Philosopher Sur Les Concepts de Santé

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    Dialogue52 (2013), 673693.

    Canadian Philosophical Association /Association canadienne de philosophie 2014

    doi:10.1017/S0012217314000122

    Philosopher sur les concepts de sant :de lEssaide Georges Canguilhem au

    dbat anglo-amricain

    LODIE GIROUX Universit Jean-Moulin Lyon 3 et Institut de recherchesphilosophiques de Lyon

    RSUM : Cet article a pour but de proposer une lecture comparative de lanalysephilosophique initie par Georges Canguilhem dans son Essai sur quelques problmes

    concernant le normal et le pathologique, publi en 1943, et du dbat qui sest dveloppdans les milieux philosophiques de langue anglaise, depuis les annes 1970, entrenaturalistes et normativistes. premire vue, cette comparaison a tout pour illustrerlopposition de traditions entre style franais historique et pistmologique etphilosophie des sciences anglo-amricaine. Je relativise cette opposition en montrantdimportantes continuits et en insistant sur dautres dplacements.

    ABSTRACT: This article presents a comparative analysis between Georges CanguilhemsEssay on Some Problems Concerning the Normal and the Pathological, published in

    1943 and the English language debate that started in the 1970s between the naturalistsand the normativists. Seemingly, this comparison illustrates the opposition betweenthe French historical epistemology and the Anglo-American philosophy of sciences.However, I put into perspective what is generally considered an opposition between thetwo traditions by analyzing certain conceptual similarities.

    Lanalyse des concepts de sant et de maladie est centrale dans luvre deGeorges Canguilhem. LEssai sur quelques problmes concernant le normal etle pathologiquepubli en 1943 est sa thse de mdecine et constitue une uvreoriginale tant pour un mdecin que pour un philosophe. En sintressant comme

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    philosophe la mdecine, port par la conviction que la philosophie est unerflexion pour qui toute matire trangre est bonne, et mme pour qui toutebonne matire doit tre trangre (1966, p. 7), Canguilhem se dmarque alorsdune tradition dominante dans le milieu universitaire franais de lpoque,

    celle de lhistoire de la philosophie. Pour Canguilhem, au moins deux raisonsjustifient quon philosophe sur les concepts de sant et de maladie : un besoinde clarification (on observe une multiplicit de niveaux de signification, determes de la mme famille et une incertitude sur la nature de leur relationlogique : la sant est-elle labsence de maladie?) et leur lien avec lactivit etla pense mdicales1. Lanalyse philosophique de ces concepts doit pouvoirnous dire quelque chose sur la mdecine, ventuellement en dlimiter le champet prciser son statut pistmologique : est-elle art, technique ou science? Unecritique svre de la prtendue objectivit de ces concepts et lintroduction de

    la notion de normativit biologique sont les apports principaux de lEssai.Lintrt port par Canguilhem cette matire trangre la philosophie

    influencera un grand nombre de ses tudiants dont certains poursuivront duct de la biothique, de la philosophie de la biologie et de la mdecine. Toutefois,lanalysedes concepts de sant et de maladie na, en tant que telle, t que peupoursuivie en France. Cest de lautre ct de lAtlantique quune trentainedannes plus tard, dans un contexte mdical et social diffrent, des philosophesse sont intresss ces concepts et la question de leur statut thorique. Dansune srie darticles publis entre 1975 et 1977, lAmricain Christopher Boorse

    propose dappliquer la mthode dite de lanalyse conceptuelle la sant et la maladie. Sil est alors dusage, pour les tenants de la philosophie analytique,dappliquer cette mthode aux concepts de la physique comme llectron ou laforce et aux concepts de la biologie comme le gne, dans le but de prciser lesthories auxquelles ces concepts appartiennent, Boorse innove en sintressantau concept central dun domaine, la mdecine, dont le statut scientifique etthorique est clairement moins tabli que celui de la physique et de la biologie.Par ailleurs, il livre une dfense solidement argumente en faveur de la possi-bilit dun concept thorique et objectif : la thorie bio-statistique de la

    sant. Une controverse sen est suivie qui est souvent caractrise commeopposant la thse dite naturaliste, principalement reprsente par Boorse, lathse normativiste selon laquelle les concepts de sant sont intrinsquementnormatifs2.

    1 Sans les concepts de normal et de pathologique la pense et lactivit du mdecinsont incomprhensibles. Il sen faut pourtant de beaucoup que ces concepts soientaussi clairs au jugement mdical quils lui sont indispensables. Pathologique est-ilun concept identique celui danormal? Est-il le contraire ou le contradictoire du

    normal? Et normal est-il identique sain? Et lanomalie est-elle mme chose quelanormalit? (Canguilhem, 1965, p. 155)

    2 Pour un aperu de ces dbats, voir notamment le recueil de textes choisis (Giroux etLemoine, 2012). Voir aussi Caplan, McCartney et Sisti (2004).

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    premire vue, les analyses de Canguilhem et celles des philosophes delangue anglaise sloignent en beaucoup de points; on retrouverait ce quispare les traditions philosophiques continentale et analytique. Or, sil est vraique de nombreux aspects des rflexions de Canguilhem sont difficilement

    comparables avec les analyses de Christopher Boorse, il nest pas si sr que ladistinction entre philosophie continentale et philosophie analytique soit la pluspertinente pour rendre compte de leurs diffrences. Elle risque en tout cas dedissimuler des lignes de convergence et dautres diffrences que cet article apour objectif de mettre en vidence. En effet, on peut considrer que, dans leurmanire danalyser les concepts de sant et de maladie, les philosophes quisinscrivent dans le courant analytique ont plus de proximit avec les analysesde Canguilhem que ceux qui prennent position du ct du normativisme etdont la mthode apparat pourtant plus proche de la philosophie continentale

    (voir en particulier, Engelhardt, 2012 [1975] et 1996). Des philosophes commeChristopher Boorse, Jerome Wakefield ou Lennart Nordenfelt partagent avecCanguilhem lobjectif de clarifier un concept gnral de maladie qui vailleaussi bien pour le somatique que pour le mental et qui puisse tre utilis pourles animaux et les plantes. Et la plupart de ceux qui dfendent le point de vuenormativiste ont une argumentation bien diffrente de celle de Canguilhem :pour eux, la normativit estsocialeet non pas biologiqueet surtout, le projetdanalyser ces concepts et de chercher les dfinir na pas vraiment de perti-nence. Ces concepts sont jugs trop htrognes pour quun noyau commun de

    signification puisse tre dgag (Engelhardt, 2012 [1975]).Dans cet article, jexamine ce qui relie et distingue les analyses de Canguilhem

    de celles labores lors du dbat anglo-amricain sur les concepts de sant.Dans un premier temps, je mefforce de prciser la nature des diffrences.Dans un second temps, des prolongements et entrelacements seront mis envidence partir de la prsentation de la thorie holiste de la sant de LennartNordenfelt.

