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GEMESO LES DOSSIERS D ’ÉTUDES MÉSOAMÉRICAINES Les Dossiers du GEMESO n°2 Mai 2012 GROUPE D’ÉTUDES MÉSOAMÉRICAINES (GEMESO) ÉCOLE PRATIQUE DES HAUTES ÉTUDES In tototl in amanteca Les oiseaux de la plumasserie aztèque Pascal MONGNE

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GEMESO – Les Dossiers D’ÉtuDes MÉsoaMÉricaines —

Les Dossiers du GEMESO n°2Mai 2012

GROUPE D’ÉTUDES MÉSOAMÉRICAINES(GEMESO)

ÉCOLE PRATIQUE DES HAUTES ÉTUDES

In tototl in amantecaLes oiseaux de la plumasserie aztèque

Pascal MONGNE

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Pascal MONGNE - In ToToTl In AmAnTecA

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Cette série de « DOSSIERS du GEMESO» est destinée à faire partager les résultats de recherches en cours et à permettre l’ac-cès à des documents non publiés, rapports

et traductions du nahuatl, produits au sein du Grou-pe d’Études Mésoaméricaines de l’École Pratique des Hautes Études, Ve Section-Sciences religieuses (GEMESO-EPHE), ainsi qu’au cours de nahuatl de l’Institut National des Langues et Cultures Orientales (INALCO). Les auteurs sont des membres du groupe GEMESO, tant chercheurs statutaires qu’étudiants avancés (doctorants ou en diplôme de Master). Les sujets portent sur les études mésoaméricaines, avec un accent mis sur les thématiques religieuses, les diffé-rentes expressions existantes dans les langues de cette aire culturelle, en particulier le nahuatl classique ou dans ses variantes contemporaines.Nous souhaitons que les « DOSSIERS du GEMESO»soient accessibles à un public scientifique ou élargi, ainsi qu’à des institutions culturelles d’éducation su-périeure ou d’enseignement linguistique, à des fins d’information et de discussion. Ces « DOSSIERS » donnent par ailleurs la possibilité à la communauté scientifique internationale travaillant dans le champ des études mésoaméricaines, de l’histoire coloniale, des études coloniales et post-coloniales, de l’art colo-nial hispanique, de l’anthropologie et de la sociologielatino-américaines d’avoir accès à ces données en temps abrégé. Ces textes ont été approuvés pour leur diffusion en ligne par le comité scientifique et édito-rial du GEMESO. Les commentaires et discussions sur ces « DOSSIERS DU GEMESO » seront vivement appréciés.

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Les opinions et points de vue exprimés dans les « DOSSIERS DU GEMESO » sont ceux des auteurs. Les données et le matériel présentés dans ces docu-ments n’impliquent pas l’expression d’une opinion

Série : « Les Dossiers du GEMESO », n° 2Titre : In totol in amanteca - Les oiseaux de la plumasserie aztèque

Auteur : Pascal MongneTous droits réservés © GEMESO 2012

Illustration de couverture : © Nicolay Staykov

quelconque de la part de l’EPHE (Ve section) ou du GEMESO.Les documents publiés dans cette série sont téléchar-geables en format PDF et peuvent être cités à condi-tion de mentionner le GEMESO et l’EPHE (Ve sec-tion) comme étant la source d’origine et le possesseur du copyright, avec le titre et l’année de publication. Ils peuvent être librement traduits dans d’autres langues, à la condition d’envoyer une copie électronique du do-cument traduit au GEMES0 (contact : [email protected]).Ces documents électroniques sont disponibles gratui-tement avec le droit de reproduction uniquement pour usage personnel, sans les modifier et en format in ex-tenso. Il est interdit de dupliquer ces documents pour un usage commercial. Poster les documents PDF dans d’autres sites web n’est pas autorisé. Vous devez redi-riger des liens hypertextes vers le document en indi-quant notre site web (http://www.gemeso.com).

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Les « DOSSIERS DU GEMESO »Publication électronique non commerciale du Grou-pe d’Études Mésoaméricaines (GEMESO), École Pratique des Hautes Études, Ve section (Sciences religieuses), 46 rue de Lille, 75007 Paris, France.Éditrices scientifiques : Danièle Dehouve et Aline Hémond.Comité éditorial : Danièle Babout, Danièle Dehou-ve, Antoine Franconi, Aline Hémond.Correcteur : Gilles FirminMise en page : Jean-Marc Gaudin-Joyeux.

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In tototl in amantecaLes oiseaux de la plumasserie aztèque

Pascal MONGNE

GEMESO– Les Dossiers d’Études Mésoaméricaines —

Les Dossiers du GEMESO n°2Mai 2012

GROUPE D’ÉTUDES MÉSOAMÉRICAINES(GEMESO)

ÉCOLE PRATIQUE DES HAUTES ÉTUDES

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Résumé

De tout temps, la plume a joué un rôle essentiel au sein des sociétés du Nouveau monde. L’éven-tail et la qualité des couleurs de son avifaune, issue notamment des zones tropicales humides, en

sont la principale raison. Parmi les sociétés traditionnelles américaines ayant fait appel à cette richesse naturelle pour orner hommes, vêtements et parures, le monde aztèque est l’un des mieux connus, grâce notamment aux chroniques du XVIe siècle (Sahagún en premier plan) et à leurs traductions (Se-ler, Garibay, Dibble et Anderson), mais également grâce aux études récentes (Denis, Durand-Forest, Gilonne, Maynez, Sautron-Chompré). La corrélation entre ces sources nous permet de brosser ici cet essai d’identification et de description des oiseaux utilisés par les fameux amanteca (plumassiers) aztè-ques dont les oeuvres spectaculaires (au sens premier du terme), tant précolombiennes que coloniales, témoignent aujourd’hui du savoir-faire.

