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    1/8

    GUSTAVO A. PIEMONTE

    Image et contenu intelligible

    dans la conception rignienne de la 'diffusio Dei'

    l

    Les Sraphins que, le jour ou Dieu l'appel a, le prophe te Isale vit dans le temple de

    Jrusalem couvraient de leurs ailes la face et les pieds du Seigneur, assis sur un trne

    lev

    1

    Dans son commentaire

    de

    Denys, Jean Scot explique que cette attit ude symbo

    lise la crainte rverentielle qui empec he les essences clestes de regarder, d'une part,

    vers les hauteurs suressentielles

    de

    Dieu, et de scruter, d'autre part, 'quomodo Domi

    nus, cum sit super omnia,

    diftunditur in omnia, et

    ubique est, sine quo nihil esse

    potest . . .

    2

    Une telle interprtation de la vision d'Isale, bien rignienne par son carac

    tere

    mtaphysique et par les doctr ines spcifiques auxquelles elle renvoie

    3

    lucide les

    images anthropomorphiques du texte biblique au moyen d'une autre image plus subtile

    - celle de la "diffusion", tire

    du

    comportement des substances fluides,

    ou

    de la

    lumiere

    4

    - mais qui reste elle-meme dans le domaine des mtaphores sensibles dont

    notre intelligence, dans son tat actuel, ne sa urait se passer.

    En

    effet, en tant que drivs de 'fundo, fundere', "verser", 'diffundo'

    5

    et

    'diffusio'

    s'appliquent d'a bord, littralement, dans l'usage rignien comme dans la langue clas-

    1

    Cf./s. 6,1ss, d'apres la Vulgate, qui porte au

    v.

    2: 'velaban faciem eius pedes eius . C'est ce

    texte que suit Jean Scot dans le passage que je vais citer ( cf.

    Expositiones

    in

    ler.

    coel.

    (ci-

    dessous: Expos.), XIII, 372-388 Barbe , ou

    il

    renvoie explicitement a ]"hebraica ueritas').

    O'autres

    versions, parmi elles les plus rcentes, comprennent diffremment ce verset; voir

    p. ex. la Bible de Jrusalem ( pour

    se

    couvrir la face . . . les pieds"); la Nova Vulgata (en un

    volume, Vatican 1979) donne: 'velabat faciem

    suam

    . . . pedes

    suos .

    Expos.,

    XIII, 475-489. On trouve substantielle ment la meme exgese de la vision d'Isale (mais

    avec la traduction 'suos' a u lieu de eius', cf.la note prcdente) en P II, 6140-615 A (p. 202,4-8

    Sheldon-Williams; III, 668A-B (p. 138,1-20).

    3

    Cf. aussi l'exgese apparente des 'duo pedes uerbi'

    en

    Comm. sur l vang.

    de

    lean, I, XXIX,

    58ss Jeauneau; et la glose III du manuscrit Paris

    Mazarine 561,

    f. 220v (d. E. Jeauneau,

    "Quisquiliae e Mazarinaeo codice 561 depromptae ,

    Rech. Thol. Anc. Md.,

    45 (1978), 79-

    129: p. 104).

    4

    Cette autre image n'est pas trangere a 'Ecriture: cf.

    Sagesse

    7,22 et suiv., notamment 7,24 et

    8,1 (sur ce dernier verse , cf. E.

    Jeauneau, art.cit.,

    pp. 120-122; et pour les affinits avec le

    Stoicisme, C. Larcher, Le

    Livre de

    la

    Sagesse

    oula

    Sagesse

    de

    Saloman,

    II, Paris 1984, notam

    ment pp. 515-517).

    5

    Chez Jean Scot, un certain flottement de l'orthographe fait que dif-fundo' est difficile adistin

    guer du verbe apparent (classique aussi, mais moins frquent) 'de-fundo'; p. ex., en

    P

    III,

    Image et cntenu intelligible

    81

    sique, aux liquides, a l'e au (des fontaines et des fleuves ou de l'abime primordial

    6

    ; de

    la,

    le

    passage est facile

    a

    l'air

    7

    ,

    et, par extension, aux lments en gnral

    8

    . De

    ces

    lments, le plus actif et pntr ant est le fe u, dont la source principale est le soleil, qui

    fait rayonner part out sa chaleur et sa lumiere

    9

    Or, la vue

    de

    la diffusion de la lumiere

    sensible, qui emplit.la totalit du

    monde-

    sauf la petite portian occupe par l'ombre de

    la terre -,mene tout naturelle ment a utiliser la meme expression pour la lumiere ineffa

    ble, toujours prsente aux yeux de l'intelligence

    10

    Mais a u sens figur, la 'dif fusio' ne se

    dit pas seulement du 'divinum turnen' comme d'un effet diffrent de sa source, mais

    encare, ainsi qu'on l'a vu au dbut, de Dieu lui-meme

    11

    , de la 'divina natura'

    12

    , de la

    'divina virtus' ('diuinam uirtutem in omnia uenientem, et implentem omnia, et omnia

    infinita sui diffusione penetrantem'

    13

    , de la 'divina bonitas', qui rpand sur tout etre

    cr ses dons

    14

    . Cette bont ainsi se diffusant inpuisablement est a la fois unit et

    trinit

    Et, dans la Trinit, la 'diffusio' correspond surtout au Fils, que les Grecs

    appellent Lagos: c'est ce qu'exposent abondamment d'importantes pages du livre III

    du Periphyseon, ou "infinita uerbi multiplica ia' est claire a l'aide de plusieurs mta

    phores complmentaires: 'cursus' (image tire du

    Ps.

    147,15: 'Velociter currit sermo

    eius'), 'extensio' (fonde sur

    Sag.

    8,1 et sur Denys), et 'diffusio', terme dont la forme

    simple 'fusio' est employe comme quivalente

    16

    ;

    cette forme parait dans l'tymologie

    642 O (p. 80,15) l'on rencontre ala suite 'de funditur' e t 'diffusio'; en 632 C (p. 56,25), 'deffun

    ditur', avec la variante 'defunditur'; etc. Je considere toutes ces formes comme pratiquemen t

    quivalentes.

    6

    Cf.

    P

    III,

    6328-C

    (p. 56,23-25);

    694C

    (p. 198,15-16); 698C-699A (p. 208,9-10.15.21-22);

    702C (p. 216,17); 708A (p. 228, 16-17); etc. Egalement, les lignes 15-17 de la scholie indique

    ci-dessous, n. 19.

    Les listes de cette note et des suivantes ne prtendent pas etre exhaustives, mais seulement

    offrir q u l q u ~ s exemples significatifs.

    7

    Cf. P III, 649A-B (p. 96,5-6);

    V 9470.

    8

    Cf.

    P

    III, 711D-711 A (p. 236,23-26); 7138 (p. 240,9-10); 715A-B (p. 244,8-9); V 902A.

    9

    Cf.

    P

    II, 538C-O (p. 34,10-13);

    III,

    6808 (p. 164,33ss); 729A (p. 276,20-21); V 918C.

    Expo;.,

    IX, 407-411;

    XIII,

    116ss. Voir aussi, au su et de l"ethereu m lumen',

    Expos.,

    II, 971-

    975, et de la 'lux' en gnral,

    De praed.,

    17,87 Madec (seule occurrence d'une forme du verbe

    'diffundo' dans cet ouvrage).

    10

    Cf. PI 520Css (p. 214,13ss); III, 668C (p. 138,25-28); V 10128 ('inexhausta effusione').

    Expos., IU, 130-133;

    V

    11-12; VII, 859-861; IX, 144-147; etc.

    11

    Voir p.ex. P

    IV

    788A: 'sicut Oeus

    per

    omnia quae sunt diffunditur, et a nullo eorum potes

    comprehendi, ita anima totum sui corporis organum penetra , ab eo lamen concludi non

    valet'. (Aussi les textes indiqus ci-dessus, n. 2.)

    12

    Cf. p 1 520A (p. 212,16-17).

    13

    Expos.,

    XIII, 92-93.

    14

    Cf. III, 6330 (p, 60,8-10);

    V

    903A,

    9428-C (comparaison avec l'humanit, laquelle 'in

    omnes homines diffunditur, et tota in omnibus est, et tota in singulis'), 10208-C.

    Expos.,

    l,

    5 ss; etc.

    15

    Cf.

    P

    III, 6320 (p. 58,1-3) (sur ce texte, cf. infra, n. 54); galement le passage de

    P II

    indiqu

    supra, n. 2.

