Omar Calabrese l'Art de l'Autoportrait 3

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HAP T Alfred Hitchcock avant la lettre 38 Jan Van Eyck Les t.poux Arno/fini, 1434 Huile sur bois, 81,8 x 59,7 cm Londres, National Gallery L'AUTOPORTRAIT COMME NOTE EN MARGE LA DISSIMULATION D'un point de vue logique, l'étape immédiatement consécutive à celle de l'autoportrait générique - ou « typique», pour reprendre la définition de Ranuccio Bianchi BandinelljlB -, est celle de l'autoportrait in assis- tenza, c'est-à-dire situé parmi les personnages des pein- tures d'histoires de grandes dimensions, profanes ou religieuses. I.:artiste y dissimule son image, tantôt sous celle d'un personnage qui prend part à l'action, tantôt sous celle d'un observateur de la scène. Le premier cas relève des anecdotes sur les artistes depuis l'Antiquité: nous avons déjà fait allusion au procès qui aurait été intenté à Phidias pour avoir glisSé son effigie sur le bou- clier de la statue de culte d'Athéna Parthénos (œuvre perdue mais dont ont été conservées plusieurs copies romaines, à partir desquelles a été exécutée une reconsti- tution en bronze). Selon Plutarque, Phidias serait le personnage chauve représentant Dédale, situé en haut à gauche: « Phidias était en butte à l'envie à cause de la réputation de ses œuvres, et notamment parce qu'en représentant sur le bouclier de la déesse le combat des Amazones, il y avait ciselé une figure à sa ressemblance, sous la forme d'un vieillard chauve qui soulève une pierre avec ses deux mains et qu'il y avait mis une très belle image de Périclès combattant contre une Ama- zone. Le geste de la main, qui brandit une lance devant les yeux de Périclès, est habilement représenté et semble vouloir cacher la ressemblance qui apparaît cependant des deux côtés. Phidias, traîné en prison, y mourut de 49

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«Alfred Hitchcock avant la lttre» é um dos capítulos da obra de Omar Calabrese sobre o aotu-retrato

Transcript of Omar Calabrese l'Art de l'Autoportrait 3

  • HAP T

    Alfred Hitchcock avant la lettre

    38Jan Van EyckLes t.poux Arno/fini, 1434Huile sur bois, 81,8 x 59,7 cmLondres, National Gallery

    L'AUTOPORTRAIT COMME NOTE EN MARGE

    LA DISSIMULATION

    D'un point de vue logique, l'tape immdiatementconscutive celle de l'autoportrait gnrique - ou typique, pour reprendre la dfinition de RanuccioBianchi BandinelljlB -, est celle de l'autoportrait in assis-tenza, c'est--dire situ parmi les personnages des pein-tures d'histoires de grandes dimensions, profanes oureligieuses. I.:artiste y dissimule son image, tantt souscelle d'un personnage qui prend part l'action, tanttsous celle d'un observateur de la scne. Le premier casrelve des anecdotes sur les artistes depuis l'Antiquit:nous avons dj fait allusion au procs qui aurait tintent Phidias pour avoir glisS son effigie sur le bou-clier de la statue de culte d'Athna Parthnos (uvre

    perdue mais dont ont t conserves plusieurs copiesromaines, partir desquelles a t excute une reconsti-tution en bronze). Selon Plutarque, Phidias serait lepersonnage chauve reprsentant Ddale, situ en haut gauche: Phidias tait en butte l'envie cause de larputation de ses uvres, et notamment parce qu'enreprsentant sur le bouclier de la desse le combat desAmazones, il y avait cisel une figure sa ressemblance,sous la forme d'un vieillard chauve qui soulve unepierre avec ses deux mains et qu'il y avait mis une trsbelle image de Pricls combattant contre une Ama-zone. Le geste de la main, qui brandit une lance devantles yeux de Pricls, est habilement reprsent et semblevouloir cacher la ressemblance qui apparat cependantdes deux cts. Phidias, tran en prison, y mourut de

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  • maladie ou, selon d'autres, du poison que lui firentprendre les ennemis de Pricls, de faon en rejeter laresponsabilit sur l'homme d'tat. ,,19

    Le topos littraire de Plutarque connat une voguenouvelle au XV1' sicle. Giorgio Vasari, dans la secondedition des Vies (1568), Y fait allusion plusieursreprises. Mais il attribue la pratique du portrait cach(ou cryptoportrait) deux matres de la peinturegothique, Cimabue et Giotto. Cimabue aurait donn sestraits un personnage latral de la Crucifixion de labasilique suprieure de Saint-Franois d'Assise (vers1278-1279). Giotto, lui, aurait plac son autoportraitprsum dans les rangs des lus la droite du Christ, en

    U.39 bas du Jugement dernier de la chapelle Scrovegni dePadoue (1306) : c'est le quatrime personnage partirde la gauche, coiff d'un bonnet blanc. Vasari se sertd'ailleurs de cette figure pour illustrer la biographie del'artiste. Il n'y a plus trace dsormais du jugement moralexprim par l'Antiquit. Le cryptoportrait est devenuune simple curiosit, voire un exercice de virtuosit. Lapratique de l'autoportrait implique, chez les artistes quicherchent incontestablement exprimer une consciencede leur nouveau statut, une nouvelle affirmation de soi

    et l'autoportrait est dsormais un genre dfinitivementimpos. C'est d'ailleurs dans la Florence de Vasari, unsicle plus tard, que le grand-duc Lopold de Mdicisentreprend en 1664 sa grande collection d'autoportraitsd'artistes, collection qui a perdur jusqu' notre poque,devenant la plus importante au monde.

