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• 107 Depuis la chute du mur de Berlin et la fin de l’URSS, l’empire russe ne cesse de se rétrécir et les nouveaux pays issus du bloc soviétique recherchent une reconnaissance internationale. Dans cette perspective, la phase de création des Comités nationaux olympiques (CNO) a souvent été une partie plus politique que sportive. Les nouvelles entités ont essayé d’obtenir une reconnaissance immédiate au travers de leur appartenance au mouvement sportif, ce qui souligne, si besoin était, l’importance du sport comme vecteur d’images et comme support de stratégies géopolitiques. Au-delà de l’étape de reconnaissance, nous assistons à la recomposition du paysage sportif depuis la chute du mur. D’un bloc dominateur dans les années 80, dans lequel on pouvait déjà distinguer des capacités différentes et des stratégies diversifiées, nous sommes passés à une situation plus complexe avec l’apparition de nouvelles puissances sportives (l’Ukraine par exemple), le déclin d’autres (la Bulgarie ou la Hongrie) et la mise en place de nouvelles stratégies (Azerbaïdjan ou Slovénie). L’éclatement du bloc a mis à jour une diversification des stratégies sportives pour les pays qui en faisaient partie. Il a aussi modifié fortement la participation et les résultats au niveau mondial. Analyser l’évolution des pays de l’Europe orientale pose toutefois un premier problème de définition de l’espace à retenir. Avant 1988, l’appartenance à un système d’alliance politique (dont le pacte de Varsovie) et la mise sous tutelle par la puissance soviétique facilitent la délimitation. En revanche après l’éclatement du bloc, la délimitation est moins simple et les conséquences de la transition sont très différentes selon que ces pays ont subi ou non des modifications territoriales. On peut alors rassembler les pays de l’Europe de l’Est concernés en plusieurs groupes : d’abord les pays qui n’ont pas subi d’évolutions territoriales (Pologne, Roumanie, Hongrie, Bulgarie). Ensuite, les pays qui ont été partagés : séparation de la Tchécoslovaquie LES PAYS DE L’EUROPE DE L’EST ET L’OLYMPISME PARTICIPATIONS ET PERFORMANCES AVANT ET APRèS 1989 Jean-Pierre AUGUSTIN & Pascal GILLON

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Depuis la chute du mur de Berlin et la fin de l’URSS, l’empire russe ne cesse de se rétrécir et les nouveaux pays issus du bloc soviétique recherchent une reconnaissance internationale. Dans cette perspective, la phase de création des Comités nationaux olympiques (CNO) a souvent été une partie plus politique que sportive. Les nouvelles entités ont essayé d’obtenir une reconnaissance immédiate au travers de leur appartenance au mouvement sportif, ce qui souligne, si besoin était, l’importance du sport comme vecteur d’images et comme support de stratégies géopolitiques.

Au-delà de l’étape de reconnaissance, nous assistons à la recomposition du paysage sportif depuis la chute du mur. D’un bloc dominateur dans les années 80, dans lequel on pouvait déjà distinguer des capacités différentes et des stratégies diversifiées, nous sommes passés à une situation plus complexe avec l’apparition de nouvelles puissances sportives (l’Ukraine par exemple), le déclin d’autres (la Bulgarie ou la Hongrie) et la mise en place de nouvelles stratégies (Azerbaïdjan ou Slovénie). L’éclatement du bloc a mis à jour une diversification des stratégies sportives pour les pays qui en faisaient partie. Il a aussi modifié fortement la participation et les résultats au niveau mondial.

Analyser l’évolution des pays de l’Europe orientale pose toutefois un premier problème de définition de l’espace à retenir. Avant 1988, l’appartenance à un système d’alliance politique (dont le pacte de Varsovie) et la mise sous tutelle par la puissance soviétique facilitent la délimitation. En revanche après l’éclatement du bloc, la délimitation est moins simple et les conséquences de la transition sont très différentes selon que ces pays ont subi ou non des modifications territoriales. On peut alors rassembler les pays de l’Europe de l’Est concernés en plusieurs groupes : d’abord les pays qui n’ont pas subi d’évolutions territoriales (Pologne, Roumanie, Hongrie, Bulgarie). Ensuite, les pays qui ont été partagés : séparation de la Tchécoslovaquie

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(République tchèque et Slovaquie), éclatement de la Yougoslavie (Slovénie, Croatie, Bosnie-Herzégovine, Macédoine, Serbie et Monténégro) et désintégration de l’URSS. Pour les pays composant l’ex-URSS (les pays baltes (Estonie, Lituanie et Lettonie), la Biélorussie, l’Ukraine et la Moldavie), leur appartenance à l’Europe orientale ne fait pas de doute. Pour le reste de l’empire soviétique, les républiques du Caucase (Arménie, Géorgie et Azerbaïdjan) sont intégrées à l’Europe de l’Est à la fois par les institutions politiques (comme le Conseil de l’Europe) et par les institutions sportives, le Comité olympique international (CIO) les ayant classées dans les CNO européens. En revanche, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Kirghizistan et le Turkménistan font partie du monde asiatique, mais nous les intégrerons dans notre analyse lorsqu’il s’agira de comparer la participation et les résultats de l’entité Union soviétique.

Pour comprendre les nouvelles configurations des pays de l’Est face à l’Olympisme, il convient d’abord de rappeler la complexité de l’histoire géopolitique sportive de cette région. L’analyse des résultats aux Jeux de 1988 à Séoul, qui précède la chute du mur de Berlin, et ceux de 2004 à Athènes souligne ensuite les profondes modifications dans la zone concernée. Au niveau de la participation, l’afflux de nouveaux pays, héritiers d’un système sportif puissant, a fortement modifié la donne. De nouveaux concurrents sont apparus pour les autres pays, ce phénomène étant massif dans certains sports. Au niveau de la performance, la fin du système sportif soviétique a vu la disparition de l’exception sportive du sport communiste. Les performances des athlètes de l’Est se sont nivelées pour atteindre au mieux celles de ceux de l’Ouest. A l’évidence, on assiste à de nouveaux enjeux et les pays de l’Europe de l’Est semblent exemplaires pour mesurer le rôle géopolitique du sport et de l’Olympisme.

l’olympIsme et les alÉas de la reconnaIssance des pays de l’estLe survol de l’histoire de l’Olympisme à partir de l’espace de référence des pays

de l’Est permet de noter l’évolution du rôle attribué au sport et à la présence aux Jeux olympiques en fonction des conjonctures politiques. Quatre temps historiques se sont succédés, le temps où l’Olympisme reste aux marges de la politique internationale, celui des enjeux de l’entre-deux-guerres, celui de la guerre froide et enfin celui de la reconnaissance des pays après la fin de l’URSS.

