Parmenide Dumont

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PARMÉNIDE (fin du VI ème siècle - milieu du V ème ) De la Nature. ent cinquante deux vers grecs, et six autres traduits en latin : voilà tout ce que nous possédons de Parménide ; le plus grand fragment, le n° 8, n’en comporte que soixante et un. C’est bien peu pour se faire une idée de ce que fut la philosophie, mais aussi la poésie de notre auteur. C Platon, et les commentateurs ultérieurs qui forment la doxographie – Simplicius, Diogène Laërce ou Sextus Empiricus, pour n’en citer que quelques uns, et plus près de nous Jean Beaufret ou Jean Bollack, qui l’ont traduit et commenté, l’ont essentiellement considéré comme un philosophe, en oubliant au passage la dimension poétique de l’œuvre. Or c’est sur celle-ci que j’aimerais insister. Parménide est un successeur d’Homère et d’Hésiode ; il se place délibérément dans cette tradition, par l’emploi de l’hexamètre épique, mais aussi par sa langue, encore très proche de celle d’Homère. Peut-être a-t-il eu en mains également les œuvres d’Épicharme, et de Xénophane, dont on l’a dit quelquefois disciple ; mais il nous reste trop peu de ces deux auteurs pour pouvoir en tirer beaucoup de conclusions. Parménide n’est donc pas un initiateur ; il disposait d’une langue épique, apte à décrire le réel et l’action des hommes, et aussi d’une langue philosophique abstraite, déjà forgée par ses prédécesseurs. Il nous est difficile aujourd’hui de percevoir ce qu’il pouvait avoir de novateur. Pour nous, l’intérêt de Parménide est double : découvrir une vision du monde, une « Weltanschauung » originale, qui se distingue de celle de ses prédécesseurs et de ses contemporains, et qui influencera la philosophie, de Platon à Heidegger, mais aussi une poésie, une langue, un mode d’expression bien à lui, qui nous permet de le ranger au panthéon des grands poètes-philosophes ou poètes-savants, aux côtés d’Empédocle ou de Lucrèce. Parménide, fragment 1 5 10 Ἵπποι ταί με φέρουσιν, ὅσον τ' ἐπὶ θυμὸς ἱκάνοι, πέμπον, ἐπεί μ' ἐς ὁδὸν βῆσαν πολύφημον ἄγουσαι δαίμονος, ἣ κατὰ πάντ' ἄστη φέρει εἰδότα φῶτα· τῇ φερόμην· τῇ γάρ με πολύφραστοι φέρον ἵπποι ἅρμα τιταίνουσαι, κοῦραι δ' ὁδὸν ἡγεμόνευον. Ἄξων δ' ἐν χνοίῃσιν <ἵει> σύριγγος ἀυτήν αἰθόμενος. δοιοῖς γὰρ ἐπείγετο δινωτοῖσιν κύκλοις ἀμφοτέρωθεν, ὅτε σπερχοίατο πέμπειν Ἡλιάδες κοῦραι, προλιποῦσαι δώματα Νυκτός, εἰς φάος, ὠσάμεναι κράτων ἄπο χερσὶ καλύπτρας. 1

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Parménide par Dumont

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  • PARMNIDE (fin du VIme sicle - milieu du Vme)

    De la Nature.

    ent cinquante deux vers grecs, et six autres traduits en latin : voil tout ce que nous possdons de Parmnide ; le plus grand fragment, le n 8, nen comporte que soixante et un. Cest bien peu pour se faire une ide de ce que

    fut la philosophie, mais aussi la posie de notre auteur. CPlaton, et les commentateurs ultrieurs qui forment la doxographie Simplicius, Diogne Larce ou Sextus Empiricus, pour nen citer que quelques uns, et plus prs de nous Jean Beaufret ou Jean Bollack, qui lont traduit et comment, lont essentiellement considr comme un philosophe, en oubliant au passage la dimension potique de luvre. Or cest sur celle-ci que jaimerais insister.

    Parmnide est un successeur dHomre et dHsiode ; il se place dlibrment dans cette tradition, par lemploi de lhexamtre pique, mais aussi par sa langue, encore trs proche de celle dHomre. Peut-tre a-t-il eu en mains galement les uvres dpicharme, et de Xnophane, dont on la dit quelquefois disciple ; mais il nous reste trop peu de ces deux auteurs pour pouvoir en tirer beaucoup de conclusions.Parmnide nest donc pas un initiateur ; il disposait dune langue pique, apte dcrire le rel et laction des hommes, et aussi dune langue philosophique abstraite, dj forge par ses prdcesseurs. Il nous est difficile aujourdhui de percevoir ce quil pouvait avoir de novateur.

