Omar Calabrese l'Art de l'Autoportrait 3

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AP R L'AUTOPORTRAIT COMME SIGNE DE L'AUTONOMIE INTELLECTUELLE l pse me finxit 125 partir d'une bonne description du genre « portrait ». C'est seulement d'une théorie du portrait que l'on pourra en effet déduire la genése de l'autoportrait et les éventuelles contradictions qui pourraient surgir par rapport à celui-ci. Nous retracerons donc, dans ce cha- pitre, les transformations du portrait, mais nous les illustrerons par des exemples d'autoportrait afin d'en souligner l'absolu parallélisme typologique. L'histoire, la mythologie, la théorie et la pratique du portrait ont toujours été caractérisées par une certaine binaritê à l'intérieur de laquelle les cas concrets oscillent en permanence. Nous pouvons d'ores et déjà discerner TERMES Jusqu'à présent, les œuvres sur lesquelles nous avons porté notre attention ne représentent qu'une facette de l'autoportrait à proprement parler. Si nous considérons plus attentivement les définitions générales qui ont été exposées dans le premier chapitre, nous devons bien admettre que nous n'avons suivi, pour l'instant, que la piste de l'expression générique de l'identité et celle de la signature, par l'entremise d'une image de soi, de l'œuvre d'art. Il nous manque encore ces caractères qui font de l'autoportrait une typologie à part entière. Se pose, à ce point de la réflexion, un problème historique dont l'importance est loin d'être négligeable. On a noté que l'autoportrait comme genre autonome s'affirme entre 1450 et 1550, parallèlement à la catégorie qui l'inclut, à savoir: le portrait". Pour en comprendre mieux le statut et l'évolution, il paraît nécessaire de Giorgio Vasari Autoportrait, après 1550 Huile sur bois, 100,5 X80 cm Florence, galerie des Offices '\li 117

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«Ipse me Finxit» é um dos capítulos da obra de Calabrese

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  • AP R

    L'AUTOPORTRAIT COMME SIGNE DE L'AUTONOMIE INTELLECTUELLE

    lpse me finxit

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    partir d'une bonne description du genre portrait .C'est seulement d'une thorie du portrait que l'onpourra en effet dduire la gense de l'autoportrait et lesventuelles contradictions qui pourraient surgir parrapport celui-ci. Nous retracerons donc, dans ce cha-pitre, les transformations du portrait, mais nous lesillustrerons par des exemples d'autoportrait afin d'ensouligner l'absolu paralllisme typologique.

    L'histoire, la mythologie, la thorie et la pratique duportrait ont toujours t caractrises par une certainebinarit l'intrieur de laquelle les cas concrets oscillenten permanence. Nous pouvons d'ores et dj discerner

    TERMES

    Jusqu' prsent, les uvres sur lesquelles nous avonsport notre attention ne reprsentent qu'une facette del'autoportrait proprement parler. Si nous considronsplus attentivement les dfinitions gnrales qui ont texposes dans le premier chapitre, nous devons bienadmettre que nous n'avons suivi, pour l'instant, que lapiste de l'expression gnrique de l'identit et celle de lasignature, par l'entremise d'une image de soi, del'uvre d'art. Il nous manque encore ces caractres quifont de l'autoportrait une typologie part entire. Sepose, ce point de la rflexion, un problme historiquedont l'importance est loin d'tre ngligeable. On a notque l'autoportrait comme genre autonome s'affirmeentre 1450 et 1550, paralllement la catgorie quil'inclut, savoir: le portrait". Pour en comprendremieux le statut et l'volution, il parat ncessaire de

    Giorgio VasariAutoportrait, aprs 1550Huile sur bois, 100,5 X80 cmFlorence, galerie des Offices

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  • L'origine tymologique et l'origine historique du por-trait ne sont pas les seules rvler l'existence d'unebipolarit. Son origine mythique, elle aussi, peut treramene deux caractristiques opposes: le portrait deprofil et le portrait de face. I.:origine du premier rside,avec de menues variantes, dans le mythe de la jeunefille amoureuse qui, tirant parti de l'ombre du visage del'tre aim projete sur un cran, en dessine le contourpour en garder le souvenir". L'origine du second rsidedans le mythe de Narcisse qui admire sa propre imagereflte dans l'eau''. On aura bien sr not que ces deuxrcits sont tous deux des mythes d'origine, qui n'ontdonc rien voir avec la gense historique du portrait ou

    MYTHES D"ORIGINE

    Mrite galement d'tre mentionn un dialoguesocratique de Xnophane dans lequel il est question d'unartiste qui commence par rejeter l'ide de donner auxportraits des connotations psychologiques individuellesmais finit par s'en convaincre, sous la pression des argu-ments du philosophe". On connat bien, par ailleurs, laremarque de Pline au sujet des innovations de Lysistrate(

  • avec la peinture en gnral (Alberti et Vasari les consi-drent d'ailleurs comme tels). Walter Benjamin rappe-lait juste titre que l'origine ne dsigne pas le devenirde ce qui est n mais bien ce qui est en train de natredans le devenir et le dclin. L'origine est un tourbillondans le fleuve du devenir, et elle entrane dans sonrythme la matire de ce qui est en train d'apparatre 43Dans le cas qui nous occupe, le mythe d'origine repr-sente, pour ainsi dire, deux manires d'entendre lanature de l'autoportrait.

