Oser l'utopie...

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Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles.Bruxelles Laïque Echos est membre de l'Association des Revues Scientifiques et Culturelles - A.R.S.C. (http://www.arsc.be/)

Bruxelles Laïque asblAvenue de Stalingrad, 18-20 - 1000 BruxellesTél. : 02/289 69 00 • Fax : 02/502 98 73E-mail : [email protected] • http://www.bxllaique.be/

Editorial (Ariane Hassid) ............................................................................................................................................................................................................................................................................................................... 3

Déconstruire les mythes, concrétiser les utopies (Mathieu Bietlot).................................................................................................................................................................................................. 4

Ralentis, camarade, le nouveau monde est devant toi (Jean Cornil)............................................................................................................................................................................................... 9

La sortie du capitalisme a déjà commencé (André Gorz)........................................................................................................................................................................................................................ 14

Les Indignés bruxellois sont-ils à la hauteur de leurs ambitions ? (Badi Balthazar) ..................................................................................................................................................... 19

Pédagogie nomade, une école de l’émancipation (Benoit Toussaint) ......................................................................................................................................................................................... 23

Un printemps en plein cœur de l’hiver (Sophie Léonard) ......................................................................................................................................................................................................................... 28

La Libye et notre propagande de guerre (Anne Morelli) ............................................................................................................................................................................................................................ 31

L’histoire en marche : présentation de la Charte mondiale des migrants (Sarah Duplat et Sarah Klingberg)..................................................................................... 35

La Charte mondiale des migrants ................................................................................................................................................................................................................................................................................... 37

Le piège sécuritaire (Luc Van Campenhout) ......................................................................................................................................................................................................................................................... 40

Des individus face aux technologies d’identification et de surveillance (Thierry Rousselin) ................................................................................................................................ 43

D’une pluie sidérale dépoussiérer le paysage des possibles (Mathieu Bietlot et Pierangelo Di Vittorio)................................................................................................ 47

De l’indignation à l’insurrection (Ababacar Ndaw).......................................................................................................................................................................................................................................... 52

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Malgré cet été pourri, le soleil illumine la rentrée grâce au plaisir toujours renouvelé de vous annoncer notre nouvelle édition duFestival des Libertés. Il aura lieu un peu plus tard que les années précédentes, du 17 au 26 novembre, mais ce numéro deBruxelles Laïque Echos, y est déjà consacré.

Le fil conducteur des questionnements ouverts par le Festival des Libertés 2011 tourne autour des mythes et des utopies. Rassurez-vous ! A travers cette thématique, nous ne comptons pas dépoussiérer des mythologies ancestrales ou envisager un futur lointain etinaccessible. Le Festival des Libertés reste plus que jamais ancré dans le présent et cherche à prendre prise sur des enjeux et com-bats actuels.

Ce sont bien les mythologies contemporaines que nous interrogerons et chercherons à déconstruire : l’éternelle jeunesse, le culte de laperformance, le bonheur dans la consommation, les guerres justes, l’insécurité toujours plus menaçante… En outre, nous nous deman-derons si des idées, des valeurs ou des projets que nous défendons, tels la démocratie, l’égalité ou les libertés individuelles et collec-tives ne sont pas devenus des illusions, des supercheries ayant de moins en moins de réalité pour nos concitoyens.

Si tel est le cas, n’est-il pas temps d’agir pour redonner corps à ces principes ? Notre monde en crise n’a-t-il pas besoin de nouveauxprojets mobilisateurs pour faire vivre les libertés et les solidarités ? L’utopie peut ici jouer un rôle positif et décisif. Pas l’utopie quidétourne de la réalité ou s’impose comme un modèle parfait, totalitaire, ne souffrant aucune critique et justifiant le sacrifice du présenten vue de son avènement toujours remis à plus tard. Mais l’utopie qui donne sens à l’action, qui unit une collectivité, qui invite à dépas-ser la triste réalité actuelle, qui permet de reconquérir nos imaginaires, qui redonne espoir. L’utopie qui est moteur de progrès social etpolitique comme le furent en leur temps l’utopie du suffrage universel ou de la journée de 8 heures. Des utopies concrètes qu’il nousfaut expérimenter dans l’ici et maintenant.

Refusant comme toujours les jugements tranchés et manichéens, le Festival des Libertés sera d’abord interrogatif avant d’inciter à l’en-gagement que chacun choisira en âme et conscience. Il interrogera les fonctions du mythe et de l’utopie. La thématique nous permet-tra également de questionner la place de la croyance et de la raison, des superstitions et du progrès, dans nos sociétés, plus de deuxsiècles après les Lumières.

Il n’est plus nécessaire de vous présenter les multiples média qu’emprunteront ces questionnements : documentaires, débats, concerts,théâtres, expositions. Nous sommes de plus en plus convaincus de cette approche multidisciplinaire qui permet de s’adresser à unpublic toujours plus nombreux et diversifié, de lui parler le langage qui correspond le mieux à sa sensibilité et de l’inviter à découvrird’autres formes d’expression.

Nos amis du Théâtre National et du Koninklijke Vlaamse Schouwburg sont à nouveaux ravis de nous accueillir sur leurs scènes et dansleurs espaces conviviaux. Ils sont aussi heureux que nous de reconduire un partenariat fructueux qui souligne notre commune envied’être en prise sur le monde d’aujourd’hui, à travers une culture vivante et interpelante, ouverte à tous.

Je vous souhaite une excellente lecture de ces pages qui, je l’espère, titilleront vos envies de venir refaire le monde avec nous durantle festival. Rendez-vous donc dès le 17 novembre !

Ariane HASSIDPrésidente

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Par Mathieu BIETLOT*

*Bruxelles Laïque Echos

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Déconstruire les mythes, concrétiser les utopies

Cosmogonie

A l’origine, la plupart des sociétés ou collectivités se sont organisées autour de mythes. Les mythesavaient plusieurs fonctions. Tout d’abord, les humains ont créé des récits fabuleux,situés à l’orée ou en dehors de l’histoire, pour tenterd’expliquer l’origine du monde,d’une société et de l’Homme ainsique les phénomènes de la naturequ’ils ne comprenaient pas. Ace titre, le mythe est l’ancêtrede la science et de la philo-sophie. Ensuite, le mythevise à unir une collectivité, àfonder et régir ses structures,ses hiérarchies et ses pratiques sociales.Il peut aussi définir les relations d’une collectivitéavec les autres. Le mythe contient souvent unemorale implicite et s’accompagne de rituels ou d’élé-ments liturgiques. En fournissant des référencescommunes, il favorise la communication des mem-bres d’une collectivité et la transmission intergéné-rationnelle. Il permet en général de gérer ou d’ap-porter une réponse à un rapport problématique,qu’il s’agisse d’un rapport au monde (de compréhension) ou d’un rapport social.

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Le mythe donne du sens et est doté d’une forte charge émo-tionnelle. Il peut donc être nonseulement fondateur mais mobili-sateur : susciter et motiver l’impli-

cation des individus dans le fonctionne-ment de la collectivité. Etant donné que lemythe justifie les structures sociales et lesrapports de force, sa fonction mobilisatricese développe en général au service dustatu quo et du maintien de l’ordre socialexistant. Il tend à faire passer pour naturelou éternel ce qui n’est qu’une contingencehistorique. Il peut en ce sens avoir aussipour fonction de voiler une partie de la réa-lité pour la rendre acceptable, d’entretenirdes croyances erronées, de détourner l’at-tention des vrais problèmes, d’endormir lesconsciences, de manipuler les individuspour les rendre dociles. Ici, le mythe ne secontente pas d’expliquer mais s’applique àmystifier. Son récit et ses rituels ont desdimensions performatives : il réalise uneaction par le fait même de son énonciation,il fait exister ce qu’il décrit.

Il peut cependant arriver qu’un mythe soitmobilisateur non pas en vue du maintiende l’ordre social mais en vue du change-ment ou du progrès. Le mythe expliqueavant tout le passé et les origines mais ilpeut aussi donner sens à l’avenir. C’est lecas des mythes eschatologiques, bienqu’il s’agisse d’un futur hors du temps etdu monde… C’est le cas des mythesrévolutionnaires tels que l’abolition desprivilèges ou la société sans classes.

Technocratie

Dès l’Antiquité, les sciences et la philoso-phie se sont développées pour proposer

des explications rationnelles, concurren-tes des explications mythologiques. Maiselles ont évolué parallèlement aux mytheset aux religions qui demeuraient très pré-gnants dans l’organisation sociale. Cen’est qu’avec la modernité, le siècle desLumières, la sécularisation, les révolutionsscientifiques et politiques que la raison apris le dessus sur les croyances magiqueset la pensée religieuse. Les sociétés ontété de plus en plus régies par la rationalitéet des principes humanistes dits univer-sels. Parmi ces fondements et principes,citons : la démocratie (le pouvoir n’estplus légitimé par le sang ou la divinité maispar la volonté des humains doués de rai-son), les droits de l’Homme (reconnus àchacun en vertu de son humanité), l’éga-lité, les libertés civiles et politiques, le pro-grès, …

Des penseurs comme Max Weber etMarcel Gauchet ont décrit cette transitionhistorique en termes de “désenchante-ment du monde”1. L’abandon des mytheset de la pensée magique s’accompagne-rait d’une perte de sens et d’harmoniesociale. La démystification et le prosaïsmerationnel qui s’ensuit entraîneraient la dés-illusion, la perte d’espoir et d’enthou-siasme. Le désenchantement du mondes’explique aussi par une trop forteemprise de la rationalité instrumentale etde la pensée utilitariste : si tout est gérépar la rationalité et le calcul, quelle placereste-t-il pour les émotions, les senti-ments, l’imagination, l’art, les rêves… ? Laraison et ses instruments déployés parl’humain pour s’émanciper et maîtriser lanature, le progrès, la destinée humainepeuvent dans certains de leurs excèsnuire à l’humain, l’aliéner et le dominer en

retour. Nous ne maîtrisons plus les objetstechniques que nous avons créés pourmaîtriser notre vie, ce sont eux qui nousmaîtrisent2.

Quelques décennies plus tard, qu’en est-ilde cette critique de la modernité dans nossociétés postmodernes ? Quel est le pou-voir de la raison aujourd’hui ? Le désen-chantement a-t-il évacué toute forme demythe ? Assistons-nous à de nouveauxenchantements tels que le new age ou lesmultiples formes de spiritualités importéesde l’Orient ou de l’Amazonie ? Commentnotre rationalité et nos principes seconfrontent-ils à des populations issuesde cultures n’ayant pas connu la séculari-sation et le désenchantement du monde ?

Télécratie

Malgré l’avènement de la raison et de lascience, force est de constater que nossociétés ne sont pas complètementdémythifiées ni démystifiées. Outre lesnouvelles spiritualités, de nouveauxmythes ont vu le jour, notamment via lecinéma, la publicité et la télévision. Ils sontincarnés par des personnages fictifs, desvedettes ou des produits. Citons le mythede l’éternelle jeunesse, de la performancesexuelle, du bonheur dans la consomma-tion, de l’épanouissement au travail, du“self made man”, de la communication etde la transparence… Il ne s’agit plus demythes originels situés en dehors dutemps mais de mythes ancrés dans notrequotidien et actifs sur notre perception duprésent. Ils relèvent tantôt d’une manifes-tation sociale spontanée tantôt d’unemanipulation d'ordre politique ou com-mercial. Ce sont des mythes d’autant plus

esmythes

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créatif et de mobilcontribue

Utopies

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Les utopipies sociateuses d’accord avdons. Lesentrainé dques. Toul’abolitiondu travail milité sanuniversel, congés pa

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puissants et sournois qu’ils ne se présen-tent pas comme tels.

Dans les années 1950, Roland Barthess’est appliqué à décrypter mensuellement,au gré de l’actualité, les mythes de la viequotidienne véhiculés par la presse, l’art etle sens commun. Ces chroniques, reprisesdans le recueil Mythologies, traitent descombats de catch, du nouvel Omo, de lanouvelle Citroën DS, de l’abbé Pierre, desextra-terrestres, de l’affaire Dominici, de Ladame aux camélias… Tout ce qui consti-tuait la culture de masse de ces années-là.Selon Barthes, “le mythe, aujourd’hui” anotamment pour fonction de lisser le réel,de le rendre naturel, d’étouffer les tensions,de dépolitiser la perception et le discours.“Le mythe ne nie pas les choses, sa fonc-tion est au contraire d’en parler ; simple-ment, il les purifie, les innocente, les fondeen nature et en éternité, il leur donne uneclarté qui n’est pas celle de l’explication,mais celle du constat : si je constate l’impé-rialité française sans l’expliquer, il s’en fautde bien peu que je la trouve naturelle, allantde soi : me voici rassuré. En passant del’histoire à la nature, le mythe fait une éco-nomie : il abolit la complexité des acteshumains, leur donne la simplicité desessences, il supprime toute dialectique,toute remontée au-delà du visible immé-diat, il organise un monde sans contradic-tions parce que sans profondeur, un mondeétalé dans l’évidence, il fonde une clartéheureuse : les choses ont l’air de signifiertoutes seules.”3

De manière plus structurée, les idéologiess’appuient aussi sur des mythes pourimposer leur évidence et gommer toutecontradiction. C’était le cas de l’idéologie

communiste (mythe du déterminisme éco-nomique, de la dictature du prolétariat, de la société sans classes…), c’estaujourd’hui le cas de l’idéologie néolibé-rale (mythe de la main invisible, de lacroissance génératrice d’emploi et debien-être…) ou de l’idéologie sécuritaire(mythe de l’inflation de la délinquance, dela punition dissuasive…).

En s’inspirant de la mythologie antique, ilimporte de déconstruire les mythescontemporains en interrogeant leur fonc-tion : explicative ou mystificatrice, fonda-trice ou mobilisatrice, mobilisatrice pour lestatu quo ou pour le changement. Quelstypes de comportement induisent-ils ouimposent-ils ? Que masquent-ils ou qu’in-terdisent-ils de penser ? A qui profite leurentretien et leur diffusion ? Quelles sontles pratiques, voire les rites, qui soutien-nent ces mythes ? Quels sont les méca-nismes de défense mis en place pourempêcher leur remise en question ?

Agonie

Poussant plus loin la réflexion, nous pou-vons nous demander si les principes quise sont substitués aux mythes lors dupassage à la modernité ne sont pas deve-nus eux-mêmes des mythes. Droits del’Homme, libertés individuelles et collecti-ves, démocratie, égalité, solidarité… sont-ils de l’ordre de la réalité, de l’illusion oude la supercherie ? Organisent-ils notrevie sociale ou la mystifient-ils ? Font-ilsencore sens pour l’ensemble descitoyens ? N’ont-ils pas été vidés de leursubstance ou détournés de leur fonde-ment ? Ne servent-ils pas à masquer oulégitimer une réalité faite d’inégalités, de

conditionnements, d’aliénations, de vio-lences,… Ne sont-ils pas brandis par nosgouvernements ou affichés sur les fron-tons de nos institutions pour garantir lestatu quo et laisser croire que tout va pourle mieux dans le moins pire des systè-mes ?

Un nombre croissant de citoyens ne sontplus dupes. Ils se rendent compte quenotre société ne fonctionne plus commeelle le prétend, qu’elle “ruse avec ses prin-cipes”, qu’elle repose sur la manipulation,le mensonge ou l’évitement des vraiesquestions. Les crises à répétitions révè-lent que les modèles et repères d’hier nesont plus adéquats ou n’ont plus aucuneréalité dans un monde en pleine transfor-mation et ébranlement.

Il est peut-être temps de passer à autrechose. Temps de passer à l’acte en toutcas. De non seulement nous indignermais de nous insurger. D’agir pour donnerdu contenu, de l’effectivité et des garan-ties aux droits et aux libertés, à la solida-rité et à l’égalité, à la démocratie et à lajustice.

Si ces principes, projets ou programmessont aujourd’hui soit inaboutis, soit enrégression, soit déconnectés de leursconditions de réalisation, il ne faut pas pourautant les abandonner. Il s’agit plutôt dedéconstruire le verni mythique qui lesrecouvre, de déprogrammer les systèmesqui ne fonctionnent pas pour installer denouvelles pratiques et configurations sus-ceptibles de réaliser la démocratie, ses différents modules et ses périphériques.Pour ce faire, il importe de redonner dusens et du contenu à la politique, d’être

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créatif et d’inventer de nouvelles sourcesde mobilisation. Les utopies peuvent ycontribuer.

Utopies

A l’instar du mythe, l’utopie comporte lerisque d’être complètement déconnectéedu réel, de se figer dans le ciel des idées.Et, par là, de détourner les humains de laréalité et du présent. Erigée en idéal tou-jours remis à plus tard, elle peut justifier lesacrifice du présent et de la vie humainelorsqu’on en arrive à mourir pour elle. Ellepeut se constituer en projet totalisant, her-métique à toute critique, justifiant de pas-ser sous silence tout ce qui la contredit etdonc, lorsqu’elle est entre les mains dupouvoir, de faire taire toutes celles et ceuxqui la contredisent. L’utopie ainsi instituéeen instrument de pouvoir justifie les struc-tures sociales et sert la domination. Ellepeut en ce sens, elle aussi, voiler une par-tie de la réalité pour la rendre acceptable,entretenir des croyances erronées, endor-mir les consciences, manipuler les indivi-dus pour les rendre dociles. Elle peut être,à sa manière, elle aussi, un “opium dupeuple”…

Les utopies à promouvoir sont des uto-pies sociales, politiques et culturelles por-teuses d’un monde plus juste et plus enaccord avec les principes que nous défen-dons. Les utopies qui, de tout temps, ontentrainé des avancées sociales et politi-ques. Tous ceux qui se sont battus pourl’abolition de l’esclavage, du colonialisme,du travail des enfants, tous ceux qui ontmilité sans désespérer pour le suffrageuniversel, pour les droits civiques, pour lescongés payés, pour la journée de 8h, etc.

furent, en leur temps, calomniés d’utopis-tes. L’histoire leur aura finalement donnéraison. Comme on dit : “les utopistesd’hier sont les réalistes d’aujourd’hui”.

Avant de savoir si elles aboutiront, les uto-pies sont aussi positives lorsqu’elles don-nent sens à l’action et à l’être ensemble,lorsqu’elles sont mobilisatrices et unissentune collectivité. Lorsque l’utopie constitueun projet – au sens sartrien – qui nourrit laliberté et permet de dépasser notrecontingence parfois absurde. Ce type deprojet, de force mobilisatrice semble plusque nécessaire aujourd’hui !

Des utopies à inventer pour dépasser la finde l’histoire et des idéologies, les désillu-sions, la morosité et l’individualismeégoïste qui ont dominé le monde depuisles années 1980. Des utopies nouvellesqui, malgré le désenchantement dumonde, permettent de reconquérir nosimaginaires, nos rêves et nos espoirs. Desutopies qui sont probablement en train des’inventer, de Tunis à Madrid en passantmodestement par Bruxelles.

Des utopies créatives qui incitent non seu-lement à rêver un monde meilleur mais à lecréer. Des utopies à expérimenter ici etmaintenant à travers de nouvelles prati-ques, de nouvelles formes d’expressionset de rapports. Des utopies pragmatiques,qui ne détournent pas du réel ni du pré-sent mais poussent à y agir concrètementet conséquemment : “L’utopie n’est pas lafuite dans l’irréel mais l’exploration despossibilités objectives du réel et la luttepour leur concrétisation.”4

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1 Max Weber, Le savant et le politique, UGE (“10/18”), 1919 ;Marcel Gauchet, Le Désenchantement du monde. Une his-toire politique de la religion, Gallimard, Paris, 1985.2 Cf. les penseurs qui ont prolongé les travaux de Max Weberau sein de l’Ecole de Francfort : Horkheimer, Adorno,Marcuse. 3 Roland Barthes, Mythologies, Seuil (col. “Essais”), 1957, p.217. En 2007, Jérôme Garcin a demandé à une série d’au-teurs de contribuer aux Nouvelles mythologies, paru chez lemême éditeur.4 Ernst Bloch, Münzer, théologien de la révolution, trad. fran-çaise, UGE (“10/18”), 1975 (1921).

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Par Jean CORNIL*

* Essayiste, chargé de recherche au PAC (Présence et Action Culturelle)

Ralentis, camarade, le nouveau monde est devant toi !Chacun connaît le slogan de 68, “cours camarade le

vieux monde est derrière toi”. Et bien non, le vieux monde

avait encore quelques décennies à vivre. Malgré

l’implosion des régimes communistes et la levée du

rideau de fer. Malgré les errements des Etats

émancipés du colonialisme et l’émergence d’un

monde multipolaire. Malgré les dignes de la

social-démocratie face à l’inexorable expansion

du mercantilisme planétaire. Malgré l’hégémonie du

modèle hédoniste du bonheur par l’accumulation

infinie de biens et malgré la stimulation effrénée

des insatiables désirs de consommer.

La nature redevenue le sujet de l’Histoire ?

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paraît totRégis Debcomme “lpropos deimpérativecipe : le assurer lepérennité les concepconstellatbouleversque cela entre nouavec la nanotre logic

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Le vieux monde, celui que, depuisdes siècles et des siècles, leshommes ont eu la volonté, ou l’il-lusion, de totalement maîtriser semeurt sous nos yeux hagards. Il

se meurt parce qu’un événement excep-tionnel est en train d’advenir : la nature,pendant si longtemps objet martyrisé parla démesure prométhéenne de l’humain,redevient, avec force et sur un rythmeaccéléré, le sujet de l’Histoire. Comme unretour à la case départ. Comme si tous lesdébats sur le sens de l’émancipation et duprogrès – le prolétariat, les femmes, lesdécolonisés, la nation, Dieu, les dieux… –après des controverses intellectuellessans fin, des révolutions sanglantes, desespoirs vertigineux, s’évaporaient brutale-ment face à cette intuition inouïe : les pro-cessus de transformation des flux d’éner-gie et de matière, cette autre définition dela destinée humaine, se rebellent face àleurs maîtres tout puissants et menacentde les submerger totalement.