    Pour nous, lintrt de Parmnide est double : dcouvrir une vision du monde, une Weltanschauung originale, qui se distingue de celle de ses prdcesseurs et de ses contemporains, et qui influencera la philosophie, de Platon Heidegger, mais aussi une posie, une langue, un mode dexpression bien lui, qui nous permet de le ranger au panthon des grands potes-philosophes ou potes-savants, aux cts dEmpdocle ou de Lucrce.

    Parmnide, fragment 1

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    : venir, savancer, , : dont on parle beaucoup, trs clbre, ou qui parle beaucoup., , : trs prudent, trs habile , char de guerre : tirer un char (< Iliade) , : axe, essieu = , : crou de fer au centre du moyeu,o sadapte lessieu dune voiture , : le cri, , : double, , : fait au tour : pousser, presser (ici au passif) (passif) : slancer, se prcipiter < ( : aoriste ionien) : repousser, rejeter < () : la tte. Le gnitif pl. est dans lOdysse., : voile , : route, chemin. (Odysse, 10, 86) : car les routes de la nuit et du jour se suivent de prs. : des deux cts , = : linteau

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  • , : seuil, , : de pierre, , : de nature thre ou cleste, qui slve en lair < : tre plein (se dit dune porte), : chssis dune porte, , : qui se donne ou se fait en retour, quon change < : persuader, apaiser (Hsiode) : avec soin, , : assujetti laide dun pne < ? ce qui transporte ? : tire dailes, bien vite , : ouverture, bance, , : grand ouvert, bant : participe aoriste moyen attique de : senvoler : alternativement ( ?) < = : faire tourner , : flte (v. 6), crou dun gond (v. 19) , : cheville , : agrafe, pointe traversant un objet < - : participe parfait au duel ? ensemencer, semer, labourer : qui va en droite ligne (pique et lyrique ) : la grande-route, la route carrossable : dun cur empress ou plein de bonne volont : accueillir, recevoir (ionien) : la main droite : uni , qui accompagne , : le cocher = (pique) : la maison < : aller, venir , : pas, chemin battu, commerce avec les hommes... : autant que ; et et = : quoi quil en soit ; mais cependant : convenablement- (+ acc) : traverser

    Traduction : Les cavales qui memportent, aussi loin que mon cur allait, maccompagnaient, puisque ils mont men, me conduisant vers le chemin loquent du dmon, qui porte lhomme qui sait travers toutes les villes ; cest sur cette route que jtais transport ; cest sur cette route en effet que me portaient les cavales trs habiles, tirant un char, et des jeunes filles montraient le chemin.Lessieu dans les moyeux jetait le cri de la flte, brlant ; en effet il tait press de chaque ct par les roues jumelles faites au tour, quand se htaient de faire escorte les Hliades, ayant laiss les demeures de la Nuit, vers la lumire, repoussant de leur tte, avec leurs mains, leurs voiles. L sont les portes des chemins de la Nuit et du

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  • Jour, et les tiennent des deux cts (= en haut et en bas) un linteau et un seuil de pierre ; celles-ci thres sont pleines sur leurs grands chssis. Justice qui chtie fortement possde leurs cls qui schangent (qui fonctionnent dans les deux sens) ; les jeunes filles, layant apaise par de douces paroles, la persuadrent habilement, de repousser pour elles, bien vite, le verrou des portes ; celles-ci souvrirent en grand, ayant bascul, ayant fait tourner les axes garnis de cuivre dans les crous alternativement, tous deux fixs par des chevilles et des agrafes ; et voici que par l, travers les portes, les jeunes filles guidaient tout droit sur la grand-route le char et les cavales.Et la Desse maccueillit avec empressement, elle prit dans sa main ma main droite, et voici la parole quelle madressa et me dit : Jeune homme accompagn dimmortels cochers et de cavales qui te porte, arrivant notre demeure, salut ! puisque ce nest pas un mauvais destin qui ta fait emprunter ce chemin (il est lcart des sentiers battus des hommes), mais Thmis et Dik (la justice et le droit). Il faut que tu sois compltement inform, et du cur intrpide de la Vrit, cercle parfait, et des opinions des mortels, en lesquelles il nest nulle confiance (nul crdit) vrai. H bien, quoi quil en soit, apprends aussi cela, quil fallait que les objets apparents (les phnomnes ?) soient acceptables, stendant tous travers tout.

