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Date : MARS 15 Pays : France Périodicité : Mensuel Page de l'article : p.18-22 Journaliste : Clara Lutin Page 1/5 ARTDEVIVRE2 9258923400501 Tous droits réservés à l'éditeur f es brasseurs dë IIM" tvr fi 1 ' , i: •,.. . . «•r -* Des brasseries inventent une bière de terroir La France compte 700 brasseries, et une centaine ouvrent chaque année. Souvent des microbrasse- ries purement artisanales. -» La bière devient un nectar à déguster Avec ses guides, ses experts, ses ateliers et son vocabulaire de dégustation, la bière entre dans la cour des produits gourmets. Avec même des accords bière-mets. ruitées, fumées, tourbées, épicées, ultra-amères... ou bières au goût plus classique, on en répertorie près de 2 000 marques. Hachette vient de publier la première édition du Guide des bières, qui passe au crible 250 brasseries, et un salon consacré à cette boisson, Planète Bière, se tiendra à Paris les 29 et 30 mars. Les grandes marques perdent du terrain au profit des bières artisanales, qui s'ancrent dans un territoire. S'invitent ainsi dans la bouteille la châtaigne en Corse et dans l'Ardèche, le sarrasin en Bretagne, les griottes en Bourgogne, le piment d'Espe- lette dans le Sud-Ouest, la rhubarbe et la gentiane dans le Nord, et même le café dans la bière de la Brasserie de la Goutte d'Or, La Brasserie de la Goutte d'Or à Paris. à Paris. Les brasseurs régionaux rivalisent d'imagination, les locavores sont à la fête. La France devenue terre de bière? E n tout cas, les bras- series y poussent comme des champi- gnons. Actuellement, 700 sont recensées et 100 nouvelles s'enre- gistrent chaque année, d'après l'association pro- fessionnelle Brasseurs de

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Date : MARS 15

Pays : FrancePériodicité : Mensuel

Page de l'article : p.18-22Journaliste : Clara Lutin

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es brasseurs dëIIM" tvr f i1 ' , i: •,.. . . «•r

-* Des brasseries inventent une bièrede terroirLa France compte 700 brasseries, et une centaineouvrent chaque année. Souvent des microbrasse-ries purement artisanales.

-» La bière devient un nectar àdégusterAvec ses guides, ses experts, ses ateliers et sonvocabulaire de dégustation, la bière entre dans lacour des produits gourmets. Avec même desaccords bière-mets.

ruitées, fumées, tourbées, épicées,ultra-amères... ou bières au goût

plus classique, on en répertorie près de2 000 marques. Hachette vient de publierla première édition du Guide des bières, quipasse au crible 250 brasseries, et un salonconsacré à cette boisson, Planète Bière,se tiendra à Paris les 29 et 30 mars. Lesgrandes marques perdent du terrain auprofit des bières artisanales, qui s'ancrentdans un territoire. S'invitent ainsi dansla bouteille la châtaigne en Corse et dansl'Ardèche, le sarrasin en Bretagne, lesgriottes en Bourgogne, le piment d'Espe-lette dans le Sud-Ouest, la rhubarbe et lagentiane dans le Nord, et même le café dansla bière de la Brasserie de la Goutte d'Or,

La Brasserie de la Goutte d'Or à Paris.

à Paris. Les brasseurs régionaux rivalisentd'imagination, les locavores sont à la fête.

La France devenueterre de bière?

E n tout cas, les bras-series y poussent

comme des champi-gnons. Actuellement,700 sont recensées et100 nouvelles s'enre-gistrent chaque année,d'après l'association pro-fessionnelle Brasseurs de

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France. Paradoxalement, la France, où l'onconsomme peu de bière (30 litres par an etpar habitant), abrite de nombreuses bras-series : elle occupe la 3e place en Europe,après l'Allemagne et la Belgique, même si70 % des volumes sont produits par deuxpoids lourds multimarques, le néerlandaisHeineken et le danois Carlsberg. La régionRhône-Alpes concentre aujourd'hui le plusgrand nombre de microbrasseries, mais lemouvement a été lancé, en 1985, à Morlaix(Finistère) par la Brasserie Coreff.Des bars à bières s'ouvrent. Des cavistes,

des brasseries et des restaurants font lapart belle à cette boisson. Même les rayonsdes grandes surfaces lui réservent plus deplace. Des femmes expertes entrent en lice,comme Elisabeth Pierre, auteur du guideHachette, Cécile Delorme-Thomas, de lacave à bière et à manger du Brewberry,ou Claudia Lerin-Falliero, du Supercoin, àParis. L'offre se renouvelle, les accrochescommerciales empruntent au vocabulairevinicole et le cercle des "biérologues" (spé-cialistes de la bière ; voir encadré p. 22)s'élargit. Blanche, blonde, rousse ou brune,la bière concurrence le vin sur les tables,des cours de dégustation sont dispensés etcertains passionnés fabriquent leur moûtdans leur cuisine ou leur garage. Le goûtde la bière s'enrichit en même temps que saculture se répand.

Bière d'orge, maisaussi de châtaigne?

