Oswald Wirth - L'Imposition Des Mains
-
Author
sheepo-de-la-vega -
Category
Documents
-
view
800 -
download
15
Embed Size (px)
Transcript of Oswald Wirth - L'Imposition Des Mains
Oswald Wirth
Limposition des Mains
Guy TredanielEditions de la Maisnie 1975
Copy By Leviathan
1
Lindividu nest rien par lui mme, mais il peut disposer dune force immense sil parvient saimanter des courants de la vie collective Le grand agent magique rsulte du mariage de la volont mle et de limagination femelle, principes antagonistes que reprsentent les deux serpents du caduce hermtique Chacun peut imposer les mains et rendre parfois par ce moyen si simple dinestimables services. Le magntisme curatif est vulgariser, faire passer dans les murs Sachez vouloir avec douceur, sans saccades ni soubresauts ; ayez une imagination vive, ardente, et laissez vous entraner hors de vous-mme pour porter secours autrui ; cultivez vos facults volontaires et imaginatives ; ainsi votre pouvoir occulte ira sans cesse en augmentant. Le tout est dapprendre penser, afin de se servir de la pense comme dune force comparable llectricit . O. Wirth A la mmoire
Du Vicomte CHARLES DE VAUREALDocteur en Mdecine de la Facult de Paris qui lauteur doit la clef interprtative Du symbolisme hermtique AVANT PROPOS En entreprenant de rdiger un trait sur limposition des mains, lauteur na eu tout dabord en vue quun but purement humanitaire : il avait constat lefficacit dun mode de traitement mconnu, et se croyait tenu de publier le rsultat de ses observations. De l naquit la premire partie du prsent ouvrage. Elle sadresse indistinctement toutes les personnes assez indpendantes desprit pour juger des choses sans parti-pris. Tout se borne un rcit de faits personnels, exposs dans ce quils prsentent dinstructif. Mais lauteur na pas pu sen tenir l. On tait en droit dexiger de lui des explications, fussent-elles hypothtiques ; car le fait nentrane par lui-mme aucune conviction, tant quil nest pas rationnellement interprt. Aprs avoir enseign la Pratique, il devenait indispensable de fournir tout au moins des indications relativement la Thorie. Ainsi prit corps la deuxime partie de ce travail. Il ne faut pas y chercher des solutions toutes formules. Tout est encore mystre dans le domaine de la psychiatrie. Les agents psychiques que met en uvre cette branche de lart mdical, nous sont inconnus dans leur essence. Nul ne saurait dire ce quest la pense, la volont, limagination, la vie. Nous possdons nanmoins une tradition philosophique, qui projette une vive clart sur les plus redoutables problmes. De grands penseurs ont jadis difi une synthse de science et de mtaphysique quil importe de mettre la porte des gnrations actuelles. Cest cette restitution dun monument prcieux pour larchologie de la pense, que lauteur sest appliqu, en exposant les principes de la Mdecine Philosophale. Malheureusement, les hautes spculations de la Philosophie hermtique ne sauraient tre vulgarises. Elles restent jamais lapanage de cette lite intellectuelle, qui sait discerner lesprit vivifiants sous les corces de la lettre morte.
2
Celui qui nest pas aveugle la clart intrieure des choses, celui-l prte au langage figur une prcision que nulle terminologie scolastique ne peut atteindre. Cest pour cette raison que les doctrines alchimiques nont pas t dpouilles de leurs vtements traditionnels. En rsum, les prsentes pages sollicitent le lecteur sortir des sentiers battus. Elle noffrent, vrai dire, que des matriaux peine dgrossis, mais peut-tre est-ce l prcisment leur mrite. Car limportant nest point de prsenter aux hommes la vrit dans sa quintessence la plus pure, mais bien de leur fournir des aliments dont ils puissent lextraire eux-mmes. Que chacun veuille donc bien tenter leffort indispensable lintelligence des conceptions qui ne sont ici que sommairement esquisses. Elles intressent au mme titre le mdecin, le philosophe et le simple curieux avide de mystres. Mais de prfrence, ce livre doit rester ddi lhomme de cur, soucieux de disposer en faveur dautrui dun agent thrapeutique que tous nous avons littralement sous la main . Lauteur naspire qu tre utile et ne rien retenir pour lui du fruit de ses tudes. O.W. Paris, 5 avril 1895
LIMPOSITION DES MAINSET LES PROCEDES CURATIFS QUI SY ATTACHENT
PREMIERE PARTIE
PRATIQUECHAPITRE PREMIERLA MEDECINE INSTINCTIVE Lintuition. Les Origines de lart de gurir. Conceptions primitives. La force vitale transmissible dune personne une autre. La psychurgie. Son avenir. Lorsque la lgende attribue nos premiers parents la connaissance spontane de toutes choses, elle fait sans doute allusion aux prrogatives dont jouit lintelligence ltat naissant. Au sortir de lignorance absolue, lesprit humain ne subit le joug daucun prjug, daucune ide prconue. Son indpendance est parfaite et rien ne lempche de sorienter librement vers la Vrit. Celle-ci agit sur les intelligences vierges comme un aimant puissant : elle les attire et les plonge dans une extase qui leur permet de contempler la lumire spirituelle dans son plus pur rayonnement. Cest ce que lEcriture appelle converser directement avec Dieu. Cela veut dire que dans sa navet originelle lhomme intuitif est naturellement prophte ou voyant. Il devine juste : au lieu de raisonner, il rve, et ses visions tiennent du gnie. Mais cette rvlation primordiale demande tre formule. Cest l lcueil, car lextatique ne dispose que dimages enfantines et grossires. Il ne peut sempcher de tout personnifier. Jugeant linconnu daprs lui-mme, il cre des divinits sa ressemblance et peuple son imagination de fantmes. Ces chimres enveloppent et assigent son esprit : Ce sont les formes dont la pense sest revtue. Elles masquent la Vrit, quelles drobent lintelligence. La Lumire primitive ne
3
parvient plus alors jusqu lhomme, qui est chass de lEden : il ne possde plus la vue gniale des choses, et cest pniblement quil acquiert dsormais ses connaissances. Heureux encore si un travail ingrat lui fournit autre chose que des fruits amers ! La terre quil arrose de ses sueurs ne produit son intention que des chardons et des ronces. Il nous est cependant possible de nous relever de la chute. Tout le secret consiste nous dgager des habitudes vicieuses que notre intelligence a contractes : redevenons semblables des enfants si nous voulons entrer dans le Royaume des Cieux. Notre primitive innocence, la fracheur de notre premire impressionnabilit peuvent se retrouver, si nous parvenons faire abstraction de toutes les thories la mode pour remonter jusquau berceau de nos diverses connaissances. Cest l, cest la source initiale de notre savoir que nous pouvons puiser des notions dune pure et profonde sagesse. Sans doute, en revenant ainsi sur nos pas nous ne rencontrons que les formes, ou les corces, qui constituent la lettre morte de toutes les superstitions. Mais ces cadavres, ces momies, nous permettent dvoquer la pense ternellement vivante qui jadis y fut enferme. Cest ce titre que rien ne doit tre mpris. Tout nous semble ridicule et faux tant que nous ne comprenons pas ; mais ds que notre esprit souvre la comprhension tout devient respectable et vrai. Appliquons-nous donc dmler ce que lhomme a voulu dire, alors quinhabile sexprimer il balbutiait des fables. Peut-tre trouverons-nous dans ces conjonctures instinctives des notions utiles reprendre. Lesprit humain ne saurait trop se replier sur lui mme car, en parcourant le cycle de ses garements, jamais il napproche autant de la Vrit que lorsquil revient son point de dpart. Pour nous en convaincre il suffit de se figurer ce que lart de gurir fut logiquement ses dbuts. Reportons-nous une poque o lon ne connaissait encore ni botanique ni chimie. Comment lhomme sefforait-il alors de parer aux atteintes de la douleur ? La rponse nous est fournie par lobservation de ce qui se passe chaque jour autour de nous. Considrez cet enfant dont le doigt vient dtre pinc ou brl. Que fait-il ? Il le porte la bouche, et le contact de ses lvres, la tideur de son haleine ou la fracheur de son souffle le soulage. Un autre jeune tourdi reu un coup sur la main : vivement il presse sous laisselle les phalanges endolories et sen trouve bien. Nous mmes, ne nous appliquons-nous pas la main au front lorsque le mal de tte nous y incite ? Et les douleurs intestinales ou les crampes destomac, ne nous obligent-elles pas recourir laction calmante de nos mains ? Ces exemples, quon pourrait multiplier linfini, montrent comment lhomme ragit spontanment contre la douleur. Sans nous laisser le temps de la rflexion, notre main se porte delle-mme sur toute rgion du corps devenue subitement sensible. Cest l une loi dactivit purement rflexe ou automatique, laquelle nous ne saurions nous soustraire. Linstinct, ce guide infaillible des tres qui ne raisonnent pas, nous porte ainsi chercher tout dabord en nous-mmes le remde contre la douleur. Nest-ce point l une indication prcieuse ? Pourquoi tant chercher en dehors de nous, alors que cest EN NOUS que jaillit la fontaine de Vie ? Les choses ne se passent-elles pas comme si toute partie saine du corps tendait ramener la sant dans une autre partie malade ? Les anciens ne conurent aucun doute cet gard, comme le prouvent leurs premires thories mdicales. A leurs yeux, la maladie tait une entit hostile, un esprit malfaisant, un souffle vnneux qui sinsinue tratreusement dans lorganisme. la sant, par contre, apparaissait comme une essence divine normalement rpandue dans tous nos organes, dont elle assure lintgrit et le fonctionnement rgulier. Pour chasser le dmon, on crut suffisant de mettre en contact avec lui son antagoniste. Il se dchanait ainsi une lutte, qui se terminait par la victoire du plus fort.
