Nota Bene - [Education et Devenir] · • La hiérarchie et les étagères Jean-François LAUNAY 46...

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Nota Bene : La mise en page a été revue, quelques notes ont été rajoutées. Mais les textes, à l’exception de la postface inédite, sont ceux parus en 1991(sauf erreur, non corrigée, dans la reconnaissance du texte lors du « scan ».).

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L’AUTORITÉ

ÉDUCATION & DEVENIR Groupe de liaison, de réflexion et de propositions

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«Si on veut faire de grandes choses, il faut se placer

au milieu des hommes et non pas au-dessus d'eux»

MONTESQUIEU

«Toute autorité est un service»

J. GUITTON

«La compétence sans autorité est aussi impuissante

que l'autorité sans compétence».

G. LE BON

«L'autorité c'est moins la qualité d'un homme qu'une

relation entre deux êtres».

M. BARRES

«La plus belle forme d'autorité, c'est l'exemple».

M. BERNACHON

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Les sciences sociales distinguent quatre grandes lignes de définition possible de l'autorité :

l'autorité, ascendant naturel ou acquis d'un être sur un autre, l'autorité, relevant d'un droit attaché à une charge, de donner des ordres à d'autres personnes, l'autorité, définissant une certaine qualité de relation et de communication, l'autorité, terme général pour l'ensemble des relations de commandement et d'obéissance.

La démocratisation de la société, l'évolution des attentes sociales et idéologiques, la transformation des compétences mises en oeuvre dans les transmission des connaissances et dans l'évaluation des pro-cessus d'apprentissage, la redéfinition du rapport entre statut et mé-tier, la nouvelle distribution du pouvoir que donne la connaissance due à la diversité des sources d'informations et des pôles de forma-tion et de recherche, le développement des sciences et le recul des absolutismes... ont laissé toute son actualité à la question de «l'autorité». L'autorité ! On semble pourtant dire depuis toujours qu'elle «se perd», qu'on ne la respecte plus, qu'il faut la restaurer, qu'il faut l'im-poser enfin. Faut-il alors une bonne fois y renoncer ? Qu'est-ce que cette «autorité» qui hante nos systèmes, en particulier le système scolaire, et qui n'existe toujours que pour n'être jamais tout à fait là ?

José FOUQUE.

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SOMMAIRE

Présentation José FOUQUE NOTIONS D'AUTORITÉ

• L'autorité aujourd'hui : du nécessaire au légitime Charles HADJI 7 • L'autorité : un terme polysémique ... ou polyphonique ? Francine

BEST 14 • Un constat Jeanne BAYARD-PIERLOT 18 • L'autorité vue par deux professeurs : Hélène VASSAL- Christophe

VALLEE 21 • L'autorité vue par deux chefs d'établissements

• Les éléments de l'autorité Michel ASSEMAT 27 • Perspective sur l'autorité José FOUQUE 31

AUTORITE - EDUCATION—PEDAGOGIE

• L'autorité à l'école François DUBET 36 • L'autorité en milieu scolaire Robert JEANDENANS 37 • L'autorité du professeur ordinaire Marie-Magdeleine BARLE 40 • L'autorité vue par les élèves Elèves de 1 ère A d'un lycée 42 • Innovation pédagogique et autorité Marie-Sophie LYZCKO 43

AUTORITE ET INSTITUTION SCOLAIRE

• La hiérarchie et les étagères Jean-François LAUNAY 46 • Bruit en classe et bruits de couloirs André ANTIBI 49 • L'autorité des adultes dans les établissements scolaires Michel AS-

SEMAT 52 • L'autorité du Chef d'Etablissement Christian VANLEYNSEELE 55 • La relation d'autorité dans la gestion et l'évaluation du personnel

Jean-Pierre GAVERIAUX 59 • L'autorité est un équilibre Maurice VERGNAUD 63

CONCLUSION Maurice VERGNAUD 67

POSTFACE Jean-Claude GUÉRIN

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NOTIONS D’AUTORITÉ

L’autorité aujourd’hui : du nécessaire au légitime

L’autorité en question : éclipse ou mutation de l'autorité dans la rela-tion pédagogique, en France, dans les années 80». Le titre, ainsi libel-lé, d'une Thèse préparée par un étudiant lyonnais (1) traduit bien une interrogation que l'évolution des faits et des idées rend aujour-d'hui incontournable. Mais, comme l'a bien montré Olivier REBOUL (2) le langage de l'éduca-tion véhicule volontiers des mots-pièges. A l'évidence, le terme d'au-torité en est un. Non pas que le mot en lui-même soit particulièrement ambigu. Car, comme le fait obser-ver REBOUL, le piège est plutôt dans l'usage qu'on en fait : usage contestable, polémique, ou ésotéri-que. Le mot est alors une arme mise au service d'idéologies ou de passions qui ne s'affichent jamais directement comme telles. La ré-flexion doit, dans ces conditions, avoir pour but de faire tomber les masques, en montrant quels sont les vrais, et difficiles, problèmes, auxquels il y a lieu de s'attacher. Derrière les slogans et les mots-chocs, qui se donnent comme des réponses évidentes à des ques-tions... que la plupart du temps on

a oublié de poser clairement, il faut retrouver et expliciter ce qui est en question. Tentons de le faire. On pourrait définir d'une certaine façon l'autorité comme... un droit d'auteur. En effet autoritas vient de auctor, qui signifie auteur. Avoir de l'autorité, c'est avoir le droit de faire... et d'imposer, c'est-à-dire d'imposer l'obéissance. On devine aussitôt d'où vont provenir toutes les difficultés, et pourquoi vont naî-tre les passions : l'autorité est un fait de relation. Elle marque le pou-voir qu'a l'un de commander et d'imposer sa domination. Que de-vient donc la liberté de l'autre ? L'autorité introduit une asymétrie dans la relation. Celle-ci est-elle compatible avec l'égalité des per-sonnes ? Le vocabulaire de pédago-gie moderne de Mauro LAENG parle «d'influence exercée sur d'autres, par une personne disposant d'un ascendant personnel ou d'une supé-riorité». Car l'autorité peut être ins-titutionnelle (headship) ou person-nelle et comme naturelle (leadership). Après avoir rappelé que «l'autorité de celui qui enseigne vient de sa compétence», 0. RE-BOUL distingue dans le même sens compétence légale, et compétence de fait (3). Si l'éducateur disposait

Charles HADJI, professeur de Sciences de l'Education à l'I.U.F.M. de Grenoble

(1) Monsieur Chris-tian DELACOURT

(2) Olivier REBOUL Le langage de l’éducation, PUF, 1984.

(3) Olivier REBOUL Qu’estce qu’apprendre ? PUF, 1980, p.128-129

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NOTIONS D’AUTORITÉ

toujours d'une autorité naturelle établie sur une compétence de fait, il n'y aurait guère de problèmes... Mais, précisément, où sont les pro-blèmes? Le champ sémantique que nous venons d'explorer rapidement nous instruit à ce sujet : pouvoir, domination, obéissance, supériorité. Les uns s'élèveront contre un pou-voir jugé tyrannique. Les autres dé-ploreront la remise en cause de l'autorité des maîtres, et condam-neront ce qu'ils perçoivent comme une éclipse regrettable. Mais cela a-t-il un sens d'être pour ou contre l'autorité ? Ne convient-il pas plutôt de réfléchir d'abord au «statut» de l'autorité dans un processus éduca-tif : une fin en soi ; ou plutôt un moyen ? Ce point peut être tranché d'em-blée. Sauf à vouloir pérenniser un état de fait, et à considérer comme absolument souhaitable que cer-tains commandent tandis que d'au-tres obéissent, on ne peut avoir la religion de l'autorité. Il ne sert à rien de sauter sur sa chaise en criant : de l'autorité ! de l'autorité ! On ne peut pas déplorer comme un mal en soi l'absence d'autorité. Dans un processus éducatif, en tout cas, celle-ci n'est, au mieux, qu'un moyen. Au service de quoi ? Du processus éducatif. Toute la ques-tion est donc de savoir dans quelle mesure ce processus requiert, pour s'accomplir, de l'autorité. Or la réponse me paraît claire : en éducation, la manifestation d'une autorité est bien nécessaire, en ce sens qu'il y a à imposer. I/ L'AUTORITÉ NÉCESSAIRE. La situation éducative est, par es-sence, une situation où s'exerce une autorité. Eduquer, c'est inter-

venir dans le développement d'un autre pour l'infléchir ou l'orienter dans un sens jugé souhaitable. Il n'est pas possible d'objecter ici l'au-to-éducation. Celle-ci n'existe que dans la mesure où j'interviens dans mon propre développement, pour l'infléchir... etc. Eduquer suppose un projet concernant le bon déve-loppement de l'autre. On jugera, par exemple, que, pour être bon, le développement des enfants exige l'apprentissage des mathématiques. Eduquer conduit à imposer des mo-dèles de comportement intellectuel, moteur ou relationnel. Ce qui sou-lève d'emblée deux grandes ques-tions. Celle de la possibilité réelle d'un tel modelage par autrui. Et celle de la légitimité des modèles ou des fins que l'éducateur prétend imposer (4). Car je suis prêt à pa-rier que le plus farouche adversaire de l'autorité blanchirait celle-ci s'il jugeait qu'elle sert à l'obtention des fins qui lui sont chères. C'est la na-ture et la spécificité des fins qui font problème, beaucoup plus que la présence ou l'absence d'autorité. Si éduquer signifie ainsi immédiate-ment influencer (ou chercher à le faire), l'autorité qui, par le fait même, se manifeste, est nécessaire d'un second point de vue. Aujour-d'hui l'éducation, dans sa dimension scolaire, a un aspect collectif et so-cial évident. Or toute vie de groupe exige ce qu'Alain appelle des ac-tions de police. Quelles que soient la valeur et la pertinence des lois dont elle s'est dotée, une société ne saurait vivre sans loi. Sans règle imposée, la vie collective devient impossible. De ce point de vue, l'or-dre est une condition de possibilité de l'existence libre. Et il faut bien, pour vivre, que l'ordre règne. Cette fonction de «police» n'est pas su-balterne. Et le premier pouvoir du maître, comme le rappelle REBOUL,

Charles HADJI

(4) Charles HADJI, Pen-ser et agir l’éducation, ESF, 1992

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NOTIONS D’AUTORITÉ

est un pouvoir de discipline : «car le maître, devant sa classe, doit d'abord assurer l'ordre. L'ordre, sans lequel il n'existe ni liberté, ni justice, ni créativité; sans lequel la classe devient une foule aveugle, anxieuse, infantile, vouée à l'ennui et se livrant d'elle-même aux me-neurs» (5). Cette fonction de police est donc une fonction nécessaire (mais non suffisante) pour que puissent s'exercer les fonctions d'éducation ou d'enseignement. Re-fuser de l'exercer, ou ne compter que sur les autres (le CPE, le Provi-seur...) pour accomplir ce qui ne serait qu'un «sale boulot» à effec-tuer avec des pincettes, revient à confier au miracle, ou à la seule in-tervention d'acteurs alors exclusive-ment spécialisés, un travail qui de-vrait être le souci de tous, puisque sans lui personne ne peut travailler correctement. Dans ses réflexions sur l'éducation, Emmanuel KANT insiste sur la fonc-tion non plus sociale (police) mais individuelle (éducation) de ce qu'il appelle la discipline. Selon lui l'homme a besoin de soins et de culture. Les soins (alimentation, entretien) permettent à l'enfant de survivre et lui évitent de faire un usage nuisible de ses forces. La culture comporte deux aspects : la discipline et l'instruction. La disci-pline est la partie «négative» de l'éducation; l'instruction sa partie «positive». La discipline, en effet, «transforme l'animalité en humani-té», en délivrant de la «sauvagerie». «L'état sauvage» se caractérise par «l'indépendance en-vers les lois». En faisant «sentir la contrainte des lois», la discipline fait entrer en humanité. C'est en entrant dans l'ordre de la loi que l'homme devient pleinement homme. C'est pourquoi il convient de résister aux caprices des

«élèves» pour leur permettre de devenir «écoliers». Le «manque de discipline» est de ce point de vue un mal pire que le défaut d'instruc-tion. Il concerne, pourrait-on dire, l'infrastructure de l'homme. Plus l'enfant grandit, plus il sera difficile de «chasser la sauvagerie». KANT prône ainsi, pour ce qui concerne la nécessaire dimension «négative» de l'éducation, une pédagogie de la résistance : résistance aux «penchants brutaux»; résistance aux «caprices» (6). Ces analyses nous permettent de préciser la nature du processus éducatif, par rapport auquel seul on peut juger, nous l'avons vu, de l'uti-lité de l'autorité. L'éducation, dans sa dimension culturelle, a donc une double tâche : délivrer de la sauva-gerie, voire de la barbarie, par la discipline; développer les disposi-tions naturelles et qualités spécifi-quement humaines, par l'instruc-tion. Ces dispositions se dévelop-pent grâce aux contenus culturels que fait rencontrer le processus d'instruction. Ainsi l'enfant a-t-il besoin d'une double rencontre : avec la loi ; et avec des contenus culturels. L'éducateur a pour mis-sion d'organiser cette rencontre, ce qui le conduit bien à imposer :

de respecter des lois de s'affronter à des conte-

nus culturels.

Quelle que soit la manière dont s'ef-fectue cette double imposition (manière douce ou manière forte), elle est nécessaire pour que l'homme se développe. Qu'elle soit douce ou forte, une contrainte s'exerce. A quoi servirait-il d'oublier ce fait ? Il faut regarder les choses en face. Notons toutefois :

a/ Que si cette double contrainte est nécessaire, la contrainte n'en est pas pour

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(5) Olivier REBOUL, Qu’est-ce qu’apprendre ? (6) E. KANT,Réflexions sur l’éducation, VRIN, 1974, p. 69-75

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NOTIONS D’AUTORITÉ

autant bonne en soi. Il ne s'agit pas d'aimer l'autorité, ni d'en faire une idole. b/ II nous faut modifier notre définition de départ. L'autorité n'est pas, à strictement parler, le droit d'imposer l'obéissance, mais simplement celui d'impo-ser ce qui est nécessaire au bon développement des sujets. L'obéissance n'est pas davan-tage une fin en soi. L'essentiel n'est nullement dans l'obéis-sance au maître, mais dans la soumission à la loi commune, et la confrontation à un «objet» culturel.

On peut cependant envisager d'un troisième point de vue la nécessité de l'autorité, en songeant davantage encore au sujet qui se développe, en particulier au moment de l'adoles-cence. Celle-ci est une période-clé dans le devenir-adulte. Question préalable : faut-il vouloir devenir adulte ? Ne conviendrait-il pas plu-tôt, aujourd'hui, de rejeter comme le dit LAPASSADE, le «concept norma-tif d'adulte» (7) ? Sans doute une conception de l'adulte comme mo-dèle achevé et obligatoire est-elle contestable. Il faut se garder de prendre pour universel un modèle relatif à un système culturel déter-miné. Mais il ne faut pas davantage réifier l'enfance ou l'adolescence en les donnant comme fins du dévelop-pement. On commettrait la même erreur, qui ferait d'une figure passa-gère, et toujours contestable dans sa particularité, quelque chose ayant la prétention exorbitante de consti-tuer la forme dernière et achevée du développement. Il faut comprendre que vouloir devenir adulte signifie simplement vouloir surmonter la fai-

blesse propre à l'enfance et se cons-truire comme Homme, toujours plus autonome et maître de soi. C'est pourquoi l'adolescence est précisé-ment une période-clé, où ce mouve-ment de conquête-construction de soi peut basculer et se perdre, mais aussi s'affermir pour qu'émerge une personnalité forte et équilibrée. Or la psychologie a montré l'importance de ce que je propose d'appeler la dialectique conflictuelle avec les adultes. L'adolescent a besoin de rencontrer des adultes (au sens défi-ni ci-dessus). D'abord pour échanger avec eux, pour discuter, être écouté, tenter de comprendre et de se faire comprendre. Ensuite pour s'opposer à eux, afin de trouver sa consistance en affrontant celle d'autrui. Tout en préservant son espace secret, l'ado-lescent a besoin de s'affronter à une autorité. De rencontrer des limites, pour trouver les siennes. Pour C. LEVI-STRAUSS, la rencontre de la règle des règles (car seule univer-selle), l'interdiction de l'inceste, ne marque-t-elle pas le point de pas-sage delà nature à la culture? On pourrait dire en ce sens que le «non» a un pouvoir structurant. Dire non (au caprice, à la brutalité, au refus de la règle), c'est aider celui à qui on s'oppose à se construire Homme. Faute de trouver en face de lui cette résistance (vérité de l'ana-lyse kantienne!) l'adolescent risque de sombrer dans la fuite et de suc-comber à la tentation de l'autosabo-tage, dont la destruction des biens d'autrui n'est jamais qu'une forme «douce», les formes dures étant la drogues et le suicide. C'est pourquoi la complicité douteuse avec l'adoles-cent est une attitude pédagogique-ment erronée. Et s'il est critiquable de vouloir imposer absolument une

(7) Georges LAPASSADE, L’entrée dans la vie, Ed. de Minuit, 1963, p. 31

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façon d'être «mûr», il est encore plus contestable de refuser d'accompa-gner et de faciliter le mouvement de l'adolescence vers la maturation, ce qui reviendrait à lui interdire de de-venir adulte. Pour pouvoir faire le deuil de son enfance, nécessaire pour qu'advienne la maturité psychologi-que, l'adolescent doit trouver sur son chemin des adultes qui existent comme tels, qui aient le courage d'être eux-mêmes, et sachent dire non quand il le faut (8). En un mot, qui soient capables de jouer le rôle, si bien décrit par FREINET, de «recours-barrière» (9). Aujourd'hui, plus que jamais, tous les adultes membres de la communauté édu-cative ont à jouer ce rôle. 2/ L'AUTORITÉ LÉGITIME. Mais à plusieurs reprises nous avons laissé entendre que tout dépendait, en définitive, de la légitimité des fins poursuivies par l'éducateur. Com-ment être sûr de cette légitimité ? Bien plus : malgré tout ce que nous venons de dire, ne peut-on formuler une objection de principe à l'idée que l'autorité puisse servir à l'éducation : n'y a-t-il pas incompatibilité entre l'autorité du maître et la liberté de l'élève? Car, enfin, à quoi sert l'édu-cation, sinon à libérer l'élève ? Or, comme encore, KANT l'a très bien exprimé : «comment puis-je cultiver la liberté sous la contrainte?». Tel est l'un des plus grands problèmes de l'éducation : «comment unir la sou-mission sous une contrainte légale avec la faculté de se servir de sa li-berté ?» (10). Nous sommes en pré-sence d'une véritable antinomie de la «raison pédagogique». Deux thèses ou notions contradictoires s'affron-tent, l'une excluant l'autre. Vouloir tenir les deux ensemble, et mieux

encore, sur le plan pratique, réaliser l'une par le moyen de l'autre, relève à première vue de la gageure et/ou du paradoxe. Et l'entreprise éduca-tive tient toujours à la fois du para-doxe et du pari. Mais le pari est d'au-tant moins insensé que l'on com-prend où est véritablement l'obsta-cle : lequel, pour être réel, n'en est pas pour autant infranchissable. Car on peut libérer en contraignant. Il suffit (si l'on peut dire) de saisir que la liberté n'est pas de l'ordre du don-né, mais de l'exigence. Elle n'est pas un fait qui serait une donnée immé-diate de l'existence humaine. Elle est le produit d'un dur travail de cons-truction de soi. Il ne faudrait plus parler de liberté, mais de libération (ce second terme indiquant mieux ce mouvement de se construire-libre), ou de délivrance. Car chacun a à se délivrer : de ses faiblesses, de ses particularités, qui en un sens le limi-tent, voire le mutilent. De ses inca-pacités et de ses peurs. Et l'éduca-tion n'est que le temps de cette déli-vrance, de cette conquête-construction de soi par soi, d'un «soi» plus savant, plus actif, plus maître de soi, grâce à l'aide d'adultes plus avancés dans ce mouvement de délivrance, mais qui ne pourront ja-mais se donner comme définitive-ment et exemplairement libres. Au-trement dit l'intervention éducative trouve sa légitimité immédiate dans l'effet de libération produit sur le su-jet. L'autonomie n'est pas un point de départ, mais un point d'arrivée. Qui contestera que ceux qui ne sa-vent plus que cracher aux visages des autres et casser leurs biens ont besoin d'être délivrés de la «haine» qui les défigure et les enferme ? Qui contestera que ceux qui n'ont pas su, ou pas pu, quelles qu'en soient les

Charles HADJI

(8) Tony ANATRELLA, Interminables adolescen-ces, CERF/CUJAS, 1988, p. 83-84 (9) Célestin FREINET, Pour l’école du peuple, Petite collection Maspé-ro, 1969, p. 79-80

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raisons, profiter de l'espace de déve-loppement que l'établissement sco-laire a pour seule raison d'être de constituer, ont besoin d'être délivrés de l'ignorance et de l'incompétence qui leur interdisent de s'insérer sur le marché du travail ? Il est urgent d'in-tervenir, et d'imposer, pour libérer. Il y a là un véritable devoir social, défi-nissant un «droit d'ingérence» édu-cative» ! Les autres questions peuvent alors obtenir des réponses plus aisées. • Qui a le droit d'intervenir ? Celui qui s'est efforcé, pour son pro-pre compte, de devenir adulte, et qui possède une double compétence (maîtrise d'objets culturels, et maî-trise des voies permettant de les maîtriser) susceptible d'aider les «jeunes» à se développer et à s'ap-proprier ces objets culturels. • Quels contenus (objets culturels) mé-ritent vraiment d'être imposés? 0. REBOUL, pour ce qui concerne l'éducation scolaire, a très bien posé cette question, sous la forme : «qu'est-ce qui vaut la peine d'être enseigné ?». Le choix des contenus repose sur des critères. Existe-t-il des critères qui soient absolument justifiables et qui puissent emporter l'adhésion de «tout être raisonna-ble» ? REBOUL en propose deux, contenus dans la réponse : «Vaut la peine d'être enseigné ce qui unit, et ce qui libère». Le premier critère concerne la nécessaire socialisation. Mérite d'être enseigné ce qui intègre durablement chaque individu à une communauté aussi large que possi-ble. Car l'homme ne vit pas seul. Le second concerne plus directement l'éducation : ce qui délivre. C'est-à-dire donne les moyens de faire véri-

tablement ce que l'on veut; de «s'exprimer et de penser par soi-même» (11). Cela est clair : tout ce qui contribue à faire de chacun un homme libre, c'est-à-dire délivré de tout ce qui le domine, l'aveugle, et l'amoindrit (voir plus haut). Il est juste d'imposer tout ce qui peut per-mettre d'apprendre «à devenir homme». C'est bien, ici, la fin qui justifie le moyen, la légitimité de celle-là fondant celle de celui-ci. • Quelles sont les formes les plus légiti-mes de cette légitime imposition ? Maintenant, seulement, peuvent être posés les problèmes de technique pédagogique, de méthodes, d'effica-cité, etc. Pour aider à l'auto-construction «accompagnée» d'un homme délivré, quel est le plus pertinent ? La façon même de poser cette question indi-que une ligne directrice pour la ré-ponse. L'éducateur n'est là que pour aider. Maître, si l'on veut, mais maî-tre auxiliaire; car la force de progres-sion appartient à l'élève. C'est pour-quoi il n'est de bonne éducation qu'indirecte. Il est vain, la plupart du temps, de vouloir imposer directe-ment : des valeurs, des idées, des modèles de comportement. Se vou-loir ainsi démiurge implique un mo-dèle de la transmission dont les tra-vaux actuels en sciences de l'éduca-tion ont fait apparaître l'aspect illu-soire. On n'éduque pas par transmis-sion directe, mais en agissant sur les circonstances, en réunissant les conditions qui permettront (peut-être, car la réussite n'est jamais as-surée; le pari peut toujours être per-du) au sujet qui affrontera ces cir-constances d'apprendre, et de pro-gressivement se construire homme. Retour sur la question précédente :

Charles HADJI

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NOTIONS D’AUTORITÉ

ce qu'il y a à imposer, bien plus que des idées, des valeurs, ou des modè-les de comportement, ce sont des situations d'apprentissage (12). Le rôle de l'éducateur, maître auxiliaire du développement d'autrui, est de découper l'environnement pour lui donner plus de chances d'être «éducatif» ou «instructif». Et quand l'éducateur a produit tout son effort pour choisir (inventer) la situation qui lui paraît susceptible d'être la plus instructive pour tel indi-vidu ou tel groupe, compte tenu de ses objectifs, et des caractéristiques propres à ceux-ci, il ne doit jamais hésiter à l'imposer. Telle est sa tâ-che. C'est ici que se manifeste le plus légitimement sa plus légitime autori-té, qui n'a de raison d'être que parce qu'elle peut contribuer à rendre l'au-tre davantage «auteur» de sa propre existence.