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Resumen

Desde sus orígenes, el arte plumario ha cumplido un papel importante en el seno de las sociedades del Nuevo mundo. La variedad y la calidad de los colores de su avifauna, procedente principal-

mente de las zonas tropicales húmedas, es una de las principales razones. Entre las sociedades tradi-cionales de las Américas que han utilizado esa riqueza natural para adornar a los hombres, sus vestidos y atavíos, la azteca es una de las más documentadas, gracias, en particular, a las crónicas del siglo XVI (Sahagún principalmente) y a sus traducciones (Seler, Garibay, Dibble y Anderson), así como gracias a los estudios recientes (Denis, Durand-Forest, Gilonne, Maynez, Sautron-Chompré). La correlación entre esas fuentes nos permite bosquejar aquí una tentativa de identificación y descripción de los pája-ros utilizados por los famosos amanteca (plumajeros) aztecas, cuyas obras espectaculares (en el sentido original) tanto coloniales como precolombinas, son hoy testigos de su maestría.

***Summary

Feathers have always played an important role within the societies of the New World, mainly be-cause of the large and colourful variety of birds, especially those from tropical areas. Among the

traditional American societies that used feathers to deck humans, clothes and adornments, are the Az-tecs. This civilisation is one of the best documented, thanks notably to the sixteenth-century Spanish chronicles (mainly from Sahagún) translated by Seler, Garibay, Dibble and Anderson and to the recent studies from Denis, Durand-Forest, Gilonne, Maynez, Sautron-Chompré. The correlation between these sources allows us to present this essay of identification and description of birds used by the fa-mous amanteca (the Aztec feather smiths), whose spectacular works, both colonial and pre-Columbian attest, today, of their skilfulness.

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Historien de l’art, Pascal Mongne se consacre à l’étude des collections américaines de France et à l’image des Amériques forgée par l’Europe depuis la Découverte. Il est également respon-sable du cours « Arts des Amériques » à l’Ecole du Louvre de Paris.

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In tototl In AmAntecA - les oIseAux de lA plumAsserIe

Aztèque -

pascal monGneMai 2011

Tous les oiseaux ne volent pas, mais tous, en revanche, portent des plumes et ce sont les seuls du règne vivant à en être dotés. Bien des oiseaux ont été recherchés pour leur

chair et leurs œufs, parfois pour leur chant, et certains ont été dressés pour leurs qualités de chasseurs, mais presque tous, en fait, ont été appréciés pour leurs plu-mes, afin d’orner l’homme ou seulement le couvrir. Toucans, colibris, perroquets et perruches, cotingas, motmots, trogons, gobe-mouches, jacamar, orioles, tanagres, pour ne citer que les plus « spec-taculaires » : des centaines d’espèces, vivant le plus souvent en forêt tropicale humide, peuplent l’Améri-que et ont su, probablement bien mieux qu’ailleurs, répondre aux exigences « esthétiques » et cérémoniel-les des hommes. La plume, dans le Nouveau Monde, a toujours joué un rôle essentiel. Sans entrer dans des détails d’ordre ornithologique qui sortiraient du cadre de no-tre article, quelques lignes peuvent y être consacrées. La plume est un appendice tégumentaire qui recouvre la peau des oiseaux sur tout ou partie de leur corps, et dont le nombre varie considérablement en fonction des espèces. Issue du derme de l’animal, la plume se trouve complètement kératinisée en fin de croissance, sans aucune cellule vivante (comme les ongles ou la corne). En général les oiseaux renouvel-lent régulièrement leurs plumes par mue. Cette parti-cularité doit être signalée, car elle permet de récupérer les plumes déjà tombées ou le plumage des volatiles sans les mutiler ni les tuer. En fonction de leur rôle, et de leur position sur le corps, les plumes présentent des formes et des tailles variées : ainsi les plumes de couverture, de pe-tite dimension, souples, isolent l’animal du froid et de la pluie ; les rémiges, plumes des ailes, plus longues et asymétriques, assurent à l’oiseau un rôle primor-dial dans le vol ; de même les rectrices, plumes de la queue, symétriques et parfois fort longues – et de ce fait souvent recherchées en plumasserie –, qui font office de gouvernail. En général, les plumes présentent la même

structure : un axe creux, le rachis, en ordonne l’archi-tecture et s’insère dans la peau par le calamus. De part et d’autre du rachis, s’étendent les barbes, qui portent chacune un grand nombre de barbules munies de cro-chets sur les côtés (hamulis). Ces crochets reliant les barbules les unes aux autres donnent à la plume son intégrité et ses propriétés physiques. Aussi curieux que cela puisse nous paraître, fort peu nombreux sont les pigments induits, qui co-lorent les plumes. Parmi les principaux, nous pouvons noter les mélanines, rendant les ocres, depuis le noir le plus pur jusqu’au beige clair, et les caroténoïdes qui produisent les jaunes ou les rouges. En fait, le specta-culaire chromatisme dont les oiseaux se trouvent parés est essentiellement le résultat de processus physiques lumineux, ou de l’association de ces processus et des pigments naturels. Ainsi, les très belles teintes du bleu ou du vert (très rares sous forme de pigment), ou bien encore les riches effets d’irisation que l’on distingue sur certains plumages (canards, colibris), sont-ils dus au filtrage de la lumière solaire par les composants de la plume et à l’absorption et au renvoi de certaines longueurs d’ondes lumineuses. Malheureusement, comme tout élément orga-nique mort, la plume est particulièrement sensible à son environnement et aux modifications brutales de ce dernier. Une fois coupée de son support vivant, et par nature fragile, elle sera particulièrement su-jette aux agressions externes (température, lumière, humidité, chocs). Il est donc rare que les œuvres de plumasserie anciennes parviennent jusqu’à nous sans dommage (armatures détruites ou désarticulées, plu-mes abîmées, couleurs passées ou même totalement effacées). L’identification des oiseaux utilisés en plu-masserie aztèque est issu de la corrélation entre les dénominations en nahuatl et la taxinomie ornithologi-que moderne. Ce travail malaisé (Dibble et Anderson, 1959 ; Durand-Forest, 1984 ; Garibay, 1969 ; Gilon-ne, 1997; Maynez, 1991 ; Sautron-Chompré, 2004 ; Seler, 1892) est essentiellement fondé sur l’œuvre monumentale du franciscain Bernadino de Sahagún : Historia General de las Cosas de Nueva España. Son travail descriptif sur la faune et la flore (Livre XI) ras-semble 459 entrées consacrées aux animaux, dont en-viron 200 associées à l’avifaune (noms d’oiseaux ou noms de parties d’oiseaux). Si la plupart de ces noms ne sont cités qu’une fois dans l’oeuvre, une dizaine en revanche apparaissent à de multiples reprises (quet-zaltototl, tlauhquechol, zacuan), marque de l’intérêt