L’Olympisme aux marges de la politique internationale (1896-1918)

Le mouvement sportif et le mouvement olympique se sont d’abord organisés à partir d’initiatives privées et associatives. Le sport, encore faiblement développé et opposé aux courants de la gymnastique, ne parvient que progressivement à s’imposer dans les relations internationales. Les premiers pays qui adhèrent aux CIO sont essentiellement européens et l’Empire austro-hongrois montre déjà une dualité entre l’existence d’une structure politique et d’une représentation sportive : Autriche et Hongrie participent dès 1896, la Bohême en 1900, la Yougoslavie en 1912 alors qu’elles font toutes partie du même empire (Figure 1). La Finlande est aussi dans ce cas puisque, constituée en grand duché faisant partie de l’Empire russe, elle affirme son indépendance vis-à-vis de Moscou dans sa représentation sportive (CNO créé et reconnu en 1907, présente aux JO de 1908 et 1912).

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Ces situations sont soutenues par Pierre de Coubertin qui affirme qu’il peut exister une « géographie sportive » différente de la « géographie politique ». Le rénovateur de l’Olympisme utilise l’expression dans une lettre adressée en 1911 à l’éditeur du journal sportif viennois « Allgemeine Sportzeitung » pour rappeler que la géographie sportive ne doit pas se plier aux règles de la géographie politique et qu’ainsi, l’Olympisme peut tracer sa propre carte du monde (Krebs, 2002). Il s’agit alors de favoriser la participation aux JO de régions non-souveraines sur le plan politique, mais disposant d’une structure sportive autonome, ce qui permet d’appliquer la règle « All games, all nations », précisant qu’une nation n’est pas nécessairement un Etat indépendant. Ce choix de la reconnaissance des « nations » a offert au mouvement olympique une marge de manœuvre relative dans les relations internationales, marge qui s’érode dans les mutations politiques de l’entre-deux-guerres.

Les enjeux politiques de l’entre-deux-guerres (1919-1945)

La première guerre mondiale entraîne une série de bouleversements territoriaux qui remodèlent l’Europe centrale et orientale (Traité de Versailles, de Saint-Germain et du Trianon) (Figure 2). Le dépeçage de l’Empire austro-hongrois favorise la création de nouveaux pays indépendants (Hongrie, Tchécoslovaquie, Yougoslavie), la Pologne réapparaît au détriment de l’Allemagne et de l’Union soviétique, et enfin, conséquence de la révolution russe, les pays baltes et la Finlande se libèrent de la tutelle russe. Les pays qui n’avaient pas de CNO ne manquent pas l’occasion d’en créer dès leur indépendance (Pologne, Yougoslavie) ou quelques temps après pour les pays baltes (Estonie présente dès 1920, Lituanie et Lettonie en 1924). Le temps de la géographie sportive indépendante de la politique est passé et une nouvelle ère commence où le sport ne fait pas l’économie des enjeux politiques. Ces enjeux instrumentalisent le sport à trois niveaux : celui de l’exclusion des rencontres, celui de l’opposition politique en URSS et enfin celui de la propagande fasciste en Italie et en Allemagne.

La question de l’exclusion se pose pour les Jeux d’Anvers en 1920 où l’Allemagne, l’Autriche et la Hongrie ne sont pas représentées. Le contexte d’après guerre contredit la position prise par Coubertin dix ans plus tôt à propos des Jeux de Stockholm : « Le programme des Jeux Olympiques de Stockholm n’est nullement définitif encore et il n’appartient nullement au comité suédois de fixer la liste des pays qui sont admis à participer aux Jeux Olympiques » (Coubertin, 1932, p. 72). L’Allemagne est encore exclue des JO de Paris et Chamonix en 1924 et ne retrouve sa place qu’aux JO d’Amsterdam en 1928.

Au-delà des exclusions, le CIO est confronté aux conséquences de la Révolution russe. Durant la guerre civile, les Russes blancs, puis la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan déclarent leur indépendance au printemps 1918, mais la reprise en main par l’URSS est effective en 1923. A cette date, le CIO reçoit la demande du prince russe Léon Ouroussof, représentant les Russes blancs réfugiés, de reconnaître trois équipes « russes » : celle de Moscou, celle des Russes émigrés et celle des Arméniens. Très vite, l’URSS s’oppose à l’Olympisme et favorise les organisations sportives ouvrières ayant pour objectif la lutte contre le capitalisme et les bourgeoisies qui le soutiennent. Le CIO est présenté comme un « ramassis d’aristocrates et de bourgeois », prônant sous couvert d’universalisme, le libéralisme et le colonialisme, et utilisant le

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sport comme un « opium du peuple » pour maintenir la paix sociale. L’URSS combat donc l’Olympisme en tentant d’unifier un sport prolétarien à l’échelle mondiale. Elle boycotte les organisations sportives internationales et leurs compétitions et, bien sûr, n’adhère pas au CIO. Elle développe des structures parallèles (Internationale du Sport rouge fondée en 1921) et organise ses propres compétitions et notamment les premières Spartakiades en 1928.

La question de l’utilisation du sport et de l’Olympisme comme moyen de propagande s’affirme en Italie où le sport d’Etat vise à encadrer la population. Les résultats aux JO de Los Angeles en 1932, comme la victoire de la Coupe du monde de football en 1934, servent à affirmer la supériorité du régime fasciste. L’Allemagne hitlérienne s’engage dans la même perspective en détournant les Jeux de Berlin à son profit et en valorisant les résultats qui symbolisent la supériorité du régime nazi. Paradoxalement, alors que les pratiques se multiplient, les idéaux de paix et d’égalité piétinent et le mouvement olympique sort meurtri des deux conflits mondiaux. L’après-guerre ne simplifie pas les relations internationales puisque la « guerre froide » résultant du partage du monde de Yalta a des répercussions directes sur l’Europe de l’Est.