4
Ces ides, suggres par la pratique de gurir en imposant les mains, donnrent naissance aux conjurations de la Magie chaldenne. Les mdecins babyloniens rdigeaient leurs ordonnances sur des briques, que dchiffrent de nos jours les assyriologues. Il ny est gure question de remdes physiques ; mais les dieux, dans ces textes cuniformes, sont mis en demeure de protger le malade en le dlivrant de ses ennemis invisibles. A notre poque encore, les Tartares attribuent toutes les maladies linfluence des mauvais esprits. Pour les chasser, ils ont recours des crmonies incantatoires, tout comme les sauvages qui ont pour mdecins des sorciers, dont les danses furibondes et les hurlements frntiques mettent en fuite les diables installs dans le corps du malade. Ces extravagances ne se rattachent que fort indirectement la Mdecine instinctive. Celle-ci devait conduire des procdure la fois plus simples, plus rationnels et plus efficaces. On remarquera sans doute quil est avantageux pour le malade de rester compltement passif et davoir recours laction curative dune main autre que la sienne. Lintervention dune personne robuste et bien quilibre apporte un appoint de vitalit, dont bnficie immdiatement un organisme affaibli. Du riche au pauvre, il sopre comme une transfusion quilibrante des forces vitales qui scoulent delles mmes vers les organes o le besoin les appelle. Cette action peut rester purement physiologique et inconsciente. Elle se produit spontanment, en dehors de toute intervention volontaire, intentionnelle ou raisonne de loprateur. celui-ci, nanmoins, ne met en jeu toute sa puissance daction que sil fait intervenir sa pense et sa volont, autrement dit son me. Les prtre-mdecins de lantiquit savaient sous ce rapport sexalter par des prires et des incantations, pour agir tout vibrants de ferveur mystique. Leurs traditions passrent aux Essniens (du syriaque esso, gurir), et aux thrapeutes, qui portrent un trs haut degr lart de la psychurgie. LEvangile seffora de vulgariser les procds curatifs de la mdecine naturelle, en enseignant gurir par limposition des mains. Mais on se mprit bientt sur le caractre des gurisons opres par les premiers chrtiens. Le miracle y avait moins de part quon ne se lest figur aux ges de la foi aveugle. Pour imiter les aptres en restituant autrui la sant, il nest pas indispensable dtre saint ; il suffit de possder soi-mme ce que lon veut donner, et, par la suite, dtre sain. La sant parfaite du corps suppose, il est vrai, une sant correspondante de lme et de lesprit. Mais tout est relatif : il ny a pas exiger de perfection. Les uns sont mieux partags que dautres et les premiers peuvent toujours venir en aide aux seconds. Une compassion sincre aux souffrances dautrui suffit nous mettre en tat de raliser toutes les merveilles thrapeutiques des psychurges. La mdecine instinctive reste ainsi la port du trs grand nombre. De mme quelle nexige quun degr de trs accessible saintet, elle ne rclame pas, dautre part, des connaissances spciales. Ce nest pas elle qui astreint dissquer des cadavres, torturer des animaux et retenir quantit de termes savants. Sans doute, elle ne requiert pas non plus que lon reste ignorant par systme ; mais un peu de sagacit naturelle, avec beaucoup dardeur gnreuse et de bonne volont, conduisent plus loin dans le domaine de psychiatrie que tout ce que lon enseigne dans les coles. Voyez cette mre qui presse contre son sein ltre chri menac de mort. Dans llan de sa tendresse elle veut lui donner sa propre vie et le prodige saccomplit ! Il y a transmission de vitalit et lenfant est sauv, alors que la science le dclarait perdu. Combien de fois lamour maternel a-t-il ainsi fait mentir le pronostic des savants ! Le malheur, cest que nous soyons aveugls par une fausse ducation, qui nous dtourne en toutes choses de la simplicit naturelle. Nous ne concevons pas de gurison en dehors de tout
5
un appareil de pompe charlatanesque. Pour capter notre confiance il faut des titres et des diplmes, avec prescription de drogues mystrieuses, et surtout une forte note payer. Les prjugs sont tenaces. Mais on finira par se lasser des remdes artificiels, et force sera de revenir tt ou tard la Nature qui, seule, gurit. Lart alors ne sattachera plus qu seconder son uvre rparatrice et reviendra aux donnes premires de la mdecine instinctive. Jusque l, il est dsirer que les disciples dHippocrate se montrent moins prodigues de toxiques. On peut gurir par des moyens inoffensifs : sans proscrire dune manire absolue les mdicaments dangereux il convient donc tout au moins de les rserver comme ultimato ratio. La NATURE devrait avoir le pas sur les instruments et les poisons de lART. Lorsque la mdecine entrera dans cette voie elle rservera une large place la Psychiatrie, et nul ne songera plus dcrier en elle une science nfaste, exploite par des pourvoyeurs de la mort !
CHAPITRE IIPREMIERS ESSAIS Une lecture attachante. Exprience au collge. Constatations rptes. A bout de fluide. Mnagements imposs par ladolescence. Lorsquil mest arriv de parler de magntisme on na jamais manqu de senqurir de la faon dont lide men est venue. Pour satisfaire sous ce rapport une curiosit fort lgitime, je suis tenu de me reporter ma quatorzime anne. Jtais alors au collge dans la suite allemande, chez de braves pres bndictins qui mettaient la disposition de leurs lves une assez riche bibliothque. Ce quon est convenu dappeler le hasard my fit dcouvrir, dans un recueil priodique, un rcit intitul : Der Wunderdoctor, le Docteur aux miracles. Me croyant en prsence dune uvre de pure imagination je fus surpris de rencontrer tant de fantaisie sous une plume germanique. De la part dun auteur franais nulle invention ne meut paru trop ingnieuse ; mais je voyais autour de moi tant desprits massifs que jeus quelque soupons dune vrit servant de trame au rcit qui mavait merveill. Il tait question de cures surprenantes, opres par une force que nos nerfs sont susceptibles dmettre sous limpulsion de la volont. La thorie ne me parut pas en elle-mme irrationnelle. Pourquoi les faits devraient-ils la dmentir ? Donnant cours les rflexions je ne tardai pas entrevoir toute une science ignore de nos professeurs. En ma qualit de cancre incorrigible je me mis ruminer quelque revanche secrte. Connatre des choses mystrieuses ne figurant pas au programme de nos cours, pouvoir en remontrer sur certains points des hommes de science, quel rve pour un colier paresseux ! Mais y avait-il un fond de vrai dans lhistoire de ce magntiseur mis en scne par lcrivain allemand ? Que penser en particulier dune note finale, indiquant sommairement les procds mettre en uvre pour gurir par le magntisme ? Lauteur prtendait, au surplus que le don des pseudo-miracles est des plus communs, et il engageait toute personne vigoureuse tenter lexprience. je rsolus den avoir le cur net. Le soir mme, aprs une chaude journe de juin, je causais lcart avec lun de mes camarades. Il tait distrait, car un moustique lavait piqu la jambe et il ne cessait de se gratter.
6
Cela me fit songer la mthode curative dont jtais proccup. Loccasion den faire lessai. dun air mystrieux je proposai donc mon ami de le gurir au moyen dun secret ! Trs intrigu, il se mit ma disposition et me montra sur son mollet une petite tache ple, largement aurole de rouge. Le bobo tait insignifiant, et pour en avoir raison on pouvait se contenter dtre un fort petit sorcier. Plein dassurance, jattaquai donc le mal en effleurant la peau du bout des doigts de ma main droite, tandis que ma gauche serrait la paume de mon camarade, tout juste avec le degr de force requis pour provoquer dans mon bras une lgre contraction nerveuse. Nous tions genou sur le gazon, lun en face de lautre. La consigne tait de se regarder fixement dans les yeux, avec la volont ferme dune part dtre guri, et de lautre dagir en thaumaturge. Au bout de deux minutes, cet innocent mange fut interrompu. Mon ami prtendait ne plus rien sentir. Je crus dabord quil tentait de ma mystifier. Ce pouvait ntre, dailleurs, quune intermittence fortuite. Mais mon camarade ne lentendait pas ainsi. Il avait senti quelque chose danormal se passer en lui ; mon secret avait bel et bien produit son effet. Et la preuve, dit-il, la voici ! Ce disant, il me fit examiner le foyer dirritation, qui effectivement, ne prsentait plus du tout le mme aspect. Il ne subsistait plus quun peu de rougeur uniforme ; quant la petite cloque blanche centrale, elle avait compltement disparu. Du coup, jtais branl. Serait-ce vrai ? Il y aurait donc une ralit dans ces choses caches, bien autrement intressantes que celles quon nous inculque rand renfort de menaces et de punitions ? Ah ! mes excellents matres, sil est une science que vous ne connaissez pas, cest celle-l que je mappliquerai ! Savoir ce que tout le monde sait, cela nest pas enthousiasmant. Mais linconnu, le mystrieux, quels appas pour une imagination vive ! Tout cela tait fort beau ; mais ntais-je pas dupe de quelque illusion ? Russirais-je seulement rpter lexprience ? Il me tardait dtre fix ce sujet. Sil y avait parmi les lves quelque clop ! Mais tout juste, voici un de nos camarade qui a la main bande. Au cours dune promenade, en collectionnant des coloptres, il a frl des orties et la sensation de brlure est rest assez vive. Joffre mes services, qui sont accepts, et jopre comme la premire fois, avec le mme succs. Plus de doute dsormais : je suis sorcier ! Jen profite pour dissiper des douleurs de tte, des maux de dents et toute une srie de petits malaises. Chaque fois le rsultat devait tre obtenu en deux ou trois minutes ; en cas dchec, je ne songeais pas recommencer : il me fallait des gurisons instantanes. Je ne pouvais ainsi avoir raison que de dsordres absolument superficiels ; tant soit peu profonds ils rsistaient mon procd. Ce fut, les yeux, lindice dun puisement de ma rserve fluidique. Javais dpens ma force : il fallait laisser la pile le temps de se charger nouveau. Puis je traversais une phase de croissance qui ne devait gure tre propice aux exercices de gymnastique nerveuse. Lorganisme doit achever de se construire, avant de pouvoir disposer sans inconvnient de ses nergies latentes. Bon gr, mal gr, je dus ainsi me rsigner remettre plus tard lexercice de mon pouvoir occulte. Mais le grain tait sem ; il me restait une conviction : celle de la ralit du magntisme
7
CHAPITRE IIIMES INITIATEURS Les aventures de Cagliostro. Le Baron du Potet. Adolphe Didier. Laura magntique. Les avantages de la sensibilit. Le vgtarisme. Le jene. Etant donn mes dispositions desprit, on conoit tout lintrt que je dus prendre certaines lectures. Joseph Balsamo devait surtout mimpressionner. mais le roman dAlexandre Dumas me suggra des ides assez saugrenues. Il me fit envisager le don de gurir comme transmissible par voie dinvestiture occulte. Je me figurais quil tait impossible de devenir magntiseur par soi mme sans se faire initier par un adepte. Jimaginais une sorte de sacerdoce se perptuant au moyen dune conscration spciale, par leffet dune sorte de sacrement magique. Ces conceptions peu rationalistes furent bientt relgues dans le domaine des fantasmagories enfantines. Devenu esprit fort, je ne voulus plus voir dans le magntisme quun agent essentiellement naturel, dont chacun peut faire application pourvu quil en connaisse les lois. Il importait donc de minstruire auprs de matres expriments : ctait l toute linitiation laquelle je pouvais aspirer. Or, me trouvant Paris vers la fin de 1879, je fus inform de la fondation dune socit magnto-thrapique, sous la prsidence du Baron du Potet. Je me fis inscrire, en me promettant de suivre avec assiduit des sances qui sannonaient comme hautement instructives. Mais voici que subitement jeus partir pour lAngleterre. Ce me fut un amer contretemps, car le peu que je venais dapprendre avait piqu au plus vif mon ardente curiosit. On ne mord pas au fruit de larbre des sciences mystrieuses sans perdre tout repos et brler dsormais de la soif de linconnu. Ds mon arrive Londres je me mis en qute dun magntiseur, et on me fit connatre Adolphe Didier, le frre du fameux Alexis, clbre sous le second empire pour sa lucidit somnambulique. Adolphe semblait tenir de famille une organisation sensitive dune extrme dlicatesse. Il parvenait percevoir au toucher latmosphre magntique dont les objets sont entours. Didier se prtait, en effet, lexprience suivante : En labsence du sensitif, on choisissait sur les rayons dune bibliothque un livre, que lon tenait un instant avec lintention de le magntiser. Ayant ensuite replac le volume et introduit Didier, on voyait celui-ci fermer les yeux et promener lentement la main devant les livres, sans les toucher. Le volume magntis tait ainsi reconnu sans hsitation. Didier avait bas sur sa sensibilit une mthode spciale dauscultation. en promenant sa main devant les diffrents organes dun malade il percevait les anomalies du rayonnement vital, et arrivait ainsi une diagnose, quil dclarait infaillible en ce qui concerne laction magntique exercer. Celle-ci sadaptait rigoureusement aux exigences variables de chaque cas particulier. Didier ne se contentait pas daccumuler brutalement autour dun malade de llectricit vitale haute tension. Son procd visait rparer judicieusement les pertes de lorganisme, et navait rien darbitraire ou de violent. La Nature guide celui qui sait sentir. Loprateur doit donc dvelopper sa sensibilit, afin dagir avec ce discernement sagace, qui lui permet de rpondre exactement aux besoins du malade.