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que le monde aztèque accordait à certaines espèces, estimées notamment pour la plumasserie. Bien que le terme générique « tototl » (oiseau) existe, il est fort peu utilisé seul mais en noms com-posés. Comme pour l’ensemble de la faune et de la flore, les noms d’oiseaux sont composés de racines associées (selon le principe agglutinant de la langue nahuatl) issues de la description de l’animal : aspect, couleur des plumes, cri, démarche, vol, alimentation, habitat, etc. Ainsi, à titre d’exemple, le motmot est le xiuhquechol : « (Oiseau) turquoise (au) cou en mou-vement » / xihu(itl)+quech(tli)+oli(n). Des 200 noms consacrés aux oiseaux, 60 sont consacrés essentiel-lement aux parties constitutives (plumes, ailes, têtes, pattes, crêtes, becs, etc.). Si les mots « iuitl, ihuitl, ihhuitl ou iuiyotl » (plume) sont connus, ils sont également rarement uti-lisés seuls mais en racine de mots composés. En fait, le mot plume est en nahuatl défini par plusieurs di-zaines de mots variés, en fonction de l’emplacement et de la fonction sur l’oiseau, ou de la couleur et de l’intérêt que les plumassiers pouvaient y accorder. Ainsi, les plumes du cou sont appelées tapalcayotl ; celles du ventre et du dos : apapachtli ; celles de la croupe : olincayotl, poyaualli, poyauallotl, imaxtli. Le duvet est iuiquauhiotl ou achcayotl. Les plumes des ailes sont qualifiées de tzicoliuhqui, chilchotic, tecpatic, ahauitztli, nacatl, iuiuitztli ; mamaztli est la rémige, longue plume de l’aile. Les plumes de cer-tains oiseaux particulièrement appréciés par les Az-tèques, portent des noms propres : ainsi pour l’aigle, tapalcatl, mamaztli, ahaztli, quaquetzalli, quauht-laxcayotl 1 Egalement, çaquan, quechol et tzinitzcan (traditionnellement noms d’oiseaux) identifient aussi les plumes « précieuses » de ces animaux. Enfin, les plumes caudales, particulièrement recherchées de cer-tains oiseaux sont-elles nommées : quetzalli pour la longue plume verte du quetzal ; cueçalin ou cuezalli pour celle, rouge, du Alo (Ara macao). D’après certai-nes sources (Gilonne, 1997, p. 43), ce dernier terme pourrait également dénommer les perroquets de petite taille, portant des plumes rouges. L’inventaire ornithologique de Sahagún (Livre XI-2) identifie environ 125 types d’oiseaux connus 1 Bien que l’aigle occupe une grande importance dans le monde cérémoniel et religieux aztèque, il n’est que fort peu cité par Sahagún dans les chapitres 18-21 du Livre IX (consacrés à la plumasserie) : ses plumes apparaissent comme de simples or-nements des tenues des déesses Xiuhtlati et Xilo). En l’absence de précision, notamment d’ordre ornithologique, cet oiseau n’est pas traité ici.

dans le Mexique central. De ce chiffre, seule une vingtaine d’espèces semble avoir été utilisée par les plumassiers aztèques, si l’on s’en tient aux descrip-tions des chapitres 18 à 21 de son Livre IX, consacrés à l’art de la plumasserie. Encore ne prenons-nous en considération que la plumasserie d’apparat, celle que constituent les fameuses plumes « riches » dont par-lent les chroniqueurs, et qui proviennent essentielle-ment des oiseaux tropicaux au plumage recherché. La plumasserie que nous pourrions qualifier de « domes-tique », destinée surtout au doublage des vêtements et des couvertures, faisait appel à des espèces courantes, dont les plumes et duvets étaient abondamment utili-sés : canards et oies semblent avoir connu la faveur de cette plumasserie « de tous les jours ».

Quetzaltototl (Pharomacrus mocinno)« Oiseau (aux) belles plumes longues et vertes » > quetzal(li)+tototl Plus connu sous le nom de quetzal ou couroucou, c’est l’oiseau est le plus célèbre de la plumasserie méso-américaine. De la taille d’un gros pigeon, il porte un plumage vert sombre et son ventre est couvert de plumes rouges. Enfin, deux longues plumes caudales vertes, pou-vant atteindre jusqu’à 120 cm, ornent les mâ-les « comme de larges roseaux, qui brillent, qui ondulent... » (Sa-hagún IX-2, 1er §). Ces longues plumes ont de tout temps été intensé-ment recherchées par les plumassiers, qui en fabriquaient coiffes, éventails de parades et panaches comme celui de Vienne. Cette chas-se, qui perdura bien après les périodes pré-colombiennes, jusqu’à nos jours, pour les besoins de la plumasserie ou des parcs zoologiques (au XIXe siècle, un quetzal vivant pouvait valoir jusqu’à 1000 dollars), faillit provoquer la disparition de l’espèce de son habitat traditionnel : les forêts tropicales humides de l’Amérique centrale, entre 600 et 3000 mètres d’altitude.