La guerre froide et la constitution d’ensembles géopolitiques sportifs (1946-1989)

Comme après la première guerre mondiale, l’Allemagne est frappée d’exclusion aux Jeux de Londres en 1948. Au plan territorial, le CIO enregistre la disparition des pays baltes qui sont incorporés à l’Union soviétique. Le glacis soviétique est en formation et se traduit par la mise en place du CAEM (Conseil d’Assistance économique) et du Pacte de Varsovie. Les lendemains de guerre instaurent donc un nouvel ordre international. L’URSS sort renforcée d’un conflit qui lui permet d’asseoir son emprise sur l’Europe de l’Est, mais aussi de partir à la conquête idéologique du monde. La guerre de Corée, puis celle du Vietnam auxquelles s’ajoutent de multiples conflits dans les pays du tiers monde exacerbent la guerre froide et se répercutent sur le terrain olympique. Rivale politique et économique des Etats-Unis, l’URSS participe désormais aux instances internationales; elle réussit son entrée aux Jeux olympiques d’Helsinki en 1952 où elle se classe en deuxième position derrière les Etats-Unis pour le nombre de médailles obtenues.

La nouveauté vient donc de la participation de l’URSS qui a choisi ouvertement de se mesurer avec les pays capitalistes sur le domaine symbolique du sport. Elle y affirme ses valeurs d’égalité des hommes et des femmes qui dominent dès 1952 les épreuves d’athlétisme. Aucune analyse ne peut faire l’économie de la période où deux modèles d’organisation du sport s’opposent : celui des Etats-Unis est fondé sur une vision libérale du sport où l’Etat intervient peu et où spectacle et loisirs sont dominants; celui de l’URSS est inscrit dans une vision étatique initiée par le Comité central du parti communiste. Organisé à partir des structures militaires, scolaires, universitaires et civiles, il est au service des théories idéologiques du pays. Accomplissant un effort d’infrastructures sportives, l’Etat soviétique a favorisé l’émergence d’un sport de masse à partir des collectivités rurales et urbaines, le nombre des sociétés sportives a été multiplié par trois et celui des licenciés par dix entre 1946 et 1975. Pour favoriser l’émulation entre les républiques soviétiques, le régime utilise les Spartakiades où s’affrontent les sportifs de l’Est. A la fois mouvement de masse et mouvement de

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sélection des élites, ces jeux régionaux, qui précèdent les JO, constituent un laboratoire de propagande et d’observation pour les dirigeants du sport soviétique. Il a enfin renforcé une spécialisation de certains pays du pacte de Varsovie dans des « créneaux sportifs » afin d’optimiser les conquêtes de médailles.

Dans ce match Est-Ouest, l’arme du boycott est utilisée par les deux blocs en 1980 à Moscou et en 1984 à Los Angeles, même si les blocs ne présentent pas une homogénéité absolue : pour l’Est, la Roumanie et la Yougoslavie font bande à part, cette dernière restant fidèle à sa stratégie de non-alignement. L’apogée de cette compétition se confirme aux Jeux de Séoul en 1988 où l’URSS et l’Allemagne de l’Est devancent les Etats-Unis au niveau des performances.

Après 1989, l’Olympisme est un outil de reconnaissance des pays de l’Est

La disparition brutale du bloc de l’Est entraîne une recomposition de l’Europe centrale et orientale avec comme conséquence l’éclatement de l’Union soviétique, de la Yougoslavie et de la Tchécoslovaquie. Dans la course à la reconnaissance internationale des nouveaux pays, le président du CIO, habile diplomate, choisit de suivre les décisions de l’ONU tout en conservant une étroite marge de liberté. Le rappel des créations des CNO pour les nouveaux pays souligne encore le rôle conféré à l’Olympisme par les nations. Ainsi, pour l’ensemble soviétique, quelques pays créent leur comité avant que leur indépendance ne soit déclarée ou reconnue officiellement (Russie en 1989, Arménie, Kazakhstan et Turkménistan en 1990). D’autres pays créent leur CNO juste après la déclaration d’indépendance. Seuls l’Azerbaïdjan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan organisent leur comité seulement un an après leur indépendance. Les pays baltes, quant à eux, demandent la réactivation des CNO reconnus dans les années 1920.

Le coup d’Etat tenté contre Gorbatchev le 19 août 1991 donne le coup d’envoi des déclarations d’indépendance des républiques : en dix jours, dix républiques proclament leur indépendance et en décembre pratiquement toutes les républiques se sont séparées de la Russie. Le CIO voit donc arriver des demandes de reconnaissance pour participer aux Jeux de 1992. Seuls les pays baltes obtiennent gain de cause, et les autres républiques doivent intégrer une équipe unifiée.

La situation est aussi complexe pour la Yougoslavie : la Slovénie (décembre 1990) et la Croatie (juin 1991) déclarent leur indépendance et créent leur CNO en 1991. La Macédoine (septembre 1991) et la Bosnie-Herzégovine (mars 1992) se séparent de la Yougoslavie à leur tour. Le CIO reconnaît les comités de Croatie, de Slovénie et de Bosnie-Herzégovine à titre provisoire ce qui leur permet d’apparaître sur la scène internationale aux Jeux de Barcelone, ces trois pays ayant été reconnus par l’ONU en mai 1992. Le traitement réservé à la Yougoslavie (Serbie-Monténégro) est différent puisque, admise aux Jeux d’hiver en 1992 aux côtés de la Croatie et de la Slovénie, elle est exclue aux Jeux d’été suite à l’embargo décrété par le Conseil de sécurité de l’ONU le 30 mai 1992. Le CIO admet cependant les athlètes yougoslaves à titre individuel, mais sans droit au défilé, au drapeau et à l’hymne de leur pays.

Le rappel de la complexité géopolitique sportive des pays de l’Est autour d’un siècle d’Olympisme souligne combien la reconnaissance par les institutions internationales semble décisive pour affirmer sa place dans le concert des nations et participer à la cérémonie planétaire des JO. Ce rappel doit être complété par l’analyse des performances

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qui, au-delà de la participation au défilé d’ouverture, sont un autre moyen d’affirmer son rang dans l’échiquier mondial.

