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Oeuvres de M. A. Jay. T. 1

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Jay, Antoine (1770-1854). Auteur du texte. Oeuvres de M. A. Jay.T. 1. 1839.

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DE M< A. JAY.

OEUVRES

?.

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OEUVRES

DE M Au JAY,MEMBRE. DE L'tXSUTUT,

ACADÉMIE FRANÇAISE.

~~Si-TOME I.

'?6~-

CONVERSION D'UN ROMANTIQUE.

ESSAI SUR L'ÉLOQUENCE POLITIQUE EN FRANCE.

PARIS.SAUVAÏGNAT. LIBRAIRE,

t!UE DE L'AKOE~NE COMEDtE, 1, PRÈS LE CAttHEFOCR BCSSY,

ET QUAt MALAQCAtS, 3.17 ~839.

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UIPtUMEKIE DE A. HEKHY,Rnu Gît-l~4mur, S.

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EXPLICATIONSS

PRÉLIMINAIRES.

Nos tamen hocagimus, ·teuuiq'ua ïn pulvere solcos.·

Ducimus, et.lilussterili versâmus aratro..'(JUVÉNAL.)

Nous versifions toujours nous ne sentons pas que'e'est tracet sur le sable d'inutiles sillons, et laboureruu stérile rivige.

La CbMfey~tOM d'un Romantique devait paraîtreau mois'd'août dernier. Je'prenais déjà des mesures

pour l'impression, lorsque-je fis connaissance avecM. Victor Hugo, qui luttait à cette époque contre la

censure ministérielle en faveur de .Mart'o~.De/OMMe.Comme l'intéressante histoire de mon poète du siècleest accompagnée de réflexions qui peuvent jeter-quel-que déiàveur sur les produits dramatiques de.Ia jeuneelittérature, je. réprimai le sentiment d'impatiencesi naturelle aux éditeurs, qui se regardent com-me les pourvoyeurs nécessaires des besoins intellec-tuels de la, société. M. Victor Hugo est si. agréabledans ses manières, d'une modestie si rare dans sonlangage, que je regrettai presque l'engagement quej'avais pris de mettre en lumière la miraculeuse con-version de Joseph Delorme. Je ne voulus pas dumoins.mêlerles attaques légitimes de la critique lit-

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téraire aux injustes tribulations d'un autre genrequ'éprouvait ce jeune écrivain; je fus même assezheureux pour lui rendre quelques uns de ces légers

services que les hommes de lettres qui sont seulementdivisés sur des questions d'art et de goût ne devraientjamais se refuser les uns aux autres je pris le partide Marion Delorme contre un ministre qui lui dé-fendait l'entrée de la scène ouverte à tant d'autreshéroïnes du même genre. Mais, comme il était facile.de )e prévoir, l'arrêt de proscription fut confirmé.

Mon attention, distraite quelque temps par des su-jets plus graves, revenait enfin sur le précieux ma-nuscrit je rêvais déjà comme les autres~ éditeurs

mes confrères, au brillant succès qu'il allait obtenir,lorsque j'appris inopinément que la Comédie-Fran-çaise, composée d'acteurs si intelligents et de ju-ges si éclairés avait reçu d'enthousiasme une nou-velle pièce de M. Victor Hugo c'était ce -fameuxHernani, cet_ illustre brigand, qui,'plus heureuxque Cr<wtwcZ/ et Afa~'oM Z?e/o/'M:ej devait, disait-

on, complétemeiit régénérer le théâtre caduc deCorneille et de Racine. Cette nouvelle me fit en-core suspendre ta publication dont j'allais m'occu-

per je n'étais pas fâché d'apprécier au théâtre mê-

me la valeur réelle du drame romantique. Les deuxpartis qui divisent la républiquedes lettres se pronon-çaient avec énergie d'un côté je voyais du fanatis-me ornais ne pouvait-il pas y avoir quelque préven-

EXPLICATIONS

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ticKi de l'autre ? C'est~ce que je voulais juger en con-naissance de cause je priai donc Joseph Delorme de

reposer tranquillement dans son tombeau; et j'atten-dis avec patience le beau jour de sa résurrection.

Ce jour est arrivée l'expérience décisive à été faite

le 'drame d'imagination s'est montré~ur la scène il aparu avec toute la pompe des costumes des décora-tions, tout le prestige de la curiosité habilement 'éx-citée. Je. n'hésite plus maintenant à le déclarer, .Her-?MM:, et les pièces qui lui ressemblent, ne sont que desmélodrames beaucoup moins intéressants que ceuxqui se jouent sur les boulevarts~ ils auront la mêmedestinée la foule y viendra, comme s'il s'agissait de

voir un monstre, un jeu capricieux de la nature, tel,

par exemple, que l'enfantbicéphale, jR:Ma-C~r:yM/mais, la curiosité satisfaite, ces informes productionsd'une imagination déréglée tomberont dans un insul-tant oubli les maîtres de la scène ne seront point dé-trônés..

Il n'y a de nouveau dans Hernani qu'un langagequi n'a pas de nom. Ce langage fait mentir la dé6hi-tion du maître de philosophie de M. Jourdain, quiprétendait qu'on ne peut parler qu'en prose ou envers. Le style d'rKaM:, comme celui de CroMm'e//j

est une espèce de jargon bâtard qu'on ne sait com-ment qualifier, qui n'a ni la mesure du vers, ni le

mouvement naturel de la prose. Si. la pensée n'y

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avorte pas,,elle en sort.sous des.formes ridicules. Lalangue divine de Racine serait-elle abandonnée.pource,dialecte niais, ou sophistiqué? Je. ne veux pas lecroirece' serait un signe manifeste de dégradationintellectuelle. De quelque fanatisme que soient ani-més les.partisans de ces,tristes compositions, quelquehabileté, qu'ils déploient pour se former un publicadulateurquels.que puissent être,les ménagementstrop visibles 'de :quelques complaisants journalistes,ie vrai public jugera.en dernierressort, et la littéra-ture nationalene subira pasune si honteuse révolution..

« Nous sommes originaux, s'écrient nos réforma-,Bteurs, sur tous les tons; nous sommes originaux,'» nous devons'tout à l'inspiration; nous filons nos tis-

M sus dramatiques comme l'araignée, qui'trouve en"elle-même les matériaux' de ses,toiles artistement» entrelacées.Nous ne vivons que,de créations. »

Et non, vous n'êtes pas originaux. M. Dumas est-il original lorsqu'il met sur la scène le roman entierde ~MM~r-~eMe ()), C%n'Me de ~M<~e? Je: nevois la qu'une servile imitation. L'analyse de Ct'OM-

well, que vous regardez « comme /e <ype du ~'aMte

« Mp~er~e en T'YaMee j » cette analyse faite avec

(i) Les romans de Vander-Vetde ont été traduits par M.Loeve-VeimarsavecuntatentremarquaMe..

w

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conscience prouvera que ces prétentions d'origina-lité ne peuvent séduire que les personnes peu ver-sées dans la connaissance des littératures étrangères.Prenons pour exemple Hernani lui-même.

L'Idée première de ce drame appartient à Prier ( t ),

auteur d'un charmant poème intitulé T~ewy aK~

-E'MMa. Le sentiment passionné d'Emma pour un in-connu n'a rien qui blesse les convenances et pa-raisse invraisemblable. Le poète anglais a pris soind'en marquer la naissance et les progrès ;'Ie lecteurest préparé à l'énergique résolution que prend lajeune fille d'unir sa destinée à celle d'un hommerejeté par la société et en guerre avec elle. Après

un dialogue-- admirable. de naturel et de poésie,Henry, touché de tant de sacrifices et de. dévoue-ment, se fait connaître pour le noble héritier ducomte Edgar alors la voix du poète s'élève, et lesouvenir d'un illustre et puissant guerrier lui inspire

un chant de gloire et de patriotisme.

M. Victor Hugo, en traversant le romanesque, esttombé dans l'absurde. Ce n'est pas là ce qui constituele génie de l'invention.Dona Sol et Hernanisont dans

une position pareille à celle d'Henry et d'Emma; seu-

(i) Ce poème, p'ein de grâces et de naïveté, est imite tul-même d'une Y'eDIe baUade anglaise, the 7Vu<-&~o<c7:ma: ·

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lement, cette situation ne paraît pas naturelle rienn'en justifie la singuiarité. Hernani', comme son mo-dèle, se déclare au, dénouement, l'héritier d'unenoble famille; mais l'incident du cor est une extra-

Nvagahce qui blesse la raison et la vérité historique.Le suicidé, dans les idées populaires du seizième siè-çle; était une grave bfÏënse envers Dieu et la société,nu!ie idée d'honneur ne pouvait y être attachée, sur-tout d'honneur castillan, que domine encore aujour-d'hui le sentiment religieux. Cette mort violente n'ad'autre mérite que celui de fournir à une actrice,autrefois mieux inspirée, l'occasion d'imiter les ef-frayantes convulsions d'une longue agonie, ornementobfigé du drame moderne, précieuse ressource d'uneécole incapable de soulever d'autres émotions quecelles de l'horreur et du dégoût.

On a beaucoup vanté la scène originateoù Ruy deSil-

va montre à don Carlos lés portraits de ses ancêtres,qui lui défendent de livrer un proscrit à la vengeancedu prince. L'idée est dramatique; c'est ce qu'il y ade mieux dans Hernani, à part la trivialité aiTeçtée

du tangag-e. Maiheureusement pour l'honneur de l'o-riginahtéromantique, cette scèneest empruntée d'une

tragédie anglaise de Shiel intitutée Evadné M.Victor Hugo n'a fait que substituer des portraits ades statues, ce qui ne prouve pas une grande puis-sanced'imagination. Dans ta pièce.de M. Victor Hu-

go, don Carlos demande au vieux Siiva )a remise

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du brigand Hernani dans celte du poète anglais, )e

roi de Naples sollicite le déshonneur d'Évadné.Celle-ci, en montrant au roi tes images de ses ancêtres, ar-rive comme Ruy de Silva à cette de son père. Met-tons en présence les deux poètes, et voyons si l'imita-

teur est supérieur au modèle. Ces rapprochementsnesont pas sans quelque intérêt ils servent souvent àdégager les questions enveloppéesde sophismes.

LE HOJ.C'est votre père

EVADEE.

Oui, oui, c'est bien mon père cette âme sublime géné-

reuse et presque divine, dont la mémoire eût-Il laisse sa fille

'sans asyle et sans appui dans le monde, serait un héritage quipourrait faire l'orgueil d'une princesse! mon père, que nul aprèslui n'égala en honneur, en vertu, en pure Intégrité Voilà bien

ce sourire où se rénéchissalt la bonté de son âme. Sire, savez-

vous ce que fut mon père?

LE ROI.

Un homme, je me plais à le dire, remali de hautes et nom-breuses vertus..

EVADNE.

Quoi, rien de plus? Je vais aider votre mémoire. Lorsquele dernier roi de Naples cherchait parmi les plus nobles de sonroyaume un homme vertueux auquel il pût confier votre jeu-

nesse, mon père fut trouvé le plus digne. Il vous plaça jeuneencore, dans l'aire de l'aigle. Sous son, aile vous apprîtes à

vous élancer à la gloire; il vous prodigua ses précieux soins';et il fut un temps où l'on put croire que vous en étiez recon-naissant. Sa vie entière vous fut consacrée et sa mort Ah

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sire qui vous fait tressaillir? U combattait a vos côtes dans les

plaines du Milanais.: il vit une épée menacer votre poitrine,s ctança reçut le coup, ct.mourut a vos pieds. Me trompe-jeseigneur? ne mourut-ilpaspoursauver votre vie?-(EMes'~aMcc

vers la statue.) Image glacée, quoique ce sein soit inanimé, etque le sang ne circule pas dans ces veines,, laisse-moi te serrerdans mes bras et te presser contre mon coeur. Sire, je suisprête venez détacher ces faibles bras et m'arracher de cemarbre sans vie. Accordez aux services de mon père le prix

que savent donner les princes, en me ravissant l'innocence, eten me couvrant d'un opprobre éternel.

LE ROI.

Elle a fait entrer le remords dans mon âme

Voyons maintenant-quelparti M. Victor Hugo atiré d'une situation dont l'analogie avec celle, d'Evad-né. est frappante, en ce sens que la vue des statues etdes portraits est destinée à changer une déterminationroyale qui n'est pas toujours immuable.

DON IIENRI GOMEZ.

Cette tête sacrée,C'est mon pure il fut grand f/MOt~ft'tt vint le f<j:r)t«;<

Les' Maures de Grenade avaient fait prisonnierLe comte Atvar Giron, son ami mais mon porePrit pour l'aller chercher six cents hommes de guerre

nfit~tatHf;renp«!rreH)(comte.M)'Gtro)tjQu'a sa suite il traina jurant, par son patron,De ne point reculer que le comte de pierreNe tournât. front mi-même, et n'allât ett fit't'tet'e.

Il combattit, puis Mt)!t au comte et le sauva.

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DON CARLOS, hors de lui.Monpnsonnier!' `

U était difficile de tirer un plus mauvais parti d'uneheureuse pensée dramatique. Les sentimentsd'Evadne

sont vrais et naturels sa situation présente, le sou-venir d'un père qui vécut et mourut avec gloire enexpliquent l'exaltation.S'ils éveillent le repentir dansl'âme du prince ils excitent à un haut degré la sym-pathie des spectateurs Shiel connaissait les avenuesdu cœur humain.

Qu'on me dise maintenant quelle impression doitproduire .sur don Carlos et sur le public la mémoirede ce Ruy de Silva, qui a fait tailler en pierre uncomte Alvar Giron, et a juré qu'il ne reculerait pasà moins que ce comte de pierre ne MM~Mt~ front.Cela n'a-t-il pas tout-à-fait l'air d'une mauvaise pa-rodie ? Ne faut-il pas renvoyer. ce comte de. pierreavec les électeurs de drap d'or et les cardinaux,dé-car/a~e~ qui figurent d'une manière si bouffonnedansle monologue gravement burlesque de don Carlosauprès du tombeau de Charlemagne. Je Je demandesérieusement aux amis'de M. Victor Hugo n'y:à-t-ilpas quelque cruauté de leur partse pâmer d'admi-ration devant de pareilles inepties Cela peut-Il lesautoriser à insulter le buste de Racine, et à injurierVoltaire? N'éprouvent-ils pas quelques remords àencouragér un jeune homme, heureusement doué.

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à suivre une carrière où le succès même est unehonte.-Pour moi, je plains sincèrement M. VictorHugo; je le plains de perdre son talent en vains ef-forts pour nous ramener à l'enfance de l'art drama-tique je voudrais parvenir à le réconcilier avec lebon sens et la grammaire, dont il a secoué le joug im-portun c'est un service que, je lui rendrais de bon

cœur, même en le dispensant de la reconnaissance.

T~y/MM: est composé d'après le. système adopté

pour le drame de Cromwell. Les observations quecette dernière pièce a suggérées, sous le rapport de lacomposition et du langage, s'appliquent naturelle-ment à la première- je renvoie donc le lecteur, quene rébute point une critique raisonnée, à l'analysede CroMweM.

Peut-être trouvera-t-oh dans quelques passages de

cette analyse le ton de la critique un peu vif. Il.au-rait pu être modifié; mais le temps est venu, ditM. Victor Hugo lui-même, de parler franchement.Nous répondons à cette invitation, en écartant tou-tefois -avec soin ce langage d'insulte et de dénigre-ment''t-plein ds colère qu'on remarqué avec peinedansâtes observations littéraires des professeurs de lanouvelle.école. Ils vous disent nettement que la litté-rature' classique est frappée de stérilité (i) que les

{i) Cette assertion est absurde. Au monient~où. je trace ces

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écrivains qui né se ~rangent pas sous la bannière ro-mantique sont des hommes dénues d'esprit, de talent,d'imagination et qu'on doit les regarder. comme desombres qui ont la permission de quitter leurs tom-beaux. M. Sainte-Beuve, fervent disciple de Ron-sard., s'est fait remarquer parmi les détracteurs les

plus acerbes des renommées contemporaines, il necraint pas apparemment les représailles.

La CoM~er~tOK d'un roMaM~Më se termine parune scène de fantaisie dont les personnagene pourraient se rencontrer dans le monde que par un .hasardsingulier. C'est commeun drame d'imagination; il n'y

a point de réalités. J'en excepte M. Sainte-Beuve (t),

lignes, j'apprends que M. Pongerville, auteur d'une traductionde Lucrèce pour laquelle il a fallu une création originale destyle va publier des TFp~yM philosophiques, qui ajouterontà sarenommée M. le comte de Ségur, écrivain plein de goût, pen-seur ingénieux fait paraître une Ilistoire de j~oMM XI, digned'un talent si souvent éprouvé; M. de Sénancourt, dont tout lemérite sera bientôt reconnu va livrer aussi à l'impression unenouvelle édition de ses Libres Méditations, production originaleetd'une haute.philosophie. Voilà la stérilité de l'époque.y <:

(i) M. Sainte-Beuve méritait une exception. On ne sauraitpousser plus loin que ce jeune écrivain l'ouNi du respect pour

soi-même et pour le public. Voici comment il traitait dernière-ment, dans un.journalestimable d'ailleurs, les hommes de let-tres qui ne partagent ni ses doctrines littéraires ni ses sympa-thies « Une poignée d'hommes mec~ocT'eset HSM Merau~ à

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et M: te comte de la Roche-Noire. Ce dernier est un de

ces jeunes hommes que lé tenzps, suivant l'énergiqueexpression de Montaigne, e~~ra~e reculons. Il estvrai qu'il se montre partoutoù la mode rassemblesesadorateurs. Je l'ai remarqué au grandbal de l'Opéra,donné cet hiver en faveur des pauvres; il dansaitavecune dés plus aimables patronesses de cette œuvre decharité, il ne. manque jamaisune première représenta-tion, à quelque théâtre que ce soit, et a fait rage à

celle d'Hérnani; il est connu ~à !a cour comme à laviMe, on le voit caracoler aux promenades de Long-Champs il ne néglige pas même tes séances de l'In-stitut. De là est venue, sans doute, l'impossibilité de

trouver un masque assez épais pour cacher sa phy-sionomie.

Maintenantje prends congé du public. Je me suis

imposé une tâche pénible mais utile; je l'ai rempliecomme un devoir..

A.J.

» cequ'on dit, mais obéissant à un triste ès prit de rancune )it-

N téraire ou philosophique, seraient à la veille de laisser encore

n une fois lé génie sur le seuil, pour,s'attacherà je'ne sais quel

)) candidatbénin et banal qui fait des visites depuisquinze ans. a

Voilà de quelle manière M. Sainte-Beuve parle des membres

de l'Académie française qui laissent son génie sur le seuil. II

faut espérer qu'un tel genre de critique aura peu d'Imitateurs.

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INTRODUCTIO.N

Every absurdity has now a championto defend it. (GoLDSM)THv)

Jeune homme, prends et lis(DUCLOS.)

l'Puisqu'il est maintenant décidé qu\méditeur ne peut publier un ouvrage, en,sûreté de conscience, sans indiquer dequelle manière le manuscrit est tombéentre ses mains il faut bien que je meconforme à Fusage. La coutume~ ou lamode, est une puissance souverainedontles caprices sont des lois. Malheureuse-ment~ il n~y aura rien de romanesquedans mon récit le personnage principalest même un de ces êtres prosaïques quipassent dans le monde sans avoir jamais

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éprouvé une inspiration de génie. Il estvrai qu'à l'exemplede plusieurs éditeurs jjepourrais recourir à la notion: qui m'em-pêcherait de supposer que le.manuscritde Jacques Delorme s'est trouvé dans

une cassette au bord de la mer~ à la suited'une tempête ou d'un naufrage oubien qu'il a. été sauvé d'un incendie, dontla description commencerait à échauKerle lecteur? Il ne manque pas non plus devieux monastères ôù 'par une nuitsombrer je découvrirais mon manuscritau milieu des ruines, à.l'aide d'une tor-chée dont les feux lugubres m'environne-raient de mille formes fantastiques, qu'ilné tiendrait qu'à moi de changer en spec-tres menaçants. Voilà de nos jours com-ment on saisit dès la première page lesimaginations rêveuses~ et par quelmoyenon se lance avec succès dans la~ littéra-ture du siècle mais j'avoue avec humi-lité que j'ai peu de respect pour cette lit-

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térature~ dont l'emancé me semble unevieillesse prématurée je demandepar-don à la nouvelle école d'une assertion sitéméraire et je reviens à mon sujet.

JacquesDelorme naquit vers la findu dernier siècle~ dans un gros bourgvoisin d'Amiens ceci est un fait de no-toriété publique~ et je suis surpris que lebiographe de Joseph Delorme ait déclare

avec assurance que son héros était fils

unique. J'ai cherché les motus d'une er-reur si importante, et j'en suis encoreréduit aux conjectures. Il est vrai queJacques était né d'unpremierlit; sa mère

mourut en lui donnant le jour et Tho-

mas Delorme le père, qui exploitait uneferme considérable~ se remaria bientôt

avec JeanneLecouturier~excellehtë'mé-nagère et célèbre dans tout l'arrondisse-ment d'Amiens par la bonté de ses fro-mages à la crème. C'est a cette union que,

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Joseph doit sa naissance. Je me suis sou-vent demandépourquoi lebiographe dontje viens de parler a négligé ces détailshistoriques pour nous entretenir « de

)) voix intérieures, de plaintes sourdes

)) et confuses de vagissements mysté-

» rieux d'une âme qui s'éveille à la vie;)) et pour nous représenter Joseph com-

)) me un sauvage couché sur le sable,

» prêtant Toreille au'murmure immense)) et incompréhensible des mers» (i).

Voilà des phrases sonores~ mais dontle sens échappe à. ma -pénétration; etplutôt que dy rénéchir~ je reprends masimple histoire.

Il n'y avait que trois ans,de différence

entre Page de Jacques et celui de Joseph.

(t) Vie de Joseph Delorme

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Leurs premières années, quoi qu'en disenotre biographe; n'offrirent rien de re-marquable~ et je ne sais où il a trouvé)) que la jeune imagination de Joseph

)) allumait la Namme qui devait lui)) être si fatale un jour, et lui procu-))rait des rêveries fraîches, riantes et)) dorées, comme un poète les a dans

))Femance (i). M

Les deux irères, loin de s~occuper derêveries dorées, jouaient depuis le ma-tin jusqu'au soir avec les emants du vil-lage sans s~hqméter du présent et. sanssonger à l'avenir. Thomas Delorme ypensait pour eux. Lorsqu'ils furent sor-tis de l'enfance il se rendit à Amiens

pour demander conseil à son beau-n'ère,Jérôme Lecouturier, une des fortes têtes

(1) Vie de Joseph Delorme.

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du pays, et qui tenait avec beaucoup dedistinctionla meilleure aubergede la ville.Il faut -que je fasse encore, une querelleà l'historien de Joseph, qui, dans la vuesans doute de donner plus d'importance

zà ce personnage, amrme qu'il allait tousles ans passer deux mois de vacancesau château d'un vieil ami de son père.D'après les mémoires que j'ai sous lesyeux, et dont. je garantis l'exactitude

sous ma responsabilité personnelle, jesuis en mesure de prouver que Jacqueset Joseph n'ont passé leurs vacances horsdu logis paternel qu'une fois" ou 'deux,dans la maison de l'oncle Jérôme. Jecrains que notre historien ne ressemble àDonQuichotte, qui prenait'toutes les au-berges pour. des châteaux.

Après une longue conférence, Tho-mas et Jérôme décidèrent que les deuxtrères suivraient les cours; Fun de Fé-

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INTRODUCTION.

cole de droit, et l'autre de Pécole demédecine. L'idée delaire -de. Jacques etde Joseph un avocat et un médecin sou-riait à madame Delorme, qui~ au mi-lieu des travaux de la laiterie~ disaitsouvent avec orgueil à son mari « Dieu

)) merci, nous aurons deuxdocteurs dans~

)) la famille »

La prédilection marquée dont Josephétait Fobjet ne doit pas empêcher derendre justice aux procédés du père De-lorme à l'égard de Jacques il fut en-voyé en pension~ avec son frère ~chez

un bon curé du voisinage, parent éloignéde la famille, qui savait un peu plus delatin que la plupart- de ses confrères. Ilsy restèrent quelques années et vinrent.ensuite à Paris pour y achever leurs étu-des. Lorsqu~on faisait observer àThomasDelorme qu~il aurait dû placer au moinsun de ses fils dans le commerce~ et qu'il

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était singulier qu'il'leur fit apprendre à'tous deux le latin, il avait'coutume derépondra « Laissez-moi faire Moi qui)) vousparle quand je mènemacharrue,)) je pense quelquefoisque~ si mon père» m'avait mis au collége j'aurais, des

M idées que je n,ai pas, et que je serais)) tout au moins capable de chanter au)) lutrin'et d'être marguillier. Quelque)) métier qu'on prenne, ai-je entendu

)) dire a dés hommes d'esprit, le latin ne

'M gâte rien. ))

Les deux frères firent d'assez bonnesétudes au, collège de Saint-Louis ils:n'é-taient pas cités en premiere ligne, mais

on convenait qu'ils entendaientpassable-ment leurs auteurs, surtout Joseph dontrimàgination commençait à fermenter.;il eut même, au concours général, unprix dé poésie latine. Cet événement luifit prendre une assez haute idée de lui-

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même~ et n'a pas été sans quelque in-fluence sur son caractère~ ennemi de lacontradiction.

Au sortir des classes~ les deux frères

commencèrent leurs cours.

· LJe n'ai connu Joseph quepar sa biogra-phie et les récits de son n'ère~ que je ren- w

contrais souvent, quelques années plustard~ chez un notable habitant d'Amiensqui passe ordinairementl'hiver à Paris.

..<

Je ne sais quels documents le biogra-phe de Joseph a consultés; mais sa narra-.tion est pleine d'erreurs matérielles dontje vais encore citer un exemple.

Il fait mourir Thomas Delorme peri-dant que Joseph était en bas âge le fait

est qu'il ne mourut qu'après avoir vuses enfants embrasser les professions aux-

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quelles il les avait destinés c'était mê-me une des consolations de sa vieil-lesse et, pour ne laisser aucun doute surla vérité de cette assertion, je vais rap-porter textuellementles dernières parolesqu'il prononça sur son lit de mort, endonnant sa bénédiction à ses entais jeles tiens de Jacques lui-même, qui lesgarde dans sa mémoire comme un sou-venir religieux.

«, Mes enfants, leur dit-il, je sens que» mon heure approche le médecin s'a-)) buse, ma journée est finie, et je ne dois

)) plus songer qu~à dételer. C'est à vous». maintenant à faire votre sillon et à

.)) semer pour recueillir. Je vois que vous)) pleurez,et cela m'attendrit.Soyez-vous

)) bons frères l'un à l'autre Souvenez-

» vous qu'il n'y ajamais eu que d'honné-

» tes gens dans la lamine Delorme! J'es-

)) père qu'avec l'héritage que je vous

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» laisse et le latin que vous avez. ap-)) pris, vous vous pousserez honôrable-

)) ment dans le monde. Pensez quelque-

» fois à moi et à votre pauvre mère qui(

» vous aimait tant. et que je vais re-M

joindre! ))Après avoir rendu les derniers devoirs

à leur père, Jacques et Joseph reprirentleurs occupations. Le premier obtintquelques succès aubarreau. J'avais pres-que cessé de le voir lorsqu'un jour jereçus sa visite.

« Je viens, dit-il~ vous demander un)) service. Je suis forcé de quitter Paris)) pour un temps que je ne saurais encore)) déterminer. Des affaires importantes)) m'appellent à Mexico~ où je vais soi-

)) gner les intérêts d'unemaison de com-» merce dont je suisFavôcat, etquim'ac-

» corde toute sa connance. J'espère que

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» cette expéditionaura pour moi d'heu-

» reux résultats. Voici maintenant de

» quoi il s'agit vous m'avez souvent en-)) tendu ,parler de mon frère Joseph, qui

)) étudiait en médecine. Après avoir ob-

)) tenu son diplôme~ il fut attaché à l'un'

» des" hôpitaux de Paris où il suivait

» sa carrière~ à la satislaction de ses su-» périeurs~ lorsqu'il lui arriva un grave)) accident il se mit en fantaisie qu'il

» était poète. )).

Je ne pus n~empécher de sourire à cesmots, et de faire observer à Jacques quecet accident~ si commun de nos jours, neprésentait pas un caractère de gravitébien alarmant.

«Si lait~ si fait, me répondit-il Yive-

»'ment; le cas est grave/Cette maudite

» envie de rimer absorbait entièrement

» mon frère; il négligeait ses devoirs les

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~9INTRODUCTION

» plus essentiels et ce qu'il y a de pire,)) c'est qu'il s'était faitun système de lit-)) térature qui semblait annoncer quel-

)) que lésion du cerveau. Croiriez-vous)) qu'il s'était mis dans la tête de faire,

) une révolutionen poésie sousprétexte» que le siècle lui appartient, et que)) tous les poètes qui existent, et qui ont)) plus de trente ans, sont d'un autre siè-)) clé que le nôtre. Il disait que depuis'» quaranteans il n'y avait.plus de talents

)) en France; qu'il ne fallait pas compter» au nombre des écrivains les membres)) de l'Académie française~ et les hom-» mes de lettres du temps de l'empire)) qu'on devait les regarder comme des

)) PERRUQUES (i)~ dont la mode était pas

(t) .Perh«/Me. Cette expression signifie, dans l'ar-got romantique, ,une personne raisonnable eUe esttoujours prise dans un sens injurieux. C'est le trait

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» sée et qu'aujourd'hui il fallait abso-

» lùment recommencer la littérature. »

Je répondis à Jacques Deiorme qu~ii

avait existé à toutes les époques de cesnovateurs sans crédita du, à défaut de ta-lent cherchent à se faire distinguer pardes opinionsextraordinaires et quecettefolie me paraissait inoffensive.

«Vous vous trompez, répliqua De-

)) lorme cela va plus loin que vous ne)) pensez. La fureur s'en mêle vous ne)) sauriez croire dans quel accès (Tindi-

)) gnation tombait mon pauvre frère

)) lorsqu~il m'arrivait d'insinuer devant

» lui que tous les poètes âgés de plus

» de trente ans n'étaient pas enterrés~

le plus spirituel que les disciples de Ronsard aientjusqu'ici lancé aux partisans des lettres françaises.

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» et composaient quelquefois-des oùvra-» ges qui obtenaient l'approbation du

» public. Il bondissaitalors sur sa chaise,

» en s'écriant qu'il n'y avait. que cinq» poètes en France~ M. Victor Hugo;» M. Lamartine, M.AllreddeYigny/)) M. Emile Deschamps, et M. Sainte-» Beuve. Nous ne sommes, ajoutait-il» avec un air de triomphe, nous nesom-))mes ni continuateurs ni imitateurs

» nous sommescréateurs;nous nous ser-» vous même d\me langue particulière~» que nous avons arrangée d'après les

» besoins du siècle. Crois-tu que notre)) génie se laissera mener a la lisière de

» Boileauetse débattra dans les entraves

» de Racine Non,. j'en juré par les -fan-

» tômes de Victor Hugo~ et le cor d'Al-» fred de Vigny, nous commençonsune» nouvelle ère de poésie. Nous vous don-

)) nerons de Tincroyable~ de PaRreux,

» du terrible de l'extravagant; et s'il le

INTRODUCTION.

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» &ut, le diable lui-même remplacera

» votre vieux Apollon. Nous aurons

)) comme les Anglais notre école satani-

)) que. Plus'de Muses~ plus de Vénus

)) d'Amours et de Grâces; le dix-neu-

» vième siècle n'en veut pas, et nous» sommes ses exécuteurs. Si le public

» répugne à nous suivre~ tant pis pour)) lui; nous déclarons le public PERRU-

» QUE incorrigible~ et nous marèhons

)) enavant.

)) –Cecidevient .un peuplus sérieux~

» répliquai-je à Jacques Delorme il y a)) en effet quelques symptômes de folie':

)) dans ces absurdités. Mais, au bout du

)) compte~ ce ne sont que dès rêveries~

)) plus dignesde pitié que de colère. Il)) est fâcheux que des jeunes gens dont

». quelques uns ont montredu talent dans)) leurs premiersessais~ et qui auraient

» pu.faire honneur à leur siècle et à leur

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» pays~ se livrent à de pareils travers.» En réclamant Findépendance ~ën litté-

))rature~ ils sontpartisd'unprincipe ex-

» cellënt en lui-même mais ils ne' ïbht

» pas attention que toute liberté quelle

» quelle soit a besoin de limites. Dans)) la société~ ce senties lois qui luiser"

» vent de, frein; en littérature~ c'est le

» bon sens. Tout ce qui choque la rai-» son, tout ce qui trouble Fordre~ doit

» être proscrite comme indigne d'tme» nationcivilisée.

» –Mon frère~ répondit Delorme~

)) était convaincu qu'on ne pouvait res-» susciter la poésie qu'en renonçant à

» toute idée philosophique. La littératu-» re dont tu mè parles/me disait-il~ c'est)) de FanGien régime~ et nous ne voulons

)) rien conserver de- l'ancien régime.)) J'avais beau 1m &ire observer .que le)) bon sens est. de tous dès-régimes, il

5

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)) voulait, ajoutait-il, faire table rase. Il)) accusait aussi la grammaire d'être de'

» l'ancien régime~ et prétendait que.ses)) règles étaient des chaînes qu'il fallait

» briser.

Je demandai alors à Jacques Delormepourquoi~ en nie parlant de son frère~ il

ne faisait jamais usage du temps présent.

« C'est où je voulais en venir, reprit-» il~ et cela me ramène au service que)) j'attends de vous. Joseph ne pense plus

)) aujourd'hui comme il pensait il y. a six)) mois;son irritation s'est calmée~ la rai-.

» son lui est revenue. Ce n'est pas sans.» peine que nous sommes parvenus à lui

» purger le cerveau de toutes les folles

» visions qui s'y étaient logées; mais en-» mi le succès a passé nos espérances; il

)) ne veut plus entendre parler de ses an-)) ciennes doctrines, et regrette amère-

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» ment qu'on ait publié sous son nom un» recueil d'extravagances rimées, et de

» pensées ridicules ennn sa guérison esti) par&ite. lia Jeté au Jeu Ronsard, AI-,

» fred de Vigny, William Schlegel,

» Emile et Antoni Deschamps, ses au-» teurs favoris, et s'est remis à la lecturé

» d'Horace, de Racine et de Boileau. Je» sais même qu'il a souscrit pour une)) nouvelle édition de Voltaire; et je l'ai» surpris, il y a peu de jours,, lisant a)) dérobée les poésies de J. R. Rous-» sea.ti.

» Comme je le félicitais de ce change-

)) ment~ il me diten me serrant la main:)) Mon ami/ cela vaut mieux que les cru-

)) dités sataniques de mon ancienne

» école. Je suis revenu avec délices et

» admiration aux cheïs-d~œuvre de nos» vieux classiques. D'ailleurs j'ai repris~

))comme tu sais, l'exercice de ma profes-

5.

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)) sion, où jespère me distinguer; et j'ai)) l'espoir d'un établissement honorable.

» Je m'aperçois qu'à l'époque où nous» sommesy il n'y a d'estime que pour» les travaux utiles à la société:

)) Maintenante ajoutaDelorme~je vais» vous expliquer ce que j'attends de vo-

)) tre obligeance j'ai rédigée pour l'avan-

)) tage de la génération qui s'élève~ le ré-M.cit détaillé de la conversion de mon» n'ère; c'estun miracle plus surprenant

» que celui de la croix de Migné. J'y» marque les progrès du mal, et les

» moyens curatus qui ont été employés.)),Voici le manuscrit/que je vous prie» de publier pendant mon absence.

M–Y pensez-vous~ luidis~ebrusque-

)) ment ne connaissez-vous pas la, race)) irritable des poètes ? Songez donc aux)) dangers que vousm'exposeriez àcourir?

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)) La nouvelle école'a tout- le "fanatisme

» d'une secte naissante; elle a jeté la)) terreur dans la république deslettres

» tout est, frappé~ de stupeur. Voulez-

)) vous quej'excite contre moi. la colère)) de tous les hommes à ~doctrines ou sans-S

» doctrines ? Non, non cherchez une)) autre victime!

r

» J'ai cherché et je n'ai trouvé que

» vous. Il faut aujourd'hui quelque ab-)) négation de soi-même pour confesser

)) la vérité et rester ndèle au bon goût.

» Personne ne veut s'exposer à des ini-» mitiés~ qui/pour être littéraires~ n'en» sont pas moins acerbes. Quant à vous,» vos prétentions sont si peu élevées:que

» vousne risquez pas grand'chose; votre» amour-propre n'aura guère à sounrir

» desépigrammes et des sarcasmes. Peut-)) être même ne parviendront-ils pas à

» leur adresse Enfin, vous êtes le seul

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38 INTRODUCTION.

» à qui je puisse confier mon manuscrit.M Je vous le livre sans réserve c'est une

» bonne oeuvre que je vous propose et)) je n~accepte point de refus.

)) Eh bien/je m'offre en sacrifice;je

» me dévoue aux dieux infernaux pour» le salut de la république; vous serez» imprimé.; je braverai pour vous le»" TRILBY (i) de M. Charles. Nodier; le

» VERTIGE (2) de M. Victor Hugo, nain

)) bizarre et cruels qui jette les voya-» geurs dans l'abyme, et le DiABLE (3) de

» M. Alfred de Vigny, bondissant dans

(!) yr:'My. Le lutin d'Argail, qui, lorsque les vil-lageoises filent au coin du feu, monte et descend avecleur fuseau.

(2) Le ~r/t~o. M.Victor Hugo en a fait un nain,

dont la description fait frissonner.

(5) Le'Diable, héros du poème d'Éloa par M: Al-fred de Vigny.

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)) la poussière comme un tigre éveillé.

)) Adieu; faites un heureux voyage; et

)) souhaitez à votre tour que ma barque

)) échappe aux écueils, et arrive à bon

» port. »

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LA CONVERSION

D~UN ROMANTIQUE.

Every absurdity bas now a championto defend It. (GûLDSM!TH.)

CHAPITRE PREMIER.

RÉVOLUTIONS DANS LA LANGUE POÉTIQUE.

'Ex fructibus, eorum cognoscetis eos.(~f~ng'. Me. S..MATTH.,c.'y,v.20.)

Je rends grâces au profond écrivain qui abien voulu enrichir la jeune littérature enpubliant la .vie, les ~o~e~ et les Pensées quiont paru sous le nom de Joseph Delorme,mon frère, il s'est acquitté de cette tâcheavec un admirable talent. Il est vrai qu'ilavait à.sa disposition lejournal où sont con-

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signées les principales circonstances de la viedu pauvre Joseph mais il a eu besoin d'unepatienteet romantique sagacité « poursuivre,)) avec une curiosité mêlée d'émotion, les

épanchements de chaque~ jourdans les-

)) quels s'en allait obscurément une sensibi-

)) lité si vive et si tendre et pour ne pas)) laisser périr tout-à-fait ces soupirs de dé-

)) couragement, ces cris de détresse, qui)) étaient devenus des chants de poète ces))

consolations pleines de-larmesqui s'étaient

)) passées dans la solitude entre la Muse et))

lui (i). ))Je ne saurais cependant m'empêcher

de faire ici une observation. Mon frère quiaurait applaudi avec enthousiasmeà cette sen-sibilité quis'en va obscurément dans les épan-chements de chaque jour, se serait révolté con-tre la Muse (2) il avait une répugnance ex-

(f)ViedeJosephDeiorme.

(2) Je dois relever ici une erreur, tégère la veri-té,'mais qui ne doit pas se trouver'dans un ouvrageoù l'exactitude est.poussée jusqu'au sçruputë. Ce n'est.

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trême pour l'anciennemythologie, qu'il vou-lait à toute force remplacer par les djmnes

les gnômes, les salamandres les farfadets,les revenants les sorcières, et les exécuteursdes hautes œuvres. Je me rappelle qu'unjour,causant avec lui de ses inspirations poéti-ques, je me servis par inadvertance du motde .P<M'M<ïMe .la sensibilité de mon frère, futexcitée par cette expression justement pro-scrite et, laissant tomber la plume de cor-beau qu'il tenait mélancoliquement entre sesdoigts il me prit la main, et, me dit avecémotion

« Jacques je. t'en supplie si tu m'aimes

)j ne te sers jamais devant moi de ces expres-» sions mythologiques.! Parle-moi de la Grè-

» ve des cimetières des vieilles églises des

pas contre AftMe j mais contre les ./t7tMM que serévoltent les adeptes de la nouvelle école. Au reste,cette distraction échappée à' Jacques Delorme est taseule dont il se soit rendu coupable:

( ~Vb~e de fe~t'~My. )

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» tours crénelées des pointes. de rochers!

» C'est -là que doivent s'inspirer les poètes)) qu'un goût invincible pour la rêverie

» et -d'ordinaire,une douloureuse.conformité» d'existence, intéressent aux peines de cœur

» harmonieusement déplorées. »

Je lui donnai ma parole. d'honneur quecela ne m'arriverait plus. Alors je vis, pourme servir de,son langage,. je vis « comme)) roncibre~d'un sourire glisser mystérieuse-)) ment sur ses lèvres rouges et une ëtin-» celle bleue jaillir de ses petits yeux, sa sa-)) tisfaction intérieure se réflétait dans ce)) miroir-vivant des aS'ections humaines, il))reprit sa. plume avec vivacité, et la fit

)) voyager de nouveau sur des pages emprein-

)) tes de. tristesse. »

Mais, tbut~nTremerciant le sublime histo-rien de Joseph, j'ai deux reproches à luifaire le premier, c'est d'avoir caché au pu-

blic que Joseph.avait'un frère qui lui a rendude grands services en. assistant a sa vie toutintérieure dont il surveillait les crises avec

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sollicitude. Le second reproche est plus

grave: conçoit-on que ce; cruel éditeur aittué mon frère d'une phthisie pulmonaire,compliquée d'une affection de cœur, .tandisqu'il a joui constammentde la meilleure santédu monde je parle de la santé physique. Ilétait encore au bat trois semaines après samort car. Joseph aime beaucoup à se trou-ver

Parmi les chants, les.jeux, les rires babillards (t).

Il faut donc bien se garder de prendre à lalettre cette phthisie pulmonaire compliquéed'une affection de cœur,'qu'il n'a jamaiséprouvée qu'en' imagination. Mais me dira-t-on, ce frère n'est donc pas mort? On croi-rait peut-être'qu'il est facile de répondre à

cette question. S'il s'agissait d'un homme telqu'on en voit partout; d'un de ces person-nages antipoétiques qui s'adonnent a des pro-

(t) Poésies de Joseph Delorme..

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fessions vulgaires, tels qu'un banquier unjuge un avocat, un capitaine de gendarme-rie, un rentier'de la Place Royale de cesgens qui vivent bourgeoisement, et meurent,sans métaphore, d'une attaque d'apoplexie oud'une consultation de médecins, la réponse necoûterait qu'un oui ou un non. Il en est autre-ment pour les poètes romantiques un hom-

me de cette trempe sait qu'il mourra demain,

ce soir peut-être; mais. en attendant il se faitporter, à midi, au soleil, sur le banc tapisséde chèvrefeuilles, ou sous un pommier enfleurs. Par exemple s'il faut en croire sonhistorien, « Joseph ne vivait plus que de

» chaleur et de soleil, d'effets de lumière au.)) soir, sur les nuages groupes au couchant,

)) et des mille aspects d'un vert feuillage clair-

)) semé dans un horizon bleu/Plusieurs amis

)) que le ciel lui envoya vers cette époque, a-)) mis simples et bons, cultivant les arts avec)) honneur, et quelques uns avec gloire, l'arra-

» chèrentsouvent à une solitude qui lui était~mauvaise; et, par un admirable instinct,

» familier aux nobles âmes, le consolèrentt

)) sans presque savoir qu'il souffrait. Joseph

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» ne mourait pas moins à chaque instant, at-» teint d'une plaie incurable; mais il mou-)) rait plus doucement et il y avait des

)) chants aux abords de la tombe la rai-)) son morte rôdait autour de lui comme'un» fantôme, et raccompagnait aFabyme,)\ qu'elle éclairait de lueurs sombres (i). ))

Tout cela veut dire que Joseph étaittombédans une espèce de folie qui lui faisait croirede temps à autre, qu'il était mort et enterre.Mais il ressuscitait bientôt et, au lieu d'êtreporté au bal des sorciers, par quelque vilainsquelette il se promenait tranquillement surlé boulevart Poissonnière en attendant

l'heure de l'Opéra.

Il ne faut pas croire non plus qu'il vécûtentièrement de rayons du soleil, du clair dela lune, et des aspects d'un vert feuillage surun horizon bleu. Je dirai, pour rendre hom-

(t) Vie de Joseph Delorme.

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mage à la vérité, que Joseph aime a~ biendîner, et qu'il 'digère presque aussi bienqu'un: martyr. de la congrégation;

i

Sa folie consistait à se transporter, sur lesailes de son imagination, dans ce qu'il nom-mait« le monde poétique. )) Ilsavaitj.ui-mêmequ'il était en démence, mais, comme le fou duPirée il aimait sa douce folie. Je vais endonner une preuve certaine dans le..dizainsuivant, intitulé 7e: ~œM, qu'il n'a jamaisdésavoué.

LE VOEU.

Pour trois ans seulement, oh! que je puisse avoirSur ma table un lait pur, dans mon lit un o?t7 MO: `

Tout le jour du loisir; rêver avec des larmes;Vers midi me coucher à l'ombre des grands charmes;Voir la.vigne courir sur mon toit ardoisé,Et mon vation riant sous le coteau boise,.Chaque soir m'endormiren MM douce /o~e,Comme l'heureux ruisseauqui dans'mon pré s'oubtie

Ne rien vouloir de plus, ne pas me souvenir,~re à nie sentir vivre! et la mort peut venir

Quelques personnes. s'étonneront que Jo-

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seph ne veuille avoir dans son lit qu'ùn œt~

noir. Il faut que j'explique. cette bizarrerie-dans l'intérêt des personnes qui ne sont pasfamiliarisées avec la nouvelle langue poéti-que. Lorsque Joseph m'eut récité ces versqui, je le répète, sont bien de lui (i), etpour lesquels il avait une prédilection parti-culière je lui dis que je ne comprenais passuffisamment ce qu'il entendait par cet œilnoir couché dans son lit

«Tant mieux me répondit-il c'est là letriomphe de la jeune littérature. Vous au-tres qui ne' parlez que pour être compris,vous auriez dit tout simplement C~e ~eZ/e

fille aux ~eM.r MOM' 'Voyez le beau mé-rite quelle difficulté y a-t-il à cela ? Parlez-moi des poètes de l'époque ils prennent,quand ils en ont besoin la plus petite partie

(t) Ceci demande une explication, dont l'impor-tance se fera sentir plus tard. Joseph n'avouait quedeux ou trois pièces de vers, qui sont peut-être lesplus médiocres du recueil qui porte son nom celaprouvédu moins sa modestie.

( Note de Jacques Z?e/orMe. )4

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d'une chose pour le tout c'est la N~Mec~oc~e

romantique. Il suffit de ne pas oublier iacouleur de l'objet. Ainsi, au lieu d'un œilnoir j'aurais pu mettre dans mon lit uneoreille rouge, ou une main blanche; maisj'avais besoin pour ma rime d'un œil noirc'est là le motif de ma préférence, car auibnd, j'aimerais autant un œil bleu. ))

Puisque j'en suis aux figures de rhétori-

que, je dois ajouter que les génies modernes

aiment singulièrement un trope que nos pro-fesseurs de belles- lettres nous conseillenttd'éviter avec grand soin. Ainsi, dans unepièce de vers adressée à l'un de ses amis,Joseph se trouve au milieu d'une valse géné-rale, et s'écrie

Moi je valsais aussi ce soir-là, bienheureuxEntourant ma beauté de mon bras amoureuxSa main sur mon épaule, et dans ma main sa taille;Ses beaux seins suspendus à mon cœur, qui tressaute,pomme à l'arbre ses fruits (t).

Lorsque Joseph me lut ces vers, je me

()) Poésies de Joseph De) orme;

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permis avec beaucoup de réserve de lui faireobserver qu'il était difficile que les beauxseins'de sa beauté fussent suspendus à soncœur, comme des pommes à un pommier,il me répondit en souriant

« C'est que tu n'as pas le sentiment de lapoésie je suis fâché de te le dire mais c'estla vérité. Tu.penses toujours à ces vieilles ré-gies dont nous avons secoué la domination.Je. t'apprendrai que. cette image est ce quenous nommons la grande A~pe~&o/c. Nous

nous en servons beaucoup, parce que soneffet est infailliblementd'exciterune vivé,sur-prise. Ce que nous redoutons lé plus, c'estd'écrire .comme les autres; ce ne serait pas lapeine de faire une révolution dans la républi-

que des lettres, pour nous retrouver au pointd'où nous sommes partis. Nous avons ima-giné bien d'autres tropes dont jusqu'ici per-sonne n'avait entendu parler. Je commence-rai par /a ~r~M/e.' elle abonde dans ma piècedes JÏ<ïyo~y<!MMe~, que je regarde à juste ti-tre comme mon chef-d'œuvre. Ecoute avecattention

4.

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Ce ne sont que chansons, clameurs, rires d'ivrogne,Ou qu'amours en plein air, et baisers sans vergogne,

Etpubtiquesfaveurs.Je rentre sur ma route on se presse, on se rueToute la nuit j'entends se traîner dans la rue

Et hurler les buveurs (t).

» Qu'en dis-tu ? Tu ne sens peut-être pastout le sublimede la figure triviale: Je ne con-nais que mes amis Alfred de Vigny. et- Emile

Deschamps qui puissent descendre à cette pro-fondeur. Aussi sont-ils, avec ton serviteurles maîtres du siècle, dont ils ont acquis lapropriété exclusive. Nous vivons seuls enpoésie; tous les autres sont morts; CasimirLavigne lui-même est enterré. ))

{

Je priai Joseph de continuer pour moninstruction, le lumineux exposé de ses doc-trines.

«Volontiers, me répondit-il. Tu ne man-ques pas d'une certaine intelligence; mais ilfaudrait que cette intelligence avide comme

(!) Poésies de Joseph Déforme.

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la mienne, « vécût, de sa.propresubstanceAlors, tu n'aurais qu'à coudre des rimes bien

exactes au bout les unes des autres, et tu au-rais l'honneur d'être reçu dans notre céna-cle (i). Tu pourrais dire à notre exemple

avec un juste orgueil

Ne désespérons point, poètes, de la lyre

Car'le siècle est à nous

Il est à nous; chantez ô voix harmonieusesEt des humains bientôt' les ~)MZM envieuses

Tomberont à genoux (2).

)) Revenons maintenant, à notre perfec

tionnement du langage. L'un des tropes lesplus séduisants dont nous nous servons estle MOM-~eM~ (3) c'est l'ombre que nous je-tons, comme d'habiles peintres, dans nos ta-bleaux. Toutes les fois que cette ngure se

(t) Cénacle; vulgairement, salle à manger.

(2) M. Sainte-Beuve:

(3) De l'anglais non sense.'

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présente à notre esprit, et cela arrive sou-vent, nous sommes saisis d'enthousiasme.

Rime, écho qui prends la voixkDu hautbois

Ou l'éclat de la trompette;Dernieradieu d'un ami,

Qu'à demi,L'autre ami de loin répète (t).

Ou je ne m'y connais pas, ou il ihè semble

que c'est là le triomphe du MOM-~eM~. La rimequi est à la fois un ccAo, une ~ro~e~e un<~ërMMr <!<~MM voilà, si je ne me trompe, desbeautés néuves. Emile Deschamps lui-mêmen'a rien de pareil dans ses .E~M~M e~M~er~.

)) Le M<~e est une figure qui tient au non-~eM~ mais qui en est cependant séparée parune nuance délicate que le sentiment poé-tique peut seul faire distinguer. En voici unexemple bien instructif

(t) M. Sainte-Beuve.