C'est le droit de se délivrer pour de-venir auteur de l'un, qui fait naître le devoir d'imposer l'autre. C'est en ce sens que nous avons pédagogique-ment besoin aujourd'hui d'une «néo-directivité émancipatrice», qui porte sur l'imposition de situations suscep-tibles de contribuer à la délivrance des élèves (13).

* * *

Ainsi l'autorité de l'adulte éducateur, qui ose dire non, et sait imposer la confrontation aux situations «éducatives», n'est-elle que la mar-que du respect dû à l'autre : à l'élève qui, pour se construire auteur-acteur, et maître de soi, a besoin d'affronter la consistance d'un environnement judicieusement «découpé», et d'éprouver la résistance du monde des adultes humains auquel il aspire à accéder. Pour lui, comme pour l'éducateur, la pire des injustices est celle de l'abandon.

Charles HADJI

(12) cf la notion de situation-problème dans Philippe Meirieu, Appren-dre… oui, mais com-ment ? ESF (13) Tous ces thèmes sont développés dans Penser et agir l’éduca-tion.

http://www.upmf-grenoble.fr/sciedu/hadji.html : page personnelle de Charles HADJI (biographie, œuvres...).

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ENJEUX NOTIONS D’AUTORITÉ

L’AUTORITÉ : un terme polysémique… ou polyphonique

Prononcer le mot «autorité», lui ad-joindre l'adjectif «autoritaire» puis ajouter le néologisme «autoritarisme» plongent tout honnête penseur dans l'embarras. On parle d'autorité «naturelle» pour désigner une qualité personnelle de tel chef d'établissement, d'autorité «légitime» pour qualifier les décisions d'un maire, d'une autorité «littéraire» ou «philosophique» pour nommer tel ou tel auteur... Et toutes ces «autorités», si différentes dans leur signification, si diverses dans les concepts auxquels elles renvoient, se retrouvent toutes présentes dans la vie des établissements scolaires ! Dès lors, comment s'y retrouver ? Com-ment opérer les distinctions nécessai-res et situer les acteurs de l'éducation dans cette polysémie ?

* * *

L'autorité est-elle un mal nécessaire dans la relation éducative entre un adulte et un enfant, un éducateur et

un élève, un enseignant et un appre-nant ? Oui, si l'on considère l'enfant, le jeune comme des êtres essentielle-ment immatures, agités de désirs contradictoires, quasiment privés de raison. Mais telle n'est pas la vérité. Cette conception de l'enfance a, fort heureusement, perdu nombre d'adep-tes, sous l'influence et l'argumen-tation apportées par les sciences so-ciales, notamment par la psychologie de l'enfant. Non, l'autorité n'est pas un «mal né-cessaire» mais reste un élément, par-mi d'autres, de la construction de soi par un enfant, par un adolescent, si l'on pense ces derniers comme des êtres humains à part entière, mais en développement, en devenir. Il est en effet indispensable que la confronta-tion voire, à tel ou tel moment, le conflit existent entre un adulte et un enfant pour que ce dernier se situe lui-même, se pose comme sujet pensant et agissant, bref prenne conscience d'être une personne.

Francine BEST, ancienne maire adjoint à la culture et à l’éduca-tion à la mairie d’Hérouville-Saint-Clair, An-cienne directrice de l'INRP, ex-Présidente du GREF, ex-Présidente des CEMÉA, ex-Présidente de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, Conseillère Economique et Social Régional de Basse-Normandie

l'autorité n'est pas un «mal nécessaire»

mais reste un élément, parmi d'autres, de la construction de soi par un en-fant, par un adolescent,

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NOTIONS D’AUTORITÉ

L'autorité a bien une signification posi-tive en éducation dès lors que l'on souhaite une construction de sa per-sonnalité propre par l'élève. Si para-doxal que cela puisse paraître, l'auto-rité est alors un repère, un «recours-barrière», comme le disait C. FREINET en désignant la «part du maître» et constitue une pièce-maîtresse dans la succession des actes éducatifs, des évolutions personnelles auxquelles elle conduit, de l'autonomie considérée comme finalité de l'éducation. Cela dit, et une fois posée comme nécessaire l'autorité - et comme nécessaire à la liberté puisque liée à la construction de l'autonomie - quelle est-elle ? Peut-on la définir ou peut-on en dégager une typologie lorsqu'il s'agit d'éduca-tion ? AUTORITÉ ET LÉGITIMITÉ L'autorité est conférée à une personne par l'Etat, lorsqu'il s'agit d'un fonction-naire et, qui plus est, d'un fonction-naire d'autorité. C'est de l'Etat qu'un chef d'établissement, qu'un ensei-gnant détiennent le pouvoir de décider dans le champ d'action qui leur a été désigné et circonscrit. C'est ainsi que tout fonctionnaire de l'Education Na-tionale détient une autorité légitime, dont l'exercice est contrôlé par ses pairs et par ses supérieurs hiérarchi-ques. Cela veut dire que ce fonctionnaire est légitimé dans son action, elle-même encadrée par la loi républicaine et qu'il doit en avoir conscience. Sans recon-naissance de l'Etat, la personne deve-nue fonctionnaire perd le sentiment de sa légitimité et partant, de la fonction d'autorité qui lui est confiée. Mais ce sentiment de détenir une au-torité légitime peut devenir démesure autocratique, ce qui est, justement, le contraire de la légitimité. Risque ma-jeur de toute «autorité» (on parle des

«autorités») qui perd la conscience de ses limites, alors qu'elles sont à la fois indiquées et garanties par la loi. La loi d'orientation de 1989 confère à tout être humain vivant sur le sol fran-çais le droit à l'éducation. C'est en participant à l'affectation, à la réalisa-tion de ce droit, que l'on trouve aussi édicté dans la convention internatio-nale des droits de l'enfant (qui a la force d'un traité international pour les pays qui l'ont signée et ratifiée, dont la France) qu'un chef d'établissement, un recteur, un inspecteur trouvent leur légitimité et leur autorité. C'est donc dans l'obligation qu'a l'Etat envers les enfants et les jeunes et dans la parti-cipation à cette obligation que se trouve le droit des professionnels de l'éducation à faire acte d'autorité, à avoir une autorité. Cependant, on peut conférer à l'idée de légitimité un sens moins formel et plus large : ne parle t-on pas de la lé-gitimité que confèrent compétences et savoir ? La légitimité de l'enseignant lui vient, non seulement de l'Etat, mais aussi du savoir qu'il doit trans-mettre. La légitimité du chef d'établis-sement lui vient de ses compétences à donner des avis, à décider, à organiser la concertation. C'est dans ce cadre des compétences acquises au cours d'une formation légitimée et reconnue par une qualification sanctionnée par examens et concours que l'on dit «il ou elle fait autorité», comme on parle d'un auteur, d'un écrivain, d'un philo-sophe, d'un spécialiste d'un domaine scientifique. L'autorité a donc une double source de légitimation : l'Etat, qui organise le service public, d'une part, le savoir et les compétences dûment reconnues, d'autre part. Cette légitimité qui confère, insti-tutionnellement, l'autorité, suffit-elle ?

Francine Best

C'est dans l'obligation

qu'a l'Etat en-vers les enfants et les jeunes et dans la partici-pation à cette obligation que

se trouve le droit des pro-fessionnels de l'éducation à

faire acte d'au-torité, à avoir une autorité.

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NOTIONS D’AUTORITÉ

Elle est absolument nécessaire, certes. Mais est-ce à partir d'un acte de légiti-mation que les pairs vont déclarer «il a de l'autorité» ou, au contraire «il est autoritaire», ce qui veut dire «il se sert quasi illégitimement de l'autorité institutionnelle qui lui a été conférée». Nécessaire, l'autorité instituée ne suf-fit pas pour rendre compte de la nuance qualitative et positive qui ac-compagne la formule «il ou elle a de l'autorité». Dans ce nouveau sens, l'autorité prend une dimension attachée à la personnalité de celui ou de celle qui la détient déjà institutionnellement. Au-torité et personnalité ont, dès lors, partie liée, ce qui rend la polysémie du terme «autorité» encore plus large et complexe au plus haut degré la notion même d'autorité. Dans ce cadre, l'autorité pourrait être assimilée à un charisme personnel, mystérieux, détaché de la source insti-tuante (la légitimité dont nous avons parlé plus haut). C'est là se contenter de peu et croire qu'une personnalité n'est que le fruit de «dons» naturels, alors qu'elle est, à un moment donné, le résultat d'une expérience construite sur un temps plus ou moins long, l'ef-fet d'une liberté qui s'est transformée dans et par l'action. Essayons donc de caractériser cette qualité de l'être libre qu'est l'autorité, tout en soulignant, au passage, que le terme «avoir» est bien ambigu : il s'agit d'une modalité de l'être, et non d'une possession ! La reconnaissance de la qualité «autorité» va de pair avec la désigna-tion d'une personne qui a suffisam-

ment confiance en elle-même, en son pouvoir de sujet libre de ses choix. La confiance en soi va de pair avec l'autorité et renforce la légitimité due à la compétence acquise et au savoir capitalisé. Cette confiance en soi se construit dès le plus jeune âge grâce à une éducation qui elle-même fait confiance à l'individu en développe-ment. Sans parfois en avoir cons-cience, l'adulte qui a confiance en lui-même a bénéficié, lorsqu'il était en-fant, de marques d'estime et de confiance de la part de ses éduca-teurs, parents ou enseignants, ou chefs d'établissement, conseillers d'éducation, animateurs de loisirs ou autres. Cette confiance en soi peut varier au cours d'une vie, selon la dureté des épreuves de l'existence... Si bien qu'il peut y avoir «perte» de confiance en soi et perte subséquente d'»autorité personnelle» dite à tort «autorité na-turelle». Pourtant cette confiance est néces-saire à qui détient institutionnellement «l'autorité», le pouvoir de prendre des décisions dans le champ d'action qui est imparti. Car décider est bien le trait signifiant de l'autorité à la fois légitime et per-sonnelle. Car on peut avoir le pouvoir - légitime - de prendre telle ou telle décision et ne pas la prendre faute d'autorité per-sonnelle. Dans ce cas, on remet à d'autres (en général des supérieurs hiérarchiques) le soin et le courage de décider. Il s'agit là d'une perte d'auto-rité, plus grave qu'il y paraît : notre

Francine Best

décider est bien le trait signi-

fiant de l'auto-rité à la fois lé-gitime et per-

sonnelle.

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NOTIONS D’AUTORITÉ

système souffre souvent d'un déplace-ment d'autorité vers le haut de la py-ramide et du remplacement de la no-tion d'autorité par celle de la hiérar-chie... C'est ainsi qu'enfle une techno-cratie au détriment de la légitimité du service public. Le courage de la déci-sion, signe de l'autorité liée à la per-sonne, vient de ce que cette dernière se pense comme sujet autonome, ca-pable d'édicter sa propre loi, de la reconnaître comme universalisable, capable aussi de bien cerner le champ d'autonomie de son action (par exem-ple l'établissement scolaire) relative-ment aux autres espaces d'autorité. Autrement dit sens de son autonomie propre et autorité sont relation réci-proque et essentielle. A de l'autorité celui ou celle qui sait convaincre les autres, collaborateurs, enseignants, agents, personnel d'édu-cation, élèves, parents d'élèves, élus, bref tout l'entourage social de l'éta-blissement scolaire. Cette force de conviction vient des traits, mentionnés plus haut, d'une personnalité confiante en elle-même, consciente de son autonomie de pen-sée et d'action, convaincue elle-même de la justesse des idées dont il ou elle a à convaincre. Conviction argumentée, rationnelle mais aussi riche de l'engagement de la personne dans les causes défendues. Une personne qui «a de l'autorité» est loin de l'indifférence, de la mentalité passive, du cynisme. Elle est engagée dans une action qu'elle sait présenter ou défendre. Cet engagement-autre signe de la li-berté propre à l'être humain - dans l'action, dans les idées que l'on pense

justes n'est nullement une méconnais-sance opinions des autres, encore moins un mépris de leur personne. C'est dans un jeu de reconnaissance et de réciprocité que se tissent les liens d'autorité nés de l'acte de convaincre et de sa conviction propre. Au reste, il n'y a pas d'autorité sans qu'elle soit reconnue par l'autre. Auto-rité et altérité, respect de l'autre et confiance en sa propre liberté vont de pair. C'est, paradoxalement, la convergence de ces contraires qui per-met de faire advenir une autorité poly-phonique, ordonnant, organisant les significations diverses qui la compo-sent. Le pouvoir d'éduquer, qui résulte du devoir d'éduquer, du droit à l'éduca-tion dont doivent bénéficier les enfants et les jeunes, ne peut se fonder, en droit et en raison, que sur l'autorité légitime conférée à une personne par la puissance publique qui, en démo-cratie, tient elle-même la légitimité d'élections libres. Il devient réel et ef-ficace s'il se fonde aussi sur une auto-rité liée à la personne qui a à l'exer-cer. Loin d'être autoritaire, loin de verser dans «l'autoritarisme» la personne qui «a de l'autorité» ou plutôt qui fait preuve (ce qui serait une formule plus juste que le verbe avoir) d'autorité est le sujet humain conscient de son auto-nomie, de sa liberté, qui veut que les autres soient reconnus dans leur liber-té propre et dans leur personne. 5ans ce jeu de reconnaissances et de réci-procités, sans ce sentiment de liberté et de respect de l'autre, il n'y a pas d'autorité véritablement humaine.

Albert Jacquard

A de l'autorité celui ou celle

qui sait convaincre les

autres

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NOTIONS D’AUTORITÉ

Un constat

Depuis que les responsables de cette revue m'ont demandé quelques ré-flexions sur «l'autorité», je fais un constat pénible : j'ai passé quelque temps à tenter de jeter des idées sur le papier ; c'était à intervalles plus ou moins réguliers, à des moments paisi-bles, le soir par exemple avant de m'endormir. Le manque flagrant d'originalité du résultat est désagréa-ble et une conclusion s'impose : la question me gêne. Pourquoi ? Ressource précieuse en de telles si-tuations : voir ce que dit Pierre La-rousse ! Eh bien, sur plus de trois pa-ges, c'est assez clair : dans sa pureté originelle la situation d' «autorité» est liée étymologiquement à celle d' «auteur» ; le modèle en est le Pater familias romain (pas la Mater fami-lias, bien sûr, mais nous ne nous lan-cerons pas sur cette piste...) : il a le pouvoir de «commander et de se faire

obéir» parce qu'il est l'«auteur» de ses enfants. De là, Pierre Larousse passe à l'«influence morale» et à la «considération», le tout sans le moin-dre état d'âme. Le problème de la lé-gitimité, c'est clair, est pour lui moins fondamental que celui de l'exercice du pouvoir. Je suis Inspecteur Pédagogique Ré-gional de Vie Scolaire; dans le do-maine professionnel je ne suis auteur de rien du tout, ou de si peu de chose qu'il est peu intéressant d'en parler. Ai-je du pouvoir, donc de l'autorité ? Ai-je le droit d'en avoir ? Sur le point du droit, la réponse est certainement négative : il ne faut pas confondre pouvoir de contrôle et pouvoir de dé-cision, le seul qui compte. Sur l'exis-tant, la réponse est plus ambiguë : il m'arrive assez souvent de constater que les gens me reconnaissent - me croient - le «pouvoir de commander»

Jeanne Bayard-Pierlot Inspecteur Pédagogique Régionale Vie scolaire

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NOTIONS D’AUTORITÉ

dont parle P. Larousse. Je peux le lire dans les regards, dans les paroles - et l'absence de parole -,dans les réac-tions - et l'absence de réaction. Il se-rait agréable de penser que c'est là le résultat de «l'influence morale», voire de la «considération»; être dupe ris-querait d'aboutir à l'illusion d'un pou-voir réel - illusion vite évanouie, Dieu merci, mais on ne sait jamais ! car grands sont les pièges de l'estime de soi ! Il ne faut pas non plus aboutir trop vite à une conclusion perverse : l'interlocuteur n'est pris dans les fan-tasmes de l'autorité hiérarchique que parce qu'il est, lui, dépourvu d'autori-té ; c'est le piège du mépris de l'autre, plus dangereux encore que le précé-dent. La quasi-absence de pouvoir - (d'autorité?) - vis-à-vis des gens se retrouve-t-elle s'agissant des choses ? Un pouvoir de cette nature serait-il légitime ? On peut là répondre oui ou non, tout dépend du point de vue. Ce serait oui si tenter de corriger de temps en temps une bavure adminis-trative abusive, pallier un dysfonction-nement criant ou une absurdité bu-reaucratique, est un exercice légitime du pouvoir si la finalité de l'autorité dans un système de gestion, c'est de faire fonctionner ce système au moin-dre coût et de la façon la plus efficace possible. La première attitude, l'attitude correc-tive, pourrait avoir des effets éduca-tifs, donc de transformation à long terme, qui seraient assez bien venus, surtout à l'Education Nationale. Le problème vient de ce que, après vingt ans d'exercice de l'autorité que me donne (me reconnaît ! me laisse exer-cer I) le système, je ne perçois pas de transformation très évidente : quel-

ques petites pulsations peut-être, une plus grande liberté d'attitude vis-à-vis des problèmes de responsabilité, voire d'autorité chez certains que ma fai-blesse pour eux tend à me faire consi-dérer comme les meilleurs (dont, bien sûr, les lecteurs de cette revue !), des tendances à se prendre en charge sans attendre la bénédiction hiérarchi-que, etc. ; pas de changement fonda-mental du système. Cela suffit-il à jus-tifier, à mes propres yeux en tous cas, les vingt ans passés à semer des ger-mes ? La nature optimiste ou pessi-miste de chacun informera la réponse. L'autre attitude consiste à se dire ce-ci : ne doit-il pas venir un moment où il faudra cesser de tenir à bout de bras cette énorme machine qu'est l'Educa-tion Nationale, où l'on voit des centai-nes, des milliers de gens très intelli-gents employer des trésors de dé-vouement, de subtilité - et d'autorité au sens «influence» du terme - à col-mater des brèches, faute de pouvoir prendre ou conduire à faire prendre les seules décisions qui paraîtraient nécessaire ? C'est faire sauter le bâti-ment parce qu'aucune réparation ne le rendra jamais fonctionnel. A quel mo-ment, dans quelles circonstances, un fonctionnaire a-t-il le droit de re-mettre en cause fondamentalement l'évolution du système qui le fait vi-vre ? Où et dans quels cas cette re-mise en cause peut elle s'accorder avec la déontologie ? Personnelle-ment, si j'ai souvent usé de mon peu d'autorité pour protester, tout en sa-chant le peu d'effet probable de ces protestations, je ne suis jamais allée jusqu'au refus ; peut-être est-ce dû à ce que j'ai passé depuis longtemps l'âge des barricades. J'aurais tendance maintenant à passer le témoin aux successeurs de ceux qui défilaient en

Jeanne Bayard-Pierlot

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NOTIONS D’AUTORITÉ

novembre dernier dans les rues de nos belles villes ; il faudra bien qu'un jour tous ceux qui ont de l'autorité, où qu'ils soient dans l'Education Natio-nale, répondent aux questions qui ont été posées et non résolues. Ce jour, là, on assistera à un exercice de l'au-torité que les usagers commenceront peut-être à trouver légitime. Après ces rêveries plus ou moins déri-vantes, je constate que je n'ai pas cessé, depuis le début, d'esquiver le problème que je me posais, celui de mon autorité : je ne suis auteur de rien ou presque ; je n'ai pas de pou-voir statutaire sur les personnes - il n'y a rien de plus dérisoire que le pou-voir de notation - ; le peu de pouvoir que j'ai sur les choses, a surtout pour objet de pallier des dysfonctionne-ments ; le peu d'influence que j'ai, je la dois sans doute à l'expérience et à une certaine connaissance intime et renouvelée du système : les ans en (les zanzans, oh ! Queneau !) sont la cause ; il n'y a pas de quoi être fier. Enfin, on peut douter globalement de l'efficacité qu'a l'exercice de ce peu d'autorité.

Peut-on s'arrêter à une conclusion aussi délibérément destructrice et pessimiste ? Comme je ne suis ni phi-losophe, ni légiste, ni linguiste, ni so-ciologue..., je ne pense pas m'être trompée en ayant traduit la question posée par : comment un inspecteur régional vit-il l'autorité ? Mais s'agis-sait-il vraiment de la mienne ? Pour-quoi pas de celle que d'autres exer-cent sur moi ? Avoir traité le premier point relève d'un égocentrisme naïf ; être amené à se poser la question sous l'autre angle explique peut-être la gêne exprimé au départ. Si l'autori-té qu'exerce chacun de nous est pour lui légitime, qu'est-ce qui légitime l'autorité des autres, surtout si elle est plus forte et s'exerce à nos dépens? Chacun dans l'Education Nationale se pose cette question, que ne se posait pas Pierre Larousse ; personne ne ré-ussit vraiment à y répondre. Ne som-mes-nous pas ici au coeur du pro-blème de l'autorité dans l'Education Nationale, qui est d'abord un problème de valeurs ?

Jeanne Bayard-Pierlot

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NOTIONS D’AUTORITÉ...

L’autorité vue par deux professeurs

•AUTORITÉ ET PUISSANCE L'autorité est le pouvoir d'obtenir, sans recours à la violence ou à la contrainte physique, un type de com-portement de la part d'une personne ou d'un groupe. Elle a donc une effi-cace symbolique dans la mesure où elle ne fait pas appel à la force, tout en se situant dans une relation entre le commandement et l'obéissance, ce qui permet de considérer l'autorité comme un phénomène propre à l'or-ganisation de la vie de la polis, uni-versel et polymorphe à la fois. Par exemple, l'élève n'obéit pas seule-ment au professeur, il obéit à un texte, à du savoir qui a sa logique interne à laquelle il doit se plier. A la racine du mot autorité, on trouve «augere» qui signifie «croître», «augmenter» associé à l'idée d'auc-tor, d'auteur, celui en qui est sise l'autorité qui apparaît bien comme un mouvement entre augere et auctor, un aller et retour permanent. L'auto-rité seule n'est pas une simple crois-sance, elle augure dans le monde des phénomènes un commencement d'autre chose. Ce qu'augeo exprime, dit Benveniste, est ce pouvoir qui fait surgir les plantes et qui donne exis-

tence à une loi. L'auctor qui promet et promeut est celui-là seul pourvu de cette force se manifestant dans le monde phénoménal. L'autorité appa-raît d'abord, semble t-il, comme étant liée à la parole faisant surgir l'essence d'un individu ou d'un groupe : elle est liée, comme l'indi-que l'étymologie, à la croissance, au développement, à la genèse, non à l'interdit, à un code ou à une norme. L'autorité dite naturelle est bien ce rapport à la «potestas» conçue comme puissance, comme pouvoir d'accoucher les esprits, ainsi que le voulait Socrate. Seulement, Socrate n'avait pour ambition que de dire ce qui est, même si ce qui est se dit en de multiples sens, «to on legetai pol-lachos» comme le voulait Aristote. A l'inverse, il y a dans toute «auctoritas» une logique de la fonda-tion : l'autorité n'existe pas seule-ment dans des rapports sociaux ou d'institutions (école, église, armée, usine, parti), elle s'impose souvent dans l'agrégation de plusieurs indivi-dus, si bien qu'elle apparaît constitu-tive de la fondation des relations so-ciales. La parole du «il faut» se veut à la fois origine et commencement; en cette acception elle agit à la fois comme une cause formelle et finale.

Hélène Vassal Christophe Vallée Professeurs de philosophie

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NOTIONS D’AUTORITÉ...

