Pinçon Michel, Pinçon-Charlot Monique. Ehrenberg Alain, La fatigue d'être soi. Dépression et...

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Monsieur Michel Pinçon Monique Pinçon-Charlot Ehrenberg Alain, La fatigue d'être soi. Dépression et société. In: Revue française de sociologie. 1999, 40-4. pp. 778-780. Citer ce document / Cite this document : Pinçon Michel, Pinçon-Charlot Monique. Ehrenberg Alain, La fatigue d'être soi. Dépression et société. In: Revue française de sociologie. 1999, 40-4. pp. 778-780. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsoc_0035-2969_1999_num_40_4_5225

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  • Monsieur Michel PinonMonique Pinon-Charlot

    Ehrenberg Alain, La fatigue d'tre soi. Dpression et socit.In: Revue franaise de sociologie. 1999, 40-4. pp. 778-780.

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    Pinon Michel, Pinon-Charlot Monique. Ehrenberg Alain, La fatigue d'tre soi. Dpression et socit. In: Revue franaise desociologie. 1999, 40-4. pp. 778-780.

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsoc_0035-2969_1999_num_40_4_5225

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    ble, mais elle confirme les craintes que l'on peut avoir par rapport au cadre pis- tmologique gnral qui nous conduirait vers une certaine indtermination. Les dveloppements de l'auteur sur l'incertitude des comportements fondent ces craintes. Comment expliquer la prdominance d'un scheme d'action par rapport un autre ? Comment expliquer que dans telle situation c'est ce scheme d'action qui a t choisi plutt que tel autre ? Sans compter que la complexit plurielle des situations empche de dterminer quel stimulus plutt que tel autre a activ ce scheme d'action. La relation de partenaires rciproques entre schemes d'action et situation accrot considrablement incertitude globale rsultant de l'incertitude propre chaque composante de la relation. La multiplicit des appareillages possibles entre les solutions proposes par les deux composantes (schemes d'action d'une part, situations d'autre part) risque de conduire une vritable indtermination ; moins que la recherche n'aboutisse un classement des relations de partenaires rciproques : ce dont se garde l'auteur, prcisant au contraire que les psychologues qui ont test cette dmarche ont fait machine arrire.

    Face cette indtermination, Lahire aurait pu conclure un espace de libert de l'acteur. Bien au contraire, il stigmatise les tenants de la libert fondamentale de l'acteur tout en expliquant que si les acteurs sont entirement dtermins socialement, la dtermination sociale n'est pas univoque. C'est travers Y engagement personnel ou la dtermination (au sens d'tre dtermin) que nous vivons ou que nous sentons les dterminismes sociaux dont nous sommes les produits (p. 235). La microsociologie de Bernard Lahire conserve ses acquis holistes. Puisse sa sociologie de l'acteur trouver les ponts vers une sociologie des groupes sociaux.

    Jean-Pierre Durand

    Centre Pierre Navdle - Universit d'Evry

    Ehrenberg (Alain). - La fatigue d'tre soi. Dpression et socit. Paris, Odile Jacob, 1998, 320 p., 145 F.

    La conjoncture idologique actuelle est marque par la domination de la pense librale qui fonde l'action sur l'initiative individuelle. La contrainte des corps, essentielle dans le systme taylorien, a cd la place la mobilisation des capacits et l'esprit d'entreprise. Si le permis a cd la place au possible, celui-ci, dont les limites ne cessent de reculer et de devenir imprcises, s'rige en devoir tre. La ralisation de soi se substitue l'observance des interdits. Alain Ehrenberg s'attache montrer comment cette rvolution dans l'organisation du psychisme est au principe du passage de la dpression au premier rang des difficults et des souffrances psychologiques.

    L'analyse de cette volution s'appuie sur une prsentation historique trs fouille des concepts de la psychiatrie et de la psychanalyse et des conceptions et techniques thrapeutiques. Cette mise en perspective permet, entre autre, de situer cette irruption du devoir tre soi par rapport aux volutions des techniques de soin et en particulier des avances de la pharmacologie des maladies mentales. Certains dveloppements mettent ainsi en conjonction l'apparition de nouveaux produits, l'abandon progressif du projet de guri son au profit du traitement indfini d'un dficit chronique n'ayant pas d'autre ambition que d'offrir une qualit de vie, la manire des traitements des diabtes chroniques.