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Un livre est entr'ouvertprès de moi, sur ma chaiseJe lis ou fais semblant;

Et les jaunes rayons que le couchant ramène

Plus jaunes ce soir-ià que peK~aM~ la semaine,Teignent mes rideaux blancs (t).

)) Je ne sais pas si tu goûtes comme il fautl'heureux mélange de non-sens et de vide

que j'ai mis dans ces vers. Un livre ouvertsur une chaise, voila le vide les ?'ayoM~ dusoleil couchant, plusjaunes le dimanche quependant le reste de la semaine voilà le non-sens. Cette alliance, que notre Alfred 'de. Vi-

gny a, je crois, trouvée le premier, car je

ne veux point lui enlever ce mérite, cette al-liance est d'un grand secours pour les poètesdu siècle. Avec elle ils sont toujours surs de

se tirer d'embarras. Je voudrais bien qu'onme montrât dans votre littérature à règles,.dont nous voulons éteindre le souvenir,des beautés aussi éclatantes. 11 y a encore

(t) Poésies de Joseph Delorme.

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des gens qui voudraient que la raison nefût pas séparée de la poésie; cela est vieuxcomme le.monde. Horace, je le sais, étaitde cet avis cela me ferait soupçonner qu'Ho-

race portait perruque comme M. Boileauet 'M. de Voltaire. Or nous avons' éta-bli en règle fondamentale que la pré-sence d'une perruque supposait nécessaire-ment l'absence de l'inspiration. Sans l'airun peu eSaré et les cheveux en désordre, iln'y a point de salut en poésie. Aussi, dansle monde, oh peut nous reconnaître à l'aban-don pittoresque de notre chevelure, et à lamanière dont nous ouvrons les yeux c'estl'enseigne du génie.))

Je ne voulus pas contredire Joseph, parce

que je m'étais aperçu plus d'une fois que lacontradiction l'irritait au dernier point. Je

me joignis à lui pour rire des perruques deMo de Voltaire et de M. Boileau; j'eus mêmela faiblesse de lui dire que, de tous les argu-ments de la nouvelle école contre l'anciennelittérature, celui-là me paraissait l'èmpor-'

ter sur tous les autres, et qu'il ne laissait

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aucune prise à la réfutation. Là dessus, Jo-seph se rengorgea, comme un docteur endroit, ou un professeur de métaphysique, etaccueillit avec complaisance la prière que jelui fis de me donner de nouveaux renseigne-ments sur la nature du langage romantique.

« Nous avons jugé à propos, me répon-dit-il, de placer parmi les tropes dont nousaimons à nous servir celui que je nomme-rai volontiers reM/~M~. Lamartine est unmodèle en cegenre. Tu trouveras dans ses

'~<~MM. à la mer un nombre assez considé-rable d'images enfantines qui te feront le plusgrand plaisir. Que diras-tu de cette strophe

que j'aime mieux que toutes les odes de Pin-dare ? Lamartine suppose qu'il est dans unebarque, et il parle ainsi à la mer de Naples

Ah berce, berce, berce encore,Berce pour la derinèrë fois,Berce cet enfant qui t'adore,Et qui depuis sa tendre auroreN'a rêvé que l'onde et les bois

)) Si tu n'es pas touché de l'harmonieuse

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répétition de berce ~êrce, berce encore:1

il faut que tu sois dépourvu de toute sensi-bilité nâturelle.

» La similitude éloignée autre Ëguredont le grand poète que je viens de citer afait un admirable usage dans les vers sui-vants

Qu'il ést doux quand le vent caresseSon sein mollement agitéDe voir sous ma main qui la presseLa vague qui s'enfle et s'abaisseComme le sein de la beauté.

» L'idée de comparer une vague au seinde la beauté n'était encore venue à personne.}Voilà de ces coups de maître, de ces bonnesfortunes qui doivent exciter beaucoup de ja-lousies. Lamartine est bien heureux d'avoirpressé le sein mollement agité de la mer deNaples d'autant plus que dans un autre pas-sage il en fait une amante ndète..a

Murmure autour de ma nacelle,Douce mer, dont les flots chéris

Ainsi qu'une amante. fidèle,

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Jettent une plainte éternelleSur ces poétiques débris.

))Je te déne bien de comprendre com-ment des flots chéris ~eM~eM~ être uneamante ~<~e/e, et jeter des plaintes sur des

débris. Mais c'est là .précisément le plushaut degré du sublime. J'ai fait beaucoupd'efforts pour y parvenir et je puis dire sansme vanter que je n'ai pas trop mal réussi.Mais, à, propos de Lamartine il faut que jete fasse une confidence. Si nous l'avons ad-mis dans notre ce'~ac/e ses dernières piècesde vers, qui annoncent un véritable progrès

lui ont valu ce privilége. Nous n'avons pasété contents de ses premiers ouvrages. On ytrouvait des images naturelles, une mal-heureuse étude de la manière de Racine as-sez dé clarté, et moine quelque raison. Iln'auraitpas dit alorsen parlant à sa maîtresse

Tes deux mains sont deux corbeillesQui laissent passer le jourTes doigts, de roses vermeilles,En couronnent le contour.

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Ou bien

Les anges amoureux se parlent sans parole,Comme les yeux aux yeux.

Ou bien encore

En'vain une neige gtacée 1

D'Homère ombrageait le menton.

» Ce n'est que par degrés que Lamartine estarrivé a ces sublimités poétiques, qui l'ontplacé au premier rang dans la radieuse con-stellation dont j'ai l'honneur de faire partie.Maintenant, il est a nous, et le siècle està lui. w

).

N Si je voulais énumérer toutes les riches-

ses dont nous avous grossi le trésor de la lan-

gue nouvelle, tu serais frappé d'admiration;mais je n'en ai pas le loisir. Seulement je ne

~saurais passer sous silence deux tropes nou-veaux, qui reviennent souvent dans nosvers. Le premier est la Aa~oA~e romanti-

que, comme dans ces vers de Victor Hugo

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Je revenais du bain, mes frèresSeigneurs, du bain je revenais.

Où ceux-ci d'Alfred de Vigny

Qu'il est doux qu'il est doux d'écouter des'histoiresDes histoires du temps passé

» La seconde figure est l'exagérée c'est-à-dire la tension violente ° et continuelle despensées ce qui' produit une charmante sen-sation. Ainsi, dans la traduction déjà célè-bre de Roméo et Juliette, tragédie de Shaks-peare Mercutio, Fun des personnages, estblessé à mort d'un coup d'épée il revient surla scène, et s'écrie d'une manière agréable ettrès dramatique

Le coup n'est pas très fort; non, il n'est pas sans douteLarge comme unportail d'église, ni pro/OM~Comme MM puits c'est égal, la botte est bien à fond.

» Veux-tu un autre exemple de l'exagérée ?Nous le trouvons dans /e P<M-<~<ïrMe.! du roi

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.7<MM, de.M. Victor Hugo où ce genre debeauté est poussé à ses dernières limites.Figure-toi que les gens-d'armes sont à che-val, et qu'ils s'excitent les uns les autres parces vers harmonieux:

Tu vois, ces chevaliers qui s'exhortent mu-tuellement à attaquer, de leurs selles, lesdon-zelles aux balcons. Cela fait un tableau où le

trait et la couleur sont en parfaite harmonie.Mais peut-être aimeras-tu mieux la pein-

ture de l'enterrement du beau page qui vientd~être tué dans la mêlée

Moines, vierges, porterontDe grands cierges sur son fronti

Et dans l'ombre,

Sans attendre,Ça piquons!L'œil bien tendre,AttaquonsDe nos sellesLes donzellesAux balcons

D'un lieu sombre

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Deux yeux d'ombrePleureront.

)) Conçois-tu toute la portée de génie qu'il

a fallu pour faire pleurer des yeux d'ombre.11 y a là de quoi désespérer la cohue des ser-viles continuateurs du système ~co/M'Me.Ils croiraient trébucher a chaque pas s'ils nes'appuyaient sur la vérité. « Quant à nous

)) nous le dirons hardiment, le temps en est)) venu et il serait étrange qu'à cette époque,

)) la liberté comme la lumière pénétrât par-)) tout, excepté dans ce qu'il y a de plus na-D tivement libre au. monde les choses dé la'» pensée. Nous mettons le marteau dans les

)) théories les poétiques et lés systèmes

)) nous jetons basce. vieux plâtrage qui mas-? que la iaçade de l'art il n'y a ni règles, ni)) modèles ou plutôt il n'y a d'autres règles

)) que les lois générales de la nature qui pla-

» nent sur l'art tout entier, (i) D

)) Tu ouvres de grands yeux, et tu as l'air

(t) M. Victor Hugo.

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» de ne pas comprendre ces paroles. Ap-

» prends que c'est parce que nous avons mis

» le marteau dans les théories, et démoli la

» façade de l'art, qu'un poète du siècle a pu» écrire en toute liberté et sans craindre la

» critique, les beaux vers suivants

Accourez, rivales,

Écrivez sorcières

Aux ciels des alcôves

o 'f

Venez sans remords,Nains aux pieds de chèvreGoules dont la lèvreJamais ne se sevréDu sang noir des morts!1Femmes infernales,

Pressez vos cavales,Qui n'ont point de mors1

Satan vous verraDe vos mains grossières,

Parmi, des poussières

.raca~a&yaVolez, oiseaux fauves,Dont les ailes chauves

Suspendent Smarra (i)!

(t) M. Victor Hugo.

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« Tu m'écoutes tranquillementcomme sije te disais les choses'vulgairesde là:'pensée

tu n'es passais! d'enthousiasme, tu restesfroid comme;un marbre aces chants~lyriques

que notre thuriféraire Sainte-Beuve metbien au-dessus des odes et des cantates deJ.-B. Rousseau. Peut-être es-tu de ces gensqui 'voudraient gêner notre liberté et cou-per les ailes de notre génie. Serais' tu;par hasard, de la faction des continua-teurs? )).

Je répondis avec modestie que puisqueles choses de la pensée étaient ce qu'il y avàitde plus nativemënt libreet que nous étionsarrivés en littérature a une indépendance ab-solue, je lui demandais la permission de trou-ver détestables tous les vers qu'il m'avaitcités.

t

A cette réplique qui m'échappa sans ré-ûexion, les cheveux de' Joseph se dressèrentsur sa tête ;son œil bleu-clair jeta des nam-

mës; et il me répondit avec l'accent del'in~dignatioh: :i.. ~.7.:

5

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.LA CONVERSION

((Jc~reconnais bien dans tes paroles l'es-prit.d'une.littérature tirée au cordeau comme

la .rue de Rivoli. Mais je te répondrai avecVictor Hugo

« Crois-tu que Fart soit fait pour recon-» naître des lisières, des menottes des bâil-

)) lons H vous dit ~<ïet vous lâche dans ce» grand jardin de poésie où- il n'y a pas de

» fruit défendu. L'espace et le temps sont au» poète què le poète donc aille où il veut,)) en, faisant ce qui lui plaît c~e~/a loi Qu'il

M croie en Dieu ou aux dieux a Pluton)) ou a Satan à Canidie ou à Morgane ou à

a rien qu'it acquitte le péage du Styx qu'il

M soit du sabbat, qu'il écrive en prose ou envers, qu'il sculpte en marbre ou coule en

)) bronze qu'il prenne pied dans tel siècle ou? dans tel climat; qu'il soit du midi du)) nord, de l'occident, de l'orient qu'il soit~ancienou moderne, que sa muse soit une

» muse ou une fëe qu'ellese drape de la co-» locasia. ou s'ajuste la cotte-hardie c'est à» merveille le poète est libre.

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))Pourquoi n'en serait-il pas dé l'œuvre

N d'un poète comme de ces belles vieilles villes

)) d'Espagne où vous trouvez tout fraîcheN promenaded'orangers le long d'une rivière,

)) larges places ouvertes au grand soleil pour

)) lésâtes; rues étroites, tortueuses, quel-)) quëfbis obscures où se lient les unes aux)) autres mille maisons dë toute forme, de

)) tout âge, hautes, basses, noires, blanches,)) peintes, sculptées, labyrinthe d'édifices

» dressés côte à côte, pèle mêle palais, hos-

» pices, couvents, casernes, tous divers, tous))portant leur destination écrite dans leur)) architecture~ marches pleins de peuple et)) de bruit; cimetières où les vivants se tai-)) sent comme les morts; ici le théâtre avec)) ses clinquants, sa fanfare et ses oripeaux)) la-bas le vieux gibet permanent, dont la

)) pierre est vermoulue, dont le fer est rouillé;

)) avec quelque squelette qui craque au vent. ))

La longueur démesurée de cette période mefit craindre que Joseph n'en perdit la respi-ration mais il continua avec une nouvellevéhémence et sans perdre haleine:

5.

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« Au centre, la grande cathédrale gothi-

;)) que avec ses hautes Sèches tailladées en)) scie, sa'large tour de'bourdon, ses cinq~portails brodes dé bas-reliefs, sa frise à~jour comme une collerette; ses solides));arcs-boutants si frêles à l'oei.l'; et puis, ses

» cavités profondes sa forêt de piliers à cha-

Mpiteaux* bizarres, ses chapelles ardentes,» ses myriades de saints et de châsses ses co-? lonnettes en gerbe, ses rosaces, ses ogives

ses lancettes qui se 'touchent à Fabside eten font commeM~e cage. de ~~aM.r~ son)),maitre-autel aux mille cierges, merveilleux))édince, imposant par sa masse, curieux)) par ses détails, beau à deux lieues ,'beau

deux pas. ))

Je fis encore une tentative pour arrêter cetorrent de paroles inutiles mais ee lut peineperdue. 1

« Ennn, a l'autre bout de la ville, cachée

)) dans les sycomoreset les palmiers, la mos-)) quëe orientale, aux dômes de cuivre et d'é-» tain aux portes peintes, aux parois ver-

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69D'UN ROMANTIQUE.

» nissés avec son jour d'en haut, ses grêles

» arcades, ses cassolettes qui fument jour et» nuit, ses versets du Coran sur chaqueporté,» ses sanctuaires éblouissants, et la mosaïque

» de son pavé, et la mosaïque de ses mu-)) railles, épanouie au soleil comme une large

» fleur pleine de parfums (i).

« Voilà ce que doit être Tœuvre du poète!Il fait ce qui lui plaît c'est sa loi. 0 mauditecritique, dont le sounle glacial nous désen-chante et fait disparaitre ces belles visions,où des spectres et des squelettes se tiennent

par la main et dansent des rondes infernales

que deviendra la poésie du siècle si ta voixest écoutée ? )) >

A ces derniers mots Joseph me lança unregard foudroyant. et me quitta avec hu-meur. Pour moi, je restai stupéfait, commeun homme qui vient de faire un mauvaisrêve.

( 1) Préface des Orientales.

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CHAPITRE IL

CONSULTATION.

0 horrible! 0 horrible! most horrible

(SHAKSF.EAM,Ha~t/e<.)

D'après la conversation précédente, je nedoutai plus que Joseph n'eût le cerveau unpeu timbré et je me mis à réfléchir auxmoyensd'arrêter les progrès de cette naissantefolie. Après mûre délibération, je résolusd'appeler à mon secours M. Dumont, notreancien professeur de rhétorique, brave etdi-gne homme, qui nous a toujours témoigné unintérêtparticulier. Il a obtenu sa pensionderetraite, et partage son temps entre la cul-ture des lettres et celle d'un petit jardin àfleurs dont il fait ses délices. M. Dumont estd'une taille élevée, fortement constitué; des

c"

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yeux noirs et vifs cachés sous d'épais sour-cils, et un nez aquilin comme celui du père'Aubry dans F~a de Girodet, sontles traitscaractéristiques de sa physionomie. Il a lefront découvert, et ses cheveux sont dispo-sés suivant cette ancienne mode connue sousle nom d'az/e~e-eo~ enfin il conservedans sa parole et dans ses gestes l'air solen-nel et toute la gravité du collège (i). M. Du-mont demeure dans la rue de l'Ouest assezprés du jardin où M. Àzaïs explique en se~promenant, les incroyables prodiges de lar<~oMM<Mc;e'~e//sM'e. Lorsque je me présen-tai chez notre processeur je le~trbùvai dans

son parterre en extase devant une tulipe fla.mandë ril ladmirait la ifleur aux pétales clas-siquement arrondis, .toute brillante de cou-leurs vives et bien tranchées. Il parut s'arrà-

(!~ Ceux qui seraient curieux de le voir peuvent le

rencontrer au Luxembourg., dans les belles soiréesttu printemps, sous la grande allée de marroniers, sapromenadefavorite..

(~Vo<e~e./ac~Me~De~M°Me.)}

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cher avec quelque regret cette innocentecontemplation, pour me souhaiter la bien-

venue.

Je lui ns part de l'objet de ma visite.

« Comment, me dit-il, Joseph n'a paséchappé a la contagion! ma "surprise est ex-trême Il me paraissait doué d'un esprit justeet d'une assez grande portée d'intelligence.Je lui ai pourtant fait apprendre par coeurl'JPp~reaM. PMOMN, et l'oe~Me deBoileau, où les règles fondamentales de toutecomposition littéraire sont exprimées avecgénie. Je lui ai surtout recommandéde néjamais oublier le précepte suivant

Scribendi recM sapere est e~pr~Ctpt'MM e~/oM~(t).

)) Est-ce que votre frère aurait perdu lamémoire ?

(t) Le bien-penser est la source du bieu-écrire.

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» Je crains plutôt qu'il n'ait perdu la

raison, car le mot seul de raison le révolte

et quand je veux lui parler d'Horace et deBoileau, il me répond que ces gens-là n'a-vaient pas des cœurs de poète.

» Pauvre enfant je lé plains de toutmon cœur mais je ne pense pas que le malsoit incurable. Vous n'avez qu'à me l'ame-

ner un de ces jours je causerai volontiers

avec lui; je discuterai à fend ses doctrinesqu'il croit nouvelles, et qui reparaissent pé-riodiquement aux époques où la déraison etle mauvais goût font irruption dans la litté-rature. Si vous voulez entrer un momentdans nia bibliothèque, je vous montrerai lesoriginaux de toutes les mauvaisescopies quifont aujourd'hui tant de bruit. »

Comme je ne demande pas mieux que dem'instruire, je suivis le professeur dans soncabinet.

« Voici, me dit-il, les maitrcs de l'école

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nouvelle. Je les ai rangés. par ordre chrono-logique, depuis Ronsard, Dubartas, Chape-lain, Perrault, Lamptte Houdard, jusqu'àDorat-Cubières, Letourneur, et WilliamSchlegel. Ce sont là les pères de l'église ro-mantique. Je m'amuse souvent à les lire,car il y a toujours quelque chose de bon àrecueillir, même dans les plus mauvais livres.Ces écrivains d'ailleurs ont quelque mériteje n'en excepte pas même Chapelain malgré

sa Pucelle; et, comme la plupart vivaientdans un siècle moins avancé que le nôtre,j'ai beaucoup plus de respect pour eux quepour leurs continuateurs. Venons aux preu-ves vous savez que c'est ma méthode.

» M. Victor Hugo croit être très origi-nal parce qu'il a jeté dans ses vers un grandluxe de ruines gothiques de méchants lu-tins et de squelettes. Il ignore peut-êtrequ'un poète aujourd'hui oublié, que Saint-Amant a eu la même fantaisie que lui, etqu'il l'a même surpassé dans ces hideusespeintures. Vous allez en juger; voici les.

vers de Saint-Amant

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Que j'aime à voir ta. décadenceDe .ces vieux châteaux .ruinés,Contre qui les ans mutinésOnt déployé leur insolence

Les sorciers y font leur. sabatLes démons follets s'y retirent,Qui d'un malicieux ébat,Trompent, nos sens et nous martyrentLà se.nichent en,mille,trousLes couleuvres et les hibous.

L'orfraie, avec ses cris funèbres,Mortels augures des destins,Fait rire et danser les lutins.Dans ces lieux remplis de ténèbres,

1

Sous un chevron de bois maudit,Y branle le squelette horribleD'un pauvre amant qui se penditPour une bergère insensible,Qui d'un, seul regard de pitiéNe daigna voir son amitié.

Aussi le. ciel, juge équitable,Qui maintient les lois en vigueur,Prononça contre sa rigueurUne sentence épouvantable.Autour de ces vieux ossements

Son ombre aux peines condamnée,1

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Lamente en longs gémissementsSa malheureuse destinée

Ayant, pour croître son effroi

Toujours son crime devant soi.

Là se trouvent sur quelques inarbresDes devises du temps passerIci l'âge a presque effacéDes chiffres'tailléssur dés arbres;Le plancher, du lieu le plus haut,

'Est tombé jusque dans la cave,Que la limace et le crapaudSouillent de venin et de baveLe lierre y croît au foyer,A l'ombrage d'un grand noyer ()).

» Vous avouerez que ces strophes remplis-sent toutes les conditions du nouveau genre.'Les rimes-en sont d'une richesse admirable.Saint-Amant ne met point, comme M. EmileDeschamps le reproche à l'abbé Delille, la pé-riphrase alaplacë du mot propre (2). Il n'y a

(i) La Solitude, oeuvres de Saint-Amant.

(-:) jË'~M~aMpaMM e< érrangères, page 56. « Cet

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rien de plus naïf et de plus naturel que ces

vers:

Le plancher, du lieu le plus haut@Est tombé jusque dans la cave.

Et puisque j'ai cité M. Emile Deschamps

on ne peut comparer à ces deux vers que la

» a&6e dit M. Émile Deschamps avec tout son es-

» prit et tout son talent-, a singulièrement appauvri

» la langue poétique en croyant l'enrichir parce» qu'il nous donne toujours la périphrase à la place

» du mot propre. Il a changé nos louis d'or en gros» sous voilà tout. »

Je voudrais bien connaître au juste la valeur deslouis d'or de MM. Émile Deschamps Sainte-BeuveJules Rességuier, Gaspard de Pons, et de leurs hono-rables amis. Je crains qu'on ne prenne ces louis d'orpour de la fausse monnaie et qu'on ne préfère les

gros sous de cet abbé dont M. Deschamps parle avectant de.goût et de convenance.

( Note de ~<M:'MMr. )

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descriptionsuiYante,dont ce jeune poète aembelli sa ~'ornaMce intitulée Florinde,

Florindeprend avec joie

)) Ne pensez-vous pas comme moi quedans la comparaison des deux poètes, l'avan-tage demeure à M. Emile Deschamps? Jedoute que Saint-Amant, avec tout son gé-nie, eût trouvé ce Dieu ~eyct qui vient si à

propos, parce que~ les jambes. de Florindesont plus blanches et mieux faites que cellesde ses compagnes. Il est sûr que lorsqu'on

Sa ceinture et la déploie

Et dit Mesurons nos pieds!1

Le ruban court sous les branches,Et Florinde Dieu merci,Même au dire des. moins franches,A les jambes les plus blanchesEt le mieux faites aussi (t).

(t) .E~M~, etc., p..44-

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s'efforce de continuer avec autant de succès lalittérature des Saint-Amant', des Théophileet des Colletet, on a bonne grâce à raillerles continuateurs de la littérature nationale.

» Quant à M. Victor Hugo, c'est dans

sa fameuse Ronde du sabat qu'on trouve des

vers comparables au chant lyrique de Saint-Amant. Celui-ci- n'eût'pàs désavoué les stro-phes suivantes, qui sont tout-à-iait dans samanière

Venez, boucs méchants,Psyles aux corps grêles,Aspioles frêles,Comme un flux de grêlesFondre dans ces champs

Plus de discordance!.Venez en cadencé.Élargir la danse,Répéter les chants

Qu'en ce beau moment,Les clercs en magieBrûlent dans l'orgieLeur barbe rougie

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D'unsangtoutfumant!QueçhacunënvoieAu feu quelque proieEtsoussesdentsbroieUnpâleossement!

Riant an saint lieu,D'unevoixhardie,Satan parodieQuelque psalmodieSelonsaintMatthieujEt., dans ta chapelle.,QùspnroiL'appette,UndémonepeUe w

LèUvredeDieu!

jRe/raM.

Et leurs pas, ébranlant tes arches cotossates,

Troublent les morts couchés sous le pavé des salles(i).

Je me permis d'interrompre ici M. Du-mont pour lui dire que dans mon opinion

(i) OdesetbaUades,t.2,p.44a.

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il faisait tort à Saint-Amant de mettre sesvers sur la même ligne que ceux de soncontinuateur; que si, dans Fun et l'autre, lesimages étaient également dégoûtantes, il y,avait moins d'extravagances dans le vieuxpoète.

C'est là reprit M. Dumont, ce qui as-sure la supériorité à M. Victor Hugo: « Lee)) ~M~e~~Mo~MM~e/OM.,saint Matthieu »

l'emporte évidemment sur les sorciers et les<M!oM~/o//e~du modèle c'est ainsi qu'enimitant on devient original. Maintenant, jevais. vous montrer ces deux poètes luttantcorps a corps dans le même ordre d'idées.II s'agit du cauchemar sujet très propre à

exercer la verve d'un poète fantastique.Commençons par M. Victor Hugo

Sur mon sein haletant sur ma tête inclinéeÉcoute cette nuit il est venu s'asseoirPosant sa, main de plomb sur mon âme enchaînéeDans l'Qmbre il la montrait, comme une fleur fanée,

Aux spectres qui naissent le soir.Ce monstreauxélémentsprend vingt formes nouvelles.

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Tantôt d'une eau dormante il iève son front bleu,Tantôt son rire éclate en rouges étincelles;Deux éclairs sont ses yeux, deux flammessont ses ailes;

il vole sur un tac de feu.Comme d'impurs miroirs, des ténèbres mouvantesRépètent son image en cercle autour de lui;Son front confus se perd dans des vapeurs vivantesH remplit le sommeil de vagues épouvantes

Et laisse à l'âme un long ennui (t).

)) Ce monstre qui pose sa main de plomb

sur une âme enchaînée, et qui la montre auxspectres du soir, co~me MMe~eM~Mce faitpartie de ces créations dont la littératureclassique n'offre point d'exemple. Voyons dequelle manière Saint-Amant a créé son cau-c/te~ta/

J'erre dans les enfers,,je rôde dans les cieuxL'âme de mon ctCM~ (2) se présente à mes yeux

(t) Odes etbatiades, t. 2, p. t85, t86.

(2) La nouvelle école se sert beaucoup de cette ex-pression.Au lieu de dire d'un vieillard qu'il est courbé

6.

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Ce fantôme léger, coiue d'un vieux suaire,Et tristement .vêtu d'un long drap mortuaireA pas aGreux et lents.s'approche de mon !it.Mon sang en est glacé mon visage pâtitDe frayeur mon bonnet sur mes: cheveux se dresseJe sens sur t'estomacun fardeau qui l'oppresse.Je voudrais bien crier; mais je l'essaie en vainI[ me ferme )a bouche avec sa froide main.Tout au travers.d'un feu puant, btcuatre et sombre

J'entrevois cheminer la figure d'une ombre

J'entends .pousser en l'air certains gémissements

J'avise en me tournant un spectre d'ossements

Lors, jetant un grand criqui jusqu'au ciel transperce,Sans pouls et sans'coutéur je tombe à la renverse.

)) Je crois que, dans cette lutte poétique lemaître l'emporte sur rélève et que le c~M-c~e~KM- cle Saint-~Amant est supérieur à celuide M. Victor'Hugo. Ce sontbien les mêmesinspirations le même génie la même an'ec-

sous le pbids.des ans on dit.qu'il e~.cow~~ coMt~tB

MM aïeul c'est un des perfectionnements du langage.

( ~o~e.~e /'t'~f<°Mr. )

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tation de consonnancesdans la rime, la mêmeabsence de raison la même littérature; maisl'âme de l'aïeul me paraît préférable aumonstre (( <~oM< le rire éclate CM roM~e~ e'~M-

celles. » J'ai lu dernièrement l'un et rautrepassage à là nourrice qui allaite l'enfant de

mon voisin honnête avoué et cette nour-rice m'a dit qu'en son âme et conscienceelle aimait mieux le 'conte de M.. Saint-Amant que celui de M. Victor Hugo. Dans

ces sortes de matières c'est un jugement sansappel.

`

) Vous connaissez sans doute les OE'M~'e~

de M. le comte Alfred de Vigny, Func desplus brillantes étoiles de la pléiade poétiquedu dix-neuvième siècle ?

D

J'avouai mon vieux professeur que jen'avais pas assez de patience pour supporterde pareilles lectures. « J'ai quelquefoisessayé,lui dis-je de lire à loisir les poésies qu'on. est

convenu de nommer n~o~~M~, mais latâche m'a toujours paru trop pénible. 'La

prose et les vers sortis de cette ëcôle agissent.

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sur moi comme le caMcAe~sy de M. VictorHugo, qui « laisse a l'âme un long ennui. ))Ce qui me révolte le plus, c'est la morgue'insolente de eea écrivains, qui, lorsqu'ils sontparvenus à fabriquer des volumes d~/Mp~t-gouris, s'en font un titre de gloire pour eux,et de mépris .pou les autres.

))–II est sûr, répondit M. Dumont, qu'ilsont la plus haute idée d'eux-mêmes c'est lesigne le moins équivoque de la médiocrité.Mais, pour en revenir à M. le comte Alfred,de Vigny, ne s'est-il pas avisé de faire des

vers dans le goût de' Saint-Amant L'imita-.tion est même si exacte qu'elle pourrait juste-ment être considérée comme un plagiat. Cepoète nous a raconté les aventures de la frégatela Sérieuse. Il commence ainsi sa traversée

Quand la belle SérieusePour l'Égypte appareilla,Sa figure gracieuseAvant te jour s'éveilla.A ta tueur des étoilesEllè dëptoya ses voiles

r

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Léurs cordages et leurs toilesComme de larges réseauxAvec ce long bruit qui trembleQui se prolonge et ressembleAu bruit des ailes qu'ensembleOuvre une troupe d'oiseaux.

·

)) Le poète revient avec amour sur la tou-chante beauté de cette frégate

Et surtout la SérieuseEtait belle nuit et jour.Là mer douce et curieuseLa portait avec amour,Comme un vieux lion abaisseSa longue crinière épaisse,Et sans l'agitery laisseSe jouer le lionceauComme sur sa tête agileUne femme tient l'argileOu le jonc souple et fragileDu mystérieux berceau (:).

)) On ne sait pas trop comment la mer est

_0(t) Poèmes par'M.A. de Vigny, p, 5:5, etc.

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un vieux lion 'ou une jeune laitière; mais ilfaut pardonner quelque chose a l'enthou-siasme qu'excite la Sérieuse. Vous allezmaintenant la voir dans sa toilette.

Ainsi près d'Aboukir reposait ma frégateA l'ancré dans la rade en avant des vaisseaux;Oh voyait de bien loin son corset d'écarlate

Se mirer dans les eaux.

)) 'Le corset d'é.carlate de la ~e~MM~e est

sans nul doute, ce qu'il y a de plus remar-quabledans ce poème burlesque; je suisper-~

sùade que l'auteur s'en est applaudi comme'd'un trait' de génie, d'une' de ces concep-tiôns- originales qui caractérisent la poésie

de l'époque. Cependant l'idée première ap-partient à ce Saint-Amant que j'ai déjàmontré supérieur à M-. Victor Hugo. M. le

comte Alfred de Vigny sera forcé lui-mêmed'en faire l'aveu.

» Saint-Amant, dans une ode sur le pas-sage de Gibraltar, eSectué par une uotte fran-

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çaise (i), parle de plusieurs vaisseaux, etentre autres de la frégate ~Ber~t~e qu'ilpersonni&e en ces termes

Un symbole de puretéQui se trousse de peur des crottesEt par'qui, même aux caillebottes,Le lustre neigeux est ote~Une gentIHe et franche HermineQu'une juste fureur domine,Y fourre ~OM caM~Mt'y! blanc;Et si le poil s'en contamineCe ne sera qu'avec du'sang,(2);

)) Vous voyez bien que le casaquin blancde la frégate ~'TTer~KtMe~ et le corset ~ecar-Zs~e de la Sérieuse appartiennent au mêmesystème de composition; mais le mérite deFinvention est au vieux poète. M. Alfred de

(i)Em656.

(2) OEuvres du sieur de Saint-Amant, 5'= partiep. 58.

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Vigny ne peut réclamer que le modeste élogede l'imitation ou pour parler, le langage dujour, de la cbntinuation..Cela prouve quenos réformateurs, en renonçant à la languede Racine et à une littérature illustrée partant de chefs-d'œuvre pour se mettre à lasuite de nos rimeurs, lés plus ridicules, ont sa-gement apprécié la portée de leur talent. M. le

comte- Alfred de Vigny, et ses illustres amis,ne perdent pas trop a la comparaison.

» Ce qu'il y a de :plus curieux, c~est queSaint-Amant avait prévu qu'il aurait quel-

que jour des imitateurs et il a pris ses pré-cautions pour conserver les honneurs de !a

priorité. Voici ce qu'on lit dans sa préfacedu Pa~Nc~e de 6'~&ra/<<

? Après avoir assuré que la confusiondes genres,, a laquelle nous sommes si heu-reusement revenus, produit des effets mer-veilleux, il ajoute «. Je me suis plu de tout

)) temps à ce genre d'écrire parce qu'aimant)) /a ~er~e comme je fais, je veux avoir mes

) coudées franches, ~ewe <~MN le langage.

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),Or, comme ce genre embrasse, sans contre-» dit, beaucoup plus de termes, de façons

» de parler et de mots, que l'héroïque tout» seul, j'ai bien voulu en ~re~t~'e ma place» /e~'e~MMr aRn que, si quelqu'un y réussit» mieux après moi ,~a~ à tout le TMOïM~ la» ~ot/'e d'avoir commence (i). ))

» Je demanderais volontiers à toutes les

personnes de bonne foi si ce n'est pas là lerésumé exact des doctrines littéraires dé lanouvelle école. Mais la gloire de l'invention

comme l'observe judicieusement l'auteur duMoïse ~Mï~, lui appartient tout entière.C'est une palme qui lui est due et dont samémoire ne sera pas privée. Il.a donné tout àla fois, comme un grand maître, le précepteet l'exemple. En confondanttous les genres,en prenant leurs coudées franches, mêmedans le langage, tes génies du siècle doivent

(i) OEuvres du sieur de Saint-Amant, 5" partie

p. 42, 45.

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céder la .première place à Saint-Amantvoilà le véritable fondateur de, l'école et, jel'annonce avec quelque regret, M. VictorHugo est détrôné.

)) Cesgénies diront peut-être que, dansl'imitation du laid, du grotesque et dans lemépris des règles du langage ils ont mieuxréussi que Saint-Amant, Théophile, Pradon,et monsieur d'Assouci. C'est un honneur queje ne veux pas leur disputer. Je maintiensseulement qu'il n'y a pas une de leurs règlesde composition, pas une de ces beautés neu-ves dont ils sont si fiers qui ne se trouventdans les plats écrivains sur lesquels le mé-pris de deux siècles a passé.

)). Ils vous disent doctoralement « qu'au))lieu du mot abstrait, métaphysique et

» sentimental, il faut employer le mot pro-» pre ou pittoresque.. » Ils conseillent, parexemple de préférer aux ~ot~ <~e7~c<~ les

~o~/N MsMc~ e< longs. Saint-Amant dans le

Moïse sauvé, et Chapelain dans.la Pucelle,avaient mis en pratique ce précepte qu'on

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nous donne comme, une découverte. Ontrouve dans le cinquième chant de /or~Mce/~e

un- portrait d'Agnès Sorel qui se termine

par ces vers:

On voit que-sous son col un double demi-globeSe hausse par mesure et soulève sa robeL'un et l'autre d'un blanc si pur et si parfaitQu'il ternit la blancheur de la neige et du lait.On voit hors desdeux boutsde ses deux courtesmanchesSortir àdécouvert ~eM.c tMa:M~7oM~MM <M blanches.'

~Chapelain aurait pu dire <~eM.rAe//e~

Mt<M~ deux Mt<MMN ~e7tc<~e~' mais l'inspira-tion romantique lui a fait préférer les M!<MM~

/oM'cMe~è~A/a/!c~e~. C'est ainsi qu'en décri-vant, dans la douzième partiedu :~oMe ~aM~le bain d'une jeune princesse, assistée de sesiemmes qui la déshabillent, Saint-Amant,toujours guidé par l'instinct du génie restefidèle au mot pittoresque

Sous l'obscure épaisseur de la verte feuittéeCent ~o:~Mpo~ et blancs l'avaient déshabiHée.

)) Tous les .poètes de cette ancienne école

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ont observe la même règle; et on ne sauraitleur reprocher comme à Boileau à Racine

et à Voltaire, le goutdela périphrase. Aussi,quoiqu'il n'osent pas encore trop l'avouer

nos maîtres du siècle. préfèrent-ils les tragé-dies de Pradon, qui s'est toujours servi dumot propre à celles de Racine, qui avait lamanie dé chercher l'expression poétique. Siles maîtres voulaient nier cette conséquence,

on citerait le chef de l'école, qui nous a appris,dans une note du drame de C'~c/MM~ que« ce sont les beaux vers qui tuent les belles

» pièces (i-). » D'où il faut conclure que cesont les mauvais vers qui font vivre les mau-vaises pièces. Le même poète nous assure quec'est le génie qui a trouvé ce « précepte pro-fond (2). »

(t)CroMwe/~p.466.

(2) M. Victor Hugo attribue ce mot ridicule àTatma. Je sais que ce grand acteur aurait désiré plusde naturel dans le'langage tragique tous les connais-

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))J'ai peine à concevoir la profondeur de ceprécepte, mais il faut avouer que l'instinctde Pradon et de M. Victor Hugo'les a trèsbien servis ce ne sont pas les beaux vers quitueront leurs pièces.

? -'Prenez garde, dis-je à M. Dumont,de ne pas trop vous aventurer? Le drame deCroMMpe~ a été porté aux nues. C'est le pointde ralliement de nos jeunes professeurs s'ilfaut les en croire, C'7'oMtM?e// et Henri III ontachevé en France la révolution dramatique.Le public las des beaux vers, qui tuent lesbelles pièces, aime mieux la prose de M. Du-

mas, qui n'est pas belle, et les rapsôdieshisto-riques de M. Victor Hugo. Ne savez-vous pasque M Emile Deschamps; le plus tranchantde

seurs sont d'accord sur ce point mais il ya loin dunaturel à la trivialité, de la simplicité à la bassesse del'expression.

'(7Vb<e~e~~et<r.)),

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nos critiques, a dit, en parlant de Crow~e/

« Ce C~oMM)e~, œuvre poétique toute vi-» rile, toute réûéchie jusque dans ses par-» ties les plus attaquées; typé primordial du

» drame moderne en France qui restera»

comme un objet d'envie et de colère pour» les uns, d'étude et d'admiration pour les

» autres', et de discussions animées pour tous,)) quand l'oubli pèsera sur la plupart des

» succès d'aujourd'hui (i)~ ))

))' Voilà ce qui s'appelle un éloge complet,répondit M. Dumont, mais on doit y recon-naître le langage de la reconnaissance carM. Victor H'ugo s'exprime ainsi de son côte

«M. Emile Deschamps reproduit, en ce.

)) moment, pour notre théâtre, jRo/Ke'o et ~M-

)) ~e~e j et telle est la ~oMp/e~~e ~MM~CM~e de

)) NOM talent, qu'il fait passer tout ~AaA~pe~re

(i) Études /?'aMpaMe~ et étrangères, p. 5a.

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)) dans ses vers, comme il y a déjà fait pas-» ser tout Horace (i). »

)) On ne peut rien ajouter à de si magnifi-

ques éloges. Mais ces coups d'encensoir fontrire les gens sensés, et rappellent involontai-rement répigramme de J. 'B. Rousseau, surmessieurs Syphon et Griphon. Je remarque-rai, en passant, dans les paroles de M. ÉmileDeschamps, l'envie de blesser les écrivainsqui s'efforcent de soutenir la scène française

et qui ont obtenu d'honorables succès envieimpuissante, etquijustiiieraitles plus sévèresreprésailles, si elles n'étaient pas trop faciles.

» Je suis tentéde vous entretenirde ce dramede Cromwell, « objet de tant d'envie et de co-» 1ère » et dont la lecture n'a excité en moid'autre sentiment que celui de.la commiséra-tion pour un jeune homme ne avec d'heureu-

ses dispositions, d'un caractère estimable, et

(1) Cromwe/p.465.1. 7

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qui, dans quelques productions lyriques amontre un vrai talent.

D-–Je serais charmé de vous entendre.Je n'ai pas lu ce drame' de Cromwell; maisles merveilles de cette pièce fournissent auxcawtc'r<M~ (i) un. sujet d'éloges intarissable.Mon frère Joseph en raffole il dit que c'estle chef-d'œuvre de l'époque. Je suis curieuxde savoir ce que vous en pensez.

» Il est évident que M. Victor Hugo avoulu composer un drame historique. à la fa-

çon dc'Sbakspeare. Ceux qui, comme moi,ont fait une étude approfondie du poète an-glais reconnaîtront, non pas seulement dans

()) Un écrivain qui a réussi en plus d'un genre

a parlé de la camaraderie littéraire avec une gaîté etdes détails très amusants. Ce n'est pas qu'il n'ait quel-

ques peccadilles romantiques sur la conscience; maisà tout péché miséricorde il a, trop d'esprit pours'associer au ridicule qui assiège les ca~tar~e~.

( ~Vo<6 ~e /'e~<eMr. )·

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la contexture de la pièce .mais dans le dia.logue dans la forme dans le brusque pas-sage du burlesque au sérieux, dans les quoli-bets, dans la multiplicité des personnages etjusque dans les moindres détails, l'ambitionde ressusciterau dix-neuvième siècle le dramequi convenait parfaitement à une époque debarbarie pédantesque, d'ignorance et de mau-vais goût, telle que lannduseizième siècle; seu-lement, l'auteur y a mêlé des imitations duBarbierde .6p'e et de ~jEco/e des Femmes.

)) Je dois d'abord vous déclarer que je suis

au nombre des admirateurs de Shakspeare

personne plus que moi ne rend justice à lapuissance et à la fécondité de son imagina-tion, à la connaissance intime du cœur hu-main qu'il a souvent manifestée, enfin àl'expression vraie et quelquefois sublime dela pensée ou des sentiments qu'il prête à ses

personnages. Je ne lui reproche point des dé-fauts qu'il aurait évités, si les hommes supé-rieurs, quel que soit leur génie, ne subissaient

pas, jusqu'à un certain point, l'influence dela société au milieu de laquelle ils s'élèvent.

7-

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Comme cesdéfauts, que je ne saurais me dis-.

simuler, sont un objet d'admiratiou pour lesprétendus réformateurs de la scène française,je suis porté à croire que les beautés réelles dutragique anglais échappent àleur intelligence.J'en suis d'autant moins surpris, qu'a la ma-nière dont ils s'expriment sur Shakspeare ilest aisé de voir qu'il. ne le connaissent quepar l'infidèle traduction de Letourneur.. Je neblâmerai certainement pas M. Victor Hugod'avoir étudié Shakspeare mais ce que jene saurais approuver, c'est qu'i! semble n'a-voir étudié que ses imperfections elles sereproduisent dans son ouvrage avec une vé-rité parfaite. Ici je ne puis m'empêcher de

remarquer que, lorsqu'on imite si servilement

un poète étranger, il faudrait avoir quelqueindulgence pour les écrivains qui suivent la

route ouverte par les maîtres de la scène.Quand on exige pour soi le privilège de la li-cencé il faut au moins laisser aux autres laliberté.

)) Toutes ces assertions ont 'besoin d'êtreprouvées. Je ne veux imposer d'autorité mon

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opinion à personne mais je veux que vousdisiez après m'avoir entendu, que cette opi-nion est bien fondée. Armez-vous, commemoi, de patience et venons aux,preuves 1

» La plupart des pièces de Shakspearecommencent par des trivialités qu'il jugeaitsans doute nécessaires devant un auditoire

composé, en grande partie, de spectateursbrutaux et grossiers. C'était peut-être l'uni-què moyen de. fixer leur attention et d'attirerleur bienveillance. De là les plats quolibetsqui servent d'introduction à sa tragédie his-torique de Jules César,' les mauvaises plai-santeries et les fades obscénités de la premièrescène de Tïo/M~'o. e< ./M/M~e, défauts qu'onvoudrait retrancher de ces deux belles com-positions, où brillent tant de beautés de pre-mier ordre.

» Je conçois de pareilles expositioris a l'é-poque où écrivait Shakspeare c'était un tri-but, qu'il payait au mauvais goût du siècle,imais nulle considération de ce genre ne peutexcuser l'auteur moderne, qui ouvre l'action

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dramatique par ces vers inconcevables, di-

gnes des, tréteaux de Jodelle et de Hardi

c"

Demain, vingt-cinq juin mil six cent cincfuante-sept,Quelqu'un que lord Broghill autrefois chérissait,Attend de grand matin ledit lord aux Trois-Grues,Près de la Halle-au-Vin; à t'angte des deux rues.

» Le personnage qui a écrit ce billet estlord Ormond, seigneur de la suite de Char-les II et son principal émissaire à Londres.Lord Broghill attaché au service de Crom-well, vient au rendez-vous; une conversa-tion s'établit entre eux. Lord Broghill, qui'nereconnaît pas celui qu'il chérissait autrefois,

se fâche sérieusement, et lui dit même des in-jures. Voici Fane de ces aménités

Les marauds de ta sorteSont faits pour amuser les gens à notre porte.

)) Cependant,comme la reconnaissance étaitnécessaire, elle se fait.. Ormond apprend a.

son ancien ami qu'il est venu en Angleterre,chargé des pouvoirs de Charles II, pour se

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mettre à la tête d'un complot forme par lesroyalistes et les mécontents de toutes les sec-tes, qui se proposentde renverserCromweit,il invite Broghill à seconder leurs efforts. Ce-lui-ci, que l'usurpateur a comblé de faveurs etde dignités, rejette cette proposition, et con-seille au conspirateur de ne pas trop comptersur le succès de sa tentative.

» Ormond, blesse de,ce conseil d'ami, con-gédie lord Broghill en ces termes

Lord BroghiU,)aissez-moi,~e vous prie;Ormond baise les mains de votre seigneurie.

» Les conjurés arrivent bientôt à la suiteles uns des autres. Le premier qui se présente

est lord Rochester, un crayon et un papier àla main, « fredonnant, dit l'auteur, une chan-

» ~OM sur un air-gai. » C'est la caricature'duFigaro de Beaumarchais. Voici le premiercouplet de cette chanson

Un soldat au dur visageUne nuit arrête un page,

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Un page àl'oeilde lutin.~–Beau-page,alerte, alerte:

Où courez-vous si matin,Lorsque ta rue est déserte,En justaucorps de satin?

LORD ORMOND.

Qui chante ainsi ? C'est quelque fou,Ou Rochester Lui-même! Allons, sur son genouLe voilà griffonnant

» Il ne manque à Rochester que la guitaredu joyeux Barbier. Ces deux. personnagesont plus d'un trait de ressemblance ils sont

tous deux intrigants et gais, mais Figaro estspirituel et d'une gaîte franche, celle de Ro-chester est triste, grimacière,et dénuée d'es-prit. ïl n'y a, par exemple, rien de plaisantdans l'obstination de Roehester à lire' aupremier venu un madrigal d'une extrê-me fadeur. Sur le refus d'Ormond de su-birUne telle lecture, Rochester lui apprendqu'il est devenu amoureux de lady Francis,la plus jeune des,filles du Protecteur. Il l'a

vue à la fête

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QuetaeitédeLondreDonnaitau vieux Cromwell. Dieu veuille le confondre!J'étais fort curieux de voir le Protecteur.Mais quand de son estrade atteignant la hauteur,J'eus aperçu Francis, si belle et si modeste,Immobile et charmé, je n'ai plus vu le reste.Ivre en vain, en tous sens par la foule pressé,Mon œi) au même objet restait toujours fixéEt je n'aurais pu dire, en sortant de la fêteSi Cromwell en parlant lève ou penche la têteS'it -a le front trop bas ou bien le nez trop long,Ni s'il est triste ou gai, laid ou beau, noir ou blond.

» Ces plaisanteries sont d'un goût détes-table, et d'un style dont l'incorrection estfrappante. Mais je m'abstiendrai, de remar-ques critiques sur l'emploi du langage ellesseraient trop nombreuses et d'ailleurs nosjeunes maîtres mettent. au nombre des droitsacquis au romantisme celui de dénaturer lalangue et de taire impunément des solécjsmes.Ils ne veulentpas emprisonner leur génie-dansles règles de la grammaire ce serait une imi-tation trop servile du e/6M~cMMe c<M~Me. Be-venons à Cromwell Rochester finit sa tiradepar ces mots:

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Je suis fou.

1LORD ORMOND.

Je vous crois.

ROCHESTER.

Voici mon madrigal!

» Ce madrigal qui revient sans cesse, aumoment d'une conspiration ou il s'agit de lachute de Cromwell, appartient à ce genre de

comique forcé qui produit un effet contraireà celui que l'auteur en attend. Il fait éprouver

au lecteur le même sentiment d'impatience etd'ennui qu'à ce brave lord Ormond, qui dit

assez niaisement au poète

Ne composezpas de vers et de rondeauxC'est le lot du bas peuple,!

? Sur quoi Rochester s'écrie

Lebonvieux gentilhommeest d'une humeurde dogue.

» Là-dessus arrive un troisièaic conspira-

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teur. C'est le poète Davenant, qui revient deCologne avec un ordre écrit de la main deCharles II. Ormond lui demande où est lamissive? Davenant lui répond qu'il

La porte toujoursAu fond de son chapeau dans un sac de velours.

? En voici le contenu

Jacques Butler, votre digne et féalComte et marquis d'Ormond, il faut qu'à White-Hall,Jusque auprès de Cromwell, Rochester s'introduise

Qu'on mêle un narcotique au vin de ses repas.Endormi dans son lit, il faut qu'on t'investisseNous l'amener vivant. Nous nous ferons justice.

» Voilà une belle commissionà donner auféal Jacques Butler. Mais je n'insisterai passur l'absurdité de cet ordre, qui n'aurait puêtre écrit que par un fou; je ne m'arrêterai

pas non plus sur les incidentsqui choquent lavraisemblance. Mon but est de vous prouverqu'en faisant les plus larges concessions 'possi-bles à la nouvelle école, il ne.résulte des don-nées qui révoltent le bon sens, ni beautés, ni

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intérêt: Vous voyez que je suis un juge peusévère et qu'on pourrait me reprocher avecquelque.raison un excès d'indulgence.

» Lord Ormond est d'abord frappé des ob-stacles.qu'il faut vaincre pour remplir sa mis-sion. Il observe judicieusement que la choseest plus facile à dire qu'à faire. « Co~me~» diable! ajoute-t-il, parviendrons-nous à

» introduire Rochester chez Cromwell? »

)) Davenant se charge d'aplanir cette dim-culté. Il connaît « un certain .ToÂM Mt~o~~

)) aveugle, assez bon clerc, mais fort méchant)) poète, )) qui remplit auprès de Cromwellles fonctions de secrétaire-interprète, il luirecommandera Rochester, et il ne doute pointque.Miltpn ne parvienne à le placer dans lamaison du Protecteur, en qualité de chape-lain.

» Ormond ne peut s'empêcher de remar-quer que la mascarade sera drôle. Le, Figarojaçobite répond qu'il saura jouer son rote et

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soutenir le personnage d'un docteur puritain.

ïl suffit de prêcher jusqu'à se mettre en nage,Et de toujours parler du dragon, du veau d'or,Des nûtes de Jéhu et des antres d'Endor.

» Davenant, rassuré par ces paroles, remetà Rochester la lettre de recommandation qui-doit lui ouvrir les portes de White-Hall, etdit en lui remettant une fiole

»

Voici dans cette fiole un puissant somnifère.On sert toujours le soir.au futur souverainDe l'hypocras où trempe un brin de romarinMêlez-y cette poudre, et séduisez ta gardeDe ia porte du parc!