    Commentaire : Ce texte, qui apparat comme un prologue, se prsente sous la forme dun rcit : le narrateur, sur un char attel de cavales, fait un long voyage, guid par les Hliades, desses du soleil et de la lumire ; il parvient devant une porte monumentale, dont Justice dtient la cl : ferme aux mortels, il faudra lintercession des Hliades pour que Justice laisse le narrateur la franchir. Cette porte de la nuit ouvre sur une rvlation : elle conduit la demeure de la Desse, qui accueille le jeune homme et lui annonce son enseignement.Si lon sen tient une interprtation potique, lon voit que lon nest pas trs loin dHsiode : les Hliades et la Desse ont remplac les Muses, mais lon retrouve lide dune initiation dont le pote, seul parmi les mortels, bnficie, par sa proximit avec les desses. Proche dHsiode galement, mais des Travaux ici plus que de la Thogonie, le got pour les dtails concrets, et mme franchement techniques : la porte est dcrite avec le mme luxe de dtail que laraire hsiodique. De lemportement de la course (v. 1-10) la minutie de la description (v. 11-20), le contraste est frappant, comme si Parmnide avait voulu rassembler dans son prologue la totalit des genres dont il allait se servir dans son pome, de lpique au didactique : cest une ouverture , au sens musical du terme.Le vers 22 marque la fin du voyage, en mme temps que lapparition de la Desse, non nomme : est-ce le mme personnage que le du vers 3 ? Est-ce lincarnation, ou lallgorie de la Vrit ? Rien ne permet de le dire.Elle flicite dabord le jeune homme davoir choisi une voie lcart des sentiers battus : cest la justice et la loi qui lont guid ce qui peut laisser penser que lenseignement venir ne sera pas uniquement scientifique, mais galement moral : on apprend la Vrit pour mieux vivre. Les derniers vers sont nigmatiques : il faut

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  • que tu connaisses compltement le cur intrpide de la vrit, sphre parfaite : ladjectif , homrique, dsigne une forme parfaite, plus quune gomtrie particulire ; la Vrit est sans dfaut. La suite est plus trange, qui semble mettre sur le mme plan cette Vrit, et les , les opinions des hommes, dans lesquelles ne rside nulle certitude Peut-tre faut-il passer par les doxas pour atteindre la vrit ? Enfin, les deux derniers vers sont plus incertains encore, comme en tmoignent les diffrentes traductions :

    - Jean Beaufret, 1955 : mais oui, apprends aussi comment la diversit qui fait montre delle-mme ( ) devait dployer une prsence digne dtre reue ( ), tendant son rgne travers toutes choses.

    - Jean-Paul Dumont, 1988 : Mais cependant aussi jaurai soin de tapprendre / comment il conviendrait que soient, quant leur tre, / en toute vraisemblance (), lesdites opinions ( ), / qui toutes vont passant toujours ( ).

    - Jean Bollack, 2006 : Pourtant, de cela aussi tu seras instruit : que les valeurs ( ) il fallait toutes les valider ( ... ) en les faisant passer par le tout.

