Rapport Expositions Ethnographiques Et Coloniales

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  • Rapport de la mission sur la mmoire des expositions ethnographiques et coloniales

    Novembre 2011

  • Rapport de la Mission sur la mmoire des expositions ethnographiques et coloniales

    SOMMAIRE Lettre de mission de madame la ministre charge de lOutre-mer madame Franoise Vergs, prsidente du CPMHE 1. Prsentation et droulement de la Mission 9 2. Rapport de la Mission et prconisations 13

    2.1. Inscrire dans lespace public les mmoires de la colonisation 15 2.2. Synthse et prconisations de la Mission sur la mmoire des expositions

    ethnographiques et coloniales 32 3. Annexes au Rapport de la Mission 37

    3.1. Prsentation des annexes au rapport sur la mmoire des expositions ethnographiques et coloniales 39

    3.2. Les auditions et les consultations de la Mission 41

    La polmique autour de la manifestation Un Jardin en Outre-mer Les personnalits auditionnes et consultes Les rsums des auditions Les rponses crites reues dans le cadre de la consultation Dplacement Aix-en-Provence autour des enjeux mmoriels dans la socit

    franaise La contribution de lAgence du Service Civique aux propositions de la Mission

    3.3. Elments historiques sur les expositions ethnographiques et coloniales 87

    Les exhibitions et spectacles ethnographiques Liste des expositions et spectacles ethnographiques en France (1877-1931)

    3.4. La question des expositions ethnographiques dans lespace public 97

    La place des expositions ethnographiques et coloniales dans lespace public Les archives disponibles sur les expositions ethnographiques et coloniales Notice bibliographique Les sources et les documents accessibles en ligne

    3.5. La question du traitement des restes humains lis la colonisation 119

    La question de la restitution de restes humains Le sort des Kalina morts Paris lors de leur exhibition au Jardin dacclimatation En 2002, une restitution emblmatique : Saartje BAARTMAN, Venus Hottentote La restitution des ttes tatoues maories des collections franaises De la restitution de la tte dATA

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    PRESENTATION ET DEROULEMENT DE LA MISSION

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    LA MISSION SUR LA MEMOIRE DES EXPOSITIONS ETHNOGRAPHIQUES ET COLONIALES

    Place sous la responsabilit de Franoise Vergs, prsidente du Comit pour la mmoire et lhistoire de lesclavage, la Mission sur la mmoire des expositions ethnographiques a t conduite, la suite de la lettre de madame la ministre charge de lOutre-mer du 7 avril 2011, en coopration avec le ministre de la culture et de la communication, et en lien avec la ville de Paris et le Jardin dacclimatation. La dlgation formant la mission tait compose de

    - Mme Franoise VERGES - M. Guy LAVAUD, membre du CPMHE - M. Frdric LAZORTHES, secrtaire gnral du CPMHE - Mme Laurella RINON, ministre de la culture, direction des patrimoines

    Dans ses travaux, elle a t assiste par Nicola SCHIEWECK tandis que le secrtariat de la mission a t assur par Caroline PAVIOT. Pour la Guyane, cette Mission a galement t aide par la ville de Saint-Laurent-du-Maroni (Guyane), son maire, Lon BERTRAND, et les quipes de la direction des affaires culturelles, et notamment Cline DELAVAL, qui, dans le cadre dune invitation pour la clbration de labolition de lesclavage en Guyane du 6 au 11 juin 2011, ont facilit les prises de contact avec des reprsentants amrindiens. Le prfet de Guyane, Denis LABB, et ses services ainsi que le directeur des affaires culturelles, Michel COLARDELLE, ont apport un concours prcieux. La Mission remercie le dput Christian KERT pour le dplacement organise le 12 septembre 2011 Aix-en-Provence dans les Bouches-du-Rhne. La Mission remercie enfin pour leur aide et leurs informations sur le plan historique et bibliographique : Catherine HODEIR, Pascal BLANCHARD et Grard COLLOMB, ainsi que Guillaume FONTANIEU.

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    CHRONOLOGIE DE LA MISSION jeudi 7 avril 2011 lettre de mission de Mme Marie-Luce PENCHARD, ministre charge de lOutre-mer, Franoise VERGS, prsidente du CPMHE lui confiant une mission sur la mmoire des spectacles ethnographiques ; du 5 au 12 juin dplacement en Guyane et rencontres avec des responsables Amrindiens et Bushinenge ; jeudi 9 juin dplacement Awala-Yalimapo (Guyane) rencontre avec Jean-Paul FEIRRERA ; samedi 11 juin entretien avec Denis LABB, prfet de la rgion Guyane ; samedi 11 juin rencontre avec Jean-Aubric CHARLES, coordinateur de la FOAG ; juin prparation des auditions et envois des documents pour les consultations ; 29-30 juin auditions de personnalits Paris, 27 rue Oudinot au ministre de lOutre-mer ; mercredi 13 juillet entretien avec Catherine MORIN-DESAILLY, snatrice de la Seine-Maritime, au Palais du Luxembourg, propos de la question de la restitution des restes humains ; mercredi 27 juillet rencontre avec Dominique BAUDIS, Dfenseur des droits ; mardi 30 aot runion avec Mathias VICHERAT, directeur de cabinet adjoint de M. Bertrand DELANO, maire de Paris ; mercredi 7 septembre rencontre avec Rozen MILIN, directrice de SOROSORO, dlgue gnrale pour la diversit au sein de la Fondation Chirac ; lundi 12 septembre dplacement de la mission Aix-en-Provence linvitation de Christian KERT, dput. Visite du Camp des Milles, changes avec les associations de rapatris et de Harkis, runion de travail aux Archives nationales de lOutre-mer, rencontre avec Marc PENA, prsident de lUniversit Aix-Marseille III ; mercredi 28 septembre rencontre avec Martin HIRSH, prsident de lAgence du Service Civique.

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    RAPPORT DE LA MISSION ET

    PRECONISATIONS

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    INSCRIRE DANS LESPACE PUBLIC LES MEMOIRES DE LA COLONISATION

    Franoise VERGES prsidente du CPMHE

    Madame Marie-Luce PENCHARD, ministre charge de lOutre-mer, a confi la prsidente du Comit pour la mmoire et lhistoire de lesclavage, Franoise VERGS, une mission de rflexion et de propositions concrtes autour dun travail mmoriel et historique consacr aux inacceptables expositions dtres humains, appeles aussi aujourdhui zoos humains qui ont pu se tenir, entre autres, dans notre pays . Du 8 avril 2011 au 8 mai 2011, dans le cadre de 2011 Anne des Outre-mer , le Jardin dacclimatation a accueilli une manifestation intitule Un Jardin en Outre-mer1. Face lmotion ou lincomprhension qua suscit le choix du site pour cette manifestation, la ministre charge de lOutre-mer a souhait que cette mission soit confie au CPMHE. La polmique est partie de Guyane. Le 1er mars 2011, Jean-Paul FERREIRA, maire dAwala-Yalimapo, a adress une lettre au ministre de la Culture et de la communication pour protester contre linstallation de carbets sur le site mme o, deux reprises, en 1882 et en 1892, des Amrindiens dorigine kalia, galement appels Galibis, furent exhibs et o eurent lieu, entre 1877 et 1931, une quarantaine de spectacles ethnographiques. En 1892, parmi la trentaine des jeunes gens Kalina amens de force de Guyane et du Surinam, des deux rives du Maroni, plusieurs tombrent malades en raison du froid et au moins trois moururent Paris, sans que leur dpouille ne fusse restitue leurs proches, interdisant la coutume de deuil traditionnelle. Quant ceux qui retrouvrent leurs villages, le souvenir de leur installation dans une galerie en bois, mal chauffe, installe dans le Jardin dacclimatation, pour tre montrs au public parisien, resta douloureux et leur tmoignage sest transmis comme une blessure toujours vive. Si, en 2011, tous les responsables amrindiens et Kalina ne se sont pas prononcs pour le boycott dUn Jardin en Outre-mer, tous ont exprim un malaise concernant leur place dans la socit guyanaise et franaise actuelle, cette manifestation ayant fait ressurgir le sentiment que leur histoire et leur culture restaient ngliges. Par la suite, des parlementaires, au premier rang desquels les dputs de Guyane Chantal BERTHELOT et Christiane TAUBIRA, ainsi que des historiens lont relay au niveau national2. En outre, bien quaucune protestation ne soit officiellement venue de Nouvelle-Caldonie, rappelons que la dernire exhibition de ce type en France, qui eut lieu au Jardin dacclimatation en 1931, en marge et lcart de la grande exposition coloniale, mit en scne, des fins commerciales, des Kanaks prsents comme des cannibales pour faire sensation. Parmi eux, le grand pre de Christian KAREMBEU, voqu avec pudeur dans un ouvrage autobiographique paru en fvrier 20113. Pour sa part, lartiste Sylvette KALOE, dont le pre qui fut un des exhibs de 1931, a choisi de participer en avril 2011 la manifestation Un Jardin en Outre-mer, dans un lieu charg de souvenirs

    1 http://www.2011-annee-des-Outre-mer.gouv.fr/themes/evenements-pluridiciplinaires/54/un-jardin-en-Outre-mer.html 2 Voir en annexe la chronologie de la polmique 3 Anne PITTOISET et Claudine WERY avec Christian KAREMBEU, Kanak, Paris, Don Quichotte ditions, 2011