    16

    Voir

    P

    III, 642A et suiv. (p. 78,19 et suiv.). Pour l'ide de 'currere', cf. en plus

    P

    l, 452B:C (p.

    60,16-25), 460A (p. 78,3-9); III, 7098 (p. 230,28ss);

    Expos.,

    I, 177-182; et infra, n. 93.

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    82

    GusTAvo A.

    PI MONT

    suppose du terme hbreu cherubim = 'fusio sapientiae'

    17

    L'ide de diffusion s'attache

    galement au Verbe

    par

    d'autres voies; par exemple, lorsque le pseudo-Denys parle du

    "rayon" de la clart du Pere, Jea n Scot identifie ce 'radius' au Verbe, qui 'in uniuersita

    tem sensibilis et intelligibilis creatur e diffunditur', et a qui revient des lors le parti

    cipe 'superexpansi' - traduit aussi 'superextenti'

    par l'Erigene-,

    que l'Aropagite

    assigne ailleurs au rayan divin

    18

    Mentionnons enfin ici quelques lignes que le traduc

    teur a ajoutes a une des scholies des

    Quaestiones ad Thalassium

    de Maxime le Confes

    seur, dans lesquelles le Verbe, qui 'inuisibiliter et incomprehensibiliter

    per

    rationabiles

    creaturas ad multiplicandas uirtutes rerumque rationes, dum sit natura indiuisibile,

    diuiditur', est compar a l'eau qui se rpand ('diffunditur') a travers les corps 'per

    occultos nature meatus'

    19

    .

    Les effets que produit la diffusion du Verbe-rayon lumineux sont quelquefois prsen

    ts comme concernant surtout le domaine de la connaissance: clairer les mysteres,

    former des visions dans les sens intrieurs

    et

    en donner l'interprtation, etc.

    20

    La

    'fusio

    sapientiae' est galement comprise

    en

    certains passages comme une transmission

    hirarchique des 'diuinae illuminationes' a travers les ordres angliques, et

    de

    ceux-ci

    aux hommes

    21

    . Mais plus nombreux et plus importants sont les textes qui situent les

    effets en question sur le plan ontologique: 'Non enim omnia subsisterent si non

    radius ille ineffabilis diffunderetur in omnia,

    ut subsisterent omnia

    ; 'ipsius fusio

    causa existentiae omnium est

    22

    . Ces textes peuvent tr e disposs selon

    une

    grada

    tion:

    - plusieurs se contenten de dire, en gnral, que la 'diffusio' de Dieu, du Verbe, se

    produit 'ut (omnia) sint', 'ut subsistan ', ou quelque formule analogue

    23

    ;

    17

    La provenance dionysienne

    Cae/. hier.,

    VII, 1;

    PG

    3,205B) de cette tymologie, qui n'est pas

    vidente en P III, 643B (p. 82,1-3), est, en revanche, signale explicitementpar Jean Scot

    enP

    V, 863C. Cf. aussi

    ibid.,

    864B,

    et Expos.,

    VII, 23-31. 87-88; XIII, 304-309.

    18

    Cf.

    Expos.

    I, 311ss, nota mment 317-319 et 333-335 ('expanditur distribuitur'); IX, 404-

    405. Pour l'inspiration dionysienne

    de

    l'expression 'extenditur in omnia',

    cf

    infra, II, 1, a, et

    pour un autre passage du pseudo-Denys ou Jean Scot a cru trouver l'ide de la diffusion du

    Verbe infra, n. 50.

    19

    Op. cit.,

    Introd., Scholia, 5,15-20;

    d.

    C. Laga- C. Steel,

    Turnhout-

    Leuven 1980 (Corpus

    Christ., Ser. gr., 7), p. 42 (ces lignes, d'apre s les diteurs, p. CI,

    ont

    certainement

    t

    ajou

    tes" au texte grec par Jean Scot).

    L'ide de 'diffusio' se prsente en outre chez Jean Scot en rapport avec 'ame du Christ

    P

    V,

    993C), avec les causes primordiales

    P

    II, 550C (p. 58,23-24);

    cf

    III, 632B-C (p. 56,23ss)),

    avec la monade et les nombres

    P

    III, 652C (p. 104,2-4); 658C (p. 116,34-35)), avec les 'data'

    de Dieu

    (PV,

    946B) et sa grace (PV, 1002B et Comm. v lean, I, XXX, 18-19-le seul usage

    du verbe 'diffundo' dans cet ouvrage-); etc.

    2

    Cf. Expos. 1 3 1 7 ~ 3 2 3

    21

    Cf. Expos.,

    V,

    10-15. 140-143; VII, 228-236; etc.

    22

    Expos.

    1 352-354;

    P

    III, 643B

    p.

    82,7-8 .

    23

    Voir p. ex., avec le verbe 'esse' (' ut sint', etc.): PI 520A (p. 212,22); III, 632C (p. 56,27-28),

    642D (p. 80,20). Expos., I, 7-8; IV, 108. Avec 'subsistere': P

    V,

    946B. Expos., I, 70

    ('ut

    essentialiter subsistan ') et 352-354.

    Image et contenu intelligible

    83

    d'autres prcisent que,

    par

    sa diffusion, Dieu est le prncipe de l'essence de toutes

    choses

    24

    ;

    - d'autres encare affirment que la diffusion divine est, non pas le prncipe, mais la

    'substantia et essentia'

    mme- ou

    la 'subsisten ia'- des choses

    25

    ;

    - certains passages, enfin, les plus complets et les plus audacieux, soutiennent

    que

    la

    'diffusio' (ou 'extensio') de Dieu est,

    et

    la 'causa omnium', et a la fois, directement,

    'omnia' - ce qui parait plus nergique encare que dire, comme ci-dessus, qu'elle est

    'omnium e ssentia/subsistentia' -

    26

    2. Dans les passages

    queje

    viens de rappeler, l'expression

    'diffusio'-ou

    ses quivalents

    - dsigne done le mouvement crateur, le processus qui

    esta

    'origine

    de

    la ralit des

    tres finis. Mais quelle est la nature de ce mouvement?

    La

    saisir est peut-tre quelque

    chose de suprieur a notre capacit, mais nous pouvons essayer au moins de ne pas

    commettre des erreurs t rop grossieres a ce su jet. Il faut

    d'abord

    carter

    toute

    reprsen

    tation spatiale. C'es t ce que fait formellement Jean Scot dans une page du

    Periphyseon

    que j'ai dja cite,

    en

    soulignant que certaines imaginations trompeuses que l'o n pour

    rait concevoir a propos

    de

    la diffusion de la nature ineffable

    sont

    aussi ridicules que

    nuisibles: aucune

    mort

    plus honteuse pour la 'rationalis anima' que celle qui consiste

    rait a in ven er 'talia monstra abhominandaque idola'. C'est pourquoi personne ne doit

    croire que dire que

    Dieu

    "se diffuse",

    s'tend ,

    ou

    court ,

    implique qu'il ait aupara

    van prpar des lieux

    ou

    droule r ces activits, ni, moins encare, que ce soit un autre

    prncipe qui ait dispos de tels lieux, ou une forme quelconque d'tendue spatio-tempo

    relle, qu'ensuite Dieu

    'sua diffusione impleret uel suo cursu perageret uel sua exten

    sione solidaretm.

    Cette critique d'une interprtation possible, trop littrale et un peu nalve, des mta

    phores de "diffusion", n'en rejette pas seulement les rfrences a l'espace, mais encare

    et surtout les prsupposs temporels: le Ver be ne se rpand pas 'in ea quae prius

    erant';

    au contraire, 'ipsius fusio uel extensio uel cursus praecedit omnia', c ette diffusion

    tant

    24

    Cf. P II, 585 C (p. 134,18): 'distribuens eis essentiam'; Expos., VII, 982: 'omnis essentie super

    essentiale principium'.

    25

    Voir, pour substantiaet essentia': P III, 644C (p. 84,19); Expos., XIII, 488-489

    (cf.

    supra, n.

    2):

    'eorum

    que sunt essentia et substantia ipse est, cum sit superessentialis et supersubstantia

    lis'. Pour 'subsistentia': P III, 6 42C-D (p. 80,15-16. 20-21); Expos., I, 8-10.