8
Je neus gure avec Didier quun seul entretien, mais il suffit me faire comprendre toute la valeur de ses principes. Depuis, je nai cess de mingnier les mettre en application. Pour aborder avec succs la pratique de la mdecine naturelle il importe de ne pas agir aveuglment. La Nature demande tre seconde avec docilit, et cest afin dtre mme de sassocier fidlement ses entreprises quil est avantageux dacqurir des sens plus raffins. Mais par quel entranement nos perceptions peuvent-elles tre portes un plus haut degr dacuit ? Javais entendu vanter sous ce rapport les avantages du rgime vgtarien. Ses partisans affirment quil exerce une influence quilibrante sur le systme nerveux en supprimant toute excitation factice. La viande est leurs yeux un excitant, qui exalte momentanment la motricit aux dpens de la dlicatesse sensitive. Je voulus me rendre pratiquement compte de la valeur de ces thories. En mnageant quelques transitions je parvins maccoutumer trs rapidement au rgime exclusif des fruits, des lgumes et du laitage. Il en rsulta tout dabord pour moi une beaucoup plus grande galit dhumeur : je me trouvai guri de toute irritabilit, de toute impatience ; colre, tristesse, anxit avaient fui. Une insouciante gaiet me faisait voir tout en beau : je venais dacqurir un temprament la fois dartiste et de philosophe. Les harmonies de la nature ou des uvres dart me procuraient une jouissance exquise. Lesprit, dailleurs, semblait avoir pris plus dascendant sur le corps, absolument comme si, mlevant au dessus de lanimalit, jtais devenu plus homme. Ces constatations me parurent justifier la discipline de Pythagore (On sait que ce philosopheprescrivait ses disciples un rgime alimentaire destin favoriser lessor de la pense et la lucidit du jugement) ; mais mon ambition ntait pas encore satisfaite. Le jene a jou un rle important
dans lantique psuchurgie : il fallait donc en essayer. Je me mis me rationner progressivement, et jen vins pouvoir me contenter dun fruit avec quelques bouches de pain par vingt-quatre heures. Pendant dix jours je pus ainsi poursuivre le cours habituel de mes occupations, sans souffrir de la faim. Matin et soir javais faire un trajet dune lieue ; or, bien que priv de toute nergie musculaire je marchais sans fatigue, comme si je navais rien pes. Ma pense tait trs active, mais il me cotait de parler : jtais port au rve et la contemplation. De semblables expriences peuvent tre excellentes au point de vue de lassouplissement du systme nerveux, mais il ne faut pas en abuser. Ce nest pas sans quelque raison que mon entourage sen alarma. On me fit les plus sages remontrances pour mengager vivre comme tout le monde ; mais je ntais gure dispos me rendre aux arguments de la logique courante.
CHAPITRE IVDEBUTS PRATIQUES Le rgiment. Gurisons de caserne. Premire cure importante. Une tumeur maligne. Succs inattendu. Hmorragies drivatrices. Mes excentricits britanniques prirent fin avec mon dpart pour le service militaire. A la caserne il me fallut renoncer aux spculations transcendantes et aux expriences faites sur moi-mme. En revanche, je devais y trouver loccasion, ds les premiers jours, de la pauser en thaumaturge. Un des hommes de ma chambre souffrait dune violente rage de dents. Joffris de la gurir et il sempressa daccepter.
9
Pendant que je lui faisait des passes magntiques le long de la mchoire, sans contact, lassistance, qui formait cercle, se mit rire de ce quelle prenait pour une farce de Parisien. Le patient lui-mme participait lhilarit gnrale. Il dut faire un effort pour se recueillir lorsque, au bout de quelques minutes, je minterrompis pour minformer de ses sensations. On le vit alors se palper la joue avec ahurissement. Ce fut le signal dun redoublement de plaisanteries. Mais mon troupier tait devenu srieux et cest avec un accent profondment convaincu quil scria tout coup : Vous avez beau rigoler ! Le plus rigolo, cest que je nai plus mal ! Ce coup de thtre me fit immdiatement considrer comme un type part . Ma maigreur excessive et ma physionomie nergtique contriburent impressionner mes nouveaux camarades. Ils me crurent dou de quelque puissance surnaturelle. Profitant de mon prestige je passais le soir dans les chambres pour magntiser les malades. Chaque fois jobtenais pour le moins un soulagement notable. Bientt ma rputation fut si bien tablie quon prit lhabitude la compagnie de madresser tous ceux qui se plaignaient du moindre malaise. Ctait alors toujours la mme rengaine : Va trouver le sorcier de la premire escouade, il tenlvera cela comme avec la main ! Cependant, on ne reste pas longtemps prophte aux yeux de ceux qui vous voient de trop prs. A diverses reprises je fus dupe de faux malades, qui ne cherchaient qu se divertir mes dpens. Dautres, loin de vouloir tre guris mauraient demand plutt daggraver leur tat, afin dtre plus srement reconnus le lendemain en passant la visite. Tout cela ntait pas de nature mencourager, et javais peu peu renonc magntiser dans daussi fcheuses conditions. Jen tais venu perdre momentanment de vue le magntisme lorsque, me promenant seul un soir aux abords de la ville, je fus apitoy par un jeune garon qui, accroupi devant une masure, ne cessait de geindre. Il souffrait dune tumeur articulaire du genou. Le mal, dj fort ancien, avait rsist de longs traitements subis dans divers hpitaux. En dpit des soins les plus clairs, ltat du malheureux allait en empirant. Il tait sous le coup dune crise violente qui le privait de sommeil depuis trois jours. Ce dernier dtail me fit concevoir quelque esprances dans lefficacit de mon intervention. Il meut paru outrecuidant de compter sur une gurison l ou les sommits mdicales avaient confess leur impuissance ; mais je crus possible dendormir transitoirement la douleur et de procurer quelque repos. Les parents se htrent daccepter les offres que je fis dans ce sens. En prsence dun cas aussi grave je jugeai ncessaire de dployer une nergie vhmente. Je concentrais donc toute ma volont pour excuter les premires passes le long de la jambe malade. Aussitt le patient se mit hurler, et cependant je ne le touchais pas. Cette preuve de sensibilit me fit comprendre mon erreur. Javais attaqu le mal avec une sorte de frnsie, alors quil importe de commencer toujours avec douceur, quitte intervenir graduellement avec toute la vigueur dont on est capable. (les dbutants manquent de confiance en eux-mmes ; ils ne savent pas encore que les rsultats les plusconsidrables peuvent tre dus des moyens qui semblent insignifiants. Le calme indiffrent et la parfaite srnit dme sont pour le magntiseur les plus prcieux lments de force. Cela est si vrai quil suffit parfois de se croire une puissance extraordinaire pour la possder en ralit. On aurait tort de dnier toute efficacit curative aux secrets que se transmettent avec mystre les paysans. Des individus, qui lon inculque la conviction quils ont acquis des pouvoir magiques, sont mis en tats daccomplir des faits de relle thaumaturgie. Certaines crmonies burlesques en elles-mmes, ne sont pas toujours inoffensives ou navement ridicules.)
10
La sance fut trs courte. Les douleurs aigus, que javais provoques, obligrent la malade se coucher. Le lendemain, on mapprit quun mieux sensible tait survenu aprs mon dpart. La nuit avait t calme ; mais le sommeil complet ne fut obtenu qu la suite dune deuxime sance. On conoit mon enthousiasme en prsence de ce rsultat. Chaque soir jaccourais magntiser mon jeune infirme, dont les douleurs furent rapidement calmes. Il semblait renatre une nouvelle vie. Ses forces revinrent ; sa mine renfrogne, son humeur maussade firent place un air si rjoui quil ntait plus reconnaissable. La sant gnrale fut ainsi rtablie en lespace de huit jours. On put constater ensuite une rsorption progressive de la tumeur, en mme temps que les hmorragies nasales survenant intervalles rguliers. On ne fit rien pour arrter ces saignements de nez qui, loin daffaiblir le convalescent, lui procuraient chaque fois une sensation de bien-tre. Jamais, dailleurs, il navait joui dun aussi excellent apptit. Le magntisme activait toutes les fonctions organiques et stimulait en particulier les changes nutritifs. Le sang fut ainsi renouvel et les hmorragies eurent sans doute pour rle den liminer les lments morbides. Elles ne cessrent quavec le rtablissement parfait, au bout denviron deux mois. La tumeur ne laissa pas de traces et le jeune homme, bien que restant chtif de temprament, na plus eu se plaindre de son genou.