    Le profil reprsente la narration historique: il estcaractris par une production d'images qui donnentl'impression de parler d'elles-mmes, objectivesqu'elles sont devant l'observateur potentiel, des imagesdans lesquelles la trace de la main de l'auteur est cache,voire efface, du statut de la silhouette, vritableempreinte du visage portraitur qui exige la prsencesimultane de l'objet ( travers son ombre) et du traitqui le (re)trace sur une surface. Nous retrouvons prci-sment ce type d'image aux origines de l'autoportrait.l.:un des tout premiers cas d'autoportrait, au XV' sicle,

    Illl18 est en effet constitu par une mdaille de Leon BattistaAlberti ralise vers 1435 sur la base - si l'on en croit latradition - d'une peinture ou d'un dessin que l'auteuraurait excut quelque temps auparavant. Le fait qu'ils'agisse d'une mdaille renvoie la tradition romainequi veut que l'on produise des images la mmoire dupersonnage reprsent. Ainsi, la mmoire est le fonde-ment du portrait, mais l'existence concrte du person-nage reprsent, elle, est garantie par la stratgierfrentielle de l'image. Nous pourrions dire, pour citeret paraphraser la clbre formule de Ernst Gombrich44au sujet des grandes catgories de la reprsentationvisuelle (la carte et le miroir), que le profil est unmodle cartographique . Prcisons tout de suitecependant que, lorsque nous parlons de {{ stratgie rf-rentielle (et cela vaut aussi pour Gombrich lorsqu'ilparle de la carte ou du modle cartographique), nousn'entendons aucunement par l que le profil auraitncessairement quelque chose voir avec l'objet relauquel renvoie la reprsentation visuelle. Il s'agit plu-tt d'une {{ simulation qui n'a aucun rapport avec laralit existante - un aspect que les dfinitions de Vin-cenzo Danti voquent clairement: Ainsi, en exami-nant, spculant et raisonnant, on s'engage sur la voie del'imitation et en notre esprit se cre la forme parfaite,

    119Annibale CarracheAutoportrait de profil,vers 1595Huile sur toile, 46 x38 cmFlorence,galerie des Offices

    120Paul GauguinAutoportrait, 1896Huile sur toile,40,5 x 32 cmParis, muse d'Orsay

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    correspondant l'intention de la nature, que nous cher-chons ensuite illustrer avec le marbre, les couleurs oules autres matriaux que nos arts utilisent. "5

    Tout au long de l'histoire de l'art, le type du bustede profil restera en quelque sorte l'un des universauxde l'autoportrait , comme en tmoignent trois uvres,issues de diffrents sicles, qui en conservent intacte la

    Ill.119 forme: l'autoportrait d'Annibale Carrache (vers 1595),Ill. 120 celui de Paul Gauguin, de 1896, et celui de Giorgio

    De Chirico, de 1911.L:imitaon, en d'autres termes, est un processus

    spculatif et discursif, qui comporte deux phases: lastructuration d'une forme du contenu ou d'une imagementale (la chose. telle que la nature aurait vouluqu'elle ft) devient un signe, tant mise en figure (c'est--dire mise en corrlation avec une forme del'expression) par le biais d'une matire. La dfinion dela reprsentation raliste (comme si la ralit se mon-trait elle-mme, sans mdiation) n'est gure diffrente,mais elle s'y oppose en tant que discours (la mdiationd'un interprte): L:arste qui veut reprsenter telle outelle chose, sans spculer ou discourir sur l'tat de lachose, cherche seulement mmoriser ce qu'il voit avecles yeux (et dans ce cas, la mmoire s'exerce puisque,

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    Jean FouquetAutoportrait, 1450Cuivre, mail peint et or,diamtre: 6,8 cmParis, muse du Louvre

    une fois la chose vue, elle garde en elle l'image decelle-ci) pour cet espace que les mains et les yeux del'arste vont mettre en uvre.

  • PORTRAITS

    Les deux sries sous-tendent une oppositionsingulier/universel mais aussi, dans le mme temps,une autre opposition fondamentale: historique/non-

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    faceidalabstraitlgalsacrclestetypologiquespculairesymboliquesubjectifcontemplatif

    profilvraisemblableconcretexistantprofaneterrestrephysionomiquecartographiqueindicatifobjectifmnmonique

