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! André Gunthert " 7 octobre 2017 -‐ 9 h 00 min
Questions de photophobie
En août dernier, l’équipe de psychologues qui s’était déjà signalée en démontrantque l’acte de prise de vue intensiEie l’expérience vécue, a publié de nouveauxrésultats prouvant que celui-‐ci améliore sensiblement la mémorisation visuelle d’un
L'image socialeLe carnet de recherches d'André Gunthert
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Là encore, on est surpris de constater qu’une observation aussi élémentaire n’aitpas été effectuée plus tôt. Une démarche qui découvre des vertus à la pratiquephotographique, et l’étonnement qui l’accueille, mettent en lumière le caractèresystématiquement négatif de l’approche de son versant vernaculaire. Bourdieu citaitdéjà dans Un art moyen (1965) l’humoriste Pierre Daninos, se moquant destouristes: «Loin de contempler le paysage de leurs yeux frontaux, ces genss’empressent de le faire admirer à ce troisième œil extrait de l’abdomen» (Sonia, lesautres et moi, 1952).
Appelons photophobie sociale le réElexe encore vériEié récemment à propos desnouveaux genres encouragés par la conversation numérique: selEie, photo au muséeou foodporn (photos de plats)… Au lieu d’accueillir avec bienveillance cesmanifestations créatives adaptées aux contraintes du partage en ligne, caractériséespar l’appropriabilité de sujets non-‐offensifs, chaque nouvelle pratique a fait l’objetde condamnations et de polémiques bruyantes, réponse emblématique d’unetradition de désaveu des usages vernaculaires du médium
La cinéphilie (la consommation de Eilms) ou la discophilie (la consommation demusique enregistrée) fournissent des exemples de pratiques culturelles populairesvalorisées et reconnues. Alors qu’il s’agit à l’évidence d’une réception spéciEique, iln’existe pas à ma connaissance d’étude de la photophobie, qui ne semble avoird’équivalent que du côté de la téléphobie, aujourd’hui prolongée par lacondamnation réElexe des “écrans”.
Ce serait pourtant une bonne idée d’en dresser le portrait. Les études de genre oudes cultures minoritaires ont montré à quel point l’analyse de comportementsnégatifs était susceptible de renouveler notre compréhension du champ social. Aucroisement de la technophobie, de la vulgarophobie et de l’iconophobie, le désaveude la photographie vernaculaire se manifeste à travers un corpus dense de traces,enregistrées au sein des manuels spécialisés, des formes satiriques ou de la critiquesociale.
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Si l’on s’interroge sur l’élaboration de cette réception particulière, les argumentstechnophobes et antimodernistes, comme la célèbre condamnation de Baudelaire ,paraissent les plus anciens. Cependant, la construction culturelle largement positivedu cinéma montre que la détermination technique ne sufEit pas à expliquer lacondamnation d’une forme visuelle.
Un facteur spéciEique du dénigrement photographique est l’existence même del’opposition entre amateurs et professionnels, où les premiers sont dévalorisés parrapport aux seconds. Si cette division existe dans de nombreuses pratiques de loisir,comme la musique ou les pratiques sportives, elle n’est pas forcément synonyme derelégation. Faire du vélo en amateur n’expose pas à la critique au prétexte qu’onn’est pas un champion. En revanche, la stigmatisation du dilettante est bel et bienune signature de la photographie, illustrée par le slogan du Kodak en 1888: «Youpress the button, we do the rest» – où l’automatisation suggère l’abandon de touteforme de compétence.
De même, la vulgarité alléguée de la photographie, expression d’un «goût barbare»
E. Le Mouël, La Caricature, 1888 (source: Gallica).
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selon Bourdieu, si elle contribue largement à expliquer le dédain pour ce loisirpopulaire, n’épuise pas l’analyse, puisque bien d’autres pratiques largementdiffusées, comme les pratiques sportives, ne font pas l’objet d’un désaveusystématique.
Un autre facteur tient manifestement à la visibilité de l’activité photographique dansl’espace public. Ce n’est pas par hasard si le volet le plus dénigré est sa pratiquedans le contexte touristique. Italo Calvino se moquait en 1955 de «la folie del’objectif», la frénésie de tout photographier qui s’emparait de centaines de milliersd’Italiens les dimanches de printemps. La photophobie est souvent une critique ducaractère envahissant, répétitif et stéréotypé d’une pratique à la diffusionuniverselle.
