POLITIQUE DE L’HABITAT D’UN ÂGE A UN...

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Inversement, réalisée à Locodjro, une nouvelle zone portuaire accompagnée d’une zone industrielle, aboutirait à se rapprocher de la ville : c’est d’abord pour la ville que cette opération est utile puisqu’elle permet de rééquilibrer l’emploi moteur entre Nord et Sud (diminution du coût des transports) et d’attirer au Banco une population diver- sifiée, seul moyen d’en assurer la densification et d’amortir les investissements réalisés. Cette hypothèse sur l’évolution entre ville et port expli- que également la difficulté à trouver une justification por- tuaire pour la zone industrielle de Locodjro, car il n’y a pratiquement plus de liens directs entre les entreprises s’implantant en zone industrielle et le port, du fait de la quasi-extinction de I’import-substitution. Pour le port, faire aujourd’hui le choix de Locodjro c’est tenter de reprendre son ancien rôle vis-à-visde la ville, celui de catalyseur de l’emploi moteur : ce qui se justifiera f- d’autant plus lorsque la capitale sera transférée à Yamous- soukro, la fonction publique nationale ne sera plus là pour jouer ce rôle. Si cette voie est choisie, le port sera proba- blement conduit à l’assumer jusqu’au bout en prenant en charge non seulement des zones industrielles proches des quais, mais également des zones arrière-portuaires disper- sées dans l’agglomération en commençant notamment par le projet Garomar. A plus long terme, le dialogue ville-port va être com- pliqué par l’introduction d’un troisième (( interlocuteur )> de taille : le système de production pétrolière. On sent d’ailleurs, dès aujourd’hui dans les conflits à propos de l’affectation du cordon littoral à l’ouest du canal, s’esquis- ser ce que pourront être ces relations le jour où la pro- duction pétrolière deviendra importante. La part de l’acti- vité portuaire liée au pétrole allant en s’accroissant, les responsables de ce secteur auront tendance à vouloir l’assu- mer eux-mêmes en créant des zones de chargement et de déchargement autonomes sans compter les zones industrialo-pétrolières 24 o. R.S.T. O. M. Fonds Documentaira .$o5 94 POLITIQUE DE L’HABITAT : D’UN ÂGE A UN AUTRE Michel PREVOST Aux lendemains de son indépendance, la Côte-d’Ivoire affrontait deux défis en matière d’habitat : loger les agents de 1’Etat qu’on s’employait à bâtir et faire face aux conséquences d’une croissance urbaine (essentielle- ment pour Abidjan, en ces années), dont tout indiquait qu’elle serait forte. Population : 1930 : 2 millions 1960 : 3,8 millions Abidjan 1950 : 70 O00 h 1965 : 340 O00 h L’effort de la puissance publique fût considérable. En 1980, son intervention avait permis d’édifier le cinquième du parc de logements de l’agglomération abidjanaise. La crise économique mondiale, qui frappe durement la Côte-d’Ivoire a révélé l’inadaptation, pour ajourd’hui et pour demain, de la politique du logement mise en oeuvre, non sans succès, au cours des deux décennies écoulées. Les autorités ivoiriennes sont, à présent, engagées dans une profonde révision des objectifs et moyens de cette politique. Ici, comme partout en Afrique, le défi du développe- ment doit aussi, sinon d’abord, être relevé sur le terrain de la ville. HORIZON 2010 Population : 1980 : 8,5 millions 2010 : 27 millions Abidjan : 1980 : 1,6 million 2010 : 10 millions Urbains/ruraux : 1980 : 40 % - 60 % 2010 : 74 % - 26 % Un appareil de production Si l’on comptait bien sur le dynamisme du secteur privé, on entendit confier à 1’État un rôle moteur pour le financement et le développement de la construction sociale. A côté, le secteur (( informel B ne manquerait pas de satisfaire de nombreux besoins. En 1963 et 1965 étaient fondées deux sociétés para- publiques de promotion à vocation sociale. Ce fut d’abord la Société pour la gestion et le financement de l’habitat (SOGEFIHA, société d’État).

