Point Jaune · À 500m de là, dans une piaule défraichie. « Le petit bonhomme en mousse» passe...

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1 Point Jaune Les enfants qui dorment dans la rue à Charleroi. Je vous présente Riton, un enfant de 14 ans qui habite Charleroi. Enfin, « habiter » n’est sans doute pas le terme adéquat. Il dort à Charleroi. Dans la rue. Riton est un enfant qui dort dans la rue à Charleroi.

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Point Jaune

Les enfants qui dorment

dans la rue à Charleroi.

Je vous présente Riton, un enfant de 14 ans

qui habite Charleroi. Enfin, « habiter » n’est sans doute pas le terme adéquat.

Il dort à Charleroi. Dans la rue. Riton est un enfant qui dort dans la rue à Charleroi.

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Mise en contexte…

Charleroi… 20 décembre 2016, soirée. Le cube

radiophonique brille de tous ses feux pour éradiquer la

pauvreté des enfants. Le vin chaud réchauffe les cœurs et

amène sur les visages les sourires de fin d’année. C’est « le

petit bonhomme en mousse » qui passe à la radio.

À 700 mètres de là, dans leur tente de fortune aménagée

avec de vieilles couvertures récupérées, 3 gamins. 15 ans ?

16 ans ? Le vin est froid. Et rêche. Une saloperie de

piquette. Mais il fait oublier la température très hivernale.

Trop froid. Le vin ne suffit pas pour oublier ce temps glacé.

Pour vraiment oublier : la came. Tony approche la seringue

du cou de son copain Steeve. La seringue passe du cou de

Steeve au pli du genou de Francesco puis au pied de Tony.

Dans quelques minutes, ils n’auront plus froid. Ou ne le

sentiront plus. Ils vont dormir. Serrés l’un contre l’autre.

Dans cet abri incertain. Deux couvertures jetées sur leurs

frêles épaules.

C’est Julien dans le cube. Qui explique que « la pauvreté des enfants, c’est pas

possible ». Et que « tous ensemble, si on fait un don, on va sauver les enfants de

cette misère ». Il signe quelques autographes. Quelques selfies aussi. Les yeux

pétillants de ceux et celles qui ont la chance de l’approcher. « This One’s for

you… » accompagne les gentils fêtards…

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À 500m de là, dans une piaule défraichie. « Le petit bonhomme en mousse »

passe en sourdine à la radio. Nancy, pas plus de 14 ans, à moitié nue sur un lit

sale. Un gros bonhomme s’active sur son corps fragile mais déjà si cabossé. Il est

vieux, il transpire et sent mauvais. Mais il ne lui fait pas de mal. À part la

sauter alors qu’elle n’en a pas envie. Vraiment pas. Mais au moins, cette nuit

encore, elle pourra dormir entre 4 murs et un toit au-dessus d’elle. Dans une

température agréable.

C’est fini. Le gros porc s’est enfoncé dans le sommeil, à côté d’elle, dans le lit.

Impossible pour elle de dormir avec le corps de l’homme, si proche. Ça la

dégoûte. Elle attrape ses vêtements, file dans la cuisine, s’approche du lavabo.

Elle nettoie la souillure avec le vieil essuie qu’elle trouve. S’observe dans la

glace. Son viol d’hier s’est moins bien passé. L’œil gauche est encore tuméfié.

Au moins, le gros d’aujourd’hui ne l’a pas frappé. Et elle peut espérer un café

chaud pour entamer sa journée demain matin. Mais qu’est-ce qu’il la ferait

vomir ce porc. Nancy se rhabille. Et elle se couche dans le canapé défoncé.

Demain, elle ira dormir avec Samir. Il fera froid. Ils trembleront toute la nuit

l’un contre l’autre, mais elle aimera la main de Samir sur son ventre. Le ventre

pour réchauffer la main, la main pour réchauffer le ventre. Mais il fera tellement

froid…

Près du cube, Benjamin a l’air un peu con dans son costume du Père Noël. Mais

il vend ses boules et rapporte des sous pour l’opération. Les gens l’aiment bien

Benjamin. Il est si proche des gens. Et puis, avec lui on peut dire ce qu’on

pense. Générosité, démagogie, solidarité, populisme, on n’est pas à une

contradiction près. Yves Duteil chante sa plus célèbre chanson sur le disque qui

passe à la radio…

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À un kilomètre de là, sur les bords de la Sambre, Yves marche vite… Marcher,

marcher… pour ne pas avoir froid. Il vient de se faire jeter du squat qu’il

partageait avec trois autres. Ils en avaient marre de l’entendre chialer la nuit. Il

avait bien essayé de se contenir, mais c’était plus fort que lui. Pleurer sur sa vie

qui se déglingue, sur un avenir qui n’existe plus… Marcher, marcher… Vite.

Pour ne pas avoir froid. Demain. Il ira retrouver sa maman. Et cette fois, c’est

décidé, il fera les efforts nécessaires pour se réconcilier avec elle. Il l’aime sa

maman. Ils sont faits pour vivre ensemble. Demain, il trouvera des fleurs pour lui

offrir, il prendra le métro et il ira chez elle. Marcher, marcher… Vite… Parce

que le froid est bien là. Il le sent. Il entend ses dents. Qui claquent. Contenir ce

claquement. Jouer avec lui… Aller… Faire claquer ses dents au rythme des pas.

Au loin la rumeur de la fête. Il irait bien voir. Mais il n’oserait pas. Il se

ferait jeter… Marcher, marcher… Tenir jusqu’à un petit peu avant 6h demain

matin. Quand la gare ouvrira ses portes. Il ira se réchauffer. Peut-être que

Sylvie sera là. Et peut-être qu’elle lui offrira un cacao chaud… Comme ça, en

cachette de la patronne. Tenir le coup… Marcher, marcher… Sa maman…

Elle sera encore saoule demain quand il arrivera. Et son mec ne voudra pas qu’il

rentre dans la maison. Même pas qu’il rôde dans les alentours. Il le chassera,

lui jettera des cailloux pour qu’il se casse. Maman… pourquoi t’es comme ça…

Pourquoi tu ne m’aimes pas… Marcher, marcher… vite. Pour ne pas avoir

froid. Un pied devant l’autre. Les dents qui claquent trop vite. Les larmes qui

coulent et gercent le visage. Encore 7h avant l’ouverture de la gare… Qu’est-ce

qu’il fait froid… Marcher, marcher… Vite…

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9 mars 2017. Il fait moins froid. Charleroi est en fête. Steeve, Tony, Francesco

dorment toujours dans la rue. Ils ont survécu aux températures glaciales du mois

de janvier. Yves ne s’est pas réconcilié avec sa maman. Et il s’est bien fait rosser

par le mec à sa mère qui le trouvait bien trop insistant. Il est retourné au squat

où il est à nouveau accepté… à condition d’être gentil avec les trois autres

occupants… C’est un peu dur, mais il a de la compagnie. Nancy passe ses nuits

avec Samir dans un petit squat qu’ils se sont trouvés. Ça sent mauvais. Mais

elle est avec lui, et ses muscles la rassurent…

6 juin. La plupart de ces gosses sont toujours à la rue. Ils sont entre 20 et 30 à

Charleroi. À naviguer entre quelques nuits chez un copain ou un autre, à

convaincre les responsables d’un abri de nuit qu’ils sont majeurs, à passer deux ou

trois jours dans un service de première ligne de l’aide à la jeunesse. Et le reste…

Dans la rue… Ils s’appellent Steeve, Francesco, Yves, Tony, Nancy. Peut-

être aussi Sara, Julien, Benjamin… Rachid ou Paul…

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Introduction.

