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Note de l’auteur :

Ce roman est une pure fiction. Pour quiconque qui croirait se reconnaître ou ressembler à un ou une des héros et héroïnes de ce récit, ce ne serait que pure coïncidence.

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Chapitre I

Henriette Vidal conduisait son 4x4 Skoda Yeti qu’elle venait d’acquérir comme un véritable pilote de rallye. Les mains crispées sur le volant, la droite agrippant le frein à main à chaque virage tandis que le pied gauche écrasait l’accélérateur en permanence.

De toute la puissance de ses chevaux mécaniques hurlant, le véhicule ne grimpait pas la pente : il l’avalait. A chaque tour, ses roues arrière chaussées de pneus aux dessins impressionnant, crachaient et projetaient sur les côtés de la piste les cailloux et le gravier qui en constituaient l’unique revêtement.

Malheur aux promeneurs audacieux qui oseraient se hisser là-haut, jusqu’au belvédère pour contempler la majestueuse vallée de l’Aude se faufilant depuis l’Etroit d’Alet-les-Bains jusqu’au bassin de Quillan qu’elle contournait en suivant les trois quilles, petites montagnes coniques, dominant cette dernière cité.

Heureusement, dans ce coin de la Haute-Vallée de l’Aude, zone de passage des touristes qui n’y séjournaient qu’une nuit ou deux, personne ne songeait à crapahuter sur les sentiers cathares qui serpentaient dans des paysages à vous couper le souffle.

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Henriette n’aurait eu aucune pitié pour les randonneurs qu’elle appelait « pousse-cailloux ». Veuve d’un commandant qui avait passé des années au sein du 4e R.C.C, régiment de cavalerie commandé en 1940 par le colonel de Gaulle, elle avait hérité la morgue de son défunt mari qui prétendait qu’un officier de l’état-civil républicain l’avait volontairement privé de son DE qui faisait de lui un descendant de la petite noblesse dont on ne trouvait aucune trace dans l’histoire de France.

Au physique, Henriette était une grande bringue de femme d’un mètre soixante-dix-huit – Au garrot – Précisait-elle quand un quidam lui demandait combien elle mesurait. Cavalière émérite, elle avait tendance à s’identifier aux montures qu’elle chevauchait, se prenant même parfois pour une grande jument quand elle imitait à merveille le long hennissement.

Elle avait le geste brutal du militaire arrogant, une démarche de dragon femelle excitée à l’approche d’un pince-fesse. Mais sur un corps peu féminin, sans l’ombre d’une mamelle et de véritables tétons de mâle, elle portait un visage aux traits réguliers, à la grande bouche souvent souriante, notamment après avoir craché une insanité. De prime abord, Henriette attirait la sympathie.

Bien que d’allure hommasse, Henriette tentait grâce à des cheveux châtain clair qu’elle avait beaux, d’offrir d’elle une image féminine, en les coiffant en lissé-baguette c’est-à-dire bien raidis et encadrant l’ovale de son visage en descendant jusqu’en-dessous du menton.

Au contraire de son défunt commandant, un silencieux au visage buté, Henriette était une extravertie, toujours prête à s’enflammer pour

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n’importe quelle cause pourvu qu’elle soit de la caste des sangs bleus.

Chaque année, elle passait l’été dans le village d’où était originaire son mari et où il était enterré. Elle y séjournait trois à quatre mois dans la maison de maître sans commodité de ses beaux-parents, lui anciens directeur d’une petite chapellerie à Espéraza1 et elle, secrétaire de direction dans la même entreprise.

Viticulteurs à temps perdu sur des parcelles agricoles devenues, par la suite constructibles, ses beaux-parents avaient ajouté pas mal de beurre dans leurs épinards en revendant celles-ci à bon prix. Ce magot leur avait permis, malgré des retraites limitées à cause de versements dérisoires de cotisations durant leurs vies actives, de pouvoir voyager et effectuer des croisières.

Le reste du temps, Henriette habitait en ville un appartement en location situé le plus près possible du logement de fonction qu’occupaient sa fille et son gendre. Chaque fois que ce dernier, fonctionnaire de police, obtenait une mutation, Henriette suivait le couple.

C’est ainsi qu’elle s’était retrouvée lorraine, lyonnaise, francilienne, berrichonne et depuis peu languedocienne car son gendre ayant accédé au grade de commissaire, venait de décrocher, grâce à ses relations syndicales, un poste à Carcassonne.