Certains me diront immédiatement quece catastrophisme, quasi-millénariste,est totalement déplacé face aux avan-cées des sciences et des techniques,que le génie de l’homme, sans pourautant minimiser les graves perturbationsdes écosystèmes, parviendra à forced’innovations et, plus encore, de raison,à surmonter l’ampleur de ce nouveaudéfi. Puissent les adeptes éclairés duprogrès continu de la civilisation évidem-ment avoir raison. Mais, le pari est pres-que pascalien. Croire en la puissanceinventive de l’esprit humain qui repous-sera sans cesse les limites du possibleafin de surmonter les bouleversementsclimatiques. Ou, au contraire, prévenir le

gouffre qui s’approche en modifiant notrelogiciel mental et notre paradigme dedéveloppement. Dans le premier cas, sinous parions sur notre infinie expansionspirituelle et matérielle dans un mondefini et que nous avions tort, nous per-drons tout. En revanche, dans le secondterme de l’alternative, nous éveillons unemodeste chance de poursuivre notreodyssée humaine. Ce pari est capital etce jeu, le plus dangereux et le plus cru-cial de toute l’histoire. Pour ma part, j’aifait mon choix.

Changer de logiciel cérébral

Pour paraphraser Fred Vargas, nousdevons accomplir, après celle du néolithi-que et de la mutation thermo-industrielle,une troisième révolution. Une nouvellevoie pour l’avenir de l’humanité, pourreprendre les propos d’Edgar Morin. Uncheminement ardu vers une dualité dessujets de l’histoire, les êtres humains etleur environnement, vers un décryptagecomplexe d’un réel en interactions infi-nies, vers des transformations culturelleset politiques, essentielles au nouveaumonde qui s’ébauche, et qui brisent lescarcans de la pensée classique et descodes de la gouvernance moderne. Lesprofonds mouvements souterrains de nossociétés, si éloignés des superficialités etdes apparences optimistes, sont en trainde faire basculer notre temps vers un nou-veau monde. Or, nous pensons, nousagissons, nous gouvernons encore enfonction du monde d’hier. Nous devonsnous engager dans un gigantesque travailpour faire muer nos esprits et nos actions.Conjuguer de multiples mutations pouraboutir à cette troisième révolution.

D’abord par une métamorphose de notregrille d’analyse du présent. Bien des pen-seurs et des savants ont déjà ouvert desbrèches, de Spinoza à Jean-Pierre Dupuy,des stoïciens à Lester R. Brown, deHubert Reeves à Tim Jackson, de Thoreauà Christian Arnsperger, et très nombreu-ses sont les œuvres qui rompent avec larationalité classique, conception encoreultra dominante aujourd’hui, qui séparel’homme de la nature, comme si cette der-nière était un inépuisable réservoir de res-sources à disposition perpétuelle des ter-riens. Comme si l’homme, par l’Histoire etpar le travail, ne pouvait exprimer le sensde sa condition que par une transforma-tion de plus en plus profonde et rapidedes flux de matière et d’énergie. Hom-mage soit rendu à Nicholas Georgescu-Roegen, le père de la bioéconomie. Peut-être pas le nouveau Karl Marx de l’écolo-gie politique, qui se fait attendre, maisassurément un prophète inspiré d’unenouvelle conception de l’économie.

S’émanciper d’une tradition, qui va de laBible à Descartes, du capitalisme aumarxisme, jusqu’aux classiques clivagespolitiques contemporains, est un parcoursincertain et éprouvant. Chaque camp seracrapote sur ses certitudes. Régulation dumarché et justice distributive contre pros-périté par la libre entreprise et l’extensiondes valeurs d’échange. Tous, à quelquesexceptions près comme Yves Cochet oules objecteurs de croissance, raisonnent dela même manière. La différence ne résideque dans le déplacement du curseur selonune prise en charge plus ou moins étenduepar la collectivité des mécanismes de soli-darité. Dans ce cadre, je me situe résolu-ment à gauche. Mais cette posture m’ap-

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paraît totalement insuffisante. Si, selonRégis Debray, la politique peut se définircomme “les rapports entre les hommes àpropos de la répartition des choses”, il fautimpérativement y ajouter un nouveau prin-cipe : le rapport entre les choses pourassurer le bien-être des hommes et lapérennité des écosystèmes. Et voilà toutesles conceptions, d’un extrême à l’autre desconstellations doctrinales, qui se voientbouleversées. Il ne s’agit plus, aussi tragi-que cela soit-il, de négocier seulemententre nous. Il s’agit en plus de “négocier”avec la nature. Et dès lors de transformernotre logiciel cérébral de la politique.

Nous nous sommes trompés dans notrerelation à la nature. Nous l’avions cruconquise et définitivement soumise, assi-gnée exclusivement à satisfaire nos désirs,chaque jour plus voraces, de production etde consommation. Or, des analyses duGIEC à tous les phénomènes climatiquesextrêmes qui se multiplient, nous savonsmaintenant que la nature revient en forceet se rebelle contre la condition danslaquelle nous avons voulu la déterminer.Nous le savons scientifiquement maisnous ne le croyons pas encore politique-ment. Car, comme l’exprime Daniel Gilbert,nous sommes tellement habitués à réagiruniquement à une intentionnalité humaineet selon les critères de l’éthique, que, faceaux cycles naturels, les éléments constitu-tifs de notre rationalité ne sont plus opé-rants. Et de plus, nous avons difficile à per-cevoir cette lame de fond qui bouleverseles écosystèmes, sauf au travers descatastrophes et des controverses sur leurorigine, et qui modifie dans les profon-deurs de la mer, de la terre et de l’air, descycles biochimiques millénaires.

Se transformer soi-même

Ensuite, cette troisième révolution com-mande une transformation de soi. Un peucomme les exercices spirituels de philoso-phie antique, si admirablement mis enlumière par Pierre Hadot, ou comme uneméditation selon la richesse des facettesde la métaphysique orientale. Cela signi-fie interroger les valeurs qui au plus pro-fond de notre intimité, déterminent le sensde notre existence. Pas simplement lerefus des mirages, des honneurs, du pou-voir ou de l’argent. Bien plus que cesrésistances-là. Une interrogation sur lesprincipes, dominants aujourd’hui, qui sanscesse conditionnent, consciemment ouinconsciemment, nos vies selon une spirale sans fin de désirs inassouvis detransformer et d’accumuler la matière.L’action, l’urgence, la vitesse, le bruit, letravail, le présent, le jeune, le nouveau,l’artificiel ont construit un nouvel homme,un egobody pour reprendre le titre du livrede Robert Redeker, engagé dans unecourse folle, sans direction et sans fin.Désenchantement du monde, raison ins-trumentale et individualisme possessifselon le fameux triptyque.

“La véritable révolution verte est d’abordune révolution intérieure” écrit CharlotteLuyckx Verdin. Subversion des valeurs etchangement de perspectives d’abordenvers soi-même. Difficile et délicat carcela implique notre identité. Les petits etgrands tribunaux de l’histoire politiquejugent, sanctionnent ou excluent sanscesse des autres, des gouvernements,des partis ou des peuples. Mais notreprétoire intérieur ? Va-t-il engager un cheminement vers la contemplation, la

lenteur, le silence, la flânerie, la mémoire,l’anticipation, la valorisation de l’âge, lafrugalité, la simplicité, la sobriété ? Va-t-ilfaire décroître notre appétit de biens etcroître notre sensibilité esthétique et intel-lectuelle ? Va-t-il mobiliser des valeursalternatives à l’anthropologie capitalistequi enserre notre présent, voire aux restesdes chimères totalitaires où l’homme pré-tendu nouveau a été broyé par l’histoire ?

Je ne crois ni comme Epicure qu’il faut sechanger avant de transformer le monde, nicomme Marx qui affirme l’inverse. Aucontraire. La disjonction entre le “tantôt jepense, tantôt je vis” de Paul Valéry, estporteuse des pires errements. Si la natureredevient le sujet central du processushistorique, c’est bien notre rapport à ellemais aussi à nous-même et aux autresqu’il faut appréhender dans une logiqueglobale et complexe. Le cheminementvers une écosophie, selon la formule deFélix Guattari, commence ici et mainte-nant. Par soi-même. Par sa propre écolo-gie mentale.

Au-delà de la civilisation moderne

Enfin, cette politique de civilisation, selonles termes de Edgar Morin, nous enjointde quitter les schémas classiques de lamodernité qui se sont construits, entreconcepts et révolutions, depuis le siècledes Lumières. D’interroger la justicesociale non plus sous le seul angle de laredistribution, malgré la quantité desvariantes, mais aussi sous celui de la pro-duction. Autrement dit et de manière unpeu brusque : si la sociale démocratieétait la fin de l’Histoire et que chaque êtrehumain disposait d’un revenu minimum de

de notredes pen-vert dese Dupuy,own, deThoreauombreu- avec la encore sépareette der-r de res-des ter-stoire et le sens

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mille à deux mille euros par mois – ce quiest actuellement pure utopie en regarddes inégalités mondiales – et adoptait lemode de vie moyen d’un occidental, laterre, système fini, ne survivrait pas long-temps, du moins en ce qui concerne lapoursuite de la vie à sa surface. Comptetenu des perspectives démographiques, sichaque terrien consommait autant d’éner-gie, de viande, de poisson, de papier,d’eau, et rejetait autant de déchets qu’unEuropéen, la raréfaction très accéléréedes ressources naturelles et les guerrespour l’appropriation des restes, condui-rait immanquablement à ce que JaredDiamond nomme l’effondrement. Cetteguerre a d’ailleurs déjà commencé. Il suf-fit de se pencher sur le cadastre de la pro-priété foncière à l’échelle internationale etregarder comment lespays émergents achètentdes milliers d’hectares enAfrique ou ailleurs.

Sous un autre aspect, je vois mal au nomde quel principe nous pourrions, nousOccidentaux, refuser au Chinois, à l’Indien,au Bolivien, notre mode de développementet de transformation de la nature. Cesconstats historiques nous condamnent àpenser et à agir, seul et collectivement,selon un autre paradigme de développe-ment et à abandonner les conceptions tra-ditionnelles de l’action politique. Toujours latroisième révolution à inventer. Contre lepillage généralisé de notre environnement.Contre les vertigineuses inégalités deconditions qui s’accroissent. Contre lemonde égo-grégaire de la consommationmassifiée et de l’homogénéisation cultu-relle, qui définit le sens de l’existence par laseule accumulation de biens et de services.

J’ai bien conscience de forcer un peu letrait. La réalité est évidemment plus com-plexe. Je dresse ici comme un squelettedes défis de l’avenir. Ce que je souhaite sur-tout indiquer, c’est la nécessité de rompreavec la croyance que la croissance, l’inves-tissement, le travail, dogmes ultra majoritai-res de la gouvernance moderne, de droitecomme de gauche, va nous permettre deréaliser une société juste, épanouie, sereineet abondante. Je crois très exactement lecontraire. A contrario donc de la quasi-tota-lité des décisions publiques, des analyseséconomiques, des commentaires sur lacrise ou des conversations de bistrot qui mesemblent trouver le salut du futur dans unefuite en avant, toujours plus compétitive,toujours plus dérégulée, toujours plus priva-tisée, toujours plus dévoreuse de matière et

d’énergie. Comment pen-ser un nouveau projet poli-tique compatible avec unebiosphère finie ?

Cette compatibilité entre un humain ayantrenoué avec le sens de la limite et de lamesure et un fonctionnement harmonieuxdes cycles naturels, bien des penseurs etdes savants, souvent sous le mot malchoisi de décroissance, en publient desanalyses et des essais, souvent percu-tants et interrogateurs. Sur le plan politi-que, surtout au sein de la société civile,des mouvements de citoyens se sontemparés de cette question essentielle.Les objecteurs de croissance, encore bal-butiants, commencent à se faire entendre,de la France au Québec, de la Suisse à laWallonie, de l’Espagne à la Bolivie, del’Equateur à l’Italie. Des expériencescitoyennes, des coopératives éoliennesaux cercles de simplicité volontaires, des

banques alternatives aux villes en transi-tion, des services d’échanges locaux aux projets agricoles, foisonnent et seconstruisent. Même certains Etats in-cluent dans leurs Constitutions ces princi-pes novateurs. Assiste-t-on à l’émergenced’un nouveau mouvement historique quiveut démondialiser, relocaliser, décarboni-ser, ou déséconomiser les rapportshumains ? Nul ne le sait encore. Mais,leurs projets de justice sociale et environ-nementale, fondés sur de nouveauxconcepts – les biens communs de l’huma-nité, la gratuité, l’allocation universelle, levolontariat, le revenu maximal… –, mêmes’ils sont encore inaudibles sur la scènepolitique, dans la grande société du spec-tacle, commencent à attirer l’attention carils rompent avec l’hégémonie de la pen-sée normalisée qui domine encore lesâmes et les corps. Une alternative s’ébau-che, hésitante et maladroite, en recherched’elle-même. Au niveau de certains Etatscomme le Bhoutan ou la Bolivie. Au niveaudes citoyens qui choisissent une radicalitéexistentielle. Au niveau politique où poin-tent sur les rebords du spectre des partistraditionnels, des mouvements alternatifset désordonnés qui contestent les fonde-ments mêmes des clivages idéologiquesde la modernité. Au niveau intellectuel oùcertains, courageux, tel Dominique Bourg,réinterrogent la capacité de nos démocra-ties à répondre à ces gigantesquesenjeux.

Une troisième révolution pour franchir leseuil du nouveau monde où la natureredevient le sujet, aux côtés de l’homme,du destin de la planète. Une nouvelleapproche dans notre rapport aux écosystèmes, à soi-même, et aux autres

“Une terre finie peut-ellesupporter un projet infini ?”

Leonardo Boff

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au travers d’une politique en voie de réin-vention permanente. C’est ce clivage-là,aussi caricatural soit-il, qui m’intéresseavant tout.

C’est aussi une aventure intellectuelle ethumaine magnifique. Celle qui invoque lessagesses antiques, Spinoza ou la revueEntropia. Celle qui permet la rencontred’hommes et de femmes déterminés etenthousiastes qui cheminent ensemblevers un nouveau modèle social et politi-que, portés par d’autres valeurs, militants

au service d’une alternative de civilisation,dressés face à l’anthropologie capitaliste.Ralentis, camarade, le nouveau mondeest devant toi.

n transi- locaux

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anchir lea naturehomme,nouvellert aux x autres

Les enjeux et les perspectives dechangement économiques donne-ront lieu à un débat au Festival desLibertés, le 18 novembre à 19h :“une autre économie pour un autremonde”. Avec Paul Ariès (politolo-gue, directeur du journal LeSarkophage et auteur notammentde Décroissance & gratuité),Michèle Gilkinet (présidente duGRAPPE (Groupe de Réflexion etd'Action Pour une Politique Écolo-gique) et Yann Moulier Boutang(professeur d’économie politique,co-directeur de la revue Multitudes,L’abeille et l’économiste (2010)).

(cf. www.festivaldeslibertes.be)

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Les chiffreatteinte. capital prAux Étatsdice Stanmoyenne,liquides ; entreprisetions surFrance, lentreprise

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La question de la sortie du capitalisme n’a jamais été plus actuelle. Elle se pose en

des termes et avec une urgence d’une radicale nouveauté. Par son développement

même, le capitalisme a atteint une limite tant interne qu’externe qu’il est incapa-

ble de dépasser, et qui en fait un système mort-vivant qui se survit en masquant

par des subterfuges la crise de ses catégories fondamentales : le travail, la valeur,

le capital.

Par André GORZ*

*Philosophe et pionnier de l’écologie politique. Préface au manifeste Utopia, Septembre 2007

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Cette crise de système tient aufait que la masse des capi-taux accumulés n’est pluscapable de se valoriser parl’accroissement de la produc-

tion et l’extension des marchés. La pro-duction n’est plus assez rentable pourpouvoir valoriser des investissementsproductifs additionnels. Les investisse-ments de productivité par lesquels cha-que entreprise tente de restaurer sonniveau de profit ont pour effet de déchaî-ner des formes de concurrence meurtriè-res qui se traduisent, entre autres, par desréductions compétitives des effectifsemployés, des externalisations et déloca-lisations, la précarisation des emplois, labaisse des rémunérations, et donc, àl’échelle macro-économique, la baisse duvolume de travail productif de plus-valueet la baisse du pouvoir d’achat. Or, moinsles entreprises emploient de travail et plusle capital fixe par travailleur est important,plus le taux d’exploitation, c’est-à-dire lesurtravail et la survaleur produite par cha-que travailleur, doit être élevé. Il y a àcette élévation une limite qui ne peut êtreindéfiniment reculée, même si les entre-prises se délocalisent en Chine, auxPhilippines ou au Soudan.

Les chiffres attestent que cette limite estatteinte. L’accumulation productive decapital productif ne cesse de régresser.Aux États-Unis, les 500 firmes de l’in-dice Standard & Poor’s disposent, enmoyenne, de 631 milliards de réservesliquides ; la moitié des bénéfices desentreprises américaines provient d’opéra-tions sur les marchés financiers. EnFrance, l’investissement productif desentreprises du CAC 40 n’augmente pas,

même quand leurs bénéfices explosent.L’impossibilité de valoriser les capitauxaccumulés par la production et le travailexplique le développement d’une écono-mie fictive fondée sur la valorisation decapitaux fictifs. Pour éviter une récessionque dévaloriserait le capital excédentaire(sur-accumulé), les pouvoirs financiersont pris l’habitude d’inciter les ménages às’endetter, à consommer leurs revenusfuturs, leurs gains boursiers futurs, lahausse future de la valeur marchande deleur logement, cependant que la Boursecapitalise la croissance future, les profitsfuturs des entreprises, les achats futursdes ménages, les gains que feraientdégager les dépeçages et restructura-tions, imposés par les LBO1 d’entreprisesqui ne s’étaient pas encore mises àl’heure de la précarisation, surexploitationet externalisation de leurs personnels.

La valeur fictive (boursière) des actifsfinanciers a doublé en l’espace d’environsix ans, passant de 80 000 à 160 000 mil-liards de dollars (soit trois fois le PIB mon-dial), entretenant aux États-Unis unecroissance économique fondée sur l’en-dettement intérieur et extérieur, lequelentretient de son côté la liquidité de l’éco-nomie mondiale et la croissance de laChine, des pays voisins, et par ricochet,de l’Europe.

L’économie réelle est devenue un appen-dice des bulles financières. Il faut impéra-tivement un rendement élevé du capitalpropre des firmes pour que la bulle bour-sière n’éclate pas – et une hausse conti-nue du prix de l’immobilier pour quen’éclate pas la bulle des certificats d’investissement immobilier vers lesquels

les banques ont attiré l’épargne des particuliers en leur promettant monts etmerveilles – car l’éclatement des bullesmenacerait le système bancaire de faillitesen chaîne, l’économie réelle d’une dépres-sion prolongée (la dépression japonaisedure depuis quinze ans). “Nous chemi-nons au bord du gouffre”, écrivait le réali-sateur Robert Benton. Voilà qui expliquequ’aucun État n’ose prendre le risque des’aliéner ou d’inquiéter les puissancesfinancières. Il est impensable qu’une poli-tique sociale ou une politique de “relancede la croissance” puisse être fondée sur laredistribution des plus-values fictives de labulle financière. Il n’y a rien à attendre dedécisif des États nationaux qui, au nom del’impératif de compétitivité, ont abdiquépas à pas au cours des trente dernièresannées leurs pouvoirs entre les mainsd’un quasi-État supranational imposantdes lois faites sur mesure dans l’intérêt ducapital mondial dont il est l’émanation.Ces lois, promulguées par l’OMC, l’OCDE,le FMI, imposent dans la phase actuelle letout-marchand, c’est-à-dire la privatisa-tion des services publics, le démantèle-ment de la protection sociale, la monétari-sation des maigres restes de relations noncommerciales. Tout se passe comme si lecapital, après avoir gagné la guerre qu’il adéclarée à la classe ouvrière vers la fin desannées soixante-dix, entendait éliminertous les rapports sociaux qui ne sont pasdes rapports acheteur/vendeur, c’est-à-dire qui ne réduisent pas les individus àêtre des consommateurs de marchandi-ses et des vendeurs de leur travail oud’une quelconque prestation considéréecomme “travail”, pour peu qu’elle soit tari-fée. Le tout-marchand, le tout-marchan-dise comme forme exclusive du rapport

se en

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capa-

quant

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CO2 devrcette datclimatiquede 2°C, lesibles et n

La décroisurvie. Mnomie, uncivilisationleur absed’être imrationnemcaractérisguerre. Ladonc d’ureproductfois à sesexternes destructiosources terre. La smencéconsciemment sur cadence à

L’instauradictatoriacratique, est tenté sation cavaloriser dtal, a procla “désubdire la rérieurs”, pbesoins individueltions de lele début lasociétés :

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social, poursuit la liquidation complète dela société dont Margaret Thatcher avaitannoncé le projet. Le totalitarisme du mar-ché s’y dévoilait dans son sens politiquecomme stratégie de domination. Dès lorsque la mondialisation du capital et desmarchés, et la férocité de la concurrenceentre capitaux partiels, exigeaient quel’État ne fût plus le garant de la reproduc-tion de la société, mais le garant de lacompétitivité des entreprises, ses margesde manœuvre en matière de politiquesociale étaient condamnées à se rétrécir,les coûts sociaux à être dénoncés commedes entorses à la libre concurrence et desentraves à la compétitivité, le financementpublic des infrastructures à être allégé parla privatisation.

Le tout-marchand s’attaquait à l’existencede ce que les Britanniques appellent lescommons et les Allemands leGemeinwesen, c’est-à-dire à l’existencedes biens communs indivisibles, inaliéna-bles et inappropriables, inconditionnelle-ment accessibles et utilisables par tous.Contre la privatisation des biens com-muns, les individus ont tendance à réagirpar des actions communes, unis en unseul sujet. L’État a tendance à empêcher,et le cas échéant à réprimer cette union detous, d’autant plus fermement qu’il ne dis-pose plus des marges suffisantes pourapaiser des masses paupérisées, précari-sées, dépouillées de droits acquis. Plus sadomination devient précaire, plus lesrésistances populaires menacent de seradicaliser, et plus la répression s’accom-pagne de politiques qui dressent les indi-vidus les uns contre les autres et dési-gnent des boucs émissaires sur lesquelsconcentrer leur haine.