    Jusqu'aux Trente Glorieuses incluses, l'identit de l'individu se construisait essentiellement par son sexe, sa classe sociale et son groupe professionnel. Il tait pris dans des logiques disciplinaires et d'autorit et n'avait donc, en quelque sorte, qu' suivre son destin, ou ventuellement le contester. Aujourd'hui la domination presque sans partage de l'conomie de march et du modle libral exacerbe les concurrences interindividuelles, en particulier dans le champ conomique,

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    mais aussi dans le systme scolaire et, d'une certaine faon, l'intrieur mme des structures familiales et des relations affectives o l'instabilit devient la rgle. N'ayant plus tant correspondre ce que l'on attend de lui qu' tre force de proposition, l'individu est somm d'tre lui- mme et donc de s'inventer, de se construire son identit travers tous les possibles. On est pass un nouveau systme de normes qui incitent chacun l'initiative individuelle en l'enjoignant devenir lui-mme (p. 1 0). La dpression, dont le nombre de cas ne cesse d'augmenter, devient alors une maladie de la responsabilit et le dpressif un individu incapable de se saisir de toutes les potentialits que lui offre le recul des limites du possible.

    La concurrence exacerbe et le repli des formes collectives au profit des logiques individuelles font que gagneurs, sportifs, aventuriers et autres battants envahissent le paysage imaginaire franais (p. 199). Le chef d'entreprise tend incarner l'idal social, le modle achev de l'homme nouveau. Les entrepreneurs, du moins ceux qui ont russi, contre tous les outsiders, ont su manifester l'initiative, la responsabilit, la ractivit, en un mot l'esprit d'entreprise qui sert aujourd'hui de repre et de ligne de mire. Au point qu' il devient indcent de parler de profits et de plus-value. Au point que le dopage envahit le sport et que les antidpresseurs sont utiliss, parfois, comme adjuvants permettant de mieux entrer dans la comptition. Cela conduit poser autrement le problme des limites rgulatrices de l'ordre intrieur : le partage entre le permis et le dfendu dcline au profit d'un dchirement entre le possible et l'impossible. (p. 14).

    En situant cette nouvelle donne par rapport l'histoire de la psychanalyse et de la psychiatrie, Alain Ehrenberg montre comment la figure du sujet en sort largement modifie : il s'agit d'tre semblable soi- mme (p. 118). La construction de l'individualit se ralise alors moins dans le conflit psychique, comme le veut la

    tion freudienne, que dans le sentiment d'impuissance. La perception de l'intime change. Il n'est plus seulement le lieu du secret, du quant--soi ou de la libert de conscience, il devient ce qui permet de se dprendre d'un destin au profit de la libert de choisir sa vie (p. 123). cette moindre prise en compte du conflit psychique et cette monte des sentiments d'impuissance, correspond le recul de la conflictualit sociale. Les individus, au lieu de combattre un ennemi de classe ou les institutions d'un tat son service, retournent l'arme contre eux : l'chec est vcu sur le mode de la responsabilit personnelle, de l'impuissance et donc du non- respect des injonctions du devoir tre dominant. L'agressivit sociale se mue en honte de soi. Le coup de force symbolique est considrable qui culpabilise les victimes. L'inflation des troubles de la personnalit, les plaintes recueillies dans les cabinets mdicaux relatives aux sentiments de vide, d'impuissance, aux angoisses et inhibitions de l'action seraient donc imputer cette inversion des responsabilits.