CHAPITRE VLES MALADES La rceptivit magntique. Ses degrs. La polarit. Patience, sympathie, confiance. Laccumulation insensible des forces transmises. La vertu curative que lon sent sortir de soi. Tant que je navais obtenu en magntisme que des rsultats insignifiants, je ne mtais pas cru capable de cures importantes. Aussi, lorsque je me vis apte rendre des services inesprs, jeus conscience des devoirs nouveaux qui mincombaient. Il sagissait pour moi de tirer parti de mes facults, afin de les appliquer au soulagement du plus grand nombre possible de malades. Dans ce but je me mis en rapport avec diverses personnes de la ville, quon me signala comme sintressant au magntisme. Lon me fit ainsi connatre des malades dont jentreprit le traitement. Un mieux sensible et dfinitif survenait assez souvent ; mais le succs tait loin de rpondre toujours mes esprances. Parfois, lamlioration ntait que momentane et comme illusoire. Dautres fois les progrs se faisaient attendre, et certains malades mmes semblaient radicalement rfractaires toute action. Ces derniers mapparurent comme des natures fermes, tandis que les personnes aisment magntisables me reprsentrent des natures ouvertes. Celles-ci manifestaient une sorte daffinit magntique : elles attiraient les effluves vitaux, et le courant stablissait de lui mme du magntiseur au magntis. Il ny avait pas se donner de peine : lquilibre organique se rtablissait promptement, et ctait un plaisir que de soigner de semblables malades. Avec eux il ny avait jamais dsesprer, mme dans les cas les plus graves, alors quon se heurtait aux moindres dsordres avec dautres natures. En magntisme le succs me parut dpendre, par la suite, beaucoup moins du genre de la maladie que de la constitution intime du malade. La mme affection sera gurie chez lun et pourra rsister chez lautre tous les efforts du magntiseur. Quant aux signes extrieurs qui indiqueraient premire vue une accessibilit plus ou moins grande linfluence du magntisme, cest en vain que je les ai cherchs jusquici. Toutes mes11
tentatives de systmatisation ont t renverses par les faits. Des personnes que je me figurais rfractaires se sont montres accessibles et, inversment, je nai parfois rien obtenu, alors que javais triomph davance. Le plus sage est donc de ne se prononcer quaprs essai. Pour expliquer les diffrences daccessibilit laction du magntisme on a suppos des polarits contraires, analogues celles de llectricit ou de laimant. un magntiseur positif exercerait ds lors son maximum dinfluence sur un sujet ngatif, son action tant, au contraire, repousse dans le cas o le malade serait lui-mme positif. Il lui faudrait alors un oprateur ngatif. Cette hypothse ne doit pas tre prise la lettre. Les systmes sont toujours dangereux, et cela tout particulirement en magntisme. Cest ainsi quil y a, par exemple, exagration manifeste dans la thorie de la polarit humaine. A leurs yeux le ct gauche du corps est polaris en sens inverse du ct droit, et les deux mains exercent en magntisme une action contraire. Jamais je nai constat rien de semblable. Je me suis toujours servi alternativement des deux mains, sans remarquer de diffrence dans les effets produits. Cela me porte craindre que certains exprimentateurs ne soient devenus les dupes de conditions inconsciemment cres par eux mmes ; car dans le domaine de la suggestion, loprateur provoque ce quil imagine. Ce qui est certain, cest que des idiosyncrasies indfinissables jouent en magntisme un rle prpondrant. Sans quon puisse en discerner la cause on voit souvent un magntiseur russir l o un autre vient dchouer. Il convient, dailleurs, de ne pas se dcourager trop vite lorsque les effets se font attendre. Parfois ils ne se manifestent qu la longue, aprs des semaines ou mme des mois de prparation sourde. Le mieux survient alors brusquement. Lessentiel, cest quil ny ait entre magntiseur et malade aucune antipathie. Celui-ci doit pouvoir sabandonner laction sans crainte ni restriction. Il nest pas indispensable quil ait foi dans le traitement, mais il ne doit pas sy montrer systmatiquement hostile, de mme, il doit avoir pleine confiance dans la sincrit du magntiseur. Cela est surtout ncessaire lorsque les progrs exigent une incubation de longue haleine. Il appartient alors au magntiseur de faire patienter les malades qui rclament des gurisons subites. Ce qui se passe en lui au cours des sances doit lui faire reconnatre sil exerce, oui ou non, une action effective. On est gnralement averti par une sensation particulire de toute soustraction de force nerveuse dont on est lobjet. cest un indice certain quon nopre pas inutilement. Le rsultat dfinitif est alors dautant plus satisfaisant quil sest fait attendre plus longuement. Il est bon de rappeler en ce qui concerne cette sensation particulire, le passage suivant du chapitre V de saint Marc. Or, une femme, qui avait une perte de sang depuis douze ans, et qui avait beaucoup souffert entre les mains de plusieurs mdecins, et avait dpens tout son bien, sans avoir rien profit, mais plutt tait alle en empirant, ayant ou parler de Jsus, vint dans la foule par derrire, et toucha son vtement. Car elle disait : Si je touche seulement ses vtements, je serai gurie. Et dans ce moment la perte de sang sarrta ; et elle senti en son corps quelle tait gurie de son flau. Et aussitt Jsus, reconnaissant en soi-mme la vertu qui tait sortie de lui, se retourna vers la foule, en disant : Qui est-ce qui a touch mes vtements ? Et ses disciples lui dirent : Tu vois que la foule te presse, et tu dis : Qui est-ce qui ma touch ? Mais il regardait tout autour, pour voir celle qui avait fait cela. alors la femme, saisie de crainte et toute tremblante, sachant ce qui avait t fait en sa personne, vint et se jeta ses pieds, et lui dclara toute la vrit.
12
Et il lui dit : Ma fille, ta foi ta sauve ; va-ten en paix, et sois gurie de ton flau.
CHAPITRE VILE SOMMEIL PROVOQUE Un caporal magntis dautorit. endormi subitement. Accident. Lthargie. Rveil. La sorcellerie. Ne songez qu gurir. Les soins donns aux malades de la ville mavaient fait ngliger ma premire clientle militaire. Un soir cependant, je fut amen magntiser un caporal comptable qui prtextait une fatigue des yeux pour interrompre son travail. Il navait pas la moindre envie de se soumettre mes pratiques. Aprs avoir mis en doute leur efficacit, il leur supposa un caractre diabolique, ou tout au moins dangereux. Jeus quelque peine le rassurer sans parvenir le convaincre. Il ne cda qu la pression du fourrier, qui le mit en demeure ou de se laisser magntiser ou de mettre immdiatement jour ses critures. Me voici donc oprant. Je commence par tenir les mains du patient que javais fait asseoir en face de moi, cheval sur un banc. Cette simple mise en rapport provoque parfois une lgre sensation de fourmillement dans les bras. Le caporal nprouvant rien de semblable je ne crus pas rencontrer en lui un sujet de premire sensibilit. En provoquant quelque sensation anormale je voulais cependant le persuader, lui et ses assistants, de la ralit du magntisme. Dans ce but je dirige laction de lune de mes mains sur les yeux, pensant y faire ressentir quelque chose. Mais le sujet, continuant ne rien prouver, prend acte de cet insuccs en faveur de son scepticisme, que lassistance se montre dispose partager. Cela me contrarie et mexcite projeter toute ma force nerveuse sur les paupires du caporal, qui javais recommand de fermer un instant les yeux. Depuis une vingtaine de secondes je maintenais ainsi mes dix doigts fbrilement braqus, lorsque je vis le sujet se lever. Je crus que, ne ressentant dcidment rien, il voulait se soustraire ce quil considrait comme une factie. Comme il avait le visage dans lombre, je ne remarquai pas quen se levant le caporal conservait les yeux clos. Grande fut donc ma surprise lorsque, peine debout, je le vis trbucher pour tomber lourdement sur le plancher. Chacun alors se prcipite au secours du malheureux qui reste tal, absolument immobile. Dans sa chute il avait heurt un rcipient rempli de cirage. Inerte, la face barbouille de noir et de sang, le caporal prsentait un spectacle saisissant. Les scribes du bureau en perdirent la tte. Cette fois ils taient convaincus de la ralit du magntisme. Ples comme des morts, les une restaient ptrifis, dautres voulurent courir chercher le mdecin major. Heureusement le fourrier les retins, puis maidant relever le bless, il fit donner de lair et apporter de leau. le visage du caporal, toujours vanoui, fut soigneusement lav. Il saignait du nez mais la lsion navait aucune gravit. Cependant, malgr leau froide et les soins ordinaires, la lthargie persistait. La physionomie du sujet tait dailleurs fort rassurante : elle exprimait linsouciance la plus parfaite, et je laurais laiss dormir, sans linquitude des assistants. Quelques passes transversales nergiques amenrent rapidement le rveil. Le caporal ouvre alors les yeux tonns ; puis il renifle et demande qui lui a donn un coup de poing dans le nez ! Leffarement gnral empche de rire de cette question inattendue. On raconte ce qui sest pass. Mais la victime de laccident ne veut voir dans ce rcit quune histoire dormir13
debout . Ce nest pas la peine, dit-il de chercher men faire accroire. Je sais trs bien que je nai eu quune seconde dblouissement, et que jai ouvert les yeux aussitt aprs les avoir ferms . Ce qui lui paraissait le plus inexplicable, ctait de ne plus tre assis dans le mme sens sur le banc. Lorsque ensuite le caporal fut oblig de se rendre lvidence, je devins pour lui un objet de terreur. Il ne fallait pas songer lui proposer une nouvelle exprience. Jtais ses yeux un suppt de lenfer et cest avec satisfaction quil met vu brler comme sorcier. La morale de laventure, cest quil faut strictement sinterdire doprer pour la galerie. Quand il sagit de gurir, il ny a pas se proccuper dautre chose. La propagande nest pas laffaire du thrapeute. Peu lui importe que lon croie oui ou non au magntisme. Quil ne songe quau bien du malade, sans jamais chercher a faire sentir quelque chose . De pareilles purilits peuvent provoquer des accidents, et en tous cas elles sont indignes dun oprateur qui ne doit agir quen qualit dinterprte et de ministre de la nature.
CHAPITRE VIIAUTRE GENRE DE SOMMEIL Nombreuses expriences. Sance mondaine. Un avocat prolixe. Manire originale de le rduire au silence. Endormi par surprise. Rle possible de la suggestion. Laffaire du caporal endormi fit sensation au quartier. On se plut mattribuer une puissance redoutable. Beaucoup crurent que, par un simple acte de volont, il mtait loisible de terrasser le premier venu. Mes dngations ce sujet ne men rendirent que plus suspect, aussi fut-il un moment o lon ne mapprochait pas sans apprhension. Par esprit de contradiction autant que par bravade il se trouva nanmoins quantit dindividus venant soffrir comme sujets dexprience. Le sommeil sobtenait avec eux environ une fois sur trois ; mais ce nest point l une moyenne gnrale, car le fait de subir la fascination du merveilleux dnote quelque prdisposition spciale. Du reste, les phnomnes produits ntaient que dun trs mdiocre intrt. Je recherchais la lucidit somnambulique, mais je nobtenais gure quun tat de torpeur, avec contractures et insensibilit. Un de mes amis, habile manier la suggestion, avait t plus heureux. Il fascinait trs facilement lun de ses canonniers et lui faisait excuter les tours les plus surprenants. Cela nous valu doprer un soir dans un salon, devant les invits dun officier. Des expriences fort habilement conduites eurent bientt merveill lassistance. un avocat au Conseil de guerre se fit alors lcho de lenthousiasme gnral. Mais son loquence se montra par trop intarissable. Il fallut songer rfrner son ardeur oratoire, et lon ne trouva rien de mieux que de lui proposer de lendormir. Le beau parleur prtendit que cela ne serait pas possible et voulut le dmontrer en laissant agir mon ami. On eut ainsi un moment de rpit ; mais malgr les passes et les projections de fluide, lavocat se maintint veill. Ce fut pour lui un triomphe, dont il abusa en reprenant ses tirades avec un redoublement de verve. Comment dsormais larrter ? Afin dy russir, joffris, non pas de provoquer le sommeil cela venait dtre reconnu impossible mais de faire prouver quelque effet indniable de laction magntique, le sujet restant en plein tat de conscience. Cette faon dentrer en matire prsentait un double avantage : elle rassurait lavocat, tout en mnageant son amour propre. Cest donc de fort bonne grce quil se prta ce nouvel essai. Ayant tabli le rapport par les mains, selon mon habitude, je fis quelques passes dans la14
rgion de lpigastre. la poitrine me parut alors attractive : mes doigts se crispaient lgrement sur le trajet des voies respiratoires. Ctait mes yeux lindice dune irritation. Ds quil eut entendu mon diagnostic, lincorrigible orateur sempressa de le confirmer en dissertant avec emphase sur la bronchite chronique dont il souffrait depuis de nombreuses annes. Ctait vraiment singulier que jaie pu dcouvrir son mal ainsi, par un procd dauscultation qui touche au prodige ! Et le plaidoyer de reprendre de plus belle ! Obtenir le silence devenait dsormais bien difficile. Cependant un grand point tait acquis. Je venais de gagner la confiance du malade. Mes passes lui procuraient une sensation de bien tre, laquelle il ne demandait qu sabandonner. Il le fit si bien quune douce somnolence vint lenvahir peu peu. Perdant alors sa loquacit, il devint finalement silencieux et lon nentendit plus que ses ronflements rythms. Cette musique fut chaleureusement applaudie. Mais lexcellent homme mit le comble la gaiet lorsque, ayant t rveill, il prtendit ne pas avoir dormi ! Comme dans le cas rapport au prcdent chapitre, il sagit ici dun sommeil artificiel. Mais dune part, laction avait t concentre directement sur le cerveau : il en tait rsult un sommeil instantan, profond et reprsentant tous les caractres dun trouble morbide. La seconde manire doprer avait, au contraire, amen le sommeil par degrs insensibles : il tait survenu comme lorsquon sendort normalement. Ce ntait plus une crise violente, rsultant de quelque congestions nerveuse momentane, mais bien une dtente rparatrice, une phase de repos purement physiologique. On conoit que ces deux genres de sommeils sont aux antipodes lun de lautre. le premier ne peut tre qui nuisible la sant du sujet, alors que le second se montre essentiellement salutaire. Dans le cas de lavocat, il convient de le remarquer, je ntait proccup que dune action purement thrapeutique. Aussi ai-je toujours t tent dattribuer la production du sommeil aux dsirs des assistants. Depuis, alors que je magntisais dans des conditions analogues, sans viser endormir, jai pu voir des sujets tomber en tat dhypnose, parce que joprais en prsence de personnes curieuses de cet ordre de phnomnes.(Il mest arriv, en particulier, de plonger dans un sommeil profond, et inattendu de ma part, un modle qui posait dans un atelier de peintre. En magntisant, je ne songeais qu une intervention exclusivement curative ; mais les personnes qui mentouraient taient surexcites par lattente dun spectacle extraordinaire. Cest leur action inconsciente que jattribue la crise hypnotique qui se dclara subitement. Il stablit en pareil cas une chane de volonts et de dsirs. Cette intervention psychique collective peut favoriser ou entraver les phnomnes. Elle fournit la clef dun grand nombre de faits jugs merveilleux, et en particulier de la part de ceux qui se produisent dans les runions spirites. Pour ma part, tant que je me suis trouv en tte tte avec un sujet jai gnralement eu beaucoup de peine lendormir et les checs ont t nombreux ; en prsence dun public curieux jai au contraire, presque toujours russi.).