    Cette dernire citation dfinit assez bien le caractre del'art du portrait en gnral, un caractre bipolaire, dupoint de vue de la conception fonctionnelle. Ainsi,toute l'histoire du portrait mdival s'organise d'unemanire assez rigide autour des figures de face et deprofil'" Le portrait de face est celui de l'hommergnant, qu'il soit lac ou religieux. C'est un portraittype, abstrait, non ressemblant, parce qu'il reprsentemoins l'homme que la charge mais aussi parce qu'ilreprsente ce dernier dans une phase spcifique de savie et de son corps terrestre, 33 ans - les 33 ans dutype portrait du Christ . Le portrait de profil, lui, estun portrait plus terrestre et plus lac. Il est rserv unautre genre d'ayants droit : les fondateurs de l'glise,grands bienfaiteurs et donateurs qui tmoignent par l,d'une certaine manire, de leur coprsence l'objet etse transforment en auteurs de ce qu'ils reprsentent,exactement comme s'ils en taient les commanditaires.D'autres profils lacs entrent dans l'histoire traversleur reprsentation en portrait: les auteurs d'uvres(surtout les crivains), mais aussi les copistes et lesminiaturistes qui signent ainsi les codex enluminsenleur qualit de copiste et de miniaturiste. La pratiquednote elle aussi une solide conscience - ou, pourrait-ondire, une comptence pragmatique - de cette binaritprofillface qui semble tre un fait essentiellementsmantique. Essayons d'analyser deux sries de traitsappartenant aux deux sries de phnomnes que nousavons examins jusqu' prsent:

    Nous ne sommes plus, pour nous rsumer, enface de l'indication d'un tat de choses, mais en facede la dfinition d'une norme. Une norme linguistiquequi, dans le mme temps, dfinit d'autres lois pos-sibles: la loi divine, en premier lieu, avec la figurefrontale et hiratique du Christ Pantocrator; et la loid'tat, avec l'utilisation du mme modle en vue demieux tablir la souverainet (de nature cleste) duroi. Ce n'est pas un hasard si ce sont les portraits deface qui, au Moyen ge, sans le moindre souci de res-semblance, tablissent la garantie du pouvoir et de laloi. Les portraits exposs dans les salles o l'on rend lajustice sont des portraits de face. Les portraits figurantsur les monnaies royales et impriales (on pense parexemple l'effigie de Guillaume [" d'Angleterre qui nediffre de celle de son successeur, Guillaume Il, quepar l'ajout du nombre ordinal) sont trs souvent desportraits de face. Enfin, la double fonction du portrait(existence/lgalit) tait connue depuis bien long-temps: Paulin de Nole n'crivait-il pas, ds le v' sicle: Quel portrait veux-tu que je t'envoie, celui del'homme terrestre ou celui de l'homme cleste? 1... ]Je rougis de me peindre tel que je suis, je n'ose pas mepeindre tel que je ne suis pas47?

    Jean-HonorFragonardAutoportraitPerre noire,diamtre: 12,9 cmParis, muse du Louvre

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    123Hans Baldung GrienAutoportrait, vers 1S02Plume et pinceau sur papier,22x16cmBle, Kunstmuseum,Kupferstichkabinett

    Jacopo Robusti.dit le TintoretAutoportrait, 1587Huile sur toile, 62 x 52 cmParis. muse du Louvre

    historique. Ces deux oppositions sont riches de cons-quences. La seconde l'est tout particulirement, en rai-son de son vidente proximit avec la formulationconnue d'mile Benveniste, selon laquelle il existe deuxtypes de textes opposs, partir de la stratgie noncia-tive des textes mmes, l'histoire et le discours'" oussavons depuis Benveniste que le plan de l'histoire secaractrise par l'absence - ou mieux l'apparente exclu-sion - des traces de la prsence de celui qui parle.L'nonc, en somme, ne fait rfrence qU' lui-mme, etnon des lments qui se trouvent hors de l'nonc. Lediscours, au contraire, implique la stratgie oppose, larfrence une situation externe l'nonc et contem-poraine sa production. Profil et face correspondentassez bien aux deux types jusqu'alors dcrits d'auto-portrait. Le portrait de face implique la simultanit entrela pose et le spectateur. Il y a un personnage qui nousregarde: nous pouvons identifier le fait qu'il nous regardeuniquement pendant que nous le regardons; nous repro-duisons, ce faisant, la situation de l'change de paroles.

    Le schma de la reprsentation frontale avec leregard du portraitur tourn vers le spectateur parcourt,lui aussi, toute l'histoire de l'art. Deux exemples datantdu XVI' sicle prouvent assez que ce schma s'est trs ttimpos. Le premier est un dessin de Hans BaldungGrien excut vers 1502 sur papier gris avec, pour Ill. IIIcomposer le chapeau, des rehauts de vernis blanc. Lesecond est le clbre autoportrait de Jacopo R()busti dit Ill. 12'le Tintoret, dat 1587, qui nous montre un artistedsormais g, pleinement conscient de son assurance.Le schma perdure aussi, presque inchang, au fil dessicles, au moins du point de vue du cadrage et de laposition du visage. Il suffit pour s'en convaincre d'obser-ver l'un des autoportraits de Gustave Moreau, celui, par Ill. 116exemple, qu'il a peint l'encre de Chine sur toile vers1870, ou l'un des tout premiers tableaux de Jackson Ill. 115Pollock, excut en 1930-1933, alors qu'il avait peine20 ans: cette uvre de petit format conserve encore lesparamtres fondamentaux du genre, mme si la tonalitsombre attnue l'expression et le regard.