    On voit que le problme est double : que sont les par opposition la premire partie de lenseignement, la Vrit ? Sagit-il des opinions, des apparences, des phnomnes ce qui nimplique nullement, chez Parmnide, un monde duel comme chez Platon : le monde des est peut-tre celui des apparences, qui nous fait voir cass un bton plong dans leau, ou le soleil tournant autour de la terre : nos perceptions sont bien relles, et cohrentes : seule leur interprtation est fausse. Il faut dpasser les fausses vidences pour trouver la vrit, sans pour autant renier la perception Parmnide serait ainsi un lointain prcurseur de Lucrce, pour qui les sens sont notre seule source dexprience. Ainsi serait annonce la deuxime partie du livre, consacr prcisment la cosmologie, mais aussi dautres sciences.Le second problme concerne le dernier vers. Que signifie ? Lemploi de cet adverbe nest donn dans le Bailly quattnu, chez Xnophon ou Eschyle, et il signifie convenablement , ce qui na gure de sens ici. Faut-il chercher son sens dans ladjectif , qui signifie la fois ce qui a t prouv et ce qui est croyable, digne de foi . On atteint un sens plus satisfaisant, et conforme notre dfinition prcdente. Les sont bel et bien dignes de foi, ou auraient d tre considres comme telles condition de ne pas se laisser emporter par de trop rapides conclusions. Cest une dmarche scientifique. Et lon peut mme se demander si, quoi quen dise Jean Beaufret (op. cit. p. 23), la correction propose par Diels en 1897 ne serait pas pertinente : remplaant ladverbe par la forme lide , contraction de linfinitif , il comprend ainsi : mais oui, malgr tout, tu auras apprendre comment la diversit de ce qui parat tre ( ... ) devait tre mise lpreuve (... ). Il ne sagit donc nullement dopposer radicalement, comme le fera Platon, un monde des apparences, illusoire, soumis au devenir, simple reflet, un monde rel , hors du temps et intrinsquement vrai . Il ny a quun monde, quil convient de connatre, dabord

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  • par une voie vers la Vrit, et ensuite, en rexaminant le savoir acquis la lumire de cette vrit. La dmarche est ainsi parfaitement cohrente.Ce premier fragment nous offre donc, outre un aperu des difficults auxquelles le lecteur de Parmnide doit sattendre, une sorte de panorama des styles : pique et allgorique, puis abstrait.

    Parmnide, fragment 2

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    ' ' , , ( ), ' , ( ) .

    = devant une voyelle : prendre soin de, emporter : gnitif ionien de , : recherche = - : suivre, accompagner (+ datif) < + , , : inconnu ou ignorant ; invention verbale chre Parmnide, qui construit beaucoup dadjectifs partir de ou de (cf. fragment 1) = infinitif homrique du verbe tre, , = : sentier, chemin troit, , : quon ne peut accomplir ; ou = : qui conduit un rsultat efficaceTraduction : Allons, si moi je parle, toi, coute mes paroles et retiens-les, quelles sont les seules voies de recherche concevoir ; lune, comment elle est et quelle ne peut pas ne pas tre, est le sentier de la Persuasion (en effet il accompagne la Vrit), lautre, savoir quelle nest pas et quil est ncessaire quelle ne soit pas [ou : que le non-tre est ncessaire], jaffirme quil est un sentier tout fait inconnu ; tu ne saurais connatre en effet ce qui nest pas, (en effet il ne conduit aucun rsultat) ni lnoncer.

    Commentaire : Le fragment tout entier est une variation sur ltre : le verbe apparat dix fois en huit vers, tantt sous la forme dune simple copule (v. 4, v. 5 : , v. 6 : ), tantt avec le sens de il est possible, permis (v. 3 : ), tantt, le plus souvent, avec son sens plein : les deux voies qui existent et sont connatre (v. 2), quel est le mode dexistence de la premire ( ), la non-existence de la seconde voie ( ' ) lensemble culmine avec un participe substantiv, , qui dsigne enfin le non-tre.

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  • Il y a une symtrie parfaite entre les vers 3 et 5 qui dfinissent les deux voies '

    avec une opposition terme terme : la premire voie est , et il ne lui est pas possible de ne pas tre : la seconde nest pas et il lui est ncessaire de ne pas tre ; la clausule identique, comme lantithse ... renforcent encore cet effet. La rigueur du raisonnement est extrme : ce qui est ne peut pas ne pas tre (v. 3) et inversement ce qui nest pas est exclu de ltre : il ny a pas de terme intermdiaire.

    Parmnide, fragment 3... .

    On pourrait tre tent de traduire, comme Jean-Paul Dumont, Car mme chose sont la pense et ltre , ce qui fait de Parmnide un prcurseur du cogito ; mais Jean Bollack fait trs justement remarquer que cela ne correspond pas la syntaxe grecque, qui impose que le sujet porte larticle, et que lattribut nen ait pas. Il faut donc renverser les termes, et traduire, comme Jean Beaufret, le mme, lui, est la fois penser et tre .

    Parmnide, fragment 41

    .

    : regarder < : sparer en coupant : participe prsent passif dorien de : se disperser

    Traduction : Regarde pourtant ce qui est absent, fortement prsent par lesprit ; il nempchera pas [ou tu nempcheras pas , si le verbe est un moyen, 2me pers. ] ltre dtre tenu par ltre, ni dispers partout compltement selon lordre du monde, ni rassembl.