Si l’on a à l’esprit cette toile de fond, lesprogrammes, discours et conflits quioccupent le devant de la scène politiqueparaissent dérisoirement décalés par rap-port aux enjeux réels. Les promesses etles objectifs mis en avant par les gouver-nements et les partis apparaissentcomme des diversions irréelles, qui mas-quent le fait que le capitalisme n’offreaucune perspective, sinon celle d’unedétérioration continue des conditions devie, d’une aggravation de sa crise, d’unaffaissement prolongé passant par desphases de dépression de plus en pluslongues et de reprise de plus en plus fai-bles. Il n’y a aucun “mieux” à attendre, sion juge le mieux selon les critères habi-tuels : il n’y aura plus de “développe-ment” sous la forme du plus d’emplois,plus de salaires, plus de sécurité. Il n’yaura plus de “croissance” dont les fruitspuissent être socialement redistribués etutilisés pour un programme de transfor-mations sociales transcendant les limiteset la logique du capitalisme.

L’espoir mis, il y a quarante ans, dans des“réformes révolutionnaires” qui, engagéesde l’intérieur du système sous la pressionde luttes syndicales, finissent par transfé-rer à la classe ouvrière les pouvoirs arra-chés au capital, cet espoir n’existe plus.La production demande de moins enmoins de travail, distribue de moins enmoins de pouvoir d’achat à de moins enmoins d’actifs ; elle n’est plus concentréedans de grandes usines, pas plus que nel’est la force de travail. L’emploi est deplus en plus discontinu, dispersé sur desprestataires de service externes, sanscontact entre eux, avec un contrat com-mercial à la place d’un contrat de travail.

Les promesses et programmes de“retour” au plein emploi sont des miragesdont la seule fonction est d’entretenirl’imaginaire salarial et marchand, c’est àdire l’idée que le travail doit nécessaire-ment être vendu à un employeur et lesbiens de subsistance achetés avec l’ar-gent gagné ; autrement dit : qu’il n’y a pasde salut en dehors de la soumission dutravail au capital et de la soumission desbesoins à la consommation de marchan-dises ; qu’il n’y a pas de vie, pas desociété au-delà de la société de la marchandise et du travail marchandisé,au-delà et en dehors du capitalisme.

L’imaginaire marchand et le règne de lamarchandise empêchent d’imaginer unequelconque possibilité de sortir du capi-talisme, et empêchent par conséquent devouloir en sortir. Aussi longtemps quenous restons prisonniers de l’imaginairesalarial et marchand, l’anticapitalisme etla référence à une société au-delà ducapitalisme resteront abstraitement utopi-ques, et les luttes sociales contre les poli-tiques du capital resteront des luttesdéfensives qui, dans le meilleur des cas,pourront freiner un temps, mais non pasempêcher la détérioration des conditionsde vie.

La “restructuration écologique” ne peutqu’aggraver la crise du système. Il estimpossible d’éviter une catastrophe cli-matique sans rompre radicalement avecles méthodes et la logique économiquequi y mènent depuis 150 ans. Si on pro-longe la tendance actuelle, le PIB mondialsera multiplié par un facteur 3 ou 4 d’ici àl’an 2050. Or, selon le rapport du Conseilsur le climat de l’ONU, les émissions de

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CO2 devront diminuer de 85 % jusqu’àcette date pour limiter le réchauffementclimatique à 2°C au maximum. Au-delàde 2°C, les conséquences seront irréver-sibles et non maîtrisables.

La décroissance est donc un impératif desurvie. Mais elle suppose une autre éco-nomie, un autre style de vie, une autrecivilisation, d’autres rapports sociaux. Enleur absence, la décroissance risqued’être imposée à force de restrictions,rationnements, allocations de ressourcescaractéristiques d’un socialisme deguerre. La sortie du capitalisme s’imposedonc d’une façon ou d’une autre. Lareproduction du système se heurte à lafois à ses limites internes et aux limitesexternes engendrées par le pillage et ladestruction d’une des deux “principalessources d’où jaillit toute richesse” : laterre. La sortie du capitalisme a déjà com-mencé sans être encore voulueconsciemment. La question porte seule-ment sur la forme qu’elle va prendre et lacadence à laquelle elle va s’opérer.

L’instauration d’un socialisme de guerre,dictatorial, centralisateur, technobureau-cratique, serait la conclusion logique – onest tenté de dire “normale” – d’une civili-sation capitaliste qui, dans le souci devaloriser des masses croissantes de capi-tal, a procédé à ce que Marcuse appellela “désublimation répressive”, c’est-à-dire la répression des “besoins supé-rieurs”, pour créer méthodiquement desbesoins croissants de consommationindividuelle, sans s’occuper des condi-tions de leur satisfaction. Elle a éludé dèsle début la question qui est à l’origine dessociétés : la question du rapport entre les

besoins et les conditions qui rendent leursatisfaction possible : la question d’unefaçon de gérer des ressources limitées demanière qu’elles suffisent durablement àcouvrir les besoins de tous ; et inverse-ment la recherche d’un accord généralsur ce qui suffira à chacun, de manièreque les besoins correspondent aux res-sources disponibles.

Nous sommes donc arrivés à un point oùles conditions n’existent plus qui permet-traient la satisfaction des besoins que lecapitalisme nous a donnés, inventés,imposés, persuadés d’avoir, afin de pou-voir écouler des marchandises qu’il nousa enseigné à désirer. Pour nous enseignerà y renoncer, l’éco-dictature semble àbeaucoup être le chemin le plus court.Elle aurait la préférence de ceux qui tien-nent le capitalisme et le marché pourseuls capables de créer et de distribuerdes richesses, et qui prévoient unereconstitution du capitalisme sur de nou-velles bases après que des catastrophesécologiques auront remis les compteurs àzéro en provoquant une annulation desdettes et des créances.

Pourtant une tout autre voie de sorties’ébauche. Elle mène à l’extinction dumarché et du salariat par l’essor de l’au-toproduction, de la mise en commun etde la gratuité. On trouve les explorateurset éclaireurs de cette voie dans le mouve-ment des logiciels libres, du réseau libre(Freenet), de la culture libre qui, avec lalicence CC (creative commons) rend libre(et libre : free signifie en anglais, à la foislibrement accessible et utilisable par tous,et gratuit) de l’ensemble des biens cultu-rels – connaissances, logiciels, textes,

musique, films, etc. – reproductibles enun nombre illimité de copies pour un coûtnégligeable. Le pas suivant serait logi-quement la production “libre” de toute lavie sociale, en commençant par sous-traire au capitalisme certaines branchesde produits susceptibles d’être autopro-duits localement par des coopérativescommunales. Ce genre de soustraction àla sphère marchande s’étend pour lesbiens culturels où elle a été baptisée “out-cooperating”, un exemple classique étant Wikipedia qui est en train d’“out-cooperate” l’Encyclopedia Britannica.L’extension de ce modèle aux biensmatériels est rendue de plus en plus fai-sable grâce à la baisse du coût desmoyens de production et à la diffusiondes savoirs techniques requis pour leurutilisation. La diffusion des compétencesinformatiques, qui font partie de la “cul-ture du quotidien” sans avoir à être ensei-gnées, est un exemple parmi d’autres.L’invention des fabbers, aussi appelésdigital fabricators ou factories in a box – ils’agit de sortes d’ateliers flexibles trans-portables et installables n’importe où –ouvre à l’autoproduction locale des possi-bilités pratiquement illimitées.

Produire ce que nous consommons etconsommer ce que nous produisons estla voie royale de la sortie du marché : ellenous permet de nous demander de quoinous avons réellement besoin, en quan-tité et en qualité, et de redéfinir parconcertation, compte tenu de l’environne-ment et des ressources à ménager, lanorme du suffisant que l’économie de marché a tout fait pour abolir.L’autoréduction de la consommation, sonautolimitation – le self-restreint – et la

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possibilité de recouvrer le pouvoir surnotre façon de vivre passent par là.

Il est probable que les meilleurs exemplesde pratiques alternatives en rupture avecle capitalisme nous viennent du Sud de laplanète, si j’en juge d’après la création, auBrésil, dans des favelas, mais pas seule-ment, de “nouvelles coopératives” et despontos de cultura. Claudio Prado, quidirige le département de la “culturenumérique” au ministère de la Culture,déclarait récemment : “Le “job” est uneespèce en voie d’extinction… Nous espé-rons sauter cette phase merdique du XXe

siècle pour passer directement du XIXe auXXIe”. L’autoproduction et le recyclagedes ordinateurs, par exemple, sont soute-nus par le gouvernement : il s’agit defavoriser “l’appropriation des technolo-gies par les usagers dans un but de trans-formation sociale”. Si bien que les troisquarts de tous les ordinateurs produits auBrésil en 2004/5 étaient autoproduits.

Ces d

mouv

à Pari

tout d

mobil

Leso

Par Bad

*Blogueur,

La pensée d’André Gorz alimentera les réflexions sur la question du travaillors d’un débat au Festival le 23 novembre à 20h30. “Du mythe du plein emploià l’utopie d'une société sans travail” avec Françoise Bloch (metteur en scène,enseignante, fondatrice du Zoo Théâtre), Hugues Esteveny (délégué syndical,Christophe Fourel (directeur de l’ouvrage commun André Gorz, un penseurpour le XXIe siècle) et Danièle Linhart (directrice de recherches CNRS, auteurde nombreux ouvrages concernant le travail).

Ce débat sera introduit à 20h par le spectacle de Françoise Bloch : Unesociété de services (une petite forme) Quatre acteurs explorent le milieu dutélémarketing. Ces larges plateaux où, en rangs d’oignon, des jeunes appel-lent le monde entier pour vendre, à tout prix… Un portrait fragmenté, teintéd’humour, où l’interaction jeu-vidéo-son questionne la réalité et l’intimité deces voix de la vente.

(cf. www.festivaldeslibertes.be)

1 Le leveraged buy-out, abrégé en LBO, terme anglais pourfinancement d'acquisition par emprunt, consiste à racheterune entreprise en ayant recours à l'endettement bancaire.

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Ces dernières semaines, j'ai consacré une dizaine d'articles à l'actualité du

mouvement dit des “Indignés”. Pour ce faire, je me suis déplacé à Bruxelles,

à Paris et à Barcelone avec comme objectif d'aller à leur rencontre, mais sur-

tout d'observer, d'analyser et de m'imprégner de ce pour quoi ces citoyens se

mobilisent.

Les Indignés bruxellois sont-ils à la hauteur

Par Badi BALTAZAR *

*Blogueur, “Le buvard bavard” (http://www.lebuvardbavard.com/) journaliste indépendant

de leurs ambitions ?

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galeries dstreamingbaux d'asments pocritiques ddu mouvd'opinion dans les montagesd'interview

Quels sonactions ?et/ou con

1. Les camdétruits, sservices cquent tanles des cade commques. A aucune vocampemedes acteuce sujet que repréressourceques et lement nécetion et detion des l'expérienéquivalan

En revancde soulignments a ément. Sontère d'unremarquapartages,

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Parce qu'il est clair que voir desgens descendre dans les rues,se rassembler spontanément etpacifiquement, prendre délibé-rément le risque d'être les victi-

mes de coups de matraques, de gazlacrymogène ou de subir des arrestationsarbitraires est tout sauf anodin. Les voirassumer publiquement leur vérité pro-fonde et leur colère, planter leur tente surdes places publiques, y implanter une cui-sine et des ateliers, y organiser desassemblées populaires, des bibliothè-ques, des commissions et des activités,est tout sauf inintéressant. Si le Buvardabsorbe si fidèlement les couleurs deleurs actions, c'est parce qu'en tantqu'être humain, je ne peux m'isoler dansl'indifférence. Et je me dois donc d'assu-mer moi aussi mon rôle, au même titre quetous ceux qui refusent définitivement derester passifs et de se terrer dans l'igno-rance ou la victimisation.

Néanmoins, j'ai à cœur de préserver maposition d'observateur. Mais je ne laconçois qu'impliquée au cœur du sujet.Cela peut paraître paradoxal ou contradic-toire à première vue mais je m'en expliquepar la vérité suivante : on ne peut réelle-ment comprendre un phénomène que sion le vit de l'intérieur tout en s'aména-geant la capacité et le recul nécessairespour le vivre de l'extérieur. Se limiter àl'une des deux postures ne peut qu'abou-tir aux résultats désastreux et ridiculementdénués de fondement qu'obtiennent cer-tains journalistes ou chroniqueurs tels queFrançois De Smet et son “Indignez-vousbande de moules”1, récemment publié surle site de la RTBF. Dans le but de contri-buer à combler cet énorme fossé qui

sépare le monde des médias de la réalitéqui est la nôtre, j'ai donc pris l'initiative dem'informer, de me déplacer, de dialoguer,de comprendre et de suivre l'évolution dumouvement des “Indignés” tout en lerelayant, en le commentant et en le parta-geant à travers mes écrits.

Maintenant que le décor est planté et queles présentations d'usage sont faites, per-mettez-moi de vous faire part de mon ana-lyse sur ce mouvement.

Quelles ont été les principales actionsmenées par le mouvement depuis sanaissance ?

1. Créations spontanées de campementssur le Carré de Moscou à Saint-Gilles etsur la Place Sainte-Croix à Ixelles.D'autres campements ont également vu lejour à Uccle, Namur, Liège...2. Organisations d'assemblées populairesquotidiennes au sein des campements etailleurs.3. Rassemblements et marches de protes-tation, dont les plus importants ont étéceux du :• 11 juin, du Carré de Moscou à la place

Flagey, triste théâtre de violences poli-cières incontrôlées sur des citoyenspacifiques dont le crime fut de vouloir seréunir en assemblée populaire sur laplace.

• 19 juin, de la Place Flagey au ParlementEuropéen, pour dénoncer le vote dupaquet législatif dit “Euro Plus” et l'ins-tauration d'une politique d'austéritégénérale sous contrôle des institutionseuropéennes que sont le Conseil, laCommission, le Parlement, la BanqueCentrale et le FME. En un mot, un cadre

législatif aux services des banques et del'ultralibéralisation des marchés danslequel les appareils politiques nationauxet par conséquent les citoyens n'aurontplus la moindre possibilité de faireentendre leur voix et encore moins d'in-fluer sur les décisions prises par la nou-velle “gouvernance Européenne”, qui seveut supranationale et hégémonique, etce, grâce à la succession des traités quiconstituent aujourd'hui son ADN.

• 22 juin, du rond-point Schuman (face àla Commission et au Conseil Européen)au Parlement Européen (Place duLuxembourg) pour les mêmes raisons.La décision de certains Indignés de pas-ser la nuit sur l'esplanade du Parlementa rapidement été avortée et la soirées'est clôturée par un déploiement depolice, des violences policières maisaussi des violences générées par certains trouble-fête extérieurs au mou-vement.

• 23 juin, tentative de se rendre au siègedu journal Le Soir (rue Royale) pourdénoncer le manque d'informations et ladésinformation des médias tradition-nels. Cette dernière s'est soldée par unequarantaine d'arrestations préventivestotalement arbitraires, suivies de traite-ments policiers inacceptables.2

• 23 juin, organisation d'un assembléepopulaire au Parlement Européen quis'est vue dispersée par les réactionsrépressives et violentes de la police.

4. Mise en place d'outils de communica-tion tels que sites internet, connexions etéchanges d'informations avec les autresvilles impliquées dans le mouvement,groupes et pages Facebook, blogs, hashtags Twitter, vidéothèques virtuelles,

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galeries de photos, retransmissions enstreaming, comptes-rendus, procès-ver-baux d'assemblée, organisations d'évène-ments ponctuels ou réguliers, analyses etcritiques des dépêches de presse traitantdu mouvement, publications d'articlesd'opinion ou d'articles basés sur des faitsdans les médias citoyens participatifs,montages de petits documentaires vidéo,d'interviews, de témoignages.

Quels sont à ce jour les résultats de cesactions ? En quoi ont-elles été utileset/ou contreproductives ?

1. Les campements ont été soit levés, soitdétruits, soit évacués par la police et lesservices communaux. Les raisons s'expli-quent tantôt par des décisions personnel-les des campeurs, tantôt par des plaintesde commerçants ou des décisions politi-ques. A noter qu'il n'y a, semble-t-il,aucune volonté marquée de remonter uncampement à Bruxelles. La quasi-totalitédes acteurs que j'ai pu entendre ou lire àce sujet déplorent la dépense d'énergieque représente une telle entreprise. Lesressources matérielles, sanitaires, juridi-ques et les efforts humains qu'un campe-ment nécessite ont eu raison de la motiva-tion et de la capacité actuelle d'autoges-tion des Indignés bruxellois. En cela, l'expérience espagnole n'a pas trouvé sonéquivalant à Bruxelles, c'est un fait.

En revanche, je me dois de reconnaître etde souligner que l'expérience des campe-ments a énormément apporté au mouve-ment. Son origine spontanée, son carac-tère d'universalité et de solidarité futremarquable. Espace de rencontres et departages, ces campements ont permis à

une multitude de citoyens de se retrouverphysiquement autour d'un projet communet non des moindres puisqu'il s'agitcomme vous le savez de repenser les fon-dements d'une nouvelle société, d'uneréelle démocratie. En soi, l'épisode descampements est porteur d'un ressenti-ment profondément ancré dans notresociété : c'est à nous, le peuple, qu'ilrevient de changer les choses. Si nouscomptons sur nos représentants politi-ques, nous n'obtiendrons rien, les faitsnous le rappellent sans cesse. La prise deconscience collective que les campe-ments incarnent a été selon moi l'élémentdéclencheur de ce mouvement enBelgique. Le fait que des citoyens déci-dent de physiquement se réapproprierl'espace public rend visible leur volonté dechangement. D'autant plus visible qu'ils yont développé une sorte de microcosmede démocratie. En cela, les campementsauront été une révolution dans les menta-lités de certains. Car en filigrane, c'est unautre monde qui paraît possible.

2. Les assemblées populaires sont indé-niablement les actions les plus importan-tes et les plus révélatrices de ce qu'est lemouvement des Indignés bruxelloisaujourd'hui. De plus en plus nombreuseset de plus en plus organisées, elles sontl'expression vivante de cette prise deconscience collective qui est l'essencemême du mouvement. Si elles continuentà entretenir, développer et améliorer leureffectivité et leur efficacité, elles arriverontpeut-être à assurer leur pérennité. Ellessont ouvertes à tous, chacun y a droit à laparole et à l'écoute. Si ces assembléespopulaires ont eu besoin de la création decampements pour prendre forme, elles

ont aujourd'hui leur propre sens et leurpropre avenir. Nul doute que c'est en yparticipant, en en parlant, en les utilisantcomme des leviers de collaboration, detravail et de communication qu'elles pour-ront fournir tout leur potentiel.

3. Si l'on traçait une courbe de l'évolutionde la violence policière au fil des rassem-blements, on pourrait constater demanière claire que celle-ci suit la courbede l'évolution du mouvement citoyen desIndignés. Le fait est que la volonté gran-dissante de se faire entendre coïncideavec la volonté tout aussi grandissante dele faire taire. La question qui se pose mesemble évidente : quel intérêt ont lesIndignés à continuer dans cette voi ?Pensez-vous vraiment que la solution doitpasser par une confrontation permanenteet de fait improductive avec le systèmedénoncé ? La plupart des confrontationsavec la police ont été le théâtre de coupsde matraque, de violences physiques,d'usage de gaz lacrymogènes sur descitoyens pacifistes, d'arrestations mus-clées et arbitraires. Sans compter les arti-cles lacunaires, récupérés, redirigés outout simplement produits par des imbéci-les incompétents qui considèrent encorece mouvement comme apolitique ou vio-lent.

Vous aurez probablement compris où jeveux en venir. Je suis aujourd'hui per-suadé et intimement convaincu que laseule possibilité de permettre à ce mouve-ment de grandir et de s'épanouir résidedans sa capacité à appliquer ce qu'ildéfend, à montrer l'exemple et, surtout àse mettre au travail, sur le terrain, dans larue et au sein de la collectivité mais aussi

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dans sa propre vie, dans son intime vérité,dans sa conscience. L'organisation demarches et de rassemblements citoyensest une nécessité que je ne remettraijamais en question mais je pense enrevanche que s'atteler à en faire un moyende passer un message est primordial.

4. Sur le sujet des moyens de communica-tion internes et externes, je pense qu'il estaccepté par tout le monde que ceux-cisont essentiels et qu'ils représentent uncomplément indispensable aux assem-blées populaires, dont ils tendent à être leprolongement pour certains, le reflet pourd'autres ou bien encore une porte d'en-trée pour le reste de la population. Si lesassemblées qui, je le répète, sont à la foisle cœur et le poumon du mouvement, per-durent et prennent de l'ampleur, les outilsde communication virtuels suivront defacto le pas, eux-mêmes protagonistes etvecteurs de la prise de conscience collec-tive. Par contre, s'il y a un domaine danslequel les outils de communication doi-vent absolument s'adapter, c'est dans lagestion des informations et dans la coor-dination de celles-ci entre les différentesstructures et les acteurs du mouvementqui les animent.

Mes conclusions

Pour clôturer cette analyse personnelle, jevoudrais revenir sur un point dont j'ai faitétat précédemment, mais sur lequel je n'aipas vraiment insisté. Il s'agit de la notionde travail. Et particulièrement du travailqu'il est nécessaire de fournir pour maté-rialiser les revendications premières dumouvement, à savoir la création d'agorascitoyennes à laquelle tout passant serait

invité à se joindre, où les problèmesseraient débattus, où des propositionsseraient émises et où finalement des déci-sions seraient prises. Je pense que lemoment est venu de passer à l'étape sui-vante. Je pense que l'expérience qui estcelle des Indignés aujourd'hui doit leurpermettre d'à la fois décentraliser leurmodèle d'assemblée populaire au seindes autres quartiers, mais aussi de com-mencer véritablement à travailler.