    1. Prciser les diffrences

    1.1. Contextes

    La mdecine scientifique prise pour cible par Canguilhem est domine par unerationalit physiopathologique et exprimentale hrite de Claude Bernard. Ce quoi soppose Canguilhem en critiquant lide dune pathologie objective estla relativisation de la clinique qui deviendrait, dans la vision bernardienne, lasimple application des connaissances thoriques de la pathologie. La place etle rle des statistiques dans la mdecine franaise des annes 1940 sont encorerudimentaires; cest principalement le concept de moyenne que critique

    Canguilhem. Quel que soit le mode de rationalit utilis, le contexte, en pleineSeconde Guerre mondiale et face lidologie nazie, explique aussi le souci deCanguilhem de sattaquer lobjectivation des normes de sant cause de lagnralisation quelle implique. Cette critique sinscrit dans le prolongement

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    des travaux de Kurt Goldstein, ce mdecin et neurologue juif allemand quidfend, dansLa structure de lorganisme(1951 [1934]), la nature irrductiblementindividuelle des normes biologiques.

    Entre 1940 et 1970, on assiste dimportants changements dans les rapports

    entre socit et sant, mais aussi et surtout entre mdecine et biologie aveclmergence de la biomdecine (Gaudillire, 2002). Tout dabord, desinstitutions, et en particulier lOrganisation mondiale de la sant (OMS), creau lendemain de la Seconde Guerre mondiale, prennent acte des dimensionspsychosociales de la sant. Dans la constitution qui fonde lOMS, la santest dfinie de manire positive comme un tat complet de bien-tre physique,mental et social, rompant avec la dfinition mdicale ngative de la santcomme simple absence de maladie ou dinfirmit3. La dfinition positivelargit le champ de la sant et renforce certaines ambiguts; elle introduit en

    particulier un flou dans la distinction entre la sant et le bonheur. Par ailleurs,la distinction entre le normal et le pathologique prend une importance pratiquenouvelle avec, pour divers pays occidentaux, la constitution de ministrespublics de la sant, la gnralisation des assurances maladie et le dplacementdes investissements publics de la guerre vers les sciences biomdicales, la luttecontre le cancer et les maladies cardiovasculaires. Catgoriser un tat commepathologique aurait des consquences pour sa prise en charge par les assurancesmaladie, pour la justice (valuation de la capacit de laccus tre responsablede ses actes au moment des faits) et pour les orientations de la recherche

    biomdicale. On comprend ds lors que llucidation de lorigine et du statutdes jugements qui prsident cette catgorisation et la question de la possibilitde dterminer un critre objectif apparaissent cruciales.

    Ce besoin de critre et de dfinition est renforc par lmergence de contro-verses. Ds les annes 1960, le mouvement de lantipsychiatrie dnonce le mythequi consiste juger pathologiques des tats qui ne seraient en ralit que desimples problmes de la vie ordinaire (Szasz, 1975 [1961]). Par ailleurs, classeen 1967 comme une maladie dans la troisime version duManuel diagnostiqueet statistique des troubles mentauxamricain (le DSM III), lhomosexualit en

    sera retire en 1973 aprs dabondants dbats et suite un changement du regardsocial sur cette orientation sexuelle. Plus rcemment, on peut citer la fibromyal-gie, lhyperactivit de lenfant, de multiples formes de dpendance ( lalcool,au tabac, sexuelle, lInternet), ou encore la mnopause et la vieillesse : doivent-elles tre considres comme pathologiques? Limportance prise par le diagnos-tic de dpression, en particulier au tournant du XXIesicle, conduit aussi sinterroger : nest-ce pas oblitrer la nature ordinaire de la tristesse que denfaire trop systmatiquement une pathologie (Horowitz et Wakefield, 2010)?

    3 Prambule la Constitution de lOrganisation mondiale de la sant, tel quadoptpar la Confrence internationale sur la sant, New York, 19-22 juin 1946; sign le22 juillet 1946 par les reprsentants de 61 tats et entr en vigueur le 7 avril 1948.

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    Aussi, lenjeu dune analyse philosophique de ces concepts serait-il princi-palement devenu celui de la dlimitation de lusage de ltiquette pathologique.Les dfinitions proposes par Boorse, Wakefield et Nordenfelt auraient pourobjectif de sopposer au relativisme culturel particulirement influant en sociolo-

    gie et en psychiatrie. Boorse dit vouloir viter lusage politique abusif duvocabulaire mdical. Une dfinition thorique pourrait constituer un fondementsolide pour empcher la subversion de la mdecine par la rhtorique politique ouune excentricit normative (Boorse, 1997, p. 99-100) et viter que des tats, descomportements ou des processus tels que, par exemple, la masturbation, lamnopause et la vieillesse soient considrs comme pathologiques.

    1.2. Styles et philosophies de la mdecine

    Lanalyse de Canguilhem sinscrit dans ce que lon a coutume dappeler le

    style franais en pistmologie : une approche pistmologique et historiquedans laquelle lhistoire est critique, cest--dire une histoire juge des concepts(Braunstein, 2002). Toutefois, il ne nous semble pas que larticulation delhistoire et de lpistmologie introduise une diffrence dterminante parrapport au dbat anglo-amricain. Dune part, une place est aussi faite dans cedbat lhistoire des concepts, et dautre part, lhistoire chez Canguilhem nestpas si centrale pour son argumentation en faveur de la normativit du conceptde maladie. Ainsi, Tristram Engelhardt, par exemple, adopte une approche quelon pourrait caractriser de continentale; la perspective historique nest

    pas absente de sa rflexion (Engelhardt, 1984). Elle est mme centrale pouraffirmer le caractre intrinsquement normatif du concept (voir en particulierson article sur la masturbation : Engelhardt, 1974). Dans lEssaide Canguilhem,il est question avant tout de lhistoire du concept prtendument scientifiqueet objectif de la maladie, et plus particulirement, de la gense du dogmepositiviste : lidentification de ltat pathologique une modification quanti-tative de ltat normal. Canguilhem montre la gense dun dogme pour en faciliterla critique et en rvler les aspects idologiques, ou tout le moins, les aspectspratiques et normatifs dont hrite la mdecine de son poque. Christopher

    Boorse ralise de son ct une histoire synthtique des principales ideslmentaires qui ont t utilises pour dfinir la maladie avant dexposer sadfinition bio-statistique (Boorse, 2012 [1977], p. 64-77). On retrouve de partet dautres une mme volont de philosopher au plus prs de la mdecinecontemporaine et den analyser les concepts.