En 2014, conformément à l'arrêté du 15 mars 1999 relatif aux conditions particulières d’agrément et d’octroi des subventions pour les services d’aide en milieu ouvert, tel que modifié en 2011, (qui) précisait que « l’action communautaire de tout service AMO repose nécessairement sur un diagnostic social de la zone d’action du service réalisé conformément à une grille définie par le Ministre ayant l’Aide à la jeunesse dans ses attributions »1, l’AMO Point Jaune a réalisé son diagnostic social.

Dans ce diagnostic social, l’AMO mettait en évidence les projets qu’elle menait notamment en lien avec la précarité ou l’errance (p.5), notamment parce que la plupart des jeunes qu’elle rencontre vivent des états de grande précarité (p.6).

Le diagnostic social relevait que pour une série d’adolescents en souffrance, la débrouille devenait souvent une solution nécessaire (p.8), mais qu’elle n’était pas viable sur le long terme. Les amis qui pouvaient proposer un refuge, n’étaient pas nécessairement à l’aise financièrement eux-mêmes, ce qui les amenait à interrompre le dépannage. Et qui conduisait ces jeunes à la rue (p.9), devenant dès lors des « jeunes en errance ». Nous relevions dans ce diagnostic que ces jeunes qui n’avaient plus grand-chose à perdre, pouvaient se montrer violents au sein de notre service, mais que nous essayions toutefois de continuer à les accueillir pour ne pas qu’ils se sentent abandonnés une nouvelle fois (p.9).

Dans ce diagnostic en 2014, nous présentions Louise (p. 12) qui avait 16 ans à l’époque. Nous racontions son parcours de vie, notamment en lien avec les institutions et notamment celles de l’aide à la jeunesse. Nous racontions combien Louise vivait des stratégies de débrouilles, comment elle intégrait les codes de la rue. Nous pointions que le système d’aide avait peu de solutions à lui fournir et expliquions alors qu’au hasard de ces rencontres, elle pouvait obtenir, contre son corps, un toit pour une nuit, un peu de drogue, d’attention ou d’argent. 1 http://www.aidealajeunesse.cfwb.be/index.php?id=4648

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Nous y présentions aussi Simon (p. 13), un jeune aux capacités de compréhension limitées, qui n’a pu trouver sa place dans les différentes institutions qui lui ont été proposées, notamment du fait de son comportement impulsif. Ce jeune, à la limite de l’AWIPH (nous dirons AVIQ aujourd’hui), de l’aide à la jeunesse et de la psychiatrie, n’avait aucune solution durable. Il vivait de la débrouille, dormait chez des connaissances, dans la rue et travaillait parfois « au noir ».

Ce constat nous le faisions en 2014. Espérant, sans doute trop optimistes, que cette problématique difficile serait davantage prise en compte. Mais nous avons le sentiment que rien n’a bougé. Et en 2017, notre constat est le même. Inacceptable. Effrayant. Indécent.

Nous nous devons d’assumer notre part de responsabilité. Mais nous refusons d’être les seuls. C’est pourquoi nous faisons le choix, à partir de cet écrit, de davantage accentuer cette mission d’interpellation qui nous revient, au travers de cette action communautaire et que nous concrétisons d’une part dans le diagnostic social, mais d’autre part, dans une interpellation directe à ceux qui portent l’Aide à la Jeunesse mais aussi aux responsables politiques les plus concernés par ces situations.

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Présentation de l’AMO Point Jaune.

Au cœur de Charleroi, un service d'aide aux jeunes et aux familles unique en Wallonie accessible 24H/24 - 7 jours/7 ... Les maîtres mots de notre travail : La confidentialité, l’anonymat, la gratuité et la venue volontaire.

Point Jaune est un lieu où les jeunes peuvent se poser avec une possibilité d’hébergement ... un outil exceptionnel d’une nuit renouvelable deux fois. Cet hébergement permet au jeune de prendre du recul et de réfléchir avec l’aide d’un travailleur aux pistes de solution. Ce temps est souvent trop court mais il peut permettre au jeune d’amorcer une reconstruction du lien social, de se réconcilier avec l’un ou l’autre service et/ou membre de sa famille, voire de rebondir. Point Jaune propose à partir de cet hébergement une multitude de services : de l’écoute et des entretiens, de la médiation, un suivi des familles, des adolescents, des enfants, des animations dans les écoles, du travail social de rue,…

L’errance…

L'errance des jeunes est une problématique qui nous touche particulièrement et qui est réfléchie depuis de nombreuses années par les trois institutions d'aide à la jeunesse offrant un hébergement de crise, à savoir, l'AMO « SOS Jeunes » à Bruxelles, le PPP « Abaka » à Bruxelles, l'AMO « Point Jaune » à Charleroi

« Vie faite de déplacements aléatoires dans une illusion groupale soutenue parfois par un usage de substances psycho actives. En quête d'identité collective, insatisfait de la vie sédentaire et de son tissu relationnel. Ils ont des difficultés à se construire du fait de leur trajectoire personnelle souvent caractérisée par l’enchaînement de ruptures avec les différentes instances remplissant une fonction de socialisation »2.

2 François Chobeaux : Intervenir auprès des jeunes en Errance, Ed. La Découverte, Paris 2009.

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Le travail social de rue.

Parce qu'on ne sait pas toujours à quelle porte frapper ou vers qui se tourner .... Quand les mots ne viennent pas dans les moments difficiles ... Les travailleurs sociaux de rue sont accessibles dans le centre ville de Charleroi pour discuter, se poser, accompagner le jeune dans ses choix.