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Selon les chroniqueurs, les quetzaltotomeh re-cherchés pour la plumasserie provenaient des basses-terres de la côte du Golfe (provinces de Cuextlan et de Xicalanco), de la côte pacifique du Mexique et du Guatemala (provinces Ayotlan, Xoconoxco et Teco-lotlán), ainsi que des basses-terres de la Mixteca et du pays maya (Province de Tzinacantlan). L’oiseau fut pour la première fois identifié scientifiquement par le docteur Pablo de la Llave, vers 1830 : Pharomachrus, gr. pharos makros, « grand manteau » ; Mocinno en référence au docteur José Mariano Mociño, naturaliste mexicain. En 1875, le célèbre illustrateur naturaliste John Gould établit la première représentation en couleur du quetzal.[durand-Forest, p. 62 – Irby davis, p. 87 (pl. 18-1,2) – sahagún, III-3, 2, xI-2, §1 - dibble and An-derson, xI, p. 19 – sautron, p. 428, 450]

Tzinitzcan ou teutzinitzcan (Trogonus mexicanus)Étymologie possible : « (oiseau aux plu-mes noires comme l’) obsidienne à la base » > tzin(tli)+itz(tli)+can[locatif]Appelé aussi trogon mexicain ou coas (de l’onomatopée de son cri), cet oiseau est rencon-tré dans les zones montagneu-ses du Mexique, entre 900 et 2000 mètres d’altitude. On le trouve jusqu’au Honduras. Les mâles de l’espèce, d’environ 30 cm du bec à la queue, sont cou-verts d’un plumage vert foncé, tirant sur le noir autour de la tête. Les ailes sont brunes et le ventre rouge. Une bande hori-zontale blanche barre la poitrine.[durand-Forest, p. 62 – Irby davis, p. 89 (pl. 18-9) – sahagún, III-3, 2, xI-2, §1 - dibble and Ander-son, xI, p. 19 – sautron, p. 429, 452]

Xiuhtototl (Cotinga amabilis ?)« Oiseau turquoise » > xihu(itl)+tototlBien que les avis divergent sur son identité, cet oiseau, très re-cherché pour son plumage, devait être très certainement le cotinga, et plus particulièrement le cotin-ga céleste. « L’oiseau bleu » (en nahuatl) est aussi appelé charla-dor turquesa (le «bavard couleur

turquoise») en espagnol. Il s’agit d’un passereau de la taille d’un gros moineau, d’une couleur bleu intense, exception faite de la gorge et du ventre couverts de plumes violettes. Le cotinga fréquente les forêts hu-mides de la côte du Golfe du Mexique et l’Isthme de Tehuantepec. On le rencontre jusqu’au Costa Rica, le long de la côte pacifique. Sahagún le signale aussi dans l’Anahuac.[durand-Forest, p. 62 – Irby davis, p. 124 (pl. 27-1-3) – sahagún, III-3, 3, x-29, 4, xI-2, §1, - dibble and Anderson, xI, p. 21 – sautron, 429, 453]

Zaquan (Gymnostinops montezuma) Dénommé aussi Oropendola de Montezuma, cet oiseau de belle taille (43 cm du bec à la queue) est entièrement couvert d’un plumage noir et fauve. Seule la queue présente en fait une cou-leur voyante : le jaune, visible seulement lorsque l’oiseau fait la roue. L’espèce vit dans les régions humides et basses du golfe du Mexique, sur les côtes du Yucatán et le long de la côte caraïbe de l’Amérique centra-le, jusqu’au Panama.[durand-Forest, p. 62 – Irby davis, p. 186 (pl. 38-5) – sa-hagún, II-26, 4 ; III-3, 3 ; VI-8,39 ; xI-2, §1 - dib-ble and Anderson, xI, p. 20 – sautron, 463]

Tzanal ou tzanatl

Appelé aussi cassique ou oiseau-tisserand, cette espèce de grive ou d’étourneau (Cassidix Pa-lustris) est couverte d’un plumage bleu-noir sur tout le corps. Seules les ailes présentent une couleur vert sombre. L’oiseau est rencontré sur la côte du Golfe du Mexique et à l’intérieur des terres jusqu’à une altitude

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de 2400 m. On le trouve aussi sur la côte pacifique nord du Mexique depuis le Sonora jusqu’au Guerrero. Le tzanal était aussi recherché pour sa chair.[Irby davis, p. 188 (pl. 38-18 ?) – sahagún, xI-2, §6 - dibble and Anderson, xI, p. 50 - sautron, 452]

Xiuhquechol (Momotus Lessonii)Étymologie possible : « (Oiseau) turquoise (au) cou en mouvement » > xihu(itl)+quech(tli)+olli(n)Le motmot, de son nom courant, est un bel oiseau d’environ 40 cm du bec à la queue, couvert sur tout le corps de plumes vertes de teintes variées. La tête, le bord des ailes et le jabot présen-tent des taches de couleur bleu-clair et noires. L’espèce est répandue depuis le sud du Mexique (États de Vera-cruz, Chiapas et Yucatán) jusqu’au Panama. Sahagún le signala dans l’Anahuac. Il est aussi appelé turco ou encore pájaro-lobo.[durand-Forest, p. 63 – Irby davis, p 94 (pl.19-3) – sahagún, xI-2, §1 - dibble and Anderson, xI, p. 20 – sautron, 429, 452]