    Le mme artifice avait dj t mis en uvre plusieurs reprises la fin du Moyen ge. Il est couram-ment admis, par exemple, que la figure encapuchonneplace l'extrme droite du bas-relief des Funrailles dela Vierge, sur le tabernacle d'Orsanmichele Florence(vers 1359), est un autoportrait d'Andrea di CioneArcangelo, dit l'Orcagna. Le sculpteur souabe PeterParler place son propre buste dans le triforium de lacathdrale de Prague (vers 1370-1379), parmi les vingt-quatre bustes des bienfaiteurs associs la construction del'difice. Quant L'Assomption de la Vierge du SiennoisTaddeo di Bartolo, conserve dans la cathdrale deMontepulciano, la tradition veut que la figure du saintThadde de la prdelle, qui reprsente la dcouvertedu tombeau vide de la Vierge, soit un autoportrait del'auteur (qui aurait jet son dvolu sur son saint patronet son homonyme).

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    Peter ParlerAutoportrait, vers 1370-1379Grs, 50-60 cmPrague. cathdrale Saint-Guy,bas triforium

    42Andrea di CloneArcangelo.dit l'OrcagnaLes Funrailles de laVierge, vers 1359PierreFlorence, Orsanmichele

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    43Benozzo GozzoliLe Cortge des Mages. 1459FresqueFlorence, palais MdicisRiccardi, chapelle

    Mais pourquoi cette mise en uvre de la dissi-mulation ? Un premier motif, de nature strictementthmatique, porte sur les genres artistiques, en peinturenotamment. Leon Battista Alberti affirme vigoureuse-ment dans le De Pictura (1435-1436) que le butsuprme de la peinture doit tre la reprsentation d'unehistoire: {( L'uvre majeure du peintre, c'est l'histoire,les parties de l'histoire sont les corps, la partie du corpsest le membre, la partie du membre est la surface (II,33,5-7). Et plus loin: {( Chistoire que tu pourras justetitre louer et admirer sera celle qui se montrera agrableet orne d'attraits qui lui permettront de retenir long-temps les yeux d'un spectateur savant ou ignorant parune espce de plaisir et un mouvement de l'me (II, 40,11-15). Enfin: {( Chistoire touchera l'me des specta-teurs lorsque les hommes qui y sont peints manifeste-ront trs visiblement le mouvement de leur me. C'esten effet la nature, o toute chose est avide de ce qui luiressemble, qui veut que nous pleurions avec ceux quipleurent, riions avec ceux qui rient, souffrions avecceux qui souffrent (II, 41, 20-25)20 Les autresgenres (le paysage, le portrait, la nature morte, etc.")

    Benozzo GozzoliAutoportraitDtail de l'illustration 43

    ne seront considrs comme des genres autonomes qu'auXVII' sicle; encore resteront-ils des genres secondaires;leur statut n'est pas encore bien dfini au XVI' sicle,bien que le portrait soit devenu d'usage courant. Lareprsentation de soi ne peut donc s'inscrire qu' l'int-rieur d'une scne narrative plus vaste, au sein delaquelle elle n'a qu'un caractre tout fait secondaire.Les histoires cnoniques sont celles commandespar l'glise ou par le pouvoir public: ce sont des repr-sentations de sujets religieux, de grands cycles symbo-liques, des pisodes importants de l'histoire civile puis,sous l'influence de l'humanisme, de la mythologie clas-sique ou de lgendes fabuleuses. Si l'artiste veut s'yintroduire, il est oblig de choisir un rle marginal,celui d'un participant anonyme, d'un {( figurant .

    Une seconde raison concerne la permanence dusentiment d'hybris hrit de l'Antiquit. Nous voulonsparler d'un jugement moral sur l'attitude de l'artiste l'gard de ses uvres personnelles, jugement appel totalement disparatre dans un bref laps de temps,comme nous le verrons plus longuement au prochainchapitre. Au dbut du xV' sicle tout au moins, il existe

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    45Lorenzo GhibertiPorte du Paradis, 1447-1448BronzeFlorence. Baptistre

    ED i Tet- COCK AVANT LA LETT E

    toujours. L:insertion de l'effigie personnelle de l'auteurest, une fois encore, un substitut de la signature, et savaleur est celle d'un tmoignage plutt qu'une revendi-cation d'autographie. On en a un exemple parfaitementclair dans Le Cortge des Mages (1459), fresque de Ill.4l,4-lBenozzo Gozzoli pour la chapelle du palais Mdicis-Riccardi Florence. L'artiste se trouve au milieu ducortge, le regard dirig vers le spectateur et son nomest inscrit trs lisiblement sur son bonnet rouge.