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    pnibles afin de se le rapproprier4. Son pre, Marius KALOE, rest en France aprs 1931, perdit la vie accidentellement en 1944 Bordeaux avant dtre inhum Talence. Le 19 juin dernier, Sylvette KALOE dcidait de rendre la terre de ses anctres et sa tribu dorigine le corps de son pre. Cest ainsi, quen 2011, 80 ans aprs la dernire exhibition ethnographique, Marius KALOE a fait son retour parmi les siens, Nathalo, sur lle de Lifou.5 Attentive au souhait des descendants de tous ceux qui furent exhibs dhonorer la mmoire de leurs anctres et de faire connatre la vitalit de leur culture aujourdhui , la Ministre charge de lOutre-mer rappelle, dans sa lettre de mission, que la Rpublique a pour devoir de reconnatre ces mmoires et cette histoire, de leur donner leur juste place dans lHistoire de la France, sans aucunement occulter le pass et instruire de procs. . Lobjet de cette mission sur la mmoire des expositions ethnographiques et coloniales ntait pas tant de revenir sur une manifestation organise dans le cadre de 2011 Anne des Outre-mer mais dinterroger les raisons pour lesquelles cette part de notre histoire ressurgit de manire rcurrente sous forme de traumatisme, de blessure, de sentiment de dommages non rpars, par-del loubli des uns, lindiffrence des autres, et en dpit des gestes symboliques dj faits, comme la crmonie depekotone organise afin de lever le deuil par une dlgation amrindienne de Guyane au Parc floral en 1996 en prsence dun chaman dAwala. Nous devions dabord comprendre pourquoi, plus de 80 ans aprs ces vnements, cette mmoire reste aussi douloureuse, pourquoi ce pass ne passe toujours pas . Toutefois, lenjeu vritable, cest le prsent et notre avenir, la condition des Amrindiens dans la Guyane et dans la France daujourdhui, celle Kanaks en Nouvelle-Caldonie, et plus largement des Outre-mer et les ultramarins dans la France actuelle. Lobjectif, cest une socit franaise non pas tourne vers le pass mais faisant pleinement face elle-mme pour rpondre aux dfis du monde actuel. Les questions mmorielles, devenues identitaires, travaillent la socit franaise. Ce sont des faits sociaux, difficiles aborder sans doute, mais auxquels il est essentiel dapporter des rponses constructives pour le vivre-ensemble. Restent trouver les outils pour donner chacun les cls pour apprhender la complexit des situations et dcoloniser enfin les imaginaires. Cest la raison pour laquelle nous avons choisi de mener des consultations larges, allant au-del des personnes directement engages dans la controverse, auprs de chercheurs, de responsables politiques, de personnalits, en vue de faire des propositions concrtes susceptibles de sinscrire dans la dure et de faire sens. Partant de ces changes, nous avons estim indispensable dinscrire ce rapport dans la rflexion plus ample sur linscription des mmoires coloniales dans la France contemporaine. La premire partie du rapport prsente lobjet et la conduite de cette mission, en rappelant le contexte des spectacles ethnographiques et en prsentant le droulement de nos travaux. La deuxime partie propose une rflexion sur la question de linscription des mmoires coloniales dans lespace public dans la France contemporaine. Les prconisations concrtes et les pistes explorer qui rpondent la demande de la ministre de dcliner quelques actions fortes et symboliques soulignant lengagement de la Rpublique dans linscription de cette histoire et pour lapaisement des mmoires sont rcapitules et prsentes au terme de ce rapport.

    4 Tmoignage recueilli par Guillaume FONTANIEU pour son mmoire de mastre, Le respect des mmoires retisses par une approche dynamique des objets et restes humains conservs dans des institutions publiques, Mmoire, M2 R. Anthropologie du droit, Univ. Paris 1, 2011.

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    Enfin, en complment de ce rapport, nous avons souhait que soit mis disposition du public le rsum de nos auditons et consultations, des lments factuels sur lhistoire de ces ethno-shows , des indications sur les sources disponibles et ltat de la recherche ainsi des lments sur une question pose la France par le sort des Amrindiens dcds Paris en 1892, celle de la restitution des restes humains.

    1. PRESENTATION ET DEROULEMENT DE LA MISSION

    a. Les expositions ethnographiques et leur juste place dans lhistoire de la France et de lOccident

    Rappelons brivement les faits. Entre 1877 et 1931 la France est le thtre dune quarantaine de spectacles ou de mises en scnes ethnographiques, organiss le plus souvent au Jardin dacclimatation de Paris, mais galement dans dautres lieux de la capitale ou en province, notamment avec la prsence de villages ngres dans le cadre ou en marge des grandes expositions universelles. Au tournant du XXe sicle, le phnomne des zoos humains , pour reprendre une terminologie contemporaine, ne concernaient pas seulement la France. Des mises en scne de collections dtres humains se rencontraient un peu partout dans lEurope en pleine expansion coloniale, mais galement aux Etats-Unis, notamment avec la cration du muse Amricain de Phileas Taylor BARNUM en 1841, ou au Japon lors dexpositions industrielles dans lesquelles lexhibition dindignes coloniss devint habituelle. En Europe, o ds 1784 une troupe dAfricains fut installe prs de Francfort afin den observer les murs et la morphologie, cest un entrepreneur allemand, Carl HAGENBCK (1844-1913) que revint linitiative des spectacles ethnographiques destins au grand public. En 1874, ce directeur de cirque et revendeur danimaux sauvages inventa Hambourg la formule des villages exotiques . Le succs fut tel que le modle sexporta et fut imit dans toute lEurope. Entre 1874 et 1934, plus de 30 000 personnes furent exhibes, dplaces dune ville une autre, dun pays un autre. Ces ethno-shows dans lesquels des hommes, des femmes et des enfants taient rassembls en de vritables troupes exotiques pour jouer ou mimer des scnes de leur vie quotidienne dans des dcors factices taient des entreprises commerciales autour desquelles slaboraient tout un discours mlant strotypes, curiosit pour lexotisme et discours scientifique. Le propritaire du Jardin zoologique dacclimatation, Albert GEOFFROY DE SAINT HILAIRE, soucieux de relancer une entreprise commerciale en perte de vitesse fit affaire avec Carl HAGENBCK pour lancer en France les premiers spectacles ethnographiques. Ds 1877, il en organisa deux, exposant des Nubiens et des Eskimos . Comme ces exhibitions remportrent un rel succs, elles furent renouveles presque chaque anne entre 1877 et 1910, puis de manire plus irrgulire ensuite jusquen 1931. Elles taient soit importes toutes faites, achetes la filire Hagenbck comme les deux premires en 1877, soit montes de toute pice. En 1931, la dernire exhibition propose au Jardin zoologique dacclimatation concerna une centaine de Kanaks recruts sur fonds privs en Nouvelle-Caldonie, avec la promesse de participer la vritable exposition coloniale. Dans les faits, ils se retrouvrent honteusement mis en scne comme des sauvages polygames et cannibales afin dattirer le public parisien dj prpar par un documentaire mensonger intitul Les Mangeurs dhomme. Plus de 70 dentre eux furent mme prts HAGENBCK pour le zoo de Hambourg. Ce fut la protestation des Kanaks qui incita le gouvernement agir. La belle image de la France coloniale tant ternie, Blaise DIAGNE, alors sous-secrtaire dEtat aux colonies, mit en demeure les organisateurs de tenir leurs engagements, puis finit

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    par exiger le rapatriement des Kanaks en novembre 1931, avant de signer une circulaire interdisant ce type dexhibitions humaines6. Notons que si la socit franaise, dans son ensemble, adhrait ce genre de spectacles, la Rpublique officielle ne les organisa pas directement. Les autorits officielles les tolraient et ces exhibitions ethnographiques taient organises, au gr de concessions faites des entrepreneurs privs, soit sur le site des expositions universelles et coloniales, soit en marge, comme au Jardin dacclimatation de Paris. Les historiens soulignent les diffrences entre les types dethno-shows, des plus srieux aux plus divertissants, parfois avec de vritables troupes de comdiens, des plus vulgarisateurs dans une vise ethnographique aux plus vulgaires et racoleurs. Au fil du temps, les troupes se professionnalisrent tandis que les scientifiques se dmarqurent de ces mises en scne pour le public. Au fil du temps, enfin, des protestations mergrent. Ainsi, en 1931, face au traitement dgradant des Kanaks, en France et en Allemagne, des colons prirent leur dfense, linstar du journaliste dextrme droite Alin LAUBREAUX au nom dune solidarit no-caldonienne, mais aussi des savants comme le pasteur missionnaire Maurice LEENHARDT devenu lun des grands ethnologues des cultures mlansiennes. Lobjet de ce rapport nest pas de relater cette histoire dans ses dtails et sa complexit. Considrons toutefois attentivement ce que nous apprennent ces exhibitions dtres humains, leur signification, leur place dans notre histoire. Lhistoire des expositions ethnographiques sinscrit dans la longue histoire du rapport de lEurope lAutre, elle-mme indissociable de lhistoire de lexpansion coloniale. Le contact nest jamais neutre, il mle curiosit, fascination, rpulsion, dsir dassimiler, de juger, de hirarchiser ou simplement de connatre. Dans Nous et les autres. Tzvetan TODOROV revient sur ce que cette rencontre provoque chez les grands esprits franais du XVIe au XIXe sicle, confronts aux bouleversements produits par la dcouverte de ces mondes extra-europens. Les premires rencontres produisirent des chocs esthtiques et culturels7. Pour MONTAIGNE, chacun appelle barbarie ce qui nest pas dans ses coutumes, de mme que, en vrit, nous navons pas dautre point de mire pour la vrit et la raison que lexemple et limage des opinions et des usages du pays o nous sommes . Ds lors, la question qui se pose lOccident est de parvenir faire de cette rencontre asymtrique un espace quitable ? Cette rencontre asymtrique fut au cur de lorganisation des expositions ethnographiques, largement relaye par le discours savant et les autorits coloniales. Certes des destins singuliers chapprent cette logique, les individus ntant pas dnus de toute autonomie. Toutefois la logique commerciale et lasymtrie qui dominent dans cette rencontre sont les lments majeurs. Linattendu est le propre de toute rencontre humaine mais dans les situations asymtriques o lune des deux parties est en condition de dpendance, le convenu et le prescrit simposent. Le cas de Saartje BAARTMAN, appele Vnus Hottentote pour les besoins du spectacle, montre quel point cette question de lautonomie de la personne est complexe. La forme du contrat -beaucoup dexhibs, comme les Kanaks en 1931, avaient sign des contrats avec les producteurs dexhibitions- ne garantissait pas un rapport quitable. Ne prvoyant aucun recours, le contrat relevait de la fiction ds lors que les deux parties ne se trouvaient pas au dpart en situation dgalit. Les exhibitions provoqurent deux attitudes, dune part une logique marchande qui tira profit denfants, de femmes et dhommes favorisant lobjectification de lautre par le regard, et, dautre part, une curiosit pour laltrit, la conscience dune pluralit de formes culturelles. Elles mirent en scne

    6 Voir ce sujet les travaux de Jol DAUPHIN, notamment Canaques de la Nouvelle-Caldonie Paris, LHarmattan, 1998

    7 Tzvetan TODOROV, Nous et les autres. La rflexion franaise sur la diversit humaine, Seuil, collection Points Essais , 2002 [1re dition, 1989].