Après la nouvelle installation de son beau-fils et de sa fille, Henriette avait déclaré à ses deux vieilles

1 Jusque dans les années 50, dans la ville d’Espéraza appelée la capitale du chapeau melon, travaillaient environ 2000 ouvriers dans de nombreuses petites chapelleries.

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copines de Campigneulles-sur-Aude – Sans, d’ailleurs, leur préciser sa nouvelle adresse :

– Ainsi, je vous verrai tout au long de l’année car Carcassonne n’est qu’à une cinquantaine de kilomètres de Campigneulles. Par contre, je ne viendrai plus habiter la vieille bâtisse aristocrate de mes beaux-parents. Je compte d’ailleurs la revendre un de ces jours avant que l’immobilier, dans le coin, ne s’effondre….

Aujourd’hui, comme elle leur avait promis les années précédentes, elle avait décidé de les emmener jusqu’au Belvédère. De là-haut, les vieilles pourraient contempler leur village et son clocher récemment restauré grâce à Toques et clochers2.

Mais surtout, elles pourraient regarder de près ces affreuses machines du parc éolien qui rapportait gros à la commune de Saint-Ferriol tout en gâchant à jamais le paysage des Campigneullois.

Les deux vieilles copines d’Henriette bien que nées dans le village n’étaient jamais montées sur le plateau de Granès qui se terminait d’une manière abrupte par les falaises du Bac dominant Campigneulles de leur blancheur qui se teintait de rose au soleil couchant.

Henriette aurait pu les accompagner depuis longtemps jusqu’au parc en passant par Laval et Saint-Ferriol où les voies étaient de véritables routes goudronnées. D’ailleurs, c’est par là que grimpaient au site doublé d’un vaste entrepôt de pièces de

2 Fête annuelle organisée par la société Sieur D’Arques et qui permet, avec l’argent récolté par la vente de blanquette de Limoux de restaurer le clocher de la communes affiliée où a lieu fin mars ou début avril la fête précitée.

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rechange en bordure de la vicinale reliant Saint-Ferriol à Granès, les camionnettes de l’entreprise danoise qui avait construit les éoliennes mais, comme à son habitude, elle avait voulu impressionner ses vieilles copines en escaladant avec son 4X4 – C’était la première fois qu’elle faisait l’acquisition d’un véhicule de ce genre – le chemin empierré qui desservait, jadis les nombreuses parcelles de vignes tapissant le versant de la vallée, réoccupées depuis de nombreuses années par un maquis buissonnant et quelques prés arides.

Le chemin rural se hissait jusqu’en haut du plateau là où finissaient les falaises grâce à un dénivelé qui l’aurait classé s’il avait été carrossable et sur le parcours du Tour de France cycliste, en col hors catégorie. Il démarrait carrément à la perpendiculaire de la départementale 118 reliant Quillan à Limoux.

Une fois le sommet atteint, pour arriver jusqu’au belvédère, il n’y avait plus qu’un sentier pour randonneur, à peine dessiné et zigzaguant sur le bord extrême du plateau.

Sans presque ralentir, la conductrice le prit provoquant des cris de frayeur des deux vieilles qui se voyaient déjà cinquante mètres plus bas, broyées sous un tas de ferraille.

Elle s’arrêta sur un brutal coup de frein. Les deux vieilles, le corps moulu, descendirent en titubant. La plus âgée, de son vrai nom Christiane Loustalou mais qu’on ne connaissait au village que sous le sobriquet de Cricri, hoquetant encore de frayeur, dit :

– C’est la dernière fois que je monte avec toi dans cet engin. T’as envie de nous faire mourir, Henriette. T’étais quand même plus douce avec ta voiture…

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– Une voiture, c’est une voiture. Faut la diriger en la caressant. Avec un 4X4, ma belle, on rugit et on dégaine ! Répliqua Henriette.

– C’est vrai que ça fait longtemps que t’as pas dégainé ! Concéda Cricri, vieillarde frisant les 90 ans.

Au physique, l’intéressée à cause de son grand âge et le régime frugal qu’elle s’imposait plus par extrême économie que par hygiène de vie, était si amaigrie que la tunique blanc cassé qu’elle avait revêtue pour cette balade pendait le long de son corps comme si elle était accrochée à un cintre.

