Orthographe Grammaticale et Justification Orthographique d’Enfants de 8 et 11 Ans

2
Orthographe Grammaticale et Justification Orthographique d’Enfants de 8 et 11 Ans Annie Piolat Michèle Caleca CREPO, Université de Provence, Aix, France En français, l’orthographe de la terminaison du verbe est flexionnelle car elle dépend du contexte syntaxique dans lequel le verbe est inséré. A chaque fois qu’un scripteur doit orthographier une terminaison verbale, il développe une stratégie basée sur des connaissan- ces générales et des connaissances opératives. L‘installation d’une telle stratégie est difficile en raison même de la complexité de ces connaissances. En effet, sous l’influence de I’appren- tissage scolaire, le jeune scripteur doit au minimum: 1) dépasser les problèmes liés à la cor- respondance phonographique; 2) repérer les relations fonctionnelles entre les mots composant une phrase; 3) installer une stratégie de recherche et d’analyse d’indices; 4) décider de la gra- phie du verbe au vue de cette analyse. Nous faisons l’hypothèse que selon son niveau sco- laire (CE2 vs. CM2) et son niveau orthographique, les difficultés rencontrées par les enfants se situent à des étapes différentes de ce calcul cognitif. 1. Méthode La très grande variété des contextes syntaxiques possibles du verbe a été restreinte a quel- ques cas de figure: 12 verbes à orthographier se terminant par le son «é» dont 4 sont à I’impar- fait, 4 employés comme participe passé, 4 à l’infinitif. Le matériel expérimental consistait en un récit comportant 12 trous correspondant à ces 12 verbes. Chacun des enfants (20 enfants forts et faibles de 8 ans et 20 autres forts et faibles de 10 ans) a effectué 3 tâches: 1) écrire les 12 verbes manquant après avoir lu le texte et deviné ces verbes; 2) expliquer verbalement pour chacun de ces verbes pourquoi il a choisi cette orthographe (on a retenu du discours de l’enfant les évocations d’indices ainsi que leur analyse grammaticale en terme de genre, nombre et personne); 3) répondre aux questions qui lui permettent de formuler les procédures- -recettes apprises à l’école afin de trouver l’indice. 2. Résultats 2.1 Nombre d’indices verbalisés e f formulation d’une procédure-recette Les enfants forts de CE2 ainsi que tous les enfants de CM2 justifient l’orthographe de la terminaison des verbes en faisant appel à un indice puisé dans le contexte linguistique du verbe. En revanche, les enfants de CE2 faibles en orthographe n’évoquent pratiquement pas d’indices. Les procédures sont dans l’ensemble peu évoquées. Elles ne le sont pratiquement pas par les enfants de CE2 faibles. Ces résultats montrent que les enfants de CE2 faibles en orthographe éprouvent encore trop de difficultés à réaliser la correspondance-phonographique lors de l’écriture du verbe. Connaissant mal les relations fonctionnelles entre les mots, ils ne recherchent pas d’indices et n’évoquent pas les procédures-recettes qu’ils connaissent peu ou bien ne savent pas utiliser.

Transcript of Orthographe Grammaticale et Justification Orthographique d’Enfants de 8 et 11 Ans

Orthographe Grammaticale et Justification Orthographique d’Enfants de 8 et 11 Ans

Annie Piolat Michèle Caleca CREPO, Université de Provence, Aix, France

En français, l’orthographe de la terminaison du verbe est flexionnelle car elle dépend du contexte syntaxique dans lequel le verbe est inséré. A chaque fois qu’un scripteur doit orthographier une terminaison verbale, il développe une stratégie basée sur des connaissan- ces générales et des connaissances opératives. L‘installation d’une telle stratégie est difficile en raison même de la complexité de ces connaissances. En effet, sous l’influence de I’appren- tissage scolaire, le jeune scripteur doit au minimum: 1) dépasser les problèmes liés à la cor- respondance phonographique; 2) repérer les relations fonctionnelles entre les mots composant une phrase; 3 ) installer une stratégie de recherche et d’analyse d’indices; 4) décider de la gra- phie du verbe au vue de cette analyse. Nous faisons l’hypothèse que selon son niveau sco- laire (CE2 vs. CM2) et son niveau orthographique, les difficultés rencontrées par les enfants se situent à des étapes différentes de ce calcul cognitif.

1. Méthode

La très grande variété des contextes syntaxiques possibles du verbe a été restreinte a quel- ques cas de figure: 12 verbes à orthographier se terminant par le son «é» dont 4 sont à I’impar- fait, 4 employés comme participe passé, 4 à l’infinitif. Le matériel expérimental consistait en un récit comportant 12 trous correspondant à ces 12 verbes. Chacun des enfants (20 enfants forts et faibles de 8 ans et 20 autres forts et faibles de 10 ans) a effectué 3 tâches: 1) écrire les 12 verbes manquant après avoir lu le texte et deviné ces verbes; 2) expliquer verbalement pour chacun de ces verbes pourquoi il a choisi cette orthographe (on a retenu du discours de l’enfant les évocations d’indices ainsi que leur analyse grammaticale en terme de genre, nombre et personne); 3) répondre aux questions qui lui permettent de formuler les procédures- -recettes apprises à l’école afin de trouver l’indice.