    Examinons d'un peu plus prs la signification dela reprsentation frontale. La notion de frontalit implique la co-existence de l'observateur (qui est horsdu tableau) et de l'observ (qui est l'intrieur). ousavons, en rsum, quelqu'un qui fait face quelqu'unqui est lui-mme affront, deux figures sollicites

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    125Jackson PollockAutoportrait, 1930-1933Huile sur toile. 18.4 x 13.3 cmCollection prive

    par la mme pose. Le profil, au contraire, n'exige pasnotre prsence de spectateur en tant que spectateur.Certes, le profil se donne voir un regard, mais pasncessairement au ntre. Il se peut que la pose, lesgestes et les regards prennent des directions quiconduisent en dehors du cadre, mais ce pas pourautant qu'ils orientent ncessairement vers l'extrieurdu discours. Ils renvoient ventuellement d'autres

    noncs, qui ne sont possibles qU' la condition d'unlargissement hypothtique de la limite (l'encadre-ment) du tableau.

    Mais quel genre d'histoire et quel type de discours les deux catgories que nous avons esquis-ses jusqu' prsent mettent-elles en jeu? Un lmentde rponse nous est fourni par la premire des deuxoppositions mentionnes ci-dessus: l'axe singulier/

  • 126Gustave MOl'"eauAutoportrait, 1870Encre de Chine sur toile,41x32cmParis, muse Gustave Moreau

    unre-

    ux

    universel, une opposition qui s'applique bien aux deuxtypologies mises en lumire et qui en rvle d'autresspcificits. En cartographiant la figure humaine, leportrait de profil montre un processus d'individuation.Le portrait de face, au contraire, gnralise par rapport l'individu qu'il reprsente. En d'autres termes, le pre-mier se distingue par sa fonction biographique et ph-nomnale, tandis que le second est caractristique d'une

    plus grande gnralisation. Ce que confirment d'ailleursles origines du portrait de profil, qui sont doubles etdoublement cohrentes avec ce que nous sommes entrain de proposer. La premire origine est la reprsenta-tion du donateur: c'est un tmoignage que nous pour-rions qual>fier de chronique dans le cadre d'unereprsentation allgorique. La seconde origine est le document social , c'est--dire le portrait qui s'insre

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    Antonellode MessineAutoportrait (prsum),vers 1473Huile sur bois. 35.6 x 25,4 cmLondres. National Gallery

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    Si l'on analyse quelques exemples relevant de laconfiguration (a), avec la tte tourne de trois quarts,on constatera trs vite que les variantes, dans le schmade l'autoportrait, ne concernent que le mouvement oula direction des yeux et l'expression faciale. Les yeuxpeuvent tre tourns soit vers le spectateur et signalersa prsence (plus encore que dans le schma frontal oles yeux pourraient aussi transpercer le spectateur versun imaginaire infini), soit vers un point imaginairesitu hors du cadre. L'autoportrait prsum d'Antonellode Messine nous en offre un bel exemple. Dans cetteuvre, qui date peut-tre de 1473, le mouvement ocu-laire est trs prononc. On retrouve un schma iden-tique dans deux autres cas fameux: un dessin attribu Michel-Ange, excut la plume sur papier et conselvau Louvre, et l'autoportrait, prsum lui aussi, deRaphal, dat de 1506 et conserv aux Offices. Il y adans la pose la mme immobilit faciale, mais le visage,lui, prsente une torsion plus marque vers l'obser-vateurl torsion qui exprime son caractre volontaire. Unsicle plus tard, le Bernin accentue dans son Autoportrait(vers 1635) le sens de la mobilit en agrandissant lg-rement le buste, tandis que Diego Velzquez parvient aumme rsultat en fonant le cadre ambiant: ainsi fait-ilmieux ressortir l'obliquit du regard tourn vers lespectateur (1639).

    La configuration (b), autrement dit le pomait enbuste avec mains immobiles, s'impose presque imm-diatement, partir de la fin du XV' sicle. Il est ais d'endiscerner les principaux atouts. Le personnage renforcela stabilit de sa pose: la statique du corps est en effetsouligne par celle des mains. Il augmente sa prsencedans j'espace: l'agrandissement du cadrage offre la pos-sibilit d'un traitement en perspective. La posture, bienque fixe, permet un plus grand nombre de variantes.Enfin, le protagoniste peut se prsenter en articulant saguise la relation entre visage et torse. Quelques exemplessuffiront illustrer la variabilit des poses. Lucas Cra-nach l'Ancien restitue la tridimensionnalit au moyende l'ombre gnreuse qui se dcoupe derrire lui(1550). Albrecht Drer introduit dans l'Autoportrait de1498 le motif de la fentre, motif qu'il emprunte l'artdu portrait flamand et qui permet d'ouvrir l'espace versune autre perspective, et celui du rebord sur lequel leportraitur peut poser bras et mains. Ce n'est donc pasun hasard si nous retrouvons cette mme composition

    Les deux catgories sur lesquelles nous venons de nousarrter avec une certaine insistance ne rendent pascompte, toutefois, de deux faits. Le premier: dansl'immense majorit des autoportraits, le sujet se pr-sente de trois quarts. Le second: les variantes de la posene portent pas seulement sur le mouvement rotatoiredu buste ou du visage mais aussi sur le format ducadrage, pour lequel nous pouvons discerner (enaccord avec Friedlander) cinq configurations:

    (a) la tte(b) le buste avec mains cadres et immobiles(c) la demi-figure avec mains parlantes(d) la figure de trois quarts(e) la figure entire.