    Commentaire : Ce fragment semble faire allusion deux mouvements contraires de ltre, dispersion et contraction. Peut-tre est-ce rattacher une cosmogonie le monde provenant de la dispersion dun seul lment, ou de plusieurs, en la diversit des choses. Dans ce cas, il serait en effet plutt situer dans la deuxime partie du livre.

    1 Ces quatre vers ont parfois t rattachs au fragment 8, aprs le v. 25 ou le v. 33.

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  • Parmnide, fragment 5 .

    : il mest indiffrent : l mmeTraduction : Peu mimporte do je commencerai ; en effet l mme je reviendrai nouveau.

    Parmnide, fragment 6

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    ' , ' ' . ' ' , ' , , , , . , .

    < (parfait) : commander, exhorter , , : fourchu, double tte ( : le crne), : embarras, impuissance , : poitrine, , : aux sens mousss, sourd : tre tonn, saisi de stupeur , : race, peuple, foule, , : qui revient sur ses pas

    Traduction : Il faut dire et penser que ltre est ; ltre en effet est, le nant nest pas ; voil ce que je tai ordonn dexprimer. De cette premire voie de recherche je tcarte, et ensuite de celle-ci que les mortels qui ne savent rien imaginent, doubles ttes ; en effet limpuissance pousse leur esprit errant dans leur poitrine ; ils sont emports galement sourds et aveugles, frapps dhbtude, foules indcises, pour qui ltre et le non-tre sont considrs comme la mme chose et pas la mme chose, et le chemin de tous revient sur ses pas.

    Commentaire : Lon retrouve lopposition entre et , dj prsente dans le fragment 1 ; la vraie route , celle qui se limite une dfinition : ltre est, soppose au sentier tortueux, labyrinthique, qui revient sur lui-mme , une impasse en somme, de la doxa : celle-ci brouille les pistes, confond ltre et le non-tre, le mme et lautre Difficile de dire ici si Parmnide attaque une cole ou un philosophe en particulier, ou simplement lopinion, le langage commun.

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  • Notons en tous cas lnergie, le ton imprieux avec lequel le philosophe sadresse son disciple : initial, phrases lapidaires marques par lantithse / , , ... La foule, elle, est disqualifie (comme elle le sera plus tard chez Platon) par toute une srie de qualificatifs pjoratifs : aveugle, sourde, sans jugement, ( double tte ?) mais sans cervelle pour autant Lunanimit, ou du moins le nombre nest certes pas un critre de vrit !Lnergie du philosophe contraste avec la passivit de la foule, qui est emporte ; les notations concrtes, presque humoristiques, la vigueur du propos adress au disciple donnent ce texte un caractre vivant, tonique, que lon retrouvera dans les dialogues de Platon, ou chez Lucrce.

    Parmnide, fragment 7

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    ' ' . ' , , .

    : futur moyen pique de : dompter, , : trs expriment- : manier, conduire, mditer, , : qui nobserve pas, ou qui ne peut tre observ, , : rempli de bruit : preuve, argument, : trs controvers (hapax)

    Traduction : Jamais en effet tu ne pourrais imposer que le non-tre soit ; mais toi, de cette voie de recherche carte ta pense, et que lhabitude si exprimente ne te force pas sur cette voie, manier un il qui nobserve pas et une oue pleine de bruit et une langue, mais dcider par un raisonnement largument trs controvers que je texpose.

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  • Parmnide, fragment 8

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    ' ' ' ', , ' ' ' , , , () . ' . ' ' ' ,' ' , , ( ), ' . ' ' ', , ' . . , , , , ' . . , ' , . ' ' , . , [] ' . ' . , , , ' ' ' ' , , , , . , ,

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    , . , , ' ' , , . ' . ( ). ' ' ' , , , '[] , , ' ' ' , . , .

