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LE POINT SUR… Pratiques en Ophtalmologie • Juin 2012 • vol. 6 • numéro 55 185 PATHOLOGIE INFLAMMATOIRE L’eczéma❚palpébral❚(Fig.1) L’atteinte palpébrale est très fré- quente au cours de cette patho- logie qui pourra faire évoquer en fonction de l’âge une dermatite atopique chez l’enfant ou un ec- zéma de contact chez l’adulte. * Service d’ophtalmologie et de chirurgie plastique recons- tructive orbito-palpébro-lacrymale, Fondation Adolphe de Rothschild, Paris. Dermite de contact C’est la cause la plus commune d’inflammation des paupières. Il s’agit d’une réaction allergique chez un sujet sensibilisé. Cli- niquement, on note un œdème volontiers aigu (en raison d’une peau extrêmement fine et d’un derme lâche), un prurit intense. On peut aussi avoir un œdème plus progressif avec des lésions vésiculaires. Au niveau oculaire, on retrouve fréquemment une conjonctivite papillaire follicu- laire associée à une hyperhémie conjonctivale, un chémosis et un larmoiement. Touchant principalement la femme, les agents en cause sont surtout cosmétiques (savon, shampooing, vernis à ongle…) mais aussi les traitements oph- talmologiques (chlorure de ben- zalkonium, collyre antiglaucoma- teux, antibiotique) ainsi que les solutions d’entretien des lentilles de contact. Le traitement consiste bien sûr en l’éviction de l’allergène si possible, et par application de compresses froides de sérum physiologique et de dermocorticoïde de niveau IV en courte période. Dermite atopique (Fig. 2) C’est un eczéma très prurigineux évoluant sur un mode chronique ou par poussée récidivante dont l’atteinte palpébro-oculaire n’est présente que dans 25 % des cas. On retrouvera au niveau des pau- pières, la pigmentation périorbi- taire, le double pli sous-palpébral inférieur (signe de Dennie-Mor- gan) ainsi que l’absence de sourcils au tiers externe (signe de Herto- ghe). Ces signes font partie des cri- tères diagnostiques mais n’en sont pas spécifiques. Les lésions palpébrales eczéma- tiformes sont souvent associées Figure 1 - Eczéma palpébral. Figure 2 - Dermatite atopique chez l’enfant. L’embryologie commune entre le revêtement cutanéomuqueux et la surface oculaire positionne la pau- pière à la frontière entre la dermato- logie et l’ophtalmologie. Ainsi, de nombreuses pathologies dermatologiques par l’implication des paupières, auront une réper- cussion oculaire, dont les consé- quences sur la fonction visuelle peuvent être sévères. Bien que non exhaustif, les princi- pales dermatoses inflammatoires et infectieuses que l’on peut ren- contrer en pratique courante sont exposées dans cet article. Introduction Pathologies palpébrales et dermatoses inflammatoires et infectieuses Tour d’horizon des principales maladies Dr Pierre-Vincent Jacomet*

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Pratiques en Ophtalmologie • Juin 2012 • vol. 6 • numéro 55 185

pathoLogie infLammatoire

❚❚ L’eczéma❚palpébral❚(Fig.1)

L’atteinte palpébrale est très fré-quente au cours de cette patho-logie qui pourra faire évoquer en fonction de l’âge une dermatite atopique chez l’enfant ou un ec-zéma de contact chez l’adulte.

* Service d’ophtalmologie et de chirurgie plastique recons-tructive orbito-palpébro-lacrymale, Fondation Adolphe de Rothschild, Paris.

Dermite de contact C’est la cause la plus commune d’inflammation des paupières. Il s’agit d’une réaction allergique chez un sujet sensibilisé. Cli-niquement, on note un œdème volontiers aigu (en raison d’une peau extrêmement fine et d’un derme lâche), un prurit intense. On peut aussi avoir un œdème plus progressif avec des lésions vésiculaires. Au niveau oculaire, on retrouve fréquemment une conjonctivite papillaire follicu-laire associée à une hyperhémie conjonctivale, un chémosis et un larmoiement.Touchant principalement la femme, les agents en cause sont surtout cosmétiques (savon, shampooing, vernis à ongle…) mais aussi les traitements oph-talmologiques (chlorure de ben-zalkonium, collyre antiglaucoma-teux, antibiotique) ainsi que les solutions d’entretien des lentilles de contact.

