieuri, Pennisetum sp (mil sauvage), et des plantes charnues présentes sur les plaines d’inondation appartenant aux genres Brachiaria et Echinochloa. On observe cette année, une dominance de Ctenium elegans dans les herbages, plante peu intéressante et la présence importante d’une espèce annuelle non identifiée de la famille Aristida, peu intéressante elle aussi. La perte de qualité est certes regrettable en année d’insuffisance, mais le volume de matière sèche est le facteur le plus grave. En saison pluvieuse, la pousse étant très éparpillée, les troupeaux se concentrent sur des zones réduites et pénalisent la constitution de stocks. En saison sèche, les zones qui disposent de stocks maigres sont convoitées, et les troupeaux s’y concentrent également.

Un certain nombre de plantes vivaces sont absentes dans leurs zones de prédilection depuis 4 ans dans les pâturages du Nord (Chrozophora brochiana ou plicata ) et (Borreiria radiata ou Tareda en Tamashèq, Shouwia thébaïca). Ce phénomène pénalise lourdement les systèmes locaux, qui comptent beaucoup sur ces pâturages particuliers dans leurs cycles annuels.

Les volumes de paille sur pied sont insuffisants dans le Sud, soit les pâturages du Tadress, à Tamaya, Abalak, etc… Les éleveurs fréquentant ces pâturages en SS ont donc tendance à rester plus longtemps au Nord sur les puits des tribus alliées, sachant que la situation sera difficile au Sud, afin de profiter plus longtemps de pailles de meilleures qualité et des plantes vivaces. Les éleveurs Wodaabés des groupes Bikorawa et Bingawa surtout, très mobiles, adoptent cette stratégie.

Les éleveurs des régions Sud devront engager davantage les mouvements vers la zone agricole. Non seulement leurs pâturages de saison sèche sont déficitaires, mais des troupeaux du Nord viendront y séjourner.

Dans la plaine de l’Irhazer, les éleveurs mentionnent tous un phénomène de concentration des eaux de pluie dans les lits mineurs des vallées, avec parfois une érosion en griffe sur les écoulements affluents. Ce phénomène serait nouveau et les faibles pluies en seraient responsables. Nous avons effectivement constaté tout le long de la plaine, que des ravins nouveaux se creusent, provoquant le déracinement d’arbres âgés (signe visible que le phénomène est nouveau). La conséquence principale de ce changement de comportement des eaux de ruissellement est que les faibles eaux de pluies n’inondent plus les terres fertiles. Des zones très vastes148, qui se couvrent normalement de multiples espèces de graminées, légumineuses et cypéracées, sont restées stériles ou presque depuis 2002. Les plantes vivaces sont mortes dans la plupart des plaines d’inondation et seuls les stocks de graines présents dans le sol pourront permettre leur réapparition à la faveur de conditions favorables. Il faudra pour cela une succession de plusieurs année avec une

148 On peut sans risque affirmer que des dizaines de milliers d’hectares sont concernés sur l’ensemble de l’Irhazer.

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bonne pluviométrie, non seulement pour lever la dormance des graines, mais d’abord pour inverser le phénomène de fuite des eaux de pluies par érosion des lits des koris.

Les systèmes pastoraux sont donc actuellement dans une période de crise découlant de l’insuffisance de pâturage. On peut dire qu’ils se trouvent actuellement dans une phase d’appauvrissement progressif, par décapitalisation du cheptel reproductif, soit par mortalité, comme en SSC 2003, soit surtout par obligation de vente pour l’achat des compléments alimentaires pour le bétail. On distinguera toutefois 2 sous-phénomènes :

- Les éleveurs les plus mobiles souffrent moins de cette « conjoncture » négative. Les plus pénalisés semblent être les éleveurs pratiquant une nomadisation de faible amplitude autour de leurs points d’attache sur les pâturages du Nord.

- Les éleveurs les plus pauvres sont davantage pénalisés. D’une part ils ne peuvent pas réagir comme ils le souhaiteraient face au marché, et d’autre part la moindre décapitalisation de cheptel reproductif a pour eux plus de conséquences à long terme.

4.1.3.3.2. Facteurs liés aux systèmes de production. On présentera ici les facteurs liés aux systèmes eux-mêmes, et leurs faiblesses récurrentes, non seulement par rapport au cycle d’utilisation des ressources pastorales, mais également par rapport à l’environnement socio-économique dans lequel ils évoluent. Mobilité restreinte de certains éleveurs. L’enquête de 2004 révèle clairement que la mobilité rapide (rapide surtout dans la décision) et sur une amplitude adaptée aux circonstances représente la meilleure stratégie existante pour faire face aux crises résultant d’insuffisance de fourrage. Les éleveurs pratiquant une mobilité restreinte autour des terroirs d’attache prennent difficilement la décision de se rendre au Sud en cas de crise et subissent deux effets :

- Ils sont davantage pénalisés en cas de crise mineure, telle que celle que la région traverse depuis 2001. Se sont eux qui semblent avoir dépensé le plus pour l’aliment bétail, et l’absence de plantes vivaces sur les plaines d’inondation perturbe gravement leur système d’affouragement annuel.

- Ils sont particulièrement menacés en cas de crise majeure. Une absence de repousse de pâturage les trouverait totalement isolés des stocks résiduels du Sud, en raison des distances à parcourir. L’enquête indique que ce type d’éleveurs s’est trouvé davantage démunis en cheptel après 1984.

Les éleveurs pratiquant une grande mobilité ont pu conserver un cheptel restreint après 1984, et sont plus à même de trouver des solutions vers le Sud en cas de crise mineure. Les éleveurs à faible nomadisation disposent de peu d’alliances stratégiques avec les éleveurs de la zone agropastorale qui fréquentent leurs pâturages et leurs puits. Souvent, ils disent ne pas connaître les éleveurs Peuls ou Touaregs qui viennent en saison des pluies, et leurs alliances sont plutôt développées avec des groupes qui pratiquent le même système qu’eux On peut citer des exemples entre les éleveurs de Fagochia et de la zone de Teguidan tessoumt,

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qui restent toujours dans le Nord, avec ceux de la tribu Igamen. Autre exemple avec la Tribu Iboieren qui n’entretien des liens qu’avec ses voisins directs pratiquant aussi un nomadisme restreint, mais qui possède un puits au Sud vers Feddik, où résident certains membres (la

disponibilité de cet accès les a d’ailleurs préservé des pertes en 2002-03). A l’inverse, on trouve des alliances de réciprocité entre Peuls Wodaabés Touaregs et Arabes, basées sur l’accès facilité aux puits du Sud, en échange d’un accès prolongé sur les puits du Nord après la saison pluvieuse. Ces liens sont présentés par les éleveurs comme très importants et font l’objet de soins constants pour rester vivaces.

Photo ci-dessus, Troupeau des peuls Wodaabés Bikoronen, loin au Nord d’In-Gall en février 2005. Cette présence n’est possible qu’au bénéfice d’alliances. L’absence de stratégie de migration vers le Sud représente donc un risque. Les éleveurs du Nord interrogés relatent la difficulté qu’ils rencontrent s’ils sont contraints d’aller vers le Sud, c’est à dire plus loin que In-Gall. Certaines de ses difficultés trouvent justement leur origine dans l’absence d’alliance stratégique, d’autres sont plutôt considérées comme des « fatigues » auxquelles ils ne sont pas habitués dans le Nord. On relèvera : • Paiement de l’eau. • Nécessité d’entraver les dromadaires en permanence. • Nécessité de garder le bétail en permanence pour éviter les incursions dans les champs

pièges. • Tracasserie, voir racket de la part des corps en tenue. • Fragmentation de l’espace en zones d’accès libre et zones privées (champs après récolte). Il est clair que les passages au Sud ont laissé de mauvais souvenirs à ces éleveurs, qui mentionnent la nécessité permanente d’amener des animaux au marché pour les différents paiements d’eau ou d’amendes. Une fréquentation rare de ces zones en sus de l’absence d’alliés les prive aussi de la connaissance du système, les rendant d’autant plus vulnérables aux difficultés. On ne peut clore ce point sans insister encore sur la mobilité du cheptel, meilleur outil de gestion permettant de répartir la charge sur des ressources imprévisibles et dispersées. Le système de mobilité restreinte et circulaire pratiqué par nombre d’éleveurs du Nord, ne peut fonctionner réellement qu’une année sur trois, compte tenu de l’irrégularité « normale » des pluies. Est-il l’héritage de la période humide des années 40-60 ? Ces pasteurs étaient-ils autrefois plus souples avec une mobilité géographiquement plus étendue ? Le confort de rester attaché à un environnement connu et apprécié a-t-il mis en danger des stratégies anciennes mieux adaptées ? La meilleure stratégie que l’on pourrait en toute conscience recommander et appuyer pour ces éleveurs, serait de mieux accepter le retour constaté à une situation conforme aux réalités du climat sahélo-saharien, et de considérer les années de faible pluviométrie non comme des

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« rupture » d’une normalité illusoire, mais comme faisant partie du système écologique dans lequel ils vivent. Citation : « j’espère ne jamais voir de mil ailleurs que dans un sac » Ibrahim Awinas, tribu Igamen, chez qui nous avons passé la nuit à Intifarassen, 50 km au Nord Ouest d’In-Gall. (En clair, j’espère ne jamais être obligé d’aller au Sud et être confrontés aux champs de mil avec mon troupeau). Absence de maitrise sur les stocks fourragers En saison pluvieuse, tout le monde peut accéder au pâturage. Ceci est non seulement permis par la disponibilité des eaux de surface, mais c’est un principe, et nous n’avons trouvé aucun éleveur de base pour le remettre en question, même ceux qui sont directement concernés par les difficultés de pâture qui en découle pour eux en saison sèche (deux notables non directement concernés seulement ont mentionné qu’il faudrait y remédier). La zone peu peuplée du Nord d’In-Gall, c’est connu, attire un cheptel considérable venu du Sud en saison pluvieuse. On cite fréquemment l’attrait des terres et eaux salées et natronées, mais l’excellence du pâturage est le premier moteur de ce vaste mouvement vers le Nord. L’ensemble du cheptel des régions Sud ne peut se passer de la transhumance vers le Nord, ne serait-ce qu’en terme de volume de matière sèche dans le cycle annuel. Au delà, c’est la nécessité de profiter au maximum des bons herbages pour maximiser la croissance compensatrice149 qui guide ce mouvement. Par ailleurs, deux autres motivations rendent également le voyage indispensable aux éleveurs du Sud:

- La nécessité de préserver les stocks fourragers de saison sèche, qui devront assurer les besoins durant 8 à 9 mois. Toutefois, leurs zones sont également fréquentées en leur absence par des éleveurs encore plus méridionaux. On est toujours le Nord ou le Sud de quelqu’un.

- Les tensions qui résultent de la saison culturale, avec les risques de conflit avec le monde agricole.

Quand l’année est bonne sur le plan pluviométrique, cet afflux de troupeaux ne porte pas préjudice aux éleveurs du Nord. Par contre, en année d’insuffisance, certains voient les maigres stocks de paille consommés en fin de saison ou même dès la pousse, autour de leur point de nomadisation restreinte ou leurs terroirs d’attache. C’est à la fin de la saison pluvieuse que des problèmes se posent avec plus d’acuité que dans le passé. En principe, à cette saison, les éleveurs peuvent entrer en négociation avec les transhumants pour limiter les jours de présence sur un espace donné, et les transhumants acceptent de bon gré de partir plus loin sur le chemin du Sud.

149 Capacité particulière des bovins zébus, d’accélérer leur croissance et prise de poids en SP, après une période de somnolence de l’organisme en SS.

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On trouve les catégories suivantes parmi les éleveurs connus et usagers anciens, avec qui la négociation peut s’instaurer :

- Eleveurs Touaregs, Peuls ou Arabes ayant leur terroir d’attache sur la commune d’In-Gall.

- Grands transhumants Wodaabés ayant leurs terroirs d’attache plus au Sud, mais qui ont des liens avec les tribus locales.

- Grands transhumants Touaregs du Sud (Kel Gress par exemple). Ces catégories d’éleveurs doivent également composer avec leurs propres contraintes dans le Sud, et ces dernières années, beaucoup, notamment les Wodaabés, tentent de rester le plus longtemps possible après la saison pluvieuse. Au moment de l’enquête, fin novembre 2004, les Bikorawas et les Bingawas était encore présents massivement et disaient vouloir rester encore jusque vers le 15 décembre. Mais depuis quelques années, et ce phénomène prend plus d’importance avec la succession d’années difficiles que vit la zone Nord depuis 2001, les éleveurs du Nord se sentent parfois dépossédés de leurs droits anciens de priorité. Dans certaines zones, et notamment à l’Ouest d’In-Gall, les éleveurs mentionnent des problèmes liés à des troupeaux dont les bergers ou propriétaires ne respectent pas les usages, et tiennent peu compte de leur prééminence. Il s’agit de trois catégories :

- Bétail des grands commerçants extérieurs à la zone, qui fonctionnent sans liens directs avec le milieu social local et accèdent aux ressources fourragères en contournant les contraintes d’abreuvement au besoin à l’aide de citernes. Certains ont réalisé des puits pastoraux. Cette catégorie d’acteur reste présente toute l’année.

- Bétail du milieu agricole, gardé par des bergers du Sud, qui sont de plus en plus nombreux.

- Bétail venant du Nigéria, non identifié. Le bétail du milieu agricole est en augmentation constante, si l’on en croit les impressions générales de la région. Quant aux troupeaux venant du Nigéria, on doute qu’ils soient vraiment en nombre suffisant pour poser un problème, vu la distance qui sépare In-Gall de la frontière. Par exemple, les Peuls Oudah, grands moutonniers du Nigéria. Un autre problème avancé est celui des troupeaux appartenant à des commerçants. On doit distinguer deux types différents de grands propriétaires commerçants.

A) Des éleveurs Touaregs originaires de la zone, ou des éleveurs Arabes dont les familles se sont installées dans la région depuis plusieurs décennies. Ils sont généralement administrés par des Tribus que les premiers arrivants ont intégrées. Leur bétail utilise les puits familiaux et ceux des Tribus alliées. Ils emploient des bergers salariés à des conditions variables, qui couvrent généralement leurs besoins de base (Le plus souvent des bergers Irhidan de classe servile Kounta ou des Peuls Wodaabés). Pour confier leur bétail, ils s’adressent à des intermédiaires (Manâd), qui sont généralement des Chefs de Tribu, tels le Chef Kounta Rhâlifa ou Mourouane Attakana, Chef de tribu Itagane à Fagochia (exemples non exhaustifs). Ces intermédiaires sont en outre chargé de compter le cheptel du commerçant et de faire appliquer la Zakat. La zakat

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représente une dîme importante, prescrite par le Coran, sous forme de don de bétail aux pauvres. Il est fréquent que le bétail de ces commerçants porte les marques au feu de l’intermédiaire.

B) Des commerçants Arabes ou Touaregs, ne disposant pas d’ancrage familial ou tribal

dans la région (Originaires de Tahoua ou Agadez ou de l’ouest) et qui s’affranchissent des règles d’accès grâce à leur pouvoir économique et politique. Leur cheptel a été constitué progressivement mais assez rapidement sur les marchés locaux et auprès des éleveurs. Ils disposent de connexions au Nigéria, Algérie et Libye pour exporter du bétail par forts contingents, à la faveur des titres légaux pour l’exportation. Trouvant des prix plus élevés que les marchés nigériens, ils peuvent se permettre certains investissements et coût de production. Par exemple, l’abreuvement par camion citerne qui permet de contourner les contraintes d’abreuvement et d’accéder à des zones mal desservies par les points d’eau. Ce système permet aussi d’acheminer par camion ou à pied un grand nombre d’animaux sur un espace bien pourvu en pâturage, même si les capacités d’abreuvement de la zone sont sans rapport avec le cheptel. Des zones entières de pâturage représentant des mois de survie de certains petits éleveurs sont ainsi « raclées et nettoyées» en une semaine. L’usage des aliments bétail entre également dans leur système de production au besoin, la rentabilité étant basée sur des prix de vente supérieurs à ceux du marché local. Les conditions de vie de leurs bergers sont bonnes. Les bergers disent recevoir l’intégralité de l’alimentation de leur famille, les vêtements pour eux-mêmes, et parfois pour leur famille, la disponibilité de tout le lait qu’ils peuvent transformer, et un salaire en espèces, qui va de 15 000 francs à 25 000 frs par mois. Ces commerçants disposent de téléphones satellites « Turaya » qui sont utiles pour connaître l’état des pâturages en réseau avec leurs différents employés et associés sur le terrain, et les besoins du marché dans les différents pays d’exportation.

C’est certainement la seconde catégorie de grands propriétaires qui posent des problèmes de gestion de l’espace. Les Chefs de Tribus eux-mêmes ne peuvent guère s’opposer à cette exploitation minière des ressources pastorales. Citation : « Maintenant, qu’il pleuve ou non, toutes les années sont mauvaises. S’il y a du pâturage, les troupeaux des commerçants arrivent et nettoient tout en une semaine. » Rhâlifa, Chef de Tribu Kunta.

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4.2. IDENTIFICATION A L'ESPACE, NOMADISME

ET SEDENTARITE.

4.2.1. DIFFICULTE DE CERNER UNE REALITE MOUVANTE.

4.2.1.1. La mobilité, des formes infiniment variées. Les sociétés de pasteurs nomades à travers le monde ont en commun une forme générale d'organisation sociale déterminée par la satisfaction des besoins des troupeaux pour leur survie, et le souci particulier de perpétuer le fonctionnement de leur société à travers les générations. Quels que soit les climats ou les groupes humains très divers, un certain nombre d'invariants découlent inévitablement des contraintes particulières de la vie de pasteurs. Elles sont conditionnées par le comportement et les besoins des animaux, qui sont, eux aussi, sociaux dans leur vie de troupeau. Le lien étroit qui lie la vie des troupeaux à leur environnement est le point de départ d'une série de contraintes qui ont déterminé les bases culturelles et économiques de la vie pastorale. Un certain nombre de cycles réguliers mais subissant des variations engendrent immanquablement eux aussi une adaptation étroite des hommes qui vivent des troupeaux. L'aspect le plus visible et le plus évident de l'adaptation des sociétés humaines aux besoins des troupeaux est la mobilité. Le déplacement des troupeaux domestiques est la stratégie permettant de tendre vers une mise à disposition optimale des différentes ressources fourragères, celles-ci étant dans une large mesure dispersées, irrégulières et relativement imprévisibles. La mobilité des troupeaux de ruminants domestiques menés par les hommes suit d'ailleurs une logique semblable à celle des ruminants sauvages disposant de leur libre arbitre face aux variations saisonnières et annuelles. On peut donc parler d'une réelle soumission du mode vie des éleveurs mobiles aux potentialités et contraintes de la nature, dans une conception symbiotique, à l'opposé d'une conception de domination et de maîtrise de l'environnement que sous-tend l'aménagement du territoire par les populations agricoles et sédentaires. Les pasteurs du Sahel n'ont pas de maîtrise sur les paramètres de production de la principale ressource primaire, le pâturage. Il est donc illusoire voire inutile, dans un environnement où d'une année sur l'autre, le pâturage pousse de manière diverse, se développe plus ou moins bien dans des vallées différentes, subit des variations qualitatives importantes à grande échelle ou de manière localisée, de développer une conception d'aménagement, sous forme de bocages, de villages importants, de maîtrise des eaux de surface, etc……. Les seules réalisations physiques pérennes qui sont conçues pour le long terme et incluant une empreinte territoriale certaine sont les puits profonds. Or les puits profonds ( à distinguer ici

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des puisards de faible profondeur et à la durée de vie limitée ) sont des infrastructures qui s'inscrivent toujours dans un plan d'utilisation des ressources naturelles à une échelle assez grande dans l'espace, et participant à une gestion dans le temps des ressources qu'ils desservent. Les rayons des puits permettent généralement l'accès aux ressources fourragères d'un rayon que l'on admet entre 15 et 20 Km, pour une population relativement importante, et dans certaines périodes précises de l'année. Ils ne sont donc que la clef permettant d'utiliser par la mobilité, les pâturages qu'ils desservent, le plus souvent seulement en saison sèche. Le choix géographique de leur implantation est déterminé par les potentiels fourragers, les cycles possibles de transhumance qui varient selon les années ainsi que (ou surtout) par les positions stratégiques qu'ils marqueront en interface avec les puits d'autres groupes sociaux. Ils ne sont pas en premier lieu des points de fixation humaine, même si certains d'entre eux deviennent à la longue et à des degrés divers, des repères géographiques identitaires, avec toponymie des familles ou tribus qui les détiennent. ___________________________________________________________________________

4.2.1.2. La possession matérielle La mobilité nécessaire des hommes et des familles pour la satisfaction des besoins des troupeaux induit de manière indirecte des modes de pensée et des pratiques communes aux peuples pasteurs vis à vis de la relation avec la propriété matérielle, chez des sociétés d'origines très différentes. Une règle évidente se dégage du mode vie mobile, ce que l'on possède doit être transporté en permanence. Les possessions matérielles doivent donc impérativement pouvoir être transportées avec les animaux de bâts disponibles, bœufs porteurs, ânes, dromadaires, et le nombre lui-même de ces animaux n'est pas extensible à l'infini ( coût de leur entretien et leur présence par non vente, main d'œuvre pour leur abreuvement, etc…). La solution est de reporter l'acquisition des biens matériels sur des possessions qui sont productives et qui se déplacent par leur propres moyens, le bétail. Ainsi, les possessions des éleveurs nomades en dehors du cheptel, sont réduites au minimum permettant la vie familiale, petit outillage, tentes, nattes, lits démontables, ustensiles de cuisines, et aux outils liés à l'entretien du cheptel, puisettes, cordes, poulies, matériel vétérinaire. Le bétail EST l'outil de production, il EST aussi la richesse, c'est à dire la marge de sécurité et non une accumulation de bien de type "capitaliste". On verra plus loin que cette accumulation est fortement entravée dans les sociétés pastorales, au bénéfice de la survie globale des groupes sociaux. En fulfluldé, le mot "jawdi" est à double sens. Il est utilisé pour désigner le troupeau dans certains cas, mais prend aussi une signification comme "richesse" au sens large. Dans l'Arabe Tchadien, un mot similaire à double sens existe également, ce qui traduit bien la relation étroite entre la conception de richesse/propriété et le bétail, le mot "richesse" étant ici légèrement différent de celui que nous lui donnons habituellement. Cette question peut sembler anecdotique, elle est pourtant d'une importance de premier plan. Il existe en effet un lien direct entre la possession matérielle des sociétés de pasteurs ou plutôt le sens qu'elles lui donnent, et leur capacité à rester réactives avec leur environnement et sa grande variabilité, et partant, à assurer la survie dans le long terme.

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En outre, ne pas voir cette simple réalité a amené nombre de cadres nationaux et d'experts étranger à développer une vision dévalorisante des pasteurs, et ceci depuis les temps coloniaux. Nous avons mis cette équation en lumière dans l'Est Mauritanien en 2001, s'agissant de la vulnérabilité des pasteurs à l'insécurité alimentaire, étude150 qui nous était demandée par l'Observatoire de la Sécurité Alimentaire, l'OSA, dépendant du Ministère du Développement Rural. Parmi la plupart des familles sédentarisées de manière conjoncturelles après la sécheresse, les habitudes nouvelles acquises par la sédentarisation rendaient illusoire tout retour à une vie transhumante en raison des référentiels nouveaux vis à vis des besoins de possession matérielle. Et ceci était vrai même lorsque la reconstitution du cheptel avait été suffisante pour permettre économiquement ce retour à la vie pastorale. En voulant répondre au souhait de l'OSA et déterminer des seuils de viabilité de l'économie pastorale151, nous avons dû déterminer des seuils différents entre l'Est et l'Ouest du pays, plus développé et en proie à des mutations sociales importantes. A l'Ouest, la détermination des besoins matériels jugés "essentiels" par les familles lors de la détermination du cadre de l'enquête, incluait des coûts d'habillement, de gaz, et également de consommation alimentaire élevés, en référence avec une conception de statut social très orientée vers la démonstration d'un certain niveau de vie "moderne". En outre, ces familles vivaient dans des tentes certes très confortables, mais ne disposaient plus des animaux de bât suffisants pour se déplacer, et leur animaux gravitaient dans un faible rayon toute l'année autour d'un forage. Cette situation est permise dans certains cas par la possibilité de fournir du lait à très bon prix à l'industrie laitière locale, qui rend rentable l'usage d'intrants fourragers de manière significative, mais l’élévation de niveau de vie référée à certains conforts matériels tend à devenir un modèle de développement pour tous les pasteurs, alors que les capacités d'absorption de l'industrie laitière restent limitées malgré son bon développement. La réduction de la mobilité, souvent perçue à tort comme une intensification, ou une « évolution » inéluctable, ne permet plus, lorsqu’elle est consommée, c’est à dire lorsqu’on ne peut plus revenir en arrière, de gérer les risques, les irrégularités et les incertitudes du milieu naturel, qui justifiaient pleinement de garder la capacité de se déplacer. Cette situation peut être un véritable piège. A l'Est Mauritanien également, même si la notion du "minimum vital" décrite par les pasteurs et servant de base à nos analyses était plus modeste et réaliste, on trouve des éleveurs qui gravitent faiblement, avec leurs tentes, autour d’un hameau durant toute l’année. Ils ne possèdent plus suffisamment d’animaux de bâts pour transporter un matériel de confort que leur parents n’avaient pas, alors que leur cheptel est tout juste suffisant à couvrir leurs besoins alimentaires, et qu'une partie des revenus provient souvent d'autres sources. Certains disent faire deux voyages avec leurs ânes, en cas de nécessité de déplacement du campement. Certains des membres de la famille eux-mêmes ont souvent perdu la capacité physique d’effectuer des longs trajets à pied, ou sur des montures.

150 Diagnostic de la commercialisation du bétail sur pied et analyse de la vulnérabilité à l’insécurité alimentaire des éleveurs de Mauritanie Juin - Juillet 2001. RESAL - IRAM. Roland Hammel, Ahmed O. Bouboutt, Diew El Housein

151 Soit le cheptel nécessaire à la couverture des besoins élémentaires des familles sans entamer le capital reproducteur.