En imaginant que le schéma espagnol descommissions intégrées à un campementne soit pas envisageable, la création depôle de travail ou de toute structure simi-laire s'impose. Se limiter à la prise deconscience n'est pas une option. Il fautaller de l'avant. Les citoyens disposent dela plus grande richesse qui soit : leursavoir et leur expertise. On pourrait trèsbien imaginer de créer un pôle “justice” àPoelaert, “éducation et culture” à Flagey,“immigration” à Stalingrad, “information etcommunication” à la place Agora, “santé”à Sainte-Catherine, “nucléaire” au Carréde Moscou, etc. de sorte que chacunpourrait facilement se rendre au pôle d'as-semblées qui l'intéresse pour y apporterson expertise ou tout simplement pour s'yinformer. Outre la décentralisation desassemblées et la nécessité de mettre enplace des pôles de travail thématiques, ilest un autre défi qu'il va falloir relever,celui de la coordination de ces assem-blées, de ces pôles et des actions qu'ilsdécideront d'entreprendre.

Voilà. J'espère que cette grille de lecturevous aura éclairé et qu'elle vous auradonné envie de tracer la vôtre. D'unemanière plus globale, je souhaiterais

néanmoins insister sur le fait qu’il estimpératif aujourd'hui de réfléchir à la stra-tégie et aux outils/structures opération-nels qui permettront au mouvement deprendre de l'ampleur. Car comme lesIndignés d'ici ou d'ailleurs, ce qui mepréoccupe profondément, c'est la péren-nité de ce mouvement citoyen pacifiste,politique, “a-partiste” et prônant unedémocratie réellement horizontale quej'observe, côtoie, et réfléchis depuis sanaissance, c'est le développement decette petite lumière d'espoir qui est appa-rue dans nos cœurs à tous, c'est l'intensi-fication de cette irrésistible force qui noustire vers le haut pour nous permettre devoir l'horizon, de mieux comprendre notremonde et de tenter d'influer sur son inexo-rable marche, c'est la défense et la pour-suite de notre but commun qui ne pourraêtre atteint que si le plus grand nombred'entre nous en font leur but premier.1 http://www.rtbf.be/info/chroniques/chronique_indignez-vous-bande-de-moules?id=63326232 http://bxl.indymedia.org/articles/2185

Par Ben

* Enseignan

PéUnMal êt

longue

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rapide

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le cou

Le 25 novembre à 19h au Festival,rendez-vous avec Badi Balthazar,Laurent D’Ursel, Paul Hermant etd’autres acteurs du G1000, destémoins indignés de Bruxelles, etd’ailleurs qui ont contribués durantl’année 2011 à mettre les démocra-ties occidentales en chantier. Nousaborderons le rapport concret etthéorique à la démocratie : concep-tions minimalistes ou maximalistes,réalistes ou poétiques, radicales ouconsensuelles,…

(cf. www.festivaldeslibertes.be)

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qu’il està la stra-pération-ment demme les qui mea péren-pacifiste,ant uneale queepuis sament dest appa-'intensi-

qui nousettre de

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Par Benoît TOUSSAINT*

* Enseignant à Pédagogie Nomade

Pédagogie nomade Une école de l’émancipationMal être, redoublement, démotivation, violence… La liste des maux scolaires est

longue, mais c’est chaque fois la même histoire : on soigne les symptômes, on

oublie de s’intéresser aux causes. Et la rotation est tellement

rapide, au ministère de l’Enseignement de la Communauté fran-

çaise, que le temps fait défaut, les élections tellement proches que

le courage politique est une vertu plutôt rare.

stival,hazar,ant et, deses, etdurant

mocra- Nousret etncep-listes,les ou

e)

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ans et demnom du cdevenait secondairferme ardvillage dLuxembou

L’ouverturment, parsité : renctes au Dan

Penser l’a

Dans l’enc’est en Anciens el’innovatioarbitrage trop sousociété dcitoyens. texte s’aréserve, centrale àjouer un rôcratique.

Il n’y a pasces impérqu’une soen soi, némancipaest le che

Un autre tle premierdes Droitpremier arsent librepense-t-o

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Résultat des courses : 100 000jeunes mis de côté chaqueannée (redoublement, exclu-sion, maladie, réorientation),soit un bon quart de la popula-

tion. Quel patron accepterait qu’un de sesouvriers rate un quart des pièces qu’il estpayé pour fignoler ? Qui s’accommoded’une voiture qui ne démarre que trois foissur quatre ? Le bon sens ne voudrait-il pasque l’obligation scolaire, qui s’étend surune bonne douzaine d’années, permetteaux élèves de vivre, au moins, des annéesdifférentes et pas la même, à répétition ?

Alors, qu’est-ce qu’on fait ?

Alain Savary, ancien résistant, ministre del’Éducation de François Mitterand, affir-mait que l’enseignement ne se transformepas verticalement. La hiérarchie est tou-jours trop loin de la réalité, du quotidiendes classes, et si elle ne se tient pas àl’écoute de ceux qui travaillent à la base,de ce qui travaille la base, elle sera tou-jours à côté de la plaque, ou en retardd’une guerre. Aussi avait-il résolu de ten-dre l’oreille à ce qui se dit de l’école et àl’école, et de donner un espace de libertéaux forces de propositions, de permettrela possibilité de créer des failles dans unsystème éducatif pourtant farouchementcentralisé, dans la tradition jacobine.

Interpellé en 1981 par quelques ensei-gnants déterminés, il a autorisé l’annéesuivante l’ouverture de deux, puis de qua-tre lycées expérimentaux. On n’était pasloin de Mai 68, et l’autogestion n’était pasconsidérée comme une utopie, pas plus àl’école que dans le monde de l’entreprise.Ces lycées seraient donc autogérés, et ce

serait leur principal point commun. Ilsexistent toujours, même si la France achangé, et que cette modification desdonnées complique fâcheusement leurexistence.

Partant de l’idée qu’on n’invente rien enpédagogie, depuis le temps que l’huma-nité s’interroge sur la transmission dusavoir, qui est la condition de son progrès,quelques enseignants du plat pays sesont mis en route pour aller voir là-bas cequi s’y trame, pensant bien en ramenerquelque chose d’utile.

Mise au parfum, Marie Arena, alors minis-tre concernée, a soutenu cette démarched’ethnographie participative : il s’agissait,après des contacts préalables, d’alleranalyser en profondeur les pratiques deces lycées, avec le statut de professeursupplémentaire occasionnel et bénévole,au moyen de séjours relativement longs,environ un mois par établissement.L’horizon de cette démarche était l’exa-men de tout ce qui, de ces pratiques ditesinnovantes, pouvait être importé, trans-posé, adapté, au contexte particulier de laCommunauté française.

Ces séjours, d’un intérêt certainquoiqu’inégal1, se sont révélés une vérita-ble mine d’or, car on apprend autant dessuccès que des échecs, les siens commeceux des autres. Ce travail, géographique,n’aurait été qu’à moitié accompli s’iln’avait été accompagné d’un autrevoyage, historique, à la rencontre despédagogues de combat, comme lesnomme Philippe Meirieu, dont certainssont oubliés, d’autres moins :CélestinFreinet est plus connu que l’Ecole

Mutuelle du XIXème siècle, Jean-JacquesRousseau plus célèbre que JosephJacotot, etc.

Et en même temps que le travail progres-sait, les horizons s’élargissaient : séjoursau Rajasthan, au Costa Rica, rencontresavec pédagogues (Meirieu…) et philoso-phes (Rancière, Stengers…).

Penser l’acte de penser

Le collectif Pédagogie Nomade s’est ainsiconstitué, autour d’une recherche-actionen éducation, naturellement constitué d’en-seignants et d’éducateurs, mais aussi dephilosophes. Plus particulièrement de cher-cheurs et assistants du Service dePhilosophie Morale et Politique del’Université de Liège, car il est apparu quela pédagogie, plus qu’une question de pra-tiques, de méthodes, est fille d’une idée,d’une conception du rapport au savoir, dusens que l’on donne à ce rapport. C’est unsujet politique et philosophique.

Dans un premier temps ce partenariat adébouché sur l’organisation de séminairesen philosophie de l’éducation : rendez-vous avec Marx, Rousseau, Dewey,Jacotot, Montaigne, Gandhi, mais aussi leLycée expérimental de Saint-Nazaire.

Bien vite, l’objectif est devenu la créationd’une école expérimentale en Com-munauté française, qui passait par l’écri-ture d’un projet crédible, décliné en troisversions : pédagogique, philosophique,juridique. C’est le cabinet de ChristianDupont qui s’est penché sur le dossier et leministre a tranché : on ouvrirait cette écoledifférente en septembre 2008, soit deux

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ans et demi après les premiers contacts. Lenom du collectif, devenu celui du projet,devenait donc celui d’une micro-écolesecondaire2, implantée dans une vieilleferme ardennaise, à l’entrée d’un petit village du nord de la province deLuxembourg.

L’ouverture de l’école ne signifiant nulle-ment, par ailleurs, l’extinction de la curio-sité : rencontres avec des écoles différen-tes au Danemark, en Angleterre, Italie, etc.3

Penser l’acte d’apprendre

Dans l’enseignement, comme ailleurs,c’est en permanence la querelle desAnciens et des Modernes, le conflit entrel’innovation et la tradition. Mais il existe unarbitrage démocratique que l’on oublietrop souvent : c’est le projet qu’unesociété dessine pour l’éducation de sescitoyens. En Communauté française, cetexte s’appelle “Décret Missions”. Ilréserve, dans ses objectifs, une placecentrale à l’émancipation, à la capacité àjouer un rôle actif dans une société démo-cratique.

Il n’y a pas de raison que l’école échappe àces impératifs, mais on se rend vite comptequ’une société, et l’école est une sociétéen soi, ne peut être démocratique ouémancipatrice à moitié : “la demi-mesureest le cheval de Troie de la résignation…

Un autre texte surplombe, si l’on peut dire,le premier : c’est la Déclaration Universelledes Droits de l’Homme, qui dit en son premier article que les êtres humains nais-sent libres et égaux en droits. L’école,pense-t-on à Pédagogie Nomade, n’est

pas dispensée de ces préceptes et de leursconséquences. Et, jusqu’à nouvel ordre, unélève est un être humain. S’il est exactqu’on enseigne toujours quelque chose,autrement dit que les contenus des courset les compétences à acquérir ont uneimportance certaine, on enseigne aussi àquelqu’un. Et ce quelqu’un, quoique sou-mis un temps à l’obligation scolaire, est unégal en droits.

Concrètement : cela signifie que laparole de l’élève vaut celle du prof.Les cours sont construits ainsi : l’élèvereconnaît l’expertise du professeurs,mais peut choisir de s’en passer, peutpar ses propositions infléchir la tacti-que élaborée par l’enseignant, négo-cier avec lui un contrat particulier etalternatif, participer à l’évaluation deson parcours, proposer et animer desateliers et des projets, ainsi de suite.Par exemple, Titou, inscrit en sixièmeannée, plutôt costaud en informatique,propose un atelier “programmation”.La matière lui est tellement connueque le défi, pour lui, n’est pas de par-tager ses compétences mais de réus-sir à se lever chaque matin et, enfin,boucler un projet, aller au bout dequelque chose : ce qui est appris n’estpas forcément ce qui est enseigné.N’importe quel pédagogue modestel’a intégré depuis longtemps. Il faudraencore des siècles, vraisemblable-ment, pour que le corps inspectoral,qui ne se distingue pas, précisément,par son humilité, en prenne con-science. Célestin Freinet répétait : “Onapprend toujours à son insu, dans lesdeux sens du terme.”

Inversion des paradigmes

On pose donc l’égalité et l’émancipationnon comme objectifs à atteindre, maiscomme points de départ. Et, puisque lademi-mesure est le cheval de Troie de larésignation, tout va s’articuler autour de cechoix philosophique. Tout, c’est-à-direl’acte d’apprendre, dans tous les sens duterme. Cela revient à vider l’institution-école de tout ce qui aliène, de ce quicontraint, de ce qui inégalise : pas de son-nerie, pas de sanction, pas de points, pasde personnel ouvrier ou administratif, pasde direction, pas de surveillance, pas d’au-tre autorité que soi-même, puisque la défi-nition de l’autonomie, c’est la capacité àêtre soi-même sa propre règle, et c’estbien cela qu’il s’agit de construire.

Purgée de la sorte, l’école est devenue unmonde à construire, à habiter, à gérer.Puisqu’en situation d’égalité, professeurset élèves ont à travailler ensemble, sur tousles sujets, toutes les décisions, toutes lespratiques, on parle de co-gestion. Ré-sultat : tu n’as pas la possibilité de te plain-dre de ce qui se passe puisque tu esoutillé, prof ou élève, pour mettre en branlele changement, à la recherche du sens.Une nuance est toutefois à établir, qui necontredit pas le principe : l’égalité entreprofesseurs et élèves est dite asymétrique,puisque ni les uns ni les autres n’oublientqui ils sont, quels sont leurs objectifs,quels comptes ils ont à rendre et à qui.

Il en va de même de la confiance, de laliberté, du respect, de l’égalité des intelli-gences : ils sont posés comme préalables,et non comme objectifs à atteindre. Et toutle reste s’organise à partir de là…

JacquesJoseph

progres- séjoursncontresphiloso-

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construireécole qui tus. Et si Missions école qui ne pourrasujet.

Une écolehorreur, porganise dépité de

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Concrètement : dès lors que le partipris pédagogique est celui d’unedémarche non autoritaire, la questionde l’absentéisme se pose de façontrès prégnante. Laura est inscrite enquatrième année et sa présence àl’école est rare. Pour ses profes-seurs, il ne fait aucun doute qu’elle ale potentiel pour réussir. Commentfaire en sorte qu’elle pousse la portede la classe ? Argumentation, raison-nement, en-couragement, écoute,dialogue, n’aboutissent à rien, jeveux dire rien de clairement percepti-ble pour le prof, ce qui est peut-êtrele contraire de rien… Pas d’autresolution que la patience, la confianceet la décision de lui dire : je choisisde penser que si tu n’es pas là, c’estque tu as des raisons valables, que jen’ai pas à juger, que je n’ai pas àconnaître : le maître émancipateur nese soucie pas de ce que l’élèveapprend (Jacotot). Ce respect, objetd’une décision, non d’un raisonne-ment, est la condition pour queLaura, symboliquement, s’arrêtedevant le miroir, qui la questionne :“Et toi, que fais-tu de ta liberté ?”.Pour Laura, cela aboutit, au boutd’un temps, au retour progressif.Pour Stéphane, à peu près dans lamême situation de doute et de ques-tionnement, cela débouche, au boutd’un an, à la décision de partir,d’abandonner l’école pour autrechose. Dommage ? Pas sûr : il s’estremis en chemin et, au moins, il aréglé ses comptes avec l’école : ilpart sans amertume, sans rancune,sans griefs, sans colère.

Une école de la patience

Bien sûr, Pédagogie Nomade n’est pasune école parfaite, et revendique mêmeson droit à être un objet imparfait. C’esttout simplement que l’école parfaiten’existe pas. Eduquer est même, selon laboutade de Freud, un acte impossible àréussir. Nietzsche assure que celui quin’apprend pas à l’élève à se passer de luiest un bien piètre éducateur, et c’est unlong travail pour l’enseignant que d’orga-niser sa propre disparition, pour laisser laplace à l’autre qu’est l’élève. Pour l’élèvelui-même, devenir auteur de son devenirest un cheminement difficile et lent, sortirdes habitudes de passivité est uneascèse.

Attendre que l’élève aille au bout de l’er-rance/erreur pour en faire quelque chose,déconstruise les dressages d’une sociétéqui privilégie l’apparence, l’individualisme,la propriété, la vitesse, la rentabilité, lepouvoir, cela prend du temps. Maislorsqu’il décide enfin de retrousser sesmanches, le temps est vite rattrapé. Detoute façon, ce n’est pas une course : ilvaut mieux labourer profond que large.

“Ce qui vient au monde pour ne rientroubler ne mérite ni égards nipatience” René Char

L’ouverture d’une telle école était placéesous le signe de la prise de risque. Pourl’élève, sortir d’un contexte somme touteconfortable où, sous prétexte de luiapprendre à penser, on pense pour lui, oùon le surveille, et parfois le sanctionne,pour son bien, et choisir une école où rienne se fera sans lui n’est pas la solution de

facilité. Il aura en outre à digérer les effetsdu grand vent de la liberté, qui donne par-fois une fameuse claque quand on décou-vre soudain sa violence.

Les parents abandonnent aussi quelquechose de rassurant : même si c’est parfoisdouloureux, ou inefficace, l’école s’oc-cupe de mon enfant. Là, tout à coup, c’estdevenu son propre boulot, sa propre res-ponsabilité… advienne que pourra, quandpourra.

Pour les enseignants, troquer un horairede 20 heures hebdomadaires dans uncadre hiérarchisé, contre le double,démuni de ce qui assure l’autorité, c’est-à-dire les points et la sanction, c’est uneaventure.

On aurait pu croire que ce risque seraitpartagé avec les autorités qui organisentl’enseignement. C’est oublier que là aussion joue avec les mots. Quand on dit nor-maliser, on veut juste dire qu’une écoledifférente doit être comme les autres.Quand on dit pédagogie de la réussite, onn’entend pas pour autant remise en ques-tion du redoublement et de l’exclusion.Quand on dit présence on ne l’envisageque sous l’angle de la présence physique,qui ne dit pas grand-chose de la présenceeffective, affective, intellectuelle. Parcontre, quand on dit inspecter, c’est biend’inspection qu’il s’agit, pas de curiositéni d’humilité. Socrate ne disait-il pas, àpropos de ses juges, que lui au moins, ilsavait qu’il ne savait pas. PédagogieNomade a connu, en un peu plus de deuxans, une cinquantaine d’inspections entout genre. C’est un peu trop. Car sil’élève a besoin de temps pour se

1 Lycée Expérietc…2 Pédagogie Nde Gouvy.3 Barefoot Coll

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construire, il en va de même pour uneécole qui choisit de sortir des sentiers bat-tus. Et si l’objectif assigné par le DécretMissions est bien l’émancipation, uneécole qui n’est pas elle-même émancipéene pourra jamais que bricoler autour dusujet.

Une école où les jeunes sont libres, quellehorreur, pense le procureur du Roi, quiorganise une perquisition de western, etdépité de ne rien trouver d’illicite, envoie

deux profs en correctionnelle pour desmotifs fantaisistes. On avait dit, au début,violence à l’école ? On avait dit démotiva-tion des profs ? On avait dit mal être ?Jean Rostand, lui, il y a une bonne cen-taine d’années, se déclarait très optimistequant à l’avenir du pessimisme…

Bref, prof, ça reste le plus beau métier dumonde, mais quand tu sors des sentiersbattus, ça devient, en plus, un sport decombat.

Pédagogie Nomade8, rue du Roy6670 Limerlé(080/511946)[email protected]

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1 Lycée Expérimental de Saint-Nazaire, Lycée auto-géré de Paris, Collège-Lycée Expérimental de Caen-Hérouville, Micro-Lycée de Sénart, Lycée Intégral de Paris, Clisthène à Bordeaux,etc…2 Pédagogie Nomade rassemble une soixantaine d’élèves de 4ème , 5ème, 6ème secondaire, enseignement général, et une douzaine de profs, pour 8 équivalents temps-plein à Limerlé, communede Gouvy.3 Barefoot College au Rajasthan, Barbiana en Italie, les écoles indigènes au Costa Rica, Sandschool en Angleterre, Christiana au Danemark, etc.

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Depuis les premiers événements de ce printemps arabe, éclos en plein cœur de l’hi-

ver, la voix du regretté Mohamed El Baroudi revient sans cesse à ma mémoire. Une

voix parmi des centaines, une parmi des milliers. De ces hommes et de ces femmes

qui, pour fuir la répression, la torture ou la mort, furent forcés à l’exil et qui, de leur

terre d’accueil, se sont battus avec opiniâtreté pour mettre en lumière la pensée et

les combats humanistes et démocratiques du monde “arabo-musulman”.

Par Sophie LÉONARD*

*Bruxelles Laïque Echos

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de l’hiver“Dans cet océan de ténèbres, il y a quand même des voix courageuses et éclairées qui luttent. Il y a un combat acharné du Maroc au Soudan.Partout ! Dont ON NE PARLE PAS ! Un combat pour les droits de l’Homme, pour la démocratie.” Mohamed El Baroudi, exilé politique marocain, 2004.

Un printempsen plein cœur

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Une parole rendue quasimentinaudible dans le contexte del’après-11septembre qui a vuse propager la thèse d’un “chocdes civilisations” et, avec elle, la

représentation essentialisée d’un monde vusans nuance. Un monde réduit à sa seuledimension musulmane ; et davantageencore, à ses seules dérives extrémistes.Un monde “où l’on tenait jusqu’alors la sou-mission pour un trait culturel et la démocra-tie comme une impossibilité structurelle”1.

Pour se prévenir de ces “barbares” “obscu-rantistes”, “islamistes”, “terroristes”… enpuissance, notre monde – “civilisé” celui-là,berceau autoproclamé des Lumières et desdroits de l’Homme – n’a pas rechigné àsoutenir durant des décennies des régimesautoritaires et répressifs, seuls prétendusremparts face au “péril islamiste”. Sous pré-texte de stabilité, les gouvernants de cemonde “civilisé” ont non seulement ignoréles mouvements démocratiques de cessociétés, mais ont parfois même collaboré àleur mise à mal. C’est que pour préserverses intérêts économiques et sécuritaires, lemonde civilisé devait bien s’accommoderde quelques “dommages collatéraux”.

Et puis d’une étincelle…2

Mais soudain alors que “l’Europe s’appe-santit sur son pessimisme et se lamente sursa crise, des peuples soumis au joug destyrans relèvent la tête et se battent pour laliberté”.3

Il y eut le geste désespéré d’un jeune mar-chand ambulant de Sidi Bouzid au centrede la Tunisie. Et puis, ils furent des milliers,des millions. De la Tunisie à l’Egypte, de

l’Algérie à Bahreïn en passant par le Maroc,le Yémen, l’Arabie Saoudite, la Syrie, laLibye… Une véritable onde de choc.4

Etouffés par des régimes autoritaires nelaissant aucune place au citoyen, menacésen permanence de subir l’arbitraire,asphyxiés par la pauvreté, le chômage, lacorruption, … des milliers d’hommes et defemmes se sont levés pacifiquement, bra-vant la peur, les coups et la mort. Au-delàdes contextes particuliers, c’est une aspira-tion commune à retrouver une dignitédepuis trop longtemps confisquée qui amobilisé la “rue arabe”, comme jamais ellene le fût auparavant.

