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Nourrir l’Afrique n° 295 2 ri Groupe de la Banque africaine de développement Politique de prix dans la filière coton au Cameroun Documents de travail Mathieu Juliot Mpabe Bodjongo June 2018

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Document de travail n° 295

Résumé

Cette étude cherche à apporter une réponse à une

préoccupation actuelle des pouvoirs publics

camerounais sur la modification des mécanismes de

fixation de prix d’achat du coton graine au

producteur et d’abondement du fonds de gestion

risque prix du coton au Cameroun (FGRPC-C). Au

regard de la théorie économique et des informations

recueillies auprès de la SODECOTON et de la

CNPCC (Confédération Nationale des Producteurs

de Coton du Cameroun) pour le compte de la

campagne cotonnière 2014/2015, nous avons trouvé

que ces 2 instruments de gestion de risque prix actuellement mis en œuvre présentent un coût

énorme pour les différents acteurs de la filière. Le

mécanisme de fixation du prix d’achat du coton

graine doit prendre en compte les coûts de

production supportés par les cotonculteurs. L’État

du Cameroun doit supprimer les subventions

octroyées à cette filière et respecter les prix arrêtés

par le nouveau mécanisme. Il faut supprimer le

principe de plafonnement du fonds de gestion risque

prix.

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Coordonnateur

Adeleke O. Salami

Ce document de travail est produit par la Vice-Présidence de la gouvernance économique et de la gestion des

savoirs. Il s'inscrit dans un effort plus large de la Banque Africaine de Développement pour promouvoir les

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développement de politiques. Les papiers apparaissant dans cette série sont considérés comme étant en accord

avec la mission de la BAD, ses objectifs stratégiques de croissance verte et inclusive et les 5 Grandes priorités

- Éclairer l’Afrique, Nourrir l’Afrique, Industrialiser l’Afrique, Intégrer l’Afrique et Améliorer la qualité de vie

des populations en Afrique. Les auteurs peuvent être contactés au [email protected]

Citation correcte : Mpabe B. M. J. (2018). Politique de prix dans la filière coton au Cameroun, Série de documents de travail N°295,

Banque africaine de développement, Abidjan, Côte d’Ivoire.

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Politique de prix dans la filière coton au Cameroun

Mathieu Juliot Mpabe Bodjongo1

Classification JEL : Q13, Q18, Q19, 013

Mots clés : mécanisme, fixation de prix, fonds de gestion risque prix, filière coton.

1Ph. D. en économie; Centre de Recherche en Économie et Gestion de l’Université de Yaoundé 2

Tel : (00237) 699 49 60 50 Email : [email protected]

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1. Introduction

La filière cotonnière au Cameroun, à l’instar de celles des autres pays de l’Afrique

subsaharienne, est en proie à de nombreuses difficultés imputables aux subventions élevées

octroyées aux cotonculteurs des pays occidentaux, à l’accroissement des coûts de production

et de transport, aux faibles taux d’égrenage et de trituration domestiques du coton graine et aux

défaillances des mécanismes actuels de fixation des prix planchers d’achat du coton graine

(Nubukpo, 2006). Ces mécanismes de fixation de prix d’achat du coton graine indexés

essentiellement sur les cours de la fibre de coton sur le marché mondial souffrent de sa baisse

tendancielle et de sa volatilité. À titre d’illustration, le cours du coton sur le marché mondial a

reculé de 8,95 % en variation relative entre avril 2015 et janvier 2016. Les ajustements du

mécanisme de fixation du prix du coton ont été mis en œuvre dans le but d'adapter les filières

cotonnières au caractère endémique des crises du marché mondial de coton dans certains pays

producteurs d’Afrique (Fok, 2006). Le mécanisme d’abondement du FGRPC-C essuie des

critiques de la part de la SODECOTON et de la CNPCC.

L’inefficacité des mécanismes de détermination du prix plancher d’achat du coton

graine et d’abondement des fonds de gestion du risque-prix du coton graine ont eu les effets

directs ou indirects suivants (Fok, 1993, 2006; Chatel, 2002) : (i) le retard dans l’annonce du

prix d’achat du coton; (ii) le retard dans la commercialisation du coton pouvant induire le

déclassement du coton et la réduction des revenus des cotonculteurs. Le taux de pauvreté

monétaire dans les régions de l’Adamaoua, du Nord et de l’Extrême-Nord2 qui est

respectivement de 47,1 %, 67,9 % et 74,3 %, semble largement supérieur à la moyenne

nationale (37,5 %)3; (iii) le retard dans le paiement des revenus des cotonculteurs; (iv) le retrait

des paysans de la production du coton et la diminution de la production de la graine et de la

fibre de coton. La production camerounaise de coton fibre pour la campagne 2015-2016 était

d’environ 97 650 tonnes, soit une baisse de 10 850 tonnes en variation absolue et 10 % en

variation relative (USDA, 2016). Le Cameroun ne compte pas parmi les 4 principaux pays

producteurs de coton en Afrique; (v) le fléchissement des rendements et des superficies

agricoles. Les superficies et les rendements agricoles prévus pour la saison cotonnière 2015-

2016 connaîtront un repli respectivement de 4,54 % et 5,65 % (USDA, 2016); (vi) le solde

déficitaire de la SODECOTON.