Alo (Ara macao) Il s’agit là du spectaculaire ara rouge, pro-bablement le plus célèbre des oiseaux du Nouveau Monde pour le succès qu’il connut en Europe dès la fin du XVe siècle. Appelé aussi macao écarlate ou Guaca-mayo, ou encore Papagayo, c’est le plus grand de tous les perroquets (81 cm du bec à la queue). L’espèce offre un plumage d’une grande ri-chesse où cinq couleurs au minimum sont réunies: corps et queue rouges, ailes rou-ges, jaunes, bleu-clair et bleu foncé. L’ara rouge vit dans les forêts humides et basses, en général en dessous de 900 m d’altitude (États mexicains du Veracruz, Chia-

pas, Campeche ; Amérique centrale ; on le retrouve jusqu’au Brésil et Bolivie). Sahagún notait que l’ani-mal pouvait être apprivoisé.[durand-Forest, p. 63 – Irby davis, p. 52 (pl. 7-1) – sahagún, xI-2, §2 - dibble and Anderson, xI, p. 23 – sautron, 463]

Cuitlatexotli Bien que cité à plusieurs reprises par Sahagún, cet oiseau n’est pourtant pas signalé dans son inven-taire ornithologique. Le cuitla-texotli est cependant identifié par les principaux traducteurs du franciscain (Seler, p. 432-433 ; Garibay, p. 83 ; Dibble et Anderson, IX-21, p. 94) sous le nom d’arara, oiseau bleu ou perroquet bleu. Il pourrait s’agir du macao bleu-jaune (Ara ararauna) reconnaissa-ble à son ventre jaune et à son corps couvert de trois variétés de plumes bleues. Cependant cette espèce ne semble pas fré-quenter l’Amérique centrale. L’Ara militaris de plumage vert et de plumes d’ailes et de queue bleues pourrait être aussi le cuitlatexotli. Plus montagnard que son cousin, il vit sur les plateaux du Mexique central, entre 800 et 2400 mètres d’altitude, mais ne dédaigne pas les basses-terres semi-arides. [Irby davis, p 52 (pl. 7-3 et 7-7) – sahagún, Ix-21]

Quiliton (Aratinga azteca) Il s’agit de la perruche aztèque. Les perruches, dont il existe plusieurs espèces au Mexique, appartiennent à la même famille que les aras. El-les sont cependant plus petites et presque uniformément ver-tes. La perruche aztèque atteint 20 cm du bec à la queue et vit dans le Mexique oriental, de-puis l’État du San Luis Potosí jusqu’au Quintana-Roo. Elle fréquente aussi la côte caraïbe de l’Amérique centrale jusqu’au Panama.[durand-Forest, p. 64 – Irby davis, p. 53 (pl. 7-14) – sahagún, xI-2, §2 - dibble and Anderson, xI, p. 23]

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Cocho ou cochohuitl (Amazona alfibrons) Les perroquets proprement dits sont aussi de la même famille que les aras. Plus proches de ces der-niers que les perruches, leur plumage est cependant généralement vert mais présente de belles taches de couleur sur la tête et les ailes. Le cochohuitl, appelé encore perroquet à front blanc, est un oiseau de taille moyenne (envi-ron 25 cm du bec à la queue), orné de deux bandes blanche et bleue sur la tête. Les yeux sont cerclés de rouge. Le bout des ailes présente du rouge et du bleu foncé. L’espèce vit sur la côte pacifique, depuis l’État du Sonora jusqu’au Chiapas. On le rencontre aussi sur la côte du Golfe du Mexique et jusqu’au Nicaragua. Si l’on en croit Saha-gún, cet oiseau était aussi recherché pour ses talents d’imitateur et de chanteur.[durand-Forest, p. 64 – Irby davis, p. 54 (pl. 8-18) – sahagún, Ix ad. III-32 et xI-2, §2 - dibble and Anderson, xI, p. 23 – sautron, 465]

Tlalacuetzali (Amazona viridigenalis)Étymologie possible : « (Oiseau) aux plumes couleur flamme » > tlecuetzalli : mot composé de « tle(tl « (feu) et de « cuetzalin » qui désigne précisément les plumes du Alo. Le perroquet à couron-ne rouge (ou à joues vertes) ou Papagayo montes est très pro-che de son cousin cochohuitl. Il en diffère néanmoins par les plumes rouges sur le crâne et une taille plus importante (28 cm du bec à la queue). L’espè-ce fréquente les forêts tempé-rées du nord-est du Mexique (États de Tamaulipas, Veracruz et San Luis Potosí).[durand-Forest, p. 64 – Irby davis, p. 55 (pl. 8-17) – sahagún, xI-2, §2 - dibble and Anderson, xI, p. 23 – sautron, 466]

Toztli (Amazona oratrix ou ochrocephala) Selon Sahagún, ce perroquet changerait de couleur avec l’âge : jeune et entièrement vert, appelé toznene, il deviendrait en vieillissant complètement jaune et porterait alors le nom de toztli. L’oiseau a été identifié comme perroquet à tête jaune ou Cotora

cabeza amarilla. Sa tête est couverte de plumes jaunes. Le reste du corps est traditionnellement vert, orné de taches de couleur rouge et bleu foncé sur les ailes. Le toztli est un peu plus gros que son cousin tlalacuetzali. Il vit aussi bien sur les hauts plateaux du Mexique (depuis les États de l’ouest : Colima, Guerrero, Oaxaca, jusqu’au Nuevo León) que dans les basses-terres du nord de l’Amérique centrale. Selon Sahagún, l’oiseau est originaire de la province de Cuextlan et peut être apprivoisé.[durand-Forest, p. 64 – Irby davis, p. 55 (pl. 8-21 ou 8-22) – sahagún, xI-2, §2 – dibble and Ander-son, xI, p. 23 - sautron, 429, 451, 452]