    Les signatures en image sont galement fr-quentes en sculpture. Sur la face postrieure des portesde bronze de la basilique Saint-Pierre Rome (1445),Antonio Filarete appose une plaque o il se reprsenteen compagnie des six membres de son atelier, tenantdans la main gauche le compas, attribut du mtierd'architecte: l'inscription en relief se lit ANTONIUS ETDISCIPULI MEl. C'est au droit de la porte nord (1425)et de la Porte du Paradis du Baptistre de Florence (1447-1448), que Lorenzo Ghiberti choisit, en revanche, de Ill. 45placer son visage mais sur le rebord, en dehors desscnes histories. L'emplacement rserv l'auteurreste, l encore, marginal et ornemental, comparable celui des scribes au sicle prcdent. On remarque tou-tefois une diffrence importante entre les deux imagesdu sculpteur: dans le premier cas, sa tte apparat ausein d'une frise vgtale de quatrefeuilles; dans lesecond, il s'agit d'une image scutiforme (imago clipeata),autrement dit d'un buste inscrit dans un mdaillon, qui ason origine dans la statuaire antique, o elle tait rser-ve aux reprsentations des dieux, puis des empereursromains. Le sens de l'honneur que l'artiste s'attribue lui-mme s'est certainement accru.

    Un troisime motif courant de dissimulation estde caractre rhtorique. La tendance nouvelle au ra-lisme, accentue par l'humanisme, attribue une impor-tance nouvelle au principe de naturel, dans l'artcomme dans la vie. Baldassare Castiglione en fait unidal de comportement pour le parfait homme de courdans le Livre du courtisan (1535), par opposition avecl'affectation. Et Giorgio Vasari traduit cette nouvelleattitude en peinture, invitant l'artiste choisir des posesnaturelles pour ses personnages et privilgier la sim-plicit pour la matire et la construction de ses encadre-ments. Les autoportraits, tout bien considr, sontdissimuls en vertu d'un choix stylistique, dont nousverrons certaines consquences au prochain chapitre.

  • JEUX ET EFFETS DE VIRTUOSITTECHNIQUE

    Une fois codifi le modle du cryptoportrait, la pratiquecommence immdiatement par en dvier la significa-tion et en remettre en jeu le mcanisme et les consti-tuants. Une telle dmarche, on peut le supposer, est lacaractristique mme de l'art: une fois un type tabli,on tente de le renverser afin d'en explorer les ressources

    en matire d'innovation. Et nous trouvons en effet dansla peinture nordique, ds le xv< sicle, une manire trsoriginale de cacher l'autoportrait. Le cas le plus exem-plaire est celui de Jan Van Eyck. Sur l'un des portraitsles plus clbres de l' histoire de la peinture, celui despoux Amolfini (1434), en haut du tableau - ou sur lemur du fond, ou peut-tre suspendue au-dessus de latte des deux poux? - figure l'inscription Johannes deEyck fuit hic. La phrase, bien la considrer, est une

    46Jan Van EyckAutoportraitDtail de l'illustration 38

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  • 47Jrme BoschLe Jardin des Dlices. 1510Panneau de droite, L'Enferdu musicien, huile sur bois.220 x97 cmMadrid. museo dei Prado

    simple lgende; quel qu'en soit le sens, elle est redon-dante par rapport la peinture, puisque celle-ci lacontient dj en image. Elle en fixe plutt la significa-tion et la souligne. Mais quelle signification? quoicorrespond ce hic ? Premire hypothse, il signifie: ici, dans la pice. le personnage masculin pourraittre l'artiste lui-mme, prsent au mariage en tantqu'poux (cette hypothse, si faible soit-elle, a cepen-dant bel et bien t avance par la critique). Deuximehypothse: ici, dans la scne. l.:artiste soulignerait lefait qu'il a cr un portrait d'aprs nature, que les indi-vidus reprsents ont pos devant lui. Troisime hypo-thse: ci-dessous. Sous l'inscription apparat en effetun miroir, qui reflte le dos des personnages et le murinvisible du point de vue du spectateur. Sur ce murs'ouvre une porte et, par cette porte, jetant timidementun coup d'il dans la chambre, paraissent deux person-nages, dont l'un pourrait tre le peintre lui-mme (doncson autoportrait). Quatrime hypothse: ici, dans letableau. . l'inscription se rfrerait uniquement l'uvre et serait donc, en dpit de son caractre ambigu,une simple signature faisant partie de la scne (commeles carte/linos caractristiques de l'art flamand du xv' etdu XVI' sicle), ou encore grave , en quelque sorte,sur la surface de l'uvre. Quelle que soit l'hypothseprivilgie et quelle que soit la vrit de l'vnementrelat, chacune des hypothses prsentes demeureplausible. l.:inscription, en somme, ne fixe rien d'autreque sa propre ambigut. Celle-ci, d'ailleurs, est peut-tre originelle: l'autoportrait et la signature dnoncentleur paralllisme smantique, comme nous l'avons vuau chapitre prcdent.

    le Portrait des poux Amolfini renferme gale-ment une certaine veine ironique, puisqu'il reprsentel'artiste de faon minuscule et marginale et qu'il accorde la signature, preuve de l'autographie, une importancedisproportionne. l'autodrision rejoint le sarcasme

    Ill.47 avec le triptyque du jardin des Dlices (1510), l'uniquetableau de Jrme Bosch dans lequel la critique a vouluvoir, sous diffrents aspects, il est vrai, un autoportraitdu peintre. Au centre du panneau intrieur droit, inti-tul l'Enfer du musicien, apparat le grand corps tripar-tite de celui que l'on appelle le monstre alchimique :les jambes, faites de deux troncs d'arbre creux, reposentsur deux barques, le torse est une coquille d'uf bris,la tte a pour couvre-chef une cible plate surmonte

    d'une grosse cornemuse rose. Certains auteurs, telOtto Benesch", ont vu dans son visage, le seul raliste,un autoportrait du peintre. D'autres, avec Charlesde Tolnay", proposent une interprtation psychana-lytique de l'uvre et prfrent soutenir que la visiontout entire est un songe, qu'elle tourne autour d'unventuel rveur et que l'artiste ne peut tre que le petitpersonnage accoud au bord du corps-coquille d'uf,qui n'est soumis aucune action violente ou luxurieuseet qui se trouve au beau milieu de la scne.