    Une diffrence fondamentale apparat cependant dans la posture du philo-sophe par rapport la science et la mdecine et dans la manire dapprhenderlanalyse conceptuelle. Boorse sattache dcrire la physiologie plus qu lajuger ou la critiquer. Or cest bien cette dernire attitude qui est au centre de

    lpistmologie de Canguilhem. Il critique le prtendu statut objectif et absoludu concept de maladie et resitue la clinique au centre de la mdecine. Parailleurs, pour Canguilhem, le concept est davantage un outil que le com-posant dune thorie visant dcrire la ralit et il est par essence normatif au

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    4 Voir sur ce point Pierre-Olivier Mthot (2013).5 Il y a certes des exceptions. Nous pensons en particulier Marjorie Grene (1978),

    trs proche de la pense de Canguilhem dans sa rflexion sur les normes biologiques,et ceux qui sinspirent de la conception aristotlicienne du vivant comme James

    Lennox (1995).6 On retrouve ce lien entre mdecine et biologie jusque dans lintitul de la chaire dune

    de ses tudiantes, qui fut professeure au Collge de France de 2000 2009, AnneFagot-Largeault : chaire de philosophie des sciences biologiques et mdicales.

    sens o il a avant tout une fonction doprateur (Canguilhem, 1994, p. 360)4.Cette fonction renvoie un jugement dapprciation, qui, nous le verrons,a son origine et sa source dans la normativit du vivant. Boorse, Reznek,Wakefield et Nordenfelt accordent un rle plus modeste la philosophie.

    Lobjectif de Boorse est de dcrire et dexpliciter le concept utilis en physiologie,discipline mdicale dont il prend pour acquis le statut de science fondamentalede la mdecine. Sil y a place pour de la stipulation, cest de manire tout faitmarginale. Cela signifie toutefois que lanalyse conceptuelle peut conduire laphilosophie interroger la mdecine sur lusage de ses concepts. Mais lide,chre Canguilhem, dune continuit entre vie, concept et jugement normatifest trangre la pense de Boorse et, plus gnralement, au dbat anglo-amricain5.

    Aussi la principale diffrence rsiderait-elle dans la manire dinscrire la

    rflexion sur les concepts de sant dans un sous-domaine de la philosophie.Lintrt que Canguilhem porte la maladie sinscrit au cur dune philoso-phie de la vie. La rflexion sur le normal et le pathologique lui permet desoutenir une thse sur la normativit du vivant en gnral. Il ny a pas de placepour une distinction disciplinaire entre philosophie de la mdecine et philoso-phie de la biologie. Au contraire, en bon hritier et disciple de Bichat, Canguilhemutilise la maladie pour caractriser et dfinir le vivant, car comme le souli-gnait Bichat dans sesRecherches physiologiques sur la vie et la mort(1818[1800]), seuls les vivants tombent malades : la maladie est une spcificit

    du vivant. Le titre de la collection Galien que Canguilhem dirigea denombreuses annes aux Presses universitaires de France tmoigne de cetteapproche synthtique de la vie : Histoire et philosophie de la biologie et de lamdecine6.

    Du ct anglo-amricain, on a assist entre-temps lmergence, au dbutdes annes 1960, dun champ disciplinaire, la philosophie de la biologie, struc-tur par des revues ddies, des manuels et des thmatiques propres (thorie delvolution, concepts dadaptation, de fonction, de slection naturelle) pluttquautour des questions traditionnelles de la philosophie des sciences (notions

    de loi, dexplication, de rduction, etc.) (Pradeu, 2011). La philosophie dela mdecine telle quon la connat aujourdhui sest dveloppe sa suite, enparticulier avec les dbats sur le concept de sant dclenchs en grande partiepar Boorse. La thmatique de la sant et de la maladie la distingue de la

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    philosophie de la biologie (Giroux, 2011). Mme si, contrairement ce qui estle cas pour la philosophie de la biologie, la dfinition de la philosophie de lamdecine, son positionnement du ct de la philosophie des sciences ou de laphilosophie morale et la nature de ses relations avec la philosophie de la biologie

    font encore dbat, lexistence dun domaine distinct de celui de la philosophiede la biologie semble faire consensus parmi les philosophes anglo-amricainsaussi bien du ct naturaliste que du ct normativiste.

    1.3. Normativits

    La continuit pour Canguilhem des rflexions sur la vie et sur la sant expliqueune autre grande diffrence avec le dbat anglo-amricain dans la comprhen-sion de la notion de normativit. Pour Canguilhem, les concepts de sant sontnormatifs car la vie est une valeur, irrductible un fait. Cest ce caractre

    biologiquede la normativit qui la distingue de celle que dfendent les norma-tivistes anglo-amricains. Il conoit la vie comme une activit polarise dedbat avec le milieu, qui se sent ou non normale, selon quelle se sent ou nonen position normative (Canguilhem, 1966, p. 153). Cette activit institue desvaleurs, elle est un effort spontan orient vers son maintien et son dveloppement.Ce qui va dans ce sens est valoris, ce qui y fait obstacle est dvaloris. Lesconcepts de normal et de pathologique nont de signification que par rapport cette normativit du vivant, qui elle-mme ne peut se comprendre quedans la relation dinfluence rciproque dun vivant avec son milieu. Canguilhem

    appuie cette notion de normativit biologique sur la thorie darwinienne delvolution par slection naturelle, dont il montre quelle tmoigne de lapersistance de la notion de norme au double sens axiologique et prescriptif en biologie (Canguilhem, 1981). Sil y a slection, cest quil ny a pasdindiffrence du vivant au milieu et quil y a en tout tre vivant un pouvoirnormatif, une normativit vitale intrinsque qui le conduit prfrer et exclure, prfrer la vie la mort, la sant la maladie (sens axiologique) etpar l-mme, instituer des normes (sens prescriptif). Tout jugement normatifdun sujet conscient et parlant, comme la normativit sociale ou la technique

    humaine et mdicale, serait un prolongement de ce pouvoir normatif fonda-mental de la vie dun organisme individuel. Ainsi, cest la vie elle-mmeet non le jugement mdical qui fait du normal biologique un concept de valeuret non un concept de ralit statistique (Canguilhem, 1966, p. 81).

