Plotin et la philosophie Indienne

download Plotin et la philosophie Indienne

of 10

Transcript of Plotin et la philosophie Indienne

  • 8/14/2019 Plotin et la philosophie Indienne

    1/10

    Retour l'accueil - Atelier philosophique - Le don - Sentences, aphorismes et brves remarques - Lectures -Cours et confrences - Visages de la pense - Liens et contacts

    Retour au menu Textes & Articles

    Plotin et la philosophie indienne

    Dans sa Vie de Plotin Porphyre, nous rapporte de son matre quIl arriva possder si bien la philosophie, quil tcha de prendre une connaissance directede celle qui se pratique chez les Perses, et de celle qui est en honneur chez lesIndiens.[1] Nous savons que cest cette fin que Plotin partit aux cots delempereur Gordien en 242; tait-ce pour combattre ces doctrines barbares que lephilosophe se fit soldat ou tait-ce parce quil voulait en savoir plus au sujetdune pense dont il avait peut-tre dj entendu parl auprs de son proprematre Amonius Saccas?Certains ont en effet mis lhypothse selon laquelle Plotin, en partant avec

    larme de Gordien, aurait engag une sorte de croisade philosophique contre lapense barbare. Sil tait prouv que Mani en personne (fondateur dumanichisme) tait prsent dans les rangs de larme adverse, celle de Sapor 1er,on aurait mme par le fait une vrification de cette thse. Notre besoin declassification par opposition et sparation serait satisfait, le philosophe du Noset de la raison grecque aurait rellement combattu laptre de la sciencemystique, les traditions seraient rellement inconciliables. Mais cette hypothserisque bien dapparatre comme une fiction historique et philosophique si lonregarde les textes de plus prs: certains des lments de la doctrine plotiniennesont dune originalit dont on ne peut rendre compte si on ne fait de Plotin quunconservateur de lhritage grec.

    Ce que Plotin allait chercher en Inde, il devait dj en avoir une ide; en effeton a de bonnes raisons de penser qu cette poque, comme bien dautres,lOrient tait la mode. Nous savons que, partir de lexpdition dAlexandre(en -325), les grecs furent vivement frapps par les modles dimpassibilit et desang froid que leur ont donn les asctes hindous[2] , les yogis et sannayasinque les grecs appelrent - tort gymnosophistes(sages nus, gr.gumno= nu).On a par exemple de bonnes raisons de penser, grce aux travaux de V. Brochardet de M. Conche, que Pyrrhon chef de lcole sceptique du IIIme s. sest donnpour idal pratique dimiter lasctisme indien -sa thorie de lapparence rappelletrangement (en la dformant) celle de la My -illusion cosmique indienne. Laphilosophiequi lpoque est en honneur chez les Indiens comme le dit

    Porphyre est celle des Upanishads (labores partir de -800) appels aussiVdanta- qui par leur forme plus spculative que celle de leurs prdcesseurs lesVdas(-1500) ont en quelque sorte coup avec lancien ritualisme brahmanique.Plotin ayant vcu jusqu lage de 39 ans Alexandrie qui se trouvaitprcisment sur la route qui ralliait lInde Rome, il y a beaucoup de chancequil y ait entendu lui aussi parler des doctrines indiennes.

    Toujours est-il que lexpdition de Gordien fut stoppe en Msopotamie, et quePlotin d mme se rfugier Antioche, pour ensuite se rendre Rome.La rencontre directe neut donc pas lieu. cot de ce fait, se trouve celui quilny a aucune rfrence directe la philosophie indienne ou aucun de sesconcepts dans tout le texte des Ennades alors que Plotin, se voulant simple

    commentateur, ne sest pas priv de se rfrer abondamment la traditiongrecque. Ces faits donc devraient suffire pour mettre de cot, comme beaucoupde commentateurs lont fait, la question dune influence indienne sur Plotin: il

    Page 1 of 10Plotin et la philosophie indienne

    21/07/2009http://philo.pourtous.free.fr/Articles/Julien/plotin_et_la_philosophie_indienn.htm