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    la relation entre deux humanits, celle des populations du Sud inscrites dans le monde de la nature et celle de lOccident dans lunivers de la culture. Cest cette frontire invisible et mentale qui a marqu les relations au sein de lespace colonial et qui continue produire ses effets dans le prsent, avec la persistance de strotypes ethniciss et de processus discriminatoires. Dans son action coloniale, la France stait donne la mission de civiliser les peuples, elle avait multipli les gestes et les actions pour crer ladhsion la plus large cette politique, dans le mme temps elle fut une des nations qui exhiba le plus, dans les expositions coloniales, lors des expositions universelles, travers les villages itinrants, les thtres, les zoos, les foires ou les cirques, cet Autre colonis, infrioris par toute une srie de dispositifs. La Rpublique franaise, au plus fort de la justification et de la glorification de lexpansion coloniale, a fini par interdire une forme de spectacle dgradante, de plus en conteste. Le devoir de la Rpublique, aujourdhui, cest de reconnatre ces mmoires et cette histoire . Nous envisageons cette exigence civique au moyen de mdiations destination du grand public pour reconnatre ces mmoires et faire connatre cette histoire : il sagit dlaborer un espace public qui leur accorde une juste place . Pour cela, il convient douvrir les archives, den faciliter laccs, de collecter les tmoignages quand ils sont disponibles, bref de faire tout un travail de remmoration citoyenne. En 2009, les tats gnraux des Outre-mer lont une fois encore montr : il y a, chez les ultramarins, une demande de rappropriation de leur histoire et de leur culture pour mieux vivre leur citoyennet. La cohsion sociale est un tout : elle lie le monde social et conomique et la culture. Dans la lettre de mission, la ministre charge de lOutre-mer voque la juste place que devraient occuper les exhibitions ethnographiques dans lapprciation de notre histoire. Pouvions-nous alors parler de ces exhibitions sans tenir compte de leur contexte culturel, scientifique, social et gopolitique ? Isoler de tels spectacles de leur environnement serait inconsquent. Ces exhibitions nous paraissent aujourdhui rprhensibles. Elles nous apparaissent comme une violation de la dignit humaine. Cependant il faut considrer et comprendre les dispositifs qui les ont rendues possibles et mme lgitimes, pour ne pas en rester une condamnation morale laissant de ct lexigence dune ducation citoyenne pour notre temps. Ce quil nous faut comprendre cest comment des femmes, des enfants et des hommes ont t exposs au regard curieux des spectateurs pour satisfaire une srie de sentiments complexes et ambigus - le got du spectacle, le renforcement dune supriorit raciale, la curiosit, la fascination, le dgot Ces Autres, mis en scne dans des tableaux vivants pour donner voir aux spectateurs une altrit mise distance, la fois trange et familire, sont-ils des semblables ? Qui est humain et qui est inhumain ? Qui est civilis et qui est barbare ? Pour Tzvetan TODOROV le glissement de la xnophilie , ou got pour lAutre, la xnophobie , ou rejet de lAutre, est invitable ds lors que lautre nest pas considr comme un tre humain part entire mais comme un objet de dsir ou de mpris . Pouvons-nous nous dire pleinement trangers ces productions culturelles dhier ? En faisant leffort de comprendre pourquoi cela a eu lieu, comment le consentement cette mise en scne dune hirarchie des cultures se fabriqua, les spectateurs de ces exhibitions deviennent nos semblables et nous sommes invits rflchir nos propres aveuglements. Le dfi nest pas de juger a posteriori la tension entre diversit et unit humaine que provoque tout contact avec laltrit mais de faire en sorte, qu lavenir, elle se produise de la manire la moins asymtrique et la plus quitable possible.

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    b. Le droulement de la mission (avril - septembre 2011)

    Comment valuer la juste place trouver dans lhistoire de la France, sans aucunement occulter le pass et instruire de procs ? Comment aborder les exhibitions ethnographiques sans verser dans le jugement rtrospectif ou lanathme ? Faut-il en tirer des leons et lesquelles ? Ces questions ont t tout naturellement abordes par tous les lus, les personnalits et les chercheurs que nous avons auditionns et consults. Demble, le choix a t fait de lancer une consultation assez large pour recueillir la parole de tous les protagonistes impliqus de fait dans la polmique la suite de la programmation de la manifestation Un Jardin en Outre-mer, y compris la direction du Jardin dacclimatation et la Ville de Paris, mais galement pour interroger des personnalits susceptibles dapporter cette polmique et aux questions quelle soulve un regard diffrent. Dans un premier temps, au cours dun dplacement en Guyane du 4 au 12 juin 2011, nous avons rencontr des responsables amrindiens Kalina qui ont pris des positions divergentes sur la question de leur participation la manifestation Un Jardin en Outre-mer. Nous avons galement sollicit des lus de Guyane, comme les dputs Chantal BERTHELOT et Christiane TAUBIRA, et le prsident du conseil rgional, Rodolphe ALEXANDRE. Ensuite, dans un deuxime temps, nous avons adress un questionnaire commun, sous une forme dveloppe et dans sa version rduite, un ensemble de personnalits dont certaines ont pu tre auditionnes les 29 et 30 juin 2011, tandis que dautres ont choisi de nous rpondre par crit. Nous avons souhait recueillir leurs propositions et prconisations concrtes. Dans un troisime temps, nous avons engag des consultations cibles pour laborer nos prconisations, comme par exemple loccasion dun entretien avec la snatrice Catherine MORIN-DESAILLY, dune rencontre avec Dominique BAUDIS, le Dfenseur des droits, et dune runion avec Martin HIRSCH, le prsident de lAgence du Service Civique. Enfin, dans le cadre dun dplacement Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhne) le lundi 12 septembre 2011 linvitation du dput Christian KERT, nous avons abord toutes les problmatiques mmorielles propres cette rgion, loccasion dune visite du Camp des Mille puis dune rencontre avec les associations de rapatris dAfrique du Nord et de harkis, dun change avec Marc PENA, prsident de lUniversit Aix-Marseille III Paul-Czanne et dune rencontre avec Martine CORNDE directrice des Archives nationales dOutre-mer.

    c. Le pass colonial comme matrice occulte dune communaut de destin

    Au terme de nos rencontres, nous avons t frapps de constater quel point, en France, aujourdhui, plusieurs catgories de la population emploient des mots semblables pour exprimer le sentiment que la socit continue de les ignorer. Ils sont en qute de leur juste place dans la conscience collective de la France, dans un rcit partag de son histoire, et plus largement dans lhistoire du monde. Ce quexpriment les porte-parole de ces communauts, aussi bien les personnalits amrindiennes et Kanaks qui se sont mues de la manifestation Un Jardin dOutre-mer, que, sur un autre registre, les reprsentants des rapatris dAfrique-du-Nord ou les harkis que nous avons rencontrs Aix-en-Provence, fait cho ce quexpriment et ressentent des descendants desclaves. Sans confondre les

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    destins et les histoires, une question sest impose nous : que nous apprend ces points de vue parallles ? Comment sortir dun sentiment de relgation historique pour sinscrire dans une citoyennet commune ? La cause effective de cette communaut daffects est lhistoire de la colonisation. De cette longue histoire sont ns des images, des ides, des perceptions, des discriminations, des changes, des rencontres, des conflits qui ont tiss un rseau de significations travers lesquelles des groupes peuvent sidentifier. Il faudrait donc, tout en travaillant au respect de la singularit de chaque groupe et de chaque communaut, reconnatre dabord cette communaut cre par lHistoire qui a nou entre des socits issues de la colonisation et la socit franaise des liens complexes, ambigus et multiples. Ce qui sest progressivement dgag, et ce constat sest ajout celui que nous faisons depuis plusieurs annes lors de rencontres autour des mmoires de lesclavage, cest que la France est confronte la ncessit dun tournant culturel et politique, dun indispensable changement de mthode, face la demande pressante de groupes et dindividus dont lhistoire est lie de manire complexe celle de la colonisation et de ses hritages de la priode pr-esclavagiste la priode post-coloniale, de lhistoire des descendants desclaves, celle des de colons, des suppltifs de larme franaise, ou des migrants... Ce tournant concerne la manire dont lhistoire de la France est raconte, la manire dont la France lit ses archives, ou valorise ses patrimoines. Il ne sagit plus, nous disent ces groupes, de combler des manques mais bien de changer de mthodologie, de dplacer le regard, afin de redfinir les contours dune communaut de destin effective o chacun, chaque groupe, trouverait sa juste place . Cette question de la juste place dans lHistoire est une des nouvelles expressions de la question de la justice dans notre Rpublique. Comment faire justice et donc quelle place accorder des mmoires qui se peroivent comme minores et marginalises ? Il faut dabord valuer des dommages, reprer ce qui a t mal dit ou oubli, sonder les archives et ensuite mettre ensemble toutes ces mmoires, montrer comment elles simbriquent, signorent, se rpondent pour finir par construire un rcit que tous pourront partager. Cet objectif est important car nous lavons souvent constat, ce qui reste difficile, cest de sapproprier lespace public dans lequel peuvent sinscrire toutes ces mmoires leur juste place . Il faudra couter, ngocier, le processus peut tre long, ritualis, la manire des mthodes kanakes de rconciliation. Il y a aujourdhui dans la Rpublique, des outils mthodologiques qui crent lespace dune citoyennet lcoute de tous. Toute douleur est unique, mais il faut aussi savoir entendre celle de lautre, lui faire une place. Il faut choisir le dialogue pour viter les deux extrmes que sont le monologue et la guerre.

    d. Des prconisations concrtes inscrites dans une rflexion densemble pour retisser un lien civique

    Cette mission sur les expositions ethnographiques et coloniales nous conduit interroger des temporalits et des espaces multiples dans lesquels sinscrit cette histoire. Plusieurs temporalits se superposent : celles des exhibitions ethnographiques et de leur contexte culturel, social et gopolitique, celles des empires coloniaux europens et celles daujourdhui o le pass est nouveau explor partir de problmatiques contemporaines. Plusieurs espaces sont concerns : celui du Jardin dacclimatation et de la ville de Paris o nombre dexhibitions ethnographiques eurent lieu, mais aussi celui des autres villes de France o eurent lieu