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Inversement, réalisée à Locodjro, une nouvelle zone portuaire accompagnée d’une zone industrielle, aboutirait à se rapprocher de la ville : c’est d’abord pour la ville que cette opération est utile puisqu’elle permet de rééquilibrer l’emploi moteur entre Nord et Sud (diminution du coût des transports) et d’attirer au Banco une population diver- sifiée, seul moyen d’en assurer la densification et d’amortir les investissements réalisés.

Cette hypothèse sur l’évolution entre ville et port expli- que également la difficulté à trouver une justification por- tuaire pour la zone industrielle de Locodjro, car il n’y a pratiquement plus de liens directs entre les entreprises s’implantant en zone industrielle et le port, du fait de la quasi-extinction de I’import-substitution.

Pour le port, faire aujourd’hui le choix de Locodjro c’est tenter de reprendre son ancien rôle vis-à-visde la ville, celui de catalyseur de l’emploi moteur : ce qui se justifiera

f- d’autant plus lorsque la capitale sera transférée à Yamous- soukro, la fonction publique nationale ne sera plus là pour jouer ce rôle. Si cette voie est choisie, le port sera proba- blement conduit à l’assumer jusqu’au bout en prenant en charge non seulement des zones industrielles proches des quais, mais également des zones arrière-portuaires disper- sées dans l’agglomération en commençant notamment par le projet Garomar.

A plus long terme, le dialogue ville-port va être com- pliqué par l’introduction d’un troisième (( interlocuteur )>

de taille : le système de production pétrolière. On sent d’ailleurs, dès aujourd’hui dans les conflits à propos de l’affectation du cordon littoral à l’ouest du canal, s’esquis- ser ce que pourront être ces relations le jour où la pro- duction pétrolière deviendra importante. La part de l’acti- vité portuaire liée au pétrole allant en s’accroissant, les responsables de ce secteur auront tendance à vouloir l’assu- mer eux-mêmes en créant des zones de chargement et de déchargement autonomes sans compter les zones industrialo-pétrolières

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o. R.S.T. O. M. Fonds Documentaira .$o5 9 4

POLITIQUE DE L’HABITAT : D’UN ÂGE A UN AUTRE Michel PREVOST

Aux lendemains de son indépendance, la Côte-d’Ivoire affrontait deux défis en matière d’habitat : loger les agents de 1’Etat qu’on s’employait à bâtir et faire face aux conséquences d’une croissance urbaine (essentielle- ment pour Abidjan, en ces années), dont tout indiquait qu’elle serait forte.

Population : 1930 : 2 millions 1960 : 3,8 millions Abidjan 1950 : 70 O00 h 1965 : 340 O00 h

L’effort de la puissance publique fût considérable. En 1980, son intervention avait permis d’édifier le cinquième du parc de logements de l’agglomération abidjanaise.

La crise économique mondiale, qui frappe durement la Côte-d’Ivoire a révélé l’inadaptation, pour ajourd’hui et pour demain, de la politique du logement mise en oeuvre, non sans succès, au cours des deux décennies écoulées. Les autorités ivoiriennes sont, à présent, engagées dans une profonde révision des objectifs et moyens de cette politique.

Ici, comme partout en Afrique, le défi du développe- ment doit aussi, sinon d’abord, être relevé sur le terrain de la ville.

HORIZON 2010 Population : 1980 : 8,5 millions 2010 : 27 millions Abidjan : 1980 : 1,6 million 2010 : 10 millions Urbains/ruraux : 1980 : 40 % - 60 % 2010 : 74 % - 26 %

Un appareil de production

Si l’on comptait bien sur le dynamisme du secteur privé, on entendit confier à 1’État un rôle moteur pour le financement et le développement de la construction sociale. A côté, le secteur (( informel B ne manquerait pas de satisfaire de nombreux besoins.