LES JEUX DE SEOUL (1988) : UN BLOC DE L’EST DOMINATEUR

Les Jeux de Séoul sont l’occasion de retrouver un duel entre les deux blocs qui ne s’était plus tenu depuis 1976, suite aux boycotts des Jeux de Moscou et Los Angeles. L’amélioration des relations entre les blocs, à l’initiative de la politique de Gorbatchev, n’empêche pas le combat pour la suprématie sportive.

En fait, trois matchs se déroulent aux Jeux depuis le milieu des années 60 : la lutte entre les champions des deux blocs que sont les Etats-Unis et l’Union soviétique ; le duel fratricide entre les représentants des deux Allemagne d’autant plus symbolique qu’ils sont issus d’un même peuple et que le plus fort peut justifier la victoire par son système politico-économique; la rivalité entre les pays alliés de ces puissances, les pays de la CAEM contre les pays de l’Europe occidentale notamment.

Pour mesurer la performance réelle, il faut aller au-delà d’un simple décompte des médailles fait dans la presse. Il faut étudier la participation et les résultats au travers des finalistes (les huit premiers de chaque épreuve qui reçoivent un diplôme officiel du CIO) et du rendement, soit le rapport entre les athlètes participants et les finalistes.

La participation traduit une hiérarchisation sportive claire dans le bloc

La participation s’analyse au travers du nombre de sports et d’épreuves pratiqués (237 épreuves réparties dans 24 sports aux Jeux de Séoul), ainsi qu’au travers de l’investissement dans les épreuves féminines (30,4% du total des épreuves).

A la veille de l’éclatement du bloc de l’Est, il n’existe pas de partage net des sports ou des épreuves entre les différents pays. Le sport n’a pas donné lieu à la même organisation que l’économie. La participation s’explique principalement en fonction de la tradition sportive de certains pays, de leur poids démographique (la probabilité de détecter un talent est d’autant plus grande que la taille de la population est importante), de leur niveau de développement économique et du poids attribué au sport dans la politique et la diplomatie du pays. La féminisation de la délégation correspond, elle, à une stratégie élaborée qui est en accord avec les préceptes du communisme (égalité des sexes).

La participation des différents pays du bloc de l’Est montre des niveaux d’implication différents (tableau 1). L’Union soviétique remplit totalement son rôle de leader du bloc en étant présente dans tous les sports (seul pays avec les Etats-Unis à être capable de le faire) et en couvrant 92% des épreuves. Son taux de féminisation n’est que très légèrement supérieur à la moyenne, tout simplement parce qu’elle est présente presque partout.

La Hongrie, la Pologne et la Tchécoslovaquie couvrent encore les trois quarts des sports et de 57 à 41% des épreuves. La féminisation est beaucoup plus faible notamment pour les deux premiers pays.

La RDA, la Bulgarie et la Roumanie ont une participation plus limitée en terme de sport (15 et 10) mais les investissent plus systématiquement puisque la RDA est présente dans 66% des épreuves et la Bulgarie dans 48%. Ces pays présentent des

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taux de féminisation beaucoup plus poussés (38 à 48% la moyenne des délégations se situant à 30%).

Enfin, la Yougoslavie développe un comportement différent avec une participation et un taux de féminisation beaucoup plus faible (29 et 22% respectivement). Le positionnement sportif de la Yougoslavie dans l’ensemble du bloc de l’Est est similaire à son positionnement politique, Tito ayant pris ses distances de l’Union soviétique très rapidement après guerre.

Les pays du bloc de l’Est sont fortement présents en athlétisme, natation et gymnastique qui sont les principaux sports des Jeux, mais aussi dans les sports de force et de combat (haltérophilie, lutte, boxe, judo, tir, escrime) ainsi que dans l’aviron et le canoë-kayak.

Leur présence est nettement plus limitée en équitation, en voile ou en tennis de table par exemple. Ces sports cadrent moins avec les objectifs politiques et l’image recherchée pour les sportifs de ces pays.

La féminisation dans l’athlétisme : une stratégie construite pour contrer l’Ouest

L’athlétisme est la vitrine sportive des Jeux. Le combat fait donc rage entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni qui qualifient des athlètes dans quasiment toutes les épreuves (USA 117, GBR 108 sur 118 athlètes possibles) et le bloc de l’Est. A noter que l’Allemagne de l’Ouest est très en retrait dans ce sport (seulement 18 qualifiés). Pour les pays de l’Est l’enjeu est de taille car les Etats-Unis et le Royaume-Uni sont des nations traditionnellement très fortes dans ce sport. Ils font donc porter leurs efforts sur certaines disciplines et laissent le champ libre aux Occidentaux sur d’autres : la présence est faible dans le sprint et dans une moindre mesure dans le demi-fond, en revanche ils sont très présents en marche, dans les lancers et les sauts (tradition sportive) et surtout, ils investissent beaucoup plus dans l’athlétisme féminin. L’exemple des Wunder Mädchen est éclatant en 1988 : l’Allemagne de l’Est présente un seul sprinteur en 100 m et aucun en 200 m alors qu’elle aligne trois sprinteuses en 100 et en 200 m. Les délégations de la Bulgarie, de la Pologne, de la Roumanie, de l’URSS et de l’Allemagne de l’Est présentent une forte dissymétrie en faveur de la représentation féminine, les deux dernières formant les bataillons les plus nombreux. Cette stratégie se révèle payante lors du décompte des finalistes et des médaillés.

Des résultats liés à un taux de rendement exceptionnel

Le taux de rendement des athlètes différencie le sport de l’Est de celui de l’Ouest (Tableau 2). En effet, la participation (c’est-à-dire la capacité à qualifier ses athlètes aux Jeux) est globalement équilibrée entre les deux blocs : les deux grands sont les seuls capables de détecter et former des athlètes dans tous les sports. Les pays satellites qualifient leurs athlètes de façon quasi proportionnelle à leur taille et puissance économique avec toutefois, pour les pays du bloc de l’Est, une distorsion liée à l’implication plus ou moins forte du régime politique (à l’image de la RDA ou de la Bulgarie). En revanche, quand il s’agit d’analyser la performance, le bloc de l’Est se détache irrémédiablement et laisse son concurrent loin derrière. Un sportif soviétique ou est-allemand arrive en moyenne deux fois sur trois en finale quand un sportif américain ou ouest-allemand ne l’atteint que quatre fois sur dix.