Pour se détourner de cet avenir sombre prédit par Nubukpo (2006), l’objectif de cette étude est

d’examiner les défaillances des mécanismes actuels de fixation des prix du coton graine et

2 Le coton est cultivé uniquement dans ces 3 régions au Cameroun 3 INS (2015)

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d’abondement du FGRPC-C et de proposer de nouveaux mécanismes plus en adéquation avec

les réalités de la filière.

La réalisation de cet objectif s’articule autour de 4 sections. La première section

retrace l’évolution de la politique cotonnière au Cameroun. La seconde section fait un examen

critique du mécanisme actuel de détermination du prix plancher d’une part, et propose un

nouveau mécanisme de fixation de ce prix d’autre part. La troisième section fait une analyse

critique du mécanisme actuel d’abondement du FGRPC-C, tout en suggérant un nouveau

mécanisme d’abondement. La quatrième section propose quelques recommandations en guise

de conclusion.

2. Évolution de la politique cotonnière au Cameroun

La politique cotonnière a connu des changements durant les différentes phases de l'évolution

institutionnelle du Cameroun. D'abord marquée par la forte présence de l'État en amont et en

aval de l'activité agricole durant la phase de planification, elle a connu un démantèlement de

l'activité étatique avec les PAS et la Nouvelle Politique Agricole (NPA) mise en place dès

1990.

2.1. La politique cotonnière camerounaise avant la mise en œuvre de l’ajustement

structurel

Avant la mise en œuvre des PAS, l'État est fortement impliqué dans l'élaboration et la mise en

œuvre de la politique cotonnière au Cameroun (Goreux, 2003). Il est fortement impliqué dans

les activités cotonnières par le truchement de certains de ses organes : la SODECOTON dans

les opérations de production, le FONADER en matière de financement, l’ONCPB dans le

domaine de la commercialisation et l’IRA dans la recherche scientifique.

Plusieurs instruments étaient alors utilisés : (i) la subvention à la production. Elle se

matérialisait par l’octroi des primes diverses à l'arrachage et à la création de nouvelles

plantations et les transferts courants sans contrepartie destinés à l’acquisition du matériel

agricole et des intrants agricoles (semences sélectionnées, engrais, produits phytosanitaires,

etc.). Selon Varlet et Berry (1997), le taux de subvention des engrais était compris entre 75 %

et 100 %; (ii) l’administration du prix d’achat du coton graine aux producteurs : l’État fixait le

prix d’achat du coton graine; (iii) la formation et l'information des cotonculteurs, la facilitation

de leur accès aux crédits financiers; les subventions à l’exportation.

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2.2. La politique cotonnière camerounaise post ajustement structurel

Après la crise économique et bancaire des années 80, le Cameroun a été mis sous ajustement

structurel sous l’égide des institutions de Bretton Woods. La nouvelle stratégie de relance de

la filière cotonnière reposait sur les éléments suivants (Touna Mama, 2008) : (i) l’amélioration

des techniques culturales pour accroitre les rendements; (ii) le renforcement de la recherche

appliquée et la vulgarisation des résultats; (iii) l’accroissement de l’utilisation des engrais et

des pesticides; (iv) la poursuite de la promotion de la culture motorisée et attelée; (v)

l’extension de la culture du coton dans la partie méridionale du Cameroun; (vi) la forte

réduction des subventions aux intrants agricoles. À titre d’illustration, la filière cotonnière ne

reçoit de l’État du Cameroun qu’environ 2 milliards de FCFA; (vii) la privatisation de la

distribution des engrais. La liquidation du FONADER; (viii) l’instauration d’un système de

prix plancher au producteur; (ix) la réduction des coûts de commercialisation et de

fonctionnement de l’ONCPB et de la SODECOTON; (x) la mise en place d’un système de

répartition des surplus entre les producteurs, la SODECOTON et un fonds de stabilisation

(FGRPC-C); (xi) la libéralisation de la commercialisation du coton pour accroître sa

compétitivité grâce à une correction des modalités d’octroi des agréments aux exportateurs, à

une suppression des monopoles de commercialisation accordés dans certaines zones, et à une

rétrocession des attributions de commercialisation de l’ONCPB au secteur privé; (xii) la

suppression de la taxe sur les exportations; (xiii) l’appui à la réalisation des micro-projets initiés

par les coopératives ou les communautés villageoises; (xiv) l’ouverture du capital de la

SODECOTON aux acteurs du secteur privé.

Contrairement aux pays développés ou émergents producteurs de coton (Fousseini,

2010; Bagayoko, 2013), ce système d’aide au développement du coton au Cameroun n’a pas

prévu des instruments tels que les subventions à l’exportation, les subventions à la production,

les restrictions aux importations du coton, les subventions à la consommation de coton pour les

industriels locaux, la fixation d’un quota spécial d’importation, les prêts à la commercialisation,

une assurance récolte visant à couvrir les producteurs contre les risques climatiques ou les

maladies susceptibles de faire chuter les rendements, d’autres mécanismes de facilitation de

l’accès aux crédits bancaires (des taux d’intérêt financier bonifiés), les crédits impôt, les

contrats de recherches et les allègements fiscaux.