En 1963 et 1965 étaient fondées deux sociétés para- publiques de promotion à vocation sociale. Ce fut d’abord la Société pour la gestion et le financement de l’habitat (SOGEFIHA, société d’État).

Ce fut ensuite, par la fusion de deux sociétés datant l’une de la période coloniale et l’autre des années 1960, la création de la Société ivoirienne de construction et de gestion immobilière (SICOGI , société d’économie mixte). La Caisse centrale de coopération économique participe au capital de la SICOGI et lui apporte des con- cours à des conditions privilégiées. Pour assurer un financement efficace des outils de production qu’on venait de créer, était institué en 1968, l’Office pour le soutien de l’habitat économique (OSHE). Celui-ci était chargé de gérer les ressources publiques consacrées au secteur et alimentées principalement par une taxe sur les salaires.

En 1971, le dispositif était complété par la création de la Société d’équipement des terrains urbains (SETU), chargée de réaliser et coordonner les travaux de viabilisa- tion et de desserte des terrains à bâtir.

Enfin, l’appareil de financement du secteur devait être amélioré par la fusion de l’OSHE, en 1977, avec la Ban- que nationale pour l’épargne et le crédit (BNEC), laquelle avait été fondée en 1975. Cet établissement se voyait affecter la totalité des deniers publics réservés à la construction. La BNEC se devait d’assurer le finance- ment des sociétés para-publiques mais encore, de manière générale, tous concours à la promotion de l’habitat économique. Dans le système bancaire ivoirien, la BNEC tenait seule la place d’une véritable banque de l’habitat.

Dans ce contexte, les sociétés para-publiques ont pu construire jusqu’à 72 O00 logements, au total. Au plus fort de son activité la seule SICOGI était parvenue à met- tre en chantier 5 O00 logements l’an.

Une politique du logement

La puissance coloniale avait instauré un droit au loge- ment gratuit pour tous les agents de l’administration. La Côte-d’Ivoire héritait de cet usage. Allait-on revenir sur cet avantage, au moment où 1’État indépendant était dans la nécessité de susciter des vocations pour son ser- vice et s’employait à retenir au pays l’élite de ces fils ? Force était aussi de prendre acte de ce que l’accès au cré- dit immobilier était encore hors de portée du plus grand nombre des fonctionnaires.

Enfin, la Côte-d’Ivoire s’était engagée à loger gratuite- ment les expatriés employés dans son administration. Ceci devait beaucoup peser par la suite. De quelques cen- taines dans les années 1960, les expatries vinrent par mil- liers. Bien naturellement, les cadres nationaux seraient conduits à demander un droit égal à celui accordé à leurs collègues étrangers.

Une telle pression, justement compréhensible, voire

CITES AFRICAINES AFRICAN CITIES

pleinement fondée, pouvait-elle être longtemps contour- née ? Devait-on encore s’attendre à ce qu’elle fut limitée aux seuls cadres supérieurs ?

La nécessité, tout comme la volonté, d’engager sans tarder le processus du développement, en donnant satis- faction aux cadres, conduisit 1’État à loger nombre de ses agents, qualifiés pour la circonstance (( d’ayants-droit H (médecins, enseignants, militaires et hauts responsables des services de 1’État). L’option fut cependant ouverte de percevoir une indemnité, à charge pour l’ayant-droit de trouver un logement à sa convenance. Au résultat, la quasi totalité des intéressés devait préférer le logement direct par 1’État.

Le patrimoine public ne suffisant pas à tous les besoins, les bénéficiaires de logements gratuits devenant plus nombreux, 1’État en vint à bailler une partie de plus en plus considérable du parc de la SOGEFIHA et de la SICOGI, mais encore un nombre grandissant de loge- ments privés.

Par souci d’assurer l’accès au logement des familles à bas revenus, décision était prise en 1970 de diminuer, puis bloquer, les loyers de l’habitat économique des sociétés para-publiques.