La veille, elle était allée chez sa coiffeuse habituelle se faire colorer les cheveux en mauve. Cette couleur surprenante se mariait agréablement avec ses yeux pers, toujours aussi beaux malgré des paupières tombantes.

Cricri, dans sa jeunesse, avait été une femme superbe qui faisait se retourner les hommes sur son passage. Elle gardait de son ancienne splendeur un visage poncé.

Son front bombé semblait lustré comme les bosses arrondies des vieilles argenteries. Par contre, son torse frêle soumis aux dures lois de l’âge et de la décrépitude, avait pris les contours tourmentés d’un vieux tronc d’olivier moult fois centenaire.

Aux pieds, elle avait chaussé des sandalettes de cuir brut suffisamment larges pour ne pas la martyriser si elle devait marcher au cours de cette escapade motorisée. Depuis plusieurs années, Cricri souffrait d’énormes algus vagus qui s’enflammaient au moindre frottement.

Elle ne portait jamais de couvre-chef. Pourtant, à Campigneulles, les habitants du troisième âge c’est-à-

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dire nés avant-guerre, prétendaient que le soleil d’avril était pire que celui d’août car nouveau et brûlant.

Mais dès qu’une station s’imposait, que ce soit au soleil ou à l’ombre, Cricri sortait de l’une de ses poches, un morceau de fine étoffe blanche découpé dans une vieille jupe en mousseline et la posait délicatement sur sa chevelure. En cas de vent un peu fort, elle ancrait sa protection en nouant autour de sa tête une ficelle de nylon.

Descendue trop vite du 4X4 et encore toute chamboulée, Cricri n’avait pas encore eu le temps, ni le réflexe de mettre son couvre-chef protecteur. Henriette la dévisagea en souriant et admit :

– C’est vrai qu’il y a longtemps que je n’ai pas dégainé !

Elle n’ignorait pas qu’au village, les commères la désignaient souvent sous le sobriquet de la Dégaineuse à cause de ce verbe dont elle usait et abusait dans la conversation.

Elle ajouta, le visage soudain rembruni : – Bon, on n’est pas montées jusqu’ici pour parler

de vos p’tites douleurs de vieilles bêtes. Ecoutez plutôt le bruit que font les pales !

– En tout cas, c’est monstrueux ces machins-là. Je n’aurais jamais cru que de près, ça soit aussi grand ! Dit Jaja, l’autre copine.

Plus jeune de quatre ans que Cricri, Josette Dolent qui venait de Rennes-le-Château, était comme les deux autres du trio, veuve. Elle était descendue de sa butte au trésor3, ancienne capitale wisigothe, en se

3 Selon la légende, l’ancien curé de Rennes-le-château, l’Abbé Saunière, aurait découvert un trésor sous son église. Ce qui lui

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mariant avec un Campigneullois, ouvrier de Formica qui avait d’abord débuté dans la vie dite active en reprenant la petite ferme et les quelques hectares de vignes de ses parents.

Chez Jaja, on remarquait de prime abord ses cheveux d’un blond sale et des yeux qu’on dit d’émail avec un regard qui accroche la lumière et la renvoie. Le bas du visage restait poupin malgré son âge.

Mais son corps avait pris la rondeur des femmes ménopausées depuis plusieurs lustres. Josette Dolent prenait la vie comme elle vient sans jamais se la compliquer.

Enfin, elle ne faisait aucun effort pour se mettre en valeur. Ses habits qui provenaient de ses deux filles lui allaient autant qu’une soutane sur le corps d’un bodybuilder.

Elle pouvait, certains jours, sortir vêtue d’une chemise hawaïenne et le lendemain, troquer ce vêtement aux couleurs vives contre une tenue grise classique.

Pour l’escapade au champ éolien, elle avait revêtu une blouse à carreaux bien amidonnée et chaussée à ses pieds nus des charentaises bien fourrées malgré la température printanière.

– Et ça en fait un barouf. C’est encore pire qu’on pensait ! Ajouta Cricri.

– Ecoutez-bien ce bruit ! Murmura presque Henriette dont la voix s’envola dans les rafales d’une tramontane soufflant aux environs de 80 KM à

avait permis de réparer celle-ci et de construire un bâtiment appelé la tour Magdalena. A l’origine, Rennes-le-Château était une capitale wisigothe d’au moins 3O OOO habitants.

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l’heure, ce qui n’avait rien d’exceptionnel dans le coin.