    LA CONQUTE DE LA PROFONDEUR

    dans l'arbre gnalogique d'une famille ou s'changeentre correspondants qui ne se connaissent pas. Cettedernire pratique, largement rpandue dans le cadre desfianailles par procuration, concernait surtout lesfemmes qui, jusqu'au milieu du XV' sicle, taient rigou-reusement reprsentes de profil (de profil mais aussitournes vers la gauche pour mieux rappeler la positionqu'elles occupent devant l'autel et, partant, leur rleprdestin d'pouse). Il faut reconnatre que la signifi-cation de l'opposition profil/face, si elle a t confirmepar d'illustres historiens de l'art, tel John Pope-Hen-nessyso, ne l'a pas t par certains spcialistes du pomaitcomme Max Friedlander qui a eu pourtant le mrited'tre le premier proposer ces deux catgories, ainsique les termes de l'opposition mais qui, trangement,les a inverss. Friedlander, en effet, reconnat les fonc-tions {{ cartographique et paysagistique du portraitde profil et du portrait de face, et les relie la primautdu dessin dans le premier cas et celle de la peinturedans le second cas, mais dfinit philosophiquement leportrait de profil comme une {{ chose en soi et le por-trait de face comme un phnomne '1.

    Les deux modles que nous proposons pournotre part sont celui de la biographie (rcit historiqueet particularisant) et son contraire, celui du portraitvritable (discours en acte et universalisant), mme s'ilest souvent prsent comme un genre dominantedescriptive.

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  • 136 PS"

    '4128Attribu Michel-AngeAutoportraitDessin la plume,36.5 x 25 cmParis, muse du Louvre

    129'-RaphalAutoportrait (prsum), 1506Huile sur toile, 47,5 x 33 cmFlorence, galerie des Offices

  • Gian LorenzoBernini. dit Le BerninAutoportrait, vers 1635Huile sur toile, 62 x 46 cmRome, Galleria Borghese

    ... 131Diego VelazquezAutoportrait, 1639Huile sur toile, 45 x 38 cmValence, Museo Provincial

    132 ..Lucas CranachAutoportrait, 1550Huile sur bois, 64 x 49 cmFlorence, galerie des Offices

    133 ..Albrecht DrerAutoportrait, 1498Huile sur bois, 52 x 41 cmMadrid, museo dei Prado 139

  • dans l'aut0p0rErait prsum de Dieric Bouts, peut-treexcut vers 1462 et corrobor par l'existence d'undessin assez similaire. Le fait que ce type d'autop0rErait III 134s'affirme de plus en plus comme le modle pour unereprsentation officielle de soi s'explique par l'immobi-lit de la pose et son caractre potentiellement solenneLCe n'est pas un hasard, l non plus, si ceux qui y recou-rent se comptent parmi les arEistes trs confirms, laCour comme en socit. Prenons le cas de CharlesLe Brun: dans son Autoportrait ralis en 1683-1684, le III 135point d'appui sur lequel repose le bras serE ennoblir lafigure. Mais on peut citer d'autres exemples: celui deJean Auguste Dominique Ingres qui conserve, deux Ill137sicles plus tard, les mmes caractristiques ( 1858) ; ouencore celui d'Edgar Degas, excut durant la mme III 136priode (1855), dans lequel le traditionnel rebord estremplac, avec le mme effet, par un meuble.

    Il est clair que le cadrage de trois quarts est unesolution intermdiaire entre les deux grands types (faceet profil) par lesquels nous avons commenc cet exa-men du portrait. En premier lieu parce qu'il permet dejouer sur un mode assez subtil entre les deux stratgiesimpliques, la {{ cartographique et la {{ spculaire.En second lieu, parce qu'il introduit une variable quenous n'avons pas encore prise en considration: le rap-port entre figure et fond. L'autoportrait de trois quartsentre en relation avec une situation (dans le sens litt-ral du terme, de {{ position dans un lieu). Le tableau,en effet, s'approprie la profondeur et dans cette profon-deur conquise, le premier plan de la figure interagit avecle plan du fond qui fixe l'illusion spatiale du tableau. Lafigure se {{ meut dans un espace, ds lors que, par laperspective, elle interagit avec lui.

    Mais la conqute de la profondeur, c'est--dire del'espace pictural et du mouvement pictural, est lourdede consquences. La premire: d'un statut d'immobi-lit, nous passons une grammaire de l'action et unegrammaire des passions (les motions se traduisent enactions faciales et les gestes immobiliss en stro-types). preuve, ce passage extrait du trait de Lonardde Vinci, qui constitue un vrai petit catalogue des pas-sions en fonction des expressions - autrement dit, desmouvements - du visage: {{ Si les traits qui marquent lasparation entre les joues et les lvres, entre les narineset le nez, entre les yeux et les pommettes sont accuss,il s'agit d'hommes joyeux qui rient beaucoup; et ceux

    , .\ .'