2. Résultats

2.1 Nombre d’indices verbalisés e f formulation d’une procédure-recette

Les enfants forts de CE2 ainsi que tous les enfants de CM2 justifient l’orthographe de la terminaison des verbes en faisant appel à un indice puisé dans le contexte linguistique du verbe. En revanche, les enfants de CE2 faibles en orthographe n’évoquent pratiquement pas d’indices.

Les procédures sont dans l’ensemble peu évoquées. Elles ne le sont pratiquement pas par les enfants de CE2 faibles.

Ces résultats montrent que les enfants de CE2 faibles en orthographe éprouvent encore trop de difficultés à réaliser la correspondance-phonographique lors de l’écriture du verbe. Connaissant mal les relations fonctionnelles entre les mots, ils ne recherchent pas d’indices et n’évoquent pas les procédures-recettes qu’ils connaissent peu ou bien ne savent pas utiliser.

52 A. PIOLAT & M. CALECA

2.2 Occurrences d’indices justes et faux Les enfants forts de CM2 évoquent beaucoup d’indices justes et fort peu de faux. Ceux

de CE2 forts signalent plus d’indices justes que de faux. Les enfants de CM2 faibles en orthographe verbalisent presque autant d’indices justes que faux et, enfin, les faibles de CE2, parient très rarement et surtout mal des indices.

A la suite de ces résultats, on peut avancer que les enfants forts en orthographe de CE2 et de CM2 savent faire fonctionner les procédures-recettes, repérant ainsi plus souvent l’indice juste. Les enfants de CM2 faibles trouvent fréquemment un indice faux car ils utili- sent des procédures-recettes inadéquates.

2.3 Occurrences d’analyses de l’indice justes et fausses Les enfants de CM2 forts proposent une bonne analyse de l’indice évoqué. Ceux de CM2

faibles et de CE2 forts en orthographe ont des difficultés à verbaliser l’analyse de l’indice trouvé. Ainsi, l’apprentissage de la grammaire scolaire plus long pour les enfants de CM2 faibles que pour les forts de CE2, n’a pas permis à ces premiers de franchir l’une des diffi- cultés les plus importantes du calcul orthographique: extraire des informations pertinentes contenues dans l’indice.

2.4 L*exactitude de la terminaison On observe une bonne réussite pour les CM2 forts en orthographe, moyenne pour les

enfants forts de CE2, moins bonne encore pour les faibles de CM2 et particulièrement mau- vaise pour les enfants de CE2 faibles en orthographe.

2.5 Occurrences d’indices justes, bien analysés et aboutissant à une orthographe juste En fin de scolarité primaire, une grande part des enfants ont de la difficulté à maîtriser

simultanément, la recherche de l’indice pertinent, son analyse grammaticale et l’orthographe de la terminaison verbale qui en découle.

Chacune des étapes du calcul orthographique que doit effectuer un enfant pour décider de la terminaison du verbe est maîtrisée très différemment selon son âge et son niveau ortho- graphique. Il est capital pour un enseignant de mieux connaître la nature des difficultés ren- contrées par l’enfant afin de l’aider à franchir toutes ies étapes du calcul orthographique. Si il est trivial de constater qu’en CM2, les enfants ont une activité métalinguistique plus performante que celle des enfants de CE2, en revanche, les résultats des enfants forts de 8 ans est notable Ces derniers semblent anticiper ce que doit leur apporter ultérieurement l’apprentissage scolaire; ils polarisent leur attention sur les relations syntaxiques entre les mots en cherchant des indices utiles, manifestant ainsi un développement métalinguistique plus rapide que ne le laisserait penser les résultats de J. Boutet et al. (1983).

Pour approcher le calcul orthographique sous-jacent, nous avons fait verbaliser les enfants. Nous ne pensons pas qu’il y a une totale correspondance entre le cheminement inté- rieur de l’enfant l’amenant à une décision orthographique et ce qu’il peut en dire. Toute- fois, force est de constater qu’en donnant leurs explications, les enfants ont très peu fréquemment corrigé ce qu’ils avaient écrit; correction qu’un discours lointain du calcul effec- tué aurait pu engendrer. La tâche métalinguistique de justification est un moyen précieux d’obtention d’informations, les connaissances sur les stratégies orthographiques étant encore bien trop rares (Ariaux-Maraux, 1985; Branca & Piolat, 1980).

Références

Ariaux-Maraux, 1. (1985). Choix orthographiques de dysorthographiques. Pratiques, 46, 67-76. Bouta, J., Gauthier, F., & Saint-Pierre, M. (1983). Savoir dire sur la phrase. Archives de Psychologie, SI, 205-228. Branca, S., & Piolat, M. (1980). L’acquisition de l’orthographe: état d’une recherche. Études et documents (n.” spé-

cial «orthographe»). Université du Québec à Montréal, 5-29.