Il ny a pas que la volont qui agisse sur un sujet sensible, et cest ce qui explique lchec dexpriences dlicates, lorsquon sefforce de les raliser devant un public malveillant. Je me suis demand, enfin, si la volont de mon ami navait pas cre autour de son sujet rebelle une sorte dambiance somnifre. Tant que lavocat a oppos de la rsistance rien ne sest pass. Mais, ds que rassur par moi il sest abandonn, les portes se sont trouves ouvertes au sommeil qui lassigeait.
CHAPITRE VIIIDANGERS DE LYHPNOTISME Un sujet rebelle. Laccumulation des forces psychiques. Ses effets. Une crise funeste. Rgle de prudence. Responsabilit.
15
Il ne faut jamais jouer avec des forces que lon ne connat pas ; ca qui parat fort innocent risque parfois de tourner au tragique. Quon en juge par lhistoire suivante : En face de la caserne souvrait un petit bazar darticles militaires. On y trouvait depuis le blanc de gutre jusquau papier lettre orn de curs enflamms, et dautres emblmes aux couleurs criardes. Ltablissement se doublait dune vague picerie et dun dbit de boissons. Il tait tenu par une bossue, dont le mari se chargeait plus spcialement de servir boire ; ctait un joyeux vivant quon nappelait jamais autrement que le bossu , afin de ne pas dire le mari de la bossue . Inutile dajouter que sa profession lui interdisait de se poser en modle de sobrit. Il fallait sattendre de sa part aux apostrophes les plus familiers. Aussi ne fus-je nullement surpris un jour en labordant, de mentendre interpell en ces termes : Ah, cest vous qui endormez le monde ! Eh bien, je voudrais bien vous voir essayer sur moi. Mais jai les nerfs solides et je suis sr davance que vous ne russirez pas ! Comme jtais loin de prtendre endormir nimporte qui, surtout de prime abord, je refusais daccepter un dfi ; mais, en revanche, je me dclarai prt satisfaire la curiosit de mon interlocuteur. Celui-ci eut hte de me prendre au lot, car je devais ds le lendemain quitter pour plusieurs mois la garnison. Il me fit passer dans son arrire-boutique, et l jeus vraiment recours aux procds les plus varis pour provoquer le sommeil. Le faux bossu prtendit ne rien prouver. Il le dclarait sur un ton de fanfaronnade qui aurait d veiller mes soupons. Mais je ne songeais qu le charger avec toute lnergie dont jtais capable, et lorsque, malgr cela, rien ne se produisit, je renonait lentreprise. Fier de navoir pu tre entam, le bossu se mit alors chanter victoire : Je vous lavais bien dit ! Je suis un dur--cuire ! Jai des nerfs autant que vous, je le savais bien ! Puis il voulut bien faire les choses et moffrit un petit verre de ce quil avait de moins frelat. Ensuite je regagnais le quartier sans la moindre mfiance. Lorsque, aprs une absence prolonge, jentendis nouveau parler du bossu, ce fut pour apprendre sa mort. Une affection de poitrine lavait enlev trois mois aprs mon dpart. Mais une rception peu gracieuse mattendait au bazar de la bossue. A la premire emplette qui me mit en sa prsence, la veuve me fixa dun air farouche. Puis sa colre clata : Ah, je vous ai bien maudit depuis la dernire fois que je vous ai vu ! Et comme je restais interdit, sans parvenir comprendre en quoi je pouvais avoir offens cette malheureuse femme, elle reprit sur un ton moins agressif : Vous souvenez-vous du jour o vous avez essay dendormir mon mari ? Javais totalement perdu de vue ce fait, mais alors la mmoire me revint. Eh bien, poursuivi la bossue, vous aviez peine travers la rue que mon pauvre homme est tomb comme foudroy ! On ma aid le transporter sur son lit. L , il sest mis divaguer, en maccablant dinjures, puis il a dormi pendant trois heures. A son rveil, je lui ai reproch la faon dont il mavait traite, mais il ne se souvenait de rien. A partir de ce moment, le malheureux na plus eu la tte lui : il est rest frapp, ne raisonnant plus et se livrant des extravagances, jusquau jour o je lai perdu. Je voyais bien, ajouta-t-elle en voyant mon air atterr, que vous naviez pas de mauvaises intentions ; mais je vous en ai bien voulu, vous et vos diableries, et de ma vie je ne pourrai vous pardonner. Je passai une fort mauvaise nuit la suite de cette rvlation inattendue. Il rsultait des informations prises que ctait bien de la phtisie qutait mort le bossu. Je ne men reprochais pas moins mon imprudence. On ne doit jamais quitter un sujet sans le dgager, alors mme que rien dapparent ne sest produit.(Les effets dune action psychique ne sont instantans que par exception. En magntisme curatif, on nobtient dordinaire aucun rsultat immdiat, mais on provoque soit une amlioration graduelle insensible, soit un
16
progrs subit, mais qui ne vient qu son heure. Il faut dgager la fin de chaque sance lorsque lon fait de lhypnotisme, mais cette pratique na pas de raison dtre la suite dune action purement curative.
Jtais inexcusable davoir manqu cette rgle. Mais une grande partie des torts retombaient sur la victime. Le pseudo bossu mavait intentionnellement tromp. Je lui avais recommand de se prter de bonne foi lexprience, cest--dire de rester passif et de nopposer aucune rsistance. Or, il est vident que, par forfanterie, il avait secrtement rsist de toutes ses forces mon influence. De llectricit nerveuse la plus haute tension avait t accumule autour de lui. Rien ne se produisit tant que le sujet resta actif ; mais ds quil cessa de repousser ce qui tendait lenvahir, il fut subitement possd. Une crise hypnotique proportionne aux efforts dploys, tant de ma part que de la sienne, se dclara au moment prcis o, me voyant parti, le bossu crut ne plus rien avoir craindre de moi. Linvasion en pareil cas guette le premier instant de passivit, puis elle se manifeste avec une foudroyante nergie. Une commotion aussi violente ne pouvait tre que pernicieuse un tre dsquilibr. Il en tait rsult un branlement crbral, compliqu par lalcool, mais tranger aux causes qui amenrent la mort. Jai cru de mon devoir de citer cet exemple titre davertissement. Puisse-t-il inspirer lhorreur de toute exprimentation frivole. Pour ma part, aprs mtre vu accus dhomicide par imprudence, jai dfinitivement rompu avec les manuvres des endormeurs. Elles mont toujours inspir depuis une profonde rpugnance. Il y a, du reste, incompatibilit entre elles et la pratique des thrapeutes. Cest ce qui sera dvelopp au chapitre suivant.
CHAPITRE IXHYPNOTISME ET MAGNETISME Sommeil bienfaisant, sommeil inoffensif et sommeil nuisible. Lhypnose. son caractre criminel et ses duperies. Laction thrapeutique. Le choix dun gurisseur. Le sommeil provoqu peut se prsenter sous trois aspects essentiellement diffrents. Lorsquil survient sans tre spcialement cherch, la suite dune action purement curative, il se traduit par un alanguissement progressif, avec somnolence plus ou moins profonde. Il est alors leffet dune raction quilibrante de lorganisme. cest un sommeil rparateur et rconfortant, ne diffrant du sommeil normal que par lefficacit plus grande de son rle physiologique. Le malade doit sy abandonner en toute confiance. Il nen rsultera pour lui quune sorte de repos actif, extrmement favorable au rtablissement des fonctions organiques troubles. Un sommeil dune tout autre nature est obtenu par le magntiseur qui endort un sujet lucide. Celui-ci est plong dans un tat divresse nerveuse qui exalte les facults imaginatives. On est alors en prsence dun tre jouissant de la plus exquise sensibilit et apte, par ce fait, percevoir ce qui chappe nos moyens ordinaires de connaissance. Ce genre de sommeil na en lui-mme rien de prjudiciable la sant, surtout si lon a soin de ne pas le provoquer trop souvent et que sa dure ne soit pas exagre. Il nen est pas de mme de lhypnose, que lon provoque en paralysant certains centres nerveux. Cest l un genre de sommeil nettement pernicieux, qui tend estropier dans leurs facults mentales des tres dj affects de quelque tare crbrale.(Il sagit ici du grand hypnotisme de lEcole de la Salptrire. A Nancy, le docteur Libeault a toujours procd avec douceur. Ses mthodes de psychothrapie sont appliques Paris par lInstitut Psycho Physiologique, dont la fondation est due au docteur Edgar Berillon.