    Canguilhem insiste sur la relativit individuelle de la normativit vitale,mme si celle-ci se prolonge chez lhomme dans une normativit sociale etculturelle. largumentation clinique et holiste quil reprend Kurt Goldstein(1951 [1934], p. 341-373), Canguilhem ajoute une argumentation biologiquequi se fonde dune part sur une analyse du concept biologique dindividu et

    dautre part sur la thorie darwinienne de la slection naturelle (Gayon, 2000).Pour Canguilhem, cest au niveau de lorganisme seulement que le conceptdindividu est pertinent (1965, p. 43-80; 1994, p. 319-333). Cest la conver-gence fonctionnelle des parties dans le tout qui constitue lauthentique tout

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    (au sens dunit ontologique) et fait que ce vrai tout est plus que la simplesomme de ses parties. Seul un tel tout mrite le nom dindividu et seullorganisme mrite dtre ainsi conu comme totalit. Les autres niveauxdorganisation, candidats potentiels lindividualit, ne sont pas de vritables

    totalits. La cellule est une totalit qui peut aussi tre une partie. La socit,quant elle, nest pas une totalit suffisamment intgre pour tre considrecomme un authentique tout. Son unit comme sa finalit lui viennent delextrieur, tandis quelles sont immanentes lorganisme biologique.

    Par ailleurs, lorganisme individuel serait central dans la thorie darwiniennede lvolution par slection naturelle. Canguilhem commence par soulignerque loin de rejeter toute notion de norme hors de la biologie, la thorie de laslection naturelle tablit un lien intrinsque entre variabilit individuelle etvaleur vitale7. Darwin naurait admis de slection naturelle quau niveau des

    individus, cartant lide dune slection naturelle au niveau des groupes oudes populations. En effet, le niveau dorganisation sur lequel agit la slectionnaturelle doit tre constitu dentits dotes dune unit ontologique suffisammentforte pour tre capables de reproduction. La slection prsupposerait, autantquelle constituerait, un avantage pour lindividu qui serait slectionn causede telle ou telle variation dans ses traits. Lentit slectionne serait lentit laquelle bnficient les traits qui voluent, le bnfice tant dfini en termes desurvie et de reproduction. Le processus de slection naturelle exige donc lexistencedentits capables de reproduction. Que lindividualit organique soit le niveau

    dorganisation auquel agit la slection naturelle permet Canguilhem dasseoirbiologiquement lide dune relation troite, dune identit mme, entrenormativit vitale et organisme individuel (voir Giroux, 2008).

    Ainsi, Canguilhem affirme que cest cette chelle de lorganisme indi-viduel quil est pertinent de parler de sant et de maladie, et non pas auniveau des organes ou des cellules par exemple, ni des populations ou dessocits (1966, p. 150). En matire de normes biologiques, cest toujours lindividu quil faut se rfrer (ibid., p. 118). Cest principalement pources raisons quil nexiste pas de normes absolues. La qualification de sain

    ou de pathologique nest pas renvoye larbitraire dune subjectivit oudun relativisme culturel et social, mais cette normativit vitale et indivi-duelle partage par tout tre vivant. Canguilhem dfinit alors la maladiecomme un comportement de valeur ngative pour un vivant individuel,concret, en relation dactivit polarise avec son milieu (1966, p. 150). Lasant nest pas le normal mais le normatif, la capacitdes tres vivants surmonter la maladie, le stress et les modifications de leur milieu de vie en

    7 La norme cest la forme dcart que la slection naturelle maintient (Canguilhem,1966, p. 197). Voir aussi : Lirrgularit, lanomalie ne sont pas conues commedes accidents affectant lindividu mais comme son existence mme (Canguilhem,1965, p. 159).

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    8 Lvolution ne sinquite pas directement du confort et du plaisir des treshumains ou de leurs buts (Engelhardt, 1996, p. 202). Ici comme pour les autrescitations provenant de textes anglais, les traductions sont de nous.

    crant de nouvelles normes. Ltat pathologique nest pas labsence de normeou a-normalit puisqu[i]l ny a point de vie sans normes de vie (ibid., p. 155).Il est plutt une capacit normative restreinte, une rduction de lassurancebiologique initiale (ibid., p. 132). Sant et maladie sont dans une relation

    logique de contrarit par le mouvement oppos de la polarisation, et non pasdans une relation de contradiction.

    Dans le dbat anglo-amricain, la normativit attribue aux concepts desant est de nature intentionnelle, sociale et culturelle. Si lon remarque unegrande variabilit dans lusage du qualificatif normatif (Simon, 2007) et queles nuances de sens entre prescriptif et axiologique sont rarement prcises,il y a toutefois un point commun : cette normativit na pas de fondement naturelou biologique. Pour Tristram Engelhardt, lun des principaux reprsentants dunormativisme, mme si des processus biologiques fonctionnels sont bien

    impliqus dans la sant et la maladie, ce sont avant tout les valeurs et intrtshumains, eux-mmes lis lenvironnement et au dveloppement de la socit(le niveau de connaissance scientifique, les institutions de sant publique,lindustrie pharmaceutique et les possibilits de traitement, etc.), qui dcidentde la qualification dun tat comme sain ou pathologique. Lvolution biologiqueest apprhende comme un processus aveugle et mcanique qui na pas deperspective propre et lon ne saurait affirmer ou chercher dans la nature uneconvergence ou une continuit entre les effets de lvolution biologique et lesbuts et intrts des individus et des socits humaines8. Sil y a des conver-

    gences entre Canguilhem et Engelhardt sur limportance accorde la dimensionpratique de la mdecine et aux sens prescriptif et axiologique de la normativitdu concept de maladie qui pour Engelhardt dsigne un tat de fait commetant indsirable et comme devant tre supprim (2012 [1975], p. 235) , onne trouve pas trace chez ce dernier dune normativit biologique.

    Du ct naturaliste, des analyses du concept de fonction en philosophie de labiologie menes partir des annes 1970 ont dplac la manire dapprhenderla question de la tlologie naturelle (Gayon et de Ricqls, 2010). En effet,lusage du concept de fonction est suspect dans une vision classique de la

    science qui ne retient comme objectives et pertinentes que les explicationscausales. Les explications fonctionnelles semblent reposer sur les effets : la natureet la prsence du cur sexpliqueraient par son effet qui est de faire circuler lesang. Diffrentes formes de normativit apparaissent associes la notion defonction : prescriptive (la fonction dun organe est ce quil doitaccomplir),axiologique (cest leffet quil accomplit le mieux), et tlologique (leffet en vueduquel lorgane est constitu). Des philosophes de la biologie ont naturalis lediscours tlologique en dfendant un concept dit tiologique de la fonction