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C’est dire que la décision de déplacement ne peut intervenir qu’en dernière extrémité dans ce contexte, et qu’elle ne fait pas partie de la gestion du « quotidien ». Plus grave encore, les éleveurs qui abreuvent toute l’année aux forages, ne possèdent souvent plus de cordes, de poulies, de poches et même d’animal de traction. Cette habitude de facilité peut les conduire à ne plus opérer de déplacement autres qu’entre les forages accessibles, sans recours possible à l’exhaure le long des trajets. On peut craindre que cette déperdition du potentiel de réaction des éleveurs face aux crises, même mineures, ne soit un facteur de risque supplémentaire, même si elle comporte certains avantages indéniables. La lecture des parties historiques des portraits de famille réalisé dans le cadre de l'étude pour l'OSA montre clairement l’importance du maintien de toute la capacité de mobilité. Au Niger, il a été démontré que les éleveurs mobiles ont mieux traversé la sécheresse de 84, alors que les agro-pasteurs fixés depuis plusieurs années ont tout perdu pour avoir pris trop tard la décision de partir152. Par ailleurs, A.Bonfiglioli153 a relaté, après avoir exploré l'historique des migrations des pasteurs Peuls Wodaabés, que leur extrême spécialisation dans la grande mobilité a été un choix stratégique qui s'inscrit dans une panoplie de possibilités qui se sont sans doute succédées au cours des siècles, passant successivement de périodes de grande mobilité à des périodes de stabilité au grès des situations politiques. C'est vers la fin du 19 ème siècle et le début du 20 ème siècle et surtout dans les années trente 154 que les Wodaabés ont progressivement quitté les zones méridionales du Sahel nigérien pour s'engager à nouveau résolument dans une vie transhumante permanente au nord de l'isohyète 300 mm. Ce choix stratégique a supposé pour nombre d'entre eux, l'abandon de terroirs où se trouvaient des habitations sommaires mais permanentes et des champs. Ce choix faisait désormais porter toute l'économie familiale sur le troupeau, et les céréales devaient être acquises sur la base de termes d'échange avec le bétail produit du troupeau. Le bétail devait donc être l'objet de toute l'attention, et aucun investissement ne semblait productif en dehors du cheptel. La situation favorable de bonne productivité des pâturages du Nord permettait ce choix. Il est intéressant de remarquer que chez les Peuls Wodaabés, qui sont réputés pour cette extrême spécialisation et leur admirable capacité de réaction face aux variations climatiques et aux crises, la propriété matérielle est la plus dépouillée. Ce que possède un homme adulte en dehors de son bétail peut souvent être porté en bandoulière sur son épaule, et il ne dispose même pas d'une tente personnelle. Quand aux femmes, en dehors de leur tente très petite, de leur lit individuel et de bagages décoratifs purement symboliques acquis au mariage, elles ne possèdent que leurs vêtements. Chez cette population, le port même de bijoux ayant une certaine valeur est presque indécent… Porter de l'or ou de l'argent semble incongru puisque cette valeur monétaire représente celle d'animaux qui seraient productifs pour la famille et l'héritage des enfants. Les bijoux sont donc fabriqués à partir de cuir, morceaux de cuivre et plastiques.

152 Brigitte Thébaud. Elevage et développement au Niger, BIT, 1986. 153 DUDDAL, Angelo Maliki, Bonfiglioli, histoire de famille, histoire de troupeau, éditions de la maison des sciences de l'homme, Paris, 1988 154 Cette réaction aurait été en partie engendrée par les tracasseries administratives coloniales et l'apparition des impôts, toujours selon Maliki.

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4.2.1.3. Le village et la brousse, complémentaires et opposés. Il existerait ainsi une frontière aux contours flous entre deux stratégies majeures : - D'un côté, une vie d'éleveurs plus sédentaires avec une production agricole qui couvre une

bonne partie des besoins voir la majorité. Dans ce schéma, l'acquisition de biens matériels "de prestige" est possible, et notamment sur le plan du confort domestique. Des investissements peuvent être réalisés sur l'environnement, des activités commerciales plus élaborées peuvent se développer. Par contre, cette option n'est réaliste que dans des zones plus méridionales où l'agriculture sous pluie est possible155, et la mobilité du cheptel est rendue plus complexe par manque de main d'œuvre, et donc moins performante. En effet, la main d'œuvre doit être disponible aux champs. Seuls de jeunes bergers peuvent quitter le village avec les animaux (ou les mères de famille seules, comme dans l’Aïr chez les Kel Ewés, les hommes devant assurer les travaux de jardin), et cela limite la qualité des soins qui peuvent être apporté au cheptel. En outre, leur condition de berger solitaire est très dure durant les saisons de déplacements. La mobilité ne permet pas dans ce cas, de maximiser au mieux les ressources disponibles en saison pluvieuse par exemple. Le troupeau bénéficiera de moins d'attention, ne sera plus la priorité des investissements, sera moins productif et il sera plus difficile de posséder un cheptel important permettant de couvrir les besoins. En cas de crise fourragère, comme l'histoire l'a montré, les pertes de cheptel par mortalité sont alors plus graves et souvent irrémédiables.

- D'une autre côté, un choix de réduction drastique des besoins matériels de confort

permettant de se consacrer entièrement au cheptel par une capacité de mobilité permanente, et d'y réinjecter tous les gains éventuels en prévision des périodes difficiles. Le troupeau devient plus productif en raison d'une meilleure valorisation des fourrages disponibles et de soins constants, mais doit fournir aux familles une production suffisante en lait et en animaux destinés au marché, pour couvrir la totalité des besoins en céréales. L'absence de résidence permanente permet ainsi une certaine sécurité pour assurer la capacité de déplacement et aller au besoin assez loin pour trouver du pâturage, mais induit un mode vie ascétique156. La dureté du mode de vie va à son tour susciter l'apparition de règles sociales particulières visant à endurcir les enfants et les jeunes pour leur permettre de faire face plus tard aux difficultés, et favoriser également l'apparition de pratiques de solidarité quasiment institutionnalisées, telles que le Habanae, Le Hobse, la Mniha, et même la Zakat, qui il faut le rappeler, est née dans un contexte de sociétés fortement pastorales des débuts de l'Islam.

Entre ces deux axes stratégiques majeurs, les sociétés pastorales peuvent opérer des choix clairs, tels que ceux des Peuls Wodaabés par exemple qui ont tout misé sur leur élevage et la mobilité ou à l'inverse celui des Peuls du Liptako qui se sont très tôt installés dans un système sédentaire associant l'agriculture et la création de villages importants, débouchant sur

155 En zone Saharienne également cette stratégie est très utilisée avec le jardinage oasien. 156 Il est connu que la croissance démographique des pasteurs subsahariens est moins importante que celle des populations sédentaires.

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un type de civilisation plus politique et foncière que réellement pastorale au sud de l'isohyète 300 mm. Mais en dehors de ces exemples parlants, qui sont des positions assez radicales dans un éventail de stratégies, une grande partie des sociétés pastorales si ce n'est la majorité, ont pu tenter de jouer à la fois les deux tableaux, en développant une multitude de situations particulières, cherchant continuellement le point d'équilibre permettant à la fois de tirer parti de leur élevage et de s'implanter de manière tangible et durable dans des espaces qui devenaient de plus en plus convoités. Nombres de groupes Peuls ont adopté au cours des siècles des stratégies d'occupation territoriales en village, alliés à une pratique pastorale performante et une grande mobilité des troupeaux, grâce à une spécialisation de certaines familles et à une complémentarité solidaire. C'est le cas des divers groupes Peuls installés dans la zone méridionale du Niger, Bangui, Birni N'gouré ou Say, dont les troupeaux sont pris en charges par certaines familles en saison des pluies, et qui parcourent souvent des déplacements de plus grande amplitude encore que ceux des Wodaabés. Les Peuls Oudah, grands moutonniers, entrent également dans cette catégorie de système mixte avec spécialisation des familles. Nous n'abordons ici que les motivations d'ordre écologique et productif de ces choix, mais bien entendu, des motivations politiques essentielles tiennent une grande part de causalité dans les choix historiques, notamment avec l'émergence et le développement des grands Royaumes et Empires Peuls des siècles précédents, et bien sûr ceux de Sokoto et de Ségou. La pratique de l'esclavage développée par les sociétés Touarègues et Maures s'inscrit dans cette logique, avec la possibilité offerte de disposer d'une main d'œuvre supplémentaire qui a certes un coût d'entretient, mais sans rapport avec les besoins des maîtres, et qui ne dispose pas de droit à l'héritage sur le cheptel. Que les captifs soient plutôt voués au cheptel ou au contraire aux pratiques agricoles, la démultiplication des capacités de travail sans une démultiplication linéaire des besoins humains a permis la naissance de sociétés pastorales plus présentes sur le plan foncier, aux revenus plus diversifiés, à l'existence de castes et de hiérarchies réelles en son sein. Est apparue alors une spécialisation des groupes sociaux au sein d'une même ethnie, certains voués à la guerre et aux razzias, d'autres à l'élevage, d'autres à l'agriculture, d'autres à la religion et à l'écriture, d'autres enfin à un artisanat desservant l'ensemble de la société. Dans le cas de la population touarègue du Niger, avec le temps, une partie relativement peu importante de la société est restée réellement de "culture" pastorale157, évoluant parfois en marge du groupe ethnique et s'en éloignant progressivement sur le plan social.

4.2.2. ELEMENTS DE PERTURBATION DU SYSTEME DE

GESTION DES PATURAGES EN SAISON SECHE.

157 Nous voulons dire ici que la possession de quelques têtes de bétail est un fait très différent que celui de tirer tous ses revenus de l'élevage, et que la conception des populations concernées face à leur fondement culturel est très différente même au sein d'une même ethnie. La majorité des Touaregs du Niger sont d'abord commerçants ou agriculteurs, bien qu'ils possèdent tous quelques animaux. En revanche, un certain nombre de tribus sont de véritables éleveurs et pratiquent un nomadisme performant, mais ils sont minoritaires.

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4.2.2.1. Surabondance de points d’eau. Ces 20 dernières années, les points d’eau pastoraux se sont multipliés dans la zone pastorale qui est desservie par les nappes du Continental Intercalaire158, cette zone permettant le fonçage de puits profonds stables et durables même sans busage, et donc à des coûts abordables même sans aide des projets ou de l'Etat. Les mécanismes ayant engagé ce surdéveloppement de points d’eau agissent sous l’influence de deux facteurs :

A) La recherche d’indépendance des groupes de pasteurs par rapport

aux ouvrages existants. Il est parfaitement compréhensible que les pasteurs recherchent à s’affranchir au maximum des ouvrages à statut public et également de ceux appartenant à leur communauté mais qui sont très fréquentés et où des délais d’attente perturbent la bonne conduite des troupeaux. Dans le principe de réciprocité d’accès et de d’échanges périodiques de droits d’accès aux ressources fourragères, la possession d’un puits donne du poids, car l’on recherchera davantage l’alliance avec un groupe disposant de plusieurs ouvrages. Avec la multiplicité des sous-groupes induits par la démographie des pasteurs et avec les appuis financiers trouvés auprès des bailleurs et de l’Etat (Programme Spécial par exemple), de nombreux ouvrages ont été réalisés à la demande des communautés de pasteurs. Durant les années 70 à 90, c'est essentiellement sur leurs fonds propres qu'ils ont réalisés des ouvrages non cimentés. On a vu au point 3.1.4.3. que la stratégie est ancienne mais qu'elle a fait l'objet d'un "mouvement de masse" dès la première sécheresse, ce qu'avait relevé Patrick Paris.

B) « Les Puits boutiques. » La diversification d’origine des troupeaux

fréquentant la zone pastorale et surtout cherchant à y rester quelques mois après la SP a créé une demande pour tous les troupeaux dont les bergers ou familles propriétaires ne disposent pas d’accès aux puits existants ou qui ne souhaitent ou ne peuvent pas développer de liens dans ce sens. Il s’agit de puits foncés sur les fonds propres d’un individu, sans aucun objectif collectif d’accès à des ressources naturelles, dans le seul but de générer des revenus par le paiement exigé pour l’accès. Cette pratique récente est en contradiction totale avec tous les usages et choque la conscience de beaucoup d’éleveurs. Elle est permise par le flou juridique actuel qui semble amoindrir le pouvoir des Chefferies administratives, avec un effet de corruption de leur responsabilité de gestion parcimonieuse et patrimoniale des ressources. Ces puits donnent accès aux ressources à des troupeaux qui ne devraient pas pouvoir y accéder à certains moment de l’année au détriment des éleveurs pasteurs qui comptent sur les stocks de SS. L’objectif est ici celui d’un fond de commerce uniquement. Le paiement mensuel pour un troupeau moyen se situe autour de 30 000 cfa. Il faut compter 700 000 cfa pour la réalisation de l’ouvrage. On voit que l’investissement est très lucratif.

158 Dans la partie Ouest de la Zone pastorale, à partir de Akoubounou et vers Tchintabaraden, la situation est différente car cette nappe n’est plus accessible.

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Cette situation pose des problèmes sérieux qui ont profondément bouleversé les principes de gestion des RN ces dernières années, venant s'ajouter aux questions de libéralisation d'accès aux puits cimentés de l'Etat ou aux forages, comme nous l'avons décrits sur la base des travaux antérieurs de Brigitte Thébaud.. Cette abondance de points d’eau à caractère privé, qu’il s’agisse de notion privative communautaire ou individuelle, donne l’accès en Saison Sèche à des troupeaux qui n’ont pas d’alliances sur le terrain, soit les troupeaux de la zone agricole principalement ou celui des commerçants. Ce problème est assez grave, car il est aujourd’hui impossible dans toute la zone pastorale de gérer les stocks fourragers de saison sèche par absence de possibilité de limiter le temps de pâture des troupeaux de passage. En principe, l’usage voulait qu’on ne puisse foncer un puits à moins de 6 kilomètres d’un autre puits, sans l’accord des propriétaires de ce puits. Cet usage n’est plus respecté et la création de puits communautaires, puits des commerçants et puits boutiques se multiplie au détriment de la gestion logique et sensée des RNs pastorales.

La multiplication des points d’eau démultiplie le cheptel présent et provoque la consommation rapide et non contrôlée des ressources locales. Ceci pose des problèmes pour la survie des pasteurs qui voient les stocks de SS disparaître rapidement, et non pas pour l’environnement, qui lui s’accommode très bien d’une charge forte en début de SS et de charge quasi nulle en fin de SS. Elle déstabilise les gestions des puits anciens et provoque une situation de chacun pour soi dans la consommation du pâturage, principalement sous les latitudes 15° à 17°. Dans le Nord, l’accès trop long des troupeaux du Sud après la saison sèche engage la consommation rapide des stocks de paille et pèse lourdement sur les systèmes endodromiques locaux. Les Communes pastorales devront fatalement aborder cette question afin d’enrayer le phénomène de multiplication des points d’eau en faisant appliquer les procédures existantes.

4.2.2.2. Accès par abreuvement mobile. L’apparition depuis quelques années de camions citernes ou de citernes tractées pour l’abreuvement des troupeaux des commerçants suscite des commentaires assez divers.

Certains y voient une modernisation positive mais le sentiment le plus courant sur le terrain est celui d’une quasi « violation » des usages les plus élémentaires, une sorte de tricherie qui rendrait la règle du jeu caduque. Examinons tout d’abord une estimation très sommaire mais réaliste du coût de cet abreuvement : A l’aide d’un camion citerne de 20 000 litres, soit une capacité assez modeste, on peut entretenir à raison de 20 litres / UBT/ jour, un troupeau de 1000 UBT, ou alors 500 UBT durant 2 jours, ou 250 UBT durant 4 jours ce qui semble l’échelle de calcul la plus réaliste.

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En comptant le remplissage au forage, le coût du chauffeur, le carburant, et tout de même des frais divers et un amortissement de l’engin, un trajet aller-retour de 200 Km revient à 70 000 fr. L’abreuvement mensuel d’un cheptel de 250 UBT avec ce système pourrait donc revenir au total à 490 000 cfa ou 1 960 cfa par UBT. A côté des quelques 500 cfa par UBT qui sont une moyenne approximative pour l’abreuvement aux forages et « puits boutiques », les coûts sont élevés. 2 mois d’abreuvement représentent environ le coût de fonçage d’un puits traditionnel. Certes, les camions ne font pas toujours d’aussi long trajets, et cet abreuvement n’intervient pas durant toute l’année. Il ne s’agit que de décisions ponctuelles pour assurer l’accès à des zones particulières et à des moments particuliers de l’année. Toutefois, le coût est très dissuasif pour les pasteurs et le développement de cette pratique ne peut concerner que des activités commerciales à forte valeur ajoutée, comme celles permises par les facilités d’exportation directe de ce système. On le voit, le coût de cette formule la replace dans un contexte particulier. Soit il s’agit d’accéder à des ressources fourragères qui ne sont pas desservies par des points d’eaux proches et ceci reste conjoncturel ou n’intervient que pour de courtes périodes, soit il s’agit d’accéder aux ressources en s’affranchissant de toute négociation d’accès avec les ayants droit locaux159, soit on cherche consommer rapidement une ressource localisée avec un fort cheptel même si les ouvrages hydrauliques existants sont déjà surchargés de troupeaux pastoraux.

! Il reste qu’effectivement, la règle du jeu est faussée ! On aurait tort de ne voir ici qu’une débrouillardise des investisseurs permise par les marges économiques de leurs exportations. Il s’agit de bien plus que cela. Imaginons un scénario courant dans le contexte d’une saison sèche plutôt médiocre sur le plan fourrager : Une petite zone bien pourvue en stocks de paille attire nombre de troupeaux, qui abreuvent par 2 puits pastoraux traditionnels, permettant l’abreuvement quotidien de 1000 UBT. Les pasteurs qui se sont entendus pour le partage de la ressource et qui accèdent aux puits comptent pouvoir passer plusieurs mois sur le rayon de ces puits, avant d’aller vers le Sud dans une situation plus inconfortable. Un troupeau ou quelques troupeaux d’un investisseur arrivent sur cette réserve de fourrage local au nombre de 1000 UBT, doublent ainsi la charge sans avoir besoin d’accéder aux puits et sans devoir effectuer les longs déplacements et attentes autour des ouvrages. Pour les pasteurs, la période prévue sur ce site est à recouper de moitié au moins et aucune règle d’usage ne leur permet de s’opposer à cette consommation de fourrage puisque les troupeaux de l’investisseur n’utilisent pas les points d’eau. Cette situation est problématique, car la ressource fourragère en elle-même ne fait pas l’objet de règles, puisque c’est l’accès à l’eau par l’intermédiaire d’ouvrages fixes qui jusqu’ici permettait la pâture. La généralisation de l’abreuvement mobile obligerait à légiférer également sur la ressource végétale en tant que fourrage et à préciser dans les textes régissant l’accès aux ressources naturelles le droit de pâture par cette voie. Actuellement, seules les mentions prudentes concernant le Droit d’Usage Prioritaire dans les textes complémentaires 159 Nous disposons de beaucoup de témoignages qui indiquent ce phénomène et même si les exagérations sont courantes en milieu pastoral, on ne peut pas les ignorer tant la persistance de cette description colore fortement les débats sur la question avec toutes les personnes ressources et les éleveurs. Cette pratique semble se profiler comme LE problème des années 2000.

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sur les terroirs d’attache permettraient aux pasteurs de faire valoir un droit d’accès et d’empêcher la pâture à ce type d’élevage, puisque cette pratique ne s’inscrit pas dans les « us et coutumes » mentionnés par le texte en question. On notera encore que selon les niveaux de vie moyens actuels des pasteurs, ce cheptel de 1000 UBT fait vivre au moins 500 personnes enfants compris, alors que dans les troupeaux de l’investisseur, qui lui dispose d’autres revenus ailleurs et ne vit pas de ce cheptel, une dizaine de bergers sans leurs familles suffisent à la garde des 1000 UBT puisque les travaux d’abreuvement n’interviennent pas. On comprend alors que cette « modernisation » ne soit pas perçue sur le terrain par les pasteurs comme un bienfait mais plutôt comme une menace grave pour leur survie. Les prévisions qui permettent d’estimer le temps que les troupeaux pourront stationner sur des stocks de SS deviennent caduques, puisque la menace d’un « débarquement » imprévisible des troupeaux d’investissement enlève toute sécurité. C’est toute la stratégie d’alliance inter-communautaire, de gestion des cycles fourragers, et de gestion du temps de SS qui est rendue obsolète par l’existence de troupeaux de commerce abreuvés par citernes, au mépris de tous les usages ayant permis la bonne cohabitation des communautés et la bonne gestion des ressources jusqu’ici. Cette situation n’est permise que par la faiblesse d’organisation d’un marché à bétail où seuls quelques riches commerçants trouvent les possibilités d’exporter le cheptel dans des bonnes conditions et légalement, laissant les pasteurs désorganisés et dépendants des marchés locaux. Les exportations vers l’Algérie et la Lybie par des pasteurs organisés existent avec le statut de contrebande et ne sont possibles que par expéditions ponctuelle de petits lots. L’accès au statut légal d’exportation devrait pouvoir être possible également à des structures locales de pasteurs afin de faire bénéficier à un plus grand nombre des bons termes d’échange des marchés du Nord, ce qui rendrait les investissements purement capitalistes dans le bétail moins attrayants. Ici, le rôle de ces excellents commerçants pourrait alors être mieux valorisé avec un objectif de développement global en lieu et place du développement individuel d’un élevage finalement moins rentable et à l’impact social très négatif.

4.2.3. CADRE LÉGISLATIF EN GESTATION.

4.2.3.1. Situation actuelle des processus globaux, description et interprétation.

L’Etat nigérien cherche depuis le début des années 90 à se doter de nouveaux outils législatifs adaptés qui permettent aux communautés de pasteurs d’assurer une gestion optimale de leurs ressources et à préserver leurs potentiels en tant que producteurs compétents et reconnus d’une des principales ressources nationales. Le Code rural suggère des options qui renoncent à une réglementation exhaustive par la loi en faveur d’une législation proposant des règles de procédure orientées par un nombre limité de principes directeurs substantiels et reconnaissant les us et coutumes. Cette tendance au niveau de l’Etat a dominé les travaux d’élaboration des textes. La collaboration entre les services de l’Etat, notamment le Secrétariat Permanent du Code Rural (SPCR) et les multiples apports des partenaires du Niger, des consultants extérieurs et des

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pays voisins, ont produit des dispositions positives et avant-gardistes. Dans les sphères ministérielles et certains milieux du développement, des courants de pensée moins bien informés conservent une vision mythique d’élevage en ranching et de « gestion rationnelle » des pâturages passant par une privatisation des espaces. Cette tendance, favorisée par des secteurs de recherche en mal de champs d’application, parvient parfois à faire entendre sa voix et trouve également des ouvertures pour tenter des expériences sur le terrain. Nous pensons que cette tendance ne représente pas la voie que suit l’Etat nigérien pour l’élevage dans les années à venir, mais n’est qu’un phénomène satellite des processus en cours, alimenté par des intérêts commerçants à la faveur de la mauvaise information du politique ou des pouvoirs locaux de décisions. Il y a lieu de rester vigilant et surtout de favoriser un aboutissement rapide des processus législatifs en cours afin de prévenir des tentatives d’appropriation de l’espace pastoral que le flou actuel favorise. Une nouvelle période d’instabilité politique pourrait également avoir des conséquences fâcheuses sur la paix sociale en zone pastorale si les intérêts personnels devaient dominer le Droit durant quelques années. Heureusement, la situation politique actuelle reste favorable à la mise en place des nouvelles règles pour prévenir ce danger. Parmi les processus actuels pouvant favoriser la préservation et le renforcement du système pastoral s’ils sont bien menés et accompagnés, on peut lister les principaux :

� La mise en application des textes complémentaires du Code Rural concernant les Terroirs d’Attache. T.A.

� La rédaction de la Charte Pastorale. � La définition des Plans de Développement Locaux des Communes. PDL � Les Schémas d’aménagement foncier. SAF.

Nous disons « gestation », car même si certains textes sont déjà définis et validés (texte des terroirs d’attache depuis 1997), le processus global comprend la mise en œuvre effective de la décentralisation et la création de communes fonctionnelles ainsi que la rédaction d’un Cadre Général attendu sous la forme de la Charte Pastorale, voir la relecture « cosmétique » de certains textes. Des décrets d’application manquent encore par ailleurs pour définir clairement le rôle des Communes sur des points précis et ces lacunes seront révélées lorsque les Communes chercheront à établir des règles locales de gestion des RN, par le croisement de dispositions pouvant être contradictoires entre le Code Forestier et les POCR par exemple, ou encore sur les conflits de compétence possibles entre Services de l’Environnement, autorités Régionales et autorités Communales. Nous n’avons pas ici l’ambition de dénouer ces contradictions, c’est impossible dans l’état actuel d’avancement, ni de les décrire de manière exhaustive. Par contre, nous souhaitons positiver le potentiel contenu dans le processus et surtout contribuer à lever les craintes actuelles qui constituent, il faut le dire, un fond de débat dans la culture interne de la plupart des bailleurs de fonds concernant les risques liés à la mise en application des textes dans l’état actuel. Il est clair que le risque engendré par le statut quo est plus élevé que celui lié à la mise en application des textes. Toutefois, et ici nous ignorons dans quelle mesure cela sera encore possible, il serait souhaitable qu’une relecture légère des textes complémentaires, et notamment celui concernant les T.A. intervienne pour préciser ou mieux expliquer certains points. Il existe des éléments pouvant amener des confusions et des interprétations abusives, que tous les auteurs ont relevées et qui créent effectivement des malentendus sur le terrain. Par exemple, il serait judicieux d’expliquer la subsidiarité des dispositions, notamment lorsque l’Usage Prioritaire des T.A. fait l’objet d’une inscription au dossier rural. L’inscription au dossier rural induit la

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propriété, alors que les textes des T.A. précisent que le droit d’usage prioritaire n’est en aucun cas une propriété. Sur le plan juridique, le texte complémentaire est prédominant et effectivement il ne s’agit pas de propriété, mais la confusion est entretenue encore par le fait que le texte des T.A. mentionne avec maladresse la possibilité de reconnaître la propriété sur un fond délimité pour des infrastructures, sans en préciser la surface maximale. Certes, la suite du texte permet de clarifier l’esprit de cet article et de lever toute équivoque mais la plupart des lecteurs restent attachés à cette contradiction en insistant à juste titre sur le fait qu’elle permet des abus. Quelques réaménagements purement littéraires du texte faciliteraient sa mise en application et sa compréhension générale. Ceci n’est toutefois pas notre propos et nous devons proposer des éléments de stratégie et des orientations en fonction de ce qui est actuellement disponible tout en laissant une marge pour les modifications encore possibles. Un tableau analytique et descriptif à la page suivante permettra ici de cadrer l’Etat actuel d’avancement et de projeter des orientations stratégiques cohérentes de manière résumée.

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Texte, cadre légal, plans.

Etat actuel d’avancement Structure de mise en œuvre

Améliorations attendues sur le terrain Risques couramment exprimés.

Texte complémentaire concernant les Terroirs d’Attache.

Texte validé par décret en 1997. Une relecture « cosmétique » souhaitée et compréhension difficile sur le terrain et dans les sphères du développement. Pas d’application sur le terrain, en dehors d’un cas atypique et à la légalité très discutée à Abalak.

Commissions Foncières départementales. Un doute subsiste quand à la compétence future des Cofo communales sur cet aspect.

Reconnaissance du Droit coutumier prioritaire sur les espaces attenants aux points d’eau. Possibilité de retrouver et valoriser des pouvoirs de gestion des RN basés sur la négociation entre pasteurs. Possibilité de limiter l’accès des troupeaux d’origine non pastorale. Ré-équilibrage des pouvoirs d’accès aux RN entre pasteurs, si le processus est général.

Exclusion de certains groupes de pasteurs, polarisation des accès ZP et zone agricole, accaparement des terroirs par les nantis si le processus reste marginal et non popularisé, dérive vers une réduction de la mobilité s’il est mal interprété et mal appliqué.

Charte Pastorale Processus de rédaction arrêté en 2004. Reprise des consultations attendue en 2005.

Etat central avec rôle de mise en application et de surveillance par les Régions

Clarification du statut des zones pastorales et de leur régime foncier. Reconnaissance de la mise en valeur pastorale et de la mobilité comme outil de gestion. Statut protecteur des zones pastorales contre le défrichement agricole et l’accaparement privé. Clarification des textes complémentaires du Code Rural et fourniture d’un cadre législatif rassurant.

Peu de risques exprimés actuellement en l’absence d’avancement. La seule crainte serait de voir ce texte servir les intérêts d’une vision aménagiste et technocratique de l’élevage par des dispositions ambiguës ou encore qu’il soit trop faible dans ces termes pour répondre aux attentes.

Plans de Développement Locaux des Communes. PDL

Néant. Conseils Communaux avec l’appui des services techniques et un processus de concertation réel avec les populations. Sanction possible par élections.