Chalchiutototl (Cyanerpes cyaneus)« Oiseau couleur jadéite » > chalchihu(it)+tototlLe Blue honeycreeper, ou Quitquit-saï (ou Guitguit ou Gigit), est un oiseau de la taille d’un moineau dont le mâle présente un plumage bleu-vert aux ailes noires et bleu foncé, d’où son nom nahuatl. L’espèce est rencontrée dans les forêts des basses-terres de la côte du Golfe, à une altitude in-férieure à 600 mètres (États de San Luis Potosí, Veracruz, Chia-pas), ainsi qu’au Yucatán et sur la côte pacifique du Chiapas.[durand-Forest, p. 64-65 – Irby davis, p. 207 (pl. 31-18) – sahagún, xI-2 §1 – dibble and Anderson, xI, p. 21 - sautron, 464]

Teoquechol ou teoquecholtototl ou tlauhquechol (Ajaja ou Ajaia ajaja)Étymologie possible : « Oiseau divin (au cou) en mou-vement » > teo(tl)+quech(tli)+olli(n) La spatule rosée d’Améri-que appartient à la famille des ibis. L’oiseau, qui peut atteindre 70 cm du bec à la queue, est caractérisé par son fameux bec aplati en spatule curviforme et un plumage blanc rosé. L’espèce semble assez lar-

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gement distribuée sur les basses-terres du continent américain, depuis les États-Unis jusqu’à l’Argentine.[durand-Forest, p. 63 – Irby davis, p. 13 – saha-gún, xI-2, §1 – dibble and Anderson, xI, p. 20 - sautron, 428, 451]

Quappachtototl ou cuappachtototl (Piaya cayana ou Piaya mexicana)Étymologie possible : « oiseau couleur fauve » > cuappach(tli)Appelé communément piaye du Mexique ou encore

vaquero, cette espèce, de la taille d’un pigeon est cou-verte d’un plumage ocre et brun qui contraste singu-lièrement avec les couleurs vives que nous avons vues jusqu’à présent. L’oiseau vit dans les basses-terres du Mexique oriental (États de Tamaulipas, San Luis Po-tosí), jusqu’au Chiapas et Quintana-Roo. On le ren-contre jusqu’en Argentine. [durand-Forest, p. 64 – Irby davis, p. 56 (et pl. 12-3) – sahagún, xI-2, §1 – dibble and Anderson, xI, p. 22 - sautron, 427, 447]

Aztatl ou teoaztatl (Leucophoyx thula, Egretta thu-la ?)L’aigrette blanche d’Améri-que est d’un plumage entiè-rement blanc. L’oiseau, d’une cinquantaine de cm du bec à la queue, vit dans les milieux aquatiques. Il semble assez répandu sur tout le continent américain, depuis le sud des États-Unis jusqu’en Argen-tine.[durand-Forest, p. 64 – Irby

davis, p. 11 – sahagún, II-33, 13 et xI-2, §3 – dib-ble and Anderson, xI, p. 28 - sautron, 425, 445]

Chamulin Bien qu’il ne soit pas décrit dans son inven-taire ornithologique, et donc demeure non identi-fié scientifiquement, cet oiseau est cependant cité à plusieurs reprises par Sahagún. Le chamolin, selon d’autres appellations, est un oiseau des basses-terres tropicales, couvert entièrement d’un plumage rouge sombre ; probablement un genre de grive.[sahagún Ix-1, 2 ad. III, 69 et Ix-21 – seler, p. 432 et 445]

Xochitenacal (Aulacorhynchus prasinus) Plusieurs espèces de Toucans ont été iden-tifiées au Mexique et en Amérique centrale et l’une d’elles, le Xochitenacal ou toucan émeraude est dé-crite dans l’inventaire ornithologique de Sahagún. Bien plus petit que le fameux toucan noir (environ 36 cm du bec à la queue), cet oiseau présente sur tout le corps un plumage vert som-bre de plusieurs teintes. La gorge est selon Sahagún d’un jaune éclatant. L’oiseau vit dans les forêts du sud-est du Mexique (États de San Luis Potosí, Chiapas) et on le rencontre jusqu’au Nicaragua. Selon Sahagún, l’oiseau vivait dans la province de Cuextlan et la région Totonaque. Bien qu’aucune plume de toucan ne soit jusqu’alors signalée en plumasserie mexicaine, il ne serait pas surprenant que l’oiseau ait joué un grand rôle en Méso-Amérique comme ce fut le cas en Ama-zonie. Il est d’ailleurs cité comme ave de pluma fina dans l’index de la traduction de Garibay.[denis, p 63 – Garibay, p 370 – Irby davis, p. 9797 (pl. 12-17) – sahagún, xI-2, §1 - dibble and An-derson, xI, p. 22]

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HuitzitziliLe vert colibri, le roi des collines,Voyant la rosée et le soleil clairLuire dans son nid tissé d’herbes fines,Comme un frais rayon s’échappe dans l’air.

Il se hâte et vole aux sources voisines,Où les bambous font le bruit de la mer ;Où l’açoka rouge aux odeurs divinesS’ouvre, et porte au cœur un humide éclair.

Vers la fleur dorée, il descend, se pose,Et boit tant d’amour dans la coupe rose,Qu’il meurt, ne sachant s’il l’a pu tarir.

Sur ta lèvre pure, ô ma bien-aimée,Telle aussi mon âme eût voulu mourir,Du premier baiser qui l’a parfumée ! Leconte de Lisle, 1862.