)) Lord Ormond s'étonne, que Charles aitpris la résolution de faire enlever Cromwellla veille même du jour où il doit être assassi-né par les puritains conjurés contre lui. Da-

venant répond que le roi veut se passer du

secours de ces sectaires ann sans douté d'êtredispensé de toute reconnaissance, et qued'ailleurs si l'on a besoin. d'argent,. il s'en

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trouvera suffisamment sur un brick mou!Ucdans la Tamise.

» Yoila l'exposition. de ce drame qui doitfaire parmi nous une révolution théâtrale.On a déjà pu remarquer que l'auteur avecla meilleure volonté du monde d'être gai etléger, est toujours guindé et triste et que lesacrifice qu'il fait sans cesse de la raison à larime est en pure perte pour le plaisir du lec-teur.

» Rochester, qui a accepté la propositiondé jouer la mascarade de puritain auprèsde Cromwellne qu'Ormond et Da-venant auront enfin la complaisance d'écou-

ter son madrigal. Ormond, qui n'y tient plus,lui déclare qu'il a l'esprit plein de billeve-

» sées. » Rochester s'irrite les deux conspira-

teurs mettent l'épée à la main malgré Da-venant, qui leur dit: <

Si le crieur de nuit vous entendait

Mais ses efforts seraient inutiles si un nouveau

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personnagene frappait violemment àlaporte.Ormond et Rochester s'arrêtent à ce bruit,et'baissent leurs épées. On voit combien Fau-teur a été heureusement inspiré lorsqu'il aplacé ces trois personnages dans la tavernedes Z'roM-G'~Me~.

» Le conspirateur qui interrompt si à pro-pos la querelle élevée entre Rochester et Or-mond est un nommé Carr, que le gardien dela Tour (i), d'accord avec les conjurés ré-publicains, a laissé sortir de prison, ce quin'est guère vraisemblable; mais, comme jel'ai déjà dit, il ne faut pas y regarder de siprès. On pardonnerait l'invraisemblance,mais ce qu'il parait difficile d'excuser, c'estla nullité complète du personnage. Carr estaussi une espèce de fou dont la manie n'in-spire aucun intérêt. Son admission dans lècomplot est une absurdité de plus. Vous enjugerez par son langage.

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Ce màtin mongeôiierm'ouvreet dit:~M.y7'roM'.G?'Me~

On t'attend. Israël convoque ses tribus

On va détruire enfin Cromwell et les abus.Va Je vais, et j'arrive à votre porte amieComme autrefois Jacob en Mésopotamie.SalutI mon âme attend vos paroles de mielComme la terre sèche attend les eaux du ciel.La malédiction me souille et m'enveloppeDonc purifiez-moi, mes frères, avec l'hysope

)) Au lieu d.e lui faire .entendre des parolesde miel 'et de le puriner avec Fhysope Ro-chester parvient a lire: son madrigal, qu'il

est temps de faire connaître

Belle Ëgerie, hélas! vousembrasezmon âme'Vos yeux, où Cupidon allumeun-feu vainqueur,Sont deux miroirs ardents qui conceiitreht la flamme

Dont les rayons brûlent mon cœur.

)) Voilà. ce, madrigal, qu'on ne peut com-

parer qu'à l'innocente ëpigramme de Trisso-tin ~M?' un carrosse de couleur aMKï?'<!M~.

Rochester est rayonnant de joie d'avoir enfintrouvé une victime. Mais le vieux fou n'en-tend pas raillerie il aurait dû se moquer de

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l'insipide madrigal .il aime mieux se mettresérieusement en colère, et s'écrie:'1

Démon damnation injure

Me pardonnent le. ciel et les saints, si je jure

Mais comment de sang-froid entendre à mes côtes

Déborder le torrent des impudicités ?Fuis! va-t'en, Bethsamite! impur Madianite!Amalécite!o

<

» En vain Rochester veut lui expliquer~u'il n'est point ~~t~/ec~e Carr se livre à

tout son emportement

C.Oui, c'est un mage, un sphinx àface d'homme,

Vêtu, paré, selon la mode de Sodome!Satan ne porte pas autrement son pourpointH se pavane aussi, des manchettes au poing

Couvre son pied fourchu, de peur qu'on ne le voie

De souliers à rosette et de chausses de soie,Et met sa jarretière au-dessus du genou.

» Après ce débordement de sottises siexactement rimées, Carr veut s'échapper,mais il est retenu par l'arrivée du colonelJoyce et des autres conjurés puritains, qui

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entrent en foule. La taverne des T~oM-C~'MM

est remplie~ les royalistes sont d'un côté,etles républicains de l'autre il ne manque ala réunion que le gênerai Lambert dontM. Victor Hugo a cru devoir faire 'un am-

bitieux qui aspire a recueillir l'héritagedeCromwell ce qui n'est pas sans vraisem-blance, mais qu'il représente comme un in-signe poltron ce qui blesse la raison autantque la vérité.

Pendant que les c~a~'e?'~ et les ~e~oM-<~ (i) s'observent avec inquiétude, survien-nent quelques partisans de Charles II, par-mi lesquels on remarque sir Richard WiMis

émissaire .secret de Cromwell, -qui n'est làque pour trahir le parti royaliste. Enfin ar-rive le général Lambert, «, avec une longueépée a ~~e ~e eMM~e )) ce qui lui donne

'(t)''Ca~<er!; tes royalistes s'appelaierit ainsi entreeux et donnaient aux puritains le. nom de, têtes-fOM~e.

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Faird'uh de ces Mt<ï/a?KorM de la vieille co-médie, qui cachaient leur timidité sous'uc[amas de .froides hyperboles (i). Il s'agitmaintenant de se concerter pour la réussitedu complot. On commence par rénuméra-tion des crimes de Crômwëll, quise terminepar ce mot du côrroyeur Barebone

Il porte effrontément des justaucorps de soie

» Là dessus les. conjurés agitent leurspoignards en s'écriant, au risque d'être en-tendus au dehors

Exterminons le tyran et sa race

» Dans ce moment critique, on frappe de

nouveau à la porte de la taverne. C'est Ri-

(t) Voyez les rôles de capitan dans les comédiesqui ont paru avant Molière.

( JVoM de Jacques Delorme. )8:

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chard,nls aine de Cromwell, dont l'arrivéeimprévue étonne les conjurés ils craignent que

le/complot ne soit découvert. Cependant laconversation s'engage. Richard, qui. connaîtles cavaliers de longue main; qui est de toutesleurs parties de débauche et a rendu serviceà plusieurs d'entre eux se plaint de leur in-gratitude, et les accuse de trahison.

LORD ROSEBERRY <ï~<M'

Ciel''

LAMBERT, part.Oùfuir?7,

LORDCLIFFORD.

~Trahison.!

SEDLY.

Dieu!

CARR, 'j.~Que'veulent-Usdire?~

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RICHARD. CROMWELL, ï~emeM~.

Oui, vous venez sans moi boire ici

)) A cette burlesque accusation /les traîtres,qui viennent boire au.cabaret sans Richard,

,se rassurent, mais, lorsqu'ils commencent àreprendre leurs esprits un nouvel incidentles rejette dans la consternation. Voici com-ment. Fauteur s'exprime

,)) En ce moment on, entend Je bruit de/atrompe au dehors. Nouveau silence d'ëtôn-nement et d'inquiétude. Le son de la trompes'interrompt et une voix forté crie dude-hors

Au nom du parlement, qu'on ouvre la taverne

( Mouvement de terreur parmi les conjurés. )

LORD ROCHESTER ~D~eM<

Pour te .coup nous voila pris dans notre caverne,CommeCacus!

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» C'est encore une fausse alarme. Une s'a-1git que dé la proclamation d'un jeûne

Pour sauver ce peuple instruit et sageDes maux que la dernière écfipse lui présage.

LE CHEF DRS ARCHERS,

Sur ce,.vu la teneur du biU parlementaire,Mandons aux vivandiers, buyetiers, tavermers,Sous peine d'une amende au moins de vingt deniersDe ctorè à l'instant même et taverne et boutiquesLieux impurs où du jeûne on romprait tes pratiques!

Jr~"Les cavaliers et les tetes~ rondes, qui.. nepeuvent plus.ni conspirer,'ni se quereller niboire, se retirent.

)) Ainsi finit le premier acte du drame deCromwell. La. pièce entière est écrite de cestyle barbare, où le bon sens, les convenanceset la grammaire, sont constammentoutrages.Cette fatigante monotonie rarement inter-rompue par quelques traits de naturel etquelques pensées ingénieuses, produit undégoût mortel. Et ce ne sont pas les règles

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qu'il faut en accuser le ~eme de M. V.jçtorHugo ne reconnaît point de limites. C'est encela seulement qu'il se rapprpçhe~de Shak-speare On voit qu'il a étudie ses défauts avec

un soin extrême il ne lui manque que lesbeautés qui les font excuser. (

» Nous allons voir paraître Crpm~vell, ausecond acte. Cet homme extraordinaire a été"~

si diversement jugé, même par ses contem-porains, qu'il est bien difficile de déterminer

son vrai caractère. Certainement, le trait quidomine dans sa vie politique est l'amour ef-fréné du pouvoir et l'ona quelques raisonsde croire qu'il aspirait à fonder une dynastieroyale. Quant à son fanatisme, il parait cer-tain que l'exaltation de ses idées religieusessincère: peut-être dans l'origine fut ensuitepour lui, non un but, mais un moyen. Il.fallait bien qu'il eût l'air de partager les opi-nions des hommes dont l'influence et la coo-pération devaien servir à l'accomplissementde ses projets; mais lé pU1'itanism,e était unmasque qu'il ne portait qu'en public et qu'il1déposait dans l'intimité des relations privées.

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? On raconte qu'un jour, se réjouissant àtable ave.c quelquesamis, il ne savait ou pren-dre le tirerbouchon pour déboucher une bou-'teille d'excellent vin dont il faisait iëte auxcouviés. Dans ce moment, on lui annonça

une dëputation de sectaires qui demandaientaudience. « Dites-leur, répondit Cromwell,)) que je suis en ~Me~e du ~e~y~eM~ et ne)) puis les recevoir.. Ces bonnes gens, ajouta-

)) t-il, avec un sourire, vont croire que je

)) suis en quête du seigneur, tandis que je ne)) cherche que le tire-bouchon. ))

Je pense donc que M. Victor Hugo s'estétrangement trompé en représentant Crom-well esclave d'idées superstitieuseset illuminéde bonne foi. Toutefois, j'admettraisvolon-tiers cette supposition si elle était devenue unmoyen d'intérêt mais -il suffit de. citer unepartie du dialogue de Cromwell avec lord Ro-chester pourprouver que l'auteur aurait mieux~ait de s'en tenir à la vérité de l'histoire.

LORD ROCHESTER.1

Cette lettre, mijord vbus dira qui je suis.

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CROMWELL, pre~NM~ la lettre.

De qui? .t

LORDROCHESTER.

De monsieur John Mitton.

CROMWELL,OMC?'<ïM<~a/e~ye.,

Un très digne homme,Aveugle c'est dommage

(Hlitque)queslignes.)

Ainsi donc on te nomme

Obédedom.

LORDROCHESTER, ~MC/~MaM~<ï~a~.

Tudieu, quel nom( Haut. )

MUordradit.

(Apart.')

Obéd. Obédedom Ah!Davenant maudit!De me donner.un nom à faire fuir le Diable

Qu'on ne peut prononcer sans grimace effroyable

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CROMWELL, ~ep/M~< .~e~re.

Vous portez un beau nom. Obédedom de GethRe~ut dans sa maison l'arche qui voyageait.

Rendez-vous digne aussi de ce nom mémorable

LORD ROCHESTER a ~<ïr/.

Va pourCROMWELL.

.Un saint considérable,-p. -)<MUton, clerc du conseil, se fa~t vôtre garant.

Mais je dois et je yeux vous soumettre à l'épreuve,Vous faire sur la foi subir un examen.Avant de vous nommer mon chapelain.

LORD ROCHESTER.

Amen

C'est le moment critique.

CROMWELL..

Ecoutez, Par exemple,Dans quet mois Satomon commen~a-t-tHe temple ?

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LORD ROCHESTER.

Dans le mois de .zt'Oj second de l'an sacré.

CROMWELL.

Et quand l'acheva-t-U ?

LORD ROCHESTER..

Au mois de bul.

CROMWELL.

y~a~N'eut-it pas trois enfants? où?

LORD ROCHESTER.

Dans !7~ en Cha,ldée.

CROMWELL.

Qui viendra réjouir ta terre dégradée?

LORD ROCHESTER.Les saints qui régneront tés mille ans accomplis.

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CRQMWELL. w

Par qui les saints devoirs sont-ils le mieux remplis ?

LORDROCHESTER.

Tout croyant porte en lui la grâce suffisante.

Il suffit pour prêcher qu'en chaire il se présente

Et qu'il sache, abreuvé des sources du Carmel,Au lieu d'<~ &, c, dire aZec~~e~efo~:Mte~.

CROMWELL.

Bien dit Continuez voguez pleiné voile

LORD RÔCHESTER, avec e~~AoM~t~NyMe.

Le Seigneur en espritchacun se dévoile.On peut, sans être prêtre, ou ministre,, ou docteur,Avoir regu d'en haut le rayon créateur,

(Apart.)Quelque coup de soleil

(Haut.)).

Sans la foi l'homme, rampe.Mais veillez! éclairez votre âme avec la lampe

L'âme est un sanctuaire et tout homme est un clerc.Dans le foyer commun apportez votre é.clair!Les prophètesprêchaient dans les places publiques

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Et le saint temple avait des fenêtres obliques.

'(Apart.)Je consens qu'on te pende, Obédedom Wilmot,Si dans ce que ]e dis je comprends un seul mot.

CROMWELL,<XjM~

C'est un anabaptiste Il est fort en logiquey

Mais sa doctrine au fond est très démagogique.

LORD ROCHESTER, avec eAa~M~

Le don des langues vient à qui parle souventEt beaucoup!

(A part.)J'en suis.bien une preuve!;

( Haut. )

En rêvant,En.priant, en veillant, on devient un léviteOn peut attelndre'alors,,bienqu'il marche très vite,Satan, qui dans un jour, nonobstant son pied-bot,Va de Beth-Labaoth jusqu'à Beth,-Marchaboth.

(A part.).Corps-dieu! cela va bien. Poussons jusqu'à l'extase!

CROMWELL.

Il sumt. Vous fondez sur une fausse base ,w

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Votre édi&ce! Maisnous en repàrtérons.Quels sont les animaux impurs?

LORD ROCHESTER.

Tous les hérons,L'autruche te tarus, t'ibis éxctù de t~arche,

Le butor,

( A.part. ).Le Cromwell

( Haut.' )

Tout ce qui vole et marche.

CROMWELL.

Quels sont ceux dont on peut manger?

LORD ROCHESTER.

'C'est Fartacus,Mitôrd, ette brucùs, et l'ophiomacus.

CROMWELL.

Vous oubtiez aussi la santërette.

LORD ROCHESTER.

Ah diantreMais qui s'irait loger ces bêtes dans te ventre?

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of, i tCROMWËLL.

Et vous ne dites pas ce qu'il sied de savoir

Qui touche à des corps morts est impur jusqu'au soir.

(Apart.)

N'importe H est très docte on peut sur ces matièresN'avoir pas comme moi des notions entièresl

(Haut.)

Un dernier mot. Est-il conforme aux saints discoursDe porter les cheveux courts ou longs?

LORD ROCHESTER.

Courts, trèscourts.(Apart.)

Tête-ronde, jouis 1

CROMWELL.

Qui, vous porte à conclure9,

LORD ROCHESTER, ~t~eme~.

C'est une vanké que notre chevelurePar ses cheveux-tôngsÂbsaton fut pendu!

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CROMWELL.

Oui mais Samson'fut mort quand Samson fut tondu.

LORD ROCHESTER.

Diable!

CROMWELL.

Pour ectaircir,autant qu'il est possible

Un si grave su~et, je .vais chercher ma Bible!

( Il sort. )1

» Cette citation est assez étendue pour faireconnaître la manière de l'auteur. On voit quele dérèglementde son imagination est tout-à-fait stérile, et qu'il ne valait pas la peinede faire dé Cromwell un enthousiaste puri-tain pour amener un dialogue aussi vide de-

sens et d'intérêt. Eh vain on me dirait quec'était.la le langage de l'époque et que toutce iatras d'érudition biblique est naturel..11n'y a rien de plus naturel que le langage dej8e~/<~ou de CAareM~oM~- mais convient-il

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(le le transporter sur la scène/et d'en faire

un sujet d'imitation? Qui pourrait s'imaginer.

que des hommes tels que Cromwell et lordRochester aient jamais proféré les énormes etdéplorables sottises, malheureusement c~est

le mot propre, que M. Victor Hugo a misesdans leur bouche. Quand il serait vrai que te

protecteur de 'la révotution d'Angleterre eûtconseillé à son chapelain de- manger des ~<M<-

<e~e//es ,*de l'ar<<ïCM~ de l'<p~om<ïcAM~(i)le simple bon sens. ne devait-il pas avertirl'auteur que, dans les paroles de CromweH,cen'était pas.là.ce qu'il fallait choisir pour don-ner une juste idée de'sonde son ca-ractère ?

» Et c'est ainsi qu'on' prétend régénérer lethéâtre français! et de telles prétentionstrouvent des approbateurs En vérité, si lespreuves n'étaient pas sous mes yeux, je nesaurais croire à un tel excès de démence

(t) Voyez le Lévitique, chap. u', v. 22.

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» Je. connais la réponse banale à toutes lesobservations d'une saine critique

« On trouve, me dira-t-on, dans Shak-

)) speare des scènes aussi dépourvues de raison

)) et de vraisemblance. Il abonde en quolibets

)) et en trivialités. ))

)) Mais, précisément, ç'est là ce qui ne de-vrait pas être imité. Cette remarque a étéfaite -il y'a a long-temps. Pope se plaignai). ausside quelques mauvais. poètes, ses contempo-rains, qui n'avaient pas été plus heureux dansleurs' imitations que l'auteur de Cromwell.

« Il Y a, dit-il, deux sortes d'imitation.

» La première, c'est quand nous mettons à

)) la torture les pensées des autres pour les)) adapter au sujet que nous traitons; la se-» conde consiste, à copier les imperfections et)) les défauts des auteurs célèbres. J'ai vu un)) drame composé exprès dans le style de

» Shakspeare et qui n'a d'autre trait de con-» formité avec les pièces de cet auteur que» cette seule phrase

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And so, good-morrow, t'ye, good master lieutenant!

Ce qui signifie

Eh bonjour'donc,mon bon monsieur le lieutenant(i )!

» N'est-il pas.évident que c'est le même

genre d'imitation, dont Pope se plaignait, qui

a dicte le vers suivant que Cromwëll, dansla scène des ambassadeurs, adresse à don Luisde Cardenas

Eh bonjourdonc, monsieurl'ambassadeur d'Espagne

)) Quand on se sert d'un pareil langage, je

ne conçois pas pourquoi on se donne tant depeine pour chercher des rimes. Il me semble

que la prose conviendrait mieux aux besoinsde la nouvelle école. Si le drame de Crom-wëH était écrit en prose, il n'en vaudrait pasmieux; mais il serait un peu moins ridicule.Henri 'III n'aurait pas été 'supportable en

(t) Tbeàrtofsin~inginpoetry;° 9.

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)) J'ai parlé de l'audience des ambassadeurs,qui est la principale scène du second acte.C'est là que « monsieur l'ambassadeur d'Es-

» page offre à. Son. ~/<esNe~ de la part de Sa

))~<e~C's~o~Me~ l'ordre de/a Toison-

)) <0r. )) Voici la réponse de Cromwell

Pour qui me prenez-vous? Qui? moi, ie chef.austèreDes vieux républicains de la vieille Angleterre.,J'irais, des vanités détestable soutien

SouiUer ce cœur contrit d'un symbole païen

On verrait sur le sein du vainqueur.de SodomePendre une idole grecque au rosaire de Rome!

Loin les tentations, ces pompes, ce collier!Cromwell à Balthazar ne veut pas s'allier.

)) On-ne conçoit pas que Cromwell puisseregarder comme un outrage l'offre de la Z'o~-

~oM-~Or. Il pouvait faire observera à don LuisCardenas que ses principes, et sa qualité de

chef d'une république, ne lui permettaient pasd'accepter-un hochet qui ne pouvait avoirquelque importance que sous un gouverne-ment monarchique, où les vanités puérilesjouent un grand rôle mais il ne devait pas selivrer à un emportement sans motif, et ré-

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pondre par des injures a la politesse du roid'Espagne. Cromwell notait pas plus /e'~atM-

~MeM?' <~e <5'o<~oMte que Philippe ÏV n'était unBo/~s~ar.

w)) La scène de Faudience est interrompue

par l'arrivée imprévue de madame Cromwellet de ses filles.

CROMWELL,·,

Ah mon Dieu c'est ma femme 1

( H congédie d'un geste les assistants. )

Adieu, monsieur le duc,'messieurs!

(A ta Protectrice.)

Bonjour, madamè!Vous avez l'air souffrante avez-vous mal dormi ?

)) Elisabeth. Bourchier, épouse de Crom-.well qu'on appelle aussi milady .P~ec~c~répond qu'en effet « elle n'a, jusqu'au jour,» fermé l'œil qu'à demi.Elle ne peut s'ha-bituer'.à coucher dans le lit des Tudor et desStuart, et se trouve mal assise dans un &u-teuil royal. Elle regrette son verger, son parc,

sa basse-cour et sa brasserie. C'est en vain que

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Cromwell lui conseille « de quitter ces goûta

)) bourgeois; » elle n'y pëut.consentir.

Ma vie aux airs de cour ne s'accoutume pas,Et vos robes à queue embarrassent mes pas.

)) Le Protecteur est malheureux dans sa fa-mille. Lady Claypole, une de ses filles, esttombée dans une profonde mélancolie ma-dame Fletwood, épouse d'un républicain déterminé, annonce à Cromwell qu'il trouveradans son mari un obstacle à ses projets ambi-tieux. Lady Francis, qui ne connaît pas encorela participation de sonpèreà l'assassinatjuridi-que de Charles l", déplore la destinée de l'in-fortuné monarque. Lady Falconbridge est laseule qui attende avec joie le moment de voirCeomweH monter au trône d'Angleterre. Unetelle situation est véritablementdramatique «.

aussi l'auteur a-t-il été mieux inspiré quedans les autres scènes, voici un passage qui,malgré quelques taches/mérite des éloges

ELISABETH BOURCHIER, a CrOMtM~

Songez à votre pauvre mère!HeJas! votre grandeur, incertaine éphémère, ·

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A troublé ses vieux jours mille soucis cuisantsL'ont poussée au tombeau plus vite que les ans.Calculant les périls où vous êtes en butte,Son œil, quand vous montiez, mesuraitvotre chute.Chaque fois qu'abattant tour à tour vos rivaux,Londres solennisait vos triomphes nouveauxSi jusqu'à son oreille engourdie et glacéeArrivait le bruit sourd,dé-la ville empressée,Les canons', les beffrois, le pas des /e~:o~Et le peuple éclatant en acc~MM~tOTMj

Réveillée en sursaut et relevant sa tête,Cherchant dans ses terreurs un prétexte à la .fêteTremblante, elle criait Grand Dieu mon fils est mort

ÇRQMWELL.

Dans le caveau~desrois maintenant elle dort!1

ÉLISABETH BOURCHIER.w

Beau plaisir! Dort-on là plus à l'aise ? et sait-elle,Si vous y rejoindrez sa dépouille mortelle?

» voilà comme je vous l'ai dit, .des senti-ments vrais, des penséesnaturelles .dont l'ex-pression est quelquefois un peu forcée, maisqui sont conformes à la vérité historique. Cefragment et quelques autres, qui se trouventcomme perdus dans rétonnant' assemblage

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.de folles conceptions qui composent le dra-me de Cromwell prouvent que ce n'est pasle talent qui manque à M. Victor.Hugo etque,, s'il n'était pas atteint de la déplorableambition d'être chef d'école, il soutiendraitet élèverait même la renommée que d'heu-reuses productions lui ont acquise.

» Ceci amène naturellement une autre ré-flexion c'est que nos auteurs romantiquesne. peuyent réussir dans les moindres détails

sans s'écarter de leur système habituel decomposition, sans revenir à celui qu'ils nom-ment dédaigneusement ~co/cM~Me~ .sans res-pecter la langue et consulter la raison, sui--

yant ainsi-les préceptes et l'exemple des bonsécrivains de toutes les époques. Cette obser-vation devrait les rendre un peu plus modes-tes dans leurs prétentions, et plus retenus dansles jugements qu'ils portent sur les auteurscontemporains qui ont acquis l'estime: pu-blique.

» La scène de famille dont je viens de vousentretenir est suivie d'une conversation en-

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tre Cromwell et. Thurloe son secrétaire.Le Protecteur écoute froidement les rapportsqui lui sont faits, et ne s'anime que pourdemander si l'on a' reçu des nouvelles de Co-logne. Thurloe lui présente une. lettre de

Manning, son agent secret auprès de Char-les II. Cet émissaire lui Hdt connaître ~o?'-

dre écrit qui a été conné au poète Dave-nant, et indique mémela manière dont il est

caché au fond de son chapeau. Là-dessus,Cromwell dit à son secrétaire

Thurtoé,faissavoirA monsieur Davenànt que je voudrais lé voir 1

Il loge à la Syrène auprès du pont de Londres.

» On voit bientôt arriver le puritain Carret Fespibn en chef sir Richard WilUs: lepremier révèle les noms des conjurés roya-listes, et Willis 'ceux des républicains. Laconspiration 'ainsi dévoilée dans ses moin-dres détails, le danger de Cromwell cesse, ettout intérêt,. même celui de curiosité s'é-vanouit. Il ne tiendrait qu'au Protecteur defaire arrêter sur-le-champ les conjurés; mais

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iedrameseraitnni ,et ce n'était pas le compte

de l'auteur, qui avait encore trois actes à rem-plir d'invraisemblances,de dialogues ou Pem-phase se mêle sans cessé à la trivialité. Ontrouve dans les dernières scènes de ce secondacte quelques unes de ces méprises qui abon-dent dans l'ancienne comédie. C'est ainsi qu'àla suite d'un monologue où Cromwell se re-proche'~son.ambition, ses crimes passes ceuxqu'il médite encore Rochester le prend pourun conspirateur royaliste. Richard Cromwell

se trouve aussi en présence de Rochester,qu'ilavu<ïM.ZV~M-!6~M6~, e.t le regarde

comme un espion du Protecteur il lui jette

une bourse à ~la manière du comté Almavivadans /e jS~yÂM~ Séville. Les incidents quinaissent de .cet.MM~o~M n'oifrent rien de.dramatique: c'est un avortement complet.L'acte se terminé par un monologue de Ro-chester, qui est dénnitivemcnt élevé aux fonc-

tions :de chapelain.

LORD ROCHESTER

Leur plan sera trompé par notre stratagèmeCromwett sera par uo'ttS surpris cette .nuit même.

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Tout va bien! Poursuivons! Quoiqu'à moitié trahis.Bra.vons, pour nos Stuarts et:poùr notre pays,Pistolets, coups d'épée et débats sur ta Bible.

De la peau du renard chez tes loups revêtu,Soyons saint de hasard, chapelain Impromptu

Prêt a tout examen comme à toute escarmouche;Tantôt Ézéchiel et tantôt Scaramouche

)) C'est dans le troisième acte que l'imita-tion des défauts de Shakspcare est évidente.M. Victor Hugo, pour se donner les person-

nages les plus propres à cette imitation meten scène les quatre bouffons dont les plaisan-teries amusaient quelquefois Cromwell.L'au-

teur se trouve ainsi dans le domaine du gro-~e~Me, oùil espère recueillir. une riche mois-

son. Il a mis une importance singulière dé-crire minutieusement le costume de ses fous.

Ttucu., premier fou. Vêtu d'un bariolage jaune

et noir; bonnet pareil, pointu, à sonnettes d'or,les armes du Protecteur brodées en or sur la poi-trine.

GIRAFF second fou, Bariolage jaune et rougeculotte paréiHc, bordée de grelots d'argent, tes ar-mes du Protecteur en argent sur ta .poitrine.

GnAMADOcH, troisième fou et porte-queue~ de son

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Altesse. Bariolage rouge et noir, bonnet carrépareil, à grelots d'or; les armes du Protecteur enor. sur là poitrine.. 'c

E,LESPURU (on prononce Elespourou) quatrième fou.Costume absolument noir; chapeau à trois cor-

nes noir, avec une- sonnette d'argent à chaque

corne.Tous quatre portent de côté une petite épée à grande

poignée et à lame de bois. Trick a, en outre unesonnette à la main.

~L'auteur, qui a mis tant de soins, onpourraitméme dire de coquetterie, à parer sesquatre bouffons espérait sans doute qu'ilsproduiraient un grand effet. Ce sont des rô-les qu'il a soignés avec amour, et ou il a duemployer toutes les forces de son génie.Voyons donc l'usage qu'il a fait de ces fousbariolés, et quelles beautés résultent d'unepareille combinaison.

Ils arrivent en gambadant sur la seëne. )

ELESPURU.

~t-) (Uchante.)Qyez ceci, bonnes âmes!J'ai voyagé dausTenfer.Mqlbch Sadoc Lucifer,

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AHaient me jeter aux flammesAvec leurs fourches de fer

Déjà prenait feu mon linge;Mon pourpoint était roussi,Mais par bonheur, Dieu merci

Satan me prit pour un singe

Et me lâcha.Mevoici!

GIRAFF aya~emeM~.

Tu.crois qu'il t'a tâché Pour qui prends-tu CromwellNotre roi temporel et chef spirituel?

` GRAMADbcH,<ï6'M'<

Est-ce, pour être diable, assez d'avoir des cornes?A ce compte, GirafF, l'enfer serait sans bornes.

ELESPURU.

SurdameElisabëth Cromwell un'tel'soupcon!

W GRAMADOCH.

Ecoutez les Français ont fait cette chanson

(H chante.

« Par deux portes, on peut m'en croire,') Les songes viennent à Paris

)) Aux amants par celle d'ivoire,

o Par celle de corne aux maris.')

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Cromwell me fait porter sa queue, eh bien sa femmeLui fait porter à lui sés cornes.

» On reconnaît dans ces ridicules saillies lamanière de 'Shakspeare lorsque, subissantl'influence d'un siècle grossier, il fait agir etparler ses clowns selon le goût du temps. Mais

ne faut-il pas être aussi insensé que Giraff ou

Gramadoch pour imaginer qu'après tant dechefs-d'œuvre d'un naturel exquis/d'un goûtparfait et d'une haute raison, les Français'dudix-neuvième siècle accueilleront ces dégoû-

tantes inepties! On dit que les professeurs de

cette école comptentbeaucoup sur les jeunes

gens de l'époque ils se font une singulière idéede la jeunesse française, s'ils, croient qu'ellesoit disposée à l'admiration ou à l'imitation de'cette littérature grotesque et barbare, qui n'afait irruption en France que lorsque les An-glais campaient au bois de Boulogne et les

Cosaques au Luxembourg (i). Nous sommes

( t ) La haine inspirée par les conquêtes de Napoléon

a soulevé tes premières attaques contre la littérature

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heureusement parvenus à ce degré de civili-sation où la littérature, pour devenir popu-laire, doit être un moyen d'amélioration so-ciale. Ce sera le trait caractéristiquedu travailde l'esprit humain dans le siècle actuel.))

M. Dumont commençait à s'échauffer. Jeme permis de l'interromprepour lui dire qu'ilétait dans l'erreur sur un fait, et qu'un nom-bre considérable de jeunes gens étaient pas-sionnés pour les nouvelles doctrines.

nationale. H convenait aux étrangers d'aSaiblir l'in-fluence que cette littérature exerçait en Europe de-puis plus d'un siècle et comme notre théâtre étaitsurtout un objet de jalousie on s'occupa de le dé-molir. M. William Schlegel se chargea de l'expédi-tion il traduisit tout exprès Shakspeare et Caldéron

pour les opposer à nos poètes tragiques et parlad'un ton <d':y!p:~e, de la supériorité de génie qui as-surait la prééminence des premiers sur les seconds.Cela n'aurait été que ridicule s'il ne s'était forméparmi nous une école qui s'est étourdimentassociée àces aitaques de l'étranger.

( ~Vb<e </<e~<6'Mr. )

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K Cela ne,tiendra pas, me répondit-il: des

jeunes gens, qui aiment à s'instruire et à réflé-chir, reconnaîtront bientôt que les insipidesvieilleries. qu'on leur donne pour d'ingénieu-

ses nouveautés .ne sauraient constituer unelittérature digne d'estime. Le plus méprisablede tous.les.peuples serait celui qui renoncerait

à ses plus.beaux titres de gloire, et couvriraitd'un mépris, déshonprantpour lui seul, leshautes illustrations du génie, national. Celan'est arrivé en aucun temps, en aucun jpays.Ce qui se passe, à cet égard/parmi nous, est

un phénomène unique, qui, une fois évanoui,

ne se reproduira plus. On s'aperçoit déjà

que ces écrivains, d'un orgueil si. naïf, et quis'admirent entre eux av.ec une candeur si co-

mique, ne se sont jetés, dans l'extravagance

que parce qu'Usine se sentent ni la force nile talent nécessaires pour continuer la littéra-ture virile des deux derniers siècles. Ces bonsjeunes gens, que je plains de tout mon coeur,il leur faut une littérature de Aa/M~M~ pours'y distinguer. Mais comment peuyent-ilscroire qu'on puisse remettre en crédit les

croyances superstitieuses du quinzième siè-

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de, et que la société rétrograde jusqu'à cetteépoque d'une ténébreuse barbarie, 'tout ex-près pour se mettre à. leur niveau ?

» Ce que vous dites là est vrai mais ilfaut des siècles pour perfectionner une litté-.rature et peu d'anrées suffisent pour la cor-rompre. Songez que les médiocrités qui pul-lulent. dans tous les temps adoptent avectransport les doctrines favorables au mau-vais goût, qu'elles finissent par. se constitueren secte, et qu'elles en ont l'intolérance,lafureur et les passions. Des hommes. de ta-lent, mais .de peu de caractère et soucieux deleur repos, voyant la sottise en majorité, selaissent aller au courant, et favorisent ainsi'le triomphe du faux et de l'inepte. Voilà oitnous en sommes!

» Nous n'y resterons pas. Ce qui est

ou ce qui paraît nouveau a toujours son mo-ment de vogue. Le froid FonteneHcetleglacial Lamotté-Houdard entreprirent, versle commencement du siècle dernier, une ré-volution dramatique pareille à celle dont noust..!0

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sommes aujourd'hui menacés. Ils n'estimaientni Racine, ni Boileau, et dédaignaient lesgrands chefs-d'œuvre de l'antiquité.Us firentsecte, et obtinrent même quelques succès. Quereste-t-il aujourd'hui de leurs efforts? Un fai-ble souvenir, tout prêt d'expirer. CependantLamotteet Fontenellé étaientbien supérieurs,

pour les connaissances et pour le talent, à nosmodernes novateurs. Ceux-ci auront une des-tinée'peut-être plus fâcheuse. Encore quel-ques années de mouvement et de bruit, et,s'ils persistent dans la route ou ils sont en-trés, ils ne laisseront qu'une mémoire aussi

peu honorée que celle des Chapelain et desScudéry. VoUà l'inconvénient dont je vou-drais les préserver maisje me réserve de trai-ter plus tard ce sujet. No'usvoilà bien loin deCromwell

» Revenons-y, je vous prie l'impar-tialité de vos réuexions m'éclairesur un sujetque j'avais considéré jusqu'ici avec trop. peud'attention.

» Nous en sommes restes à ta scène des

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bouS'ôns. Le fou Gramadochprend.àson tourla parole, et annonce qu'il va chanter uneballade à l'ec~o. En voici le premier couplet

Pourquoi fais-tu tant de vacarme,Carme ?

Rosé t'aurait-ette trahi,Hi!

)) C'est encore là une malheureuse imita-tion. Le père Louis, auteur du poème de la~fa~e/aM!e~donné en ce genre un modèle.digne de l'école romantique. Ce poète sup-pose que sa pieuse héroïne, dans un momentd'inspiration, demande des conseils à l'écho.Je ne me rappelle que les vers suivants, quisont moins ridicules que ceux de- M. VictorHugo

Que craignent les oiseaux volant dans ces bocages?Cages

Que deviendra l'épine enfin, si je t'arrose ?

La rose

)) Ces, puérilités rimées avaient un grandsuccès avant Malherbe et Corneille; oh lesabandonna lorsque le goût se fut ..épuré. Il

t0.

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était digne de l'école nouvelle de s'approprierce. qui excitait. le dédaindes écrivains dontles productions sont des monuments de génie.M. Victor Hugo, non content d'imiter Saint-Amant et le père Louis, s'est même donnele plaisir d'emprunter à M. l'abbé de Pradtun des sarcasmes les plus connus de ce publi-ciste, et de le mettre dans la'bouche de Trick,l'un de ses bouffons

Tous nos OrphéesSont des Morphées;Nôtre .TMpt'?!

Est un ~captM.

» L'imitation est ici flagrante. Je ne sais,au'reste, si M. l'abbé de Pradt ne considé-

rera pas comme une épigramme ce que nousregardons comme un plagiat. C'est-une ques-tion à décider entre Fancien archevêque deMalines et le grand-prêtre du romantisme.

)) J'ai encore une remarque à faire surcette scène de .bouSbnneries c'est qu'ellen'excite' pas même ce rire involontaire qui

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nous surprend quelquefois à la lecture desburlesques saillies de la 6'tya~oM~c~e etdu ~Myt/e travesti (-i). Rien de plus tristeet de plus assommant que la ga~ des bouf-fons de Cromwell. Vous en jugerez par ce

passage

ELESPURU.

( U chante. )

Vous à qui l'enfer en masseFait chaque nuit ta grimace,Sorciersd'Angus et d'ErrotVous qui savez~e grimoire,Et n'avez dans t'ombre noire

,v Qu'un hibou pour rossignolOndins qui, sous ces cascades,Vous passez de parasol

Sylphes dont les cavalcadesBravant moûts et barricades,En deux sauts vont des Orcades

.A la flèche de Saint-Paul!Chasseurs damnés du Tyroi,

(t) Scarron..

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et je vous épargne' d'insipides r~&M~ sur le

vieux Nick et le vieux Noll.. Je rougis mêmed'appliquer les règles de la critique à de tellespauvretés. C'est un effort que je fais sur moi-même, et vous devez m'en savoir gré.

» Beaucoup plus que vous ne pensez

Je n'oublierai point vos remarques elles au-ront quelque jour leur utilité. Surmontez,

(t) Old Nick, surnom du Diable dans dialectede la poputace anglaise. Noll, abréviatipn d'Ollivier.

î)ohi la muse aventurièreBat sans cesse la clairière!Clercs d'Argail, archers de Nott,Pendus sèches au licol

Qui<ranimez vos poussièresSous les baisers des sorcières;Caliban, MacdufF, Pistol,Zingari, troupe effroyable,Que suit le meurtre et le vol,Dites quel est le plus diableDu vieux Nick ou du vieux Noll ()) ?

)) Je n'ai pas le courage d'aller plus loin

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je vous prie votre dégoût bien naturel pour,ces fades houQbnheries! Continuez vos obser-

vations sur le chef-d'œuvre dramatique de la

jeune littérature

» La tâche est pénible et je regrettede l'avoir entreprise; mais puisque vous yattachez quelque intérêt, je. tâcherai de laremplir.

)) Nous apprenons 'par la scène des fousqu'ils détestent Cromwell. L'un d'eux assure,dans le nouveau langage que Satan fait les,

tyrans au plaisir des houffons. » On auraitdit dans le dialecte suranné de Racine et de

Voltaire K pour le plaisir desbouSbns. »Mais je vous ai déjà prévenu que, si je voulaisrelever toutes les fautes contre la langue quel'auteur s'est permises, je ferais un volumeaussi gros que celui de C'yomM:e/ et aussi

peu amusant. J-'y renonce volontiers

)) Maintenant, ce que vous aurez quelquepeine à concevoir, c'est Fétourderie de Ro-

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chester-Obédedom, notre « chapelain im-promptu.))

GrRAMADOCH.

Ce cher Obédedom tout eu tirant de l'arcJe l'ai vu qui rôdait près la porte du parcQui parlait aux soldats de garde, sous prétexteDe les édifier en leur prêchant un texte.Puis il les a fait boire, et puis leur à donnéDe l'argent; puis enfin, de tous environné,Il a dit « A ce soir Pour entrer dans la placeCo~o~Ke.e~ T~~Ke~aKsera le mot de passe!

»

» C'est un singulier conspirateur que cecher Qbédédom. Voila la garde de Crom-well publiquement séduite, et!e secret dela conjuration bien garde Cromwell arrivebientôt après, accompagné de Milton et dequelques autres personnages.Il annonce qu'ilvient se' détasser de ses.travaux, et qu'il veutse distraire. C'est dans cette disposition d'es-prit qu'il s'adresse à Milton, eh lui disant

)) Fous e~e~ t7MM. (i) » Le poète prend mal

(t). Nos jeunes romantiquesne connaissentpas d'é-

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la phisanterle et se fâche sérieusement

Mii/rON, <~ec<Vieux Milton! dites-vous: milord, ne vous déplaise,J'ai bien neuf ans de moins que vous-même!

1

CROMWELL.

A votre aise

Oui, vous êtes, milord, de quatre-vingt-dix-neuf~Moi, de seize cent huit!

CROMWEI/L.

Lesouvenirestneuf.

MILTON <M7ec <;n~M;~e.

Yous pouviez me traiter de façon plus civileJe suis fils d'un notaire, alde,7,Man de ta ville.

pigramme mieux acérée que ce reproche de vieil-lesse.

(j~'b/ef/e /'e~eM/))-

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)) Cromwell lui répond qu'il est bon poète,mais que cependant ~~Aeys et Donne (i)ont un mérite bien supérieur au sien.

» Nouvelle colère de Milton, qui, se.par-lant tout haut à lui-même dit (( qu'un gé-

? nie ardent travaille dans son sein; qu'il

» habite dans sa pensée, qu'il s'y console, et)) qu'il veut créer, par sa parole un monde

)) entre l'enfer, et la terre, et les cieux. »

)) Ce brusque passage de la platitude al'emphase est un des secrets de la composi-tion romantique. C'est ce que les professeursde Fécole considèrent comme une agréablevariété de tons, et un puissant moyen d'inté-rêt. tis plaignent Corneille,Racine et Vol-taire, de n'avoir pas connu les avantages quirésultent de cet heureux contraste, et d'avoirpensé qu'on pouvait faire de bonnes tragédies

sans se servir d'un langage tantôt burlesque

(i) Deux mauvais verstucateurs de l'époque.

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tantôt déclamatoire et toujours vide dé

sens.

)) Cromwell, qui veut absolument s'égayer,ordonne à ses quatre bouSbns d'être joyeux.A cette injonction nos fous éclatent de rire~A aA/ ah! Cela ne suffit pas au Protecteur;il dit à l'un d'eux

CROMWELL.

Trick fais-nous apporter de !a bière, une pipe!t

TRICK.

Ah mitord veut fumer ?

CROMWELL.

Je veux être un peu gai.J'entends qu'on me dissipe

» Rien ne peut dissiper Cromwell, pasmême une querelle qui s'élève entre Trick lebouSbn et le chapelain Obédedom.

» Dans ce moment, la dëputatioh d'une

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espèce de sectaires nommés JR~M~?'~ (i) estannoncée ils viennentconsulter le Protecteur

sur une question très importante. Il s'agit desavoirs

S'il faut brûler ou pendreCeux qui ne parlent pas comme saint Jean parlait,Et disent ~:&o/e<A au lieu de Shiboleth.

CROMWELL.

La question est grave'et veut être mûrie.Prononcer Siboleth est une idotutrie,Crime digne de mort, dont sourit Be)zëbuth.Mais tout supplice doit avoir un double but,Que pour le pâtient l'humanité réclame.En châtiant son corps il faut sauver son âmeOr quel est !e meUteur de la corde ou du feu,Pour réconcilier un pécheur avec Dieu?c

? Une discussion approfondie et digne dusujet s'engage sur ce point. Les uns tiennent

pour la corde les autres pour le Feu. On croi-

()) ËnergumeHes.

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rait entendre un dialogue deCharenton. En-un, Rochestér met tout le monde d'accord endonnant la préférence au gibet, parce qu'on

y monte. au moyen d'une échelle, et qu'il. estprouvé par le songe de Jacob, qu'on peut es-calader le ciel de la même manière. Il n'y. apoint de réplique à un tel raisonnement, etCromwell est charmé de,la décision. Les.Ra~-<e~ se retirent très satisfaits, et font place

aux membres du conseil privé.

» C'est ici une des scènes capitalesdu drame.Cromwell va discuter avec ses conseillers,l'invitation que lui fait le parlement d'accep-

ter le titre de roi. C'est la situation d'Au-guste consultant Maxime et Cinna sur lemême sujet. Nous allons nousdonner le plai-sir de voir les deux écoles en présence, et.d'examiner les procédés de l'une et de l'autredans un ordre commun d'idées et de senti-ments..

» Cromwell, à l'exemple d'Auguste, in-vite ses conseillers a parler librement et, àdévelopper. les motifs de leur opinion.

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» Je passe sur les propos insignifiants ducomte de Warwick, de lord Carlille et dequelques autres personnages, pour arriver

aux argumentations sérieuses. Voici cellesde Whitëlocke, homme verse dans la con-naissance du droit.

0 WHITELOCK.E.

Le roi fut, de tout temps, nommé ~MZ~ëMr;/.ZLaM~ porteur, de la loi d'où relèveQu'un prince est à la loi ce qu'Adam est pour Eve.Donc, si le roi des lois est le père et le chef,Point,de peuple sans roi je le dis de rechef.Voyez pour confirmer ma doctrine certaine,Moïse, Aaron, saint John, Glynn, CicéronFountaine,Et Selden, livre trois, chapitre des ~M~

~Mt'~ de his censetur, MtO~O CO~t'C~M~.

Milord, il fatit régner!Z)!x't/

(Whitekcke se rassied.

)) Ce discours ressemble beaucoup au plai-doyer de rintimë (i).

,r( t) De ~t'~para~~p~o~ messieurs, caponibus

( Les ~/t!~eM?~. ).

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i5gD'UN ROMANTIQUE

CROMWELL.

Commeilraisonne!Qu'un discours à propos de latin s'assaisonne!ÉcoutonsWolseley!

SIR CHARLES WOLSELEY, se levant.

Milord, sans nu) détour,J'oserai détromper votre altesse à mon tour.Le chef d'un peuple libre est, suivant le prophète,Tanquam in ?Ke<.h'opcMt/M~ non au faite.Ce chef, sur quelque siége enfin- qu'il soit a~MjEst major singulis, minor MM:~e~M.Donc lé titre de roi rompt notre privilége,jRe±f:bZ~Zeq'eM.

» Cromwell trouve moins de charnie danslé latin de Wôlseley que dans celui de, Whi-telockë.

CROHWELL.

Arguments de collége!Avec vos'mots latins je suis peu familier!Mauvaisesràisons!

» Il est évident que les, arguments de ces

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deux conseillers d'état ne valent pas mieuxles uns que les autres, mais Cromwell est dé-cidé à ne trouver bonnes que les raisons de

ceux qui l'engagent à accepter la couronne.

(Le conseil est congédie.)

» Milton seul reste sur la' scène avec leProtecteur, et dans une harangue intermi-nable, où deux ou trois idées sont amplinéeset ressassées à satiété il conjure Cromwcllde renoncer a. son projet.'Quelques beauxvers sont enfouis dans cette longue déclama-

tion. J'y ai remarqué un passage que je meferai un plaisir de vous citer car il n'y a riende personnel dans mes observations, et. jevoudrais qu'il me fût possible de séparer l'au-teur de sa malencontreuse production. Cen'est pas que M. Victor Hugo soit très poli

envers les partisans de /'<ïMCteMMe~«e'r~M~'e.11 les traite dans la préface de Cromwell avecbeaucoup de dureté. Ce sont « les Mt/tc<?.y de

)) Lilliput qui veulent enchaîner le drame

)) dans son sommeil avec des toiles d'araignée;

)) <~eNpe<~M~A' e~M~ des ~'oM<M~'e~, des

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))~M~'MM pour lesquelles il ne faut pas con-» stuire de palais (i). ))

» Jé me garderai bien de suivre un pareilexemple. Je vous avouerai même que j'aiquelque sympathie pour ces jeunes gens quisemblent ignorer qu'on ne fait pas plus de ré-volution, de dessein prémédité, en littératurequ'en politique ce qu'ils prennent pour unerévolution littéraire est tout simplementune révolte contre le bon sens, qui peut en-traîner quelques esprits timides ou peu éclai-rés .mais qui s'apaisera d'elle-même devantla puissance souveraine de la raison quandl'exaltation passagère de cette révolte serapassée ils riront eux-mêmes de leur folie.

) Je vous ai promis une citation de quel-ques vers heureux de M. Victor. Hugo les

()) Pagesxxv,xxvn!,xxxvr.t. t[r

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)) C'est Milton qui parle

Au sommet de l'état jeté par la tempête,Ivre de ton destin, tu veux parer ta têteDe cet éclat des rois pour nous évanoui.Tremblé On est aveuglé quand on est ébloui

Ollivier, de Cromwell je te demande compte,Etde ta gloire en6n, qui devient notre honte.

» Il y a bien quelque chose de péniblementétudié dans l'expression de ces sentiments,;mais ils prouvent, comme je crois vous l'a-voir déjà dit qu'en renonçant a un systèmeabsurde de composition, l'auteur peut aspirerà de légitimes succès.

)) Notez maintenant le brusque passage dela raison à la sottise

CROMWELL.

Le bonhomme le prend sur un singulier ton 1

Ça maître John Milton, secrétaire-interprètePrès le conseil d'état vous êtes trop poète

Vous avez dans l'ardeur d'un lyrique transport,Oublié qu'on me dit /~b<re Altesse et Af:7or~

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Mon humilité souffre & ce titre frivoleMais le peuple qui règne, et pour qui je m'immole,A mon bien grand regret veut qu'il en soit ainsi.Je me suis résigné; résignez-vous aussi

)) Cette réponse est si ridicule de pensée etd'expression; elle annonce tant de fatuité etde petitesse d'esprit, qu'elle place Cromwelldans un état de dégradation incompatible

avec l'idée qu'on se fait d'un têt personnage.

)) Je conviens que cela est nouveau maissi nous ne pouvons avoir de nouveauté qu~à

ce prix, il vaut mille fois mieux renoncer à

toute littérature. Le comble de l'ignominie

pour la nation française serait de descendre

au dernier rang dans la culture des lettresaprès avoir tenu pendant deux siècles lesceptre du génie. Heureusement, il nous restedes hommes supérieurs, étrangers à ces gro-tesclues aberrations, de l'intelligence,, et qui,.au milieu des injures et des sarcasmes de lasottise présomptueuse entretiennent le feusacré. Nos jeunes écrivains ne sont pas tousséduits par ce délire de Fjmagination qui

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eniyre quelques médiocrités, et leur per-suade que la France les attendait comme lesrestaurateurs de sa littérature. ))

Ces réflexions furent interrompues parl'arrivée du docteur Lefranc, intime ami deM. Dumont. « Nous reprendrons demainme dit celui-ci, notre conversation. Je veuxmontrer mes belles tulipes au docteur il est

digne de les admirer. N'oubliez pas qu'après-demain je vous attendrai à diner, ainsi queJoseph Delorme Mon ami Lefrauc et sa fa-mille'seront delà partie.