Le traitement consiste bien sûr en l’éviction de l’allergène si possible, et par application de compresses froides de sérum physiologique et de dermocorticoïde de niveau IV en courte période.

Dermite atopique (Fig. 2) C’est un eczéma très prurigineux évoluant sur un mode chronique ou par poussée récidivante dont l’atteinte palpébro-oculaire n’est présente que dans 25 % des cas. On retrouvera au niveau des pau-pières, la pigmentation périorbi-taire, le double pli sous-palpébral inférieur (signe de Dennie-Mor-gan) ainsi que l’absence de sourcils au tiers externe (signe de Herto-ghe). Ces signes font partie des cri-tères diagnostiques mais n’en sont pas spécifiques. Les lésions palpébrales eczéma-tiformes sont souvent associées

figure 1 - eczéma palpébral.

figure 2 - Dermatite atopique chez

l’enfant.

L’embryologie commune entre le revêtement cutanéomuqueux et la surface oculaire positionne la pau-pière à la frontière entre la dermato-logie et l’ophtalmologie.Ainsi, de nombreuses pathologies dermatologiques par l’implication des paupières, auront une réper-cussion oculaire, dont les consé-quences sur la fonction visuelle peuvent être sévères.Bien que non exhaustif, les princi-pales dermatoses inflammatoires et infectieuses que l’on peut ren-contrer en pratique courante sont exposées dans cet article.

Introduction

pathologies palpébrales et dermatoses inflammatoires et infectieusesTour d’horizon des principales maladiesDr Pierre-Vincent Jacomet*

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186� Pratiques en Ophtalmologie • Juin 2012 • vol. 6 • numéro 55

à une blépharite chronique, une meibomiite et des chalazions. Mais toute la gravité de la maladie est l’association fréquente avec une kératoconjonctivite vernale chez l’enfant ou une kératocon-jonctivite atopique chez l’adulte.Le traitement, en dehors du bilan général à la recherche de l’aller-gène, fait appel à des soins d’hy-giène palpébrale (compresse d’eau tiède, massage du bord libre) pour contrôler la meibomiite.L’utilisation de dermocorticoïdes au long cours expose aux effets secon-daires : atrophie, télangiectasie, dys-chromie, cataracte, glaucome.Le tacrolimus pommade serait intéressant dans les localisations faciales et palpébrales.

❚❚ La❚rosacée❚et❚la❚dermite❚séborrhéiqueCes pathologies s’accompagnent fréquemment d’une atteinte conjonctivo-cornéenne en raison d’une atteinte palpébrale à type de blépharite chronique avec dys-fonctionnement meibomien, d’où la formation de chalazions chro-niques et sécheresse oculaire inva-lidante chronique. Toute la gravité de ces pathologies est surtout liée aux complications conjonctivales et cornéennes : conjonctivite fi-brosante, kératite inflammatoire avec risque de perforation cor-néenne.

❚❚ Le❚psoriasisLes manifestations ophtalmo-logiques sont peu fréquentes, environ dans 10 % des cas, elles surviennent surtout dans le cas de rhumatisme psoriasique HLAB27+. Les paupières peu-vent être atteintes par des lésions érythématosquameuses. La blé-pharo-meibomiite est la plus fré-quente du fait d’une obstruction des canaux excréteurs des glandes de Meibomus par les squames.