Depuis 2007, l’A.M.O. « Point jaune » a réinstauré, un travail social de rue. En effet, 2 travailleurs sociaux avec des profils d’éducateurs travaillent « extra muros » en assurant une présence régulière dans le centre-ville de Charleroi et les quartiers à l’intérieur de la petite ceinture formée par le périphérique R9. Aussi, en plus d’être supervisé par un référent pédagogique qui a été lui-même travailleur social de rue durant 10 ans, les 2 travailleurs sociaux participent régulièrement à « traces de rue », la plate-forme belge francophone des travailleurs sociaux de rue. Cette plate-forme défend une méthodologie de travail social non sécuritaire largement inspirée du « guide international de dynamo sur le travail social de rue ». Le travail social de rue propose une approche des jeunes dans leurs lieux de vie tels que les lieux publics, culturels ou communautaires. Cette approche sociale veut avoir un regard global et pluriel des réalités complexes coexistant sur les différents terrains ciblés, et ce, en dehors de tout mandat. Le travailleur social de rue rencontre son public en l’abordant et/ou en se laissant aborder par celui-ci. Il crée ainsi une relation de confiance qui permet l’écoute, le dialogue et l’action en prenant en considération toute demande formulée par le public. L’action du travailleur social de rue s’inscrit dans une logique socio-éducative dans le respect des singularités et des choix de vie du public visé. Dans le long terme, l'objectif de ce travail reste toujours de créer ou renforcer un lien avec les jeunes, en étant un référent extérieur disponible et à l'écoute. Les actions entreprises par les travailleurs sociaux veillent à inclure les personnes dans une démarche participative qui doit avoir comme finalité l’émancipation et l’autonomie du public.

Des projets pour les jeunes, par les jeunes…

En outre, Point Jaune a pour mission de mener des actions communautaires. La démarche se veut participative et émane de constats et/ou de demandes de jeunes et de leur famille. L’objectif des projets est de favoriser l’expression des jeunes tout en modifiant et en enrichissant la vue de l’environnement sociétal de ces derniers.

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Le travail avec la population « en errance » à Point Jaune.

Dans le diagnostic social de 2014, nous précisions notre travail avec cette population. Nous pouvons travailler avec ce type de jeunes grâce à notre fonctionnement 7j/7, à l’accueil continu et à la venue « sans condition ». Il pourra être hébergé et grâce au travail de l’éducateur écouté et sécurisé. Même si une solution ne se dégage pas dans l’immédiat il ne sera pas mis dehors. Ce qui motive l’AMO dans ce genre de situation, c’est clairement la notion de danger pour le jeune (p. 6 du diagnostic 2014).

La venue « sans condition » nous permet de travailler même si le jeune n’a pas de projet, ce qui est souvent le cas pour ces jeunes dans des logiques de survie. Nous pouvons dès lors nous centrer sur la relation (p. 15).

Mais notre possibilité se limite à un hébergement d’une nuit renouvelable deux fois, ce qui n’est pas suffisant pour travailler les difficultés du jeune. Ces ados en souffrance devront ensuite, soit retourner dans leur famille dans une relation de crise, soit se débrouiller (p. 8). Nous nous retrouvons démunis face à de nombreuses situations. La prise en compte des réalités de terrain (par l’aide à la jeunesse, mais aussi par d’autres services de l’aide sociale) est trop faible. Face à la complexification des situations engendrées par le contexte sociétal et l’appauvrissement des familles, la diminution de l’offre de logement, l’emploi,… les pistes de solution s’amenuisent (p. 16). Les tout jeunes majeurs, qui n’ont pas trouvé leur place, ont été mis en échec hors cadre de l’aide à la jeunesse, sollicitaient également le service en 2014 (p. 16). Et si nous pouvons saluer le protocole d’accord entre l’AAJ et les Cpas, tout comme le projet de code qui prendra davantage en compte cette population, nous ne pouvons qu’exprimer les plus fortes craintes sur d’une part, les solutions que nous pourrons apporter à ces jeunes, et d’autre part, sur la masse de travail supplémentaire que cela pourrait amener chez nous, travail pour lequel nous ne pourrions prouver que notre bonne volonté, mais également notre incompétence.

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Au quotidien, notre travail s’inscrit en cohérence avec les textes fondamentaux qui concernent l’Aide à la Jeunesse. Au quotidien, mais particulièrement aussi dans notre travail d’interpellation que nous présentons ici. C’est effectivement en lien avec la convention internationale relative aux droits de l’enfant, le décret de l’aide à la jeunesse de 1991, l’arrêté du 15 mars 1999 relatif aux services d’aide en milieu ouvert, l’Avant-projet de décret portant le Code de la prévention, de l’aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse et du Code de déontologie des services du secteur de l’aide à la jeunesse que nous avons, ici, porté notre réflexion. Particulièrement par rapport aux extraits que nous présentons ci-dessous.

L’information et l’interpellation sont deux des missions d’un service d’Aide à la Jeunesse

Le décret du 4 mars 1991 relatif à l'aide à la jeunesse

TITRE Préliminaire. - cadre général dans lequel s'inscrit le Décret de l'aide à la jeunesse.

…7° Au travers de la participation des bénéficiaires, des pratiques d'innovation et d'évaluation, les services agréés et publics ainsi que l'administration compétente œuvrent à l'amélioration constante de la qualité de l'aide apportée aux jeunes et aux familles.

Art. 21. … Le conseil d'arrondissement a pour missions :

1° d'élaborer un diagnostic social incluant l'ensemble des éléments pertinents à l'échelle de l'arrondissement sur la base des constats des différents services agréés et des services publics du secteur de l'aide à la jeunesse et notamment des diagnostics sociaux des services d'aide en milieu ouvert ainsi que des constats des autres secteurs;

4° d'informer et le cas échéant, d'interpeller les autorités publiques de tous les niveaux de pouvoir et

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l'ensemble des services publics et acteurs locaux à propos de son diagnostic social et de toute condition défavorable au développement personnel des jeunes et à leur insertion sociale sur le territoire de l'arrondissement. Il en informe également le Ministre et le conseil communautaire.

Arrêté du 15 mars 1999 du Gouvernement de la Communauté française relatif aux conditions particulières d’agrément et d’octroi des subventions pour les services d’aide en milieu ouvert.

Art. 9. Conformément aux objectifs de l’action communautaire… le service initie ou développe des actions concrètes, … informe ou interpelle, … sur toute matière relevant de son activité de prévention…

Avant-projet de décret portant le Code de la prévention, de l’aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse (R. Madrane) Art. 7. Le conseil de prévention d’arrondissement a pour missions : 5° d’informer, et, le cas échéant, d’interpeller les autorités publiques de tous les niveaux de pouvoir de toute condition défavorable au développement personnel des jeunes et à leur insertion sociale sur le territoire de l’arrondissement ; Art. 11. La commission locale de prévention a pour missions : 5° d’attirer l’attention du conseil de prévention d’arrondissement sur toute situation défavorable au développement personnel des jeunes et à leur insertion sociale sur le territoire de la division. Code de déontologie des services du secteur de l’aide à la jeunesse. Article 10. Le bénéficiaire doit recevoir l'aide dans des délais raisonnables. Les intervenants veillent dans ce sens à fixer et à respecter des délais en rapport avec la nature, la gravité et l'origine de la situation… Si après avoir utilisé toutes les ressources et moyens professionnels en leur possession, les intervenants sont dans l'impossibilité d'octroyer valablement l'aide nécessaire dans les délais raisonnables, ils en informent les bénéficiaires et les autorités concernées afin de susciter les modifications de la politique et des règlements qu'ils jugent souhaitables.