Partout dans le monde, la bière désigneune boisson fermentée à base d'amidon,

qui peut prevenir de céréales (orge, froment,avoine, sarrasin, petit épeautre...), maisaussi du riz, de la châtaigne, du manioc oude la banane. Elle est apparue en 9000 avantJ.-C., lorsque l'humanité a commencé àcultiver des céréales. Les Égyptiens avaientleur vin d'orge ; les Gaulois, la cervoise. La

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bière est simple et rapide à fabriquer. Elleest saine puisque l'eau est bouillie.

En France, le décret n° 92-307 du 31 mars1992 définit la bière comme "une boissonobtenue par fermentation alcoolique d'unmoût préparé à partir du malt de céréales,de matières premières issues de céréales, desucres alimentaires et de houblon, de subs-tances conférant de l'amertume provenantdu houblon, d'eau potable". Il précise quele malt de céréales représente au moins lamoitié du poids des matières amylacées ousucrées, et l'extrait sec au minumum 2 % dupoids du moût primitif. Les ingrédients sontdonc l'eau, le malt, le houblon, les levures, lesucre et parfois des arômes. Dans ce cas, ildoit être mentionné "bière aromatisée à. . . ".Les matières premières peuvent provenir departout, il n'existe pas d'appellation d'ori-gine contrôlée (AOC) ni d'indication géogra-phique protégée (IGP) ni de lien au terroircertifié, même si cela pourrait être envisagépour les bières paysannes (voir p. 21).

i la bière est-elle\forcement amère ?

L 'amertume vient essentiellement de lafleur de variétés sélectionnées de hou-

blon, ajoutée afin d'aromatiser et de proté-ger la bière - pas besoin de sulfites, contrai-rement au vin. Plus précisément, c'est lalupuline des cônes (fleurs femelles) du hou-blon qui donne l'amertume, exprimée par lateneur en acide alpha, et toute une gammed'arômes : résineux, floral, d'agrumes,végétal, épicé, fruité. . . Elle se récolte enseptembre et change de propriétés selon lesannées. "La gamme aromatique et l'amer-tume des houblons varient. Cette année, larécolte a donné des houblons moins amers,et il a fallu doubler les doses. Il existe uneffet millésime pour la bière aussi", expliquePierre Guigui, un homme du vin reconvertià la microbrasserie et qui brasse La Mousse

à Zigui. La France a conserve une petiteculture de houblon en Alsace, mais le pre-mier producteur mondial est l'Allemagne.

La mousse porte les arômes des houblonscontenus dans les bulles. L'amertume, sou-vent l'apanage des bières blondes, n'a pasla faveur des jeunes consommateurs, quiadoptent les recettes sucrées. Il faut despalais plus aguerris pour apprécier uneamertume prononcée, comme celle desIndia Pale Ale, des bières anglaises au styletrès houblonné, historiquement pour lesprotéger pendant le transport vers l'Inde.

/" ^i Quand y a-t-il fermen-{ tation spontanée?\^ ^

Outre le houblon, le goût de la bièreprovient des levures de fermenta-

tion. Celles-ci diffèrent en fonction du typede fabrication : haute, basse ou spontanée.Il existe des levures à l'état sauvage (indi-gènes), ce sont des champignons micros-copiques présents dans l'air et dans lesbâtiments. En Belgique, des brasseries ontdéveloppé une population levurienne quidonne une typicité et un goût acide à leursbières à fermentation spontanée (lambicet gueuze). Lors de l'élaboration, les cuvesrestent ouvertes pour accueillir les levuresambiantes. En cas de changement de toi-ture, il est d'usage de ne remplacer qu'unetuile sur deux, afin de ne pas perdre la popu-lation levurienne du lieu.

Quel est le rôle deslevures dans le goût?

Qu'il s'agisse de bières à fermentationhaute ou basse, les levures exogènes

sont achetées dans le commerce. Ces levures

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Stéphane Cateland, danssa brasserie La Bourdette.

Le vrai goût de céréales des bièrespaysannesUne vingtaine de paysans bras-

seurs français cultivent leur

orge et leur houblon, maltent et

brassent; bref, sont autonomes.

Stéphane Cateland a étudié les

beaux-arts avant d'acheter, en

2009, la ferme La Bourdette,

dans la Haute-Garonne. Il a créé

ses premières mousses en 2011,

en bio. Depuis, il produit 100 hl

par an. Sa bière a reçu un 15/20

dans le magazine Gault&Millau

d'avril 2014. Une reconnais-

sance. "Le problème avecles

bières de qualité est de réussir à

convaincre les clients de payer

un peu plus cher. Cela n'est pas

évident pour un produit popu-

laire, explique-t-il, ./e me sens

vigneron, et je constate que pour

le maltage, c'est comme pour la

vinification, chacun a sa

manière. J'aime entendre dire

que ma bière a le goût de

céréales, cela désarçonne cer-

tains d'ailleurs."