Le mécanisme de fixation du prix d’achat du coton graine aux producteurs et le

mécanisme d’abondement du fonds de gestion du risque-prix de la filière cotonnière, ainsi mis

en œuvre au Cameroun pendant l’ajustement structurel, sont aujourd’hui victimes des diatribes

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des cotonculteurs. Cependant, il faut rappeler qu’ils ont été institués à la suite de la 1ière forte

baisse du cours mondial du coton de l’époque contemporaine (en 1985)4. Cette régression du

prix mondial du coton, suivie par d’autres de plus en plus rapprochées, va induire une crise

cotonnière qui mettra la SODECOTON au bord de la faillite. Sans l’aide bilatérale ou

multilatérale, la filière cotonnière au Cameroun aurait pu être euthanasiée. Ce soutien fut

conditionné par des ajustements de fonctionnement de cette filière aux fins de se prémunir

contre la volatilité des prix sur le marché mondial. Les instruments majeurs de ce plan

d’ajustement englobaient des reformes relatives (i) au mécanisme de fixation du prix d’achat

du coton graine aux producteurs et (ii) au mécanisme d’abondement du fonds de gestion du

risque-prix de la filière cotonnière.

3. Mécanisme de fixation du prix d’achat du coton graine

Dans cette section, une analyse critique du mécanisme actuel de fixation du prix d’achat du

coton graine au Cameroun sera effectuée. Puis, un nouveau mécanisme sera proposé.

3.1. Critique du mécanisme actuel de fixation du prix d’achat du coton graine au

Cameroun : à l’aune de la théorie de la valeur du bien

Le mécanisme de fixation du prix d’achat du coton graine actuellement en vigueur au

Cameroun a pour objectif de garantir le paiement au producteur d’un prix plancher d’achat du

coton graine fixé au début de la campagne agricole, quelle que soit l’évolution des cours de la

fibre de coton, et de leur octroyer un complément de prix en cas d’évolution favorable des

cours. La formule de calcul du prix plancher employée actuellement se présente de la manière

suivante :

𝑷𝒑 = 𝑪𝒕 ∗ 𝟎, 𝟔𝟔 ∗ 𝟎, 𝟒𝟐𝟓

Le prix plancher 𝑃𝑝 payé aux producteurs de coton est obtenu en considérant le taux de

rendement moyen de la fibre de coton à l’égrenage (42,5 %), et 66 % représente l’indice de

découragement du cotonculteur.

La valeur du cours de tendance de la campagne cotonnière (n-1/n) est calculée au plus tard le

15 avril de l’année (n-1), par une technique de lissage exponentielle simple de l’indice A Far

East prenant en considération les 3 précédentes campagnes (janvier n-4/avril n-3, janvier n-

3/avril n-2; janvier n-2/avril n-1) et les cotations du marché à terme de New York à 12-15 mois

4 Lire Fok (2005).

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publiées du 1er janvier au 15 avril de l’année (n-1). Cette formule de calcul du cours de

tendance s’inspire des travaux de Cordier et se présente ainsi qu’il suit :

𝑪𝒕 = (𝑰𝒂(𝒏−𝟒)

𝒏−𝟑

∗ 𝑨𝟑 + 𝑰𝒂(𝒏−𝟑)

𝒏−𝟐

∗ 𝑨𝟐 + 𝑰𝒂(𝒏−𝟐)

𝒏−𝟏

∗ 𝑨 + 𝑻𝑵𝒀𝒏)/(𝟏 + 𝑨 + 𝑨𝟐 + 𝑨𝟑)

ou encore : 𝑪𝒕 = (𝟎, 𝟑𝟒𝟑 ∗ 𝑰𝒂(𝒏−𝟒)

𝒏−𝟑

+ 𝟎, 𝟒𝟗 ∗ 𝑰𝒂(𝒏−𝟑)

𝒏−𝟐

+ 𝟎, 𝟕 ∗ 𝑰𝒂(𝒏−𝟐)

𝒏−𝟏

+ 𝑻𝑵𝒀𝒏)/(𝟐, 𝟓𝟑𝟑)

A représente le coefficient de lissage. Le FGRPC-C a choisi un coefficient de lissage

équivalent à 0,7 en référence aux travaux de Goreux; 𝑰𝒂(𝒏−𝟏)

𝒏

la moyenne de l’Indice A Far East

entre le 1er janvier de l’année (n-1) et le 15 avril de l’année n; 𝑻𝑵𝒀𝒏 la moyenne des termes de

New York à 12-15 mois publiés du 1er janvier au 15 avril de l’année (n-1), convertis en

« équivalent FCFA/Kg ».

Ce mécanisme présente quelques limites au regard de la théorie de la valeur du bien

chez les partisans de la pensée classique. L’indice de découragement du cotonculteur pris en

compte dans le calcul du prix plancher est le ratio entre le prix moyen d’achat du coton graine

aux producteurs et le prix d’un kilogramme d’engrais. Or l’engrais n’est pas le seul intrant, et

encore moins le seul facteur de production utilisé dans la culture du coton; d’ailleurs, les

dépenses liées à l’acquisition des engrais ne représentent au maximum que 32 % des charges.

Par contre, les dépenses liées à la valorisation des surfaces agricoles et de la main d’œuvre, qui

représentent à elles seules au moins 50 % des charges liées à la production du coton graine,

sont omises dans cette formule.