)):–Vous parlez d'un jeûné homme quej'ai connu,'dit le docteur Joseph Delormé asuivi mon cours de ~a~o/o~'e avec assez de

distinction mais depuis quelque temps je

ne sais ce qu'il est devenu. ))

Je racontai alors au docteur comment Jo

seph avait été saisi inopinément du démon dela métromanie ce qui lui faisait négligerles occupations les plus sérieuses. (( Je crainsbien'ajoutai-je, que sa raisonne soit altérée.,

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Jl se livre aussi à certaines spéculations in-intelligibles qu'il appelle sa ~At/osopA~e. Ilprétend par exemple que nous aurions desidées quand bien même nous n'aurions pasde sensations qu'il voit des faits dans saconscience comme nous voyons des. fruits

sur un arbre et qu'il s'écoute penser quandbon lui semble.

» Je me hasarde quelquefois à lui dire queles sensations sont évidemment le principe de

nos idées, et que, s'il manquait du sens del'ouïe il n'aurait aucune idée de la musiquede Rossini. Il répond que je suis un misérablesensualiste que je tombe dans le /oc~MMte

et le coM<MCMMe~ et que le dix-neuvièmesiècle fera prévaloir le A~M~o-a~oMï'cMMe.Il veut aussi que les siècles soient des mission-naires chargés de faire triompher certainesdoctrines. Il croit que ce sont des idées qui `

se font la guerre se tirent des coups de ca-non, et emportentd'assaut les v.illes fortifiéesde sorte que le général qui a la meilleure ar-tillerie est aussi le meilleur logicien, et a desidées plus saines que ses adversaires. ))

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A ces mots, le docteur sourit. «Je sais

ce que c'est, me dit-il quelques hommes

d'esprit ont fait la gageure de remettre envogue les rêveries qui reparaissent de tempsà autre, lorsque l'imagination s'exalte et

que la raison humaine s'affaiblit. Mais il n'y

a là-dedans rien de philosophique, et parconséquent rien de durable. Je suis fâché queJoseph Delormé perde son temps à poursuivre

ces chimères. Je serai bien aise de le revoir

nous pourrons peut-être le guérir de ses vi-sions, et le rendre raisonnable!))

C''Je remerciai le docteur Lefranc de ses

bonnes intentions, et je pris congé de M. Du-mont, qui me prit la main, en me disant

« Ne manquez pas au rendez-vous. »)

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CHAPITRE III.

SUITE DES OBSERVATIONS CRITIQUES SUR

LE DRAME DE CROMWELL.

Rerum priucipia 'ab ingénio profectasunt, et exitus disciplina comparantur.

( M. T. CJCJSRO. )

C'était le 10 mai je me rendis au AoM-

levard de Gand, promenade favorite de Jo-seph. Je le trouvai nonchalamment assis surune chaise, tenant à la main un journal lit-téraire qui s'enrichit, ou, pour parler pluscorrectement, qui s'appauvrit de ses disser-tations sur notre ancienne littérature; et par

ancienne littérature il faut entendre celle deMM. Andrieux, Daunou,Lemercier, Ray-

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nouard,et des autres écrivainsde l'époque quin'ont pas un grand respect pour le génie deRonsard. Ses yeux me semblèrent un peu plushagards qu'à l'ordinaire.; ses cheveux étaientdressés sur sa tête comme les dards d'un hé-risson c'était le costume romantique danstoute sa rigueur. Je lui parlai de la visite quej'avais rendue à notre respectable professeur,

et lui fis part de son invitation.

«La chose mérite réflexion, répondit Jo-seph. Je crains qu'on ne fasse chez ce bon-homme de très mauvais diners. Nous au-tres, qui sommes doués d'une imaginationrêveuse et mélancolique et qui faisons unegrande dépense d'esprits animaux nous

avons besoin d'une nourriture succulente,et bien préparée, pour réparer les pertes

que notre commerce avec la muse nous faitéprouver. »

'Je lui dis, pour le rassurer? que M. Du-mont ne. haïssait pas les bons morceaux etqu'il avait pour cuisinière un cor~o~M~dont un ancien commissaire liquidateur pour-

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rait se contenter. Ces paroles calmèrent sescraintes; il fut convenu que nous irions lesurlendemaindîner chez M. Dumont, et pas-ser la soirée avec lui. Je lui demandai s'il yavait quelques nouvelles littérait-es.

((J'ai assisté hier, me répondit-il, à la lec-ture de Marino Faliero, drame historique deCasimir Delavigne. L'auteur m'a paru d'uneexcessive timidité. Il est encore loin derriè-re nous, et il a bien du chemin à parcourirpour nous atteindre.Il annonce la prétentionde faire <m~t'M:eM~ que les chefs de votre lit-térature décrépite. Cela ne suffit pas il faut,pour mériter nos suffrages; qu'un poète fasseprécisément le contraire de ce qu'ils ont fait;c'est le seul moyen aujourd'hui d'être origi-nal. Tous ceux qui prennent un autre partiappartiennent, suivant la belle expressiond'Emile Deschamps, à ~y~c~'o~ <~ coM~-nuateurs (i). Je crains bien que Casimir ne'

(') Études /ra~p<!MM et étrangères.

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se rende jamais digne de faire partie de notreradieuse constellation poétique. »

Je ne voulus pas entrer en explications

avec lui su~ ce sujet. J'étais content d'être

parvenu à lui faire accepter l'invitation denotre professeur; et je le quittai en lui rap-pelant sa promesse. Il me fit un signe de têteamrmatif, et ferma les yeux, sans doute avecl'intention de voir, au fond de sa conscience,quelques uns de ces faits qui s'y rendent parune autre voie que celle des sens.

'Le lendemain, j'annonçai à M. Dumont

que mon frère acceptait avec reconnaissanceson invitation, et je le remis sur le chapitrede Cromwell.

« Où en sommes-nous restés, me dit-il?

)) Nous en étions, lui répondis-je, à

la scène où s'agite la question de savoir si le

Pn~6<~eM?- doit changer son titre contre celuide roi. C'est, comme vous l'avez 'observé lasituation d'Auguste dans la tragédie de C~M<

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» Je n'ai pas besoin, reprit le profes-

seur, de vous rappeler cette scène admirable,qui est dans la mémoire de tous'les amateurs.Je ferai seulement une remarque importante,c'est que le poète classique a considéré la ques-tion sous le rapport politiqueet moral, le seulqui soit raisonnable tandis que le romantiquene l'a envisagée que comme un thème burles-

que et favorable a l'esprit insipide de bouf-fonnerie. Ces deux manières de procéder sontles traits caractéristiques des deux systèmes.Dans le premier, il faut, de toute nécessité;consulter le bon sens et les convenances, rè-gles jalouses qui gênent singulièrement la li-berté des grands écrivains,de notre époque,et leur donnent beaucoup d'humeur. Il suffit,dans le second système de se livrer à un ba-vardage emphatique ou insigni&ant qu'on nes'attendait pas à entendre, ce qui constituel'originalité.

»-Reprenons maintenant notre analyse, etpassons sur une scène de remplissage entreCromwellet sa fille lady Francis, qui ne sait

pas encore le rôle que son père a joué dans la

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tragédie révolutionnaire du 3o janvier. Ro-chester revient sur le théâtre avec une espècede. duègne., nommée C'M~oy. Il est trèspressé dé faire sa déclaration d'amour à lafille du Protecteur, et il a acheté de dameG'M~oy la faveur d'être admis auprès de

sa maîtresse. Lady Francis parait plongéedans une profonde rêverie.

» Pendant ce temps, Rochester et la duègneont une conversation tout-a-fait dans le genrede la vieille comédie sauf l'esprit et le style.La dame Guggligoy prend des airs de co-quette

GUGGLIGOY.

Je vaux d'être encore regardée.Quand je me suis d'avance un peu raccommodée.Au fait, je ne suis pas si digne de.dédainQuand j'ai ma jupe rose et mon vertugadin,Mes tacs d'amour, mes bras garnis de belles manches,Et mes deux tonnelets ajustés sur mes hanches.

»Rochester, qui la trouve,malgréses atours,

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(( digne de dédain, )) est pourtant obligé delui dire des douceurs:

LORDRÔCHESTER.

Mars eût quitte Vénus s'il eût vu Guggligoy!

» Le vers le plus étonnant est celui qui ter-mine cette parade qu'on n'oserait offrir même

au public des boulevarts. C'est Rochester quiparle de cette dame Guggligoy au momentoù elle quitte la scène.

LORD ROCHESTER.

Certe, elle a les os secs à faire un très bon feu

)) Voilà le comique qui doit' remplacer ce-lui de Molière C'est ainsi que nous faisonsdes progrès et que nous arriverons bientôtà laprfectionde l'art dramatique. Je feraiobserver en passant que le personnage deRochester blesse cette vérité de l'histoire sirigoureusement exigée par nos réformateurs.Comme Faction se passe en i65~ un an à

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peu près avant la mort de Cromwell, lordWilmot-Rochester, si connu par son espritet ses écrits licencieux, devait être âgé de dix

ans. Il n'est guère probable qu'à cet âge, ilsoit entré dans une conjuration qu'il ait jouéle rôle de chapelain et voulu séduire ladyFrancis. Il est vrai qu'on trouve des anachro-nismes dans Shakspeare et cela suffit pourjustifier le poète moderne ainsi, n'en parlonsplus; et arrêtons-nous un instant a l'entretiende Rochester avec la fille de Cromwell.

)) Ici, nous trouvons l'imitation d'une scènede Crispin dans l'une des plus jolies pièces deRegnard.

LORD ROCHESTER.

D'abord, tournons la place avant de l'attaquerUne fille est un fort, j'ai pu le remarquerLes clins-d'oeil qu'on lui fait, la mise recherchée,Les petits soins, les mots galants, sont la tranchéeQui s'avance en zig-zag, la déclaration,C'est l'assaut; le quatrain, capitulation.

» Le Crispin des Folies amoureuses se sert

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aussi d'expressions militaires dans une situa-tion semblabled'Agathe.

if s'agit .de l'enlèvement

CRISPIN..

Il faut d'abord savoir si dans la forteresseNous nous introduironspar force ou par adresse;S'il est plus à propos pour nos desseins conçus,De faire un siège ouvert ou former un blocus.

Quand ou veut, voyez-vous, qu'un siège réussisse, C

II faut premièrements'emparer des dehors,Connaître les endroits,.les faibles et les forts.Quand on est bien instruit de tout ce qui se passeOn ouvre la tranchée, on canonne la place..8.C'est de même à peu près quand on prend une fille.

» Crispin-Rochester ne vaut certainementpas son modèle; et il est encore plus malheu-reux lorsque, dans la même scène il s'avisede lutter avec Molière. M. Victor Hugo a faitde lady Francis une ingénue qui ne sait riendes choses de ce monde Rochester cherchea la séduire par les mêmes moyens dont la

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vieitle femme se sert auprès d'Agnès pour ladécider à recevoir Horace.

Vos yeux ont fait ce coup fatat,Et c'est de leurs regards qu'est venu tout son mal ( t).

? Rochester de son côté apprend à IndyFrancis'« qu'elle épand autour d'elle des ra-» vages affreux; que l'un de ses regards faitt

» cent malheureux qu'elle a sous les yeux» une de ses victimes. ))

» Francis répond comme Agnes

Si je vous ai fait du mat sans !e savoir,Jeveuxie réparer!

)) J'ignore comment les génies du siècle s'yprennent pour justifier des imitations si mal-adroites. Il n'y aurait pas assez de sarcasmeset d'anathèmes contre les écrivains apparte-

()).Ë<'o/e~e.6Mwey.

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nant à la vraie littératurequi suivraient un telexemple. Remarquons encore que toutes ceshautes prétentionsd'originalité de la nouvelleécole ne signifient rien que les chefs eux-mêmes.ne se font aucun scrupule de s'appro-prier des idées et des traits connus; seulementils les gâtent

Contactuque omnia fœdant (t).

Rochester termine cette scène en offrant

son malheureux quatrain à lady Francis etse jette à ses pieds. C'est dans une telle situa-tion que Cromwell le surprend, situationqui serait dramatique s'il y avait moinsd'absurdité dans les préparations, si Roches-ter, au lieu de se montrer comme un vilbouffon, était animé d'un sentiment vrai et

G'énergique.

CROMWELL

Par quel hasard, maître, aux genoux de ma fille?

(1) Virgile.I. t22

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.LORBROCHESTER, C~?'<

Dieu! CromweH! Je suis mort! pour une peccadiHe

C'est dur d'être pendu Pris en délit flagrant,

Il n'aura pas pour moi de châtiment trop grand!

CROMWELL.

Fort bien, mon chapelain

C'est un fou,

LADY FRANCIS <ï~s~.

Il faut de l'indulgence

» Lady Francis a raison et, pour calmerla .colère de Cromwell elle lui apprend queRochester,s'est jeté à ses pieds pour lui de-mander la main d'une de ses femmes ladame Guggligoy.

CROMWELL, <! Rochester.

Pourquoi ne point parler tout de suite, m-ou cher,Puisqu'il vous reste encor des penchants pour la chair?

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LORD ROCHESTER N 1 part.

Chair! une peau collée à des os faits en duègne

CROMWELL.

On vous satisfera. Je hais que l'on me craigne.Je suis content de vous je pourrai vous donnerVotre belle.

LORD ROCHESTER.

Ma belle! un vieux spectre à damner!Un corps à rebuter les bêtes carnassièresUne figure a faire avorter des sorcières

» Que dites-vous de cé langage si dëcentde ces gentillesses romantiques destinées à

nous faire oublier les comédies du c/a~c~-me. (i). Expliquez-moi comment il se trouve

(t) C'est un mot nouveau pour désigner l'opiniondes écrivains qui disent le grand Corneille au lieu dugrand Shakspeare.

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des gens assez aveuglés par l'esprit d'innova-tion, bu assez idiots, pour admireret vanterces méprisables turlupinades

» Ils disent que ce sont là les hardiessesd'un génie indépendant. >

» –La situation de Rochester aux genouxde lady Francis n'est point de l'invention deM. Victor Hugo. On trouve dans les M«/wot-

7'M de la famille de Cromwelloù notre au-teur puisé la plus grande partie de son éru-dition historique, une aventure à peu prèssemblable arrivée à un certain .7e~ White,chapelain de Cromwell. On y voit aussi quelady Francis n'était pas tout-à-fait une Agnès,

et qu'on eut de bonnes raisons pour lui faireépouser Robert Trick, son premier mari. Cen'est point un reproche que j'adresse à l'au-

teur si l'altération des faits et des caractèreseût produit la moindre beauté dans son ou-vrage j'en terais volontiers un sujet d'éloges;

.mais il n'y a pas moyen de s'y résoudrelorsque tout aboutit à de monstrueusescari-catures.

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» Reprenons notre analyse

CROMWELL ~a~e~a/!< a M/ï ~OM~Me~M'e.

Dis à Charn Bibtecham l'un des voyants d'Ecosse,Qu'ii marie à l'instant, sur le livre ~de foi,

Mesïire Obédedom et dame Guggligoy.

)) Le mariage ainsi conclu, lady Francisreste seule. Elle ouvre le parchemin que luia laissé Rochester et .au lieu d'une déclara-tion d'amour, elle lit une invitation à lordOrmond de se rendre vers minuit'à a la porte

du parc dont le poste est séduit. Il sera facilede saisir Cromwell endormi par les soins deRochester. C'est ainsi que Fauteur rentredans l'actiohprincipale du drame, qu'ilsem-blait avoir oubliée. Lady Francis remet /eparcA~M~M à Cromwell, qui apprend alorsla métamorphose d'un chef de cavaliers enpuritain et qui se prépare à le faire tomberdans le piège où lui-même devait être pris.,La vraisemblance est partout choquée; mais,je le répète encore c'est un droit acquis auromantisme.

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» H se passe dans l'intervalle quelques scè-

nes parasites une entrevue de Rochester etde dame Guggligoy; la découverte du billetécrit de Cologne que Cromwell saisit dansle chapeau de Davënant, donnée historique

que l'auteur a traitée,comme le reste; enfin

une audience accordée 'au parlement, qui dé-fère le titre de roi au Protecteur, et que ce-lui-ci refuse pour le moment. Tous ces inci-dents, amènes sans art sont vides d'intérêt,et le poète toujours fidèle au mauvais goût,les rend encore plus insignifiants par la barba-rie grotesque de son langage..

)) CromweU se trouve seul avec Thurloë.La nuit est venue. Le Protecteur fait mettreson lit.dans la chambre peinte, où les juges deCharles I" s'étaient réunis. Le choix est d'au-

tant plus bizarre que Cromwell a peur des

revenants; mais il se rassure par une rëSexiontrès.judicieuse.

CROMWELL.

Quand la nuit sera venue,Si ces lieux ont un spectre, il ne me verra pas!

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)) Rochester arrive, et présente le breuvagesomnifère à Cromwell.

CROMWELL.

( H prend le gobelet sur le plat, et le présente tout à coup à.

Rochester. )

Buvez vous-même, alors l'hypocras est salubre

» Rochester, après quelques lazzis dignes-sd'Arlequin, boit l'hypocras, et 'en éprouvebientôt leseffets. Cromwell et Thurloë lepla-cent tout endormi sur le lit ou le Protecteurdevait reposer.

<;

)) Une scène entre Cromwell et un vieuxJuif usurier et astrologue termine ce troisiè-

me acte, qui est intitulé les FoM~ et quijustifie parfaitement son titre. ))

M. Dumont allait passer au quatrièmeacte lorsque je lui demandai là permissionde faire une remarque.

cc II me semble, lui dis-je, que le goûtdes bouffonneries était un trait caractéristique

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de Gromwéll, et'que,. sous ce point de vuey

M. Victor Hugo ne mérite point de repro-ches.)) Vous pourriez avoir raison, si

ces bouffonneries' étaient dignes de la scè-

ne, si l'auteur les avait présentées avecesprit, si elles excitaient la gaîté, si enfin'elles ne formaient qu'un accessoire dans ledrame.

)) Les bouffonneries de Cromwell étaientplus en actions qu'en paroles. Il jeta un jourun coussin à la tête du lieutenant-généralLudlow qui lui rendit sur-le-champ cettegrossière plaisanterie. Au moment de signerl'arrêt de mort de Charles 1* il se servit de

sa plume pour tacher d'encre les lèvres de soncollègue Martin, qui siégeait près de lui'. Onraconte d'autres traits de ce genre, mais cestraits-la ne' constituent pas ce qu'on appelledans le nouveau langage l'individualité, Ce

sont choses communes à 'tous les mauvaisplaisants. Si Cromwell n'eût été qu'une es-

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pece de Gilles fanatique, tel que M. VictorHugo l'a représenté, serait-il parvenu au su-prême pouvoir? Son génie eût-il dompté lesfactions frémissantesautour de lui ? Les rois,ses contemporains'et

ses flatteurs, se fussent-ils prosternés devant sa fortune? La cour su-perbe de Louis XIV eût-elle porté le deuil à

sa mort? Non assurément. Il faut donc avouerqu'en s'attachant presque exclusivement auxpetitesses de sa vie privée, aux ridicules de

son caractère, même en supposant la peinturevraie, M. Victor Hugo n'a fait connaître qu'im-parfaitement ce puissantpersonnagequi domi-

na sur l'Europe comme sur l'Angleterre;qui,par le fameux acte de navigation, prépara laprépondérance maritime de son pays. Crom-well, couvert du sang royal, isolé au faîte dela puissance, devait éprouver des inquiétu-des son sommeil était probablement moinspaisible que celui de l'innocence. Mais il y aloin de ces perturbations morales à la craintepuérile des spectres que M. Victor Hugo luiattribue. Cromwell redoutait plus lé poi-gnard des assassins que les apparitions noc-turnes de Charles I". Il ne fallait pas faire,

~I

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du vainqueur de TVo~e~ et de ~o~ee~er unpoltron et un niais. Ce n'est pas la de la ndë-litë historique.

» Je pourrais appliquer les mêmes re-marques à la plupart des personnages dudrame de' Cromwell, tels que te généralLambert, Whitelocke Milton; mais j'aihâte d'en finir avec le chef-d'œuvre de lanouvelle littérature, et je viens à ce qua-trième acte, qui ne vaut pas mieux que les

autres.

))-I1 faut nous rappeler que Cromwell estinstruit de la conspiration des royalistes, etde celle des républicains; il sait que les pre-miers doivent s'introduire, à la nuit close,dans sa chambre à coucher, le saisir toutendormi dans son lit, et le transporter àCo/o~~e~ où Charles II l'attend avec im-patience. 'Il ne faut pas non plus oublierque Rochester plongé dans un sommeilléthargique, est étendu sur le lit du Pro-tècteur. Tel est l'état des choses lorsque

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s'ouvre le quatrième acte. -La première scène

se passe « à la poterne -du parc de Wbite-))Hall.))

CROMWELL.– Déguisé en soldat; un lourd mous-quet sur l'épaule, une cuirasse de bunle un cha-peau à larges bords et à haute forme coniquegrandes bottes.

Il se promène de long en large devant la poternedans l'attitude d'un soldat de garde. Quelques mo-ments après que la toile est tevée, on entend le crid'une sentinelle éloignée.

LA SENTINELLE.0~-

Tout va bien Veillez-vous?

CROMWELL.

( )) poseson mousquet à terre et répète )

Tout va bien! Veillez-vous?7

» Pendant que les sentinellesse répondent,les bouffons de Cromwell qui sont commelui dans le secret de la conjuration, « se blo-

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)) tissent sur un banc de gazon, derrière une» charmille. »

1*

GRAMADOCH.

Cachons-nous là tous

CROMWELL..

Oui, c'est mon bouSbn qui rentre!

GRAMADOCH bas <ï ~e~ C~Ma/'a~M.

Du drame sur ce point l'action se concentre.D'ici nous verrons tout.

TRICK, Aaa.

H faudrait l'oeil d'un clerc.Voir!-Dans le four duDiable il iaitcent fois plus clair

( Ils se taisent et demeurent immobiles. )

» Cromwell, qui fait sentinelle à la po-terne, s'amuse, en attendant l'arrivée desconjurés, à moraliser sur la destinée de sonbouffon; il se trouve beaucoup moins heu-

reux que ce fou.

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CROMWELL.

Que lui fait l'avénir!Il aura bien toujoursL'hiver, pour se vêtir, un lambeau de velours,Un gîte, un peu de pain mendié par des rires,Sans disputer sa vie aux embûches des sbires.Il dort toutes les nuits n'a point de songe affreux,iJamais, trouble la nuit de pensers ténébreux,Il n'a, pressant le pas sous quelque voûte sombre,Craint de tourner la tête et d'entrevoir une ombre.

))Cromwell compare sa situation avec cellede ce bouSon, et regrette d'avoir une autredestinée; il se plaint que la nuit est glacée

les discours impertinents du juif astrologueont altéré sa raison il tremble.

( Le beffroi commence à sonner lentement minuit. )

CROMWELL.

Minuit! et je suis seul! Si j'invoquais les MtMM/

( Un bruit de pas derrière les artires. )

Oh je suis rassuré voici mes assassins

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» Un vieil Espagnol pusillanime et supersti-tieux aurait pu penser à invoquer les saints;mais un puritain! mais Cromwell! Com-ment M. Victor Hugo peut-il ignorer quel'invocation .des saints était une de ces pra-tiques idolâtres que~es sectes protestantes re-prochaient avec le plus d'amertume à l'Églisede Rome? Quelque indulgence qu'on ait, ilest difficile d'excuser une pareille bévue.

«Les cavaliers entrent a pas de /oM~ lord

»),Ormundet lord Roseberry en tête. Grands

)) cA~peaM.P ~&<]!~M~ a~!j~M M~M~aM./!0~» soulevés par de longues épées. Us se par-)) lent à voix basse. Crdmwell remet son~mousquet sur son épaule ,.et se place dans

)) l'ogive de la poterne. »)

)) Les détails de cette scène, qui devraientoffrir quelque intérêt, sont d'un ennuimortel. C'est toujours je même jargon bur-lesque,~iâ même absence de raison et de na-turel.

» Cromwell laisse pénétrer les royalistes

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dans le palais et pendant qu'ils s'emparentde Rochester, le Protecteur continue sa garde,

en faisant la conversation, d'abord avec unsir William Murray, le plus insipide per-sonnage qu'on. puisse concevoir, et ensuite

avec le juif astrologue dont les paroles ontdéjà trouble son imagination. Je passe sur ladécouverte d'une bourse appartenant à Ri-chard Cromwell, et j'arrive au moment cri-tique ou les cavaliers qui s'imaginent avoirsaisi le Protecteur dans son lit délibèrentsur le parti qu'ils doiventprendrea. son égard.Lord Clifford et quelques uns de ses com-pagnons sont d'avis de-le tuer sur-le-champ.Il faut noter que Cromwell, que son traves-tissement a rendu méconnaissable, assiste à ladélibération. Le docteur Jenkins s'opposeà l'assassinat proposé,attendu que Cromwelln'est pas mis en jugement, et'que la loi seraitviolée. Les conjurés se mettent à rire d'unpareil scrupule; mais au moment où ils lèventl'épéepour frapper leur captif, Richard Crom-

well, qui a compris leur dessein, se jette de-vant eux et fait à Rbchester toujours en-dormi un rempart de son corps. On se

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presse, on se débat, le tumulte est au comble.Rochester est enfin réveillé par tout ce va-carme.

LORD ROCHESTER, C~M~.

Vous m'étrangtez Au Diable

Les conjurés, surpris, peuvent à peine encroire leurs yeux.

LORD OSMOND.

Où donc est Cromweti ?

CROMWELL.

( Il se redresse et d'une voix de tonnerre )

Le voici

Hors des tentes, Jacob Israël, hors des tentes!

» Les royalistes consternés sont entourésde soldats, et Cromwell triomphe au milieudes turlupinades de Rochester et de la confu-sion _de ses ennemis. Le Protecteur les me-nace d'une punition exemplaire; mais le doc-

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teur Jenkins, tout hérissé de jurisprudence.,soutient qu'il n'a pas le droit de les fairepunir.

LE DOCTEUR JENKINS.

Violemment aux lois vous pouvez nous soustraire!1ÇM'tMpor/e/Nousmourrons, mais de Mto~<t'<ra:'r<?,Et seulement f~e/a:7/<

))Jenkins poursuit ses arguments; penseà la mort avecJndiSerence pourv.u qu'il nemeure que de fait, et soit~vivaut de. ~c~.CromweII, qui n'y regardé pas de si près

se moque des conjurés.

CROMWELL.

.Dans quelques heures,Quand le jour renaissant blanchira ces demeures,Vous serez tous pendus! Allez, priezpour moi

)) Tout le monde se retire, à rexcëption des

quatre bouffons, qui sortent de leur cachette,

pour décider lequel de tous les personnagesqui viennent de sortir est te plus fou. 1/un~d'eux tranche ainsi la question:

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GRAMADQCH.

Et pourtant quoiqu'il porté un monde sur son coutDe ceux dont nous partons.Cfomw.eH est le plus fou.

)) Après cette belle décision., tesbouSonsquittent la scène et le quatrième acte. estfini.

)) Dites-moi s'il est possible de prendrequelque: intérêt à une action si, absurde-ment conduite, à des personnages qui nedisent jamais ce qu'ils doivent dire, et agis-sent comme des insensés. On se plaint avecquelque raison que, dans' certaines tragédiesfrançaises ..le vers manque de vérité et de na-turel, défaut qu'on ne peut reprocher nosgrands poètes dramatiques comme il seraitfacile de le prouver/Mais cette uniformitéde: ton elle-même n'est-eUe pas préférable à

cette bassesse continuelle de pensées et de lan-gage, a cette déplorable incorrection: de style,qui gâterait seule les scènes les. mieux con-çues et les plus habilement préparées. Cette

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facilité de jeter, par milliers, des lignesexactement rimées., qui ne sont ni vers, niprose doit tenter Ia~ médiocrité, ,qui. s'irritéde son impuissance. Il ne .faut donc pas s'é-tonner si quelques jeunes gensadoptent avecenthousiasme le nouveau Système. Il leuroffre un autre avantage c'est qu'avec ce sys-tème, on peut se passer d'étude et d'observa-tion ils n'ont besoin de connaître ni lespassions humaines ni les eS~ts naturels quien résultent. La partie morale manque dansleurs drames; tout y est matériel. Le remordschez eux n'est point le mouvement 'd'uneconscience agitée. c'est la crainte du diableet. des. spectres. Ils dépouillent l'amourdu sentiment qui en fait le.' charme etne cherchent la source des émotions, quedans les dangers présents, et les souffran-

ces physiques. Les'convulsions de l'agonie,les derniers cris des mourants, les douleurssmême causées.par.des meurtrissures, commedans~RcM~ ~1, tels sont les moyens, qu'ilsemploient pour toucher et émouvoir les spec-tateurs. C'est la décadence complète de l'art,et la honte de ta littérature. Si un pareil sys-

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terne réussissait parmi nous, ceoserait. la.

preuve d'une absence totale,d'élëvatiou dansles sehtimentset de délicatesse dans lesmeeurs.Nous ne pourrions offrir pour ex'cuse l'igno-rance et la barbarie de l'époque car nousavons une scène qui.a a fait jusqu'ici notre juste.orgueil et dont la supériorité est partoutreconnue, excepté parmi nous (J). Nous enreconnaissons le mérite, nous en admironsles beautés c'est une école de patriotisme etde civilisât! on.

()) Chose, remarquable! tandis que des écrivainsfrançais s'accordent à dénigrer les auteurs dramati-

qpes de l'êpoqùe qui restent ndètes au goût et la rai-son, leurs ouvrages sont accueillis par le reste del'.Europe tes comédies de MM. Alexandre Duval,Casimir Detàvigne, de Lavitte, Casimir Bonjour,d'Epagny, sont traduites dans toutes les langues etreprésentées sur tous les théâtres. Lés Anglais ont deShakspeare une J~M~e/eMMe co/ere « The tamingofthé ~hrew, ') qu'ils ont abandonnée pour la char-mante comédie de M. Etiennë. Nous t'avons vuujouer à Paris ta traduction est tittérate.

(~Vo/e~e/eM?;.)

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bons

Mais'on ne veut plus que le drame ait unbut; et cependant, puisque le drame est des-tiné à agir sur les masses, il ne doit laisserdans Famé des spectateurs que des impressionsmorales autrement le théâtre deviendraitfuneste aux mœurs, et, par une conséquenceinévitable, funeste à la liberté sa corruptionserait bientôt celle de la société. J'ai tropbonne opinion de la jeunesse française pourimaginer qu'elle se laisse séduire par l'amourde la nouveauté jusqu'au point de préférerles conceptions informes de nos dramaturges

aux chefs-d'œuvre des maîtres de la scène

aux productions plus modernes des écri'vainsqui se montrent dignes dé cultiver leur héri-tage: Je vous l'ai déjà dit, une demi-douzainede novateurs téméraires, quelles que soientleur morgue et leurs prétentions, né sont pasprécisément ce qu'on doit nommer la jeune~roMce. Je voudrais que ma voix fût en-tendue

))– Elle le sera ~dis-je à M. Dumontc'est moi qui m'en charge. Mais reve-

je vous prie au drame de Croni-

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well je suis curieux d'en connaître ;te dé-noûment. ~f.',s..))–– Il n'y a point, à'proprement parlerde dénoûmeht, parce qu'il n'y a point denœud dans la pièce. Rien n'y est lié, ni suivi;on pourrait transposer la plupart des scènes

'sans qu'il fut possible de sentir la transposi-tion. C'est en gênerai le défaut des .théâtresanglais et allemand. Nous voulons sur lascène française un ensemble dont les partiess'enchaînent, et gardent entre elles cette,pro-portion. harmonieuse, mérite -incontestablede toutes les hautes productions :de l'art, soitqu'il s'applique à l'imitation théâtrale, soitqu'il inspire l'architecte ou le peintre. Maisil faut du talent, du goût, .de la .réflexion,pour arriver à cette perfection qui constitueles chefs-d'œuvre,ou pour en approcher.Il est plus commode''de s'anranchir, sousprétexte d'indépendance, de toutes les règles,

çet de se livrer aux caprices d'une imaginationdésordonnée qu'on appelle du génie. Encores'il résultait quelques beautés de ce dévergon-dage, mais non Vous avez vu que rien dans

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!eC'f'oMMM//deM. Victor Hugo ne. rachètela licence de la composition.

)) Le cinquièmeacte, dont il me reste à vousentretenir., s'ouvre par une scène d'ouvriersqui préparent le trône pu C~omwell doit s'as-seoir puis, surviennent les conjurés républi-cains, qui trouvent tout simple de discourirdans la Salle même du trône sur la manièredont ils frapperont le Protecteur, lorsqu'il

posera la couronne sur sa tête. On voit bien-tôt arriver la foule des citoyens de toutes lesclasses, attirés par la nouveauté du spectacle.Le peuple joue son rote dans cette scène, etvoici quel est son langage

VOIX DANS LA. FOULE.

Ah!levpilà!estIui!Voyons'-Lui-méme!-Ah'-Oh!L'Achan des nations! Pharaon Néchao!Il est seul en carrosse! Il regarde sa montreLe maire et.les shériffs marchent à sa rencontreMonsieur, vous qui voyez, comment est-il vêtu?

En velours noir. -Voisin, votre coude est pointu

Noil avait à Bunbar la barbe un peu plus saléIl descend! Où va-t-il-? Prier Dteu dans la salle

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De ta.ChaaceUerie. H va prier l'enferComme il marche entoure dé ses co/e~ de /er/

» Voilà un échantillon de ce langage popu-laire, qui serait excellent dans la rue, maisqu'on ne saurait faire entendre sur.la scène

sans .s'exposer aux risées du public. « C~t,» dira-t-on, la M<~M?'e prise ~M?' le /7. )) La

populace de Londres a du demandereommentCromwell était vêtu; et, observer, commeune chose digne de remarque, qu'il était ha-billé de velours noir, et qu'il avaitnettoyé

sa barbe. Je répondrai à cela\que ce n'est pasla nature.meme qu'on demande sur la scène

mais l'imitation de la nature, ce qui supposela réQexion et le choix. De ce que l'imitation

doit être vraie, il ne s'ensuit pas que toutdoive être imité. Beaucoup de choses sontdans la nature qu'il serait peu dëcent d'étalerrsur la scène le choix est donc nécessairec'est le but de l'art et le secret du talent. SiM. Victor Hugo avait étudié les beautés deShakspeare, au lieu de s'attacher uniquementà l'étude de ses défauts, il aurait appris parla belle scène du jFo?'M?M, dans le troisième

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acte de la tragédie de Jules César, comment

un grand poète fait intervenir le peuple dansle drame et développe le mouvement de sespassions. M. Victor Hugo a voulu être vrai,il n'a été que trivial;

)) Nous voici arrivés à la scène capitale del'ouvrage, à la cérémonie du couronnementprésumé de Cromwell. Il entre, entouré d'unnombreux cortège ou se trouvent les princi-paux personnages de l'état, les généraux, lesministres; les grands,dignitaires et les .con-jurés. L'auteur a indiqué avec un soin minu-tieux le costume et l'ordre dans lequeF doi-vent se placer les acteurs il paraît qu'ilattache une grande importance à, la partiematérielle du spectacle et qu'il s'imaginequ'en parlant aux yeux on est dispensé deparler à l'esprit..

CROMWELL, /<ïMCM~ ~Me/~Me~<M.

1

Au nom du Père! au nom du Fils'et de l'EspritLapaixsoitavecvous!

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L'ORATEUR DU PARLEMENT, a C~'o~we/

MHord quand Samuel offrait des sacrifices,Il gardait à Saûl l'épaule des génisses

Pour montrer à ce roi, sous le sacré rideauQu'un peuple pour un homme est un rude fardeau.Il roule lourdement ce gr.and char où nous sommesQue tes événements traînent tout chargé d'hommes

Et pour te bien guider. dans les âpres chemins,H.faut an ferme bras et de puissantes mains

)) L'orateur du,parlement continue sur lemême ton, pt, de métaphore en métaphore,arrivé laborieusement a là conclusion sui-vante, :bien aligne de Fexorde:

MHôrd, guidez-nbusdoncdanstôutés nos- fortunesEtdàignez agréerla foi de vos communes!

))CromweU répond à cet orateur par'unexposa de la situation prospère des troisroyaumes.:

Vivons donc assurés dans -la faveur ;cé)este.!Mais pour que le Seigneur chez ;nous, se/mauifeSte,

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II faut courber le front et plier les genoux`:

Prions! et que l'Espritdescende parmi nous

( CromweU s'agenouiUe.' Tout son cortège le parle-

ment, les cours de justice et les soldats, s'agenouillentaussi. )

1 0)) Pendant que tous ces personnages sont en,

oraison, Syndercomb, l'un, des conjures,trouve que l'occasion est favorable pour frap-

per Fusurpateur; mais Garland; qui appar-tient aussi à la conspiration, ne veut pas qu'onle tue pendant'q'u'il est en prière, de peur deFenvoyer tout droit au ciel. Milton, ~paro-diant r-ro/o~Me dans la tragédie de JM/e.!

Ge'M~ s'écrie!César;-s'éçrie

Cromwell, prends garde à toi Songe aux ides.de mars!

CROMWELL~a~~OM.

Mittou, expliquez-vo~s

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MILTON.

v 7~M-rec~e/PAar<M(t)'

)) A cette belle explication Cromwellhausse les épaules, et monte' sur le trône.Bientôt on lui apporte l'épëe, les sceaux deFêtât, la Bible et le général Lambert s'ap-proche pour lui remettre le diadème.

( Tous les conjurés ëpars dans la foule posent à la fois la main

sur leurs poignards. )

(t) Ce sont ies mots qu'aperçut Balthasar au mi-lieu d'un repas, et dont le prophète Danie) lui donnal'explication.

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crois pas que. LycQpbron(i) lui-mêmeajjtjamais été plus ténébreux. Vous en jugerez

par cette'comparaison ou, si Fon veut, parcette énigme, dont je n'ai pu trouver le mot

On croirait que le Dieu terrible. aux'Philistins

A comme un ouvrier composé nos destins y

Que son bras sur un axe, indestructible aux âges,De ce vaste édifice a scellé les rouages,OEuvre mystérieuse, et dont ses longs enbrts y

Pour des siècles peut être ont monté lés ressorts..Ainsi tout va La roue à la roue enchaînéeMord de sa dent de feu la machine entraînée)Les massifs balanciers, les antennes, les poids,Labyrinthe vivant, se meuvent à la fois.L'effrayante machine accomplit sans relâcheSa marche inexorable et sa puissante tâcheEt des peuples entiers, pris dans ses mille'bras,Disparaîtraient, broyés, s'ils ne se rangeaient pas..

)) Je voudrais bien qu'.ôri m'expliquât ce

(i) Lycophron, poète grec, auteur d'un poème in-tituté ~ife-ra~ra, qui à exercé ptùsteurs érudits, etque personne n'a jamais pu comprendre.

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qu'il faut entendre par ce /a~~M~e vivantqui~se!composë dé balanciers, d'aM~MMe~. etde ~oKJ~ Cette pénible accumulation degrands.mots., et ce vide d'idées, s'associe na-turellement avec les froides hyperboles si fa-milières attxmauvais écrivams.

CROMWELL.

Que je veuille être roi! Si frète et tant d'orgueitCe projet, et j'en jure à côte du cercueil,Il m'est plus étranger, frères, que /MM)t'ére

T~M soleil. a r<°y!/aK<<!M~ le ~e':n de ~<2 Mère.'

Voulez,- vous un ë.chantitioû du styte*niais?

.CROMWELL.

Et Crpm,weH eût trouve plus, de charmes ceM< /o;~garderses MMM~o~M qu'à détrôner des rois

)) Cett-e harangue se termine ainsi

Sur ce, nous prions Dieu,d'un cœur humbte et sountis~Qu'il vous ait'en sa sainte et digne garde, amis

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Nou~vout avons montré notre âme ~tout entière,Vous demandant pardon, pour dernière prièreD'ayoïr, un jour si chaud, fait,un discpurs~t ZoM~. 7

Ce discours de Groinwell fait tomber les

armes des mains des conjurés et Factionprin~cipale est terminée. Crqmwell pardonne auxconjurés royalistes et républicains. Le. fana-tique Syndercomb est le seul qui s'obstine a

vouloir tuer r-~cA~/ï <~ Ms~ïOM. Le peuples'émeut, le jette'dâns la Tamise, et ta piècennitparcesmotsdëCromwell: s

Quàhd~dënc serai-je roi

M. Voila l'teMM'e JrsMta~~Me qui excitel'envie et la colère des partisans de la sainelittérature, de cette littérature devenue le

plus puissant moyen de perfectionnementdans les sociétés modernes. Vous pouvezmaintenant apprécier les doctrines par leursrésultats. Je vous; ai' montré les. fruits de cetaSranchissëment des'règles, ou, en: d'autres

termes, des principes mêmes de Fart d'écrire.E'esprit s'y perd~ le talent s'y dégrade /et lanature même ne~s'y~montre jamais que sous

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des formes hideuses. Il est temps de s'oppo-w

ser a ce torrent de folies, à ce débordementdu mauvais goût qui nous couvrirait de honte,

et nous exposerait au mépris des peuples, jus-qu'ici accoutumes a nous respecter. Les na-tions, en renonçant à leurs plus beaux titresde gloire, ne s'avilissentjamais impunément

et si l'on voûtait y regarder,de près, si l'ondévoilait la vraie cause'de ce, dénigrementaveugle de la grande littérature philosophiquedu dernier siècle', de quelle confusion ne se-raient pas couverts ses ennemis, qui ne sont,après tout, que les continuateurs de la jalou-sie ét de la haine de l'étranger Mais ce n'estpas ici le moment de développer cette vérité.Il est temps d'ailleurs de prendre quelquc.re-

pos il se fait. tard, et je ne veux pas vousretenir plus long-temps.))

Avant de quittërmojl ancien processeur,je lui exprimai, ma reconnaissance pour lesleçons que je venais de recevoir, et je ma re-tirai satisfait, en pensant que j'avais trouveéFhomme le plus propre à guérir mon frère dela matadie inteUectueHedontit était attaque.

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Joseph, fidèle à sa. promesse, vint meprendre vers les cinq. heures, et nous nousrendîmes chez M. Dumont. Il nous reçutcordialement dans un petit salon dont l'a-meuhlement n'est pas somptueux, mais oul'on remarque une grande propreté. ~Lemeuble d'acajou en velours d'Utrecht etles rideaux des croisées sont d'étôSe jaune

avec une bordure rouge. On voit au centre

CHAPITRE IV.

DINER CHEZ M. DUMONT.

Térenceest dans mes mains, je m'instruisdans Horace

Homère et son rival sont mes dieux du Parnasse.(LA FONTAINE. )

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une table ronde de marbre noir couverte de

tasses de porcelaine de différents dessins et dediverses grandeurs. La cheminée, en marbrede bleu turquin, est ornée d'une pendule et de-deux vases d'albâtre,de Florence, luxe modes-te, proportionné à la fortune du propriétaire.D'anciennes et belles gravures, telles que leye~<MMeM< <E'M<~a~M~a~ les Bàtailles <lexandre, et quelques portraits gravés parNanteuil, se détachent sur une tenture depapier couleur d'ocré. Dans le fond du sa-lon, aux deux angles, s'élèvent deux pié-destaux, sur lesquels on a placé les. bustes

de Racine et dë~ Voltaire; enfin un pianod'Erard complète l'ameublement.

Joseph jeta un regard de dédain sur lesdeux figures ombragées de leurs vastes per-ruques. Je compris sa pensée, parce que jelui avais souvent; entendu dire que les perru-

ques telles qu'on les portait autrefois, étaientincompatibles avec le génie, et qu'il fallaitnécessairement avoir les cheveux courts et endésordre pour faire de bons vers: Quant à

lut,, il~av.ait.assez bonne'mine:malgré son air

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un peu empesé. La vue de notre ancien pro-fesseur me parut réveiller en lui .d'agréablessouvenirs, et je fus charmé de le voir dansces heureuses dispositions. 1:

N.ous avions a peine achevé les premierscompliments, que nous vîmes arriver le doc-

teur Lefranc, accompagné de madame Le-franc, et de mademoiselle Berthe, leur fille.Le docteur, que tout Paris connaît, est un de

ces hommes d'une humeur enjouée, qui fontle charme des sociétés. Quoiqu'il soit grandpartisan de la diète, et qu'il prêche éloquern-ment la sobriété, il ne laisse pas de faire bonnechère. Brillat-Savarin le regardait commeun des connaisseurs les plus habiles de l'épo-que j'ai même entendu M. de .Pertyo~ enfaire l'éloge. C'est d'ailleurs un professeurd'une science profonde, se faisant un plaisirde rendre service ,-et jouissant avec modestiedé sa célébrité. Il se plaît a encourager lesjeunes médecins qui font preuve de talent,qualité aussi rare parmi les membres dé laFaculté de médecine que parmi ceux de laFaculté des lettres.

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Madame Lefranc est une femme sans pré-tentions, qui pourrait, tout comme une autre,faire valoir, à quarante ans;, une taille. bienfaite et une figure agréable, mais qui a le sen-timent-des convenances, et se contente d~étre

bonne et spirituelle.

Quant à mademoiselle Berthe, âgée de dix-sept ans, il serait difficile' de se faire l'idéed'une plus jolie personne. Je ne pus m'empê-cher d'admirer sa taille légère et gracieuse,la blancheur animée de son teint, sa blondechevelure ses yeux bleus, et -l'expressiond'une physionomie ou l'ingénuité se mêle àla finesse.

Le docteur s'avança vers Joseph, et, lui se-couant la main un peu rudement « Je suisaise de vous revoir, lui dit-il. Eh bien quefaites-vous maintenant ? Vous suivez sansdoute vos études avec l'aptitude que je vousconnais, vous devez être, très avancé,? C'est

une belle et honorable carrière que celle dela médecine! Vous êtes fait pour y réussir. »

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Joseph fut natté de ces paroles et cepen-dant il éprouvait quelque embarras.

ci Je n'ai pas renoncé entièrement à lamédecine, répondit-il mais un goût irrésis-tible m'a jeté dans les inspirations mélanco-liques, et je me sens un cœur de poète.

a Cela n'est pas bien reprit le docteur.Savez-vous ce que Malherbe, qui s'y connais-sait, disait des poètes? C'est que, dans un état,Us étaient aussi utiles que de bons joueursde quilles.

)) Le mot est dur et injuste dit M. Du-mont je ne connais pas d'homme plus esti-mable qu'un poète qui fait servir un waitalent à orner la raison et à inspirer de géné-

reux sentiments. Qu'en pense notre aimableBerthe ? »

Joseph parut attendre la réponse avec intérét.

« Je ne sais, répondit la jeune fille., s'il w

1

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me, convient de me mêler d'une pareille dis-cussion; mais, puisque vous me demandez

mon avis, je vous dirai franchement quej'ai-me .la poésie; Je crois que peu de personnessont insensibles au charme des beaux vers.

)) Je suis bien aise de .vousentendre par-ler ainsi, reprit M. Dumont. On peut direde la poésie ce que Shakspeare dit de la mu-sique

The man that hath not music m himsetf,Nor is not moved with concord of sweet stiunds,Is fit for treason stratagems and spoils;The motions of his spirit are dut! as night,And his affectionsdark as Erebus.Let no such man be trustéd »w))Je ne me crois pas obligé de vous tra-

duire ces beaux vers. La langue anglaise estmaintenant si répandue, que tous ceux quiont reçu quelque éducation la compren-nent. ))

N..Je remerciai,.pour ma part, M. Dumont

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de sa bonne opinion mais je le priai de tra-duire les vers du poète anglais, comme sije ne les entendais pas. e

)) –Volontiers, reprit-il. Ce passage estl'un des plus frappants du Marchand de

~eMMeJ pièce dans laquelle vous avez vuKean jouer le rôle du.juifSbylock, commeTalma jouait celui de Néron avec une'ef-frayante vérité. C'est Lorenzo qui parle à

Jfssica

« L'homme qui n'a en lui-même-aucun

» sentiment d'harmonie, et qui n'est point)) ému par le doux accord des sons, est propre)) à la trahison, aux ruses et aux rapines. Les

)) mouvements de son âme sont mornes comme» la nuit, et'ses penchants sombres comme))

l'Érèbe. Qu'on ne se fie point a un tel

)) homme »

A cette citation de Shakspeare le frontde Joseph s'épanouit, ses yeux~s'allumèrent,et il s'écria d'un ton d'enthousiaste

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<(Voilà le poète que j'aime le seul poète

qui ait compris le drame', et dont les pièces..traduites par Émile Deschamps et Alfred deVigny feront oublier nos vieilles tragédiessi pédantesquement renfermées dans les règlesenvieusesd'Aristote. L'artest tout entier dansShakspearè. C'est là que se trouvent réunisle bas et le sublime, la vérité locale, l'indi-M'~M<~7edes personnages; Richard III avecsa bosse pittoresque Falstaff avec son grosventre caractéristique Henri V assis sur les

genoux d'une prostituée des savetiers et dessénateurs, des princes et des voleurs de grandchemin, la M<M~e des croyances, le cri in-~Mc~et ~poM~e des passions. Vous remar-querez peut-être qu'il a des défauts des in-corrections. Allez dire à l'Éridan roi desfleuves, qui coule par. les campagnes et dansles grands horizons de Lombardie, à nappesépanchées, recevant ondées du ciel et ruis-

seaux tributaires rapide et irrésistible à sonmilieu comme incertain et avec des cou-rants en tous sens sur ses bords, y déposant

et reprenant au hasard roseaux et branchagesnottants ,_et jonchant ses crêtes écumantes de

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mille gerbes de feu sous le soleil; allez luidire qu'il a tort de s'épandre et de se jouer entelle licence si votre voix charitable 'perce

à travers sa grande voix et s'il peut vousentendre (i) vous saurez ce qu'il vous ré-pondra »

M. Dumont allait prendre la parole, lors-

.que la bonne Véronique, son ancienne gouver-nante, nous avertit que le dîner était servi.Cette interruption suspendit le débat naissant.Joseph offrit.sa. main à mademoiselle Bérthe,qui l'accepta en souriant.

«La cure sera difficile, dit à demi-voixle docteur Lefranc je crains l'hallucination.

)) H y aura plus de mérite dans la guéri-son, répondit le professeur; j'espère que nousen sorti rons à notre honneur. ))

Les -places distribuées, Joseph se trouva

(!) Pensées de Joseph Delorme

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vis-à-vis de mademoiselle Berthe, dont labeauté, la fraîcheur et les grâces me parurentravoir singulièrement frappé. J'en fis la re-marque à l'occasion d'un superbe poisson quis'attira les compliments des convives. Enfoute autre compagnie ce mets, dont Josephest très friand, aurait absorbé ses idées aussifortement que s'il l'eût vu au fond de sa con-science~ mais je dois dire a sa louange quel'aSection morale remporta sur Fihclinatiohmatérielle, et qu'il dîna plus sobrement qu'àl'ordinaire. Je conclus de cette observationque la raison revenait à son'poste, et qu'ens'y prenant avec adresse, on pourrait repla-cèr son esprit sous la direction du bon sens.

La conversation, jusqu'au dessert, avait été

très variée. On s'était entretenu de l'opéra de

6'M~a!Me re/~ des lois.communale et dé-partementale, des voyages de M. de -Polignac,de l'émancipation des catholiques d'Irlandede la danse de mademoiselleTaglioni de lanomination de M. Bourdeau au ministère de

la justice, de la baleine,de la rentrée de

MM. Étienne et Arnaùlt à l'Académie fran-.

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çaise (i), enfin de tous lessujets qui occupaientl'attention fugitive du jour. Au dessert, l'en-tretien revint naturellementaux matières lit-téraires, à l'occasion du drame de Henri III.Ce que Joseph admirait le plus dans cette pie-

ce, c'est le moment où le duc de Guise saisitle bras délicat de la duchesse avec son ganteletde fer, et lui fait éprouver une .douleur in-

supportable.