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    dfini comme le rsultat de leffet slectif et en faisant rfrence la thoriedarwinienne de lvolution pour cette slection (Millikan, 1984; Neander,1991). Cest lutilit passe dun effet qui lui vaudrait dtre slectionn et dedevenir une fonction. Toutefois, si ces conceptions se rapprochent premire

    vue de la notion de normativit biologique de Canguilhem, la normativitnaturelle attribue ici au concept de fonction nest pas lie la sant, cettedernire intgrant dautres normes que celle de la biologie. Surtout, cettenormativit nest pas si fortement et exclusivement associe lorganismeindividuel que chez Canguilhem. Elle interviendrait diffrents niveauxdorganisation. En effet, les dbats sur les units et les niveaux de slection ontconduit relativiser la place de lorganisme individuel dans le processus deslection naturelle. Un certain consensus tend stablir pour penser que laslection nintervient pas seulement au niveau de lorganisme, mais aussi au

    niveau des gnes et au niveau des populations (Pradeu, 2011, p. 392-397).Dautres ont pris position pour une conception non-normative de la fonc-

    tion, dfendant la possibilit de rendre compte de la dimension tlologique dece concept sans avoir faire appel des valeurs ou des normes prescriptives.Cest le cas notamment de la conception dite systmique ou par le rlecausal, qui permettrait de penser une organisation en vue dune fin comme unprocessus lintrieur dun systme, sans avoir recourir une intentionnalit(Cummins, 1975). Attribuer une fonction un trait ou un processus seraitsimplement supposer que le systme qui laccomplit possde une disposition

    le raliser. Boorse (1976b) dfend un concept de fonction biologique quisinscrit dans la filiation du concept systmique : la fonction nest pas autrechose que la contribution causale un but au sein dun systme donn. Enphysiologie, le systme est lorganisme dont les buts sont la survie et la repro-duction. Pour Boorse, et cest ce qui le distingue radicalement de Canguilhem,ces buts que sont la survie et la reproduction tout comme la vie dans sonopposition la mort ne sont pas des valeurs, ni mme des valeurs biologiquesou encore des valeurs objectives9, mais des traits physiques du systmetlologique particulier quest lorganisme (Boorse, 1997, p. 57). Ensuite, la

    contribution physiologique doit tre typique de la manire dont les individusdune espce donne survivent et se reproduisent. La normalit fonctionnelleest donc relative au designdune espce qui est lui-mme dtermin de manirestatistique et empirique. partir de cette caractrisation non-normative de lafonction physiologique, Boorse labore un concept thorique des tats sain et

    9 Pour James Lennox (1995), dont nous avons soulign prcdemment quil fait avecMarjorie Grene figure dexception dans le dbat anglo-amricain en se rapprochant

    de thses de Canguilhem sur la normativit biologique, la valeur ne peut tre limi-ne dune approche descriptive des fonctions biologiques, car le simple maintien dela vie par lactivit biologique requiert que la vie soit comprise comme une valeurfondamentale.

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    pathologique. Ltat pathologique est un type dtat interne qui altre la sant,cest--dire rduit une ou plusieurs des capacits fonctionnelles en dessousduniveau defficacit typique (Boorse, 2012 [1977], p. 86). Le concept thoriquede sant nest donc pas dtermin comme chez Claude Bernard dans le milieu

    artificiel du laboratoire, mais de manire empirique partir dune abstractionstatistique. Pour Boorse, la notion de designdespce inclut la relativit lenvironnement : tout designdespce nest pas capable de vivre dans nimportequel environnement. Ainsi, son concept thorique et objectif pourrait chapper certaines critiques que formulait Canguilhem lendroit du concept de normalexprimental de Claude Bernard.

    Par ailleurs, cette norme descriptive de sant est relative lespce et elledcrit le normal pour lespce. Ds quil est question dvaluer la conformitdun organisme individuel cette norme thorique, on effectue un jugement

    diagnostique qui est alors ncessairement normatif. Le jugement cliniquerepose sur un concept normatif de sant qui, par ajouts de valeurs, se dcoupesur le concept thorique trs large et trs inclusif du pathologique. Boorsedfend lexistence de plusieurs concepts de maladie dont lun est thorique,et dautres sont pratiques et normatifs (diagnostique, thrapeutique, social,etc.). Lavantage de cette conception multiniveau (Boorse, 1997, p. 1) est derendre compte des diffrences entre les conceptions physiologique, clinique etsociale et de faire place un concept objectif tout en rendant compte dunevariation culturelle et sociale. On peut trs bien avoir une pathologie (disease)

    au sens thorique, sans pour autant quelle ait des effets pour lensemble delorganisme (illness), et soit manifeste sur le plan clinique. On peut aussi avoirune maladie clinique, sans pour autant quelle donne lieu des droits sociaux.

    Cette thorie bio-statistique a t abondamment dbattue et critique :la question de savoir si Boorse russit laborer un concept non-normatif defonction et de designde lespce reste ouverte. Notre objectif nest pas ici decritiquer cette thorie mais simplement de proposer une comparaison aveclanalyse de Canguilhem10. On retiendra simplement lune des principalescritiques qui conduit Lennart Nordenfelt adopter une position normativiste :

    limiter la sant, mme en son sens thorique, au contexte biologique de la survieet de la reproduction, et donc une notion de fitness, est trop restrictif.

    2. Entrelacements et prolongements : la thorie holiste de Lennart

    Nordenfelt

    La thorie de la sant du philosophe sudois Lennart Nordenfelt peut tre luecomme une synthse des conceptions de Boorse et de Canguilhem. Sil adoptela mthode de lanalyse conceptuelle comme Boorse, il propose de revenir auprimat accord par Canguilhem au concept holiste de lusage ordinaire sur

    10 Pour plus de prcisions sur la thorie bio-statistique de la sant et ses critiques, enlangue franaise, voir Giroux (2010).

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    celui de la science mdicale. Pour lui, comme pour Canguilhem, les conceptsde sant et de maladie valent dabord pour lindividu considr comme unetotalit et non pas pour des parties de lorganisme. Il reprend la notion decapacit introduite par Canguilhem, mais la normativit de ce concept est

    apprhende dans sa dimension intentionnelle, sociale, subjective et culturelle,et non pas biologique. Philosophe de laction, cest partir de lagir humainquil propose une analyse conceptuelle de la sant.

    2.1. Privilgier la notion de capacit sur celles de sentiment et de comportement

    Pour Canguilhem, la maladie est dabord une exprience subjective ngativeau sens dune preuve affective vcue par un sujet. Et ce qui inaugure cetteexprience serait unsentiment: Pathologique impliquepathos, sentimentdirect et concret de souffrance et dimpuissance, sentiment de vie contrarie

    (Canguilhem, 1966, p. 85)11. La souffrance et lincapacit ou limpuissanceapparaissent alors comme deux notions centrales pour caractriser la maladie.Tout signe ou rsultat diagnostique obtenu par des examens biologiques enlaboratoire ne peut tre interprt que relativement au comportement du maladepris dans sa totalit (1966, p. 152). La mesure de la sant et de la maladienest pas chercher du ct du jugement externe du mdecin, mais du ctde lindividu lui-mme12. Or ny a-t-il pas de nombreuses situations danslesquelles nous sommes amens parler dtat pathologique avant que le sujetporteur de cet tat nen soit conscient et se vive comme malade? Cest le cas

    des maladies asymptomatiques, des anosognosies, mais aussi du coma. PourCanguilhem, le savoir mdical peut certes permettre de savoir malades desgens qui ne se sentent pas tels (1966, p. 53), mais cette inversion actuelle dela relation entre exprienceet connaissanceest possible car une exprience dela maladie par un autre malade a antrieurement suscit la connaissance dumdecin13. Lexprience individuelle de la maladie par un vivant est bien tou-jours premire en droit si ce nest pas en fait.