    Sur le plan mdical, les antidpresseurs, tout en agissant sur un large spectre de troubles du comportement, ne sont plus considrs comme susceptibles de gurir, c'est--dire de rtablir dans son intgralit un psychisme qui aurait t dgrad, diminu dans ses capacits. Les antidpresseurs sont des rgulateurs de l'action. (p. 186). Le dpressif, la personnalit inhibe, ainsi soigne, peuvent reprendre leur activit sociale, agir de nouveau. Le Prozac n'est pas la pilule du bonheur mais celle de l'initiative. De plus la pharmacologie psychiatrique et la psychanalyse se voient concurrences par de nouvelles techniques, souvent fondes sur une thrapie de groupe, qui visent combler le vide qui met en cause l'assise identitaire de la personne. Mais cette pharmacologie et ces techniques, aux efficacits plus ou moins tablies, rpondent une norme demande manant de ceux qui n'ont pas les moyens d'entrer dans la course. Comme pour d'autres affections chroniques, il

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    s'agit le plus souvent de permettre de vivre, tant bien que mal, en bnficiant une aide mdicale ou paramdicale dont le but n'est plus explicitement fix comme tant la gurison du patient mais, plus modestement, de l'aider surmonter ses difficults. Le traitement devient alors tout aussi chronique que l'affection.

    Au-del de l'analyse historique trs mticuleuse de la construction mdicale et conceptuelle de la notion de dpression et des volutions de son traitement, l'ouvrage d'Alain Ehrenberg a une porte plus gnrale avec une rflexion sur l'histoire sociale de la construction de la notion de personne. Dans cette perspective, l'auteur aurait sans doute pu intgrer plus systmatiquement le recul de la religiosit et la dngation de la mort dans notre socit. Cette dimension, dont le traitement social est particulirement dficitaire, n'est certainement pas sans interfrer dans les processus dpressifs.

    La double dconflictualisation du social et du psychique, travers le consensus sur le modle libral et par le recul des nvroses et psychoses au profit de la d

    pression, dans la masse des patients, aboutit au fait que l'on diffrencie d'ailleurs de plus en plus mal souffrance et injustice, compassion et ingalit, conflits lgitimes qui visent rpartir plus justement la richesse produite, et conflits illgitimes qui rsultent de corporatismes bien placs dans les rapports de force (p. 241 ). Mais, et c'est l, notre sens, la lacune la plus regrettable de ce travail remarquable, l'absence de prise en compte des classes ou des groupes sociaux pose problme. Le poids du social et de la vie conomique dans les syndromes dpressifs, si l'exigence d'un devoir tre comptitif et vai nqueur est bien leur principe, ne saurait tre le mme selon les positions occupes dans l'espace social. Celui-ci n'est pas galement concurrentiel en tous lieux, et entre classes populaires, cadres moyens, cadres suprieurs et haute socit les exigences ne sont certainement pas quivalentes. En particulier le sens du collectif, de la convergence des intrts, est particulirement vivace

    encore dans la grande bourgeoisie. Une dclinaison des observations et des analyses en fonction des milieux sociaux aurait sans doute montr que, face la dpression aussi, l'galit des chances est une formule vaine.

    Michel Pinon CSU - IRESCO-CNRS

    Monique Pinon-Chariot CSU - IRESCO-CNRS

    Schnapper (Dominique). - La relation l'Autre. Au cur de la pense sociologique. Paris, Gallimard (Nrf Essais), 1998, 562 p., 170 FF. La relation l'Autre est un objet

    nodal de la discipline sociologique. Entre promotion de principes universels et r

    econnaissance des collectivits historiques singulires, se trame une rflexion portant sur les diversits culturelles, les ingalits sociales et le principe de citoyennet. La capacit d'intgration d'individus ou de collectifs trangers dramatise cette tension entre logique universelle - politique et juridique - d'gal accs la citoyennet et pratiques effectives marques par la puissance des sentiments nationaux. Aussi Dominique Schnapper organise-t-elle son ouvrage autour des dbats acadmiques (amricains, anglais et franais) relatifs aux relations interethniques (p. 3 1) car, au cur de la pense sociologique , la relation l'Autre est dterminante.

    La premire partie de l'ouvrage interroge les deux formes lmentaires de la relation l'Autre. Tantt accept comme un double de soi gal en dignit - hritage de l'universalisme des Lumires -, tantt peru comme infrieur, reflet dform de soi - imaginaire du peuple tout-puissant labor au XIXe sicle -, l'Autre nourrit les rflexions sur l'irrductible identit ou l'indfectible diffrence du genre humain. Montesquieu tablit bien une position mdiane entre les assimilationnistes et les diffrentialistes en pensant les singula-

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