  • 8/14/2019 Plotin et la philosophie Indienne

    2/10

    ny aurait tout au plus que des ressemblances fortuites entre les textes, rien desolide.Mais ce sont prcisment ces ressemblances de contenu, le rapport interne,proprement philosophique quentretiennent deux penses au del des influencesextrieures dimitation ou de rejet, qui nous semblent devoir tre la matire de la

    philosophie compare, et donner ainsi un intrt ltude dune telle question.Lenjeu ici est donc double: il sagit de mettre en lumire, grce un effet decontraste, ce qui nous est obscur dun cot comme de lautre. Car noublions pasque si Plotin peut nous paratre parfois obscur en ce quil ne colle pas toujours lesprit grec, le Vdanta et les doctrines indiennes en gnral peuvent le paratrea fortiori encore plus. Cest ici que nous pouvons comprendre lintrt de laphilosophie compare qui peut dabord nous permettre de sortir du cercle duMme, car nous croyons souvent expliquer alors que nous ne faisons que ramenerde linconnu du connu. Ceci peut aussi nous permettre de renvisager nosprsupposs dun autre point de vue. Le dtour permet laccs comme le dit sibien F. Jullien (Le dtour et laccs).

    Plotin ne veut tre quun commentateur de Platon, dAristote et des Stociens,par modestie mais aussi parce que cela est dusage dans les coles hellnistiques(P. Hadot fait remonter la tradition du commentaire comme exercicephilosophique par excellence au 1er s. av. J.C.), mais mme sil ne sest pasvoulu original, Plotin lest. Il lest tellement que certains lments de sa doctrinene se laissent ni expliquer ni mme comprendre si on ne se rfre qu la traditiongrecque. Notre propos ne sera pas dexpliquer Plotin par le Vdanta, ce qui seraitpremirement une autre faon de passer cot de loriginalit du grand no-platonicien, et deuximement prjuger de ce quon ait compris ce par quoi onprtendrait expliquer. Nous essaierons donc non pas dexpliquer ce qui nest pas

    platonicien chez Plotin, mais de le comprendre du point de vue que nous offre leVdanta, ce qui du mme coup pourra peut-tre nous assurer une meilleurecomprhension de la dite doctrine. Notre question ntant pas quhistorique nousnous permettrons donc quelques anachronismes en nous rfrant a des penseursVdantins contemporains (ce qui nest pas gnant du fait de la continuit danslaquelle sinscrivent les coles indiennes, loriginalit tant moins un souci poureux, que celui de se tenir toujours au plus prs de lOrigine).

    La philosophie de lUn et celle de la non-dualit (Advata Vdanta) se prsententtoutes deux comme des rflexions sur les rapports de lun et du multiple,rflexions qui, chacune sa manire, dpasse lordre des nombres et de laquantit, pour envisager le rapport entre luniversel et lindividuel. Mais il estncessaire de resituer chacune de ces rflexion dans leur problmatique propreafin de savoir si leur convergences ne sont pas quapparentes.

    Fidle la tradition grecque Plotin cherche justifier le cosmos par sonintelligibilit et sa beaut, mais comment se fait-il que, hritant de la conceptiongrecque du monde, Plotin se pose des problmes que ses matres ne se sont

    jamais poss?Tous ces problmes se ramnent un seul selon E. Brhier: cest celui du

    rapport entre ltre particulier que nous avons conscience dtre et ltre universel Comment le moi conscient () a-t-il merg de ltre universel et sestconstitu en centre distinct ? de quelle faon ltre universel est-il tout entierprsent toutes choses sans cesser cependant dtre universel ?

    Or cette problmatique se trouve trs proche de celle qui est au centre de laspculation des Upanishads, dont les questions fondamentales peuvent se

    Page 2 of 10Plotin et la philosophie indienne

    21/07/2009http://philo.pourtous.free.fr/Articles/Julien/plotin_et_la_philosophie_indienn.htm