    Mais que le jugement pathologique dpende aussi fortement des sujets etde leurs expriences de maladie est-il soutenable? La place prise dans la

    mdecine contemporaine par lobjectivation de plus en plus prcise des processus

    11 Canguilhem crit aussi : la vie dun vivant [...] ne reconnat les catgories de sant etde maladie que sur le plan de lexprience, qui est dabord preuve au sens affectifdu terme, et non sur le plan de la science (1966, p. 131).

    12 En matire de normes biologiques, cest toujours lindividu quil faut se rfrer(Canguilhem, 1966, p. 118); Cest toujours la relation lindividu malade, parlintermdiaire de la clinique, qui justifie la qualification de pathologique (ibid.,

    p. 156).13 Si aujourdhui la connaissance de la maladie par le mdecin peut prvenir

    lexprience de la maladie par le malade, cest parce quautrefois la seconde a suscit,a appel la premire (Canguilhem, 1966, p. 53).

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    14 Pour prolonger ces interrogations, on consultera avec intrt Morange (2008).

    physiopathologiques et des diagnostics pr-symptomatiques des niveauxinfra-organiques ninterroge-t-elle pas la thse selon laquelle il ny a pas designes du pathologique indpendamment dun tmoignage prsent ou passvenant dun sujet? Que dire de ces pathologies identifies comme telles par la

    mdecine, mais qui sont mineures et locales (une petite tumeur bnigne ou uneforme modre de cirrhose du foie) et nont pas deffets sur la qualit de vie dela personne? Peut-on se contenter de la distinction entre anomalieet maladiepour rsoudre cette question (Canguilhem, 1966, p. 85)14? Enfin et surtout,linterprtation individualiste des catgories de sant et de maladie, ou tout lemoins son fondement biologique, ne sont-ils pas mis en question si, dune part,larticulation entre normativit biologique et organisme individuel na pas siclairement le fondement que Canguilhem voulait lui donner dans la thorie dela slection naturelle, et si, dautre part, le concept dindividualit biologique

    nest pas si fortement associ au concept dorganisme quil ne lenvisageait,comme en tmoignent les usages de ce concept dans la biologie et la philosophiede la biologie contemporaines, propos de lespce mais aussi de multiplesautres niveaux dorganisation (Ludwig et Pradeu, 2008)?

    Pour son analyse de la sant, Lennart Nordenfelt commence par proposer dedonner une priorit conceptuelle la notion de capacit sur celle de sentiment.Il admet quil y a bien un lien troit, en particulier pour le concept de maladie,entre incapacit et souffrance. Ce lien est dailleurs la fois de nature empiriqueou causal laffect (la souffrance ou la douleur, par exemple) peut engendrer

    une modification dans la capacit, et inversement, la perception dun sujet deson niveau de capacit peut influencer son tat affectif ou motionnel et denature conceptuelle : dire de quelquun quil est souffrant peut par exempledj signifier quil est atteint dans sa capacit daction. Toutefois, une foisdistingues, il apparat que ces deux caractristiques ne sont pas aussi essen-tielles lune que lautre. Toute souffrance entrane une incapacit, mais linversenest pas vrai : il peut y avoir incapacit sans souffrance comme dans le cas ducoma ou des maladies mentales. Nordenfelt en tire la conclusion que ce quirelve de la capacit est donc plus fondamental et plus universel que ce qui

    relve du sentiment. Cette caractristique est en outre plus facilement mesurableet valuable sur une chelle ordinale. Il souligne quen lui donnant la priorit,il ne nglige pas pour autant limportance de lexprience subjective dans ladescription de la maladie, quil distingue de sa dfinition : une descriptionadquate dune maladie spcifique doit souvent inclure une description de lasouffrance quelle entrane (Nordenfelt, 1995, p. 35-37). Mais puisque sonobjectif est dlaborer un critre pour la dfinition gnrale du concept desant, la notion de capacit est la plus adquate.

    Par ailleurs, la prfrence donne ce concept plutt qu celui de compor-

    tement, aussi prsent dans le vocabulaire de Canguilhem, permettrait dviter

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    15 Cette triangulation est aussi prsente dans lanalyse dEngelhardt (2012 [1975]),bien quil ne linscrive pas dans une thorie de laction.

    une source de confusion entre le jugement sur la sant et le jugement moral oulgal. La frontire entre ces jugements est problmatique pour une conceptionnormativiste de la sant. Mentir est un comportementimmoral qui ne prsumerien de la capacit dire la vrit. Un comportement dviant peut tre un signe

    de maladie, mais seulement si lon peut dceler une incapacit fondamentalepropre au sujet de cette dviance. Il nest donc pas par lui-mme le critredcisif de la prsence de maladie (Nordenfelt, 1995, p. 56-57).

    Il reste toutefois le problme des pathologies sans incapacits. Cest partirdu concept fondamental et holiste de sant que Nordenfelt drive lensembledes concepts relatifs la sant. Il maintient la distinction conceptuelle de Boorseentre le pathologique (disease) et la maladie (illness), le pathologique dsignantpour Nordenfelt la base psycho-physiologique dune incapacit. Mais ildfinit autrement la relation entre ces deux notions. Dune part, il inverse la

    priorit logique entre elles : la notion holiste de maladie est le contraire logiquede la sant et la notion technique et scientifique de pathologique est un proces-sus corporel ou mental qui tend compromettre la sant et donc rendremalade (Nordenfelt, 1995, p. 108). Il prcise quil sagit dun processus interneet typiquepour le distinguer dautres facteurs menaant la sant. Dautre part,il dfinit la relation entre le pathologique et la maladie comme une relationcausale et statistique. Le lien entre eux nest donc pas ncessaire mais probable :une pathologie nentrane pas toujours un tat de maladie au niveau de lindividu,elle peut tre silencieuse ses dbuts et sa progression peut aussi avorter ou ses

    effets tre compenss.