Impressionnant par la rapidité et l’étenduede sa propagation, la détermination et lecourage sans faille de ses acteurs, la parti-cipation remarquable de la jeunesse et desfemmes, la volonté pacifiste et unitaire deses manifestants, la modernité des outils decommunication, le “réveil arabe” a surpris lemonde entier. En quelques semaines, lespeuples tunisiens et égyptiens ont“dégagé” leurs despotes. Et partout,“uneligne a été franchie. La peur a changé decamp.”5

En premier lieu, le “printemps arabe” prit decourt les régimes en place dans cetterégion, la “dernière […] du monde à n’avoirpas connu d’évolution politique significativedepuis la chute du mur de Berlin”6. Sonampleur a sans doute aussi ébahi une par-tie importante des observateurs les plusattentifs et des acteurs démocratiques deces sociétés qui, conscients que tous lesingrédients de la révolte étaient présentsdepuis longtemps, aspiraient à un change-ment radical depuis des décennies.

Vers une nouvelle ère ?

Il est intéressant de noter qu’alors que,depuis une décennie, les médias occiden-taux ne parlaient guère plus que “du mondemusulman”, c’est à la “rue arabe” qu’onrendit hommage, lui restituant peut-êtreainsi une condition politique qu’on ne luireconnaissait plus.

Car ce qui, par-dessus tout, a dérouté, dece côté de la Méditerranée – où les “logi-ciels populistes”7 avaient fini par propagerlargement l’idée d’un monde rempli de“fanatiques religieux” –, c’est le caractèreuniversel des revendications de liberté, dejustice sociale et de démocratie expriméespar les peuples mobilisés, des revendica-tions dégagées de référentiel religieux. Sinul ne peut prédire les nombreux chapitresà venir, avancées et reculs, des révolutionsen cours dans le monde arabe, l’une despremières conséquences de ces mouve-ments populaires est peut-être de nous faire“entrer dans une phase nouvelle, qui clôt laséquence ouverte par le 11 Septembre”8

En ébranlant grandement la thèse du “chocdes civilisations”, les “révolutions post-isla-mistes”9, telles que les a qualifiées le polito-logue Olivier Roy, ont certainement affaibliles discours extrémistes de tous bords : l’is-lam radical tout autant qu’une certaineidéologie islamophobe dont les porte-paroles sont restés assez muets à proposdes mobilisations en cours et devenus peucrédibles lorsqu’ils tentaient tout de mêmed’agiter à nouveau la menace du “péril isla-miste”.

Cette “victoire” est sans doute bien mince au regard des défis immenses – non

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seulement en termes de transition dé-mocratique, mais aussi, et peut-être sur-tout, socio-économiques – qui attendentaujourd’hui les sociétés de l’autre rive de laMéditerranée. Mais il faut espérer qu’àterme, elle pèsera davantage sur les politi-ques internationales à leur égard et que,désormais, il ne sera plus aussi facile de fer-mer les yeux sur les massacres et de faire lasourde oreille face aux aspirations de libertéqui, en cette année 2011, ont déjà coûté untrop lourd tribut en vies humaines.

Un exemple à suivre

Au moment de l’écriture de ces lignes, lesincertitudes restent grandes quant à l’avenirdes mouvements en cours. Comme l’écritAlain Gresh, “Les chemins de la liberté et dela dignité qu’a ouverts le peuple tunisien, etdans lequel se sont engouffrés après lui lesautres peuples arabes, restent incertains,escarpés, périlleux. Mais déjà, le retour enarrière n’est plus possible”.10 Le constat estunanime parmi les analystes les plus quali-fiés du monde arabo-musulman : “Les peu-ples arabes ne peuvent plus revenir au sta-tut du commis”11.

Face aux craintes que suscitent la périoded’instabilité à venir et ses conséquences, il

serait sans doute plus aisé d’adopter uneattitude pessimiste et frileuse, mais nedevons-nous pas au contraire nous inspirerdu courage et de la détermination de ceshommes et de ces femmes-là ? Certes, l’in-connu fait peur, mais pour construire unautre monde, d’autres possibles, n’est-ilpas un passage obligé ?

Dans un monde où les conséquencessociales et environnementales désastreu-ses d’un système néo-libéral à la dérivenous obligent à changer radicalement decap, les révolutions arabes nous renvoient ànos propres défis démocratiques. A cetégard, lorsque le peuple grec descend mas-sivement dans la rue pour exiger “qu’ils s’enaillent tous !” – à l’instar du fameux“Dégage !” scandé dans le monde arabe –,lorsque les Indignés européens occupentles places pour dénoncer l’illégitimité despolitiques du FMI ou de la Banque Centrale,lorsqu’ils manifestent “pour une démocratieréelle et contre la dictature financière quiprend des décisions sans écouter les peu-ples”12, c’est peut-être aussi parce qu’ils ontcompris l’un des enseignements premiersde ce printemps arabe qui, comme le dittrès justement le philosophe Alain Badiou,nous rappelle “que la seule action qui soit àla mesure d’un sentiment partagé d’occu-

pation scandaleuse du pouvoir d’Etat est lalevée en masse”.13

Les modalités d’action de cette “levée enmasse” sont certes à réinventer, mais elleconstitue certainement une étape essen-tielle pour envisager un nouvel horizon.

1 Laurent Jeanpierre, “Points d’inflexion des révoltes arabes”, in Les Temps Modernes “Soulèvements arabes”, n° 664, mai-juillet 2011, p. 64.2 Tahar Ben Jelloun, L’étincelle. Révoltes dans les pays arabes, éditions Gallimard, 2011.3 Ester Benbassa, “Révoltes dans le monde arabe : notre arrogance colonialiste”, in Rue89.com, février 2011.4 Le Monde diplomatique, février 20115 “Initiative pour une réforme arabe”, interview de Salam Kawakibi, in La Libre Belgique, 21 juin 2011.6 Sarah Ben Nefissa, “L’Egypte saisie par la fièvre régionale”, in Le Monde Diplomatique, février 2011, p.12.7 “Comme solution politique, l’islamisme est fini”, interview d’Olivier Roy, Rue89, 20 février 2011.8 “Vers un nouveau monde arabe”, entretien avec Gilles Kepel, Le Monde, 4 avril 2011.9 Olivier Roy, Révolutions post-islamistes, Le Monde, 13-14 février 2011.10 Alain Gresh, “Les Chemins de la liberté”, in Manière de Voir, n° 117 : “Comprendre le réveil arabe”, juin-juillet 2011.11 Burhan Ghalioun, directeur du Centre d’études sur l’Orient contemporain, Al-ahram hebdo, 27 avril 2011.12 Diego Alfaro, un des porte-parole du mouvement des Indignés au Portugal, cité dans l’article de Thomas Nagant, “Un peu partout en Europe des Indignés prennent la rue”, rtbf.be/info,30 mai 2011.13 Alain Badiou, “Tunisie, Egypte : quand un vent d’est balaie l’arrogance de l’Occident”, in Le Monde.fr, 18 février 2011.

Un focus sur le printemps arabesera proposé au Festival desLibertés le dimanche 20 novembreavec :- No more fear, un documentairesur la révolution tunisienne (14h30)- Une rencontre avec Lina BenMhenni, auteur de A Tunisian Girl :Blogueuse pour un printempsarabe en discussion avec MustafaLatifi (16h00)- Le printemps de Beyrouth, undocumentaire sur les prémices deces révolutions au Liban en 2005(18h00)- Un débat avec Alain Gresh etFrançois Burgat sur les avancées etles écueils de ces mouvementsainsi que sur leurs conséquencesgéopolitiques (19h30)(cf. www.festivaldeslibertes.be)

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Par Anne MORELLI*

* Professeure de “Critique historique” à l’ULB

La Libye et NOTRE propagande de guerreLes principes généraux de la propagande de guerre sont toujours pareils. Ils tentent de nousfaire adhérer à une cause belliciste par des déclarations d’abord pacifistes puis résignées :nous sommes “contraints” par l’Autre à faire la guerre. Il l’a provoquée et nousallons nous y engager pour de nobles causes : la protection humanitaire descivils, la démocratie, la lutte contre le militarisme effréné de notreennemi...

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Bien sûr, lui, commet systémati-quement des atrocités, tandisque notre armée est composéede gentilshommes, tout au plussusceptibles d’une involontaire

“bavure”. En outre, cette guerre n’est enrien risquée de notre côté : la supérioritéécrasante de nos armes nous assure des“pertes zéro” tandis que nos ennemis sontdepuis le début condamnés à la défaite.Enfin, celui qui s’opposerait à cette guerrecourte, morale et forcément victorieuse,ne peut qu’être un agent de l’ennemi.

J’ai réuni ces principes qui régissent lapropagande, préalable et contemporaineà toutes les guerres depuis le début duXXe siècle, dans un petit volume1. À cha-que nouvelle édition, je dois ajouter sur cemême schéma, des exemples de bobardsayant été utilisés pour mobiliser l’opiniondans les conflits les plus récents :Afghanistan, Irak... Et à chaque fois, jeforme un vœu pieux toujours démenti :j’espère que les lecteurs, avertis, ne selaisseront plus prendre aux pièges gros-siers de la propagande...

Mais la récente guerre de l’OTAN contre laLibye nous oblige – hélas – une fois deplus à constater que ces principes sont àl’œuvre... et marchent très bien !

Nous sommes des pacifistes et “réagis-sons” aux violences libyennes

Selon la thèse officielle de l’OTAN, nos bombardements, via l’opération“Protecteur unifié” (sic), ont pour butd’empêcher le régime libyen (les mots onttoute leur importance) de poursuivre sesattaques barbares contre le peuple libyen2.

C’est donc “lui” qui a commencé et nousne faisons que réagir à des violencesennemies, par ailleurs difficiles à quantifieret juger. Ainsi, les « rebelles » de Benghazicontre qui agit Tripoli, sont-ils vraimentd’innocents civils alors que même leurstoutes premières photos nous les mon-traient lourdement armés (par qui ?) et queleur Conseil National de Transition seplaint lorsqu’il se rend à l’OTAN àBruxelles, de recevoir insuffisammentd’argent pour professionnaliser leurarmée3.

Les bombardements, rebaptisés “cam-pagnes de frappes aériennes”, ont étéautorisés par le Conseil de sécurité del’ONU le 18 mars 2011 en tant que “réac-tion” à ces présumés massacres de civilset pour “protéger les civils libyens”. Ilpeut sembler que bombarder des civilspour les “protéger” est contradictoiremais c’est bien en ces termes que la mis-sion est lancée4. Elle serait donc, commetoutes les guerres, une “réplique” à ceque l’OTAN appelle “les attaques barba-res du régime de Khadafi contre le peuple libyen”.

Khadafi, monstre par intérim

La propagande canalise classiquement lahaine et les ressentiments de l’opinionpublique vers un leader ennemi, censéêtre la cause de tous les maux. Il sera àla fois fou, démagogue, cynique, milita-riste... Guillaume II pendant la PremièreGuerre mondiale – avant Ben Laden,Milosevic ou Saddam Hussein – a ainsipersonnifié l’ennemi à abattre. La guerrea évidemment pour but sa capture, aprèsquoi l’humanité retrouvera le bonheur.

Le conflit avec la Libye ne fait pas excep-tion à la règle mais la construction média-tique du personnage de Khadafi est parti-culièrement intéressante. En effet, aprèsavoir été la personnification du mal, du“terrorisme international” et l’ennemipublic n° 1, rendu responsable de tous lesgenres d’attentats, le colonel – qui avaitégalement nationalisé les compagniespétrolières de son pays – est redevenu fré-quentable. Alors qu’en juin 2011 le minis-tre belge de la Défense, De Crem, assurevouloir bombarder la Libye tant qu’on nesera pas débarrassé de Khadafi, il sembleavoir oublié que le chef du précédent gou-vernement belge, Guy Verhoofstadt, areçu Khadafi à Bruxelles il y a peu d’an-nées, avec tous les égards possibles.Khadafi était alors redevenu un interlocu-teur valable, également pour Berlusconi etSarkozy qui l’autorisaient à dresser soncampement dans leurs jardins, le traitaientavec familiarité et lui faisaient signernotamment, l’engagement de stopperchez lui les flux migratoires du Sud dési-rant aller en Europe5.

De nobles bombardements

Un des principes de la propagande deguerre veut qu’on fasse croire à l’opinionpublique que notre engagement belli-queux poursuit de nobles buts. Il ne doitjamais être question ni de ressources éco-nomiques à maîtriser ni d’objectifs géos-tratégiques mais bien de démocratie àimposer, de militarisme à mater et de pau-vres gens au secours desquels nousvolons.

Ainsi dans le cas libyen, il ne sera pasquestion de la maîtrise des ressources

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pétrolières d’excellente qualité de cepays, ni de sa situation stratégique entredeux pays au destin politique déstabilisépar le “printemps arabe”. Toute la propa-gande sera par contre axée sur le manquede démocratie du pays (ce qui n’est pasfaux mais n’entraîne pas systématique-ment des interventions armées de l’OTANsi l’on en croit le statu quo qui règne enArabie Saoudite et dans les Emirats...) etsur les Libyens qui attendent notre “aide”.

Cette fois, il ne s’agit pas de secourir lesKosovars, ni les femmes afghanes avidesd’émancipation, ni les Kurdes irakiens oules Chiites opprimés mais bien de sauverdes civils que nous devons protéger de labrutalité des forces de Khadafi. Nos bom-bardements sur la Libye auront donc unbut noble et hautement “humanitaire”.

Les “atrocités” libyennes et les “bavu-res” de l’OTAN

Les guerres traînent inexorablement der-rière elles leur cortège de violences, d’ini-quités et de victimes innocentes. Danschaque camp – même si à des degrésvariés – on assassine des enfants et desvieillards, on viole, on torture. Le génie dela propagande de guerre est de faire croireau public que “nous” menons une guerre“propre”, contrairement à nos ennemis.

Ainsi dans la guerre de l’OTAN contre laLibye, les médias décrivent dans le menules atrocités ennemies mais tentent depasser sous silence celles de l’OTAN et deses alliés. La torture a pourtant bien été“légalisée” dans le camp occidental à l’oc-casion de la guerre contre l’Irak6 mais onn’y fait plus la moindre allusion.

Par contre lorsqu’il devient impossible denier le caractère meurtrier des bombarde-ments de l’OTAN, il faudra minimiser leurcaractère atroce. Rebaptisés “frappes”,ils sont censés être des “raids de préci-sion”, visant des cibles uniquement mili-taires. Et lorsqu’il apparait que les victi-mes sont des civils voire des enfants, ilfaudra d’abord nier, utiliser le condition-nel, parler des “allégations” du “régime”de Khadafi qu’on ne peut vérifier, puisenfin avouer une “bavure”, avoir tué“accidentellement” ou “par erreur” descivils. Ainsi un raid de l’OTAN le 20 juin,sur Sorman, à 65 km à l’ouest de Tripolifait quinze morts civils dont trois enfants.Un journaliste de l’Agence France Presseayant constaté qui étaient bien les victi-mes, l’OTAN ne peut plus nier que ce“raid de précision” n’a pas touché quedes cibles militaires. Elle devra aussiavouer avoir tué le 19 juin des civils “parerreur” lors d’un bombardement de nuit àTripoli, dans le quartier de Souk-al-Yuma,pourtant habituellement indiqué commehostile à Khadafi ! Et avoir accidentelle-ment frappé une colonne de véhicules“rebelles” dans la région de Brega le 16juin 20117. Pour minimiser les dégâtsoccasionnés par le bombardement d’unehabitation privée, Le Soir8 met habilementen doute le témoignage de la victime enécrivant que Khalid El-Hamidi affirmeavoir perdu sa femme, ses trois jeunesenfants et sa maison lors d’une frappe del’OTAN et plus loin que sa maison a étéselon lui, frappée par un bombardementde l’OTAN. Le titre parlant d’une “ciblelégitime” (sans point d’interrogation),reprend bien évidemment le point de vuede l’OTAN et décrédibilise celui de la victime.

Ces “tragiques erreurs” et “dommages col-latéraux” sont bien sûr inexorables mais nesont relevés que chez nos ennemis.Lorsque ce sont nos armées ou nos bonsalliés de la “rébellion” libyenne qui s’en ren-dent coupables, la discrétion est de rigueur.Dès les premières semaines de la “rébel-lion” et au moins jusqu’en juillet 2011,l’ONG Human Rights Watch (HRW) d’ori-gine américaine et peu susceptible de sym-pathie pour Khadafi, signale que la “rébel-lion” libyenne se livre à de graves exactionscontre les civils des régions qu’ellecontrôle : passages à tabac, saccages debiens, incendies de maisons, pillages deshôpitaux, domiciles et commerces... Maiss’agissant de nos bons alliés, l’informationde HRW sera publiée au conditionnel (“desincidents auraient eu lieu”)9 contrairement àce qui concerne les “atrocités” de nosennemis, toujours considérées a prioricomme avérées. Quant à ceux qui fuient laLibye, n’oublions pas que la premièrecause de leur exil réside dans nos propresbombardements.

Pertes zéro

Pour rassurer l’opinion publique, la propa-gande martèle que nos armes sont si per-formantes qu’il n’y a aucun risque à faireparticiper notre armée à cette nouvelle“opération”.

Il est vrai que des bombardements sontévidemment bien moins risqués pour celuiqui bombarde que pour celui qui est bom-bardé (surtout s’il n’a pas une D.C.A. effi-cace). Ce déséquilibre flagrant des risquescommence cependant à s’estomper lors-que l’“opération” se prolonge sur terre.Les guerres en Afghanistan et en Irak

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devaient aussi se solder théoriquementpar “zéro morts” mais cette prévision anaturellement été démentie par la réalité.

Le bilan des morts est très sous-évaluécar il ne tient généralement compte quedes morts parmi les soldats “officiels”. Orl’occupation est de plus en plus confiée àdes mercenaires privés, appelés “contrac-tors”. Ces sous-traitants sont, par exem-ple en Afghanistan, aussi nombreux queles “vrais” militaires américains mais leurscontrats échappent au contrôle parlemen-taire et médiatique. À elle seule la sociétéL3-Com comptabilise à ce jour 350 mortsde soldats privés10. Au cas où l’opérationlibyenne se prolonge sur terre, soyonsdonc attentifs, lorsqu’on nous présenterades bilans rassurants pour “nos” troupes,que ceux-ci intègrent aussi ces mercenai-res, par ailleurs difficilement contrôlablesdans leurs façons d’agir et parfois recru-tés sur place sans discernement.

Comment rester critique ?

La critique historique nous apprend quediscerner les faits exacts demande derecouper les informations provenant desources diverses. Dans le cas présent,l’exercice est très compliqué sinon impos-sible : peu d’informations indépendantesfiltrent de Libye, la radio-télévisionlibyenne est absolument inaccessible àl’étranger car les émetteurs satellites ontété bloqués et nos médias accompagnentimmédiatement toute information déran-geante d’un commentaire des « rebelles »que nous soutenons ou de l’OTAN. Ainsi lecontribuable qui se demande pourquoiune partie de ses impôts va payer les sor-ties exceptionnelles des F-16 belges et

leurs bombes, ne peut que compter surlui-même face à la propagande qui déferledans nos médias, exercer son bon sens etDOUTER.

1 Anne Morelli, Principes élémentaires de propagande deguerre applicables en cas de guerre chaude, froide ou tiède,Aden , 1ère édition 2001, dernière édition 2010. L’ouvrageexiste en sept langues dont le japonais.2 Déclaration du commandant de l’opération “Protecteur uni-fié”, le général Charles Bouchard (La Libre Belgique, 21 juin2011)..3 Mahmoud Jibril au siège de l’OTAN à Bruxelles, le 13 juillet2011 (La Libre Belgique, 14 juillet 2011).4 Le Congrès américain a contesté la légitimité de ces opéra-tions militaires contre la Libye, qui n’ont pas fait l’objet deson autorisation et auraient donc dû selon la loi américaine,se terminer 90 jours après leur début (La Libre Belgique, 16juin 2011).5 L’accord “anti-réfugiés” signé avec l’Italie date de 2008.6 Voir le témoignage du général Riccardo Sanchez qui com-mandait les forces internationales en Irak de 2003 à 2004 etqui a reconnu que celles-ci utilisaient systématiquement lamaltraitance et la torture, au mépris des Conventions deGenève (cf. le documentaire de Marie-Monique ROBIN,“Torture made in USA”, présenté au Festival des Libertés2010 et diffusé sur La Une, 15 juin 2011).7 Dépêche AFP (La Libre Belgique, 21 juin 2011).8 29 juillet 2011.9 Dépêche AFP (La Libre Belgique, 14 juillet 2011). Alors queHRW dénonçait des exactions ayant eu lieu en juin et juillet,le journal titrait “La rébellion nie les exactions” et mettait enlégende de la photo : “Des incidents (sic) auraient eu lieu audébut de la révolution”, c’est-à-dire à la mi-février ! De vieux“incidents” donc.10 Voir à ce sujet l’article de P. Descu, “Externalisation et pri-vatisation de la guerre : un pari risqué”, dans Tribune-CGSP,juillet-août 2011.

Par Sar

*Pour le rés

L’Une

Le 21 novembre au festival se tiendrat un débat “Propagandes etguerres ‘démocratiques’”. Quellessont les ficelles de cette propa-gande visant à accélérer la décisionde partir en guerre et à récolterl’adhésion à celle-ci ? Quelles sontles conséquences de ces guerres,en regard de leurs objectifs annon-cés ? avec Rony Brauman (ancienprésident de MSF France) et JeanBricmont (physicien, auteur deL’impérialisme humanitaire (2006)et de nombreuses analyses géopo-litiques).