    26

    Cf. notamment

    P

    III, 632D (p. 58,1-3) et 643B (p. 82,8), passages sur lesquels je reviendrai

    plus loin (II, 1, b). Voir aussi

    ibid.,

    633D (p. 60,10-11): 'quae ineffabilis diffusio et facit omnia

    et

    fit in omnibus

    et

    omnia est'; 643B (p. 80,35ss): 'facit omnia et fit in omnibus omnia

    extendit se in omnia

    et

    ipsa extensio esfomnia'. Dans la mme section de

    P

    III, un autre texte

    analogue - et de la mme inspiration-, mais dans legue l'expression 'diffusio' n'est pas

    employe, est 650C-D (p. 98,30ss), ou para la fameuse phrase:

    'Deus

    itaque omnia est et

    omnia deus . Cf.

    en

    outre P

    V,

    952A, cit ci-dessous.

    27

    P III, 643B-D (p. 82, 3-22). Cf. aussi les remarques sur le sens non-spatial de Ps. 103 (104),24,

    'Omnia in sapientia fecisti'

    -un

    verse favori deJean

    Scot-

    en III, 680A (p. 164,20-24); il est

    anoter que, si l'expression 'diffusio' n'y est pas employe, il y est dit que la Sagesse devient

    toutes choses, ce qui est quivalent

    a

    affirmer qu'elle "se diffuse en toutes choses" (voir la

    comparaison avec le soleil ibid., 680A-C (p. 164,25ss)).

  • 7/24/2019 Piemonte - Image Et Contenu Intelligible

    3/8

    84

    GUSTAVO A. PIEMONTE

    la cause de l'existence des choses

    8

    Autrement dit, sans 'diffusio', il n'y aurait pas de

    monde cr. 11 n'est pas impossible de se reprsenter

    ce

    qui arriverait 'si sola intra

    semetipsam divina bonitas quieta absque ulla operatione perseveraret': ainsi que le dit

    un passage du livre V du

    Periphyseon

    ou se pose la question du pourquoi ('cur ') de la

    cration, dans cette hypothese la bont divine ne fournirait pas d'occasion d'etr e glori

    fie; 'jam vero in omnia visibilia et invisibilia seipsam diffundens, et in omnibus omnia

    existens', elle a rendu possible la louange du 'summum bonum'

    29

    Nous avons ici une

    opposition entre Dieu sans, ou avant (du moins logiquement), la 'diffusio', et Dieu avec

    ou apres celle-ci, considre comme une sorte de mouvement du Crateur, allant de

    celui-ci au monde. La 'diffusio' prcede le monde, et Dieu prcede la 'diffusio'. Une

    telle vue e st claire et ne parait pas incorrecte, a condition toutefois de ne pas oublier que

    se diffuser, tant un ' motus', un 'fieri', ne peut pas etre affirm de Dieu au sens propre,

    pas plus que le 'fac ere' de la re prsentation traditionnelle de la cration

    3

    . Jean Scot

    comprend

    s

    bien cette difficult que, pour la rsoudre, il semble pret a vider l'image de

    la diffusion de toute significatioil cosmogonique.

    En effet, lorsque, dans le contexte de son minutieux examen de l'applicabilit des dix

    catgories a Dieu, l'Erigene analyse les deux dernieres, 'agere' e t 'pati', et se demande

    en particulier

    ce

    que veut dire a u juste que Dieu "aime" ou "est amour ",

    l

    fait en

    quelques mots une critique de notre mtaphore bien plus radicale que celle que j'ai

    rsume tout a l'heure. Dieu, di -i , est justement appel amour, puisqu'il est la cause

    de tout amour, 'et per omnia diffunditur et in unum colligit omnia Ensuite

    il

    pr

    cise: 'lpsa quoque diuinae

    natJrae

    in omnia quae ab ea et in ea sunt diffusio [omnia]

    amare dicitur non quia ullo mo o diffundatur quod omni motu caret omnia que simul

    implet, sed guia rationabilis mentis contuitum per omnia diffundit [et moue t dum diffu

    sionis et motus animi causa sit] ad eum inquirendum et inueniendum et quantum possi

    bile est intelligendum qui omnia implet ut sint

    ..

    .'

    31

    Un peu plus loin, Jean Scot pro

    pose deux exemples pour faire mieux comprendre pourquoi on dit que Dieu se meut,

    bien qu'il soit immobile; le premier de ces exemples, relatif a la lumiere sensible, est

    particulierement intressant ici. La lumiere qui mane du soleil 'ita totum mundum

    radiorum suorum inmensurabili diffusione perfundit ut nullum locum relinquat quo se

    moueat': elle reste done immobile; mais elle

    meten

    mouvement les yeux des animaux:

    'Ideoque moueri putatur guia radios oculorum ut ad se moueantur permouet [hoc est

    oculorum motionis ad uidendum causa est]m. D 'apres ces passages, done, Dieu ne se

    diffuse que dans la mesure ou

    i\

    est l

    cause de

    l

    diffusion

    du regard de l'intelligence a

    travers toutes choses: c'est la 'rationabilis mens' qui "cour t", qui parc ourtles etres crs

    essayant d'y trou ver Die u qui les remplit- car autrement ils ne seraient pas -, Dieu qui

    est depuis toujours dja la, mais que nous ne sommes pas toujours capables de recon

    naitre. Par un retournement tres rignien, la 'diffusio' n'est plus un mouvement de

    Dieu donnant origine aux cratures, mais un mouvement de la crature raisonnable et

    28

    III, 6438 (p. 82,5-8); cf. 644A (p. 82,29-31).

    29

    P

    V

    951 C-9528.

    Cf.

    aussi Expos., I, 69-72.

    30

    Voir notamment la 'conclusio de agere et pati' en PI, 524A-B (p. 220,7-26).

    31

    PI, 519D-520A (p. 212,13ss).

    32

    bid.

    520C-521 A (p. 214,13ss).

    Image et contenu intelligible

    85

    intellectuelle qui cherche Dieu derriere, ou a l'intrieur de, les etres finis, dont l'ind

    pendance n'est qu'apparente. Plutt qu'a une opposition entre Die u seul,

    et

    Dieu avec

    le monde, l'absence ou la prsence de la 'diffusio' donneront ainsi naissance a une

    opposition entre le monde vu comme une ralit ferme sur soi, et le monde vu comme

    une manifestation de Dieu (thophanie), entre un monde "opaque"

    et

    un monde

    "transparent". Ce monde transparent, laissant voir Dieu dont l est pntr, comme

    l airde lumiere, sera celui de la

    fin

    des temps, quand Dieu, selon la phrase de saint Paul,

    sera 'omnia in omnibus'. Mais une telle apparition du Verbe en toute crature - la

    flamme finale, qui remplira et consumera le monde n t i ~ ne prsuppose aucun

    changement ontologique: des maintenant, Dieu est "tout en tous", et c'est cela que

    contemple n les essences clestes bienheure uses

    et

    les hommes clairs par la griice et

    ravis, avec Paul, dans les hauteurs des mysteres divins. Seulement, les nuages des pen

    ses charnelles, l'obscurcissement produit par la diversit des imaginations, et l'affai

    blissement de l'intellect par les passions irrationnelles, rendent impossible cette visiona

    la plupart des descendants d'Adam le pcheur. C'est pour y ramener la nature

    humaine, en lui ouvrant les yeux de 'esprit, que le Verbe est descendu en s'incarnant

    34

    Et c'est en quete d 'une vision pareille que le 'rationabilis mentis contuitus'

    se

    rpand

    per omnia', avec

    un

    mouvement de 'diffusio' caus

    par

    Dieu lui-meme, et qui, a

    ce

    titre, peut etre considr, suivant la rinterprtation que p ropase la page cite du livre

    du

    Periphyseon,

    comme une 'diffusio dei'.

    L'image de la diffusion atteint ainsi son plus haut degr d'puration, ayant subi une

    distillation conceptuelle quien a limin les connotations naturalistes qu'elle compor

    tait en raison de son origine: en dfinitive,

    il

    ne s'agit que d'un 'motus animi'. Evidem

    ment, pour que ce dernier dcouvre Dieu dans les cratures,

    il

    faut pourtant qu'un

    'motus dei' l'ait prcd, mais ce n'est pas la un 'fieri' selon l'acception physique du

    terme: la diffusion cratrice n'est pas un impossible mouvement accidente surajo ut a

    la ralit de Dieu, elle ne s'effectue pas dans le tenips et n a pas besoin d'un espace

    prexistant. Elle n'est qu'une maniere particuliere d'envisager Dieu lui-meme, ternel

    lement prsent dans tout ce qui dpend de lui, sans aucune succession et sans aucune

    extriorit de parties.

    11

    l Les mtaphores de "diffusion", d"'coulement", de "dversement", et similaires,

    ont une filiation noplatonicienne bien connue, e t il n'est pas difficile de trouver dans

    Plotin et d'autres philosophes postrieurs des prcdents objectifs de l'usage rig

    nien35. Mais

    j

    me limiterai a voquer rapidement, dans.les paragraphes suivants, que -

    33

    Cf. P

    V

    997D-998A.