Tout en disant ces mots, la Dégaineuse se mit les mains en conque autour du pavillon de ses oreilles. Les vieilles en firent autant tout en se penchant involontairement. Alors, d’une voix lugubre, Henriette commença sa litanie :

– Ce bruit que vous entendez, mes petites, c’est la souffrance du vent que ces putains de pales hachent, triturent, découpent, déchiquètent, concassent, écorchent, déchirent et écrabouillent pour le transformer en vulgaire énergie que les hommes acheminent dans de vulgaires câbles en cuivre, une énergie que les imbéciles appellent la fée électricité. La fée Carabosse oui !

– Tu ne crois pas que tu exagère un peu beaucoup, Henriette. C’est de l’énergie renouvelable, ça. Propre ! D’ailleurs, dans le temps, y’avaient déjà des moulins à vent. Ils avaient aussi des grandes ailes… Avança Cricri.

– D’accord ! la coupa Henriette. Mais avec les moulins à vent, Eole fabriquait de la belle farine en broyant le grain ou de l’huile dorée en écrasant l’olive. T’as raison, là-dessus ! Mais ces machines de merde défigurent notre beau pays et salissent nos paysages. De plus, elles n’arriveront jamais à remplacer le nucléaire !

– Et Fukushima ! Tu oublies, Henriette ! Susurra Jaja.

– Pas du tout. Mais faut avoir un mental de Samouraï japonais toujours prêt à se faire hara-kiri pour bâtir une centrale au bord de la mer et dans un pays où la terre tremble, au moins, une fois par jour.

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Répliqua la Dégaineuse avec une mauvaise foi évidente.

Puis, agacée par les répliques de bon sens de ses deux vieilles copines qui osaient la contrer, Henriette déclara, d’une voix outrée :

– Bon, puisque ça ne vous intéresse pas plus que ça, ces éoliennes, on rembarque et on redescend par Saint-Ferriol. Avant, jetez quand même un cil sur Campigneulles !

Vu du Belvédère, le village a une autre gueule. Après, on poussera jusqu’à Quillan et là, je vous offrirai une mousse au Brénus ! Ça nous lavera de toutes ces saletés…

Ce fut Cricri qui apporta la conclusion : – Faut toujours que tu montes sur tes grands

chevaux, Henriette si on n’est pas d’accord avec toi. C’est vrai que ce n’est pas beau, ces engins, ça fait du bruit mais c’est quand même moins dangereux que le nucléaire !

Puis les deux vieilles d’un pas chancelant se dirigèrent vers le point de vue créé depuis quelques années par le Conseil Général de l’Aude. Comme elles revenaient vers le véhicule, Henriette qui ne les avait pas suivi et qui s’était installée derrière son volant, répondit à Cricri, le visage maussade :

– L’incident est clos. Vous vous êtes rincé l’œil ! Eh bien, maintenant en voiture, Simone… Et c’est toujours moi qui conduis !

– Essaie quand même d’avoir pitié de nos vieux os en repartant ! Déclara Jaja d’une voix suppliante.

– O.K. Acquiesça la Dégaineuse. Le trio réembarqué – d’une manière laborieuse

pour les deux vieilles – le 4X4 repartit avec une

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certaine souplesse. La conductrice, pour ne plus effaroucher ses deux copines, n’alla pas plus loin dans le passage des vitesses que la deuxième. Elles furent bientôt sur la vicinale goudronnée qui reliait Saint-Ferriol à Granès.

Comme elles passaient devant l’immense entrepôt qui se dressait au bord de la route, Henriette rangea son véhicule sur le côté et stoppa en déclarant :

– J’ai une envie pressante, les petites. Je vais me dégainer une pissette derrière ce bâtiment qui a l’air désert…

Depuis un certain temps, la Dégaineuse, victime aussi de son âge et d’une descente d’organes, notamment la vessie, avait de plus en plus de mal à se retenir.

– Va, va te soulager. Répondirent en chœur les deux vieilles. Nous on va sommeiller un peu, histoire de se reposer des trouilles que tu nous as fichues…

La pisseuse avait à peine contourné le bâtiment que les deux passagères qui avaient fermé les yeux, s’étaient déjà endormies. La montée sportive, le vent dans les pales et le bruit des machines en activité les avaient proprement anéanties.