Nous savons que pour Aristote la cause formelle est l'idée et la cause finale la fin en vue de quoi l'idée est appliquée à une matière. De même, l'autorité induit toute action possible en anticipant des fins. Nous sommes dans une logique du dévoilement à des individus de leurs fins propres confortées par «l'auctoritas»; en re-tour celle-ci fonde ce en quoi elle dé-voile. Bref, l'autorité est ce mouve-ment circulaire, auto-fondateur par l'acte fondateur qui la pose elle-même. «Comment une origine est-elle en gé-néral ? Réponse : elle n'est jamais que comme saut. Ainsi le commencement propre à une origine est-il immédiat et soudain. Seul ce qui est saut originel au sens de ce qui a été clarifié... peut avoir un commencement. Toutefois, l'immédiat du commencement n'exclut point, mais inclut bel et bien qu'il se soit préparé aussi longtemps qu'il est possible, et cela dans l'inapparence la plus complète. Le commencement, en tant qu'il est le saut, est toujours un sursaut qui a déjà sauté par-dessus, tout étant à venir quoique de manière encore enveloppée. Le commence-ment contient déjà en retrait la fin». (Der Anfang enthält schon verbogen das Ende) Heidegger in Vom Ursprung des KunstWerkes. Exemple : l'autorité intellectuelle du maître ne cherche pas à contraindre par la force celui qui est à éduquer; il s'agit de faire voir par l'élève ce qu'il portait déjà en lui au sens où l'auctor cherche à montrer à l'enseigné la voie afin que celui-ci saisisse sa forme pro-pre en vue de la fin assignée par le maître, celle-ci n'étant que celle que l'élève ignore encore mais recherche sans le savoir, c'est-à-dire la conquête de l'autonomie. En un mot, l'auctor dit à celui qui est soumis à son auctori-

tas : tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais pas déjà trouvé. Réciproque-ment, le cercle est bien circulaire : ce-lui qui possède l'autorité, en révélant aux autres leurs potentialités, s'af-firme lui-même par l'intermédiaire de l'autre. •AUTORITÉ, AUTORITÉS L'autorité n'est donc pas le pouvoir. Alors que le pouvoir a la prétention d'administrer les hommes comme des choses, selon l'analogie chère au posi-tivisme, l'autorité a l'ambition de trai-ter l'autre comme une personne. L'autorité implique dès lors la conver-gence des efforts individuels par des relations de commandement conven-tionnellement créées par une hiérar-chie organique assurant la cohésion de l'ensemble. Deux types d'autorité peu-vent être provisoirement définis : d'une part, ce que les Romains dési-gnaient sous le nom d'auctoritas, c'est à dire l'autorité d'une personne, d'un chef, d'un commandant capable d'in-fluencer un groupe; le chef charismati-que entre dans cette catégorie. D'au-tre part, la potestas recouvre l'autorité telle qu'elle est pratiquée par des per-sonnes remplissant une fonction au sein d'un état, une autorité déléguée par un pouvoir légal. D'un côté l'auctor a de l'autorité, de l'autre, il est une autorité, comme Balzac nommait «les autorités». Tout le problème est en effet de savoir jusqu'à quel point l'absence d'auctori-tas naturelle peut être comblée par l'apparence extérieure de l'autorité, le signe extérieur de l'autorité, le cos-tume, la légion d'honneur, la garde républicaine, l'huissier... L'homme qui a une autorité naturelle n'a, à la li-mite, pas besoin du secours de l'auto-rité symbolique que peut lui conférer

Hélène Vassal Christophe Vallée

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l'Etat. Tout professeur ayant par na-ture de l'autorité n'a nul besoin de faire état de son statut de fonction-naire d'Etat pour se faire respecter. De deux choses l'une en effet : ou bien l'autorité est une disposition inhérente à un individu empirique, ou bien elle est le signe conféré par un pouvoir à un de ses fonctionnaires d'Etat. Seule-ment, dans les deux cas l'autorité a pour fin de dévoiler un rapport de moyens et de forces en vue d'une fin; alors que le pouvoir enjoint, ordonne, commande, l'autorité s'efforce de sus-citer la confiance. Parole fondatrice, l'autorité induit la reconnaissance, la re-co-naissance des hommes; elle a pour fin un type, un idéal ectypus, comme le dit Max Weber, dont l'enjeu est de galvaniser celui qui est sous l'autorité. Lorsqu'elle édicté un juge-ment souverain, elle se nomme souve-raineté, autorité souveraine. A l'in-verse, le pouvoir ne peut pas être sou-verain : il est essentiellement relatif, constitué par un rapport de forces né-cessairement fluctuant. Or la force, par essence relative, ne peut être fon-datrice d'un ordre. •AUTORITÉ ET SIGNES DE L'AU-TORITÉ L'autorité, à l'inverse, présuppose une exigence morale: alors que le pouvoir contraint, l'autorité respecte. Le res-pect est bien à la fois ce sentiment et ce droit, sentiment moral par opposi-tion à tout ce qui est pathologique. L'autorité disparaît dès que le cha-risme lui-même s'effondre. Le para-doxe veut que celle-ci pour durer ait besoin du pouvoir, de ses rituels, mais n'est pas par essence la force même si elle peut s'en servir et être abattue par elle. L'autorité ne cesse pas lors-que le pouvoir disparaît: elle est

d'abord morale, «naturelle», transcen-dante au simple donné. Le rite du « Potlach » dans les sociétés primitives souligne bien ce lien propre à l'autorité du prestige et du statut social. Par les dons ou par la destruction des riches-ses, l'individu veut accroître, augmen-ter quelque chose qui n'est pas de l'or-dre du simple donné, qui est transcen-dant à la simple factualité. Le pouvoir contraint: dès qu'il disparaît, la contrainte s'efface. A l'inverse, qui-conque est investi d'une fonction d'au-torité a l'apparence du pouvoir, le si-gne avant la chose; il doit seulement faire la preuve qu'il est capable d'être à la hauteur de la tâche qui lui a été confiée, du rôle qu'il a à jouer. Il faut passer de la puissance à l'acte. Cham-berlain a l'autorité de la fonction de premier ministre en 1939, mais il lui manque l'auctoritas. Churchill est in-vesti de la même fonction quelques mois plus tard au sein d'un pays dé-couragé, humilié, seul devant l'adver-saire. Il lui suffit d'un discours à la ra-dio, vitupérant contre ses prédéces-seurs pour galvaniser les Anglais. "Ils ont voulu la paix, ils ont eu la guerre et ils l'ont perdue; ils voulaient l'hon-neur et ils n'ont eu que le déshonneur. Moi, je vous promets du sang, de la sueur et des larmes, mais au bout du compte la victoire de la liberté sur l'esclavage". L'autorité consiste d'abord en l'affir-mation de la puissance de l'idée: la maîtrise des signes de la puissance ne suffit pas, encore faut-il du souffle, de l'impétus, en un mot du courage qui n'apparaît souvent que lorsque l'appa-rence symbolique s'effondre, au mo-ment d'une crise, en révélant le carac-tère ou la force d'âme d'un individu. Il y a donc au coeur de l'autorité une zone d'ombre, un trou noir que l'ob-servation sociologique ne parvient pas

Hélène Vassal Christophe Vallée

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à combler: il y est question de l'âme, de la personne (persona, prosopon) du masque, du style de l'existence, en un mot, il y est question de l'essentiel : «Le sentiment suprême de la puis-sance est concentré dans le style clas-sique. N'avoir que des réactions diffici-les, une grande lucidité, aucun senti-ment de lutte. Ce qui manque le plus aux Modernes c'est précisément le grand style: se rendre maître du chaos intérieur, forcer son propre chaos à prendre forme, agir de façon logique, simple, catégorique, mathématique, se faire loi, voilà la grande ambi-tion.» (Nietzsche)

•AUTORITÉ DU SAVOIR OU SA-VOIR DE L'AUTORITÉ L'enseignement, nous l'avons dit, a de l'autorité, et il doit également avoir une autorité. De ce fait, la question de l'autorité dans la relation éducative est double : elle suppose que l'on repère son fondement (qu'est-ce qui légitime le pouvoir de se faire obéir ?), mais aussi que ce fondement soit accessi-ble, intelligible à ceux qui la subissent. La seule autorité qui produise des ef-fets réels est donc celle que les élèves distingueront nettement de l'autorita-risme. En d'autres termes, si le fondement de l'autorité peut paraître clair à celui qui l'exerce (il y est question de compé-tence, de savoir, d'expérience), l'élève, pour sa part, risque de s'en faire une idée plus confuse : les rap-ports d'autorité, disait Rousseau, ont des effets pervers dès lors que les en-fants ne peuvent pas en comprendre les raisons. Sommes-nous certains que ces raisons soient bien comprises de nos élèves ?

• L'autorité immédiatement accessi-ble par ceux qui la reçoivent à l'école est d'abord liée au statut et à l'institution. Dans la plupart des cas, l'on y obéit par habitude. L'au-torité n'est alors que pure contrainte et vécue comme telle. Du reste, peut-on nier que le pro-fesseur l'incarne, alors même qu'il oriente et qu'il juge ?

• Par définition, l'élève ne dispose pas encore de ce savoir sur lequel nous entendons asseoir notre auto-rité. Il se peut, dans les meilleurs cas, qu'il en soit demandeur, mais il se peut aussi qu'il ne le soit pas. D'emblée, le fondement de l'autori-té, légitime à nos yeux, s'en trouve sapé. Dans ces conditions, com-ment pourrait s'opérer la reconnais-sance dont il était question plus haut ?

• La conséquence de cet état de cho-ses, c'est que l'autorité du profes-seur risque d'apparaître comme l'expression de la volonté person-nelle de l'adulte. L'autorité ici fait place à l'arbitraire : de fait, les élè-ves ne manquent pas de répertorier avec éloquence les caprices, ma-nies, lubies de tel ou tel ensei-gnant : c'est la preuve que le rapport commandement : obéis-sance se trouve ainsi transformé en pur rapport de forces, dans lequel l'élève oppose son désir à celui de l'adulte.

Rousseau nous montre bien quels sont les effets néfastes qui en résultent : soit l'élève se soumet purement et simplement (et plus grave, il apprend à se soumettre à tous les arbitraires à venir : l'autorité de l'opinion, celle de la mode, des médias, etc.). Soit il se rebelle, et apprend à user de la dissi-

Hélène Vassal Christophe Vallée

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mulation et du mensonge. Dans les deux cas, les finalités de l'éducation sont compromises. Il est bon alors de revenir à ces fins, qui seules justifient l'autorité. Que vise une telle autorité? Paradoxalement, elle ne doit pas viser l'obéissance : en ce sens, l'autorité du professeur n'est guère comparable à d'autres modèles d'autorité, et en particulier au modèle politique. Si le seul but est de produire un ordre, la contrainte serait un moyen beaucoup plus efficace, et l'au-torité se réduirait à une pure disci-pline. (A cet égard, il convient de sou-ligner que le récent changement de terminologie dans les collèges et dans les lycées - où les «surveillants», les «censeurs», les «conseils de disci-pline» ont disparu- est bien l'indice d'une difficulté; difficulté d'ailleurs non résolue, puisque le changement opéré semble quelque peu formel).

• LA FIN DE L'AUTORITÉ : LA LI-BERTÉ L'autorité qui poursuit comme fin la discipline détruit donc l'essentiel de l'acte éducatif : la liberté de celui qui y est soumis, le respect mutuel. Mais que devons-nous respecter chez l'au-tre, pour que naisse un rapport d'au-torité authentique ? Respectera t-on l'élève pour son savoir ? C'est impossi-ble, nous l'avons vu, puisque ce savoir n'est pas constitué. Devrons nous res-pecter ses qualités ? La démarche se-rait arbitraire : au nom de quels critè-res privilégier telle qualité singulière ? Nous ne pouvons donc respecter en autrui que son appartenance à l'idée que je me fais de la dignité de l'homme, comme être de raison. Mais, paradoxalement, cette autorité morale par essence, je ne peux la manifester

que sous une forme affective, patholo-gique, qu'elle soit réelle ou feinte :

- Simone de Beauvoir : «A priori, vous aviez une sympathie pour les élèves, pourquoi ?» -Jean-Paul Sartre : « A priori. »

(La Cérémonie des adieux, dialogue avec Sartre, Gallimard, p.330). Ainsi, la Sympathie, la bienveillance re-lèvent d'une attitude profession-nelle sans laquelle aucune autorité ne peut se manifester. Quant au maître, en quoi devrait-il être objet de respect ? S'agit-il de la maîtrise d'un certain savoir, respecté en soi aussi bien par celui qui le dis-pense que par ceux qui le reçoivent ? Ou encore s'agit-il de respecter une personne, indépendamment de sa fonction et de sa compétence? On di-ra, certes, que dans la classe, les élè-ves font l'apprentissage de leur liberté par l'exercice de la réflexion, comme en témoignent les instructions de 1925, toujours actuelles dans leur principe : il faut permettre aux élèves «d'être des citoyens capables d'exer-cer le jugement éclairé et indépendant que requiert notre société démocrati-que». On ne peut s'attendre pour autant à ce que des élèves nous signifient, même sur le mode implicite, comme l'Emile de Rousseau : « Je veux obéir à vos lois, je le veux toujours, c'est ma vo-lonté constante; si jamais je vous dé-sobéis, ce sera malgré moi; rendez-moi libre en me protégeant contre mes passions qui me font violence ; empêchez-moi d'être leur esclave et forcez-moi d'être mon propre maître en n'obéissant point à mes sens, mais à ma raison.» (J.J Rousseau, oeuvres complètes, t. IV, Pléiade, p.651).

Hélène Vassal Christophe Vallée

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Au sein de l'institution scolaire, le contrat est vide de sens et nulle auto-rité ne pourrait en résulter; les élèves ne sont pas formés, ainsi que le sou-haitait Rousseau, à l'écart des hom-mes et de la société. Si les élèves res-pectent l'autorité de ceux qui ensei-gnent, leur respect ne découle certai-nement pas d'un contrat pédagogique, puisqu'il s'exerce avant la compréhen-sion de ses raisons. Ainsi, l'origine de l'autorité, qui réside tout entière dans l'affectif (sentiment de confiance, de tact, sincérité, cordia-lité, etc.) doit être distinguée de son fondement authentique, autorité du savoir, autorité morale. C'est pourquoi nous n'obtiendrons jamais que des formes empiriques, singulières du rap-port d'autorité : nous n'en avons que des exemples, et jamais des modèles. L'autorité, sans laquelle l'enseigne-ment semble impossible, n'a pas de rapport avec l'exercice de la force et de la contrainte. Mais elle n'est pas davantage la liberté en acte. «Dans le monde moderne, disait Han-na Arendt, le problème de l'éducation tient au fait que par sa nature même, l'éducation ne peut faire fi de l'autorité ni de la tradition, et qu'elle doit cepen-dant s'exercer dans un monde qui n'est pas structuré par l'autorité ni re-tenu par la tradition.» (Hanna Arendt, La crise de la culture, Gallimard-Idées p.233).

L'autorité, ne peut être que l'autorité de la tradition, le respect du passé. Un tel savoir n'a pas pour enjeu la dé-fense d'intérêts matériels et sociaux, et il est d'autant plus difficile d'obtenir une autorité, si, comme le souligne l'auteur, notre société cultive l'obses-sion de la nouveauté, le culte de la consommation et de l'utilité immé-diate. Alors, «c'est justement pour préserver ce qui est neuf et révolu-tionnaire dans chaque enfant que l'éducation doit être conserva-trice.» (ibid, p.247). Elle doit être conservatrice, afin de ne pas être réactionnaire. C'est dire que l'autorité qui s'impose est d'abord et nécessairement irrationnelle; mais que la difficile tâche de l'enseignant est de la transformer progressivement en une autorité du savoir et de la liberté. Nous ne pouvons pas faire l'économie d'une réflexion sur cet accomplisse-ment : ce serait adopter le mépris de l'ignorance, ou tout simplement, ver-ser dans l'autoritarisme.

Hélène Vassal Christophe Vallée

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Parler d'autorité est toujours suspect. Surtout dans une société qui se dit libérale et moderne, l'évocation de l'autorité fait penser à l'ancien temps, époque où les règlements primaient, l'ordre sévissait, la discipline ne pro-voquait aucun regret. Dans l'esprit des adultes, les connotations demeu-rent, avec leur assemblage d'images que nul n'oublie. Chaque époque té-moigne cependant d'un style, d'une façon d'être, d'un idéal ou d'objectifs pour l'Education. On a mis au centre de tout projet de formation l'élève, et le désir de le rendre autonome et responsable. Il ne s'agit plus d'imposer, de repro-duire un modèle mais de s'adresser à un sujet en évolution, avec le droit à l'erreur et le devoir pour les autres de l'aider à progresser, à devenir lui-même. C'est dire si les manifestations de l'autorité changent au fil des dé-cennies, et si les jeunes devenus adultes et enseignants ont imposé, en force, insensiblement, de nouvel-les relations, de nouvelles façons de vivre ensemble. Expression de nou-velles attentes, d'exigences accep-tées, dans un climat de confiance où priment l'échange et le dialogue, où l'on adhère à des valeurs proposées selon les circonstances et les princi-pes dominants. Restent des référen-ces héritées, selon les regards et les modes de vie familiaux et personnels.

Accepte-t-on que le professeur soit chahuté ? Que la tenue ou les com-portements dans un établissement laissent à désirer, qu'un règlement soit bafoué, que la discipline fasse défaut? Aussitôt on taxe les collègues de laxistes ou de démagogues, et leur autorité en pâtit. Mais prend-on le temps de s'expliquer sur les prati-ques, les objectifs, les démarches éducatives et les difficultés à faire vivre des communautés scolaires où se côtoient plusieurs centaines d'élè-ves et des adultes d'âge et d'origine diverses. Dans l'esprit des gens il convient de clarifier une source de confusion dans les concepts et ce qu'ils véhiculent : l'autorité et la hiérarchie/ les pou-voirs, la discipline, les ordres et les consignes. Il semble que l'on assiste à un réveil de ces notions qui pour-raient avoir des relents vieillots. Pour les élèves, aujourd'hui l'autorité ne correspond pas à une nostalgie : elle n'est ni autoritarisme ni violence : pour être acceptée l'autorité doit in-clure une apparence sympathique et reposer sur un contrat librement consenti. Certaines enquêtes auprès de nos élèves ne révèlent-elles pas un portrait type de l'enseignant com-pétent, qui fait autorité ? Celui qui se fait respecter, non pas par le prestige du grade ou du diplôme, d'un curricu-lum étonnant ou admirable, non pas

NOTIONS D’AUTORITÉ...

L’autorité vue par deux chefs d’établissements

I Les éléments de l’autorité

Michel Assémat Proviseur

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par un style copain et frimeur voire sé-ducteur, encore moins par la brutalité des contrôles inattendus et des sanc-tions exemplaires, mais celui qui cher-che à construire des savoirs, à aider les élèves à surmonter leurs difficultés, celui qui construit ses cours et fait as-similer des connaissances, celui qui fait des cours clairs, donne des lignes co-hérentes rigoureuses, bref celui qui sait s'imposer et donner le goût de travail-ler et de réussir. L'autorité naît dans la qualité de la re-lation: dans la capacité à écouter, à déceler les obstacles, à faire progres-ser, à dialoguer. L'autorité naît de la compétence professionnelle, du savoir-faire, de la qualité dans les relations qui se tissent au sein de l'établisse-ment. Elle s'apprécie davantage dans l'exer-cice quotidien des fonctions, dans l'ha-bileté à construire les interactions, à mettre en oeuvre des démarches qui visent une qualité éducative et d'échange entre tous les partenaires de l'institution, que dans l'état formel, les titres, la structure pyramidale. L'autorité c'est ce fil invisible tissé d'exigence, de rigueur, de devoir et le fruit d'un compromis subtil entre celui qui s'éveille à la vie sociale et ceux qui l'accompagnent dans ses efforts per-manents pour émerger vers l'autono-mie. Si elle prend l'apparence de l'or-dre, de la bonne organisation, de la précision c'est pour assurer à tous un cadre confortable où puisse s'épanouir un espace de liberté pour progresser, dans le respect d'autrui, l'égalité, la tolérance et la solidarité ; de l'école primaire à l'Université, car les décala-ges sont permanents entre celui qui sait et représente un pouvoir et celui qui aspire à être, en contestant au be-soin l'ordre établi.

L'autorité unifie les pratiques. Elle ras-semble les buts de la formation et les méthodes, elle relie les comportements aux aptitudes et aux valeurs fonda-mentales. Pour apprendre à lire, à écrire, à compter, à vivre en groupe, à travailler seul, pour apprendre à se connaître et à lire le monde, à décou-vrir la société, à comprendre des pro-blèmes, à exercer un sens critique, à inventer des solutions, à s'ouvrir aux autres, à les apprécier, l'élève a besoin de se forger des outils, de maîtriser des démarches fondamentales. Toute démarche est au coeur d'un projet éducatif et l'acquisition de méthodes est l'affaire de tous. L'autorité sous-tend alors toute construction et fédère l'organisation responsable mise au ser-vice des jeunes pour l'avenir, une in-sertion éventuelle. Sans contrainte mi-nimum pas d'assiduité ni d'obligation de résultat, pas d'apprentissage, ni compétences de bases, pas de goût pour l'étude, pas d'intégration dans le monde du travail, pas de reconnais-sance sociale et difficulté à structurer une personnalité. Si le but de l'éducation c'est de rendre l'homme autonome, c'est-à-dire capa-ble de se gouverner soi-même dans le respect de sa dignité personnelle, avec un sens social aigu, avec le désir de servir, d'être utile aux autres, l'autono-mie ne s'improvise pas, c'est une conquête lente. De l'enfant à l'homme le chemin est long. Et l'enfant a besoin d'exemples, de références, de se sentir guidé, éclai-ré, soutenu, conseillé pour devenir lui-même, apprendre à se connaître et à évoluer de lui-même. Toute éducation possède ses contraintes, impose ses modèles : même les pédagogies non autoritaires deviennent suspectes, dans ce qu'elles cherchent à se faire admettre par les maillons les plus fai-

Michel Assémat

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bles de la chaîne... La seule autorité reconnue et moderne à laquelle on puisse adhérer et donner crédit immé-diat est une forme concertée qui puise ses racines dans l'intelligence et la compréhension mutuelle. Dans nos établissements scolaires si l'on admire les compétences les savoir-faire, les mérites, des situations de réussite, les diplômes c'est que l'on re-connaîtchez les autres une forme d'autorité dans le savoir, dans la façon d'être, d'agir, de s'exprimer, d'établir une relation, de faire travailler, d'accompagner les ef-forts, de prendre en compte des résul-tats ou une habilité supérieure à faire respecter des règles, à transmettre des valeurs, à veiller sur la formation des jeunes. L'autorité, refuge de valeurs, de continuité, dans un monde en transition. Faire vivre une communauté éducative qui rassemble plusieurs centaines de personnes, des jeunes et des adultes, sous le regard d'une cité, dans une so-ciété en évolution suppose une struc-ture, des habitudes, des types de rela-tions. Sans ordre apparent, sans règles précises, sans organisation, sans hié-rarchie, la loi de la Jungle, ou une vie de société organisée, voilà le choix. Dans le mode de fonctionnement de nos établissements, on peut distinguer un lot de constantes et des variables : une façon d'être inculquée, l'héritage d'une tradition, le fruit d'une éduca-tion : le style d'organisation se modé-lise, il se fige dans ses grandes lignes, on le vit, on le reproduit, chacun dans sa fonction, dans un rôle, à une place définie. On peut s'émerveiller de cette apparence de similitude, d'un établis-sement à l'autre... Et pourtant chaque établissement a sa propre histoire et

ses composantes originales, sa popula-tion, avec ses caractéristiques, son identité, ses différences dans ses rap-ports humains. Rien n'est figé définitivement : les hommes changent, évoluent, les rela-tions humaines aussi. Est-il si facile cependant de définir un climat, une ambiance, une atmosphère ? Comment évaluer les types de relations, si impor-tantes pour chacun, depuis l'accueil jusqu'aux conditions de vie et de tra-vail réservées à tous, adultes, encadre-ment, professeurs, élèves...? Au fil des ans, le sens de l'autorité change. Les tonalités de la perception qu'en ont les personnels se nuancent des initiatives des uns, de la prise de responsabilités des autres, des compé-tences accumulées, individuelles et col-lectives, des moments vécus ensemble (les cours, les fêtes, les réunions, les conseils, les portes ouvertes, ce qui tisse la trame du quotidien et accueille l'événementiel ou le spectaculaire). Si chacun aspire a être reconnu comme personne active, utile, essentielle à l'ensemble, si tous aspirent à la digni-té, à la considération à part égale, rien ne se perpétuerait sans une autorité sous-jacente, une hiérarchie réelle, une discipline partagée et acceptée. Peut-on rechercher une adhésion lucide à des objectifs communs d'éducation sans un engagement profond des per-sonnels et une vie collective basée sur un respect de l'autre ? D'où la nécessi-té d'organiser : c'est-à-dire de prévoir, de mettre en oeuvre (un projet, un plan d'action annuel) une vie éduca-tive, pédagogique, culturelle, sportive conforme aux souhaits de la commu-nauté, d'évaluer et de contrôler les ré-sultats.