(cf. www.festivaldeslibertes.be)

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35 E C H O S N ° 7 4

Par Sarah DUPLAT et Sarah KLINGEBERG *

*Pour le réseau de la Charte Mondiale des Migrants

L’histoire en MarcheUne présentation de la Charte Mondiale des Migrants

Depuis cinq ans, un processus est né. Des femmes et des hom-

mes ont décidé de dire au monde qu’ils existent et qu’ils

ont des droits quel que soit l’endroit où elles et ils ont

décidé de mener leur vie. “Rien pour nous, sans

nous” est le principe qui a inspiré le proces-

sus à partir duquel les personnes en

migration souhaitent se positionner

comme acteurs de leur destinée et

reprendre la parole trop longtemps

confisquée par les experts étati-

ques. Sur base des principes de

liberté de circulation et d’installa-

tion, des milliers de migrants de

tous les continents ont décidé

de se mettre ensemble pour

crier au monde : “Laissez pas-

ser, laissez circuler, laissez

vivre”1.

1 Texte inspiré par un communiqué écrit par Hicham Rachidi, mem-bre de la Coordination Internationale de la CMM.

al se des etuelles

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Un long processus

Le projet de la Charte Mondiale desMigrants est né à Marseille en 2006, àl’occasion d’une lutte engagée par 120familles de sans-papiers en vue d’obtenirdes titres de séjour. C’est un sans-papiersdu nom de Crimo qui a proposé la rédac-tion d’un texte par les migrants eux-mêmes basé sur leurs vécus et leursexpériences. Ce premier texte, qui a étéproposé lors de différentes rencontresinternationales, a enthousiasmé de nom-breux migrants qui se sont organisés encoordinations continentales. Ces derniè-res avaient pour mission de mettre enplace des assemblées locales permettantun processus d’écriture collective surbase des discussions et des échangesavec les migrants. Des propositions dechartes ont émergé de quatre continentset ont permis la rédaction d’une synthèsepar la coordination internationale.

De septembre 2010 à janvier 2011, la syn-thèse a été diffusée dans les différentesassemblées locales afin de relancer la dis-cussion au niveau mondial. Lors de cettephase de discussions, de propositions etd’amendement de la synthèse, de nom-breux migrants à travers le monde ont pus’approprier ses principes, créant ainsiune dynamique politique et citoyenneimportante.

La Charte a été approuvée le 4 février2011 à Gorée lors d’une rencontre mon-diale des migrants organisée en marge duForum Social Mondial de Dakar. Le choixde l’île de Gorée, hier symbole de l’escla-vage et de la déportation, a permis auxmigrants réunis de proposer une nouvelle

ère pour demain, sans barrières ni discri-minations.

Une Charte de principes

La Charte Mondiale des Migrants n’estpas une déclaration ou une convention deplus. Sa véritable innovation a consisté àpermettre à toutes celles et tout ceux quiont connu des formes de déplacements,sous la contrainte ou de leur plein gré, depouvoir établir à travers leurs vécus etleurs expériences une Charte de principesqui pose la question des droits fondamen-taux : la liberté de se déplacer sur notreplanète, de s’installer librement ou de res-ter où on le souhaite, l’égalité des droitsdans tous les domaines de la vie entre lesmigrants et les citoyens des pays d’accueil ou de transit, ainsi que l’exercicepar tous d’une pleine citoyenneté fondéesur la résidence et non sur la nationalité.

La Charte n’a pas vocation à exister justepour ce qu’elle est, mais à être le point dedépart d’une nouvelle lutte, d’une révolu-tion mondiale de la considération de lamigration dans son ensemble. C’est pour-quoi le processus continue après la rédac-tion finale : depuis février 2011, lesassemblées locales ont commencé un tra-vail de diffusion et de promotion de laCharte afin qu’un nombre de plus en plusimportant de migrants puisse se l’appro-prier dans leurs luttes quotidiennes pourleurs droits et leurs libertés.

Un comité international de promotions’est constitué afin de faciliter la coordina-tion entre les initiatives locales et de leurdonner davantage de visibilité au niveauinternational. A l’avenir, et sur base des

besoins des assemblées locales, lecomité de promotion pourrait être amenéà coordonner des actions et des campa-gnes internationales.

Au niveau local et au niveau international,des plaidoyers juridiques et politiquessont en cours de préparation.

L’innovation du processus de la CharteMondiale des Migrants réside dans sanature même : sans hiérarchie ni structurefixe, il nécessite à tout moment la prised’initiative et l’engagement des migrantsau niveau local. Mais malgré les difficultésqu’il peut rencontrer, le succès inévitablede ce processus se trouve dans le fait queles migrants sont les précurseurs qui pré-parent aujourd’hui une façon révolution-naire d’être citoyen.

Pour plus d’informations : [email protected]

Là chaquedées sur conservades migrtème modes crime

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Pvivons deSénégal,

Le 19 novembre à 17h30, le Festivalpropose une rencontre autour decette charte, avec Mathieu Bietlot(philosophe, politologue et auteurde L’horizon fermé. Migration,démocratie ou barbelés (2009)) etdes représentants du comité depromotion de la Charte Mondialedes Migrants : Cécile Kyenge(Italie), Fabien Yene Didier (Maroc)et Aishatou Sarr (Sénégal).

(cf. www.festivaldeslibertes.be)

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ales, lee amené campa-

national,olitiques

Chartedans sastructure la prisemigrantsifficultés

névitable fait quequi pré-

volution-

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Les personnes migrantes sont les cibles de politiques injustes. Celles-ci, au détriment des droits universellement reconnusà chaque personne humaine, font s’opposer les êtres humains, les uns aux autres en utilisant des stratégies discriminatoires, fon-dées sur la préférence nationale, l’appartenance ethnique, religieuse ou de genre. Ces politiques sont imposées par des systèmesconservateurs et hégémoniques, qui cherchent à maintenir leurs privilèges en exploitant la force de travail, physique et intellectuelledes migrants. Pour cela, ils utilisent les prérogatives exorbitantes permises par la puissance arbitraire de l’État Nation et du sys-tème mondial de domination hérité de la colonisation et de la déportation. Ce système est à la fois caduque, obsolète et génèredes crimes contre l’humanité. C’est la raison pour laquelle il doit être aboli.

Les politiques sécuritaires mises en place par les États Nations font croire que les migrations sont un problème et une menace alors qu’elles constituent depuis toujours un fait historique naturel, complexe, certes, mais qui loin d’êtreune calamité pour les pays de résidence, constituent un apport économique, social et culturel inestimable. Les migrants sont par-tout privés du plein exercice de leur droit à la liberté de circulation et d’installation sur notre planète.

Ils sont également privés de leurs droits à la paix ainsi que de leurs droits économiques, sociaux, culturels, civiques et poli-tiques pourtant garantis par différentes conventions internationales.

Seule une large alliance des personnes migrantes pourra promouvoir l’émergence de droits nouveaux pour toute personnede par sa naissance sans distinction d’origine, de couleur, de sexe ou de croyance. Pour cela, cette alliance des migrants devraleur permettre, autour de principes éthiques, de contribuer à la construction de nouvelles politiques économiques et sociales. Elledevra leur permettre aussi de contribuer à une refonte de la conception de la territorialité et du système de gouvernance mondialedominant actuel et de son soubassement économique et idéologique.

C’est pourquoi nous, migrants du monde entier, à partir des propositions qui nous sont parvenues depuis 2006 et aprèsune large discussion à l’échelle planétaire, adoptons la présente Charte Mondiale des Migrants. Notre ambition est de faire valoirà partir des situations que vivent les migrants dans le monde, le droit pour tous de pouvoir circuler et s’installer librement sur notreplanète, et de contribuer à la construction d’un monde sans murs.

Pour cela, nous, personnes migrantes qui avons quitté notre région ou pays, sous la contrainte ou de notre plein gré etvivons de façon permanente ou temporaire dans une autre partie du monde, réunies les 3 et 4 février 2011 sur l’Ile de Gorée auSénégal,

Charte Mondiale des MigrantsUne charte pour un monde sans murs

Proclamée à Gorée (Sénégal), le 4 février 2011

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Bietlotauteuration,

09)) etté dendialeyenge

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que les nad’accueil particulièrtoute perhandicap santé, les

Lasonne migtenaire, den famillepeut lui êtrer ou laenfants.

Lement, doiforme de droit de crejeter l’exvent jouirment renfconditionset infantilments de nial.

Leprotégés de protecque les nade résidencation et à

L’truction, dsupérieur,migrantesdoit être enfants. Lmation tecà tous da

Nous proclamons,

Parce que nous appartenons à laTerre, toute personne a le droit de pouvoirchoisir son lieu de résidence, de rester làoù elle vit ou de circuler et de s’installerlibrement sans contraintes dans n’importequelle partie de cette Terre.

Toute personne, sans exclusion, ale droit de se déplacer librement de lacampagne vers la ville, de la ville vers lacampagne, d’une province vers une autre.Toute personne a le droit de pouvoir quit-ter n’importe quel pays vers un autre etd’y revenir.

Toutes dispositions et mesures derestriction limitant la liberté de circulationet d’installation doivent être abrogées (loisrelatives aux visas, laissez-passer, etautorisations, ainsi que toutes autres loisrelatives à la liberté de circulation).

Les personnes migrantes dumonde entier doivent jouir des mêmesdroits que les nationaux et citoyens despays de résidence ou de transit et assu-mer les mêmes responsabilités dans tousles domaines essentiels de la vie écono-mique, politique, culturelle, sociale et édu-cative. Ils doivent avoir le droit de voter etd’être éligible à tout organe législatif auniveau local, régional et national et d’as-sumer leurs responsabilités jusqu’à la findu mandat.

Les personnes migrantes doiventavoir le droit de parler et de partager leurlangue maternelle, de développer et faireconnaître leurs cultures et leurs coutumestraditionnelles, à l’exception de toute

atteinte à l’intégrité physique et moraledes personnes et dans le respect desdroits humains. Les personnes migrantesdoivent avoir le droit de pratiquer leur reli-gion et leur culte.

Les personnes migrantes doiventjouir du droit d’avoir un commerce là oùelles le désirent, de se livrer à l’industrieou à l’exercice de tout métier ou de touteprofession permis au même titre que lescitoyens des pays d’accueil et de transit ;cela de façon à leur permettre d’assumerleur part de responsabilité dans la produc-tion des richesses nécessaires au déve-loppement et à l’épanouissement de tous.

Le travail et la sécurité doiventêtre assurés à toutes les personnesmigrantes. Quiconque travaille doit êtrelibre d’adhérer à un syndicat et/ou d’enfonder avec d’autres personnes. Les personnes migrantes doivent recevoir unsalaire égal à travail égal et doivent avoir lapossibilité de transférer le fruit de leur tra-vail, les prestations sociales et de jouir dela retraite, sans aucune restriction. Toutcela, en contribuant au système de solida-rité nécessaire à la société de résidenceou de transit.

L’accès aux prestations des servi-ces de banques et d’organismes finan-ciers doit être assuré à toutes les person-nes migrantes de la même manière quecelui accordé aux nationaux et citoyensdes pays d’accueil.

Tout le monde a le droit à la terre,qu’ils soient hommes ou femmes. La terredoit être partagée entre ceux qui y viventet qui la travaillent. Les restrictions à

l’usage et à la propriété foncière imposéespour des raisons d’ordre ethnique, natio-nal et/ou sur le genre, doivent être abo-lies ; cela au profit d’une nouvelle visiond’une relation responsable entre leshumains et la terre, et dans le respect desexigences du développement durable.

Les personnes migrantes, aumême titre que les nationaux et citoyensdes pays de résidence ou de transit, doi-vent être égales devant la loi. Nul ne doitêtre séquestré, emprisonné, déporté ouvoir sa liberté restreinte sans que sa causeait été équitablement et préalablemententendue et défendue dans une langue deson choix.

Les personnes migrantes ont ledroit à l’intégrité physique et à ne pas êtreharcelées, expulsées, persécutées, arrê-tées arbitrairement ou tuées en raison deleur statut ou parce qu’elles défendentleurs droits.

Toute loi qui prévoit une discrimi-nation fondée sur l’origine nationale, legenre, la situation matrimoniale et/ou juri-dique ainsi que sur les convictions doitêtre abrogée, quelque soit le statut de lapersonne humaine.

Les droits humains sont inaliéna-bles et indivisibles et doivent être lesmêmes pour tous. La loi doit garantir àtoutes les personnes migrantes le droit àla liberté d’expression, le droit de s’organi-ser, le droit à la liberté de réunion ainsi quele droit de publier.

L’accès aux services de soin et àl’assistance sanitaire doit être garanti àtoute personne migrante, au même titre

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que les nationaux et les citoyens des paysd’accueil et de transit, avec une attentionparticulière aux personnes vulnérables. Atoute personne migrante vivant avec unhandicap doivent être garantis le droit à lasanté, les droits sociaux et culturels.

La loi doit garantir à toute per-sonne migrante le droit de choisir son par-tenaire, de fonder une famille et de vivreen famille. Le regroupement familial nepeut lui être refusé et on ne peut la sépa-rer ou la maintenir éloignée de sesenfants.

Les femmes, tout particulière-ment, doivent être protégées contre touteforme de violence et de trafic. Elles ont ledroit de contrôler leur propre corps et derejeter l’exploitation de celui-ci. Elles doi-vent jouir d’une protection particulière-ment renforcée, notamment en matière deconditions de travail, de santé maternelleet infantile, ainsi qu’en cas de change-ments de leur statut juridique et matrimo-nial.

Les migrants mineurs doivent êtreprotégés par les lois nationales en matièrede protection de l’enfance au même titreque les nationaux et les citoyens de paysde résidence et de transit. Le droit à l’édu-cation et à l’instruction doit être garanti.

L’accès à l’éducation et à l’ins-truction, du préscolaire à l’enseignementsupérieur, doit être garanti aux personnesmigrantes et à leurs enfants. L’instructiondoit être gratuite, et égale pour tous lesenfants. Les études supérieures et la for-mation technique doivent être accessiblesà tous dans une nouvelle vision du dialo-

gue et du partage des cultures. Dans la vieculturelle, dans les sports et dans l’éduca-tion, toute distinction fondée sur l’originenationale doit être abolie.

Les personnes migrantes doiventavoir droit au logement. Toute personnedoit avoir le droit d’habiter dans l’endroitde son choix, d’être décemment logée etd’avoir accès à la propriété immobilièreainsi que de maintenir sa famille dans leconfort et la sécurité au même titre que lesnationaux et citoyens de pays d’accueil etde transit.

A toute personne migrante, il fautgarantir le droit à une alimentation saine,et suffisante, et le droit à l’accès à l’eau.

Les personnes migrantes ambi-tionnent d’avoir l’opportunité et la respon-sabilité, au même titre que les nationauxet les citoyens de pays d’accueil et detransit, de faire face ensemble aux défisactuels (logement, alimentation, santé,épanouissement...).

Nous, personnes migrantes, nousengageons à respecter et promouvoir lesvaleurs et principes exprimés ci-dessus età contribuer ainsi à la disparition de toutsystème d’exploitation ségrégationniste età l’avènement d’un monde pluriel, respon-sable et solidaire.

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Àde nouveaccru daune plus délits qui et les prisuite plusctions pénne réfléchchent destion sécévidente représentproblème

Premièremla solutionles plus handicapéavec enfarisés, trconfrontéficultés : inconfortaproches, s’en sortisociaux es’épanouiques de ltions quosances msont éproment difféselon leurticulier, lelorsqu’elletés étaienla misère

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Par Luc Van CAMPENHOUDT*

*Sociologue, professeur aux Facultés Universitaires Saint-Louis

Le piègesécuritaire

[NDLR] Lorsque la peur est mobilisée comme undes vecteurs de régulation de nos sociétés, la

maxime “diviser pour mieux régner” trouve toutson sens et le déploiement de politiques sécu-

ritaires se rend inéluctable. Les problèmes defond sont occultés et se renforcent inexorablement.

L’exemple récent des réponses quasi exclusivementrépressives aux émeutes d’Angleterre de cet été enest une parfaite illustration. L’évidence du mythe

sécuritaire aurait ainsi la force selon le philosopheMichaël Foessel (invité au Festival des Libertés le22 novembre) d’être minimal dans sa compréhen-sion et maximal dans son extension. Une exten-sion qui va de pair avec le rétrécissement dupolitique. Consacré au piège d’un tel mythe, l’ar-ticle que nous reproduisons ici a été écrit en

2009 et publié dans La Revue Nouvelle (novembre2009, n°11). Il garde toute son actualité.

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Àplusieurs reprises ces derniè-res semaines, des voix sesont élevées pour réclamerdes actions sécuritaires etrépressives : la construction

de nouvelles prisons, un contrôle policieraccru dans les quartiers dits sensibles,une plus grande sévérité à l’égard desdélits qui mettent en danger l’ordre publicet les principes démocratiques, la pour-suite plus systématique de certaines infra-ctions pénales, notamment. Pour ceux quine réfléchissent pas trop loin et recher-chent des succès d’estime faciles, la solu-tion sécuritaire est toujours la plus évidente et la plus tentante. Mais ellereprésente un piège car elle pose troisproblèmes majeurs.

Premièrement, elle confond le problème etla solution. Nos populations, en particulierles plus vulnérables (personnes âgées,handicapées ou malades, femmes seulesavec enfants en bas âge, jeunes déscola-risés, travailleurs déclassés...), sontconfrontées à une grande diversité de dif-ficultés : conditions de vie précaires etinconfortables, manque de supports deproches, sentiment de ne plus pouvoirs’en sortir, enfermement dans des lienssociaux et familiaux qui empêchent des’épanouir, agressions verbales ou physi-ques de la part d’autres personnes, rela-tions quotidiennes tendues, bruits et nui-sances multiples... Toutes ces difficultéssont éprouvées à des degrés extrême-ment différents par les uns et les autresselon leurs conditions sociales et, en par-ticulier, leur lieu de vie. Dans le passé,lorsqu’elles étaient pires, de telles difficul-tés étaient interprétées comme le fait de la misère ou de l’inégalité sociale, par

exemple. Et certains ont alors pensé avecraison que c’était par la conjugaison duprogrès économique et de la protectionsociale que l’on parviendrait à y répondre.Aujourd’hui, la tendance est d’interpréteret de traiter les problèmes de vie com-mune sous le double angle – et aussil’amalgame – de la difficile coexistenceentre cultures et, surtout, de l’insécurité.L’insécurité est devenue la représentationofficielle et dominante (par le politique, lesmédias, une partie des sciences socialeselles-mêmes) d’un ensemble de problè-mes complexes, une sorte de prismedéformant à travers lequel une large partdes difficultés de la vie commune est dés-ormais définie et traitée. À partir de ceprisme, une ligne de décisions politiquespeut être conçue, des dispositifs concretspeuvent être mis en œuvre par des agentsinstitutionnels (professionnels du pénal etde la prévention) et un certain soutienpopulaire peut être espéré. Sur le plansymbolique, des coupables et des victi-mes, des méchants et des gentils, peu-vent être distingués, des catégoriessémantiques alarmantes peuvent s’impo-ser telles que “ghetto” (comme à Varsovieen 1943 ?) ou “émeute” (comme à LosAngeles en 1992 ?). En ce sens, on peutdire que l’insécurité est moins un pro-blème qu’une solution1. Et cette solutionpose de sérieux problèmes.

Deuxièmement en effet, la solution sécuri-taire souffre d’une tare ontologique, c’est-à-dire inscrite dans sa nature même, indé-pendamment des circonstances et de ladiversité de ses modalités singulières : ellen’a pas de finalité, pas de principe d’orien-tation. Elle n’obéit qu’à une logique prag-matique et à court terme de gestion des

risques et amène alors, par manque devision plus large, à se braquer sur desquestions comme celles du voile et àaccentuer encore les tensions. Mais il n’ya strictement rien d’emballant et de mobi-lisateur dans un “projet” qui se définitd’abord comme la lutte contre quelquechose. Il serait temps de demander auxchampions de la solution sécuritaire cequ’ils veulent vraiment, “positivement” :un espace quadrillé par des dispositifs desurveillance et où tout ce qui bouge estsous surveillance électronique voire chimi-que2 ? Une société mono-ethnique où lesnouveaux arrivants sont convertis à unecertaine façon, dominante, d’être “civi-lisé”, où les “allochtones” (comme on dit)sont “intégrés” (comme on dit) ? Ou peut-être une société divisée en deux partiesdont l’une, les populations minoritaires,est confinée dans les tâches ancillaires,comme les domestiques de jadis ? Oucomme les quasi-esclaves de trafiquantsd’êtres humains qui font aujourd’hui lesale boulot, sans protection, dans les cou-lisses obscures de la société ? Ou veu-lent-ils une société faite de territoires jux-taposés, avec des barrières et des camé-ras de surveillance tout autour, et de vraisghettos cette fois, ceux dont les groupesdiscriminés ne peuvent plus sortir ? Toutcela est injuste et irréaliste. Abandonnezces rêves, car ils sont révolus et sans avenir.

Troisièmement, dans les conditions actu-elles, c’est-à-dire lorsqu’elles ne s’inscri-vent pas dans une finalité positive, maisau contraire dans une atmosphère géné-rale dominée par un sentiment d’injusticeet de discrimination (dans l’accès à unenseignement de qualité, à l’embauche...),

OUDT*

aint-Louis

geme untés, lave tout sécu-

mes deement.ementété enmythe

osopheertés leréhen-exten-ent due, l’ar-crit enembre

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les politiques sécuritaires ne font qu’ac-centuer les tensions et portent en ellesdes germes de violence radicale quiempêchent toute conflictualité sociale etpolitique constructive, notamment enmatière de coexistence entre cultures.Comme ces prisons où de petits délin-quants s’initient à la grande criminalité,ces concentrations urbaines de toutes lesmisères où s’accumulent les frustrations,ces contrôles répétitifs et maladroits quisuscitent la rage.