Parmi les bien curieux êtres vivants que l’Amérique a su produire, le colibri ou oiseau-mouche est l’un des plus surprenants. Nombreux ont été les chroniqueurs et voyageurs qui lui consacrèrent de lon-gues pages. Ainsi, le franciscain Mo-tolinia, l’un des premiers évangéli-sateurs de la Nou-velle-Espagne, dé-crivait-il l’oiseau en ces termes: « Je ne peux pas taire une chose certaine-ment merveilleuse que Dieu montre en un oiseau ré-pandu en Nouvelle-Espagne ; et bien qu’il soit petit, la nouveauté ne l’est pas et doit être citée. L’oiseau est appelé huicicilin... sa plume est précieuse, notam-ment celle de la poitrine et de la queue. Et bien qu’il y en ait peu et qu’elle soit fine, dans les œuvres d’or et de plumasserie que font les Indiens elle se pare de nombreuses couleurs : vue de face, elle paraît ocre ; à la lumière, elle devient orangée ; d’autres fois elle sera comme le feu. Cet oiseau, bien qu’il soit très pe-tit, a le bec long et fin, aussi long qu’une phalange... Il ne se nourrit pas de semences ni de mouches, mais

se gave seulement du miel et du suc des fleurs qu’il aspire avec son long bec. Ainsi il vole légèrement, de fleurs en fleurs sans s’appuyer sur elles... » (Motoli-nia, Memoriales II-23,752). Cette description relativement fidèle d’un des plus petits oiseaux du monde (les colibris mexicains n’excèdent que rarement les 10 cm du bec à la queue) montre un intérêt tout particulier pour le phénomène d’iridescence des couleurs. En effet, selon l’angle de vision, les couleurs de la plume changent et pren-nent des teintes métalliques et irisées qui donnent à l’oiseau l’aspect d’un joyau ou d’un miroir reflétant la lumière. Seuls les colibris, sur l’ensemble de leur plumage, présentent cet aspect qui leur fit attribuer des noms aussi poétiques que « colibri-turquoise », « colibri-flamme », etc. Malheureusement, cette qualité ne survit pas longtemps à la mort de l’animal. Les spectaculaires changements de couleurs en fonc-tion de la manière dont on se place devant l’œuvre de plumes, qu’ont pu admirer conquista-dors et missionnai-res puis les cours d’Europe au XVIe siècle, ne sont pres-que plus visibles aujourd’hui. Avant la Conquête, les Aztèques vénéraient cet oiseau ou du moins lui accordaient un rôle parti-culier : il était le nahual, le double de leur dieu tribal Huitzilopochtli « Colibri de la Gauche » (où, dans la cosmographie aztèque, se trouvait le sud sur lequel le dieu régnait). Mais le colibri était aussi l’âme des guerriers courageux morts au combat ou des victimes du sacrifice qui, après avoir accompagné le soleil dans sa course, redescendait chaque après-midi sur la terre butiner les fleurs en toute félicité. Plus de 110 espèces de colibris peuvent être comptées au Mexique et en Amérique centrale, dont à peu près la moitié fréquente la Méso-Amérique. De ce grand nombre, Sahagún n’a décrit dans son inven-taire ornithologique (Sahagún XI-2, 2) qu’une dou-

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zaine, probablement les espèces les plus fréquemment rencon-trées dans la vallée de Mexico où il vécut et rédigea son œuvre. Ce faible nombre est aus-si probablement dû au manque de connais-sances ornithologi-ques du franciscain. Plus surprenant en revanche, est que, de cette douzaine d’espè-ces, fort peu semblent avoir été utilisées dans les recettes de plumasserie. Il serait pourtant étonnant que l’art de la plume n’ait pas fait appel à toutes les possibilités que lui apportait la famille des trochilidés. Au bout du compte, quatre espèces de colibris « plu-massiers » sont notées par Sahagún (Sahagún, IX-21 ; Dibble and Anderson, p. 96).

Huitzilin ou huitzitzilinÉtymologie possible : « (Oiseau au bec en forme d’) épine (qui) résonne/ bourbonne (bruyamment) » > huitz(tli)+(tzi)tzilin(i) Il s’agit là du nom générique nahuatl de la famille des trochilidés, rassemblant les quelque 60 espèces connues au Mexique. Néanmoins, un « colibri ordi-naire ou commun » est signalé sous ce nom par les traducteurs de Sahagún et se trouve en première place dans l’inventaire ornithologique. Il semble donc re-présenter une ou plusieurs espèces semblables. Selon Sahagún, le uitzitzili est de couleur cendrée, brune. En fait, fort peu de colibris – qui en général offrent des couleurs variées et très vives – répondent à ce signale-ment ; à moins d’admettre que tous peuvent y préten-dre, puisque l’aspect cendré – en fait métallique – est la caractéristique majeure de l’oiseau. Bien qu’aucune identification scientifique de ce colibri commun n’ait été proposée, deux espèces présentant ce signalement existent dans l’inventaire: le telolohuitzili, de pluma-ge cendré et crayeux (non identifié) et le hecauitzili, cendré, noir (Phaeoptila sordida ou cyanolaemus cle-mencia).[Irby davis, p. 82 (non illustré) – sahagún xI-2, §2 – dibble and Anderson, xI, p. 24-25 - sautron, p. 427, 449]

Xiuhuitzilli (Calypte costae ?) Le colibri-turquoise, « bleu comme le cotin-ga, comme la turquoise fine », pourrait être le Costa Hummingbird (Calypte cos-tae) espèce ca-lifornienne et de la côte nord-pacifique du Mexique.[Irby davis, p. 85 (non illus-tré) – sahagún xI-2, §2 - dib-ble and Ander-son, xI, p. 24]

Quetzalhuilitzin (Selasphorus platycercus ?)« (Oiseau) vert-quetzal (au bec en forme d’)épi-ne (qui) résonne/ bourbonne (bruyamment) » > huitz(tli)+quetzal(li)+(tzi)tzilin(i)Le colibri vert, ou colibri précieux. La gorge et le haut des ailes sont d’un rouge vif. Il s’agit très cer-

tainement du Broad-Tailed Hummingbird (Selaspho-rus platycercus), répandu dans une grande partie du Mexique et du Guatemala.[Irby davis, p. 86 (non illustré) – sahagún xI-2, §2 - dibble and Anderson, p. 24 - sautron, 428, 450]