Michel Assémat

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Tout contrat collectif ne peut reposer actuellement que sur un sens inné de la responsabilité, de la confiance, pour que l'ensemble des compétences soit reconnu et qu'elles s'interpénétrent au profit de l'action et permettent de dé-passer clivages, individualismes, les limites des caractères. Les mutations rapides et sensibles au sein du système éducatif déconcertent toujours et déstabilisent provisoire-ment : passer d'un ordre immuable, répétitif à une adaptation permanente à des formes, des styles nouveaux né-cessite souplesse, clairvoyance, cou-rage. A l'heure de l'ordinateur et de la télématique, de l'invasion de l'audiovi-suel et des techniques modernes d'in-formation, la communication et les conduites humaines demeurent soumi-ses à certaines règles. Si l'organisation des responsabilités reste hiérarchique, les relations fonctionnelles et indivi-duelles sont plus faciles, détendues, confiantes, directes, humaines et sans doute plus attentives. L'établissement scolaire - avec son lourd héritage napoléonien et son orga-nisation militaire (surveillance, perma-nence, contrôles, enquêtes...) - est in-fluencé par les grandes mutations de la société contemporaine :

- Si les manifestations de l'autori-té ont changé c'est que les mo-des de vie, les mentalités, la hié-rarchie des valeurs, l'exercice des métiers, les relations humaines évoluent au gré des progrès, de la diffusion des techniques et des créations du génie de l'homme, mais aussi sous le coup des

transformations brutales, des ef-fondrements idéologiques, des grands soucis et des fléaux de l'humanité (Sida...). - La consommation de masse a envahi notre société. Vouloir des conditions de vie, de travail, de rencontres améliorées en est une conséquence directe. - L'instruction à la portée de tous a cessé d'être un mythe. Ce qui ne signifie pas que l'illettrisme ne guette pas ! Le besoin d'élever le niveau culturel, de développer l'accès à l'instruction à un niveau de savoir plus haut favorise l'es-prit critique et intensifie la pres-sion sur les jeunes en proie au désarroi et au stress en cas de difficultés.

Le droit à la formation et pour la vie est désormais acquis. On en vient à exiger des savoir-faire, des compéten-ces qui fondent une forme d'autorité plus facilement acceptée que l'autorité discipline. Seule la notion de solidarité, de vie communautaire, l'appel à la responsa-bilité, l'effort de concertation et de dia-logue parviennent à rendre l'autorité supportable et féconde. Seule l'autorité qui réussit à rendre chacun autonome, c'est-à-dire créateur de soi-même dans son devenir, de fa-çon permanente, et en parallèle avec tous les autres responsables est une autorité réelle, efficace de l'éducation. Dans ce sens elle est libératrice, fonda-trice d'une école de la vie et d'une pé-dagogie de l'effort.

Michel Assémat

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NOTIONS D’AUTORITÉ

II Perspectives sur l’autorité

L’autorité était jadis une notion cen-trale dans la théorie politique, dans l'église et dans l'éducation. Aujour-d'hui c'est un vocable qu'on utilise avec d'infinies précautions. Tous les penseurs s'accordent pour diagnosti-quer une crise toujours plus profonde de l'autorité qui accompagne le déve-loppement du monde moderne. L'ap-parition au début du siècle des for-mes de totalitarisme a eu pour ar-rière-fond l'effondrement de toutes les autorités traditionnelles. Le symp-tôme le plus significatif de cette crise et qui indiqua sa gravité fut qu'elle gagna les sphères prépolitiques

comme l'éducation et l'ins-truction des enfants où l'autorité avait toujours été acceptée comme une né-cessité «naturelle» pour assurer la continuité dans la civilisation et introduire les enfants, étrangers en quelque sorte, au monde

«préétabli». La relation maître élève qui dans sa simplicité élémentaire servait de modèle à la pensée politi-que étant discréditée, toutes les au-tres variétés de métaphore et de mo-dèle de relations autoritaires ont per-du leur plausibilité. Quelle est cette autorité perdue ? Le débat ne porte pas sur une autorité en général dont on pourrait sans doute montrer qu'elle fut depuis la nuit des temps toujours déjà perdue. Introuvable

dans le monde moderne, il s'agit d'une forme bien spécifique de l'auto-rité qui eut cours dans le monde occi-dental pendant une longue période et dont on peut faire l'histoire.

* * * Avant d'entrer dans le détail de cette histoire, il convient de bien distinguer ce que l'autorité n'est pas, et n'a ja-mais été. L'autorité qui requiert l'obéissance est souvent confondue avec le pouvoir, ou la violence. Pour-tant l'usage de la force ou de la coer-cition est le signe le plus caractéristi-que de l'échec de l'autorité. A l'oppo-sé l'autorité est incompatible avec la persuasion qui suppose le développe-ment d'une argumentation dans un ordre égalitaire, quand l'autorité s'ap-puie sur un ordre hiérarchique. Juste-ment celui qui commande et celui qui obéit ont en commun la reconnais-sance de la hiérarchie. Les théories de gauche ont souvent une inclination à confondre autorita-risme et totalitarisme, autorité et ty-rannie, pouvoir légitime et violence. La différence réside dans le fait que le plus draconien des gouvernements autoritaires est lié par des lois tandis que le tyran suit son intérêt et sa vo-lonté. En revanche la caractéristique des gouvernements autoritaires, c'est qu'ils sont contrôlés par un code dont

José Fouque Proviseur

Les théories de gauche ont souvent une inclination à confondre autoritarisme et totalitarisme, autorité et tyrannie, pouvoir légitime et violence.

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l'auteur n'est pas un homme. Il s'agira des lois de la nature, des commande-ments de Dieu, des idées platonicien-nes: la source qui légitime l'autorité est extérieure au système politique, elle le transcende. Là ou l'homme de gauche voit un arrêt momentané de la marche du monde vers la liberté, le conservateur voit un processus de ruine qui a privé la liberté de ses limi-tes et la voue à la ruine. Ainsi la tyrannie et le totalitarisme sont-ils identifiés et le gouvernement totalitaire apparaîtra comme le résultat de la disparition de toutes les autorités traditionnellement reconnues : c'est l'argument de droite contre la démo-cratie. Il est possible de proposer des modèles pour chacun des types de gouvernement concernés. Modèle auto-ritaire, pyramidal, chrétien. Chaque strate reçoit sa parcelle d'autorité de-puis le sommet, lui-même en contact avec le foyer transcendant. L'inégalité est érigée au rang de principe. Le tyran en revanche est seul contre tous,

égaux dans l'oppres-sion. La tyrannie est un système égalitaire dans lequel le tyran est exclu de l'humani-té.

La structure de l'oignon correspond à l'organisation totalitaire. L'espace vide figure le lieu du chef. La relation auto-ritaire ou d'oppression tyrannique se fait non plus de l'extérieur, mais de l'intérieur. Les strates: organisations de sympathisants, syndicats, membres du parti, formation d'élite... sont re-liées et constituent la façade pour une face et le centre pour l'autre. Chacun joue le rôle du monde extérieur pour la strate immédiatement intérieure et le rôle de l'extrémisme radical pour la strate immédiatement extérieure.

L'esprit de gauche et le conservatisme sont liés l'un à l'autre. L'esprit de gauche veut restaurer la liberté, le conservatisme l'autorité. Il s'agit des deux faces d'une même mé-daille. Dans un scénario nous allons au paradis, dans l'autre c'est l'enfer qui nous guette. L'autorité aurait disparu, tant dans les systèmes prétendus auto-ritaires que dans les sociétés libres. Quel-les étaient donc les expériences politiques qui correspondaient au concept d'autorité et dont il a surgi?

* * *

L'autorité comme facteur primordial de l'organisation sociale n'a pas toujours existé même si son histoire a fait long feu. Le mot et le concept sont d'origine romaine. Ni la langue grecque, ni les diverses expériences de l'histoire de la Grèce ne montrent la connaissance de l'autorité et du mode de gouvernement qu'elle implique. On peut s'en convain-cre à la lecture de Platon et d'Aristote qui ont tenté d'introduire quelque chose qui fût parent de l'autorité dans la vie publique de la polis. A cause de cette absence d'exemple, Platon va s'appuyer sur des types de relations humaines du domaine privé dans sa recherche d'un modèle dans lequel l'élément de contrainte réside dans la relation elle-même. C'est dans la République, où il s'agit d'établir la raison comme dirigeante dans le do-maine politique par le truchement du philosophe-roi, que Platon approche le plus le concept d'autorité. Platon pense que la vérité évidente contraint l'esprit sans violence et sans qu'il soit néces-saire de faire appel à la persuasion ni à l'argumentation. Seulement la coerci-tion par la raison ne peut s'appliquer qu'au petit nombre. Comment soumet-

L'esprit de gauche veut restau-rer la liberté, le conservatisme l'autorité. Il s'agit des deux faces d'une même médaille.

José Fouque

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NOTIONS D’AUTORITÉ

tre à la vérité la multitude? Il résout le problème par le mythe final de l'enfer qui aura le succès qu'on sait dans l'oc-cident chrétien. Platon pour mettre en évidence un principe légitime de contrainte se laisse guider par l'exem-ple du berger et de son troupeau, du timonier d'un navire et des passagers, du médecin et du malade, du maître et de l'esclave. Ou bien le savoir du spé-cialiste inspire confiance, ou bien celui qui commande et celui qui obéit n'ap-partiennent pas à la même catégorie d'êtres. Le présupposé commun c'est qu'il y ait deux différentes classes d'hommes, qu'il existe une inégalité

naturelle entre le maître qui sait ce qu'il faut faire et l'esclave qui le fait. Le philosophe sort de la caverne, quitte la multitude aveugle pour

contempler l'essence vraie de l'être. A ce moment l'idée n'a pas de caractère spécifiquement contraignant; mais à son retour dans la caverne obscure le philosophe, dans l'embarras, a recours à ce qu'il a vu comme à des normes, des mesures qu'il utilise comme des instruments de domination. La consé-quence en est au bout du compte que la mesure de toutes choses est un principe transcendant. La fracture en-tre la vision de la vérité dans la soli-tude et le retrait, et l'inscription dans l'action et la relativité des affaires hu-maines est devenue un lieu commun de la tradition de la pensée politique.

* * *

C'est à Aristote qu'on doit la deuxième tentative pour établir un concept d'au-torité en terme de dirigeants et de diri-gés. Pour maintenir cette opposition

Aristote fait appel, et c'est le premier dans l'histoire, à la nature «qui a insti-tué la différence entre les jeunes et les vieux destinés, les uns à être comman-dés et les autres à commander». Aris-tote se trouve lui aussi devant une dif-ficulté. En effet dans la Politique il défi-nit la polis comme «une communauté d'égaux en vue d'une vie qui soit po-tentiellement la meilleure»; comment donc justifier l'existence de dirigeants et de dirigés ? Chaque citoyen appar-tient à deux ordres d'existence, le do-maine privé et le domaine public qui est le bios politikos, «la vie bonne». De ces deux ordres seule la communauté domestique est concernée par la satis-faction des nécessités physiques, la conservation de la vie individuelle et la survie de l'espèce. Cette maîtrise de la nécessité ne peut être réalisée qu'en commandant et en faisant violence aux autres qui, comme esclaves, dispen-sent les hommes libres d'être eux-mêmes contraints par la nécessité. Ainsi la polis et «la vie bonne» du bios politikos commencent après que toutes les nécessités pures et simples ont été maîtrisées par la domination. En somme, le recours au modèle jeune/ vieux n'est pas vraiment cohérent, il s'agit là aussi d'une solution de for-tune. La relation jeune/vieux est péda-gogique et se produit entre des gens qui sont potentiellement égaux. Cepen-dant la substitution de l'éducation à la domination a eu des conséquences d'une grande portée. Sur ces bases les dirigeants se sont posés comme des éducateurs et les éducateurs ont eu la tentation de diriger ou en ont été accu-sés. Les tentatives de la pensée grecque pour trouver un concept de l'autorité propre à éviter la détérioration de la polis ont échoué faute d'une expé-rience politique immédiate. Et ainsi tous les modèles d'autorité utilisés par

Platon pour mettre en évidence un principe légitime de contrainte se laisse guider par l'exemple du berger et de son troupeau, du ti-monier d'un navire et des passa-gers, du médecin et du malade

José Fouque

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NOTIONS D’AUTORITÉ

les générations suivantes ont été tirés d'expériences non politiques. Sans les Romains, cette pensée aurait conservé son caractère entièrement utopique.

* * *

Au coeur de la politique romaine, du début de la république à la fin de l'em-pire, se tient la conviction du caractère sacré de la fondation : une fois qu'une chose est fondée elle demeure une obligation pour toutes les générations futures. S'engager dans la vie politique voulait dire conserver la fondation de la cité de Rome. A la différence des Grecs, qui où qu'ils fussent, étaient une polis, les Romains, liés religieuse-ment à la cité et au passé, considé-raient en quelques sorte le monde en-tier comme un arrière-pays de Rome. Re-ligare : être lié en arrière. Le pou-voir de la fondation lui-même est reli-gieux car la cité offre un foyer aux Dieux; autre différence avec la Grèce dont les dieux avaient leur propre sé-jour. Le mot auctoritas dérive du verbe au-gere, «augmenter», et ce que l'autorité augmente, c'est la fondation. Le Sénat, les Patres détenaient par héritage l'au-torité des ancêtres fondateurs. L'auto-rité, au contraire du pouvoir, avait ses racines dans le passé. Auctor, qui a le sens d'auteur, peut être utilisé comme le contraire d'artifex qui désigne les fabricateurs. Le prestige est attaché à l'auteur plus qu'au fabricateur, mais pas dans le sens de la relation maître à esclave, car ceux qui ont l'autorité n'ont pas le pouvoir. En effet, l'autorité que le Sénat ajoute aux décisions poli-tiques n'est pas de l'ordre du pouvoir, mais de l'avis qu'on ne peut outrepas-ser sans dommage. La force liante de cette autorité est en rapport avec la force religieuse des auspices qui, à la différence des oracles grecs, n'indi-

quent pas le cours des événements mais rêvélent leur approbation ou leur désapprobation. A tout moment de l'histoire s'attache le poids entier du passé. La gravitas est l'aptitude à porter ce poids. Tout ce qui arrivait était trans-formé en exemple. Contrairement à notre concept de maturité tourné vers l'avenir, la maturité des Romains est dirigée vers le passé. La victoire de l'esprit romain et de la trinité "autorité, tradition, religion" a permis à l'Eglise de venir à bout des tendances anti-politiques et d'offrir aux hommes, en son sein, un sens de la citoyenneté. En effet la base de l'Eglise comme com-munauté de croyants n'était plus la foi dans la résurrection; il s'agissait de témoigner de la vie, de la mort et de la résurrection du Christ. Comme témoins de cet événement les apôtres purent devenir les «pères fondateurs de l'Eglise». L'Eglise catholique a incorpo-ré la philosophie grecque, amalgamé le concept politique romain d'autorité à la notion grecque de mesures et de règles transcendantes. Rien ne devait par la suite s'imposer avec une plus grande autorité. Si bien qu'il sera vain de vou-loir sauver la tradition sans l'autorité et la religion, ou d'imaginer un monde sans la tradition qui conserve l'autorité et la religion. Ainsi tout se passe comme si nous avions oublié l'unique expérience politique qui a introduit l'autorité comme mot et que nous ne puissions plus nous référer qu'aux mo-dèles grecs authentifiés par la tradition romaine, mais qui ne correspondent à aucun modèle politique.

* * * Pourtant dans l'histoire récente, il existe un type d'événement pour lequel la notion de fondation est décisive : il s'agit des révolutions modernes dont

José Fouque

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l'ancêtre sur le plan de la pensée est Machiavel. Machiavel, reconnu comme le père de l'Etat-Nation, crut possible de répéter l'expérience romaine par la fondation d'une Italie unifiée. A la suite Robespierre pensera que la fondation était l'acte politique central. Mais à la différence des Romains qui situaient

cette action dans le passé, eux pen-saient que pour cette «fin su-prême» tous les moyens étaient justifiés, ramenant ainsi l'acte de fon-dation à un acte

de fabrication. La redécouverte de l'ex-périence de la fondation et son appro-che comme justification des moyens en vue d'une fin suprême sont les mar-ques caractéristiques des révolutions modernes. Ce qu'on appelle crise, dé-cadence ne consiste que dans le déclin de la religion, de l'autorité, et de la tra-

dition. En ce sens les révolutions que l'on conçoit généralement comme des cassures, peuvent apparaître comme des tentatives pour réparer les fonda-tions, renouer le fil d'une tradition spé-cifiquement romaine, pour rétablir, en fondant un ordre politique, ce dans quoi on croirait possible de restaurer le moyen de donner de la dignité et de la grandeur aux affaires des hommes. Ces tentatives ont échoué ou bien se sont terminées dans la tyrannie. L'autorité, comme on l'a vu, naissant de l'expérience romaine de la fondation et repensée dans les termes de la phi-losophie politique des Grecs, n'a nulle part été réinstituée et sans doute n'a-t-elle jamais existé. Autorité transcen-dante, autorité introuvable ? Depuis le tout début de la vieille démocratie, le plus urgent est peut-être de penser la nécessaire absence de l'autorité ; en tous cas, les fondements de sa fonda-tion ne sont pas rassurants.

les révolutions que l'on conçoit gé-néralement comme des cassures, peuvent apparaître comme des tentatives pour réparer les fonda-tions, renouer le fil d'une tradition

José Fouque

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AUTORITÉ ÉDUCATION PÉDAGOGIE

L’autorité à l’école François Dubet Professeur de Sciences de l’éducation Université de Bordeaux

D ’un point de vue sociologique, le problème de l'autorité est commandé par celui de la légitimité. En effet, dans la plupart des cas, l'autorité ne repose pas sur un recours direct ou sur une menace de recours plus voilée à la violence. Souvent même, l'usage de la violence et de

la menace est perçu comme un échec car l'autorité n'est plus légitime, elle n'est que la force. Autrement dit, l'autorité repose sur l'acceptation de ceux qui la subissent, qui la pensent légitime et parfois, qui la désirent. On a coutume, après Max Weber, de distinguer quatre types d'autorité. La pre-mière repose sur une légitimité traditionnelle; l'obéissance vient de ce qu'elle est définie comme étant dans l'ordre des choses. La seconde, la légitimité ra-tionnelle-légale, suppose que les acteurs admettent la compétence spécifique de celui qui exerce l'autorité, celle du médecin sur le malade par exemple, ou la légitimité et la légalité des procédures définissant l'autorité, le concours, l'élec-tion... La troisième catégorie d'autorité, de type émotionnel, mobilise des liens affectifs, des traits psychologiques, un charme personnel... Enfin, Weber pro-pose le type d'autorité charismatique résultant de l'identification d'un acteur à des valeurs et à des principes généraux : le prophète identifié à Dieu ou la na-tion, le savant, à la connaissance... Dans la plupart des relations d'autorité «concrètes», un type domine, mais les autres sont aussi souvent présents et le renforcent. Ainsi, l'autorité traditionnelle de l'instituteur était aussi rationnelle, on croyait à ses compétences, et souvent charismatique ; comme le notait Durkheim, elle avait «quelque chose de sacré» dans les années du combat laïque de l'aube de la troisième république. L'enseignant bénéficiait d'une légitimité traditionnelle déjà là qui en faisait souvent un petit notable. Dans une France encore faible-ment scolarisée par les études secondaires, il s'appuyait sur un large crédit d'indifférence ; les professeurs sont plus exposés aux blessures, au ressenti-ment et à la dépendance. Le chef d'établissement n'est plus un personnage protégé par une autorité tra-ditionnelle et formelle d'autant mieux acceptée qu'il n'intervient guère dans la vie de l'établissement. Avec l'autonomie des établissements et la nécessité de construire des politiques autonomes, les responsables administratifs se trou-vent placés, face aux professeurs, devant le même problème que les ensei-gnants face aux élèves. La démonstration des compétences, d'une part, et des «qualités humaines», de l'autre, se substitue à la tradition. Ainsi, l'autorité est sans cesse construite et négociée, elle n'est plus vécue comme un rôle, mais comme une menace et un accomplissement.

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Les rapports d'autorité dans le milieu scolaire ne sont certes pas différents dans leurs manifestations ordinaires de ceux des autres structures sociales. En ces temps de troubles d'identité, il est frappant de constater que la majeure partie des adolescents scolarisés récla-ment davantage d'autorité . Reste à sa-voir quelle autorité ils revendiquent et si elle est la même pour tous, et parti-culièrement dans les établissements scolaires où les réalités diffèrent selon le statut occupé. En d'autres termes, y a-t-il communauté de vue entre élèves et enseignants, entre adolescents en quête de savoirs et de pouvoirs nou-veaux et adultes, eux-mêmes déten-teurs de pouvoir. Afin de répondre à ces interrogations multiples et définir en même temps le concept d'autorité, il me semble préférable d'appuyer mon argumentation sur des exemples concrets, tirés de mon expérience en tant qu'enseignant et conseiller princi-pal d'éducation.

UNE DÉFINITION ÉQUIVO-QUE. Lorsque j'ai fait mes premiers pas à l'Education Nationale en qualité de pro-fesseur d'histoire et de géographie,

j'étais bardé de certitudes, confiant dans l'enseignement dispensé par mes maîtres universitaires et croyant n'avoir qu'à reproduire et à restituer ce que j'avais appris, à un parterre d'élèves attentifs; il faut dire que la formation pédagogique que j'avais reçue était alors fort rudimentaire ! Le premier conseil que je reçus de mon chef d'éta-blissement fut «de savoir m'imposer dans la classe». Si je reconnais que cet avertissement se révéla en soi très avi-sé, je réfute catégoriquement l'idée de le suivre en dominant autrui. Il m'appa-raît en revanche nécessaire de «dominer» la matière enseignée et les moyens mis en oeuvre pour pouvoir transmettre un savoir. Il faut bien re-connaître que l'autorité repose sur une certaine compétence et surtout sur sa propre crédibilité en tant que personne adulte et responsable. En fait, je crois qu'il ne peut y avoir d'autorité sans cré-dibilité. Il n'en demeure pas moins vrai que les problèmes sont nombreux pour «tenir» une classe et que les rapports entre le professeur et son auditoire sont faussés. En effet, la crédibilité ne re-pose-t-elle pas à son tour sur le pouvoir qu'instaure l'acte d'enseigner ? Ce pou-voir à son tour n'est-il pas renforcé par l'évaluation faite par le professeur, trop souvent fondée sur une docimologie né-gative, voire parfois répressive ?

AUTORITÉ ÉDUCATION PÉDAGOGIE

L’autorité en milieu scolaire Robert Jeandenans Conseiller Principal d’Education

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AUTORITÉ ÉDUCATION PÉDAGOGIE

Compétence et crédibilité, tels sont les maîtres mots de la reconnaissance d'une autorité. Reste à savoir ce qu'ils valent lorsque la personne pour asseoir son autorité ne dispose pas de la re-connaissance de son savoir et de son rôle de pédagogue, mais seulement de sa propre personne dont la fonction demeure mal définie, si ce n'est dans les textes, du moins dans la réalité quotidienne du conseiller principal d'éducation.

AUTORITÉ ET VIE SCOLAIRE. L'expérience que je vis actuellement en compagnie d'adolescents en tant que conseiller principal d'éducation est très différente, de par mon rôle et l'image véhiculée par ma fonction. Je ne dis-pose pas de moyens d'évaluation aussi explicites que ceux des enseignants, tant aux yeux des adultes (parents et enseignants) que des adolescents. En un mot, mon avis sur un élève n'aura pas vraiment une incidence sur son parcours scolaire, réussite à un exa-men, passage en classe supérieure... Si l'autorité et la compétence du C.P.E. sont généralement reconnues par tous, elles sont la plupart du temps teintées de connotations péjoratives. Elles ne sont accréditées que d'une simple fa-culté de sanctionner. Pour certains, l'efficacité de notre tra-vail se mesure au succès de notre in-tervention dans les conflits opposant élèves-enseignants comme dans les chahuts ou lors de contestations d'une décision prise par un professeur en ce qui concerne «la vie scolaire». J'ai l'ha-bitude de ne pas prendre parti sans connaître les tenants et les aboutis-sants des faits et de ne pas «soutenir l'insoutenable» dans un cas comme dans l'autre, afin de ne pas perdre jus-tement ma propre crédibilité. Pour d'autres, plus nombreux déjà, no-

tre compétence est à la mesure de no-tre «efficacité» dans le domaine pure-ment administratif ou dans celui de l'animation surtout lorsqu'un projet mené à son terme a eu des répercus-sions jugées bénéfiques à l'ensemble de la communauté scolaire. Trop sou-vent hélas, cette reconnaissance s'ins-crit directement dans la recherche d'un exutoire face aux manquements du système et dans certains cas des per-sonnes. Pour les jeunes enfin et certains adul-tes, trop peu nombreux, notre habileté est principalement déterminée par no-tre disponibilité reposant sur une cer-taine qualité d'écoute et de dialogue avec les élèves mais également sur une «attention accompagnatrice» dans leur apprentissage de vie d'adulte et non pas seulement d’étudiant tout en sachant que, nous autres adultes, nous ne pouvons pas tout cautionner et ava-liser aveuglement.

