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N°45 - CAHIER DE L’ÉDUCATION PERMANENTE D’UNE CULTURE DE L’URBANITÉ ? EXPÉRIENCES PARTAGÉES ET À PARTAGER 135 134 ODILE DECQ, INITIATRICE DE NOUVEAUX ESPACES DE VIE PROPOS RECUEILLIS PAR SABINE BEAUCAMP Coordinatrice des Cahiers de l’éducation permanente 1

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Lorsque vous poursuivez le projet de travailler sur les dynamiques urbanistiques dans les nouveaux quartiers, entamez-vous un dialogue avec les gens du quartier ? Mettez-vous en place, en toute priorité une communication ?

Prenez le musée MACRo à Rome par exemple, il est certain que la ville tienne particulièrement à ce qu’il soit bien implanté dans le quartier. Nous nous sommes réunis à plusieurs reprises avec les habitants afin de leur présenter le projet, leur expliquer l’impact que cela produirait. Effectivement, un dialogue s’est installé très vite. Il s’est écoulé 10 ans entre le temps du projet et celui de la construction. Au fil du temps, les habi-tants se sont rendus compte que beaucoup de choses changeaient dans le quartier. L’arrivée d’un musée dans un quartier bouleverse les habitudes, les comportements, les façons de vivre la vie urbaine. L’impact est extrê-mement fort. Des galeries se sont installées, d’autres ont fermé. Le quartier entier s’est modifié. Le jour de l’inauguration programmée trois jours durant, beaucoup de gens de la ville et du quartier sont venus me parler. Me dire combien il était important pour eux de découvrir une vie urbaine animée, de pouvoir désormais visiter le musée comme un lieu dans la ville (avec des cafés, des restaurants etc.). Un équipement culturel qui s’implante, s’invite dans un quartier le modifie indéniablement. De la même façon la culture et l’architecture en s’inscrivant dans un territoire quelle que soit leur nature

Odile Decq est une femme architecte-designer française engagée, énigma-tique, d’envergure internationale. Elle est sur tous les fronts de la création, de l’inventivité. Son moteur est la liberté. Ses derniers grands projets ne sont autres que le Musée d'art contemporain à Rome, le Frac en Bretagne et bientôt un musée d'anthropologie en Chine, Odile Decq multiplie les chantiers, les conquêtes. Son architecture est conçue sans fioritures, ses bâtiments sont sa signature. Femme de caractère, de sa voix douce, elle fusille pourtant. Pour elle, l’architecture n’est pas un champ clos, la création architecturale doit sortir du lot avant tout. Il y a chez cette femme, hors du commun, une irrésistible envie de regarder devant, les yeux fixés sur la ligne d'horizon. C’est de cette manière qu’elle conduit tous ses projets. Nous lui avons demandé si la culture occupait une place centrale dans ses projets et amenait des dynamiques urbaines dans les quartiers adjacents.

odile decq, vous êtes à la fois architecte, urbaniste, designer, artiste. Vous êtes également une architecteatypique très souvent primée. Comment définissez-vous votre architecture ? Quel est votre fil rouge dans tous vos projets ?

Je m’attèle à chaque fois à être en phase avec le lieu de conception du bâtiment. Je veille à lui octroyer un lieu en adéquation avec l’usage dont il sera fait. Cela ne définit rien que des principes, pas une architecture proprement dite.

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C’est là un exemple très intéressant, je ne savais pas du tout que cela exis-tait, c’est vraiment passionnant, une réelle politique municipale. La ville laisse le privé intervenir, l’incite et puis tire la leçon. Lorsque le promoteur prend possession d’un site industriel pour réaliser son intervention, il n’a rien à débourser ou à avancer. Il conçoit simplement quelques aménage-ments pour démarrer le projet. Personnellement c’est la première fois que je voyais un projet conçu de la sorte.

L’implantation du Frac (Fonds régional d’art contemporain) à Rennes et celledu quartier de Beauregard a-t-elle apporté un plus dans l’espaceurbain ?

Je pense que cela a changé pas mal de choses dans le quartier. à cette heure, j’éprouve quelques difficultés à évaluer son impact car le Frac a un peu de mal à démarrer. Cela a permis en tout cas à la Région Bretagne de se poser des questions. Notamment celle de la nécessité d’intégrer un café dans un musée. Dès que le musée s’est ouvert au public, durant près d’un an il n’a absolument pas fonctionné. Ensuite, l’idée est venue de faire venir un gérant-responsable qui gère le café à partir d’un autre restaurant situé en ville. Ce café s’ouvre sur le parc dans lequel est implanté le musée, il côtoie beaucoup d’établissements institutionnels, beaucoup d’administrations, d’habitants. Cela permet un échange opportun de part et d’autre. Le café attire les publics qui se rendent ensuite au musée. C’est important d’avoir dans le musée, un tel lieu, qui permet aux visiteurs un peu rétifs à l’art contemporain, de faire le pas et de dépasser le cliché « l’art contemporain, je n’y comprends rien, ce n’est pas pour moi. ». C’est impor-tant de proposer des endroits conviviaux qui ensuite conduisent à un centre culturel, en l’occurrence ici un musée.