Ainsi, cette formule de calcul du prix plancher présente l’inconvénient de ne pas

suffisamment prendre en compte les dépenses liées à la production du coton. Bourdet (2004)

révèle que les cotonculteurs se plaignent d’une progression des coûts des facteurs de production

que ne semble pas compenser l’évolution du prix d’achat du coton graine. Il est essentiellement

indexé sur les cours mondiaux de la fibre. Pourtant, comme le reconnaissent Hugon et

Mayeyenda (2003) : « Les prix réels et les prix mondiaux ne semblent pas des indicateurs

incitatifs pour les producteurs ». Or, à travers le nouveau contrat mondial sur le coton, qui

confère désormais au coton camerounais le caractère de référentiel en matière de fixation du

prix, la prise en compte de son coût de revient réel devient un impératif. En effet, selon l’ancien

contrat, c’est le coton américain qui dictait les mouvements de prix à tout le coton mondial.

Mais désormais, le nouveau contrat mondial, en plus du coton américain, inclut huit autres

origines de fibre: Inde, Australie, Brésil, Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire et

Mali.

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Malgré quelques nuances et divergences dans les hypothèses, les partisans de la pensée

classique (Adam Smith, Ricardo et Karl Marx) s’accordent tous sur un point : la valeur d’un

bien dépend de la quantité de travail nécessaire pour sa production. Le prix du bien qui mesure

sa valeur doit être déterminé en fonction des coûts de production (Gnos, 2000; Deleplace et

Lavialle, 2008).

Mais chez les marginalistes (Jevons et Menger), la valeur d’échange d’un bien ou son

prix dépend de son utilité marginale, qui dépend elle-même essentiellement de la rareté et des

goûts subjectifs des individus. Pareto pense que la valeur d’échange d’un bien ne dépend de

rien d’autre que de la volonté de ceux qui l’échangent; elle est fixée librement par un contrat

et déterminée au niveau global par la loi de l’offre et de la demande.

Marshall va faire une analyse de la valeur d’un bien dans le temps. À court terme, le

prix d’un bien est déterminé uniquement par l’utilité marginale qui s’établit sur le marché en

fonction de l’offre et de la demande, selon les préférences des consommateurs qui ont tendance

à donner plus de valeur à ce qui est rare. Toutefois, les entreprises ne peuvent vendre

indéfiniment au prix du marché si ce prix ne couvre pas leurs coûts de production.

3.2. Tentative de proposition d’un nouveau mécanisme de fixation du prix d’achat

du coton graine au producteur et simulations

Le calcul du prix plancher est soutenu par la nécessité de garantir au producteur un revenu

minimum lui permettant de couvrir au moins ses charges d’exploitation, quelles que soient les

conditions de vente du coton fibre. Sa détermination à bonne date chaque année renforce le

climat de partenariat entre les cotonculteurs, la SODECOTON et la C.N.P.C.C. Le prix

minimum garanti doit être fixé chaque année. Mais dans certains pays, notamment le Mali, le

prix minimum garanti du coton graine est fixé pour une durée de 3 ans; toutefois, il est révisé

tous les ans sur la base uniquement de l’évolution des coûts des intrants. La connaissance de

ce prix avant les semis permet au producteur de prendre la décision de produire ou non et lui

évite toutes les déconvenues qui pourraient provenir de la variation de son revenu au regard

des fluctuations enregistrées sur le marché international.

Son niveau ne doit pas être trop élevé pour ne pas inciter les producteurs à accroitre

le volume de leur production quand les cours du coton sont bas sur le marché international,

tout en couvrant l’ensemble de leurs coûts. Le mécanisme de détermination du prix plancher

du coton graine préconisé dans le cadre de la présente étude s’inspire de la formule de Waddell,

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mise en application dans les pays tels que le Benin5. La formule de détermination du prix

plancher est différente au Mali (Diakité, 2010). Ce prix doit être égal ou supérieur au prix

garanti, fixé selon une optique « coût de revient des producteurs agricoles », prenant en compte

l’ensemble de leurs charges incompressibles (intrants, pièces de rechange, main-d’œuvre

salariée, amortissement…) et incluant une valorisation de la main-d’œuvre familiale au même

niveau que celle de la main-d’œuvre salariée. Compte tenu de l’incertitude en mars/avril

concernant le cours mondial de fibre pour les ventes futures par la CMDT6, le mécanisme

malien de détermination du prix plancher, adopté depuis 2008, ne dépend pas d’une formule,

mais la Commission d’appui à la mise en œuvre du mécanisme de détermination du prix du

coton graine doit, en principe, étudier le marché et développer des hypothèses de projection

pour l’indice Cotlook et pour les taux de change. Ces hypothèses servent à informer les débats

sur le prix de base, mais en fin de compte, le prix fait l’objet d’une négociation entre les parties

(producteurs, égreneurs, et gouvernement). Il faut rappeler qu’entre 2003 et 2004, le

mécanisme malien de fixation du prix plancher qui faisait référence uniquement au prix sur le

marché international a été modifié suite aux contestations des cotonculteurs (FAO, 2014).