    34

    Cf. P III, 683C-684A (p. 172,19-p. 174,5). Voir galement Expos., III, 29-33: 'Precedit enim

    in ascensionibus uirtutum actio diuinorum mandatorum, per quam purgatur in terior animi

    oculus ut intimos summi boni radios in omnia diffusos ualeat sustinere, omni uana phanta

    sia omnique uitiorum caligine liber et absolutus'.

    35

    Cf. p. ex. les rfrences aPlotin de

    K.

    Kremer, "Dionysius Pseudo-Areopagita ode r Gregor

    von Nazianz? Zur Herkunft der Forme]: 'Bonum est diffusivum sui'", Theol. und Phi{os., 63

  • 7/24/2019 Piemonte - Image Et Contenu Intelligible

    4/8

    86

    GuSTAVO

    A.

    PIEMONTE

    ques auteurs qui ont probablement t parmi les sources directes du vocabulaire, des

    images, ou de certaines laborations doctrinales de Jean Scot dans ce domaine.

    a) On peut commencer par le pseudo-Denys, que l'Erigene lui-meme indique comme

    son guide pour la question de la 'diffusio' du Verbe. Dans le Periphyseon,

    il

    cite et

    commente plusieurs passages de l'Aropagite

    a

    ce su et, p. ex. un paragraphe

    duDe

    divinis nominibus

    ou paraissent les expressions 'extentum (btatEi:vov) in omnia simul',

    'supermanans ( : r t E Q ~ M t o v ) , 'superplenam (:rtEQ:rtf..TQr) et non minoratam largita

    tem'36. D'autres chapitres de cet ouvrage dionysien prsentent des formules analogues,

    p. ex. (toujours d'apres la version de Jean Scot): 'in omnia quae sunt extendit bonita

    tero

    (btatELVEL -dv

    aya-frtrta)' (suivie de la comparaison avecle soleil)

    37

    ; 'ex Deo non

    participante provenientes copiosa fusione

    (xoEL),

    et superscatentes'

    38

    ; etc.

    11

    y a lieu

    de rappeler galement ici un important passage de la

    Hirarchie cleste,

    cit daos la

    meme section du Periphyseon, ou le pseudo-Denys mentionne la 'providentiam ex

    superessentiali et causalissima divinitate manantem

    b t ~ f . . u t o f . l V r t : ; )

    dans ses Expo-

    sitiones,

    Jean Scot identifie cette 'providentia' avec la Sagesse ou le Verbe, qui 'manat

    in omnia ut sint omnia'

    40

    En ce qui concerne Maxime

    le

    Confesseur,

    il

    faut rappeler tout au moins le commen

    taire qu'il donne dans les

    Ambigua

    d'une formule de Grgoire de Nazianze influence

    sans doute par Plotin,

    EOELXE-tlijvm to

    aya-frv

    41

    . Nous y lisons, p. ex. (dans la traducti on

    rignienne): 'secundum infinitam donorum bonitatis effusionem ea quae sunt ex non

    existente adducere et substituere uoluisse'

    42

    Curieusement, la formule elle-meme de

    Grgoire n'est pas tra duite de maniere satisfaisante par Jean Scot, qui a trbuch juste

    ment sur le verbe Xw

    43

    (1988), 579-585. Pour les noplatoniciens plus tardifs, on peut consulter S. Gersh,

    From Iam-

    blichus to Eriugena,

    Leiden 1978, pp.

    17

    et suiv.

    36

    Cf.

    De div nomin.,

    13,

    PG

    3, 977B PL 122, 1169B; texte cit en

    P

    III 642D-643A (p.

    80,21-32). (Voir en nutre la glose sur

    'Ambiguum

    XXXI de Maxime, d. cite ci-dessous- n.

    42-, p. 282, avec la note de l'd iteur

    ad loe.)

    37

    De

    div

    nomin.,

    4, PG 3, 693B PL 122, 1128D-1129A; voirgalementibd. , PG 3, 7170

    PL

    122, 1139C.

    38

    O

    p. cit.,

    11, PG 3, 956B PL 122, 1167C-1168A; cf. aussi

    ibid.,

    12, PG 3, 972A

    PL

    122,

    1168C-D.

    39

    Cae/. hier.,

    IV, 1 PG 3, 177C-D PL 122, 1046B; texte cit en

    P

    III 644A-B (p. 82,31-

    p. 84,10). Dans la suite du texte de Denys parait la clebre formule: 'Ess e enim omnium est

    super esse divinitas', souvent allgue par l'Erigene.

    ""

    Expos.,

    IV, 106-108.

    41

    Cf. Maxime, Amb., PG 91, 1288D-1289B; Grgoire de Nazianze,

    Oral.

    38, PG 36, 32(JC. La

    meme formule se retrouve dans

    l'Orat. 45

    de Grgoire,

    PG

    36, 629A:

    cf.

    K. Kremer,

    art cit.,

    pp. 581-582, et sur l'influence plotinienne, pp. 583

    et suiv. Pour d'autres passages de Maxime

    concernant des mtaphores d'manation, et l'attitude de Jean Scot a cet gard,

    cf.

    Gersh,

    op. cit.,

    p. 18.

    42

    Cf. Maximi Confessoris

    Ambigua ad Iohannem

    iuxta Iohannis Scotti Eriugenae latinam inter

    pretationem, d. E. Jeauneau, Turnhout-Leuven 1988 (Corpus Christ., Ser. gr., 18), XXXI,

    11-12; aussi

    ibid.,

    XXXVII, 65-66 (texte indiqu par Jeauneau).

    43

    Cf.

    op. cit.,

    XXXI, 3: OSTENDERE OPTIMVM' veut rendre:

    EOEL XE{)fvm 1:0

    aya{}v.

    Apparemment, Jean Scot a u les deux premiers mots comme un seul, et a cru

    y

    reconnaitre un

    Image et contenu intelligible

    87

    b) L'empreinte du pseudo-Denys sur le theme rignien de la 'diffusio' est hors de

    do u e. Cependant, sur ce point comme sur plusieurs autres, l'autorit de

    1

    Aropagite

    est probablement venue renforcer des convictions prexistantes de l'auteur irlandais.

    Or

    parmi les sources latines ou il avait pu boire des doctrines noplatoniciennes avant

    de se familiariser avec le corpus dionysien, les reuvres de Marius Victorinus paraissent

    tenir une place importante

    44

    11 est vrai que l'on y rencontre plus d'un passage ou les

    termes 'effusio'et 'protentio', proches de ceux qu'emploiera couramment Jean Scot,

    sont rejetts, comme expressions inadquates des processus appartenant au monde

    intelligible (Dieu, l'ame)

    45

    ; mais c'est pa ree qu'ils taient gnralement compris en un

    sens matriel, prsupposant la composition de parties

    et

    la divisibilit

    46

    Nous avons vu

    que Jean Scot se proccupe d'carte r de pareilles interprtations tr ap littrales. Et c'est

    prcisment en un passage, rappel plus haut,

    oi'I

    il exclut la signification physique des

    images de diffusion, etc., appliques au Verbe

    47

    ,

    que l'on pen,;oit d'intressantes res

    semblances avec une page de Victorinus relative

    a

    'extriorisation,

    par

    le Lagos,

    de

    la

    "forme intrieure" de Dieu

    48

    . Cette page appa rtient au livre IV Adversus Arium, qui a

    fourni bien des matriaux

    a

    'Erigene

    49

    Victorinus y meten avant deux manieres dont

    la 'f orma in tus' de Die u, infinie

    et

    indistincte, peut devenir extrieure: 've e missione

    ve sua motione'. Or Jean Scot parlera de la 'fusio' de la Sagesse et de son 'cursus'; dans

    son commentaire de Denys, il revient sur la premiere de ces ides: 'forma omnium

    infinitif de odxvu.u. Un peu plus bas, la

    ou,

    daos un non c lgerement diffrent du

    meme

    principe, notre texte grec porte:

    1:0

    xEia{}m

    1:6

    aya8v, l'Erigene met:

    'moueri

    optimum'

    (loe. cit.,

    ligue 23).

    44

    J'ai consacr quelques travaux a cette question, p. ex.

    'Vita

    in

    omnia pervenit'. El vitalismo

    eriugeniano y

    la

    influencia

    de

    Mario Victorino,

    Buenos Aires 1988 (publi d'abord dans

    Patr-

    stica et Mediaevalia,

    VII (1986), 3-48 et VIII (1987), 3-38).