Dans le Tarn, Julia et Flora Gar-

land s'apprêtent à remplacer

leur père, Christian, le pionnier

des paysans brasseurs. En bio

depuis 1979, brasseur depuis

1994, il cultive une dizaine

d'hectares d'orge et produit

300 hl de bière par an. La Bras-

serie Carland propose une bière

blonde au malt fumé. "Une

année, la tourbe a pris f eu et a

donné un goût de fumé pro-

noncé qui, à notre grande sur-

prise, a beaucoup plu à nos

clients. Du coup, nous avons

affiné la recette en enfumant la

tourbe qu'un ami nous apporte

de la Creuse", raconte Julia. En

llle-et-Vilaine, une jeune

femme, Rozenn Mel!, cultive

son orge bio et élabore ses

bières dans sa brasserie Drao.

Les bières 100 % locales fleu-

rissent partout.

• Ferme-malterie-brasserie

La Bourdette : labierebio.fr.

• Ferme-brasserie Carland :brasseriegarland.fr (bière bio

Karland).

• Ferme-brasserie Drao :

brasseriedrao.com.

peuvent être fraîches (liquides) ou sèches(en sachet). Les premières sont plus variéesque les secondes. "// existe une quinzaine desortes de levures sèches, alors qu 'en frais, Hyen a des centaines, chacune est porteuse d'ungoût différent, c'est notre levain", expliqueArnaud Huchet, responsable technique dela Brasserie de Bretagne, dans le Finistère.Ce brasseur utilise ces deux types de levurespour élaborer des bières à fermentationhaute, ou ales. "Tout est particulier avecdes levures fraîches : le bouquet, le moelleuxet le caractère charpenté. Ces bières sortent

des standards", insiste Arnaud Huchet.Tous les 2 ans, une nouvelle souche mèreest achetée. Il faut une hygiène impeccablepour qu'elle se propage. Les levures sontmises dans un tube à essai de 5 ml, elles semultiplient et, au bout d'une semaine, ellespeuvent ensemencer cinq contenants de20 litres. Les bières à fermentation haute,et les bières d'abbaye, riches et onctueuses,travaillent entre 15 et 25 °C. Celles à fer-mentation basse, ou legers, sont faites avecdes levures qui travaillent entre O et 15 °C,ce qui leur donne, en version blonde, une

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grande légèreté et les rend très digestes. Leslagers sont la spécialité de la brasserie LaRouget de Lisle, dans le Jura.

s~ ~~-Quelle différence entrebière industrielleet bière artisanale ?

L a bière est, avant tout, une recette. Aussi,les modes d'élaboration industriel et arti-

sanal ne s'opposent pas forcément. Dans les

En dehors de la choucroute...quèlques accords mets-bièreL'une des missions des biérologues est de noussouffler des idées autres que les traditionnellescrêpes ou choucroute à la bière. Ainsi, Hervé Mar-ziou recommande la bière blanche avec le poisson,la brune avec un dessert cacaoté. La chef HélèneDarroze conseille de servir une blonde avec de la

viande et une bière fruitée légère avec des salades.Les fromages se prêtent, eux aussi, à des mariages

réussis grâce au jeu des textures complémentaires

entre l'effervescence et le gras ou entre les

arômes : une tomme de brebis basque avec une

bière aux fruits rouges; un chaource avec une

bière blanche finement citronnée; un vieux comté

avec une blonde; un munster avec une ambrée. Sivous ne connaissez pas la note dominante de labière, fiez-vous à la couleur (blanche, blonde,ambrée, rousse, brune), donnée par le malt, pourimaginer un accord.

deux cas, les brasseurs doivent maîtriser lefroid, la fermentation, les règles d'hygiène,et souvent ils achètent le malt, le houblon etles levures dans le commerce. La différencetient aux volumes produits (des millionsd'hectolitres pour les premiers ; quèlquesdizaines pour les seconds) et au profil degoût recherche. "Je limite ma sélection àdes brasseries qui produisent tout au plus50000 hl par an, cela ne m'empêche pas detrouver très bonnes des bières industrielles",affirme Simon Thillou, Ae La Cave à bulles,rue Quincampoix, à Paris, le temple de lamousse de caractère, qui offre 600 référencestriées sur le volet. D'ailleurs, bières indus-trielles et artisanales cohabitent dans lesmagasins. Les cavistes du réseau Le Repairede Bacchus proposent une cinquantaine debières : aussi bien l'incontournable Leffe quedes singularités de la brasserie La Baleine,dans le XXe arrondissement de Paris. Cebrasseur produit 177 hl par an et défendune élaboration naturelle : "Mes bières sontvivantes. Je ne les filtre pas et ne leur ajoutepas de gaz carbonique afin de leur conservertoutes leurs vertus. Cela sous-entend unepetite production et un mois d'élaboration. "

Pourquoi ce phénomènede microbrasserie ?

L e phénomène a démarré aux États-Unisdans les années 1970, avec de toutes

petites productions locales (moins de1000 hl). En France, les candidats sont deplus en plus nombreux. Ils suivent un stagede formation de courte durée et n'ont pasbesoin, au départ, de disposer d'un grosbudget. Ensuite, pour produire davantage,les règles d'hygiène imposent un certaininvestissement, estimé à 100000 € parFrédéric Sannier, enseignant brasseur àl'université de La Rochelle, qui élabore une"bière pédagogique", la Science infuse.

Clara Lutin