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Article 11. …Confronté à une situation susceptible de compromettre gravement la santé, la sécurité ou les conditions d'éducation d'un jeune et qu'il estime ne pouvoir assumer valablement, il a le devoir d'en référer à d'autres intervenants dont l'action serait plus appropriée ou s'il échet aux autorités compétentes.

Le fondement de notre travail : l’intérêt supérieur et la dignité des enfants.

La Convention Internationale relative aux Droits de l’Enfant (1989)

Article 3

1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.

2. Les Etats parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées.

Article 6

1. Les Etats parties reconnaissent que tout enfant a un droit inhérent à la vie.

2. Les Etats parties assurent dans toute la mesure possible la survie et le développement de l’enfant.

Article 19

1. Les Etats parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de

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négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle…

Article 20

Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciales de l’Etat.

Les Etats parties prévoient pour cet enfant une protection de remplacement conforme à leur législation nationale.

Cette protection de remplacement peut notamment avoir la forme du placement dans une famille, de la kafalahde droit islamique, de l’adoption ou, en cas de nécessité, du placement dans un établissement pour enfants approprié.

Le décret du 4 mars 1991 relatif à l'aide à la jeunesse

Art. 2. Le présent décret s'applique :

1° aux jeunes en difficulté, ainsi qu'aux personnes qui éprouvent de graves difficultés dans l'exécution de leurs obligations parentales;

2° à tout enfant dont la santé ou la sécurité est en danger ou dont les conditions d'éducation sont compromises par son comportement, celui de sa famille ou de ses familiers.

Art. 3. Tout jeune visé à l'article 2 a droit à l'aide spécialisée, organisée dans le cadre du présent décret. Cette aide tend à lui permettre de se développer dans des conditions d'égalité de chances en vue de son accession à une vie conforme à la dignité humaine.

Art. 38. § 1. Le tribunal de la jeunesse connaît des mesures à prendre à l'égard d'un enfant, de sa famille ou de ses familiers lorsque l'intégrité physique ou psychique d'un enfant… est actuellement et gravement compromise…

§ 2. L'intégrité physique est considérée comme gravement compromise, soit lorsque l'enfant adopte de manière habituelle ou répétée des comportements qui la compromettent réellement et directement, soit lorsque l'enfant est victime

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de négligences graves, de mauvais traitements, d'abus d'autorité ou d'abus sexuels la menaçant directement et réellement.

Arrêté du 15 mars 1999 du Gouvernement de la Communauté française relatif aux conditions particulières d’agrément et d’octroi des subventions pour les services d’aide en milieu ouvert.

Art. 7. Dans le souci du bien-être des jeunes concernés, l’action communautaire vise à améliorer l’environnement social des jeunes, à apporter une réponse globale à des problèmes individuels et à développer une dynamique de réseau et de communication sociale. L’action communautaire participe à une politique d’action contre les mécanismes de marginalisation et d’exclusion sociale du public visé à l’article 2 du présent arrêté.

Avant-projet de décret portant le Code de la prévention, de l’aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse (R. Madrane) Art. 3. La prévention est un ensemble d’actions, de type individuel et de type collectif, au bénéfice des jeunes et de leurs familiers, qui vise l’émancipation, l’autonomisation, la socialisation, la reconnaissance, la valorisation, la responsabilisation et l’acquisition ou la reprise de confiance en soi des jeunes et de leurs familles et familiers ainsi que la réduction des risques de difficultés et la réduction des violences, visibles ou invisibles, exercées à l’égard du jeune ou par le jeune. Art. 20. Les dispositions du Livre II s'appliquent : 2° à tout jeune dont la santé ou la sécurité est en danger ou dont les conditions d'éducation sont compromises par son comportement… Art. 48. 3° … La santé ou la sécurité d’un jeune est considérée comme actuellement et gravement compromise lorsque son intégrité physique ou psychique est menacée, soit parce qu’il adopte de manière habituelle ou répétée des comportements qui compromettent réellement et directement ses possibilités d’épanouissement affectif, social ou intellectuel, soit parce qu’il est victime de négligences graves, de mauvais traitements, d’abus d’autorité ou d’abus sexuels le menaçant directement et réellement.

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Portraits significatifs

En 2014, nous présentions dans notre diagnostic social, le portrait de Louise une jeune fille qui « acceptait » de se faire violer pour pouvoir parfois dormir sous un toit, et le portrait de Simon, un jeune à la limite du handicap et de la maladie mentale qui squattait chez l’une ou l’autre connaissance et dormait à la rue quand il ne trouvait personne qui accepte de l’héberger.

Nos observations nous permettent d’évaluer à une trentaine, ces jeunes en errance, aux problématiques multiples et complexes, parmi lesquelles le fait d’être quasi abandonnés par les services sociaux et particulièrement ceux de l’Aide à la Jeunesse desquels ils devraient cependant dépendre.

Nous sommes donc en 2017. Nouveaux portraits…

François.

Je vous présente François, un enfant de 16 ans qui habite Charleroi. Enfin, « habiter » n’est sans doute pas le terme adéquat. Il dort à Charleroi. Parfois dans la rue. François est un enfant qui dort trop souvent dans la rue à Charleroi.

Ces dernières années, François les a passées entre le domicile de sa mère et de son beau-père, le domicile de son père, l’une ou l’autre institution de l’aide à la jeunesse, un SRJ, le logement de connaissances, des hébergements à point Jaune et la rue. Une boule de flipper envoyée d’un lieu à l’autre par les mandants de l’Aide à la jeunesse, parfois désemparés, parfois fatalistes et désabusés, parfois démissionnaires. Une boule de flipper qui parfois refuse aussi les propositions pourtant raisonnables qui lui sont faites ou qui accepte avant de changer d’avis. Une

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boule de flipper dont les attitudes inadéquates, dont les attitudes inadaptées, font que des portes se ferment. Pour se rouvrir un peu plus tard… ou pas.

De fugues en fugues, de refus d’hébergement en refus d’hébergement, d’épisodes borderline voire carrément délirants en épisodes délirants, de consommations de produits divers à des vols en tout genre, d’actes violents commis aux actes violents subis, de rejets en abandons, de l’hôpital (psychiatrique) au SPJ, en passant par la police, d’une encoignure de porte, à un squat ou une tente, François navigue, sans décider de ce qu’il souhaite faire, sans savoir de quoi demain sera fait, sans savoir ce que les institutions lui imposeront… ni dans le court terme, ni dans le long terme.