Ce fut le ronflement de Cricri qui réveilla Jaja. Elle regarda sa montre en plastique au bracelet rouge vif : une demi-heure s’était écoulée. Elle secoua sa voisine :

– Cricri, Cricri. Ça fait une demi-heure qu’on dort et Henriette qu’est pas rentrée…

Sur un bâillement à se décrocher la mâchoire, Cricri, de la voix pâteuse d’une somnolente, répondit :

– Elle a vu qu’on dormait. Elle est partie faire un tour. Suffit d’attendre qu’elle revienne !

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– Et si on descendait pour se dégourdir un peu les jambes ? Suggéra Jaja.

Elles descendirent avec difficulté car le véhicule était haut et leurs jambes raides. Puis, à petits pas trotte-menu, elles firent le tour du bâtiment. Ce dernier, bizarrement comportait une grande entrée mais située du côté opposé à la route. Donnant sur celle-ci, c’était une muraille métallique aveugle. D’ailleurs, hormis, l’entrée barrée par une porte coulissant sur rail et verrouillée par un énorme cadenas, le bâtiment ne comportait aucune ouverture. A l’intérieur, on devait travailler, même de jour, sous la lumière électrique.

Quelque peu désemparées, les deux vieilles revinrent au véhicule. Jaja interpela sa copine :

– T’as vu où elle a pissé, toi ? – Je n’ai même pas regardé à terre, je te l’avoue… – Ben moi si quand j’ai vu qu’y avait personne. Et

comme la terre elle est aussi nue qu’un œuf. Y’z’ont du mettre du désherbant hardi petit – c’est facile de voir une tache mouillée. Eh ben ! je n’ai vu aucune trace de pisse !

– On ne va quand même pas faire tout le coin pour la rechercher. On va l’attendre, tranquille, à l’ombre du 4X4. Déclara Cricri dont les jambes commençaient à flageoler. Sa hantise de vieille femme était la chute.

Elles remontèrent dans le 4X4. Presqu’une heure plus tard, elles étaient toujours à attendre, le corps engourdi, les membres raidis et plus ou moins somnolentes car, malgré les vitres ouvertes, dans l’habitacle, il régnait une certaine chaleur qui incitait plus au farniente qu’à l’effort.

Elles finirent, néanmoins, par s’inquiéter :

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– C’est pas possible. Dit Jaja, pourtant d’un naturel optimiste. Il lui est arrivé quelque chose !

– Qu’est-ce qu’on va faire ? Demanda Cricri d’une voix craintive. On ne peut quand même pas aller jusque Saint-Ferriol. Je ne m’en sens pas la force !

– Ben, on va attendre que quelqu’un passe ! Déclara Jaja.

– Ça fait une heure qu’on est là et t’en as vu passer une voiture, toi ? Questionna, dubitative, Cricri.

– Si t’as une autre solution, tu le dis ! En attendant, on descend. Comme ça, on arrêtera la voiture – s’il en passe une – et on pourra lui faire des signes de s’arrêter avant qu’elle soit sur nous.

En fait, elles ne patientèrent pas longtemps. Une vieille 4L s’arrêta à leur hauteur alors qu’à moitié assises sur le capot, elles faisaient des signes désespérés depuis qu’elles avaient entendu le moteur.

Le conducteur qui descendit de son antique chiotte, les apostropha :

– Mais c’est Cricri et Jaja ! Qu’est-ce que vous faites là, les fesses sur le capot de ce 4X4, mes toutes belles ?

– Ah ! Mais c’est Hyppolite ! S’exclama Jaja. Tu tombes bien. Figures-toi qu’on a perdu la conductrice de cet engin, la Dégaineuse. Tu la connais ?

– Pour sûr, fit l’homme. Hyppolite Sevestre, ancien militaire au 3e RIPMA

de Carcassonne, originaire de Normandie, s’était marié à une fille de Saint-Ferriol. Il était connu dans toute la région car, ses 15ans effectués chez les paras, il avait travaillé comme ouvrier boulanger à Quillan.

En fait, il livrait le pain dans toutes les petites communes des environs. D’ailleurs, à force de

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dialoguer avec les clients et surtout les clientes, il avait pris l’accent rocailleux de la Haute Vallée.

C’était un homme bas-du-cul, au torse profond avec un visage rond et rouge de Normand. Sur la tête, il ne lui restait qu’une couronne de cheveux blancs autour d’une énorme tonsure qui le faisait ressembler à un moine trappiste.