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    de telles exhibitions, celui de la France et de ses colonies do venaient les exhibs, celui du monde car les personnes mises en spectacle furent amenes de toute part. Ces temporalits et ces espaces simbriquent leur tour dans des temporalits et des espaces remodels: celui de la France et de lEurope daujourdhui dans un monde globalis o les ides, les images et les reprsentations circulent et o se dessinent de nouvelles routes dchange, de rencontres et de nouveaux conflits, lre des rseaux sociaux et de lInternet. Ces embotements et ces croisements nous ont pos une question de mthode laquelle nous avons essay de rpondre dans le cadre limit de cette mission. Cest en raison de cet enchevtrement de temporalits et despaces que nous ne pouvions pas nous en tenir des prconisations dactions portant sur le seul lieu de la polmique, savoir le Jardin dacclimatation, ni mme la seule mmoire des spectacles ethnographiques. Le faire et t se drober la question pose par la ministre charge de lOutre-mer. Nous avons donc fait le choix darticuler des prconisations concrtes, du niveau local lensemble de la France, des orientations plus larges pour prendre en compte les besoins des individus et des groupes dans leur environnement singulier tout en interrogeant les moyens dlaborer du commun partir, et au-del, de mmoires spares et dappartenances clives par la souffrance. La rponse ponctuelle, traitant au coup par coup, ici et l, chaque revendication mmorielle, comme la socit franaise le fait depuis des dcennies, a atteint ses limites. Le sentiment doccultation ne sestompe pas ; la difficult vivre ensemble saccrot. Lensemble de nos prconisations sont rcapitules et prsentes en conclusion de ce rapport. Dabord, il sagit de marquer le sol o eurent lieu le plus grand nombre de ces exhibitions, dune manire forte et symbolique, en lien avec les traditions de ceux qui furent exhibs et mis en scne au Jardin dacclimatation. Ensuite, il convient daller au-del de ce geste mmoriel, pour inscrire les traces de cette histoire et de son contexte, dans les patrimoines, sur lensemble du territoire, et par la prise en compte de la parole et des singularits des groupes humains concerns, pour une restitution pleine et entire de leur place dans la ralit complexe de lhistoire de France, pour leur inscription effective dans une communaut civique. Le temps est donc venu pour la France de changer de perspective et dapproche quant son histoire et quant sa composition relle.

    2. INSCRIRE DANS LESPACE PUBLIC LES MEMOIRES DE LA COLONISATION

    a. Les auditions et consultations menes dans le cadre de notre mission font apparatre un consensus sur la ncessit de mieux inscrire la mmoire des expositions ethnographiques dans lespace public et, plus gnralement, sur limportance dune meilleure connaissance et prise en compte de lhistoire coloniale

    Partant de points de vue diffrents, tous ceux que nous avons auditionns, et en premier lieu les lus et responsables politiques, conviennent de la ncessit de mieux inscrire lhistoire des expositions ethnographiques, des expositions coloniales, des Outre-mer et de la colonisation et de leurs consquences dans le rcit national.

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    Lensemble des auditions et consultations que nous avons conduites fait ainsi apparatre un consensus sur le souhait que lhistoire des expositions ethnographiques soit connue de tous, mme si les formes adquates de mdiation destination du grand public restent crer. Et la plupart des personnes auditionnes signalent la ncessit dlargir le regard la longue dure de lhistoire coloniale de la France, et de lEurope, et de sortir de la segmentation et de lenfermement des mmoires qui en dcoulent. Ecoutons-les. Premier point daccord : la connaissance des expositions ethnographiques, un devoir de mmoire. Pour la dpute de Guyane Chantal BERTHELOT, il faut tout simplement, inscrire cette histoire dans lhistoire de la France ni plus, ni moins , et que lEtat soit capable de nous confronter cette histoire dont les citoyens subissent les ombres 8. Pascale BOISTARD, adjoint au maire de Paris, en charge des trangers non communautaires, estime que cette histoire a laiss des blessures que certains ont du mal voquer et a dplor que les scolaires ne connaissent pas cette histoire . De son ct, le dput des Bouches-du-Rhne, Christian KERT souligne combien il faut tre prudent sur les programmes que nous laborons, sur les lieux que nous choisissons, le Jardin dacclimatation en est un exemple, sur les mots que nous utilisons et puis sur les rapports entre lhistoire et la ou les mmoires. Il constate que cette histoire de notre pays demeure si ce nest inconnue au moins incomprise alors quil est essentiel que nous fassions bien comprendre ce qui sest pass . De manire plus gnrale, Hamou BOUAKKAZ, adjoint au maire de Paris charg de la dmocratie locale et de la vie associative, estime que : la France doit rinventer son modle universel, car il est en panne. On ne pourra pas le faire tant quon ne donnera pas de signes tangibles de reconnaissance de toutes les mmoires . Tous saccordent sur limportance de programmes ducatifs tourns vers les scolaires mais aussi le grand public. Lobjectif est de faire partager ces mmoires et cette histoire tous les citoyens. Claudy SIAR, dlgu interministriel pour lgalit des chances des Franais dOutre-mer, partage cette analyse et cet objectif : cest une histoire qui nous concerne tous et qui demande une dmarche denseignement pour tous . Pour atteindre ce but, il faut instituer une galit de traitement de ces pans de lhistoire de France, cette galit doit sappliquer des pisodes occults. Il faut que lensemble du pays se repense, il faut que lEducation nationale travaille autrement. Lhistoire a t crite par les vainqueurs et ceux qui ont oubli les dsastres causs sur des peuples qui aujourdhui sont franais. Deuxime lment de consensus, linsistance sur la prise en compte du legs de lhistoire coloniale dans son ensemble. Tout en prcisant que les exhibitions ethnographiques ne se rduisent pas au Jardin dacclimatation et [que] le Jardin dacclimatation ne se rduit pas aux exhibitions ethnographiques son directeur Marc-Antoine JAMET juge plus intressant de sinterroger sur le fait colonial, lexpansion coloniale, les expositions coloniales, la politique coloniale de la France .. Etre confront au pass, cest comprendre le prsent et se projeter dans le futur rappelle Lilian THURAM, auditionn au titre de la Fondation Thuram contre le racisme : on a toujours tendance segmenter les choses , dplore-t-il, alors que parler des zoos humains, cest aussi parler de la

    8 Les citations sont extraites du verbatim des auditions. Elles sont parfois remises en forme de manire plus synthtique dans les rsums des auditions prsents en annexe de ce rapport.

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    classification des races. On ne peut pas comprendre sans expliquer le contexte idologique et politique de lpoque. Doudou DIENE, fondateur du programme La Route de lEsclave de lUNESCO, juge qu on ne peut pas traiter des exhibitions dites ethnographiques sans largir le spectre et sinterroger sur les autres manifestations et expressions du paradigme racial comme sur les images et reprsentations de laltrit qui sont au cur de la construction identitaire franaise. Troisime constat partag au terme des consultations : la visibilit nouvelle donne cette histoire et aux lieux qui lont porte suppose une prise en compte de la parole et des attentes des groupes concerns. Evoquant la mise en scne de Kanaks en 1931 au Jardin dacclimatation, Emmanuel KASARHROU, directeur de lADCK-Centre Tjibaou, rappelle que les lieux, mme si on les rinvestit aujourdhui, portent une mmoire. Cette mmoire mrite dtre connue par les contemporains. , or ce travail de mmoire ne peut se faire sans impliquer les diffrentes populations qui en sont les hritires . Les chercheurs auditionns et consults sentendent galement sur le fait que cette histoire doit non seulement tre mieux enseigne mais mieux partage. Comme le rappelle Gilles BOETSCH, anthropologue et ancien prsident du conseil scientifique du CNRS, tout un champ de recherches souvre avec ces questions. Pour lanthropologue amricaniste Simone DREYFUS-GAMELON, directrice d'tudes l'Ecole des hautes tudes en sciences sociales et prsidente du GITPA-France (Groupe de travail pour les populations autochtones), le plus important est de donner la parole aux reprsentants des Amrindiens de Guyane franaise et de leurs associations au cours des manifestations . Elle signale quel point le pass rsonne dans le prsent. Ainsi, connatre l'histoire de la disparition des habitants amrindiens des Antilles franaises en moins d'un sicle (XVIIme et XVIIIme sicles) pose la question du statut actuel de ces populations et soulve dune manire crue le problme du mercure toujours utilis dans l'orpaillage et qui ravage les populations amrindiennes . Il est frappant de constater quen dpit de leur divergence sur la participation lopration Un Jardin en Outre-mer , les responsables amrindiens que nous avons rencontrs portent des revendications semblables. Pour Jean-Aubric CHARLES, coordinateur de la Fdration des organisations amrindiennes de Guyane (FOAG), partisan de la prsence ces manifestations du Jardin dacclimatation, lessentiel, au-del de cette controverse, cest la condition des Kalina et des Amrindiens : L'apport des autochtones n'est pas suffisamment mis en valeur dans l'histoire de la Guyane. Les premiers occupants sont ceux qui ont le moins de droits concernant lducation, lemploi et ladministration. Nous subissons une agression permanente notamment dans les mdias. Minoritaires dans la vie publique, nous sommes exclus de la vie politique de fait. Nous sommes dpossds de nos terres, de nos ressources tandis que les multinationales ont accs nos ressources. Cette position rejoint celle de Jean-Paul FERREIRA, maire dAwala-Yalimapo et prsident de Guyane Technopole (structure favorisant les projets innovants en Guyane) qui, pour sa part, avait lanc lappel au boycott. Le maire dAwala-Yalimapo souligne lui aussi le manque de reconnaissance : absence dans les livres et programmes scolaires, pas denseignement de leurs langues Le plus urgent cest un devoir de mmoire qui ne soit pas rtrograde ou conservateur. Il est important de donner la priorit la jeunesse . Dans la contribution quil a envoye la mission, Grard COLLOMB, charg de recherche au CNRS et fin connaisseur des peuples amrindiens, inscrit la protestation des Kalina contre la manifestation du Jardin dacclimatation dans la question rcurrente depuis une vingtaine dannes de la place des socits indignes dans lespace national et dans lespace rgional . Leur demande est dtre couts avec respect et dtre associs aux dcisions qui touchent le territoire quils habitent.