  • 8/14/2019 Plotin et la philosophie Indienne

    3/10

  • 8/14/2019 Plotin et la philosophie Indienne

    4/10

    pense, mais Platon et au mythe de lattelage ail du Phdre!Notons que les philosophes du Vdanta ont labor une classification trs

    prcise des tats conscients, ainsi quune psychologie de linconscient, destins permettre le discernement entre le Soi rel et les identifications adventices(identification au corps, aux divers contenus psychiques etc.). Il sagit

    dnumrer tout ce qui a t surimpos sur lAtman, le Soi -qui est le substratinconditionn de la vie psychique- afin de le connatre en lui-mme. Cessurimpositions, ou ce que Sankara appelle encore les conditions limitantesextrinsques sont constitutives de lavidya que M. Hulin [6] a traduit parignorance mtaphysique. Du point de vue de la conscience individuelle,lavidya est lie la dimension ex-statique de la conscience, sa tendancenaturelle se fuir elle-mme et sidentifier ses tats particuliers. Cest afin dese librer de cette ignorance qui est cause de souffrance, que se dploie lactivitphilosophique du Vdanta. Mais nous devons aussi noter que la conceptualisationne saurait arriver mettre fin cette ignorance, celle-ci nest pas simple absencede savoir, car ses causes sont, si on peut dire, transcendantales, et donc, seule

    une intuition dun autre ordre peut assurer la dlivrance. Comme le rsumemagnifiquement O. Lacombe [7] : Ce quoi tend le Vdanta cest transcenderlopposition: conscience rflexive-inconscience, et situer la pense pure l o,sans nulle repli ni dualit, sans opposition de sujet objet, sans retour du sujet surlui-mme, lEsprit qui est identique ltre, se reconnat absolu dans uneparfaite transparence soi-mme.Pour ce qui est des exercices spirituels, la Brhad Aranyaka upanishad nousenseigne que Cest le Soi, en vrit, sur lequel doivent se porter lintuition,laudition, la pense raisonnante, la pense aspirant au recueillement; cestseulement par la vision du Soi, par laudition des enseignements sur le Soi, par larflexion raisonne sur le Soi, par le recueillement dans le Soi, quon connat

    toute la ralit que voici.[8] Ainsi sils reconnaissent aussi des conditionsformelles la connaissance, les vdantins ne reconnaissent de connaissancevritable que par le recueillement de la pense. Le Vdantasr (qui codifie auXIVme s. des exigences que lon trouve dj dans le Yoga sutras de Patanjali auIII) indique six tapes ncessaires pour accder la connaissance vritable:sema: la tranquillit mentale, pacification des passions, toute distractionempchant la saisie de la ralit; dama: lasoumission des sens (5 sens, 5facults daction, 1 organe interne se manifestant comme ahamkara: sens dumoi empirique, mmoire, intelligence, cogitation.); uprati: complte cessationde lagitation; titiks: endurance, patience pour endurer tous les tatscontraires; samdhna: la constante concentration de la pense (lit. sam--dhna= mettre ensemble., unir, assembler) et hradda: foi indfectible.

    On peut faire ici deux remarques: 1) ces ressemblances ne concernent que desexigences formellesconcernant les dispositions de celui qui pense, elles nedisent rien quant une similitude de contenu des penses en prsence. Ce nestpas parce que les chemins se ressemblent quils mnent au mme endroit.2) Il se peut que les coles philosophiques de la Grce antique comme celles dela priode hellnistique aient reconnu des conditions la recherche de la sagessequi aient t similaires celles quont reconnu les coles indiennes jusquaujourdhui. Mais la conception que lon se fait de cette sagesse ne diffre t-ellepas radicalement de part et dautre? On pourrait considrer, comme on lalongtemps fait, en ce qui concerne les doctrines indiennes, ne pas tre enprsence de philosophie proprement dite.Sagit-il donc de philosophie? Rappelons nous les leons de Husserl faisant cho

    Page 4 of 10Plotin et la philosophie indienne

    21/07/2009http://philo.pourtous.free.fr/Articles/Julien/plotin_et_la_philosophie_indienn.htm

  • 8/14/2019 Plotin et la philosophie Indienne

    5/10

    Aristote: la philosophie est dans son essence dsintresse, et Cest seulementchez les Grecs que nous trouvons un intrt vital universel sous la formeessentiellement nouvelle dune attitude purement thortique (alors que) cesconnaissances (des asiatiques) sont et demeurent mythico-pratiques.[9] Lesdoctrines hindoues toutes proccupes dun thme unique: la libration, ne

    sauraient prtendre luniversalit du concept qui demande un purdsintressement.Or face une telle conception, on peut se demander avec R.-P. Droit si elle nestpas par trop rductrice, o trouverait-on une philosophie sans aucune intuitionni exprience spirituelle fondatrices? Y en a t-il une, une seule qui soitproccupe uniquement de pures vrits dentendement? Qui ne soit jamaistravaille par le souci dune vrit libratrice, c'est dire dune vrit vivreplutt qu penser, exercer plutt qu concevoir?[10] En tous cas si on nedevait considrer comme philosophique que lactivit rationnelle qui ne vise riendautre que la connaissance, et pas une transformation de soi ou une libration, ilfaudrait refuser le statut de philosophe autant Plotin quau Vdanta.