    Bien entendu, saint Augustin peut avoir influenc aussi la doctrine rignienne que nous

    examinons ici:

    cf.

    p. ex. son

    Epstola ad Dardanum

    (

    Ep.

    187,

    (De praesentia Dei),

    notam

    ment le chap. IV

    (PL

    33,836-837), avec ses considrations sur 'Deus per cuneta diffusus';

    remarquons cependant qu'

    ibid.,

    833-836, Augusti n ni e que le Christ soit 'ubique' en tant

    qu'homme, these soutenue, par contre, par Jean Scot (cf. P

    V,

    990D-991A, ou l'Erigene

    rappelle explicitement la position d' Augustin a e su et dans l'ouvrage mentionn, a contraster

    avec sa propre conception, expose en

    992A,

    etc.).

    45

    Voir notamment

    Adv.

    Ar.,

    I, 63,22;

    III,

    1,30ss:

    Unde quod

    inde nascitur imago, non scissio,

    nec effusio, sed effulsio, nec protentio, s ed apparentia' (j'utilise l'd. Henry-Hadot, Vienne

    1971, CSEL 83,1).

    46

    Ce qui donnait prise aux objections ariennes:

    cf. Adv.Ar., I,

    41,30ss. Voir aussi les arguments

    contre la gnration du Fils de la premiere "lettre de Candidus aVictorinus", en par ticulier

    Cand.

    /, 7,15-32 (gnration 'iuxta super plenum').

    47

    P

    III, 643B-C

    (p;

    82,1 ss).

    48

    Adv.

    Ar., IV, 20,26-21,6.

    49

    Cf. p. ex. les parallele s avec le

    Periphyseon

    signals dans

    'Vita in omnia pervenit'

    (sections II et

    III). Dans

    le

    texte dont

    je

    m'occupe ici, on remarque, en plus des ressemblances qui seront

    indiques ci-dessous, que le refus des deux hypotheses: 'De altero? An de nihilo?'

    (Adv. Ar., IV,

    21,1c2) trouve aussi des correspondances chez Jean Scot, p. ex. en

    P

    III,

    679C

    (p. 164,12-13): ' aliunde aut de nihilo'.

  • 7/24/2019 Piemonte - Image Et Contenu Intelligible

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    88

    GusTAvo A.

    PIEMONTE

    effusa est, unigenitum uidelicet Dei Verbum ad quod et per quod formantur omnia'

    50

    La corrlation entre les textes indiqus de l Adv. Arium et du Periphyseon semble con

    firme par la prsence, dans le premier, d'une ngation de l'existence de deux principes

    qui reparait dans le second

    51

    , et surtout par le fait qu'ils parlent l'un et l'autre, et en des

    phrases similaires, des rapports de causalit et d'identit entre Dieu et l'existence des

    choses: 'omnipotentia eius et causa omnib us et ipsa exsistentia est (Victorinus), 'ipsius

    fusio

    . . .

    et causa existentiae

    omnium

    est et omnia' ( Jean Scot)

    52

    La phrase de l'Erigene

    ressemble aussi beaucoup a une formule un peu antrieure de l Adversus Arium:

    Omnium exsistentiarum causa ipsa est et ideo omnia

    5

    Mais d'apres les contextes

    respectifs, cette derniere est plutt parallele a: 'causa omnium, immo omnia est',

    nonc qui se trouve dans une addition qui porte sur la 'diffusio' du meme livre III du

    Periph yseon

    54

    .

    On pourrait ajouter que la proposition qui vient immdiatement apres l'addition

    indique, e t un passage assez connu, de con en u analogue,

    quise

    rencontre quelques

    pages plus loin

    55

    ,

    s'inspirent probablemen t aussi de Victorinus; mais pour le montre r il

    faudrait faire un e digression qui allongerait excessivement le prsent expos. Je termi

    nerai done ce paragraphe en notant que, lorsqu'il parlait du Verbe qui 'uelociter currit

    per omnia, hoc est sine mora facit omnia et fit in omnibus omnia'

    56

    , Jean Scot se souve

    nait peut-etre d'autres affirmations de l'Africain, comme: 'quod filius Ayo; est, in

    actionem festinans substantia . . . Ayo; processit in substantiam eorum quae sunt et

    50

    Expos.,

    X, 46-47. Il importe de no er que la ment ion de la 'for ma ( omnium)' d ans ce passage

    ne vient qu'en apparence

    de

    Denys: elle repose en effet sur une fausse lecture du grec

    omoi j

    XEXUfLVI]

    (Cae/. hi er.,

    X, 1,

    PG

    3, 272D), que Jean Scot traduit: VT OPORTET,

    FORMA EFFVSA'

    (Expos.,

    X, 29).

    Orla

    liaison entre les ides de "forme " en Dieu, le

    Logos, et de "produire a u dehors", il pouvait la trouver dans Victorinus, loe. cit.: 'utrum ipsa

    forma

    . . .

    emissa Joras es/,

    an se ipsa eiecit?'

    (Adv. Ar., IV,

    20,26-27).

    51

    Cf. Adv. Ar., IV, 21, 1-2: De altero? Ergo duo principia? , et P

    111,

    643C (p. 82,14-15): 'Aut

    quis dixerit quod incredibilius est, ipsi deo dico ab

    alo

    ueluti

    principio ..

    .

    52

    Adv.Ar.,

    IV, 21,5-6, et P III, 643B (p. 82,7-8). On pourrait se demander si dans la phrase de

    Victorinus 'ipsa exsist entia' est u n fminin singulier o u un neutre pluriel; cf.l'autre formule de

    l Adv. Ar. cite ci-dessous.

    53

    Adv.Ar., IV,

    18,55-56. Cf. aussi

    ibid.,

    8,13-14.

    54

    P III, 632D (p. 58,3) (l'addition comprend les lignes 1-10).

    On

    constate que

    l Adv.Ar.,

    IV,

    18,51, dit: 'haec tria ut unum ac simplex .. .', etlePeriph., loe. cit., l 1: 'trinae soliusque uerae

    bonitatis .. .';

    Adv.Ar.,

    1.54; 'Hinc enim omnia intellegens',

    et P, l 4:

    'ipsa sola intelligit

    omnia'; Adv. Ar., l 58-59: 'Esse igitur cuneta unus et omnipotens deus est', et P, l 4-5: 'ipsa

    igitur sola est omnia';

    Adv.Ar., l

    65: 'utrum in de(o) an extra', et

    P, l

    7: 'quia extra eam

    nihil est sed intra se'.

    55

    Il

    s'agit de P III, 633A (p. 58,10-11): 'Deus itaq ue est omne quod uere est quoniam ipse facit

    omnia et fit

    in

    omnibus

    ..

    .', etde 650C-D (p. 98,30ss) (cf. supra, n. 26). Dans l unet l'autre de

    ces passages, Jean Scot invoque l'autorit de Denys: il ne s'ensuit aucunement de la qu'il s'y

    inspire exclusivement de celui-ci.

    56

    P III, 643 B (p. 80,34-36). En 646C (p. 88,33-34). Jean Scot remarque, apropos de l'ide que le

    Verbe

    et

    omnia facit et in omnibus fit': et hoc ex uerbis praedicti patris Dionysii aliorumque

    [mol corrig dans le ms.

    Reims

    875] potes approbari'.

    Image et contenu intelligible

    89

    intellectibilium et hylicorum', ou: 'Omnia ergo effectus Myo; et in omnibus, et genuit

    omnia et salvavit .. ,

    57

    .

    e Dans les manuscrits des ceuvres exgtiques de Marius Victorinus se sont transmis

    quelques opuscules qui taient autrefois attribus acet auteur, et qui, de meme que ses

    commentaires scripturaires authentiques, ont sans doute t connus de Jean Scot

    58

    .

    Je

    voudrais mentionner maintena nt quelques lments qu e l'un de ces opuscules, le

    Liber

    ad Justinum Manichaeum

    59

    , a pu apporter a a conception rignienne de la 'diffusio' de

    Dieu.

    L Ad

    Justinum

    se propose de rfuter la doctrine manichenne des deux principes

    opposs, et en consquence il insiste aplusieurs reprises sur l'unicit du Crateur, dont

    tout provient ('Unus exstat ingenitus, ab uno domino cuneta provenerunt'

    60

    , y

    compris

    les choses qui sont diverses et contraires entre elles

    61

    . Ce principe unique ne laisse

    aucune place

    a

    un autre principe rival, puisqu'il n'es t pas seulement 'unus', mais encore

    'totum', 'omnia'

    62

    , et Dieu tant infini, il est impossible de lui fixerune limite, ou il se

    terminerait et le royaume de l'autre principe commencerait: 'immensum totumque infi

    nite porrigitur, et eo meat u t non sit atque deficiat, ubi alteri esse sit vel existere

    . . .