le transforme, le redynamise économiquement parlant. La relation entre l’équipement ou l’intervention dans le quartier crée des liens en termes sociaux et économiques. C’est on ne peut plus fondamental pour le dyna-misme des villes. Cela ne peut avoir lieu que si l’on y met une condition politique, s’il n’y en a pas rien ne se fera. Un autre exemple dont je veux vous entretenir. Je suis allée à Taïwan au printemps dernier, là-bas ils ont une stratégie autre. Ils possèdent des anciennes friches industrielles en plein centre-ville, de grandes étendues et très larges territoires. La ville ne peut pas tirer partie de l’ensemble de ces friches industrielles, elle ne peut pas tout dynamiser à elle seule. Si bien que durant deux trois ans, elle a confié cette tâche à un promoteur. à charge du promoteur de permettre d’installer temporairement pendant deux trois ans, des start-up, des espaces de power king, des lieux de créations, de conférences, d’anima-tions culturelles avec des expositions, des lieux d’éducation. Le temps que la greffe culturelle ou d’animation prenne sa place dans le quartier, le pro-moteur refait alors un appel d’offres sur le site pour le transformer complè-tement et en faire un vrai projet conjointement avec la ville. Ils appliquent cette façon de faire avec les sites industriels, mais aussi dans le cœur historique du centre-ville. Certains publics prenaient pour habitude de défi-nir des endroits d’errance dans la ville. Celle-ci les a rachetés, a commencé à les ouvrir, à leur donner libre accès pour pouvoir y installer des espaces de power king, des lieux de créations à des associations, etc. Si bien que petit à petit cela a modifié l’esprit de la rue et son ambiance dans les rues. Cela a redynamisé les autres commerces, doucement la ville s’est réenchantée.

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Photos 1 - 2 - 3 - 4 - 5 - 6 - 7

FRAC Rennes

© odile decq- Roland Halbe

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siège de GL-events

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MACRo (Musée d’Art Contemporain Rome)

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à notre époque, il y a encore trop peu de femmes à la tête d’une agence, d’un bureau d’architecture, non ?

C’est très long, il faut faire ses preuves. Il faut d’abord évoluer dans sa propre tête, prendre confiance en soi. Cela a lieu dans tous les métiers, dans toutes les professions. Durant mes trente années de carrière, j’ai rencontré une seule fois une femme ingénieur en entreprise, une seule fois une représentante femme sur le chantier, vous vous rendez compte. De 1998 à l'inauguration du MACRo (Musée d’Art Contemporain-Rome) en 2010, j'ai travaillé sur une centaine de projets. Peu de choses ont été construites, mais c'est la vie d'une architecte. Etre une femme dans cette profession reste compliqué. Quand j'ai commencé, nous étions 10% à être inscrites à l'ordre des architectes ou dans les chambres d’architectes dans le monde entier, elles ne représentent même pas 30%, généralement cela oscille autour de 25%. Ce qui reste peu. Ces années m'ont rendue plus forte, j'ai gagné de la liberté. Je ne dois rien à personne. Et quand vous regardez de plus près dans les écoles d’architecture, dans les instituts aujourd’hui, c’est assez désespérant, sur son ensemble, seules 50% à 60% sont des étudiantes. Il y a donc un réel problème. Cela tient aussi des femmes qui durant leurs études n’ont pas réussi à prendre confiance en elles. Il existe quelque part toujours aujourd’hui, une espèce de prédominance du monde masculin. Cela reste prioritairement un métier d’homme !

Pour ma part, je n'ai jamais cessé de travailler, mais surtout à l'étranger. En France, cela a été beaucoup plus difficile de percer. En 1998, quand mon partenaire Benoît Cornette a disparu dans un accident, j'ai continué seule à diriger l'agence ODBC, que nous avions créée ensemble. Je dois bien avouer que les gens étaient très sceptiques à l’idée que je sois aux commandes de celle-ci.

Aujourd’hui, les musées ne sont pas des bâtiments statiques, ce sont des bâtiments dans lesquels tout est donné à voir d’un coup dès qu’on pénètre à l’intérieur. Ce sont des bâtiments dans lesquels il faut déambuler pour y accéder, car au terme de la promenade il faut que l’espace soit attractif, que l’on y découvre au fur et à mesure l’exposition. Si bien que cette démarche donnera finalement une dynamique au bâtiment et du sens à la visite. De plus aux alentours, les équipements particuliers comme les cafés, les boutiques, un restaurant, un cinéma, etc., retissent les liens entre extérieur et intérieur de la ville. Autre exemple, quand on se rend à la Tate Modern à Londres, le musée est ouvert, ne sont payantes que les expositions non-permanentes. C’est là un véritable lieu de promenade où les gens sont venus voir la grande exposi-tion de la Grande Travée, ensuite ils se rendent à la boutique, au café, au restaurant, c’est fondamental. Cela permet finalement de vivre presqu’une demi journée ou une journée complète au musée. Tout s’organise autour de la culture. C’est important que ces musées soient des lieux ouverts sur les espaces publics. La ville est espace public !

est-ce que l’architecture est une discipline à elle seule ou est-elle contrainte de s’ouvrir à d’autres formes d’arts pour mieux résister ?

Il s’agit d’une discipline qui intègre les autres. Contrairement à toutes formes d’art qui ont besoin de se nourrir des autres pour pouvoir exister, se développer ou pour être plus attractives, voire plus intéressantes.

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Etre une femme architecte n’est toujours pas simple à notre époque, par contre il y a des signaux plutôt encourageants. En effet, aujourd’hui aux Etats-Unis on constate que de plus en plus de femmes dirigent des départements architecturaux et des universités. Ce qui est formidable par exemple, c’est qu’il existe maintenant en Italie un prix international pour les femmes architectes. Cette semaine je pars à New-York, ils vont délivrer le premier prix pour une femme architecte. Là c’est une victoire très promet-teuse. Les choses bougent lentement, mais elles bougent.

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