17
On estime, de nos jours que plus encore quaux peintres et aux potes il est loisible aux inquisiteurs de la science de tout oser. Les savants peuvent donc, leur gr, manier lhypnotisme comme un instrument de vivisection humaine : il faut leur en laisser la responsabilit. Mais un homme de cur ne verra jamais dans les lames du bistouri et les bouchons de carafe du braidisme que des jouets dangereux, relguer dans larsenal de ce que lon appelait jadis la Magie noire. Toute pratique malfaisante se retourne, dailleurs, volontiers contre son auteur. Cest ainsi que lhypnose, tout en dtraquant le sujet, ne reste pas sans atteindre loprateur lui-mme dans son intelligence et son bon sens. De graves savants ont totalement perdu la tramontane au contact de natures flottantes, dont ils affinaient la ruse perverse. On les a vus difiant de laborieux systmes, sur les indications fallacieuses dindividus ports toutes les tromperies. Car tout devient terriblement chanceux, dans un domaine o les piges les plus perfides sont continuellement tendus par la suggestion mentale et lidoplastie.(On ne saurait trop se dfier des sujets hypnotiques, surtout de ceux dont on simagine avoir fait entirement sa chose. Plus on a de pouvoir sur un tre, et plus il vous tient sous son influence occulte. Ceux qui abusent de leur ascendant sont fatalement punis, en raison dune loi dquilibre et de rversibilit que reprsente par excellence la justice (Arcane VIII du Tarot)
Ce qui prcde doit faire mesurer labme qui spare lhypnotisme de la pratique des thrapeutes. Dun ct, nulle dpense de la part de loprateur, qui violente la nature pour imposer son caprice individuel en tyrannisant autrui, sans respect pour le caractre sacr de la personnalit humaine. De lautre on ne rencontre quun homme charitable, qui donne sa propre vie pour secourir son semblable. Il nest pas question pour lui de faire montre de sa force et de frapper les imaginations par des prodiges inattendus : le thrapeute est le serviteur fidle, lhumble disciple de la nature. Il lui obit, afin de puiser la source de toute vie la force qui sauve, rpare et gurit. Cest un prtre au plus haut sens du mot : il remplit une auguste mission, qui impose des devoirs de pure pit humanitaire. Ce gurisseur incomparable ne se dpensera pas en phrases. Les lgances mondaines nauront pas toujours poli en lui le rustre grossier de ton et de manire, mais il ne faut pas sarrter ces dehors rbarbatifs : quimporte que lenveloppe soit rude si elle contient des trsors de relle bont, de richesse de cur et de volont droite ! Vous qui souffrez, cherchez donc votre mdecin parmi ceux qui possdent le pouvoir effectif de donner la sant. Fuyez tout ce qui sent la rclame ou lentreprise industrielle. Craignez le gurisseur trop savant et trop habile. Allez aux plus modestes, ceux qui signorent euxmmes, aux mes naves, mais fortes. Cest parmi elles que vous dcouvrirez votre sauveur, votre homme de Dieu. Quand vous laurez trouv, enseignez-lui vous imposer les mains : il vous gurira ainsi avec plus de rapidit et de sret que le plus orgueilleux des docteurs.
CHAPITRE XEXEMPLE DE CURE La passion du magntisme. Une angoisse. Rappel la vie. Sommeil lucide. Crises salutaires. Lorsquon sadonne dune faon suivie la pratique du magntisme curatif le besoin de se dpenser finit par devenir si imprieux quon souffre de rester inactif. Lhabitude cre en cela comme une seconde nature : il se dveloppe une fonction physiologique spciale, qui veut dsormais tre exerce.
18
Jai pu constater ce fait aprs avoir quitt le rgiment. Mes nouvelles occupations ne me laissaient aucune libert ; il fallut mastreindre un travail absorbant qui bientt me fut un supplice. Cest alors que, pouss bout, je pris la rsolution de me livrer sans rserve ma passion pour la psychiatrie. Mes soins furent tout dabord requis loccasion dun cas dsespr. Une jeune femme, dj mre de quatre enfants, avait t puise par ses grossesses successives et ses allaitement prolongs au milieu des plus dures privations. Une nourriture insuffisante, le froid, les fatigues et les tracas dune misre noire avaient amen des troubles nerveux, puis des crachements de sang. Compltement anantie, la malheureuse tait rduite au dernier degr de lasthnie. il lui restait tout juste encore assez de force pour rejeter la nourriture quon essayait de lui faire prendre. Lorsquon eut recours mon intervention la mort tait, de lavis des mdecins, imminente et fatale. La malade ne sortait plus dun tat comateux qui semblait ne laisser subsister une lueur de vie que dans le poumon gauche et le cur. Courte et irrgulire, la respiration menaait dun instant lautre de sinterrompre. Le spectacle tait poignant. Mon premier mouvement fut de me retirer, sans rien entreprendre ; puis il me parut cruel dabandonner ainsi cette agonisante. La sauver m semblait impossible ; mais peut-tre, en cette extrmit, pouvais-je attnuer les affres de la lutte suprme. Nest-ce pas une charit que daider mourir quand le terme irrmissible est venu ? Dcid macquitter dune mission aussi pnible, je dirigeai tristement la pointe de mes doigts vers cette poitrine prte rendre le dernier souffle. Presque aussitt je sentis stablir un courant, faible dabord, puis croissant peu peu dintensit. il seffectuait de la part de la moribonde une soustraction de force. Je my prtai passivement, car il ne fallait risquer aucune secousse, et se borner suivre la nature avec une extrme prcaution. Jeus bientt la surprise de voir le rythme respiratoire se rgulariser. Trs motionn, je poursuivis longuement les passes, toujours attentif ne rien brusquer. Le jeu des poumons prit alors plus dampleur, puis les traits du visage semblrent se dtendre et perdre leur expression douloureuse. Mais ce ne fut pas tout, aprs une heure de magntisation la mourante se ranima. Elle ouvrit les yeux et me fixa dun regard vague, qui devint soudain trangement interrogatif. En mme temps, les lvres sagitrent, comme pour parler. Interroge, la malade rpondit par de faibles signes de tte. Elle fit ainsi comprendre que mon action lui procurait un puissant bien-tre. On mapprit ce moment que la malheureuse avait longtemps souffert du bras droit, avant den perdre totalement lusage. Dirigeant immdiatement mes passes sur ce membre jinvitai bientt la malade le mouvoir un peu. Je ne comptais tout au plus que sur un trs faible dplacement. Mais voici que le bras fut lev sans difficult. La pauvre femme en fut si mue, que la parole lui revint subitement. Elle eut la force de ma dire dune voix assez distincte : Vous allez me sauver, je le sens ! Dieu vous a envoy pour cela. Il ne pouvait pas mabandonner : je lai tant pri de ne pas me laisser mourir cause de mes enfants ! Lexaltation de la malade devint telle quil fallut la calmer, afin de lempcher de dpenser en paroles la force quelle commenait reprendre. Les sances furent poursuivies cinq jours de suite, et prolonges parfois au del de deux heures. Les progrs raliss permirent alors la malade de quitter momentanment le lit pour sinstaller dans un fauteuil. La faiblesse restait excessive, mais les fonctions reprenaient successivement.
19
Dsormais les magntisations neurent plus lieu que tous les deux jours, puis elles furent espaces ; mais il y eut soutenir une lutte de dix-huit mois pour avoir raison du mal. Jtais en prsence dun sujet dune sensibilit exceptionnelle. Lassimilation des forces transmises taient si instantanes quaprs chaque sance la malade simaginait navoir plus rien craindre ; aussi se laissait-elle facilement entraner des imprudences qui amenaient des rechutes. Laccessibilit linfluence du magntisme se traduisit, en outre, par une irrsistible propension au sommeil. La patiente it dabord des efforts pour se maintenir veille, mais, sur ma recommandation, elle sabandonna ce qui voulait se produire. Une influence progressivement envahissante semblait alors refouler hors delle-mme sa personnalit consciente ; il en rsultait une angoisse pnible, comme sil lui eut fallu sabmer dans un gouffre et en quelque sorte mourir. Mais, une fois rassur sur cette sensation particulire, le sujet cessa de sen alarmer et sy accoutuma facilement. Dans son sommeil, la malade fournissait des renseignements sur son tat. Elle prtendait ntre atteinte daucune lsion organique grave : tout son mal ne provenait, daprs elle que de troubles fonctionnels. Les poumons, en particuliers, ntaient pas attaqus, ils taient mme remarquablement sains, mais ils taient faibles comme paralyss. Ils avaient perdu leur lasticit ; aussi, lorsque le sang devenu plus gnreux, vint y affluer avec imptuosit, le danger fut grand. La malade tait alors en proie des crises congestives, quelle dclarait indispensables, mais quelle ne pouvait surmonter que grce au magntisme. Ces accs taient toujours annoncs davance et je pouvais ainsi me tenir prt pour lheure prcise de leur apparition. La malade alors suffoquait comme lors de ses premiers crachements de sang ; mais limposition des mains et les passes semblaient donner de lair et bientt le pril tait conjur. On peut apprcier, daprs cet exemple, le rle capital que la lucidit somnambulique est susceptible de jouer dans le traitement des maladies. Elle fit en ce cas le salut du sujet, qui parvint conqurir pleinement la sant, non sans mavoir fourni loccasion de minitier toute une physiologie occulte du systme nerveux. Cette cure, aussi brillante quinattendue, me donna une grande confiance en moi-mme et me fit envisager le magntisme comme une vocation. Pendant cinq annes, je my suis livr sans rserve. Jtais alors dans toute leffervescence de la jeunesse et mon enthousiasme ne maccorda ni mnagement ni repos. Plus tard, mon zle pour la pratique fut tempr par le got croissant des recherches thoriques, et le temps est peut tre proche o la thorie devra recevoir dfinitivement la prfrence.