Le service mandant cherche des solutions, mais n’en trouve pas ou plus, ou dans un laps de temps que la situation de François ne permet pas. Parfois il désespère et considère qu’il a fait ce qui était en son pouvoir, en son possible, et laisse aller « à dieu vat ». Le SRJ accueille, rappelle le cadre, se voit obligé de tempérer, de jouer avec lui, parce qu’il faut bien pour François que les règles s’adaptent parfois. Point Jaune tente tant bien que mal de tenir le cap. Rappelant aussi un cadre qu’il veille à tenir. Manifestant systématiquement une volonté d’accueil et d’écoute, mais dans les conditions qui le permettent et pour lesquelles le jeune doit aussi assumer sa part de responsabilité. Parce que mettre le cadre, c’est aussi éduquer. Et les parents, complètement dépassés qui font ce qu’ils peuvent quand ils le peuvent… Parfois très peu, parce qu’ils ne peuvent pas mieux. Par incompétence, par incapacité matérielle, parce que ce n’est plus supportable.

François. Une boule de flipper pour laquelle il ne semble pas exister de solution. Pour laquelle Point Jaune n’est certainement pas la solution. Mais pour laquelle, l’AMO investit ses valeurs, sa compétence, son accueil, son écoute… avec une telle conscience de son insuffisance.

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Jimmy.

Alcool, violences. Un certain quotidien dans l’enfance du gamin. Que ce soit chez sa mère et son beau-père ou chez son père et sa belle-mère.

Un sentiment d’abandon permanent. De la part des parents. Comme de la part de tout ceux et surtout celles qui accepteront de l’héberger à un moment ou à un autre. Et les placements renforcent ce sentiment. Il est le seul placé de la fratrie. Son rêve, pourtant ? Une vie en famille. Difficile parce que les familles réelles ou fantasmées ne sont pas à la hauteur des espérances, ne sont pas prêtes à s’engager pour ça, n’en ont pas les moyens. Mais c’est son rêve. Envers et contre tout.

Lui-même est violent. Aux domiciles des parents. Dans les institutions. Contre le matériel. Contre les personnes, les parents et beaux-parents, les éducateurs,…

Depuis plus d’un an, Point Jaune est un recours quasi permanent quand un problème se pose. Mais les problématiques repérées chez Jimmy sont ingérables dans le contexte d’une AMO. Les problèmes sont d’un autre ordre. De l’ordre d’une prise en charge davantage intensive, qui puisse davantage prendre en compte la prise en charge « santé mentale » la prise en charge AVIQ.

Lou-Anne.

Un passé trouble et peu structuré dans la famille de Lou-Anne, et donc dans l’enfance de la jeune femme. Qu’elle connaisse clairement ce passé ou non, il apparaît que cela a une influence sur sa vie.

Lou-Anne va d’institution en institution. Elle passe aussi par l’hôpital pour une cure de désintox. De nombreuses fugues émaillent son parcours. Ce qu’elle souhaite, c’est une émancipation. Elle ne supporte pas les longues périodes en famille.

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Aujourd’hui, Lou-Anne a des comportement très déstructurés et destructeurs. Nombreuses consommations et contacts importants avec des dealers, parfois violente avec elle-même, plusieurs tentatives de suicide, relations affectives et amoureuses peu stables, Lou-Anne est en grande difficulté vis-à-vis de l’autorité, des limites qui lui sont imposées. Son attitude n’est pas adéquate quand elle est confrontée à ces règles.

Fabian

Le délégué claque la porte de sa voiture. Une nouvelle journée commence. Direction bureau. Il salue la tête qui sort des couvertures. Que ressent-il à ce moment ? Son cœur qui se serre ? Une envie de vomir ? Une bouffée d’impuissance ? Une envie de gueuler ? De sangloter ?

La tête est à Fabian. 17 ans et 3 années d’errance. Et beaucoup de nuits à la rue. Et maintenant il a décidé « d’élire domicile » en face du SPJ. C’est pas beau ça ?

Fabian est né dans une famille qui n’avait pas facile à nouer les deux bouts. Une maman présente derrière lui, mais qui s’est épuisée. Certains lui diagnostiquent un problème psychique au gamin. Oui. Peut-être. Ou peut-être pas. Ce qui semble sûr, c’est qu’il a adopté un mode de fonctionnement. Le sien. Qui immanquablement, au vu de son style de vie, de son contexte de vie, amène des décompensations. Logique…

Qu’est-ce qu’il veut Fabian ? C’est quoi sa quête ? Son projet ? Une recherche de liberté. Ça c’est sûr. Un refus d’être enfermé !

Fabian est tout le temps en mouvement. 24h/24 dit sa mère. « Même la nuit il me parle, Monsieur ». Alors elle l’enferme dans sa chambre. À clé. Pas pour le punir. Mais juste pour dormir un peu. Et Fabian saute par la fenêtre. Et se casse les deux

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jambes. Il arrive à Point Jaune. Avec ses béquilles. Il s’est taillé de l’hosto. Ça s’est Fabian.

Les institutions ont essayé de trouver des solutions. Le SPJ, l’AVIQ, les tribunaux. Ça marche un temps. Un centre. Puis chez Maman. Puis à l’hôpital. En psychiatrie « traditionnelle ». Ou en ambulatoire, avec une médication injectée qui devrait le stabiliser pour un mois. Mais qui ne le stabilise que très moyennement. Et il fugue. Du centre, de chez Maman, de l’hôpital. Alors il est à la rue. Ça lui convient bien cette liberté de la rue. Une errance choisie. Qui perdure. Lui ne s’en lasse pas.

Il ne s’en lasse pas. Et trouve des solutions pour s’en sortir. Il fait la manche. Sa Maman constate ses genoux tout bleus. Fabian s’agenouille devant des messieurs. Pour un peu d’argent. Il faut un dessin ? Et avec l’argent de sa prostitution, il se pique.

A Point Jaune, on l’accepte. Mais seulement quand c’est possible avec les autres jeunes. Et seulement pour une nuit. L’info est claire pour Fabian. Il rouspète bien un peu. Mais il est ok. C’est alors parfois l’errance institutionnelle. Entre les 3 services de la fédération qui « font du 24h/24 ». Ça dure un tout petit temps. Parce que les projets institutionnels ne permettent pas mieux. Et parce que ça n’a de toute façon pas beaucoup de sens.

C’est quoi la solution pour ce gamin ? C’est quoi son avenir ? C’est quoi l’intervention sociale pour lui ? Difficile d’entrer en relation. Et le SPJ a démissionné. Et ferme les portes.