Un édifice lézardé dans la crise

1975 : la Caisse centrale de coopération économi- que, bien que toujours actionnaire de la SICOGI, décide de ne plus apporter de concours privilégiés, partout en Afrique, dans le domaine de l’habitat. Ceci entamera quelque peu les activités de la société. Fort heureuse- ment, la BNEC créée à cette même date et gérant les fonds publics affectés au secteur pourra prendre le relais..

1976 : la situation financière de la SOGEFIHA justi- fie qu’on dresse un diagnostic, qui aboutit, en 1977, à un plan de redressement, passant notamment par la révision de la politique des loyers. Le dispositif convenu ne put être mise en œuvre ;

1979 : instruction est donnée à la SOGEFIHA de ne plus entreprendre de nouveaux programmes ;

0 1980 : la BNEC est dessaisie de la gestion des res- sources publiques réservées au secteur habitat. Désor- mais, ces deniers réintègrent le budget de 1’État. I1 n’y a plus de (( ressources affectées B au soutien de la politique de l’habitat, sinon une ligne appelée Fonds de soutien à l’habitat (FSH), dont le crédit varie selon la conjoncture.

Les premières lézardes de l’édifice mis en place apparu- I$nt peu avant que les effets de la crise économique mon- diale ne pèsent de plus en plus sur le pays. Les décisions

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Modes d’habiter à Abidjan

% de la popula-

* L’identification (( société immobilière )) correspond aux productions des sociétés para-publiques et privées. Si en 1980, le parc des sociétés para- publiques comptait pour 20 % des logements de l’agglomération, il en repré- sente ajourd’hui un peu moins de 15 % ; ceci en raison de l’arrêt quasi totale de la production des sociétés et de la croissance du parc l iéà celle de la popu- lation urbaine. A noter que le parc de bon et moyen standing représente 39 % du patrimoine abidjanais de la SOGEFIHA et 27 % de celui de la SICOGI.

tion 7 % 20 % 48 % 25 %

p d u c t i o n des sociétés para-publiques (3019-1983) Importance de la location (I984)

SOGEFIHA : 36 O00 logements, dont 74 % a Abidjan, 7 % dans les vil- les de l’intérieur et 19 % en zones rurales Type Résidentiel imS$Aéiére Spontané

SOCOGI : les villes de l’intérieur

L’activité de la SOGEFIHA en zones rurales était conforme aux instructions qui lui avaient été données, a sa création.

35 730 logements, dont 95 % a Abidjan et le solde dans

[Le parc (1984) I

Type d’habitat Résidentiel societe immobilibre Evolutif Spontané

% du parc 10 % 15 % 50 % 25 %

In istribution de la population dans le parc (1984)

csp Cadres Employés Employés sans qualifiés qualification

RMm : 8 fois RMm : 3 fois RMm : 1 a 2 Type d‘habitat le Smig le Smig fois le Smig

1 Logement économique 63 % 22 % 6 %

1 Résidentiel 10 % O O Moyen et bon standing 11 % 2 % 0 %

Evolutif, spontané et tra- ditionnel 16 % 76 % 94 %

(100 %) (100 %) (100 %)

RMm : Revenu mensuel moyen CSP : catégories socio-professionnelles

de 1979 et 1980, qui entérinaient déjà la fiñ d’une épo- que, tosmbèrent aux moments où la situation économique s e dégradait profondément. Les cours du café et du cacao connaissaient une grave dépression, privant la Côte-d’Ivoire de la plus substantielle de ses ressources. La capacité de l’épargne nationale, qui avait pu financer une très grande partie des investissements dans les années 1975, ne concourait plus en 1977 qu’à 53 Yo de ceux-ci, pour tomber, en 1980, à 38 Yo des besoins. Les crédits à moyen et long terme accordés au secteur bâtiment-

% de locataires 87 % 71 % 85 % 65 %

Taux d’effort consacré au logement par type d’habita (I984)

moyen et type d’habitat évoiutif économique bon standing

% d u R 17 % 14 % 16 %

Loyer mensuel moyen/revenu mensuel moyen des catégories socio- professionnelles distribuées dans ces types d’habitat.