    L'AUTOPORTRAITCOMME PARTICIPATION AU SACR

    Certains exemples d'autoportraits cachs que nousavons tudis jusqu' prsent montrent l'artiste dissi-mul dans un groupe de participants un vnementou une crmonie religieuse. Cimabue assiste laCrucifixion, qui est peut-tre l'acte fondateur de la pen-se chrtienne. Giotto figure parmi les lus du Juge-ment dernier. Gozzoli prend part au cortge des Mages.l'Orcagna assiste aux funrailles de la Vierge, TaddeoBartolo son Assomption et Filarete au supplice desaint Pierre. bien y regarder, toutefois, cette situationest la plus courante et la plus caractristique de l'auto-portrait in assistenza et ses origines sont probablementtrs anciennes: certaines formes de portrait (engypte, par exemple) taient en effet rserves unique-ment ceux qui pouvaient avoir un contact avec lesdieux. la prsence de l'artiste, en somme, se justifiecomme un acte de dvotion, l'gal de celle des dona-teurs (dont les portraits commencent prcisment apparatre dans les tableaux en ce mme dbut duXV" sicle, ce qui n'a rien de fortuit). C'est une caractris-tique fondamentale du christianisme, du christianismeoccidental surtout, que de considrer la reprsentationen images des sujets religieux comme l'une des fonc-tions principales de l'art. Depuis l'poque d'Origne(III' sicle aprs J-c.), le christianisme avait rvalul'importance des artistes et avait justifi la fonctiondes arts figuratifs, celle d'un catchisme destin auxillettrs, l'criture en images H les premires imagesmdivales de l'artiste, que nous avons cites au premierchapitre, se prsentent d'ailleurs comme des actes deprire ou d'offrande (matre Matteo, Volvinius, Guda).

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  • MasaccioLe Tribut, 14251427FresqueFlorence. chiesa dei Carmine

    Filippo LippiLe Couronnementde la Vierge, 1441-1447Dtrempe sur bois,200 x 287 cmFlorence, galerie des Offices

    50Filippo LippiAutoportraitDtail de l'illustration 49

  • GO

    51Filippo LippiLes Funraillesde saint tienne, 1464-1465Fresque et temperaPrato, cathdrale, chapelledu chur

    Il convient de signaler, en outre, que rien ne distinguel'autoportrait dans un groupe, ni signature ni inscrip-tion, exception faite du cas de Gozzoli que nous avonscit. La reconnaissance nat presque toujours d'uneconjecture, ou se fonde sur une tradition plus ou moinsimaginaire. l.:acte de dvotion, en effet, est l'origine unacte totalement priv.

    Parmi les exemples les plus clbres relevant decette typologie, nous pouvons citer les principauxpeintres du Quattrocento, surtout les Italiens (et lesFlorentins en particulier). Tommaso di ser Giovanni di

    Mone Cassai, dit Masaccio, se serait reprsent dansLe Tribut (1425-1427), fresque du cycle de la chapelle III 48Brancacci de l'glise du Carmine Florence, sousl'apparence du dernier personnage droite du cercledes Aptres, vtu d'un manteau rouge. La traditionnat avec Vasari, qui mentionne explicitement l'auto-portrait de Masaccio excut l'aide d'un miroir< On reconnat en l'un des Aptres, le dernier, l'auto-portrait de Masaccio fait l'aide d'un miroir, si russiqu'il parat vivant) et, du coup, J'habitude est ned'identifier le personnage avec saint Thomas par

  • 18homonymie avec l'auteur de la fresque. vrai dire,Vasari se montre assez vague quant l'emplacementexact de ce portrait et nombre ont prfrvoir Masaccio dans le jeune homme de grande tailledebout droite, aux cts de saint Pierre, sur la fresquedu dessous, La Rsurrection du fils de Thophile et SaintPierre en chaire. Cette identification contredit la phrasede Vasari selon laquelle l'autoportrait aurait t ex-cut l'aide d'un miroir (le personnage est de profil)mais elle est plus plausible, car le regard de ce person-nage anonyme est dirig vers le public.