❚❚ Les❚maladies❚bulleusesLes complications oculaires dans ces pathologies sont souvent majorées par les atteintes palpé-brales.En effet, la gravité de l’atteinte oculaire dominée par la cicatrisa-tion fibrorétractile des conjoncti-vites (symblépharon) favorisera les malpositions palpébrales à type d’entropion cicatriciel. Au stade ultime, on observera une dispari-tion des culs-de-sac conjonctivaux avec ankyloblépharon-trichiasis responsable d’une kératopathie se traduisant par une néovascu-larisation, érosions avec risque d’ulcérations cornéennes (Fig. 3 et 4). Des poussées infectieuses avec perforation et endophtalmie peu-vent compliquer l’évolution de la maladie.Le traitement de la pathologie palpébrale fera essentiellement

appel à la chirurgie. Elle devra le-ver les symblépharons avec exé-rèse de la conjonctive atteinte par une greffe de membrane amnio-tique préférentiellement, la greffe de muqueuse buccale étant à évi-ter dans les pemphigoïdes affec-tant les muqueuses (PAM) et l’épi-dermolyse bulleuse acquise afin de ne pas renforcer la maladie par agression chirurgicale.Le traitement de la malposition palpébrale consiste en un repo-sitionnement de la lamelle an-térieure (peau orbiculaire) par fracture du tarse afin d’éloigner la ligne ciliaire du dioptre cornéen, ou par une marginoplastie.

pathoLogie infectieuse

ViraLe❚

❚❚ Herpès❚palpébral❚(herpès❚simplex❚HSV1❚et❚2)❚(Fig. 5)❚L’atteinte isolée des paupières représente 20 % des primo-in-fections. Eruption vésiculaire sur fond érythémateux, la primo-in-fection herpétique passe souvent inaperçue chez l’enfant : blépha-rite avec éruption cutanée et/ou conjonctivite folliculaire, cepen-dant il peut exister des formes graves néonatales dues à HSV2. On retrouve au niveau cornéen une

figure 3 - pemphigoïde oculaire cica-

tricielle avec kératopathie œil droit et

ankylosymblépharon total œil gauche.

figure 4 - séquelle sévère de pemphi-

goïde cicatricielle avec opacification

totale de cornée.

figure 5 - herpès palpébral.

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PAthologieS PAlPébRAleS et deRmAtoSeS inFlAmmAtoiReS et inFectieuSeS

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kératite dendritique en “feuille de fougère” dans plus de la moitié des cas.Chez l’adulte, l’herpès oculocu-tané se manifeste principalement par une kératite dendritique réci-divante douloureuse.Le traitement topique antiviral repose sur l’aciclovir (Zovirax® pommade ophtalmologique et/ou crème pour la paupière) ou gan-ciclovir (Virgan® gel) et antisep-tique cutané associé en cas de pri-mo-infection ou de kérato-uvéite au traitement antiviral per os.

❚❚ Zona❚palpébral❚Le zona ophtalmique est un des plus fréquents, les lésions ocu-laires s’observent surtout lors de l’atteinte de la branche nasoci-liaire du nerf ophtalmique (V1), nerf sensitif de l’œil, des sinus ethmoïdaux et de la racine du nez. L’atteinte de cette branche entraîne au niveau cutané une éruption papulovésiculeuse de l’aile du nez (signe de Hutchin-son). La branche frontale est cependant la plus souvent tou-chée, innervant le tiers interne et moyen de la paupière supérieure ainsi que la conjonctive sous-jacente et le front.Douleur cutanée, œdème palpé-bral, adénopathies prétragiennes précèdent de 24 heures l’éruption vésiculeuse typique. Une surinfec-tion bactérienne est possible.Les complications sont surtout marquées par les douleurs, algies post-zostériennes plus marquées chez le sujet âgé, mais aussi par les atteintes cornéennes dans plus de la moitié des cas (kératopathie neuroparalytique avec risque de perforation). Au niveau palpébral en raison de l’évolution cicatri-cielle atrophique et fibreuse, on observe des entropions trichia-siques ou ectropions.Le zona ophtalmique est traité par

antiviral systémique, au mieux dans les 72 heures suivant le début de l’éruption, afin de diminuer les complications et l’apparition des douleurs post-zostériennes.

❚❚ Molluscum❚contagiosumLésion commune, bénigne, cuta-née et muqueuse, contagieuse par contact, affectant essentiellement l’enfant. Lésions généralement lisses, perlées, papulaires, le plus souvent ombiliquées sont habi-tuellement groupées dans une ou deux régions du corps. Ces lésions sont traitées par cure-tage ou plus efficacement au ni-veau palpébral par laser argon, cependant elles peuvent récidiver.