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Les matchs Etats-Unis/Union soviétique, Allemagne de l’Ouest/Allemagne de l’Est et pays alliés tournent tous à l’avantage des pays de l’Est avec un écart qui est presque constant dans les trois cas de figure (entre 15 et 20 points !). En d’autres termes, le modèle sportif socialiste sort largement vainqueur de sa confrontation avec le modèle libéral et répond donc parfaitement au but qu’on lui a fixé : légitimer le socialisme.

Toutefois dans les pays du pacte de Varsovie de nets écarts apparaissent entre la Bulgarie, la Pologne, la Roumanie et la Hongrie qui sont en conformité avec le modèle de leur « grand frère » (entre 42% et 34% de chance d’aller en finale) et la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie qui présentent des rendements proches des pays de l’Ouest (28 et 26% respectivement contre 24% pour le Royaume-Uni et la France).

Dans certains sports, les rendements sont proprement stupéfiants (tableau 2). L’aviron et le canoë-kayak présentent des configurations où les équipages de plusieurs pays de l’Est arrivent systématiquement en finale, les nageuses est-allemandes sont toutes des finalistes, les gymnastes roumaines aussi, …

L’analyse par sport fait ressortir fortement un élément fondamental de la stratégie des pays de l’Est pour s’imposer : ils ont misé sur le sport féminin, le taux de réussite étant toujours très largement supérieur à celui des pays de l’Ouest et fréquemment à celui de leurs homologues masculins.

Un succès sportif produit d’un système politique

L’obtention de tels rendements est le fruit d’une stratégie planifiée et repose sur le fait que le sport était un élément important voire essentiel de la politique extérieure des pays du bloc de l’Est. La RDA a toujours affirmé le rôle politique du sport de haut niveau comme moyen de briser le monopole de représentation du peuple allemand exercé par la RFA, ses athlètes étant des « diplomates en survêtement » (Hurtebize C., 1999). Au-delà de la reconnaissance institutionnelle, qui fut utilisée très tôt, la performance est devenue l’objet central du combat entre les deux blocs. Le succès sportif traduit ainsi la domination du pays et plus globalement du régime politique de celui-ci.

Pour arriver à ce succès, l’Union soviétique a mis en place un système sportif basé sur la pratique de masse et la détection précoce des athlètes, puis sur une formation de grande qualité (les entraîneurs du bloc de l’Est sont toujours recherchés pour leurs compétences) et enfin sur une systématisation du dopage. Elle a aussi choisi sciemment de s’investir dans le sport féminin où la concurrence était plus faible. Il faut noter que l’Allemagne de l’Est s’est inspirée de l’exemple soviétique et l’a perfectionné et que les autres démocraties populaires s’en sont plus ou moins largement inspirées.

Depuis la chute du mur de Berlin, de nombreuses révélations ont permis de faire la lumière sur les pratiques illicites des pays du bloc de l’Est. Instrumentalisé par le pouvoir politique, le sport n’était qu’un des moyens de la lutte que se livraient les deux blocs. Les récents témoignages côté américain montrent que ceux-ci n’étaient pas en reste, mais de ce côté de l’Atlantique il ne s’agissait pas d’une politique systématique implémentée par l’Etat même si le Comité national olympique américain a clairement couvert de nombreuses irrégularités.

En 1988, le bloc de l’Est présente des caractéristiques sportives communes qui n’empêchent pas toutefois de classer les différents pays dans des catégories diversifiées. L’Union soviétique est une superpuissance sportive capable de présenter des athlètes

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dans quasiment toutes les épreuves et de les emmener en finale avec un rendement impressionnant. La stratégie de féminisation est un peu moins prononcée que pour d’autres pays tout simplement parce qu’elle est capable d’investir le sport masculin plus concurrentiel. L’Allemagne de l’Est a parfait le système de l’Union soviétique ce qui lui permet d’être une véritable puissance sportive alors qu’elle n’est qu’une puissance moyenne quand on s’intéresse à d’autres indicateurs. Elle a misé sa stratégie sur une spécialisation plus poussée à la fois parce qu’elle s’attaque à moins de sports et parce que la féminisation de la délégation est élevée. La Bulgarie et la Roumanie sont dans la même logique que l’Allemagne de l’Est mais avec une spécialisation encore plus forte traduisant des « moyens » beaucoup plus limités. Leur rendement est plus faible mais reste très élevé pour des puissances sportives de cette taille.

La Hongrie et la Pologne se distinguent par leur capacité à être présentes dans beaucoup de sports avec de bons rendements mais en ne s’appuyant pas sur le sport féminin. Elles s’éloignent déjà plus du modèle de l’Union soviétique. La Tchécoslovaquie présente plutôt un compromis avec un nombre de sports relativement important, une féminisation assez développée mais un rendement médiocre. Enfin, la Yougoslavie se démarque avec une participation faible (avec un investissement sur les sports collectifs élevé) une féminisation faible et des rendements médiocres. Son non alignement politique se retrouve en quelque sorte dans le sport aussi. Les efforts consacrés par les pays à la « lutte sportive » sont ainsi proportionnels à leur implication dans le système d’alliance avec le grand frère soviétique.

les JeuX d’athènes (2004), Que reste-t-Il du sport sovIetIQue ?L’effondrement de l’Empire soviétique est brutal et a de profondes répercussions

sur le monde sportif. L’arrivée de nombreux nouveaux pays (14) sur la scène sportive internationale est le premier effet de l’éclatement de l’Union soviétique. Il est suivi par l’implosion de la Yougoslavie (4 nouveaux pays) et la scission de la Tchécoslovaquie. La reconnaissance auprès du CIO sera dès lors un enjeu de politique internationale comme on l’a souligné précédemment.

On passe donc d’un bloc constitué de huit pays à un nouvel ensemble de vingt-cinq pays qui ne sont plus unis par un même système d’alliance et par une même idéologie, même si l’on n’efface pas d’un coup un destin partagé pendant une quarantaine d’années.