    , , : imprissable, indestructible, , : qui a tous ses membres intacts (hapax) : en mme lieu, la fois, , : ininterrompu, dun seul tenant , : origine, naissance, famille : participe passif aoriste neutre de : accrotre, augmenter : la ncessit < : faire se lever, pousser : participe neutre de ? : infinitif pique de : se mouvoir, tre (uersari) : futur de , 3me personne sing. : laisser, concder, admettre , : la force, la vigueur = < : faire sourdre, produire- : relcher, dtendre , : entraves, liens, , : vrai : ainsi < , aoriste moyen : steindre, svanouir, , : mystrieux, ignorV. 22 : , , : dsuni, divis + inf. : empcher

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  • transitif (seulement en posie) : aborder , toucher (un navire abordant un rivage)., , , : le lien , : la limite, , : sans fin : loin, au loin < : carter, drouter, dtourner ; au passif : errer et l, sgarer < : repousser , , : ferme, immuable , , : qui manque deV. 35 : , , < , dire, nommer (1) : attacher sur, , : entier, intact : changer de : changer de , : la lumireV. 42 : , , : dernier, ultime, , : semblable (+dat.) , : 1. courbure ; 2. masse, volume, , : inviol, inviolable., , = , , : trompeur, mensongerV. 54 : , , < - : errer, se fourvoyer : le corps , : flamme, /, : bienveillant, favorable, doux, , : lger, , : sans exprience de (ou sans flamme < ?? cest linterprtation de Bollack, Beaufret et Dumont), , : lourd, pesant

    Traduction : Seul reste encore la parole du chemin, savoir quil est ; sur cette route sont beaucoup de signes qutant inengendr il est aussi indestructible, ses membres en effet sont intacts, il est intrpide et sans fin ; jamais il ntait ni ne sera, puisquil est prsent tout entier la fois, un, dun seul tenant ; quelle origine en effet lui rechercherait-on ? Comment, do aurait-il t accru ? Je ne permettrai ni de dire ni de penser que cest du non-tre ; il nest pas dicible ni pensable quil nest pas. Quelle ncessit laurait pouss aussi, plus tard ou plus tt, ayant commenc du nant, natre ? Ainsi il faut ou bien quil soit absolument ou bien quil ne soit pas.Jamais du non-tre la force de la certitude nadmettra que quelque chose nadvienne ct de lui ; cest pourquoi Justice ne la laiss ni natre ni mourir, ayant relch ses

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  • entraves, mais elle le tient ; la dcision ce sujet est en cela : il est ou il nest pas ; il est donc dcid, comme cest ncessaire, de laisser cette voie, impensable et sans nom elle nest pas la voie de la vrit et [de considrer] que lautre existe, et est vridique. Comment serait ensuite ltre ? Comment serait-il n ? En effet, sil est n, il nest pas, ni sil est un jour destin tre. Ainsi sa naissance svanouit-elle, et sa mort mystrieuse.Il nest pas divis, puisquil est tout entier semblable ; il nest pas davantage en ce point, ce qui lempcherait de tenir ensemble, il nest pas infrieur, mais il est tout entier plein dtre. Tout pour lui est dun seul tenant ; ltre touche ltre.Mais immobile dans les limites de ses vastes liens, il est, sans commencement ni fin, puisque la naissance et la mort se sont gares trs loin, et que la certitude vridique les a repousses. Le mme dans le mme tait stable et gt au fond de lui-mme et ainsi demeure nouveau immuable. Une puissante ncessit le tient dans les liens de sa limite, qui de chaque ct lui fait obstacle. Cest pourquoi il est juste que ltre ne soit pas illimit ; il est en effet sans manque ; le non-tre manque de tout. Cest la mme chose, penser, et ce cause de quoi il y a une pense. En effet sans ltre, dans lequel il a t nomm, tu ne trouveras pas la pense ; rien dautre en effet ni nest ni ne sera en dehors de ltre, puisque le destin la attach pour quil soit immobile et intact ; cest par cela tout entier que le nom sera, tout ce que les mortels ont propos, persuads que ctait le vrai, natre et mourir, tre et ne pas tre, et changer de lieu et changer dclat sur la peau.Mais puisque il y a une limite ultime, il est achev, de partout semblable par sa courbure une sphre bien ronde, au centre dgale force partout ; en effet il est ncessaire que cela nexiste ni plus grand ni plus solide ici ou l. Ni il ny a de non-tre qui lempcherait darriver au semblable, ni il ny a un tre qui serait ici plus, l moins quun [autre] tre, puisquil est tout entier inviolable. En effet, partout semblable lui-mme, pourtant il demeure dans ses limites.L pour toi je cesse mon fidle discours et ma pense autour de la vrit ; loin de cela apprends les opinions mortelles en coutant larrangement mensonger de mes paroles.Ils ont pos des formes, pour nommer deux principes ; lun deux, il ne faut pas [le nommer ?] en cela ils se sont fourvoys . Ils ont interprt le corps en deux lments contraires et ont pos des signes loin lun de lautre, lun le feu thr de la flamme, bienveillante et lgre, partout semblable elle-mme, mais pas semblable lautre ; mais celui-ci en lui-mme est contraire, nuit sans lumire, corps pais et pesant. Moi, pour toi, jnonce ce qui semble tout entier un arrangement, afin que jamais nulle opinion des mortels ne te dpasse.