    Mais si on peut retrouver un mme souci sotriologique travers lesdiffrentes traditions, il ne faut pas pour autant en gommer les diffrencesfondamentales: chez Plotin laspiration spirituelle se trouve toujours solidairedun effort intellectuel typiquement grec dexplication globale du monde. Ordans le contexte indien toute lactivit intellectuelle se trouve polarise par laLibration, comme le dit un vdantin moderne: we do not explain the world, weexplain it away. (nous le dsexpliquons)[11]. On peut, en fait, dire que, alorsque chez Plotin leffort dexplication typiquement grec laisse une place au salut,chez les indiens leffort vers la libration laisse une place aux explications.

    -Connaissance de soi ou connaissance du Soi?

    Fidle la tradition socratique Plotin accorde une importance primordiale laconnaissance de soi, cependant chez Plotin le Connais-toi toi-mme trouve unsens bien diffrent de celui quil a eut dans la tradition grecque avant lui. Celuiqui apprend qui il est, saura aussi do il vient. (VI 9, 7 ) Cest ce sujet,concernant plus particulirement lIntelligence comme hypostase se connaissantelle-mme, quE. Brhier en est venu poser la question de ce quil appellelorientalisme de Plotin. Pour la tradition socratique la connaissance de soi estla conscience que nous prenons du pouvoir duser de nos reprsentations etdtre matres de nous-mmes. Or pour Plotin la pense de soi est la consciencede notre propre identit avec ltre universel.. Il y a ici plus quune diffrencede degr, une diffrence de nature; il convient donc dit E. Brhier [12] de ne pasconfondre le thocentrisme plotinien et lhumanisme cartsien celui qui necherche que lui-mme comme Narcisse, se perd () dans les choses sensibles.On l'a dit, pour Plotin la connaissance vritable nest possible quau prix duneascse, et cette ascse passe par une analyse quasi phnomnologique de laconscience individuelle, ce qui le met en dcalage par rapport au purobjectivisme grec pour qui lintelligible a primaut sur le sujet intelligent. Onpeut mme dire que les notions de conscience et de moi deviennent vraimentobjets de rflexion philosophique avec Plotin. Cette analyse de la conscienceindividuelle lamne distinguer divers niveaux du moi: cot -ou pluttderrire- la conscience intentionnelle qui suppose un ddoublement entre laconscience et ce dont il y a conscience, Plotin reconnat une conscience de soi quiest pure prsence, sunaistesis:surconscience, ce que P. Hadot appelle lasimplicit du regard.Le connais toi toi-mme plotinien rejoindrait-il le Tat tvam Asi:Tu es

    Page 5 of 10Plotin et la philosophie indienne

    21/07/2009http://philo.pourtous.free.fr/Articles/Julien/plotin_et_la_philosophie_indienn.htm

  • 8/14/2019 Plotin et la philosophie Indienne

    6/10

    Cela, ton Soi est identique lAbsolu, quenseigne le Vdanta? Tat tvam Asi[13] : Tu es Cela, cette formule rsume lessentiel du Vdanta, elle indiquelidentit de lAtman -le Soi mtempirique ( distinguer du moi empirique) dechaque tre- au Brahman -fond absolu de toute chose, non manifest.Lexistence du brahman est assure par le fait quil est le Soi de toute chose.

    Chacun en effet a conscience de lexistence du Soi et nul ne pense je ne suispas. Si lexistence du Soi ntait pas assure, chaque individu aurait consciencequil nest pas. Or le Soi, cest le Brahman. Sankara Commentaire aux Brahmasutra I 1,1

    Il y a donc bien quelque chose comme un cogito vdantique, commente M.Hulin [14]. La diffrence est que ce cogito au lieu de dcouvrir la permanencedune substance individuelle, dcouvre une substance impersonnelle mais nonmoins une: le Soi. Plotin rejoint donc le Vdanta dans ce qui est son intuitioncentrale: le retour sur soi de la conscience dcouvre lidentit pure et simple ducentre de chacun avec le centre universel.