Les pratiques culturelles les plus reconnues, comme la littérature ou la musique,bénéEicient de la valorisation des formes les plus nobles du domaine, quis’expriment à travers un canon identiEié d’œuvres majeures, promues par l’école etpar de nombreuses institutions. En comparaison, le maillage institutionnel de laphotographie apparaît bien plus faible. L’un des traits qui creuse l’écart entre laphoto et la plupart des pratiques culturelles est l’absence d’un marché autonomedes œuvres photographiques, dont la circulation économique prend le plus souventla forme d’un B to B (business to business: la production photographiqueprofessionnelle est achetée par des éditeurs de presse ou du livre, mais n’est pasdirectement accessible pour le grand public). Cette particularité a entravé ledéveloppement d’une critique spécialisée, genre journalistique de la constructionréputationnelle, qui élabore des hiérarchies et des critères distinctifs, dès lors qu’unmarché en justiEie l’existence.
Le loisir le plus répandu au monde, qui est aujourd’hui une ressource expressive,une archive familiale, un instrument de communication et d’appropriation del’expérience, reste une pratique dénigrée, dont la valeur est niée ou ignorée. Cetteénigme qui fait partie intégrante de l’histoire de la photographie mérite un examenapprofondi.
A. Barasch, K. Diehl, J. Silverman, G. Zauberman, «Photographic Memory: TheEffects of Volitional Photo Taking on Memory for Visual and Auditory Aspects ofan Experience», Psychological Science, #28/8, 1er août 2017, p.1056-‐1066. [ ]
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Voir «Consommer ou photographier au restaurant, il faut choisir», 1er mars2.
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& culture, débat, photo. ' Signet.
( Gardons le pouvoir médiatique(disent ceux qui l’ont déjà perdu)
Dove, une image qui trompeénormément )
2014; «La consécration du selEie. Une histoire culturelle», 28 avril 2015; «Laphoto au musée, observatoire de la diversité des usages», 15 septembre 2017. []
Je préfère ce terme à ceux de classisme ou de racisme de classe, qui ne mesemblent pas caractériser correctement le rejet multiforme des classesinférieures. Dans le cas de la photographie, il s’agit plus spéciEiquement d’uneremise en cause élitaire de la classe moyenne, qui présente des traits distinctsde la phobie des «classes dangereuses». [ ]
3.
Charles Baudelaire, «Le public moderne et la photographie» (1859, éditioncritique), Etudes photographiques, n° 6, mai 1999. [ ]
4.
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Le Monolecte7 octobre 2017 à 9 h 29 min
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La photophobie, c’est la peur de la lumière… par contre, il existel’iconomécanophobie : peur des appareils photo…
@Le Monolecte: Merci du rappel. Je propose d’ajouter un deuxième sens à celui de lapsychopathologie. Car la photophobie sociale ne se limite pas à l’appareil, elleenglobe la pratique, ses acteurs et ses productions. Et il y a de fortes chances que laseconde soit plus répandue que la première…
« De même, la vulgarité alléguée de la photographie, expression d’un «goût barbare»selon Bourdieu »J’ai le sentiment que ce n’est pas la photographie en tant que telle qui relève d’ungoût barbare chez Bourdieu mais celle que tu n’aimes pas par opposition à celle quetu aimes: « Mais, en l’absence d’un corps de préceptes et de principes qui permette àla virtuosité de s’afEirmer en acte, la vitupération du barbare est la seule façon detémoigner de sa bonne volonté esthétique » (Un art moyen p.92)D’ailleurs dans le cas du musée ou des photos de vacances, ce n’est pas tant le goûtdu barbare que le barbare lui-‐même qui est dénoncé. Après tout, et c’est bien leproblème de ces pratiques nouvelles aux yeux de ceux qui les dénoncent, c’est quetous ces consommateurs de culture fréquentent et apprécient les mêmes lieux, lesmêmes œuvres qu’eux.