K Voila, dit -il, les spectacles qui nous con-aviennent aujourd'hui. Les plus beaux vers de

Corneille et de Racine ne produiront jamaisd'effets semblablès; c'est d'un naturel parfaitemademoiselle Mars subit la question avec uneadmirable vérité.

Mme LEFRANC.

Eh monsieur peut-on'voir souffrir des malheureux

(t) Ces détails déterminent l'époque de la mer-veilleuse conversion de Joseph Delorme, et épar-gneront des recherches )aborieuses aux Saumaises fu-turs. ( Note de ~t'~My. )

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Cette citation de Racine qui venait si a

propos, avait un peu déconcerté Joseph,lorsqueje m'avisai de répondre comme le juge

Dandin

Bon cela fait toujours passer une heure ou deux.

Joseph me lança un regard de traversmais il se remit bien vite, et continua l'expo-sition de ses doctrines dramatiques.

« Vous m'avouerez, dit-il, que tout est de

convention dans votre système classique. L'i-mitation y manqued'exactitude; il n'y a pointd'individualité. Dans T~owc sauvée, parexemple, M. de Voltaire représente bien Ci-céron comme un homme éloquent, dont lepatriotisme est mêle de cette vanité qui lui a.été si souventreprochée mais il a oublie deschoses importantes, qui ne seraient pas échap-pées aux enfants de l'époque, comme dit M.Cousin, et qui auraient constaté l'individua-lité je veux parler de la verrue que l'ora-teur romain suivant l'opinion vulgaireavait sur le nez, et de son geste habituel;

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car on sait qu'il se prenait volontiers. le

menton de la main gauche. Voilà ce quej'aurais appelé du naturel si l'acteur avaitrincé son nez en parlant, comme Cicéron lefaisait quelquefois l'imitationaurait été par-faite. Mais M. de Voltaire, seigneur de Fer-ney, n'avait rien approfondi. Nous ne l'au-rions pas admis dans notre Pléiadé (i),et M. Guiraud ne voudrait pas signer sespièces.

)) Vous parlez bien légèrement de l'écri-vain le plus raisonnable, le plus spirituel, et'du génie le plus étendu qui ait jamais existé

(!) Pléiade constellation poétique composée de

sept étoiles de première magnitude. Ce fut Ronsardqui eut en France la première idée d'une pléiade elle

se composait de Ronsard de Dorat son maître, d'A-madis Jamyn de Joachim Dubellay, de Henri Bel-leau, d'Etienne Jodelle'et de Pontùs defiard.

Les étoiles de la pléiade romantique sont MM.Vic-

tor Hugo,Lamartine, Sainte-Beuve,Alfred de Vigny,Émile Deschamps et Gaspard de Pons.

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répondit M. Dumont. Vous voulez du natu-rel, rien de mieux nous en voulons aussi t

la dinercnce qui existe entre nous c'est que

vous recherchez une imitation'de l'objet quisoit en poésie ce' que sont en peinture cestableaux destines à tromper les yeux et quin'ont aucune valeur sous le rapport de l'art.Je~m~e ferai mieux comprendre par un sim-ple rapprochement.

)) Un habile sculpteur,Cortot par exemple,entreprend la statue du général Foy. Le mar-bre s'anime sous le ciseau; le génie de l'orateurse révèle dans ses traits', et l'énergie du guer-rier dans son attitude la pose est,en harmo-nie avec le geste toute son âme respire sur lemarbre vaincu par le génie. Le sentimentd'une perfection idéale saisit le spectateur,frappé'd'admiration c'est le produit de l'artfécondé par l'imagination; voilà le naturel deCorneille, de Ra'cine, dé Voltaire, et de toussles bons écrivains de la même école.

» Mais voici Curtius qui nous arrive, avecsa cire ses couleurs et ses étoSes. Il se met a

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l'oeuvre modèle la figure, reproduit la cou-leur des yeux, celle des èhairs et de la cheve-lure. Il place sur son mannequin l'uniformecomplet. du général. L'imitation matérielle

ne saurait aller, plus loin et, cependant, cetaspect nous repousse ce n'est ni la mort nila vie. Vous ne voyez là qu'une nature hi-deuse et sans nom. Voilà le naturel des'ro-mantiques. Ce n'est. donc! pas l'imitation quevous cherchez c'est le calque de l'objet. L'i-mitation suppose de la rëuexion, du choix,du talent le calque ou la copie est un travailmesquin et sërvile. Je,finirai par une questionà notre douceBerthe,d'ont~estime beaucoup-le. jugement que pense t-elle sur cette ques-tion ?

))'– Je préfère, répondit Berthe, enbaissant les yeux, les statues de Canova auxmannequins) de Curtius, et les tragédies deVoltaireà celles de M. Guiraud. ))'

Cette simple et modeste réponse fit-fairea Joseph un léger tressaillement, dont je fusseul à m'apercevoir. Il leva les yeux sur la

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fcharmante fille, et répondit en ces termes

(( Voila une décision sur laquelle il n'y aplus a revenir; celle qui l'a prononcée luidonne trop d'autorité. Permettez-moi seule-ment quelques remarques

)) Dites- moi pourquoi tous ces chefs-d'œu-

vre de Corneille et de ses successeurs, qui ex-citent votre admiration font aujourd'hui si

peu d'effet sur la scène ? Le Théâtre-Fran-çais est désert toutes les fois que l'affiche

annonce (?M!M<t, les ~orace~. P~e'c~e Z?~-<6!MM~CM~ Athalie, Zaïre Mahomet ou. Sé-/~M'<MMMj l'on aperçoit tout au plus dansl'orchestre quelques ~te~es ~errM~MM del'Académie française. Le majestueux alexan-drin de Fécole classique ronfle dans le vide

comme l'orgue d'une cathédrale avant, queles fidèles ne soient venus à laprière. Que si-gnifie cette indifférence si ce n'est que le

goût du public est changé, qu'une révolutions'est faite dans ses idées, et que nous avonsbesoin d'un nouveau systèmedramatique. Lajeune littérature, exempte.de préjugés, aSran-

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chie du joug de l'imitation, a compris ce be-soin, et veut le satisfaire.: Voilà tout le re-proche qu'on peut lui adresser. Mais, de grâ-

ce, ce reproche est il fondé? N'est-il pasévident que les formes anciennes sont usées?Eh bien, il s'agit de leur substituer des for-

mes nouvelles, qui, sans doute, vieillirontaleur tour, et seront remplacées par d'autres.La littérature ne peut-elle pas avoir ses révo-lutions comme la musique, qui .change à peuprès tous les vingt-cinq ans? ,Que diriez-vous si l'on faisait,un crime. a .Gluck de n'a-voir pas continué Rameau, et à Rossini de

ne s'être pas emprisonné dans la méthode deGluck ? Laissez l'indépendance aux artistesle public adoptera ce qui sera le plus con-forme à son goût.)) »

Ces réflexions de Joseph. me surprirent;je ne l'avais jamais entendu parler avec au-tant de calme et de suite dans ses idées.Puis-qu'il commençait à raisonner, j'en conclusqu'il pouvait devenir.raisonnable; et j'attri-

buai cette amélioration intellectuelle a l'in-

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fluence naissante d'un sentiment auquel ilavait été jusque alors étranger.

« Vous avez très bien résumé, réponditM. Dûment, lès raisonnements de nos réfor-

mateurs. C'est ce qu'ils peuvent dire de plusspécieux lorsqu'ils abandonnent le sarcasmeet les sottes plaisanteries, dont ils ne sontpoint avares, parce que ce sont là des riches-

ses naturelles qu'ils répandent sans s'appau-vrir. Je vais reprendre l'un après l'autre tous

vos arguments, et vous montrer que ce sontautant de sophismes et d'arguties, qui, dans

tous les temps, ont été reproduits, et dont laraison a toujours fait justice.

)) Vous me demandez pourquoi les tragé-dies de Corneille de Racine et de Voltairen'attirent qu'un petit nombre de spectateurs.Il y a deux raisons de ce fait. La première,c'est que nous avons lu ces chefs-d'œuvre,que nous. les avons relus mille fois, et qu'ilssont dans la mémoire de tous les hommes quiont quelque littérature. La seconde raison,

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et la plus forte c'est.que nous n'avons plusd'acteurs pour animer. les -personnages.-ira-giques, et rendre avec vérité les. inspirationsdu génie. Lès grands, acteurs, sont; presque

aussi rares que les-grands poètes mais qu'il

se présente un Baron -un. Lekain, un Talma,une Adrienne Le Couvreur, une Clairon,.vous verrez le -public accourir .en.foule à

ces tragédies.aujourd'hui négligées. Ce n'estdonc pas le goût général qui est .changée Lamédiocrité des acteurs, pins frappante dansla représentation des grands chefs-d'oeuvrede l'art, fatigue lé public, ~Ie dégoûtée etvoilà tout. :L

vy

'(:1)) Que les acteurs soient au niveau de Ja

pièce, comme dans TTeM~.TIZ', ce~sont~desrmédiocrités qui se serventmutuellementd'ap-pui il n'y a point de disparates. Que la partiematérielle du spectacle, les décorations, lescostumes, soient brillants etpompeux; que le

sang y coule à grands flots, la foule s'y préci-pitera comme aux courses, du C't~Me-O/y~-

~ï'~Me et aux expéditions nocturnes des bri-gands de /~M~M.' Mais ces succès sont-

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éphémères. Quand '77eM~ 717", .le..nouvelO~e/~et les. pièces du.mêmegenrèfdispa-raitront.dèia scène., ce sera pour toujours

ou bien, il n'en restera qu'un faible. souvenirde'coulisse. Il n'en sera pas ainsi, non seule-ment des anciens chels-d'œuvre consacrés pardeux siècles d'admiration, mais des.ouvragesdramatiques composes avec un vrai talent etun goût pur. Ainsi l'a~te~MOM de M. Le-~mercièr, les Templiers .Ilizr~ius ri~ lVli~z-mercier, /eN Temp/ter~ .M<M't'M~<ï Aft~-<M?~e~ G'ermaMtcM~ 6'a Le'CMM~

les ~epTe~ siciliennes, la C~~eMïMe~e deM. Soumet,-M<ïWe~M<~(i)., en quittant lascène'entrent dans la littérature nationale,et y reçoivent une nouvelle vie. Toutes lesfois:qu'irse trouvera:des acteurs habiles pourles~ représentera'ces pièces seront revues avecplaisir~ c'estila- le privilège de )a bonne école.

))~Vous dites que les formes anciennes sont

()j. On pourrait ajouter aujourd'hui te GtM/t~e-~t/o/p/iedeM.LucienArnault, l'a&e~/tdeM.An-c.ctot, et'nue Fête </e~e?'OM.(7Vo/e~e ~ew.)

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usées, et.que'vous voulez des formesnouvel-.les. Je vous demanderai d'abord: ce que vousentendez par les formes du drame.

» J'entends les formes qui résultent del'observation desrèglesimposéesparAristote,et qu'Horace et Boileau recommandent ex-pressément. Vos unités d'action de lieu, .de

temps sont trop gênantes; c'est un despotismeinsupportable dont nous avons délivré le

théâtre français.

)) Permettez-moi d'insister. Ne dit-onpas tous les jours en parlant de l'imitationthéâtrale des actions humaines l'art drama-tique ?

.)) Oui; sans doute

))– Eh bien pouvez-vous concevoir unart qui n~ait point de règles, ou si vous l'ai-mez mieux, de lois?.La peinture; l'architec-.ture, la musique n~ont-ellespas des règles, queles' peintres, les architectes et lescompositeurs

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de musique sont forces, quelque gêne qu'ilsen éprouvent d'étudier et d'observer ?

~–Je l'avoue

)) Otez du drame les unités de tempside lieu, d'action, il ,n'y a plus d'art; vousstombez dans l'invraisemblance, la confu-sion et l'absurdité vous revenez à l'enfancede la scène et de la civilisation; vous n'êtesplus de votre temps.

ç

)) Nous remplaçons toutes ces règles parune seule l'unité d'intérêt.

-)5Fort bien mais, pour arriver à l'unité

d'intérêt, il faut qu'il y ait unité d'action carla multiplicité des événements et des caractè-

res divise et affaiblit l'intérêt; et pour quel'action soit une.n'est-il pas naturel qu'elles'accomplisse dans un'temps et un lieu déter-minés? Croyez-vous que ce soit pour gêner le

poète que ces règtes aient été établies? Non

rc'est le bon sens qui les a dictées car la philo-

i

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sopbie et le bon sens sont deux termes iden-tiques.

)) L'observation stricte des unités n'est pasmême imposée au poète, pourvu qu'il en ré-sulte des beautés réelles. Boileaune vous dit-il

pas que le génie peut sortir des règles, et.ap-prendre de l'art même a franchir leurs limi-

tes. Ne vous plaignez donc pas de la sévéritéclassique Commencez par avoir du génie, et

vous nous trouverez pleins d'indulgence! Mais

ne croyez pas que le mépris de toute règle soit

une marque de génie c'est le signe le pluséclatant de la médiocrité, qui sent avec dépit

son impuissance, et s'arrête devant chaquediHiculté, comme devant une insurmontablebarrière.

» Des écrivains qui n'ont pas assez réfléchi

sur les principesde l'art proscrivent les règles

comme inutiles ceux qui n'ont ni la capaciténécessaire pour réussir en s'y conformant, nile génie qui en fait.excuser l'inobservation ac-cidentelle, ressemblent a ces mauvais pein-tres, incapables de dessiner correctement une

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figure', et dont la présomptueuse vanité ;in-sulte à la grande école de David..Je me ré-sume en vous disant comme Voltaire, dont lejugement doit .avoir quelque poids, que jedéfends les règles. de l'art dramatique nonparce'qu~elles~sont anciennes, mais:, parcequelles sont raisonnables et nécessaires.

)) Vous voulez dope que l'art reste sta-~'ûMMa~re? Vous lui interdisez tout pro-grès

.)).– Tons les arts sont stationnaires, en cesens, que les principes, une'fois reconnus, ne

'sauraient:varier. Ce qui était vrai du tempsde Corneille l'est encore aujourd'hui et le

sera. dans tous les temps. Mais le génie quise soumet a ces lois parce que sans raison iln'y a point de génie, le talent qui les applique

avec bonheur, ne s'arrêtent point; ils s'ou-vrent des routes nouvelles, et découvrent de

nouveaux moyens d'intérêt dans la mine iné-puisable de l'histoire et dans les profondeursdes passions humaines. Corneille, Racine~

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Voltaire, et les tragiques modernes dont lesouvrages ont obtenu l'estime publique, con-servent ce que vous nommez les, vieilles for

7MM <~M ~~a~e~ et cependant leur théâtre achacun son caractère et son génie particulierl'adoption d'une forme n'est point l'imitationd'une manière.

)) Rendez s'il se peut l'action du drameplus vive, l'intérêt plus pressant; que votre

langage, familier sans bassesse, descende deshauteurs de la poésie; quittez le palais des

rois pour l'humble demeure des citoyens;transportez-nous dans les régions les pluslointaines; oSrez-nous le tableau de mœursinconnues nous vous applaudirons si vous

restez .fidèles aux lois de la raison, aux prin-cipes du goût.! Les règles élémentaires de l'artde peindre sont aujourd'hui les mêmes qu'àl'époque où Raphael composait ses chefs d'oeu-

vre cependant nous avons eu d'admirablestableaux; nous en aurons encore, si l'incor-rection, l'exagération, l'extravagance, n'en-vahissent pas nos ateliers. Il en sera de même

pour la poésie Ut pictura ~Me~. »

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Le docteur Lefranc interrompit cette dis-cussion.

((Je vous écoute avec plaisir, mon vieilami, dit-il à M. Dumont; mais si vous con-tinuez cette leçon de littérature, nous lais-

serons refroidir le café, au grand déplaisir deVéronique, qui nous attend avec impatience.Prendre le café chaud est une bonne règle,quoiqu'elle soit ancienne romantiques etclassiques sont d'accord sur cette règle; cequi, je n'en doute pas, amènera quelque jourl'harmonie entre eux. »

Joseph s'empressa encore d'offrir la maina mademoiselle Berthe, et nous passâmes

dans le salon. Le café, préparé de la main deVéronique, était excellent, et Joseph ne puts'empêcher d'en faire la remarque.

« C'est probablement qu'il a été fait sui-vant les règles de l'art, dit la jeune fille,

avec un sourire.

)) Véronique, ajouta madame Lefranc,

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~entendrait pas raillerie sur un point aussiessentiel. Maintenant je désire, ma chèreBerthe que vous nous fassiez entendre quel-

ques chants de Rossini. M. Dùmont qui estun peu mélomane, vous'en saura gré. ))

Mademoiselle Bérthe ne se fit point prierelle exécuta avec verve et sentiment les mor-ceaux qui lui furent indiqués, et, mariant ladoùce mélodie de sa voix aux chants in-spirés dé Rossini, elle excita notre admira-tion. Joseph était en extase; il m'a depuisavoué que l'impression qu'il avait reçue dans

ce moment ne pouvait plus s'eSacer.

« Puisque Rossini a fait une révolution

en musique, dit-il, en s'adressant à notreancien professeur, pourquoi n'en ferions-nous

pas une en littérature?))

Cette transition assez naturelle ramena laquestion que M. Dumont voulait traiter danstoutes ses parties. Les dames témoignèrent le-plaisir qu'elles auraient à l'entendre, et il re-prit la discussion en ces termes

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« En comparant la littératurela mu-sique, vous n'arriverez à aucun résultat'favo-rable votre système. Le but de la littéra-ture est non seulement d'émouvoir) mais d'é-clairer l'esprit et de perfectionner'le sensmoral de l'homme. Le génie du musicien con-siste à ,trouver dans la puissance du rhythmeet dans l'accord des sons les moyens de. pein-dre là nature, et d'exprimer les passions hu-maines. L'art du compositeur nous place sousle charme des émotions le plus habile estcelui qui excite nos sensations avec le plusd'énergie. En ce sens Rossini n'a point faitde révolution en musique il l'a seulementportée à un degré de perfection inconnu jus-qu'à lui. Il a continué les grands artistes quil'avaient précédé; il a été plus loin que sesmaîtres dans la même carrière; d'autres pour-ront le surpasser.

)) La littérature, dans l'acception la 'plusétendue que nous donnons à cette expression,

n'est point, comme on 'l'a dit superficielle-mënt, ~c-rp~'e~NtOM i~e/a~oc~f'. Cette dënni-tion a besoin d'être exptiquëe, et j'y reviën-

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drai. La littérature digne de ce. nom est leproduit du travail de l'intelligence humaine

sur elle-même et sur la société. L'intelligen-

ce de l'homme, ou la raison, se reconnaît, se

mesure, cherche à augmenter ses forces voilala philosophie. Elle considère l'homme et lessociétés dans leurs rapports mutuels, et cher-che à les améliorer c'est la politique et lamorale deux soeurs séparées à leur berceau,et qui jusqu'ici n'ont pu se rencontrer. Enfinelle s'exerce sur le cœur humain, sondeles profondeurs où s'agitent tant de passions:c'est la littérature proprement dite,, le dra-

me, l'histoire, là poésie.

)) La raison aujourd'hui est au fond de tout,Votre littérature réclame une indépendanceabsolue, et répudie la raison: c'est donc unechimère qui s'évanouira comme les bulles de

savon soufflées par des enfants. -Quand l'auto-rité tenait la raison captive, que l'esprit d'exa

men n'avait pas ébranlé les croyances popu-laires, et que des illusions ténébreuses exis-taient encore dans le moyen âge, par exem-ple votre; système de composition aurait pu

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réussir. Ce n'est de nos jours qu'une déplora-ble folie, qui peut exciter quelque curiosité,mais nul intérêt.

)) Vous ne lui contesterez pas au moins1 originalité

)) –C'est précisément ce qui lui manque.Ce sont les théories.dramatiquesde WilliamSchlegel, de ce ridicule déprédateur de Mo-lière ()-) que vous adoptez. Shakspeare,Schiller et Goethe, voila vos, maîtres etvos modèles! Encore n'avez-vous de puis-

(t) « Je me crois en droit d'affirmer, contre l'opi-nion dominante, que c'est dans ~e'comt'~Me burlesque

que Molière a le mieux réussi, et que son taient, de.même que son inclination était pour la /arce. a( CoM~ de littérature dramatique, parW. Schlegel,t. t. p. 268.)

M. Schlegel, dont le livre est l'Alcoran des roman-tiques, regarde le roi de Cocagne comme un chef-d'oeuvre supérieur au Tartuffe et au Misanthrope.

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sance que pour reproduire leurs défauts. Iln'y a pas jusqu'au langage-de Ronsard quevous ne cherchiez à imiter tout en vous estimitation même ces peintures hideuses ou

grotesques que vous nous donnez pour desnouveautés.

y~v)) Il fallait pourtant régénérer la littéra-

ture. Nous le répétons tons les jours, F~M-

ctCM pac~t c/ŒN~~Me est définitivement ?'M~/îe.

Ce n'est que depuis quelques années que lesvieiUes–routines sont abandonnées que lajeune .France s'est mise en route, et marcheà pas de géant dans là carrière des lettres etde la philosophie.

))– Vousvoudriez bien faire croire au pu-blic que ce que vous nommez l'ancien partic~~Me est ruiné, mais vous ne le croyezpas vous-mêmes, et j'en juge par l'ardeurde dénigrementcontre les meilleurs écrivainsdu siècle, qui se fait remarquer dans vos pré-faces, vos dissertations et vos apologies. Jeferai ici une observation affligeante la plu-

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part des écrivains qui ont soutenu pendant

trente ans, au milieu du choc des partis, etsous le régime militaire de l'empire l'hon-neur des lettres françaises, existent encore, et-

se voient sans cesse signalés au dédain public,comme des hommes dépourvus de tout mé-rite leur âge même est pour nos réformateurs

un sujet facile d'épigrammes. Il y a dans lemépris de la vieillesse quelque chose d'immo-ral et de honteux, qui ne s'était point encorevu, et qui atteste une dépravation eSrontéequ'en pensez-vous, docteur ?

)) Je pense que les eM/a~N de ~epo~Me,

qui se plaisent à insulter les hommes qui lesont précédés dans la culture des arts d'imagi-nation, sont des enfants maussades, dont l'é-ducation est manquée, et qu'il faut renvoyerà l'école. »

Joseph Delorme rougit et baissa les yeux,comme s'il 'avait sur la conscience quelquefaute de.ce genre, et M. Dûment reprit ainsila suite de ses observations

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« Examinons.un peu cette époque litté-raire aujourd'hui si décriée. Je vous pried'observer que, pendant ces années de triom-phes merveilleux,Ducis, Bernardin de Saint-Pierre et l'abbé Delille,: ont publié quelques

unes de leurs productions les plus admirées

que la scène française 's'est .ranimée; queChéniér, écrivain de premier ordre, acomposé son V~ere M. Lemercier son J~ï-to, M. Rayhouardses 2~Mp/Mr.~ M. Ar-naud ses ~6Mt<MM~ M. Ëticnnë ses'jPeM.y

C'eM~M~ que MM. Andrieux,:gracieuxetaimable conteur, Collin d'HarleviIIe,Du-val et Picard ont obtenu de nombreux etdurables succès. C'est à la même époque queM. Parseval Grandmaison terminait son épo-pée de Philippe-Auguste (i); que s'exerçaientdans l'art des vers M. Chenedollé, poètedont la renommée n'égale pas le mérite Mil-

(i) Ce poème, objet d'impertinentes critiques etde sarcasmes injurieux, n'en est pas moins parvenuàsaquatrièmeéditiou.!6

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.lëy;ôie, enlevé trop tôt aux séductions de !a'gloire Victorin Fabrc;, dont Ja vigoureusejeunesse a produit des ouvrages qui honore-raient le talentdanssa .maturité (i). Qu'on me

icite parmi.ilés~enfants du siècle des écrivains.d'un mérite aussi~distinguë que M. de Fonta-nes, M. Garât, M. CharlesLacretelle, M. Le-fmontey, M. Daunou; M. Michaud,historiendesCroisadës;MM.Gingu&né/CuvieretFourriër..M..dè Jouy estrobjetde viv.psattaqups,'qu'i! doit à ses succès,;a!sawive admirationpour Voltaire et à la franchise de son mé-pris pour .les détracteurs de ce grand homme.fMais l'écriyain qui :a composé, /~er?/!ï7e de~a CAaMjSsee-M~M la tragédie de ~~a,et qui s'est heureusement exerce en divers

(i) On regrette que cet écrivain n'ait pas fait réim-

primer ses, ouvrages, parmi le'squels se distinguentl'Eloge de Corneille, celui de La Bruyère, le Tableau

de la littérature au dix-huitième siècle, et quelquespetits poèmes d'un vrai talent.

( ~Vofe de /'e~<ew. )

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genres, 'est au-dessus de l'injure et des criti-ques passionnées; les-hostilités brutales de lasottise sont un titre de ptusa~est!me(i).Com-bien je pourrais encore nommer d'honorablesécrivains qui ont acquis, pendant cette épo-

que, une renommée que les dédains de vôtrecoterie ne parviendront point à obscurcir:N'oublions pas'que -les plus belles composi-tions de M. de Châteaubriand et de M" deStaël, auxquelles nos professeurs de roman-tisme accordent leurs suffrages, par des raisonsqu'il est inutile d'indiquer ici, ont paru sousle sceptre de l'empire.

(i) Le bon professeur aurait pu citer M. Emma-nuel Dupaty, auteur de jolies pièces de théâtre etd'un poème satirique plein détalent, M. Moreau,chansonnier plein d'esprit et de gaîté, et auteur decharmants vaudevilles, M. Tissot,que Delille avaitnomme son successeufau CoHégedeFrance,M. pam-pénon et M. Droz écrivam correct, élégant, phi-losophe aimable et éclaire.

( .A'bM <7e 7~MM~. )'C.

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));–Ainsi, répondit Joseph, un peu piqué,vous ne reconnaissez aucun mérite à !a jeuneFrance!'

)) –Vous vous trompez encore. C'est préci-sémehtparcequejerends justice au mérite, de,

quelque année qu'il date, que je ne suis pointinjuste envers. la nouvelle génération litté-raire pas même envers ceux qui manquentde justice pour leurs contemporains. Je re-connais dans M. de Lamartineet dans M. Vic-tor Hugo le don de poésie, avec plus de char-me dans le premier, plus de puissance dansl'autre. Je les plains seulement d'être tropétrangers aux nobles et patriotiques sujets,les seuls qui puissent aujourd'hui assurer unelongue durée aux productions de l'esprit. Jen'attribue même qu'à une vaine illusion, et àunmatheureux travers d'esprit, les .écarts où

se perd le talent de M. Victor Hugo. C'est

un regret sincère que j'exprime ici car j'ap-plaudirais, volontiers aux succès qu'il pourraitfacilement obtenir en renonçant à un sys-tème gothique de composition.

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)) –H faudra pourtant le subir; toute lajeunesse a adopte ce système.

» Je n'en crois rien. La jeunesse rai-sonnable finira par en rire. Quant à la jeu-nesse qui n'est pas raisonnable, qu'importe

son opinion Elle fera qùelquebruit,et.passéra

comme un songe. L'époque actuelle résiste àl'absurdité.L'espritdecivilisation, quia forméla littérature française dans le dix-septièmesiècle qui l'a soutenue au dix-huitième lamaintiendra dans les voies de la raison. Nous

avons de jeunesécrivains très spirituels, pleinsde goût, de talent et de connaissances, quin'abdiqueront jamais la gloire littéraire de la,

patrie-, pour se traîner misérablement à lasuite des littératures étrangères.

))– Pourriez-vous me citer ces écrivainsqui vous donnenttant d'espérances?

))La plupart les ont réalisées. Ca-

simir. Lavigne Béranger, se. présentent r aupremier rang Casimir Lavigne, d'un esprit

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étendu d'un talent -flexible; Béranger, in-spiré quelquefois comme Lafontaine et plussouvent comme Horace; tous les deux poètespopulaires, parce qu'ils aiment leur paysqu'ils ont pleuré sur ses malheurs et vengé

ses outrages. Je pourrais vous nommer encoreM. Barthélemy et M. Méry jeunes poètesdont la verve audacieuse le rare talent et legoût éclairédonnent un démenti formel auxdétracteurs de la haute poésie.

? Dans la prose M. Villemain reste fidèle

aux bonnes traditions, et écrit sur les lettres,comme il en parle, avec charme et éloquence.L'historien de Louis XI et,de Philippe. II,M. Alexis Dumesnil, inexorable apôtre de lavérité, flagelle d'une main puissante les vicesde l'époque il n'écrit pas, il burine s'il necorrige point, il châtie. Malgré les tentativesde M. de Barante, dont j'estime d'ailleurs lecaractère et le talent, l'histoire ne sera point

changée en chroniques dénuées de morale etde philosophie. Quelques jeunes écrivains demérite l'ont ramenée a' sa vraie destination;

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elle restera ce qu'elle doit être, l'institutricedes peuples et le tribunal des rois.

» Le drame, non plus, n'est pas dans unedécadence aussi complète que. vous voudriez

le faire croire. MM. Casimir Bonjour, Delà-ville d'Épagny, Mazères, ont réuni dans leurspièces le talent du style,.la véritédu dialogue,et l'esprit d'observation. Sur la scène tragi-que, de justes applaudissements ont accueillidiverses productions dans lesquelles le res-pect du bon sens n'exclut point la nouveautédes combinaisons(i). ..J"

N J'ai une réclamation à vous présenter,dit mademoiselleBerthe. Je trouve un grandcharme dans les poésies de M"AmabIeTastu.Il me semble qu'on lie saurait l'oublier sansinjustice.

(t) On peut citer le Charles ~7 de M. Lemercier,le ~moM6! de M. Viennet, ctont la muse-patrioti-que a tant de titres à la faveur populaire.

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)) Cette observation est bien placée dansvotre bouche, ma chère Berthë. M' Tastufait honneur a son sexe par ses vertus modes-tes et la supériorité de.sbn talent; elle occu-

pera, près..de M""= Dùfr'énoy un rang dis-'tinguésur.le.Parnassf français..))»

A ce mot de T~'Ma~e~ Joseph nt un bondsur sa chaise comme s'il eût été piqué 'parun serpent.

Ce soubresaut fut remarque avec surprise.

K Je vois ce que c~est, dis-je un, peu étour-dimént mon frère à une répugnance invin-cible pour les expressions empruntées de Ja

mythologie.

)) Cela est vrai, répliqua-t-il avec vi-vacité nous avons mis à ~*M!<~e; toute cettephraséologie mythologique que nous relé-guons dans la vieille littérature, elle n'a rien) ¡1de pittoresque, et n'exprime que des .chosesvulgaires.. On veut, à toute force que le ca-

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ractère dé la langue française soit la clarté.Nous en avons décidé autrement; nous som-mes obscurs, parce que nous sommes pro-fonds nous nous comprenons mutuellement,etcela sumt.

w

)) Fort bien mais cela ne sùHit pas aupublic. Vous croyez avoir de la profondeurdans la pensée parce que vous êtes ténébreux.Sachez que si l'on voulait se donner la peinede soumettre à l'analyse les conceptionsde

vos écrivains, dont le style est si pédantes-

qucment tourmenté on n'y trouverait quedes paralogismes ou des lieux communs. C'esten effet la profondeur dans le vide. Si la lan-gue française, perfectionnée par le génie, l'em-

porte sur les autres, c'est précisément par cecaractère lumineux qui éclaire la pensée etla fait entrer sans' effort par toutes les issuesde l'intelligence. Cette 'qualité si précieusen'exclutni la forcer ni l'éclat, mais il faut dusavoir, du talent, du goût,'pour se servir avec

bonheur dé cet instrument exquis de la raisonet de la civilisation. Ce n'est 'que par un

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sentiment de .faiblesse que vous abandonnezla langue de Pascal, de Bossuet, de Mon-tesquieu, de Voltaire et de.J.-J. Rousseau,

pour je ne sais quel jargon sophistique etbâtard parfaitement àssorti à la nullité desidées.

)) Quant a l'emploi des termes mythologi-

ques, l'abus incontestable qui en acte fait neJustine pas la proscription de l'usage; il fautseulement s'en servir à propos. Voulez-vous

que je vous cite unexemplede l'heureux em-ploi de ces expressions? Dans la fable desDeM.r ~M~ La Fontaine, en parlant d'unpalais où règne le sommeil, dit

Morphée avait touché le seuil. de ce palais..

Cette image n'est-elle pas tout a la fois

neuve, poétique et gracieuse. Je ne sauraisparler de La Fontaine sans.remarquer qu'au-

cun écrivain n'a plus étudié les anciens, et ne.les a plus imités que lui c'est en imitant qu'U

est devenu inimitable; mais aussi dit-il

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Mon imitation n'est point un ésclavage':Je ne prends que -l'idée, et les tours, et les lois

Que nos maîtres suivaient eux-mêmes autrefois.Si d'ailleursquelqueendroit,plein chez eux d'excellén-Peut entrer dans mes vers sans nulle violence, [ce,Je l'y transporte, et veux qu'il n'ait rien d'affecté,Tachant de rendre mien cet air d'antiquité.Je vois avec douleur ces routes mépriséesArt et guides, tout est dans les Champs-Elysées (<).

)) La Fontaine ne s'exprimerait pas autre-ment aujourd'hui, ét sa douleur serait sansdoute plus vive, en yoyant avec quetle pré-somptueuse légèreté et quel stupide dédain onparle de Virgi!e et de Racine, les deux plusparfaits modèles de la grande poésie. Mais

revenons à la mythologie

)) Tout cela est bien usé, reprit Joseph.Votre Pluton, par. exemple, est bien vieuxne serait-il pas temps de te mettre à la ré-forme ?

()) Epître à M. Huet, ëvéqued'Avranches, en luietivoyantunQuintitien.

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)) Croyez-vous que votre Satan avec sa

queue ridicule et son pied ïburchu Soit unpersonnage plus poétique ? ?'Il n'y a rien d'usé

pour le génie il sait tout mettre en œuvre>

tout rajeunir; mais il est sous l'empire de laraison, sans laquelle il s'épuiserait en concep-tions monstrueuses. »

Jusqu'ici Joseph n'avait pas perdu un pou-ce de terrain; mais il ne parlait plus avec lamême conviction. On voyait qu'il y avait lut-te entre son amour-propre et son jugement..M. Dumont lui porta lés derniers coups parles paroles suivantes:

« Mon cher enfant, vous vous êtes lais-sé séduire par de vains sophismes, et surtout

par la facilité de faire quelque bruit, à l'aided'une coterie qui en proclamant la libertéd'opinions et l'indépendance de la pensée/que

personne ne conteste veut dominer la litté-rature et la philosophie. Il faudrait, pourqu'elle eut quelques chances de succès, brû-ler nos bibliothèques et. refondre la société

il faudrait qu'à sa voix, l'ignorance la bar-

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,barie' les idées supertitieuses, pussent voilerla raison humaine, éclairée' par tant de lu-mières; la tentative est folle et désespérée.Les œuvres de génie qui ont illustré deuxgrands siècles, produit de ces profondes étu-des de l'antiquité, de ces méditations philo-sophiques, 'enfin de ce classicisme dont le

nom seul vous met en fureur, résisteront à

toutes les attaques. Revenez donc à la raison

ne vous séparez pas de ce génie de la civilisa-tion, qui est l'âme de notre littérature, et qui

assure sa durée. Apprenez qu'aujourd'hui nul

ouvrage de l'esprit ne peut obtenir de succès s'iln'a un but moral et utile..C'est là le caractèredominant de l'époque, qui ne changerapoint,

au gré de quelques rêveurs, mécontents des

autres et d'eux-mêmes. Abandonnez donc

une carrière stérile. Vous êtes jeune encore;

vous pouvez vous livrer à d'honorables tra-vaux, et tenir un rang d'homme dans la so-ciété. D

Joseph jeta un regard sur la jeune fille, quisemblait attendre ses paroles avec intérêt, etrépondit modestement, contre son usage

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.(( Vos observations peuvent être justes;mais elles ne sauraient changer l'état des cho-ses. Les peuples .agités par de grandes cata-strophes, témoins d'événements merveilleux,ont besoin d'émotions, vives et puissantes, qui

ne peuvent naître~d'une littérature réglée

comme l'ancienne littérature. C'est parce qu'ily a.une fermentation générale parmi les peu-

ples, qui.tendent à une réforme radicale dansles rapports sociaux, dans les institutionspo-litiques et religieuses, que nous aspirons à

produire de nouvelles impressions, a créerde nouveaux moyens d'action sur le cœur etl'esprit de l'homme. Le génie classique c'est-à-dire le génie que la raison domine et in-timide est arrivé an terme de. sa carrière.Le génie romantique donnant pleine libertéa l'imagination, commence la sienne s'il ne-fait pas mieux. il fera du moins autrementc'est déjà un mérite. Les nécessités de ~epo-

~Me, voilà notre meilleure apologie.

a Je vous sais gré de ces remarques,par-ce qu'elles me ramènent à une question quej'ai légèrement touchée, et qui mérite un exa-

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<men sérieux. Il s'agit de savoir si la littéra-ture est l'expression !dc la société. Je vais ex-pliquer ce qui donne à cette pensée de M. deBonald une apparence de vérité

)) Depuis l'invention de l'imprimerie, qui

a mis la portée du plus grand nombre unmoyen facile de publicité, il y a eu, a chaquei~époque, deux espèces de littérature l'une

que j'appellerai littérature fugitive, l'autrequ'on, peut nommer /ï'~e~<ï~re MorwM/e ou~yM/a~'ce. La première rénéchit en effet lemouvement extérieur de la société on y voitde caractère de répoqùe, ses passions et sestpréjugés; mais cette littérature passe avec lescirconstances.qui l'ont un moment soulevée.Quelques exemples me feront mieux com-prendre. Dans le seizième siècle, -la société-fut agitée par les disputes de théologie et d'é-rudition scolastique. Il n'était bruit que decontroverses religieuses, et de démêlés entreles érudits, qu'on nommait alors des savantsles hommes avides de renommée prenaient.part à ces stériles débats. 11 n'y avai;t alors decrédit et de célébritéque pour les écrivainsqui

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se joignaient une secte, en soutenaient lesdogmes,'ou se passionnaient pour quelque an-cien manuscrit. On ferait une immensebiblio-thèque de cette littérature contentieuse, ex-pression de la société du seizième siècle; maisdepuis long-temps elle n~inspire plus d'inté-rêt elle est morte pour le public, et les au-leurs qui Font cultivée sont ensevelis avecelle.

» Dans l'âge suivant, tandis que les que-relles religieuses.s'envenimaient encore, l'af-fectation du bel esprit devint une maladiede la société des partis se formèrent dans le

sein. même de l'église catholique, ainsi quedans la république des lettres; on se rangeait

sous le drapeau de J~M~e'M~ ou sous les en-seignes de .Mo~a~' on.se partageait entre le

sonnet de .7c& et celui d'~aMM. Les pressespouvaient difficilement suffire a l'attaque età la défense. D'un autre côté, les, récits inter-minables d'aventures romanesques mises surle compte des .héros de l'antiquité, les jeuxfrivoles dcfl'esprit, les ballades, les triolets,les fades madrigaux, inondaient la cour et la

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ville. Ces innombrables. productions~ où serénécbissait l'image de~ là société, qui les re-cherchait avidement, ont éprouve le sort. de

la littérature pleine d'irritation du siècle pré-cèdent, avec un malheur de plus, je veux dire

avec des souvenirs de .mépris et de ridicule.

)) Nous retrouvons le même phénomènedans le dix-huitième siècle. Au commence-ment de cette mémorable époque, la corrup-tion des. moeurs, autorisée parj'excmple delanoblesse et du haut clergé, domina la. so-ciété; et une littérature énervée en reçut Fem-prëinte. De: là les théâtres .de Campistronde la.Grànge-Chahcel, et dés autres impuis-sants imitateurs de .Racine; de la les romansde CrébiHon nls, les contes, licencieux duchanoine Grëcourt, les fadeurs de Bernard,

0de Dorâtdu cardinal de Bernis. Cette école o

poétique, qui rejetait, comme celle d~aujour-d'hui, toute philosophie, occupe dans les let-

tres lé rang de l'école de Boucher en peinture,l'une était digne de l'autre.

)) II est donc, ainsi que je vous l'ai dit,

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une'iittérature où limage, de la société se re-produit, comme les objets se peignent dans

une eau 'limpide, mais,. comme la société estdans un état perpétuel de mobilité, son imagepasse.avéc elle. Venons maintenant a la grandelittérature, indépendantedes formes acciden-telles de la société, qui. constate et détermineles progrés de l'esprit humain c'est là la vraielittérature, celle qur, prenant la raison, lavérité pour points de départ, ne se modifiequ'en se perfectionnant. Cette littérature,toujours vivante, ne reçoit en dépôt que les

oeuvres du génie et les productions du talent,consacrées a l'amélioration de l'homme et dessociétés. Dans le seizième siècle, c'est un Ra-,belais.,agitant sa marotte, philosophique unMontaigne, un de.Thou, qui traversent l'épo-

que en dominateurs. Dans le siècle suivant,Pascal, Bossuet, Fénelôn, sublimes moralis-tes Corneille, Molière, Lafbntainc, Racine,Bpileau, puisent'aux sources pures de l'anti-quité, réunissent la force du génie à celle dela raison, et, au milieudu mouvement des ca-bales, des attaques de l'envie et des clamcursde la sottise, s'élèvent à une gloire immor-

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telle. Au dix-huitième.siècle Montesquieu,Voltaire, J.-J. Rousseau loin de s'asservir àla;mollesse d'une société viciée s'eo rendentmaîtres, et dpmptëe qu'elle est,. ils la pous-sent avec autorité, vers un état progressif deperfectionnement. Aussi, que nous reste-t-ilde cette foule d'écrivains qui, depuis le sei-zième siecio, ont eu leurs coteries, leurs prô-heurs, leur vogue d'un jour? Pas une seulepensée digne de mémoire. Mais ceux que l'onnomme aujourd'hui, avec unè,stupide irônie,les ~MM.f classiques, sont entrés dans cettemajestueuse littérature qui grandira avec lacivilisation, en dépit de tous les pygméesquivoudraient se hausser sur ses débris.

? Venons maintenant à votre argumentban rial a ce que vous appelez, dans votre jar-gon alambiqué, «les nécessités de l'époque »Voici, je. crois, ce que cela signine Nousdevons nous conformer aux goûts qui domi-nent là société. On veut du nouveau, du bi-zarre, .tes esprits, lassés, mais non rassasiésd'émotions, s'ébranlent dimcitement il fautles frapper avec force. Les écrivains les plus

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audacieux peuvent seuls tenir l'attention cap-tive. L'art aujourd'hui consiste à satisfaireun public qui ne tient compte ni de l'ordredans la composition, ni de la justesse despensé.es;.nide la correction du langage; ilfaut donner le frisson aux lecteurs pour en-lever leurs applaudissements. La société, dé-goûtée des réalités, s'élance dans le domainede l'illusion. Des spectres, des cadavres, desbourreaux, l'enfer même: voilà ce qui l'é-meut et lui plaît!

» J'accorde toutes ces propositions. Qu'enrésulte-t-il? Que votre littérature, appro-priée à ce goût dû moment, passera avec luiqu'elle subira la destinée des littératures es-claves del'époqu&qui lesvit naitre.'Uhjour,qui n'est pas éloigné, on en rira de pitié,comme on se railte du pédantisme de Scali-gér,de la préciosité de l'hôtel Ramb.ouiMet,et des vers fleuris du cardinal de Bërnis (.1).

w (t) Voltaire l'avait surnommé ~aZ'e~ &OM~.Me-

<:ere. Ce.cardmat a chanté un peu cyniquementlescharmesdemadamedePompadour.

-1

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D'UN ROMANTIQUE

» Sans doute, il y a satiété, inquiétudedans les esprits; mais c'est parce que rienn'est encore fondé parce que nous jouissonsde- la liberté avec étonnement, et presquecomme d'un bien dont nous ne sommes pasdignes. Quand la société rassurée sur Ta ve-nir, jouira de ses droits dans toute leur plé-.nitude, alors la raison reprendra son. empire;alors le calme sera la conséquence de l'or-dre et de la règle l'imagination sera fixéedans de justes limites; le vrai et le beau s'al-lieront encore avec le génie.

))Vous pouvez- donc regarder comme une

vérité incontestable que, de' toutes les pro-ductions littéraires de l'époque, il ne resteraque celles où le talent aura servi la civilisa-tion. Cette littérature, que le temps ne sau-rait outrager, plane. sur votre petite littéra-ture de circonstance et vous l'insultez parceque vous n'êtes pas faits pourl'apprécier.Vousferez du bruit,'elle aura de.la gloire. L'avenirne connaitrà ni vos dissertations pédantes-quès, ni vos-romans atroces, ni vos.dramespatibulaires', ni vos poésies infernales, ni

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tout ce fatras gothique dont la raison s'indi~gne;et dont gémit le goût.

Je vous parle avec quelque sévérité, parce

que je vous plains d'user votre jeunesse enpuériles occupations tandis ~qu'avec votreintelligence et' l'activité mieux dirigée de

votre esprit, vouspourriez réussir dans lespoursuites d'une honorable profession. ))

Joseph, qui avait écouté attentivement lesobservations de son ancien professeur, lui ré-pondit

(( Je voisbien que j'étais dans l'erreur surceque je regardais comine une révolution dansles lettres. Vous m'avez montre que chaqueépoque a deux littératures qu'il ne faut pasconfondre l'une transitoire, et l'autre dura-ble. J'abandonne volontiers la carrière poé-tique ou j'ai trouvé plus d'épines que defleurs mais il faut pourtant que vous m'ac-cordiez une chose, c'èst que, depuis quelquesannées la philosophie fait de grands pro-grès la.découverte desp~e'MOweMe~ de coM-

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science est un événement qui renouvellera lascience/et nnira par édaircir, mieux que M~

dé Mohtiosier les mystères de la vie hu-maine.

)) Ceci vous regarde, dit M. Dumont

au docteur Lefranc. Je ne m'occupe guèrë'demétaphysique et je. consens volontiers aignorer' ce. que je ne puis comprendre.

)) Mon 'cher ami, répliqua le docteur,en s'adressant à Joseph, votre prétendu 'per-fectionnement philosophique n'est qu'une chi-mère. Dites-moi, je vous prie, si vous avezjamais vu des phénomènesde conscience ?

)')~– Oui certes, j'en ai vu aussi distincte-.ment que je vous'vois. Je me donne ce plai-sir toutes les fois qu'il m'en prend envie.

» –Je voudrais bien savoir comment vousfaites pour vous procurer ces visions?

))'– Je me retire dans quelque Heu écartéoù le mouvement des objets extérieurs ne

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peut me distraire et je m'écoute penser. Jéferme les yeux pour mieux'voirce qui se passedans ma conscience, et je me bouche les oreil-les pour mieux entendre ce qu'elle me dit. Jesuis alors dans un système d'idées indépen-dan tes des sensations matérielles les abstrac-tions se réalisent et deviennent des entitésj'aperçois clairement la causalité, l'objectivi-té, la subjectivité., et même la pluralité phé-noménale. C'est un monde nouveau qui n'a

aucun rapport avec celui. que nous habitonscorporellement.Les Hutsquej'y vois sont liésles uns aux autres/par des rapports intimesdont je travaille à saisir les lois. Voilà com-ment les enfans du siècle sont initiés auxplus sublimes secrets de la philosophie.

» Cette situation que vous vous procu-rez n'est pa{< un phénomène nouveau, liaexiste dans tous les temps et dans tous les

pays, même chez tes tribus sauvages, ou lejongleur joue un grand rôle. C'est Fêtâtd'ex-

tase, ou d~irritation cérébrale, excitée par uneaffection'morbide, comme dans la catalepsie,

ou produite par' des moyens naturels agissant

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sur une organisation débile, comme dans le

somnambulisme: La permanence de cet état w

d'extase constituerait la folie. La Pythonisse,qui, au milieu de vapeurs enivrantes, éprou-vait un accès d'enthousiasme; le faquir, qui

dans une immobilité absolue, tient les yeuxfixés sur son nombril, et finit par voir le ciel

ouvert, lè cénobite, dont la~solitude se peuple

de fantômes; l'hommedel'Orient, qu'une dose

d'opium combiné avec des aromates plongedans de voluptueuses rêveries, voient aussiclairdans leur conscience que les psychologis-tes dans la leur seulement, ils n'ont pas la

prétention de former une science exacte des

phénomènes qu'ils perçoivent.

)) –-Ainsi, vous néferiez aucune diSerenceentre, l'intelligence et la sensation ?

)) 'Je sais que sans les sensations nousn'aurions point d'idées et ,"par une consé-

quence nécessaire, que nous manquerions d'in-telHgence.' Si nos cerveaux n'étaient pas dansleur état normal, nous ne pourrions suivre ladiscussion qui nous occupe en ce moment. Il

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peut'y avoir sensationsans intelligence, com-me dans les enfants nouveàu-nës et les idiots

il n'y a: intelligence que'parole moyen dessensations.

» Mais il y a des idées, sur, lesquelles les

sens ne peuvent rien nous apprendre, telles

que celles de/la nature du principe intelli-gent, et des facultés qu'il possède. Voilà ledomaine de là conscience ou du sens interne.

)) Quant à la nature du principe intel-ligent, la conscience.ne répète que ce qu'elle

a appris par l'exercice des sens. Nous voyonsun ouvrage et nous; concluons d'après l'ex-périence que nous avons acquise, qu'il existe'ou qu'il a existé un .ouvrier. Nous contem-plons l'admirable. mécanisme de l'univers

nous en déduisons la conséquence d'un suprê-

me ordonnateur; no.us sentons que.nous agis-

sons avec un .but déterminé et nous amr-mons, toujours par induction ou comparai-

son, que nous sommes gujdés par un principe.eintelligent..Vouloir aller au'-delà, vouloirr.déterminer sa nature, c'est folie. Notre orga-

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ttisation s'oppose à ce que nous connaissionsjamais la cause de, notre organisation. H fau-drait que l'intelligence pût se séparer de sesorganes pour se. considérer et s'apprécier,chose impossible, même dans l'état d'extase,qui n'est lui-même qu'une excitation dérégléedes organes de l'intelligence.

» Voilà du matérialismetout pur. Vous',

nous emprisonnez dans ;nos sens comme lesanjmaux;enSn.))

Joseph hésitait dans l'expréssion de sa pen-sée: Le docteur Lefranc lui dit avec un sou-rire. « N'ayez aucun scrupule; nous sommesaccoutumés à ces sortes de syllogismes.

» En6n, vous êtes un athée

» C'est cela. Pure dialectique. d'inqui-sition et, comme l'accusation d'athéismeemporte avec elle une idée odieuse les hom-mes passionnes pour leurs opinions l'ont tou-jours légèrementprodiguée~ Dites-moi ce quec'est qu'un athée.

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)) Un homme qui nie l'existence deDieu.)) –-Qu'entendez-vouspar cette expres-

sion ?»

)) J'entends la cause première, on ta su-prême intelligence..

)) Maintenant apprenez-moi ce qui vousfait conclure que je nie l'existence d'une causepremière.

.)). Je pensais que. vous n'admettiez rienau-delà de l'organisation matérielle des êtres.

MVous vous trompez Il. faudrait être

privé de toute raison pour nier l'existenced'une cause première, que les peuples adorenttsous des noms divers. Le vrai philosophe saitseulement que tous les ën'orts de l'esprit hu-

main ne sauraient parvenir à expliquer sonessence, et le mode d'action qu'elle exerce

sur la nature inerte ou animée. Ces questionssortent de la région philosophique, pour en-

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trer dans le domaine de la théologie; l'uneet,l'autre ne se touchent que par un point,l'existence de Dieu.