    Commentaire : Le texte fort mal traduit aussi bien par Bollack que par Beaufret, qui oublient lun comme lautre que Parmnide est aussi, ou avant tout, un pote est construit en deux parties : la premire traite de ltre ; dans une langue rigoureuse, Parmnide tente de le dfinir, comme un tout, homogne, sans commencement ni fin, mais cependant limit. A linstar de ce que fera plus tard Lucrce, il cre une langue

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  • philosophique et potique la fois : questions rhtoriques (v. 6-10 et 19), symtries, oppositions Il est intressant de constater linfinie difficult de dfinir ltre autrement que par des ngations : il est , , , (v. 3-4), , , (v. 26-27), et mme, avec une double ngation, (v. 32) ; il na ni pass ni avenir (v. 20) ; il ignore toute quantification relative ( ... (v. 22-23) ; (v. 44-45)). Autant dire que cest une pure abstraction, que lon ne peut dcrire que par ce quil nest pas. Ltre est , et il est bien difficile den dire autre chose ; Parmnide semble nanmoins partisan dune absolue unicit de ltre, renvoyant la diversit la doxa : ce que nous percevons du monde. Cette diversit posera nanmoins un problme majeur : comment passer de ltre unique la multiplicit des tres ? Comment penser le mouvement en refusant la notion de vide ? Toutes questions qui dchireront les philosophes, avant et aprs LucrceCar la doxa , Parmnide y vient dans la deuxime partie de son propos. L, contrairement aux du fragment 1, les doxas sont dlibrment prsentes comme un pur arrangement ( et plus loin ) : lopposition des contraires, feu thr de la flamme / nuit sans flamme ; lger et doux / lourd et pesant, est rejete ; ce ne sont que des formes (), autant dire des apparences. Est-ce une manire de rpter que ltre est unique, dun seul tenant, et que la diversit des choses nest que du registre des phnomnes ? Est-ce un dbut de polmique contre dautres coles philosophiques, posant deux ou plusieurs lments lorigine du monde ? On peut se demander sil ny a pas une part de parodie dans lintrusion soudaine de formes doriennes : , / ' Aux dpens de qui samuse ici le svre Parmnide ?

    Parmnide, fragment 9 , , .

    Traduction : Mais puisque tout a t nomm lumire et nuit et que les choses, selon leur puissance, ont reu tel ou tel nom, tout est plein la fois de lumire et de nuit sans lumire, des deux galement, puisque le nant naccompagne aucune des deux.

    Commentaire : Nous sommes dans la seconde partie du discours, consacre aux : do cette dichotomie entre deux principes, la nuit et la lumire, alors que dans la premire, Parmnide sest vertu dmontrer lunit de ltre

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  • Parmnide, fragment 10

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    ' ' ' , () ' .

    : futur, 2me pers. sing. de * : savoir. Tu sauras., , : pur, , : destructeur, ou invisible, , : pur, sans souillure, , : qui tourne autour = * ; cf. ci-dessus

    Traduction : Tu sauras la nature de lther et tous les signes dans lther et les effets destructeurs de la pure lampe du soleil sans souillure et tu apprendras aussi do proviennent ces effets tournant autour [de la terre ?] de la lune lil rond et sa nature, et tu dcouvriras aussi le ciel qui les tient spars, do il est n et comment la ncessit, le conduisant, la contraint contenir la limite des astres.

    Commentaire : Nous sommes bien dans une cosmologie ; il ne sagit plus ici de dfinir la nature de ltre, mais dtudier les phnomnes , le monde tel quil est, dans sa diversit, ses oppositions (de la nuit et du jour, dans le fragment 9) et ses mouvements.

    Parmnide, fragment 11 ' ' .

    , , : commun tous , : le lait, la voie lacte , , : dernier, ultime, extrme, le plus lev ; summusTraduction : Comment la terre et le soleil et la lune et lther commun tous et la voie lacte et le sommet de lOlympe et la force brlante des astres ont t pousss natre.