    Dieric BoutsAutoportrait, vers 1460-1470Dessin sur papier,13,8 x 10,7 cmNorthampton, Massachusetts,Smith College Museum ofArt, The Drayton Hillyer Fund

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  • Ill. 134

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    Ill. 136

    .135Charles Le BrunAutoportrait, 1683-1684Huile sur toile. 80 x 65 cmFlorence, galerie des Offices

    136"Edgar DegasAutoportrait, 1855Huile sur toile. 81 x 64,5 cmParis, muse d'Orsay

    137 ..Jean AugusteDominique Ing ...esAutoportrait, 1858Huile sur toile, 62 x 51 cmFlorence, galerie des Offices

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  • qui les accusent peu sont engags dans la mditation;et ceux qui ont les parties du visage trs saillantes sontbestiaux et colreux. 52

    Seconde consquence: la conqute du mouve-ment dans un espace implique une articulation bienplus complexe de l'nonciation, c'est--dire de l'expres-sion de la subjectivit dans l'image. Gestes, regards,positions et points de vue autorisent de frquents et trssubtils changements de rgime entre l'nonc (ce quiest racont par les figures) et l'nonciation (la relationentre les figures et ceux qui les regardent), en vertu dufait, aussi, que la conqute du mouvement a une autreimplication thorique: l'instant immobilis dans letableau n'est plus une entit abstraite. Il est, prcis-ment, un instant, le point culminant d'une action quiprsuppose une dure, un pass et un futur, et quiannonce son tour la possibilit d'un changement dergime, de brusques sautes entre ce qui est racont dansle tableau et la relation entre le peintre et son public, enraison du jeu sur les temps et les lieux que le texte peutcommencer montrer. L'importance de plus en plusgrande accorde au temps dans le tableau, c'est--direau temps de la situation narre, va de pair avec l'impor-tance accorde au temps du tableau, c'est--dire au tempsde la production du tableau. Le concept d' instantduratif (un instant qui se prolonge dans le temps)implique invitablement un renvoi l'activit picturalequi produit la fixation de ce mme instant. L'accent surle temps de la peinture est, en somme, un accent sur lefaire pictural. Partant, la conqute de la spatialit/tem-poralit correspond galement une prise de possessionde la part de l'artiste (en tant qu'auteur) de son propreproduit. Une prise de possession matrielle, mais aussiet surtout thorique: la reconnaissance de l'auteur entant qu'auteur empirique, et la dfinition de l'auteur entant que tel.

    Revenons maintenant aux catgories de Friedlan-der et tournons-nous vers la configuration (c), celle dela demi-figure avec mains parlantes . Le terme mmede parlant suggre assez le fait que l'largissementdu cadrage conduit l'artiste donner une plus grandemobilit au protagoniste, qui commence donc par-ler par des gestes. Certes, cela n'a rien d'tonnantpuisque, ds le Moyen ge, la peinture a t capable decodifier la gestuelle des personnages reprsents dansles tableaux narratifs". Mais ce qui est nouveau, c'est

    Luca GiordanoAutoportrait, vers 1665Huile sur toile, 72,S x 57,5 cmFlorence, galerie des Offices

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    Philippede ChampaigneAutoportrait,copie due son neveu, 1668Huile sur toile, 120 x 91 cmParis, muse du Louvre

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  • que l'autoportrait se fait de plus en plus rcit et qu'ilpermet au protagoniste de parler de lui en parlantdepuis le tableau qui le reprsente. Initialement, lepeintre recourait la demi-figure avec mains parlantespour exprimer son travail de peintre. Nous verronsdans un prochain chapitre des exemples relatifs cetusage. Observons, en attendant, un ou deux cas plus

    ILL 117 particuliers. L'autoportrait de Giorgio Vasari, qui futexcut selon toute vraisemblance aprs la publicationde ses Vies en 1550, se sert de la position des mainspour marquer son activit d'crivain. Sur l'effigie de

    ILL 118 Philippe de Champaigne - celle que nous connaissonsest une copie due son neveu, excute en 1668 -, lamain droite est tourne vers la poitrine en geste desatisfaction et d'affirmation de soi. On trouve la mme

    Ill. ll9 posture dans l'autoportrait de Luca Giordano, excutvers 1665: l, le geste sert, en plus, souligner la pr-sence d'un collier, signe probable de quelque dcorationhonorifique ou, plus simplement, de sa foi religieuse. La

    Ill. 140 main droite de Jean tienne Liotard est certainement parlante elle aussi: dans son autoportrait dat vers1770, l'excentrique peintre genevois sourit au specta-teur. Il semble lui adresser un clin d'il et l'inviter regarder quelque chose qui se situe en dehors dutableau, peut-tre les uvres de son atelier. La mmeattitude, srieuse cette fois, se rencontre chez Anton

    Ill. 141 Raphael Mengs: sur son tableau de 1775, il se repr-sente le regard absent, en train de dialoguer avecquelque interlocuteur extrieur. Il indique une chosequi se situe devant lui, dans l'espace mme o se trouvele spectateur, une chose qui pourrait tre un dessinpuisque, dans la main droite, le peintre tient un albumd'esquisses.