    Trois autoportraits prsums de fra Filippo Lippiprsentent une similarit d'emplacements et d'attitudesqui ne saurait tre fortuite, Lippi tant influenc parMasaccio et Masolino l'poque de ses dbuts au cou-vent du Carmine de Florence. Dans Le Couronnement dela Vierge, peint entre 1441 et 1447, le peintre apparatagenouill gauche, le regard dirig vers le spectateur,la tte appuye sur la main, comme s'il voulait traduirevisuellement la figure rhtorique de la rticence. Ilreparat en assistant anonyme, mais toujours tournvers le spectateur, dans les Funrailles de saint tienne

    52Filippo LippiAutoportraitDtail de l'illustration 51

    III 49. 50

    Ill. 51

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    53Filippo LippiDtail. La Dormitionde la Vierge, 1467-1469FresqueSpolte, cathdrale

    54.Filippino LippiDtail. 5cnes de I viede saint Pierre, 1481-1483FresqueFlorence. chiesa deI Carmine

    de 1464-1465, fresque du cycle des Scnes de la vie desaint tienne de la cathdrale de Prato. En revanche, ilse prsente frontalement, presque au centre de la scnede la Donnition de la Vierge, appartenant au cycle des Ill. 53Scnes de la vie de la Vierge de la cathdrale de Spolte,peut-tre la dernire grande fresque peinte entre 1467et 1469, peu avant sa mort.

    Filippino Lippi, le fils de Filippo, reprend lemotif de la position latrale, marginale et demi dissi-mule (mais le regard dirig vers le spectateur) dans lafresque de Saint Pierre et saint Paul devant le proconsul et Ill. 54La Crucifixion de saint Pierre 0481-1483), excutepour la chapelle Brancacci du Carmine. Stylistique-ment, la peinture n'est plus influence par Masolino etMasaccio, mais se rapproche plutt de la manire deBotticelli, personnalit artistique dominante dans laFlorence de l'poque. Au cours des mmes annes,semble-t-il, Domenico Bigordi, dit Ghirlandaio, intro-duit son autoportrait prsum dans la chapelle Toma-buoni de Santa Maria Novella: ce serait l'avant-dernierpersonnage sur la droite de la fresque de Joachim chass Ill. 55du Temple (1483-1486).

    Le thme apparalt galement plusieurs reprisesdans la peinture flamande. Hans Memling se serait repr-sent sur le panneau intrieur gauche du Triptyque Donne Ill. 56(vers 1470). Le peintre encore jeune apparat derrireune colonne, au fond de la scne, et jette, presque timi-dement, un coup d'il vers saintjean-Baptiste portantl'agneau: expression plus accentue encore du senti-ment de modestie avec lequel il s'est dpeint.

    Si Florence, vritable patrie del'autoportrait in assistenza, il faut admettre que l'auto-portrait dissimul le plus caractristique de l'huma-nisme est peut-tre en fin de compte celui de SandroFilipepi, dit Botticelli, dans L'Adoration des Mages Ill. 57, 58(1475). L'uvre constitue par ailleurs un vritable ras-semblement des personnalits minentes de la Florencemdicenne, depuis Cosme l'Ancien, sous les traits duroi Gaspard prsentant son offrande la Vierge, jusqu'audonateur, Giovanni di Zanobi deI Lama, en passant partoute la famille des Mdicis - Jean, Julien, Laurent,Pierre le Goutteux - et par quelques intellectuels m-rites de la cour florentine - Pic de la Mirandole, AngePolitien. Le dernier personnage, droite, offre unexemple typique de torsion en direction du miroir. Ils'agit donc, l encore, d'un figurant , d'une personne

  • 55Domenico Bigordi,dit GhirlandaioDtail. Joachim chassdu Temple. 1483-1486FresqueFlorence, glise santa MariaNovella

    56.Hans MemlingTriptyque Donne, vers 1470Panneau de gauche,huile sur bois. 70,8 cmLondres, National Gallery

  • 57Sandra BotticelliL'Adoration des Mages, 1475Dtrempe sur bois.111 x 134 cmFlorence. galerie des Offices

    66 '\L RED ri TCHCOCK AVANT ... A LETTRE

    Sandra BotticelliAutoportraitDtail de l'illustration 57

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    59Andrea MantegnaLa Prsentation au Temple,1453Dtrempe la colle sur toile.68,9 x 86,3 cmBerlin, Gemaldegalere,Staatliche Museen

    60Giovanni BelliniLa Prsentation au Temple.1460Tempera sur bois, 80 x 105 cmVenise, palazzo Querni-Stampalia

    de l'assistance, mais l'attitude, la majest de la figureentire, la richesse de la toge jaune, dnotent de la partde l'artiste la conscience d'un rle honorifique dsor-mais extrmement important.

    Le schma du personnage tourn vers le specta-teur et ayant les traits de l'auteur se retrouve frquem-ment dans la peinture vnitienne. Les deux tableaux deGiovanni Bellini et de son beau-frre, Andrea Mantegna,consacrs un mme sujet, La Prsentation au Temple,en offrent un double exemple parallle. Le tableau deMantegna (1453) est le premier et, selon la tradition, il III 59aurait un caractre nettement autobiographique: nonseulement l'artiste aurait fait son autoportrait dans ledernier personnage demi dissimul l'extrme droite,mais il aurait galement reprsent sa femme, icolo-sia, l'extrme gauche, l'occasion de leur mariage quieut justement lieu en 1453. Giovanni Bellini occupe III 60une position identique sur le tableau de la collectionQuerini-Stampalia de Venise (1460). Toutefois, les his-toriens de l'art ne sont pas d'accord sur les dates res-pectives des deux tableaux et l'interprtation selonlaquelle celui de Mantegna serait le prototype decelui de Bellini a donc t battue en brche, mettantainsi en doute son aspect autobiographique.