Devenu fragile du crâne, il portait en permanence et à l’envers une casquette prolétarienne qui avait du être à carreaux bruns mais qui depuis des lustres à cause du soleil et des averses, avait pris une teinte bistre indéfinissable.

Jaja lui expliqua en long et en large, sans lui faire grâce d’aucun détail, le début de l’escapade jusqu’à la disparition de la Dégaineuse.

Hyppolite qui avait une force d’écoute remarquable n’interrompit la narratrice pas une seule fois. Quand elle eut fini, il souleva sa casquette, se gratta le haut du crâne là où il n’ait plus aucun cheveu et déclara :

– A mon avis, faut avertir la gendarmerie. Je ne vois que ça !

– Et comment ? Dit Cricri. On ne trimballe pas de portable comme les jeunes, nous !

De la poche de son pantalon crasseux, Hyppolite avec un petit sourire entendu, sortit un mobile. Ayant fait le numéro de la brigade de Quillan dont il avait été longtemps l’informateur anonyme, il expliqua la situation au permanent de service.

Puis, devenu silencieux, portable à l’oreille, il attendit sous l’œil interrogateur des deux vieilles. Enfin, il lança un :

– O.K. on vous attend !

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Ayant verrouillé son mobile, il le fourra à nouveau dans sa poche. Enfin, s’adressant aux deux vieilles, il les informa :

– Ils arrivent ! Une demi-heure plus tard, une camionnette de la

gendarmerie avec quatre militaires étaient là. Dans un premier temps, les gendarmes parcoururent une partie du plateau notamment le parc éolien, marchant dans tous les sens. Puis, le plus gradé décida :

– Comme la clé est restée sur le tableau de bord, on va redescendre le 4X4 jusque la gendarmerie avec vous, Mesdames. Là, vous ferez votre déposition et un de nos véhicules vous ramènera chez vous. Quant à vous, Monsieur Sevestre vous nous suivez ou vous passerez dans quelques jours à la gendarmerie…

– Je préfère après-demain. J’ai du travail ce tantôt et faites bien mon bonjour au maréchal-des-logis chef Candéla…

– Impossible dit le jeune gradé qu’Hyppolite n’avait jamais vu. Il est parti en retraite l’année dernière.

Le lendemain, toute la journée, les gendarmes de Quillan au complet plus une vingtaine d’hommes d’autres brigades des alentours reprirent leurs recherches. Dans la soirée, tout le plateau ayant été ratissé, il fallut se rendre à l’évidence : La dégaineuse n’était plus dans le coin.

Pourtant, le surlendemain, le berger de Saint-Ferriol, un certain Jean-Pierre Cardon, découvrit le corps d’Henriette au pied d’une éolienne, celle la plus proche du belvédère.

Entretemps, les gendarmes avaient mis en garde à vue le responsable du local du site éolien mais

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l’avaient relâché au bout de 24 heures. L’intéressé, l’après-midi de la disparition d’Henriette, était parti livrer du côté de Castelnaudary.

Le berger de Saint-Ferriol fut, à son tour, interrogé mais aussi vite disculpé car cet après-midi-là, il avait mené son troupeau beaucoup plus loin, du côté du Bézu.

Une autopsie du corps fut effectuée à Toulouse. Le légiste conclut à une mort naturelle mais remarqua que le nombre des globules rouges était très important sans qu’il puisse s’expliquer pourquoi, n’ayant relevé lors d’un premier examen, aucune substance étrangère dans le sang.

Le corps fut rendu à la famille c’est-à-dire à la fille d’Henriette. Celle-ci exposa sa mère revêtue de sa plus belle robe dans la maison de Campigneulles afin que les habitants du village, comme la coutume le voulait, puissent lui rendre visite. Avec la sépulture qui eut lieu cinq jours plus tard dans le caveau familial, Henriette rejoignit, non seulement, son mari mais aussi ses beaux-parents.

Un mois après ces évènements, la maison était mise en vente. Entretemps, la fille d’Henriette invita les deux vieilles copines de sa mère à prendre ce qui les intéressait dans le mobilier avant qu’Emmaüs ou une association similaire ne vienne faire le vide dans l’immeuble sur ordre du Procureur de la République de Carcassonne, une enquête fut néanmoins ouverte car, c’était certain : Henriette n’avait pas trouvé la mort au pied de l’éolienne où le berger avait retrouvé son cadavre… Quelqu’un avait déplacé le corps !