Vision de l’avenir au niveau local sur la base d’analyses pertinentes. Etablissement de règles locales en faveur des pasteurs et d’une gestion équitable et pacifiée des RN. Orientations dans l’utilisation des RN clairement positionnées en faveur de la vocation pastorale de l’espace communal. Etablissement de concertations inter communales et inter communautaires concernant la gestion de la mobilité des troupeaux.

Etablissement des règles perturbé par des intérêts individuels ou politiciens. Impossibilité de dégager des visions à long terme en raison des cycles électoraux. Absence de moyens financiers et humains pour élaborer des PDL répondant aux défis. Influence trop prédominante de concepts techniques mal adaptés ou désuets au détriment d’une vision globale de la question pastorale.

Schémas d’aménagement foncier. SAF

Néant. Définition dans les textes d’orientation du Code Rural.

Cofo et conseils communaux.

Plan d’aménagement du territoire clarifiant les vocations des différentes zones des Communes. Limitation de l’extension agricole en zone pastorale.

Fixation par écrit de situations nécessitant de garder un certain flou afin de permettre leur évolution sous l’influence sociale.

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4.2.3.2. Reconnaissance formelle des Terroirs d’Attache. Formule salvatrice ou hérésie ?

La question posée en titre ne nous semble pas exagérée tant la question des T.A suscite les passions depuis la publication du texte complémentaire en 1997. Des positions extrêmes se manifestent, tant pour demander des Droits de propriété plus formels aux pasteurs qu’un Droit d’Usage Prioritaire jugé insuffisant, que pour prédire la fin de la mobilité et la crispation de rapports conflictuels si l’on formalise un tant soit peu les droits coutumiers160. Le débat semble si complexe, tellement teinté d’incompréhensions, d’interprétations partielles ou hâtives, à ce point compliqué par les intérêts individuels locaux çà et là, qu’on peut se demander parfois si la notion de Terroir d’Attache pourra un jour être appliquée dans le sens que lui ont donné les rédacteurs du texte.

Il est probable que cette question des T.A. est celle qui aura le plus divisé les spécialistes du monde pastoral et de la GRN au Niger depuis plus de 20 ans. Même les courants de pensée ayant promu depuis 2 décennies une vision positive du pastoralisme, promotion qui porte aujourd’hui ses fruits, sont partagés sur la question et peinent à voir clairement comment pourra évoluer cette forme unique de tenure foncière. Elle n’est pas une propriété commune, ne donnent pas formellement les droits d’exclusion mais les suggère en reconnaissant la priorité, tout en mentionnant des us et coutumes indéfinissables, tout en reconnaissant les pasteurs comme acteurs essentiels en tant qu’ayant droits sur la zone pastorale.

Parmi les défenseurs de la mobilité, nombreux sont ceux qui craignent l’idée que l’Etat « légifère » sur la mobilité et les Droits d’accès ou que des us et coutumes tacites et oraux prennent une forme écrite qui serait plus forte et durable. Ces craintes sont issues d’expériences passées dans d’autres pays et elles sont parfaitement justifiées, surtout dans le contexte actuel qui prévaut en zone pastorale nigérienne avec :

- les tentatives diverses pour s’approprier « de fait » ou si possible avec une base légale, des ressources pastorales,

- les tensions existantes pour l’accès aux fourrages engendrées en grande partie par les mauvaises années de pluviométrie depuis 2001,

- et les discours ambigus de certains Chefs de Tribu.

Les projets cherchent toujours à se positionner sur cette question, car leur appui au processus de décentralisation devra sans doute accompagner d’une manière ou d’une autre la question de la légalisation des Terroirs d’Attache, d’autant que cette échelle de représentation de population pourrait bien devenir un échelon subsidiaire représentant un interlocuteur valable pour les Communes et les projets intervenant dans la zone pastorale dans les années à venir.

La question qui se pose pour nous, en tant qu’expert extérieur, n’est pas de savoir s’il faut accompagner ou non, favoriser ou non ce processus de formalisation de Droits coutumiers, puisque ce processus est en marche et qu’il est souhaité sur le terrain, puisque tous les pasteurs se positionnent actuellement dans ce sens. La question est uniquement de savoir COMMENT le faire et vers quelle situation future doit-t-on tendre pour cet appui.

160 Curieusement, se sont les experts de tendance plutôt socio-écologistes, défendant la mobilité, qui sont les plus farouchement opposés à ce texte, alors que les pasteurs souhaitent son application sur le terrain et que toute leur stratégie depuis les années 70 va dans ce sens.

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Nous avons, en 2001, publié le Dossier IIED N° 102 « Terroirs d’Attache des pasteurs au Niger ». Nous sommes revenus sur cette question dans « l’Etude sur la gestion des risques en zone pastorale » commanditée par le LUCOP-TAN en fin d’année 2004 et nous avons précisé déjà dans quelle mesure la reconnaissance formelle des Terroirs d’Attache pourra selon nous contribuer à aller de l’avant quant à une gestion plus sereine des RN par les communautés de pasteurs. Nous voulons aller plus loin ici et fournir autant que possible, sinon des réponses, tout au moins des pistes de travail débroussaillées et aplanies au projet pour avancer sur ce terrain avec plus de confiance et de manière moins passionnelle. Pour cela, il nous semble nécessaire d’exprimer les différentes craintes des uns et des autres et de leur apporter notre vision. Mettons tout d’abord devant le lecteur, certains passages essentiels du texte complémentaire, afin d’entrer dans le débat :

Statut des terroirs d'attache des pasteurs (Décret no. 97-007, 10 janvier 1997) Article 2. «Au sens du présent décret, il faut entendre: Par terroir d'attache , l'unité territoriale déterminée et reconnue par les coutumes et/ou les textes en vigueur à l'intérieur de laquelle vivent habituellement pendant la majeure partie de l'année des pasteurs, unité territoriale à laquelle ils restent attachés lorsqu'ils se déplacent que ce soit à l'occasion de la transhumance, du nomadisme, ou des migrations. Par pasteurs, tout groupe humain et social qui se caractérise historiquement et socialement par sa mobilité et dont l'élevage constitue l'activité principale.» Article 3. «Sous réserve du respect des droits des tiers, les pasteurs ont le droit d'accéder librement aux ressources naturelles de leur terroir d'attache.»

La notion de droit d'usage prioritaire (Principes d'Orientation du Code Rural, Ordonnance no. 93-015, 2 mars 1993, Article 28) : «Les pasteurs peuvent se voir reconnaître un droit d'usage prioritaire sur les ressources naturelles situées sur leur terroir d'attache. Le droit d'usage priori taire n'exclut pas l'exercice des us et coutumes communs aux pasteurs en matière de gestion et d'exploitation des zones de pâturage notamment l'accès des tiers aux points d'eau, le droit de parcours et de pacage. Au cas où leurs activités nécessitent une implantation fixe et pérenne sur un fonds délimité, la propriété du sol peut leur être reconnue dans les conditions et les limites prévues par la présente loi.»

Le statut du Droit d’Usage Prioritaire (Décret no. 97-007, 10 janvier 1997) Article 4 : Sans préjudice des droits des tiers les pasteurs jouissent du droit d'usage prioritaire de leur terroir d'attache et des ressources qui s'y trouvent. Le droit d'usage prioritaire est un pouvoir d'occupation, de jouissance et de gestion reconnu aux pasteurs sur leur terroir d'attache. En aucun cas, le droit d'usage prioritaire ne constitue un droit de propriété. Article 5 : Le droit d'usage prioritaire se prouve par les modes de preuve reconnus par les coutumes et/ou la loi. Les Commissions Foncières, dans leurs circonscriptions respectives, en tenant dûment compte des us et coutumes et/ou des lois en vigueur constatant les différents droits d'usage, fixent : - les critères susceptibles de servir de preuves de l'existence des droits individuels et collectifs sur les ressources naturelles ; - les limites qu' imposent aux pasteurs, dans chaque cas d'espèce, le respect des droits des tiers.

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4.2.3.3. Risques inhérents à la formalisation des Terroirs d’Attache. Risques potentiel fréquemment avancés. Eléments d’analyse et d’estimation du risque. Les pasteurs risquent de s’enfermer dans une logique de préservation de leurs ressources immédiates et de réduire leur mobilité.

Ce risque est léger chez ceux qui fonctionnent par endodromie et mobilité circulaire, quasi nul pour les autres T.A. Les pasteurs sont très conscients du risque encouru par l’exclusion qui se retournera contre eux fatalement. Le pouvoir de préserver renforce aussi le pouvoir d’accorder et les alliances de réciprocité prendront tout leur sens alors qu’actuellement elles tendent à perdre leur importance par la situation d’accès libre et sans limite permis par les ouvrages publics, les puits boutiques, le délitement des règles coutumières et la violation systématique des usages par les investisseurs-éleveurs. Les pasteurs font clairement la différence entre, d’un côté les autres pasteurs, vivant de leur élevage et avec qui les us et coutumes s’appliquent et de l’autre côté, les troupeaux non pastoraux. Par ailleurs, les T.A. ne sont pas réellement des territoires et ils ne sont pas définis en terme de surface et rayon. Le chevauchement de leurs aires d’influence ne peut qu’aboutir à des règles générales, d’usage courant, et déjà convenues collectivement comme positives même aujourd’hui. Si certains groupes tentent l’enfermement et l’exclusion quelques années, ils auront tôt fait de réviser leurs principes par la pression collective et les événements de leurs cycles fourragers annuels.

Les accès aux zones pastorales du Nord vont se refermer progressivement et les pasteurs du Sud ne pourront plus y accéder.

Il est possible que l’accès deviennent réservé après le tarissement des mares à ceux qui ne prennent pas soin de développer des réciprocités avec les T.A. du Nord pour accéder aux puits. En SP, cet accès restera toujours libre. Cette évolution vers une réservation partielle et raisonnée des stocks de SS dans le Nord ne serait pas mauvaise en soi. Le système global doit trouver ses équilibres progressivement et s’adapter en permanence, or la pression actuelle sur les stocks fourragers du Nord n’est pas viable à long terme pour les éleveurs du Nord, tout le monde s’accorde sur ce point. Des règlements de cette question passant par des rapports directs entre éleveurs avec un cadre juridique seraient sans doute préférable à l’établissement de règles communales restrictives telles que le souhaiterons peut-être certains Chefs Administratifs.

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Les pratiques d’exclusion dans le Nord pourront viser les troupeaux du Sud. Les accès aux zones pastorales et agricoles du Sud vont se refermer progressivement et les pasteurs du Nord ne pourront plus y accéder.

On peut pressentir dans certains endroits du Nord d’In-Gall, que des réactions d’exclusion vers les troupeaux du Sud puissent intervenir. Ces réactions seront dirigées, nous en sommes certains, non pas contre les pasteurs notamment Peuls et Touaregs qui disposent de T.A. dans le Sud et qui négocient l’accès aux points d’eau à la faveur d’alliances anciennes et fortes, mais envers les troupeaux purement agricoles et ceux des investisseurs, voir les troupeaux nigérians ou inconnus des autochtones. Un ré-équilibrage des charges en SP et en fin de SP doit fatalement intervenir car la pression est trop importante depuis quelques années. Ce ré-équilibrage devrait ne se faire au détriment des pasteurs mais concerner en premier lieu les troupeaux non pastoraux, c’est à dire appartenant à des propriétaires qui ne les accompagnent pas, qui n’en vivent pas directement, et qui pourront très bien déplacer leurs capitaux ailleurs si l’élevage se révélait plus difficile pour eux dans un proche avenir par restriction des accès dans le Nord. Remettre une grande part de pouvoir de décision aux pasteurs des T.A. du Nord est sans doute la meilleure formule pour espérer voir se dégager des règles d’accès justes dans ce sens. Les Communes devront entrer en négociation concernant les accès à la zone agricole et la Charte Pastorale devra affirmer le rôle essentiel des zones agricole pour l’élevage national. Concernant les T.A. situés en zone agricole, leur situation est si précaire qu’on ne peut que souhaiter le renforcement de leur pouvoir de gestion sur les espaces concernés. Les T.A. situés entre les 15° et 16° parallèles auront tout intérêt à rester très ouvert aux pasteurs du Nord et on ne craint pas d’exclusion dans ce système, mais plutôt des litiges avec les voisins très proches. La possibilité de temporiser ce potentiel de litige existe dans une vulgarisation adaptée des textes et une animation bien conduite avec les leaders concernés.

Les nantis et les investisseurs pourront se faire attribuer des espaces pastoraux et les gérer de manière exclusive.

NON. Au contraire, le texte défini clairement ce que sont les « pasteurs » et précise bien que eux seuls peuvent se faire attribuer ce statut, de surcroît avec constatation unanime de leurs droits coutumiers par l’enquête. Le statut des T.A. s’il est généralisé, compliquera beaucoup la tâche des investisseurs-commerçants et devrait protéger le système pastoral de ce phénomène. Un risque existe uniquement par collusion des commerçants avec des groupes pastoraux, mais on voit mal comment les pasteurs pourraient se laisser dominer à ce point à long terme par le seul pouvoir économique, sans qu’une redistribution des intérêts n’interviennent. Les Communes doivent également se pencher sur cette question sous la pression de leurs citoyens. C’est ainsi que le système doit fonctionner et l’on doit accepter le risque de mauvais fonctionnement tout en favorisant un fonctionnement optimum des principes démocratiques. Le cas exceptionnel de Tanahtamo n’a été permis qu’avec la

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conjonction d’une association de sélectionneurs de race Azawak et un projet bilatéral belge, et ceci après bien des difficultés. Ce cas est unique et ne se reproduira pas. Par ailleurs, le SPCR surveille de près cette situation et le retrait du statut d’usage prioritaire pourrait intervenir car les principes de gestion ne prévoyaient pas à l’origine l’exclusion et encore moins la pose de clôtures. De plus, sans l’acceptation des Chefs Coutumiers de la zone, ce statut n’aurait pas pu être donné. A chacun de prendre ses responsabilités dans une société civile démocratique et un Etat de Droit. Ce lobbying devrait être celui des associations mais elles semblent se désintéresser totalement de la question en dehors de prises de paroles spectaculaires dans les séminaires.

La multiplicité des règles établies sur chaque T.A. compliquera la mobilité et mettra fin à l’accès libre actuel.

NON. Le pouvoir des T.A. d’établir des règles locales sera limité par l’essence même du texte qui prévoit le respect des us et coutumes. Les règles que mettront en place les T.A. seront logiques, raisonnables, et assez semblables entre elles. Elles seront, répétons-le, destinées à renforcer les négociations entre éleveurs et les alliances pour l’accès aux ressources. Elles simplifieront la mobilité en clarifiant les règles. Actuellement, toute sorte de pseudo règles et de mauvaises interprétations des textes avant leur application sèment la confusion et profitent aux nantis et à ceux qui ont le pouvoir d’utiliser la confusion, la dissuasion et la crainte comme outil de gestion. En octobre, la nouvelle circulait dans le Nord d’In-Gall, que les commerçants faisaient déguerpir les éleveurs du Sud et ceux-ci étaient aux abois….. Cette nouvelle était fausse et les commerçants n’ont aucun moyen légal d’empêcher l’accès à des ressources sur lesquelles ils sont eux-mêmes des exploitants non prioritaires. Mais on voit clairement que l’absence de règles produit des situations qui ne sont pas pour favoriser la gestion pacifique. Un évènement fortuit aurait pu se calquer sur cette rumeur, être mal interprété et provoquer des problèmes graves pour la paix civile à l’encontre de toute logique. Des règles justes, claires et largement connues sont le meilleur moyen d’engager des usages pacifiques entre utilisateurs des RN pastorales.

Le fait de formaliser les T.A. fera surgir des conflits d’intérêt entre communautés.

C’est possible et même probable. La gestion de litiges fait partie du jeu de négociation et d’alliances de la gestion pastorale entre groupes sociaux. Le règlement de litige basé sur le Droit et les textes à l’avantage de mettre les partie en présence à armes égales sans violence et avec un arbitrage acceptable, celui de la Justice et de l’Etat. Les puits sont le centre des T.A. et le chevauchement de leurs aires d’influence ou encore d’anciennes querelles ayant suivi leurs créations, peuvent être des points de discorde et évoluer en litiges voir même en conflit. Certains groupes établis depuis un siècle ou plus dans une zone donnée reconnaissent encore

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mal la légitimité de la présence d’autres groupes même si ces derniers y possèdent des puits depuis les années 30. La dispersion des tribus ces 20 dernières années peut également compliquer certaines situations. Pour aborder ce thème, il faut se souvenir que la reconnaissance des T.A. est un processus faisant intervenir la Cofo et donc tous les représentants administratifs des pasteurs, et que cet acte est publié et affiché pour permettre aux éventuelles oppositions de se manifester. Une reconnaissance de T.A. devrait donc être l’acte qui sanctionne le règlement unanime d’un litige de ce type et non son exacerbation. Se sont donc les demandes de reconnaissance qui peuvent raviver des litiges en sommeil. Ici, on se trouve devant un choix de stratégie assez courant. Faut-il tenter de résoudre le litige latent ou l’ignorer encore quelques décennies ? Les pasteurs feront ces choix au cas par cas et pèseront soigneusement les risques et les intérêts en jeu avant d’entreprendre ces démarches si des litiges sommeillent concernant leur présence quelque part. On ne devrait pas craindre la possibilité de voir des litiges anciens se clarifier vers une résolution. Les communautés en présence sont certes en compétition dans un accès à des ressources qui s’amenuisent sous la pression démographique des pasteurs, mais les rapports sociaux entre elles sont anciens et fondés sur le respect et le partage des difficultés. Quelques discours enflammés çà et là, de la part de leaders qui veulent manifester leur pouvoir et assoire leur crédibilité de façon maladroite ne doivent pas faire craindre à des manifestations d’hostilité réelle entre communautés. C’est aussi la manière de comprendre ce qu’est réellement un T.A. qui peut désamorcer toute tentative de raviver des litiges. Rappelons que ce n’est pas une propriété mais seulement un droit d’usage prioritaire.

Certaines communautés de pasteurs pourraient se trouver en position de faiblesse par manque d’accès aux zones pastorales.

Sur ce point, on doit constater que les pasteurs les plus mobiles et les moins enclins à matérialiser leurs points d’attache, à savoir les Peuls Wodaa’bé, se sont bien rattrapé ces 10 dernières années, préparant ainsi pour d’autres motifs161, un processus de reconnaissance des terroirs d’attache. Ils sont assez bien placés actuellement pour la reconnaissance de leur efficacité pastorale et de leur bonne « chimie sociale » avec les autres groupes ethniques. Leur situation sur ce plan n’est pas si défavorable qu’on le croit souvent. Par ailleurs, concernant l’ensemble du monde pastoral, c‘est un constat de l’étude sur la gestion des risques en zone pastorale de 2004 (LUCOP-TAN) que les pasteurs les plus mobiles et qui disposent de troupeaux apparemment viables, sont ceux qui multiplient également les alliances avec des

161 Ces motifs sont la visibilité par l’Etat et les projets, la scolarisation des enfants principalement.

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groupes divers et dans des directions géographiques variées. Les pasteurs les plus performants seraient donc en bonne position pour disposer de reconnaissances de Droits Prioritaires sur leurs zones d’attache qu’ils ont pris soin de matérialiser et de rendre visibles, ainsi que pour bénéficier d’accès aux autres zones pour les besoins de leur mobilité. Il n’existe pas, actuellement en zone pastorale, de pasteurs ne disposant pas d’une zone d’attache et pouvant faire valoir un accès à leur fief dans les négociations d’accès à d’autres zones.

Un terroir d’attache Peul, cet exemple peut en illustrer des centaines d’autres. Quelques magasins, quelques familles résidentes, une classe, et un point de ralliement. Depuis 15 ans que ce phénomène a commencé de manière spontanée, aucun terroir d’attache ne s’est développé davantage. On est loin de la villagisation tant redoutée.

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4.2.3.4. Extrême des perceptions de sécurisation d’accès en zones pastorale, sur les espaces identitaires des pasteurs et voie médiane.

Situation actuelle. Glissement vers zone bleu foncé par faiblesse de l’Etat de Droit et disparition des règles coutumières. Situation intenable à long terme pour les pasteurs.

Usages prioritaires reconnus aux pasteurs tels que définis par le texte. Code pastoral abouti et sécurisant. Situation à favoriser pour remettre le pouvoir de gestion ET réciprocité aux pasteurs.

Situation de Réaction à la situation actuelle avec vision topocentrique. Doit être évitée. Possible par une mauvaise compréhension des textes et l’ambition des puissants au ranching exclusif.

Ranching

Non-respect des règles

Accès libre, terres de l’Etat, règles coutumière faibles et en déperdition.

Textes régissant l’accès prioritaire appliqués et bien compris.

Tendance de repli, sentiment de propriété collective

Appropriation individuelle

Non reconnaissance des droits coutumiers. Risque de perdre l’accès. Loi du plus fort. Apparition des puits boutiques

• Impossibilité de refuser l’accès

• Pas de maîtrise des stocks fourragers

• Gestion individualiste et au jour le jour.

• Pas de stratégie de préservation de l’environnement.

• Risque de déficit fourrager difficile à gérer

Apparition d’investisseurs capitalistes grâce au vide juridique.

• Marge de manœuvre grâce au texte. • Droit de refuser • Droit d’accorder • Existence de faisceaux de Droits

négociables pour toute concertation • Possibilité de gérer les stocks de SS. • Possibilité d’investir avec sécurité • Gestion des pâturages raisonnée

possible.

• Réflexe de repli et d’exclusion.

• Tentative de gestion sédentaire du pâturage.

• Conflits. • Dégradations de

l’environnement. • Affaiblissement du tissu

social • Rivalités ethniques • Paiement pour pâturage.

Injustice sociale Gestion de charge impossible Exclusion Coûts de production très élevés Affaiblissement de l’économie locale Stratification sociale et prolétarisation des pasteurs.

Glissement vers le NON-Droit à enrayer Tendance de réaction à prévenir et enrayer

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Le tableau de la page précédente exprime les évolutions possibles des conceptions de tenure foncière en zone pastorale. La partie en bleu indique la situation actuelle générale, avec un glissement vers la partie bleu plus foncée qui indique des dérives extrêmes mais déjà courantes sur le terrain, permises par l’absence de règles. Du violet au rouge, ce sont des réactions à cette situation qui sont décrites et qui elles aussi sont déjà en cours avec l’anticipation d’usage incorrect de règles en cours de finalisation et d’application. Sur le terrain, les perceptions des uns et des autres sont en cours de polarisation sur la question de l’accès aux ressources pastorales. Il est vrai que l’accès à des statuts légaux de type T.A. pourrait être actuellement compris comme permettant des systèmes de tenure exclusifs. Cette affirmation de position d’exclusion par des Chefs de Tribus ou de Groupement (nous ne l’avons pas entendu de la bouche de pasteurs ou de leaders locaux sur les T.A.) n’est qu’un symptôme de frustration devant la perte de pouvoir de gestion et les difficultés fourragère des dernières années et ne représente pas de réelle intention de mettre en pratique des assortiments de règles visant à exclure les autres pasteurs. En réalité, et nous espérons que la visualisation de ce tableau permet de mieux l’exprimer, la voie médiane offerte par la reconnaissance des T.A. pourrait bien être la vvooiiee mmééddiiaannee permettant de décrisper la situation tout en allant dans le sens d’un système de décision remis dans les mains des utilisateurs des RN, tel que le sous-entend l’ensemble du processus de décentralisation et de réforme de la législation foncière voulue par l’Etat et l’ensemble des partenaires extérieurs du Niger. Le défi qui se pose aux projets de développement en zone pastorale, sera d’accompagner les processus sur le terrain. Il s'agit d'éviter que les incompréhensions, les positions extrémistes possibles, ne fassent perdre inutilement du temps sur le chemin de cette voie médiane par la génération de litiges locaux trop nombreux ou des recherches stériles de systèmes de gestion inadaptés. Il est possible, pour la coopération au développement, d’apporter une aide précieuse et très efficace dans ce sens et nous présenterons cette stratégie plus loin

4.2.3.5. Scénarios possibles d’évolution non souhaitables pour les 15 ans à venir.

Nous nous attacherons dans ce point précis, à caractériser et définir les évolutions NON SOUHAITABLES en cours, leurs causes et effets, ainsi que les possibilités d’influence sur leur développement. Ce chapitre aura donc un contenu apparemment très pessimiste par la nature même des idées qu’il souhaite préciser. Enfin, ce point traite des évolutions sociales avec leurs effets sur le niveau de vie des populations et sur les RN. Les scénarios de sécheresse ou d’autres catastrophes ne sont pas l’objet de ce point précis.

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1. Extension des centres urbains en zone pastorale avec accroissement du cheptel sédentaire.

* Effets. Cet accroissement entraînerait une extension des surfaces cultivées, engendrant des pertes de surface et surtout des problèmes de gestion d’accès et de passage pour les pasteurs. L’accroissement du cheptel sédentaire au delà des limites supportables est peu probable, car les limites sont imposées par l’environnement lui-même. Le rayon de 15 km autour de la ville d’Abalak par exemple, ne permettrait d’entretenir que 9 000 UBT en moyenne sans tenir compte des surfaces cultivées soustraites à la surface total. Or dans le cas d’élevage sédentaire, c’est le minimum de cheptel qui doit être considéré et non la moyenne. Ce périmètre peut donc entretenir 4500 UBT au maximum. En outre, il faudrait pour cela exclure le passage des troupeaux mobiles, ce qui est illusoire et ne pourra pas être envisagé sérieusement par les Communes sans risquer des conflits sérieux. Les prérogatives cédées aux communes pour la gestion des RN ne permettent pas cette exclusion, mais des systèmes de taxes et l’établissement de règles complexes pourraient avoir le même effet. L’effet sur l’environnement serait négatif, perte de diversité, érosion, apparition de glacis, mais dans une moindre mesure que la mise en culture des mêmes espaces. En outre, cet élevage devrait être largement complémenté sur le plan alimentaire ce qui grève beaucoup sa rentabilité.

! Prévention et accompagnement. Les ex-pasteurs résidents conservent des liens avec leurs familles restées en brousse et leur cheptel effectue des aller-retour avec le système pastoral. Il est peu probable que le développement de l’élevage sédentaire devienne une menace pour l’environnement immédiat. Il est par contre indispensable que les Communes envisagent des schémas de vocation des espaces en 3 catégories, Agricole, pâturage villageois plus ou moins réservé et espace pastoral ouvert. Le pâturage villageois devrait être compris comme réserve de SS. Des limites à l’extension agricole devraient être posées par la délimitation claire des espaces destinés à l’agriculture, dans l’optique de conserver la dynamique économique pastorale de la zone, seul moteur de développement réaliste sous cette latitude. Les acteurs de la rédaction des PDL et schémas d’aménagement fonciers devront être rendus conscient de cette nécessité et disposer d’appuis techniques pour cette tâche. La coopération au développement n’est pas en mesure de proposer des solutions à long terme pour absorber la main d’œuvre excédentaire des centres urbains qui sera supérieure à la demande engendrée par l’accroissement, en raison de la faiblesse économique globale de cette population. Des solutions sont à trouver par la voie commerciale et par l’exode vers les villes ou l’étranger.