Et puis, il y a cette p… de temporalité institutionnelle. Où il faut prendre son temps pour trouver une solution et la décider. Et pendant ce temps, le gosse, il est à la rue. Et demain, il sortira la tête de sa couverture et il dira poliment bonjour à monsieur le délégué.

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Leone

Leone a maintenant 15 ans. Elle en avait 13 quand elle a croisé Point Jaune. La Maman de Leone est décédée. Son papa est forain. Leone a beaucoup investi la relation avec son papa. Qui n’a pas du tout investi la relation avec sa fille. Que les institutions s’en occupent, c’est très bien ainsi !

Leone a un dossier au SPJ qui a essayé beaucoup de choses pour elle. Elle est également accompagnée par un service agréé AVIQ et AAJ. Qui a aussi tenté pas mal de trucs : Centre d’observation et d’orientation (COO), service d’accueil et d’aide éducative (SAAE), projet de rupture, familles d’accueil, séjour en psychiatrie… Elle est même passée par l’IPPJ. Pour peu de résultats. Et puis, il y a Point Jaune. Vécu par la gamine comme un sas de décompression. À Point Jaune, elle peut entrer et sortir « comme elle veut ».

Tous ses passages institutionnels ou familiaux, se terminent mal. Elle « fout le feu ». Symboliquement… ou moins…

Leone est une grande abandonnique. À la recherche de la famille idéale. Quand elle rentre dans une famille, c’est la lune de miel pendant 15 jours. Et puis, les 15 jours qui suivent, elle « casse tout ». Parce que c’est plus facile de se faire virer que de quitter.

Quand elle se pose quelque part, elle prend contact avec le COO ou l’AMO. Par téléphone ou les réseaux sociaux.

Ni l’AVIQ, ni l’AAJ n’ont réussi à répondre à la demande et aux besoins de la gamine. Elle est complètement déscolarisée. Aucune accroche n’a véritablement fonctionné. Elle a peur du lien.

Quand elle n’est pas en institution, elle est à la rue. Régulièrement. Depuis ses 13 ans. Mais elle trouve des solutions. C’est sa force. Elle entre facilement en relation. Avec n’importe qui. Et se fait héberger.

Il n’y a plus de solution pour elle. Quand le délégué téléphone quelque part, dès qu’il prononce le prénom de Léone, on raccroche de l’autre côté.

Elle va d’un petit but de vie à un autre petit but de vie. Elle suit les mouvements forains. Quand la foire est à Charleroi, on peut être sûr de la trouver errer dans le coin. Quand la foire se déplace à Mons, elle suit. Son rêve (fou) serait de revivre avec son papa.

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Nos difficultés dans notre travail avec ce public.

Point Jaune, ses travailleurs sociaux et ses éducateurs, travaillent au quotidien avec cette population. Avec compétence. Enfin, une certaine compétence. Quel que soit le jeune, quel que soient son comportement, son attitude, quel que soient les problématiques qu’il présente, ce jeune peut être reçu à Point Jaune. Accueilli. Des démarches peuvent être entreprises pour et avec lui. Il peut trouver à Point Jaune une écoute, un réconfort. Des débuts de pistes de solutions.

Oui. Voilà le concept qui colle au travail de Point Jaune avec ce public, en plus de cet accueil et de cette écoute : « Des débuts de pistes de solutions ». Pas « des solutions ». Et même, « pas de pistes de solutions ».

Dans le cadre de sa mission 24h/24, Point Jaune est confronté à la double contrainte permanente. Accueillir des jeunes… impossible à gérer. Gérer un groupe de jeunes avec en son sein des jeunes qui rendent ce groupe ingérable.

Point Jaune n’est pas la solution pour ces jeunes. Quand ils débarquent à Point Jaune ils y arrivent avec une telle multiplicité de problématiques, de tels comportements tellement hors des normes, de telles exigences, légitimes au regard de ce qu’ils doivent porter, mais aux réponses impossibles dans un espace comme l’AMO, que Point Jaune ne peut que la bienveillance. Il lui est totalement impossible de faire plus. De faire mieux.

Quand un jeune comme ceux-là frappe à la porte, ou quand un jeune est « déposé » comme un paquet (avec notre sentiment que l’envoyeur souhaite s’en débarrasser), les travailleurs doivent assumer l’injonction paradoxale dans laquelle cette situation les plonge, dans laquelle les textes légaux les plongent, dans laquelle leur humanité et leur professionnalisme les plonge.

Un jeune débarque donc. « Quand la violence extrême est présente, faut-il ouvrir la porte de Point Jaune ? Qu’est-ce qui est possible, et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Si on n’accepte pas ce jeune, que va-t-il se passer pour lui ? Et si on l’accepte, que va-t-il se passer pour le groupe ? Comment le travailleur va-t-il pouvoir assumer son

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travail, …la dimension fondamentale de son travail, c'est-à-dire l’éducation des jeunes, …de tous les jeunes, …du groupe. Ne pas accueillir ce jeune est cohérent. Cela permet de poursuivre le travail d’éducation avec le reste du groupe. Mais c’est en même temps tellement incohérent de ne pas l’accueillir, parce que l’accueil est l’essence même du service 24h/24. Et puis, parce que c’est aussi tellement inhumain, c’est insupportable. Et cette dimension insupportable, il faut que les travailleurs l’assument au mieux. Il faut que l’institution Point Jaune, dans son ensemble, l’assume.

Alors, on fait de son mieux… Avec la bienveillance dont on est capable… cette bienveillance proposée qui, quoiqu’il arrive, se doit d’être organisée et limitée. Parce que les dépassements de limites de ce public sont tels que la bienveillance ne peut avoir qu’un temps. Or ce public demande beaucoup de temps. Demande tout le temps. Et les travailleurs de Point Jaune sont également mobilisés sur d’autres missions. Consacrer tout le temps nécessaire à ces jeunes, c’est aussi devoir faire une croix sur certaines de ses missions. Or, ce n’est pas le choix de Point Jaune. D’une part, parce que nous estimons que ces missions dans lesquelles nous sommes engagés sont vraiment fondamentales pour beaucoup de jeunes. D’autre part, parce que malgré toute la bienveillance, malgré toutes les compétences que nous pourrions mettre à disposition, malgré le temps que nous déciderions d’y consacrer, nous n’aurons pas les compétences pour assumer le travail nécessaire avec ces jeunes.

Pas les compétences à Point Jaune…

• Ces jeunes présentent donc une multiplicité de problématiques qui nécessitent

une prise en charge complexe et multidisciplinaire, alliant un travail important aux niveaux médical, psychologique, relationnel, familial, social et éducatif. Nous ne possédons pas cette diversité de compétences dans notre association.