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    Quatrime point sur lequel se dgage un accord, la ncessit daborder publiquement toutes les difficults lies lhistoire coloniale, et en particulier celles que soulvent les restes humains des collections franaises et les demandes de restitution. En Guyane, les personnalits du monde amrindien rencontres ont demand ce que soit lucid le sort rserv aux dpouilles des Kalina morts Paris lors de lexposition ethnographique de 1892. Pour la Nouvelle-Caldonie, nous avons voqu le cas singulier du retour de la dpouille de Marius KALOIE Lifou en juillet 2011. Mais Emmanuel KASARHROU, directeur du Centre Tjibaou et de lAgence de dveloppement de la culture kanak, a rappel limportance de la question de la restitution des restes du grand chef kanak ATA, souleve ds la ngociation des accords Matignon en 1988 et demande en 2003 par le Snat coutumier de Nouvelle-Caldonie. Ce grand chef, tu par dautres Kanak lors de la grande rvolte de 1878, fut dcapit, et sa tte, apporte au gouverneur colonial de lpoque, fut envoye en France puis confie la Socit danthropologie de Paris fonde en 1859. Aprs des annes dinterrogations sur le lieu de sa conservation, la tte dAta a t formellement identifie dans les collections du Musum national dhistoire naturelle au cours de lt 2011. La question du bien fond de la conservation de restes humains et des demandes de restitution soulvent des questions aux enjeux scientifiques, juridiques, politiques et philosophiques considrables. Il nous est apparu qu ce jour la doctrine de la France et les procdures en matire de restitution de restes humains restent dfinir. Depuis 2002 et la restitution du squelette de Saartje BAARTMAN, une succession de textes de lois et damnagement du code du patrimoine ont engag la France vers la mise en place dune procdure de dclassement des restes humains dans les collections patrimoniales. La snatrice Catherine MORIN-DESAILLY, lue en Haute-Normandie, et rdactrice de la plus rcente loi ce sujet, portant sur la restitution en cours des ttes maories des collections des muses franais, dont le processus sachvera le 23 janvier 2012 par une crmonie au muse du quai Branly, considre quune rgle permet de fonder la lgitimit de toute demande de restitution, savoir que les restes humains concerne une personne victime d actes de barbaries . La mise en place par la loi de 2010 dune nouvelle commission de dclassement pluridisciplinaire, comprenant des reprsentants de la Nation, ouvre sans doute la voie une apprciation publique de cette question sensible et qui est un legs de notre histoire coloniale.9 Nous considrons toutefois quil est essentiel de mieux informer le public de ces questions dlicates et plus encore de sortir dune rponse au coup par coup, qui nourrit les soupons, favorisent des dcisions et des procdures contestables tant sur le plan juridique que scientifique et moral. Le prsent rapport nest pas le lieu pour aborder tous les enjeux de cette question toutefois nous proposons que soit ralis linventaire avec les scientifiques et les conservateurs du patrimoine des collections portant sur les restes humains identifiables. Llaboration dun code de bonne conduite pour les muses et les universits dpositaires de restes humains et, surtout, la mise en place dun vritable espace dinformation du public et de dialogue concernant les restes humains dans les institutions franaises et les demandes de restitution. Sagissant des Kalina morts Paris en 1892, une enqute permettant de retracer la destine et la localisation des dpouilles serait la bienvenue. Encore une fois, notre objectif est la diffusion de la connaissance et lducation citoyenne.

    99 Voir ce sujet, les dbats du symposium international Des collections anatomiques aux ibjets de cultte : Conservation et exposition des restes humains dans les muses qui sest tenu au muse du quai Branly, les 22 et 23 fvrier 2008 disponibles sur www.quaibranly.fr/fr/programmation/manifestations-sicentifiques/

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    Enfin, dernier lment, ne pas limiter le phnomne lhexagone, et aborder lhistoire de France en regard du reste du monde.

    Nicolas BANCEL, historien, resitue ainsi la question des expositions ethnographiques dans une gopolitique qui tient compte de lhistoire de lEmpire colonial et qui indique que la France nest pas un isolat . Lcrivain Didier DAENINCKX, auteur notamment de louvrage Cannibales, racontant lhistoire des Kanaks exhibs Paris en 1931, est aussi partisan de rinscrire lhistoire de la France dans ce rapport lailleurs et au legs de son expansion coloniale : La France, au long de son histoire est alle la rencontre heurte de nombreux peuples du monde. Ce choc a fait que nos histoires en sont devenues partages. Une part de lhistoire antillaise, dAfrique noire, du nord, dAsie, dOcanie est incruste dans notre histoire nationale. Cest de cela quil faut rendre compte. Les rsistances cette reconnaissance tiennent selon lui au fait que la colonisation, pour une grande part, sest faite au nom de la Rpublique, des personnages comme Jules Ferry en tte de proue. Avec les couleurs et la devise comme boucliers. Il y a l un nud dnouer, montrer comment les idaux citoyens furent utiliss afin de mieux les interdire aux indignes. . Le commissaire de 2011, Anne des Outre-mer , Daniel MAXIMIN a insist, pour sa part, sur les paradoxes et les ambivalences de cette histoire qui ne se rsume pas un rapport de domination. Il ne faut pas se polariser sur un lieu. Ce nest pas le problme de se trouver dans un lieu comme si on tait Auschwitz Il sagit dexpliquer une certaine Europe, et non pas simplement expliquer une exaction. Il y a dans lexhibition, dans les expositions coloniales, dans les expositions universelles le got de lautre, une volont de savoir, qui ne sont pas le mpris de lautre, mais llment dapprentissage de lautre. . Pour la Rpublique franaise, comme pour les socits qui portent la trace dune histoire coloniale, lenjeu est de forger une citoyennet du respect et de reconstruire un socle commun par-del les tragdies historiques sans senfermer dans la fausse rponse du jugement moral ou de la culpabilit. Do notre souci de pas limiter les prconisations de cette mission au symbole dun seul lieu, le Jardin dacclimatation, qui porterait toute lopprobre et ne pas se satisfaire dun regard sur soi, fier ou coupable, dune France qui se replie sur elle-mme.

    b. La controverse sur la mmoire des expositions ethnographiques intervient un moment o la France se pose de nouveau la question de son histoire impriale et coloniale dans un monde devenu global

    Au fil de ses travaux, la mission sur la mmoire des expositions ethnographiques et coloniales a donc t amene sinterroger sur la question de la trace et de linscription dans lespace public des mmoires et des histoires issues de la longue priode de la colonisation. Cette question interpelle toute la socit franaise : des citoyens ordinaires aux lus ou aux dcideurs publics, des chercheurs aux enseignants et aux mdias, du monde associatif aux milieux culturel et artistique et aux acteurs conomiques et sociaux. Et il est frappant de constater que, par-del leurs diffrences, tous ceux dont lhistoire familiale et personnelle sinscrit dans la longue histoire coloniale sont en demande dune juste place dans la mmoire et lhistoire franaises au nom du respect, de la dignit et dune exigence de vrit. Lmergence, ces dernires annes, de ce qui nous est connu aujourdhui sous le nom des mmoires de la colonisation les priodes pr-esclavagiste, esclavagiste, coloniales et post-coloniales pose en effet des questions indites ltat, aux lus nationaux et locaux, et aux collectivits territoriales : comment rpondre aux demandes croissantes de groupes dont lhistoire et la mmoire sont lies lhistoire de la colonisation comme de la dcolonisation ? Ces groupes estiment que leur mmoire et leur histoire mritent dtre reconnues soit par la cration de lieux mmoriels, soit par des monuments ou des stles, soit par ladoption de lois.

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    Des historiens et des lus smeuvent lgitimement de cet accroissement de demandes craignant que la loi ne se substitue la recherche et que la mmoire envahisse le champ social. Dans ce dbat entre mmoire et histoire, le patrimoine constitue une ressource documentaire supplmentaire qui permet de diversifier les sources. La confrontation de lobjet mmoriel, du champ historique et de la sphre patrimoniale favorise la multiplicit des approches et enrichit la connaissance10. la suite de controverses et de polmiques, lAssemble nationale a men, en 2008, une mission dinformation sur les questions mmorielles. La conclusion de la mission: construire une culture historique partage, qui se fera par lappropriation par les citoyens de lHistoire de France . Mais depuis plusieurs annes dj, associations, chercheurs, artistes et lus uvrent pour quune juste place soit donne aux mmoires et lhistoire de la colonisation franaise. Cela ne se fait pas sans heurts ni sans conflits. Lhistoire de la colonisation franaise, qui couvre plusieurs sicles, car cette histoire commence au moment o la France et les autres puissances europennes se lancent dans la conqute et lappropriation de territoires hors de lEurope, a laiss une grande diversit dhritages matriels et immatriels. En effet, ds que la France sest lance dans une politique de colonisation au XVe sicle, elle a introduit sur son sol des personnes venus de cultures, de langues et de croyances qui nappartenaient pas au monde europen. La fin de lempire colonial franais a entran de nouvelles mutations avec larrive des rapatris qui fuyaient lindpendance des colonies ou de travailleurs venus des anciennes colonies. Le droit, la littrature, les arts, la citoyennet, le culturel, le cultuel en ont t transforms. Aujourdhui, les nombreux groupes qui revendiquent une relation directe lhistoire de la colonisation positionnent leur approche laune de leur pass et celui-ci les pousse souvent ignorer les mmoires dun groupe qui pourtant vivait sur la mme terre. Or, libres et esclaves, colons et coloniss migrants, paysans, marchands, ouvriers, employs, entrepreneurs ont en commun davoir t mis, envoys, amens de force sur un territoire au nom dun mme objectif : coloniser une terre et la faire fructifier pour la France. Dans la colonie, lorganisation administrative, politique, sociale et culturelle nencourageait pas la rencontre et lchange, elle visait plutt sparer racialement les groupes. Elle ne russit cependant jamais exercer une totale hgmonie. Les groupes et les individus sont entrs en contact les uns avec les autres, souvent de manire conflictuelle et tendue, mais pas toujours. De ces contacts conflictuels sont nes des crations inattendues, des formes culturelles et sociales singulires. Ce serait pourtant une erreur de penser que ces mondes furent homognes. lintrieur de chaque groupe, des itinraires distincts se sont dessins. Les groupes vivant sur un mme territoire mais occupant des positions sociales diffrentes, ayant des croyances, des pratiques, des langues qui leur sont propres, partagent donc la fois une histoire commune -celle qui les runit sur la mme terre et celle de leur groupe- et des approches singulires cette histoire. Toute identit collective se dcline en une multitude de rcits individuels. Dans le mouvement de rvision historique auquel nous assistons, ces singularits collectives et individuelles donnent souvent lieu des perceptions qui saffrontent. Le sentiment de ne pas tre pris en compte donne lieu un sentiment de frustration qui nourrit une rivalit entre mmoires et histoires. Dans chaque groupe, la douleur et le dommage subis sont perus comme exceptionnels. Or, nous pensons que seule une approche transversale qui respecte la singularit de chaque rcit mais qui cherche construire des passerelles, inscrire la singularit dans un espace o les intersections, les interactions, les croisements sont mis en lumire sera mme de revisiter un rcit fig et fix.

    10 La Direction gnrale des patrimoines du ministre de la Culture et de la communication conduit un programme triennal sur Les patrimoines de la Traite ngrire et de lesclavage depuis 2011, en associant les collectivits territoriales.