La thèse de Bourdieu, c’était que la photographie était l’art des classes moyennes.Une nouvelle enquête (malheureusement la chute de la maison Kodak rend cetteéventualité peu probable) serait passionnante aujourd’hui. La photographie estpratiquée, utilisée et diffusée par tout le monde ou presque grâce aux smartphoneset aux réseaux sociaux. Mais est-‐ce que toutes ces photographies se valent aux yeuxde leurs utilisateurs/consommateurs? Je croise des gens qui me disent, « je ne suispas photographe, je n’ai pas d’appareil », alors qu’ils prennent des photos tous lesjours avec leur smartphone. A l’inverse la publicité d’Apple, et une partie de ceux qui
André Gunthert7 octobre 2017 à 9 h 35 min
Thierry7 octobre 2017 à 9 h 53 min
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ont le sentiment d’appartenir à une nouvelle élite culturelle font du smartphone,que ce soit pour la photographie ou le cinéma, l’alpha et l’oméga des pratiquesartistiques contemporaines.Plus que jamais, pour paraphraser Bourdieu, comprendre la signiEication et lefonction que chacun confère à la photographie, c’est comprendre le rapport qu’ilentretient avec sa condition. :-‐)
@Thierry: Un art moyen est un bouquin passionnant, où Bourdieu entamel’exploration des arcanes de la future Distinction (qui en reprend plusieurs notionset passages, à commencer par le «goût barbare»). Mais c’est aussi un témoignagehistorique particulièrement éloquent de la photophobie, par sa tentative presquedésespérée de déduire de l’esthétique kantienne, point de départ philosophique, lescaractères d’une anti-‐esthétique populaire «déEinie primordialement par sa fonctionsociale». Le «goût barbare» est d’abord un emprunt à Kant, qui désigne le plaisirimmédiat procuré par les sens, par opposition au plaisir désintéressé de la réElexion.La Distinction donnera l’occasion à Bourdieu de condamner fermement cette«esthétique typiquement professorale», qui exalte le beau pour mieux dissimulerses hiérarchies morales et sociales. Mais à l’époque d’Un art moyen, cette révolutionn’est pas encore achevée, et cette esthétique reste l’horizon à partir duquelBourdieu tente de décrire un «art qui imite l’art».
Thierry, dans le cas du musée peut être, et encore le même lieu et la même oeuvresont vécus différemment par chacun, rien de vraiment mêmedans le cas des photos de vacances… c’est le monde, c’est là où l’on (je) vit (s) et nonun lieu forcément dédié aux vacances ; environnée d’appareils photo je suis sur monlieu du quotidien, pas au spectacleet oui, beaucoup de personnes ne se veulent pas forcément photographes, à ladifférence d’une personne écrivant de la poésie par exempleAndré, après et au-‐delà cet art qui imite l’art, je ressens un peu des classes (molles)
André Gunthert7 octobre 2017 à 18 h 53 min
laure8 octobre 2017 à 19 h 24 min
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qui imitent les classes, et ce en tous sens, par le jeu de degrés différents cumulés
La « photophobie », ou plutôt en effet, étymologiquement « l’iconophobie » estcertes souvent risible et facilement réfutable ( comme vous le démontrez), commetout misonéisme, mais il me semble qu’il ne faudrait pas tomber dans l’excès inverse, celui de l’iconolâtrie et de ‘l’idée selon laquelle toute nouveauté est nécessairementun progrès. Il n’est pas interdit de garder un oeil (!) critique sur les gens qui nesavent vivre une émotion qu’à travers leur écran ( le cas des concerts est, de ce pointde vue , très intéressant). Sur ce point au moins, il me semble assez discutable que la« prise de vue intensiEie l’expérience vécue », à moins de penser que le seul regardde l’événement via l’écran du portable est une expérience existentielle pluscomplète que l’immersion de tout les sens dans ledit événement, ce dont je doutefortement.
@Olivier: Vous êtes victime du préjugé photophobe. L’intensiEication de l’expériencevécue par la photographie a fait l’objet d’une belle et très robuste démonstration parune équipe de psychologues en 2016: Kristin Diehl, Gal Zauberman, AlixandraBarasch, «How Taking Photos Increases Enjoyment of Experiences», Journal ofPersonality and Social Psychology, 2016, vol. 111, n° 2, p. 119-‐140, voir mon résumé:http://imagesociale.fr/3837
Olivier10 octobre 2017 à 12 h 22 min
André Gunthert14 octobre 2017 à 6 h 42 min
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C'est une horreur que @EmmanuelMacron ose parler de "société de la délation généralisée" dans un discours censé être fondateur sur les violences sexistes et sexuelles #25novembre #SoyezauRDV
Tintin au Burkina Faso: comme Hollande, Macron est piégé par ses "petites blagues", lapsus qui laissent apercevoir les non-dits d'un d'un discours ripoliné… lesinrocks.com/2017/11/28/act… via @lesinrocks
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