Taux d’effort consacré au logement par catégorie professionnelle Employés sans qualification : 13,75 % du RMm Employés qualifiés : 13,07 % du RMm Cadres : 11,30 % du RMm

On rappellera, pour mémoire que le (( standard )) international en matière de politique de l’habitat porte A. 25 %,en moyenne du revenu le taux d’effort des ménages.

travaux publics (BTP) s’effondraient pour tomber en 1980 à la moitié de ce qu’ils Ctaient en 1977. Alors, qu’entre 1975 et 1978 ce secteur avait progressé (25 Yo l’an, en moyenne) trois fois plus vite que l’ensemble de l’économie, il était conduit à réduire de moitié ses effec- tifs entre 1980-1982. Au cours du troisième trimestre 1981, le nombre de logements mis en chantier n’était que de 620. Enfin, les engagements pris avant 1980 aboutis- saient à un processus d’endettement extérieur grandis- sant.

La crise venait de révéler la fragilité du système : aux difficultés financières des sociétés - (de la SOGEFIHA, surtout) - liées en particulier à la politique des loyers, correspondait aussi une inadaptation des mécanismes de financement après 1980. Les ressources à long terme à des coûts acceptables pour une politique sociale de l’habitat, se faisaient de plus en plus rares, jusqu’à deve- nir inexistants. Le blocage de l’appareil, conjugué à celui de l’économie générale allait engendrer un effondrement dramatique de la construction, au cours des années 1980- 1984.

Une nouvelle Dolitiaue de l’habitat

0 1981 : lancement du Plan quinquennal 1981-1985. Le document prend acte de ce que la politique antérieure n’est plus de circonstance.

tt Au-delà de la seule politique de l’habitat social, c’est bien la mise en place d’une politique globale qui est en cause D .

Plan 1981-1985, tome 2, volume 2, page 725.

Novembre 1982, le président de la République pro- nonce une allocution radio-télévisée, à l’occasion de la Journée mondiale de l’urbanisme. I1 confirme la néces- sité de réviser la politique du secteur.

a La mise en cause de nombreuses pratiques de la première période de notre indépendance tient autant au changement d’échelle de notre économie qu ’à la conjoncture ; c’est la combinaison des deux que nous devons surmonter. Par ailleurs, les critiques qui ont été faites aux mécanismes en place jusqu ’en I980 demeurent et, en outre, avec 1”évolution natio- nale, les problèmes à résoudre, aujourd’hui et dans les dix années à venir, ne sont pas ceux des années 1970 ... Le contexte économique actuel nous oblige à reconsidérer les politiques conduites antérieurement et à réorienter 1 ’intervention financière de IY?tat B

Janvier 1983 : révision radicale de la politique du logement des agents de 1’État. Désormais seuls les (< per- sonnels en tenue >) bénéficient de la gratuité. Une liste limitative précise quels fonctionnaires ont droit à une indemnité de logement. Ceux d’entre-eux qui sont logés dans le patrimoine public ou baillé par l’État verront leur indemnité prélevée sur leur solde et acquitteront, en sus, une redevance proportionnelle à leur grade.

0 31 mai 1983 : le gouvernement adopte une (t Décla- ration de politique économique >) liée au second prêt d’ajustement structurel accordé par la Banque mondiale à la Côte d’Ivoire. Au nombre des engagements ainsi pris figurent les orientations de la réforme de la politique de l’habitat.

Le bout du chemin est clairement indiqué. I1 s’agit de désengager peu à peu 1’État jusqu’à la limite de sa voca- tion essentielle qui est d’orienter et inciter. Dans l’immé- diat, il importe d’assainir la situation des sociétés para- publiques. Ceci doit passer en particulier par une réforme de la politique des loyers. C’est une nécessité pour libérer les finances publiques en faveur d’une relance que l’effondrement de la production impose, mais encore et surtout que la réalité économique du mar- ché immobilier commande. On créera des mécanismes de financement à long terme, fondés sur une mobilisation grandissante de I’épargne privée de manière à couvrir sinon la totalité, du moins la plus grande partie du champ de l’habitat.