Observer, quatre olympiades plus tard, la présence et les résultats de ces pays aux Jeux permet de dresser un bilan et les perspectives du sport dans ces pays. Ce laps de temps était nécessaire pour voir éclore de nouveaux athlètes issus non pas de l’ancien système sportif mais « produits » par les pays et pour évaluer leurs stratégies.

L’analyse doit toutefois se faire en fonction des bouleversements qu’ont subis ces pays. D’un côté, nous traiterons des pays qui n’ont pas connu de bouleversements territoriaux, de l’autre de ceux qui sont apparus récemment, l’Allemagne étant un cas à part avec la réunification des deux Allemagne.

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Une participation en forte hausse

La comparaison de la participation entre 1988 et 2004 doit intégrer l’évolution qu’a connue le programme olympique. Quatre nouveaux sports sont entrés au programme (badminton, baseball et son pendant féminin, le softball, taekwondo, triathlon), des disciplines sont apparues (beach volley ou gymnastique rythmique et sportive) et le nombre d’épreuves est passé de 237 à 301. Les sports déjà présents au programme se sont féminisés soit en intégrant de nouvelles épreuves qui étaient déjà dans le programme masculin comme en athlétisme soit en s’ouvrant à la pratique féminine comme en judo ou en lutte.

Globalement, la participation des athlètes issus des pays de l’ex-bloc de l’Est est en forte augmentation : ils pesaient 19,5% du total en 1988, ils en représentent 24,5% en 2004 sans compter les athlètes allemands (tableau 3 et figure 4).

Cette évolution cache toutefois deux tendances opposées : - Pour les pays qui n’ont pas subi d’évolution territoriale, la participation en chiffre

brut (moins d’athlètes présents en 2004 qu’en 1988) ou en chiffre relatif (poids de la délégation dans le total en 2004 inférieur à celui de 1988) est globalement en baisse. Ainsi, en 1988, la Bulgarie inscrivait 186 athlètes dans les épreuves, ils ne sont plus que 98 en 2004. La Hongrie est dans un cas de figure un peu moins catastrophique, la Roumanie arrive juste à maintenir le même nombre d’inscrits, seule la Pologne aligne un peu plus d’inscrits en 2004;

- Pour les pays issus de l’éclatement, la participation globale est en forte hausse. Ce phénomène s’explique principalement par la démultiplication du nombre de pays. En 1988, l’Union soviétique ne pouvait présenter que trois athlètes dans les épreuves d’athlétisme ou un seul boxeur par catégorie de poids. En 2004, l’Ukraine, la Biélorussie, le Kazakhstan ou d’autres républiques sont capables de qualifier plusieurs athlètes chacun ce qui renforce le poids relatif des pays de l’ex-bloc de l’Est. Toutefois, l’intensité de l’évolution est très différente entre la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie et l’Union soviétique. La participation de la République tchèque et de la Slovaquie est légèrement supérieure (multipliée par 1,3), celle des républiques issues de la Yougoslavie est plus forte (multipliée par 2,5) et pour l’ex-Union soviétique la progression est impressionnante (multipliée par 4) alors que la Russie amène un peu moins d’inscrits que l’URSS en 1988.

De nouvelles puissances sportives sont ainsi apparues : l’Ukraine présente plus d’athlètes inscrits que la délégation britannique, la Biélorussie en a autant que la Pologne et de nombreuses délégations de taille moyenne se développent comme au Kazakhstan, en Slovénie ou en Croatie.

- Enfin, l’Allemagne présente une délégation en 2004 qui est stable par rapport à celle de l’Allemagne de l’Ouest en 1988. L’intégration des athlètes de l’Est a été très faible et la réunification n’a pas développé une superpuissance sportive.

Un faible degré de féminisation des petites délégations

Alors que la part des épreuves féminines a fortement progressé entre 1988 et 2004 pour s’approcher de la parité, la situation des pays est contrastée. La Roumanie a maintenu sa forte spécialisation dans le sport féminin et reste le seul exemple dans

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ce nouvel ensemble. La Bulgarie n’est plus aussi fortement spécialisée dans les sports féminins mais reste comme la Russie un pays où le sport féminin est privilégié. La Hongrie et la Pologne ont renforcé de façon significative leurs contingents d’athlètes féminines (figure 3).

Les pays de l’ex-Yougoslavie et de l’ex-Union soviétique présentent une situation beaucoup plus contrastée.

- Seules l’Ukraine et la Biélorussie ont des délégations féminisées à l’instar de la Russie. Les délégations des pays baltes et des républiques du Caucase reposent sur un sport masculin.

- La situation est identique en ex-Yougoslavie, caractérisée par un sport masculin, seules la Slovénie et la Macédoine ont une légère surreprésentation des sports féminins.

Le facteur culturel peut difficilement être invoqué pour expliquer cette distribution. La réaffirmation des particularismes culturels après la disparition d’un régime qui tentait d’imposer un moule idéologique commun est réelle. Mais qu’y a-t-il de commun entre la position de la femme dans les pays baltes et dans les républiques musulmanes d’Asie centrale ? L’explication de cette distribution doit être recherchée dans la taille des délégations et dans la faiblesse des moyens de ces pays. On l’observe globalement dans les délégations aux Jeux : le sport de haut niveau est tout d’abord masculin et le développement du sport féminin se fait dans un second temps.

La participation des républiques de l’ex-Union soviétique

La Russie est l’héritière directe de l’ancien modèle soviétique. Elle est la seule à posséder l’assise sportive suffisante pour rester une grande puissance sportive. Elle est toujours présente dans la plupart des sports (mis à part les sports purement américains que sont le baseball et le softball et de nouvelles disciplines comme le beach volley ou le canoë-kayak en eau vive). La Biélorussie et l’Ukraine confirment leur statut de puissance sportive en étant présentes dans de nombreux sports. Leur profil se rapproche très fortement de celui de la Russie avec toutefois une capacité plus faible à se qualifier dans toutes les épreuves. Les pays baltes et les républiques du Caucase investissent les sports de base (athlétisme, natation) et possèdent chacun une spécialisation. Les républiques du Caucase sont présentes de façon prononcée dans les sports de force et de combat (haltérophilie, tir, lutte, judo et boxe), alors que les pays baltes se retrouvent dans les sports d’eau (aviron, canoë-kayak et voile) et le cyclisme. Ils sont présents dans les sports de combat mais bien en-deçà de la participation des républiques du Caucase.