    2.2. Buts vitaux et bonheur minimal versus normativit biologique

    Le problme de la notion de capacit est quelle semble ouvrir un nombreindfini de comportements possibles. Chez Canguilhem, cette capacit estapprhende comme un pouvoir vital dinstitution de normes dans sa relation lenvironnement. En labordant dans le cadre dune thorie analytique delaction, Nordenfelt la dfinit partir de ce qui serait la condition cruciale dusuccs dun ensemble dtermin dactions. Pour Nordenfelt, nos actes sont

    constitus de deux relations fondamentales : celle de lindividu avec son envi-ronnement dune part, et avec les buts quil a lintention datteindre dautrepart. La sant est donc un concept intrinsquement relationnel et compos detrois lments fondamentaux : lagent(plus prcisment, sa capacit agir),ses butset son environnement15. Lenjeu est alors de prciser ce concept partir de ces trois notions. Nordenfelt dfinit la sant comme la capacit quunepersonne a, dans des circonstances acceptes, de raliser ses buts vitaux,cest--dire ceux ncessaires et suffisants pour un bonheur minimal et durable.La notion de normativit vitale se trouve conceptualise dans les termes de

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    la relation des capacits dun sujet ses buts vitaux dans un certain envi-ronnement. Nordenfelt propose la distinction entre but factuel et but idal etcest bien la notion idale et intentionnelle de but qui est requise (1995, p. 17).La normativit est ici avant tout fonde dans lintentionnalit dun sujet.

    Par ailleurs, le concept de bonheur devient essentiel la dfinition de la sant.Mais, je le montrerai plus loin, la notion de buts vitauxpermet de dlimiterla sant relativement au bonheur, sans toutefois retrouver le caractre restrictifdes buts biologiques (survie et reproduction) de la thorie bio-statistique deBoorse.

    La thorie de laction permet Nordenfelt de prciser le sens de la capacit,ou plus prcisment, le sens de lapossibilitcontenue dans la notion de capacit.En effet, la capacit nest pas toute possibilit daction, ni la possibilitpratique de sadapter tout environnement, ce qui serait la confondre avec

    ladaptabilit. Six sens de la possibilit peuvent tre distingus (Nordenfelt,1995, p. 41-43) : la possibilit logique (9peuttre divis par 3), la possibilitpistmique (pour autant que je sache, il peuttrs bien avoir 30 ans), lapossibilit physique (les hommes nepeuventpas survivre sans oxygne),lautorit (cette universitpeutdlivrer des diplmes de doctorat), la capacit(John peut apprendre le russe), lopportunit (Peter peut maintenanttraverser la rue). La possibilit pratique serait, quant elle, la runion desdeux derniers sens : capacit et opportunit. Le concept de sant ne renvoie pas la possibilit pratique, mais bien la capacit quun sujet a de raliser un

    certain ensemble dactions. La capacit qui caractrise la sant est alorsce type de possibilit daction qui est dtermin par des facteurs internes aucorps ou lesprit de lagent (Nordenfelt, 1995, p. 46). Par ailleurs, une deuximeprcision permet dviter de rendre la sant trop relative lenvironnement :cette capacit est potentielle (ou capacit de second ordre) et non pas actuelle.Une personne peut en effet tre dans lincapacit actuelle de raliser une actiondans un environnement particulier, mais tre potentiellement capable de laraliser en acqurant par formation ou entranement la capacit de premierordre. Si limmigrant venant dun pays sous-dvelopp tait en capacit, sans

    avoir fait des tudes, de subvenir ses propres besoins en cultivant ses propresterres, il peut ne plus avoir cette capacit de premier ordre une fois arriv dansun pays dvelopp. On ne dira cependant pas quil est en bonne sant dans sonpays et en mauvaise sant dans le pays daccueil, sil a la capacit de secondordre de se former et ainsi de devenir capable de gagner sa vie.

    Nordenfelt prcise par ailleurs que les circonstances acceptes sont cellesqui ne sont ni cres artificiellement (chaise roulante qui permet la personnehandicape de retrouver une mobilit), ni extraordinaires. Pour caractriser lanotion de buts vitaux, cest--dire lensemble des actions quun individu en

    bonne sant est cens avoir la capacit daccomplir, Nordenfelt propose une dfini-tion qui repose sur celle de bonheur minimal et qui constitue un intermdiaireentre une dfinition objective et trop restrictive (les besoins humains fonda-mentaux) et une dfinition juge trop subjective (les buts que se donne lagent).

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    Le bonheur est analys comme un concept dimensionnel li aux dsirs et auxbuts des tres humains. Sil na pas de limite suprieure, il a toutefois unelimite infrieure; il y a une frontire entre bonheur et malheur que lon peutdterminer. Lensemble de dsirs et besoins qui doivent tre satisfaits sont

    ceux qui sont la fois hautement prioritaires et qui ont des effets durables(Nordenfelt, 2000, p. 90). La durabilitintroduit une discrimination dans lesbuts poursuivis par une personne et permettrait dcarter les buts triviaux,contreproductifs et prjudiciables.

    Bien que trs lis dans cette thorie de la sant, les concepts de sant et debonheur demeurent distincts. Avec cette dfinition, une personne peut trs bientre en parfaite sant et pourtant ne pas tre heureuse cause, par exemple,de circonstances trs dfavorables comme dans le cas dune guerre ou dunemprisonnement (Nordenfelt, 1995, p. 90). Rciproquement, la dfinition per-

    met daffirmer quune personne qui a une trs mauvaise sant peut malgr touttre heureuse : son incapacit satisfaire ses buts vitaux peut tre compenseet assume par dautres personnes comme dans le cas du soin. En effet, dans leconcept de sant, les buts vitaux, la diffrence de lensemble des buts quicontribuent au bonheur et dont ils ne constituent quune sous-catgorie, doi-vent pouvoir tre atteints par le sujet lui-mme. Ainsi, cette dfinition des butsvitaux permet dlargir la notion de sant au-del du seul fonctionnementbiologique et de la survie, tout en prservant de la confusion entre sant etbonheur vers laquelle tend la dfinition de lOMS.

    2.3. Normativit sociale et compatibilit avec la science

    Le contenu des notions de buts vitaux et de circonstances acceptes est partiel-lement normatif et relatif aux socits et cultures dune poque donne.Nordenfelt prcise que les jugements de valeur en jeu concernent le bien-tre etsont distinguer des jugements moraux. Il y a toutefois clairement une com-posante sociale qui intervient. Lapport du normativisme de Nordenfelt est icidanalyser et dexpliciter les diffrentes manires dont la socit prend part lvaluation du bien-tre (Nordenfelt, 1995, p. 119-128). La socit intervient

    dj dans la composante environnementale du concept, constituant le contextedaction des individus. Elle peut aussi jouer un rle plus direct et actifdvaluateur. Dans une forme primaire du jugement de valeur, la socit four-nit le systme de valeurs. Dans des jugements de valeur secondaires, lindividuse contente dappliquer un cas particulier le systme de valeurs de la socit laquelle il appartient. La socit peut jouer un rle encore plus explicitedvaluateur, comme dans le cas des normes de sant dcides au niveau insti-tutionnel et politique et quand elle dfinit le contenu prcis des buts vitaux.