CITÉS AFRICAINES AFRICAN CITIES

Une transformation des règles du jeu

L’ampleur de la réforme ainsi engagée aboutira à un bouleversement considérable du paysage économique de l’habitat. Mais, nul ne peut songer que la situation pré- sente puisse être rapidement retournée par quelques mesures régaliènnes. I1 y aura des étapes, selon un proce- sus qu’il faut concevoir. Par où, et alors comment, enta- mer les règles présentes pour mettre en mouvement le système actuel ? Ceci renvoie à l’examen des mécanismes réels qui ont créé l’habitat d’aujourd’hui.

L’intervention de 1’État a permis aux sociétés para- publiques de produire un parc composé aux deux tiers de logements économiques ; le solde étant de l’habitat inter- médiaire. Aujourd’hui, ce parc représente un peu moins de 15 “o des logements.

Dans la nécessité de satisfaire au plus vite les besoins les plus pressants et compte tenu des ressources disponi- bles aux lendemains de l’Indépendance, on avait choisi de privilégier le logement économique, fortement sou- tenu par 1’État. Cette option de première urgence sacri- fiait, au moins dans l’immédiat, la production d’un habi- tat intermédiaire de bas et moyen standing. Faute qu’on ait, en cours de route, réaménagé la priorité initiale en faveur de cet habitat, il s’est produit une pression de plus en plus forte sur le logement économique des sociétés para-publiques. L’effondrement de la production, au cours du quinquennat qui s’achève (1981-1985), n’a pu qu’ajouter au phénomène. La SICOGI n’aura produit au cours de la période que quelques 1 O00 logements, cepen- dant qu’une part importante du FSH était consacrée au soutien financier de la SOGEFIHA. Mais encore, les très sévères restrictions bancaires au financement de l’habitat des familles à revenus très supérieurs à la moyenne ont abouti à porter plus haut l’origine des tënsions qui s’exer- cent sur le logement économique.

Les promoteurs privés se sont orientés vers la pro- duction de haut standing, correspondant aux finance- ments qu’ils obtenaient et inspirés qu’ils étaient par l’objectif économique d’une forte rentabilité. Ont-ils trouvé dans le système qui prévalait des raisons de s’employer dans le logement intermédiaire et, a fortiori, économique ?

Les investisseurs particuliers ont, selon leurs capacités, investi dans l’habitat évolutif et ponctuellement dans l’intermédiaire. Ne disposant pas d’une capacité substan- tielle d’autofinancement et de facilités pour accéder .au crédit bancaire (mais les règles de celui-ci étaient-elles adaptées à cette clientèle ?), ils ne pouvaient s’engager sur le marché du logement économique du type société para-publique. Leur démarche correspondait moins à une stratégie d’investissement à terme qu’à celle de trou- ver, peu à peu, des revenus complémentaires grandis-

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sants. Au demeurant, en raison des loyers pratiqués par les sociétés para-publiques et des aides dont elles bénéfi- ciaient, l’évolutif, produit du tâcheronnage, s’est trouvé en concurrence avec une partie de l’économique des sociétés.

Au résultat, la distribution du parc et son occupation révèlent que l’habitat économique fait défaut, cependant que ses règles d’amortissement sont entravées par la poli- tique des loyers, et qu’il est à l’usage d’une majorité de cadres moyens. Ceux-ci n’ont pas trouvé de logements intermédiaires de moyen standing, ce parc étant très insuffisant.

La seule importance du phénomène locatif indique assez qu’il engendre, à coup sûr, des revenus considéra- bles. Comme hier, ceux-ci sont en partie réinvestis dans l’évolutif, puisque les mécanismes actuels conduisent à cela.