La participation aux nouvelles épreuves : un investissement proportionnel à la taille

Plus de soixante nouvelles épreuves sont apparues entre 1988 et 2004. Elles peuvent être classées, pour la plupart, dans deux catégories : nouvelles épreuves liées à la féminisation d’un sport existant, ou liées à l’introduction d’un sport ou d’une discipline. Dans le deuxième cas de figure, on peut différencier les sports ou disciplines suivant leur origine et leur public. D’un côté, le badminton et le taekwondo s’adressent plutôt au monde asiatique dont ils sont issus ainsi qu’aux pays occidentaux

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ayant les moyens de s’y investir. De l’autre, le triathlon, le VTT ou le canoë-kayak en eau vive attirent les pays occidentaux où ils ont été créés. Ces sports demandent des moyens financiers plus importants notamment pour développer des conditions d’entraînement excellentes. Le beach volley, quant à lui, est plutôt tourné vers les continents américain et européen.

La capacité à investir de nouvelles épreuves par les pays est quasiment proportionnelle à la taille de la délégation. Seules, la Biélorussie, la Roumanie et l’Ouzbékistan sont un peu en-dessous et l’Azerbaïdjan un peu au-dessus.

En effet, pour ce qui est des épreuves liées à la féminisation, les pays les investissent d’autant plus qu’ils sont déjà présents dans les épreuves masculines. Pour les nouveaux sports, les situations sont plus contrastées. La République tchèque a clairement décidé de s’investir dans les sports « occidentaux » puisqu’elle est présente dans chacun et de façon importante. Elle devance la Slovaquie, la Pologne et la Russie. A noter l’investissement important de tous les pays de l’ex-République yougoslave dans la discipline du canoë-kayak en eau vive. Pour le reste quasiment aucun autre pays n’est présent dans ce créneau. Le badminton ne fait pas non plus recette (présence de la Bulgarie et de la Russie). Enfin, le taekwondo permet à de petits pays d’être présents.

Des résultats se traduisant par une forte baisse des rendements pour les pays préexistants

La Roumanie mise à part, tous les autres pays préexistants accusent une forte baisse de leurs performances, leurs rendements baissant de 8 à 10 points et même de 20 points pour la Russie (figure 5). Le bloc de l’Est n’est plus dominateur mais revient à des niveaux proches des pays occidentaux qui ont tendance à améliorer un peu leur rendement (ils profitent vraisemblablement de la faiblesse relative de leurs concurrents de l’Est).

Les nouveaux pays apparus présentent des situations plus disparates : les républiques du Caucase affichent d’excellents rendements (entre 30 et 40%) liés à leur spécialisation dans les sports de combat, les pays baltes obtiennent des rendements honorables (15 à 25%), comme la Slovénie et la Croatie, et les petites nations comme la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine ou la Moldavie, ne prétendent pas au succès : leur seule présence aux Jeux est déjà un pas important dans leur stratégie.

A noter que l’investissement des nouveaux sports et disciplines n’apporte que peu de succès alors que celui dans les épreuves liée à la féminisation est d’un bien meilleur rendement.

Les bouleversements qui ont suivi la chute du bloc de l’Est ont des conséquences sur le système sportif comme sur tous les autres pans de la société. L’excellence sportive n’est plus un élément essentiel de la politique extérieure de ces pays et les moyens consacrés au sport ne sont plus les mêmes. La crise suite au changement de modèle économique est si forte que les pays ont d’autres préoccupations plus immédiates. Le maintien d’un haut niveau est même plutôt une réussite.

Toutefois, si ces pays arrivent à amener leurs athlètes à un haut niveau (capacité de se qualifier pour les Jeux) l’excellence (finalistes et médaillés) est plus dure à atteindre. La diminution des moyens consacrés au sport, l’exacerbation de la concurrence avec la montée en puissance de nouveaux pays (Chine, pays occidentaux qui améliorent

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leur rendement, pays africains ou asiatiques sur certains créneaux spécifiques) et la nouvelle attention portée au dopage expliquent en grande partie la baisse de rendement. La lutte contre le dopage est plus facile à mener dans le nouveau contexte politique : accuser frontalement les pays de l’Est de dopage exposait le CIO à un boycott politique des Jeux alors même que dans les pays occidentaux celui-ci existait aussi. A l’heure actuelle, la pression économique des sponsors, qui ne peuvent se permettre d’associer leur image à un champion dopé, et le retrait des Etats sur le champ sportif laisse une plus grande latitude au CIO pour s’attaquer au dopage. Toutefois, un autre biais apparaît dans la lutte antidopage : le clivage entre des champions ayant recours aux derniers produits inventés qui ne sont pas pris et les autres qui n’ont pas les moyens de se les payer et qui se font prendre plus facilement. A ce titre les Jeux d’Athènes ont parfaitement illustré la situation : des sportifs issus des ex-pays de l’Est se sont faits prendre avec des produits relativement anciens alors que les révélations récentes dans le cadre du scandale BALCO aux USA montre que des athlètes américains ont pu passer au travers des mailles du filet avec la THG aux Championnat du Monde d’athlétisme de Paris et sûrement aux Jeux de Sydney.

Des analyses plus approfondies à mener…

Cette première analyse grossière des modifications apparues en quatre olympiades dans cette région du monde peut être poursuivie dans plusieurs directions.

Dans un premier temps, il s’agit d’analyser les transformations induites dans toute une série de sports où ces pays étaient présents. L’exemple de la boxe illustre les bouleversements dans la donne sportive.

En 1988, les pays du bloc de l’Est qualifiaient 49 boxeurs dans 12 catégories de poids. L’Union soviétique présentait un boxeur dans chaque catégorie. En 2004, 79 boxeurs issus des pays de l’ex-bloc de l’Est sont sur les rangs pour 11 catégories de poids. Les républiques issues de l’Union soviétique sont responsables de cette évolution puisqu’elles cumulent à elles seules 61 boxeurs. De nouveaux concurrents issus d’Azerbaïdjan, du Kazakhstan, d’Ouzbékistan, d’Ukraine et de Biélorussie complètent une présence russe toujours forte. En revanche, les boxeurs des pays satellites arrivent en moins grand nombre : les contingents bulgare, hongrois et polonais sont plus étriqués et les boxeurs yougoslaves et tchécoslovaques ont carrément disparu.