    De plus la distinction plotinienne entre la conscience intentionnelle (qui englobe

    la pense en tant qu'elle est lie un objet) et la conscience comme pure prsence,se retrouve dans les philosophies indiennes. En effet, selon M. Ballanfat "lesphilosophies indiennes partent de la distinction de principe entre l'ensemble desphnomnes psychologiques, qu'elles rangent sous la bannire de la pense et dumoi, et les expriences privilgiant la dcouverte de ce qu'elles nomment la"conscience" (cit)." [15] L'activit psychique (consciente et inconsciente) commel'activit intellectuelle ne serait donc pas le tout de la conscience, au del de cesactivits, distinctes de par le degrs d'attention qu'elles demandent, se trouve lecentre de l'attention, le Tmoin, l'Observateur. Cette ide se trouve clairementillustre par Nisargadatta Maharaj lorsqu'il dit:" La pure Conscience est absolue,la conscience est relative son contenu, (elle) est toujours conscience de quelque

    chose. la conscience est partielle et changeante, la pure Conscience est totale,immuable, calme et silencieuse. Elle est la matrice commune de toutes lesexpriences." [16]

    Platon- et lexprience spirituelle: la thologie rationnelle consiste enllaboration dun discours ngatif ou la pense se dpouille, alors que lascsespirituelle dbouche sur une exprience infiniment positive (nous y reviendronsavec la thologie ngative).

    - Transcendance dans limmanence:Au premier abord la mtaphysique de lUn comme celle de la non-dualit

    semble exclure tout ide de transcendance, car sil y avait quelque chose detranscendant, dextrieur lUn, il ny aurait pas unit mais dualit oumultiplicit. Pourtant ni Plotin ni le Vdanta nont enseign un simple monisme(cest dailleurs ce quindique clairement lide mme d'"advata" qui veutlittralement dire "non deux", c'est direpas seulementun).

    Plotin nous dit en effet dans lEnnade III trait 8 10 que Le principe ne separtage pas dans lunivers; sil se partageait, lunivers prirait; et il ne renatraitplus si son principe ne restait en lui-mme et diffrent de tout. Une pureimmanence, sans un principe qui unit, amnerait la dissolution dans lamultiplicit.

    La nature premire est prsente toute chose. Elle est prsente? Maiscomment? Comme une Vie qui est en toutes choses. ... Il (lUn) na pas besoin devenir pour tre prsent. Sil nest pas prsent, cest que tu tes loign de Lui.Sloigner, ce nest pas le quitter pour aller ailleurs: car Il est l; mais cest, alors

    Page 6 of 10Plotin et la philosophie indienne

    21/07/2009http://philo.pourtous.free.fr/Articles/Julien/plotin_et_la_philosophie_indienn.htm

  • 8/14/2019 Plotin et la philosophie Indienne

    7/10

    quIl est toujours prsent, se dtourner de Lui. 12 Il ny a donc conscience de soicomme tre spar que pour la conscience qui sest dtourne de lUn. Sedtourner cest regarder vers lextrieur, non pas quil y ait autre chose voir, ilny a rien dextrieur lUn (sinon il ny aurait pas un mais deux); non, sedtourner, la procession, cest ne plus avoir lUn pour centre, cest se poser soi-

    mme comme extrieur soi, se ddoubler. Tous ensemble nous sommes lestres, donc nous tous, nous ne faisons quun. Mais nous ignorons cette unit,parce que nous regardons hors de ltre dont nous dpendons. Nous sommes touscomme une tte plusieurs visages tourns vers le dehors, tandis quelle setermine vers le dedans par un sommet unique.[17]Ainsi la relation la transcendance se trouve inverse: lindividu en tant queconscience se projetant sur lextrieur (intentionnalit) se trouve dans latranscendance par rapport son principe, de par le mouvement de procession, etil sagira pour lui de redcouvrir en lui-mme cette prsence absolument simplepar la conversion. La spiritualit plotinienne comme celle du Vdanta pose larelation au Principe en termes dintriorit, Dieu, dit Plotin, nest extrieur