    Commentaire :

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  • Ne sagirait-il pas dune tentative pour donner une explication rationnelle, scientifique, de lorigine du monde, et donc une rponse linterprtation thologique dHsiode ? Parmnide, prcurseur dAnaxagore et de Lucrce ? La prsence de lOlympe, montagne sacre o rgne Zeus, permet cependant dmettre un doute. Notons le formidable lan ascensionnel, qui part de la Terre, gagne le soleil et la lune, qui semblent proches, puis la vote cleste et la Voie lacte, lOlympe, demeure des Dieux beaucoup plus que montagne relle, et enfin les astres. Ascension renforce par laccumulation et la polysyndte.

    Parmnide, fragment 12

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    , ' , ' ' .

    = , , : resserr, troit = , , : pur, sans mlange, : dcision, loi, rgle ; lot, part, , : odieux, horrible , : action denfanter = : mlange, commerce intime < : infinitif ? avoir commerce avec

    Traduction : Les plus troites en effet ( ?) taient remplies de feu sans mlange, celles-l, aprs celles-ci, de nuit, et une part de feu se rpand ; au milieu de celles-ci une desse qui gouverne tout ; elle commande en effet en tout le terrible enfantement et lunion intime, envoyant au mle la femelle pour sunir et inversement, nouveau, le mle la femelle.

    Commentaire : Ce fragment, cit par Simplicius dans le Commentaire sur le trait du ciel dAristote, parle selon lui de la cause efficiente de la gnration : la desse, cache au centre d anneaux de feu Mais o sont les anneaux, dans le texte grec ? Aucun mot na ce sens ici Il est seulement question de , les choses fminines plus troites, de ' , celles qui viennent aprs , et de , de celles-ci : le pote ne prcise pas davantage. Il est vrai que Simplicius, qui ne cite ici quun fragment, a eu le texte original en mains ; dans son commentaire il parle de couronnes enflammes Retenons seulement que dans un endroit mystrieux du monde, dans la flamme originelle, trne une desse sans nom, , qui prside aux relations sexuelles et la gnration. Celle-ci est conue comme une force terrible qui simpose de lextrieur, une passion redoutable

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  • laquelle nul tre ne rsiste Force vitale et destructrice la fois, elle fait penser aux pages de Lucrce, lHymne Vnus du chant I, et la peinture de lamour du chant IV.

    Parmnide, fragment 13 .

    : mditer, machiner.

    Traduction : Le premier de tous les dieux, elle [la gnration] conut ros.

    Parmnide, fragment 14

    Errant autour de la terre, une lumire nocturne venue dailleurs.

    Parmnide, fragment 15 .

    Toujours cherchant des yeux les rayons du soleil.

    Parmnide, fragment 16 , .

    , : mlange , : membre, , : qui erre de tous cts, qui est toujours en mouvement

    Traduction : Comme chacun dtient un mlange de membres errants, ainsi lesprit sapproche des hommes (vient aux hommes) ; le mme en effet est ce que prcisment pense la nature des membres chez les hommes, et en tous et en chacun ; le surplus est en effet la pense.

    Parmnide, fragment 17 , ...

    A droite les garons, gauche les filles

    Parmnide, fragment 182

    Femina uirque simul Veneris cum germina miscent,uenis informans diuerso ex sanguine uirtustemperiem seruans bene condita corpora fingit.

    2 Ce fragment nest connu que par une traduction en hexamtres de Caelius Aurelianus.

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  • 5Nam si uirtutes permixto semine pungentnec faciant unam permixto in corpore, diraenascentem gemino uexabunt semine sexum.

    Traduction : Quand lhomme et la femme mlent en mme temps les germes de Vnus, la vertu dans les veines les faonnant dun sang divers, prservant un juste quilibre fabrique des corps bien forms. En effet si les vertus nes dune semence mle se battent et nen font pas une seule dans un corps mlang, funestes elles contrarieront de leur double semence le sexe naissant.

    Parmnide, fragment 19 .

    = : par la suite, , : marqu dun signe ; : marque distinctive, emblme

    Traduction : Ainsi selon lopinion ces choses sont nes et donc sont et par la suite, aprs cela, ayant t nourries, mourront ; les hommes leur ont donn un nom comme emblme chacune.

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