CHAPITRE XICRISES MESMERIENNES ET SOMNAMBULISME Les effets inattendus de laction magntique. Savoir souffrir. Le sommeil lucide. Rvlation relatives aux maladies. Les prdictions. Lextase prophtique. La mdecine ordinaire applique parfois des remdes qui aggravent momentanment ltat du malade ; ils le secouent et le conduisent la sant en lui faisant traverser une phase qui serait alarmante si elle ntait pas prvue. Lapport soudain dun surcrot de vitalit peut agir dune manire analogue et dchaner dans lorganisme une lutte douloureuse. La souffrance est alors un bien ; il faut laccepter de bonne grce pour labrger et la rduire au minimum. Rvoltes et impatientes ne peuvent que contrarier la rvolution salutaire qui a besoin de saccomplir.20
Mais le calme est difficile conserver en prsence dune aggravation apparente de la maladie. Rien cependant nest craindre lorsque cest rellement le magntisme qui a provoqu la recrudescence. Lintensit des crises se proportionne toujours alors aux forces qui ont t assimiles : on ne risque jamais de ne pas tre en tat de supporter un bouleversement organique visant rtablir lordre troubl. Dans sa sollicitude maternelle la nature vite les imprudences. Si nous savions discerner ses intentions nous viterions de compliquer sa tche, et parmi nos troubles fonctionnels nous distinguerions entre amis et ennemis de lquilibre normal. Nous considrons parfois comme une maladie ce qui nest quun effort tent par lorganisme en vue du rtablissement de la sant. Une mdecine aveugle peut alors intervenir dune manire funeste. Mais comment parvenir pntrer le secret des oprations de la nature ? Pouvons-nous tre devins pour dterminer avec certitude les causes finales de nos maladies ? Je ne voudrais pas ici me constituer lavocat de la divination ; mais il y aurait ingratitude de ma part ne pas rendre tmoignage en faveur de tout ce que jai pu apprendre lcole des sujets lucides. Jen ai rencontr qui remontaient lorigine des maladies, dont ils dcrivaient les phases successives avec une surprenante logique. A les entendre, le mal absolu nexisterait pas : tout tat pnible aurait sa raison dtre et ne surviendrait qu notre bnfice. Cest loptimisme rig en thorie mdicale : la nature serait essentiellement bienfaisante et la souffrance ne proviendrait que des erreurs de lhomme. Les malades qui mont fourni de semblables rvlations taient surtout lucides pour eux mmes. Ils dcrivaient lintrieur de leur corps comme sils faisaient leur propre autopsie. Leurs prescriptions lgard des soins prendre et du rgime suivre se sont toujours montres fort judicieuses. Quant aux remdes, ils se rapportaient invariablement des plantes. Souvent le sujet, qui ignorait compltement la botanique, commenait par dcrire le lieu de provenance du vgtal salutaire, quil dpeignait ensuite ; puis il en cherchait le nom, ce qui tait la grosse difficult. Parfois un nom latin en arrivait tre pel pniblement lettre par lettre, et javais la surprise de le trouver dans un dictionnaire comme dsignation de la plante dcrite, dont les proprits mdicinales concordaient avec le cas traiter. Cette clairvoyance, si remarquable tant quil sagissait du sujet lui-mme, perdait de son infaillibilit ds que la consultation sappliquait une autre personne. Nanmoins, cest au traitement des maladies que la lucidit somnambulique est applique avec le plus de succs. Les autres spcialits des voyantes professionnelles exposent de frquents mcomptes. Il est de ces sibylles qui excellent dans les recherches et peuvent faire retrouver des objets perdus. Leur cueil se rencontre dordinaire dans les trsors cachs que limagination leur montre. Gardez-vous dentreprendre des fouilles sur leurs indications, qui ne sont suggrs que par vos propres dsirs secrets. Les sujets sensibles subissent, en effet, la rpercussion des ides que lon apporte avec soi. Cela explique certaines prdictions dont les lments sont puiss dans lambiance mentale du consultant. Ce ne sont pas alors les ides que lon a soi-mme prsentes lesprit et qui impressionnent le plus vivement le sujet, ce sont, au contraire, les souvenirs qui ont quelque motif pour se rappeler nous. Le devin peroit de prfrences nos ides les plus vagues, celles qui se manifestent par des intuitions ou des pressentiments. Cest sur de semblables donnes que schafaudent les prescriptions. Toutes ne sont pas sans valeur. Lorsque lon fait abstraction des rveries forges de toutes pices par la fantaisie des somnambules, on reste en prsence de deux genres de prdictions. Les unes se basent sur des pronostics tirs des intentions du consultant, ou de projets que dautres personnes peuvent former son sujet. Ce sont les plus frquentes ; elles ne se ralisent le plus souvent quen partie. Dautres prdictions sont dun ordre tout diffrent.
21
Elles ne sobtiennent pas volont, la suite de questions que lon pose un sujet endormi. Ici tout est spontan ; le voyant a brusquement une vision que rien ne semble provoquer. Il parle de choses quon ne songe pas lui demander, et dcrit parfois dans ses moindres dtails une scne qui se produira rigoureusement ainsi fort longue chance. Ces crises de prophties sont des plus rares ; mais nen posent pas moins un problme formidable. Il semble quune intelligence, dont toute lnergie est concentre sur un seul point, puisse agir comme une sorte de tlescope psychique. Tout se tient : le futur est contenu dans le pass, dont il nest que lpanouissement logique. La dure, dautre part, nest quun phnomne subjectif : la succession que nous constatons nest que le fait de nos organes, car du point de vue de labsolu, tout ne peut tre que simultan. Le caractre transcendant des visions dont il sagit ici nous loigne fort des pythonisses qui dvoilent lavenir moyennant une honnte rtribution. Lune de ces devineresses avait annonc quelle serait veuve avant la fin de lanne. interroge plus tard relativement cette prdiction qui ne stait pas ralise, la sibylle ne fut pas dcontenance. Il nest pas mort, cest vrai ! Mais on ma rapport deux fois mon mari dans un tel tat (ivre-mort) quil nen valait pas mieux ! Ctait mathmatique : une double demi-mort quivaut une mort entire. Loracle tait justifi.
CHAPITRE XIIUN CAS DHYDROPHOBIE La rage et lhypnotisme. Une exprience de laboratoire. Au pied du mur. Une dame mordue. Symptmes rabiques. Verdict de la Facult. Traitement mesmrien. Crises. Gurison radicale A une poque o Charcot et Pasteur taient les hros du jour, le Dr Pinel entreprit des recherches sur lhypnotisme appliqu au traitement de la rage. Aprs avoir constat que le virus rabique agit en tant que poison crbral, il proposa dhypnotiser les personnes mordues. Le petit fils du clbre aliniste de la Salptrire alla plus loin. Il supposa une exprience, dont il fit le rcit dramatique devant lauditoire habituel de ses confrences de vulgarisation. Un sujet tant endormi selon les procds classiques, sur lesquels stend avec complaisance le confrencier, on lui suggre quil est mordu par un chien enrag. Les symptmes du terrible mal apparaissent alors successivement. Ds que lcume bave des lvres convulses, on en recueille avec soin, pour inoculer un lapin. Puis, leffet des premires suggestions tant dtruit par dautres diriges en sens contraire, le sujet est progressivement ramen son tat normal, si bien que, rveill il na aucun souvenir de ce qui sest pass et ne ressent pas le moindre malaise. Il nen est pas de mme du lapin : la pauvre bte devient enrage pour tout de bon et meurt, la stupfaction des auditeurs. Le Dr Pinel avait dbit ce petit apologue scientifique sur un ton malicieux qui naurait d tromper personne. Il aimait ainsi agrmenter la scheresse de ses exposs. Or, il se trouva l un reporter lafft dun article sensation. Ce fut une bonne aubaine pour le plumitif, qui colporta dans la presse ce quil venait dentendre. le public prit le tout au srieux, et bientt le trop spirituel savant fut appel traiter par lhypnotisme un cas de rage bien caractris. Il sagissait dune dame, alors ge de 39 ans, qui fut mordue, le 8 janvier 1887, par un chien reconnu enrag. La morsure avait t immdiatement cautrise lammoniaque. Cette prcaution semblait mettre labri de tout danger. On ne songea donc point salarmer dune srie dtourdissements et de lueurs qui traversaient les yeux ; mme lorsquune constriction
22
persistante vint saisir cette dame la gorge, elle ne voulut y voir que leffet dun refroidissement. Mais voici que leau devint lobjet dune horreur inexplicable. Le sommeil fut troubl par des cauchemars atroces. Des chiens apparaissaient, monstrueux et menaants. Puis, ces accs hallucinatoires survinrent mme pendant la veille. Le dsarroi crbral se traduisit en outre par des alternances dexaltation, puis de paralysie subite de la mmoire. Des choses oublies depuis longtemps se prsentaient lesprit avec la plus grande nettet et, peu aprs, tout souvenir semblait jamais effac. Dautres fois, lhyperesthsie affectait le sens de laudition : des bruits lgers et lointains taient alors distinctement perus. Cette fois lillusion ntait plus possible, du moins pour lentourage de la malade, qui engagea vivement celle-ci voir M Pasteur. Cependant on nosait pas trop insister, crainte de frapper le moral de lintresse, qui persistait ne pas se rendre compte de toute la gravit de son tat. Les inoculations lui rpugnaient, du reste, au suprme degr. La mthode faisait lobjet dune ardente controverse, et la malade lui opposait des prventions invincibles. Dans ces conditions, le traitement hypnotique du Dr Pinel apparut comme une vritable planche de salut. Il ne soulevait aucune objection, la malade tant de longue date familiarise avec le magntisme et pratiquant mme la divination en qualit de sujet lucide. Sans hsiter on crivit donc au Dr Pinel. Mais celui-ci, peu satisfait du bruit intempestif fait autour de son rcit imprudent, et redoutant quelque pige, menvoya aux informations. Il soumit ensuite la malade un examen minutieux. Du point de vue de la mdecine officielle, il ny avait plus rien faire. Les inoculations ne pouvaient plus tre prescrites : on avait trop attendu. Dailleurs, en ltat desprit du sujet elles nauraient prsent que des inconvnients. Mieux valait se rabattre sur lhypnotisme. des suggestions rassurantes contribueraient retardes un dnouement fatal. Et qui sait ? Il fallait compter avec les surprises, avec une de ces ractions du systme nerveux qui droutent toute prvision. Enfin, me dit en matire de conclusion le Dr Pinel, allez-y carrment ! Faites ce que vous pourrez, vous avez carte blanche : pour moi, la femme est flambe ! Libre ainsi dintervenir selon mes moyens daction, jentreprit, partir du 22 mars 1887, une srie de magntisations. Je souligne le mot, car ngligeant les procds de lhypnotisme et en particulier la suggestion, je ne mappliquai pendant tout le traitement qu transmettre la malade de ma propre force nerveuse. Il est vrai quelle sendormait ds le dbut de chaque sance. Mais je ne ly incitait nullement, du moins par ma volont : ctait chez le sujet une habitude prise. Quant sa lucidit, jen eus immdiatement un chantillon. A peine endormie, la sibylle me parla du Dr Pinel : Mais il ne ma nullement dit ce quil pense. Il a voulu me rassurer, en maffirmant que je ne suis pas atteinte de la vraie rage et que mon tat est sans danger. En ralit, il me juge perdue. Sil vous a charg de me soigner, cest en dsespoir de cause. Du reste, il ne croit gure lefficacit de votre traitement, aussi sera-t-il joliment surpris, quand il apprendra que vous maurez gurie. Car vous allez me gurir, je le vois distinctement, et ce ne sera pas long ! Cette prdiction devait pleinement se raliser. Les choses prirent de suite excellente tournure :la gorge devint plus libre et les troubles crbraux sattnurent. Mais ces progrs durent tre conquis de haute lutte. Le magntisme provoquait des crises dune extrme violence, qui clataient parfois au cours mme des sances. Frmissante, les yeux hagards, la malade claquait alors nerveusement des dents. Elle prouvait lenvie de mordre et, si la raison ne leut retenue, elle se fut jete sur moi.
23
Ces attaques qui rvolutionnaient tout lorganisme taient annonces davance. il en rsultait des modifications salutaires, que le sujet indiquait ensuite dans son sommeil. Une dernire secousse, plus vhmente que toutes les autres, se produisit entre la treizime et la quatorzime sance. Elle fut suivie dune fivre ardente, accompagne dune soif si intolrable que pour lapaiser la malade rechercha tous les liquides qui taient sa porte. Elle put boire sans difficult, et se vit ds ce moment dbarrasse jamais de la contraction nerveuse du gosier qui sopposait au passage des boissons. Lhorreur de leau tait surmonte ; aussi, le lendemain, le sujet se dclara guri. Par prcaution les sances furent poursuivies, intervalles de plus en plus espacs, pendant prs de deux ans. Il ny eut aucune rechute. La sant gnrale bnficia du traitement magntique, en sorte que cette dame ne sest jamais aussi bien porte que depuis sa morsure.