    aucun tre; il est en tous les tres mais ils ne le savent pas. Ils fuient loin de lui ouplutt loin deux-mmes.(VI, 9, 7). De ce fait le sage plotinien comme le sagevdantin ne cherchent pas tablir une relation labsolu mais bien une unionavec lui (-ce que traduit dailleurs le terme sanskrit de yoga)(V 9, 11, 45).Plotinisme et Vdanta cherchent donc moins une extase mystique, quuneenstase(Eliade), une absorption en soi qui dcouvre plus que soi en abolissanttoute relation. Cest aussi l ce qui distingue leurs dmarches des dmarchespurement religieuses -si on considre que la religion est ce qui relie, ce qui meten relation lhomme et Dieu. En effet Plotin et le Vdanta se rejoignent en cequil ny a pas pour eux, relier lhomme Dieu parce quil ne saurait en raliten tre coup sans immdiatement cesser dtre lui-mme, mais il sagit plutt

    pour lhomme de connatre son identit originelle Dieu. Ce qui explique aussiquils se rejoignent dans le recul quils prennent tous deux par rapport auritualisme des divers religions de leurs poques: son ami Amelius qui un jourlinvita venir sacrifier aux dieux, Plotin rpondit: Cest ces dieux de venirme chercher et non pas moi daller les trouver.[18]

    Pour Plotin comme pour Sankara la connaissance mtaphysique seule peutassurer la dlivrance. Connaissance qui nest pas, faut-il le rappeler, un ensemblede propositions mais qui est transparence immdiate de ltre lui-mme[19] ,forme suprme dadquation sil en est.Du point de vue thorique, Plotin sest attach montrer que ce qui est un etidentique peut tre en mme temps partout. (une cest le titre de deux traits dela sixime Ennade). Mais comment admettre que ce qui est indivisible etintendu, soit partout? cest parce que lintelligible na point de lieu quil estprsent partout tout entier. Comment ne pas penser ce sujet aux paroles deKrishna dans la Bhagavad Gita, tant cens incarner l'absolu, affirme: "tous lestres sont en moi et moi je ne suis pas contenu en eux. () porteur des tres etnon inclus en eux, mon Soi amne ces tres l'existence."[20]

    - Le Bien infini et lAbsolu non qualifi, deux thologies ngatives?Contrairement la tradition grecque qui na jamais vu en linfini que de

    lindfini, signe dimperfection, Plotin reconnat, cot de ce mauvais infini, unbon infini, qui appartient lUn et qui consiste non pas dans linachvement desa grandeur ou du nombre de ses parties, mais dans labsence de bornes de sapuissance (VI 9, 6, 11). Comment comprendre lintroduction de ce thme sitranger la tradition dont Plotin se fait pourtant le porte parole? En effet pour

    Page 7 of 10Plotin et la philosophie indienne

    21/07/2009http://philo.pourtous.free.fr/Articles/Julien/plotin_et_la_philosophie_indienn.htm

  • 8/14/2019 Plotin et la philosophie Indienne

    8/10

    Plotin il y a une infinit du Bien, dabord dans le sens o Platon lui mmereconnat dans le Parmnide au sujet de lUn comme unit: Il possde linfinitparce quil nest pas plus quUn et quil ny a rien pour limiter ce qui luiappartient. (V 5, 11, 1) Mais pour Plotin le Bien est aussi infini dans le sens nonplatonicien o il est le sans forme qui nest ni la simple privation de forme, ni

    linfini quantitatif.LUn-Bien en tant que sans forme est la source de toute limite et de toutedlimitation (il est) donc comme une infinit absolue et premire par rapport laquelle toute forme, toute dlimitation est postrieure et drive.[21] PourPlotin, cot de linfini par dfaut, il y a donc un infini de perfection, ce quiapparatrait comme une contradiction dans les termes pour un grec pour quiperfection veut dire achvement. Le peras, la limite nest donc pas que positive,elle a une ngativit si on se place du point de vue de la surconscience: Endevenant quelquun , on nest plus le Tout, on lui ajoute une ngation. Et celadure jusqu ce que lon carte cette ngation. (VI 5, 12)

    Or pour le vdanta aussi ltre individuel est le produit dune autolimitation de

    lUn. Le Vdanta na de cesse de rpter du Brahman quil est sans forme, quilest nirguna-non qualifi (bien quil existe aussi sous la forme saguna-qualifie, en tant que Dieu personnel) Tout vdantin qui se respecte pourraitreprendre son compte le principe spinoziste selon lequel Toute dterminationest ngation. On ne peut donc dire du Brahman quil est infini, que si celasignifie quil est la source de toute forme, antrieure toute forme, le fondabsolu(et pas dans le sens ou linfinit serait une dtermination). Or cest prcismentce que Plotin dit de lUn.