    63

    .

    On voit que, dans le but de combattre le dualisme, l'auteur accentue si nergiquement

    l'immensit di vine qu'il en vient a outenir une sorte de monisme selon lequel Dieu est

    57

    Adv.

    Ar., 1, 24,13-16 et 1, 26,42-43.

    58

    Les ouvrages joints aux commentaires de Marius Victorinus (In Ephes., In Ga/., In Phi/.) sont:

    le Commentaire sur

    l Apocalypse

    de Victorin de Pettau, et trois opuscules d'auteur inconnu,

    intituls dans les ditions: De verbis scripturae,

    Ad

    Justinum Manichaeum, De physicis. Cer

    tains ndices suggerent que ces ouvrages accompagnaient dja les commentaires de Victorinus

    dans des manuscrits anciens non conservs (sur la tradition manuscrite,

    cf.

    dernierement la

    prface de

    F.

    Gori dans son dition de Marii Victorini

    . . . Opera exegetica,

    Vienne 1986

    (CSEL 83,2)). J'espere publier prochainement quelques notes sur l'utilisation des ouvrages

    mentionns par Jean Scot.

    59

    L'dition princeps est de J. Sirmond (Pars 1630), dont le texte a t reproduit par Migne, PL

    8,999-1014, aqui renvoient mes rfrences. J' ai consult aussi l'dition critique incomplete

    (chap. I-VIII) de J. Wohrer, dans le

    XXV.

    Jahresbericht des Privat-Gymn. der Zistenz., Wil

    hering 1928, pp. 3-7. Ni l'attribution de Sirmond et de Migne a M. Victorinus, ni celle que

    proposait Wohrer, aVictorin de Pettau, ne sont acceptes aujourd'hui.

    60 Ad

    Just. Man:, XII,

    10060;

    cf. IX, lo04D; XIV, 1007D; etc.

    61

    O

    p

    cit., I, 999C: 'diversa contrariaque nobis ab uno esse principio';

    IV,

    1001D: 'Verum quod

    varia sunt quae ab ipso sunt, qui a se est et unum est, variis eum convenit dominari.

    Et

    ut

    omnipotens appareret,

    contrariorum etiam origo

    ipse debuit inveniri.' Cf. Jean Seo , PI, 510 D

    (p. 192,13-15): 'Non enim similia sibi solummodo condidit sed etiam dissimilia quoniam ipse

    similis est et dissimilis,

    contrariorum quoque causa

    es . (Sur la rlaboration de ce theme chez

    Nicolas de Cues;

    .cf. W.

    Beierwaltes, "Eriugena und Cusanus", dans Eriugena redivivus, d.

    W. Beierwaltes, Heidelberg 1987, 311-343: pp. 315 et suiv.)

    62

    Ad

    Just. Man.,

    III,

    1001

    C: 'quem lucem esse,

    et

    veritatem, atque

    totum

    haberi fas sit', 'quo d

    totum sit,

    sed unus dicatur'; IX, 1004D: 'quem Deum pandens,

    omnia ipsu m esse

    etiam admi

    ratus Jesus

    .. . ;XI,

    1006B: 'Deus est ergo veritas, qui

    totum est, et

    infinitus consistit'; XIV,

    1007D (cf. infra, n. 69); etc.

    63

    Op. cit., V, 1002B. (Cf. Jean Scot, P III, 642C-D (p. 80,15): 'per omnia in infinitum defundi

    tur'.)

  • 7/24/2019 Piemonte - Image Et Contenu Intelligible

    6/8

    90

    GUST VO A. PIEMONTE

    toute la ralit. Or certaines de ses affirmations a ce propos rappellent

    la

    doctrine

    rignienne de la 'diffusio' de Dieu; p. ex.:

    'Omnia in omnibus

    Deus [cf.

    ICor. 15,281:

    qui unus et solus principium est, omnipotens sine initio, et universi totum,

    infinitus

    per

    omnia'

    64

    peut etre rapproch de ce que Jean Scot dit sur la 'lux ineffabilis':

    'per omnia

    diffussa

    in infinitum,

    et fit

    in omnibus omnia

    et in nullo nullum'

    65

    .

    Et quand, pour

    prouverque toutes choses

    'aut

    ab eo, aut de eo, aut per eum, aut obveniunt, aut crean

    tur',

    'Ad Justinum

    allegue:

    'At

    si

    sparsa

    per totum

    ejus virtus

    est

    et aeternitas . ..

    66

    un

    lecteur de Jean Scot songera, d'une part, a des phrases du

    Periphyseon

    comme:

    'fussae-

    que

    in omnia

    uirtutis et

    sapientiae a summo usque deorsum

    67

    ; et, d'autre part, a la

    variante singuliere, et jusqu'ici inexplique, avec laquelle l'Erigene cite c onstamment

    Rom.

    1,20: '

    ..

    sempiterna quoque eius uirtus et

    aeternitas'

    68

    On a done l'impression que, si les termes que cet opuscule emploie pour parler de

    Dieu s'tendant et se rpandant par toutes choses ne coinciden pas exactement avec

    ceux de Jean Scot, les ides exprimes, videmment influences par la philosophie

    noplatonicienne

    69

    , ont, en revanche, contribu a la formation de la doctrine rig

    nienne de la 'diffusio'. Cette impression devient plus forte quand on constate qu'il y a

    d'autres paralleles encare entre

    'Ad Justinum

    et l'reuvre rignienne, par exemple au

    su et de l'impossibilit de trouver dans la ralit une place pour le 'nihil' (au sens litt

    ral?0, de 'origine des contraires, etc.

    71

    64

    Ad Just. Man., XVI, lO lOA. (Les variations masculin/neutre viennent-elles

    de

    l'auteur? Cf.

    IX,

    1004D: 'Ob quod

    unum

    et

    solum

    principium Deus est

    ..

    .')

    65

    P

    III, 668C (p. 138,26-27).

    66

    Ad Just. Man., XV, 1008A.

    67

    p III, 668B (p. 138,16-17).

    68

    Cf. P Il, 568B-C (p. 96,19ss), 607B (p. 184,26-31); III, 690A (p. 188,4-7); V, 1005B. La

    variante 'aeternitas', au Iieu

    de

    'divinitas', ne figure dans aucune source rignienne connue,

    d'apres P. Meyvaert, dans The Mind of Eriugena, d.

    J.

    O'Mera-L. Bieler, Dublin 1973, pp.

    86-87, n. 25 (cf. aussi P III, n. 40, p. 316). J'ajoute que M. Victorinus, Adv.

    Ar.,

    I, 2,35-37, lit

    aussi 'divinitas'.

    69

    Des

    ressemblances entr e

    l'Ad

    Just. Man. et certains passages philosophiques

    de

    Marius Victo

    rinus ne sont pas difficiles a couvrir

    (comparerp.

    ex. XIV, 1007D, ou Dieu est nomm 'unus

    et solus', 'infinitus', 'omnipotens', 'omnitenens', 'totum', 'principium', avec Adv. Ar., IV, 24,

    21ss). Mais

    l'Ad Justinum

    prsente aussi des dveloppements propres, dont ceux que

    je

    signale comme sources possibles de Jean Scot.

    7

    Cf.

    Adlust. Man.,

    XI, 1006A-B, notamment: 'nihilum ubisit non habet', et

    PIII,

    664B-665A

    (p. 130, 10ss), notamment: 'ubi sempererat [illud) nihil

    non

    daturlocus nihilo .. .'(remar

    quer

    aussi la rfrence explicite aux Manichens, p. 130,20). On pourrait comparer aussi la

    doctrine de l'Ad Justinum sur les 'tenebrae'

    et

    'l'umbra' (IX-X, 1005A-C;

    XIII,

    1006D-

    1007 A) avec celle de Jean Scot.

    71

    Cf. supra, n. 61. Un autre pointde contact nait de la prsence, enAdlust. Man., IV, 1001 C-D,

    de

    la phrase: 'Aliter quidem, Justine, quod ipse est aliter quae ab ipso. Quod ipse est unum est,

    totumque est quidquid ipse est, quod vero

    ab

    ipso est, innumerum est.' Jean Scot emploie

    plusieurs fois une formule similaire (cf. p. ex.