Les résultats en finale confirment la situation observée pour la participation. En 1988, 29 boxeurs du bloc de l’Est parvenaient en finale, ils sont 37 en 2004, dont 33 uniquement pour les républiques de l’ex-Union soviétique. Les pays satellites n’arrivent plus à placer qu’une très faible partie de leurs effectifs en finale. On observe ainsi une complète transformation de la concurrence dans ce sport avec de nouveaux protagonistes (azéris, kazakhs ou ouzbeks). L’évolution de la boxe allemande est aussi intéressante : alors que l’Allemagne de l’Est formait d’excellents boxeurs (8 qualifiés et 5 finalistes en 1988) les résultats en 2004 sont médiocres (5 qualifiés et 2 finalistes).

Dans un second temps, il faut aussi se pencher sur les stratégies mises en place par les pays. L’Azerbaïdjan offre ainsi une évolution de sa présence aux Jeux qui traduit la mise en place et le développement d’une stratégie originale. En 1996, pour sa première apparition, le pays qualifiait une vingtaine d’athlètes dans 8 sports et obtenait 5 finalistes dans des disciplines de combat (lutte surtout). En 2004, l’Azerbaïdjan a presque doublé

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ses inscrits et a surtout triplé le nombre de ses finalistes avec une « percée » en boxe puisqu’elle obtient 5 finalistes dans ce sport. Le seul nouveau sport dans lequel elle s’investit est le taekwondo (toujours un sport de combat) où elle obtient un finaliste.

Enfin pour mieux saisir les transformations qui se sont produites dans cet intervalle de temps, il faut se pencher sur le suivi des athlètes afin de voir comment les pays ont réussi ou non à gérer la transition notamment pour tous les nouveaux pays qui ont pu dans un premier temps se reposer sur des athlètes formés par « l’ancien régime » mais qui doivent former de nouvelles générations.

pour conclureLes pays de l’Europe de l’Est sont exemplaires pour mesurer le rôle géopolitique

du sport et de l’Olympisme. La phase de reconnaissance des CNO avant la Révolution russe, puis après la chute du mur de Berlin qui libère nombre de pays de l’emprise soviétique, témoigne d’enjeux qui sont plus politiques que sportifs. Le sport apparaît comme un vecteur de reconnaissance internationale et de renforcement des identités. L’analyse des résultats sur une longue durée permet ensuite de suivre l’évolution sportive des pays et la transition entre le modèle soviétique et de nouveaux modèles à inventer dans un contexte de crise économique pour la plupart de ces pays. Dans ce cadre, les JO peuvent être perçus comme le théâtre où s’affichent l’inégalité, les rapports de forces et les hiérarchies économiques et politiques. Ni tout à fait simulacres, ni tout à fait guerres, les luttes sportives sont devenues des rituels modernes où l’ordre social se donne à voir et se reproduit en paraissant se dissoudre. Permettant des rencontres réglementées dans des lieux diversifiés et selon un calendrier préétabli, le Mouvement olympique vise à l’instauration de pratiques universelles, mais un ordre sportif international s’est constitué. Celui-ci reste dominé par les pays les plus riches du monde et l’Europe, y compris l’Europe de l’Est, y maintient sa prépondérance historique.

Tableau 1 : Principaux aramètres décrivant les délégations des pays en 1988

Présence épreuves Nombre d’inscrits Féminisation Rendement

URS 92 % 386 36,5 % 63 %

GDR 66 % 278 40,5 % 62 %

BUL 48 % 186 38,5 % 42 %

ROM 25 % 120 48,5 % 38 %

HUN 57 % 229 26,0 % 34 %

POL 43 % 137 23,5 % 38 %

TCH 41 % 148 36,5 % 28 %

YUG 29 % 85 22,5 % 26 %

USA 96 % 442 35,5 % 42 %

FRG 79 % 314 33,0 % 41 %

GBR 76 % 320 36,5 % 24 %

FRA 69 % 287 31,0 % 24 %

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Tableau 2 : Le rendement des pays dans certains sports en 1988

Sport Pays Rendement

Homme Femme

AT URS 59 67

GDR 62 76

BUL 27 58

TCH 27 17

USA 43 44

CF URS 78 100

GDR 100 100

HUN 78 100

BUL 60 100

USA 44 67

GA URS 100 100

GDR 75 67

ROM 25 92

BUL 44 42

USA 0 50

RO URS 75 86

GDR 100 72

ROM 100 100

BUL 100 100

USA 75 43

SH URS 52 75

GDR 28 75

HUN 40 13

TCH 27 17

USA 29 13

SW URS 67 41

GDR 60 96

HUN 39 40

BUL 0 46

USA 64 79

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Tableau 3 : Principaux paramètres décrivant les délégations des pays en 2004

Présence épreuves

Nombre d’inscrits Féminisation Rendement

BUL BUL 30 % 98 41 % 34 %HUN HUN 45 % 170 43 % 28 %POL POL 41 % 159 36 % 28 %ROM ROM 28 % 114 52 % 42 %

TCH CZE 33 % 130 41 % 19 %SVK 18 % 65 22 % 18 %

YUG BIH 4 % 11 18 % 0 %CRO 19 % 63 35 % 17 %MKD 5 % 14 43 % 0 %SCG 13 % 40 22 % 17 %SLO 23 % 77 40 % 13 %

URS RUS 77 % 380 44 % 43 %BLR 37 % 147 41 % 30 %MDA 10 % 33 21 % 6 %UKR 56 % 228 43 % 34 %EST 11 % 40 27 % 15 %LAT 11 % 38 29 % 24 %LTU 15 % 50 30 % 22 %ARM 6 % 19 10 % 42 %AZE 12 % 38 18 % 42 %GEO 11 % 33 21 % 30 %KAZ 30 % 101 32 % 27 %KGZ 11 % 32 25 % 3 %TJK 3 % 9 45 % 22 %

TKM 3 % 10 30 % 10 %UZB 24 % 73 29 % 14 %

GER GER 72 % 337 40 % 41 %

USA 84 % 430 42 % 46 %FRA 62 % 277 39 % 35 %GBR 53 % 230 42 % 38 %

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