    Mais il nen reste pas moins que les vdantins dans leur intense aspiration versla libration, ne reconnaissent aucune positivit la limitation alors que Plotin,fidle lesprit grec, lui en reconnat une.

    On reconnat en Plotin un des pres de la thologie ngative parce quenprolongeant la dialectique de la premire hypostase du Parmnide de Platon quiconcernait lUn qui est Un, il en est venu dcrire lAbsolu comme chappant tout savoir, comme tant lIneffable:il ne faut en dire ni ceci ni cela(V 3,50). LInde a aussi sa thologie ngative: Il ny a pas dautre ou de meilleuredescription (du Brahman) que celle-ci: il nest ni ni cela (neti neti). Brhad-ranyaka Upanishad II 3, 6

    Plotin distingue nettement (contrairement au thologiens qui le suivront -cf laThologie mystique du Pseudo-Denys) la thologie rationnelle -quil hrite dePlaton- et lexprience spirituelle: la thologie rationnelle nous permet de parlerdu Bien, mme si cest -paradoxalement- en nous amenant en nier tous lesprdicats, alors que lexprience et lascse spirituelle en donnent une exprienceinfiniment positive. Ce nest quen acceptant la possibilit dune telle exprienceque lon peut voir dans les approches ngatives autre chose que le vide et lapauvret de pense.

    -Deux formes de nihilisme et dasctisme morbide?On ne peut pas oublier le soupon moderne, au regard duquel ce quont de

    commun ces philosophies cest apparemment un ddain de la vie, plusparticulirement du corps.Il est vrai que Porphyre rapporte que Plotin aurait dit quil avait honte davoir uncorps, pourtant dans le trait quil a crit contre les gnostiques on peut lire entoutes lettres que Leur doctrine (celle des gnostiques)...nous fait fuir loin ducorps et nous le fait har, tandis que la notre retient lme auprs de lui. (...) il fautaccepter avec douceur la nature de tous les tres. (II 3,6) Il a retenu Porphyre du

    Page 8 of 10Plotin et la philosophie indienne

    21/07/2009http://philo.pourtous.free.fr/Articles/Julien/plotin_et_la_philosophie_indienn.htm

  • 8/14/2019 Plotin et la philosophie Indienne

    9/10

    suicide (V.P. II,II). Mme si lme doit se dtacher du corps pour Plotin (I 2, 5,5), Il ny aura... pas de combat intrieur, dit-il. Il suffit que la Raison soitprsente: la partie infrieure de lme la respectera.

    Ainsi comme nous le fait remarquer P. Hadot Plotin ne nous invite pas labolition de la personnalit Lexprience plotinienne, tout au contraire, nous

    rvle que notre identit personnelle suppose un absolu indicible dont elle est lafois lmanation et lexpression.[22]

    De son cot le vdanta a toujours mis lhomme en garde contre lillusion en luirappelant de ne pas sidentifier son existence phnomnale et plusparticulirement son corps et son activit psychique (celle-ci incluant le moi).Mais il a pourtant bien conscience comme le dit la Chandogya Upanishad.30 quelhomme, certes, est projet [et qu] Il faut raliser jusquau bout sonprojet. Ce qui signifie dune part quil faut passer par le destin du moiempirique, il faut traverser la subjectivit finie et son histoire pour approcher parsoi-mme lexprience libratrice (cest pour cela, par exemple, que les animauxnont pas accs la libration). Et dautre part cela signifie que si tout ce quoi

    le moi est attach -tout ce qui a trait au corps- parat illusoire (maya) du point devue du Soi, cela ne lest que du point de vue du Soi, et cela conserve sa ralit dupoint de vue de la conscience individue. Comme le souligne Sankara Il ny apas de raison de dire que le monde est non-rel avant que la connaissance delunicit de lAtman nait t atteinte. Or vu quavec la connaissance de Soitoute illusion disparat, cest une illusion que de croire que le monde est illusoire.Il ny a pas de nihilisme hindou.