    De praed.,

    9,134-136, avec la note de l'diteur ),

    qu'il attribue a aint Augustin; elle figure effectivement en De Gen. ad litt.,

    Il,

    6,12 (quoique

    Augustin dit 'in illo sunt ea quae

    per

    illum facta sunt', non

    'sub

    illo').

    Image et contenu intelligible 91

    2. Apres avoir cit quelques sources, certaines ou probables, de la doctrine de Jean Scot

    qui nous occupe, je suggrerai deux rapprochements additionnels, qui n'impliquent pas

    ncessairement l'existence de rappor ts historiques de filiation, mais qui pourra ient en

    tout cas clairer, par les analogies et les contrastes, te ou tel aspect de la conception

    rignienne. Je ne ferai qu'un survol rapide; les questions poses devraient etre appro

    fondies ventuellement plus tard.

    a) Certaines theses de l'Erig ene peuvent parfois voquer a 'esprit les doctrines du

    gnosticisme ancien, mais les ressemblances sont gnralement vagues, et leur significa

    tion difficile a tablir, le gnosticisme tant un phnomene multiformeet encare insuffi

    samment connu, dont beaucoup de documents n'ont t retrouvs qu'a une date relati

    vement rcente. C'est dans un de ces textes dcouverts

    en

    1945 a Nag Hammadi, le

    Trait

    Tripartite

    12

    que j'ai remarqu un passage qui me semble digne de mention ici,

    car

    il

    peut etre mis en rapp ort avec une page clebre de Jean Scot sur la 'diffusio' de

    Dieu. Notons d' abord que l'image de l'"extension" est employe plusieurs fois

    par

    ce

    trait po ur dcrire le processus qui donne naissance aux ons et a u monde; p. ex.: (the

    Father) reached out from himself, and what he

    spread

    out is what gave a confirmation

    anda place and a dwelling to the universe"; "their begetting [se. of the Totalities1s

    like

    a process

    of

    extension, as the Father extends himselfto those whom he desires"

    73

    . Et

    dans le passage dont je parlais, apres avoir insist sur l'incognoscibilit et l'ineffabilit

    du Pere, l' auteu r dit au su e t du Fils: "Now he who arose from him

    stretches himsel f

    out

    for begetting and for knowledge on the part of the Totalities. He [ a so

    1

    without falsifi

    cation, is all of the names,.and he is, in the proper sense, the sole first one, [the1man of

    he Father. He it is whom I call the form of he formless, the body of he bodiless, the face

    [ou

    "the appearance"

    14

    1

    of

    the invisible, the word

    of

    [the] unutterable, the mind of the

    inconceivable,

    the

    fountain

    which flows from him

    75

    , the root of those who are plan

    ted , etc.

    76

    Or dans le

    Periphyseon,

    III, 632B

    et

    suiv., nous trouvons successivement:

    (1) La comparaison de

    asource

    et du fleuve, avec les ides

    des'tendre

    et de couler

    77

    ;

    (2) un dveloppement sur la 'diffusio'

    78

    ;

    (3) les lignes suivantes: 'Omne enim quod intelligitur

    et

    sentitur nihil aliud est nisi

    non apparentis apparitio

    [cf. galement plus bas: 'inuisibilis uisibilitas'], occulti mani

    festatio, negati affirmatio, incomprehensibilis comprehensio,

    [ineffabilis fatus,

    inacces-

    72

    Voir

    The- Tripartite Tractate (1,5),

    (trad.

    H.

    W.

    Attridge-

    D.

    Mueller), dans

    The Nag Ham-

    madi Library

    in

    English

    (d. dirige par J.M. Robinson), Leiden 1984

    2

    ,

    pp. 54-97.

    73

    Op cit., 65,4-9 et 73,23-26. Cf. en outre 74,6ss.

    74

    Cf. J. Fossum, "Jewish-Christian Christology and Jewish Mysticism",

    Vig. Christ.,

    37 (1983),

    260-287: p. 263.

    75

    Ou: "the spring fpr those who have flowed from him", d'apres E. Thomassen, "The Structure

    of the Transcendent World in the Tripartite Tractate (NHC 1,5)",

    Vig.

    Christ., 34 (1980), 358-

    375: p. 367. L'image de la source parait aussi en 60,12-15; 74,6-10; etc.

    76

    Tri

    p. Tract.,

    66,5 ss. La liste comprend en tout dix-neuf noms.

    77

    P III, 632B-C (p. 56,23ss).

    78

    Sur ce passage

    cf

    supra, n. 54, ou sont signales ses ressemblances avec un texte de M. Victori

    nus. Mais

    je

    n'ai pas trouv chez ce dernier la source des lignes rigniennes auxquelles j'as

    signe ici le numro (3).

  • 7/24/2019 Piemonte - Image Et Contenu Intelligible

    7/8

    92

    GUSTAVO A.

    PIEMONTE

    si bilis accesus],

    inintelligibilis intel/ectus, incorporalis corpus,

    superessentialis essentia,

    informis forma, immensurabilis mensura . . . ,

    et

    ainsi de suite, jusqu'a complter dix

    neuf substantifs, chacun accoupl a l'attribut qu'il nie

    79

    . Les antitheses que j'ai souli

    gnes se corresponde n tres bien avec celles du

    Trait Tripartite

    80

    . Jean Scot applique

    done a chacun des etres, considrs comme rsultat de la diffusion et de la manifesta

    tion de Dieu, comme thophanies, ce que dans I'crit gnostique se rapportait au Fils.

    Aurait-il connu, non certes la version copte qui nous a t conserve, mais son original

    grec, ou plutt une traduction latine de celui-ci (ou du moins de certains fragments)?

    L'hypothese n'est pas absolument invraisemblable, car en Irlande on disposait, pen

    dant les premiers siecles du Moyen Age, tant d'apocryphes en grande quantit que

    d'ouvrages htrodoxes, parmi lesquels

    il

    devait y avoir, p. ex., des crits priscilliani

    stes81.

    Mais on pourrait conjecturer aussi que l'Erigene a emprunt ces lments, soit

    directement a une source utilise

    par

    le Trait, soit a un auteur apparent d'une ou

    d'autre maniere a cet ouvrage.

    On

    a prcisment relev dans cet crit gnostique des

    "ressemblances frappantes" avec les sections noplatoniciennes de Marius Victori

    nus82.

    Seulement, le passage que

    j ai

    cit neme semble pas avoir d'quivalent prcis

    dans l'reuvre de 1'Africain. Quoi qu'il en soit, et meme si les ~ n a l o g i e s entre le texte en

    question et la page rignienne sur la 'diffusio' n'taient effet d'aucune connexion

    historique,

    ni

    directe

    ni

    indirecte, elles mriteraient, a mon humble avis, d'etre tu

    dies en dtail.

    b) Un autre rapprochement intressant est celui qu on peut faire avec des textes juifs

    mdivaux du courant kabbalistique spculatif, ou

    la procession de I'etre a partir du

    Nant divin est reprsente comme une diffusion de lumieres, et a la fois comme un

    coulement d'eaux

    83

    . Ces images s'expriment au moyen de termes hbreux signifiant

    "s'pandre", "s'tendre", dont un des principaux est le substantif

    hitpaisetut,

    "diffu

    sion" ou "expansion". La "diffusion" correspond surtout a la Sagesse (l;lokma), et son

    effet est la constitution de l'etre meme des causes ou essences intradivines

    (sefirot),

    d'abord, et des choses extrieures, qui dcoulent d'elles, ensuite, et le maintien en

    existence de l'univers entier. On constate dans cette conception des ressemblances

    indniables avec la doctrine de Jean Scot sur le 'nihilum per excellentiam', les causes

    primordiales, et la 'diffusio' ou 'extensio' cratrice de la 'Sapientia' divine. L'influence

    rignienne a-t-elle agi sur les kabbalistes des XIIe/XIIIe siecles? Cela parait assez

    probabl

    4

    mais, en toute hypothese, leurs crits fournissent, sur le theme de la "diffu

    sion", des possibilits de comparaison qui ne sont pas a ngliger.

    79

    p II , 633A-B (p. 58,12-21).

    80

    La

    structure gnrale

    des deux

    listes est d'ailleurs similaire: elles emploient toutes

    les deux

    le

    procd d'accumulation, et comprennent chacune dix-neuf membres. Cependant,

    dans

    le

    Trait Tripartite

    il n'y a

    que cinq

    expressions antithtiques (ceBes

    que

    j'ai cites).