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    Les croisements entre histoire franaise et europenne, entre histoire des empires europens et celle des autres empires, des autres nations, des autres peuples, sont ncessaires pour comprendre les mutations de la socit franaise. Rien ne se droule en vase clos. Lillusion dune socit tanche la circulation dides, dimages, ou de pratiques favorise le repli identitaire. Enfermer lhistoire de la socit franaise dans les frontires troites de lhexagone rend aveugle aux mutations mondiales, aux ruptures, aux influences et aux mtissages dides et de pratiques. Elle efface le rle et la place de la colonisation dans les rves, les ambitions et les politiques des gouvernements de la France, tout comme dans limaginaire de la socit franaise, ses reprsentations, ses aspirations. Elle efface aussi les paroles de protestation, les actes de rsistance, les voix qui slvent, les textes publis, tous au nom dune France qui dfend les droits imprescriptibles de la personne, des amitis, des solidarits, des rencontres et des changes eurent lieu et ont toujours lieu. Il y eut toujours des Franais pour questionner ce qui se faisait en leur nom et quils pensaient tre une insulte aux idaux rpublicains. Un changement de paradigme se dessine mesure que progresse le mouvement global de rappropriation des mmoires minores , notamment par la place prise dans lespace public. Loin dtre seulement franaise, cette dynamique concerne toutes les socits europennes et occidentales. Elle sinscrit dans une remise en question dune carte du monde dessine par la colonisation europenne et dune temporalit ancre dans le temps europen. Toute lhistoire du monde, celle du commerce, des villes, des changes, des mouvements migratoires, des conflits, est en voie dtre rexamine dans sa plus grande complexit. Ds lors que le regard sur cette histoire change de perspective, nous proposons, sagissant de son inscription dans lespace public, une mthodologie nouvelle qui croise les sources et les paroles, qui associe les patrimoines matriels et immatriels, qui mette en rsonance le prsent et le pass. travers la tension entre le singulier et luniversel, cette mthode permet de mettre jour des itinraires individuels et des moments collectifs qui interagissent entre eux. Loin dtre tourne vers le pass, cette dynamique peut permettre de promouvoir dans nos socits une attitude base sur le respect et la dignit, notamment envers ceux qui sen sont sentis privs du fait de la colonisation et de ses suites. Cest ainsi que redevient possible la pleine reconnaissance de chacun en tant que citoyen. Lenjeu est de rpondre aux attentes de ceux qui veulent comprendre les formes de lesclavage, celles de la colonisation parce que leurs legs informent la manire dont ils sinscrivent dans la socit et sont perus par leurs concitoyens, ne serait-ce quen raison de laffirmation des identits culturelles et de linvention du corps racialis insparables de cette histoire. En outre, contrairement une ide reue, cette dynamique de reconnaissance nest pas un obstacle ni une menace pour la recherche scientifique. Les chercheurs nont pas orienter leurs travaux en fonction de la demande sociale, mais par leurs savoirs, ils contribuent de manire fondamentale au dbat public. Un effort collectif doit permettre de donner sa juste place aux mmoires, sortant enfin de lopposition entre mmoire et histoire . Noah FLUG, dporte 14 ans de la ville de Lodz et rescap dAuschwitz, a dit : La mmoire est comme leau. Elle est vitale et cherche ses propres voies dans de nouveaux espaces et vers dautres hommes. Elle est toujours concrte Elle na pas de date de premption . Il faut parler ici de mmoires vivantes, et de la mmoire comme dune pratique sociale, sans laquelle la socit ne saurait vivre. Cependant la mmoire reste captive. Cest un fait troublant que, malgr les colloques, les expositions, les ouvrages, ou les manifestations culturelles, qui se sont multiplis ces dernires annes, sur des sujets comme par exemple celui des exhibitions ethnographiques, la perception demeure pour les personnes concernes dune marginalisation, dune exclusion de leur prsence, de leurs contributions

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    et de leur singularit dans ce qui constitue les grands vnements de lHistoire, le monde des ides, des techniques et des arts. Nous ne pouvons ignorer cette perception ou la qualifier avec mpris de fausse conscience . Elle se constitue comme ralit sociale et ce titre intervient dans le dbat public car la mmoire est une pratique sociale o les individus puisent aspirations et identifications. Nous savons pourtant quel point la demande de reconnaissance, de respect et de dignit, reste souvent incomprise au regard des actions publiques. Il nen reste pas moins que sexprime, rapport aprs rapport, tude aprs tude, la rcurrence de cette demande dans le champ de lhistoire coloniale11. Un processus de vrit et justice ou vrit et rconciliation, li la mise en conversation de mmoires signorant ou en conflit, nous semble aujourdhui pertinente et ncessaire.

    c. Pour une nouvelle ducation citoyenne autour des mmoires de la colonisation

    Pour que lobjectif de ne pas occulter le pass ou instruire de procs soit atteint, il nous apparat donc ncessaire de multiplier les gestes et les actions dune ducation citoyenne, qui affirme auprs de tous les citoyens la place et le rle de lhistoire de la colonisation et de ses hritages dans la construction de la socit franaise afin quune juste place soit faite celles et ceux qui sen rclament. Les pouvoirs publics ne peuvent poursuivre une politique du coup par coup, qui fragmente invitablement lhistoire. Quelle geste pourra donc marquer que ltape de la marginalisation est franchie ? Les demandes de reconnaissance et dinscription dans lespace public sont diverses car les communauts sont diverses. Une chose cependant les unit : lexigence dtre traits avec respect et dignit. Ainsi, la Guyane rassemble sur son sol des groupes minoritaires qui ont chacun un rapport spcifique lespace, au territoire, lhistoire et au prsent, mais tous partagent le mme constat : ils ne sont pas assez couts et pris en compte. Le dfaut de reconnaissance nous fut exprim par divers reprsentants des communauts amrindiennes comme celle des Bushinenge au dbut du mois de juin 2011. Les reprsentants des Bushinenge comme ceux des Amrindiens ont exprim un sentiment dinjustice et de frustration face une histoire de leur territoire perue comme essentiellement centre sur lidentit crole, face une criture univoque de lhistoire de la Guyane, avec ses temps forts comme labolition de lesclavage de 1848. Les Amrindiens, ont le sentiment que leur asservissement par la colonisation est nie, les descendants de marrons considrant que leur destin dans des communauts libres efface Or nous avons ressentie une frustration quivalente lors dun dplacement dans les Bouches-du-Rhne en septembre 2011, la rencontre des associations de rapatris dAfrique du Nord et de harkis, Il ne sagit pas de tout confondre, doublier les distinctions entre peuples premiers et colons, descendants desclaves et de marrons, de bagnards et de migrants, mais de signaler que les mmoires issues de la longue histoire de la colonisation partagent une mme perception : les traces, ombres, et hritages de la colonisation franaise continuent informer la perception de soi quont ces citoyens et, en particulier, un sentiment singulier de non-reconnaissance. Des gestes et des mesures peuvent dores et dj tre dcids pour rpondre lmotion provoque par les manifestations culturelles au Jardin dacclimatation mais aussi pour linscription dans lespace public des mmoires de la colonisation12.

    11 Voir le rapport du Snat la suite des mouvements de protestation dans les Outre-mer en 2008 et 2009, disponible sur www.senat.fr qui soulignait nouveau les sentiments ambigus o se bousculent rve et envie, fiert et culpabilit refoule, de compassion et dexaspration que les Franais prouvent envers les Outre-mer, lignorance et les clichs dvastateurs qui poussent des incomprhensions mutuelles. 12 Au cours de lanne 2011 dj, plusieurs colloques Les patrimoines de la traite ngrire et de lesclavage La Rochelle en avril , Exposer lesclavage au muse du quai Branly en mai, -- et des expositions venir comme Exhibitions. LInvention du sauvage au muse du quai Branly en novembre 2011, un colloque international en janvier 2012 sur les expositions ethnographiques, ou des supports pdagogiques, tmoignent de limportance de cette question.

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    Mais nous devons voir plus loin et envisager de nouveaux gestes dducation citoyenne. Associations et groupes expriment souvent le dsir que des stles et des monuments tmoignent de la prsence et du rle de leurs anctres dans lhistoire nationale. Linscription dans lespace public, on le sait, fait partie de la reconnaissance par la collectivit dun vnement singulier. En inaugurant de manire officielle des monuments et des stles, la collectivit accueille en son sein lhistoire et la mmoire dun groupe. Mais si les stles et les monuments commmoratifs ont leur ncessit, nous pouvons observer quils ne remplissent pas toujours leur objectif de remmoration. Les passants les ignorent trs souvent et ces stles et ces monuments retrouvent un peu de vie le temps phmre dune clbration. Stles et monuments, de par leur nature mme, offrent des raccourcis de lhistoire. Ils ne peuvent en restituer lpaisseur et la complexit. Cependant, lobjectif nest pas de juger celles et ceux qui nous ont prcds du haut de certitudes morales, elles-mmes acquises, il faut le dire, par des luttes de nos ans contre lignorance et le mpris, mais il faut sefforcer de comprendre comment le consentement se construit, ce qui nous apparat comme offensant la dignit humaine. Il ne faut pas oublier que des voix se sont leves chaque moment de lhistoire contre des violations de la dignit humaine (les intellectuels antillais en 1937, les Surralistes en 1931, Paulette NARDAL dans les annes 1930, Lon WERTH dans les annes 1910). Comprendre pourquoi ces voix furent inaudibles leur poque contribue lducation citoyenne car cela nous renvoie notre responsabilit actuelle. De notre point de vue, seul un geste fort qui mettrait en lumire tous les aspects de lhistoire de la colonisation oprera ce dpassement. Linstitution dun lieu tangible de documentation et de rencontres, et de rflexion et de propositions, de recherche et de mdiation autour de lhistoire coloniale et postcoloniale dans toutes ses composantes, donc en intgrant lhistoire du peuple franais, permettrait la France dengager enfin un vritable travail de mmoire qui ferait en sorte que les fantasmes, les demi-vrits, ou les gnralisations htives seraient dmasques tandis que la recherche contribuerait activement la citoyennet. Dans une Rpublique, la possibilit de la parole, laccs la connaissance et le dsir de vrit permet de faire dune collection dindividus prisonniers dune histoire occulte de vritables citoyens.