Le cas du Mali n’est pas singulier. En effet, les mécanismes de fixation du prix

plancher du coton graine aux paysans a beaucoup varié au fil du temps et selon les pays (FAO,

2014).

Les principes requis pour l’application de cette formule de Waddell sont vérifiés dans

la filière cotonnière au Cameroun : (i) les prix des intrants agricoles sont uniques sur toute

l’étendue du territoire national; (ii) les prix d’achat du coton graine aux producteurs sont

identiques sur toute l’étendue du territoire national; (iii) les cotonculteurs ont l’obligation de

vendre toute la production nationale de coton graine à la SODECOTON, et (iv) la

SODECOTON est tenue d’acheter aux producteurs toute la production de coton graine. Cette

formule, contrairement au mécanisme en vigueur, présente l’avantage de prendre en compte

l’ensemble des charges des producteurs, en l’occurrence les charges liées à la valorisation du

terrain, à la main-d’œuvre et à l’acquisition des intrants agricoles. Elle se présente de la manière

suivante :

- En cas de prise en compte des subventions

𝑷𝑷 = (𝑫𝑽𝑻𝑴𝑶 + 𝑫𝑰 − 𝑺)(𝟏 + 𝑹𝑴𝑩𝑵𝑪)/𝑹𝑷

- En cas de non prise en compte des subventions

5 Ahohounkpanzon et Zakari allou (2010). 6 C’est la société nationale d’égrenage de coton au Mali

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𝑷𝑷 = (𝑫𝑽𝑻𝑴𝑶 + 𝑫𝑰)(𝟏 + 𝑹𝑴𝑩𝑵𝑪)/𝑹𝑷

𝑷𝑷 représente le prix plancher du coton graine en FCFA. 𝑫𝑽𝑻𝑴𝑶 représente les dépenses

liées à la valorisation du terrain et de la main-d’œuvre par hectare de surface exploitée. Ces

dépenses mesurent, en valeur monétaire, les charges associées à la location du terrain, le

nettoyage, le premier passage des herbicides, le labour, les semis, le deuxième passage des

herbicides, le sarclage, l’épandage ou enfouissement des engrais, le buttage, le traitement à

l’insecticide, la main-d’œuvre à la récolte, le chargement des caisses, le bâchage et la coupe

des vieux cotonniers. 𝑫𝑰 représente les dépenses liées à l’acquisition des intrants agricoles par

hectare de surface cultivée. Ces dépenses évaluent, en valeur monétaire, les charges associées

à l’obtention des semences agricoles, des produits de traitement des semences, le diuron, le

glyphosate, les engrais, les insecticides. 𝑹𝑴𝑩𝑵𝑪 représente le ratio de la marge bénéficiaire

nette des cotonculteurs. Il peut être une donnée exogène, c’est-à-dire arrêtée par l’autorité en

charge de la fixation des prix de la filière coton. Mais, il peut aussi être une variable endogène,

déterminée à partir des données de la dernière campagne cotonnière :

𝑹𝑴𝑩𝑵𝑪 = {

𝑹𝑬𝑽−𝑫𝑽𝑻𝑴𝑶−𝑫𝑰

𝑹𝑬𝑽𝒆𝒏 𝒄𝒂𝒔 𝒅′𝒂𝒃𝒔𝒆𝒏𝒄𝒆 𝒅𝒆 𝒔𝒖𝒃𝒗𝒆𝒏𝒕𝒊𝒐𝒏𝒔

𝑹𝑬𝑽+𝑺−𝑫𝑽𝑻𝑴𝑶−𝑫𝑰

𝑹𝑬𝑽+𝑺𝒆𝒏 𝒄𝒂𝒔 𝒅𝒆 𝒔𝒖𝒃𝒗𝒆𝒏𝒕𝒊𝒐𝒏𝒔

Il faut noter que 𝑹𝑬𝑽 désigne le revenu total par hectare des cotonculteurs, 𝑹𝑷 le

rendement à l’hectare de la production du coton graine et S le montant des subventions

octroyées par l’État pour l’acquisition des intrants agricoles.

Les données utilisées ont été collectées auprès des services de la SODECOTON, de

la CNPCC et des cotonculteurs au mois de mars 2016 à Garoua, Pitoa et Yaoundé. Garoua et

Pitoa sont des agglomérations situées dans la région du Nord Cameroun, qui est l’un des

3 principaux bassins de production du coton au Cameroun. La SODECOTON, dont le siège

social se trouve à Garoua, est chargée de l’organisation, de la production et de la

commercialisation du coton au Cameroun. Yaoundé, capitale politique du Cameroun, héberge

l’un de ses démembrements. La CNPCC, dont le siège social est aussi à Garoua, est

l’organisation faîtière des producteurs de coton. Elle compte plus de 200 000 cotonculteurs.

Une visite à Pitoa nous a permis de discuter avec un groupe de cotonculteurs sur leurs

difficultés rencontrées dans la filière. Les données utilisées dans la présente étude pour des

besoins de simulations sont celles de la campagne 2014/2015. La base de données renseigne

sur le nombre de cotonculteurs, la superficie globale des exploitations, la production globale,

le rendement global, le prix moyen d’achat fixé de la graine de coton, le revenu total et le crédit

total alloué aux planteurs pour l’acquisition des intrants, le montant de la subvention de l’État.