• La prise en charge de cette multiplicité de problématiques nécessite que les professionnels engagés pour travailler avec ce public fassent ce travail à plein temps. Totalement impossible au regard de la diversité de nos missions.

• Cette prise en charge complexe demande une véritable spécialisation institutionnelle, la mise en place d’une structure dédiée à ce type de jeunes. Se limiter aux sparadraps que nous pouvons poser deviendrait même une

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violence supplémentaire à l’égard de ces jeunes, si nous n’exigions pas la mise en place d’une telle structure.

La co-présence.

Un vrai travail social et éducatif en profondeur avec cette population, n’est donc pas envisageable à Point Jaune. Un travail de première ligne, basé sur l’accueil est lui, envisageable, mais même pour ce type d’action, nous nous devons de poser nos limites, à nouveau en regard de nos autres missions et de la diversité de notre public. Nous avons été interpellés à plusieurs reprises sur le fait de ne pas accepter ce type de jeunes dans l’hébergement que nous offrons pourtant. L’accueil de ce type de jeunes pour une nuit est déjà très complexe, puisqu’ils sont le plus souvent hors d’un contexte normatif minimal nécessaire pour entendre le cadre éducatif que nous proposons et exigeons.

Cette structure d’hébergement que nous proposons accueille de nombreux jeunes de « types » différents pour une ou plusieurs nuits. Avec un encadrement correct, à condition que les situations de ces jeunes ne soient pas exceptionnelles. Et que les relations qu’ils peuvent établir entre eux soient gérables par les travailleurs sociaux et éducatifs qui assument la nuit. C’est pour cette raison que l’institution Point Jaune a réfléchi au concept de co-présence.

La question de la co-présence concerne la compatibilité d’hébergement à Point Jaune pour des jeunes présentant des profils différents et qui pourraient occasionner des difficultés à l’un ou l’autre de ces jeunes s’ils sont hébergés ensemble ou des difficultés de gestion de l’institution elle-même face à ce public « incompatible ». Face à de potentielles incompatibilités deux pistes s’offrent à l’équipe éducative : l’aménagement de l’accueil à l’hébergement par, par exemple, un renforcement de la présence éducative, ou le refus d’hébergement, justifié par le tort qu’un tel hébergement pourrait causer aux autres jeunes présents au sein de la maison. Cette réflexion sur la co-présence est régulière quand des jeunes aux profils particuliers débarquent à Point Jaune, et se réalise collectivement le plus souvent. Elle est évidemment systématique quand ces jeunes aux profils tellement complexes font la demande d’un hébergement à Point Jaune. Et les refus sont réguliers. Parce que de telles présences ont un impact fort sur les autres jeunes hébergés et sur le travail éducatif qui peut être réalisé avec eux.

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Des débuts de pistes de solution.

Ces jeunes dont nous parlons, ce sont des jeunes qui n’ont pas eu de place. Nulle part. Le plus souvent y compris dans leur famille. Reste une stratégie de vie : La rue. L’itinérance comme lieu de vie ? Est-ce acceptable dans notre société ? Et si c’était le choix du jeune ? Ça l’est. Sans doute. Parfois. Au début.

Face à la déstructure qu’il rencontre à tous les niveaux face à lui, le jeune peut s’engager dans cette errance choisie. Mais tous n’en font pas le choix. L’errance subie est bien souvent la règle. Et si un jeune choisit l’errance, il arrive, de toute façon, à un moment ou un autre, que ce choix se transforme en errance subie.

Reste la question : S’il en fait le choix, ne doit-on pas, nous services de l’aide à la Jeunesse questionner ce choix au regard de la maturité dont il est capable ?

Ce que Point Jaune peut proposer à ces jeunes est très insuffisant. Tant dans son travail éducatif que dans son travail social. En effet, il est de plus en plus évident pour nous, professionnels de l’Aide à la Jeunesse, que les solutions pour ces jeunes n’existent pas. Qu’il n’y a pas de structure adaptée pour la diversité de leurs problématiques. Nous le constatons. Et nous savons que nous ne sommes pas les seuls à le constater. Face à de tels jeunes, les solutions sont tellement difficiles à trouver que les intervenants se découragent. Nous, à Point Jaune. Et les réseaux avec lesquels nous travaillons.

C’est pour cette raison qu’ils sont à la rue. Parce que c’est la seule solution qui tienne aujourd’hui la route face, au pire, à la démission des services sociaux parmi lesquels les services de la jeunesse, au mieux, au désarroi et aux limites structurelles que les professionnels, malgré leur bonne volonté, rencontrent.

Mais la situation actuelle est là. Elle existe. Au quotidien. Le quotidien des jeunes comme le quotidien de l’AMO. Le jeune est otage de cette situation. De cette inaction. L’AMO aussi est otage. Mais elle, plutôt de son action. Parce tant qu’elle agit, on risque de ne pas réagir. Et c’est inacceptable. Parce que les solutions proposées par l’AMO sont insuffisantes et inadéquates. Mais qu’elles masquent ces situations indécentes. Or, ce n’est pas le rôle d’une AMO que de masquer les problématiques rencontrées par les jeunes. Tout au contraire.

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Ce que l’AMO constate c’est le manque de travail en profondeur du réseau. Un manque de travail sur l’orientation. Notamment parce que des solutions ne s’ouvrent pas… Parce qu’il n’y a pas de volonté, ou qu’on ne la sent pas, d’ouvrir des solutions plus adéquates, plus performantes, plus accueillantes à la souffrance et à la complexité des problématiques.

Il y a bien des réunions de concertation (Jardin pour tous). Souvent intéressantes. Et loin d’être inutiles. Quoique… parce qu’il reste un blocage organisationnel. On se rend compte qu’il manque un petit quelque chose. Un écrou dans les rouages. De ce fait, il n’y a pas d’engagement. Et les situations des jeunes perdurent.

Et on continue à envoyer ces jeunes à l’AMO. Sans se soucier de cette impossibilité de compétences déjà soulevée ci-dessus. Mais en « oubliant » que l’AMO, c’est le milieu ouvert. Et que le jeune, s’il le veut, il se casse ! Que l’AMO assume… Le paquet lui a été refilé…

L’impossibilité que ces situations perdurent.

Face à de telles situations, qui ne sont pas exceptionnelles, puisqu’elles concernent entre 20 et 30 jeunes sur Charleroi (Et à Bruxelles, à Liège, à Namur,… ?) nous nous devons de revenir à l’une de nos missions qui est celle de l’interpellation.