    * Pour conclure, cette mission fait apprhender plusieurs lments essentiels pour un meilleur vivre ensemble dans la France daujourdhui :

    la comprhension que la socit franaise du XXIe sicle est lexpression dune histoire complexe o sentremlent des ralits sociales et des populations diverses qui dcoulent des relations que la France a tablies avec le reste du monde depuis le XVIe sicle travers son empire colonial. Ce fait exige dtre mieux intgr dans le rcit historique pour nous aider sortir dun rapport au pass domin par loccultation et le procs permanents ;

    le souci dune approche respectueuse de chacune des entits et des composantes sociales

    lies lhistoire de la colonisation doit sarticuler un travail qui vise crer un espace commun, de savoirs et de cultures, partag par tous les citoyens ;

    la rponse aux demandes dinscription dans lespace public de lhistoire de la colonisation doit

    aller au-del de la multiplication des stles et des monuments pour favoriser une approche inclusive ;

    la capacit de la France sinscrire dans le monde actuel passe par une meilleure prise en

    compte de la multiplicit des parties de sa population qui sont lies son histoire coloniale ;

  • CPMHE - RAPPORT DE LA MISSION SUR LA MEMOIRE DES EXPOSITIONS ETHNOGRAPHIQUES ET COLONIALES - 31 -

    non seulement dans les Outre-mer, mais aussi au travers les populations issues de limmigration, aussi bien subsaharienne, que maghrbine, malgache, vietnamienne, cambodgienne, laotienne, etc..

    Cest la non reconnaissance de la singularit des mmoires qui favorise la fragmentation de la socit. Tant que lhistoire coloniale ne sera pas pleinement considre comme un lment de lhistoire de la France, cette fragmentation saggravera, produisant des rivalits et des tensions entre diverses composantes de la socit autour de revendications mmorielles, chacun considrant que dautres demandes sont privilgies par les pouvoirs publics. Faire place ces histoires singulires dans lhistoire commune est un fait de justice. Aujourdhui, des rcits foisonnent et rivalisent pour interroger la manire dont est crite lHistoire de la France. Il serait vain de le dplorer : cette situation nouvelle qui bouscule lespace public rclame une rflexion commune. Comment sortir de lemprisonnement auquel peut conduire le repli sur sa douleur, aveugle aux autres ? Comment crer un espace de ngociation o douleurs et souvenirs de la perte de chacun sont couts avec respect, puis partags afin de construire un rcit commun? Il ne sagit pas de nier les aveuglements, les crimes, les erreurs, mais douvrir lespace du dpassement dune douleur qui confine. Frantz FANON a crit que le destin de lhomme est dtre lch . Loin de prner lamnsie, il prne un oubli qui sappuie sur la remmoration. Une remmoration qui fait place lAutre. Faire une juste place dautres que soi, cest le dfi de la socit franaise au XXIe sicle, celui douvrir un espace de dialogue entre les mmoires et dlaborer un lieu commun dchanges et de rencontres.

  • CPMHE - RAPPORT DE LA MISSION SUR LA MEMOIRE DES EXPOSITIONS ETHNOGRAPHIQUES ET COLONIALES - 32 -

    MISSION SUR LA MEMOIRE DES EXPOSITIONS ETHNOGRAPHIQUES ET COLONIALES

    SYNTHESE ET PRECONISATIONS

    Madame Marie-Luce PENCHARD, ministre charge de lOutre-mer, a confi la prsidente du Comit pour la mmoire et lhistoire de lesclavage, Franoise VERGS, le pilotage dune mission de rflexion et de propositions concrtes autour dun travail mmoriel et historique consacr aux inacceptables expositions dtres humains, appeles aussi aujourdhui zoos humains qui ont pu se tenir, entre autres, dans notre pays. Cette mission fait suite lmotion qui a accompagn lorganisation, dans le cadre de 2011 anne des Outre-mer, dune manifestation intitule Un Jardin en Outre-mer au Jardin dacclimatation de Paris du 8 avril au 8 mai 2011, sur le site mme o eut lieu, il y a 80 ans, la dernire exhibition humaine, mettant en scne des Kanaks. A la suite dune consultation largie des parties prenantes de la polmique et dun grand nombre de personnalits de la socit civile, de chercheurs, dhistoriens et dlus, consults souvent sur la base dun questionnaire sur les moyens dinscrire cette histoire dans lespace public et daccorder chaque groupe une juste place . Dans son rapport, la prsidente du CPMHE a expliqu la dmarche de la mission visant privilgier :

    des rponses concrtes, adaptes chaque territoire ou site, celui du Jardin dacclimatation de Paris, celui de la ville de Paris, celui de la Guyane galement, et bien sr pour lensemble de la France ;

    des lignes directrices de nature orienter la prise en compte des demandes mmorielles et plus particulirement celles lies lhistoire coloniale de la France.

    Comme lcrit Franoise VERGS dans son propos sur la ncessit dinscrire dans lespace public les mmoires de la colonisation, pour que lobjectif de ne pas occulter le pass ni d instruire de procs soit atteint, il apparat ncessaire de multiplier les gestes et les actions dune ducation citoyenne, qui affirme auprs de tous limportance de lhistoire de la colonisation et de ses hritages dans la construction de la socit franaise afin quune juste place soit faite celles et ceux qui sen rclament. Les pouvoirs publics ne peuvent poursuivre une politique du coup par coup, qui fragmente invitablement lhistoire.

    LES PRECONISATIONS DE LA MISSION La Mission sur la mmoire des expositions ethnographiques et coloniales prsente la ministre charge de lOutre-mer et au Gouvernement les prconisations suivantes :

    1) Premire prconisation : linscription mmorielle dans lespace public Au Jardin dacclimatation la Mission propose linstallation dun mmorial traditionnel, comme par exemple un totem kanak :

    Cette installation mmorielle au cur du site du Jardin dacclimatation est prfrable linstallation dune stle ;

    Les quipes du Jardin dacclimatation auront concevoir des actions de mdiation autour

    de ce mmorial destination des leurs publics, en particulier des enfants, rappelant lhistoire des expositions ethnographiques. En outre il est recommand un dveloppement

  • CPMHE - RAPPORT DE LA MISSION SUR LA MEMOIRE DES EXPOSITIONS ETHNOGRAPHIQUES ET COLONIALES - 33 -

    des contenus informatifs (brochure, documentation en ligne) sur le jardin et les expositions ethnographiques.

    La Mission ne demande pas la ville de Paris de dvoiler dune stle mais plutt de

    privilgier des actions dinformation et de mdiation pour le public et pour les scolaires.

    En Guyane, do est partie la polmique, la Mission considre quun monument honorant lhistoire et la rsistance des peuples amrindiens est indispensable. Un tel projet est en cours de ralisation avec le soutien du Conseil Rgional de Guyane (inauguration annonce initialement pour le 9 dcembre 2011).

    2) Deuxime prconisation : la signalisation dans lespace public des lieux lis lhistoire ultramarine et coloniale

    Le dfi majeur qua rencontr cette Mission rside dans le souhait dinscrire la mmoire de cette histoire dans lespace public sans marquer davantage des paysages urbains saturs par laccumulation de stles, de plaques et de panneaux. En outre, dplorant les effets dun traitement au coup par coup des demandes de reconnaissance historique et la fragmentation des grandes questions mmorielles, la Mission sest efforce de contribuer proposer des pistes pour une inscription cohrente dans lespace public des mmoires lies lhistoire coloniale de la France.

    En consquence, en lien avec la ville de Paris, la Mission prconise :

    Llaboration dun programme de signalisation des lieux d'histoire et de mmoire li

    lhistoire du Paris ultramarin et colonial avec la mise en place dune signaltique et dune charte graphique labores en lien avec le ministre de la Culture ;

    Le dveloppement, pour valoriser cette signalisation, dune application pour tlphone

    intelligent ou tablette permettant lusager urbain didentifier ces lieux de mmoire sur le territoire, de suivre des parcours et dobtenir des informations historiques. Paris pourrait tre la pilote pour un projet tendre lchelle nationale ;

    Laccompagnement de ce programme par ldition dun guide historique du Paris

    ultramarin colonial.

    Lensemble de ces prconisations, labores en lien troit avec la ville de Paris, pourraient servir de mthode au niveau national, associant les collectivits locales et les services de lEtat.

    3) Troisime prconisation : la valorisation des archives autour des expositions coloniales et des spectacles ethnographiques :

    La Mission considre que la comprhension du pass est essentielle dans une socit de plus en plus diverse et que les pouvoirs publics doivent inscrire dans une relation dynamique le lien entre les dpositaires des archives et le public. Le droit de laccs aux archives pour les citoyens comme pour les chercheurs suppose non seulement une action de conservation mais aussi daccessibilit et de valorisation des fonds.

  • CPMHE - RAPPORT DE LA MISSION SUR LA MEMOIRE DES EXPOSITIONS ETHNOGRAPHIQUES ET COLONIALES - 34 -

    Concernant les expositions ethnographiques et coloniales, la Mission prconise :

    La ralisation dun guide des sources lies aux expositions universelles avec une dimension coloniale, coloniales et des exhibitions ethnographiques ayant eu lieu en France, non seulement Paris mais dans grandes les villes de province et lintgration des archives dans les Outre-mer sur ces questions ;

    La numrisation et mise en ligne de lexposition des archives nationales Exotiques

    expositions : les expositions universelles et les cultures extra-europennes (2010) En complment de cette mise en place de cette signalisation, publication dun guide du Paris ultramarin et colonial ;

    Des actions de mdiation pour la mise en valeur pour tous les publics des principaux

    fonds sur les expositions coloniales et les spectacles ethnographiques des diffrents dpts darchives, en particulier Paris ;

    La ralisation par la BNF dans le cadre de la bibliothque numrique GALLICA dun dossier

    sur les expositions ethnographiques et sur les expositions coloniales.

    4) Quatrime prconisation : la protection du patrimoine immatriel des Outre-mer par la mise en place dun programme de collecte des mmoires orales :

    La Mission a t attentive la fragilisation de cultures dans lesquelles la transmission orale est essentielle, et en particulier la question de la disparition du patrimoine linguistique de certains groupes autochtones en Guyane. Dans ce contexte, faisant cho une attente exprime dans le cadre des Etats gnraux de lOutre-mer en 2009, la Mission prconise la mise en place dun programme de collecte des mmoires orales qui pourrait ainsi tre initi en Guyane, en lien troit avec le Conseil rgional et les services de lEtat, et en partenariat avec lAgence du Service Civique, et avec un accent sur la problmatique de la sauvegarde des langues laborer avec la DGLFLF et avec le soutien de la Fondation Chirac.