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    L'ARTISTE COMME COMMENTATEUROU ADMONITEUR

    Dans la majeure partie des cas (nous en avons entrevucertains au paragraphe prcdent), l'auteur joue lerle de commentateur, prescrit par Alberti dans leDe Pictura; l'histoire de l'art appelle admoniteur cepersonnage qui instaure un contact avec le spectateuret lui indique comment l'uvre doit tre regarde: Ilme plat que dans l'histoire reprsente il y ait quel-qu'un qui attire l'attention des spectateurs sur ce qui sepasse, que de la main il appelle le regard ou, comme s'ilvoulait que cette affaire ft secrte, qu'avec un visagefarouche et des yeux menaants, il les dissuade d'avan-cer ou qu'il indique l quelque danger ou quelque chose admirer ou encore que, par ses gestes, il t'invite

    c

    rire de concert ou pleurer en mme temps qu'eux.,,"Luca Signorelli, suivant la lettre la prescriptiond'Alberti, se prsente lui-mme comme le narrateur"(l'admoniteur) dans la fresque de l'Histoire de l'Ant-christ (1499-1502) appartenant au cycle de la chapelleSan Brizio dans la cathdrale d'Orvieto. Sur le ctgauche de la scne, mais spar de celle-ci par sa situa-tion en avant de l'arcature peinte en trompe-l'il, quicomplte l'architecture relle, le peintre (accompagnd'un autre personnage) se tourne de trois quarts vers lespectateur et regarde en direction du point de vue.

    Ce rle de l'admoniteur s'explique par le biais dupome de Dante: Signorelli est une espce de Dante,accompagn de Virgile, qui sert d'intermdiaire entre lavision apocalyptique et la ralit actuelle des fidles quil'interprtent.

    61Luca SignorelliHistoire de j'Antchrist,1499-1502FresqueOlVieto, cathdrale

    Luca SignorelliAutoportraitDtail de l'illustration 61

  • Mais le matre dans cet exercice de guide}} pourla lecture du tableau est indiscutablement AlbrechtDrer, auquel on doit de trs nombreux autoportraits(prs de cinquante, peintures et dessins), tmoignagede la conscration du genre. I.:artiste allemand introduitson autoportrait en qualit de narrateur de la scnedans trois de ses grands tableaux: La Fte du Rosaire(1506), Le Martyre des DixMille (1508) et L'Adorationde la Sainte Trinit (1511). Dans le premier et le troi-sime, le peintre est seul, dans le deuxime il est accom-pagn par un ami, peut-tre l'humaniste Conrad Celtis,et porte un manteau franais achet Venise. commeon peut le lire dans ses notes. Son regard est tournvers le spectateur sur le mode de l'interpellation''. Dans

    72 ALFRED H TCHCOCK AVANT LA LETTRE

    Le Martyre des Dix Mille, nous retrouvons la situationdj vue avec Signorelli (l'artiste en vidence au sein dela composition). Drer toutefois la conjugue avec unnouveau procd, celui du cartellino bien visible, por-tant sa signature et la date, laquelle s'ajoute mme,dans La Fte du Rosaire, la dure d'excution du tableau:exegit quinquemestri spatio < j'ai achev [l'uvre] enl'espace de cinq mois ). Dans L'Adoration de la SainteTrinit, le cartellino, devenu cartouche, semble une stlegrave, ct de laquelle il se tient debout. De cettefaon, non seulement Drer place sa signature ct deson effigie mais il russit entrer et sortir son gr del'espace pictural: le cartellino, insr en perspectivedans la reprsentation picturale, est soumis ses

    Albrecht DrerLa Fte du Rosaire, 1506Huile sur bois, 162 x 192 cmPrague, Narodni Galerie

    Albrecht DrerLe Martyre des Dix Mifle,1508Huile sur bois, transpossur toile, 99 x 87 cmVienne, KunsthistorischesMuseum

  • rgles mais, en mme temps, puisqu'il contient uneinscription, il fait rfrence la surface plane; quant l'autoportrait, il s'intgre parfaitement l'intrieur de lascne, tandis que l'insistance du regard appelle le spec-tateur situ l'extrieur.

    Ce type de mcanisme met en lumire le carac-tre thorique de la fonction de l'admoniteur voulu parAlberti et, plus forte raison, de celle de l'autoportraitqui en joue le rle. Dans les disciplines linguistiques, ilfaut obligatoirement se rfrer la thorie de l'noncia-

    74 -l TCHCOCK A\ T T E

    tian. Le principe gnral est que n'importe quel nonc(et une image en est un) explicite ou dissimule le simu-lacre de l'acte discursif qui l'engendre. Lorsque l'noncrvle le sujet qui parle (ou produit l'image) noussommes en prsence des marques qui mettent encontact la production du texte avec sa rception etl'nonc est un vritable discours. Lorsque les marquessont dissimules ou caches, le discours se transformeen histoire". Du point de vue visuel, tous les traits qui mettent en contact la production de l'uvre (et le

    Albrecht DurerL'Adoration de la sainte Trinit,1511Huile, sur bois, 135 x 123,4 cmVienne. KunsthistorischesMuseum

    Pietro Vannucci.dit le PruginDtail. L'Annonciation, 1500FresqueProuse, Collegio dei Cambio

  • regard sur le monde qui a t la matrice de l'uvreelle-mme) et sa rception (autrement dit le regard duspectateur dirig sur le texte) sont des marques del'nonciation: yeux dirigs vers le spectateur, gestesd'indication, torsion du corps vers l'extrieur, etc. Maisles artifices techniques qui manifestent l'existence dutableau en tant que tableau en sont aussi: la rfrence la planit de la surface, contrastant avec la prtendue profondeur de la scne, celle au cadre qui ferme etcirconscrit l'espace pictural, celle l'espace extrieur parle biais de la saillie et du trompe-l'il et ainsi de suite.