De telles situations sont tellement incompatibles avec les textes qui fondent une démocratie, tellement incompatible avec la Convention internationale des droits de l’enfant, à laquelle l’Aide à la Jeunesse en Communauté française fait si souvent référence, que nous nous devons de réagir. Et donc d’interpeller pour qu’une telle situation trouve des solutions. Sachant que nous sommes prêts à participer à la réflexion pour trouver de telles solutions. Et que nous sommes convaincus que notre travail actuel, est insuffisant d’une part, mais que même, il tend à cacher ou à ne pas rendre visible le problème. Le diagnostic social que nous avons réalisé en 2014 n’a pas permis qu’on se saisisse avec toute l’acuité nécessaire, de la problématique soulevée. Il faut donc agir de manière plus claire. Ce que nous faisons ici.

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Désintérêt ? Démission ?

Nous n’avons pas le sentiment et l’impression que ce public intéresse d’autres services que nous dans la ville. Ni les services de l’Aide à la Jeunesse, ni les services sociaux de la ville. Comme si ces enfants, véritablement en danger, en insécurité, sujets aux violences visibles et invisibles, qui occupent pourtant l’espace public n’apparaissaient pas sur les radars des services qui ne devraient pourtant pas les manquer. Ils ne sont pas particulièrement discrets. Nous connaissons la précarité dans la ville. Nous savons la diversité des populations qui rencontrent de grandes difficultés, qui vivent des problèmes qui demandent des réponses. Mais notre travail d’AMO est d’interpeller parce qu’il s’agit ici d’enfants. Et qu’il serait normal que des enfants tellement en danger constituent la toute première priorité. Des services de la jeunesse évidemment. Mais également des services sociaux (pour adultes ?) qui connaissent cette réalité. Au moins pour tenter des collaborations. Au moins pour oser l’interpellation.

Il s’agit bien de sentiments et d’impressions… peut-être erronés. Mais ce document est aussi l’occasion pour nous de vérifier cela. Et de voir s’il est possible d’envisager une collaboration. Tellement nécessaire. Mais pas une collaboration pour rendre le phénomène moins visible. Une collaboration pour construire une solution véritable !

Jeune incasable… acceptable comme concept dans l’aide à la jeunesse ?

Ces jeunes vivent donc de grandes difficultés. Parmi les plus importantes que l’on peut rencontrer dans nos régions. Et en tout cas, pour une part parmi les plus inadmissibles parce qu’elles sont le fait de la société et des institutions qu’elles représentent. L’exclusion, la non prise en charge, l’abandon par des institutions sont en effet indignes d’une démocratie.

Face aux difficultés de cette prise en charge, il est légitime pour des services sociaux ou de l’aide à la jeunesse de se sentir impuissants. Il est légitime de se trouver dépourvus de solutions. Du moins pour une période raisonnable. Mais d’une part parce qu’il s’agirait d’inhumanité, et d’autre part parce qu’il s’agit de la mission de ces services de l’aide à la jeunesse, travailler (sans relâche) pour construire des solutions adéquates est une obligation. Pour chaque jeune.

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C’est à ce titre que nous ne pouvons accepter le terme d’ « incasable ». Il est complètement hors contexte de la philosophie de l’Aide à la Jeunesse. Il s’agit d’une mission fondamentale du secteur de l’Aide à la Jeunesse que de chercher des solutions y compris pour les enfants pour lesquels c’est le plus difficile. Utiliser le terme incasable nous apparaît dès lors démissionnaire par rapport à ces missions. Or, la démission est tout à fait hors de propos dans les situations qui nous concernent.

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Notre interpellation.

Par rapport à ce public de jeunes qui passe l’essentiel de son temps dans la rue, nous pensons avoir utilisé toutes les ressources et moyens professionnels en notre possession. Nous avons maintenant la conviction d’être dans l'impossibilité d'octroyer valablement l'aide nécessaire. Nous pensons ensuite avoir mis en place à partir de notre expertise dans la compréhension de cette population, les pratiques d'évaluation nécessaires, présentées dans notre diagnostic social.

Face à la gravité des conclusions de notre évaluation, nous faisons dès lors référence à notre mission d’informer et d'interpeller les autorités publiques de tous les niveaux de pouvoir et l'ensemble des services publics et acteurs locaux à propos de notre diagnostic social qui pointe très clairement les conditions défavorables au développement personnel des jeunes. L'intégrité physique ou psychique de ces enfants est actuellement et gravement compromise parce qu’ils adoptent de manière habituelle ou répétée des comportements qui la compromettent réellement et directement. Elle est gravement compromise parce qu’ils sont victimes de violences visibles et/ou invisibles.

Le point de départ de notre interpellation : l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.

Ce que vise notre interpellation : Nous considérons que les enfants que nous rencontrons dans la rue ou qui viennent frapper à notre porte doivent devenir une priorité dans la prise en charge des services sociaux et des services de l’Aide à la Jeunesse. Nous pensons qu’une société démocratique doit mettre en œuvre ce qui est en son pouvoir pour éviter que de telles situations se produisent par rapport à ces jeunes dont on dit souvent qu’ils doivent être une priorité. Nous pensons que les pouvoirs publics doivent prendre toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger ces enfants contre toute forme de violence. Ces aides doivent être proposées dans des délais raisonnables, cette

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dimension raisonnable étant fixée en rapport avec la nature et la gravité de la situation… Eu égard à la situation que nous pointons, notre conviction est que les pouvoirs publics doivent ici proposer des services appropriés, et nous pensons, pour ces jeunes, un hébergement et des services au sein de cet hébergement qui soient adaptés.

Nous faisons notre part de travail et poursuivrons dans cette voie par le maintien de notre accueil et par notre bienveillance. Nous faisons également notre travail au travers de cette interpellation, et nous avons l’ambition de ne pas lâcher et d’être entendus. Mais cette détermination s’accompagne aussi d’humilité. Nous savons que sans répondant à notre interpellation, nous nous trouverons démunis. Nous espérons dès lors ce répondant, gage d’une volonté de ceux que nous interpellons, de considérer leur engagement vis-à-vis de ces jeunes comme étant partie prenante de leur engagement humaniste et démocratique.

Ce dossier quitte Point Jaune pour aller vers : Monsieur Rachid Madrane, Ministre de l’Aide à la Jeunesse, Monsieur Paul Magnette, Bourgmestre de Charleroi et Ministre-président de la Région Wallonne, assumant la responsabilité de la coordination de la lutte contre la pauvreté, Madame Liliane Baudart, Administratrice Générale de l’Aide à la Jeunesse, Monsieur Bernard De Vos, Délégué Général aux Droits de l’Enfant, Monsieur Eric Massin, Président du Cpas de Charleroi, Madame Geneviève Lacroix, Coordinatrice générale du relais social, Madame Lydia La Corte, Conseillère de l’Aide à la Jeunesse Madame Myriam Bodart, Directrice de l’Aide à la Jeunesse, Monsieur Bernard Dewiest, Président du Conseil d’arrondissement de l’Aide à la Jeunesse, Monsieur Olivier Gatti, Président ff. du Conseil Communautaire de l’Aide à la Jeunesse.