    Avec la configuration (d), la figure de troisquarts, les possibilits narratives s'accroissent encore,du fait du gain d'espace supplmentaire. Il s'agit d'unmodle plus tardif, qui s'est impos avec la peinturebaroque et qui permet l'laboration de scnes ostensi-blement thtrales. Arrtons-nous, l aussi, sur quelques

    Ill. 142 exemples. L'autoportrait de Salvator Rosa, ralis en1641, nous montre un personnage mlancolique- nous pourrions mme dire hamltique , vu laconcidence des dates avec l'activit de William Sha-kespeare - qui tient dans la main droite une pierre surlaquelle sont gravs les mots aut tace aut loquere meliorasilentio. Cette inscription latine s'accorde parfaitement

    140

    Jean tienne LiotardUotard riant, vers 1770Huile sur toile. 84 x 74 cmGenve, muse d'artet d'histoire de la Ville

    141

    Raphael MengsAutoportrait, vers' 775Huile sur bois. 102 x 77 cmsaint-Ptersbourg,muse de l'Ermitage

    149

  • '4142

    Salvatol'" RosaAutoportrait, 1641Huile sur bois, 116,3 x 94 cmLondres, National Gallery

    143 ..

    Antoon Van DyckAutoportrad, vers 1620Huile sur toile,116,5 x 93,5 cmSaintPtersbourg,muse de l'Ermitage

    avec la philosophie de l'art de se taire en vogue auXV1\' sicle. L:attitude d'Antoon Van Dyck est aux anti-

    ILL t43 podes de celle de Rosa. Sur son autoportrait de jeu-nesse (vers 1620), le peintre se prsente vtu d'un belhabit de soie - son pre possdait un commerce floris-sant d'toffes prcieuses - dans la pose lgante d'uncourtisan, digne d'un bal la Cour (on remarquera le

    port de la main gauche qui prend appui sur la hanche).La main droite, fusele, aux doigts carts en signe denoblesse, touche une colonne tronque. Au vu de cedtail, certains historiens ont propos de dater letableau de 1622, l'anne de la mort de son pre, maisl'hypothse ne parat gure convaincante. Il s'agit peut-tre d'un autre signe philosophique }} sur la vanit de

    151

  • la vie (rappelons que Van Dyck tait issu d'une familleassez religieuse et que certains de ses frres et surstaient au couvent). La figure de trois quarts a connuun dveloppement important aux XIX' et XX' sicles, enraison de ses capacits narratives. On le constate ais-

    Ill. 144 ment avec le trs bel autoportrait d'Edgar Degas, datde 1863, dans lequel l'artiste apparat sur le point desortir ou de rentrer chez lui: dans la main droite, iltient une paire de gants ainsi que son chapeau qu'ils'apprte porter ou poser, tandis que la main gaucheest glisse dans une poche de son pantalon. Le peintre, l'vidence, recherche ici l'" instantan . Et l'on voitbien, dans ce tableau, l'intrt qu'il porte la dcompo-sition du temps et qui le conduira se passionner

    .Jll. 145 pour la photographie. L'autoportrait d'Amedeo Modi-gliani, qui constitue probablement la dernire uvre del'artiste (1919), est tout aussi" instantan . Le sujetest assis sur une chaise et tient sa palette dans la main

    Ill. 146 droite. Il n'en va pas de mme de la pose de GeorgGrosz, dans son autoportrait de 1927. Elle se veut plu-tt oratoire: son geste d'avertissement ne dpareraitpas dans un meeting politique.

    152

    .,44Edgar DegasAutoportrait, 1863Huile sur toile. 92,1 x 69 cmLisbonne, Museu CalousteGulbenkian

    "'145

    Amedeo ModiglianiAutoportrait, 1919Huile sur toile,105 x 100 cmSo Paulo. Museu de Arte

    146

    Georg GroszAutoportrait, 1927Huile sur toile,98x79cmBerlin, Berlinische Galerie

  • .. 147

    RembrandtAutoportrait au chien, 1646Huile sur toile, 66.5 x 52 cmParis. Petit Palais

    Thodore GricaultPortrait d'un artistedans son atelierHuile sur toile, 147 x 114 cmParis, muse du Louvre

    155

  • 156

    149 ..

    Jacob JordaensAutoportrait avec la famille,1621-1622Huile sur toile, 181 x 187cmMadrid, museo dei Prado