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La base de données de la CNPCC informe sur les montants (i) des dépenses liées à la

valorisation du terrain et de la main-d’œuvre par hectare de surface exploitée, et (ii) des

dépenses liées à l’acquisition des intrants agricoles par hectare de surface cultivée.

Le montant des dépenses liées à la valorisation du terrain et de la main-d’œuvre par

hectare de surface exploitée est de 143 000 FCFA. Le montant des dépenses liées à

l’acquisition des intrants agricoles par hectare de surfaces cultivées non subventionnées s’élève

à 150 505 FCFA. Il correspond au rapport entre le crédit des intrants accordé aux cotonculteurs

non subventionné et la surface totale cultivée. Le crédit des intrants était de 29 593 329 000

FCFA. Au cours de ladite campagne, la superficie totale des plantations de coton était de

209 930 hectares. Le ratio de la marge bénéficiaire nette des cotonculteurs par hectare est de

0,212 en cas d’absence de subventions contre 0,231 en cas de subventions. Le revenu total des

cotonculteurs s’élevait à 78 212 630 000 FCFA; par conséquent, le revenu total des

cotonculteurs par hectare 𝑅𝐸𝑉 est de 372 565 FCFA. Le rendement à l’hectare de la production

du coton graine 𝑅𝑃 était de 1 406. Le montant de la subvention de l’État lors de la dernière

campagne cotonnière était de 2 000 000 000 (deux milliards) FCFA.

Au cours de la campagne cotonnière 2014/2015, le mécanisme actuel de fixation du

prix d’achat du coton graine au producteur soutenu par la SODECOTON avait prévu d’établir

ce prix à 242 FCFA/kg. Mais l’État du Cameroun avait décidé de le fixer à 265 FCFA/kg.

Pour un montant total de subventions d’intrants de 2 000 000 000 (deux milliards) FCFA,

chaque surface agricole a reçu la somme de 9 540 FCFA par hectare, tandis que chaque

producteur a perçu une dotation de 9 784, 11 FCFA. Pour une marge bénéficiaire nulle, le prix

plancher est de 249 FCFA/kg si on prend en compte les subventions de l’État sur les intrants

agricoles. Si par contre, on ne prend pas en considération lesdites subventions, le prix plancher

du coton graine est de 253 FCFA/kg. En conséquence, pour un kilogramme de coton graine

produit, l’État supporte le coût à hauteur de 4 FCFA. De plus, on constate que ce prix plancher

est supérieur à celui qu’avait prévu le mécanisme actuel de gestion du risque-prix lors de cette

campagne cotonnière.

Cela faisait perdre à chaque cotonculteur la somme de 11 FCFA/kg si les subventions

ne sont pas prises en compte, et 7 FCFA/kg si elles sont prises en considération. Cette perte

aurait pu induire, ceteris paribus, une baisse de la marge bénéficiaire des cotonculteurs et par

conséquent, décourager ces derniers. Une diminution du prix d’achat du coton graine aux

producteurs peut avoir un effet négatif sur les performances macroéconomiques du Cameroun,

voire sur la réduction de la pauvreté, la baisse des inégalités de revenus et l’augmentation de

la croissance économique. Dans une étude réalisée au Mali, Nubukpo et Keita (2005) trouvent

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qu’une baisse de 50 FCFA/kg du prix d’achat du coton graine aux producteurs peut entraîner

une réduction de 1,8% à 3,9 % du PIB du Mali. Les cotonculteurs camerounais affichent des

bénéfices unitaires relativement inférieurs à ceux de leurs alter egos des pays tels que le

Burkina Faso, le Mali et le Bénin.

Nos estimations trouvent une corrélation positive entre le prix d’achat du coton aux

producteurs en début de campagne et le rendement depuis la campagne 2000/2001. En effet,

entre la campagne 2000/2001 et la campagne 2014/2015, le coefficient de corrélation entre le

prix du coton et les rendements agricoles est de 0,3811. Selon le théorème de Schmidt, « les

profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après- demain ».

Le prix d’achat du coton aux producteurs camerounais en début de campagne, fixé à

265 FCFA/kg lors des campagnes 2014/2015 et 2015/2016, était le plus élevé en Afrique

subsaharienne. À ce prix, l’État du Cameroun a amené le fonds de gestion du risque-prix de la

filière coton à supporter un coût supplémentaire de 12 FCFA par kilogramme.

La fixation d’un prix d’achat du coton graine aux producteurs correspondant au prix

plancher à marge nulle semble nécessaire dans le souci : (i) de prendre en compte les effets

pervers, sur l’ensemble de l’économie camerounaise, de la fixation d’un prix d’achat initial en-

deçà des coûts de production; (ii) de garantir aux cotonculteurs une plus grande stabilité et une

relative justesse dans la formation de leurs anticipations de production; (iii) de se conformer

aux dispositions de la Décision de la dixième Conférence ministérielle de l’OMC (2015) qui

interdisent aux pays développés et aux pays en développement de subventionner la production

du coton; (iv) d’accroître les rendements agricoles; et (v) de permettre à l’État d’économiser

des ressources budgétaires.

4. Mécanisme d’abondement du FGRPC-C

Dans cette section, on va faire un examen critique du mécanisme actuel d’abondement du

FGRPC-C. Ensuite, on va suggérer un nouveau mécanisme d’abondement.