)):Les théologiens ont parle de Dieu, danstous les temps, avec autant d'assurance ques'ils l'avaient vu et connu familièrement, ilsn'ignorent aucun de ses penchants; ils disent.qu'il est~enclin a la jalousie et d'humeur vin-dicative. Comme ils savent ce qui lui est agréa-ble et ce qui lui déplaît, ils enseignent/parquelles cérémonies on peut désarmer sa co-lère, ou 'obtenir sa bienveillance. De là lessystèmes religieux .que le philosophe, qui n'apas autant de foi que Pascal, ne saurait côm-,prendre, parce qu'il n'a, d'autre instrumentd'appréciation morale que sa raison', maisdont il ne cotiteste ni le principe ni les con-séquences et qu'il respecte dans la pratique,attendu que ces systèmes, reni~rmes en decertaines limites, peuvent être utiles aux so-ciétés.

))Le philosophe mqraIistetConsidérenntp!-

ligence suprême dans un autre ordre d'idées.

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Elle existe; elle n'est point aveugle, car elle

ne serait plus.intelligence. L'homme se trouveorganise de manière que la société de ses sem-

blables lui est agréable et nécessaire elle adonc voulu qu'il fut sociable, c'est-à-diresusceptible des affections domestiques, .de lapitié pour les souS'rances d'autrui, de l'amourde l'ordre,enfin de toutes -les. qualités quiassurent !a durée et le bonheur des famillesjéunies'en société; ennn, elle a placé au fondde son cœur le sentiment religieux, ce quiest une révélation d'elle-même. Je n'ai pasbesoin de faire de ma conscience un théâtrede phénomènes, pour reconnaître les véritésd'où jaillit, comme conséquence naturelle.,cette morale bienfaisante, que le but de touteéducation raisonnable doit être de dévelop-

per, parce qu'elle seule peut former l'honnêtehomme et le bon citoyen: Maintenant je

vous demande si je suis athée..

))~– Je me reproche une semblable accu-sation. Mais en&n quelle base donnez-vous à

la morale?o

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)) Une base indestructible je la poserayonnante de lumière sur une vérité c'estle phare. que la raison élève pour sauver lessociétés au milieu des orages de l'opinion, etdu naufrage des croyances imposées par l'au-torité. »

M. Dûment prit ici la parole.

(( C'est, dit-il, le plus grand service que~la philosophie ait rendu à l'humanité. Mais

puisque l'homme est naturellement religieux,il me semble que le christianisme, religionde paix d'amour et de charité, est la formelaplussublime sous laquelle ce sentiment, ou,

sivousFaimez mieux, cet instinct, pût semanifester.

» Ma fille et moi nous pensons commevous dit M°~ Lefranc. En remplissant nosdevoirs religieux surtout en faisant de bon-

nes œuvres/nous sommes enpaix.avec nous-mêmes, et nous croyons obëir aux lois deDieu.

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)) Que le christianisme, répliqua le doc-

teur, .se_dëgage donc de-l'intolérance, dufanatisme, des idéessuperstitieuses,qui abru-tissent rhomme! Qu'il insiste moins sur ledogme et plus .sur les devoirs, que le pauvreet le riche, le faible et le puissant,,s'y rencon-trent, de.fait, égaux devant le prêtre commedevant la Divinité.! que le sanctuaire n'ait

pas deux poids et deux mesures, une morale

pour les grands, une autre pour les petitsqu'il redevienne ce qu'ila été dans l'origine;

et la philosophie se reconnaîtra dans ses prin-~cipcspt sa morale?

MEn quoi, reprit Joseph faites-vous

donc consister la science de l'homme?

» Dans la morale a remplir sa desti-nation, et. c'est tout dire dans les sciences

proprement dites, à ne jamais substituer d'hy-pothèses aux faits réels. Que. l'observation

,vous serve de guide.! Constatez les faits; cher-chez les rapports 'qu'ils peuvent avoir.entreeux c'est parla seulement que vous arrivereza d'utiles résultats..

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» On peut appliquer a La philosophie lessexcellentes réflexions de notre ami sur la lit-térattire. Il y a deux philosophies Tune dumoment/l'autre éternelle. On s'amuse quel-ques joursde la première l'autre se perfec-tionne par -expérience et les découvertes

progressives des faits. Lés nombres de Py-thàgorë et de Platon, les atomes d'Ëpicure~les tourbillons de Dëscartes, les idées innéesdé Mallebranche, les monades de Leib'hitzrsesthëtiquc transcendentale de Kant, ontservi

de fondement à des systèmes qui se sont éva--)'nouis'K comme les fabriques sans base d'unevision (i) B Lesphënomènes de conscience

sont de la même famille, et éprouveront lamême destinée. Ce qui ne périra pas c'est laphilosophie morale, qui rend l'homme meit-

(1) «Likethebasetessfabricofavtsion.M

( Paroles de .Profère dans LA TEMPÊTE de.~a~pearc. )

.8

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leur, et la philosophie expérimentale, quis'exerce sur des réalités.

» Je craindrais de prolonger une discussionqui demande une contention d'esprit dontnous n'avons pas tous ici l'habitude. Je vousattendrai demain' dans la matinée; et nousreprendrons, si vous le désirez cette confé-

rence. Je cherche précisément dans ce mo-ment-ci un élève adjoint pour des travauxque je médite vous verrez si cela vous con-vient je vous donnerai volontiers la préte-rence.))

Joseph était enfin revenu par degrés à desidées positives. Ji exprima sa gratitude entermes pleins de convenance,et dit au docteur

oque, sous ses auspices, il ne pouvait manquerd'obtenir de Festime et des succès.*

~(

Véronique interrompit la conversation enapportant le~thé avec des MtM~M~ il'un goûtparticulier, qui enlevèrent tous les suSrages.

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Après une savante dissertation sur l'origine de

ces gâteaux, lesquels figurent avantageuse-ment au nombre des bienfaits de la restau-ration, la soirée finit et ce qui n'arrive pas

toujours en pareille occurrence, chacuu seretira satisfait de lui-même et content des

autres.

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SOIRÉE ROM'ÀNTIQUE. INAUGURATIONDU

CHAPITRE V.

®

BUSTE DE RONSARD.

Je viens rendre à ton nom' ce qu'il a mérité,.BpMe.âmedeRonsard!

(GUILLAUME COLLETET.)

Le lendemain matin, Joseph arriva chezmoi ,< vers.midi. Il m'apprit qu'il avait~dejavu le docteur Lefranc, et qu'ils étaient d'ac-cord sur la nature des fonctions qu'il devaitremplir auprès de lui il s'était même chargéde le suppléer, dans l'occasion, auprès de ses

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malades. Je le félicitai sur cet heureux évé-n&tnent~ et je lui demandai s'il avait été con-

tent de la soirée de la veille.

« Enchante! répondit-il. Je n'aurais ja-mais cru que notre vieux professeur, avec

ses ailes de pigeon et sa cravate mal nouée,pût raisonner si juste et si serré. On dine fortbien chez lui; et si je n'étais irrévocable-ment brouillé avec la muse, je nie serais donnéle plaisir de composer, à la manière de Ron-sard, un sonnet où j'aurais célébré les louan-ges de Véronique. A propos de Ronsard, tume vois dans un embarras mortel. Je me suissolennellement engagé à passer la soirée chez

'"M' la comtesse Colombelle, où doit se réunir

une société choisie de jeunes poètes. Je te diraimême, en conndence, que nous devons yprocéder à l'inauguration d'un buste de cepauvre Ronsard,'si maltraité par Boileau,

et dont nous voulons; à quelque prix que cesoit, réhabiliterla mémoire. Tu sens bienqu'aujourd'hui que je.suis réconcilié avec le

bon sens et.la littérature classique, je seraisdéplacé dans cette assemblée. Je ne pourrais

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peut-être pas m'empêcher de rire de ce quiaurait excite en moi, il y a seulement deuxjours, des transports d'admiration. Mes amisn'entendent pas raillerie sur ce point, et je ne

veux pas m'exposer à leur colère.

» Ce serait pourtant le moyen de rom-pre avec eux; je crains toujours que tu ne re-tombes dans tes rêveries.

)) Sois tranquille le paroxysme estpassé,

et j'ai repris l'usage de ma raison.

? C'est égal, je ne serai rassuré que lors-

que tu auras -fait publiquement ta professionde foi les) rechutes sont si dangereusesD'ailleursje t'accompagnerai je suis curieuxde voir les héros de la jeune littérature, etsurtout de les entendre.

))– Tu n'y comprendrais rien. Il fautLbeaucoup de préparations pour arriver à ladisposition d'esprit que nous exigeons de noscandidats; ce n'est pas l'aS'aire d'un moment.Je parie que tu ne t'es jamais donné la peine

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de passer la nuit dans quelque cimetière auclair de la Imic pour noter les modulationsde la brise qui gémit en passanttravers lesgrandes herbes..

)) Ma foi, non

D–Tu ne t'es jamais enfonce dans le creuxd'une vallée, près d'une source d'eau, où lesallouettes viennent boire, avec l'intention d'yrêver au plaisir, qu'il y a de' se noyer tout à

son aise, et sans être vu de personne ?

)) Non vraiment

)) Mais au: moins tu t'es quelquefois ar-rêté à la Jt~o~Më pour y considérer, a losir,les teintes livides des çprps qu'on y dépose

afin de pouvoir, au besoin, les décrire envers ou en prose i*'

)) '–Cela ne m~est pas arrivé, et'në m'ar

rivera jamais, à nioms.que je ne deviennefou..

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D-C'est pourtant par de semblablesétudes,

et par quelques visites .a Charenton, qu'onpeut espérer de réussir dans la dittérature du

siècle, et de nous comprendre.

)) Que cela ne t'embarrasse pas. Je nete demande que de me présenter à cette com-tesse. Comment la nommes-tu?

» Madame la comtesse Colombelle.

y

)) –"Voila un fort joli nom. C'est'sansdoute quelque jeune dame de haut paragebien délicate et portée à la mélancolie.

))– Pas tout-à-fait., <Cette comtesse es1t

une petite femme, veuve depuis quelques an-nées, et qui est parvenue à spndixteme'Ius-tre. Ne sachant comment remplir son veu-vage, elle hésita, pendant lespremiers mois,entre Féglise de Saint-Roch et la république

des lettres, mais enfin elle s'est jetée dans lajeune littérature. Elle compose même des élé-gies et je connais une ballade de sa façon.

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qui a été insérée dans l'Mw ~o/M<«e.Elle jouit d'ailleurs d'une fortune considéra-Me elle a un fort beau salon et si l'on yentend de mauvais vers, ony'boit, en revan-che, d'excellent punch et Fon y mange desglaces faites d'après les meilleures traditions.

» Est-ce que vos romantiques boiventdu punch?

))– Sans doute pourvu qu'il soit bon.

Nous prends-tu pour des Hottentots ?

)) Non. Mais c'est qu'en vous lisant,j'ai souvent pensé que vous aviez l'estomacaussi vide que le cerveau vous paraissez dans

vos poésies toujours tristes, languissants, etprêts à tnourir.

)) C'est le cachet de la jeune littérature;mais cela n'est que pour la forme.

.)) Je le vois bien, et cette singularité

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me fait désirer encore plus d'assistera l'inau-

guration du buste de Ronsard.

)) Eh bien j'y consens. Viens me pren-dre vers les neuf-heures du soir c'est le mo-ment de la réunion. Tu sauras que nous som-mes aussi exacts à ces rendez-vous que.lesmembres d'un comité de lecture qui vont tou-cher leursjetons.

)) Cela suffit. Je ne nie ferai pas at-tendre. »

Je me rendis en'effet chez Joseph à neufheures précises. Il était encore indécis et cene fut qu'à force d'instances que je le déter-niinai à me conduire à son rendez-vous. Che-min faisant je lui dis

ccQue penses-tu de mademoiselle Berthe,

la fille du docteur Lefrauc ? ))

Il.me répondit avec chaleur

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« Ne m'en parte pas, ou plutôt parle?-m'en toujours Que de charmes que d'es-prit J'ai voulu savoir la nuit dernière, s'il

me restaitencore quelques faits de conscience,je me suis écouté penser je ne pensais qu'àBerthe; j'ai explore attentivement jusqu'auxplus petits recoins de ma conscience, je n'y

Ilai vu.que son image. Il faut que.je te l'avouej'en suis éperdument amoureux et je crois

sans vanité que ma personne ne lui est pasdésagréable.

r

» Quelles sont tes prétentions?

)) Je prétends me distinguer dans maprofession, acquérir l'estime publique et merendre digne de son choix..

» Allons voilà parler en homme rai-sonnable la cure est parfaite.)),r

.J

Nous étions arrivés à la porte de l'hôtel de

madame la comtesse Colombelle à la Chaus-sée-d'Antin. Joseph, en montant l'escalier,

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me fit remarquer qu'il était garnides deuxcôtés, de cyp7'e~ et d'e~'cea~en caisses et enpots, surmontés, a la dernière marche, dedeux saules pleureurs, sous l'ombrage des-quels nous fûmes .obligés de passer. Undomestique en livrée rouge et noire nousintroduisit dans un grand salon nommé/e~/<~t de la Mélancolie; la porte est en for-

me ogive. Sur la cheminée, de marbre blanc,s'élève une cathédrale gothique en bronze;.l'ouvrier a pratiqué dans l'intérieur une bt)r~loge dont la sonùerie imite le bruit du bour-don de Notre-Dame. Deux chapelles dansle. même goût d'architecture, sont placées dechaque côté de la cathédrale; et comme ellescontiennent plusieurs bougies, elles serventde candélabres. L'ameublement est somp-tueux le divan, les fauteuils, les chaises, sontgarnis de veloursnoir, avec des franges écar-lates. Les draperies des croisées, en étoffe desoie rouge à bandes noires; un tapis de piedde la Savonnerie; un lustre. magmnque, et debelles glaces, attirent aussi l'attention. Ce sa-lon est orné de quelques tableaux de la nou-velle école, parmi lesquels on distingue le

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C<ïMcAeMKïr, une Expédition ~e~a~~M'e~~ leA~N~acT-e de <S'CM, r~~ps~MM ~M?t reve-MNM<~ une ~o/e'e de c~aMoe-NOMrM~ et la7ÏOM<~6 du ~aM< La tête'du diable qui s'é-lève, avec sa mitre d'archevêque, au milieude la ~s/opa~e des sorciers, a une expressionsingulière; on ne l'aurait'pas trouvée dansl'école de David:

Madame la comtesse Colombelle nous re-çut'avec un gracieux sourire. Cette damed'une taille ramassée, est d'un embonpoiritgênant ses yeux ronds, à ueur de tête, meparurent encore pleins de vivacité. Elle étaitassise dans un fauteuil, et un peu renverséeen arrière, pour avoir la faculté de posersur un tabouret un pied en travers de l'au-'tre, comme il est d'usage parmi les dames dela. Chaussëe-d'Antin et du boulevart Pois-'sonnière. Je remarquai sa robe de mousselineblanche des Indes avec une garniture de ro-ses noires et sa chevelure arrangée en formede papillon de nuit son nez retroussé et sabouche légèrement entrouverte, lui don-naient l'air quelque peu enfantin. Cette

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manière d'ouvrir les lèvres est une habitude

que les 'jeunes femmes avaiént prise à l'épo-

que du consulat, et que quelques unes d'en-tre elles conservent encore aujourd'hui. Ma-

dame la comtesse Colombelle est de ce nom-bre. Plusieurs dames et quelques jeunes

personnes placées à ses côtés formaient

un cercle. J'en remarquai de fort jolies;

une entre autres vêtue ,comme Vel-léda la druidesse, d'une tunique noire, etcouronnée d'une branche de chêne elle avaittau côté un bouquet de verveine, des baiesd'églantier lui servaient de collier, et pourcompléter le costume/elle portait à sa cein-ture une petite faucille d'or. Cependant cesdames avaient en générale un air guindé etdédaigneux qui ne prévenait pas en leur fa-

veur.

Je me retirai avec Joseph dans l'angle d'unecroisée, et avant .l'ouverture de la séance jele priai, à voix basse, de me faire cônnaitrëles illustres personnages que je voyais pourla première fois.

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« Quel est lui dis-je cet homme efflan-que, et à lunettes vertes, nonchalammentenfoncé dans cette bergère?

C'est un enfant du siècle;

)) Tu te moques de moi. Cet enfant mpparait 'avoir au moins soixante ans on s'enaperçoit facilement, quoiqu'il ait les sourcilspeints et qu'il prenne un air mignard.

))–N'importe il est compris dans la jeunelittérature. Il serait courbé comme un bis-aïeul, qu'il jouirait de ce privilège. Parminos prérogatives, celle de donner des exemp-tions de vieillesse n'est pas la moins pré-cieuse., Nous avons remarqué que la plupartdes écrivains ressemblent aux femmes et auxartistes, qui aiment a dissimuler leur âge.Aussi, quand nous voulons piquer vivementun homme de.lettresquin'est pasde nos amis,

nous disons,qu'il a vieilli..

» Cela est plus facile que d'avoir de

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l'esprit; mais quel est le nom. de ce person-nage ?)

» Le chevalier. Charles Bookworm

d'origine écossaise. Il estencore inédit; mais

il fera; il nous a promis qu'il ferait. On m'aassuré qu'il avait en portefeuille une tragédiehistorique intitulée Alexandre le Grand.Toute. la vie. de ce conquéranty est passée

en revue. Les spectateurs le suivront depuis

son départ de la Macédoine jusqu'aux bordsde l'Indus, et reviendront avec lui à Baby-lone on m'a beaucoup vanté le. quatrièmeacte, oula villedePersépolis est incendiée

sur le théâtre..))– La scène sera brûlante. Mais, dis-moi,

quelestce jeune homme brun, avec un bou-quet de barbe sur la lèvre supérieure, et dontla chevelure s'élève en pointé sur la tête?

',»)) C'est un de nos coryphées. Je'ne mesouviens plus à présent de son nom;-maisnous l'appelons entrenous le ~e/ ~~cMr. Ilne s'exprime qu'a demi-mots, ne se déride

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jamais, et joue à merveille son rôle de mys-térieux.

)) Et ce jeune homme à la face réjouie,qui parle a l'oreille de cette ~dame d'un cer-tain âge, dont le front est ceint d'une guir-lande de scabieuses ?

))–C'est mon ami Jérôme,que nousnommons aussi 7e m~/aMco/~Me.

)) Le mélancolique il n'y ~a pas unmuscle.dans cette 'ngure triviale que la na-ture n'ait destinéexprimer la joie.

» C'est égal, il est voué au noir il ex-celle a décrire.Tagonië desmourants; sa musene sort pas'des~ruines et des tombeaux; il 'achante le ver du cercueil ses vers et sa prosesont. pleins de ténèbres.

» Je .l'aurais pris:pour im élève du C&-

.~e~M. Mais comment nommes-tu ce blondindon t.la wuë est nxée sur. le bal des Sorcières:

sa physionomie-est douce et icaressante.

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))–Nous le nommons /6.<err~/e.. Per-sonne ne peint mieux que lui la décomposi-tion des cadavres, et les phénomènes de laputréfaction; il n'a pas son pareil pour dé-crire une' exécution à mort, et les tortures dessùppticiës oh ne peut lire ses ouvrages sansfrissonner des pieds jusqu'à la tête. Les fem-

mes, avides d'émotions, en raSolent, et le.

lisent avec le même plaisir, qu'elles éprou-vaient, il y a quelques. années, a se faire pre-cipitt'r des Montagnes ~'M~Ne. Il a de plusfait la conquête de l'enfer ;.c'est un domaineoù il règne sans rivaux.

» Et ce gris-pommelé qui se penche fa-milièrement vers la grande femme, sèche etgourmée dont la main:agite, en guise. d'éven-tail, ~une.petite branche de cyprès! Tunediras pas au moins que celui-tà est un enfant.

)).–Ah Dieu! le comte de la Roche Noire

et la baronne .Mëdora chaste muse de;la rueBleue. Que vois-je le comte a oublié de seteindre la chevelure ç'est Fhbmme le plusdistrait que je connaisse. Si on lui présentait

.'9-

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un miroir, il serait capable de se trouvermal.

)) A-t-il compose quelques ouvrages ?

)) Peu de chose une demi-douzaine de

romans historiques, à la'manière de WalterScott, dont les titres sont déjà oubliés. -On

lui doit aussi une ballade intitulée Le Spec-tre, monté sur M~~a~o~e de cheval qui ~a*chercher ~a~ofMc~e~ e~ ~<t ya~e~e, au grand~a~op, à son cercMe~. Nous rangeons cetteballade parmi les chefs-d'œuvre de notre lit-térature.

)) –Elle est digne de cet honneur. Vois-

tu cette petite femme en grand deuil, qui jette

sur le bel obscur un regard languissant. Jeserais curieux de savoir son nom.

)) C'est M"" de Lambrequin la femmela plus sensible et la plus passionnée pour les

arts qu'on puisse citer. Son mari n'est mortque depuis quinze jours et elle a déjà com-

posé deux sonnets à sa louange, elle a dessiné

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elle-même l'esquisse du monument qu'on doitélever à la mémoire du défunt; nous citonscette jeune veuve comme un modèle de ten-dresse conjugale c'est une nouvelle Arté-mise.

» Je n'ai plus qu'une question à t'adres-ser. Quel est ce jeune homme,-d'une minesérieuse avec une cravate où plonge sonmenton; celui qui remet un papier à la petiteVelléda ?

)) Comment, tu ne le connais pas On

nous nomme les fM~epsraA~. C'est notrecousin germain, M. Jean Sainte-Barbc.Ie plusredoutable des critiques lorsqu'il mord, ilemporte la pièce. C'est lui principalement quis'est charge d'anéantir la littérature classique;il l'a déjà tuée trois ou quatre fois. lia prouvéplus clair que le jour que Boileau et J.-JB.Rousseau n'entendaient rien à l'art des vers;que Racine avait quelque talent, mais pointde génie. Nous le regardons comme un fon-dre de guerre.. Son admiration pour Ronsard

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est égale à son antipathie pour Boileau. C'estlui qui est le héros de la fête. ))

Joseph achevait à peine ces mots, que laporte du salon s'ouvrit avec fracas. Deuxgrands laquais entrèrent avec un immenseplateau couvert de sorbets, de meringues, degâteaux de toute espèce, le tout accompagnéd'un grand vase de punch à la glace entouréde festons de feuille morte. Bientôt aprèsdeux autres domestiques firent aussi leur en-trée. Ils portaient le buste de Ronsard enve-loppé d'un crêpe. Il fut déposé avec respectsur une table de marbré, au milieu du salon.Quand tous ces préparatifs furent terminesM" la comtesse Colonibelle pria M. JeanSainte-Barbe de prendre la parole.

« Mes bons amis, dit-il, quand le bef-

Kfroi de la cathédrale sonnera minuit, heure

» solennelle, du le monde invisible ouvre ses

M portes mystérieuses où le génie de la mé-

» lancolie porté sur un rayon de la lune

» descend vers nous, et fait verser de douces)) larmes aux âmes rêveuses, nous procéderons

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)),a l'inauguration de ce buste d'un grand)) poète, dont la. mémoire est placée sous)) notre protection nous vengerons l'injure

)) des siècles nous recueillerons ses chefs-

)) d'oeuvre, et le c/a~cM~e ca~Mc rendra)) le dernier soupir. )) °

Cette harangue, prononcée avec lenteur etgravité, excita un vif enthousiasme. Pourmoi je commis une imprudence qui pouvaitavoir des suites fâcheuses. Au moment oùM. Jean Saint-Barbe annonçait le derniersoupir du c/aM~c~wte~je chantai à demi-voix

ce refrain, qui malheureusement me revinten mémoire

eVa-t'eu voir s'ils viennent, Jean

<

Ces maudites paroles furent,entendues, etcausèrent du ~scandale.

(( Grand Dieu s'écria la musc de la rueBleue, aurions-nous un profane 'dans cetteenceinte?

))–O~tpro/a~MMt t?M~< » reprit ayecso-

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lennité M. le chevalier Charles Bookworm,qui notait peut-être pas fâché d'apprendre à

ces dames qu'il savait un peu de latin.

Je m'excusai le mieux qu'il me fut possible;je dis que ces mots malencontreux

Và-t'én voirs'i)s viennent, Jean

appartenaient. à une vieille chanson roman-tique, d'une expression simple et pittoresque,et que je chantonnais. d'habitude, sans y at-tacher la moindre importance; que d'ailleurs

je trouvais très convenable Q~on élevât unestatue à la gloire de Ronsard, monurnei-itdigne du génie de l'époque. °

Cette apologie calma un peu l'indignationgénérale. M" Colombelle, qui avait eu le

temps de m'examiner des pieds jusqu'à'latête, et je m'aperçus que l'investigation.. nem'avait pas été défavorable, me dit avec unair d'intérêt

)'

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KM. Delorme, si vous n'êtes pas: de notrereligion, c'est moi qui me, charge de vousconvertir. J'ai eu en ce genre de' véritablessuccès. Venez me voir demain; nous cause-rons des choses du mystère, s

Je me confondais en actions de grâces, lors-

que la druidesse passa devant moi, avec unair marqué de dédain, en disant:

K Je n'aime pas les gens prosaïques.,fait mal! »

Cependant le plateau chargé de friandi-

ses avait été entouré, et je m'aperçus.que

ces dames ne manquaient pas d'appétit. Seu-lement elles levaient les, yeux au ciel enmangeant leurs gâteaux et chaque verre depunch était accompagne d'un. soupir. Tandisque je faisais ces observations, un nouvel in-cident troubla la docte assemblée nous aper-çûmes avec effroi M. le comte de La Roche-Noire devant une glace, l'oeil hagard, le poilhérissé comme Calchas, la bouche ouvertepétrifié, et d'une mortelle pâleur. Madame de

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Lambrequin et. madame la baronne Médoravotèrent à son secours.

((Pardon, mesdames, dit-il, en se re-mettant je pense a une affaire. très importan-

te que j'ai négligée, et qui ne peut souffrir deretard. Je vous quitte a regret. »

Il partit, et je l'entendis qui disait en ga-gnant, là porte « Me voilà perdu d'honneur,

on va croire que je ne suis plus jeune. ))

Dans ce moment, l'horloge assourdissantede, ta cathédrale -sonna minuit il se fit unprofond- silence. Notre cousin Sainte-Barbeprit la petite Velléda par la main', et la con-duisit auprès du buste de Ronsard.

(( C'est à vous,. vierge des Gaules, lui.dit-il, 'qu'appartient l'honneur 'de lever cevoile noir, emblème de l'injuste oubli oùétait plongée, depuis plus de deux siècles, unerenommée gauloise, jadis. radieuse et qui,par nos soins, va reparaître avec une incom-parable splendeur., »

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Velléda souleva doucement ,1e voile quicouvrait le buste, sur la. base duquel était

gravée l'inscription suivante

A toi Ronsard, à toi qu'un sort injurieuxDepuis deux siècles livre. au mépris, de l'histoireJ'élève de mes mains l'autel expiatoireQui te purifîra d'un arrêt odieux (i)

Sainte-Barbe reprit alors la parole.

«Le voilà, dit-U, cet admirable poète,

» détrôné par les Malherbe, par les Boi-)) leau les Racine, et autres usurpateurs du

)) siècle de la coMr~~MMerM, quoiqu'à dire

» vrai, il conservât encore un bon nombre

» d'amis et de partisans, tels que Scudéry

)) Théophile, Saint-Amand, La Calprenède,

» Chapelain, Brebeuf, Cirano de Bergerac,

» qui n'en parlaient jamais qu'avec honneur

(I) Poésie française au t6' siècte tome H,page

XXVt.

.-1

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» et respect. Le voila ce sublime inventeur» de rhythmes lyriques trop long-tempsper-» dus. Nous les avons heureusément retrou-» vés le moule du style en usage depuis Bal-» zaejusqu'à J.-J. Rousseau a sauté en éclats,

» aussi bien que le moule du vers (i). )''

Des applaudissements unanimes et réitèresaccueillirent ce dernier traita .Je remarquai

avec quelque surprise que ces enthousiastesavaient même changé les termes qui expri-ment l'approbation. Ainsi, au lieu. de dire~ecM, ~M~we, <ï<~Ktro~/e, ils s'écriaient en

chœur « C' M?MMeM~e/ ~Me//6 ~~oMreMNe

~~e7a~oM )).K G'est tropbeau, en-vérité, s'écria ma-

dame de Lambrequin; j'admire ce moule-de~y& qui saute en éclats. Quel langage c'estdu pur génie

(i) Tableau historique et critique de. ta Poésie fran-çaise au f6" siècle, t. ï p. 369.

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K –~LorsqueRonsard mourut, reprit Sain-)) te-Barbe,'ehgrossissant!savoix~la France

)) entière le pleura; Des oraisons funèbres, dès

)) statues de marbre lui furent décernées; sa)) mémoire, revêtue'de toutes les. sortes de

» consécrations, semblait entrer dans la pos-térité comme dans un temple (1). »

)) ]1 mourut! dit' en gémissant la petitedruidesse il mourut! cela fend le cœur; jen'ose, plus le regarder, tant je suis' attendrie

)) Il mourut,.ajouta l'orateur, en bais-sant le ton. Le temple de la postérité fut fer-mé à sa mémoire mais nous allons lui en ou-vrir les portes. Sa vieille gloire toute bril-lante de jeunesse guidera le nouveau siècle,'comme une-colonne lumineuse dans le dé-sert de.la poésie inconnue.))

(t) Tableau historique et critique de la Poésie fran-caiseaùt6~'siècle,t.~l~p.'85.

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A ces mots les transports d'admiration re-doublèrent il y eut des cris de joie des tré-pignements d'enthousiasme.

«. Le coup fatal est porté! dit le bel ob-

.~M~

Racine et Voltaire ne s'en relèverontjamais reprit Jérôme w:e7&Mco/~Me.

)) Le siècle coM~Ma~e~Me est enfoncés'écria le terrible. Le tonnerre a grondé la

foudre a éclaté, les tombeaux sont béants, etles ossements des vieux classiques craquentsous nos pas.

?–Maintenant, reprit Sainte-Barbe, il

nous reste à réciter devant ce vénérable bus-te un petit chef-d'œuvre où tout se ren-contre, passion, 'badinage, et poésie et en-suite chacun de nous déposera respectueuse-ment devant l'illustre poète une couronnede laurier. »

Je m'aperçus alors qu'on avait apportéavec

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le -buste une corbeille couverte d'un tissudes Indes.: cet je'supposai 'quelle était rem-plie de petites couronnes de laurier..

On se rangea en cercle autour de l'orateur.Sainte-Barbe releva deux ou 'trois fois la touf-fe de cheveux qui ombrageait son front, etrécita avec une emphase monotone les verssuivants:

A CÂSSANDRE -(-t).

Ma petite colombeUe,Ma- mignonne toute belle,Mon petit œil, baisez-moi

D'une bouche toute.pleiheDe musc chassez-moi la peineDe mon amoureux esmoi!

¡

K Dieu que cela est joli dit madame Co-lombelle et mon nom qui s'y trouve! Ce

:(r)'QEuvres choisies ;de Pierre de Ronsard, page!~0.

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bon Ronsard! il méritait bien qu'on lui chas-sât la peine de son amoureux csmoi, je n'yaurais pas manque.

Quand je vous dirai Mignonne

Approche?.-vous qu'on me donneNeufbaisers tout à la fois

v

Dohnez-m'en seulement trois!

)) Ravissant s'écria la baronne Mëdora,1

en pinçant les lèvres neuf baisers trois bai-

sers cela fait douze baisers. Cette Cassandre

n'était pas malheureuse. `

Tels que Diane guerrièreLes donne àPhëbus son frère,Et l'Aurore à son vieillard!Puis reculez votre bouche;Et bien loin toute farouche,Fuyez d'un pied frétillard

))-Je ne savais pas, dit Velléda, que Dia-

ne donnât des baisers à son frère je suis ra-vie de l'apprendre rien 1 c'est plus senti-mentai.

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Comme un taureau par lapréeCourt après son amouree,Ainsi, tout chaud de courrouxJe courrai M après vous.:,< ')'[, ")

» Charmante comparaison Anacrëonn~a rien de plus délicat. X) w

~Je ne connaissais pas la dame a la tailleélevée et-à la voix forte qui s'exprimait ain-si. J'ai su depuis que !c'ëtàit madame la vi-comtesse de Château-Gaillard l'une des sy-rènes de la paroisse de Saint-Thomas-d'A-quin.

Et prisejd'une main forteVous tiendrai de telle sorteQu'un aigle un cygne tremblant.

Lors, faisant de la modeste,De me redonner le resteDes baisers ferez semblant.

J

(( Quel joli badinage! quelle aimabte poé-sie dit madame de Lambrequin;cela remuelecœur.

20

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Mais e!) vain serez pendanteToute à mon col, attendante,Tenant un peu l'ceil baissé,Pardon de m'avoir laissé.

Car, en lieu de six adoncquesJ'en demanderai plus qu'oncquesTout le ciel d'estoiles n'eut,Plus que d'arène pousséeAux bords, quand l'eau courroucéeContre les vagues s'esmeut.

Un nouvel accès d'enthousiasme suivit cettelecture il, n'y avait pas d'expressions assezfortes pour rendre justice à un pareil génie.

« Qu'on me montre, s'écria Sainte-Barbe,d'un air triomphant, qu'on me montre unchef-d'œuvre aussi complet dans ces poètesfossiles qu'on nomme classiques. 0 Ronsard,Ronsard, reçois le tribut de notre amour »

A ces mots', il découvrit la corbeille, pritune couronne de laurier, et la plaça sur lebuste du yieux poète. Chacun suivit cetexemple. Joseph seul était immobile et si-lencieux.

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<x Allons mon cher ami .lui dit Sainte-Barbe, allons, viens.payer ton hommage au,père de la poésie romantique ce sera le com-plément de cette auguste cérémonie, dont le

récit portera le deuil dans le camp ennemi,et assurera à jamais ;nptrë gloire. »

Tous les regards étaient fixés sur mon frè-

re, qui semblait recueillir ses forces. Enfin iléleva la voix, et prononça, d'un ton assureles paroles suivantes:

« Mes chers amis, j'aurais voulu vousépargner une pénible explication; mais, vousle voulez, j'y consens. Croyez-moi! « les

» plus courtes foliessont les meilleures. », Ap-pliquons-nous ce vieux adage, qui renfermeun grand sens. C'est une triste comédie que

celle que nous jouons depuis quelques années;quittons la scène ayant le concert infailliblede sifflets qui n'attend pour éclater que le pre-mier signal. Nous avons~tit que nous voulionsrégénérer la littérature nous n'y avons ap-porté que la confusion et l'ennui. La singula-rite éveille un moment l'attention; mais le vraiseul est durable. C'est une nouvelle invasion

[

20.

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de barbares, qu'une nation vive et spirituelle

repoussera avec dédain. Nous. sommes notrepublic nous nous enivrons de.nous-mêmes

nous chantons nos louanges sur tous les tons;et le véritable public, préoccupé d'intérêtspolitiques, ne nous aperçoit pas. Prévenonsle moment où il tournera les. yeux versnous: car, pour parler votre langage, no~re lit-térature ne présente « qu'écume à la sur-)) face, eaux bourbeuses et fracas bientôt

)) apaisé. )) `

)\Voyez nos drames, annonces avec em-phase ils tombent les uns sur les autres, après

une courte existence. L'Othello; qui'devaitfaire une révolution dramatique est déjàl'objet des plus cuisants mépris. Il en sera demême de toutes ces pièces taillées sur un pa-tron gothique, assorties au goût d'une civili-sation à peine ébauchée, et qui ne' peuventproduire parmi nous qu'un sentiment fugitifde curiosité. »

Ces paroles avaient excité une. si vive sur-,'<~J'

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prise que Sainte-Barbe lui-même restait labouche ouverte et les yeux nxes, comme s'ileut été frappe de la ioudre.

J« Pour moi., -reprit Joseph, je suis las de

la portion- de ridicule qui m'est échue, et jedonne ma démission. Mon..cher Sainte-Bar-be, je te rends les sornettes rimeës que tu asdébitéessousmonnom..))

Cette ëpigamme réveilla la sensibilité del'admirateur de Ronsard. « Sornettes rimées,s'écria-t-il soudain ingrat, homme sansgoût, classique caduc Va, je te recomman-derai à nos amis. Emile Deschamps dira quenous sommes des ro~~MO~, et que vous êtes

( des. ânes. (f); il fera tonner sur vous, com-

(i) Hélas! dans ce temps-ci, que trouvez-voussouvent pour vous juger? Des ânes. [

(~Mt/e~MaMe~e/c~M~erM.)<:

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me dans ses vers, la <~oM~eM~ <~ c~Mo~ (i).Je te battrai moi-même avec ((l'aviron tran-)) chant de ma rime~)) et nûùs serons ven-ges (2).

» Vos rimes né blessentque les oreilles,et n'épouvantent que le bon sens. Tiens jeprends ce laurier, non'pour en. couronnerton vieux Ronsard, qui avait pourtant plusde mérite que vous tous, mais pour le placer

sur le premier buste de Racine que je ren-contrerai, de ce Racine le plus parfait poète

(t)~ Comme un signe de dëuit, pour saluer leurs nomsTonne au tombeau des rois la ~OMZeMr<~canons.

( Études~'aM{'<ï!~ et ~r<ïM~er~. )

Rime, tranchant aviron,Éperon

Qui fend'la vague ëcumante.

( .Pof~!<9/raKp<!Me CM t6'C< t. Il, p. 5o.)

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qui ait jamais paru/mais dont vous êtes in-capables de sentir les divines beautés.

))–Va, va, ton Racine et ton Voltairesont en bonnes mains. J'ai dit que le siècle està nous je l'ai dit, et je n'en démords pas

nous le menons a la lisière et il nous suit.

? Pure démence je te croirai quand lesiècle sera tombé en radotage aujourd'hui ilvous siffle ce qui prouve sa, raison.

a Sois tranquille nos jeunes néophytesvont te poursuivre comme des abeilles armées

de leur aiguillon.

)) Tes abeilles sont des guêpes que jene crains pas.

)) Nous te bannissons de notre cénacle

)) Tant mieux; j'entendrai moins desottises.

)) Nous te maudissons des pieds jusqu'à

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la tête/soit que tu veilles soit que tu dor-mes nous te maudissonsau nom de Ronsardet de Saint-Gelais-, au nom de Perrault et deLamotte Houdard au nom de WilliamSchlegel.

)) Et moi* je vous maudis au nom dubon sens.

)) Tu verras ce qu'il en coûte d'êtrebrouillé, avec les poètes qui distribuent lagloire.

Oui, et qui n'en gardent rien poureux-mêmes! `

)) Tu seras traduit en distique en qua-~) trains, en sonnets, en ballades, en rimes re-

doublées, en vers croises.))–Et en vers plats.))

La conversation s'animait tellement queje crus qu'une interposition amicale était de-

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venue nécessaire. Je parlai donc froidement

en ces termes:>'

« De la tolérance, mes amis, de la tolé-rance Ne renouvelons pas les scènes ridicu-les de l'hôtel Rambouillet! -Vous~dites quevous avez émancipé la littérature eh bien

usez de la liberté tout à votre aise Confon-dez les genres; faites-vousune langue à votreusage abreuvez-vous de mélancolie abâis-

sez-vous au laid idéal; avancez-vous a recu-lons jusqu'au seizième siècle rien de mieux!Seulement, nous vous demandons la permis-sion de n'être pas: morts, et de continuer,

comme nous pourrons-, la littérature de lacivilisation moderne, ce qui n'est, en d'au-tres termes, que continuer la civilisation elle-

-même. Ainsi noussommes sûrs de ne jamais

nous rencontrer et-d'évitér toute querelle.Nous voudrions, s'il-était possible, que vousmissiez un. peu moins d'àcreté et un peu plusd'esprit dans vos critiques soyez sûrs qu'en

,>France l'esprit et-la politesse ne gâtent rien.Continuez à prodiguer vos hommagesa Ron-sard célébrez sa gloire en prose et en vers 2

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faites des libations en son Honneur sur-chargez son buste de couronnes mais per-mettez-nous d'adorer en paix d'autres divi-nités, de préférer Corneille à Shakspeare,Racine à Gœthe, Voltaire à Schiller. Nous

nous retirons, mon fière et moi, et j'espère

que désormais nous n'aurons rien à démêlerensemble.

J))–– Quel prosaïsme! s'écria M" la ba-

ronne Médora. Je crains une attaque denerfs.

)) Etmoi je vais m'évanouir, dit la pe-tite druidesse en tombant sur un fauteuil. »

Pendant qu'on s'empressait autour de cette

prêtresse des Gaules nous quittâmes là mê-lancolique assemblée, avec lê regret de voirdés hommes, ~iont quelques uns ne sont passans talént', se rendre ridicules de gaîté de

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CONCLUSION 1

r Fiattux.

(Lib.GÈNES.cap.t,v.3.))-

Voilà par quels degrés Joseph Delormeparvint à se débarrasser des rêveries grotes-ques qui absorbaient son temps, et le ren-daient incapable<d'un travail sérieux.. L'envie-de plaire a une jeune personnepleine de char-mes et de goût n'a pas été sans influence sur~saconversion. Je n'ai pu le dissimuler,parce queje'regarde le respect de la vérité comme lepre-

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mier devoir d'un historien. Mais je me plais àcroire que les excellenteS'observations de notrerespectable professeur auraient suffi pouropé-

rer cet heureux changement. Je voudrais bien

que les jeunes gens qui s'occupent de littéra-ture, et dont l'imagination a été,troublée parles mêmes chimères, en fissent aussi leur prô-fit. C'est dans cette intention que j'ai recueilli

ces remarques et que je me propose de~leurdonner quelque jour de la publicité. Je croi-rais avoir rendu un grand service à mon payssi je pouvais contribuer à ramener la jeunes-

se à des idées saines, a~ l'étude d'une naturechoisie, au culte'del'antiquité, à la vénérationdue aux grands hommes dont la France s'ho-

nore.

l

Quelquespersonnes, dont j'estime le talent,s'imaginent que rien ne peut arrêter notre dé-cadence dans les arts d'imagination que l'é-

poque actuelle est irrévocablement frappée devertige, et que les beaux jours du génie fran-çais, ces jours de gloire où il rayonnait surl'Europe, ne peuvent plus revenir. Ils allè-

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guent les littératures d'Athènes et de Rome

qui après avoir brille d'un si vif éclat, s'é-teignirent dans la barbarie. Je ne crois pasqu'il existe d'analogie entre notre situation

et celle ou les siècles de Périclès et d'Augustelaissèrent les Grecs et les Romains. La libertépérit chez les deux peuples; la civilisationdisparut avec la liberté; et, par une cohsë-~

quence inévitable, l'esprit humain fut~plongédans les ténèbres~

Chez nous les progrès de la civilisation ontamené la liberté, qui en est le perfectionne-ment; l'une et l'autre nourrissent et exercentle génie. Dans le pénible enfantement du nou-vel état social, toute l'énergie des facultésmorales~se porte de ce côté.. Les ambitionsgénéreuses aspirent à l'illustration de la tri-bune où se débat notre avenir. Tel hommequi se fût distingué par la culture des let-tres, ou de la philosophie, s'efforce d'at-teindre. à cette grande et patriotique élo-quence ,réine~des peuples libres. Mais c'est

encore de la littérature on n'y réussit pas

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sans études, on n'y triomphe pas sansgénie.

c

Quand tout sera fondé les lettres repren-dront leur empire la littérature aura proba-blement un autre caractère que celle du der-nier siècle; elle sera moins agressive et plusmorale; mais elle reconnaîtra les mêmes prin-cipes, parce que ces principes, fruit de lamédita don et de l'expérience sont invaria-bles. Elle aura sa force en elle-même, et n'aurapas besoin de se.tremper dans les littératuresétrangères, dont quelques parties sont déjàfrappées de caducité, parce qu'elles ne .tien-nent par'aucun lien à la civilisation progrès-

sive .des peuples. Alors, le temps aura vannétoutes les productions burlesques que le èhar-latanisme des.coteries soutient à;peine. Il nefaut donc pasdésespérer de notre avenir litté-raire l'héritage de deux siècles de gloire serarecueilli pardes mainsipieusës,.et de nouveauxchefs-d'œuvre en augmenteront les richesses.Conser-vons, en attendant, les bonnes tradi-tions n'accordons notre estime qu'auxécri-

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vains qui les suivent avec talent; ne laissons

pas dénaturer la langue la plus parfaite dontla philosophie et la morale puissent se servir;et la génération actuelle nous devra quelquereconnaissance.

F!N DE LA CONVERSION D'UN ROMANTIQUE,

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DEUX LETTRES

SUR LA

LITTERATURE ROMANTIQUE.

PREMIÈRE LETTRE

So, witboutjudgment, fancyisbutmad.

(BUCKINGHAM:)

L'imagination sans jugement est une foUe.

Vous m'avez fait promettre, mon cherami, de vous entretenir de la littérature ro-mantique. Cette promesse était un peu tëmé-

Ces deux lettres ont été écrites en' tS~.s'

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raire je ne pourrai la remplir sans blesserl'amour-propre d'un assez grand nombred'écrivains conjurés contre la langue de Ra-cine, qui ne suffit pas à leur génie; vousn'ignorez pas que les blessures faites à l'a-mour-propre saignent toujours. Je vais pour-tant essayer de vous satisfaire; je nerveuxpas qu'on dise un jour qu'aucune protesta-tion ne s'est élevée contre le triomphe de ladéraison et du mauvais goût.

Le sujet en lui-même est important etdigne de fixer l'attention publique: aussi jevous avertis d'avance qu'il me serait impos-sible de le traiter convenablement sans ex-céder les bornes d'une lettre; je diviseraidonc ce sujet en. deux parties dans l'unej'indiquerai les causes des différences qui exis-

tent entre les deux genres; j'expliquerai les

motifs de la guerre d'extermination déclaréeà la littérature française. Vous y verrez quel-

que chose de'plus qu'une erreur de jugement,

ou un penchant assez naturel à l'indépen-dance.

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Le mépris des règles, la proscription dubon sens, ne sont point une nouveauté. Versla fin du règne de Louis XIV, des hommes,importunes de l'éclat des.talents qui s'étaientformés à l'école des anciens,.attaquèrent lasaine littérature.dans ses principes; ils cher-chèrent à obscurcir ces brillantes renommées

que les siècles nous ont transmises, qui. ontsurvécu aux révolutions et à la chute .des em-pires ils ne craignirent pas même d'insultercette grande figure d'Homère, qui s'élève com-me la statue d'un demi dieu sur la limite laplus reculée de l'antiquité: Mais l'époque -dusuccès n'était pas arrivée cette insurrectionde l'ignorance présomptueuse eut peu. de ré-sultats les séditieux expirèrent sous les traitsdu ridicule. Cependant les mêmes tentativesse renouvelèrentplus d'une fois dans le coursdu dernier: siècle; mais Voltaire.avait saisi le

sceptre littéraire; il fit constamment respec-ter les lois dugoût.

A cette époque, l'Europe entière rendait

un juste hommage aux grands écrivains qui

2)

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vrai

avaient illustré le siècle de Louis XIV et ce-lui de. soa successeur. En effet sans parlerencore des poètes dramatiques, quels plusgrands maîtres d'éloquence pouvait-on choi-sir que ce Bossuet, dont la voix puissantesemble retentir dans l'éternité; que ce Pas-cal, détaché de la terre, dont les pensées nousfrappent comme, des inspirations divines?Plaçons auprès d'eux, sans nous permettred'assigner les rangs Fénclon et Massillondignes interprètes de la morale religieuse,dignes apôtres de l'humanité, Lafontaine,au-dessus de ses modèles comme de ses imi-tateurs et Boileau poète de la raisonqui FembeHit du charme des beaux vers,et révéla les secrets du génie. Ces grandshommes avaient eu de légitimes successeurs.Sous les auspices de Fontenelle et de Mon-tesquieu, la littérature pénétrait dans lessciences éclairait la législation elle réflé-chissait les merveilles du monde-visible dansles pages immortelles de Buffon ou noustransportait avec Rousseau dans ce mondeidéal, où tout est beau. sans cesser d'être

où les passions forment une noble

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alliance avec la vertu; bien différent de cesrégions vaporeuses peuplées de monstres

et de fantômes, que les disciples de Perrault,de. l'abbé Terrasson et de Lamotbe, offrentà notre admiration.

La supériorité de nos écrivains classiquesn'était point contestée; on ne les regardaitpoint comme de. servîtes copistes. de l'anti-quité. La langue française était alors regardée

comme l'idiôme ~naturel des hommes .-in-struits, tant elle excelle à peindrè les senti-ments du cœur avec leurs nuances les plusfugitives, tant elle est propre à :donner durelief à la pensée adoptée dans les cours

elle semblait destinée à devenir le lien com-

mun de la civilisation européenne et à rap-procher des peuples qui n'ont besoin que des'entendre pour s'estimer.

C'était surtout par sa littérature dramati-que que là France dominait en Europe. Sonthéâtre, perfectionné par le goût et par le ta-lent de ses poètes, ne conservait aucun ves-tige de la barbarie moderne, et se trouvait

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d'accord avec les progrès de la société. Ce-pendant chaque nation avait son théâtre.L'Angleterre admirait Shakspeare, génie su-blime, mais inculte, aussi étonnant par sesdéfauts que par ses beautés (i).

Lopez de Véga Caldéron triomphaient

en Espagne. Les ouvrages de ces poètes con-venaient à l'ignorance de la multitude, et necontrariaient que te goût d'un petit nombred'Hommes éclaires; leur renommée avait fran-chi les limites de leur patrie, mais leurs pro-ductions ne pouvaient se naturalisetnullepart.La France seule voyait avec orgueil les chefs-d'œuvre qu'elle avait applaudis, consacrés

par ~admiration de tous les peuples de l'Eu-

(i ) Le théâtre de Shakspeare ne doit point être né-gligé l'étude de ce poète si l'on rédutt leur justevaleur les exagérations de la nouvelle école, ne peutêtre que profitablé; on y trouve des inspirations de

génie, des traits de naturel et de vérité, qui oËrentune ample matière à là méditation.

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l'ope. Des rives du Tage jusqu'au bord de laNeva, les grandes conceptions de Corneille,l'harmonie céleste de Racine,lesaccents pa-thétiques de Voltaire,, réunissaient !es suSra-

ges Molière, peintrendèle de l'homme quipartout est soumis au pouvoir des passions etdes préjugés, Molière était partout dans sapatrie.

A quelle cause ..devons nous attribuer,cette différence dans le sort du drame fran-çais et du drame étranger? L'examen' de

cette question ne vous paraîtra pas sans in-térêt.

Les premiers essais dramatiques ont étéhasardés chez les peuples modernes, lorsqu'ilsétaient encore dans l'enfance de leur civilisa-tion. A cette époque, les combinaisons del'esprit sont bornées il n'aperçoit que faible-ment les rapports des nations entre elles, etde l'homme avec ses semblables, d'où naissentles convenances politiques et ~sociales quiadoucissent l'aspérité des passions et rendentles mœurs moins féroces. Les individus

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éprouvent des sensations d'autant plus vives

que les sentiments sont moins profonds leurimagination mobile reçoit avec avidité toutesles impressions. C'est alors que se répandentles idées superstitieuses, que les erreurs jet-tent de profondes racines, et préparent delongues épreuves a la raison.

Elevez un théâtre chez ces peuples qui flot-tent entre la barbarie et la civilisation; offrez

à leurs regards des caractères héroïques des

actions dont le mobile soit dans un sentimenténergique, toujours combattu et toujours vic-

torieux les luttes pénibles des passions auxprises avec l'honneur et le devoir ce travailsecret du cœur humain source de terreur etde pitié, n'arrivera jamais l'intelligence de

ces hommes uniquementattachés aux cho-

ses matérielles, et dont toute la force est em-ployée à satisfaire et non à vaincre leurs pen-chants.