    L'AUTOPORTRAIT HONORIFIQUE

    Un type particulier d'autoportrait dissimul apparat la fin du Quattrocento. Il s'agit de l'autoportrait dit honorifique , parce qu'insr dans un cadre rel ougraphique. Nous en avons dj vu un exemple avec le

    III 45 portrait de Lorenzo Ghiberti la Porte du Paradis duBaptistre de Florence. L'effigie de l'artiste renvoie aumotif classique du ponrait sculpt des personnagesminents, et place le sujet en vidence par rapport aucontexte dans lequel il s'inscrit. Le succs de cette confi-guration dpend certainement du fait que le portraitpriv sur commande est entr dans l'usage commun.L'autoportrait tend au mme but: laisser la postritune trace de l'existence et des mrites de la personnereprsente. Deux exemples appartenant l'cole sien-noise et ombrienne de la Renaissance peuvent tre citsen raison de l'originalit et de l'efficacit de la solutionretenue; il s'agit de Pietro Vannucci, dit le Prugin, et deBernardino di Betto, dit le Pinturicchio, qui fut son lve.

    Les fresques peintes par le Prugin pour le Colle-gio dei Cambio Prouse (celles des murs, la votetant peinte la dtrempe) sont consacres aux vertuscardinales et aux personnalits du monde antique et dumonde chrtien qui les ont incarnes; leur date d'ex-cution se situe entre 1498 et 1500. Sur la partie bassedu mur de gauche, du mme ct que la porte-fentrequi donne accs la salle de l'Audience, le Prugin a

    Il1.66 peint un autoportrait imitant un tableau encadr, sus-pendu la colonne (feinte, elle aussi) par une grossecordelette rouge fixe un clou. Sous le tableau simul,une plaque encadre (toujours peinte fresque) portele nom du peintre < Petrus Peresinus Egregius Pietof )et une srie de vers latins. On y lit: Perdita si Juerat

  • pingendi/Hic rettulit artem/Si nusquam inventa est/hac-tenus ipse dedit (
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    SUITES MODERNES ET CONTEMPORAINES

    Avec le dveloppement de l'autoportrait indpendant, lemodle de l'autoportrait dissimul dans un groupe serade moins en moins rpandu. Il rapparatra cependantde temps en temps, par dsir d'excentricit, par gotpour les exercices de virtuosit, ou simplement commeune manifestation de modestie de la part de l'artiste (sisoucieux qu'il soit de sa propre promotion). ous enverrons certaines dclinaisons particulires dans lesprochains chapitres: Raphal introduit son autoportrait l'extrmit de L'cole d'Athnes, Michel-Ange se III 70dpeint, secrtement op par autodrision, dans le ]uge- III 267ment dernier, Ghirlandaio prend les traits de Josephdans la Nativit, Vronse devient un musicien des III 81.69Noces de Cana et bien d'autres encore. Il n'est pas inutilede dcrire plus en dtail certains exemples maniristes,baroques et modernes en raison de leur caractre spci-fique: voquer l'autoportrait in assistenza par rfrence un modle ancien. Cet aspect constitue la preuve de lamise en place de la typologie que nous venons d'ana-lyser et de la codification dont elle a t l'objet.

    l.:uvre du Pinturicchio, l'intrieur de la fresqueIII 67. 68 de l'Annonciation dans l'glise de Sainte-Marie-Majeure

    de Spello, est presque contemporaine: on peut la daterde 1502 environ. L'artiste reprend exactement leschma de son matre, et son portrait parat suspenduau mur de la domuncula dans laquelle la Vierge reoit lavisite de l'ange. La plaque, analogue elle aussi, porte seu-lement son nom (

  • Raphal['tcoled'Athnes, 1509-1510Dtail. Fresque. base: 7.70 mVatican. chambrede la Signature

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    Federico ZuccariLe Saint Peuple de Dieu, 1576FresqueFlorence, glise Santa Mariadei Fiore

    Le premier exemple, rsolument sensationnel, estcelui de Federico Zuccari avec la scne du Saint Peuple