Mais la seule critique de la solution sécu-ritaire ne suffit pas, et il est trop facile etvain d’être simplement “contre Sarkozy”.La critique doit conduire à une double exi-gence : primo, analyser le plus lucidementpossible la réalité des problèmes, sansréduire leur complexité à une idée fixe(l’insécurité ou l’islamisme radical ou l’ex-ploitation capitaliste par exemple) ;secundo, définir avec toutes les compo-santes de la société des finalités et desprojets qui valent la peine de se mobiliser.Même s’il reste un énorme chemin à parcourir, la construction d’un espaceeuropéen pacifié, prospère, démocratiqueet multiculturel, la recherche d’un modèlede développement durable, l’instaurationd’un ordre mondial multilatéral plus équi-table... sont des finalités positives pourlesquelles on peut avoir envie de s’enga-ger et de lutter, de “faire société”.Qu’avons-nous à proposer pour nos villes,qui soit mobilisateur et qui rencontreeffectivement les difficultés des gens, quidonne sens aux règles de vie commune, ycompris à des mesures de sécurité perçues non comme des fins en soi, maisseulement comme des conditions et des moyens nécessaires à des fins plus

légitimes qui donnent à ces mesures leurraison d’être et leur juste “mesure” ?

Objet des critiques de quelques porte-parole d’une droite (ou d’une pseudo-gau-che) sécuritaire qui ne propose que despamphlets simplistes et des rodomonta-des3, la gauche est actuellement mal prisesur la question de l’insécurité. Elle doitanalyser et reconnaître les problèmesavec une impitoyable lucidité, construiredes solutions positives, élaborer des pro-grammes crédibles en matière d’emploi,d’éducation et de formation notamment,en ne se laissant pas enfermer dans lalogique sécuritaire.

Sortir du piège sécuritaire, donc. Mais parle haut.

1 Van Campenhoudt Luc, 1999, “Chronique de criminologie.L’insécurité est moins un problème qu’une solution”, Revuede droit pénal et de criminologie, juin, p.727-738.2 Comme l’envisage la technological incapacitation. VoirLehtinen M.W., “Technological incapacitation : a neglectedalternative”, Quarterly Journal of Correction, 1978, n°2.3 Comme récemment la Lettre aux progressistes qui flirtentavec l’islam réac, d’Alain Destexhe et Claude Demelenne.

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LE 22 novembre au Festival desLibertés, retrouver Dan Kaminskiavec Michaël Foessel (Philosophe,Etat de vigilance. Critique de labanalité sécuritaire, 2010), dansune conférence débat “Au bout denos peurs”. Modération : DavidLallemand. Les intervenants serontinterpellés par des praticiens etpersonnes ressources présentsdans la salle. A l’occasion de cettesoirée, un hommage sera rendu àCharlie Bauer, “délinquant dumonde et indiscipliné de la taule,révolté contre toute bassesse,intransigeant, entier, révolution-naire”.(cf. www.festivaldeslibertes.be)

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Thierry ROUSSELIN*

*Consultant en observation spatialecoauteur avec Françoise de Blomac de Sous surveillance ! Démêler le mythe de la réalité (2008)

Victimes et complices : les individus face aux technologies d’identification et de surveillance

Le discours sur (contre) la surveillance tourne souvent autour de l’ingérence de l’État, des ins-

titutions ou du secteur marchand dans notre vie privée. Le présent article vise à décrire la

manière dont nous sommes à la fois victimes mais aussi extraordinairement complices de

la mise en place du système. Notre dualité est à la fois individuelle et collective. Il s’agit

ainsi de dénombrer les raisons pour

lesquelles nous acceptons d’entrer

dans un système de surveillance,

dans un système automatisé

d’identification, décliné en de

multiples formes. On remar-

quera que la vidéosurveil-

lance, les fichiers et la biomé-

trie focalisent la majorité des

débats, au détriment de bon

nombre d’autres techniques de

surveillance tout aussi importantes.

Nous allons discuter quelques points me paraissant primordiaux, à propos de nos comportements indivi-duels devant les technologies en question et leurs politiques de mise en place.

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De l’invention d’une technologie à sagénéralisation

De prime abord, toutes les technologiesmises en place se fondent sur de bonnesraisons. Nul, au sein du corps social, nedéfendra Dutroux. Nul ne défendra ThierryPaulin. Le fichier des empreintes généti-ques est donc mis en place dans l’atmos-phère d’émotion liée aux grands crimessexuels, jouant ici un rôle légitimant.

Dans le même ordre d’idées, En France, laquestion du RFID1 n’a émergé qu’autourdu Pass de transports parisiens Navigo.D’où vient ce dispositif ? Il s’agit d’unetechnologie existant depuis soixante ans,utilisée pendant la Seconde Guerre mon-diale dans l’identification ami/ennemi desavions. La première guerre du Golfe a étél’occasion de sa réactivation dans la plusimportante opération logistique jamaismenée par l’armée américaine : descamions et leurs pièces de rechangeétaient embarqués dans des bâtimentsséparés, avec aucun système fiable de recoupement des informations.L’utilisation de puces RFID sur les conte-neurs a offert une solution efficace etadaptée à la situation, qui n’a pas soulevéde débats particuliers2. Viennent ensuiteles grandes crises sanitaires des annéesquatre-vingt-dix (vache folle, etc.) où desopérations de marquage des troupeauxbovins ont été massivement réalisées.Ces démarches sont également apparueslégitimes, eu égard à la nécessaire traça-bilité alimentaire à mettre en place. Par lasuite, une Directive européenne a instaurél’obligation de “taguer” nos animaux de compagnie. Nos vétérinaires se sont, accessoirement, transformés en

auxiliaires de la mise en place d’un sys-tème de fichage. Là encore, peu de réac-tions se sont fait entendre au sein de l’opi-nion publique. Bien entendu, à l’heure despremières expérimentations sur l’homme,la motivation mise en avant fut celle, posi-tive, du dossier médical. Des individusayant oublié leur identité ou en état dechoc présenteront toujours, avec unepuce RFID sous-cutanée, un dossiermédical fiable, accessible via un simplelecteur.

L’exemple du RFID illustre cette séquence-type, non d’acceptation (puisqu’il n’y ajamais eu de débat réel ou de consultation)mais de passivité devant les motifs impé-rieux présentés, qui cependant perdentprogressivement de leur consistance,jusqu’au fait accompli de la mise en placed’un système. Car en parallèle, quand onpasse de quelques centaines d’avions àdes millions d’animaux, on assiste à lacréation d’un marché de masse de fabrica-tion des puces avec les effets induits surles prix. Et comme cela s’accompagne dela miniaturisation des composants, lesapplications possibles explosent. Lespuces RFID destinées, il y a quinze ans, àdes objets de très grand prix, sontaujourd’hui incluses dans un Pass de trans-port ou dans un billet de la coupe dumonde de football (2006). Un tel résultat estdonc l’aboutissement d’une séquence denon-décisions qui aboutissent à une situa-tion de fait accompli.

Mais l’exemple des puces dans les Passde transports illustre aussi un autreaspect. Notre acceptation collective estd’abord motivée par l’apport positif enmatière de qualité de service. La totalité

des enquêtes effectuées auprès des usa-gers – la RATP ayant essuyé bon nombrede critiques au sujet du Pass Navigo – ontabouti à des pourcentages avoisinant les95 % de satisfaction, par opposition auxaléas de l’ancien système de tickets.L’usager perçoit donc avant tout les avan-tages du nouveau système en matière deconfort et de performance. Mais l’engoue-ment peut aussi reposer sur des motiva-tions factices : les systèmes de cartes,déployés par les grands magasins (Fnac,Champion, Auchan, etc.), remplissent lamême fonction que le système antérieurdes bons de réduction. À une différenceprès, qui est l’opération de profilage pro-gressif du comportement de consomma-teur. Il relèverait toutefois de la paranoïade former une hypothèse d’interconnexionde tous les fichiers de magasins avecceux des banques et autres. Toutefois, leprofilage établit de manière plus ou moinsfiable une identité de consommateur quiest d’un grand intérêt pour les commer-çants.

Relevons aussi l’essor du GPS3, passanten l’espace de trois ans seulement de larareté absolue à la généralisation. LesFrançais et les Belges se perdaient-ilsdavantage il y a cinq ans qu’aujourd’hui ?Certainement pas. Nous avons seulementvalorisé, jusqu’à la nécessité absolue, leservice rendu par le GPS. Or, aux États-Unis, des dysfonctionnements liés au GPSont déjà eu lieu. En 2008, un accident dela circulation avait conduit au blocaged’un des plus importants ponts d’accès àSan Francisco. Les terminaux embarquéssur la voiture de Mr Tout le Monde, via lesservices de cartographie en ligne aux-quels ils sont abonnés ont immédiatement

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pris en compte l’incident, mais ont trans-mis à leurs usagers des directives telle-ment mal coordonnées qu’elles ont causéle lendemain matin le plus grand embou-teillage qu’ait jamais enregistré la baie deSan Francisco. Deux jours plus tard, l’Étatde Californie a été visé par des attaquesde citoyens et d’entreprises sur sa responsabilité. Comment pouvait-on dis-poser d’une vision totale d’un champ debataille à Bagdad et ne rien pouvoircontrôler à San Francisco ? Il s’agit, onl’aura remarqué, d’une attente de réponsetechnologique, en termes d’exigence vis-à-vis des systèmes déployés (davantagede rapidité, d’efficacité, de technologie),et non la remise en cause de celle-ci.

Une autre préoccupation récurrente estcelle de l’accès aux avions, exigeant deplus en plus de temps, notamment depuisles attaques terroristes du 11 septembre2001. Il constitue un véritable imbrogliopour les personnes empruntant régulière-ment les compagnies aériennes, que pro-pose désormais de résoudre un certainnombre de systèmes de “fast tracks” (voieréservée). Quasiment généralisés auxÉtats-Unis, progressivement mis en placeen Europe, il s’agit de couloirs permettantd’accéder à l’avion en évitant l’essentieldes contrôles, du fait que l’usager seraenregistré au préalable auprès d’une com-pagnie privée disposant d’accords avecles États. Les sociétés prenant en chargele dispositif exigent, en contrepartie d’unabonnement, un nombre optimal de don-nées biométriques. Le passager est doncconsidéré d’une fiabilité absolue, le dis-pensant des lourds contrôles d’usage. Lephénomène en présence ici est la différen-ciation ordinaire par le luxe technologique,

ignorant le revers de la question : les tech-nologies les moins luxueuses sont aussiles moins facilement traçables. Un télé-phone de dernière génération est plusfacile à localiser qu’un téléphone rustique.

La confiance accordée aux institutions

Les citoyens accordent d’emblée unecertaine confiance aux institutions enmatière de technologies de surveillance.Le large impact, en 2008, des mouve-ments d’opposition à la mise en place enFrance du fichier Edwige4 provient, dansune large partie, de la diffusion massivedu texte du projet de loi. Une lecture som-maire mettait en lumière les contradic-tions dans le contenu et la rédaction dutexte : les articles 2 et 4 étaient contradic-toires, ambigus, installant un flou propiceaux applications les plus abusives. S'enest suivi une réaction de rejet identique àcelle du référendum pour la Constitutioneuropéenne, où le citoyen s’est senti enquelque sorte lésé dans sa confianceaccordée au législateur responsabled’établir des garde-fous. De telles réac-tions de masse restent toutefois rares. Leplus souvent, seules les personnes direc-tement affectées entreront en contesta-tion active, l’ambiance générale demeu-rant à la confiance. La mobilisation fran-çaise contre Edwige provenait en largepartie du fait que les populations viséesétaient des leaders d’opinion (chefs d’en-treprise, syndicalistes, journalistes…), quiont donc logiquement relayé le débat surla place publique.

L’ambiance de confiance générale estégalement facilitée, par la complexitétechnique des dispositifs, dont assez peu

de citoyens comprennent les tenants etaboutissants. Il y a partout des dispositifsde vidéosurveillance, mais fonctionnent-ils en réseau ? Quelles en sont lesconnexions ? On ne le sait pas. Il seraitpossible de localiser des armes de des-truction massive en Irak par images satel-litaires, pourtant il nous est impossible dedénombrer le nombre de réfugiés deguerre. Le décalage est abyssal entre leplausible et le non-plausible, la réalité etl’image que l’on s’en fait, jusqu’à générerune atmosphère d’incompréhension gé-nérale des conséquences sur la sociétédu développement des systèmes de sur-veillance.

Mais que signifie donc cette notion desystème ? Des laboratoires entiers travail-lent à la compréhension et à la maîtrise desystèmes complexes. La principale diffi-culté est la coordination des données etdes procédés. Quelles sont les capacitéstechniques intrinsèques d’une caméra devidéosurveillance fraîchement installée ausein d’une mairie ? Répondent-elles auxbesoins ayant motivé la mise en placed’un tel dispositif ? A-t-elle été déployéeau bon endroit au bon moment ? Lesagents manipulant le matériel sont-ilscompétents ? Y a-t-il en permanence unepersonne physique derrière le dispositifafin d’en relayer les alertes ? Une chaînede commandement est-elle fonction-nelle ? A-t-on prévu des palliatifs aux dys-fonctionnements ou aux attaques visantles données privées stockées, tant contrele temps que contre les piratages ? Enfin,quelles sont les perspectives d’évolutionprenant en charge les systèmes enplace ? Souvent, les politiques se con-tentent de présenter un nombre X de

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Mathieu

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caméras mélangeant celles des banques,des magasins, de circulation et autres, etfaisant l’hypothèse implicite qu’un dispo-sitif cohérent serait ainsi constitué. Il s’agitquelque peu de propagande, leurrant lepublic sur l’efficacité du système. On nepeut que douter de l’interconnexionconcrète, de l’interopérabilité, de l’effica-cité 24h/24 d’un réseau composé d’élé-ments aussi disparates. Une question sepose à nous : les politiques sont-ils eux-mêmes dans l’ignorance de ces réalités ?

Entre la réalité et la fiction

Dans tout discours traitant de la surveil-lance, il est extrêmement rude de faire lapart de la réalité et de la fiction. Le siteinternet, Rue 895, ouvrait en 2009 undébat autour des écoutes téléphoniques.Un journaliste s’affirmant spécialisé dansles nouvelles technologies, indiquantqu’il tenait ses informations d’un ami tra-vaillant au sein des services secrets,évoquait des écoutes visant les télépho-nes portables, même éteints. S’agissantd’affirmer qu’un téléphone éteint pouvaitêtre (ou non) mis sur écoute, les frictionsétaient vives. Un doctorant en attestait lapossibilité technique ; un industrield’Alcatel le niait au nom de la responsa-bilité des producteurs, etc. Même ausein de spécialistes, il est difficile d’éta-blir un consensus autour du sujet. À quoise raccrochera le “citoyen ordinaire”dans une telle situation ? La confiancelui est, pour ainsi dire, imposée, alorsqu’il reste empreint de méfiance.

D’aucuns proposent de le rassurer viades chiffres magiques, dont politiquesou citoyens s’emparent en premier. Étant

moi-même dans le monde de l’observa-tion spatiale, la question qui m’est leplus fréquemment posée depuis 25 ansest : “Peut-on lire ou non une plaqued’immatriculation depuis l’espace ?”.Cette fixation sur un chiffre n’a pas deréponse simple (la réponse optimalepourrait être “ça dépend !”) mais surtoutn’est pas en soi représentative de l’effi-cacité réelle du système (il y a des tas derésultats qu’on arrive à obtenir en jouantsur d’autres paramètres que la taille desobjets). Un autre chiffre magique porteen France sur les trois millions de camé-ras (mis en avant aussi bien par les “pro-pagandistes” du système comme cibled’efficacité que par les opposants à lasurveillance comme chiffre qui fait peur).Qui maîtrise vraiment la réalité que voilel’aura du chiffre magique ?

En conclusion, nous pouvons nousdemander si de simples citoyens, malgréla complexité et l’ambiguïté du système,ont la capacité de produire des paradesde réponses, de s’approprier et de retour-ner le dispositif, de pratiquer, en quelquesorte, un retournement de surveillance. Ausein de mon domaine, qui est la surveil-lance géospatiale, des réactions apprécia-bles ont eu lieu au moment de l’ouraganKatrina. Des citoyens américains, sebasant sur la directive Clinton de 1994ouvrant l’accès aux données publiques,ont recoupé à partir des observations dela Nasa et d’autres organismes, des preu-ves accusant le gouvernement Bushd’inaction. Recueillies sur le Web, des cartographies démontraient la passivitédes pouvoirs publics. Des universitaires etde simples citoyens pratiquaient ainsi,tout à fait légalement, la surveillance des

surveillants. Un retournement de l’outilcomme on en voit de plus en plus et quipourrait devenir la nouvelle norme decomportement responsable.

1 La radio-identification, plus souvent désignée par le sigleanglais RFID, Radio Frequency IDentification.2 On ne crée pas de commission parlementaire pour discuterde la vie privée des conteneurs.3 Global Positioning System, que l’on peut traduire en fran-çais par Système de positionnement mondial.4 Acronyme du fichier d’Exploitation documentaire et valori-sation de l’information générale, fichier de renseignementspoliciers.5 Site d’information et de débat participatif sur l’actualité(www.rue89.com).

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Nous approfondirons cette ques-tion au Festival, le 21 novembre à19h30. “Big Brother : et ce doigt, tule vois ?” avec Avec Didier Bigo(professeur à Sciences Po Paris etau King’s College à Londres, ré-dacteur en chef des revuesInternational Political Sociology etCultures & Conflits dont le n°76traite de “Fichage et listing”),Raphaël Gellert (chercheur à laVUB, thèse sur le droit à la vie pri-vée face aux nouvelles technolo-gies), Paul de Hert (Professeur dedroit pénal européen à la VrijeUniversiteit Brussel) et ThierryRousselin .(cf. www.festivaldeslibertes.be)

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Mathieu BIETLOT* et Pierangelo DI VITTORIO**

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l’actualité

D’une pluie sidéraledépoussiérer

Il y a cinquante ans, dans une petite ville italienne s’ouvrait un laboratoire

de transformation de la psychiatrie. Il y a cinquante ans, une série de

textes convergeaient vers une remise en question des savoirs et des

pouvoirs qui emprisonnaient la folie. Il y a cinquante ans, une constella-

tion d’expériences et de recherches dessinait un nouveau paysage des

possibles. Revenir vers cette époque vise moins à commémorer le passé

qu’à interroger le présent et écrire l’avenir.

ques-mbre à

igt, tu Bigoaris ets, ré-evuesogy et n°76ting”), à laie pri-hnolo-eur de Vrijehierry

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le paysage des possibles

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Une bombe dans une île

Sorti des rails de la carrière universitaire(en psychiatrie), Franco Basaglia est telun train plein de curiosité philosophiquequi veut “comprendre” jusqu’au bout lafolie. Le train s’arrête néanmoins à l’hôpi-tal psychiatrique de Gorizia dont ildevient directeur en 1961. Située à l’ex-trême est de la plaine du Pô dans leFrioul, Gorizia est une petite ville de pro-vince, décentrée, loin de tout. Elle illustrel’exil radical de Basaglia loin del’Université, de ses maîtres et de sessavoirs figés : le premier temple contestépar le futur auteur de L’institution ennégation.

Gorizia, c’est aussi un paysage de fin dumonde, la nuit profonde, lorsqu’on pénè-tre son asile de fou, une île peuplée defantômes, barricadée sur elle-même.L’hôpital ressemble à une prison où sontentassés, violentés, camisolés ceux quiont perdu jusqu’au droit à être qualifiésd’hommes. La première expérience deBasaglia est olfactive, souvenir de la pri-son où il avait été détenu pendant ladeuxième guerre mondiale, en raison deses fréquentations antifascistes. Uneodeur d’urine et de merde secoue lejeune Directeur de l’hôpital : “ou bien jefais quelque chose, ou bien je m’enfuis”.Aussitôt, il repère le modèle le plusavancé de réforme de l’asile. Il s’agit dela communauté thérapeutique réaliséepar Maxwell Jones en Ecosse.L’expérience démarre, comme unebombe dans le paysage psychiatriqueitalien de l’époque. Cette explosion serasuivie d’une réaction en chaîne et c’esttout le paysage qui change.

Petit à petit, à Gorizia, les contentions phy-siques et les thérapies de choc sont abo-lies. Les assemblées dans les services etles assemblées plénières s’organisent,chacun y participe sur un pied d’égalité.Les portes des pavillons et les grilles del’hôpital s’ouvrent. La liberté circule, lesrôles traditionnels entrent en crise, lescontradictions émergent et on ne cherchepas à les étouffer, au contraire, elles per-mettent une problématisation permanentede l’institution. Surtout, les internés pren-nent la parole et posent des questions radi-cales : ils contestent les excès du pouvoirpsychiatrique à l’intérieur de l’hôpital ; ilscontestent la logique de classe qui les mar-que comme fous uniquement parce qu’ilssont dépourvus des ressources économi-ques nécessaires pour être soignés endehors de l’hôpital psychiatrique ; ilscontestent, enfin, l’organisation sociale quiles discrimine et les exclut en s’appuyantsur l’idée d’une dangerosité innée de leurmaladie.

La dynamique de la contestation secoueles fondations de l’asile. Mais cette contes-tation, plutôt qu’être réprimée ou manipu-lée, est accueillie par l’équipe de Gorizia etelle devient ainsi la force collective qui varenverser l’asile. Tout en détruisant lesaspects violents, inhumains, de l’asile,Basaglia veille à ce que le processus d’hu-manisation n’endorme pas la force de lafolie, à ce que l’endiguement doux et bien-veillant ne se substitue pas à la répressionbrute pour contenir le délire1. Pour faireface à toute l’agressivité de la folie et enfaire un levier de transformation, ce sont lesservices où vivent les plus agités, les moinsadaptables des malades qui sont ouvertsen premier.

Rencontres imprévues

Dans ce climat d’effervescence, la sombreréalité asilaire se transfigure. L’île téné-breuse destinée à une putréfaction sans findevient le carrefour d’une série de rencon-tres illuminantes. 1961 est une date dont ilfaut se souvenir, de celles où les astress’alignent et dessinent des géométries iné-dites. C’est l’année où Basaglia arrive àGorizia.