LE RÔLE STRUCTURANT ET RASSURANT DE L'AUTORITÉ. L'expérience m'a montré que l'attribu-tion d'une sanction est d'autant mieux acceptée qu' elle s'accompagne d'une véritable justification et qu' elle pro-pose une mesure éducative tout en ré-parant la faute ou le préjudice commis. Les adolescents acceptent mieux ces sanctions dès lors qu'ils en perçoivent la finalité et la justesse, rejetant ainsi toute notion d'injustice, d'abus de pou-voir ou de confiance, voire de mau-vaise foi. Cela pose bien sûr le problème du dia-logue et de l'échange communiquant mais également la question de la per-ception des normes à respecter qui n'est malheureusement pas la même pour tous, variant selon les acquis et

Robert Jeandenans

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AUTORITÉ ÉDUCATION PÉDAGOGIE

les vécus de chaque individu. Il est dit que nul n'est censé ignorer la loi; au-cun membre de la communauté sco-laire n'est donc censé méconnaître le règlement intérieur ; c'est à mon avis l'élément essentiel, trop souvent mé-connu, pour définir les droits et les de-voirs de chacun mais également pour définir et asseoir l'autorité des adultes responsables, voire en limiter les abus. Il est certain que l'autorité n'est crédi-ble que si elle a des référents écrits d'après les textes et les lois en vigueur et que si elle repose sur des mises en application concrètes. En cela, il vau-drait mieux définir les champs d'inter-

vention de chacun et harmoniser tou-tes les mesures coercitives sans omet-tre de dire que l'autorité reste caduque si elle ne peut s'appuyer sur la «crédibilité» de l'Institution Scolaire, prise ici dans son ensemble, du plus haut au plus bas des échelons de la hiérarchie. En tout état de cause, l'exemplarité de notre comportement et la conformité à l'éthique de notre profession, fondée sur le respect des personnes et des biens, sont les éléments primordiaux sans lesquels l'autorité n'est qu'un pouvoir mal perçu et obsolète.

Robert Jeandenans

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AUTORITÉ ÉDUCATION PÉDAGOGIE

L’autorité du professeur ordinaire

En 1976, mon premier rapport d'ins-pection me munissait du viatique ma-gique et rassurant : «professeur qui s'affirme déjà avec autorité». Noir sur blanc le mot laissait présager une car-rière sans soucis. Il vaut mieux avoir des illusions quand on débute ! Quinze années scolaires m'ont montré que rien n'était acquis et que l'autorité n'existait qu'au moment où on avait au plus profond de soi l'absolue certi-tude que ce que l'on demande sera accepté, qu'il n'existera aucun «espace» entre la volonté de l'un et l'acquiescement de l'autre. Cette atti-tude ne se fonde évidemment pas sur une perception objective, raisonnée et raisonnable de la réalité. Qu'est-ce qui peut empêcher un élève de répondre non, purement et simplement à une injonction ? En aucun cas la crainte qui n'est qu'un sentiment réfléchi, mais la sensation immédiate que face à lui, l'assurance est tellement fonda-mentale qu'il ne peut s'y soustraire. Qu'il y ait la moindre hésitation, le moindre doute et la porte s'entrou-vre... Affirmer ensuite que l'autorité ne peut s'appliquer qu'à travers des consignes simples, claires et directes, dans le calme, sans que jamais les exigences

ne dépassent les possibilités et que l'autre ne soit acculé, mais de telle façon qu'il puisse toujours faire une sortie honorable, me semble des évi-dences valables pour toutes les rela-tions humaines. L'autorité ainsi conçue ne peut s'exer-cer tout le temps. Elle ne se détient que par instants, par épisodes et à condition que l'on accepte de s'en des-saisir dès que l'urgence a disparu et que le besoin ne s'en fait plus sentir. Rendre pour reprendre - On ne garde l'autorité que si on accepte de la perdre ! Sentir les moments les plus opportuns, décider des points de tran-saction et faire refluer vers la classe l'énergie conductrice pour qu'elle se transforme en autonomie anarchisante est souvent délicat, demande une grande vigilance, mais sans cette prise de risque l'autorité devient autorita-risme. Longtemps j'ai affirmé que le profes-seur faisait un travail d'acteur / met-teur en scène, et qu'un numéro bien pensé emportait l'adhésion de la classe. Aujourd'hui je ne le pense plus. L'acteur habite un personnage créé de toute pièces, pour un rôle ;

Marie Magdeleine Professeur

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AUTORITÉ ÉDUCATION PÉDAGOGIE

l'enseignant ne peut qu'être lui-même avec ses certitudes, mais aussi avec ses interrogations, et il ne détiendra de vé-ritable autorité que s'il accepte, parfois, de les partager avec ses élèves. Il ne sera jamais la statue du commandeur mais, à terme, c'est à la fois plus sûr et plus efficace. L'autorité ne se possède pas, elle se construit face et avec les autres, dans un échange de type dialec-tique. Nous confondons souvent les manifes-tations et la chose. Si je dois punir c'est que mon autorité a failli, c'est qu'elle a été inopérante. Le discours des élèves est très clair à ce sujet : l'autorité n'est pas la sanction, c'est ce qui l'évite. Il est donc tout à fait faux d'affirmer : «aujourd'hui, il n'y a plus de châtiments corporels». L'autorité est restée intacte,

mais ses palliatifs les plus redoutés font défaut, nous renvoyant à nos faiblesses, d'où la tentation commode d'accuser le système... Il faut détourner au plus vite tous ceux qui y croient encore : le zéro, l'heure de colle ou le renvoi ne sont seule-ment la marque d'absence d'autori-té, mais aussi d'une impuissance à la recherche d'un exemple dont on espère qu'il sera assez fort pour que la situation ne se renouvelle pas. Je n'ai jamais du reste entendu un col-lègue louer l'autorité d'un inspecteur à la suite d'un mauvais rapport !...

Marie Magdeleine

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AUTORITÉ ÉDUCATION PÉDAGOGIE

L’autorité vue par les élèves Élèves de 1ère A Classe de M.-M. Barle

A partir des réponses d'élèves de 1èreA du Lycée de Verneuil sur Avre à la question suivante: «Pour vous, l'autorité d'un professeur

c'est : .......... ce n'est pas : ..........

* * * * Dans les aspects positifs deux grands axes s'imposent à travers la majorité des réponses. Tout d'abord l'autorité est liée à un climat affectif : «une façon de se faire respecter et apprécier...» «un professeur qui sait se faire écouter et qui a du caractère...» «qui sait comprendre et fixer des limites...» «un climat d'en-tente, de complicité, de liberté...» «c'est créer une marge, une mesure...» Dans cette rubrique revient aussi souvent la notion de réciprocité et de justice : «respect mutuel», «communication de chaque instant», «pas d'injustice, de la diplomatie...» Ensuite l'autorité apparaît comme facilitatrice du travail scolaire : «une nécessité pour créer de bonnes conditions de travail...» «motive l'élève à persévérer» «suscite le désir de comprendre et n'hésite pas à répéter» «c'est une capacité à faire passer un enseignement» «le professeur doit prendre en charge l'élève en préservant sa personnalité» «permet de mettre à l'aise pour travailler» «avec les professeurs respectés, le travail est agréable». Trois remarques enfin nous ont paru intéressantes dans des domaines diffé-rents : «l'autorité d'un professeur lui permet de cacher sa peur et sa timidité...» «l'autorité est un moyen de faire changer d'attitude et de nous forger le carac-tère» et : «l'autorité permet au professeur de prendre les mesures et les décisions qui rassurent le proviseur». Voilà un élève qui comprend bien le système ! L'autre versant de la réponse, «l'autorité ce n'est pas...» fait apparaître une sil-houette en négatif d'un enseignement que nous aimerions ne pas connaître, et la convergence des réponses ne permet pas de penser que ce tableau n'est dû qu'à l'imagination enfiévrée d'un élève en mal de revanche :

- ignorer les remarques critiques et honnêtes - empêcher de donner la moindre opinion - pas de droit d'expression - rabaisser - insulter - menacer - bloquer - crainte - abus

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Depuis une vingtaine d'années, les mutations profondes subies par la so-ciété (éclatement de la structure fami-liale, remise en cause de la puissance parentale, démocratisation de l'ensei-gnement, promotion des loisirs) et, d'autre part, les effets de la crise et du chômage nous mettent en présence d'une population scolaire hétérogène pour laquelle l'école, désacralisée, cesse d'être le lieu par excellence où l'on attend du maître un enseignement indispensable à sa carrière future, comme on recevait des parents un en-seignement nécessaire à sa vie per-sonnelle et sociale. Dans ce contexte, que devient l'autori-té de l'enseignement ? Peut-on et doit-on s'efforcer de la préserver dans son intégrité ? Une méthode pour ap-prendre à apprendre, telle que le Pro-gramme d'Enrichissement Instrumen-tal, (P.E.I.)* peut-elle apporter un nouveau regard sur la relation ensei-gnant-enseigné ? L'inattention et le dédain manifestés par nos élèves pour l'école sont par-fois expliqués par le double déclin de l'autorité parentale et magistrale et la tentation est grande de chercher la solution dans un regain de fermeté du maître. Pour rassurante qu'elle appa-raisse, cette solution se révèle-t-elle

efficace en tant que telle et propre à susciter chez l'ensemble des élèves une meilleure concentration et un plus grand désir d'apprendre ? Exercée de façon traditionnelle, elle permet de calmer le jeu, de ménager un climat plus studieux autour des en-fants motivés - ce qui, certes, n'est pas à négliger - mais, pour les autres (la majorité de nos élèves), si elle les réduit pour un temps au silence, elle leur est imposée sans qu'ils intériori-sent les raisons qui la font se manifes-ter. De là une répétition et une esca-lade dans les sanctions sans aucun résultat tangible dans l'acquisition des connaissances, l'enfant demeurant passif et, pour ainsi dire, extérieur au processus d'assimilation. Faut-il alors rejeter les jalons ? Peut-on nier que l'enfant ait besoin de re-pères pour organiser son savoir et ap-prendre à vivre avec les autres ? En ce sens, l'école ne semble-t-elle pas en-core un lieu privilégié pour restaurer des structures ignorées, négligées ou abandonnées par le milieu familial et concourir à sociabiliser l'enfant? Ce-pendant, que deviendront ces repères s'ils sont plaqués sans que l'élève les fasse siens ?

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Innovation pédagogique et autorité Marie-Sophie Lyzcko Professeur, responsable P.E.I.

* Le P.E.I. s’inscrit à la fois dans la lignée de PIAGET et en rupture. FEUERSTEIN, le concepteur du P.E.I., va enrichir le modèle Piagé-tien par celui de la mé-diation. L’idée globale est que le sujet (l’enfant, l’adoles-cent), et cela même dans une société où le scolaire n’existe pas—sociétés dites primiti-ves—, n’est pas soumis à un environnement qu’on pourrait qualifier d’aléatoire. L’interaction

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Notons qu'aujourd'hui encore, le plus souvent, l'autorité du maître s'inscrit dans une relation pédagogique de type bilatéral (maître vers élève, et vice-versa), voire unilatéral ! La dé-marche du Programme d'Enrichisse-ment Instrumental est tout autre. Le médiateur demeure indubitable-ment présent, mais il accompagne, suscite et facilite la réflexion de l'ap-prenant qui, à travers les exercices proposés, est amené à prendre lui-même conscience, de façon de plus en plus lucide, de son mode de fonction-nement mental, de ses déficiences et des moyens de les corriger. Regard du sujet sur lui-même mais également regard et évaluation de ses pairs car, constamment, il doit confronter son point de vue à celui de ses camarades, argumenter, écouter autrui et restituer fidèlement ses pro-pos. Le respect, l'écoute de l'Autre fi-gurent en effet au premier plan des exigences de la méthode, laquelle re-pose en outre sur la certitude de la modifiabilité de chacun. Ce qui suscitait chez bon nombre de nos élèves le désintérêt, la passivité ou la révolte, à savoir une succession d'échecs et la conviction d'être «nul», souvent étayée par une solide réputa-tion, se trouve alors remis en cause par l'attitude du médiateur qui, sans relâche, oeuvre à la restauration nar-cissique du sujet : «Tu t'es trompé ? Cherche la source de ton erreur. C'est ton mode de fonctionnement qui est défectueux, non ton intelligence. Tu es capable de te corriger... Tu as réussi cette tâche. C'est très bien. Peux-tu expliquer ta manière de procéder à tes

camarades ? Quelqu'un a-t-il adopté une autre stratégie?». Cette pratique est communicative et le groupe qui, au départ, pouvait avoir tendance à se moquer, au bout de quelques mois, apprend à valoriser les qualités de chacun tout en analysant sans démagogie les erreurs commises. Peu à peu, la relation enseignant-enseigné se métamorphose et la no-tion d'autorité par voie de consé-quence. Il n'y a plus de place pour une volonté imposée par force; l'autorité recouvre alors l'un de ses sens origi-nels, celui d'influence, de compétence: le médiateur est celui qui possède et explique les règles du jeu, les fait émerger de l'échange, celui aussi qui (c'est le sens d'auctor en latin) accroît les possibilités, jusqu'alors non exploi-tées, de l'apprenant. Au cours de notre pratique du P.E.I, nous avons ainsi vu évoluer sensible-ment le comportement d'enfants répu-tés très difficiles, de cas dits «désespérés». Voilà un enthousiasme qui paraîtra suspect à beaucoup de mes lecteurs. C'est que, de fait, les progrès constatés ne sont ni immé-diats, ni constants, ni toujours specta-culaires. C'est surtout que, pour que le P.E.I. porte pleinement ses fruits, il faudrait que tous les paramètres qui environnent l'enfant y concourent : effectif peu chargé (12 à 15 élèves), consensus de l'équipe éducative et administrative, transfert de la démar-che et des principes à l'ensemble des disciplines, attitude favorable et active de la famille. Or, nous sommes souvent loin de cette situation optimale.

AUTORITÉ ÉDUCATION PÉDAGOGIE

Marie-Sophie Lyzcko

peut même être très ritualisée. Feuerstein estime que la médiation anticipe le développe-ment « naturel ». Un des rôles premiers du mé-diateur est de donner à l’enfant un sentiment de compétence, sentiment essentiel pour l’image de soi, l’autorisation que se donne le sujet d’agir dans et sur son environ-nement. À contrario, les troubles liés à la repré-sentation de soi, l’an-goisse narcissique, sont les symptômes d’une médiation mal ou pas réalisée. L’hypothése de Feuers-tein est donc de poser que si les médiations sont trop pauvres, l’en-fance est en état de carence cognitive, ce qu’il nomme déprivation culturelle. La re-médiation est donc au-tant nouvelle médiation que remède. Une des caractéristiques de sa méthode est l’in-sistance sur la verbali-sation, l’expression. Le P.E.I. met aussi l’ac-cent sur l’idée de pon-tage, de lancer des ponts vers les autres domaines, par le prin-cipe de généralisation qui élargit la réflexion à d’autres champs d’activi-té et celui de transfert qui ancre cette générali-sation dans la vie quoti-dienne ou scolaire. Cf cahier n° 32 Les Modules

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Il faut avouer aussi que l'on ne se dé-pouille pas aisément de ses vieilles pratiques et que, lorsque la classe, nombreuse, ne se met pas assez vite au travail, il arrive que l'on troque en-core son rôle de médiateur pour celui du chef qui impose sa discipline. Pour-tant, jamais l'écoute, la réflexion du groupe ne se révèlent aussi fructueu-ses que lorsqu'elles émanent de son propre consentement.

C'est pourquoi, nonobstant les diffi-cultés auxquelles elle se heurte, l'ex-tension d'une démarche de remédiation telle que le P.E.I. me paraît être une réponse sérieuse au problème de la démobilisation des élèves et des maî-tres et de la dégradation de la relation enseignant-enseigné.

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Marie-Sophie Lyzcko

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AUTORITÉ ET INSTITUTION SCOLAIRE

La hiérarchie et les étagères

Jean-François Launay Principal

« La hiérarchie, c'est comme les éta-gères, plus c'est haut, moins ça sert ! », criaient certains d'entre nous... na-guère ? ... autrefois? ... en tous cas, du temps d'un ministre - dont on se disait «à bout» - qui venait d'instaurer le collège unique. Cette conception post-soixantehuitarde, à moins que ce ne soit la résurgence du vieux fond gaulois, n'est pas caduque, à voir une enquête récente, réalisée auprès des personnels de direction. Un nouveau mode d'évaluation de ces mêmes per-sonnels introduit une typologie qui ne manque pas non plus d'intérêt. De l'enquête quantitative, réalisée au-près de plus de 1000 proviseurs, prin-cipaux et adjoints, il ressort que l'image des inspections académiques et des rectorats est plutôt négative (les mêmes questions prévues pour le ministère ont disparu : on n'est pas masochiste rue de Grenelle)...«On supprime les rectorats et les inspec-tions académiques, on donne la possi-bilité aux établissements d'être auto-nomes et les affaires marcheront net-tement mieux», peut-on lire dans l'en-quête qualitative, où le même interlo-cuteur parle des «autorités académi-ques». Cependant, on constate que,

quantitativement, les rectorats sont plus critiqués que les I.A. : l'étagère la plus haute... AUTORITÉ : LE NON-DIT Le mot «autorité» n'apparaît d'ailleurs guère dans les propos cités par l'en-quête qualitative, propos recueillis dans la région parisienne et la basse Normandie. A vrai dire, il n'est utilisé que par un interlocuteur, sur le thème du partage des rôles entre chef d'éta-blissement et adjoint:«La plupart du temps, c'est le chef d'établissement qui règle tout (...) c'est lui qui a l'au-torité»... Dans l'enquête qualitative, les 2/3 des personnels interrogés se voient comme des «animateurs», n'usant que de conviction et persuasion et surtout pas d'autorité. Mais autant «l'autoritarisme» est lesté d'une connotation éminemment péjorative, autant le «volontarisme» est forte-ment valorisé ; conjugué avec une bonne dose de «charisme», il forme le couple magique de la réussite. Cependant, cette autorité, jamais citée apparaît comme en filigrane. Ainsi un

L’enquête dite qualita-tive répondait à un malaise certain des personnels de direc-tion. Malaise qui don-nera lieu ensuite aux « commissions Blan-chet » et au rapport du même nom. Le système de nota-tion proposé aboutira à un rejet unanime et ne sera jamais mis en œuvre. Longtemps les personnels de direc-tion ne feront—officiellement—l’objet d’aucune évaluation.

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AUTORITÉ ET INSTITUTION SCOLAIRE

proviseur de L.P. déclare avoir été motivé par «l'envie d'accéder à des responsabilités plus importantes...». Un autre précise : «Le rôle du chef d'établissement, c'est un rôle de chef d'équipe, de coordinateur, de meneur d'hommes...» et l'on voit bien la contradiction sous-jacente entre le neutre «coordinateur» et le dynami-que «meneur». Les auteurs de l'enquête qualitative ont, d'ailleurs, bien senti ce non-dit: «... il faudrait apporter une réponse à un problème, toujours présent dans l'enquête, même s'il n'est pas directe-ment évoqué, celui de l'autorité». Et le non-dit prend une place majeure dans cette conclusion : «La question de l'autorité ne nous semble pas moindre [que celle du recentrage sur le produit non la structure]... Conférer aux chefs d'établissements des responsabilités d'actions plus grandes, sans, en même temps, transférer à leur profit de l'au-torité, c'est prendre le risque de lais-ser des responsabilités en jachère.» EVALUATION TYPOLOGIE Avec la typologie, proposée comme échelle d'évaluation, dans la nouvelle procédure mise en place par la D.P.I.D., nous quittons le non-dit, mais entrons dans l'ambiguïté, puis-qu'on deux alinéas successifs, le mot «autorité» est employé dans deux ac-ceptions différentes :

- «... Doit s'efforcer d'étendre l'autorité de sa fonction aux do-maines qu'il néglige... - ... Il lui manque encore l'auto-rité et l'ascendant qui distin-guent les responsables».

D'un côté donc une autorité «fonctionnelle», indépendante de celui qui l'exerce - pleinement ou pas, c'est une autre question - de l'autre une autorité personnelle, liée bien évide-ment à la personnalité de chacun. Il faut noter, toutefois, que cette autori-té personnelle ne vaut pas «le talent de communication et de persuasion» qui seul assure une évaluation excep-tionnelle. Transparaît ici une certaine idéologie du «don» que dénotent net-tement des termes comme «distinguent» et «talent». L'enquête sur «les fonctions et représentations des chefs d'établissement», pas plus que la définition des nouveaux critères d'évaluation n'apportent un éclairage très net sur le problème de l'autorité. Il faut en revenir aux vérités premiè-res. Les personnels de direction sont d'abord, volens noiens, des «fonctionnaires d'autorité (1)», char-gés d'appliquer, à leur place dans la chaîne hiérarchique, les décisions na-tionales, éventuellement adaptées aux réalités régionales et départementales - ce en quoi il ne se distingue guère des autres agents de l'éducation natio-nale, ce dont n'a pas toujours une claire conscience la partie la plus im-portante de ces fonctionnaires, les en-seignants (2) - et chargés surtout de veiller à leur application, dans le res-pect de la réglementation (respect es-sentiel dans un Etat de droit, ce qui ne doit pas empêcher, cependant, d'en dénoncer la lourdeur et les archaïs-mes : l'inflation de textes réglementai-res, dont témoigne le clonage constant de certains volumes du R.I.R., ne peut qu'aboutir à leur non-respect).

Jean-François Launay

(1) «Le chef d'éta-blissement est désigné par l'autorité de l'Etat» (art. 15-7 Loi 83 663). (2) «Tout fonction-naire, quel que soit son rang dans la hié-rarchie est responsa-ble de l'exécution des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instruc-tions de son supérieur hiérarchique...» (Art. 28 Titre 1 Statut de la fonction publi-que, cité par Guy De-laire «Le chef d'établis-sement», Berger-Levrault).

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AUTORITÉ RESPONSABILITÉ A cela s'ajoute une autorité due aux responsabilités liées à la fonction, bien qu'il n'y ait pas un couplage réel entre responsabilité et autorité ; ainsi, le chef d'établissement est censé veiller «au bon déroulement des enseigne-ments ainsi que du contrôle continu des aptitudes et des connaissances» sans bénéficier de quelque pouvoir que ce soit dans ces domaines. En re-vanche, alors que les responsabilités de l'ensemble des enseignants sem-blaient avoir été accrues - ou, au moins, recadrées - par l'instauration de l'I.S.O. (Indemnité de Suivi et d'Orientation), le chef d'établissement se voit doté d'un pouvoir ultime (avant appel bien sûr) sur les décisions d'orientations des conseils de classes. Reste l'autorité «personnelle», ce «talent», cet «ascendant», ce cha-risme, pour tout dire, chose du monde qui n'est pas obligatoirement la mieux partagée. Sous cet angle-là, il n'y a guère à dire, sinon que l'on est «doué» ou pas. Plus intéressant est le point de vue adopté par la conclusion de l'enquête qualitative, qui est celui d'une «formation aux techniques de prise de décision», dans l'optique

d'une véritable professionnalisation de la «fonction d'encadrement» dans l'Education Nationale. Trois degrés d'autorité peuvent donc être dégagés :

- l'autorité «hiérarchique» du fonctionnaire d'autorité; - l'autorité «fonctionnelle» du chef d'éta-blissement; - l'autorité «personnelle» liée à une formation à des techniques précises et plus globalement aux compétences acquises.

Qu'il faille revoir le deuxième, comme le préconise la conclusion de l'enquête sur les «fonctions et représentations des chefs d'établissement» est, sans doute nécessaire; mais pas suffisant ; il faut aussi revoir les rôles des diffé-rents acteurs du système éducatif, car tant que chacun joue le jeu avec ses propres règles, la partie ne sera qu'aléatoirement engagée.