Tleuitzilin ou tleuitzili (Selasphorus Sasin) Le colibri-flam-me est le quatrième et dernier oiseau-mouche cité en plumasserie par Sahagún. Il s’agit très certainement d’une des plus belles espèces de la famille des Tro-

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chilidés, celle dont les plumes « ... miroitent comme la braise... » et fournissent les spectaculaires reflets d’irisation. Le Colibri-flamme est originaire de Cali-fornie et migre chaque hiver au Mexique, dans l’État de Guanajuato et dans la région de Mexico.[Irby davis, p. 87 (non illustré) – sahagún xI-2, §2 - dibble and Anderson, xI, p. 25]

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Bibliographie

DENIS Ferdinand, 1875 Arte Plumaria. Les plumes, leur valeur et leur emploi dans les arts au Mexique, au Pérou, au Brésil, dans les Indes et dans l’Océanie, Paris, Ernest Leroux.

DIBBLE Charles, ANDERSON Arthur. 1959 The Florentine Codex, General History of the things of New-Spain, Santa Fe, School of Ame-rican Research, Archaeological Institute of America.

DURAND-FOREST Jacqueline de. 1984 « Los artesanos mexicas », Revista Mexi-cana de Estudios Antropológicos, Sociedad Mexicana de Antropología, XXX, Mexico.

GARIBAY Angel Maria.

1969 Sahagún: Historia General de las Cosas de Nueva-España, Mexico, Porrúa.

GILONNE Michel, 1997 La civilisation aztèque et l’aigle royal : ethnologie et ornithologie, Paris, L’Harmattan.

GILONNE Michel, 1989 Aigle royal et oiseaux d’après les connaissances ornithologiques aztèques : tentatives d’approche ethno-ornithologiques, Lille 3 – EHESS : ANRT ; Sorbonne > TMC 89-1428 (Salle JAURES. Com. Magasin 5) > 2 Microfiches.

MAYNEZ Pilar, 1991 « La fauna mexicana en la obra de fray Bernadino de Sahagún », Estudios de Cultura Na-huatl, 21, p. 145-161.

IRBY DAVIS Louie, 1972 A Field guide to the Birds of Mexico and Central America, Austin and London, University of Texas Press.

MOTOLINIA (Toribio de Benavente), 1903 Memoriales, Mexico.

SAHAGÚN Fray Bernadino de, 1559-1570 Codex Florentino. Manuscrit 218-20 de la Bibliothèque Medicea Laurenziana, Florence (Essentiellement Livre IX, Ch. 18 à 21, et livre XI, ch. 2).

SAUTRON-CHOMPRÉ Marie 2004 Le chant lyrique en langue nahuatl des anciens Mexicains : la symbolique de la fleur et de l’oiseau, Paris, L’Harmattan.

SELER Eduard, 1892 « L’orfèvrerie des anciens Mexicains et leur art de travailler la pierre et de faire des ornements de plumes », Congrès International des Américanis-tes, VIIIe session, Paris.

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L’oiseau illustré ici est un xiuhquechol (Momotus Lessonii) cité par Sahagún parmi les oiseaux utilisés en plumasserie (Livre IX, 18-21). Une autre espèce proche avec laquelle on le confond parfois est le Momotus momota qui est signalé dans l’inventaire de Sahagún (D-A > XI-2, p. 21) sous les

noms de xiuhpalquechol et tziuhtli.1

1 Le terme tziuhtli apparaît cinq fois dans le codex de Florence. Dans trois cas Anderson et Dibble le traduisent par motmot (plumes de motmot : II, 92 ; 161 ; III, 45). Dans un cas (X, 61), le terme semble avoir été utilisé pour celui de xiuhtotol (cotinga bleu). Dans le L. XI, 21, Saha-gun décrit le xiuhpalquechol dont le nom est également tziuhtli, qu’An-derson et Dibble traduisent par « motmot aux sourcils couleur turquoise » (Eumomota, superciliosa). Page 20 du même livre, le xiuhquechol est dé-crit comme un oiseau aux plumes couleur vert herbe dont les ailes et la queue sont bleues et qui vit en Anahuac. Anderson et Dibble n’en donnent pas de traduction, mais indiquent en note de bas de page qu’il s’agirait de Momotus lessoni golmani d’après l’ouvrage de Rafael Martin del Campo sur l’interprétation des oiseaux du Livre XI. Il semble donc que le tziuhtli, le xiuhpalquechol et le xiuhquechol soient des oiseaux appartenant à une même espèce celles des momotidae, si bien qu’il ne serait pas incorrect d’assimiler le motmot autant au tziuhtli qu’au xiuhquechol. Il reste que la détermination précise des oiseaux de Sahagún reste conjecturale.

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LES « DOSSIERS DU GEMESO »[Téléchargeable en pdf : http://www.gemeso.com/nahuatl/dossiers/]

Déja parus

• « Les Dossiers du GEMESO » n° 1, octobre 2010

Titre : Xalaquia ou « l’entrée dans le sable ». Un rite énigmatique des vingtaines mexicaines

Auteur : Antoine Franconi

• « Les Dossiers du GEMESO » n° 2, mai 2012

Titre : In totol in amanteca - Les oiseaux de la plumasserie aztèque

Auteur : Pascal Mongne

A paraître

• « Les Dossiers du GEMESO » n° 3.

Titre : Huixtocihuatl et le sel dans le Codex de Florence.

Auteur : Antoine Franconi

*****GEMESO

EPHE - Ve sectionMai 2012

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