Bactérienne❚

❚❚ impétigo❚de❚la❚faceLes lésions pustuleuses peuvent se localiser au niveau des pau-pières sur une lésion préexistante minime. L’origine en est variable, essentiellement streptococcique (streptococcus pyogene), parfois staphylococcique (staphylococcus aureus). L’infection streptococ-cique peut être secondaire d’une dermatose (eczéma, herpès..) qui devient suintante et se couvre de croûtes jaunâtres “impétiginées”.Traitement antibiotique per os et pommade.

❚❚ erysipèleInfection du derme à streptocoque ou staphylocoque. On recherchera une porte d’entrée cutanée et un corps étranger orbito-palpébral. Le patient présente de la fièvre avec un œdème palpébral et un érythème bien délimité. L’évolu-tion peut aller vers une cellulite préseptale ou rétroseptale avec abcès orbitaire (Fig. 6). Un fasciite nécrosante est exceptionnelle, favorisée surtout par un terrain débilité.

Le patient devra être hospitalisé pour mise en route d’une antibio-thérapie par voie veineuse associée à une chirurgie d’exérèse des tis-sus nécrosés et éventuel drainage d’une collection orbitaire. Un corps étranger devra toujours être re-cherché par une imagerie adaptée.

❚❚ Syphilis❚L’atteinte palpébrale peut se voir surtout dans la syphilis secon-daire avec une altération pigmen-taire cutanée ou une alopécie de la queue des sourcils. L’atteinte pri-maire avec chancre syphilitique au niveau palpébral est excep-tionnelle. Dans la phase tertiaire, les gommes syphilitiques peuvent siéger au niveau des paupières.Cette pathologie est en constante progression. Traitement par péni-cilline.

❚❚ Maladie❚des❚griffes❚du❚chat❚Transmise principalement par le chat domestique, soit par griffure avec apparition 10 jours plus tard d’une papule avec adénite inflam-matoire et fièvre, soit par contact avec le pelage contaminé avec conjonctivite unilatérale follicu-laire, chémosis, œdème palpébral et adénopathie prétragienne (syn-drome oculoglandulaire de Pari-naud).

figure 6 - cellulite préseptale sur corps

étranger.

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❚❚ Maladie❚de❚LymeTransmise par morsure de tique. On retrouve au niveau palpébral un œdème périorbitaire aspéci-fique en rapport avec la conjoncti-vite folliculaire.

❚❚ Lèpre❚Fréquente dans les pays en voie de développement, les lépromes se rencontrent fréquemment au ni-veau palpébral, pouvant entraîner une sécheresse oculaire par obs-truction des canaux des glandes lacrymales.

atteinte❚paraSitaire

❚❚ phtiriase❚ciliaire❚ Les poux du pubis (morpions) peuvent parasiter les cils et les sourcils. La contamination est souvent d’origine vénérienne, mais aussi par des vêtements ou une literie infestée.Cliniquement, on retrouve une blépharite prurigineuse. L’examen à la lampe à fente visualise les pa-rasites accrochés aux cils.Le traitement consiste à “étouffer” les parasites par application de

pommade (vitamine A pommade ou pommade à l’oxyde de mercure classiquement) puis à couper les cils aux ciseaux.

❚❚ MycosesDans certains états débilités, une atteinte palpébrale par candida albi-cans peut se voir, la peau palpébrale étant atteinte par contiguïté. n

Mots-clés❚:❚pathologie palpébrale,

Dermatose inflammatoire, Dermatose

infectieuse

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• Berthout A., Milazzo S. Oeil et peau. EMC (Elsevier Paris) Ophtalmologie, 21-470-D-30, 2007.• Flament J, Stork D. Oeil et pathologie générale. Rapport de la SFO. Paris : Masson; 2000.

• Hoang-Xuan T et al. Pathologies inflammatoires chroniques de la conjonctive. Rapport des Sociétés d’Ophtalmologie de France. Ed. Lamy, Marseille. 1998.

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