C’est l’année où Michel Foucault publiel’Histoire de la folie à l’âge classique. Lephilosophe y montre comment des structu-res d’exclusion se recyclent d’une époqueà l’autre en définissant les êtres à exclure2 :à la Renaissance, les fous prennent la placeoccupée par les lépreux au Moyen Age ; àl’âge classique (XVIIe siècle), le “grand ren-fermement” se substitue au bannissement.La folie ne préexiste pas en tant que telle àson appréhension par une époque maisrésulte d’un ensemble de relations de pou-voir et de savoir qui, à l’âge classique, afabriqué son objet de toutes pièces pourensuite pouvoir l’étudier, le traiter et l’enfer-mer. La naissance de la psychiatrie, au XIXe

siècle, repose alors sur un mythe : ses fon-dateurs, Pinel et Tuke, auraient libéré ethumanisé les fous. Certes, ils les ont sortisdes geôles où ils côtoyaient d’autres pariasmais pour les interner à l’asile. Certes, ilsont cessé de les considérer comme desdémons ou des animaux mais pour en fairedes malades mentaux ou des aliénés,objets de jugements normatifs et d’entre-prises de guérison moralisantes. D’après lagénéalogie foucaldienne, la maladie men-tale est bien plus une production moralequ’une découverte scientifique. Comme laprison engendre de la récidive pour justifier

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sa perpétuation, l’asile crée des troublespsychiques et s’organise pour les traiterensuite : “la manière dont on aliène le fouse laisse oublier pour réapparaître commenature de l’aliénation. L’internement est entrain de s’ordonner aux formes qu’il a faitnaître”3. Avant d’avoir lu Foucault, Basagliaavait mesuré à quel point la désignation demalade mental relevait d’abord d’un pro-cessus politique et scientifique d’exclusionsociale. Il s’appliquait à “mettre en paren-thèses” la maladie mentale pour rencontrerla personne du malade.

1961, c’est aussi l’année où paraît Asiles –études sur la condition sociale des maladesmentaux et autres reclus d’Erving Goffman.Cette étude ethnographique de la viesociale au sein d’un hôpital psychiatriquepointe une série d’effets propres à l’institu-tion et à la réclusion tels que les processusde mortification, de dépersonnalisation etd’asservissement, les mécanismes d’adap-tation, les rites obligatoires…4 L’analysemicrosociologique de Goffman rejoint l’ex-périence vécue par Basaglia à Gorizia et lagénéalogie de Foucault lorsqu’elle souligneà quel point c’est l’institution qui, par sonfonctionnement interne, les jeux de rôlesqu’elle impose et sa coupure d’avec lemonde extérieur, crée le malade mental. Deplus, “on finit très souvent par découvrirque la folie ou le “comportement anormal”attribué au malade résulte pour une grandepart, non de sa maladie mais de la distancesociale qui sépare ce malade de ceux qui ledéclarent tel”5. C’est précisément cette dis-tance qui a été abolie à Gorizia et l’ensem-ble des rôles au sein de l’institution qui sontentrés en crise. Goffman établit aussi deshomologies structurales entre diverses ins-titutions qu’il nomme “totales” : prison,

hôpitaux, couvent, caserne… Il rejoint encela l’analyse des institutions disciplinairesproposée par Foucault dans Surveiller etpunir6. En montrant les effets dépersonnali-sant de l’institution, Goffman permet derelativiser le poids de la maladie mentale oudu crime et d’établir des analogies entretous les reclus. C’est grâce à lui queBasaglia proposera plus tard une compa-raison entre fous et autres exclus pourétendre le problème du malade mental àune dimension sociopolitique.

Les damnés de la terre, le dernier livre deFrantz Fanon sort également en 1961. Bienqu’un gros chapitre y soit consacré auxtroubles mentaux induits par les guerrescoloniales, il s’agit moins d’un pamphletantipsychiatrique qu’anticolonialiste aug-menté d’un ambitieux projet utopique pourle tiers-monde révolutionnaire porteur d’unhomme neuf et d’une pensée neuve. A tra-vers l’ensemble de sa carrière, Fanon estcependant une référence importante pourBasaglia. Né en Martinique, résistant aunazisme et au régime de Vichy, docteur enpsychiatrie, collaborateur de FrançoisTosquelles7 à Saint-Alban (haut-lieu derésistance et d’invention de la psychothé-rapie institutionnelle), il obtient, en 1954, unposte à l’hôpital de Blida-Joinville, prèsd’Alger, où il entre en contact avec le Frontde Libération Nationale de l’Algérie. Il opèreune critique de la psychiatrie asilaire euro-péenne en tant qu’instrument, parmi d’au-tres, d’institutionnalisation du colonisé. En1956, il rédige une lettre de démission desa charge de médecin-chef de l’hôpitalpsychiatrique dans laquelle on lit notam-ment : “Si la psychiatrie est la techniquemédicale qui se propose de permettre àl’homme de ne plus se sentir étranger à son

environnement, je me dois d’affirmer quel’Arabe, aliéné permanent dans son pays,vit dans un état de dépersonnalisationabsolue.”8 Fanon devient ainsi, pourBasaglia, le modèle de l’anticarrière institu-tionnelle du psychiatre, c’est-à-dire de sonautodestruction comme maître du savoir etsa reconstruction comme témoin de lacondition d’exclu, d’opprimé, de coloniséqui est celle du malade mental.

C’est encore en 1961 que Thomas Szaszdiffuse, aux Etats-Unis, une critique desfondements moraux et des fondationsscientifiques de la psychiatrie dans sonlivre Le mythe de la maladie mentale. Ildénonce l’utilisation de la psychiatriecomme moyen de contrôle social, faisantde toute déviance une folie.

Basaglia, Foucault, Goffman et Szasz ne seconnaissent pas en 1961. A partir d’appro-ches très différentes, parfois incompatiblesau niveau des présupposés méthodologi-ques, ils développent sans concertationmais simultanément une critique de lamaladie mentale comme produit d’une ins-titution et de ses jeux de pouvoir, d’un cer-tain savoir dit scientifique et d’un proces-sus sociopolitique d’exclusion. Les étoilesse sont donné rendez-vous dans le ciel deGorizia. Grâce à l’initiative de Basaglia, unsordide asile de province devient le pointde collision d’une série d’analyses histori-ques, sociologiques et politiques. Cetteconstellation satisfait l’exigence, formuléepar Basaglia, d’une rencontre interdiscipli-naire où les savoirs se contestent mutuelle-ment pour éviter de reconstruire une nou-velle idéologie. Le résultat est explosif,autant du point de vue théorique que dupoint de vue pratique. L’articulation entre

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théorie et pratique, entre expérience per-sonnelle, action de transformation de laréalité et recherche d’une philosophieengagée qui puisse la soutenir et l’étendreest au cœur de la bombe Gorizia.

Par la suite, le volume L’institution ennégation fait connaître à un large publicl’expérience de Gorizia et permet de met-tre la question psychiatrique dansl’agenda des préoccupations politiques.De manière inattendue, on découvrel’existence d’un réseau de recherches etde mouvements qui convergent sur l’axed’une transformation de la psychiatrie etaboutiront, en 1978, au vote de la loi 180régissant la suppression des asiles fermésen Italie9.

Les prémices du printemps

L’institution en négation n’est pas qu’uneétape fondamentale pour la psychiatriealternative. C’est un livre référence quipose les bases du mouvement anti-institu-tionnel. Mais c’est aussi un livre-symbolede mai 1968, année où il parait et qui vaoffrir une base plus large au combat deBasaglia. A partir du cas particulier de lapsychiatrie, le mouvement anti-institution-nel a été une pratique qui propage une culture, propulseur d’une demande plusgénérale de changement et de remise enquestion des normes. “Au-delà de la valeurréelle et symbolique qu’a pu revêtir ladémonstration pratique de la possibilitéd’“ouvrir” un asile et de la progressive réin-sertion des internés, il s’agissait principale-ment d’amener sous les feux de la rampeune problématique sociale qui – partantd’une pratique particulière – propose desthèmes et des débats généraux.”10

La constellation de 1961 a contribué auxmultiples bourgeonnements du printempsde 1968, à l’émergence de luttes contrel’autoritarisme, l’oppression, les institu-tions, la bureaucratie, l’aliénation quoti-dienne.

A l’instar des analogies relevées parGoffman et Foucault, le mouvement opèredes rapprochements entre les fous et lesautres exclus (nègres, colonisés, prosti-tuées...). Tandis que Basaglia s’applique àfaire surgir le discours et le savoir des psy-chiatrisés, Foucault crée le Grouped’Information sur les Prisons (GIP) qui viseà faciliter la prise de parole des détenus età impliquer les professionnels du milieucarcéral dans la critique pénitentiaire. Unpeu partout, on cherche à rendre la paroleà ceux qui n’ont pas la parole, à accorderleur part aux sans-parts, comme diraitRancière.

Mai 68 incarne un moment où la liberté aéclaté sous les auspices de l’utopie ou del’espoir. Il nous faut penser 1968 en tantqu’avènement d’un autre type d’événe-ments, foyer de multiplication des combatsimmédiats et concrets des gens sans qu’ilsse soumettent au schéma d’une révolutionqui donnerait le sens de l’histoire. L’histoiren’a pas suivi sa marche prédéterminée, elleavançait au hasard : “l’incertitude, le fait dene pas savoir où aller, était le signe qu’ilpouvait se passer quelque chose de nou-veau” dira Mario Tommasini. C’est le faitinattendu que les gens ont commencé à setransformer eux-mêmes, à assumer d’au-tres postures et à faire d’autres gestes dansleur vie quotidienne qui les a rapprochés etrassemblés ; et c’est la force de cette “rencontre aléatoire” qui a provoqué des

ruptures dans la société, qui a ouvert desespaces politiques dans le monde, qui acréé les conditions d’un possible dansl’histoire. Dans le tourbillon des idées etdes mouvances, il s’est passé quelquechose, il y a eu un élément commun qui adonné à 1968 sa couleur caractéristique,une couleur que nous avons aujourd’huiperdue.

Le gouffre et le témoin

Si le mouvement de mai 68 s’est dissé-miné, étendu, radicalisé un peu partout enEurope et aux Etats-Unis au début desannées ’70, il a ensuite été décimé par lacrise économique, par des entreprises derécupération ou des opérations de répres-sion. Et puis vinrent les années 1980 avecleur morosité, le triomphe du néolibéra-lisme, l’apologie de l’individualisme, le fata-lisme et le TINA (“there is no alternative”) dela dame de fer, la remise en cause desacquis sociaux, le “no futur”… Et puis1989, un autre moment où la liberté aéclaté mais sous le signe du désenchante-ment ou du deuil. La chute du mur de Berlina été saluée comme l’effondrement desidéologies et tout le monde sait qui a sutirer profit de cet affranchissement des“idées” et des “idéaux”.

On est obligé de constater que ce qui noussépare des années 60-70 est beaucoupplus qu’une quarantaine d’années. On al’impression qu’une ère géologique s’estécoulée, car c’est tout un possible qui s’estrefermé.

Comment communiquer aux jeunes gens la“manière de bouger” de psychiatres telsTosquelles, Fanon ou Basaglia ? Leur ethos

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s’avère aujourd’hui fort inactuel et il estpresque impossible de le transmettrecomme tel. Dans le meilleur des cas, on sebornera à des notions, à des livres étudiéset rangés dans des bibliothèques. Non, lepossible se nourrit de possible. Un effortsupplémentaire est donc nécessaire auniveau de la transmission de ce possible.On pourrait retracer la généalogie de cetteconstellation pour faire émerger l’ensembledes contingences historiques d’où elle estissue. On pourrait rapprocher les profils deceux qui ont joué leur vie dans des expé-riences de transformation, pour essayer defaire surgir le “paysage” vivant d’une épo-que, pour faire deviner l’âme de ce mondequi a cru à l’aventure du possible. Et peut-être en savourer encore le goût…

“Ce qui est important, c’est que nous ayonsdémontré que l’impossible peut devenirpossible. Il y a dix, quinze, vingt ans, il étaitimpensable qu’un asile puisse être détruit.Peut-être que les asiles seront à nouveaufermés, et peut-être encore plus fermésqu’avant, je n’en sais rien, mais quoiqu’il ensoit, nous aurons démontré qu’on pouvaittraiter autrement la personne folle, et cetémoignage est fondamental. Je ne croispas que le fait qu’une action se généraliseveuille dire que l’on a gagné. L’essentiel estailleurs : ce qui est essentiel, c’est qu’au-jourd’hui on sait ce que l’on peut faire.”11>

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1 “Entièrement exclue d’un côté, entièrement objectivée del’autre, la folie n’est jamais manifestée pour elle-même, etdans un langage qui lui serait propre.” (Michel Foucault,Histoire de la folie à l’âge classique, Gallimard, 1961 (édition“tel”, 1971), p. 225.2 “On peut donc dire que c'est l'obligation d'exclure – l'exclu-sion comme “structure” nécessaire – qui découvre, appelleet consacre les êtres qu'il faut exclure” (Blanchot Maurice,L’entretien infini, Gallimard, Paris, 1969, p. 293)3 Histoire de la folie, op. cit., p. 546.4 Basaglia faisait des observations similaires : “La passivité àlaquelle l’institution le contraint ne lui permet pas, en effet, devivre les événements selon une dialectique interne. Elle ne luipermet pas de vivre, de s’exposer et d’être avec les autres enayant – en même temps – la possibilité de se sauvegarder, dese défendre, de se replier.” (Franco Basaglia, “Corpo e istitu-zione. Considerazioni anthropologiche in tema di psychiatriainstituzionale” (1967), dans Scritti, Turin, éd. Einaudi, 1981-1982, vol. 1, p. 438.5 Erving Goffman, Asiles – études sur la condition sociale desmalades mentaux et autres reclus, traduit de l’américain parL. et C. Lainé, Paris, éd. de Minuit, 1968 (1961), p. 182.6 Notons qu’après avoir remis en question le pouvoir discipli-naire au sein de l’asile, Basaglia dénoncera le pouvoir biopo-litique qui risque de se diffuser à l’extérieur dès lors qu’onouvre les hôpitaux psychiatriques. Si l’asile est remplacé parun réseau de soins ambulants dans la cité, il faut être trèsvigilant pour que celui-ci ne se transforme pas en filet decontrôle biopolitique de la vie quotidienne. 7 Cf. Patrick Faugeras, L'ombre portée de FrançoisTosquelles, éd. Érès, Ramonville-Saint-Agne, 2007.8 Frantz Fanon, “Lettre au ministre Résident” (1956) in Pour larévolution Africaine, éd. Maspéro, 1964.9 Sur cette loi et sur les propositions de Basaglia, nous ren-voyons à l’article de Mario Colucci, “L’expérience italiennede psychiatrie démocratique” in Bruxelles Laïque Echos,n°72, pp. 33-37 ; et surtout au livre de Mario Colucci etPierangelo Di Vittorio, Franco Basaglia, portrait d’un psychia-tre intempestif, trad. de l’italien par Patrick Faugeras, éd.Érès, Ramonville-Saint-Agne, 200510 Franco et Franca Basaglia, Les criminels de paix, Paris,P.U.F., 1980 (1975), pp. 27-28.11 Franco Basaglia, Psychiatrie et démocratie : Conférencesbrésiliennes, éd. Érès, Ramonville-Saint-Agne, 2007, p. 130.

Le collectif Action30, L’Autre « lieu »et Bruxelles Laïque développent unprojet de réflexion et de créationautour de cette aventure du possi-ble. Une résidence d’artistes auralieu à Bruxelles du 3 au 8 octobre,dont certains moments serontpublics et participatifs.

Le 23 novembre, au Festival desLibertés, une performance multi-média donnera un premier aperçude cette Constellation 1961.Ensuite, une table-ronde, intitulée“Changer le monde en se transfor-mant soi-même”, réunira Jean-François Bert, Charles Burquel,Pierangelo Di Vittorio, Anne-LaureDonsquoy, Patrick Faugeras etIsabelle Pousseur.

(cf. www.festivaldeslibertes.be)

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Par Ababacar NDAW*

*Bruxelles Laïque Echos

De l’indignation à l’insurrection

La contagion de la fièvre insurrectionnelle née au printemps dernier en Espagne a largement dépasséles frontières de l’Europe occidentale pour gagner d’autres contrées du monde, Proche-Orient,Afrique, Amérique Latine. L’indignation s’exporte et se mondialise. Ainsi des mouvements d’indignéssurgissent partout pour exprimer le ras-le bol, l’exaspération collective des plus fragilisés : chômeurs,

étudiants, jeunes diplômés, petits salariés, pauvres et margi-naux, face aux incohérences structurelles des modes de gou-vernance, des systèmes et philosophies politiques, des logi-ques sociales et économiques.

De tout temps, faut-il le rappeler, des hommes, des femmes,des intellectuels, des écrivains, des journalistes, dessavants, des hommes politiques, des philosophes se sontindignés devant des atrocités, des ignominies et des injusti-

ces de leurs époques : l’esclavage etle commerce des nègres, lesinquisitions, les autodafés, lesconditions de vie des pauvres,les pendaisons et les torturespubliques, la colonisation, leracisme, l’antisémitisme et lesguerres, sans jamais réussir àles empêcher.

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Après la Seconde Guerre mon-diale et la DéclarationUniverselle des Droits del’Homme, l’indignation consis-tait à dire et proclamer haut et

fort “Plus jamais ça !”. Autrement dit, plusde génocides, plus de crimes contrel’Humanité, de déportations, de camps deconcentration, d’emprisonnements arbitrai-res, de pogroms, etc. On connait la suite, leRwanda, l’ex-Yougoslavie, le Vietnam, leCambodge, le Sud-Soudan, la Somalie…L’énumération est loin d’être exhaustive !

L’indignation reste une réaction de principe.Certes louable, mais qui n’a de portée véri-table que quand elle est unanime, globale,canalisée dans un mouvement politique-ment organisé. Ce qui, me semble-t-il, estloin d’être le cas dans ces mouvementsd’indignés, que certains se refusent, à tortou à raison, de considérer comme desmouvements au sens politique du terme,mais plutôt comme des rassemblementsprotestataires, festifs, anarchiques et folklo-riques, plus inscrits dans la contre-cultureque dans l’action politique. Un agrégat derevendications, certes légitimes, maisminoritaires, hétéroclites, chaotiques,contradictoires, extrêmes et politiquementillogiques, parfois asociales. D’autres, parcontre, applaudissent, par nostalgie et uto-pie, et y distinguent les signes précurseursde futures révolutions planétaires !

En tous les cas, ces mouvements d’indi-gnés ne laissent personne indifférent et for-cent à prendre position, à réagir pour sou-tenir ou condamner. Même s’ils ne mobili-sent pas encore les opinions publiques, ilscréent l’évènement et attirent l’attentionmédiatique, permettant de mettre des

éclairages sur des situations sociales mar-ginalisées, ouvrant des débats, suscitantdes réflexions plus critiques. “Ça peut ser-vir à faire bouger les choses !” entend-t-onsouvent, sans que ceux qui le disent ensoient vraiment convaincus. Résolus etdéterminés, ils semblent vouloir effective-ment ‘faire bouger les choses”. Beaucoupsans savoir trop comment, ni avec quelsmoyens, animés et armés seulement deleur seul désir de changement !

En attendant de se transformer en fer delance révolutionnaire, ils servent surtout àalerter les opinions, à réveiller les citoyensde leur léthargie, à troubler le confort desclasses politiques et pousser éventuelle-ment à quelques changements. Ce qui estdéjà beaucoup dans des sociétés embour-geoisées et démocratiquement sclérosées,où les sursauts citoyens, fussent-ils éphé-mères et épisodiques, sont à la fois rares etnécessaires. Ce sont des communautéssociales de conscience plus que des groupes ou mouvements politiques.L’indignation peut prendre une forme insur-rectionnelle, emprunter un langage insur-rectionnel sans conduire nécessairement àl’insurrection révolutionnaire véritable. Cequi s’est passé en Egypte, en Tunisie, enLybie sont des révolutions et dépassent deloin le stade de l’indignation simple. Lechangement n’est pas l’Histoire. Passer del’indignation à l’insurrection nécessite pourles indignés l’adhésion effective des mas-ses populaires et des opinions publiques,un mode d’organisation politique véritable,un programme de revendications dans les-quelles tout le monde se reconnaît, etc. Etcela nécessite du temps et des moyens.Pour le moment, tout le monde n’a pas envie que ça bouge et change. Pour

l’essentiel des gens, c’est sympathique,mais cela concerne surtout des catégoriessociales dont ils ne se sentent pas néces-sairement solidaires collectivement. C’estun spectacle qu’ils regardent en specta-teurs ou téléspectateurs, en passant (envoiture ou à pied), maudissant parfois lesbouchons qu’il provoque, ou à la maisondevant leur télé.

Malgré tout, les “indignés” montrent ce qu’ilfaut au minimum avoir le courage de faireaujourd’hui, à défaut de pouvoir changer laréalité : refuser de cautionner les scandalespermanents du monde et le non-sens denos sociétés, de nos politiques publiques,économiques et sociales. Et c’est uneforme de résistance qui mérite le respect.“L’homme révolté” n’est-il pas celui qui ditnon ? L’indignation, sans être une insurrec-tion, peut avoir la valeur d’un acte politiquesuffisamment symbolique et fort pour pousser à agir.

Pour l’heure, malheureusement, elle n’estqu’une forme active de notre propreimpuissance. C’est ce qui est possiblequand, désormais, toutes les autres voiesinsurrectionnelles semblent closes et qu’ilmanque de l’audace, des perspectives, del’imagination et de la témérité. Et c’estaussi ce qu’il nous reste à faire pour chan-ger notre conscience d’un monde, qu’ilnous est de plus en plus impossible à chan-ger.

La politique peut être certes romantique,mais il est temps de se convaincre que lesindignations et les imprécations ne suffisentplus. Doit-on pour cela faire la révolution ?Il faut admettre qu’on est loin de la coupeaux lèvres.

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Philippe BOSSAERTSJean-Antoine DE MUYLDERAnne DEGOUISIsabelle EMMERYFrancis GODAUXAriane HASSIDChristine MIRONCZYKMichel PETTIAUXJohannes ROBYNCédric VANDERVORSTMyriam VERMEULEN

Fabrice VAN REYMENANT

Juliette BÉGHINMathieu BIETLOTMario FRISOThomas LAMBRECHTSSophie LEONARDAlexis MARTINETAbabacar N’DAWCedric TOLLEY

Conseild’Administration

Direction

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EDITEUR RESPONSABLEAriane HASSID

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