Rassemblez les mêmes hommes offrez-leur un spectacle ~uniquement fait pour les

yeux;: tel, par exemple, qu'une mer'ora-

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geuse, un naufrage, une île, des magiciens,des matelots ivres, des princes qui s'expri-

ment comme des matelots, un monstre dé-goûtant, produit d'une imagination déré-glée, enfin un esprit follet. Mettez en mou-vement tous ces personnages, et soyez sûrsqu'un :drame de -ce genre réussira chez unpeuple dépourvu de goût et de délicatessedans les sentiments; vous l'entendrez se ré-crier d'admiration ..c'est/a T~p~e (i)de Shakspeare qui aura excité son enthou-siasme.

On conçoit donc aisément qu'à leur appa-rition dans un siècle encore peu éclairé, depareilles tragédies aient obtenu un grand suc-cès mais comment expliquer' l'estime dont,elles jouissent maintenant en Angleterre ? Envoici les causes parmi les défauts de toute es-pèce qui déngurent les ouvrages de Shakspea-re, on remarque des traits de génie, desbeau-tés de l'ordre le plus élevé; ce sont des éclairs

()) The Tempest.

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qui frappent plus vivement les yeux, parcequ'ils sillonnent assez fréquemment d'épaissesténèbres. Il y :a une admiration irréfléchie

comme une admiration éclairée. La premièreest la source la plus abondante des préjugés etdes erreurs elle se change aisément en fana-tisme, s'empare de toutes les facultés de l'es-prit, et passe presque, toujours:le but qu'elle

veut toucher. C'est un enthousiasme fanati-

que qui s'appuyant sur l'orgueil national,protége en Angleterre les productions tragi-ques de Shakspeare. Le culte de ce poète apris naissance à une époque où l'esprit humain

était ouvert à toutes les superstitions ce culte

est devenu une religion littéraire qui exigel'obéissance et la foi la plus vive. Les Anglaisécriraient volontiers sur le frontispice de leursthéâtres « Hors de Shakspeare point de

salut.')) H faut encore observer, que cet éton-nant poète n'a, été surpassé par. aucun de ses

successeurs plusieurs d'entre eux ont imité

ses défauts sa:ns atteindre à ses beautés. Ne

soyons donc pas surpris si les catastrophessanglantes les merveilleuses péripéties accu-mulées sans ordre et sans mesure dans les tra-

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gédies de Shakspeare si son langage tantôtsurchargé d'images tantôt d'une excessivetrivialité sont encore admirés et applaudis..La foule des spectateurs de Drury-Lane oude Covent-Garden ne connaît rien de mieux.

Toutesces causes réunies expliquent la des-tinée de Shakspeare. Les mêmes observationss'appliquent en grande partie aux poètes es-pagnols. Il en .résulte que les théâtres de cesdeux nations, admirables, pour elles seules,

ne peuvent exciter, hors de l'Angleterreet de

l'Espagne, qu'un simple sentiment de curio-sité.

Les premiers écrivains francais qui. ten-tèrent d'élever un théâtre national parurentaussi à une. époque qui touchait encore .a labarbarie du moyen âge mais leurs efforts ,,dé-

pourvus de génie ne laisserent~après eux quedes traces fugitives nulle beauté ne deman-dait grâce pour les vices de leurs composi-tions. A peine le goût et la raison eurent-ilsfait quelques progrès, que les Jodelle et lesGarnier disparurent de la scène, et lorsque la

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merveille du C~ réveilla parmi nous le pre-mier sentiment du beau et du vrai, elle'trou-

va des spectateurs préparés à l'accueillir avec,une légitime admiration.

Toutefois, les ouvrages de Corneille of-fraient quelques unes de ces aspérités dansle style de ces inégalités dans les pensées,qui tenaient au caractère de la société, onn'avait point encore appris a distinguer l'exa-gération de la vraie grandeur. Corneille nepouvait être surpassé dans l'invention des

plans, l'élévation des caractères la sublimitédes traits héroïques; mais il fut moins heu-

reux dans Fart de peindre les passions et deleur prêter un langage. Racine parut, Racine,toujours pur, toujours harmonieux. Ce futalors que la. scène devint, comme la sociétéperfectionnée, une école de mœurset de bien-séances. Le Cid suivant l'expression d'uncritique habile avait été la première époquedu théâtre français; -~M~o~Ma~Me fut la se-conde, et n'eut pas moins d'éclat.

Quel poète, sans jamais s'écarter de la na-

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turc a su représenter 'd'une manière plusfrappante les mouvements orageux des pas-sions ? Les ressorts cachés de l'action dra-matique sont; presque toujours dans le cœurdes personnages c'est là que Racine a pla-cé le théâtre des combats déchirants etpleins d'intérêt dont la représentation exté-rieure cause des émotions si vives et faitcouler de si douces,larmes. Voltaire vint à sontour, et se fit place entre ces grands maîtresce.qui le distingue c'est une, force de raisonqui n'exclut ni l'héroïsme de la vertu, ni lecharme du sentiment. Ses personnages tou-cherit de plus près a l'humanité que les hérosde Corneille, et il fait sortir de leurs situationsdes leçons de morale fortifiées par toutes lesséductions de l'éloquence,et de la poésie. Sondessin est moins.correct que celui de Racine,son langage moins.mélodieux mais ses com-positions sont plusvastes, ses traits plus lar-

ges, ses tableaux plus variés, il avait suiviles progrès,de; son siècle, ou plutôt il le de-vançait; l'étude de.la philosophie oRrait à

son talent des ressources inépuisables. Latragédie française n'était point encore sor-

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tie de l'Europe; il la.transporta sur lesplages de l'Afrique, sur les champs de l'Ara-bie, et les bords encore sauvages du Nouveau-Monde il ressuscita ces nobles chevaliersfrançais que le sentiment seul de l'hon-neur sépara de la barbarie de leur siècle illes fit paraître sur la scène, brillants d'amour,de gloire et de loyauté il découvrit aussi,

comme Racine, le secret des passions. Jamaispoète ne descendit plus avant dans le cœurhumain, et ne fit entendre de plus pathéti-

ques accents.

Tels sont les maîtres de la tragédie fran-çaise. S'ils parvinrent à un degré si émi-

nent de supériorité, c'est qu'en obéissant à

leur génie, ils recevaient les inspirations d'unsiècle avancé dans tous les arts de la civilisa-tion. Si Molière, à qui on ne peut rien com-parer, éleva si haut la scène comique, c'estqu'avec le même génie, il se trouva placé dansla même situation que Corneille, Racine etVoltaire. Ainsi, en revenant à la question, il

est évident que le théâtre français convient à

tous les peuples dont la raison est cultivée

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parce qu'il a été fonde et perfectionné dansun siècle de lumières; et si le-théâtre anglais,si le théâtre espagnol, malgré les efforts deleurs apologistes,_ ne peuvent prétendre aumême succès, c'est qu'ils sont le produit d'unenature brute d'une civilisation mêlée de bar-barie. `.

A l'époque où la supériorité de la langue

et de la littérature françaises n'était point con-testée, notre gloire militaire se trouvait coni-promise elle ne vivait que dans les souve-nirs de l'histoire. Lé grand Condé, Turen-ne, Luxembourg,Villars et Catinat, n'avaientpoint laissé de successeurs; Maurice de Saxeétait étranger. La France ne devait le rangdistingué qu'elle occupait encore dans l'opi-nion qu'aùx. progrès des sciences et. à l'im-mense renommée de ses écrivains. Voltaire,Montesquieu Rousseau BuSbn régnaientsur une littérature qui elle-même régnait enEurope.

Cet état dé choses a duré près d'un demi-siècle. Mais lorsqu'à la suite d'une révolu-

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tion féconde en catastrophes, les exploits mer-veilleùx des armées françaises eurent portéla gloire nationale jusqu'aux bornes du mon-de lorsque l'aigle de l'empire se fut reposé

sur toutes les capitales du continenteuropéen,

un sentiment de haine et de jalousie'agita lesnations étrangères c'était trop à la fois

de dominer par la gloire des armes et parcelle des lettres. Au moment où les rois se li-guaient contre la prépondérance militaire de

la France, une coalition d'un nouveau genrese formait en Allemagne et en Angleterre

contre sa domination littéraire on résolutsurtout d'attaquer son théâtre, de détrônerles monarques de la scène, de partager leursdépouilles entre Shakspeare et Calderon.

M. W. Schlegel littérateur allemand

que recommandait sa haine particulière pourle nom français fut placé à la tête de cettecroisade, et publia son manifeste'en trois vo-lumes, sous le titre de Cours de littérature<<ïMïa~Me. Une femme justement célèbre

par les dons du. génie et la noblesse du carac-tère,.madame de Staël, transfuge de la lit-

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térature française' qu'elle avait 'enrichie debons ouvrages, se rangea sous la bannière ro-mantique. Entraînée par une brillante imagi-nation, ou trop accessible aux séductions dela nouveauté, elle employa la force d'ungrand talent à répandre de fausses doctrinesinfidèle au culte des divinités de la patrie,elle se prosterna devant les idoles gothiquesde l'étranger.

Il fallait-un point de ralliement, un motd'ordre aux adeptes du nord. Notre littéra-ture est classique; celle dont ils veulent éta-blir la prééminence a reçu le nom de ~'omaM-tique c'est ainsi qu'elle est désignée dans lemanifeste de M. Schlegel et cette désigna-tion- est aujourd'hui généralement adoptée.

''L'ouvrage de M. Schlegel ne manque, au prémier coup-d'oeil, ni-de mesure ni d'adresse.Il consent a accorder quelque mérite a nosgrands poètes tragiques, parce qu'il espèreleur opposeravec avantage Calderon et Shak-speare, mais où trouver un rival de. Molière?Le désespoir de balancer une telle renomméeajeté l'Aristarquegermanique hors des limites

t. 22

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du bon sens. Il traite Molière avec une extrê-

me arrogance c'était un esprit étroit et su-perficiel, dont les conceptions bornées fontpitié son théâtre est destiné à l'oubli ley<M~M~ë,si vanté, /e A~<ïM~'o~e, les ~eM-

mes savantes, ne sont pas même des comédies,

il n'y a rien au-dessous de ces prétenduschefs-d'œuvre.

Voulez-vous un modèle de vraie comédie

lisez Co~Mere~ ~e ~tM~or~ du divinShakspeare M. Schlegel vous apprendra

que ce poète avait pour principe de ne jamais

se borner à l'imitation d'un monde prosaïque,et qu'au moyen de quelque ornement plusrelevé, il a fait dans tous ses ouvrages lapart de.l'imagination. « II anima, dit encoreM. Schlegel il. anima la fin de cette' pièce

par un mélange de merveilleux qui était par-ticulièrement bien placé dans le lieu où ellefut représentée.

Y M JJnesuperstition populaire fournit ici l'oc-

casion d'une mystincation fantastique. dontFalstaff est l'objet. On lui persuade d'atten-

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dre sa maîtresse vêtu de manière à être pris*s

pour l'ombre d'un chasseur qui, suivant unetradition populaire,. erre' dans la foret deWindsor, coiS'é de cornes de cerf; il est sur-'pris dans ce costume par un, chœur de jeunesfilles et de jeunes garçons déguisés en sylphes,qui exécutent leurs danses nocturnes, et tour-mentent l'infortuné Falstaff, par de très jo-lies chansons. Cette jonglerie est le derniertour qu'on lui joue et le dénuûment de la'seconde intrigue d'amour s'y trouve lié d'unemanière très ingénieuse(i). ))

Voilà le dénoûment d'une bonne comédie.Quel dommage que Molière se soit borné àl'imitation d'un monde prosaïque Pourquoine voyons-nous pas sur la scène française deshommes coiués de cornes de cerf, qu'on tour-menterait par de jolies chansons ? L'intérêtd'un pareil spectacle nous ferait oublier toutce qué nous avons admiré jusqu'ici.

(t) Coursée littérature dramatique, t. 5, p. n5.

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Mais quel est donc ce Falstaff, si. célèbre'

sur 'la scène anglaise?;-Ecoutez encore M.;Schlegel. « C'est,, dit-il,,le caractère le pluséminemment comiquequ'ait créé l'imagina-tion fértile de Snakspeare. FalstaS'est le mau-~vais~sujet le plus agréable et le.plus amusant.qui ait jamais existé ce qu'il a de mépri-sable n'est pas déguisé. Il est vieux et il n'en.

est pas moins sensuel;il est d'une énorme'corpulence, et on le voit sans cesse occupé à

pourvoir sa grosse personne de tout ce. qui'.

peut la restaurer toujours endetté, et peuscrupuleux sur le moyen de se procurer del'argent,, poltron, babillard, fanfaron etmenteur (i). »

Noussommes sans doute bien a plaindrede préférer les caractères traces par Molière

à ce héros de .taverne et de mauvais lieux, a

ce FaIstaN'siéminemment comique! Quel.

plaisir ne goûterions-nous pas à le voir sur

()) Cours de littérature dramatique,'t. 5. `

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la scène, avide de restaurer sa grosse person-ne, nous charmant par des tours d'escroc et,de propos de corps-de-gardè! Voila donc cenaturel par excellence ce monde poétiquedont tant de merveilles nous sont racontées~-Et c'est pour accréditer de pareilles bbuHbn-

nerics, indignes des plus vils tréteaux, que deshommes d'esprit'ne dédaignent point de ha-sarder leur talent et leur renommée

Le plus. grand reproche qu'onadresse à'nosécrivains dramatiques, c'est d'imiter les an-ciens, et de s'asservir aux règles des trois uni-

tés.-Un tel reproche prouve une ~littératurebién superficielle. On confond l'admissiond'une forme avec l'adoption d'une manière, ettoutefois rien n'est plus différent. Les formesdu théâtre grec ont été reçues en France, nond'après l'autorité dés anciens mais d'aprèscelle de la raison. C'est la raison qui nous ap-prend qu'une action simple, se développant

avec plus dé facilite, est aussi plus propre àfixer l'attention et l'intérêt qu'une multiplicitéd'actions incohérentes et d'incidents qui neproduisent aucun 'résultat: Si nous exigeons

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que le poète dramatique ne transporte pas la

scène d'un pays dans un autre et. ne nousfasse pas parcourir en deux heures les quatreparties du monde, c'est qu'il n'y a point d'in-térêt sans vraisernblance.,La règle du tempsest fondée sur le même principe nous n'ai-

mons pas à voir un personnage

Enfant au premier acte,et barbon au dernier.

Mais ce n'est point d'après la recomman-dation d'Aristote et d'Horace que l'usage denotre théâtre a consacré ces règles c'est uni-quement parce que la raison d'accord avecl'expérience nous apprend que la multipli-cité des incidents fatigue l'attention du spec-tateur, et nuit au développement de l'actionprincipale, qui seule détermme l'intérêt.

H sufEt d'une connaissance superficielle duthéâtre grec pour savoir que le système dra-matique des anciens'ëtait ibnde sur des tradi-tions religieuses et le dogme de la fatalité.Les personnages de leur tragédie, soumis a

une invincible destinée, marchaient au. cri-

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me' comme, une. victime'.des lois a*récha-f:md,,e!. leurs actions étaient jusqu'à un cer-ta% point.depourvues de moralité.

Les Français ont osé les premiers animerla scène par la lutte.des passions ils ont ad-mis l'autorité souvent contestée de la vertu.Un tel système ne.pouvait réussir que chezles peuples dont les dogmes religieux repous-

sent le fatalisme, et donnent une sanctiondivine aux préceptes de la morale mais ilfallait une sagacité peu commune pour saisircette vérité, pour découvrir les rapports quidoivent exister entre les principes de Factiondramatique et les opinions des spectateurs,harmonie qui seule peut soutenir l'existencedu théâtre, et en faire une institution natio-nale. Nos grands poètes eurent cette gloireils sentirent ce qui convenait à un peuple quitendait vers la perfection, à l'aide d'une mo-rale épurée. Sentir ainsi, c'est créer, c'estenvisager l'art du théâtre du point de vue leplus élevé c'est le seul moyen d'atteindre aubeau idéal, de séparer l'imagination desidées vulgaires et de la vie commune.

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Je m'aperçois que je me laisse entraîner

par mon sujet et que j'entre dans des dis-cussions que je n'avais pas prévues. Il'esttemps de vous laisser reposer, et de repren-dre moi-même baleine. Dans ma prochaine

.lettre, je mettrai en présence Shakspeare etRacine c'est le plus sûr moyen d'éclairer laquestion. Recommandez-moi au dieu du goût

j'aurai besoin de son aide et. des ses inspira-tions.

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SECONDE LETTRE

Dutness is ever apt to magnify.

(POM.)

\) Nos écrivains dramatiques sont accuses de

manquer de naturel. Cette accusation se re-trouve dans toutes les. pages de leurs adver-saires. Ceux-ci, en condamnant l'affectationfrançaise élèvent jusqu'aux nues le beau na-turel de Shakspearë c'est le type qu'ils nousproposent. M. Schlegel entre autres vanted'un ton d'inspiré, la vérité des pensées et dulangage qui respire dans la tragédie de Roméo

et Juliette. Vous allez me trouver bien hardi.

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C'est précisémentce naturel si rare que je vaisexaminer; je choisis même la scène la plusfameuse de cette oeuvre dramatique vousm'avouerez qu'on ne saurait montrer plus deloyauté. Le jardin de la maison des Capuletsest le lieu de la scène; il. fait nuit; Roméos'avance.,

ROMEO.

« Celui qui. n'a jamais été blessé se moquedes cicatrices. (~M Juliette ~ra~ à /<xy6M~-

~e au c/a~ de /a /M~e.) Mais doucement,quelle lumière s'échappe de cette fenêtre ?C'est l'orient, et Juliette est le soleil. Lève-toi,, astre brillant;éclipse la lune, qui' est déjàpâle et malade de douleur de te céder, à toi.,l'une de ses nymphes, le prix de. la beauté.Né sois plus sa compagne, puisqu'elle est en-,vieuse rejette ses draperies.d'un vert jaunâ-tre, qui ne conviennent qu'aux insensés. (Dui,

c'est elle, c'est mon amour, et,plut.à~I)ieuqu'elle connut le secret de. mon coeurj; fjlleparle/et cependant elle n'exprime rien. Qu'imr

porte ? ses yeux. sont. pleins d'éloquence,, et

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je leur répondrai.Je suis.trop audacieux; cen'est pas a moi qu'elle s'adresse. Deux étoilesdes plus éclatantes du ciel ayant affaire ail-leurs, ont supplié ses yeux de briller dansleurs sphères jusqu'à ce qu'elles fussent de re-tour. Qu'arriverait-il si ses yeux étaient làhaut et que ces étoiles fussent dans sa tête 2

Elles seraient obscurciespar l'éclat de sesjoues, comme la lumière du jour fait pâlircelle d'une lampe. Ses yeux, places au firma-ment, répandraient une telle clarté dans lesrégions aériennes que les oiseaux commen-ceraient leurs chants, comme si le soleil avaitchassé les ténèbres de la nuit. Voyez commeelle appuie sa joue sur sa main. Oh! que ne suis-je un gant pour couvrir sa main et toucher sajoue r

JULIETTE soupirant.

» Hélas

ROMÉO.

)) Elle parle Ah! parle de nouveau, angede lumière car, du lieu élevé où tues placée,tu me parais aussi rayonnante qu'un messager

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du ciel, lorsqu'aux yeux étonnes des mortelsqui lèvent la tête pour le contempler, il s'élan-

ce sur les nuées paresseuses, et sillonne le seinde l'air.

<~JULIETTE.

))0h Roméo Roméo pourquoi es-tuRoméo? Renonce à ton père; abjure ton nom;

ou, si tu l'aimes mieux, jure-moi un constant

amour, et je cesserai d'être une Capulet..

ROMÉO à ~<M'

» Faut-il que j'en entende davantage ourépondrai-je à ses paroles ?

JULIETTE.

)) Ton nom séul est mon ennemi car tues toi-même et non un Montaigu ? Ce n'estni une main ni un pied, ni un bras, ni unvisage, ni rien de ce qui appartient à un liom-me. Oh! sois quelque autre nom Qu'y a-t-ildans un nom ? Ce que nous appelonsune rosene répandrait-elle pas un aussi doux-parfum

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si nous lui donnions un autre nom. Ainsi, Rb-

mëo, retranche ce nom, qui n'est aucune par-tie de toi mème et je.me donne à toi toutentière.

ROMÉO.

)) J~accepte l'échange.. Appelle moi tonamour ce sera un nouveau baptême, et dé-sormais je ne serai plus Roméo.

JULIETTE.

-)) Qui es-tu, .toi qui, sous le voile téné-breux de la nuit, écoutes ainsi mes paroles?

ROMÉO.

)) Je ne sais comment, à la faveur- d'un

nom, te dire qui je suis. Mon nom, cher an-ge, m'est odieux, puisqu'il est ton~enuemi.Si je le tenais, je le mettrais en pièces.

JULIETTE.

)) Je n'ai encore entendu qu'un petit nom-

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bre de paroles sortir de cette bouche; mais jereconnais le son de la voix. N'es-tu pas Ro-méo et un Montaigu ?

ROMÉO.

)) Ni l'un ni l'autre vierge céleste si l'unet l'autre te déplaisent.

JULIETTE.

» Comment et pourquoi es-tu venu ici ?

Les murs du verger sont élevés et difficiles à

franchir, et ces lieux te menacent de la mortsi quelqu'un, de mes parents vient à te ren-contrer.

ROMEO.

)) C'est avec les ailes légères de l'amour

que j'ai pris l'essor, et que je me suis elev.é

au-dessus de ces murailles car nulles limites

ne peuvent retenir l'amour; et tout ce que l'a-

mour peut faire, l'amour ose le tenter. Ainsi

tes parents ne peuvent être un obstacle pourmoi.

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JULIETTE.

)) S'il arrive qu'ils te voient, ils te don-neront la mort.

ROMEO.

)) Ah il y a plus de danger dans tes yeuxque dans leurs épëes. Jette sur moi un douxregard et je,serai à l'épreuve de leur ini-mitié.

JULIETTE.

)) Je ne voudrais paspour le monde entierqu'ils t'aperçussent en ces lieux.

ROMÉO.

)) J/ai le manteau de la nuit pour me ca-cher à leurs regards; et si tu ne m'aimes, jedésire qu'ils me voient. J'aime mieux que leurhaine termine ma vie que d'éprouver unemort prolongée par l'absence de ton amour.

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JULIETTE.

» Qui t'a dirige vers ces lieux ?

ROMÉO.

)) L'amour, qui m'inspirait'; il m'a prête sesailes, et je lui ai prête des yeux. Je ne suispoint navigateur mais, fusses-tu à la mêmedistance que cette vaste plage ou se brisentles flots des mers les plus éloignées, je tra-verserais tous les périls pour obtenir un si raretrésor.

JULIETTE.

)) Tu le sais, le masque de la nuit est surmon visage; autrement, les paroles que tum'as entendue prononcer auraient coloré mesjoues d'une rougeur virginale. Que ne puis-je, comme je le voudrais, m'arrêter aux for-.

mes et démentir mes paroles; mais je laisse

là toute espèce de cérémonie. M'aimes-tu? Jesais que tu vas répondre oui, et je te pren-

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drai au mot; mais si tu fais des serments, tupeux les violer et Jupiter,, dit-on, se rit des

parjures des amants. Aimable Roméo! si tum'aimes, prononce ce mot avec sincérité~ousi tu penses que je suis trop facile je fron-cerai le sourcil, je ferai la méchante, et pourt'engager de me suivre je te dirai Non. Envérité, charmant Montaigu, je découvre tropma tendresse ..Tupeux me croire légère, maissois bien sur que je serai plus constante quecelles qui~ontplus d'adresse pour cacher leurssentiments.

N J'aurais ëte plus dimçile, il faut que je Fa~

voue, si tu n'avais.surprisrexpressipn.de monËdèle amour. Ainsi, pardonne-moi; h'inî-pute -point à la légèreté des aveux qui ne. tesont parvenus qu'a la faveur .des ombres, de

nuit

ROMÉO.

)) Je jure par cet astre sacre dont là lumièreargentée étincelle sur la cime de ces arbresfruitiers,

i. 25

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-JULIETTE.

)) Ne jure pas par la lune, par cette luneinconstante dont Forbe change tous les mois,de peur que ton amour ne soit aussi variablequ'elle.

ROMÉO.

)~Par quoi faut-il donc que je -jure?

JULIETTE.

)) Ne jure en aucune manière, ou bien jurepar ta gracieuse personne, qui est l'objet de

mon idolâtrie,et je te croirai.

(Le dialogue, continue sur le m~me ton jusqu'à ce qu'on en-tende du bruit c'est la nourrice de Juliette qui t'appeHe. )

JULIETTE.

Je suis à vous, bonne nourrice. 'CherMontaigu,soisndèle! Demeure un instant,et je reviens à toi.

(E!)esort.)

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ROMÉO.

)) 0 nuit bienheureusé je crains que toutceci ne soit un songe enfant des ténèbres,trop doux et trop flatteur pour être une réa-lité.

JULIETTE, yepa:raMM~ s ./aj~Me<re.

)) Trois' mots eher. Roméo, et bonsoirtout de.bon. Si tes intentions sont honora-bles et que.tes vœux soient pour le mariage,fais-moi savoir demain, par l'émissaire quiviendra de ma part, en quel lieu et en queltemps tu veux'accomplir la cérémonie nup-tiale. Je mettrai ma fortune à les pieds, etje te suivrai partout comme mon seigneur etmon époux.

LA NOURRICE.

)) Madame

JULIETTE.

)) Dans l'instant. Mais sijtu as d'autres pen-sées, je te supplie.

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LA NOURRICE.

)) Madame!

JULIETTE. r

)) Tout-à-rheure, me .voila. Je. te suppliede cesser tes poursuites, et de m'abandonnera ma douleur. J'enverrai demain.

ROMÉO.

)) 'Ainsi, mon âme soit sauvée

JULIETTE.1

» Mille fois bonne nuit

( Elle sort. )

iROMÉO.

)) Mille fois mauvaise nuit, d'être privéde ta lumière L'amour s'élance de l'amourcomme l'écolier s'élance de ses livres; mais

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l'amour s'éloigne de l'amour comme l'écolier

retourne en classer lès yeux tristes et pesants.

(lisërettrelentement.)

JULIETTE reparaissant. de MOM~eaM.

» St! st! Roméo! Oh! que n'ai-je la voixd'un fauconnier pour attirer ce gentil oiseau

mais la voix enrouée de la réclusion doit êtretimide autrement, je percerais là grotte où

l'écho fait sa demeure; je rendrais sa voixaérienne plus enrouée que fa mienne à forcede lui faire répéter le nom de Roméo.

ROMÉO..i

)) C'est mon âme~qui m'appelle par monnom. Comme la voix de l'amour est harmo-niéuse dans la huit elle flatte l'oreille commeAune douce mélodie.

JULIETTE:

.·» Roméo

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ROMÉO.

)) Ma tendre amie

JULIETTE.~

)) A quelle heure enverrai-je demain?

1ROMEO.

? A neuf heures.

JULIETTE.

)) Je n'y manquerai pas. C'est vingt annéesjusque la. J'aioublié ce que.je voulais te direquand je t'ai rappelé.

.ROMÉO.

)) Eh bien je reste ici jusque ce que la mé-

moire te revienne.JULIETTE.

K Je Foublierai de nouveau pour te retenir,

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et je te rappellerai seulement combien ta com-pagnie m'est chère.

ROMÉO.

)) Et je resterai toujours, afin que tu ou-blies toujours, oubliant toi-même toute autredemeure que celle-ci.

JULIETTE.

a il est presque jour; je voudrais bien tevoir partir,' mais pas plus loin que Toiseauqu'une jeune Elle laisse sautiller a quelque

distance de sa main, comme un pauvre' cap-tif elle le retire bientôt a Fàide d'un 61 de

soie, tant elle est jalouse de sa liberté.

ROMEO.

)) Ah que ne suis-je ton oiseau

JULIETTE.

)) Que ne l'es-tu mon doux ami et toute-

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ibis.je .te tuerais de caresses. tBonne nuit,.bonne nuit Il y a tant de douceur mêlëe.'àl'amertume des adieux, que je dirais bonnenuit. jusqu'au jour.

(EI)esort.)

ROMÉO.

» Que le sommeil soit sur tes yeux et lapaix dans ton sein Plût à Dieu que je fusse

le sommeil et la paix pour jouir d'un doux

repos sur ton sein et sur tes yeux. Adieu! jevais me rendre à là cellule de mon père spi-rituel je vais lui demander son assistance etlui raconter mon bonheur.)) v

(nsort~)

Les apôtres du genre romantique ne pour-ront me reprocher d'avoir pris trop d'avan-

tage. J'ai choisi une scène des plus renomméesdu théâtre anglais; et ceux qui entendentbien l'original avoueront, s'ils sont de bonnefoi que loin d'aSaiblir les pensées de Shak-

speare, j'ai relevé par.l'expression plusieurs

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images dont la traduction littérale auraitprêté au ridicule.

La moindre connaissance du cœur humainsuffit pour nous faire sentir que tout dans

cette scène est aussi éteigne du naturel quedes bienséances. Juliette n'a vu Roméo qu'une

seule fois, dans'un bal masqué, où ils n'ont

pu se dire que quelques mots à la dérobée..Ilest vrai qu'elle en a reçu un baiser cet inci-dent est dans la nature vierge de Shakspeare;mais est-il bien naturel que cette jeune fille

seule à sa. fenêtre,. disserte à haute voix surle nom de Montaigu., qui n'est ni une main-,ni un pied, ni un visage, ni rien de' ce quiappartient à l'homme ? Et que direz-~yous de

ces étoiles qui s'absentent pour vaquer:à leursaSaires? Quel triomphe pour les ennemis dela littérature française; s'ils trouvaient dansRacine, dans Voltaire, de pareils traits de na-turel Que diraient-ils si, daas une dé nos

atragédies, une jeune fille. demandait,sonamant s'il a vraiment le projet de l'épouser?Avec quel soin ne feraient-ils pas ressortircette emphase de comparaisons, ce cliquetis

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de mo'ts, cette ridicule subtilité de penséesqui tourmentent le dialogue, et sont si étran-gers au langage des passions. Que Juliettesoit la première a concevoir l'idée d'abandon-

ner sa famille pour se livrer à Roméo, ceti.

emportement ne blesse que les convenances;mais comment ose-t-on nous proposer pourmodèles des ouvrages d'un goût si faux,d'unemorale si impariaite ?

Et remarquons ici l'influence du siècle surle génie du poète il vivait à une époque rai-sonneuse,un temps de. controverse, oul'esprit consistait à jouer sur les mots, à en-velopper la pensée de métaphores ambitieu-

ses., et à semer d'énigmes les conversations..Cette manie, qui régnait à la cour d'Elisa-beth, était nommé eMp~MMme d'un ouvragede Guillaume Lilly, intitulé ËMp~M~, où ilavait donné le premierexemple de ce styleem-phatique et obscur. On ne peut mieux le com-parer qu'au langage de nos écrivains romanti-ques, et à celui des .P~ecMM~M ?'M~<*M~e~ quiaurait peut-être envahi notre littérature, si1Molière ne l'eût expose à la risée publique.

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D'un côté, une annotation outrée dansle* langage; de l'autre, des mœurs forte-ment empreintes de barbarie': voilà cequi existait du temps de Shakspeare voi-là les influences auxquelles il n'a pu échap-per et certes, je suis loin de lui en faire

un reproche. Il ne pouvait que représenterla société telle qu'il était forcé de la voir.Ce qu'il a d'intéressant dans les situations,de grandeur dans les caractères, de subli-

me dans les pensées, lui appartient maisces justes concessions ne sauraient aller plusloin je ne saurais trouver du naturel dans

une pénible recherche de mots et 'de pen-sées. Que nos réformateurs l'admirent etl'imitent, je ne m'y oppose .pas mais qu'ils

nous permettent de préférer à-leur naturelcelui de nos grands poètes, l'ordre à la con-fusion, l'expression vraie des .sentiments àl'emphase puérile des idées, les pensées no-bles aux pensées triviales, 'et le. développe-ment graduel aux mouvements brusques etinvraisemblables des passions.

Je voulais opposer à la.scène de Roméo et de

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Juliette celle de Mqnime et de Xipharès dansMithridate. Onpeut iaire cette comparaison,qui m'entraînerait trop loin. Je me contenteraide.citër un simple passage de Racine. C'est lediscoursd'iphigénie à son père. Iphigënieestà

peu près dans la même situation que Juliette;elle aime pour la première fois; elle aime unjeune prince digne de son amour, et qui estrepoussé par son père. Voici comment elles~exprimë

Fille d'Agamémnon, c'est moi qui la première,Seigneur, vous appelai de ce doux nom de père;C'est moi qui, si long-temps le charme de vos yeux,Vous ai fait de ce nom remercier les dieux,Et pour qui tant de fois, prodiguant vos caressesVous n'avez point du sang dédaigné les faiblesses.Hélas! avec plaisir je me faisais conterTous les noms des pays que vous allez dompter;Et déjà d'IHoh présageant la conquête,D'un triomphe si beau je préparais la fête.Je ne m'attendais pas que, pour la commencer,Mon sang fût le premier que vous dussiez verser.Non que la peur du coup dont je suis menacée

Me fasse rappeler votre bonté passéeNe craignez rien, mon coeur, de votre honneurjaloux,Ne fera pas rougir un père tel que vous;

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Et, si je n'avais eu que ma vie a défendre,J'aurais su renfermer un souvenir si tendre.Mais à mon triste sort, vous le savez, seigneur',Une mère,, un. amant attachaient leur bonheur;Un roi digne de vous a cru voir ta journéeQui devait éclairer notre illustre hyménéeDéjà sûr de mon cœur, à sa namme promis

II s'estimait heureux, vous me l'aviez permis..Il sait votre dessein jugez de ses alarmes.Ma mère est devant vous, et vous voyez ses larmes.Pardonnez aux enbrts que je viens de tenterPour prévenir les pleurs que je vais leur coûter.

Osez maintenant comparer -Shakspeare à

Racine! Comparez l'exagération des pensées,la bizarrerie des images lé babil prétentieuxde Juliette à cette profonde vérité de senti-ment, relevée par une expression toujoursnaturelle, poétique et harmonieuse, qui ré-pand tant de charme sur les paroles d'Ipbigé-nie. Mais pourquoi ces rapprochements dontje suis presque honteux? Qui se serait jamaisattendu qu'on pût préférer aux chefs-d'œu-vre de la poésie moderne les farces extra-vagantes qui rappellent l'enfance de l'art, la'grossièreté d'un siècle -ignorant et pédan-tesque ?

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A quel ëx.cës de déraison l'envie de rabais-

ser de grandes renommées ne peut-elle pasentraîner des hommes enthousiastes par cal-cul, et fanatiques de sang-Froid? Si l'on secontentait de nous dire que le génie de Shak-speare et de Caldéron Fut étonnant pour leur,siècle, qu'ils ont une sorte d'énergie sauvagequi plait quelquefois malgré ses écarts nullevoix ne s'élèverait pour contester ces véri-tés mais ce n'est pas ainsi que s'exprimentles maîtres, de la nouvelle école. Écoutez

.M. Schlegel parlant.de Shakspeare

« Ce Titan de la tragédie attaque le ciel

)) et menace de déraciner le -monde. Plus ter-)) rible qu'EschiIe, nos cheveux se hérissent

)) et nôtre, sang se glace en l'écoutant; et)) néanmoins il possède le charme séducteurd'une- poésie aimable,.il se joue gracieuse-

)) ment avec l'amour, 'et ses morceaux lyri-)) ques ressemblent à des soupirs doucement

)) exhalés de l'âme il réunit ce qu'il y a de

» plus profond et. de plus élevé dans, Fexis-

)) tence les qualités les plus étrangères, eten apparence les plus opposées, semblent

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)) liées Tune a Fautre lorsqu'il les possède.

)) Le monde naturel et le:monde surnaturel)) lui ont conné tous leurs trésors.

C'est un demi-dieu pour la force, un)) prophète par la divination, un génie tute-

)) laire qui plane sur l'humanité, et s'abaisse

)) cependant jusqu'à elle avec la grâce naïve)) et l'ingénuité de l'enfance (i). M

Voilà comme il convient de se mettre surle trépied et de prononcer des oracles. C'estainsi qu'il faut louer Shakspeare un Titan,un prophète un génie tutélaire teUes sontlés expressions dont il est bon de se servirelles sont dignes de l'idole et de l'adorateur.Il est vrai qu'elles ne laissent aucune idée po-sitive dans l'esprit. Tant mieux C'est là letriomphe du genre; il se plaît dans le vague;il ne plane pas tout-a-fait sur l'humanité,mais il plane évidemment sur le. sens com-mun.

(<) Cours de littérature dramatique, t. 2, p.-384

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Vous me demanderez peut-être la défini-tion de ce genreromantique dont nous avonslu des éloges si pompeux La question estembarrassante; les écrivains qui'en sont les

plus zélés partisans s'énoncent d'une ma-nière si mystérieuse, qu'ils ont l'air de nepas se comprendre eux-mêmes; ils quittentrarement le langage de l'inspiration. Essayonscependant d'en faire sortir quelques résul-tats.

(( L'espritromantique, dit M. Schlegel, se

)) plaît dans un'rapprochementcontinuel des

)) choses les plus opposées la nature et Fart,? la. poésie ei la prose le souvenir et le pres-

)) sentiment, les idées abstraites et les sensa-

tiens vives, ce qui est divin et ce qui est)) terrestre, la vie et la mort, se confondent)~de la manière la plus intime dans le genre)) romantique. On présenté dans le drame ro-)) mantique le spectacle varié de tout ce que)) la vie humaine rassemble; et tandis que le)) poète a l'air de ne nous oSrir qu'une réunion

)) accidentelle il satisfait les désirs inaperçus

a de.l'imagination, et nous plonge dans une

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? disposition contemplative par lé sentiment

)) de cette harmonie merveiUeusejqui.résulte,,

))pour son imitation, comme pour la vie

» elle-même, d'un mélange, en apparence» bizarre, mais auquel s'attache un sens pro-)) fond, et il prête, pour. ainsi dire, une âme

» aux din~rents aspects de la nature (~)./))

Je ne me chargerai pas de vous expliquerce

que l'auteur entend par Famé d'un aspect, ou

par des désirs inaperçus mais dans le peu delumière qu'il a jetée au milieu de ce désordred'idées et d'expressions je vois que la litté-rature romantique est l'assemblage d'élémentshétérogènes, et la confusionde tous les genres..Ces nouvelles doctrines se réduisent au prin~-

cipë~qui admet « le rapprochement continueldes choses les plus opposées. » Voila donccette grande, découverte annoncée, avec tantd'appareil, et qui doit opérer une. révolutiondans la république des lettres.

(t) Cours de Httérature, etc.

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Certes il ne fallait pas un eRbrt extraor-dinaire de génie ,poiir arriver à. un tel rësul-tat la découverte en a été faite depuis long-temps.

Et nous aussi nous avons des poètesromantiques dont les productions dormentil est vrai dans la poussière des bibliothè-ques, mais qu'il ne tient qu'a nous de réveil-1er. Nous ne manquions pas, dans le quator-zième et dans le quinzième siècle de Calde-

ron et de Shakspeare. Nos mystères et nosmoralités sont de véritables drames romanti-ques ils offrent un rapprochementcontinueldes choses les plus opposées. On y trouve ledivin et -le terrestre, la vie et la mort; lesrègles n'y sont point respectées; il y a mêmedu vague dans l'expression de la mélancoliedans la pensée; enfin, ils réunissent les con-ditions les plus rigoureuses du genre.

On y peut admirer aussi des jeux de mots,car 'ce genre merveilleux ne repousse pas le

calembour. «.Ceux, dit M. Schlegel, quirejettent les jeux de mots comme un ramne-~

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ment contraire à la~ nature, trahissent -leur

ignorance à cet égard. Les enfants et les peu-ples, dont les mœurs .sont les plus simples,ont toujours manifesté leur goût pour les ça-;lembours. On en trouve dans Homère les li-vres de Moïse, qui sont les plus anciens monu-ments écrits du monde primitif, en sont rem-plis. Des poètes d'un goût très cultivé, tels quePétrarque, des auteurs, tels que Cicéron sesontlivrés à ce genre avec complaisance (i). ))

Le genre du calembour et le genre roman-tique étaient bien faits pour aller ensemble.L'un est sans doute comme l'autre un mé-lange en apparence bizarre, mais auquel s'at-tache un sens profond. J'avoue à ma honte

que j'étais du nombre de ces ignorants quiregardent les jeux de mots dans l'expressiondes passions comme un ramnement contraireà la nature me voila bien revenu de cette et-

reur, et je ne manquerai pas d'admirer les

(t) Cours de littérature dramatique, 2p. a85

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quolibets dont Shakspeare a embelli ie dia-logue de. ses tragédies. Vous voyez~qu'il m'estimpossible de réfuter sérieusement de pareilles

~opinions. Pour en faire justice, il suffit' de.

les dépouiller de cette enveloppe fastueuse etmystique sous laquelle on s'enbrce de les dé-

o- ·guiser c'est l'idole exposée à l'adoration duvulgaire les dehors en sont brillants l'in-térieur n'est rempli que de matières viles etgrossières.

Cervantes, contemporain des poètes ro-mantiquesèspagnols, jugeait en ces termes de

leurs productions c'est don Quichotte lui-même que j'oppose à M. Schlegel; l'aventure

sera moins périlleuse que celle des moulinsà vent. x( La comédie, dit notre brave che-

)) v aller, doit être un miroir de la vie humai-

» ne, un exemple pour la conduite des mœurs,)) et une image de la vérité. Je vois cependant))~qu'elle ne présente aujourd'hui que des ex-)) travagances. Quoi de plus bizarre que, de

)) faire voir dans~ la première scène un enfant

)) au berceau, qui, dans la seconde, livre un)) combat. N'est-il pas impertinent dépeindre

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)) un homme extrêmement vigoureux dans

)) une extrême vieillesse de faire un poltron

)) de celui qui est dans la force de Fàge de

)) représenter un valet orateur, un page qui'

)) donne des conseils, un roi qui fait le métier?' de baladin, et une princesse servante dé)) cuisine. »

Il est évident que Cervantes n'attachaitpas autant de prix que M. Schlegel « au rap-prochement continuel des choses les plus op-posées )) il était même assez dépourvu degoût et de génie pour reconnaître la nécessitédes règles du bon sens.

((C'est une chose étonnante, ajoute-t~il,)) que l'ordre qu'on observe pour le temps et)) le lieu où se passent les actions qu'on re-

présente. J'ai vu un drame où le premier)) acte se. passe en Europe le second en Asie,

B et le reste s'achève en Afrique. Si la pièce

)) eût eu plus de trois actes., il est probable

)) que la scène aurait été transportée Bn'Amé-

)) rique. Si le vraisemblable doit être l'objet

)) de la comédie, comment peut-on supporter!I

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» que, dans une action qu'on suppose s'êtrejo passée du temps de Pépin et de Charlema-))gne, le héros soit Héraclius~ qu'on lui

)) fasse conquérir la Terre-Sainte., et qu'il

)) entre dans Jérusalem avec la croix? Quel~galimatias! Quel mélange de fables et de

)) vérités historiques Quelle confusion dé na-

» lions, de caractères et de temps! Et com-)) ment peut-on excuser des fautes si gros-)) sières? Ce qu'H y a de- bon, c'est qu'il se

)) trouve des gens qui accusent les autres de

)) trop de délicatesse, et qui disent que c'est

» là la perfection (J). »

Il serait difficile de faire une critique plusjudicieuse et plus piquante de ces dramesmonstrueux de Shakspeare et de Calderon,qu'on veut nous faire admirer .comme des

chefs-d'œuvre: De quelque génie que soitdoué M. Schlegel, il nous pardonnera de luipréférer le bon sens de don Quichotte. Il y

(t)DonQu)chotte~iiv.~ch.0

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a e'ependant quelque rapport entre eux le

genre romantique est la DM/cM~ee du pr.ofes-

seur allemand il ne déraisonne que lorsquils'agit de l'objet de ses amours, car je me plais

à reconnaître que sur d'autres sujets il mon-tre du jugement et des lumières.

Je -ne 'm'étendrai pas davantage sur unequestion qui me parait sùmsamment éclair-.çie. Je croîs que. c'est vainement qu'on s'ef-

forcera d'élever ces cpnçepttpns.avortées;d'une époque d'ignorance, au-dessus.des im-mortels chefs d'oeuvré. de l'esprit~humain,i.dans toute la perfection et l'énergie de ses fa-cultés. L'amour de la nouveauté, l'impuis-sance d'atteindre au vrai beau, la facilité de

se livrer aux capricesde l'imagination en bra-vant toutes les règles du goût, peuvent égarerquelques jeunes gens dans des routes trom-peuses mais la partie éclairée du peuple fran-çais ne renoncera point aux titres les plus ho-norables de son illustration. La littératureromantique pourra triompher sur les tré-teaux des boulevarts c'est là sa véritablepatrie. Espérons qu'elle n'envahira point la

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scène nationale (i), et que nos grands poètestrouveront encore 'de dignes successeurs.

(i) Ce vœu ne s'est point accompli. La scène fran-çaise s'est ouverte au vandalisme dramatique; elle

est menacée d'une décadence complète, les bustesmêmes de Racine et de Voltaire ont été en butte'ààd'ignobles outrages. Le moment est venu de protestercontre une telle dégradation le silence des amis dela gloire nationale serait une lâcheté, du moins jen'en serai pas complice.Je donne le signal; d'autresentreront en lice avec plus de talent et sans douteplus de succès.

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L'ÉLOQUENCE POLITIQUE

y(M.T.ClC.BeOM<o~.)

La première tribune politique de la révo-lution fut un champ de bataille; rëloquence,qui se modifie suivant les besoins et les lu-

Cet Essai a été composépour l'édition des discoursparlementairesdu général Foy.

ESSAI.

SU.B.

EN FRANCE".

SMeniins[atuo,.perfectioratonsmoderatione et sapièntia nonsotumipstusdigmtatëm,sedet privatorum plurimorum, etuniYersœ.reipuMicae,salutemmaxime contineri.

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mières des sociétés, s'arma de toutes ses fou-dres pour renverser la monarchie absolue,fondée par Richelieu dëcorëë plutôt qu'affer-mie par Louis XIV, privée de respeçt sousla régence abandonnée ensuite pendant undemi-siècle aux caprices de l'arbitraire, auxcoups de la fortune et aux mécontentementsdu peuple. Toutes les classes s'étaient réunies

pour, la destruc![.JOn;ell,es~se~[iy.isèrentlors-qu'il, fallut refaire l'ordre social chacuned'elles parut sur la scène, avec ses passions,ses intérêts, ses vieux bu ses nouveaux pré-jugés.. 'L'éloquence fut alors appliquée auxplus hautes questions d'ordre public; les dis-cussions, calmes et réfléchies dans l'origine,s'animèrent par degrés i enfin, toutes les ré-s'animèrent par degrés enfin, toutes les ré-sistances intérieures étant vaincues, la mo-narchie constitutionnelle s'éleva sur des basesdéjà.chancelantes sous le poids .des factions etau milieu .des mouvements impétueux d'unenation devenue libre sans 'avoir acquis les

moeurs et les habitudes régulières de la li-berté.

Chaque époque .digne de memou'e enfante

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Fhomme'qui lui convient. Cet homme ap-paraît à tous les regards comme un géant; ilfrappe les imaginations et'se place sur les hau-teurs de la société; à sa voix, tout marche,tout se précipite dans la -liberté ou dans laservitude. Ecoutons Mirabeau s'adressant en1~89, aux étatsdc Provence.

« Dans tous les pays, dans tous les âges,

» les aristocrates ont implacablement pour-)) suivi -les amis'du peuple et si, je ne sais

» par quelle combinaison de la fortune, il

))s'en est élevé quelqu'un dans leur sein, c'est

» celui-là surtout qu'ils ont frappe, avides» qu'ils étaient d'inspirer la terreur par.le» choix de la victime. Ainsi périt le' dernier)) des Gracques de la main des patriciens;» mais, atteint du coup mortel, il lança de)) la poussière vers le ciel, et de cette pous-)) sière naquit Marius; Marius, moins grand

)) pour avoir exterminé les Cimbres que pour» avoir abattu dans Rome l'aristocratie de la)) noblesse. ))

A ces menaçantes paroles, la révolution~

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reconnaît son orateur elle l'adopte, lui -prête

ses forces, et lui donne l'empirè de la tribu-ne. Mirabeau comprit retendue de sa mis-sion, et y fut ndèle. La nature aussi l'avaitmoulé pour le tribunat l'audace de son front,le sombre éclair de'ses yeux, la nerté de sesattitudes, ses formes athlétiques, le retentis-sement quelquefois heurté d'une. voix impé-rieuse, tout annonçait en lui l'homme né pourles combats elt les victoires de l'éloquence.Les hasards de la fortune avaient servi à per-Icctionner l'œuvre de la nature; toujours enlutte avec les pouvoirs de la société, il n'a-vait trouvé nulle part la place qui lui conve-nait le despotisme même lui avait enseignéle prix de la liberté; ses méditations du don-jon de Vincennes respirent la haine de l'arbi-traire. Ce fut-donc avec une âme profondé-ment blessée qu'il se jeta dans l'arène politi-que, où allaient se débattre'ies intérêts d'unpeuple ou plutôt les destinées du monde.

-Mirabeau, devenu l'interprète de l'agita-tion sociale, rallie autour de lui les forcesdispersées de l'opinion; et, derrière ce rem-

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part,, il brave, il fait reculer les pouvoirs quisoutiennent encore la vieille monarchie. On'

se rappellera éternellement cette adresse, ou,sil'on veut, cet ordre intimé au monarquepour le renvoi des,troupes que l'imprudencede ses conseillers avait réunies autourdes vol-

.cans de la capitale. D~ns les débats qui pré-cédèrent la délibération, l'orateur déchiraaudacieusement un coin du voile qui cachait

encore les catastrophes sanglantes de Tave-~nir sa bouche prophétique lança ces sinis-'tres paroles, au milieu d'une cour frappée de

vertige

(( Ont-ils prévu, les conseillers de ces me-)) sures, ont-ils prévu 'les suites qu'elles en-

)) traînent pour la sécurité même du .trône?

? Ont-ils étudié dans l'histoire de tous les

)) peuples commerft les révolutions ont com-)) mencé comment elles se sont opérées?

» Ont-ils observé par quel enchaînement fu-

,» neste de circonstances les esprits les plus

sages. sont jetés hors de toutes les limites de

» la modération/et par quelle impulsion ter-)) rible un peuple enivré se précipite vers des

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D excès dont la première idée l'eût fait fré-))mir?))» `

Quel autre que Mirabeau aurait pu enve-lopper de'.formes respectueuses envers le trô-ne, de ces formes qui n'avaient pas encorecessé d'apparteniraux habitudes sociales lesénergiques volontés de la révolution? C'étaitla foudre sous un nuage transparent. Aprèsun enrayant tableaudes dangers qui menacentl'état, l'orateur s'adresse ainsi au roi

« Ne croyez pas ceux qui vous parlent

» légèrement de la nation et qui ne savent)) que vous la représenter, selon leurs vues,)) tantôt insolente, rebelle, séditieuse, tantôt

)) soumise docile au joug prompte à cour-)) ber la tête pour le recevoir; ces deux ta-» bleaux sont également mndèles.

)) Toujours prêts à vous obéir, Sire, parce)) que vous commandez au nom des lois, no-)) tre fidélité est sans bornes comme sans at-)) teinté.

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)) Prêts à résister à tous les commande-

» mënts arbitraires de ceux qui abusent de

)) votre nom parce qu'ils sont ènnemis des))lois, notr~e ndélite même nous ordonne0

)) cette résistance et nous nous honorerons

? toujours de mériter les reprochesque notre))~rmeté nous attire.