Jean-François Launay

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Bruits en classe et bruits de couloir

Tout débuta le vendredi 5 avril 1991 à Torcy à 23H32. Je buvais paisiblement un café avec des collègues qui se trouvaient là, comme moi, dans cette ville étrange, déserte et triste, pour participer au collo-que annuel de notre Association qui, comme d'habitude, fut fort intéressant. Au cours d'une discussion sur les problè-mes d'autorité dans notre enseignement, j'ai eu la mauvaise fortune de donner mon avis sur quelques points; mauvaise fortune car mes propos semblèrent inté-resser José FOUQUE qui, le regard vif, me suggéra aussitôt de les mettre par écrit afin de les publier ! Tout surpris par une telle proposition, ma réponse fut plutôt réservée. Mais avec obstination, José revint plusieurs fois à la charge dans les mois qui suivirent, avec la complicité efficace de notre ami Mau-rice VERGNAUD. Ils ont eu en définitive gain de cause mais, à vrai dire, je ne trouve pas mes propos suffisamment intéressants et ori-ginaux pour justifier un tel acharnement, amical et sympathique au demeurant. Jugez-en plutôt. • A QUOI PEUT-ON PENSER QUAND ON PARLE D'AUTORITÉ DANS L'ENSEIGNE-MENT ? Pour ma part, j'ai pensé en premier lieu à un point dont les enseignants et les chefs d'établissement parlent peu: la discipline

en classe. On peut se poser à ce sujet plusieurs questions :

1. est-ce un problème important ? 2. un professeur qui a des problè-mes de discipline est-il nécessaire-ment un «mauvais professeur»? ou bien, question équivalente : un bon professeur ne doit-il jamais avoir des problèmes de discipline ? 3. les enseignants osent-ils parler de ces problèmes quand ils en sont eux-mêmes victimes? Sont-ils plus éloquents pour parler de la classe agitée d'un collègue? 4. enfin, les Chefs d'Etablissements, et l'Administration en général, prennent-ils vraiment leurs respon-sabilités dans ce domaine?

• AVANT DE RÉDIGER CET ARTICLE, J'AI EU L'OCCASION DE POSER CES QUES-TIONS À TROIS ÉTUDIANTS QUI ONT FAIT APPEL À LEURS SOU-VENIRS SCO-LAIRES : Léa, 1 8 ans, élève en classe prépara-toire; Pierre, 20 ans, élève ingénieur; Marie 29 ans, élève étudiante en statisti-que médicale. Au début de la discussion, j'ai commencé par dire ce que j'entendais par «problème de discipline» : à mon avis, on peut dire qu'il y a problème de disci-pline dans une classe lorsque, contre le

André ANTIBI professeur à l'université Paul Sabatier de Toulouse et à l'école d'ingénieurs Sup-Aéro. Agrégé de mathématiques, auteur de nombreux livres scolaires. En 1981, il est nommé Directeur de l'Institut de Recher-che pour l'Enseignement des Mathémati-ques (IREM) de Toulouse. Denier ouvrage : «La Constante macabre», Editions Math-’Ador

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gré du professeur, il y a un bruit suffi-samment important pour gêner la concentration de certains élèves et les empêcher de travailler dans des condi-tions normales. Il ne s'agit donc pas for-cément d'un chahut organisé. Certains élèves peuvent fort bien perturber leurs camarades en parlant du sujet traité par le professeur. Je tiens à préciser que l'on ne peut évi-demment pas tirer des conclusions de caractère scientifique ou statistique de cette discussion. Néanmoins, je crois utile d'en signaler quelques points signifi-catifs. TOUT D'ABORD, CONCERNANT LA PRE-MIÈRE QUESTION : «Est-ce un problème important?» Réponse unanime : OUI.

Marie : «soit ça empêche les élèves de travailler, soit ça veut dire que le prof est mauvais : dans les deux cas c'est important.» Léa : « Cette année, au premier trimestre, j'étais assise au fond de la classe en Math (matière impor-tante); j'avais du mal à suivre, par-fois même à entendre, à cause du bruit. Les deux trimestres suivants, je me suis assise devant : ça allait mieux.» Pierre : «C'est un problème très important. Des élèves sérieux sont parfois obligés de travailler dans des conditions pénibles.»

• EN CE QUI CONCERNE LA DEUXIÈME QUESTION : «Un professeur qui a des problèmes de discipline est-il nécessairement un mau-vais professeur ?»

Pierre : «Ce n'est pas une question de compétence scientifique ; c'est avant tout une question d'autorité. Plus la matière est secondaire, plus il faut de l'autorité.» Léa : «Le lundi matin, on a envie de raconter son week-end, quel que soit le professeur.» Pierre : «En T.C., il y avait beau-

coup de bruit avec le prof de math et aucun bruit avec le prof de philo, très autoritaire;» et il ajoute en riant : «à tel point qu'une fois je me suis endormi en cours de philo et le prof m'a tiré les cheveux.»

Relevons au passage qu'un professeur trop autoritaire peut endormir.

Marie : «La réputation suit. Il y a souvent des bruits qui courent sur l'autorité de tel ou tel prof.» Pierre : «Quand on allait en Espa-gnol, on était contents car on pou-vait se défouler.» Léa : «En T.C., quand on a un cours de langue de 16HOO à 17HOO, on est sûr qu'il y aura du bruit.» Marie : «On devrait avoir cours le matin jusqu'à 13HOO et activités sportives l'après-midi».

• EN CE QUI CONCERNE LA TROISIÈME QUESTION : «les enseignants osent-ils par-ler de ces problèmes?»

PIERRE : «en 3ème, le prof de fran-çais nous a parlé un jour d'un pro-blème de discipline que notre prof de math avait eu dans une autre classe. Nous avons répété cela à notre prof d'Histoire-Géo., à l'occa-sion d'un débat en classe ; celui-ci en parla à son collègue qui avait eu le fameux problème de discipline. Ce dernier fit part de son mé-contentement au prof de français qui, à son tour, nous «engueula» et nous reprocha de l'avoir dit au prof d'Histoire-Géo...»

Pas simple tout ça ! Et pourtant, je dois avouer que je n'espérais pas une telle anecdote pour illustrer mon point de vue à ce sujet, clairement indiqué par le titre de cet article «bruit en classe et bruits de couloir». • DERNIÈRE QUESTION : «Les chefs d'établissements, et l'adminis-tration en générale prennent-ils vraiment leurs responsabilités dans ce domaine ?» PIERRE : «en 1ère S, il y avait un chahut organisé en cours d'Anglais. Le prof en-

André ANTIBI

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voyait souvent les élèves chez le Conseil-ler d'Education qui les recevait souvent avec une réaction du type : «elle m'en-voie encore des élèves, celle-là» et leur demandait d'un air désabusé de ne pas recommencer. •JE VAIS À PRÉSENT DONNER MON POINT DE VUE SUR CE PROBLÈME. Tout d'abord, je suis convaincu, comme mes trois interlocuteurs, qu'il s'agit d'un problème important, qu'on a trop sou-vent tendance à minimiser. Certains col-lègues, avec qui j'en ai discuté, semblent persuadés que c'est un faux problème, que ne rencontre jamais le professeur capable d'intéresser ses élèves; il est donc inutile, selon eux, d'en faire une «montagne», de demander une plus grande implication de l'Administration des Etablissements, d'envisager d'éven-tuelles sanctions contre certains élèves... Je pense au contraire, qu'il ne suffit pas toujours d'être un bon professeur, inté-ressant ses élèves, pour ne jamais connaître ce genre de problèmes. C'est bien plus compliqué que cela : il y a d'au-tres facteurs qui interviennent aussi : im-portance de la matière enseignée, besoin de défoulement d'élèves souvent saturés, autorité (au sens le plus abrupt) du pro-fesseur... On a trop souvent tendance, lorsque l'on pense à ces problèmes, à n'envisager que le cas extrême du professeur vrai-ment "mauvais" avec qui tous les élèves chahutent et se défoulent! Il en est rare-ment ainsi (heureusement!). Le plus sou-vent, un petit noyau d'élèves turbulents peut perturber le déroulement d'un cours et empêcher beaucoup d'élèves intéres-sés d'écouter convenablement un profes-seur, qui, malgré ses compétences pro-fessionnelles, n'a pas l'autorité suffisante pour faire cesser le bruit. A mon avis, cette situation est préoccupante : le ren-dement de votre système éducatif n'est pas ce qu'il pourrait être.

• QUELLES SOLUTIONS PROPOSER : Davantage de sanctions ? Une

plus grande implication de l'Admi-nistration des établissements dans ce genre de problèmes ? Une plus grande prise en compte de besoins de défoulement d'un élève normal ? Une diminution du nombre d'heures de cours traditionnels ? Davantage d'activités sportives et artistiques ? Essayer d'imaginer des program-mes encore plus intéressants ? En-seigner aux futurs enseignants comment avoir un minimum d'auto-rité en classe ?... • Ce que je déplore le plus dans la situation actuelle, c'est le fait que les enseignants n'osent générale-ment pas parler de ces problèmes, craignant de passer pour de mau-vais professeurs. Certains collègues doivent probablement exercer leur métier dans des conditions péni-bles, et ils sont le plus souvent dé-sespérément seuls pour s'en sortir. En général les chefs d'établisse-ment s'attachent surtout à la répu-tation de leur établissement et cherchent à éviter tout problème avec les parents d'élèves. • Dans un établissement scolaire, on est au courant d'éventuels pro-blèmes de discipline par des bruits de couloir, que l'on apprend d'abord par les élèves. Pour les ensei-gnants, c'est un peu un sujet ta-bou: on a trop souvent tendance à penser que seuls les mauvais pro-fesseurs peuvent rencontrer de tels problèmes, ce qui, à mon avis, n'est pas vrai. Je ne suis évidem-ment pas en mesure de donner une solution miracle pour résoudre un tel problème ! Néanmoins, si on veut espérer pouvoir améliorer la situation, il faudrait commencer par en parler plus librement. Dans cer-tains cas, j'en suis sûr, quelques conseils, une modification d'horaire pourraient suffire pour améliorer la situation.

André ANTIBI

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L ’éducation fonde une autorité et l'autorité rend possible l'édu-

cation. Le but de l'éducation c'est de rendre l'homme autonome, c'est-à-dire capa-ble de se gouverner soi-même dans le respect de sa dignité personnelle, avec un sens social aigu, avec le désir de servir, d'être utile aux autres, mais l'autonomie ne s'improvise pas, elle est une conquête lente. De l'enfant à l'homme le chemin est long. Et, l'enfant a besoin d'exemples, de références, de se sentir guidé, éclairé, conseillé pour devenir lui-même. Toute éducation possède ses contrain-tes, impose ses modèles. Contestée ou acceptée une forme d'autorité existe. Dans toute société, dans toute hiérarchie sociale ou groupe constitué. Mais parler d'autorité est aussitôt sus-pect. Davantage encore en milieu sco-laire. Pourtant on accepte mal la fréquenta-tion d'un établissement où dominent le laxisme ou la démagogie : on aime que ses enfants soient «tenus», que des principes prévalent, qu'une forme d'autorité s'exerce. On respecte mal les professeurs chahutés, ceux qui «n'ont pas d'autorité»; on admire ce-pendant les compétences de certains, les mérites, les savoir-faire reconnus, les expériences fondées, les diplômes,

on reconnaît donc une forme d'autori-té dans le savoir ou le savoir-faire, dans la façon d'être, d'agir, de s'expri-mer, de faire travailler, d'accompa-gner les efforts, de conforter les résul-tats, de faire respecter des règles de vie, de veiller sur la formation des jeu-nes. Autre forme d'autorité. L'histoire de l'éducation, la succession des réformes, les modes, l'expérience vécue au sein d'établissements diffé-rents montrent combien les idées res-tent confuses dès qu'on parle d'autori-té. L'exercice de l'autorité, les formes de manifestation de l'autorité évoluent sans cesse, et sont multiples. Tantôt on oppose les pouvoirs (professoral, parental, administratif, politique, so-cial, de l'environnement) à l'autorité, ou le pouvoir du groupe (classe, école, niveau) face à un individu ou une exi-gence, la logique pyramidale, le pou-voir ou la présence d'une hiérarchie (de tutelle ou extérieure), le prestige des diplômes, de la réussite sociale ou universitaire, la supériorité des indivi-dus (certains s'imposent, d'autres re-cherchent des leaderships) la disci-pline de l'établissement, le respect des règles,l'existence de sanctions... Sous-jacente à tout critère qualitatif d'am-biance, d'exigence, de résultat, de re-lations internes ou externes est l'auto-rité. L'autorité de l'Institution - héritage des siècles et des générations - avec ses concepts d'éducation, provenant du monde latin ou de la Révolution

L’autorité des adultes dans les établissements scolaires

Michel Assémat Proviseur

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Française est le fondement de toute autorité au sein de nos établisse-ments. La loi la maintient et l'exercice quotidien, la pratique des fonctions à quelque niveau que ce soit l'entretien-nent. Dans les relations personnelles, le pre-mier représentant de l'autorité est le chef d'établissement : sa fonction de représentant du Ministre, de la politi-que voulue par la Nation et l'Assem-blée Nationale, d'exécutant des déci-sions du Conseil d'Administration, de représentant délégué de la politique régionale dans la gestion financière, d'administrateur civil, reconnue par un grade lui confère une autorité hiérar-chique. Il dé-pend de même de l'Ins-pecteur d'Académie et du Recteur, ses supérieurs hiérarchiques à qui il rend compte. Une autorité hiérarchique n'est pas que formelle : elle investit un rôle, donne ou délègue des pouvoirs, confie des missions, mais sur le terrain tout dépend des hommes, de leur person-nalité, de leur conception du métier, de leurs objectifs et des profils de car-rières. Au fil des années, selon les objectifs, les demandes, les pressions de l'insti-tution, mais aussi selon les change-ments de personnes, les recherches, les outils, les circonstances, la fonction d'autorité évolue. La formation y est pour quelque chose, de même que le désir personnel, les rencontres, les échanges interpersonnels y contri-buent en cours d'exercice. Recourir à des stages, à des formations c'est im-plicitement reconnaître des manques, annoncer des besoins, viser des amé-liorations. Mieux se former c'est ac-cepter d'évoluer, c'est s'enrichir d'un bagage nouveau - se risquer à un sur-croît de travail ; ce peut être déstabili-

sant pour son entourage propre, car les modes de fonctionnement des uns et des autres, les approches, les re-cherches de solutions, la mise en oeu-vre de méthodes différentes chassent les habitudes et remettent en cause. Par nécessité et par force, par goût ou par ambition, le chef d'établissement veut réussir. Mais au sein de l'Ecole on vise aussi des résultats, on recherche la voie du succès, non par obsession des palmarès, souci de classement, envie de comparaison. Dans un éta-blissement les élèves sont là pour étu-dier, apprendre, progresser, sans cesse, sans trêve, sans répit. Les membres adultes sont là aussi pour apprendre à évoluer, se perfectionner les uns au contact des autres. L'obser-vation des élèves conduit au mimé-tisme, et non au conservatisme. La vie engendre le changement perpétuel. Les relations ne peuvent qu'évoluer au sein d'une équipe de direction si le chef d'établissement montre l'exem-ple. Une carrière professionnelle est un cheminement d'appropriations constantes, le fruit d'une recherche où la théorie se confronte au réel, un en-chaînement d'expériences rituelles ou originales, d'activités où l'échange in-fluence, nourrit, guide les décisions. Le chef d'établissement doit révéler des capacités dans la compréhension de l'évolution du système éducatif, dans l'analyse d'un fonctionnement particulier. Il doit avoir prise non seu-lement sur l'élaboration d'un projet, la définition d'objectifs, la mise en place de démarches particulières ou collecti-ves, de stratégies. Il doit savoir pré-voir, organiser, planifier les activités, les concertations, les phases de ré-flexions pour amener les décisions, répartir les tâches, contrôler le travail des différents personnels.

Michel Assémat

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Les capacités nécessitent des qualités requises ou développées, comme la pratique d'une écoute attentive, une large ouverture d'esprit, le courage de décisions parfois contestées, des moti-vations, une attention pour soutenir les efforts, la détermination, la volon-té, l'initiative de ses collaborateurs et des acteurs engagés - par sa volonté. Capacités, compétences, force de ca-ractère, tempérament de chef, ne suf-fisent pas toujours dans l'exercice d'une fonction, aussi exaltante soit elle. Pour conduire tout changement, pour désirer des améliorations et les

réaliser, il faut du temps, de la pa-tience, et l'énergie des autres. C'est ainsi que s'imaginent les plans de formation, que sont intégrées des innovations technologiques (conseil de classe avec ordinateur) que se déve-loppe la participation (commission, forum info, groupe de réflexion), s'im-provisent, naissent, prennent forme, se développent des formes de travail en équipe, qu'on peut suivre, voir évo-luer, évaluer des actions qualitatives - ou qui tendent à obtenir un change-ment de situation, à appliquer de nou-velles directives, à concevoir des mo-des de fonctionnement plus perfor-mants.

Michel Assémat

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Ecrire un article sur l'autorité pour un chef d'établissement semble une tâche facile, surtout si l'on a déjà laisser écrire dans la presse nationale que l'on «aimerait être un véritable patron». En fait, il n'en est rien, car qu'est-ce que l'autorité pour un chef d'établisse-ment ? Est-ce : «le droit de comman-der, le pouvoir (reconnu ou non) d'im-poser l'obéissance» comme l'indique une définition du Petit Robert, certaine-ment pas... L'autorité d'un chef d'établissement c'est avant tout celle que lui reconnais-sent les autres et celle que les autres attendent qu'il exerce et sont en droit d'attendre de la fonction qu'il remplit. L'Autorité héritée. Dans le souvenir des parents d'élèves qui ont fréquenté le lycée, le proviseur, homme de l'ombre, était de par sa dis-crétion et son absence sur le devant de la scène, peu connu des élèves, voire totalement inconnu, et ce mystère lui conférait une autorité que renforçait la menace, souvent proférée, mais rare-ment mise à exécution, d'être, pour les plus cancres ou les plus chahuteurs d'entre eux, conduits au bureau de Monsieur le Proviseur. Cette perception d'autorité que j'appel-lerais volontiers d'image, on peut la trouver encore chez certains de nos élè-ves, ceux dont les parents ont fréquen-té jadis le lycée; il en est de même pour les enseignants, surtout parmi les plus

anciens dans l'institution, et qui ont fré-quenté les lycées où la porte toujours close du bureau provisoral ne pouvait se franchir que si le feu était vert... Il est clair que ce système de représen-tation de l'autorité du chef d'établisse-ment est en train de disparaître, y com-pris dans les établissements les plus «classiques», aux traditions anciennes, héritiers de ce passé révolu. L’Autorité désirée. Par contre une autre représentation de l'autorité du chef d'établissement est en train de naître dans nos établissements, même si elle me semble aussi peu ré-aliste que la première forme décrite, c'est ce que j'appellerai une autorité fonctionnelle réclamée. C'est l'autorité que nous demandent d'exercer nos partenaires et notre hié-rarchie. Les membres de la communauté sco-laire, professeurs, agents, parents et élèves demandent au chef d'établisse-ment d'exercer une autorité, de faire preuve d'autorité, quitte à contester cette autorité si elle vient à les gêner. Cela me fait irrésistiblement penser à ce que l'on entend souvent ça et là : «Mais que fait la police?»; dans nos établissements scolaires cela se traduit par «mais que fait l'administration?» pour les professeurs ou «que fait le pro-viseur ?» pour les parents d'élèves.

L’autorité du chef d’établissement Christian Vanleynseele Proviseur

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Il n'est pas rare que les enseignants attendent que l'administration fasse respecter un certain ordre dans l'éta-blissement, empêche retards et absen-ces, impose une stricte discipline hors et parfois dans les classes. Les parents souhaitent, eux aussi, que cette discipline générale soit imposée par le chef d'établissement, mais de plus ils lui demandent, voire exigent, que les professeurs soient tous d'excel-lents pédagogues, faisant travailler avec profit les élèves et réussir leurs enfants..., et ce sans que le proviseur oublie de veiller à la qualité des mets servis à la demi-pension. Quand cer-tains personnels se montrent quelque peu défaillants, les parents n'hésitent plus soit à demander le changement de classe de leur enfant, soit à demander au proviseur de prendre les mesures qui s'imposent pour régler une telle si-tuation, c'est à dire de se séparer de cet enseignant le plus rapidement pos-sible. Les agents de service sont sensibles aux dégradations, les secrétaires aux agressions verbales dont elles sont par-fois victimes de la part des élèves ou de leurs parents. Quant aux élèves ils souhaitent que nous les protégions des vols et des agressions dont ils sont parfois victi-mes. Dans tous ces cas tous demandent au chef d'établissement d'exercer une au-

torité contraignante, de mettre en oeu-vre une forme de répression. Notre hiérarchie, tant départementale qu'académique, souhaite que nous ayons assez d'autorité pour régler les problèmes nous-mêmes, pour éteindre les conflits et faire que le moins possi-ble «d'affaires» ne remontent jusqu'à elle. Avons nous les moyens d'exercer cette forme d'autorité ? Je pense que non. Aux attentes des professeurs, des pa-rents, des agents et des élèves nous ne pouvons, dans la plupart des cas, que répondre par des paroles apaisantes. En effet, quand je reçois des parents d'élèves, dans 90 % des cas ils vien-nent se plaindre d'un enseignant, et, hélas, dans 90 % des cas ces plaintes sont fondées. Que faire? Rien ou peu de choses, à part dialoguer avec le collè-gue incriminé ; il n'existe pas, dans la réalité des faits, de solutions «autoritaires» qui puissent régler ce type de problème (je tiens à préciser qu'il est tout aussi difficile d'appliquer une solution «autoritaire» en cas de chef d'établissement incompétent). Quant aux demandes des élèves, en-core une fois, elles laissent le chef d'établissement impuissant : que faire face à la violence extérieure subie par nos élèves, le vol, la dépouille (y com-pris sur le trajet du lycée au stade), voire le racket ?

Christian Vanleynseele

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AUTORITÉ ET INSTITUTION SCOLAIRE

Les agents eux-mêmes viennent récla-mer des mesures face aux dégrada-tions, graffitis, et autres «tagages» qui augmentent de façon considérable leur travail et rendent vaines leurs tâches déjà très ingrates. Il semble que dans bien des cas, il est demandé aux chefs d'établissement une tâche impossible : exercer une autorité «répressive» alors que l'environnement de notre société est permissif. L'autorité est admise, réclamée, quand elle sert certains intérêts, mais elle est tout de suite rejetée dès qu'elle heurte la liber-té individuelle, les intérêts particuliers des membres de la communauté sco-laire. Ainsi, au nom de la liberté pédagogi-que, combien d'initiatives, de projets de rénovation ont-ils échoué? Quant aux élèves, ils nous expliquent que l'assidui-té n'est pas notre problème, et qu'ils sont capables de prendre leurs respon-sabilités; ainsi, s'ils sont absents, ad-mettraient-ils volontiers d'être sanction-nés le jour du baccalauréat ? Le chef d'établissement se trouve placé ainsi au carrefour d'intérêts souvent antagonistes, de demandes contradic-toires qu'il doit gérer au mieux selon son tempérament et ses propres atten-tes qui, pourquoi le nier, ne représen-tent pas forcément l'intérêt général, la voie royale sur laquelle devrait s'enga-ger la communauté scolaire.

L'Autorité négociée. L'autorité que peut exercer un chef d'établissement me semble proche de cette autre acception, toujours donnée par le Petit Robert : «Supériorité de mérite ou de séduction qui impose l'obéissance sans contrainte, le respect, la confiance.» Je passerai très vite sur la supériorité de mérite pour m'attacher plus particulièrement à la séduction qui est certainement un moyen efficace pour faire prévaloir des solutions, des projets, des idées... Il me semble que la seule autorité possible dans notre sys-tème éducatif est celle qui passe par le dialogue, la discussion, la conviction, car de fait, toute contrainte semble de-venue impossible. Il y a longtemps que la rue de Grenelle ne se fait plus d'illu-sions sur l'efficacité de la circulaire. Mais l'autorité, ou plutôt la marque (le poids spécifique) d'un chef d'établisse-ment existe, cela peut même être me-suré, l'orientation des élèves d'un éta-blissement peut varier selon les chefs d'établissement (Cf. les travaux de l'IREDU de Dijon), et nous savons tous que des projets, des actions peuvent être stoppés par l'arrivée d'un nouveau chef d'établissement. Donc, si cette au-torité en négatif existe, il n'y a pas de raisons objectives pour que le chef d'établissement n'exerce pas une activi-té bénéfique pour l'ensemble de la com-munauté scolaire.

Christian Vanleynseele

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Cette autorité, si elle est reconnue par les autres, si elle ne s'exerce que par le biais du dialogue, de la concertation au sein des conseils ou de commissions, peut aider à harmoniser les intérêts souvent contradictoires des membres de la communauté scolaire car le chef d'établissement est au carrefour de tou-tes les informations, il reçoit les deman-des, connaît les attentes des uns et des autres. De plus il assure, même s'il n'est pas le plus ancien de l'établisse-ment, une permanence, une mémoire de la vie de l'établissement qui lui per-met d'aider à tracer les grands axes d'une politique d'établissement. Bien évidemment, ce travail de concer-tation, de discussion semble bien long et parfois inutile, alors qu'une décision

prise dans un bureau, seul ou avec un adjoint , peut être opérationnelle beau-coup plus rapidement, mais sera-t-elle toujours aussi efficace ? Bien souvent il faut laisser, selon une formule devenue célèbre «du temps au temps» et faire que progressivement, à travers des ins-tances de dialogues, prévues ou non par les textes, des solutions soient trou-vées et des décisions soient prises en commun. C'est pour cela que le projet d'établisse-ment, si nos «techno-structures» hié-rarchiques le laissent vivre, me semble un instrument idéal pour l'épanouisse-ment de l'autorité du chef d'établisse-ment et une raison suffisante pour avoir envie de continuer d'exercer cette fonc-tion, oserai-je écrire, ce sacerdoce.