2. Sédentarisation sur les sites d’attaches avec le cheptel.

* Effets. L’effet serait en tout premier lieu la perte progressive de capacité de mobilité de ces pasteurs et ainsi leur plus grande vulnérabilité aux crises. En second ordre, ce cheptel serait moins productif, les ressources locales souffriraient de modifications de leur diversité botanique au détriment de la qualité fourragère et une érosion éolienne et hydrique seraient favorisées. Ceci est plus ou moins

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vrai selon les types de sols. L’installation des familles sur les sites d’attache n’est pas LA stratégie recherchée par les pasteurs, mais il reste possible que la part de pasteurs appauvris surcharge les sites. La difficulté de leur condition dans cette situation laisse toutefois penser que ce scénario est peu probable. On pourrait également craindre, avec la villagisation des sites d’attache, le souci de préserver le fourrage local et l’apparition de règles d’accès contraignantes pour les pasteurs allochtones. Dans la pratique, même si des tentatives de gestion exclusives devaient se manifester, et nous en doutons, il y a peu de chance qu’elles perdurent en raison de la difficulté de mise en œuvre, du risque de conflit, et surtout en raison de la nécessité de conserver des liens sociaux avec de multiples groupes pastoraux pour se garantir des solutions de repli dans les multiples situations de répartition des ressources fourragères que l’irrégularité du climat peut produire.

! Prévention. Le rôle des projets peut être déterminant afin d’accompagner le processus de reconnaissance des Terroirs d’Attache. La vulgarisation bien faite du texte concerné, l’accompagnement technique et financier des COFO dans cette tâche et surtout la formation des leaders de ces sites sur les potentiels et mécanismes écologiques de leurs zones permettra sans doute de voir le processus se développer dans les meilleures conditions et de prévenir les dérives pressenties sur le terrain.

3 Sédentarisation sur les sites d’attaches SANS le cheptel.

* Effets. L’installation sédentaire sur les T.A. a ses limites. Les personnes sédentaires doivent disposer de moyens d’existence. Le T.A. peut être une voie de secours pour quelques personnes démunies ou physiquement limitées pour la transhumance. Il peut être une voie permettant d’offrir un rôle nouveau à des personnes pauvres. Il existe un lien entre le nombre de personnes vivant au T.A. et les besoins de la communauté que le T.A. peut couvrir. Mais il ne peut devenir le secours social de toute une part de la population, cette dernière devant trouver des moyens d’existence. D’ailleurs, le développement des T.A. correspond à cette description pragmatique sur le terrain. Les familles présentes ont en général un rôle à jouer dans le processus et ne sont pas là par simple dénuement ou par simple renoncement à la mobilité comme on le croit trop souvent. La recherche d’appuis auprès des projets fausse le discours sur le terrain.

! Prévention. Le projet peut jouer un rôle de catalyseur des réflexions internes des groupes concernés pour prévenir d’éventuelles visions utopiques. De simples réunions bien planifiées avec les groupes sur la base de discussions en soirées pourraient être le point de départ de dynamiques internes sur le sujet dans le cas où un processus collectif de réflexion ne soit pas déjà engagé dans la communauté concernée (d’après nous, ces processus existent dans la plupart des cas). L’erreur serait de reculer davantage la prise de conscience locale en accompagnant des initiatives économiques sans lendemains, des activités non rentables ou en soutenant artificiellement l’économie de ces sites avec des actions de food for work ou cash for work sans autre utilité, telles les nombreux chantiers de demi-lunes, plantations d’arbustes et micro barrages que l‘on peut observer.

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4. Développement continu et disproportionné de l’élevage commerçant. Eleveurs commerçants et investisseurs éleveurs. * Effets. Les effets de ce scénario sont si évidents qu’on hésite à les mentionner :

- Prolétarisation de la société pastorale et appauvrissement. - Perte massive d’emplois et moyens d’existences dans la population. - Perte culturelle massive des pasteurs. - Accroissement des centres urbains sous effet de la pauvreté. - Diminution de la productivité du cheptel régional. - Gestion des ressources naturelles moins performante par perte de réactivité opportuniste des

multiples pasteurs traditionnels. - Apparition de conflits sociaux par stratification socio-économique. - Concentration de pouvoir économique et politique dans la main de quelques familles.

! Prévention. - Popularisation de la culture démocratique. Inverser la tendance actuelle qui amène à voter

pour les « puissants » et rendre la population consciente de ses propres intérêts à long terme. - Aider les Communes à identifier des règles d’accès et de taxation qui privilégient les pasteurs

à dimension familiale. - Accompagner les COFO techniquement et financièrement. - Accompagner les Communes et les Associations162 dans des démarches visant à relire,

amender, compléter les textes de Loi Foncière, de Gestion des RN et d’application.

5. Retards d’application ou application mal comprise des textes fonciers et des processus de la décentralisation. * Effets. La situation actuelle profite à ceux qui sont suffisamment informés et disposent de capitaux pour s’insérer dans les vides juridiques et les retards de mise en application. C’est ainsi que des investisseurs éleveurs parviennent à s’approprier des points d’eaux ou à en créer de nouveaux au détriment des usagers et à devenir des acteurs majeurs de la gestion des RN. Or, nous considérons que l’Etat de Droit doit servir à garantir à tous le moyen d’existence conformément aux Lois, même à ceux pour qui l’enrichissement à tout prix n’est pas la principale préoccupation, et que le sens du commerce n’est pas la seule qualité qui doit garantir le droit d’exister dignement. C’est également de cette manière que le défrichement agricole suit un développement non concerté voir anarchique et en violation des Lois sur l’Environnement. La perte de maîtrise d’accès et de gestion de l’espace pastoral par les communautés de pasteurs, engagée depuis les indépendances, conduit progressivement à un appauvrissement général de ces communautés, une perte globale pour les performances et la rentabilité de l’élevage et une plus grande pression sur les ressources naturelle disponibles.

! Prévention. Un effort considérable en terme de temps, de moyens, de ressources humaines et d’analyse participative doit être entreprit rapidement pour :

- Amener les communes à engager le diagnostic de leurs ressources naturelles. - Amener les Communes à définir de manière participative des plans de vocation des espaces

dans leurs périmètres immédiats, afin de composer au mieux avec les besoins d’extension

162 Au cas où elles décideraient enfin de s’informer sérieusement, d’engager réellement le dialogue avec leur base et de s’investir dans ce débat.

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agricole et le maintien des accès aux pasteurs. - Engager avec les communautés de pasteurs, des réflexions de fonds sur la question de

l’identification, de la vocation, et des réglementations réelles cadrant leurs terroirs d’attache là où les processus sont enclenchés.

- Promouvoir l’émergence d’un cadre inter-communal efficace pour la réflexion à long terme concernant d’éventuelles réglementations conjointes visant à privilégier le pastoralisme « familial » en tant que principal moteur économique de toute la région.

- Former les divers niveaux de décision à une vision globale de la question pastorale.

6. Crispation des règles d’accès sur les Terroirs d’Attache (exclusion). Ce scénario nous paraît peu probable, mais nous présentons tout de même son analyse.

* Effets. - Multiplication des règles d’accès et mise en danger de la mobilité pour les pasteurs

allochtones. - Apparition de conflits graves entre communautés. - Fragilisation de tout le tissu social. - Diminution importante de la productivité du cheptel et du nombre de cheptel pouvant être

entretenu sur le territoire des 5 Communes. - Dégradation des RN et érosion sur les zones à sols fragiles. - Grave perte de temps par expérimentation malheureuse avant d’engager des applications sages

et adaptées du principe de T.A.

! Prévention. - Engager avec les communautés de pasteurs, des réflexions de fonds sur la question de

l’identification, de la vocation, et des réglementations réelles de leurs terroirs d’attache là où les processus sont enclenchés.

- Fournir la formation adéquates aux leaders d’opinion des communautés de pasteurs afin de leur donner des outils d’argumentation en faveur du système mobile.

- Promouvoir l’émergence d’un cadre inter-communal efficace pour la réflexion à long terme concernant d’éventuelles réglementations conjointes visant à privilégier le pastoralisme « familial » en tant que principal moteur économique de toute la région.

Former les divers niveaux de décision à une vision globale de la question pastorale, par rapport à une vision plus analytique de la question de Droits d’usages sur les espaces pastoraux163. Les leaders d’opinions des communautés de pasteurs devraient aussi bénéficier de cet effort de formation en vue de faciliter leur communication avec les différents niveaux de décision et gestion.

______________________________________________

163 Il est étonnant dans le paysage administratif ou dans les cultures interne de développement des bailleurs et projets, de constater la persistance d’une vision dualiste réductrice entre propriété et droits exclusifs d’un côté et absence de règles d’accès de l’autre. Le fait que les droits d’accès puissent être différents à des moments précis de l’année et que la notion de priorité soit différente de celle de propriété peine à se concrétiser dans les débats. On constate aussi le peu d’écoute vers le discours unanime des pasteurs en faveur d’une plus grande capacité de gestion et décision, alors que les symptômes de cette perte de pouvoir sur les RN sont largement constatés.

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4.2.4. CARACTERISER LE PHENOMENE DE

SEDENTARISATION. La principale évolution sociale, celle qui marque le plus sûrement des changements notables dans le mode d’exploitation des ressources naturelles et les conditions d’accès aux services de base, est le phénomène de sédentarisation d’un nombre croissant de ressortissants de la zone pastorale. Volontairement, nous n’avons pas utilisé le terme de « sédentarisation des pasteurs », généralement employé, afin de nous démarquer dès le départ d’une désignation qui nous semble inappropriée pour décrire le phénomène, et qui engendre certaines confusions, puisqu’il suppose un renoncement à la mobilité du cheptel. Alors que la sédentarisation était autrefois souhaitée comme un progrès par la tendance technico-libérale et notamment par des courants forts au niveau de l'Etat, sur la base de postulats insuffisamment fondés sur le plan de l'écologie, elle est au contraire perçue aujourd'hui comme une menace. On a vu plus haut que la notion de terroirs d'attaches était souvent assimilée à sédentarisation et que la crainte de cette sédentarisation inhibait actuellement les soutiens des bailleurs à la reconnaissance des terroirs d'attache. Les points suivants devraient permettre de servir de base pour clarifier les mécanismes du phénomène de sédentarisation :

� La population d’origine « pastorale » a doublé depuis 20 ans. Une part difficile à estimer s’est exilée vers les grands centres urbains et à l’étranger, mais la majeure partie a cherché ses moyens d’existence sur place.

� Si cette population a doublé, le cheptel s’est aussi reconstitué mais dans les limites

supportables par les ressources naturelles. Le cheptel par famille est plus réduit qu’auparavant et les revenus ainsi que la marge de sécurité dégagés par le cheptel familial sont à la limite ou en dessous du seuil de viabilité pour la majorité des familles.

� Les besoins élémentaires des familles ont évolués vers le haut et pèsent davantage

sur un cheptel plus réduit. Les référentiels sociaux endogènes de niveau de vie ont subit des changements sans que le pouvoir économique familial ne puisse accompagner ces nouveaux besoins. Ces changements engendrant des nouveaux coûts sont alimentaires, vestimentaires, ou sont liés à l’usage d’objets courant venus de l’industrie au détriment de l’artisanat local ou de changements d’habitudes. Nous ne les listerons pas ici.

� L’Etat et les projets de développement ont fortement encouragé les pasteurs pour

accéder à des services de base tels que la scolarité, la santé.

� Depuis l’indépendance, et parfois encore de nos jours, le « développement » en zone pastorale se réduit à la création d’infrastructures, puits, forages, couloirs de vaccination, dispensaires, écoles, dépôts de stockage, marchés, routes….. Cette

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politique peut engager la villagisation des sites d’attaches des pasteurs dans certains cas.

� La notion de « mise en valeur » des terres reste encore largement perçue par la

seule mise en culture. Il s’agit d’un héritage des politiques d’urgence qui ont suivit les sécheresses avec les cultures de contre saison. Ainsi, les législations limitant l’ouverture de champs de culture dans la zone pastorale n’ont jamais été respectées. Pire, même le classement de la Réserve Totale de Faune du Tadress n’a pas empêché la mise en culture des bas-fonds, alors qu’en théorie, une autorisation de défrichement devrait être requise pour chaque parcelle auprès des services de l’environnement. Une large part des pasteurs appauvris s’est donc convertie à un agro pastoralisme qui induit un mode de vie sédentaire, puisque la saison culturale coïncide avec la saison de transhumance vers le Nord. Les stocks de fourrage de SS avoisinant la résidence prennent alors un statut stratégique nouveau qui engendre la tentation d’exclure les autres utilisateurs. L’affirmation de territorialité prioritaire est ici biaisée par une modification du mode de production et de vie.

� Les années de rébellion armée ont appauvrit notablement la majeure partie de la

population, par la perturbation sérieuse des systèmes économiques, et par l’insécurité civile générée par le conflit.

� La taille de certains points de résidence a fortement augmenté sous différents

facteurs. Le développement du trafic routier, la possibilité de cultiver, la création de services de base, de forages, une tendance plus ou moins marquée à a sédentarisation des tribus d’origines du site, etc……. Par exemple, on citera Abalak, Tabalak, Tamaya, Gabar-gabar, Teguirwit, Tegguidan tagueyt, Abourhaya, Sakabal.

� Certains points d’attache anciens et connus n’ont pas, à l’inverse, connu de

développement important, voir par du tout, de leur population sédentaire. Par exemple : Fagochia, Assassawas, In-Waggar, Toufaminir, Marakat, Assouman, Tegguidan Adrar, etc…

� Le nombre des sites d’attaches ayant fait l’objet d’implantation sédentaire même

très légère ces dernières années a augmenté fortement. Cela ne signifie pas qu’il s’agisse de véritable sédentarisation, le mot village étant souvent utilisé même pour quelques constructions sommaires. Dans l’espace délimité par le département d’Abalak, 86 nouveaux « villages » seraient ainsi recensés depuis 10 ans164. Une bonne partie d’entre eux ne sont composés que de quelques campements, 5 ou 6 cases en banco regroupés autour du puits et parfois d’une école nouvelle, permettant ainsi de scolariser les enfants pendant que leurs parents restent mobiles. La reconnaissance par le mot village est souvent induite par le souci d’une meilleure visibilité et n’a souvent pas de rapport avec une véritable installation sédentaire du groupe social.

164 Source : entretiens avec Monsieur le Maire d’Abalak et ses adjoints.

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� Le cheptel reste essentiellement mobile. Le nombre de familles pratiquant la mobilité toute l’année aurait même augmenté dans les différentes ethnies165 et bien qu’aucun chiffre issu d’études précises sur ce sujet ne puisse servir à le confirmer, l’observation de la zone pastorale peut sans difficulté l’accréditer.

4.2.4.1. Résumer le phénomène de sédentarisation. Le cheptel reste mobile d’une manière générale et l’on ne peut pas observer sur le terrain de tentative réelle de sédentarisation du système de pâture. Les débats avec les intéressés sur le terrain permettent de se rassurer sur ce point, les pasteurs sont conscients de la nécessaire mobilité de leur cheptel et ne sont pas à la recherche d’un système équilibré sur leur point de résidence. Il se peut toutefois, en pratique, qu’un certain niveau de cheptel stationne sur le site pour les besoins des résidents (vaches en lactation, petits ruminants, animaux de monte). Le processus de sédentarisation concerne, selon ces constats, deux axes principaux :

- Développement des centres villageois existants avec croissance forte de leur population par naissance, mais aussi par installation de pasteurs appauvris et parfois aussi de quelques pasteurs enrichis. Il s’agit ici d’un développement basé sur la micro économie locale ne permettant pas réellement un redressement économique des pasteurs appauvris. Cette croissance des villages induit également l’apparition d’un système de pâture permanent dans leurs pourtours, chaque famille détenant quelques UBTs.

- Affirmation territoriale sur les terroirs d’attache passant par l’installation de quelques

familles. Ce phénomène est très visible, car il est affiché de manière ostentatoire par ses acteurs (recherche de visibilité et développement de services de base), souvent décrit par eux avec maladresse (recherche de crédibilité en fonction des biais de communication dans l’interface avec l’Etat et les projets) et aussi parce que l’implantation de quelques constructions même sommaires dans une brousse auparavant « vierge » ne passe pas inaperçue et vient accréditer la thèse d’une sédentarisation.

Selon ces constats la sédentarisation en question ici n’est pas réellement celle des pasteurs, mais celle d’une part qu’on pourrait qualifier « d’excédentaire » de la population d’origine pastorale, si l’on prend comme point de référence, le système de production d’origine. Il s’agit essentiellement de 2 catégories de familles :

- Des pasteurs appauvris qui doivent trouver d’autres ressources, soit par l’agriculture, soit par le commerce ou les deux à la fois (cas du développement des centres villageois d’Abalak, Tamaya, etc…) soit en rendant des services de base à l’ensemble

165 Cette augmentation est le fruit de la croissance démographique des pasteurs et non pas le retour à la mobilité de certains sédentaires.

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de la communauté, tel que l’entretien des enfants scolarisés par exemple (cas des terroirs d’attache Peuls).

- Des leaders de communautés qui choisissent le principe de rester géographiquement

stables pour assumer mieux leur fonction vis à vis de l’administration et de la coopération au développement (Mieux défendre les intérêts de la communauté et mieux drainer les ressources possibles).

4.2.4.2. Risques du phénomène de sédentarisation.

4.2.4.2.1. Risque social dans les agglomérations. D’une part , la vie sédentaire modifie considérablement les paramètres sociaux et les référentiels de niveau et mode de vie. Avec le temps et dès la seconde génération, les ressortissants des communautés pastorales se différencient notablement de leurs parents restés pasteurs par la perte de la connaissance pastorale de base, la recherche d’autres idéaux, les changements majeurs dans les habitudes de vie, la multiplication des moyens de survie qui nécessitent la recherche de nouvelles compétences, et surtout l’apparition de nouveaux besoins. Vivre à Abalak ou In-Gall, par exemple sans accéder à l’électricité, à la télévision, à l’eau courante, sont vécus comme les symptômes d’une pauvreté relative. Dans la vie pastorale, d’autres formes de confort quotidien sont là pour pallier à ces lacunes et sont perçues comme très importantes. On citera la disponibilité du lait, certains avantages de la vie en brousse comparés à l’insalubrité et la promiscuité des villes, les rythmes liés à ceux des troupeaux, ainsi que bien d’autres conforts et satisfactions de vie qu’il est difficile de décrire ici car ils sont souvent tenus pour négligeables dans le milieu du développement et le milieu administratif, n’entrant pas dans l’indice de niveau de vie. Par ailleurs, les règles sociales se déprécient par la vie sédentaire et par la perte de contact avec le milieu d’origine, et tombent progressivement dans l’oubli. D’autre part , ces villageois d’un genre nouveau sont pauvres et doivent lutter pour trouver des moyens de survie. L’agriculture pluviale reste aléatoire sous ces latitudes et malgré tout, cette voie est tentée par presque tous dans les agglomérations concernées au Sud du 16 ème parallèle. La mise en culture des bas-fonds pour des productions de contre saison, courges notamment, est plus intéressante, mais demande plus d’investissement en main d’œuvre et les zones d’accueil de cette activité restent limitées. Par ailleurs, ces solutions « agricoles » pénalisent gravement le système pastoral et ne doivent en aucun cas être encouragées ni favorisées d’aucune manière, si l’on est à la recherche de stratégies de développement durable pour la zone pastorale. Déstabiliser davantage le système pastoral ne permettra pas de décongestionner le problème de la démographie et des besoins croissants de la population, bien au contraire. L’activité commerciale est une voie évidente qui attire tous ceux disposant d’un petit capital ou de crédits, mais sans une couche sociale aisée, les possibilités de développement et de diversification du commerce local sont très limitées. C’est en outre l’activité pastorale qui est le moteur de toute activité commerciale dans ces zones, par les flux de capitaux drainés par le marché à bétail et les besoins de consommation des pasteurs.

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Le développement de l’artisanat et du tourisme semble peu probable, les attraits touristiques de la zone pastorale ne pouvant pas concurrencer ceux d’autres régions, notamment de l’Aïr. La vision de l’avenir pour cette catégorie de sédentaires qu’on pourrait qualifier « d’ex pasteurs » est très sombre. On rejoint ici toute la problématique de la nation, marquée par la quasi absence de développement industriel capable d’absorber une main d’œuvre croissante venue du monde rural, ou générant avec lui la croissance des autres secteurs, ainsi que la faiblesse des échanges commerciaux.

4.2.4.2.2. Risque écologique. Potentiellement, le risque écologique est lié principalement aux besoins de bois de chauffe, à l’extension des surfaces cultivées et à une pression accrûe de bétail sédentaire dans le périmètre des agglomérations. Les mécanismes sont engagés en ce qui concerne l’extension des surfaces de cultures et le défrichement de terres fragiles. L’apparition de glacis dans les zones cultivées, les défrichements importants des bas-fonds avec abattage de grands arbres, les litiges courants engendrés par la mise en culture des bas-fonds et la perte d’accès des pasteurs, sont là pour présager l’apparition de problèmes sérieux et de conflits dans les 10 ans à venir si des mesures de gestion durables ne sont pas mises en oeuvre dès aujourd’hui. En ce qui concerne la pression de pâture, cette question est pour l’instant mineure sur le plan écologique, même autour des centres urbains où le bétail est nombreux. Il se pose un problème d’accès et de gestion des règles d’accès, mais l’environnement au plan strictement écologique n’est pas menacé par la pâture sur ce type de sols sableux. _________________________________________________________________________

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5.5.5.5. Le pastoralisme sahélien, plus Le pastoralisme sahélien, plus Le pastoralisme sahélien, plus Le pastoralisme sahélien, plus

dynamique que jamais.dynamique que jamais.dynamique que jamais.dynamique que jamais.

5.1. L' AFFRONTEMENT DES IDEES.

5.1.1. L’ETAT ET LES BAILLEURS…. PEU D'AVANCEES CONCEPTUELLES.

(Une partie de ce texte reprend celui de la page 109, mais ce rappel nous semble utile à ce stade). L'affrontement d'idées et de perception du pastoralisme sahélien depuis les temps coloniaux est exacerbé à l'extrême. On n'observe pas de phénomène d'oppositions d'idées aussi tranchées par rapport à l'agriculture, à la pêche, à l'artisanat ou concernant tout autre secteur d'activité des sociétés sahéliennes. Nous avons beaucoup insisté sur l'historique de ces perceptions durant la période coloniale car nous pensons que les positions actuelles continuent d'en dériver. On a vu comment, dès l'époque coloniale, certains administrateurs civiles ou militaires, développent une vision réductrice et dévalorisante des pasteurs, ou au contraire, saisissent intimement les fondements de la mobilité et sa nécessité pour l'adaptation aux conditions climatiques particulières. On a vu comment les pasteurs sont décrits tour à tour comme des être irrationnels sans aucune logique, ou au contraire comme des peuples admirablement adaptés et spécialisés, seuls capables de valoriser les immenses espaces du Sud du Sahara à l'échelle d'un continent. La tendance socio-écologiste domine durant une grande partie de l'époque coloniale, soit à partir de la période où le Niger est un territoire colonial avec une administration civile, depuis 1922. Les tentatives de la vision technico-libérale, se limitent à des expériences en stations. L'administration agit de son côté avec bon sens en développant une politique d'hydraulique pastorale bien adaptée à la réalité et conforme aux objectifs de développement des pasteurs. A l'indépendance, voir quelques années avant, la tendance se renverse et les visions technico-libérales dominent à la faveur des ambitions de modernisation et sous la très forte poussée de la recherche agrostologique qui a besoin de champs d'expérience et de financements pour exister. Les sécheresses servent d'argument pour revenir à une vision dévalorisante des pasteurs, alors que tout est là pour démontrer au contraire, de la pertinence de la grande mobilité pour faire face aux aléas climatiques. C'est l'époque des forages à haut débit, de l'accès libre à la zone pastorale, mais aussi des tentatives de gestion administrative des zones de fourrage et de la recherche du modèle de gestion des pâturages.

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A partir des années 1990, la confrontation devient très vive lorsque les bailleurs se décident à revenir financer le secteur pastoral. La tendance socio-écologiste semble dominer grâce au poids de certains chercheurs qui ont le courage de faire des publications à contre courant (Thébaud, Behnke et Scoones, etc…) mais en lames de fonds, des velléités de moderniser le secteur élevage sur des bases totalement commerciales et techniques agissent et s'implantent sur le terrain. Aujourd'hui, rien n'est clarifié chez les experts et les bailleurs. La question de la valeur ou de l’hérésie du principe de "terroirs d'attaches" continue à diviser les experts et nous avons semble-t-il défendu cette position en vain dans nos dernières études pour la GTZ, tant le courant d'opposition était fort pour dépeindre cette innovation juridique comme sonnant le glas de la mobilité. La tendance socio-écologique, après avoir réalisé l'exploit de faire reconnaître la valeur du pastoralisme et de sa haute productivité économique, s'est centrée sur les questions de gestion conjointe des ressources naturelles, sur les débats sans fin concernant les législations, balayant d'un revers de main dédaigneux toute les améliorations que l'aide au développement pouvait réaliser en sécurisation du système, sur les plans économiques et techniques. L'approvisionnement en médicaments vétérinaires pour les éleveurs par exemple est un sujet mort et enterré depuis plus de 10 ans, hormis les tentatives timides de la coopération française pour promouvoir le secteur vétérinaire privé, ce qui n'est pas exactement la même chose. Réaliser des puits là où se serait nécessaire et utile pour décrisper des situations conflictuelles, reste un investissement d'exception, et on peine à susciter ce débat, comme si on n'avait seulement retenu dans les sphères de décision, que "l'hydraulique pastorale génère des problèmes ". On garde le sentiment, sur le terrain, que tout continue de fonctionner par effets de modes et vagues de concepts. Cette impression est d'autant plus vive que le thème pastoralisme est devenu lui-même une mode. Si dans les années 90, on recommençait à mentionner timidement les pasteurs dans les documents de projet comme des groupes marginaux et vulnérables, certains des projets affichent clairement aujourd'hui leur dimension de projet pastoral, même s'ils n'interviennent sur aucun des paramètres de production. En filigrane, au Ministère des Ressources Animales, la tentation de favoriser les gros commerçants considérés comme plus rentables économiquement, reste de mise. Récemment, dans le cadre d'une rencontre entre le Chef de l' Etat et les organisations paysannes, la "commission élevage" retient dans ses conclusions, la nécessité de favoriser l'émergence des ranchs privés, de former les éleveurs aux nouvelles techniques d'élevage et aux techniques intensives (sans bien sûr mentionner lesquelles), et sensibiliser les éleveurs par le biais de leurs associations en vue d’une meilleure exploitation de leurs troupeaux et d'adapter l’effectif à la capacité d’entretien166. Les mêmes discours reviennent de manière incessante alors que le système pastoral a amplement démontré sa performance, notamment en survivant à une récente année de sécheresse et de grave crise fourragère suite à la mauvaise pluviométrie de 2004.