)) Sire, nous vous en conjurons au nom de)) la patrie, au nom de votre bonheur et de

)) votre gloire, renvoyez vos soldats aux pos-S tes dont vos conseillers les ont tirés; ren-» voyez cette artillerie destinée couvrir nos

)) frontières; renvoyez surtout ces troupes» étrangères, ces alliés de la nation, que nous)) payons pour défendre et non pour trou-)) bler nos foyers ~))

L'ordre de la révolution fut exécuté les

troupes s'éloignèrent, et rassemblée reprit

ses travaux.

De grands talentshonorèrent cette assem-blée. L'histoire conservèra ces savantes dis-cussions où furent approfondis les plus hauts

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sujets de gouvernement, d'administration etd'économie politique. La brillèrent, chacundansisa sphère d'activité et d'opinion cet"abbé Maury, dont la, parole académique,s'échauSant au foyer de l'opposition éclataitquelquefoisavec éloquence, Barnave, habileà saisir les questions, et à les ramener auxgrands principes de l'éternelle raison; Caza-lès, sorti des rangsde l'ancienne armée, et quidut à la tribune la première révélation de sontalent. Mais, au-dessus de tous, dominait le

génie de Mirabeau; c'est lui qui brisait lés ob-stacles et enlevait les délibérations; ses forces

croissaient par la résistance, et c'est dans les

momentsdifficiles que s'échappaient de sonâme ces vives inspirations qui devenaient des.lois.

Mirabeau avait des connaissances éten-dues fruit d'une observation profonde et deslongues veilles de sa captivité. Il profitaitaussi des lumières de tout ce qui l'entourait;les idées reçues germaient dans son entende-ment y prenaient la forme et la vie et ensortaient armées d'une force irrésistible. Il

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~*1 ?aimait, comme tous les grands orateurs, à~

procéder par l'interrogation; jamais un~sou-

venir historique, ou une frappante image, nelui manqua au besoin~'C'est.ainsique, pressé1

de faire adopter un plan de nuances utile a larévolution, il s'écrie (( Gardez-vous de de-

» mander du temps; le malheur n'en accorde)) jamais.Et, Messieurs, à propos d'une

)) ridicule.mbtibndu Palais-Royal, d'une ri-))sible insurrection, qui n~eut jamais d'im-

» portancë que dans les imaginations faibles,.

)) ou les desseins pervers de quelques hommes

)) de mauvaise foi,~ vous ave~ entendu nà-)) guère ces mots forcenés Cs~Mïa e;~ c!M;r

» yor/e~ ~e BoMe, et ~OM <~e7~ere f~t

)) certes, il n'y avait autour de nous'ni Cati-))lina, 'ni périls, ni'Rome.'J. Mais aujour-» d'hui~ld banqueroute, la hideuse banque-

» route est là; elle menace de consumer vous,

)) vos propriétés votre honneur. et vous

)) délibérez !))Combien d'autres traits je pourrais citer

de cette heureuse présence d'esprit, de cetteimagination éclatante qualités si essentielles

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a un orateur populaire Souvent calomnié<~ 1

souvent attaque, ses défenses furent presquetoujours; victorieuses, parce qu'il tenait lesceptre de l'opinion, et qu'il marchait en avantd'un peuple qui hasardait le premier pas dans

une carrière inconnue. Tel fut l'avantage dela position de Mirabeau, tel fut le motif de

sa confiance en lui-même, de cette confiancequi donne tant de force au talent. H mourutà propos, carie peuple commençait a le dé-

passer. L'époque,.changeant de caractère, de-mandait d'autres organes. Ce n'était plus dugénie qu'il lui la liait la révolution allait créer

sa propre éloquence. Mirabeau mourut assié-gé de sombres pressentiments. Près de sefermer à la lumière ses yeux s'ouvrirent unmoment sur l'abyme où l'ordre social allaits'engloutir; il mourut, et la tribune législativedemeura froide et inanimée jusqu'au momentoù la révolution y montaelle pour sedéfendre, et pour incendier les trônes des roisqui osaient la regarder en face et la me-nacer.

La tribune de rassemblée législative a lais-

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sé,. jusque près de Bon terme peu de souve-nirs. Tout était alors dans une fausse position;l'un des pouvoirs élémentaires des sociétés

<.quels que soient leurs modes de gouverne-ment, l'aristocratie avait été bannie de laconstitution~.il ne restait plus en présence quela royauté, dépouillée d'influence et de pres-tige et une démocratie inexpérimentée, quivoulait essayer la domination une cata-strophe était inévitable. Le mouvement des

armées étrangères vers la France, les çla-

meurs menaçantes de~Fémigration, le soulè-vement de la Vendée, précipitèrent la crise.C'est alors qu'une nouvelle éloquence, uneéloquence.toute révolutionnaire, agite la tri-bune et appelle le peuple à, la destruction.Le. peuple obéit une monarchie de qua-

torze siècles est, en un jour, couchéedans la poussière Louis XVI, roi hon-nête homme, Louis XYI, digned'unè autreépoque et d'un sort meilleur, est livré a l'im-placable révolution, qui ne se croira horsd'atteinte qu'en donnant au monde le-terriblespectacle de la majesté royale tramée à Fécha-taud.

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L'orateur de l'époque fut Vergniaùd, de laGironde. Ses paroles maîtrisaient les imagi-nations les grandes formes de l'éloquencele majestueux développement des périodesl'abondance et l'éclat des images, l'accumula-tion des preuves, l'art d'émouvoir le placè-

rent au premier rang. H présida à la tempêtequi engloutit le trône. Il voulut alors, avecson parti, s'arrêter; mais la force de projec-tion qui avait lancé le peuple dans l'anarchiene pouvait être suspendue par des lois. Larévolution, toujours inquiète, avait besoin,pour croire a sa propre existence d'un des-potisme sans'limites; elle saisit un sceptresanglant et:tout courba la tête,devant elle.

Telle fut l'origine de ces luttes terriblesentre les représentants de la révolution et leshommes qui voulaient fonder la républiqueet établir, les formes légales propres à ce genre

de gouvernement. Vergniaud fut encore lepremier parmi ces républicains; mais unelutte vive et prolongée répugnait à l'indolencenaturelle de son caractère. Il semble, en mé-ditant ses discours, qu'il pressentait sa dcsti-

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née il y a souvent de la douleur, quelquefoisdes gémissements dans son éloquence; on voitque de sombres présages obsèdent et attristentson imagination. Lorsqu'au nom de la France;

au nom de ses amis, il veut repousser la soli-darité des attentats révolutionnaires; lorsqu'ils'efforce d'arrêter le mouvement anarchiquedu peuple, c'est ainsi:qu'ilparle aux habitantsde Paris

((Qui pourrait habiter une cité où régne-)) raient la désolation et la mort ? Et vous

? citoyens industrieux, dont le travail fait

» toute la richesse, et pour qui les moyens)) de travail seraient détruits vous qui avez.,)) fait de si grands sacrifices à la révolution,

» et à qui l'on enlèverait les derniers moyens.)) d'existence; vous, dont les vertus, le pa-))triotisme ardent et la bonne foi ont rendu)). laséduction si facile, que deviendriez-vous?

» quelles seraient vos ressources ? quelles)) mains essùieraient.vos larmes, et porteraient

» des secours a vos famillès désespérées?

»'Iriez-vous trouver ces faux amis

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)) perfides flatteurs qui vous auraient préci-)) pités dans Fàbyme? Ah fuyez-les plutôt

)) Redoutez leur réponse Je vais vous l'àp-A prendre. Vous leur demanderiez du pain 5'

» ils vous diraient <~SM~ les c<ïrrM-

» ies ~ïNpM~er a /a! ~ërre quelques. /o!Mt~e<ïM.

)) sanglants. des' ~~C~~?e~ que nous avons)) égorgées ou ~oM/e~oM~ du ~eM~ ? jp~e-

)) nez-en ~OM~ ~M sang et des ca~M~')) nous M~~OMN~C~~<ïM~yenourriture d vous

)) o~ Vous frémissez citoyens 0 ma)) patrie, je demande acte mon tour des ef-

)) forts que je fais pour te sauver de cette crise

» déplorable.))

(( Frontons, s'écriait-il dans une autre)) conjoncture,prb6tohs des leçons de l'ëxpé-

» pénence Nous pouvons bouleverser les

» empires par. dès victoires, mais nous né fe-

)) rôns de révolutions chez lés peuples que

)) par le spectacle de notre bonheur. Nous

» voulons renverser les trônes prbuvons que» .nous savons être heureux avec une répu-

)) blique Si nos principes se propagent avec

)) tant de lenteùr chez les'nations étrangères,

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» c'est que leur~éclat est obscurci par des ~o-» phismes anarchiques, des mouvements tu-)) multueux et surtout par un crêpe eusan-)) glante.

» Lorsque les peuples se prosternèrent pour» la première fois. devant le soleil pour l'ap-

)) peler père de la nature pensez-vous qu'il

» fût voilé par ces nuages destructeurs quiportent les tempêtes ? Non, sans doute

)) brillant de gloire il s'avançait alors dans)) l'immensité de l'espace et répandait sur~l'univers la fécondité et lalumière.

<

» Eh bien dissipons par notre fermeté ces

». nuages qui enveloppent notre horizon po-» litique Foudroyons l'anarchie, non moins)) ennemie de la liberté que le despotisme

x<Fondons la.Uberté_sur les lois et une sage

» constitution Bientôt vous verrez les trô-

)) nés s'écrouler le s sceptres se briser et les» peuples, étendant les bras vers vous, pro-» clamer par des cris de joie la fraternité uni-)) verselle »

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-.Ge genre d'éloquence, où tout est image et `

sentiment, représente bien l'état :d'exaltation

et de, violence où. la société était plongée.Mais Vergniaud et son parti voulaient déslois le sanglant génie des révolutions leurrépondait par l'organe mugissant de Danton,son orateur

« Une nation en révolution est comme l'ai-

» rain qui bout et se régénère dans le. creu-

)) set. La statue de. la Uberté n'est pas fon~)) .due le métal bouillonne, et si vous n'en~surveillez: lé fourneau, vous serez tous))brûlés..» Montrez-vous révolutionnaires, mon-

))trez-vous peuple, et alors la liberté n'est)) plus en péril. Les nations qui veulent être)) grandes doivent, comme les héros, être)) élevées,à l'école du malheur

H J'insiste sur ce qui est plus qu'une loi,)). sur ce que la nécessité vous commande

<)) soyez peuple Que tout homme qui porte» encore dans son cœur une étincelle de li-

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)) berté ne s'éloigne pas du peuple Nous ne)) sommes pas ses pères, nous sommes ses en-)) fants; exposons-lui nos besoins etnos res-))'sources; disons-lui qu'il sera inviolable s'il

)) veut être uni.))

A ces paroles d'un tribun révolutionnaire,le peuple s'ébranle l'ennemi s'enfuit avecconsternation, comme le voyageur surpris,qui s'éloigne, en frémissant, du Vésuve ir-rité. La Gironde'.périt, consumée dans l'em-brasement général; la révolution'est sauvée;mais que deviendra la liberté'`

La liberté! Les révolutions et les contre-révolutions ne sauraient vivre' en paix avecelle les unes veulent du despotisme pour sedéfendre, les autres pour envahir. La libertéest dans l'ordre légal, et l'ordre gène les mou-vements excentriques des peuples y qui ontbesoin d'une impétueuse énergie de tous lesjours de toutes les heures;pour sauver leurindépendance. Aussi, quand lé parti répu-blicain fut vaincu, commença ce règne d'é-pouvante qui 6t cesser toutes les résistances

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intérieures, cette. centralisation de pouvoirs,cette inexorable dictature dont ni la pitié nile repentir ne pouvaient-approcher., L'élo-quence en deuil s'exila de la tribune. Defroides déclamations, des 'accents de haine,des sentences proscriptives, tel fut le langagede la.dictature elle poussa jusqu'aux plus de-,

plorables excès l'oubli de-l'humanité et de lamorale. Une muette terreur enchaînait lesâmes. Au dedans, qù'entendiez-vous?Le re-tentissement des ateliers où se forgeaient lesfoudres nationales, de sourds murmures,quelques joies earayantes, le bruit lugubredes têtes roulant sur l'échafaud; au dehors,l'hymne glorieux des combats, le son de latrompette, le pas de charge, et des cris devictoire

Danton voulut, avant le temps, retirer dufourneau la statue de la liberté le métal bouil-lonnait encore ilèn fut brûle. Mais, le terri-toire une fois aifranchi, la dictature se tuaelle-même. Le peuple n'avait plus besoin qued'institutions et de lois la France essaya satroisième constitution. De nouveaux talents

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reparurent. a la tribune aucun d'eux ne saisitle sceptre du génie et ne se fit obéir. Cepen-dant l'esprit de faction vivait toujours; bien-tôL les Français se déchirèrent avec fureur:les pouvoirs constitutionnels, mines par lalicence, perdent chaque jour leur aplomb etleur force l'étranger se réveille nos arméesreculent le bruit des armes se rapproche de

nos frontières menacées. Il ne s'agit plus deliberté il faut encore vaincreou mourir pourl'indépendance.

Une nouvelle dictature est devenue néces-saire; mais qui osera l'accepter? Qui oseraau milieu du soulèvement des passions, duchoc des partis, de l'affaiblissement moral dela société, se -rendre responsabledu sort de laFrance ? La révolution a besoin d'un défen-

seur contre l'Eûrope conjurée c'est dans les

camps c'ést sous les drapeaux de la ;gloiréqu'elle va le chercher c'est au: vainqueurd~Arcole, au héros des Pyramides, qu'elleremet ses arsenaux, ses armées, sestrésors,son enthousiàsmèses intérêts, ses principes

et son pouvoir absolu. Lui seul peut en sup-

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porterlepoids.; lui seul peut ramener et nxerla victoire sous les étendards de Jemmappeset de Fleurus lui seul peut comprimer lesfactions anarchiqués enchaîner toutes les vo-lontës à sa volonté suprême, appeler à luitous les genres de supériorités et d'illustra-tions, s'élever encore au-dessus~ et,de: cepoint sublime', dicter, des lois'aux :maîtresdu monde.

L'indépendance, qui est la vie des nations,l'indépendance du peuple français fut misehors d'atteinte, mais ùri silence injurieuxavait été impose à la tribune, et l'éloquences'était réfugtée sous les drapeaux. C'est de-la

que partaient ces puissantes expressions, celangage de l'héroïsme qui enlevait les mas-ses comme un'seul homme, tenyersait lesempires; et semblait prononcer les irrévo-cables arrêts du destin. Au fanatisme de'la liberté succéda le fanatisme de;la gloire,qui fit ,des prodiges; -mais. la liberté avait

encore, de nombreux amis. Lorsque Bona-parte descendit du consulat .au trône impé-rial, la liberté lui retira: son appui, la révo-

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lution, qui avait achevé sa tâche quitta laFrance, et commença ses voyages autour dumonde Napoléon resta seul avec'son génie

et le despotisme.

Un tel état de choses ne pouvait se soute-nir que par un pacte éternel avec la victoire.Toute Fénergie était dans Farinée il auraitfallu qué cette armée eut pu vaincre les élé-

ments avec autant de facilité que les batail-lons ennemis. Le trône impérial était réelle-ment sous la tente Fimage seule de ce trônemilitaire décorait les Tuileries il devait doncsubir les chances des combats, les vicissitu-des de la fortune, s'élever avec le succès ~af-faiblir par les revers, et disparaître enfin aumilieu des tempêtes. `

j;< i J-

Pendant la durée de ce règne si fécond engrandes choses~

et qui ne présentait aprèstout qu'un despotisme viager la France,.tranquille au dedans et victorieuse au dehors,avait pris de nouvelles habitudes les fruits dela révolution avaient mûri ses intérêtsétaient

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devenus nationaux, ce qu'il y. avait de juste etde raisonnable dans ses principes faisait partiede la raison commune l'instruction, plus gé-néralement répandue, adoucissait les mœurs,rapprochait les diverses classes de citoyens etdonnait un nouvel essor à l'industrie..

Le despotisme est dans la politique; toutle reste se trouve dans l'ordre légal. La na-tion marchant sans entraves vers un avenir

prospère n'est ni' troublée dans le présent,.ni rejetée avec violence vers le passé. Elle voits'élever de toutes partjs des monuments glo-rieux ou utiles des canaux ouverts appellentle commerceet la richesse, de précieuses ma-nufactures affranchissent nos besoins et notreluxe de tributs étrangers; les fleuves sontdomptés, les rochers se brisent, les Alpess'aplanissent, et des communications faciles

sont établies entre les points de l'Europe les

plus éloignes; un recueil de lois conformes

aux éternelles maximes de la justice. et auxbesoins de la civilisation paraît comme leplus beau travail de la raison et de la sagessed'un âge éclairé; la religion est dans l'état ce

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qu'elle y doit être, la gardienne céleste de lamorale, la conservatrice de lapaixet de tou-tes les charités humaines. D'amers souvenirsdes luttes d'intérêts et.d'opinions, né portentle désordre ni dans la société, ni'dans les fa-milles la réconciliation entre les partis sem-ble terminée; et l'éclat d'une gloire incompa-rable, le progrès des arts, le développementgraduel de l'esprit humain l'indépendancenationale assurée, compensent l'absence pas-sagère de la liberté.

Tant de prospérités devaient finir. La ré-volution ne redoutait que les trônes, et n'a-vait fait la guerre qu'aux rois, le supèrbe hé-ritier, le fils dédaigneux de- la révolution,oubliant la politique maternelle, ébloui dessplendeurs du diadème, plein d'une aveugleconfiance dans son étoile, couvrit les dynas-ties royales d'une enrayante tutelle, et vouluttraiter les nations comme la république avaittraité les rois. Il ne put se concilier les mo-

narques, et il révolta le patriotisme des peu-ples. Il apprit en Espagne que des bataillesgagnées pouvaient renverser un trône qui ne

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s'appuieque sur la force militaire, mais qu'el-les ne soumettentpoint les nations unies par lesentiment de leur dignité blessée et par. l'hor-reurdujoug étranger. Désarméduglaive révo-lutionnaire il se trouvait en présence d'unerévolutionque lui-même avait imprudem-ment suscitée. Il dut à cette révolution le pre.mier revers du drapeau de l'empire. « Il n'est

» donc pas invincible!)) telle fut la pensée

des rois et des peuples. Napoléon pouvait-ils'arrêter sans compromettre sa. destinée ? Despersonnes de "sens et d'expérience l'ont pense,je crois, que c'est une erreur. On n'abandon-

ne point sans péril un système de dominationdont le développement est avancé, et dont lésuccès peut seul justifier l'audace. La positionde l'empereur lui défendait de souscrire.auxconditions d'un traité qu'il n'aurait pas. dic-

tées lui-même; la gloire et l'empire étaientle seul élément où il pût vivre..Ce n'est pasaux fils couronnés des révolutions qu'il ap-partient de transiger avec ta fortune ils sontcondamnés 'a d'éternels trava.ux il n'y a de'sécurité, de légitimité pour eux., que 'dans lavictoire.

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Nous savons;, et la postérité saura quelle.incroyable énergie fut opposée a la grandeHgue des rois et des peuples par quels prodi-

ges de constance, de courage et d'habileté, Na-poléon répara d'eS'rayants -désastres, et mitplus d'une fois en doute si le génie d'un hom-me abandonné à lui-même ne l'emporteraitpas sur les forces réunies d'un monde entiersoulevé.contre sa puissance. Jamais il ne futplus grand,- plus admirable que dans cettecampagne de l'intérieur où à la tête d'unepoignée de braves, il soutint, pendant troismois, le choc de l'Europe armée victorieuxpartout ou. etincelait son épée se multipliantavec les dangers, et fléchissant le derniersous l'inexorable nécessité.

Comment s'est-il fait que la nation ne se'soit pas levée-tout entière en 18]~, ebmmcelle l'avait fait en 1792, et n'ait pas rejetél'étranger hors de là frontière ? Faut-il lé ré-péter, la révolution n'était plus en-France;il ne restait plus que le sentimentde la liber-té, et Napoléon en avait perdu l'éloquence.La liberté ne pardonne point les outrages du

26;~?'0

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pouvoir, elle s'en venge par l'abandon aux'joursdupéril; elle.voit tomber avec indiSë-rence ,'souvent même avec joie, ceux qui se

font ses ennemis. Lorsqu'elle est un besoinde l'époque ravenir ne saurait re9ray~er la

nature humaine et le temps, voilà ses .auxi-

liaires.Si les rois, au lieu de menacer l'existence

d'un homme avaient manifesté la pensée dedétruire l'indépendance du pays, il en seraitsans doute arrivé autrement. La révolution,revenue sur ses pas, aurait repris avec fureur

son anarchique empire; le.volcan se seraitrottvert sur tous les points du territoire etnous serions peut-être encore dans l'embrase-ment. Les rois, mieuxconseilles, annonçaientla paix,l'indépendance, et le retour de la liber-té un sentimentsecret, une espèce d'instinct,avertissait les Français que leur'indépendancene pouvait être détruite ta France la front

encore rayonnant de gloire, attendit les évé-nements.Remarquons en passant que le coup le plus

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funeste pour Napoléon partit de cette même

tribune d'où il avait chassé la liberté, et qui,depuis dix ans, était condamnée au silence.Le fameux rapportée là commissiondu corpslégislatif (i) fut pour l'empereur comme unerévélation de sa destinée; elle lui annonçaqu'il- n'avait plus a compter que sur lui-même. il en parut surpris, ce qui étonna

tout le monde il n'en fut point intimidé,

ce qui n'étonna personne..Nous voici parvenus à la restauration. Ce

fut dans tous les temps un singulier spectaclequ'une restauration. Celle qui s'est opérée aumilieu de nous a un caractère qui lui est pro-pre elle nous arriva sans avoir été prévue etcomme un accident dans l'ordre des choses;

ce fut un bonheur pour elle et pour nous.Sans force d'opinion, sans trésors, sans ar-mée, il lui fallait cependant un appui. Elle

(t) La commission était composée de MM. Ray-nouard Laine, Ftaugergues et Maine de Biran.

~6,

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nt entendre des paroles de paix, d'union, deliberté la France répondit a ce noble lan-gage et la restauration commença.

La maison de Bourbonreparut sur le trône

elle y reparut avec l'intérêt qu'inspirent "de

longs malheurs; avec le respect duau.souve-nir du meilleur des rois, avec une anciennerenommée de modération et de sagesse; elle yreparut comme médiatrice entre l'Europe etlà-France, entre les temps anciens et les tempsnouveaux;comme l'arbitre-suprême, et noncomme l'esclave des partis, qui, après qua-torze années de silence et d'inaction', allaient

~reprendreJa'Tie et la parole.

La charte nous fut donnée cette charte,élevant un rempart contre le despotisme etl'anarchie, assigne aux~pouvoirs de la sociétéles limites.qu'ils ne peuvent franchir, constatel'état des lumières politiques de l'époque, éta-blit nettement tous les droits légitimes, etplace les libertés publiques et privées sousl'empire de la loi. Ce grand bienfait fut ac-cepté avec reconnaissance, et, comme l'a dit

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énergiquementl'illustreorateur qui va bien-tôt dominer la tribune législative, « là charte

» fut considérée comme le lit de repos de.))la royauté et de la liberté. )) Heureusela France, si un parti, 'long-temps vaincu,n'eut résisté à la royale .pensée; s'il n~eùt

voulu profiter d'une circonstance imprévuepour dédommager son orgueil humilié parvingt-cinq ans de' revers et d'impuis-sance

Et il faut ici iaire la part de. la faiblessehumaine. On né pouvait espérerque l'émi-gration, rapprochée, comme par miracle, dupouvoir, conservât le silence et la modéra-tion que lui avait commandée la dictature deil empire un tel eSbrt de vertu est le partagee.

de quelques âmes fortement trempées/décèshommes rares que le sentiment du devoirélève au-dessus du vulgaire. Il. s'en trouvaitparmi les royalistes; nous avons vu ceax-lavenir au secours des libertés publiques. Mais

combien d'autres regardèrent la restaurationroyale comme la restauration de deux ordresprivilégiés,comme la garantie du retour des

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anciens abus Ils se présentèrent, dès les pre-miers jours de l'époque nouvelle, comme les

accusateurs passionnés du présent, et de toutce qui s'était lait en France depuis un quartde siècle. Les cendres de l'anarchie furentremuées; les intérêts nationaux se sentirentaudacieusement attaqués ce malaise géné-ral, inévitable précurseur des grands mou-vements politiques, troubla la société. Là tri-bune, rouverte aux débats publics; aurait puremédier à tout. Quelques orateurs'y paru-rent avec des intentions droites et un talentrecommandable niais, courbés pendant dix

ans sous le despotisme, ils n'avai&nt pas en-core cette attitude libre et imposante qui rendla vérité victorieuse; l'asservissement de la

presse périodique y contribua, et ce fut unmalheur il y eut licence de la presse, parcequ'il n'y avait pas liberté.

La contre-révolution, telle que la majori-té des royalistes paraissait la désirer, étaitimpossible. On pouvait arriver au despotis-

me, à la tyrannie; maisà L'ancien régime,jamais. Les éléments en avaient été réduits

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en poussière; le retour- à la vie de l'anciensystème était aussi dimcilë que la réani-mation d'un cadavre. Les hommes sensésavaient bien cette persuasion aussi redou-taient-ils plus le pouvoir arbitraireque l'an-cien régime. Mais le langage de la contre-'révolution s'est fait entendre; c'en est assez

pour agiter les esprits et répandre de vivesalarmes la révolution m.ehacée jette dé nou-

veau un regard sur la France et pour con-stater l'inutilité des efforts dirigés contré elle,elle saisit l'homme du destin dans son exil,et le jette triomphant au milieude nous. Acet aspect inattendu les illusions s'évanoùis-.sent, les clameurs s'apaisent; oh se ressou-vient dé la charte, on invoque la liberté itétait trop tard, lé torrent devait suivre son

cours.

Aux premiers mots dé Napoléon, la libertétressaillit d'espérance a peine revêtu du pou-

voir, il parle encore fa liberté reconnaît lelangage de l'incorrigible despotisme, se voilede deuil et se tourné vers Favënir. Privé de

ce puissant auxiliaire, Napoléon se confie

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encore a la fortune, et ce. dernier effort futdigne de lui; mais il y survécut. La tribunepopulaire armée contre son génie lui fit ex-pier'le 18 brumaire; l'homme qui d'un gestecommandaitaux rois, qui abattait et relevaità son gré les trônes, dont les triomphesavaient lassé la renommée, et que l'Europe

ne pouvait contenir, Sainte-Hélène, un ro-cher perdu dans l'immenseOcéan, le reçoit.Il avait été.quelquefois au-dessous de ses pro-spérités il s'élève au-dessus de son malheur;nulle faiblesse n'a obscurcicette gloire, n'aterni cette infortune. Sainte-Hélène! c'est la

que la mort est venue .le saisir là que reposel'homme dont le souvenir remplira les siè-cles. Un peu de cendre proscrite, voilà ce quireste de tant de grandeurs

Tandis que Napoléon se livre à la meur-trière hospitalité de l'Angleterre la contre-révolution reparait sous l'escorté de l'étran-ger; elle s'attache. encore une fois à la res-tauration comme les plantes.parasitess'atta-chent au chêne des forets, pour vivre à sesdépens et pour l'étouSer; et ici, qu'il me soit

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permisde démêler deux intérêtsqui dominentnotre système politique et qu'il faut' biendistinguer si l'on veut juger le présent et pré-voir l'avenir. L'intérêt de la restauration estcelui de la liberté, de l'ordre légal, de la paix,de .tous les droits consacrés par, la raison del'homme c'est un intérêt national. L'intérêtde la con-tre-révolution est celui du privilège,.du pouvoirarbitraire, de la tyrannie c'estl'intérêt du petit nombre. D'abord elle n'apoint marché .à découvert elle s'est cachéesous. la restauration,dont elle '& égare la mar-che et perverti les consei!s faible par le ta-lent puissante par l'audace et r}ntrigue, parun accés'facite auprès du trône par l'adula-tion, l'hypocrisie, et le dédain de toute mo-rale. (

La liberté 'unie à la restauration s'est re-.tranchée dans la charte c'est là son domaineet son'refuge. EHe a jeté son voiïe, et la con-tre-révolution a ôté son masque. Ce. n'est,plus contre la révolution que les attaques sontdirigées une leçon trop sévèrea été reçue

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pour qu'on revienne a une tâche dont l'impossibilité est démontrée. Mais là révolutionavait enchaîné la liberté on croit que lacon-trë-révolùtiôn peut en faire ~autant; on netient compte ni des circonstances ni des for-mes du gouvernement, ni de la situation mu-rale de la société ni des sentiments qui vi-vent au fond de tous les coeurs. Des pygméesont voulu soulever le levier des révolutions,ils ont voulu ébranler les masses les masses

sont restées immobiles ils ont voulu du fa-natisme,-ils n'ont conçu et inventé que l'hy-pocrisie. Que de fois n'ont-ils pas tenté la pa-tience du .peuple, soit par de coupables con-nivences a des complots insensés, soit enfinpar le mensonge, la catomnie la corruptionet la violation des franchises électoralea Ehbien.! tout a été inutile La nation est calmeclle.est calme, parce qu'elle sait que la liberténe périra pas, tout ce qu'il y a de talent etde génie en France est venu se ranger sous ses'drapeaux; elle ne périra pas parce que ledespotisme ne pourrait tuer la liberté sanstuer la restauration; et celle-ci reculeraitdevant son tombeau.

SUH L'ÉLOQUENCE

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La liberté n'a que la parole à opposer aupouvoir de la contre-révolution mais sa pa-role pénètredans toutes les classes de la so-ciété elle affaiblitles efforts de'ses ennemis,

et détruit souvent en un jour ce qui a étél'oeuvre laborieuse de plusieurs années. Unlicud'asylesumt à la liberté chassée,du jury,elle s'asseoit au banc des magistrats, et repa-raît sous la toge parlementaire exilée de lapresse périodique, elle monte à !a tribune,il ne lui iaut qu'une voix éloquente, qu'unorateurdocile à ses inspirations, pour se main-tenir, pour suspendre la marche de Lï contre-révolution, anéantir ses doctrines, la poursui-vre dans les ténèbres, mettre sa conduite encontradiction avec son langage, la rendrehon-teuse d'elle-même et déshonorer ses agents.La contre-révolution, irritée, s'agite, se tour-mente, tourne sur elle-même et croitavancer.La liberté étend paisiblement son empireles mœurs qui lui sont propres s'aSermissent;elle les oppose aux lois que la justice et l'hu-manité repoussent, et ces lois meurent d'im-puissance elle devient par l'opinion, et avecl'opinion là reine de la société.

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Dans les premières années de ta seconderestauration, les partis opposés se rencontrè-rent à. la tribune. Appuyée sur les baMnnettes.étrangères, la contre-révolution prit courageet voulut parler à l'obscurité de ses concep-tions a l'incohérence gothique de ses argu-ments aux tournures embarrassées de sonlangage, on eût .dit que le treizième siècleétait sorti de la nuit des'temps et renaissait

avec toute sa barbarie dans la France civilisée.Les orateurs de la restauration et ceux de laliberté auraient dû s'unir.: ils défendaient lemême intérêt. Mais trop de passions avaientété remuées, trop d'amours- propres compro-mis; ce fut pendant quelque temps la confu-sion des idées et des langues on ne s'enten-daitpas.

Il faut le proclamer hautement, si l'on estenun parvenu à s'entendre si la restaurationet la liberté parlent le même langage nousle devons aux membres de l'une et de l'autrechambre qui ont formé l'opposition consti-tutionnelle; nous le devons surtouta l'illus-tre général Foy, honneur, de la tribune natio-

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haie, et modèle accompli des vertus militaireset civiles. La liberté n'a jamais manquéde. ta-lents, et je pourrais en citer dont la mémoirevivra toujours mais il lui fallait du génie

le général Foy se présenta et fut accepté. Sonéloquence, trempéedans les feux de la répu-blique dans la gloire du consulat, dans l'hé-roïsme de l'empire, réunissait les-qualités né-cessaires pour imposer à la malveillance, pourcommander l'attention et le respect. Je liecrains pas d'être accusé d'injustice et d'exagé-,ration en disant qu'il a été l'orateur de l'é-poque.

Il a été l'orateur de l'époque, parce qu'ilen a reconnu les besoins parce qu'il sentique dans notre état social, la royautédevait'être ralliée naturelle de la liberté; qu'ellesdevaient se servir mutuellement d'appui,et que .la contre révolution ne pouvaitêtre vaincue que par cette .alliance. Il s'estretranché dans la Charte, comme un généralhabite dans une forteresse assiégée seconde

par quelques braves, il en a défendu les ap-proches avec une infatigable fermeté. Quand

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la brèche a été faite par les dernières lois surles élections et la septennalitéi! est resté de-bout sur la brèche ralliant a sa voix puis-sante tous les amis de la liberté;

.Qh se rappelle l'impression profonde queproduisirent ses premières paroles, dans lesdébats sur la réduction du traitement de laLegion-d'Honneur:

« Pendant un quart de siècle, dit-il)) presque tous nos citoyens ont ét& soldats

)) depuis Ja paix nos soldats sont redeve-

)) nus citoyens souvenirs sentiments es-)) përances tout fut, tout est reste, com-)) m.un entre là masse du peuple et notre» vieille armée. Aussi les paroles qui s'é-

)) lèvent de .cette tribune, pour consoler de

)) nobles misères sont-elles recueillies' avec» avidité jusque dans !es moindres hameauxD it y a de l'écho en France quand oh pro-)) nonce ici les noms d'honneur et- de pa-)) trie. »

A près une discussion entraînante et irrésis-

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tible, après avoir dit que la diminution du trai-tement réduit à, l'aumône un grand nombrede légionnaires, l'orateur s'écrie:

« Oui, Messieurs à l'aumône Qui de

)) nous n'a pas vu des hommes naguère en-)) noblis par le commandement, que la faim

» condamne aujourd'hui aux travaux les plus» grossiers ? Qui de nous n'en rencontre pas)). tous les jours qu'une noble pudeur force à

» cacher sous leurs vêtements délabres le)) ruban que leur sang a rougi ? Qui de nous)) n'a pas déposé le denier de la veuve dans» des mains mutilées par le fer de l'ennemi ?

a Hâtons-nous de demander au trône de)) faire taire des cris accusateurs Les lion)) neurs.accordés aux souvenirs du passé ne» sont pas perdus pour la génération qui s'a-» vance; ils animeront d'un principe d'acti-

» vité salutaire cette jeune armée qu'un mi-» nistre habile (i) a donnée en deux ans à la

(i) Le maréchal Gouvion-Saint-Cyr.

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)) France, et dont il a quitte trop tô~Ia di-» rection pour l'achèvement de. son œuvre

Mpatriotique, trop tôt peut-être pour notre

? avenir comme nation indépendante. La

)) justice rendue aux braves sera, pour notre))ëtat social/une Source d'améliorations. Il? n'est pas bon que les notabilités naturelles,

)) légales, compatibles.avec les droits de tous,

» se heurtent entre elles. Tâchons que la con-)) sidération universelle embrasse tout ce qui

)) est hon.nête et génëreux. Croyez-moi, tout)) le monde y gagnera.La gloire héritée vivra

)) plus paisible, et recueillera.plus de respect,)). quand elle ne sera .plus hostile envers la

» gloire acquise. La grande propriété retrou-

» vera. sa juste part d'influence dans rétat,)) lorsque tous les Français seront unis de

» cœur et d'habitude dans leurs hommages

)) aux services rendus et aux droits acquis,

))dans leur fidélité au roi et à.la charte, danso

)) leurs vœux pour l'honneur et l'indépen-

» dance de la France. ))

Ce genre d'éloquence~, majestueuse dans sasimplicité, empreinte, de cette franchise mi-

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litaire qui ne -laisse point de nuages sur Ia~\pensée était le langage quiconvenait a i~ l<epo- <t/~&

que, il fut entendu avec transport. La liber-té salua~son orateur,

Le particonstitutionnelavait, dès l'origine,été composé d'éléments divers et peu cohé-

rents. Il n'y avait, il ne pouvaity avoir ni uni-té dans ses vues, ni unité dans son langage.Les leçons'sévères qu'il a reçues de la con-tre-révolution, attentive a ses fautes, lui ontdonné l'expérience qui lui manquait. Il acompris sa destinée.; il sait aujourd'hui quesa force est dans la sagesse, et qu'il triomphe-

ra tôt ou tard, parce qu'il est la nation toutentière. Le calme de son attitude rend sesennemis furieux; maisleurfureur ne s'exer-

ce que par d'obscures vexations, par des ca-lomnies méprisées, par des actes de vengean-

ces personnelles; elle est impuissante contrela société, dont la marche paisible et mesurée

ne peut plus s'arrêter dans lagrande carrièrede la civilisation.

Si l'éducation de notre liberté est si avan-27

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cée, nous le devons principalement au géné-ral Foy, et ses honorables amis. Défenseursde la charte, ils restaient sur un terrain ou'devaient arriver successivement les hommes

1,d'honneur de toutes les opinions, pour se for-

mer en phalange sacrée, et sauver le trône

en sauvant la liberté.

Avec quelle noblesse de sentiments, quellesublimité de courage, notre orateur "ne re-poussa-t-il pas, au nom de la patrie l'accu-sation d'un crime affreux dont la contre-ré-volution voulait charger la liberté, mère detoutes les vertus.

(( Un petit-fils de Henri IV nous a été en-M levé, dit-il, qui lui. ressemblait d'incli-

)) nation et de, cœur. Comme son immortel

)) aïeul, il a reçu te coup de mort de la main

)) d'un fanatique aussitôt ont retenti des cris)) de vengeance que la douleur n'avait pas)) inspirés. Des, factieux, répudiés par les

)) hommes de toutes les opinions qui ont le

» cœur français, ont voulu rendre la nation

» complice d'un crime solitaire. N'en a-t-on

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)) pas entendu qui s'eHbrçaient à répandre le

)) soupçon jusque sur les vieux défenseurs de

)) la patrie? Ils ne savent donc pas; les inscnses, que du cœur d'un soldat peut jaillir la

)) colère mais jamais la traîtrise ils ne sa-)) vent pas que les braves s'entendent et se de-

)) vinent, et que c'était particulièrement sur)) le plus jeune des 61s de notre roi que nous)) comptions pour les jours du danger, com-)) me lui-même avait compté sur nous.

» 11 appartient à la sagesse des chambres

» de défendre contre la rage des partis un» trône que le malheur a rendu plus auguste

» et plus cher à la fidélité. Craignons, en fai-

))santune loi odieuse, sans être utile, 'de

)) remplacer la douleur publique par d'autres

)) douleurs qui feraient oublier la première.

)) Le prince que nous pleurons pardonnait en

)) mourant à son infâme assassin. Oh comme)) son âme généreuse se fût indignée s'il eût

» pu prévoir les angoisses de l'innocent. Fai-

))sons, Messieurs, que le proËt d'une mort» sublime ne soit pas perdu pour la maison

)) royale et pour la morale publique. Que la

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» postérité, ne- puisse pas nous reprocher

D qu'aux funérailles d'un Bourbon, la liberté

))descitoyens fut immolée pour servir d'héca-

)) tomber L~raison d'état le défend, l'honneur

» français s'en~irrite, la justice en frémit. ))

Le général Foy s'apercevait de temps a au'-tre que la contre-révolution; en attaquant laliber,té', jetait quelquefois un regard mena-çant sur l'oeuvre consomméede la révolution.Mais cette œuvre se défend elle-même, parcequ'en d'autres termes, c'est la société tellequ'elle existe. Aussi l'orateur n'a-t-il jamaistraité sérieusement cette question. Il s'est con-tenté d'exposer les faits avec simplicité lais-sant les conséquences au bon sens du public.Que de vérité et de sagesse dans les parolessuivantes

((On* a dit que le perfectionnement de l'a-)) griculture et le bonheur des paysans étaient

)) l'oeuvre de la révolution. On a dit une vé-

)) rite c'est la révolution qui les a rendus pro-)) priétaires, qui leur a donné des champs, des)) jardins, dé bons vêtements~ c'est par elle

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)) qu'ils.voyagentdans les diligences suspen-? dues c'est par elle qu'ils sont heureux; c'est

par elle qu'ils ont contracté des habitudes

)) d'aisance dont ils ne se déferontpasaisément.

)) Et pourquoi, malgré les .fautes de l'admi-

)) nistration, la France jouit-elle de ce tempss)) calme? c'est parce que la propriété est di-

)) visée, .c'est parce qu'il y a beaucoup de pro-

)) priétaires, et qu'ils sont intéressésau main-

)) tien de l'ordre. Mais qu'il.vienneunjouroù,

)) pour refaire la grande propriété, on menacè

)) la propriété,nouvelle, que le privilége re-)) paraisse et vous verrez ce qui arrivera ))

Ce langage, si remarquablepar sa.modéra-tion dans une,question aussi palpitante d'inté-,rét ce langage si propré à calmer. les passions,cette leçon salutaire donnée par la sagesse al'imprudence de.parti; ce respect.desconve-nances; cette mesure, parfaite tout.annoncele citoyen qui possèdela qualité la plus essen-tielle que Cicéron exige de.l'orateur, la vertu.,

,0ui, la .vertu.! Les'organes des contrë-ré-~volutions et des congrégations la dédaignent

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ils n'ont à ..exciter que des passions mauvai-ses mais elle est le génie des orateurs de laliberté. C'est elle qui les avertit de ce qu'ilsont à dire 'et de ce qu'il faut taire; c'est ellequi dorine l'autorité à leur geste et la puis-

sance à leur parole; c'est elle qui leur faitmépriser même la popularité lorsqu'elle nepeut s'acquérirqu'aux dépens de la justice etdes vrais intérêts de la patrie c'est aussi parelle que là gloire s'attache à l'immortalité.

Le Foy avait reconnu toutes tespositions sociales. Il avait vu que la contre-révolution se servait de la restauration pourasseoir sa tyrannie, et~quë, toute force mo-rale manquant à ses desseins, elle se plaçaitdans les lois, se faisait ainsi une législation à

son usage,et envahissait en même temps tousles pouvoirs de Fêtât. Il voyait un redoutable auxiliaire accourir au secours de la con-tre-révolution ;armë d'ahathèmes et de fa-natisme. Ce parti que distingue. le nom decoM~'eya~'OM, après avoir suivi des routes té-nébreuses, se montait enfin:au grand jour;,sa voix était menaçante,son front superbe~

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son:œil enflammé il marquait déjà la libertéreligieuse pour sa première victime.

Dans cette complication d'intérêts, la lutteentre les doctrines était établie; chaque me-sure .législative devait être mise à découvert;il ne s'agissait point de persuader une assem-blée, mais d'avertirla société. La vérité, glis-

sant sur des majorités glacées, rejaillissaithors de l'enceinte des discussions, et àrrivait

au peuple, avide de l'entendre; au peuple,qui la recevait comme la consolation du pré-sent, comme l'espérance de l'avenir. Là con-tre-révolution,gênée par cette courageusefran-chise, par cette éloquence populaire qui sur-vivait à lac/o~Mreet aux questions préalables,reprochait a l'opposition de parler par. Za~-nêtre comme s'il était possible de parler au-trement,lorsque Févidence n'a plus de forcesur les esprits, que tous les intérêts sont com-promis, et qu'il ne reste d'autre ressource qued'armer l'opinion pour la défense de ces mê-mes intérêts

Jamais orateur ne prononça avec plus (Tau-

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torité les noms d'Ao~MeMy et de~a~e. Faut-il s'étonner si tant d'échos~ en 'France répétè-rent et rëpètënt encore ces mots magiquesque la contres-révolution veut abolir? Le gé-.

nerai Foy portait à la tribune cette fermeté'de caractère qui s'était fortiné.edans les camps;il y avait'quelque chosé dans son~attitude etdans son regard qui imprimait le respect.Tou-jours calme au milieu des plus .violents dé-bats, il ne se laissait~ émouvoirni par le nom-

bre ni par les clameurs passionnées denses ad-versaires. Les interruptions soudaines don-naient encore plus d'élan à sontélôquence~etc'est avec une présence d'esprit: admirablequ'il 'repoussait des attaques imprévues.Onse rappelle-cettevoix contre-révolutionnairequi, au moment même où il entrait avecchaleur dans une importante discussion ,.l'in-terrompit pour lui demanderla dénnitiondu

motar~ocr~e. « L'aristocratie, répondit-

)) il, sans s'émouvoir, l'aristocratie au dix-

)) neuvième siècle, c'est la ligue.; la coalition

)) de ceux qui veulent consommer'sans~pro-

» duire, vivre sans travailler, occuper toutes

))les-places sans être en état de les remplir,

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)) envahir tous les honneurs sans les avoir mé-

» rites voila Faristocratie.)) La voix contre-révolutionnaire se tut, et la nation applaudit.

Toutes les hautes questions de justice, etd'humanité trouvaient dans le.général Foy

une éloquence sympathique et un chaleureuxdéfenseur. L'Espagne abandonnée aux angois-

ses de l'anarchie, aux tortures du fanatisme;la'Grèce réveillée du long sommeil.de la ser-vitude et luttant corps à. corps,avec le for-midable empire. de Mahomet la révolution

.sillonnant les vastes contrées de FAmériqueméridionale, y déposant ses germesindêstruc-tibles, et appelant ces peuples nouveaux à l'in-dépendance tous ces grands spectacles enSammaient la parole de Forateur-citoyen,etlui inspiraient ces pensées brûlantes, ces,motsimpérissables qui font'battre les cœurs et senxent dans tous les souvenirs.

Il avait aussi cette éloquence réûëchie in-

fatigable, qui saisitTensemb!e d'une question,en approfondit les détails, et en déduit toutesles conséquences..Ses études laborieuses,.un

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travail constant d'observations et de compa-raisons, avaient enrichi son esprit de. connais-sances positives et variées. Telle était la net-teté de sa pensée, que rien de vague et d'obs-cur n'y pouvait entrer, et que la vérité ensortait comme une vive lumière; le sophis-

me et la -mauvaise foi disparaissaient devantelle Habile administrateur, il redressait tousles écarts de l'administration sentinelle vigi-lante de la fortune et du crédit public il lesdéfendait avec.une persévérancea toute épreu-

ve couvert de glorieuses cicatrices, il ou-bliait que chaque émotion de la tribune étaittun danger pour lui il vivait pour la,patrieet ilest mort pour elle..

Ne lui demandons .point, le secret de sacomposition il était tout entier dans sonâme. Rien d'étudiée rien de calculé dans samanière 'tout est plein dansées discours, et,ce qu'il y a de caractéristique, on n'y trouveaucune superûuité..Son abondance n'est ja-mais stérile; avare de mots, l'expression laplus simple met sa'pensée en relief, et cettesimplicité est encore un ornement. Si une

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grande vérité, s Mire à sa pensée, il renonce

avec une énergique précision et c'est le pivot

sur lequel tournent tous ses raisonnements.

« La force et le droit se disputent le monde,

» dit-il,.en s'àdressant à rémigration, impa-» tiente de son milliard la force et le droit

» se disputent le monde le droit, qui institue

» et conserve la société; la force, qui subju-

» gue et pressureles nations.

)) Qu'est-ce que le droit? C'est, pour.les

» actes du gouvernement, comme pour ceux» des, particuliers, la conformité aux lois po-)) sitives et aces principes d'éternelle raison

» qui sont la base des lois de tous les pays. Il» n'y a devant ces lois que deux questions à

» résoudre l'émigration était-elle volontaire

» ou forcée ? qu'allaient demander les émi-

» grés aux étrangers? »t

La question ainsi posée, l'orateur entre

avec fermeté dans la discussion ses raison-riements se pressent, ses preuves se dévelop-pent dans un ordre parfait. L'intérêt du pays~

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l'intérêt du, trône, celui même de l'émigra-.?,tion, se montrent tour a.tour pour repousser

une loi, funeste. <( Je n'y vois, s'écrie l'ora-» tëur en unissant, que désordre dans le pré-)) sent et trouble dans l'avenir. Ce. n'est pas)) moi, qui m'associerai à cette œuvre de mal-)) heur. » L'assemblée, émue enfin par tanttd'éloquence frémit, et la loi passe.

On (a voulu comparer le général Foy àd'autres orateurs; celui qui en a le plus ap-proché est ce vertueux Camille: Jordan, quifut son ami, et.qui mérita'de l'être: Le. cœurde Camille Jordan palpitait. aussi d'indigna-tion contre les ennemis de la France. L'aspectmenaçant de la contre-révolution avait exaltéson énergie morale; mais les efforts de la tri-bunè abrégèrent aussi sa vie, et son derniersoupir fut pour la liberté.

Faut-il rappeler Mirabeau et Vergniaud?Ils ont eu le géniepropre a leur époque. Mi-rabeau, porté par la révolution, avait l'avan-tage de.Fattaque., sa force se multipliait partoutes les forces.d'une puissante majorité; il

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parlait en triomphateur devant un pouvoirvaincu. Le général Foy, au contraire, sou-tenait lés attaques de la contre-révolution,viètorieuse et acharnée sur sa proie. Toujours

en défense son éloquence était protectrice~et

non agressive les élans de cette âme héroïquen'avaientrien d'hostile. Là stabilité du trône,la gloire et la prospérité de la patrie, voilà

ce qu'iLprotégeait avec les armes de la raisonet les soudaines illuminations du génie.

L'éloquence de Vergniaud fnt orageusecomme le temps où il vécut il lance des fou-dres, mais il répand peu de lumière. Son ad-mirable langage est rempli d'émotions et d'i-mages il appelle à son aide tout le pathéti-que des passions~ Le général Foy, s'adressantà la raison publique et aux intérêts de touséchauffe et éclaire tout à la fois. Il est incom-.parable lorsqu'il défend la. gloire nationaleinsultée' et l'honorable misère de ses compa-gnons d'armes; lorsqu'il conjure le ministère,si prodigue envers ses agents, d'épargner lescent cinquante officiers généraux de notrevieille armée, atteints dans leur repos et leur

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existence par ce qu'il nomme « le dernier

))coup de canon échappé de Waterloo.

)) Legênerai Foy ne souleva jamais que les plusnobles affections; s'il s'indigne de la calom-nie, c'est l'indignation delà vertu; place au-dessus des passions cvulgaires, il s'oublie lui-même, il ne voit que la patrie, il..ne respireque pour la patrie. `

J'entends demander quels services il a ren-dus, comme législateur, à son pays.~QueIsservices! je vaisvousle dire. li nous a formés

aux habitudes et au langage de la liberté; ila soutenu*, il a fortifié ces opinions constitu-tionnelles qui, au milieu des clameurs du fa-natisme et des cris vindicatifs d'une aristocra-tie contre-révolutionnaire, se répandent, s'af-fermissent, et poussent leurs racines jusquedans les fondations de l'édifice sdéial. Du haut

~¡,de la tribune'nationale,il exprimait les vœuxde la nation et la nation l'écoutait avec re-connaissancé et admiration. Sa voix libre etretentissante prévenait le découragement,rassurait la faiblesse, intimidait le despotismeadministratif; ralentissait son activité, et lui

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opposait ,deux forces dominantes la sagesseet le temps. Qui plus que lui a contribué à

vaincre ces préjugés qui séparaient les hom-

mes généreux, divisés d'opinions sur quelquespoints, mais enfin réunis pour soustraire leslibertés publiques aux atteintes d'une secteimpie dont l'audace veut associer la religionà la tyrannie ? Vous demandez quels ont étéles services rendus par te général Fpy Neepartons ni des triomphés de son éloquence,ni de ses travaux guerriers venez près de

cette fosse où va descendre l'enveloppe ma-térielle de sa grande âme contemplez cetteimmense,population plongée dans le deuil,calme dans sa douleur, et adoptant, au milieudes larmes, les jeunes fils du héros-citoyenentendez la France entière répondre avec en-thousiasme à cette noble inspiration. Quelplus grand service que la révélation de l'opi-nion nationale toujours la même toujoursunanime qui sort toute-puissante d'un tom-beau, et qui nous montre l'orateur de la li-berté devenant, même par sa mort, lè bien-faiteur de son pays ?

FIN.