Christian Vanleynseele

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On peut reprocher au Décret du 30 août 1985 instituant l'E.P.L.E (1). de n'avoir relâché qu'avec prudence l'em-prise de l'autorité centrale sur l'éta-blissement scolaire. On peut aussi reprocher aux acteurs du système éducatif - enseignants, administrateurs - de ne pas exploiter au mieux les espaces d'initiative, d'au-tonomie que crée ce même décret. Mais personne ne peut aujourd'hui contester qu'il existe une dimension locale reconnue de l'établissement scolaire. Certes, cette dimension s'ex-prime diversement. Ce peut être la spécificité des locaux. Ce peut être la spécificité du recrutement des élèves. Ce peut être la spécificité de l'environ-nement économique et social. Bref, cette dimension locale existe bel et bien. Elle est identifiable. Elle est insti-tuée. Et elle doit être gérée. En parti-culier, dans le cadre du Projet d'Eta-blissement. Mais que veut dire «gérée»? Admettons que l'éclosion des Projets d'Etablissement ait pu accréditer l'idée que gérer la dimension locale de l'éta-blissement, ce pouvait être :

1 analyser cette dimension locale (diagnostic) 2 décrire les résultats auxquels on veut arriver (objectifs), résul-tats dont la perception découle bien évidemment de l'analyse; 3 identifier ce sur quoi on va agir (stratégie) pour tenter d'obtenir

ces résultats; 4 dans le cadre de la stratégie, définir des modes d'organisation, des modalités de fonctionne-ment, des opérations particuliè-res (tactiques); 5 évaluer, c'est-à-dire vérifier qu'on a obtenu des résultats et que ces résultats sont conformes à leur définition première; 6 réguler, c'est-à-dire, en fonc-tion des résultats obtenus, déci-der de conserver, de conforter, de corriger ou d'abandonner les décisions prises en phase 4.

Admettons que «gérer» c'est tout cela. Qui gère? En phase 1, il appartient sans aucun doute à la direction de rassembler l'in-formation, de la construire, de la ren-dre communicable, fût-ce avec l'aide d'un G.A.E.P. (2). Mais dès ce stade se pose déjà le problème de la place des acteurs dont il faut bien obtenir qu'ils s'approprient les données de l'analyse. Les phases 2 et 3 exigent évidemment la participation de tous qui, jamais ne feront leurs les objectifs ni la stratégie s'ils n'en ont pas au moins compris la validité théorique. En phase 4 il va de soi que celui qui concrètement agit, est aussi celui qui décide. Quant aux phases 5 et 6, si elles ont intérêt à être conduites par d'autres

La relation d’autorité dans la gestion et l’évaluation du personnel

Jean-Pierre Gaveriaux Proviseur

(1) E.P.L.E. : Etablis-sement Public Local d'Enseignement

(2) G.A.E.P. - Groupe d'Aide à l'Ela-boration du Projet

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en prise directe avec le terrain, elles exigent leur participation à un mo-ment donné. On le voit bien, sous des formes diver-ses, à des degrés divers, la participa-tion des acteurs est requise à chacune des étapes de la démarche. Et c'est bien là que réside tout le problème. A moins que... Dans notre culture professionnelle, l'acteur est presque toujours un acteur collectif. Regarde-t-on ce que l'on a fait, réfléchit-on à ce que l'on va faire, c'est en «Conseil» que l'on regarde ou que l'on réfléchit. Conseil des profs, de classe, d'enseignement, et même d'administration. Si décision concrète il doit y avoir, ce ne peut être autre chose que l'expres-sion d'une volonté partagée, aussi unanime que possible. Il ne saurait être question de nier la nécessité du travail collectif. C'est l'in-dispensable prix à payer pour installer un minimum de cohérence. Mais on sait aussi combien il est diffi-cile de faire exister l'acteur collectif, et, en tous cas, combien il est difficile de le faire fonctionner. Et ce n'est pas seulement ni même fondamentale-ment un problème de techniques, de savoir-faire du type conduire une ré-union ou maîtriser les mécanismes de la prise de décision. En vérité, il faut se souvenir que la transmission du savoir reste un acte individuel. Et, du même coup, la for-mation de l'élève, pour l'essentiel, procède d'une addition de prestations individuelles. Même si la préparation

du cours fait l'objet d'un travail collec-tif, ce qui reste déterminant c'est en-core et toujours ce qui se passe entre le maître et l'élève, entre le maître et les élèves, lorsque la porte de la classe s'est refermée. Autrement dit, pour que le Projet d'Etablissement ne reste pas lettre morte, il faut bien que chacun s'en empare; il faut bien qu'il devienne pour chacun le cadre de référence dans lequel va s'inscrire l'action quoti-dienne. Il est clair que l'on n'y parvient pas par le seul management des groupes constitués. A un moment donné, il faut un management de la personne. Et c'est toute la signification de l'en-tretien individuel conduit chaque an-née avec chacun des acteurs de l'éta-blissement, personnel A.T.O.S. com-pris, dans le cadre de la notation ad-ministrative. On trouvera ci-après une fiche techni-que capable de répondre à quelques-unes des questions que pose cette procédure. Mais, en fait, ce sont moins des questions de technique que des interrogations de principe qui risquent de faire obstacle à l'adoption de cette pratique professionnelle. Il est parfai-tement clair en effet que conduire un entretien c'est exercer une forme ai-guë d'autorité, puisqu'il s'agit de dé-busquer la contribution de chacun à la mise en oeuvre du Projet, d'abord pour valoriser, mais aussi parfois, pour la corriger ou l'amplifier, quand il ne s'agit pas tout bonnement d'obtenir qu'elle existe ! Alors, la seule vraie question est : est-ce que celui ou celle qui exerce la

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fonction de direction a envie d'exercer cette autorité ? Sur cette question on lira avec profit une étude publiée en avril 1991 par le C.R.E.D.O.C. et dans laquelle les au-teurs analysent parmi d'autres choses les re-présentations que les chefs d'établissements ont de leur fonction (3). Leur conclusion mérite d'être re-produite : «...les images de leader, de chef du personnel, voire d'arbitre ap-paraissent... reléguées en fin de clas-sement. Il semblerait que cette désaf-fection pour ces fonctions puisse être expliquée par le caractère de plus ou moins grande autorité de ces fonc-

tions. Leader, chef du personnel ou arbitre, tous ces termes impliquent l'exercice d'un pouvoir sur des person-nes; pouvoir d'ad-ministration, charis-matique ou pouvoir de décider, le chef d'établissement ne semble pas reven-diquer cette fonction. Gestionnaire ou chef de projet, le chef d'établissement se sent plus à l'aise dans l'administra-tion des actions que dans la direction des hommes... On peut penser qu'une fraction des chefs d'établissement considère que sa fonction est plutôt l'aboutissement d'une vie pro-fessionnelle et qu'elle ne doit pas don-ner lieu à une surcharge d'autorité.»...

(3) «De l'éducation des élèves au manage-ment des établisse-ments» Michel LEGROS et Séverine BINARD - avril 1991 - étude réalisée par le Centre de Recherche pour l'Etude et l'Observation des conditions de Vie à la demande du Minis-tère de l'Education Nationale.

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QUELQUES RÈGLES PRATIQUES POUR NE PAS ÉCHOUER DANS LA MISE EN PLACE DE L'ENTRETIEN INDIVIDUEL 1 Négocier le principe de l'entretien individuel avec les représentants des person-nels de l'établissement. 2 Définir et négocier le cadre dans lequel l'entretien sera conduit. Pour ce faire :

a) partir des critères d'évaluation existants, du type : ponctualité, as-siduité, activité/ efficacité, autorité/rayonnement; b) relever dans les dictionnaires la définition de ces critères Exemple : Activité : qualité dune personne active, dynamique Dynamisme : capacité à considérer les choses dans leur mouvement, leur devenir. Rayonnement : capacité à faire sentir son action sur une certaine étendue. c) prolonger les définitions par une «traduction maison» si nécessaire. Exemple: Pour «activité» : capacité à percevoir l'évolution qui s'im-pose à l'établissement, à percevoir ce qu'implique cette évolution dans sa pratique professionnelle.

3 Faire connaître à tous, le plus tôt possible, et sous la forme d'un document écrit, le cadre dans lequel l'entretien sera conduit. 4 Fixer suffisamment tôt à l'avance le calendrier des entretiens et considérer que le rendez-vous pris est prioritaire par rapport à toutes les contraintes imprévisi-bles de la vie quotidienne. 5 Centrer l'entretien sur des faits observables qu'au besoin on aura préalable-ment codifiés. Exemple : Critère n° x : participation à la réflexion collective :

- dans le cadre de groupes de travail occasionnels; lesquels? -dans le cadre de fonctions particulières.

6 Eviter le sentiment toujours possible d'enfermement en créant au cours de l'en-tretien un espace de parole totalement libre. 7 S'attacher à faire émerger la contribution de chacun, si modeste soit-elle, la valoriser, s'en servir comme point d'appui pour aller plus loin, si possible. 8 Se rappeler que pour chaque acteur, il y a une limite à l'engagement au-delà de laquelle il ne peut aller (pour des raisons diverses, personnelles, profession-nelles, etc.). Se rappeler que cette limite n'est pas la même pour tout le monde. En tenir compte dans l'évaluation sans en faire un jugement de valeur sur la per-sonne. 9 Toujours accompagner les constats négatifs de la formulation d'objectifs réalis-tes et d'une proposition d'aide, par exemple en termes de formation. 10 Restituer une trace écrite fidèle aux propos tenus verbalement. etc. A chacun d'expérimenter et d'enrichir la démarche... L'important dans toute cette affaire c'est que chacun des acteurs reçoive le témoignage de reconnaissance et de considération auquel lui donne droit sa façon de travailler. L'important c'est que chacun des acteurs prenne conscience qu'il n'y a pas nécessairement dis-tance ni contradiction entre sa capacité professionnelle et le niveau d'exigence collective de l'établissement.

AUTORITÉ ET INSTITUTION SCOLAIRE

Sur ce thème et cette tech-nique voir aussi le chapitre 3 de « Diriger un établisse-ment scolaire, l’exigence du possible » Hachette Education

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AUTORITÉ ET INSTITUTION SCOLAIRE

Sans doute faut-il, d'abord, tenter de définir la raison d'être et l'objectif de l'autorité. Pour moi, l'autorité a pour but, dans le cadre de la fonction qu'on exerce et de la responsabilité qui lui est associée, d'assurer le fonctionnement le meil-leur d'une institution en donnant à chacun les meilleures conditions de travail, de relation et d'épanouisse-ment ; l'autorité trouve sa légitimité dans le fonctionnement efficace et se-rein de l'institution et dans la forma-tion et la promotion des personnes qui la constituent. Toute autorité qui conduit au dysfonc-tionnement de l'institution et à la dé-valuation des personnes met en cause sa propre légitimité. C'est donc un concept difficile à définir et une réalité difficile à vivre aussi bien pour celui qui l'exerce que pour ceux sur lesquels elle s'exerce. C'est sans doute pourquoi, tout au long de ma carrière, parmi les problè-mes que j'ai rencontrés, les plus fré-quents étaient de loin ceux concernant l'autorité :

- l'autorité excessive qui écrase les personnes et crée une at-mosphère de tension, - l'autorité inconsistante qui en-

gendre l'insécurité et crée elle aussi une atmosphère de ten-sion, - la crise d'autorité entre mem-bres d'une équipe ou partenaires d'un groupe, qu déconsidère les personnes et conduit à l'ineffica-cité.

Aussi, lorsque je pense «autorité», me vient à l'esprit toute une série de ter-mes :

- pouvoir, instinct de puissance, autoritarisme, coercition, chef (ou plutôt «petit chef»), domina-tion, oppression, - ou, inversement, laxisme, per-missivité, copinage, démagogie, laisser-aller.

L’autorité et la relation. L'autorité authentique est donc difficile à cerner dans cet ensemble de déri-ves; il est d'abord certain que les pro-blèmes de l'autorité et de ses dérives se situent à tous les niveaux de l'insti-tution éducative, du délégué-élève au haut fonctionnaire ministériel. Ce sont les problèmes les plus fré-quemment rencontrés, les moins faci-les à résoudre et les plus redoutables pour la vie de la communauté éduca-tive, en parallèle avec les problèmes relationnels ; dans la plupart des cas,

L’autorité est un équilibre

Maurice Vergnaud Inspecteur Général de l’EN Ex-Directeur des collèges sous le Ministère d’Alain Savary Président-fondateur d’Éducation & Devenir

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AUTORITÉ ET INSTITUTION SCOLAIRE

problèmes relationnels et problèmes d'autorité sont étroitement liés ; types d'autorité et styles relationnels sont inséparables et vont de pair, car tous deux engagent la personnalité, le ca-ractère, la manière d'être et la conception de la fonction. L'autorité et l’institution scolaire. Dans les articles qui constituent ce «cahier», et qui représentent une mé-ditation ouverte sur les fondements de l'autorité, sont apparues les no-tions de compétence, de réglementa-tion administrative, de légitimité, de nécessité, d'efficacité, de responsabili-té et de hiérarchie. Mais ne nous enfermons pas précisé-ment dans la conception traditionnelle de la hiérarchie administrative : chef d'établissement, Inspecteur d'Acadé-mie ou Inspecteur Pédagogique et Recteur ; à chaque niveau les problè-mes d'autorité sont en apparence dif-férents, mais le fond reste le même avec la même association autorité-relation.

Les problèmes d'autorité concernent, non pas cette pyramide, mais tous les partenaires du système éducatif et surtout la communauté scolaire ; celle-ci est un ensemble complexe d'autorités et de relations variées por-teuses de valeurs communes : travail, tolérance, esprit de groupe, respect de l'autre, etc. La communauté scolaire représente donc en fait une sorte de nébuleuse d'autorités, de pouvoirs et de contre-pouvoirs, avec des noyaux durs. La notion d'autorité au Collège et au Lycée ne s'exprime pas d'une manière un peu simpliste par une pyramide dont la base serait les élèves et le sommet le chef d'établissement, avec des intermédiaires comme les profes-seurs et les conseillers d'éducation et des parallèles comme le personnel de gestion et de service ; en fait une py-ramide qui n'en est pas une. La réalité est tout autre : les relations d'autorité s'établissent dans tous les sens entre tous les partenaires de la communauté scolaire à des degrés divers et en fonction des circonstan-ces, mais sans exceptions.

Les formes d’autorité Les fondements Des exemples l'autorité réglementaire ou statu-taire

textes et instructions officiels et statuts

le principal et le proviseur dans l'établissement le professeur dans sa classe le délégué-élève en conseil de classe

l'autorité fonctionnelle ou de fait compétence personnelle et res-ponsabilités exercées

un professeur parmi ses collègues un élève dans une équipe ou un groupe un parent d'élève parmi les autres

l'autorité représentative ou man-datée

élection des mandataires et volon-té des mandants

le délégué syndical le représentant du Conseil Général ou du Conseil Régional le président des délégués-élèves

l'autorité personnelle ou d'in-fluence

personnalité affirmée et influence qui en résulte

le rôle personnel d'un C.P.E. le rôle pédagogique d'un docu-mentaliste tout partenaire de la communauté scolaire

l'autorité circonstancielle ou de crise

prise de pouvoir par 1 leader dans un groupe non institutionnel

leader dans un mouvement de contestation prise de responsabilité pendant les vacances arbitrage dans un conflit

Maurice Vergnaud

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AUTORITÉ ET INSTITUTION SCOLAIRE

Ce tableau appelle quelques remar-ques:

- les formes d'autorité ne consti-tuent pas nécessairement un type d'autorité ;toute autorité résulte de la combinaison de plu-sieurs de ces formes ; - il en est de même des fonde-ments de l'autorité : toute auto-rité repose sur plusieurs d'entre eux ; - il n'y a pas de relation directe entre l'autorité et la fonction; plus que les textes, le rôle de la personne et son sens de la res-ponsabilité sont en définitive dé-terminants.

Nous avons voulu rappeler que l'auto-rité est un fait complexe :

- par les définitions que l'on a pu en donner en fonction de soi-même, - par les bases sur lesquelles on peut la faire reposer, - par la qualité des personnes qui l'exercent à tous les niveaux et dans tous les domaines de la communauté scolaire. Toute personne qui assume une responsabilité qu'on lui a confiée ou qu'il s'est donnée (en cas de crise ou de vacance) exerce une autorité. Prenons deux cas extrêmes : - un chef d'établissement sans personnalité risque de n'exercer qu'une autorité de façade, la ré-alité du pouvoir appartenant en fait à d'autres, y compris des élèves ; - un élève pleinement conscient de sa fonction de délégué ou d'animateur d'un groupe exerce une autorité de fait dans l'éta-blissement et vis-à-vis de ses camarades.

L'autorité et ses composantes. C'est pourquoi il nous faut distinguer les différentes composantes de l'auto-rité :

- les composantes rationnelles et objectives sont les plus sollici-tées : la fonction, les textes ré-glementaires, voire le titre ou le diplôme; on invoque souvent la compétence, mais celle-ci est-elle le facteur d'une autorité bien établie ou la conséquence d'une autorité bien comprise ? - les composantes irrationnelles et subjectives sont moins facile-ment admises et plus difficile-ment décelables : l'intuition, la capacité d'écoute, l'aptitude aux échanges, l'acceptation de la cri-tique, la tolérance, l'instinct du possible ; - les composantes personnelles moins apparentes sont en défini-tive celles qui donnent l'autorité vraie : la force de caractère, la capacité à entraîner la convic-tion, l'aptitude à la concertation, le sens relationnel ; nous ajoute-rons - ce n'est pas un paradoxe - la sensibilité.

Dans ces conditions l'autorité s'ensei-gne-t-elle ou s'apprend-elle? Les textes et les règlements définis-sent les droits et devoirs ; cela s'ap-prend. On peut posséder plus ou moins les aptitudes subjectives ; si elles ne peu-vent s'acquérir, elles peuvent au moins s'éduquer. Quant à la personne elle-même, elle entraîne la réussite, l'échec ou les dé-

Maurice Vergnaud

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rives dans l'exercice de l'autorité ; la valeur de l'autorité dépend en défini-tive de la valeur de l'homme. Car l'autorité ne peut pas être impo-sée ; elle est alors subie et n'est que l'exercice froid d'un pouvoir. Elle ne peut pas être non plus négo-ciée, car c'est mettre en doute sa légi-timité. Il faut donc qu'elle se fasse admettre tout naturellement ; l'autorité la plus vraie est celle qui ne se fait pas sentir et qui ne se sent pas, qui donne, avec l'ordre, la sécurité et la liberté, et qui atteint son but (rappelons-le : le meil-leur fonctionnement de l'institution et les meilleures conditions de vie des personnes). En définitive l'autorité est un équili-bre :

- entre la personne qui l'exerce et ceux pour lesquels elle s'exerce ; - entre ses différentes compo-santes et ses différents fonde-ments ; - entre l'application des règles et des textes et le respect des per-sonnalités (individus et grou-pes) ; - entre l'épanouissement des personnes et des groupes et les contraintes inévitables de la vie collectives ;

- entre sa propre sensibilité et celle des autres.

En physique et en mécanique, il y a équilibre lorsque les forces qui s'exer-cent en fous sens aboutissent à une résultante qui permet à la fois la stabi-lité et le mouvement. Il en est de même pour l'autorité dans la communauté scolaire. Là, les points d'équilibre sont nom-breux et tous azimuts :

* entre la direction et les personnels, * entre les professeurs et les élèves, * entre les parents et leurs enfants, * entre les professeurs eux-mêmes, * entre les élèves eux-mêmes;

et nous excluons tout ce qui concerne la hiérarchie d'inspection et d'adminis-tration. Ce jeu d'équilibre donne la qualité à la vie collective ; par lui, se crée la com-munauté scolaire. Il y a vraiment beaucoup à réflé-chir sur l'autorité dans le système éducatif.

Maurice Vergnaud

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En conclusion

E n conclusion, je reprendrai les réflexions que j'ai dégagées de l'exercice de différentes fonctions et que j'ai données en d'autres

circonstances :

Il y a dans l'exercice de l'autorité des valeurs fausses dont il faut se méfier : - l'autoritarisme et l'instinct de puissance qui pervertissent l'homme ; - la démagogie et le copinage qui ne font que tromper ; - la solitude et le refus du groupe qui conduisent en définitive à l'inefficacité.

En contrepartie, des valeurs fortes sont à prendre en compte : - la transparence et la franchise qui suscitent la confiance ; - la rigueur de ses jugements et l'honnêteté de ses décisions qui commandent l'estime ; - la cohérence entre l'idée et l'action et surtout la fidélité à soi-même, à ses idées, à ses amitiés qui entraînent la conviction.

Et les dividendes qui en résultent ont toute leur valeur : - l'autorité vraie et l'aptitude à entraîner qui conditionnent la réus-site ; - le rayonnement et la marque que l'on laisse qui pérennisent la ré-ussite ; - la sympathie et l'amitié dont on bénéficie qui valorisent la réussite.

À chaque détenteur d'autorité ou d'une parcelle d'autorité de faire ses choix et de prendre ses responsabilités.

MAURICE VERGNAUD.

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Réinventer l’autorité Jean-Claude GUÉRIN

« Lorsque l’autorité cesse de paraître juste aux sujets, il faut encore du temps pour qu’elle cesse de le paraître aux maîtres » Fustel de Coulanges – La cité antique

Valeur à restaurer … mais dans quel sens ? Question lourde et décisive, à la-quelle la, ou plutôt les réponses sont encore brouillées, chancelan-tes, inconnues, oscillant sans cesse entre la restauration impossible d’un ordre ancien et une fuite vers la recherche désespérée de repè-res qui ne sont plus partagés. Et si cette réponse ne pouvait qu’être inédite par un réagence-ment des relations de pouvoir, c'est-à-dire une extension de la démocratie ? Ce dossier, qui date de 1991, examine les diverses fa-cettes de l’autorité en éducation, aussi bien celles qui ressortent de la pratique pédagogique en classe que celles inhérentes aux fonctions de direction d’établissement ou d’inspection. Au travers des points de vue, des regards, des expérien-ces, des analyses il débusque les faces cachées de l’autorité et dé-gage les grandes pistes de ré-flexion toujours, et encore plus, d’actualité…

Que peut on y ajouter ? Rien sinon approfondir le constat de José Fouque : quel est donc ce spectre qui hante nos sociétés mo-dernes, en tous cas qui, sous des avatars multiples, de la télé-réalité aux discours ministériels, des sal-les de rédaction aux salles des profs, des commissariats aux tribu-naux se trimballe de démission pa-rentale en perte de repères, de laxisme en rien n’est plus comme avant, d’enfant roi en maisons de correction, d’indiscipline en incivili-tés…. Un spectre d’autant plus omnipré-sent qu’il se nourrit d’un air du temps, fait d’inquiétudes et de nostalgie, prônant partout le grand retour de l’autorité comme remède à tous les mots sociaux et s’enra-cine dans les affirmations péremp-toires du renforcement nécessaire de l’autorité de l’Etat… au moment même où celui-ci apparaît de plus en plus impuissant. Mais un spectre qui, en fait, sort directement d’une crise de la dé-mocratie représentative qui n’a pas

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encore pris en compte les boulever-sements produits durant tout le XXème siècle et accélérés depuis les années 1970 autour de la montée de l’individualisme et des rapports aux pouvoirs. Et s’il s’agissait non pas de « restaurer des valeurs » mais avant tout de comprendre le désen-chantement, d’accepter d’en tirer les conséquences notamment concernant la désacralisation du pouvoir et de reconnaître la nécessi-té, partout, de justifier l’autorité ? Repenser les bases, l’agencement et les finalités du pouvoir : …impossible, utopique dirons beau-coup…mais n’est-ce pas ce qu’ont fait les constituants, ouvrant ainsi l’ère moderne, certes encore inache-vée ? Et, surtout, n’est- ce pas ce qui se produit en ce moment même sous nos yeux, sans que nous le voulions expressément ? La crise de l’éducation n’est que l’expression des interrogations en-traînées par les mutations qui s’ac-célèrent autant dans les modes de vie que dans les relations sociales, dans la culture que dans la commu-nication, sans oublier les fragilités naturelles géographiques et climati-ques accentuées par les usages des techniques et de la science… La question de l’autorité en éducation ne peut être dissociée de la même question qui traverse d’autres « pouvoirs » : familial, médical, ju-diciaire, tous objets de suspicion. Qu’en est-il aujourd’hui de l’autorité médicale, judiciaire, parentale ? N’y a-t-il pas au moins questionnement sinon méfiance ou défiance de plus en plus systématiques ?