    5) Cinquime prconisation : llaboration dune doctrine et dun code de bonnes pratiques sur la question de lidentification et de la restitution ventuelle des restes humains des collections patrimoniales

    Dans le cours de ses travaux, la Mission a souhait poser la question du traitement des restes humains conservs dans les collections patrimoniales et les institutions publiques franaises. En effet, cest un des principaux dfis auxquels se trouvent confronts les pouvoirs publics et les muses de France dans leur relation avec les Outre-mer, mais aussi avec lensemble des rgions du monde lies la France et lOccident par lhistoire coloniale.

    Dans ce contexte, la Mission prconise :

    Un inventaire des restes humains identifiables lis lhistoire coloniale conservs dans les collections des muses, des centres de recherche ou des universits ou des institutions ;

    La mise en place dactions de mdiation auprs du grand public pour expliquer les enjeux

    des collections anthropologiques et les procdures de dclassement et de restitution ;

    Llaboration dune doctrine claire et complte en matire de dclassement et de restitution des restes humains, dun code de bonnes pratiques et de cooprations avec les

  • CPMHE - RAPPORT DE LA MISSION SUR LA MEMOIRE DES EXPOSITIONS ETHNOGRAPHIQUES ET COLONIALES - 35 -

    pays et les groupes concerns pour favoriser les changes et des formes de restitution morale ;

    Le lancement dune enqute sur le sort des dpouilles des Kalina morts Paris en 1892 ;

    La mise en uvre dune crmonie de restitution de la tte du chef kanak ATA tu lors

    de la grande rvolte de 1878 en Nouvelle-Caldonie.

    6) Sixime prconisation : la protection de la diversit des populations dans les Outre-mer et en particulier des populations autochtones et tribales

    La reconnaissance et la dfense des populations autochtones dans les territoires dOutre-mer, et notamment en Guyane, sont des enjeux essentiels pour la Rpublique. La protestation de responsables Kalina la veille de louverture de la manifestation Un Jardin en Outre-mer est rvlatrice dune inquitude des populations amrindiennes de Guyane quant leur avenir et leur condition. Dans ce contexte, la Mission prconise plusieurs actions ou orientations pour que la Rpublique franaise marque son engagement protger les minorits autochtones et tribales Outre-mer :

    Lexamen dtaill des dispositions de la convention 169 de lOIT relatives aux peuples indignes et tribaux pour mettre en cohrence la doctrine de la France au regard des dispositions et mesures spcifiques mises en uvre pour la protection des populations autochtones en Guyane ;

    La mise en place dune journe des peuples autochtones en Guyane (Amrindiens,

    Bushinenge, Hmongs) ;

    Lengagement du Dfenseur des droits sur la question des peuples autochtones dans la Rpublique.

    La Mission suggre galement dactions de moyen terme dans le domaine de la recherche, de lducation et de la culture :

    Incuber en France un centre de recherche sur les questions coloniales et postcoloniales pluridisciplinaire, associ une grande institution culturelle ;

    Veiller la cohrence de linscription de lhistoire coloniale dans les programmes scolaires

    et leur mise en valeur dans les collections patrimoniales franaises ; Raliser des supports ducatifs sur les populations autochtones Outre-mer et dans le

    monde, par exemple avec le CIDEM ; Concevoir une exposition itinrante destination des publics scolaires de Guyane sur

    lhistoire de la Guyane ; Dvelopper des programmes audiovisuels, documentaires et fictions, autour de lhistoire

    coloniale.

  • CPMHE - RAPPORT DE LA MISSION SUR LA MEMOIRE DES EXPOSITIONS ETHNOGRAPHIQUES ET COLONIALES - 36 -

  • Rapport de la Mission sur la mmoire des expositions ethnographiques et coloniales

    ANNEXES AU

    RAPPORT DE LA MISSION

  • CPMHE - RAPPORT DE LA MISSION SUR LA MEMOIRE DES EXPOSITIONS ETHNOGRAPHIQUES ET COLONIALES - 39 -

    LES ANNEXES

    DU RAPPORT DU CPMHE SUR LA MEMOIRE DES EXPOSITIONS ETHNOGRAPHIQUES ET COLONIALES

    En complment de ce rapport, il a t jug indispensable de rendre public, dune part, un compte-rendu des entretiens, auditions et consultations qui ont t effectus en vue de la prparation du rapport final, et, dautre part, des lments dinformation et des outils pour la connaissance des expositions ethnographiques mais galement des enjeux lis aux prconisations de la Mission.

    Ces annexes sont classes en plusieurs parties

    En premier lieu, le rsum des auditions, les rponses reues au questionnaire adress par la Mission sur la mmoire des expositions ethnographiques et coloniales ainsi que les contributions crites adresses la Mission ;

    En second lieu, des lments factuels et historiques sur les expositions ou les spectacles

    ethnographiques ;

    En troisime lieu, un tat des lieux du traitement dans lespace public de la mmoire des expositions ethnographiques, avec une rapide prsentation des sources et des archives, des indications bibliographiques, un panorama des documents disponibles ou accessibles en ligne et un rappel des expositions et des publications rcentes autour des expositions coloniales et des spectacles ethnographiques ;

    En quatrime lieu, autour de la question des Kalina dcds Paris en 1892, des lments sur le traitement des restes humains ayant un lien avec lhistoire coloniale de la France, et en particulier ceux conservs dans les collections patrimoniales et scientifiques franaises.

  • Rapport de la Mission sur la mmoire des expositions ethnographiques et coloniales

    ANNEXES AU

    RAPPORT DE LA MISSION

    Premire partie

    LES AUDITIONS ET CONSULTATIONS

  • CPMHE - RAPPORT DE LA MISSION SUR LA MEMOIRE DES EXPOSITIONS ETHNOGRAPHIQUES ET COLONIALES - 43 -

    LA POLEMIQUE AUTOUR DE LA MEMOIRE DES EXPOSITIONS ETHNOGRAPHIQUES

    ET DE UN JARDIN EN OUTRE-MER AU JARDIN DACCLIMATATION

    Cette chronologie ne prend pas en compte toutes les ractions qui ont accompagn la manifestation Un Jardin en Outre-mer mais vise seulement rappeler les principales prises de positions autour de la mmoire des expositions ethnographiques qui ont accompagn la programmation de cette manifestation. Elle met en vidence le fait que la polmique est dabord partie de Guyane avant de trouver un cho dans lhexagone.

    Dans le cadre de 2011, Anne des Outre-mer, le Jardin dacclimatation a accueilli pendant un mois, du 8 avril au 8 mai 2011, la manifestation Un Jardin en Outre-mer compose de plus de 120 spectacles visant prsenter de manire pdagogique la ralit et la modernit des Outre-mer. Lambition de cette manifestation tait de faire dcouvrir les richesses artistiques, culturelles et environnementales de La runion, de la Guadeloupe, de la Guyane, de Mayotte, de Saint-Barthlemy, de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Saint-Martin, de Wallis et Futuna, de la Polynsie franaise, de la Nouvelle-Caldonie et mme des Terres Arctiques et Australes Franaises, autour dune programmation riche et varie13. 28 fvrier 2011

    Jean-Paul FERREIRA, maire dAwala-Yalimapo, crit aux prsidents du Conseil gnral et du Conseil rgional de Guyane, pour leur demander de pas cautionner lorganisation de la manifestation Un Jardin en Outre-mer au Jardin dacclimatation. Cette lettre est adresse galement au ministre de la culture et de la communication Chantal BERTHELOT, dpute de la 2ime circonscription de Guyane, crit la ministre charge de lOutre-mer, au ministre de la Culture et de la Communication et au Commissaire gnral de 2011 Anne des Outre-mer la suite de la protestation de M. FEIRRERA pour demander le retrait de la programmation au Jardin dacclimatation.

    1er mars 2011

    Christiane TAUBIRA, dpute de la 1re circonscription de Guyane, crit la ministre charge de lOutre-mer pour lui demander de modifier le lieu pour la manifestation Un jardin en Outre-mer rappelant limportance et la ncessit de respecter les symboles.

    4 mars 2011

    En rponse la lettre de Jean-Paul FERREIRA et aux demandes de Chantal BERTHELOT et de Christiane TAUBIRA, des chefs coutumiers et responsables amrindiens dfendent le principe de la prsence au Jardin dacclimatation en 2011 pour Un Jardin en Outre-mer. Jean-Aubric CHARLES, chef coutumier Kalina de Kourou, Pierre-Jean JOSEPHE, du centre amrindien KALAWACHI et Tiwan COUCHILI, artiste mrillon rappellent que le 19 juin 1996 a eu lieu une crmonie solennelle de libration des mes de leve du deuil (Epekotono) au Parc floral qui a marqu le pardon pour les exhibitions de 1882 et 1892.

    13 Extrait du programme officiel de 2011 Anne des Outre-mer. Pour le dtail des spectacles et des animations organiss dans le cadre de Un jardin en outre-mer, voir le programme complet sur le site www.2011-annee-des-outre-mer.gouv.fr : http://www.2011-annee-des-outre-mer.gouv.fr/themes/evenements-pluridiciplinaires/54/un-jardin-en-outre-mer.html

  • CPMHE - RAPPORT DE LA MISSION SUR LA MEMOIRE DES EXPOSITIONS ETHNOGRAPHIQUES ET COLONIALES - 44 -

    Mettant en avant la participation de nos amis Kanaks , ils jugent indispensable la prsence au Jardin des seules communauts amrindiennes de France

    6 mars 2011

    Daniel MAXIMIN, commissaire gnral de 2011 Anne des Outre-mer estime que la manifestation du Jardin dacclimatation est une rponse aux errements du pass : Il est temps pour lOutre-mer de rinvestir ce Jardin, de rpondre aux errements du pass en y affirmant la vitalit de cultures dont nous ne pouvons qutre fiers.

    14 mars 2011

    Le prsident du Conseil rgional de Guyane, Rodolphe ALEXANDRE, signe avec les chefs coutumiers Kalina de Guyane, Jean-Aubric CHARLES, Jocelyn THERESE et Michel THERESE une motion commune. Ils y soulignent que lobjectif de 2011 Anne des Outre-mer est doffrir la communaut Kalina, comme aux autres peuples premiers des outremers la possibilit de prsenter dignement et de partager leur culture tout en considrant que la Rpublique ne doit pas oublier les vnements douloureux qui ont entach les expositions coloniales de lpoque, notamment au Jardin dacclimatation , et en rappelant que les corps nont jamais t restitus aux familles . La motion demande un monument et une plaque commmorative au Jardin dacclimatation , un monument en Guyane, une journe des peuples autochtones en Guyane et la ratification de la convention 169 de lOIT par la France. Nicolas BANCEL, historien et lun des co-auteurs de louvrage Zoos Humains dont une nouvelle dition largement complte sort loc