    Conclusion provisoire:Aucune considration historique, et surtout le respect que lon doit au gnie

    propre Plotin ne nous permet de conclure une influence indienne sur sapense. On peut savancer comme la fait O. Lacombe, penser une influenceincitatrice, une sorte de contagion spirituelle venue dInde, mais cest encoreraisonner en termes dextriorit et de sparation et non par rapport une vritqui nappartenant ni un systme ni un autre les imprgnerait. Peut-trefaudrait-il adopter une perspective plus fconde et moins limitative que celle quinous enfermant dans des perspectives historique et culturelles nous condamnerait toujours poser les questions en termes dinfluence. Perspective mtaphysiquecomme celle que propose Georges Vallin : La perspective mtaphysique nestpas un systme, mais une vision de ltre et du Monde qui ne saurait, en raisonmme de son illimitation interne ou de son universalit, tre emprisonne dansles limites dune formulation quelconque"[23] Cette perspective serait ce quily a de commun aux grands mtaphysiciens comme aux grands spirituels etmystiques, cest ce qui fait que certaines paroles de Plotin ont un lien frappantavec celles de Nisargadatta Maharaj par exemple. Cette hypothse est creusertout en noubliant pas que de manire gnrale deux cueils sont soigneusement viter : le cloisonnement des traditions qui les condamne au particularisme et lesyncrtisme qui confond tout. Les deux sont autant de refuges lignorance et la prtention.

    Julien Saiman(crire cet auteur)

    Commentaire

    Page 9 of 10Plotin et la philosophie indienne

    21/07/2009http://philo.pourtous.free.fr/Articles/Julien/plotin_et_la_philosophie_indienn.htm

  • 8/14/2019 Plotin et la philosophie Indienne

    10/10

    Retour l'accueil - Atelier philosophique - Le don - Sentences, aphorismes et brves remarques - Lectures -Cours et confrences - Visages de la pense - Liens et contacts

    [1]Vie de Plotin III Ed. Belles Lettres[2] E. BrehierLa philosophie de Plotin p.121, Vrin[3] H. ZimmerLes philosophies de lInde p.280, Payot[4] La pense discursive, afin de sexprimer, saisi successivement les choses et les parcourt luneaprs lautre. Or, que parcourir dans ce qui est absolument simple? Il suffit alors dun contactintelligent Ennade V, 3, 17, 25 (Toutes les rfrences aux textes de Plotin renvoient l'ditionde Belles Lettres.)[5] R-M. Moss-Bastide Pour connatre la pense de Plotin p.11, Bordas[6]Quest-ce que lignorance mtaphysique ? Vrin[7]L exprience du Soi p.118 DDB[8] III, 14[9]La crise de lhumanit europenne et la philosophie p.353, 365[10] Loubli de lInde p.210[11] cit par Guy Bugault dans son article En quel sens peut-on parler de philosophieindienne ? repris dans LInde pense t-elle ? Pour un tour dhorizon de la question voir aussinotre articleN'y a-t-il de philosophie qu'en Occident ? disponible sur le prsent site.[12] op. cit. p.109[13] Chandogya Upanishad 6, 8, 7[14] op. cit. p.78[15]Introduction aux philosophies de lInde p.9, Ed. Ellipses 2002

    [16]Je suis p.43, Ed. Les deux Ocans 99[17]Cette image pourrait autant se rfrer la figure de lHerms polycphale qu Brahma. Elleest interprte de faon trs vivante par D. E. Harding dans Limmensit intrieure p.163 Ed.Accarias/lOriginel[18] Porphyre Vie de Plotin chap.10[19] O. LacombeLexprience du Soi p.88[20] Bhagavad Gita chant IX, 4 et 5 trad. Esnoul, Lacombe p.87, Ed. Seuil[21] P. Hadot commentaire au Trait 34 p.47 Cerf[22]La simplicit du regardp.38-39[23]La perspective mtaphysique Dervy Livre p.53

    Retour au menu Textes & Articles

    Imprimercettepage

    Page 10 of 10Plotin et la philosophie indienne