CHAPITRE XIIILES MIRACLES Lexception et le rgle. Une gurison soudaine. La suggestion mdicale. Sensation provoque par le magntisme. Le magntisme est loin de conduire toujours des rsultats instantans et brillants. On ne rencontre que par exception des malades dune sensibilit hors ligne ; mais ce sont les cures extraordinaires qui frappent les imaginations, et lon est enclin les citer les premires. Cela prsente certains inconvnients ; car les malades sattendent alors la rptition des mmes prodiges et se trouvent dus lorsque les choses se bornent suivre leur cours normal. Or, il ne faut pas attribuer lagent magntique un caractre miraculeux. La force nerveuse transmise dun organisme un autre ne donne lieu, le plus souvent, qu des effets insensibles, graduels et assez lents. Les gurisons soudaines sont rares. Il ne dpend pas de loprateur de les provoquer son gr. Lui-mme y a parfois moins de part que le sujet ; car tout dpend dune heureuse rencontre de conditions favorisant laction curative. Cest ainsi que jai pu avoir la bonne fortune de tirer dun fort mauvais pas un de nos peintres les plus apprcis pour lexquise dlicatesse de ses uvres. Le matre souffrait dune gastralgie qui remontait plus de sept ans, voire mme la campagne de 1870. Tous les traitements avaient chou : lestomac en tait arriv refuser toute nourriture. Le lait lui mme ntait plus support quavec peine. La nuit, des crampes atroces lobligeaient mordre les draps pour ne plus hurler. Le magntisme fut alors recommand par un ami qui en avait constat les heureux effets. Mais le malade navait aucune confiance en cet agent mystrieux ; il lui fallut cependant se rendre des instances devenues de plus en plus pressantes. Engag ne pas se lisser mourir selon la formule , lartiste, qui me connaissait, consenti faire lessai de mon genre de traitement. La premire sance se passa surtout en conversations ; mais tout en causant je maintenais mes doigts en face de lestomac malade. Le peintre stait engag dans une dissertation sur lesthtique et remarquait peine mon attitude. Lui ayant demand sil ressentait quelque chose, il jugea ma question singulirement prsomptueuse. Comment pouvais-je avoir la prtention de produire quoi que ce soit laide dun semblable procd ? Le lendemain, lentretien fut repris dans les mmes conditions. Cette fois le peintre ressentit dans la rgion pigastrique une lgre oppression quil avait dj remarqu la veille, tout en lattribuant une cause fortuite.24
En revenant le troisime jour, jappris que la nuit avait t plus calme que de coutume. Etaitce une concidence ? Pendant la sance, cette mme gne nerveuse apparut plus marque. La nuit ensuite fut excellente. Tout, dsormais, alla fort bien : le sommeil ne fut plus troubl, les crampes disparurent et les fonctions suspendues reprirent. Le rgime put tre progressivement progressivement largi, si bien que lartiste guri peut aujourdhui faire honneur au magntisme, mme loccasion dun festin de gala. Cette cure, je le rpte, nest pas de celles qui sobtiennent dune manire courante. Jai eu sa suite traiter de nombreux cas de gastralgies beaucoup moins graves, mais avec notablement moins de succs. Et cependant joprais dans des conditions minemment favorables : les malades marrivaient merveills et pleins de fois dans ma puissance curative. Peut-tre aurais-je d profiter de leur tat desprit pour les suggestionner avec autorit, mais il me rpugne de faire des promesses hasardeuses. Je redoute les esprances exagres, car au moindre prtexte elles risquent de tourner au dcouragement. Les cures obtenues par persuasion ne me semblent offrir, dailleurs, que de pitres garanties. Sans doute, beaucoup de malades ont recouvr la sant, uniquement parce quon a su leur faire croire quils allaient gurir. Mais le vritable thrapeute abandonne volontiers ces subterfuges de lart mdical certains pontifes, dont le prestige tapageur fait tout le succs. Si lon aspire devenir un agent de gurison rellement actif, le mieux sera de ne rien promettre davance. ce qui importe, cest de gagner la confiance des malades, et le meilleur moyen dy parvenir cest de sen montrer digne. En consquence, une sage rserve simpose, jusquau moment o se montrent des effets permettant de se prononcer en toute scurit. Quant aux sensations extraordinaires auxquelles les malades sattendent parfois, elles se rduisent, en gnral, quelques tressaillements insignifiants, o de lgers fourmillements dans les membres, surtout aux extrmits. Mais il arrive aussi que lon nprouve absolument rien et que laction magntique nen est pas moins trs hautement efficace. Le plus souvent les malades accusent des sensations vagues, difficiles dfinir. Ce quil y a pour eux de plus clair, cest quils sont alors sous limpression dune dtente gnrale des nerfs et quils se prlassent dans un calme plein de bien-tre. Sil survient de la somnolence, elle porte un sommeil normal, essentiellement tonique et rparateur. La lucidit somnambulique est, dans ces circonstances, un phnomne dune extrme raret. Quelques effets curieux se rattachent cependant la pratique ordinaire du magntisme curatif. Cest ainsi que la main, applique par-dessus des couvertures ou des vtements pais, dgage parfois une chaleur intense et pntrante. Les malades se croient alors en contact avec la bouche d'un calorifre. Dautres fois, mais cela est moins frquent, le sujet se dclare glac, mme par des passes distance. Dans les deux cas, la main de loprateur reste la temprature normale. En dehors de ces singularits, limposition des mains et des passes magntiques ne manifestent gure leur action que par un retour insensible la sant. Le malade a plus de ton et supporte mieux ses douleurs, qui vont en sattnuant mesure que les forces reviennent.
CHAPITRE XIVLA FOI Un malade peu suggestionnable. Sceptiques et croyants. Les remdes toxiques. Les maladies nerveuses. Le protoplasma. Les blessures. Le magntisme peur arrter lcoulement du sang. Succs dans un accouchement. In extrmis.
25
Si le magntisme nagissait que par suggestion il resterait sans effet sur les enfants en bas ge et, plus forte raison, sur les animaux. Or, ce sont prcisment ces tres passifs qui bnficient le mieux de son action. Rien nest plus dmonstratif ce sujet que le cas dun lvrier gyptien quil me fut donn de magntiser. Le pauvre chien tait prs de succomber la maladie du jeune ge. On se montrait fort inquiet. Les troubles bulbaires sannonaient menaants : le cur battait avec violence, alors que la respiration devenait de plus en plus haletante. Le vtrinaire ne rpondait de rien et se contentait de dclarer que le pneumogastrique tait pris ! Voyant le sloughi grelotter sous ses couvertures, je me mis lui caresser la tte, puis lui appliquer la main sur la nuque. Le chien donna bientt des signes de satisfaction par un lger balancement de la tte, qui suivait le mouvement de mes doigts. Le rythme respiratoire parut ensuite se rgulariser ; enfin, aprs avoir eu les yeux clos, lanimal tourna vers moi un regard trouble, puis sembla se rendormir avec calme. Au bout de quelques minutes, on eut la surprise de le voir faire des efforts pour se dresser sur ses pattes. Parvenu non sans peine se mettre debout ,il avana de quelques pas en chancelant, puis il se secoua, comme pour reprendre entirement ses sens. On eut alors lide de prsenter ce mourant du lait, quil lapa sans difficult. Le lendemain, une nouvelle sance acheva la gurison. Ce chien sest toujours montr reconnaissant du service que je lui ai rendu. Il aboie dordinaire avec fureur contre les visiteurs ; mais ds quil maperoit ce sont des sauts de joie, qui sont dautant plus touchants que les tres raisonnables oublient volontiers ce que lon fait pour eux. On voit par cet exemple que le magntisme nexige nullement que lon soit convaincu davance de son efficacit. Pour bnficier de ses effets salutaires, il importe surtout dtre neutre. En dpit des dispositions morales les plus favorables le succs, nanmoins, est loin dtre fatalement assur. Des croyants enthousiastes peuvent rester malades, alors quon a vu des incrdules guris pour ainsi dire malgr eux. Cest que lobstacle est souvent matriel. Sans parler des maladies qui sont incurables, aussi bien par le magntisme que par tout autre moyen, on se heurte parfois des empoisonnements du systme nerveux, occasionns par les produits pharmaceutiques dont les malades se sont saturs. Lorsque lorganisme a subi ainsi les ravages des agents chimiques les plus varis, il faudrait de vrais miracles pour triompher de maux rendus inextricables. Cependant, il ne faut jamais dsesprer. La nature misricordieuse remdie la longue aux plus profonds dsordres. Elle rpare nos erreurs, en revivifiant une une les cellules engourdies par les stupfiants. Le magntisme finit alors par intervenir utilement, mais sa tche est ingrate ; aussi nest-on pas en droit de se montrer par trop exigeant, surtout lorsque dune manire prolonge on a servi de champ de bataille aux principes dsorganisateurs les plus perfides. Si les magntiseurs pouvaient toujours tre mis en prsence dun systme nerveux indemne, leur intervention ne resterait que bien rarement rarement strile. Cest au dbut des maladies que lon agit surtout avec efficacit. Chaque famille devrait donc compter dans son cercle une personne vigoureuse et bien-veillante, sachant parer au moyen du magntisme toutes les complications menaantes. On pargnerait ainsi bien des souffrances, et la sant pourrait redevenir ltat normal de lhomme civilis. Il ne faudrait pas simaginer que le traitement magntique ne sapplique quaux maladies purement nerveuses. Les nvroses, sans doute, ne sont parfois gurissables que par le magntisme ; mais linfluence magntique sexerce dune faon gnrale sur toutes les parties vivantes de lorganisme, et non uniquement sur les nerfs. Car la vie rside essentiellement
26
dans le protoplasme des diffrentes cellules, et cest sur cette substance quon agit directement par le magntisme. Cela explique comment on peut, par exemple, modifier certaines tumeurs qui ne sont pas sous la dpendance des nerfs. Si les cellules nerveuses sont particulirement impressionnables, cest quelles sont presque exclusivement constitues par du protoplasma. Cette impressionnabilit est surtout manifeste en ce qui concerne les centres vaso-moteurs. On agit sur eux avec la plus grande facilit pour provoquer tantt un phnomne de vasodilatation, tantt, au contraire, un effet de vaso-constriction. Cest ainsi quil mest arriv diverses reprises darrter net une hmorragie, alors que des vaisseaux capillaires taient seuls lss. Je pourrais citer ce sujet des faits rappelant les pratiques des Assaouah (Ils dansent en se tailladant la poitrine, le visage et les bras. A la fin de la sance,leur chef arrte le sang qui scoule ; il ferme cet effet les lvres de chaque plaie en murmurant des prires.)
et les jongleurs orientaux qui, plongs dans un dlire artificiel, se font des blessures horribles, dont ils sont ensuite instantanment guris. Il doit donc rester acquis que les maladies physiques, celles qui se manifestent par des troubles de la circulation ou par des engorgements, sont les moins rcalcitrantes. Mais les plus beaux rsultats sobtiennent lorsquil sagit daider la nature dans laccomplissement dun travail physiologique. Dans un accouchement, qui sannonait fort mal, jai vu les douleurs, dab