4.1. Analyse critique du mécanisme actuel d’abondement du FGRPC-C

Le mécanisme actuel d’abondement du FGRPC-C a prévu un montant plafond de son

approvisionnement de 12 000 000 000 (douze milliards) FCFA. L’abondement de ce fonds se

fait par versement annuel. Il doit être proportionnel à la marge brute positive dégagée par la

SODECOTON de la vente du coton fibre, et inversement proportionnel au taux de remplissage

du fonds. La marge brute est donnée par la formule :

𝑀𝐵+ = (𝑃𝑚𝑣 − 𝐶𝑡) ∗ 𝑇𝑓𝑖𝑏𝑟𝑒

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𝑀𝐵+ représente la marge brute positive de la vente de la fibre de coton; 𝑃𝑚𝑣 le prix moyen de

vente du coton sur le marché international; 𝐶𝑡 le cours tendance présenté à la section 2; et 𝑇𝑓𝑖𝑏𝑟𝑒

la production nette de la fibre de coton.

La quote-part de la marge brute (𝒁) qui sera versée au FGRPC-C est déterminée par la

formule de l’abondement progressif suivante (qui s’inspire de celle proposée par Louis

Goreux7) : 𝒁 = 𝟎, 𝟖 + 𝟎, 𝟓𝑿 − 𝟎, 𝟖𝒀 − 𝟎, 𝟎𝟎𝟓𝑿𝒀 (si la marge brute est positive) et 𝒁 = 𝟎 (si

la marge brute est nulle ou négative).

𝑿 représente le rapport, exprimé en pourcentage, entre la marge brute et le plafond du

FGRPC-C; et 𝒀 est le ratio entre le montant actuel du fonds avant l’abondement et le montant

maximum du fonds.

Le montant de l’abondement du FGRPC-C est donné par la formule : 𝑨𝒃𝒅 = 𝑴𝑩+ ∗ 𝒁

Cette somme est versée par la SODECOTON au FGRPC-C à l’issue de la campagne de vente

et d’embarquement de la fibre de coton, au plus tard le 30 décembre de l’année t. Par ailleurs,

après l’approvisionnement du FGRPC-C, le reliquat de la marge brute est reparti à parts égales

entre les cotonculteurs et la SODECOTON, sous la forme d’un complément de prix. Le

complément de prix aux cotonculteurs (𝑪𝒑) est donné par la formule :

𝑪𝒑 = (𝑴𝑩+ − 𝑨𝒃𝒅

𝟐)/𝑻𝒄𝒈

𝑻𝒄𝒈 représente le tonnage du coton graine collecté par la SODECOTON.

Le mécanisme actuel d’abondement du FGRPC-C semble présenter 3 principaux

inconvénients :

(i) il ne valorise pas assez la graine de coton puisqu’il ne prend pas en compte ses co-

produits dans le calcul de la marge brute. Le calcul de la marge brute nette dans le

mécanisme actuel d’abondement du fonds de gestion omet les variables telles que

l’ensemble des produits encaissables de l’entreprise (le chiffre d’affaire global, la

production globale immobilisée, les subventions totales d’exploitation, la production

générale stockée, etc.) et les charges décaissables de l’entreprise (salaires, impôts sur

la production, autres charges d’exploitation de l’entreprise);

(ii) il semble incongru dans la filière cotonnière, de plafonner l’abondement du fonds de

gestion du risque-prix. En effet, dans le marché mondial du coton, les prix sont sujets

à de fortes variations ou à une grande instabilité. Actuellement, le FGRPC-C ne

dispose pas de la somme nécessaire pour satisfaire financièrement la SODECOTON

7 Le Burkina Faso a adopté en 2006 cette technique de Goreux

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et les cotonculteurs. L’établissement de ce plafond avait une visée keynésienne. Les

partisans de la pensée keynésienne considèrent l’épargne comme un résidu, qui freine

plus l’investissement ou l’activité économique qu’elle ne l’accélère. Ce fonds de

gestion fonctionne comme un « grenier ». Par contre, les classiques considèrent

l'épargne comme un préalable à l'investissement. L'épargne donne lieu à des

investissements qui sont financés par de la monnaie exogène. Ces investissements

vont augmenter la capacité de production des entreprises;

(iii) la législation encadrant le fonctionnement du FGRPC-C n’autorise pas le prêt de ses

ressources. Cette épargne est donc improductive, pourtant elle pourrait générer des

revenus supplémentaires pouvant servir à la couverture des risques. C’est cette

épargne improductive pouvant être assimilée à une thésaurisation que les keynésiens

fustigent (Gnos, 2000; Montoussé, 2007).

4.2. Essai de proposition d’un nouveau mécanisme d’abondement du FGRPC-C

Ce fonds de gestion du risque-prix sera annuellement abondé. Il n’y aura pas de plafond au

montant des réserves financières du fonds. L’abondement du fonds de gestion du risque-prix

sera, sauf en cas de risques de catastrophes, proportionnel à la marge brute (ou excédent brut

d’exploitation) positive de la SODECOTON. Les ressources du FGRPC-C ne seront plus

thésaurisées; elles seront prêtées dans le marché bancaire pour générer des revenus

supplémentaires.