    IlU! de Dieu (1576), dans le compartiment ouest du Juge-ment dernier, la vote de la coupole de Santa Maria delFiore de Florence. Le cycle avait t commenc parGiorgio Vasari, qui l'avait interrompu l'approche de lamort (1574). Selon son programme iconographique,conu par Vincenzo Borghini, auteur de plusieurs traitsthoriques, le peuple de Dieu devait inclure lespoux, les veufs, les pauvres, les riches, les paresseux, lestravailleurs, de tous ges, de tout sexe et de tout rangqui, dans leur innocence, vivent dans la crainte deDieu 29. Les dessins prparatoires de Vasari reprsen-taient des personnages gnriques, bibliques ou paens,repris de l'Antiquit classique selon le code de l'poque.Mais Zuccari bouleverse dlibrment l'iconographie,peut-tre dans un dsir de comptition avec son vieuxrival, et substitue la foule des lus gnriques sa proprefamille tout entire, ainsi qu'un vaste groupe d'amis et

    de mcnes (dont, videmment, les Mdicis, VincenzoBorghini et mme le pauvre Giorgio Vasari). Endehors du peintre, au centre, en position prminente,on reconnat son frre an, Taddeo, sa mre et diffrentsmembres de sa trs large famille. L'artiste s'est reprsenten peintre (avec palette et pinceaux), selon un modlequi n'est pas encore pleinement en vogue, portant surson pourpoint une date (1576) et une inscription quil'identifie [FEDERI ZUCH). La partie de la fresque o ilfigure est plus facile apercevoir par rapport au matre-autel, du ct oppos au Christ-Juge. Nous nous trou-vons en somme devant un vritable monument lagloire de Federico Zuccari. Ce dernier ne fait pourtantque reprendre le procd inaugur par Michel-Ange qui,dans le Jugement dernier de la chapelle Sixtine, avaitplac au sein de la cohorte des bienheureux des person-nages clbres appartenant diffrentes civilisations,mais aussi des contemporains et des amis chers (oumme des personnages hostiles, tel l'Artin).

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  • Ill)

    DomenicoTheotokopoulos,dit le GrecoLa Sainte Famille avecsainte Elisabeth, 1580-1585Huile sur toile. 182 x 191 cmTolde. Museo de Santa Cruz

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  • Un autre exemple, tout fait oppos, non de pro-sopope mais de modestie, est offert par le Greco, quifait son autoportrait (il est vrai que la critique n'est pasunanime sur ce point) sous les traits de saintjoseph

    ILL 72 dans La Sainte Famille avec sainte lisabeth (1580-1585). Il existe une rplique du tableau prsentant lamme composition, et deux oeuvres de jeunesse, assezvoisines mais ne comportant pas le personnage desaint Joseph.

    L'identification un personnage modeste etsomme toute marginal dans l'histoire du Christ, le pre adoptif, charpentier de son mtier (autrementdit, pratiquant l'un de ces arts mcaniques aunombre desquels le Moyen ge comptait prcisment lapeinture) est sans aucun doute une manire deconstruire la figure rhtorique de la litote: dire moinspour dire plus. Surtout si l'on tient compte du fait quele Greco n'est pas un simple dvot ou un assistantquelconque dans une scne sacre: il est l'un des prota-gonistes, secondaire si l'on veut, de la scne elle-mme.

    Frans Hals, enfin, apparat de faon trs insolitedans le tableau consacr aux Arquebusiers de Saint-Georges (1639). Sa prsence a indniablement unaspect ironique. Hals est en effet l'un des principauxreprsentants du portrait corporatif hollandais, familieraux guildes, confrries et dirigeants d'une administra-tion et, avant d'tre inscrit la guilde de Saint-Luc, ilavait d'ailleurs compt au nombre des arquebusiers dela garde civique de Saint-Georges, dix ans avant depeindre le tableau. Mais, dans la circonstance, Hals nefaisait plus partie de la garde et, en outre, sa rmunra-tion tait calcule sur la base du nombre de figures repr-sentes. Dans cette norme composition, o les dix-neufpersonnages sont grandeur nature, l'autoportrait a donct pay selon un mode dtermin: l'auteur, pourrait-on dire, a un peu trich sur le prix.

    En conclusion, il nous semble intressant de citerdeux exemples de rfrence l'autoportrait in assistenzadatant du XIX' sicle. James Ensor a fait son autoportrait,de faon quasi maniaque. Sa vision tragique de la vie l'a

    73Frans HalsLes Arquebusiersde saint-Georges, 1639Hulesurtoile, 218x421 cmHaarlem, Frans Hals Museum

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  • 74James EnsorAutoportrait aux masques,1899Huile sur toile. 117 x 82 cmAichi, Menard Art Museum

  • nasques,

    7 x82 cmMuseum

    75Paul DelvauxVille endormie. 1938Huile sur toile. 135 x 170 cmCollection prive

    cependant conduit traduire le genre sous un modetotalement sarcastique. Son interprtation tend trans-former le sentiment d'affirmation de soi, implicite dansl'autoportrait, en son contraire, la dramatisation nga-tive. Avec le tableau l'Autoportrait aux masques (1899),l'artiste opre un vritable retournement du principe del'effigie cache. La foule des personnages, au milieu des-quels se trouve l'auteur, exhibe des visages dissimulspar des masques surralistes. On en dduit l'ide que lavie n'est qu'apparence superficielle, rcitation d'un rle,

    et que l'artiste est plong dans ce cadre universel. Autrecitation trs brillante, celle de Paul Delvaux, qui appa-rat gauche, sur le seuil d'une porte, sous les traits dela figure pntrant de profil dans la Ville endormie ILL. 75(1938 )30. Le schma de construction de la peinture esttrs similaire celui que nous avons entrevu chez Mem-ling. Les guillemets de Delvaux sont peut-tredoubles: d'une part ceux qui interprtent le motif ancien,d'autre part ceux qui identifient l'une de ses sourceschez le peintre flamand, compatriote de Delvaux.

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