L’autorité ne va plus d’elle-même. Si l’on y réfléchit bien l’autorité, quelle que soit sa forme, ne va plus d’elle-même pour trois raisons prin-cipales :

- le savoir, ou l’expertise, sur lesquels elle prétend s’ap-puyer ne sont plus révérés ou incontestables d’une part parce qu’ils sont relatifs, d’au-tre part parce qu’ils n’appa-raissent plus positivement comme assurés ; - la légitimité n’est plus ac-ceptée comme « naturelle » par des individus se considé-rant comme détenteurs de pouvoir et dont les intérêts sont des droits - la reconnaissance et l’accep-tation sont fondées, non plus sur l’obligation ou le statut ou la fonction mais sur la compé-tence, la relation et la négo-ciation

Il ne sert donc à rien de vouloir res-taurer une « valeur » qui ne fonc-tionnait qu’à la transcendance et/ou l’obéissance. D’autant plus que l’au-torité, personnelle ou fonctionnelle, supposait, dans tous les cas, le consentement (admis, imposé ou forcé) individuel et social. Comme le rappelle fort justement, d’entrée de jeu, Charles Hadji, l’au-torité est un mot piège en éducation – et pas seulement en éducation -, piège que l’on ne peut déjouer que si on clarifie le terme de pouvoir et si l’on examine l’évolution récente

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Jean-Claude GUÉRIN

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des pouvoirs qui, de plus en plus, édictent moins la règle qu’ils ne fixent les cadres de la négociation (malgré la frénésie législative).

La pertinence du questionne-ment Les analyses, constats, témoignages de ce cahier de 1991 n’ont rien per-du de leur pertinence et sont tou-jours (hélas ?) d’actualité. Dans tou-tes les contributions se nichent quelques questions devenues in-contournables et d’une acuité re-doutable soit par leurs perspectives ou conséquences soit par les effets pervers, comme on dit pudique-ment, qu’elles peuvent induire. Charles Hadji et Francine Best argu-mentent à juste titre sur la nécessi-té et la légitimité de l’autorité en éducation informelle et formelle. Personne ne soutiendra que l’autori-té (notamment celle de dire non ou de faire respecter des règles) ne soit pas intrinsèque à toute éducation comme élément décisif de la cons-truction de la personne. En revan-che quelle en est, aujourd’hui1, aux yeux des enfants et adolescents comme à celle de leurs parents ou de la société, la légitimité, c'est-à-dire au nom de qui et de quoi doit elle être acceptée, sinon comprise ? La réponse ne peut plus se conten-ter de l’autorité de l’Etat ou même de la compétence. Ne doit elle pas s’élargir à la notion d’éducation par-tagée et cohérente ? C'est-à-dire explorer les voies d’une nouvelle lé-gitimité. Hélène Vassal et Christophe Vallée en insistant sur les signes de l’auto-rité et en se référant, à la suite d’A-

rendt, à l’autorité de la tradition, ne nous obligent-ils pas à interroger cette tradition, par ailleurs contes-tée, pour vérifier en quoi et com-ment elle peut être (ou pourrait être) compatible avec la démocrati-sation ? Jean François Launay en posant le problème de l’évaluation des déten-teurs de l’autorité et avançant l’idée d’une extension des responsabilités ouvre un chantier ardu sur deux questions : qui va juger, selon quel-les procédures et quels pouvoirs vont être reconnus aux établisse-ments (l’autonomie ?) et aux chefs d’établissement ? Par voie de consé-quence quels modes de fonctionne-ment adopter, reconnaissant et conciliant les droits des parents, des élèves, des personnels…et des élus ? Au-delà, les apports de JF Launay, Assémat, Jeandenans, Vanleyn-seele, Antibi, Barle, Magdeleine, Lyzcko interrogent la stratégie (des stratégies) des acteurs dans une or-ganisation et l’on voit bien apparaî-tre la complexité des attentes, des demandes et des refus… Depuis les principes d’administration et de di-rection du travail élaborés à la fin du XIXe par Ford et Fayol, nous avons appris à regarder de plus près le fonctionnement de toute organi-sation, la façon de diriger, les com-portements et les motivations des différents membres, les processus régissant la communication et la manière dont les agents ou acteurs prennent leurs décisions. Si le principe d’autorité, en tant que « le droit de commander et le pou-voir de se faire obéir », régit encore

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1 Aujourd’hui, dans le monde où ils vivent et non dans celui d’hier, voire d’avant-hier. Un monde où, dès l’entrée dans la vie, chacun est soumis (au sens où il ne l’a pas choisi) aux in-fluences multiples, à l’information sans fron-tières, aux images.

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souvent l’organisation du travail en se caractérisant par l’unité de com-mandement et la hiérarchie, de plus en plus l’autorité ne peut se définir à partir de celui qui la détient mais de celui qui l’accepte. Toutes ces contributions fournissent des éléments qui doivent être repris et approfondis en termes d’analyse des comportements individuels ET des groupes (enseignants, person-nels, élèves…parents) qui élaborent des normes de conduites (gagnant/gagnant, compromis, engagement) et cherchent une valorisation per-sonnelle… La question de l’autorité ne peut faire l’impasse sur deux né-cessités : celle de la responsabilité et celle de l’élargissement des tâ-ches, ce qui passe par une étude des interactions individus/groupes et une clarification et identification des rôles.

L’autorité : un pouvoir, une croyance ? Si l’ensemble du dossier montre à l’évidence que l’autorité n’est pas le pouvoir, celle-ci donne ou s’attribue, dans tous les cas, un droit : celui de faire ou d’imposer, marquant ainsi un pouvoir. Encore faut-il qu’elle soit acceptée, reconnue, légitimée. Ces trois termes, fondamentaux, ne sont ils pas, aujourd’hui, remis en question au nom de l’individua-lisme, de la liberté, de l’égalité voire de la justice ? Les sources de légiti-mité ne sont elles pas en crise ? Mais le terme de crise n’est-il pas lui-même porteur d’ambiguïté et d’aveuglement devant ce qui se passe ? Ne vaut-il pas mieux se si-tuer en dynamique en considérant

avant tout qu’il s’agit de mutations, de manière à, selon la formule de J. Derrida, « penser ce qui vient » et non regretter ce qui fut ? Par exem-ple pourquoi parler de crise de la parentalité ou d’éclatement familial alors qu’il s’agit d’un mouvement de recomposition, certes qui ne va pas sans heurts, mais qui répond à un élargissement du droit de l’individu (la femme, l’homme, l’enfant) re-connaissant l’autre dans sa per-sonne singulière. Mutation de la forme familiale oui mais les formes institutionnelles seraient-elles ou devraient- elles être, immuables Une incidente, dans la contribution de Jeanne Bayard-Pierlot, met le doigt sur une question souvent ignorée et, pourtant, essentielle « Les gens me reconnaissent- me croient – le pouvoir de comman-der »… reconnaître, c’est accepter pour la fonction comme pour les compétences ce « pouvoir », mais croire ? Or justement investir quel-qu’un(e) d’un imaginaire de croyance, n’est qu’une affaire d’opi-nion et va à l’encontre d’une autori-té fondée sur la compétence. Ce-pendant l’autorité ne peut s’exercer que si « on » y croit…Mais les en-fants et les jeunes y croient-ils ? Et les adultes ? Droit de commander, pouvoir (reconnu ou non) d’imposer l’obéis-sance est ce cela qui est critiqué ? Christian Vanleyssenle, signale l’é-mergence d’une « autorité dési-rée » : « L’autorité que nous de-mandent d’exercer nos partenaires et notre hiérarchie … [ainsi que] les membres de la communauté sco-laire, quitte à la contester si elle vient à les gêner » Cette remarque

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pose à l’évidence toute l’ambiguïté de la demande d’autorité dans son rapport au pouvoir et des tensions dont elle est le fruit. Tensions dont Maurice Vergnaud esquisse les pis-tes de résolution en évoquant « l’autorité d’équilibre » qui résulte à la fois d’une forme de contrôle so-cial et d’un partage du pouvoir. Par-tage pour lequel un élément décisif tient dans sa proximité et donc dans une sorte d’identification distanciée qui suppose, encore une fois, la claire identification des rôles. « D’une part, même lorsqu’on la qualifie de personnelle, l’autorité doit être conférée ou reconnue par la collectivité au sein de laquelle elle s’exerce, d’autre part, le rôle de la psychologie collective, pour décisif qu’il soit dans le phénomène d’in-vestiture, ne fait qu’incarner dans le chef ou le leader une puissance à laquelle le groupe lui-même est su-bordonné…. l’autorité dont la raison d’être est de résoudre des conflits est, elle-même, le produit d’une tension… L’observation du sociolo-gue ne peut pas supplanter l’intui-tion du philosophe, et tous deux ne doivent pas dédaigner l’enseigne-ment du spécialiste de la magie. Au surplus, tout phénomène de pouvoir met en cause des croyances, des représentations, des signes et des symboles dont la connaissance ob-jective n’irait pas -parce qu’elle se-rait démystificatrice- sans compro-mettre l’accomplissement des fonc-tions d’autorité dont aucune société ne peut se passer » 2 Certes, l’autorité est le pouvoir d’obtenir, sans recours à la violence

ou la contrainte physique, un type de comportement de la part d’une personne ou d’un groupe. Mais le pouvoir n’est pas, ordinairement, vacant il est approprié par des grou-pes, des institutions, des instances, l’Etat… L’autorité, conférée par la fonction ou l’ascendant, suppose que ceux qui la subissent croient à la légitimité des émetteurs et des messages. Dans le domaine éducatif et pédagogique, culturel la croyance (l’adhésion) en la légitimité d’un pouvoir fait l’essentiel de ce pou-voir. Si la croyance s’érode, si l’in-terrogation se fait jour…l’autorité est battue en brèche, s’estompe, est contestée et peut disparaître. On en revient alors à la question centrale de la légitimité qui, au plan de l’é-ducation, se source dans l’accepta-tion d’une :

• spécialisation reconnue (formation d’experts) ; l’en-seignant (ou le chef ou l’inspecteur) tient son auto-rité de l’institution (elle-même reconnue) qui le va-lide et lui procure son lieu d’exercice

• préparation à un mode de vie, notamment la tradition, la transmission de normes acceptées socialement

• initiation ou imposition, dues à un « don », une « vocation », du charisme (magique ?) et fondées sur la transcendance du « savoir »

Mais en éducation, comme dans tous les domaines de la vie sociale, la source de la source de légitimité est bien en dernier ressort celle de

2 G. Burdeau (Encyclopédie Universa-lis/1996)

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Jean-Claude GUÉRIN

Postface

l’organisation sociale et de l’ensem-ble de la société politique tout au-tant que la représentation que les groupes sociaux et les individus se font de leurs rôles et places dans cette organisation et de la considé-ration dont ils sont l’objet. De ce point de vue l’autorité de l’institu-tion scolaire, publique ou privée d’ailleurs, ne va plus d’elle-même pour chacune des composantes de la société, ni, au fond, pour ses pro-pres acteurs… toutes les légitimités sont niées en même temps, ce qui est bien la marque d’une crise. Po-ser la question de l’autorité n’est-elle donc pas, d’abord, de s’interro-ger sur les contenus de l’éducation et de l’enseignement, qui les déter-mine et qui en fixe les règles et l’or-ganisation… Ce qui mène tout droit au préalable d’une refondation des valeurs et des fins de l’éducation et de la pédago-gie. Préalable qui renvoie aux va-leurs démocratiques d’égalité, de liberté et de fraternité.

Crise, mutation, accomplisse-ment ? La crise de l’autorité n’est qu’une des facettes de l’aboutissement en cours du lent travail d’émergence des valeurs d’égalité et de liberté de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen étendues, au sens strict, à chaque individu: « les Hommes naissent et demeurent li-bres et égaux en droits ». Ils nais-sent libres et égaux… d’où sort au bout de deux siècle la Convention des Droits de l’enfant…en tant que personne libre et égale. Qui peut ne pas voir que cela chamboule com-

plètement les institutions familiales, scolaires, judiciaires. Et que le pro-blème n’est pas celui de l’enfant-roi mais celui de l’enfant-sujet ? Et que ces droits reconnus ont sapé en pre-mier le statut de l’enfant, en second l’autorité parentale ? Et qu’il sape maintenant l’Ecole. Remarquons aussi que la pratique des injonctions paradoxales participe de ce qu’il faut bien appeler la déresponsabili-sation et de la perte d’autorité : exi-ger des chefs d’établissements (mais n’est-ce pas la situation de tous les corps intermédiaires d’en-cadrement) qu’ils représentent l’Etat et fassent appliquer des réformes par exemple, sans pour autant leur donner les moyens d’exercer ce pouvoir tout en leur accordant le rôle d’exprimer les attentes et vœux de la communauté scolaire est-ce leur permettre de jouer correcte-ment ces rôles ? L’obéissance bien comprise ne peut se satisfaire de l’assujettissement pur et simple. En d’autres termes l’autorité doit être repensée et re-légitimée à par-tir de l’extension de la démocratie et en perspective d’autonomie et d’é-mancipation. En d’autre termes en-core, aucun lieu, aucune institution ne peut se protéger, se sanctuari-ser, vis-à-vis de la démocratie ; au-cune ne peut prétendre être un sim-ple conservatoire de formes ancien-nes, une forteresse à l’abri du mou-vement social. La famille nucléaire dominée par la figure du père/mari se recompose par l’affirmation du droit de la femme à disposer d’elle-même, du droit de l’enfant à être protégé et considéré comme per-sonne. L’Ecole, dès la maternelle,

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Jean-Claude GUÉRIN

pourrait –elle échapper à ce mouve-ment ? Et pourtant les parents, comme tous les éducateurs, ne peuvent se dé-barrasser de l’autorité….ce qui ne peut se faire qu’en accolant consen-tement et contrat. Alain Renaut conclut son dernier ou-vrage3 par ces lignes « La fin de l’autorité n’est donc pas sa dispari-tion, et d’autre part elle signifie en-core moins celle du pouvoir comme tel. Ce que notre parcours à voulu pointer et essayer de mesurer cor-respond bien plutôt à la fin des dis-positifs de pouvoir organisés pour fonctionner prioritairement à l’auto-rité, c'est-à-dire sous la forme d’un surpouvoir que ne vient plus limiter la reconnaissance d’aucun droit….. L’impasse la plus certaine serait de vouloir « rétablir l’autorité ». Ce programme se trouve défendu par-fois, quarante ans plus tard, par ceux là mêmes qui avaient trouvé leurs premières inspirations, leurs premiers émois aussi, dans les vas-tes entreprises intellectuelles de dé-montage des mécanismes de pou-voir supposés être partout à l’œuvre dans les démocraties….. Une claire conscience de la crise de l’autorité, de sa profondeur, de sa gravité, de sa logique aussi, me semble requé-rir en vérité bien davantage une re-prise de l’interrogation sur le pou-voir. Une interrogation qu’il faudrait concevoir surtout comme de portée pratique, en se demandant par quels dispositifs, le plus souvent ins-titutionnels, consolider les pouvoirs

tels qu’ils ont à s’exercer et là où ils s’exercent. La fin de l’autorité n’est pas celle du pouvoir. Du moins ne le sera-t-elle pas si, plutôt que de re-quérir de façon stérile et incanta-toire un rétablissement de l’autorité dont on se trouve bien incapable, et pour cause, d’indiquer les modalités, on s’emploie davantage, dans cha-que secteur concerné, à apporter au pouvoir du maître, au pouvoir du juge, ou à tout autre pouvoir les étaiements dont ils ont besoin pour ne pas s’écrouler sous les effets de la décomposition de l’autorité. Les enseignants les plus avisés ne de-mandent rien d’autre, pour peu qu’on veuille les entendre, à leurs chefs d’établissement, les chefs d’é-tablissements eux-mêmes ne de-mandent rien d’autre à leur propre hiérarchie : ces demandes appellent des réflexions sur le fonctionnement démocratique des institutions où el-les s’expriment, plus précisément : sur la façon dont la démocratisation d’une institution conduit à y repen-ser et à y réorganiser l’exercice du pouvoir…. Arracher [la possibilité de cette réflexion] à ce qui est voué à l’obérer interminablement quand, plutôt que d’affronter la question du pouvoir et d’un exercice de ce pou-voir qui soit compatible avec les va-leurs de l’égalité et de la liberté, on épuise son énergie à pleurer la perte irréversible d’autorité qu’à in-duite la marche tâtonnante, mais pourtant irrésistible de la démocra-tie. »

3 La Fin de l’autorité (Flammarion 2004)

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Jean-Claude GUÉRIN

Restaurer l’autorité, sûrement pas, mais la réinventer au travers de processus de responsabilisation et de négociation (l’une n’allant pas sans l’autre) devient la seule voie à emprunter. Celle d’ailleurs ouverte par ce dossier, notamment dans le rappel de la distinction ancienne de la potestas et de l’auctoritas4 mais aussi par les intuitions de Françoise Dolto ou Erick Prairiat lorsqu’il avance la perspective d’une « école hospitalière »5

Une réinvention qui permettrait de fonder l’autorité sur le principe de justice (le juste et non le judiciaire) donc le consentement) et de raison (l’argumentation et non l’imposition) au nom de fins explicites. Et qui permettrait de concilier les deux fa-ces de la liberté : le devoir d’obéis-sance et le droit d’insoumission. Mais aussi une réinvention qui ne peut s’effectuer qu’au quotidien en suggérant et donnant à voir, là où l’on se trouve, de nouvelles prati-ques. Jean-Claude Guérin

4 Notamment l’article de José Fouque, Perspec-tive sur l’autorité, p31 5 F. Dolto : La cause des enfants (1985) ; La cause des adolescents (1988) – E. Prairiat : Questions de discipline à l’école et ailleurs… (2002).

Jean-Claude GUÉRIN Après avoir commencé comme MA, puis AE, puis certifié d'Histoire géo-graphie, enseignant en collège, lycée dont lycée technique par choix, militant syndical à la FEN d’abord, puis au sgen (parce que CFDT), il a été, de 1980 à 1986, Secrétaire national du sgen-CFDT. Après être reve-nu à l’enseignement, il fut ensuite chef d'établissement avant d'être ap-pelé au cabinet de Robert Chapuis, Secrétaire d'état à l'enseignement technique, puis de son successeur, Jacques Guyard. À l’Inspection générale, il s’est vu confier des missions sur les difficultés des élèves, la décentralisation, avant de rejoindre comme IGEN le groupe Enseignement primaire. Lui qui au sein de son organisation syn-dicale avait sorti une brochure en 1984 intitulée « L’innovation sort de l’ombre », était membre du Conseil à l’Innovation (CNIRS). En 1984, il avait signé un livre aux éditions Syros : « Le nouveau collège, enfin ? »

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CAHIERS

4 62 Les TIC et l'école : mirage ou miracle ? n° double

3 (ns) 61 Pour une politique d'orientation en établissements

2 (ns) 60 Éthique et déontologie dans les métiers de l'éducation Colloque 2003

1 (ns) 59 Le lycée professionnel : lycée entièrement à part ou à part entière ? ns=nouvelle série

58 La classe en questions Colloque 2002

57 Vers une écologie de l'enseignement

56 Mais que font les élèves à l'école ? Colloque 2001

55 Le Pré-rentrées

54 Le droit à la parole des élèves

53 L'Établissement scolaire face à la diversité culturelle Colloque 2000

52 Les techniques de formation

51 Les chantiers du ministère

50 L'Élève, l'École et la Politique Colloque 1999

49 Les établissements scolaires : nouveaux besoins, nouveaux métiers Colloque 1998

48 Racisme et xénophobie *.pdf

47 Les établissements déstabilisés

46 L'année des rapports : quel projet pour l'école ?

45 École et médias

44 Enseigner : à la recherche du sens Colloque 1997

43 La loi et l'École Colloque 1996

42 Le rapport au savoir

41 L'accompagnement scolaire

40 Les femmes et l'école

39 L'École des Maîtres Colloque 1995

38 L'Évaluation

37 L'École et l'Entreprise

36 Éduquer en Europe (2)

35 Le collège en questions Colloque 1994

34 Éduquer en Europe (1)

33 La déontologie dans l'Éducation Nationale

5 63 L’École et le service public Colloque 2004

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CAHIERS

32 Les modules

31 Les valeurs dans l'école Colloque 1993

30 L'enseignement technique, mode d'emploi

29 L'école et les parents

27/28 Les nouveaux publics des lycées et des collèges Colloque 1992

26 L'autorité *.pdf

25 Action éducative et vie scolaire

24 Apprendre et vivre la démocratie à l'école Colloque 1991

23 L'École et la Culture

22 Établissement 90

21 L'élève, acteur et partenaire dans l'école (épuisé)

20 Enseigner, un nouveau métier Colloque 1990

19 Pédagogie, Vie scolaire et Innovations

18 Positions 89

17 Formation des personnels : bilan, critiques et propositions

16 Formation des personnels : techniques et méthodes

15 Stratégie pour un défi : 80 % d'une classe Colloque 1989

14 Pédagogies 88

13 Inégalités et exclusions dans le système éducatif

12 L'École, les jeunes et la Culture Colloque 1988

11 80 % d'une classe d'âge au niveau Bac Enquête nationale

10 Pédagogies 1987 (épuisé)

9 La vie relationnelle (épuisé)

8 Le savoir en question, questions sur le savoir Colloque 1987

7 Le conseil de classe (épuisé)

6 Éducation 1986

5 Responsabiliser Colloque 1986

4 C.D.I. et Documentalistes (épuisé)

3 Le projet d'établissement

2 L'enseignement de masse Colloque 1985

1 Les conservatismes dans le système éducatif téléchargeable

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Cahier n° 4 (nouvelle série)

Les TIC et l’école : mirage ou miracle ?

Journée d’études du Sénat 1997

L’intégration, une Mission pour l’école ?

Journée d’études du Sénat 1999

Ségrégation urbaine, ségrégation scolaire

On peut se procurer ces ouvrages auprès du Secrétariat général « Education & De-venir » _ Lycée Diderot _ 23 boulevard Laveran _ 13388 Marseille cedex 13 : cahier n° 4 (n° double) 19 € 50, Actes du Sénat : 12 € 50 Liste des Actes du Sénat : http://education.devenir.free.fr/senat.htm

Sommaires des cahiers disponibles : http://education.devenir.free.fr/cahier.htm

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É D U C A T I O N E T D E V E N I R Président : José FOUQUE – Té l : 06 11 19 60 17 - Courr ie l : jose . fouque@ac-a ix-marse i l le . f r - Secrétai re Généra l : Yves ROLLIN - Lycée Diderot - 13003 Marse i l le Tél : 04 91 61 22 62 - Fax : 04 91 10 07 34 - Cour r ie l : y ro l l in@yahoo. f r Trésorier : Jean-François DELPORTE – Collège Jean Zay – Rue du 11 Novembre - 76770 LE HOULME

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Auteur(s) : José Fouque, avec la collaboration de Florence Castincaud et d’I-sabelle Klepal Pour les collèges et les lycées qui s'engagent résolument dans la démarche de projet, une situation nouvelle apparaît : les struc-tures et les modes d'organisation des établissements ne corres-pondent plus aux nouveaux besoins. La volonté de faire progresser l'établissement induit dé-sormais l'exigence de nouveaux aménagements, de nou-velles méthodes, de nouvelles compétences et de nouvel-les fonctions. Mettant en évidence ces nouveaux savoir-faire, l'auteur s'at-tache à montrer comment exploiter, ici et maintenant, les mar-ges de manoeuvre, utiliser les leviers, explorer les possibles avec audace et pragmatisme. http://education.devenir.free.fr/fouquelivre.htm

L’établissement scolaire : un jeu col-lectif

Jean-Yves Langanay Claude Rebaud

HACHETTE éducation Nouvelles approches

La démocratisation de l’enseignement est aujourd’hui le nouveau défi de l’école. Il sera gagné grâce à la prise en compte de la diver-sité des publics endue possible par l’autonomie des échelons locaux (donc essentiellement les établissements scolaires) et grâce à l’ini-tiative des acteurs : lycéens, enseignants, personnels de direction et d’éducation, parents d’élèves, décideurs, chacun s’emparant plei-nement de ses champs de compétence. Mais pour des raisons di-verses, ceux-ci agissent en retrait des pouvoirs que la loi leur confère.