    ILL. 149

    Ill. 147

    ILL. 148

    ILL. 150

    La dernire catgorie (e) est celle de la figureentire. Les observations que nous avons formulesprcdemment quant la plus grande capacit deraconter s'appliquent mieux encore ce schma. Laconqute de l'espace est totale dsormais. Elle permet l'artiste d'largir les limites de la scne des lieuxextrieurs et de flanquer le personnage d'autres figuresimportantes pour ses relations sociales. On comprendque ce modle s'affirme, lui aussi, au XVII' sicle, commereprsentation de l'artiste et de sa famille. Trois cassont particulirement intressants: ceux de Pieter PaulRubens, Jacob Jordaens et Rembrandt HarmenszoonVan Rijn. Le premier a produit plusieurs autoportraitsavec des membres de sa famille, des amis ou desconnaissances significatives (pour une analyse plusdtaille du cas Rubens, nous renvoyons au chapitreconsacr l'autoportrait et l'autobiographie). Jordaensapplique le mme schma dans son Autoportrait avec lafamille de 1621-1622: son effigie, campe sur la droite,lgrement en retrait, sert indiquer le systme desrapports de parent et leur troite connexion. En unsens, l'Autoportrait au chien de Rembrandt (1646) estassez comparable: il inaugure, en tout cas, la figure del'artiste associ son propre animal de compagnie. Il vade soi que le schma de la figure entire trouve de mul-tiples applications dans les priodes modernes. Il fautmentionner, parmi les nombreux exemples, un magni-fique autoportrait de Thodore Gricault - mme si,aux yeux de certains critiques, le sujet est controvers-dans lequel l'auteur nous montre l'ide de la mlancolie(que nous avons dj observe en d'autres occasions)associe avec cohrence l'image de l'artiste dansl'atelier: la palette est accroche au mur et parmi lesinstruments du peintre figure un crne, symbole de lavanitas. Nous trouvons jusqu'en Extrme-Orient desextensions de cette configuration typiquement occi-dentale: dans un bel autoportrait, Katsushika Hokusai,le plus clbre de tous les artistes japonais, la met enuvre la manire nipponne, en la traant l'encresur papier (vers 1830).

    Revenons sur les cinq catgories que nous avonsjusqu' prsent examines. On peut affirmer, en conclu-sion, que l'volution du portrait, de la simple tte surfond neutre la figure entire, se droule selon unesorte de progrs historique, par tapes successives.C'est un aspect important car il permettra de dmontrer

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  • On peut aisment relier cette premire quation une seconde, relative aux espaces dans lesquels jouentles personnages :

    Mouvement et espace sont, en substance, lefruit d'une mme opration, une opration que, mta-phoriquement, nous pourrions appeler mise aupoint . Cette mtaphore est frquemment utilise en

    ultrieurement que la conqute de la profondeur, ou del'espace, est en mme temps la conqute du mouve-ment et de l'action. On notera en effet que les cinqtapes que nous avons dcrites concident avec cinqtypes de cadrages relatifs des parties du corps quiproduisent elles-mmes certains types de mouvement.On peut les rcapituler ainsi:

    159

    smiotique pour dfinir ce que l'on appelle focalisation,un terme qui embrasse diffrents aspects thoriques:on dsigne ainsi, par exemple, toute dlgation faitepar l'auteur un personnage du texte (du tableau),qui constitue notre point de vue projet dans le texte;une focalisation, c'est aussi, un niveau narratif, touteprocdure qui cerne, par approches successives, lalocalisation spatio-temporelle du rcit (une sorte dezoom en avant) ; enfin, on entend galement par foca-lisation l'opration qui dlimite, dcoupe ou soulignele focus du discours - autrement dit, qui privilgie lescontours de certains lments au dtriment d'autreslments".

    C'est cette dernire acception qui est la plus per-tinente, au regard de la srie de phnomnes picturauxque nous avons mis en vidence. Cette optique, toute-fois, n'exclut pas les deux autres: au contraire, elle s'entrouve mme d'une certaine manire confirme. Nousdevons en effet observer qu' la conqute de l'espace dutableau (qui procde en largissant le cadrage, depuis levisage jusqu' la figure entire) correspond uneconqute de l'espace dans le tableau. En termes photo-graphiques ou cinmatographiques, on pourrait direque, lorsque l'on passe un cadrage plus complexe dela figure humaine, on passe aussi une profondeur dechamp plus grande. Dans la reprsentation picturale, lesobjets disposs sur la scne sont de plus en plus libresde bouger, et nous voyons leur corps et leurs espaces.Mais, du coup, la comptence du spectateur par rapport la scne reprsente s'accrot galement, soit du pointde vue pragmatique (on comprend les mouvements etle rle des objets), soit du point de vue cognitif (on saitcomment et pourquoi regarder ce qui est dcrit dans letableau). D'une focalisation exclusive ([oeus sur levisage du portraitur, fond anonyme ou flou), on passe une focalisation que nous qualifierions volontiers de distributive (le focus est dtermin par la hirarchiedes objets et par leurs relations syntactiques), tant l'intrieur du tableau (relations dans la profondeur dechamp) que sur le tableau (relations gomtriques ettopologiques ).

    espace du visagerebord d'une fentrevue de l'extrieurespace la hauteurdes hanches, fentre,espace l'horizonespace la hauteurdes genoux, secondplanespace total, int-rieur et extrieur

    trois quarts

    figure entire

    tte et fond neutrebuste aux mains immobiles

    demi-figure aux mains parlantes

    tte et fond neutre mouvement desyeux et des lvres

    buste aux mains immobiles mouvementsfaciaux et torsiondu cou

    demi-figure aux mains parlantes idem + mouvementdu bras et torsiondu buste

    trois quarts idem + mouvementdes jambes en lieuet place

    figure entire idem + dambulation