166 MRA, rencontre du Chef de l'Etat avec les organisations paysannes. Rapport de la commission élevage. septembre 2005.

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5.1.2. LES COMMUNES RURALES… OUTIL A DOUBLE

TRANCHANT. La décentralisation et la création des Communes vient aujourd'hui complexifier encore davantage le débat. La Commune peut être un espoir de revenir à un bon sens qui privilégie l'intérêt collectif, ou au contraire représenter une ultime menace pour la mobilité. Dans les Communes agricoles du Sud, la nouvelle valeur monétaire de la terre agricole, la démographie, les intérêts individuels influents dans les conseils communaux, sont des enjeux majeurs à côté desquels le souci de préserver le système pastoral national est de peu de poids. Ceci est encore renforcé par le fait que le cheptel de la zone agricole a fortement augmenté et consomme également de l'espace… le peu qui reste entre les vastes étendues de monoculture pénicilaire. Jusqu'ici, la gestion centralisée des ressources naturelles sur des textes nationaux servaient seule de référence. Les entraves diverses à la mobilité du cheptel se heurtaient tout de même à des instances locale de l'administration centrale. Avec les Communes et les Plans d'Aménagement définis par les conseils communaux, le risque est grand de voir les espaces pastoraux du Sud disparaître. Certes, ces plans Communaux devront être en accord avec des plans au niveau régional, mais ces derniers seront probablement trop globaux pour inclure les particularités locales. La tentation de faire payer le pâturage aux éleveurs est également là, et des tentatives ont déjà eu lieu dans le Département de Zinder depuis 2001 ( C'est l'administration centrale qui est intervenue pour annuler ces règles édictées unilatéralement par des communes ). Au moment de cette rédaction, il n'est pas encore possible de dire clairement si les Communes auront tous les pouvoirs pour définir des vocations aux espaces de leur territoires ou si des textes plus généraux serviront de "garde-fous". C'est le texte de la Charte Pastorale, en cours de définition, qui devrait permettre d'établir le lien entre les textes du Code Forestier, du Code Rural, et permettre de clarifier les rôles et les prises de décision subsidiaires des différents niveaux de la nouvelle organisation administrative décentralisée du Niger concernant les espaces pastoraux enclavés dans le Sud. Dans les Communes pastorales du Nord, nous avons constaté dans notre dernière étude de 2005, une tendance au repli et au leadership d'une aristocratie commerçante qui dessert l'intérêt général. Mal informés et mal préparé à leur rôles, les conseillers communaux seront chargés d'établir des plans d'aménagement de l'espace territorial communal, avec les cadres des services techniques de leur Commune. Or, les lobby commerçants sont bien représentés dans les instances communales et ils ont à leur côtés des Chefs de Groupement qui sont parfois plus proches des commerçants et de leurs intérêts familiaux immédiats, que de leurs administrés. Curieusement dans notre vaste enquête de 2005, le discours était radicalement différent entre les pasteurs et leurs représentants ou les notables. Pour les notables, Conseillers Communaux, Chefs de Groupement, la stratégie du chacun chez soi prévalait largement. Interdire ou limiter l'accès des autres éleveurs au territoire

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communal, introduire des taxes de pâturage, promouvoir un "élevage moderne" ( et toujours cette question…..lequel ?). Pour les éleveurs eux-mêmes, donc ceux qui correspondent au schéma de l'écrasante majorité, la cellule familiale de base intégrée au groupe clanique élargi, la vision est très différente. S'ils sont conscients des problèmes actuels, ils ne stigmatisent pas pour autant les éleveurs des autres départements venant transhumer chez eux…. puisque eux-mêmes ont besoin aussi de pouvoir se déplacer ailleurs. L'idée d'introduire des paiements pour le pâturage ou des limites aux déplacements leur fait plutôt peur au contraire. Pour eux, se sont les commerçants qui devraient faire l'objet de restrictions sévères et leur souci sera de voir reconnaître leurs terroirs d'attache afin de pouvoir se protéger en premier lieu….des commerçants et des notables. Une question se pose alors ? Pourquoi élire ces mêmes commerçants comme Maires des Communes ou Députés ? C'est l'un des travers de la démocratie nigérienne et nous n'avons pas la réponse. Et les Communes rurales pastorales devront aussi établir des plans d'aménagement. Elles devront s'engager dans des concertations " supra communales" afin de traiter les questions de mobilité des troupeaux à l'échelle correcte qui dépasse le territoire d'une seule Commune. Il s'agira de se concerter avec les Communes du Sud concernant l'accès des troupeaux "agricoles" dans le Nord, l'accès aux résidus du cultures et les dates d'ouverture des champs, etc……. Les ambitions qui reposent sur ces Conseillers Communaux sont grandes, très grandes….. alors que leur compréhension du système pastoral reste trop souvent caricaturale, gangrenée de nombreux préjugés et teintée d'admiration pour les système des grands commerçants qui impressionnent facilement le monde rural avec quelques étalages de richesse ou de technologie (le téléphone portable satellite du réseau Turaya par exemple, représente un véritable mythe dans les zones pastorales.). Notre proposition au projet GTZ, pour tenter de surmonter ces graves difficultés de communication sur le terrain et espérer aboutir à des plans plus ou moins cohérents, reposait sur un vaste plan de formation des élus locaux, des Chefs traditionnels et de leaders des associations d'éleveurs. Cette formation a été mise au point dans ce but, livrée avec un montage de 190 diapositives power-point et un document de formateur et nous avons l'espoir que la GTZ trouvera les moyens de la mettre en œuvre. Elle a été testée pour l'équipe GTZ à Agadez en mars 2005. __________________________________________________________________________

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5.2. RESISTANCE ET ADAPTATION DU SYSTEME. Parfois avec l'aide de la coopération au développement, parfois malgré elle, le monde pastoral a évolué et trouvé des voies d'adaptations aux circonstances. En cela, il est extrêmement dynamique. Nous voulons démontrer aux points suivants, comment les pasteurs ont traversé ces effets de modes des bailleurs, comment ils se sont adaptés à leurs visions pour en tirer avantage, comment ils tentent actuellement de tirer parti des nouvelles législations. Enfin, on verra qu'aucune des deux tendances technico-libérale ou socio-écologiste décrites ne détient la vérité à elle seule, la vision socio-écologiste agissant également comme un frein dans certains cas. _________________________________________________________________________

5.2.1. MAINTIENT DE LA MOBILITE ET DES SYSTEMES

D'ACCES AUX RESSOURCES. Pendant que les administrateurs coloniaux, puis les agrostologues et les politiques des années 60-70 débattaient de la pertinence de maintenir la mobilité du cheptel et des hommes, puis cherchaient des modèles de gestion des pâturages à grands frais, un million, puis un million et demi de pasteurs ont continué à assurer l'alimentation du cheptel national de près de 4 millions et demi d' UBT avec leurs propres méthodes. Ces méthodes furent plus tard reconnues comme performantes à la suite de la crise paradigmique des années 80-90, et la notion de "mobilité opportuniste " popularisée par Scoones et Behnke permit de mettre un nom sur le vaste réseau de mouvements pastoraux que l'on dût se résoudre à ne pas pouvoir contrôler et gérer. Durant la période coloniale, le plan FIDES permit à l'ensemble du monde pastoral de se repositionner dans l'espace à la faveur de la pacification nouvelle grâce au vaste réseau de puits cimentés que l'Etat attribuait formellement à des groupes données en leur confiant ainsi une gestion de l'espace conformément à leurs systèmes et leurs capacités. Quand cette politique changea et que les puits cimentés à haut débit et forages furent publiques, les pasteurs continuèrent là où c'était possible, de faire jouer les droits et alliances et développèrent un vaste réseau de puits non cimentés, partout où la nappe du continental intercalaire était accessible afin de pouvoir continuer à mettre en œuvre une gestion censée de pâturages. Les experts finirent par se convaincre de l'impossibilité de mettre toute la zone pastorale en coupe réglée par un réseau de forages. Durant ces trois décennies, le cheptel national de la zone pastorale fût abreuvé et les pâturages consommés, et les populations sédentaires approvisionnées en viande par les marchés. Lorsque dans les années 90, de nouveaux textes de Loi vinrent permettre d'imaginer la construction d'une nouvelle vision de la tenure foncière en zone pastorale, les pasteurs

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avaient eux-mêmes engagé une stratégie qui anticipait ces textes. La stratégie en question allie une meilleure visibilité sur des sites définis qui deviennent des bases de services collectives, avec une amplitude de mobilité de plus en plus grande et variée à la faveur de la multiplication des alliances. Cette stratégie s'est poursuivie sans relâche depuis 1985 et aujourd'hui, la multitude des sites qui pourraient disposer d'un statut de terroir d'attache ressemble à l'aboutissement d'une stratégie collective que nous qualifions d'Historique. Ce n'est que les doutes des projets et experts, qui retardent encore la reconnaissance de ces sites par les textes, et de faire la jonction entre le travail des juristes de l'Etat et la stratégie pastorale. La tendance socio-écologiste redoute que cette stratégie ne soit une sédentarisation. Cette crainte est renforcée par la complexité du débat sur le terrain, les pasteurs supposant toujours que les experts du développement les encourage à réduire le cheptel et à se sédentariser, ils leurs servent ce discours standard ce qui génère beaucoup d'incompréhension. De la même manière, la "pastoralisation" de nombreux pasteurs dans les années 30 n'avait pas été relevée en son temps, ni la stratégie de multiplication des points d'eaux mentionnée par P. PARIS. La stratégie de marquage territoriale pour préserver la mobilité n'est actuellement pas comprise. L'Etat et les bailleurs ne parviennent actuellement pas à s'accorder au mouvement de base alors que les textes qui s'y adaptent ont été concoctés par eux. Cette situation de statut quo fait le jeu des commerçants investisseurs en bétail. Seul le flou juridique actuel leur permet d'exercer leur activité en violation de règles d'usage que l'on ne parvient plus à faire respecter, et avec des faveurs d'exception, comme les droits de fonçage de puits abusifs ou l'attribution et la vente d'ouvrages publiques, appartenant à l'Etat. La tendance à vouloir promouvoir le ranching n'est qu'une façade. Les exemples actuels le montrent, tout le monde sait que le ranching n'est pas applicable, y compris ses défenseurs. Derrière cette fausse croyance, c'est la possibilité d'attribuer de vastes espaces pour le seul usage des commerçants qui est le véritable enjeu. Disposer d'espaces réservés tout en accédant aux espaces collectifs, voilà bien la stratégie des investisseurs qui leur donne une position de force. Les éleveurs continuent pourtant à régler entre eux leurs stratégies d'accès et finissent par intégrer parfois ces investisseurs et à en tirer parti167. "L'opportunisme de leur gestion" est encore plus performant que ne le croyait Scoones. ________________________________________________________________________ 167 Eléments de stratégie pour la gestion durable des RNs, R.Hammel, LUCOP-GTZ, 2005.

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5.2.2. EVOLUTION DES SYSTEMES D'ECHANGE ET STRATEGIES COMMERCIALES.

S'il a fallut attendre le projet NRLP dans les années 70-80 pour que l'on commence à s'intéresser au système de production et d'échange des familles de pasteurs et à en relever la performance, ces dernières n'en ont pas moins été le moteur des échanges commerciaux des deux tiers du territoire national en amenant leur bétail sur les marchés, depuis le début du siècle. Des stratégies commerciales particulièrement efficaces ont été développées par le milieu Touareg du Nord en direction de l'Algérie168 et de la Lybie en jouant sur l'inconvertibilité des monnaies et les fortes demandes en produits de consommation, par le biais de caravanes et d'échanges de produits contre le bétail. Ces pratiques commerciales restent encore illégales, le statut légal d'exportation étant réservé à des cercles de commerçants très restreints. Une grande part du bétail de commerce du Nord est malgré tout écoulé par cette voie. Vers le Sud, les Peuls ont ponctuellement créés des noyaux d'organisation informelle pour vendre leur bétail au Nigéria, en contournant ainsi les multiples intermédiaires nigériens. Aucun soutien à ces initiatives n'a jamais pu être accordés par des bailleurs de fonds, même ceux qui prétendaient travailler sur les filières, tel le récent projet de promotion des exportations agropastorales. Jusque dans les années 70, les femmes Peules Wodaabés louait leur force de travail dans les villages haoussas du Sud en saison sèche en échange de mil, quand la situation était dure169. On connaît le développement de cet exode à partir des sécheresses, qui mena des milliers de ces femmes vers les pays de la côte pour la vente de médicaments de brousse, profitant de la crédulité des habitants de ces pays qui leur attribuaient des pouvoirs surnaturels. Ce commerce qui nécessitait l'abandon du foyer familial durant des mois et comportait tous les dangers, a certainement permis aux Wodaabés de traverser les périodes de crise et de reconstituer leur cheptel, davantage que toute les aides réunies. Enfin, les pasteurs se sont également illustrés dans une adaptation aux mécanismes d'aide des différents projets, puisque l'aide ne s'adaptait pas à leurs réalités. Capter les quelques miettes de l'aide arrivant effectivement sur le terrain se révèle une stratégie de survie dans certains cas et contribue à maintenir les groupes en position de continuer économiquement leur activité. La mode étant aux banques céréalières, tout le monde en demande. Quelques centaines de milliers de CFA se retrouvent ainsi injectés dans le système d'un groupe restreint aux périodes de crises à la faveur de détournements ou de dilapidation de fonds de roulements. La disponibilité d'un sac de mil par famille justifie-t-elle le maintient sur place d'un comité, d'une gestion fastidieuse ? Si les circonstances l'exigent, des contraintes autrement plus urgentes assaillent les pasteurs qui n'hésitent pas à reconvertir ces sommes

168 Rapport d'impact et d'évaluation. Eléments pour une stratégie sécheresse dans la Réserve Aïr Ténéré. R. Hammel. UICN, 1991. Nous avons chiffré les paramètres de ce commerce et soutenu en vain les demandes de reconnaissance par l'Etat. 169 Illustrations de la vie pastorale. Histoire de Baleiri à travers les deux sécheresses. R.Hammel. AREN, 2001

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immobilisées pour la survie immédiate. Chaque année de crise le démontre et nous avons aussi dû l'apprendre à nos dépends sur le terrain. Autre exemple de gestion opportuniste. Citation: " Quand tout va bien, les pasteurs n'ont guère besoin de nous. Quand tout va mal, ça nous dépasse et on ne peut rien faire pour eux." Patrick Paris.

5.2.3. AGRO PASTORALISMES, EXODES ET STRATEGIES DE CRISES.

L'agropastoralisme de circonstance a été admirablement étudié et décrit par Angelo Maliki Bonfiglioli dans tout son apport au long de sa carrière. En dessous du seuil de viabilité pastorale, qu'il défini à 3,5 UBT par Equivalent Adulte, il est nécessaire de couvrir une partie au moins des besoins en céréales de la famille pour limiter la décapitalisation du cheptel, voir pour retrouver le niveau de viabilité. Cela peut prendre des années, voir deux générations dans certains cas. Cette stratégie a de tout temps été celles des pasteurs. Nous avons pu suivre quelques groupes Wodaabés à partir de 1989, qui avait consenti à cette stratégie durant quelques années dans la partie agricole du département de Maradi et qui commençaient à se diriger à nouveau vers la zone pastorale pour une "repastoralisation" d'une partie du groupe. Ici, l'Etat aidé des ONGs a su proposer des alternatives utiles à nombre de pasteurs après la sécheresse de 1973 et celle de 1984. _________________________________________________________________________

5.2.4. RECUPERATION DES INNOVATIONS UTILES. Parmi les nouveautés offertes par l'aide au développement, la technique et le commerce, quelques innovations utiles ont pu servir le système pastoral et être récupérées volontairement. Elles sont des modernisations du système, que les pasteurs eux-mêmes ont estimées utiles et productives. Nous limiterons ici à la plus importante, l'usage des médicaments vétérinaires et des vaccins. Si les auxiliaires formés dans les années 70 et 80 par les grands projets n'ont pas poursuivis leurs activités, le milieu pastoral ne s'est pas moins débrouillé pour disposer de produits de traitements. Bien que leur détention et leur usage soit strictement limité par la Loi aux agents d'élevage et vétérinaires, les médicaments de base efficaces circulent en brousse. Les antibiotiques injectables sont les seuls traitements efficaces contre les mammites, les pneumonies, les panaris, les infections graves, et accessoirement le charbon bactéridien s'il est traité à temps.

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Les vaccins contre les deux charbons, qui ne nécessitent pas de chaîne de froid, peuvent également être utilisés facilement par les pasteurs. D'ailleurs, durant les campagnes de vaccination de l'Etat, les pasteurs constituent largement la main d'œuvre des vétérinaires qui n'effectuent pas eux-mêmes les injections. Approcher ces animaux dangereux qui se débattent pour échapper à la piqûre est affaire de spécialistes. Pourtant, malgré la démonstration du bien-fondé170 d'un assouplissement de la Loi pour autoriser les pasteurs dûment formés à pratiquer les injections, la profession vétérinaire résiste avec la plus grande énergie. Alors que dans le pays, le commerce des médicaments humains fait l'objet de toute les contrefaçons et trafic sur la rue dans l'indifférence générale, le médicament vétérinaire est extrêmement protégé, et ce, avec l'appui de la profession vétérinaire des pays du Nord (Une récente conférence internationale électronique organisée par le CIRAD sur le sujet a enlevé toute illusion sur un prochain progrès dans ce sens). Il faut pourtant que 4, 8 millions d'UBT dont les trois quarts en tout cas, se trouvent hors de portée des vétérinaires et services de l'élevage, puissent être traités contre des affections bénignes et vaccinées contre une des principales sources de mortalité, le charbon. Le commerce parallèle est donc le seul à pallier cette contradiction. _______________________________________________________________________

6.6.6.6. Conclusion.Conclusion.Conclusion.Conclusion.

6.1. RECONNAISSANCE DE LA RENTABILITE ECONOMIQUE ET SOCIALE DE L'ELEVAGE FAMILIAL…?

L'élevage pastoral familial, sur la base de l'organisation tribale, reste la formule dominante de l'élevage au Niger, et sa rentabilité n'a jusqu'ici, pas été égalée. Par rentabilité, nous voulons soutenir deux angles de vue :

- Le coût de production global d'un animal présenté sur le marché. C'est la rentabilité économique.

- Le nombre de personnes trouvant leur moyen d'existence par l'élevage ainsi que toute la dynamique économique des régions Nord du pays. C'est la rentabilité sociale.

170 Notamment avec les premières vaccinations par des éleveurs en 1989-90. VSF-Maradi et à travers le réseau d'auxiliaires du PAAPB, 1998-2001.

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La rentabilité peut être vue sous un angle différent, lorsque les troupeaux des commerçants produisent pour une exportation basée sur des liens commerciaux directs avec des opérateurs économiques des pays du Maghreb ou de la côte d'Afrique de l'Ouest. Ces exportations directes d'un bétail produit par les troupeaux naisseurs des commerçants nigériens ne représentent qu'une infime partie des exportations. Celles-ci sont essentiellement composées du bétail né et élevé par les pasteurs ou de bétail né chez les pasteurs et transitant quelques mois dans les troupeaux commerçants. Par ailleurs, ces connexions commerciales seraient utilisées avec plus d'avantage par un système de collecte qui vise à l'écoulement du cheptel et non au seul profit de quelques personnes. La supériorité de l'élevage pastoral par rapport à l'élevage sédentaire a, elle, été mise en évidence par le PENCE puis par Colin de Verdière171 (Ce dernier a suivi des troupeaux de trois systèmes différents durant plusieurs années, allant jusqu'à pratiquer des pesées régulières du bétail). La spécialisation des pasteurs et leur performance reconnue, les bailleurs de fonds et l'Etat restent malgré tout dans une position d'expectative quant aux appuis que l'on pourrait fournir à ce système. D'une part, il faut tenir compte d'une "ignorance optimale" à tous les niveaux. Les décideurs au niveau des bailleurs de fonds sont rarement imprégnés de la réalité pastorale. Pareillement, au niveau des cadres de l'Etat, un certain nombre de faux postulats perdurent dans la culture interne de l'administration. La tentation de mettre en place des "innovations" ou des expériences déjà maintes fois tentées sans succès est grande. La mémoire collective de l'histoire des politiques de développement de l'élevage semble fonctionner très difficilement. L'Etat continue, en tout cas dans ses affirmations écrites et ses discours, dans la définition de ses stratégies, si ce n'est par des mesures concrètes, à prôner l'émergence d'un élevage d'investisseurs privés. Certains bailleurs peu scrupuleux ou mal influencés pourraient s'engager encore dans le soutien à ce type d'investissement. ___________________________________________________________________________

171 Conséquence de la sédentarisation de l’élevage pastoral au Sahel. Etude comparée de trois systèmes agropastoraux dans la région de Filingué. Niger. Patrick Colin de Verdière. Thèse de doctorat CIRAD, 1998.

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6.2. RECONNAISSANCE DE LA MOBILITE

OPPORTUNISTE COMME MEILLEUR OUTIL DE

GESTION ?

Depuis Scoones et Behnke, la mobilité est reconnue comme l'outil de gestion pastoral au Sahel et on admet sans réserve que les entraves aux mouvements des troupeaux sont un facteur limitant grave de production. Les expériences de la GTZ au Ferlo au Sénégal, visant à développer un élevage sédentaire en parcelles, donc un ranching affirmé sur la base de calcul de charge, ont servi, par leur échec après 15 années, à démontrer encore la valeur du système pastoral172. Pourtant, le ranching est toujours présenté par l'Etat comme un modèle d'avenir, contre toute logique. Il est clairement établi, à la suite des sécheresses et des années de crise fourragère, que la zone agropastorale et la zone agricole font partie du système global national de l'élevage, et que les accès à ces zones doivent être maintenus en année favorable, et représentent une stratégie de survie en année de crise. Pourtant, cette année encore, des troupeaux sont morts faute d'avoir trouvé des accès facilités suffisamment tôt en zone agricole. En année de crise, que représente une récolte aléatoire de céréale à côté de la survie du cheptel ? L'année suivante, les champs produiront leur niveau potentiel si les pluies sont satisfaisantes, alors que le cheptel mettra des années à retrouver son niveau de production initial (voir le tableau sur la reconstitution du cheptel dans le document de référence technique). Bien que l'on s'attache depuis quelques années à sécuriser les couloirs de transhumance et à faciliter le passage des frontières par des accords entre pays CEDEAO, les accès aux ressources fourragères au Sud de l'isohyète 400 mm restent problématique et sujet à toute sorte de tracasseries. _________________________________________________________________________

172 Inventaire et suivi de la végétation dans le périmètre expérimental de Widou Thiengoly dans le cadre du projet Sénégalo-Allemand PAPF. Rapport final. GTZ. Sabine Miehe. 2002. Vers une reconnaissance de l'efficacité pastorale traditionnelle. Les leçons d'une expérience de pâturage contrôlé dans le Nord du Sénégal. B. Thébaud, Herman Grell, Sabine Miehe. IIED, dossier N° 55. avril 1995.

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6.3. RECONNAISSANCE DU POUVOIR DE GESTION DES RESSOURCES PAR LES PASTEURS…?

Si depuis les années 80, on admet que la politique d'hydraulique publique et d'accès libre n'était pas une bonne solution parce qu'elle dépossédait les pasteurs de droits de gestion positifs et utiles à la collectivité, on n’a pas pour autant, dans la pratique, accepté le fait que cette gestion pourrait leur être effectivement remise. Malgré la disponibilité de textes, notamment celui sur les terroirs d'attache, tous les milieux font traîner le débat en longueur, de crainte que les pasteurs ne fassent mauvais usage de ce pouvoir de gestion. Les bénéficiaires de cette situation de non décision et de non application des textes sont les investisseurs privés, qui peuvent ainsi louvoyer entre des règles coutumières affaiblies et des règles modernes non appliquées, pour s'implanter avec de plus en plus de pouvoir dans la zone pastorale173. Le milieu pastoral a pourtant fait la preuve de sa capacité d'adaptation en anticipant à plusieurs reprises les stratégies de sa survie. Par ailleurs, les craintes des uns et des autres sont parfaitement injustifiées puisque le milieu pastoral a augmenté son amplitude de mobilité depuis 30 ans et multiplié l’accès à des zones diverses par dynamisation des alliances entre groupes ethniques. Les seuls à souhaiter la fermeture et l'immobilisme du système pastoral sont les investisseurs en bétail, qui tablent leur stratégie sur la possibilité de disposer d'espaces réservés à leur seul usage tout en accédant aux zones sur lesquelles personnes ne peut revendiquer de droits.

6.4. DEPASSER LA CRISE DE CONFIANCE. La coopération au développement aurait-elle perdu toute confiance dans sa capacité de décision ? Les projets en zone pastorale ou ayant en titre une mention à l'élevage ou à la gestion des ressources pastorales, peinent à se définir des axes de travail qui les mettent en position d'avancer pratiquement. Même les projets qui visent à soutenir la mise en place des Communes peinent à prendre en charge le fonctionnement des Commissions foncières, ne se positionnent pas sur le sujet des terroirs d'attache, et se retranchent prudemment derrière l'éventuelle prise de décision ultérieure des Communes, alors que celles-ci ne parviennent déjà pas à avoir une vision claire de leurs terroirs et des enjeux locaux. En clair, aucune action réellement orientée sur les paramètres de production n'est plus proposée, ni sur la santé animale, ni sur la commercialisation, ni sur la sécurisation de la mobilité et des accès aux ressources. La reconnaissance des terroirs d'attache n'est même pas envisagée, 8 ans après le décret, et jusqu'ici un seul cas a été enregistré, c'est celui de Tahnatamo dont on a vu plus haut le caractère atypique.

173 R. Hammel, Etude stratégie GRN pour le LUCOP-GTZ au Niger. 2005

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Ainsi, à défaut de réelles améliorations techniques ou zootechniques, ou encore écologiques, trois axes de travail sont clairement identifiés et attendus par les pasteurs qui se positionne stratégiquement dans ce sens, attendant les bailleurs et l'Etat :

- Sur le plan de la sécurisation et la gestion des accès aux ressources pastorales. La reconnaissance des terroirs d'attache par les commissions foncières est attendue. Avec l'émergence des Communes, on s'attend à voir se créer des cadres de concertations inter communaux qui pourront se pencher sur la question de la grande mobilité et des accès à la zone agricole. Parallèlement, l'Etat est attendu sur la question des investisseurs en bétail qui perturbent gravement la gestion des ressources fourragère au détriment de l'intérêt général et de l'intérêt de l'Etat.

- Sur le plan de la santé animale. Que les bailleurs de fonds ne s'intéressent plus au

problème ne change rien à la réalité des pathologies sur le terrain. La démocratisation de l'usage des produits injectables avec formation et encadrement devrait être abordée sérieusement, et pas uniquement à travers le débat sur la privatisation du secteur vétérinaire.

- Sur le plan de la commercialisation, la dynamisation des débouchés d'exportation,

la facilitation pour obtenir les documents légaux permettant d'exporter, et la lutte contre les taxes informelles sont toujours mentionnés comme des actions positives que l'Etat pourrait engager afin de vivifier les échanges commerciaux du secteur élevage et lutter ainsi contre la pauvreté.

Engager les débats entre les bailleurs et l'Etat sur ces trois points semble être la priorité qui se dégage de notre recherche.

Cela parait relativement simple. C'est que les contraintes des pasteurs sont en fait beaucoup plus simples qu'on ne le suppose souvent. Est-ce le fait d'avoir cherché longuement des modèles complexes sans parvenir à les définir qui rend à ce point les bailleurs si prudents ? A Ekinsigui, entre In-Gall et Tegguidan tessoumt, on a foncé un puits, créé un point de ralliement, et desservi ainsi de vastes zones de pâturage pour l’intérêt commun, sans se soucier des débats en cours chez les bailleurs et l’Etat. Mais cette situation est privilégiée par l’éloignement, beaucoup

n’ont pas la latitude d’agir.

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7.7.7.7. ANNEXES.ANNEXES.ANNEXES.ANNEXES.