    Mais Nordenfelt souligne qu travers toutes ces influences, le noyau du

    concept fondamental de sant nest pas atteint. Cette relativit nempche doncpas quil y ait une universalit du concept fondamental de sant, car la relationentre ses composants, telle quelle est donne dans la dfinition, demeureinchange. Or lvaluation dun tat de sant se fonde sur lquilibre de cette

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    relation. Par ailleurs, la normativit de ce concept nempche ni ne ruine lapossibilit quun usage lgitime et empirique en soit fait dans les sciencesmdicales (Nordenfelt, 1995, p. 147). Tout dabord, Nordenfelt prcise quece qui fait lobjet de la science mdicale, le pathologique dfini comme ce qui

    entrane une maladie la plupart du temps, est le niveau typique : une prsup-position dune science gnrale du pathologique est quelle traite de typesdentits dont la plupart des instances entrane un tat de maladie (Nordenfelt,1995, p. 106). Cest ce niveau quune gnralisation, et ainsi une sciencemdicale, sont possibles. Ensuite, cette relation constitue bien un fait statis-tique (la plupart) qui est objectivement dterminable, mme si le concept desant dont elle drive initialement possde une composante normative. Lavariation des buts vitaux dune socit lautre naffecte pas cette frquencestatistique qui concerne la relation entre le pathologique et la maladie et fonde

    la grande gnralit (et quasi universalit) de nos nomenclatures mdicales.Pour finir, la nature et le statut de lvaluation du bien-tre sont tels quilslimitent le risque de relativisme. Cette valuation nest pas laisse larbitraireni au hasard : elle peut tre ralise avec autant de rigueur quune investigationscientifique et par des mthodes empiriques. Cest dailleurs ce dont tmoignentles travaux scientifiques sur les mesures de la qualit de vie auxquels Nordenfelta pris part (1994). valuer la sant ainsi dfinie revient notamment valuersi une capacit est adapte aux buts dune personne; or une telle valuation estde nature empirique, causale mme : elle consiste tudier comme un fait si

    une personne russit raliser ce quelle sest elle-mme fixe (Nordenfelt,1995, p. 70). Par ailleurs, ces valuations peuvent tre explicites. Cest par cesdivers arguments que Nordenfelt entend dfendre la normativit du conceptde sant tout en maintenant, se distinguant ici de Canguilhem (1966, p. 153),la possibilit dune science objective de la pathologie. Cette thorie holiste dela sant fait toutefois lobjet de critiques aussi bien de la part des normativistesque des naturalistes, qui lui reprochent notamment dtre trop large et tropinclusive (Schramme, 2007).

    Conclusion

    Le dbat anglo-amricain na pas abouti un consensus sur la dfinition desconcepts de sant. Toutefois, il a permis de clarifier un ensemble de points etde prolonger et approfondir certaines intuitions de Canguilhem. En guise debilan, nous synthtisons ces prolongements sur la question de la normativitbiologique et de la part de lexprience individuelle et des normes socialesdans les concepts de sant.

    Lide de normativit biologique sest trouve dplace dans le cadre dedbats complexes sur la normativit de la notion biologique de fonction. En

    partant dun concept non-normatif bien que tlologique de la fonctionphysiologique, Boorse a ouvert un espace nouveau de discussion pour unconcept objectif et fonctionnaliste de sant. La notion de norme non-normative(ou norme descriptive) trouve une justification conceptuelle quelle ne pouvait

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    avoir dans la conception de Claude Bernard, principale cible de la critiquenormativiste de Canguilhem. Par ailleurs, les dfenseurs dun concept normatifde la fonction biologique fondent cette normativit sur la ncessit de faireappel lhistoire tiologique et leffet slectif pour rendre compte de la

    prsence dune fonction chez un tre vivant. Sil y a une certaine continuitavec lanalyse de Canguilhem dans larticulation entre normativit biologiqueet slection naturelle, le lien de cette normativit avec lorganisme individuelnest plus central. Ds lors, il apparat que la biologie ne saurait elle seulefonder ou justifier la priorit donne lorganisme individuel comme seulniveau pertinent pour le concept de sant.

    Limportance accorde par Canguilhem lexprience vcue et la sub-jectivit rendait difficilement pensable un concept scientifique de maladie.Chez Boorse comme chez Nordenfelt, la distinction conceptuelle entre le

    pathologique (disease), concept analytique et scientifique, et la maladie(illness), concept holiste, ainsi que lanalyse de leurs relations, permettent defaire place un concept scientifique du pathologique. On peut considrer quela priorit donne par Nordenfelt la notion de capacit sur celle dexprienceprcise la dfinition esquisse par Canguilhem, tout en pondrant la tendance rendre le jugement de sant relatif lexprience vcue dun individu.

    Le dbat anglo-amricain a aussi apport des explicitations et des clarifi-cations sur le rle jou par les valeurs et leur nature dans nos concepts de sant,et sur la question de la relation du social au biologique. Dans la thorie de

    Boorse, la distinction entre un concept thorique et un concept pratique (cliniqueet social) permet une clarification sduisante. Mais sa validit dpend de lapossibilit dun concept purement bio-statistique, dfinition qui fait lobjetdabondantes critiques. De son ct, la dfinition holiste de Nordenfelt, en par-tant dune thorie de laction, se donne les moyens dune analyse plus prcisedu rle et de la place des valeurs, et en particulier des valeurs sociales dansle concept de sant. Sa thorie holiste se fraye un chemin entre les thsesnaturaliste et constructiviste ou relativiste, en maintenant de lespace pourun concept fondamental de sant qui transcende les diffrences culturelles

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  • 7/26/2019 Philosopher Sur Les Concepts de Sant

    22/22

    C o p y r i g h t o f D i a l o g u e : C a n a d i a n P h i l o s o p h i c a l R e v i e w i s t h e p r o p e r t y o f C a m b r i d g e

    U n i v e r s i t y P r e s s a n d i t s c o n t e n t m a y n o t b e c o p i e d o r e m a i l e d t o m u l t i p l e s i t e s o r p o s t e d t o a

    l i s t s e r v w i t h o u t t h e c o p y r i g h t h o l d e r ' s e x p r e s s w r i t t e n p e r m i s s i o n . H o w e v e r , u s e r s m a y p r i n t ,

    d o w n l o a d , o r e m a i l a r t i c l e s f o r i n d i v i d u a l u s e .