La marge brute positive est donnée par la formule : 𝑴𝑩𝑷 = 𝑷𝑬 − 𝑪𝑫= 𝑽𝑨 + 𝑺𝑬 −

𝑺𝑨 − 𝑰𝑴

MBP représente la marge brute positive, PE les produits encaissables, CD les charges

décaissables de l’entreprise, VA la valeur ajoutée, SE les subventions d'exploitation, SA les

salaires et IM les impôts sur la production.

Le montant annuel de l’abondement du FGRPC-C (AFS) est donné par la formule :

𝑨𝑭𝑺 = 𝑴𝑩𝑷 ∗ 𝟐𝟓%

Ce montant sera versé par la SODECOTON au fonds de gestion du risque prix à l’issue de la

campagne de vente et d’embarquement de la fibre de coton, au plus tard le 30 décembre de

chaque année, sauf en cas d’incident résultant des retards observés dans l’embarquement de la

fibre de coton pour des causes exogènes. L’autre avantage de cette méthodologie proposée est

qu’elle prend en compte les valeurs des co-produits. Hormis le coton fibre, la SODECOTON

produit et commercialise les huiles végétales, les tourteaux, les coques et les graines pour

semences.

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Par ailleurs, en cas de marge brute positive et après l’abondement du FGRPC-C, le

reliquat de cette marge sera réparti équitablement entre les cotonculteurs et la SODECOTON.

Ainsi, le reliquat à l’ensemble des cotonculteurs se formule de la manière suivante:

𝑹𝑴𝑩 = (𝑴𝑩𝑷 − 𝑨𝑭𝑺)/𝟐.

Individuellement, chaque producteur percevra une somme de ce reliquat au prorata de sa

production de coton graine vendue à la SODECOTON.

Lorsque la marge brute de la SODECOTON est négative, un prélèvement sera

effectué sur le fonds de gestion du risque-prix à hauteur du niveau des pertes; mais à condition

que les ressources du fonds le permettent.

Le prélèvement sur le fonds de gestion du risque-prix qui est la propriété exclusive

des producteurs, est effectué au profit de la SODECOTON en vue de (i) l’aider à supporter les

pertes qu’elle aurait enregistrées suite à une chute exceptionnelle des cours sur les marchés

internationaux, et (ii) l’inciter à ne pas répercuter les effets de cette chute des cours dans la

fixation des prochains prix de base, lissant ainsi les fluctuations du prix d’achat de base d’une

campagne sur l’autre.

Outre les fonds de gestion du risque-prix, il existe d’autres instruments de gestion de

ce risque tels que l’assurance. Cette dernière est bien adaptée au traitement des risques

indépendants, mais elle se heurte aux problèmes d’asymétrie d’information (Cordier et al,

2008).

5. Conclusions et recommandations de politique économique

En somme, la filière coton au Cameroun a enregistré quelques performances notables au cours

des 15 dernières années, en l’occurrence l’accroissement du chiffre d’affaire de la

SODECOTON, de la production de tourteaux, de la production d’huiles raffinées de coton, de

la production de coton graine et de coton fibre. Cependant, la production cotonnière de la

campagne 2014/2015 paraît encore très éloignée de la valeur cible à l’horizon 2020/2021, à

savoir 600 000 tonnes par an, et ces performances peuvent occulter certaines difficultés

rencontrées par les acteurs de la filière coton. La mise en œuvre des mécanismes efficaces de

fixation des prix planchers d’achat du coton graine aux producteurs et la révision du mécanisme

d’abondement du FGRPC-C paraissent louables dans ce contexte.

Le nouveau mécanisme de fixation du prix d’achat du coton que nous proposons

s’inspire de la formule de Waddell qui, contrairement au mécanisme en vigueur, présente

l’avantage de prendre en compte l’ensemble des charges des producteurs, en l’occurrence les

charges liées à la valorisation du terrain, à la main-d’œuvre et à l’acquisition des intrants

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agricoles. En effet, le mécanisme actuel est essentiellement indexé sur les cours mondiaux de

la fibre. Pourtant, à travers le nouveau contrat mondial sur le coton, qui confère désormais au

coton camerounais le caractère de référentiel en matière de fixation du prix, la prise en compte

de son coût de revient réel devient un impératif.

Le nouveau mécanisme d’abondement du FGRPC-C proposé présente l’avantage de

ne pas fixer un montant plafond d’abondement du FGRPC-C, de valoriser suffisamment le

coton graine en intégrant ses co-produits et d’éviter la thésaurisation des ressources dudit fonds.

L’État du Cameroun doit supprimer les subventions octroyées à cette filière et

respecter les prix arrêtés par le nouveau mécanisme. Dans un climat des affaires marqué par le

détournement des deniers publics et la corruption, les subventions agricoles semblent

inefficaces. La subvention peut être utilisée intégralement pour obtenir un avantage compétitif

ou l’accroissement de la production. Toutefois, il arrive parfois que l’entreprise qui bénéficie

de la subvention ne l’utilise pas à des fins prédéfinies (OMC, 2006). Il serait souhaitable, pour

soutenir la filière cotonnière, d’appliquer la défiscalisation sur les importations des intrants

agricoles.

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