    81

    Cette caractristique de la culture irlandaise ancienne a t mise en

    vidence

    surtout

    dans

    les

    tudes de Bernhard Bischoff. Cf. aussi, pour

    le

    cas de Jean Scot, G. V Murphy, "The Place of

    John Eriugena in

    the Irish

    Learning Tradition", Monastic Studies, 14 (1983),

    93-107.

    82

    Cf.

    E. Thomassen, art cit., p.

    370 ("striking similarities").

    83

    Cf.

    G. Vajda, Le Commentaire d Ezra de ronesurleCantiquedes Cantiques,

    Pars

    1969,

    p.

    28; voir aussi

    la n.

    14 des pp. 312-314.

    8

    Cf. mon

    travail

    "Les Expositiones in Ierarchiam coelestem de Jean

    Scot

    et

    un opuscule

    hbreu

    Image et contenu intelligible

    93

    l i

    Les avertissements de Jean Scot a propos des "ido es abominables" que notre fantaisie

    est capable de forger lorsqu'elle tente de se reprsenter la diffusion de Dieu, et ses

    efforts pour concilier cette mtaphore avec les conclusions de la 'uera ratio'

    sur

    I'incor

    poralit, l'immutabilit et la simplicit divines

    8

    S tmoignent d'un esprit authentique

    ment philosophique, qui ne se contente pas des jeux d'images, pour sduisants qu'ils

    soient. Assurment, ses analyses peuvent parfois sembler un peu sommaires et ses

    arguments pas toujours convaincants. Le penseur irlandais tait dot d un talent spcu

    latif exceptionnel, mais sa production est invitablement marque pa r les imperfections

    de sa formation, par les acunes de ses lectures , par les manques d'une p oque ou les

    bibliotheques n'taient pas riches en ouvrages de philosophie pure. Cependant, on lui

    reconnaitra tout au moins

    un

    mrite, c'est qu'il a pleine conscience,

    et

    le dit explicite

    ment, de la nature symbolique des expressions et des figures dont

    il

    se sert, et qu'en

    parlant, par exemple, du Verbe qui s tend d un bout a l'autre du monde et court

    agilement a travers toutes choses, il ne demeure pas sur un plan, pour ainsi dire, mytho

    logique86, mais indique clairement le caractere instrumental et rempla;;able de ses

    mtaphores: 'fusio sapientiae uel extensio uel cursus uel quoquo alio

    modo

    infinita

    uerbi multiplicatio

    dicatur . ..

    87

    Si

    done l'imagination tait chez cet Irlandais fconde et

    puissante, elle n'chappait pas au controle de la raison; du reste souligner, comme

    ill a

    fait tres souvent, l'insuffisance fonciere de celle-ci- et de toute intelligence cre- face

    aux ralits essentielles et suressentielles, n'quivaut pas a identifier le suprarationnel

    avec I'irrationnel.

    On peut se demander, par ailleurs, quelle est la valeur en soi de l'image de la 'diffu

    sio', quels sont ses avantages et ses inconvnients, surtout quand elle est applique, non

    pas purement a la prsence d'ubiquit de Dieu, mais a son activit cratrice. Ici, natu

    rellement, les avis divergeront, et

    il

    y en aura beaucoup bien plus comptents que le

    men. Mais

    si

    l'on me permettai t d'baucher modestement une rflexion,

    je

    dirais, en

    premier lieu, que cette image suggere tres bien la diffrence fondamentale entre la

    production par un dmiurge

    un

    etre ou tant suprieur ou supreme qui "fabrique"

    d'autres

    etres-

    et la vraie cration, laquelle doit porter sur l'intgralit de l'etre et ne

    peut que provenir d'un "Sur-etre" (ou "Non-etre" par dpassement), qui n'agit pasa

    travers une opration

    ou

    action distincte desa ralit meme, mais bien

    par

    son seul

    dploiement ou manifestation.

    D autre part,

    cependant,

    il

    faut tenir compte du fait que

    les mtaphores du genre de celles qui ont t examines dans la prsente tude mettent

    I'accent sur la continuit

    entre

    le Crateur

    et

    le cr: ' .. extendit se in omnia et ipsa

    extensio est omni a

    88

    . Et

    la ce n'est pas tant la transcendance de Dieu qui parait mise

    en

    pseudpigraphique du XIII' siecle", dans Eriugena redivivus (supra,

    n.

    61), 279-310 (sur le

    heme

    de la "diffusion", pp. 292-294).

    115

    Cf. supra,

    I,

    2 .

    86

    Sur

    le

    mythe et

    la pense philosophique, cf

    W.

    Beierwaltes,

    Denken des Einen. Studien zur

    neuplatonischen Philosophie und ihrer Wirkungsgeschichte, Frankfurt 1985,

    pp.

    114-122.

    87

    P

    l i l , 643 B (p. 82,4-5).

    88

    III, 643B (p.

    80,37-p.

    8 2 1 ~ . Cf. galement

    les passages

    indiqus supra, notes 25 et 26.

  • 7/24/2019 Piemonte - Image Et Contenu Intelligible

    8/8

    94 GUSTAVO A. PIEMONTE

    question

    89

    , mais plutt la consistan ce propre de la crature.

    Si

    la 'diffusio' de Dieu est la

    'substantia', 'essentia' ou 'subsistentia' meme des choses, comment celles-ci peuvent

    elles

    se

    distinguer de lui? Nous avons vu que

    i indpendance

    des e tres finis n'est qu'une

    illusion engendre par le pch origine ,

    par

    le "devenir opaque" d'un univers ou notre

    esprit obnubil n'est plus

    en

    mesure de discerner Dieu toujours prsent

    90

    ;

    or, leur

    existence elle-meme, serait-elle aussi un mirage? Ce n'est pas cela que dit Jean Scot;

    mais pour lui les cratures, qui sont relles, n'ont de vraie ralit que dans le Verbe, et

    on dirait que, au fond, elles ne se distinguent de Dieu que comme le Verbe se distingue

    du Pere. Elles ne sont jamais vraiment 'extra Deum', mais tout a u plus 'veluti extra'

    91

    "inexhausta diffusio' de la bont di vine se faisant

    a

    se ipsa in se ipsa ad se ipsam'

    92

    La

    'diffusio', dpouille de son revetement sensible, tend ainsi a se confondre avec les

    processions intratrinitaires,

    et

    semble naturel de se poser, par exemple, la question de

    si, dans de telles conditions, elle peut etre considre comme libre

    93

    .

    Telles sont quelques-unes des interrogations que la belle image de la 'fusio' ou 'diffu

    sio' de Dieu veille chez un lecteur assidu de Jean Scot. Maisl'image n'est pas seulement

    belle: elle est aussi utile, pourvu qu on l'emploie avec discernement, en s'apercevant

    des limites que doit reconnaitre cette mtaphore, comme d'autres plus traditionnelles,

    auxquelles elle peut, me semble-t-il, servir de complment, ou de contrepoids, sans

    prtendre s'y substituer.

    Je tiens aexprimer ici ma vive reconnaissance aM. le Professeur Werner Beierwaltes,

    qui a bien voulu inclure dans le prsent volume ces pages, prpares pour le Colloque

    de Bad

    Homburg-

    ou

    je

    n'ai pu etre

    prsent-, et

    aux participants

    ace

    Colloque, qui

    m'ont fait parvenir leurs salutations.

    89

    Jean Scot raffirme d'ailleurs formellement cette transcendance immdiatement avant la

    phrase cite: 'et dum in

    se

    ipso unum perfectum et plus quam perfectum et ab omnibus segre

    gatum subsistit (loe. cit., p. 80,36-37). Cf. aussi Expos., I,

    352-357.

    90

    Voir ci-dessus, 1 2.

    91

    Pour ce qui est des effets des causes primordiales,

    cf. P V

    907D-908A.

    92

    p

    III, 632D (p. 58,1-3).

    93

    Cela n'implique pas qu'on y voie- prenant l'exemple de la diffusion de la lumiere du soleil,

    etc., trop

    ii

    la

    lettre - une sorte de processus naturel inconscient;

    cf.

    les remarques d' A. H.

    Armstrong, dans he Cambridge History

    o

    Later Greek and Early Medieval Philosophy,

    Cambridge

    1967

    pp. 239-241, sur la porte des mtaphores de ce type chez Plotin. Chez Jean

    Scot, la "course" deDieu

    ii

    travers l'univers est identique

    ii

    sa vision: 'Non enim aliud est deo

    currere per omnia quam uidere omnia, sed sicut uidendo ita et currendo fiunt omnia'

    (P

    1

    452D (p. 60,31-32)); pour le caractere volontaire de son action, cf 11 553Dss (p. 64,30ss).