7.1. ANNEXE 1. TEXTES.

7.1.1. Sur la modernisation pastorale" REPUBLIQUE DU NIGER Loi n° 61-06 du 27 mai 1961 érigeant en zone de modernisation pastorale la zone Sahélienne d'Elevage située au Nord de la limite légale des cultures VU la Constitution de la République du Niger du 08 novembre 1960 Et VU notamment les articles 41 et 22. L'Assemblée nationale a adopté, Le Président de la République promulgue, la loi dont la teneur suit : Article 1 : La partie du Territoire de la République du Niger située au Nord de la limite fixée à l'extension des cultures telle définie par la Loi n° 61-5 du 26 mai 1961 est déclarée zone de modernisation pastorale. Article 2 : A l'intérieur de celle-ci, des décrets fixeront : 1. les secteurs géographiques où les opérations de modernisation seront exécutées. 2. les programmes d'action à y mettre en œuvre ; Article 3 : La présente Loi sera exécutée comme Loi de l'Etat. Fait à Niamey le 27 mai 1961 HAMANI DIORI

REPUBLIQUE DU NIGER Décret 61.159/MER, 61.160/MER et 61.161/MER, du 25 juillet 1961 érigeant les secteurs de modernisation pastorale Décret 61.159/MER Est érigée en secteur de modernisation pastorale, dit secteur n° 1, la subdivision nomade de Tahoua à l'exclusion de la partie située au Sud de la limite Nord des cultures. Le centre d'action en est fixé à Tahoua, l'entretien des stations étant assuré par le centre d'entretien de Tahoua.

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Décret 61.160/MER Est érigée en secteur de modernisation pastorale, dit secteur n° 2, la portion du cercle d'Agadez ainsi définie : Région située à l'Ouest et au Sud d'une limite formée par la piste d’Ingall à In Guezam, la falaise de Tiguidit, la piste d'Agadez à Tanout, de la falaise jusqu'à Tadelaka. Le centre d'action en est fixé à Agadez, l'entretien des stations étant provisoirement assuré par le centre d'entretien de Tahoua. Décret 61.161/MER Est érigée en secteur de modernisation pastorale, dit secteur n° 3, la portion de la subdivision de Tanout située au Nord de la limite des cultures telle que définie par la Loi N° 61-05 du 26 mai 1961. Le centre d'action en est fixé à Tanout, l'entretien des stations étant assuré par le centre d'entretien de Tanout. ___________________________________________________________________________

7.1.2. Sur la limite Nord des cultures. REPUBLIQUE DU NIGER Loi 61-5 du 26 mai 1961 fixant une limite Nord des cultures VU la Constitution de la République du Niger du 08 novembre 1960 et Vu notamment les articles 41 et 22. Vu l'arrêté n°311-SA du 10 février 1954 fixant une limite Nord des cultures L'Assemblée nationale a adopté, Le Président de la République promulgue, la loi dont la teneur suit : Article 1 : Dans les circonscriptions limitrophes de la zone pastorale, à savoir les cercles de Filingué et Tahoua, les subdivisions de Dakoro et Tanout et les cercles de Gouré et N'Guigmi, il est fixé une limite Nord des cultures définie à l'article 2 ci-dessous. Au Nord de cette limite, toutes nouvelles cultures d'hivernage et installations de groupements de cultivateurs sont interdites. Article 2 : La limite Nord des cultures est définie comme suit : Cercle de Filingué Le point de départ vers l'Est étant les puits de Miyan ou Toufafei, aucune interdiction n'est édictée pour la zone à l'Ouest de la piste Miyan - Anderamboukane. De Miyan la limite des cultures est constituée par la piste Miyan - Tiguezefem, puis une ligne jalonnée vers l'Est par le piton de Tiguezefem, la montagne de In'Kouaten, le puits d'Amalawlaw (ou Aquaq), les puisards de Dogaga, le piton le plus au Nord des collines

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d'In'Mirizan situées à la limite Tahoua - Fillingué. Cercle de Tahoua Des collines rocheuses d'In'Mirizan la ligne limite passe par les tertres rocheux de Zawateïs, - A 8 km Est une dune caractéristique entre deux mares dénommée aussi Zawateïs ; - A 2,5 km Est la petite mare de Tshin' Soubaraten ; - A 8 km Est la grande dune de Tshin' Sinsiguey ; - Le monticule rocheux de Beq et les alignements de cailloux le prolongeant à l'Est ; - La montagne d'In'Iraammanan ; - Les mares d'Aman-Lawan ; - De là en direction du N-E la limite rejoint, sur la piste Tahoua – Agando un point situé à 20 km N-O de Takannamat et à 9 km S-E des puisards de Tareyresh-Raresh ; - Elle passe ensuite au Sud des dunes de Tshin - Effad, puis au milieu des mares dites In'Akoukou, laissant au N-O la dune de Tohaq et la mare de Tamalawlawt ; - Elle passe ensuite au Sud de la mare de Afadandoni et coupe la piste Takannamat - Telemses aux puisards de In'Tazzeit ; - D'In'Tazzeit la limite suit une ligne Ouest-N-E passant à 1 km au Sud de la mare de Taferert, coupant la piste Tshin' Ilouan - Telemses à – km au Sud de mare de Tshin' Ilouan, franchissant la dune d'Amouless et recoupant la piste Tahoua Telemses à 12 hm d'Amouless et à 5 km N-O des puits d'Aneker se dirigeant ensuite vers la dune d'In'Ollaman ; - De cette dune elle suit la plateau rocheux Ouest Est d'Aneker à Jirkat, coupe la piste Taza – Amander à 8 km des puisards de Taza et la piste Taza-Jirkat à 9 km N-E de Taza ; - De cette intersection, la limite continue Nord-Sud en suivant la ligne de falaise bordant à l'Ouest la vallée qu'emprunte la piste Tahoua-Segat jusqu'à un étranglement situé à 3 km Sud de la mare de Gamban, y traverse cette vallée pour rejoindre le piton au confluent de Gamban et d'In'Garzeymaten ; - De ce point la limite barre Nord-Sud de l'entrée de la vallée d'In'Garzeymaten jusqu'à la ligne de montagne la bordant à l'Est, suivant ensuite le rebord de cette vallée en direction N-E et coupant la route In'Tadroumt - Barmou en un point à 8 km Sud d'In'Tadroumt ; - De ce point la limite rejoint la vallée de Ziggar coupée suivant une ligne Ouest-est Sud des puisards de Ziggar-Aljif et à 1 km S-O des puisards dits aussi Ziggar ; - Elle longe le rebord de la vallée de Ourihamiza Bagare qu'elle traverse par l'extrémité Sud de la mare de Bagare pour rejoindre la falaise de Tabararhoumt; suivant alors la piste Bagare Tabalak jusqu'à Bag'Ni Bora ; - De là une ligne droite rejoignant la corne S-O de la mare de Kehehe et empruntant l'axe des mares de Kehehe et Tabalak jusqu'à la vallée d'In'Garsasam ; - La limite continue suivant une ligne jalonnée par les dunes Nord de la vallée d'In'Garsasam, la falaise de Kafaq, les puisards de Tan Roumar passant à 3 km de la mare d'Iri-Bakkat et coupant la piste d'Ibesseten à Shadawanka à 2 km de la mare de Tabahaw ; - De ce point une ligne en direction Est jusqu'à la petite montagne d'Eguef-N'Adrar et passant au Sud des mares de Tankel-Aghaï, Tshin, Ahmaed et Tiggard ; - D'Eguef-N'Adrar la limite suit une ligne rocheuse Nord-Sud jusqu'à son point de rencontre avec la piste Shadawanka - Mayata et suit alors cette piste jusqu'au puits

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d'Almana (ou Assarharhar). Subdivision de Dakoro Du puits d'Almana la limite est formée par une ligne que jalonnent le puits de Madougou, un point à mi-distance des puits de Tik'Boulama (ou Assaderh) et d'Ardo Bangana dans le Kori-N'Adoua, le puits de Maykoulaye et le puits d'Oli (Vallée d'Ouroukan) ; De ce puits une ligne droite parralléle (au Nord) à la vallée d'Eliki passant par le puits de Tajac jusqu'au puisard de Mantshakass à la limite Dakoro – Tanout. Subdivision de Tanout La limite suit la ligne de Mantshakass à Gandigoriba dans la vallée d'Idiki et le rebord Nord de cette vallée jusqu'à Eliki – Wanda ; Puis une ligne Eliki – Wanda, mare de Keshiasko, mare de Takoukout, Gouro'Ndé qui se continue vers l'Est coipant la piste Tanout – Farak à 18 km au Sud de Farak, puis sur In'Guini. Une ligne droite In'Guini montagne de Kartshakan à la limite Tanout – Gouré. Cercle de Gouré De Karthiakan la limite est formée vers l'Est par une ligne droite rejoignant les montagnes situées au Nord de Martyoum et de Waleram par une ligne Waleram – Mandawa ; puis une ligne Mandawa – Mir à la limite Gouré N'Guigmi. Cercle de N'Guigmi La limite est formée par une ligne allant de Mir aux dunes du Tall correspondant à l'ancienne piste caravanière Gouré – N'Guigmi par Shirmalek et Mir ; De l'extrémité Est du Tall une ligne jalonnée par les cuvettes de Metime et Karam rejoignant à la cuvette de Molo la frontière du Tchad ; Article 3 : Les cultures de défrichements déjà entreprises par des agriculteurs sédentaires du Nord de cette limite au moment de la promulgation de cette présente loi devront être abandonnées une fois la récolte terminée. Article 4 : Demeurent autorisées au Nord de la limite définie ci-dessus, les cultures vivrières entreprises par les nomades pour leur subsistance propre ainsi que les cultures d'oasis. Article 5 : En aucun cas les dégâts commis par le bétail dans les cultures non-autorisées qui se seraient créées contrairement à la présente loi au-delà de la limite définie à l'article 2 ci-dessus ne donneront lieu à réparations civiles ou à payement de dommages intérêts. Les terrains sur lesquels de telles cultures auraient été implantées ne sont pas susceptibles d'être soustrait au domaine collectif ou au pâturage commun, ne de tomber par appropriation sous la qualification de terrain d'autrui. Article 6 : L'arrête n° 311-S-A du 10 février 1954 fixant une limite Nord des cultures est abrogé. Article 7 : La présente Loi sera exécutée comme Loi de l'Etat. Fait à Niamey le 26 mai 1961 HAMANI DIORI ___________________________________________________________________________

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7.1.3. Terroirs d'attache des pasteurs. RÉPUBLIQUE DU NIGER PRESIDENCE DE LA REPUBLIQUE MINISTERE DE L’AGRICULTURE ET DE L’ELEVAGE DECRET N° 97-007/PRN/MAG/E du 10 Janvier 1997 fixant le statut des terroirs d'attache des pasteur s. LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE, VU la Constitution VU l'Ordonnance No 93-014 du 2 mars 1993 portant Régime de l'Eau ; VU l'Ordonnance N' 93-015 du 2 mars 1997 fixant les principes d'orientation du Code Rural ; VU le Décret No 89-002 du 28 juillet 1989 portant création d'un Comité National du Code Rural et fixant les modalités de son fonctionnement ; VU le Décret No 96-486/PRN du 21 décembre 1996, fixant la composition du Premier Gouvernement de la Quatrième République ; VU le Décret No 96-226/PRN/MAG/EL du 09 novembre 1996 déterminant les attributions du Ministre de l'Agriculture et de l'Élevage ; SUR Rapport du Ministre de l'Agriculture et de l'Élevage ; Le Conseil des Ministres entendu DECRETE : CHAPITRE PREMIER - OBJET ET CHAMP D'APPLICATION Article premier : Le présent décret fixe le statut des terroirs d'attache prévus par les articles 28 et suivants de l'Ordonnance n° 93-015 du 2 mars 1993 portant Principes d'Orientation du Code Rural. Il s'applique indistinctement aux terroirs d'attache situés aussi bien dans les zones pastorales que dans les zones agricoles. Il définit lé cadre juridique de l'occupation des espaces pastoraux tels que définis à l'article 2 ci-dessous et des qui activités qui s'y exercent, dans le cadre de l'aménagement du territoire, de la protection de l'environnement et de la promotion humaine. Article 2 : Au sens du présent décret il faut entendre : - par terroirs d'attache, l'unité territoriale déterminée et reconnue par les coutumes et/ou les textes en vigueur à l'intérieur de laquelle vivent habituellement pendant la majeure partie de l'année des pasteurs, unité territoriale à laquelle ils restent attachés lorsqu'ils se déplacent que ce soit à l'occasion de la transhumance, du nomadisme ou des migrations ; - par pasteurs, tout groupe humain et social qui, se caractérise historiquement et socialement par sa mobilité et dont l'élevage constitue l'activité principale. Article 3 : Sous réserve du respect des droits des tiers, les pasteurs ont le droit d'accéder librement aux ressources naturelles de leur terroir d'attache.

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CHAPITRE 2 - DU RÉGIME DES TERROIRS D'ATTACHE Section 1 - Des droits des pasteurs sur leurs terro irs d'attache et les espaces pastoraux Article 4 : Sans préjudice des droits des tiers les pasteurs jouissent du droit d'usage prioritaire de leur terroir d'attache et des ressources qui s'y trouvent. Le droit d'usage prioritaire est un pouvoir d'occupation, de jouissance et de gestion reconnu aux pasteurs sur leur terroir d'attache. En aucun cas, le droit d'usage prioritaire ne constitue un droit de propriété. Article 5 : Le droit d'usage prioritaire se prouve par les modes de preuve reconnus par les coutumes et/ou la loi. Les Commissions Foncières, dans leurs circonscriptions respectives, en tenant dûment compte des us et coutumes et/ou des lois en vigueur constatant les différents droits d'usage, fixent : - les critères susceptibles de servir de preuves de l'existence des droits individuels et collectifs sur les ressources naturelles ; - les limites qu'impose aux pasteurs, dans chaque cas d'espèce, le respect des droits des tiers. Article 6 : Les Commissions Foncières, lors de la constatation de l'existence d'un terroir d'attache, prennent notamment en compte les critères ci-après : - les témoignages des populations vivant dans la zone - l'ancienneté de l'occupation par les pasteurs, - l'investissement sur l'espace considéré : fonçage de puits ou toute autre opération de mise en valeur des terres pastorales. Article 7 : Le droit d'usage prioritaire n'exclut pas l'exercice des us et coutumes communs aux pasteurs en matière de gestion et d'exploitation des zones de pâturage, notamment l'accès des tiers aux points d'eau villageois et pastoraux, les droits de parcours, de stationnement et de pacage. Sont considérés comme points d'eau villageois et pastoraux ouverts à l'usage de tous: - les puits et forages; - et tout autre point d'eau aménagé par la puissance publique au profit des populations rurales. Les pasteurs sont tenus de participer à la gestion et à la maintenance des points d'eau situés sur leurs terroirs d'attache en créant au besoin un comité de gestion et un fonds de maintenance. Article 8 : Lorsque leurs activités nécessitent une implantation fixe et pérenne sur un fonds délimité, la propriété du sol peut être reconnue aux pasteurs collectivement ou individuellement dans les conditions prévues par les textes en vigueur. Article 9 : Les pasteurs, soit collectivement, soit individuellement, ne peuvent être privés de leurs droits d'usage prioritaire sur leur terroir d'attache que pour cause d'utilité publique, après une juste et préalable indemnisation. Article 10 : Les droits d'usage prioritaires, qu'ils appartiennent à des pasteurs collectivement ou individuellement sont inscrits au dossier rural prévu par l'Ordonnance No 93-015 du 2 mars 1993, à la demande des intéressés ou de leurs représentants légaux. Section 2 - Du Droit d'usage commun Article 11 : Les pasteurs relevant d'un terroir d'attache sont tenus de respecter la propriété privée et les espaces protégés conformément à la réglementation sur la circulation et le droit de pâturage du bétail dans les zones de cultures. Article 12 : Les pasteurs, soit collectivement, soit à titre individuel, sont tenus de mettre en valeur leur terroir d'attache ainsi que les espaces réservés à leurs activités, en assurant la

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protection et la réhabilitation des ressources hydrauliques et des pâturages. Les Commissions Foncières assurent le contrôle du respect des mesures de protection de l'environnement et des dispositions légales et réglementaires relatives à la mise en valeur des ressources naturelles. Les pasteurs, soit collectivement, soit individuellement, qui ne respectent pas les obligations légales ci-dessus énumérées encourent les sanctions suivantes : - une amende de 10.000f à 50.000f; - le retrait provisoire n'excédant pas trois mois ou définitif du droit d'usage prioritaire. Article 13 : Les pasteurs supportent l'ensemble des servitudes imposées par le respect des droits des tiers, notamment ceux résultant du droit de propriété et du nécessaire accès à l'eau et au pâturage. CHAPITRE III : DISPOSITIONS FINALES Article 14 : Des arrêtés du Ministre chargé de l’Agriculture et de l'Élevage et des autorités locales préciseront les dispositions du présent décret qui sera publié au Journal Officiel. Fait à Niamey, le 10 janvier 1997 Signé : Le Président de la République IBRAHIM MAÏNASSARA BARE Pour ampliation : Le Secrétaire Général du Gouvernement Sadé ELHADJI MAHAMAN ___________________________________________________________________________

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7.2. HISTOIRE DE BALEIRI A TRAVERS LES DEUX SECHERESSES.

Illustrations de la vie pastorale. L’histoire de Baleiri Kiro, Bi hama’en, Bermo Récits recueillis de la bouche de Baleiri Kiro, durant la transhumance 1999. Ses frères plus âgés ou plus jeunes ont participé et aidé Baleiri dans ses efforts de mémoire, en ajoutant certains détails. Les jeunes (su kaabé), sont resté présents et ils ont écouté l’histoire. Ils disent avoir appris beaucoup de choses ce jour là. Les analyses concernant le cheptel actuellement disponible chez Baleiri ont été réalisées plus tard sans témoin. Avant 1973 : Notre puit s’appelait Maï Adoua. On l’appelait aussi Boundou Abouba. Nous y passions quelques temps deux fois par année, en descendant vers le sud, ou en remontant vers le nord. Il existe toujours, mais à cet emplacement, on trouve aujourd’hui le village de Sakabal. A cette époque, le village n’existait pas. En saison pluvieuse, nous allions plus loin au nord qu’aujourd’hui, jusque vers Inwagar. En saison sèche, nous descendions jusqu’à l’est de Kornaka. Nous avions beaucoup d’animaux, je ne sais pas combien, mais beaucoup plus que ce que nous avions besoin. Il y avait beaucoup de taureaux adultes. C’était le troupeau familial. En ce temps là, les frères, les oncles, les cousins, restaient ensemble et cela faisait une très grande famille, un très grand troupeau commun. En ce temps là, les enfants restaient au campement de leur père avec leur femme et leurs enfants. Il fallait qu’ils aient au moins 4 ou 5 enfants pour qu’on les autorise à créer leur propres campements et à sortir leur bétail propre du troupeau commun. Et même dans ce cas, ils restaient toujours très proches, et beaucoup de choses étaient partagées. Même un homme de 35 ans ne pouvait pas vendre son animal sans passer par le père. C’est le père qui accordait l’autorisation de vendre l’animal. C’est lui qui allait le vendre, qui récupérait l’argent, et qui achetait les choses pour son fils. Le fils ne voyait même pas l’argent. C’est les vieux qui décidaient de tout, les jeunes n’avait aucun pouvoir de décision sur rien. Aujourd’hui, les jeunes ont plus de liberté pour s’occuper de leurs animaux, de leur famille, et prendre leurs décisions. A cette époque, ce qui était très différent, c’est qu’on travaillait peu avec l’argent. Les femmes échangeaient le lait contre le mil, elles partaient recoudre les calebasses des haoussas, et recevaient du mil. On mangeait très peu de mil, beaucoup moins qu’aujourd’hui, car il y avait beaucoup de lait à chaque saison.

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Et puis nous avions moins besoin d’argent. On achetait presque pas de vêtements, on ne buvait pas de thé, nous n’avions pas besoin de radio et de piles. Si l’on vendait un animal, on ne gagnait pas grand chose. Les marchés principaux étaient ceux de Tibiri au sud, et Birnin Lallé, vers Dakoro. Il y avait peu d’animaux présentés, et aussi peu d’acheteurs. Les villes étaient petites, et les gens consommaient peu de viande. Pour un taureau adulte, on pouvait avoir 1000 cfa. Pour un bouc, 50 cfa. Le mil se vendait dans des sacs de natte cousue, qu’on appelait «sukofa». Cela valait environ 10 tia actuelles. Le prix variait beaucoup, de 40 cfa après les récoltes, à 150 cfa en fin de saison sèche. Donc pour la vente d’un taureau, on avait environ 10 sukofas, ce qui représente 3 sacs de mil d’aujourd’hui. Avec ça, tout le campement pouvait faire des mois. Aujourd’hui, avec la vente d’un taureau de 5 ans, quand le marché est bon comme cette année, on trouve 10 ou 15 sacs de mil. Bien sûr dans les temps difficiles, comme en 97 et 98, un taureau vaut à peine 2 ou 3 sacs. Et aujourd’hui, ce n’est pas tous les éleveurs qui ont un taureau adulte à vendre. Et aujourd’hui, on consomme beaucoup plus de mil. Donc, nous avions beaucoup d’animaux, car on en vendait très peu, puisque nous n’avions pas besoin d’argent. Pourtant, nous pensions que ce n’était pas suffisant. Pour éviter de vendre des animaux, nous nous sommes mis à cultiver un peu de mil vers notre puits de Boundou Abouba. Il n’y avait personne là-bas, pas encore de village, pas encore de champs. Mais les agriculteurs s’étaient approchés de nous. Nous pensions qu’en cultivant à cet endroit, nous allions les empêcher de continuer vers le nord et de s’installer dans les pâturages. C’est à ce moment là que la sécheresse de 73 est arrivée. La sécheresse de 73 : Personne ne se souvenait d’avoir vu que le pâturage ne pousse pas, que les pluies ne tombent pas. Même les plus vieux n’avaient aucun souvenir, et nous ne savions pas quoi faire. Comme la plupart des éleveurs, nous sommes restés autour de notre puits, et nous avons attendu, pensant que la pluie allait venir et que le pâturage allait pousser tout de même. Ce qui a pu pousser était très vite consommé. En 74, ce fut la même chose. La plus grande partie des animaux sont morts. En 75 et les années suivantes, le pâturage a été bon, et le cheptel s’est un peu reconstitué. Mais tout le monde est resté au campement pour vivre sur le troupeau. On a pas cherché à diversifier les revenus. Personne ne partait en exode, personne ne cherchait un travail saisonnier ailleurs, pour soulager la famille. Personne n’a repris les cultures commencées avant la sécheresse. Alors le cheptel n’a pas augmenté. Notre groupe a quitté le puits de Boundou Abouba, pour rejoindre nos parents au puits de Bermo. Nous n’avons pas voulu rester à boundou abouba, car nous avions vu que cette brousse serait complètement cultivée bientôt, et que nous ne pourrions plus rester éleveurs là-bas.

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Certains de nos cousins sont restés, et ils cultivent encore aujourd’hui. Ils avaient peu d’animaux. Nous ne nous voyons pas souvent. Lorsqu’ils ont des problèmes, ils viennent nous voir pour avoir quelques animaux. Mais eux ne peuvent jamais nous donner un peu de mil, ils sont trop pauvres. C’est à ce moment que je suis sorti du groupe familial avec ce qui restait de mes propres animaux. Avec ma femme et mes enfants, nous étions 9 personnes. La sécheresse de 83-84. Lorsque le temps de l’hivernage 83 est arrivé, je me rappelle très bien de ce que nous avions comme animaux.

Bovins : 4 mâles jeunes 2 mâles reproducteurs 23 vaches adultes 6 vêles 35 têtes

Petits ruminants : 15 moutons toutes catégories confondues

8 chèvres En 83, le pâturage a été rare, car il n’a pas plu. Nous sommes restés vers Bermo. Les animaux ont mangé les quelques poches de pâturage qui avaient poussé, et des stocks de pailles abondantes de l’année précédente. Nous avons tenu jusqu’à l’hivernage de 84. Les animaux étaient maigres. A l’hivernage de 84, c’était la panique pour tous les éleveurs. De temps en temps, un peu de pluie tombait quelque part, et de l’herbe poussait un peu. Tout le monde se précipitait là-bas, car il ne restait plus aucune paille sur pied et les bêtes étaient affamées. Mais les pousses étaient toujours trop jeunes pour que les bovins puissent vraiment manger. Nous avions eu l’idée de partir au sud très tôt, mais il aurait fallu traverser les champs. Nous nous sommes réunis avec 7 chefs de tribu, et Oumarou, le prêtre qui vivait à Bermo (Jean-Marc Cornier, dit «Oumarou», a vécu 24 ans à Bermo, de 1973 à 1997), pour demander au Sous-Préfet l’autorisation de traverser les champs, qui étaient déjà secs et abandonnés. Le sous - préfet a refusé. Donc nous avons continué à tourner dans la zone. Durant cet hivernage, nous sommes allé de Bermo à Tchiguirène (ouest du ranch), puis de nouveau à Bermo, à Cinkoultou, Aminata, Bammo, Ganamaré, Bermo encore, Innifi, Issou, Kongoumé, Oli, Sakabal, Djar Roua, Oli encore. Il n’ y avait pas de mares, sauf à Bermo, tout le monde abreuvait aux puits durant toute la saison. Caritas a commencé à distribuer du mil à Bermo, mais Oumarou nous conseillait de descendre vers le sud pendant qu’il était encore temps. Bientôt, les animaux seraient trop faibles pour marcher, et les pailles qui restaient dans la zone agricole sur la route du sud seraient entièrement consommées. C’était comme une barrière qui se fermait davantage de jours en jours. Nous l’avons écouté et nous sommes parti vers le sud. De Oli, nous sommes allé vers Goula, puis Al Cha_bou (est Maïlaya), Dan Mallam, (entre Ma_laya et Kornaka), nous traversions

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des champs secs et des villages vides. Ensuite nous sommes encore descendu au sud, vers Tamimoun, (sud Dan Mallam), Le Dalla, (est Kornaka), Tadouè ( est Sabon Machi), Runduna (nord Maradi), El Kolta, Garin Magaji, Tchadi (sud Goulbi vers Guidan Roumji), Gobri et Egguidi (For_t sur la frontière du Nigéria). C’est au début de l’hivernage 85 que nous sommes arrivés à Egguidi. Nous avons reçu 2 fois de l’aide alimentaire de Caritas. Nous avons attendu que les animaux récupèrent, et vers le milieu de l’hivernage, nous sommes repartis vers le nord, par le couloir de passage de Guidan Roumji. Nous avons eu beaucoup de peine à suivre le couloir qui était bouché par des champs. Nous nous sommes faufilés entre les champs jusqu’à Aje Koria. Nous avons eu très peu de mortalité dans notre cheptel. Catégories

Cheptel initial Début Hivernage 84

Ventes

Mortalités

Cheptel final fin hivernage 85

Veaux et taurillons

4

1

3

Taureaux

2

1

1

0

Vaches adultes

23

3

4

16

Vêles

6

1

5

Moutons

15

15

0

Chèvres

8

3

1

4

Dans ce voyage, nous étions groupés avec 15 autres familles Bi Hama’en, plus 3 familles de Kassaoussawa, Ardo N’abou de Eggo, Modandé Tankari, et N’douma. Nous avons pu acheter des vivres pour nous, et quelques sous produits agricoles pour les animaux, du son ou de la graine de coton. Nous tous, avons pu sauver une bonne partie de nos animaux. Mais ceux qui sont restés à Bermo ont tout perdu. Seules quelques chèvres ont survécu, grâce aux feuilles de Maerua crassifolia. Mais tous les bovins et les moutons sont morts. Les gens ont reçu de l’aide alimentaire à Bermo, et beaucoup se sont mis à faire des cultures de contre-saison. Ensuite, ils ont été déplacé vers Kornaka, pour cultiver, et faire des cultures de contre saison. C’est là que el Hadji Balla Dan Sani, un commerçant de Maradi, les a trouvé. Il avait acheté tous les animaux encore debout durant de l’hivernage 84. Il les a nourri à grands frais. Beaucoup sont morts, mais plusieurs milliers ont survécu. Il a confié son bétail aux éleveurs qui avaient tout perdu, et ils ont repris la transhumance, mais comme simples bergers d’un commerçant. ( En 1999, les familles de la zone de Bermo qui possèdent leur propre cheptel, sont celles qui étaient parties ensemble vers le sud, selon le même itinéraire que Baleiri. Les autres

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familles ne se sont pas redressées jusqu’à aujourd’hui, et leur cheptel est composé en large majorité, de bétail appartenant aux commerçant et aux fonctionnaires, sur lequel ils n’ont que le lait des femelles comme seule rémunération, et aucun droit) Les Bi Koron’en, eux, sont parti vers l’ouest, à Bol Bol. Certains Kassaoussawa sont allé jusqu’à Magama ou Kano, d’autres sont parti vers Zinder. Tambari Guirka, lui, est allé seulement jusqu’à Tchaké, vers Mayahi. Il a beaucoup perdu, mais il a sauvé quelques têtes. Commentaires : A l’arrivée du premier «accident climatique» en 73, tout le monde est surpris. On ne sait pas quoi faire. Durant 30 ans, la pluviométrie avait été stable, régulière dans le temps et dans l’espace. On ne se souvenait plus des stratégies de crise. Les éleveurs ont attendu sur place, et lorsqu’ils ont voulu partir, il était trop tard. Toutefois, à cette époque, les troupeaux étaient importants. Le cheptel sauvé leur a permis de continuer à vivre en zone pastorale, de leurs troupeaux. Les cultures entreprises avant la sécheresse à l’emplacement de l’actuel village de Sakabal n’ont pas été poursuivies. Malgré le nombre très élevé de mâles, on vendait très peu avant la sécheresse. On avait très peu de besoins monétaires. La thésaurisation du cheptel était importante. L’exode, le recours aux travaux divers, ne fut pas nécessaire après cette sécheresse. L’économie familiale restait viable, mais la marge de sécurité très grande qui prévalait avant la sécheresse avait disparu avec la forte mortalité des animaux. En 84, le réflexe de descendre vers le sud a été général, mais l’administration y a fait obstacle jusqu’à ce que les villages agricoles soient vides et les cultures sèches sur pied. Ceux qui ont pu partir, comme Baleiri, s’en sont assez bien sorti. Ceux qui ont choisi de rester et d’attendre que les pluies arrivent, ont tout perdu. Il est intéressant de faire le rapprochement avec la situation de la fin de saison sèche 1998. Cette année là, l’hivernage a été bon, mais la pousse effective du pâturage est arrivée très tard. Ce n’est qu’à partir du 20 juillet que les plantules ont pu pousser et croître, pour être accessibles aux bovins. Depuis le mois de mai, des pluies sporadiques parfois abondantes mais très localisées provoquaient des pousses d’herbes et des mouvements de troupeaux affamés. Mais les plantules séchaient rapidement sans pousser suffisamment pour les bovins. Les années précédentes, 1996 et 1997, avaient été médiocres. Les stocks de pailles étaient épuisés depuis le mois de mars 1998 déjà. En avril, les dunes et les vallées étaient totalement dépourvues de couverture, et les vents soulevaient le sable et la poussière. Seuls des stocks de pailles subsistaient dans la réserve de Gadabéji, mais l’administration en empêcha l’accès à la plupart des troupeaux, malgré la situation d’urgence. Au Ranch de Facko également, des stocks importants de paille subsistaient, et c’est sans doute à l’intérieur du ranch, que la grande partie du cheptel bovin a été sauvé. La possibilité de trouver des stocks décentralisés de graine de coton et de son de blé à des prix accessibles a également contribué un peu à la survie d’une partie des bovins.