Une mobilisation et réorientation des ressources

Si la contribution de 1’8tat à la production de la ville a été considdrable, tout démontre aussi que celle du privé le fut également. Après tout, celui-ci a bâti plus des trois quarts d’Abidjan ; de ses quartiers résidentiels à ses zones insalubres.

De toute évidence, il a bien existé une capacité natio- nale d’épargne qui s’est investie dans l’immobilier. Celle- ci s’est tournée, selon la raison économique, vers les cré- neaux habitat que le système offrait à chaque acteur.

Aussi, la question qui est aujourd’hui posée est moins de trouver des ressources (il y a des revenus locatifs, entre autres) que de capter l’épargne potentielle, la transfor- mer et l’orienter vers les créneaux d’habitat qui font défaut.

Du point de vue de l’investisseur, il s’agit de rendre attractif des secteurs. La libération de la politique de loyers pratiqués par les sociétés para-publiques, qui avait faussé les rapports entre l’économique et l’évolutif, est une première réponse. La rareté des crédits bancaires fait que les temps sont révolus d’une forte rentabilité à court terme sur l’habitat haut de gamme. Et le départ massif des expatriés a détendu ce marché. De sorte que l’épar- gne potentielle doit pouvoir trouver à mieux s’employer, si elle trouve en face des mécanismes de financements longs.

L’équilibre des forces, qui résultent de l’ancien système, peut être ainsi rompu par la révision de la politi- que des loyers et le réaménagement des règles de finance- ment appliquées à l’habitat économique et intermédiaire.

I1 reste à donner l’impulsion nécessaire à l’ébranlement de la situation actuelle. Cela doit provenir d’une action de relance, soutenue par le redéploiement et la modula-

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O. R. S.T. O. M. Fcnds Documixtaire

tion des concours de 1’État auprès des secteurs stratégi- ques que nous venons d’identifier.

Les deniers publics étant fort comptés en cette période de crise et lourdement grevés, dans le domaine de l’habi- tat par la situation de la SOGEFIHA, 1’État devra faire appel momentanément à des ressources extérieures.

Le paysage économique de l’habitat ne changera pas du tout au tout du jour au lendemain. La ville conservera quelque temps encore le visage de ses vingt-cinq ans. Le tâcheron continuera longtemps à monter, au fil des mois, les murs de parpaings qui sont le lingot du G pauvre D. Des mécanismes de péréquation fondés sur les bases du nouveau système devront être inventés pour des finance- ,merits adaptés aux familles à bas revenus. Mais, déjà on aura commencé à relever le défi du développement urbain dans la crise et préparer les chemins d’un nouvel âge de la politique d’habitat I

L’URBANISATION ET LES DROITS COUTU MIERS Pierre-Claver KOBO

Parmi les problèmes auxquels se trouvent confrontés les aménageurs urbains lorsqu’ils doivent agrandir le périmètre urbain, viabiliser de nouveaux espaces, l’un des plus délicats à résoudre est, sans conteste, la (( bar- rière )) foncière constituée par les terrains détenus coutu- mièrement. Le fait est que, nulle part en Afrique noire, la domanialisation, la nationalisation ou l’immatriculation ne sont parvenues à faire disparaître les modes de tenure foncière coutumière. Leur vitalité est telle que les ignorer au nom de la stricte légalité, c’est bien souvent se con- damner à l’échec ou allumer des révoltes populaires. Ces perspectives ont conduit les pouvoirs publics urbains dans la quasi totalité des États africains, à mettre au point des procédés originaux pour s’assurer la maîtrise effective des possessions foncières coutumières nécessai- res à l’urbanisation.

I1 en va ainsi en Côte-d’Ivoire et particulièrement à Abidjan avec l’opération dite (( purge des droits coutu- miers B. Celle-ci vise à l’extinction des droits sur le sol des détenteurs coutumiers par suite du versement d’indemnités compensatrices par la puissance publique.