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Les éleveurs parti vers la vallée de la Tarka ou au-delà, n’ont trouvé que des terres nues. Certains ont acheté à prix d’or la paille sèche stockée par les sédentaires pour sauver quelques têtes. Mêmes des toits de cases et des nattes ont été consommés par les animaux. La mortalité a été très importante pour certains éleveurs. Les gens eux-mêmes étaient affamés, en raison de l’effondrement des prix du bétail et la hausse vertigineuse des prix du mil. Sans les centaines de tonnes de mil mises à disposition à des prix subventionnés par différents projets (PAAPB, PROZOPAS, et surtout PASEL, ), beaucoup de familles se seraient retrouvées entièrement démunies au retour des pluies, sans espoir de reconstitution. Il faut considérer également que le front de culture est monté vers le nord depuis cette époque, sur une distance d’environ 25 kilomètres. C’est une surface de 2580 Km carrés, qui est soustraite au pâturage, dans l’arrondissement de Dakoro, soit environ 258 000 hectares, qui devraient représenter des stocks de saison sèche. Cette zone n’est pas entièrement cultivée en terme de surface, mais se trouve parsemmée de champs, et largement récupérée par le milieu sédentaire, qui en utilise les interstices restant de pâturage, et collecte massivement la paille sur pied. En comparaison, il faut savoir que la réserve de Gadabéji à une surface de 75 000 hectares, et le Ranch de Facko, 28 000 hectares. De plus, les zones de pâturage au sud, dans la zone agricole elle-même, ont en grande partie disparu également. Ces espaces sont donc soustraits à la constitution de stocks de pailles, car les zones cultivées sont sarclées, ce qui fragilise davantage la situation en cas d’années médiocres La saison s’est rétablie de façon spectaculaire, vers la mi-juillet. Mais si les pluies s’étaient arrêtées de Dakoro jusqu’au nord ? Les éleveurs se seraient retrouvés coincé sans possibilité de descendre vers le sud. Les cultures de mil stagnaient, mais l’espoir était encore permis de les voir reprendre leur croissance, car les pluies avaient été moins rares vers Kornaka et Sabon Machi. Le couloir de passage de Guidan Roumji n’était pas encore été réhabilité par le PASEL. Et le long de ce couloir, même s’il avait été praticable, existe-t-il des réserves de fourrage pour soutenir un déplacement si important, avec des animaux à bout de force ? En admettant que les cultures aient pu survivre dans la partie sud de l’arrondissement, il aurait été impossible aux éleveurs de dépasser la vallée de la Tarka en grand nombre, avant le mois d’octobre. Aucune famille n’aurait pu sauver ses bovins après que les stocks de pailles du ranch de Facko soient épuisés à leurs tour.

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Situation actuelle, hivernage 1999. Situation de famille :

Baleiri Kiro

Gashi Touâ 1 er femme 2 em femme (veuve)

Garçons épouses des garçons Filles Garçon Filles Enfants 1 er mariage * Sourel (handicapé) * Fatima * Sodji * Hassana * Jouti * Mokao > Yobandé Aïssa * Aïssa * Nyalool * Beddo

2 enfants 1 enfant * Zeinabou Ses enfants Gyamé * Jouri > Modiolé * Amina Anékawa

2 enfants * Oumarou> Alti

2 enfants * Nyaloodo> Somka

1 enfant (hors campement) * Maodé > Mamadjé (hors campement) * Aliou > Hadiza (hors campement) * Ibrahim

Total des personnes à charge : 15 adultes, 18 enfants, soit 33 personnes

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Situation du cheptel bovin, et répartition de propriété dans la famille. Catégorie

Baleiri

Gashi

Touâ

Jouri

Mokao

Oumarou

Maodé

Nyaloodo

Aliou

Ibrahim

Fatima

Aïssa

Sourel

TOTAL

Vaches adultes

3

1

/

6

5

3

4

3

2

1

1

1

30

Veaux non sevré

2

1

3

2

2

3

2

1

16

J mâles

1

2

1

4

génisses

2

2

2

2

1

1

2

12

Au moment de l’enquête, le troupeau n’avait pas de reproducteur spécifique, le dernier étant mort au cours de la saison. Le total du cheptel bovin s’élève à 62 têtes, veaux compris. On notera la présence non inclue dans le compte, de 5 Jokereedji, bêtes appartenant à des étrangers, soit 2 vaches adultes, 2 veaux, et une génisse. Autre bétail : Ovins Le total atteint 70. Baleiri possède 8 brebis, le reste du troupeau est réparti entre les enfants. Caprins : Le total atteint 30. Baleiri en possède 4, sa femme Gashi 3, sa deuxième femme Touâ 3. Les autres appartiennent aux enfants. Camelins: 2 enfants possède chacun un dromadaire de monte. Cheval : Baleiri possède un cheval. Ânes : Ceux-ci sont répartis entre les femmes de Baleiri et les femmes de ses enfants. Touâ 3, Gashi 3, Aïssa2, Yobandè 2, Alti 2, Modiolè 3, TOTAL 15

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Conversion du cheptel familial en UBT. Les Jokereedji ne sont pas comprises dans le calcul. Les animaux de bât et de monte sont également exclus, seul le cheptel de rente dégageant des revenus pour l’économie familiale étant concerné. BOVINS adultes 30 x 0,8 = 24

Veaux non sevrés 16 x 0,12 = 1,92 Jeunes mâles 4 x 0,6 = 2,4 Génisses 12 x 0,6 = 7,2 TOTAL 35, 52 UBT

OVINS 70 x 0,12 = 8,4 UBT CAPRINS 30 x 0,12 = 3,6 UBT Le total du bétail de rente est de 47, 52 UBT Rapport entre le cheptel de rente et la famille. 2 manières de calculer le rapport sont possibles. Dans la première, les enfants comptent pour une personne à part entière, au regard de certains coûts particuliers qu’ils peuvent engendrer. Dans la seconde, ils comptent pour 0,5, compte tenu de leur consommation plus faible en céréales et lait.

33 personnes, enfants compris = 1, 44 UBT/personne 47,52 UBT

24 équivalents adultes = 1, 98 UBT/personne 47,52 UBT

Cette famille vit en dessous du seuil de viabilité défini par Maliki à 3,8 UBT par personne, ou Thébaud à 3,5 UBT par personnes, ou encore la FAO à 3 UBT. Pourtant, Baleiri fait partie de ceux qui ont relativement bien traversé la sécheresse de 1984, comme l’histoire l’a montré. Il a renoncé à prendre des bêtes en gardiennage pour le compte d’étranger, et les Jokereedji mentionnées appartiennent à des amis de la famille. Sa second épouse, Touâ, part en exode vers le sud à chaque saison sèche pour soulager la famille.

Ventes et revenus en une année, coûts d’exploitations et dépenses du ménage. Cette présentation relate toutes les dépenses et les revenus opérés par la famille entre la fin du carême 99 et la fin du carême en janvier 2000. Elle n’est pas issue de relevés journaliers et précis, mais elle le fruit de la mémoire familiale au moment du carême 2000. On ne peut donc pas lui accorder la valeur d’une enquête menée de façon systèmatique, et recoupant un large échantillonage. Ce type de recherche n’est pas actuellement dans les possibilités du projet, car le temps de l’équipe technique est absorbé par des tâches multiples.

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Les chiffres de ventes sont des moyennes saisonnières établies d’après les relevés de marché du service de l’élevage, que le PAAPB utilise pour l’opération de crédit à la commercialisation du bétail ( Moyennes calculées des mercuriales de Bermo, Sakabal et Dakoro. On a tenu compte des variations saisonnières ).

Ventes d’animaux, du carême 99 au carême 2000 Animaux

Nb SS 99 janv - mai

valeur totale

Nb SP 99, SS 99-jan 2000

Valeur

TOTAL

Vache reforme

2

132 000

132 000

génisses

3

166 315

166 315

Taurillons

6

309 000

3

240 000

549 000

Brebis

8

124 000

7

175 000

299 000

ovins j. mâles

12

79 500

13

201 500

281 000

caprins

15

87 500

0

87 500

TOTAL

898 315

616500

1 514 815

Revenu brut annuel par équivalent adulte (24) = 63 117 cfa Voici, à titre indicatif et pour illustrer les écarts de revenus, une présentation des revenus si les mêmes ventes avaient été effectuées l’année précédente, selon les moyennes des périodes. Un calcul plus pessimiste pourrait être estimé si les ventes étaient calculées sur les moyennes des seuls trois derniers mois de la saison sèche 98.

exemple imaginaire, du carême 98 au carême 99 Animaux

Nb SS98

valeur totale

Nb SP 98, SS 98-99.

Valeur

TOTAL

Vache reforme

2

60 000

60 000

génisses

3

165 000

165 000

Taurillons

6

274 000

3

165 000

439 000

Brebis

8

75 600

7

66 500

142 100

ovins j. mâles

12

68 400

13

78 000

146 400

caprins

15

55 700

0

55 700

TOTAL

698700

309500

1 008 200

Revenu brut annuel par équivalent adulte (24) = 42 010 cfa

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Autres revenus janvier 99 à janvier 2000 : Argent liquide En nature

Vaccinations par auxiliaire 14 000 Exode 2 em femme

Vêtements femme+enfants 2 sacs de mil

Travail temporaire 4 em fils 65 000 1 sac de mil 1 sac de riz __________________________________________________________________________ Coûts exploitation et de ménage. Céréales 8 mois de saison sèche 34 sacs de mil (11 000 cfa) 374 000 cfa Céréales 4 mois saison pluvieuse 12 sacs de mil (14 000cfa)

168 000 cfa 2 puisettes 10 000 cfa vaccinations cheptel + quelques traitements 20 000 cfa 1 corde (60 sacs pour la fibre, fabrication sur place) 13 500 cfa 24 outres pour l’eau 120 000 cfa Santé 1000 cfa / personne / an ( Bermo dispose d’un dispensaire où les médicaments sont gratuits, ce qui est exceptionel) 33 000 cfa 10 couvertures 130 000 cfa Vêtements (estimation de 3000 cfa/ personne) 99 000 cfa TOTAL 967 500 CFA On conviendra que ce plan de dépenses annuel est très sévère, et ne fait apparaitre que les dépenses de survie. Les dépenses «de luxe», c’est à dire ne servant pas directement à la survie du cheptel et de la famille, telles que le thé et le sucre par exemple, le renouvellement du matériel de bât, de tentes, de cuisine, etc... devront être dégagées de la marge apparente issue de la soustraction entre revenu de l’année 99 (janvier 99 à janvier 2000), qui se monte à: Revenu du cheptel 1 514 815 Revenus annexes auxiliaire : 14 000 exode 2 em femme 80 000 revenu annexe 4 em fils + 90 000

1 698 815 - 967 500

MARGE 731 315 CFA REMARQUE ! Cette situation peut sembler viable. En réalité, un contexte particulièrement favorable permet cette vision optimiste. - Tout d’abord, les calculs servant à établir les revenus des ventes du bétail sont réalisé dans le contexte d’une année très favorable aux termes d’échange. On voit que le contexte de l’année précédente faisait apparaitre un revenu très inférieur. - Les prix servant à estimer le coût de l’approvisionnement en céréale sont ceux de l’année 1999. L’année précédente, les prix du mil sont montés de 15 000 cfa à 26 000 cfa le sac de

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janvier à aout 98. Le coût global de l’alimentation aurait donc été de 697 000 cfa jusqu’en aout, et de 150 000 jusqu’en décembre. Total 847 000 cfa pour les seules céréales, avec un revenu du cheptel de 1 008 200 cfa. Il faut remarquer que la situation de cette éleveur dans le P.A. de Bermo est relativement confortable. Les frais de santé sont faible car le dispensaire de la mission catholique assure les soins gratuits contre une somme de 100 cfa par consultation, et 500 pour chaque injection, ce qui est symbolique. L’éleveur n’est jamais astreint au paiement pour l’abreuvement car il dispose de son puit et a accès à des puits de familles alliées. De plus, il a accès aux céréales de deux banques céréalières (PAAPB et Mission catholique), qui lui assure un prix inférieur correspondant à celui en vigueur au moment des récoltes, pour environ 10 % de la consomation de sa famille. Il a accès aux vaccinations du bétail grâce à l’auxiliaire formé chez lui, ce qui lui évite une mortalité de 2 à 3 % annuellement par les charbon symptomatique et bactéridien, très présents dans les sols de la zone, ou la pasteurellose. Dans un contexte d’insécurité d’accès aux ressources pastorales, eau et pâturage, s’il devait assumer les frais santé réels de sa famille, ses revenus seraient très insuffisants pour espérer seulement survivre. On remarquera également que cette économie ne dispose d’aucune marge de sécurité. Le taux d’exploitation est maximum. Une perte de seulement 20% du cheptel par accident climatique ou épidémie le mettrait dans une situation desespérée.

TAUX D’EXPLOITATION ESPECES

CHEPTEL UBT

VENTE UBT

Naissances UBT

taux en %

Bovins

35,52

8,8

7,1

20,64 %

Ovins

8,4

4,8

4,8 estimation

36,36 %

Caprins

3,6

1,8

1,8 estimation

33 ,33 %

___________________________________________________________________________

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7.3. DESCRIPTION DES RESULTATS D’ENQUETE ET ANALYSE A TANNATAHMO.

Une gestion privative d'espaces pastoraux. Sud Est Abalak Démarche: Une visite du site ainsi que des entretiens longs et ouverts avec les gestionnaires du site174 en présence du Chef de Village et de 18 membres éleveurs, nous ont été permis par le président de l’association « Taoum », M. Babbati. Tout l’historique du site nous a été retracé à cette occasion, ainsi que les systèmes de gestion des pâturages et de commercialisation. Des compléments concernant le statut foncier de Tannatahmo nous été fournis plus tard par la commission foncière d’Abalak.

7.3.1. Historique du site : A l’origine, ce site a fait l’objet d’une expérimentation de gestion holistique des pâturages en milieu réel, dans le cadre du Projet Pastoral Pilote175 financé par la Banque Mondiale, en collaboration avec les éleveurs résidents. Il s’agissait d’établir un principe de gestion des pâturages par rotation en SP, permettant de faire intervenir la pâture directe des graminées au moment le plus favorable pour la plante et pour l’animal, soit le tallage, puis d’en mesurer les effets sur le cheptel et la composition floristique des herbages. L’objectif de cette expérimentation, est en résumé, de démontrer que l’on peut entretenir un cheptel plus important sur les mêmes surfaces, avec un bénéfice fourrager démontré, par le fait d’un broutage intervenant au bon moment, et l’observation de période de repos de la végétation. La phase d’exécution de ce projet s’est étendue de 1997 à 2001. Après la mission d’identification conduite en collaboration avec les éleveurs utilisant les espaces concernés, ceux-ci devaient se prononcer sur leur adhésion ou non aux principes du projet, et déterminer s’ils étaient en mesure de respecter les règles qui seraient établies. La majorité d’entre eux a adhéré, mais un certain nombre (indéterminé dans notre enquête) a décidé de ne pas y participer, et se sont donc écartés de la zone. 90 familles d’éleveurs sont membres de l’association Taoum et sont les usagers du site. L’espace global de 13 193 hectares et les 11 parcelles qui le composent ont été délimitées par des pare-feux et marquées à la peinture. La Banque Mondiale a financé, à travers le projet PPP, un certain nombre d’infrastructures pour permettre la mise en application du plan de gestion holistique : 174 Le vice Président de l’association, le responsable technique, et l’encadreur détaché par le projet Azawak.. 175 Des expériences du même projet ont également été menées dans d’autres sites sans pour autant connaître la même évolution après la phase de projet, Tacha Ibrahim au Nord Dakoro, Ekisman, Say, notamment.

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- 3 puits de 90 mètres de profondeur équipés de pompes d’exhaure. - 5 abreuvoirs métalliques - Fourniture de 2 dromadaires destinés à la sensibilisation et information des éleveurs,

notamment les transhumants approchant du site. Le projet Azawak (Financement Coopération Belge), a relancé au Niger les efforts de sélection de la race bovine Azawak dans une formule originale qui utilise et valorise les acquis des anciens ranchs de multiplication et sélection (Facko, Ibéceten, Toukounouss, Tanout), tout en utilisant le milieu éleveur pour diffuser largement le matériel génétique sélectionné. Ce projet a pu inclure un grand nombre d’éleveurs en tant qu’éleveurs - sélectionneurs de la race Azawak, avec un effort d’encadrement remarquable sur le terrain. Les éleveurs usagers de la zone ont été identifiés et encadrés par ce projet, puis se sont dotés d’une association (Taoum) d’éleveurs sélectionneurs de la race Azawak à Tannatahmo. La pancarte à l’entrée du site indique qu’il est géré par cette association.

7.3.2. Système de gestion des pâturages. Il s’agit bien sûr de retracer ici une vision peu détaillée, issue d’une connaissance antérieure des principes du projet PPP, et des entretiens que nous avons eu sur place avec le vice président de l’association Taoum.

7.3.2.1. Système théorique. Principes de base. La pâture des graminées intervenant au moment du tallage correspond au moment de maximum de disponibilité de MAD176 dans la plante, avec un bénéfice évident pour la croissance et la production laitière des animaux. C’est aussi le moment où la pâture a un effet particulier sur le développement de la plante :

- Le broutage des feuilles sera suivi d’une repousse rapide et dense grâce à une stimulation imposée par la nécessité de croître et de porter des graines dans un temps imparti. Un développement racinaire déjà important à ce stade, permet cette repousse rapide.

- La production de tiges portant les épis, et donc le nombre d’épis, sera démultipliée en réaction à « l’agression ». Il s’en suit une amélioration théorique de la composition floristique, car les plantes les plus riches sont broutées les premières, et dissémineront ainsi plus de graines dans le sol. Les plantes moins appétées ne subissent pas cet effet et sont donc pénalisées. Il s’agit de l’effet exactement inverse de celui d’une pâture permanente en saison de végétation.

Ces deux effets bénéfiques pour les plantes ne fonctionnent réellement et significativement que dans la mesure ou des temps de repos sont possibles. Sur cette base, un système de rotation de l’ensemble du cheptel est mis en place par parcelles, ces dernières ayant au préalable fait l’objet d’une délimitation en fonction d’unités plus au

176 Matière Azotée Digestible, soit protéines assimilables.

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moins homogènes dans leur composition floristique, et cohérentes entre elles par les dimensions et leur production nette. En saison pluvieuse, l’ensemble du cheptel pâture les parcelles dans un ordre pré-établi, à raison de 4 jours par parcelles. Les animaux reviendront donc 40 jours plus tard sur les mêmes parcelles, le cycle complet des 11 parcelles prenant 44 jours. Les transhumants de passage sont invités à suivre également cette règle sur indication des gestionnaires et patrouilleurs, s’ils souhaitent utiliser cet espace dans leur parcours annuel. Des inventaires floristiques réalisés en hivernage 1997, puis en hivernage 1999 ont permis, selon le responsable technique, de mettre en évidence une régénération importante et le retour de plantes disparues, telles que Alysicarpus ovalifolius par exemple. Nous ne sommes pas rentrés dans le détail des inventaires floristiques, ce serait un champ d’investigation qui dépasse le cadre de l’étude. Toutefois, connaissant bien la situation des pâturages de la région dans ces années là, nous devons relever que l’hivernage 1997 a enregistré pour la deuxième année consécutive, un déficit pluviométrique qui a engendré la grave crise fourragère de la saison sèche 1998. Cette période critique a été suivie de deux hivernages excellents en 1998 et 1999, avec des productions fourragères record dans toute la zone pastorale. On a assisté cette année là (hivernage 1999), à la recolonisation spectaculaire de plantes disparues depuis plus de 15 ans, et ceux qui étaient présents dans la région cette année là se souviennent, par exemple, de la quasi « invasion » de la semi pérenne Chrozophora brochiana. Sans remettre en cause la validité du système appliqué, auquel on adhère avec évidence si l’on connaît les mécanismes de croissance et reproduction des graminées, on doit tout de même relever que les situations pluviométriques exceptionnelles dans lesquelles ont été menés les inventaires floristiques ont fortement influencé les résultats, et que ceux-ci ne peuvent servir à démontrer l’impact du système, les effets du contexte étant largement prédominants dans ce cas. Pour les années suivantes, c’est la difficulté de canaliser le flux des transhumants qui est avancé pour expliquer l’absence d’impact significatif sur la végétation observable par les inventaires, les éleveurs acceptant mal d’être canalisé à leur arrivée vers le site vers les parcelles en pâture (c’est compréhensible, vu la forte densité de cheptel, et donc de campements qui doivent séjourner ensemble sur le même espace réduit. De fait, les transhumants préfèrent le plus souvent éviter la zone, s’ils ne souhaitent pas se plier aux règles imposées, ni entrer en conflit avec les gestionnaires, mais d'autres persistent). En saison sèche, le rythme passe à 7 jours par parcelles. On relèvera que c’est surtout en SP que la rotation en elle-même a une justification agrostologique et zootechnique. En SS, il ne s’agit que de la valorisation des stocks de paille sur pied. Les seules améliorations que le système peut apporter sont le fait de limiter le piétinement par l’usage des pares-feux comme pistes à bétail, et des choix de priorité afin de bénéficier des plantes les plus fragiles avant dessiccation ( légumineuses principalement, mais cette pratique est déjà connue des éleveurs et appliquée lorsque la maîtrise de l’espace le permet). On notera encore que la parcelle 11 est partagée en 2, une partie servant de réserve de sécurité. La pratique de la stabulation du bétail sur les glacis après les pluies a permit de récupérer des surfaces de pâturage importantes.

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7.3.2.2. Questions quant à la répartition de la charge. Le cheptel total des usagers membres de l’association a été recensé ainsi : 7000 bovins X 0,8 = 5600 UBT 2000 petits ruminants X 0,1 = 200 UBT 200 dromadaires X 1,2 = 240 UBT On ne tiendra pas compte des 40 chevaux et 150 ânes figurant dans le recensement. C’est 6040 UBT qui sont entretenues sur une surface totale de 13 193 hectares. La charge est donc de 2,18 ha par UBT. A cette latitude, on considère que la charge moyenne (pour autant que cette notion ait un sens), est admise avec 7 ha par UBT. Même avec l’apport d’aliment bétail, même avec une maximisation d’utilité réelle de la production fourragère par le système mis en place, cette équation reste impossible. D’une part, la production nette est insuffisante à entretenir ce cheptel, et d’autre part, les fortes variations de production d’une année sur l’autre obligent à imaginer que le cheptel utilise largement d’autres zones de pâture. La production fourragère moyenne des 11 parcelles du site a été rigoureusement mesurée par le PPP de 1996 à 2001. Les moyennes présentées ici sont celles des pesées effectuées sur les 11 parcelles, exprimée en Kg de MS à l’hectare177.

1996 1997 1998 1999 2000 2001

Production moyenne

666 572 1105 1683 484 1742

La moyenne inter annuelle est de 1042 Kg de MS à l’hectare. La production brute moyenne de fourrage herbacé est donc de 13 747 tonnes sur le site. Avec une production moyenne de 1042 KG à l’hectare (c’est beaucoup dans ce type de végétation), une consommation réelle de 60 % de la production (au lieu des 50 % admis dans ce type de calcul), la production annuelle totale de la matière sèche herbacée consommable atteint 8 248 tonnes de matière sèche MS, alors que les besoins du cheptel se montent à 13 779 tonnes de MS. Pour affiner l’estimation, et tenter de chercher une cohérence, on peut encore tenir compte de la disponibilité du pâturage aérien avec 90 % de la ration chez les camelins, 35 % chez les petits ruminants (la majorité sont des ovins), et 10 % chez les bovins, en fonction de leur limite de digestion des fourrages ligneux. Le milieu permet sans doute, vu la bonne couverture ligneuse, d’atteindre ces maxima de consommation.

177 Rapport d’activité (synthèse). Projet Pastoral Pilote, Ministère de l’Agriculture et de l’Elevage.

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Espèces UBT Consommation annuelle tonnes de MS

Pourcentage de pâturage aérien

Total pâturage aérien consommé annuellement en tonnes de MS

Bovins 5600 12 775 10 % 1 277 P. Rum. 200 456 35% 160 Camelins 240 548 90% 493 Totaux 8 248 1 930 La production annuelle nette du site, sur ses 13 193 hectares, est en moyenne, en tenant compte d’une disponibilité de 1 930 tonnes de MS fournies par le pâturage ligneux, de 10 178 Tonnes de MS, alors que les besoins du cheptel se montent à 13 779 tonnes. Les informations dont on dispose indiquent effectivement que le cheptel de Tannatahmo quitte parfois les parcelles sur site, et que la charge se réparti vers l’extérieur. Nous l’avons nous même observé en février 2005. En février 2001, suite à la mauvaise pluviométrie en 2000, moins de 200 bovins restaient sur le site.178 Dans la saison sèche qui a suivi l’hivernage de 2002, la plus grande partie du cheptel s’est répartie vers les ranchs de Facko et Ibeceten. Seuls les dromadaires seraient restés sur place.179 En 2003, la production de fourrage aurait été excédentaire. Le rapport d’activité du PPP mentionne que le passage des transhumants, et notamment des troupeaux de zébus Bororo des peuls Wodaabés qui refusent le respect des règles d’accès, seraient responsables de l’impossibilité d’entretenir le cheptel sur le site en SS 2001, mais qu’en 1997-98, malgré le déficit fourrager, le cheptel avait pu être entretenu sur le périmètre. Le cheptel devait sans doute être beaucoup moins important, puisque la production nette ne représentait que la moitié de la production annuelle moyenne, et que celle-ci semble déjà insuffisante au vu des chiffres dont nous disposons.

7.3.3. Principes de base, réalité du milieu, évolution actuelle.

La gestion du site est donc une gestion ouverte. Le cheptel utilise d’autres espaces, et l’on peut penser qu’il déborde de ses frontières à l’occasion sur les pâturages alentours, et que du cheptel extérieur rentre régulièrement. Le rapport d’activité du PPP, aussi bien que les entretiens que nous avons eus sur place, souligne la grande difficulté d’appliquer réellement les principes de gestion en raison des intrusions continuelles des troupeaux extérieurs. La zone est un axe de passage des troupeaux allant vers le Nord en juillet, et retournant au Sud en septembre, octobre et novembre. Par ailleurs, comme il nous a été indiqué sur place, un nombre indéterminé d’éleveurs n’ont pas adhéré au principe de gestion. Certains restent en gravitation dans la zone, et des incursions de leur bétail sont fréquentes.

178 Rapport Projet pastoral Pilote, déjà cité. 179 Information recueillie dans les entretiens sur place.

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Pour pallier à ce problème, l’ambition des gestionnaires est de clôturer intégralement le site, qui deviendrait ainsi un périmètre de type « ranching ». Les 3 parcelles du Nord, avec une surface totale de 3 752 hectares, ont été clôturées en juillet 2004, avec 4 fils barbelés sur piquets métalliques. 2 sorties seulement existent, une vers le Nord, et une vers le Sud pour accéder aux autres parcelles, mais elles sont fermées à clef. La gestion des parcelles pourra ainsi être appliquée avec la rigueur voulue. Le reste du périmètre est en attente d’autorisation pour être à son tour clôturé intégralement. Sur le plan du système de gestion des pâturages, la clôture du site est un changement radical de principe de gestion. Outre le fait de pouvoir appliquer la rotation et les temps de repos de la végétation, les gestionnaires nous mentionnent le problème sanitaire posés par les troupeaux extérieurs, et la perte du bétail en saison des pluies, des animaux suivant les troupeaux des transhumants. Mais le changement principal se situe dans le principe d’exclusion ferme des autres éleveurs sur cet espace. D’une gestion ouverte, on passe à une appropriation exclusive. L’échec du principe de gestion holistique en milieu ouvert est donc évident, si les usagers gestionnaires renoncent à une forme inclusive pour affirmer des droits exclusifs. Il faut également considérer l’impossibilité écologique démontrée, d’entretenir un cheptel donné sur un espace défini en milieu sahélien. Les chiffres de production cités plus haut et les calculs simples que nous avons présentés au point 2.2. montrent l’ampleur des variations inter annuelles, et la nécessité d’adapter la charge aux ressources en permanences, avec l’usage des espaces extérieurs au ranch. Il y a donc un problème posé par des niveaux de droits différents. Le bétail extérieur ne pourra désormais plus accéder au ranch, mais le bétail du ranch devra régulièrement sortir pour utiliser des espaces où règne encore le statut du libre accès. Les gestionnaires du ranch justifient ce droit par les investissements consentis à la mise en place du système et des infrastructures. Nous ne disposons pas de tous les chiffres, mais on se souvient, ( voir point 1.) que c’est par un projet Banque Mondiale, donc sur des montants remboursables par les contribuables nigériens, que les investissements les plus lourds ont été fait au départ, notamment toute la recherche liée à l’implantation du site et les trois puits profonds équipés de pompes. Par la suite, se sont les financements de la coopération Belge qui ont permit la disponibilité de l’encadreur, le statut de sélectionneurs des éleveurs et les débouchés commerciaux qui sont liés au projet Azawak. Enfin, le financement de la clôture installée en juillet aurait bénéficié d’une contribution de 9 millions de francs par le projet filière PPAP, sur financements Union Européenne. Le reste des coûts, que nous ne connaissons pas, viendrait des fonds propres de l’association.

7.3.4. Stratégie commerciale. Nous disposons de peu d’éléments, uniquement sur la base des entretiens sur place et de la stratégie du Projet Azawak. Il s’agit donc ici de restitution d’information et non d’une analyse de stratégie commerciale. Concernant la spécificité du statut de sélectionneurs, les éleveurs de l’association trouvent des débouchés intéressants pour écouler des génisses et des reproducteurs ayant bénéficiés du label Azawak, après plusieurs étapes de sélection durant leur croissance. Dans la liste des plus gros marchés obtenus grâce à ce label, on citera :

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- L’achat par le Gouvernement du Burkina Faso de 200 femelles et 150 reproducteurs pour la mise en place avec le projet Azawak d’un programme de diffusion du matériel génétique.

- L’achat par le programme spécial du Président de la République de 400 femelles. Des achats ponctuels de bétail par des éleveurs sur la base du Label sont en outre assez fréquents. Pour l’écoulement du cheptel non sélectionné, les petits ruminants, et les camelins, le Président de l’Association qui est le propriétaire de « la plus grande partie180 » du cheptel bovin, fait jouer ses propres réseaux commerciaux, notamment vers l’Algérie, d’où des commerçants viennent chercher du bétail par camions (sauf les bovins, une interdiction d’importation en Algérie pénalise actuellement l’exportation nigérienne). Un lot de 350 taureaux a également été exporté directement vers Abidjan, et un lot de 150 taureaux vers Lagos. En dehors des gros marchés ponctuels, les marchés nationaux et notamment Agadez, restent des points d’écoulement importants.

7.3.5. Analyse rapide de la situation foncière.

7.3.5.1. Statut de terroir d’attache. Le site de Tannatahmo bénéfice depuis 2001, d’une d’Attestation de Concession Rurale de Droit d’Usage Prioritaire, délivrée à l’association Taoum. Ce titre, qui est celui de la reconnaissance juridique de terroir d’attache selon le Décret N° 97-007/PRN/MAG/LE du 10 janvier 1997 fixant le statut des Terroirs d’Attache des pasteurs, est actuellement le seul à avoir été délivré dans les Régions de Tahoua et Agadez. L’obtention de titre a été un processus long et difficile. Au départ, des oppositions ont été faites par les Chefs de Groupements, a ce qui apparaissait comme l’attribution du statut à un seul éleveur, soit l’actuel Président de Taoum. L’opposition, dans ce cas la « contestation » au sens juridique, a valeur de rejet automatique de la demande. Afin de permettre aux citoyens de s’informer d’une procédure de ce type, les informations sont non seulement publiées et affichées, mais également colportées par voie orale sur les marchés et sur les radios locales Ce principe d’opposition est déterminé précisément dans le Décret N° 97-367 /PRN/MAG/E du 2 octobre 1997, déterminant les modalités d’inscription des Droits Fonciers au Dossier Rural. Se référer au Titre IV, chapitre 3, articles 16 et 17, ainsi qu’au Titre V, articles 18 et 19, pour les détails relatifs aux oppositions par les tiers.

180 Cette information nous vient des gestionnaires du ranch durant les entretiens.

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La création de l’association Taoum a permis de rendre la demande plus conforme aux textes, en tant que « groupe de pasteurs ». Les oppositions des Chefs de Groupement ont en outre été levées entre temps et l’attestation de concession rurale a pu être délivrée. Toutefois, le statut n’est jamais définitivement acquis. Les Commissions Foncières sont chargées de veiller à la bonne application des textes, et celui-ci peut-être remis en question si le principe de base n’est pas respecté. Or, la pose de barrières infranchissables modifie totalement le mode d’exploitation qui était en vigueur au moment de l’acquisition de l’attestation, et remet en question l’adéquation entre le mode de gestion et le texte relatif aux terroirs d’attache. Si des oppositions venaient à se manifester de nouveau, la commission foncière devrait alors se référer aux textes et pourrait certainement annuler l’attestation de concession rurale, et obliger au démantèlement des barrières.

7.3.5.2. Sur la question de la priorité et du droit d’exclusion. Le texte précisant la notion de terroir d’attache comporte une description des Droits des pasteurs usagers qui est parfois qualifiée de floue par la plupart des représentants des éleveurs. Le droit d’usage prioritaire, dit le texte, n’exclut pas les droits des tiers au parcours, au stationnement et au pacage du bétail.181 Il est vrai que sans possibilité d’exclusion, on ne voit pas où réside la priorité si tout un chacun dispose finalement du même droit d’usage. Pourtant, donner ce droit d’exclusion aurait ouvert la porte à des abus, dont les pasteurs les moins organisés et les plus vulnérables auraient été les premiers à subir les conséquences. Quelle intention dans cette contradiction ? Celle de laisser les usagers négocier l’accès ? Dans ce cas, quelle amélioration apporte le statut juridique moderne des terroirs d’attaches par rapport aux faisceaux de droits préexistants, basés sur la négociation et les rapports entre groupes sociaux ? On voit clairement, dans le cas de Tannatahmo, contre quel type d’abus le flou des textes protège les éleveurs. 90 % du cheptel de ce qu’il faut appeler maintenant un ranch, est bovin, et l’essentiel de ce cheptel bovin appartient à une seule personne. Les 90 familles résidentes membres de l’association, sont, pour la plupart, des éleveurs ruinés qui travaillent comme bergers, à qui on laisse la possibilité de conserver sur place les quelques têtes qu’ils possèdent. On est loin de la description faite dans le texte des terroirs d’attaches, qui détermine à qui, et à quels groupes sociaux peuvent être accordées les concessions rurales d’usage prioritaire : Les pasteurs sont, selon le texte : ... tout groupe humain et social qui se caractérise historiquement et socialement par sa mobilité, et dont l’élevage constitue l’activité principale.182 On ajoute que le terroir d’attache est l’espace reconnu à l’intérieur duquel la population nomadise la majeure partie de l’année, ou auquel elle reste attachée durant la transhumance ou les migrations183. 181 Article 7. 182 Article 2. 183 Article 2

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Enfin, et c’est là que les interprétations diverses du texte devraient s’accorder avec une lecture rapide : Un droit d’usage prioritaire peut être reconnu aux pasteurs sur leur terroir d’attache, dans le

respect du droit des tiers.

Le droit d’usage prioritaire est un pouvoir d’occupation, de jouissance et de gestion, reconnu

aux pasteurs sur leur terroir d’attache.

En aucun cas, le droit d’usage prioritaire ne constitue un droit de propriété.184 Les gestionnaires du ranch considèrent que l’exclusion leur est due, en raison de l’ancienneté de l’occupation du site par les familles résidentes ( ?), par le fait que des investissements ont été réalisés, mais surtout par le fait que les principes de gestion par parcelles ne s’accordent pas du passage d’autres troupeaux. Cette gestion parcellaire trouve ici son utilité la plus évidente s’il s’agit de justifier l’exclusion des autres éleveurs et de se ménager un espace privatisé de fait, couvrant la plus grande partie des besoins en année de pluviométrie normale, sachant que l’accès des terres pastorales restantes sur le territoire national, et notamment à proximité du ranch, sont d’accès libre. En effet, il n’est plus besoin de démontrer qu’on ne peut pas, au Sahel, entretenir un cheptel défini en nombre sur un espace défini en surface. Les variations de production fourragères sont trop importantes d’une année sur l’autre et ce paramètre est incontournable (voir point2.2.).

La notion de terroir d’attache doit être réservée aux éleveurs. Les tentatives de détournement de ce concept par quelques nantis doivent être combattues, mais ne devraient pas anéantir les efforts de l’Etat pour remettre la gestion pastorale aux mains des pasteurs.

184 Chapitre 2, section 1, article 4.

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7.4. TABLEAU DES VALEURS FOURRAGERE DES PRINCIPAUX LIGNEUX.

Valeur en pourcentage du poids anhydre des feuilles.

Valeur en pourcentage du poids anhydre des fruits.

Périodes de disponibilité selon le cycle phénologique.

Protéines brutes

Phosphore Protéines brutes

Phosphore Feuilles Fruits

Acacia albida 17 0,25 11,7 0,12 Février Mars Acacia radiana

16 0,20 18 0,25 De octobre à mars (variable) Octobre

Acacia sénégal 22 0,20 20,4 0,20 Entre novembre et février Nov-fév Acacia seyal 18 0,27 23,8 0,34 Mai Mars Marua crassifolia

21 0,12 / / Jeunes pousses en novembre, feuillage toute l’année

/

Balanites aegyptiaca

15 0,11 11,2 0,12 Jeunes pousse en août, feuillage toute l’année

Paille saison sèche pour comparaison

5 non

digestible

0,05 / / / /

Tableau créé selon les chiffres de Hubert Gillet ( les arbres fourragers en Afrique tropicale), pour notre analyse de la situation pastorale de la Réserve de l’Aïr et du Ténéré en 1991 pour UICN.

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7.5. CAPACITE DE CHARGE. Cette définition exprime le nombre d’animaux que l’on peut entretenir à l’hectare, sans mettre en danger le couvert végétal, tout en permettant un affouragement optimum des animaux. La Capacité de Charge CC est un outil de gestion remarquable sur les pâturages des zones tempérées ou équatoriales, dans lesquelles les espèces herbacées pérennes dominent largement. C’est à dire, que c’est un outil qui permet de gérer les pâturages, dans le cas où les ressources sont stables et prévisibles. Dans les savanes sahéliennes, on a vu que ces ressources sont tributaires de pluies irrégulières dans le temps et l’espace, et qu’elles sont composées presque exclusivement de plantes annuelles. Les ressources sont donc Irrégulières, instables, et imprévisibles. La Capacité de Charge n’est donc pas un outil facile à utiliser au Sahel, puisqu’il faut l’estimer chaque année, en fonction de la biomasse produite. Pour que cette CC soit juste, et pas dans une fourchette de 1 à 10, on doit donc chaque année, mesurer la biomasse produite. C’est un travail énorme, qu’il faudrait répéter des milliers de fois chaque année à l’échelle d’un pays comme le Niger pour avoir un chiffre qui s’approche de la réalité, car bien sûr la biomasse varie énormément d’un endroit à l’autre, d’une année à l’autre. Pour une surface très petite, par exemple 500 hectares, ce travail pourrait devoir être réalisé dans un dizaine de zones différentes, en raison des variations de pente, de sol, etc… De plus, pour être fait dans les règles, ce travail devrait être réalisé à la fin de la saison pluvieuse, lorsque l’on sait précisément que la croissance des plantes est terminée. C’est donc uniquement sur les stocks de saison sèche que cette notion devrait être appliquée. Or dans la saison pluvieuse, broutage et repoussent se succèdent dans la réalité, sans qu’on puisse suivre la production. Pour exprimer la CC, on utilise des normes standards, qui sont aussi utilisée en alimentation animale. Afin de regrouper les catégories d’animaux dans une seule, on utilise la notion d’Unité Bétail Tropical ou UBT. Voici la correspondance simplifiée selon les espèces : 1 Bovin = 0,8 UBT 1 Petit ruminant = 0,1 UBT 1 camelin = 1 UBT La consommation de matière sèche MS d’une UBT est de 6,25 Kg par jour, soit 2,5 kg par 100 kg de poids vif. Dans l’année, une UBT consomme, selon cette moyenne, 2281 Kg MS. La capacité de charge se calcule donc sur la base d’une consommation de 2200 kg MS par année par UBT. On met alors cette consommation en rapport avec la production de MS à l’hectare. C’est là que se situe la première incohérence, car si la consommation est basée sur une année, la biomasse, elle, ne peut être estimée que sur la base de la production nette, c’est à dire après la saison des pluies. La consommation des plantes par les animaux et leur repousse en saison pluvieuse n’est jamais prise en compte. Si une surface donnée produit donc 1000 kg/hectare, on considérera que c’est 1000 kg qui sont produits, permettant donc le calcul suivant: 2200 kg de MS = 6, 6 hectares par UBT pour une année 0,33 X 1000 kg 1/3 production brute consommable

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On voit à quel point ce calcul est aléatoire. Passons sur les techniques complexes et longues de transects, coupes, séchages et pesages qu’il faut effectuer pour «estimer» la production brute. Regardons le chiffre de 0,33, un tiers consommable, et rappelons nous à quoi il correspond. Ce chiffre est extrèmement variable... Il dépend de la composition des plantes, si celles-ci seront consommable ou non, de l’appétit des termites, etc.... faisons le même calcul avec le chiffre de 1/4 consommable: 2200 kg de MS = 8,8 hectares par UBT pour une année 0,25 X 1000 kg 1/4 production brute consommable

La différence est déjà importante avec le changement de cette seule donnée. Le chiffre de 6,6 deviendra 7 dans la norme pour simplifier les calculs. On obtiendra alors 7 hectares, soit 1 hectare par mois de saison sèche. 1 mois de SS = 1 hectare. La capacité moyenne des pâturages sahéliens les bonnes années (voir le tableau des pluviométries présenté plus haut), est donc considérée comme de 7 ha/ UBT C’est la norme admise et utilisée d’une manière générale !

� Premier problème: On ne peut pas contrôler le nombre d’animaux qui passent, c’est

à dire qu’il est impossible matériellement de contrôler la charge. L’utilité de cette norme est donc sujette à discussion.

� Deuxième problème: Les ressources sont dispersées. Impossible de faire des calculs précis.

� Troisième problème: Les ressources sont hétérogènes. Calcul fiable impossible à un coût raisonnable.

� Quatrième problème: Ce calcul ne peut être fait qu’après la croissance des plantes. Or, on prend comme base, 2200 kg de MS pour l’année de consommation, pourtant le calcul n’inclut pas les mois de SP.

� Cinquième problème: Difficulté de mettre en rapport en rapport la CC avec les effectifs recensés, car les recensements sont très aléatoires. Exemple à Diffa, 5 calculs différents ont donnés des écarts de 1 à 10.

� Sixième problème: La variation interranuelle. La CC n’aurait de signification que pour l’année de SS qui suit son calcul. Elle varie donc énormément d’année en année.

� Septième problème: Difficulté de tenir compte de la diversité floristique. Difficulté de tenir compte des ligneux dans l’apport de MS. Aucune méthode fiable ne permet, même dans le contexte d’un calcul scientifique au plus précis, de déterminer la part consommable des ligneux pour le bétail sur une surface donnée.

Pourtant, en dehors de calculs soigneux et précis utilisés par la recherche dans des contextes particuliers et forts rarissimes, c’est de cette manière que la CC est calculée au Sahel, le plus souvent. Autant dire qu’elle ne reflète pas grand chose du potentiel fourrager réel des zones concernées. Dans les années 50 et 60 , dans un contexte de stabilité des ressources, la CC était sur un espace donné, de 4ha/UBT. Sur le même espace, lors des années de sécheresse la CC a été de 200 ha/UBT.

Une vache de 250 kilos a besoin de 7 hectares au total pour l’année.

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Entre ces deux extrêmes, toutes les combinaisons sont possibles.

Ci-contre, un exemple de délimitation d’un espace donné en « unités de paysage », en vue de déterminer la production du pâturage avec une relative précision pour une année donnée. Sur cet exemple, 5 cm représentent 10 km. On imagine le travail que cela nécessite même sur un espace aussi réduit. A Titre de comparaison, la zone pastorale du Niger s’étend sur plus de 1 300 km d’Est en Ouest.

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7.6. DOCUMENTATION.

7.6.1. Document de travail généraux sur les études antérieures et de référence globale.

Bilan d’un texte de gestion participative des terroirs pastoraux. PROZOPAS, 2001. Brochure d’information sur la décentralisation au Niger. Edition 2003, HCRA/D. Contribution des éleveurs de Tahoua Nord au processus d’élaboration des texts complémentaires au code rural sur le pastoralisme et l’élevage au Niger. In-Gall 2004. APPEL-ZP. Des aires protégées aux territoires de conservation. 2004, IRD, Dimitri de Boissieu. Desertification. Natural Backround and human Mismanagement. Monique Mainguet. Springer Verlag. 1991. Documents FEWS-Sahel. Dynamiques sociales et mise en place des structures locales de gestion dans un contexte d’aire protégée, cas de la RNNAT. Mohamed Houma et Elhadji Gagere, ONG GAGE, 2001. Eléments de réflexion sur les modes d’exploitation des RN par les populations d’éleveurs du milieu AZAWAK . DED oct 2002, Bettina Haasen. Entre rentabilité économique et viabilité de l’économie familiale : le rôle de l’élevage dans la micro économie pastorale et agropastorale. B. Thébaud. Communication pour le PRASET, fév. 1998. Etude de la contribution des systèmes pastoraux aux économies nationales des pays ASS. Institut international de recherche sur l’élevage ILRI, Nega Gebresselassie, Solomon Desta et Simeon K.Ehui. Expérience d’une collaboration entre UEP APEL-ZP et le centre régional AGHRYMET pour un appui aux éleveurs, le suivi et l’alerte précoce en zone pastorale. Isabelle rivière et Job Andigue, nov. 2004 Le Plan Communal de Développement PCD. Définition, Conception et Démarches d’Elaboration. Mars 2004, Rüdiger Wehr, CT Lucop – Tan. Les bas-fonds au Niger, transfert d’expériences. Heinz Bender et Issa Ousseini. PGCES. ETH Zürich et UAM Niamey. 2000 Les Touaregs face aux sécheresses et aux famines. Gerd Spittler. Karthala, 1993. Lutte contre la désertification au Niger : utilisation des images satellites pour le suivi d’impact. Cas du PASP et PDRT. Dr Hannelore Kusserow. 2001 Mission d’appui à la formulation d’une stratégie au processus de sécurisation foncière dans les arrondissements de Tchintabaraden et d’Abalak. Rapport de Mission. 21

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novembre – 6 décembre 2002. Ingrid Poulsen, RDP Livestock Services BV Assistance Technique au PROZOPAS Opération -test d’Observation des Pâturages dans la Zone d’Intervention de l’UEP/APEL-ZP à Abalak et In Gall. UEP APEL/ZP + notes de Cadrage. Premières réflexions suite à une enquête sur le foncier pastoral. J-P. Magnant. Conseiller technique code rural, 1997. Rapport de l’atelier sur le fonçage des puits pastoraux tenu à In-Gall du 9 au 10 septembre 2002. Ibrahim dan Mallam, ONG AIP-Takkayt. Rapport de Mission d’Evaluation de l’opération test d’observation des pâturages dans la zone APIVA. Aghrymet. 2003. Job Antigue et Isabelle Rivière The influence of different levels of siupplementation on feed intake and nutrient retention of grazing Zebu cattle in sahelian agro-pastoral systems. Eva Schlecht, Verlag Shaker, Aachen, 1995 Travail sur les textes, 2005. Analyses de Jacques Chabert, conseiller juridique DED et nombreux autres documents internes. Troisième atelier national des commissions foncières du 4 au 6 mai 2004, rapport général des travaux. POCR Volet prévention de crises et gestion des conflits. PNN GTZ mai 2002

7.6.2. Documents cités dans le texte. Barbedette Loïc, Les processus économiques sont-ils maîtrisables par les acteurs à la base ? Synthèse du séminaire. oct 1995. DDA t.311 Bellot J-M. Sécheresse et élevage au Sahel., diplôme d'études approfondies, écologie et géographie tropicale. Université de Bordeaux III. Juin 1978. Bernus Edmond, Les pasteurs nomades africains, du mythe éternel aux réalités présentes. 1990, Cahier des Sciences Humaines 26. Bianchi G. N.réf: t.311 Niger 31 19 février 1997. Bonfiglioli Angelo. Pastoralisme, agro-pastoralisme et retour : itinéraires sahéliens. 1990. Cahiers des Sciences Humaines N° 26. Bonfiglioli A. DUDDAL, histoire de famille, histoire de troupeau, éditions de la maison des sciences de l'homme, Paris, 1988 Bouabacar Ly, Rapport de mission pour le Compte de la DDC au Niger . BERAP, mars 1997.

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BOUDET (G.), 1983. - La transhumance et la gestion de l'eau et des pâturages dans l’espace, IEMVT, Paris. Cité par B.Thébaud Cahier Sciences Humaines. 26. Boudet G, Manuel sur les cultures fourragères et les pâturages tropicaux, 1975. IEMVT, Bourdieu P. La distinction. Critique sociale du jugement. page 560. Paris 1979, éditions de minuit. Breman H, A.Bonfiglioli, JH. Eriksen, JJHM Ketelaars, K. Sawadogo, N. Traoré. Novembre 1985, Analyses des conditions de l'élevage et propositions de politiques et de programmes. OCDE / CILSS. Résumé et recommandations. Bremaud O, Dr vétérinaire, B.Mazet, ingénieur génie rural, M.Quesnel, Economiste élevage. SEDES. Ranch de ré élevage du Nord Dakoro. Etude de factibilité. 1977, BRIZARD (M.), 1938. - «Un capital en partie improductif : le cheptel bovin des Peulhs Sambourous ». Bulletin des Services Zootechniques et des Épizooties de I’AOF, 1 : 21-23. Bulletin de la société géographique de l'Est. La mission de Gironcourt en Afrique Occidentale. 1908-1909. 201-211. Cabinet Evalua. L'aide française au Niger. Evaluation de la politique française 1990 - 2001. Minsitère des affaires étrangère. 2002. CAMEL – Bestconsult. Etude de faisabilité du projet d'appui à l'élevage dans le département de Zinder. 2005 Chaline Jean. Un million de générations, Seuil. septembre 2000 Coulomb et Quesnel, Projet d'aménagement et d'intervention dans 4 zones de modernisation pastorale du Niger. Dossier général, 1976, IEMVT. Daget P et Godron M . Pastoralisme, troupeaux, espace et sociétés, ouvrage collectif. Universités francophones, Hatier, Paris, 510 pages. DDA section afrique de l'ouest.Atelier du Louverain , septembre 1993. Documents de l'atelier. Decorse (Lettres du Dr Decorse ). Les Touaregs de la boucle. Bulletin de la société géographique et commerciale de Paris. 1907. Document du financement du PASEL Maradi - Tillabéry. 2002. DOUTRESSOULLE (G.), 1937. - Plan décennal de la mise en valeur du cheptel guinéen. Rec. Méd. Vét. Exot., 10 : 21-38. FEUNTEUN (L. M.), 1955. - «L’élevage en AOF. Son importance économique et sociale ; les conditions de son développement et de son amélioration ». Rev. Él. Méd. Vét. Pays Trop., 8 (2-3) : 137-162.

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