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FACE A LA SOUFFRANCE nos liens sociaux psychologiques et spirituels Bimest riel n° 174 M ars/ Avril 1 988

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FACE A LA SOUFFRANCE •

nos liens sociaux psychologiques et spirituels

• Bimest riel n° 174 M ars/ Avril 1 988

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WJEIDJECDIIIlJE 8 IDJE IL~W®WWJE Revue du Centre Catholique des Médecins Français

BIMESTRIEL

RÉDACTEUR EN CHEF

pr Claude LAROCHE.

CONSEIL DE RÉDACTION

MM. les Docteurs BARJHOUX (Chambéry), BOISSEAU (Bordeaux).

BREGEON (Angers). CHARBONNEAU (Paris), DEPIERRE (Paris).

GAYET (Dijon). GERARDIN (Brive). Mme le or GONTARD (Paris).

MM. les ors MALBOS (Le Mans), MASSON (Bar-sur-Aube).

MERCAT (Ch,âteau-Renault). LIEFOOGHE (Lille), REMY (Garches).

de SAINT-LOUVENT (Paris). SOLIGNAC (Perpignan), VIGNOLLES (Tours).

COMITÉ DE RÉDACTION

M. ABIVEN - M. BOST - F. GOUST J. GUINNEPAIN - M.J. IMBAULT-HUART

J.M. JAMES - P. LAMBERT J. MASSELOT - J.M. MORETTI

H. MOUROT - A. NENNA

ADMINISTRATION RÉDACTION

Centre Catholique des Médecins Français

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N° 17 4 - MARS-AVRIL 1988

SOMMAIRE • Liminaire

par le pr Claude Laroche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2

• Souffrance du patient, souffrance du soignant par le or Maurice Abiven ................. .' . . . . . . . . . . . . 4

• Mission France par le D' François Goust . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

• Maladie et Société : la société occidentale face à la maladie, du moyen âge à nos jours par Madame M.-J. Imbault-Huart . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

• Relire la Genèse (2° partie) par le Père Du Buit o.p. . .. .. .. .. .. .. . .. .. . .. .. .. .. .. .. 17

• La délivrance du mal selon le Christianisme par le Pasteur André Dumas .......................... .

• L'Hôpital, lieu de conversion par le Père de Senneville ............................. .

• Une lecture par le or Fr. Goust

• Notes de lecture .................................... .

• Vie des mouvements Médico-sociaux catholiques par le or Pierre Charbonneaux ......................... .

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LIMINAIRE

par le P' Cl. LAROCHE

La vidoire contre la souffrance, sous tous ses aspeds, physique, moral, psychologique, est l'enjeu essentiel de l'avenir médical. Même si, pour certains êtres privilégiés, la souffrance est l'occasion d'une vidoire sur soi-même, d'un enrichissement spirituel et religieux, son image la plus commune est celle de la déchéance du corps, de la régression de la personnalité, du refuge dans l'isolement, sans parler de cette tentation auto-destructive qu'ont res­senti tant de grands malades affrontés à une souffrance physique ou morale qu'ils se sentent incapables de sur­monter.

Il revenait à Maurice ABIVEN, créateur du premier Centre français de « Soins PalliatifS », de nous faire connaître son expérience de soignant confronté aux douleurs les plus intolérables : les réactions des soignants vis-à-vis de la douleur sont également diverses, négatives et positives depuis le réflexe d'agression jusqu'au déni en passant par l'identification; et l'équilibre ne se trouve qu'en alliant une grande attention à une certaine dis­tance, le soignant chrétien mettant dans cette attention une véritable démarche d'amour envers Jésus-Christ présent dans tout être souffrant ou démuni.

L'investissement ajfedif en face de la souffrance peut d'ailleurs constituer une compensation psychologique et le besoin d'aide fraternelle est ressenti par de nombreux jeunes qui se dévouent dans le Tiers monde à travers nombre d'O.N.G. humanitaires.

La même conception se retrouve à la base de la création de « MISSION France » par Médecins du Monde : il ne s'agit pas ici de l'aide à nos frères du Quart monde, qui vivent en marge de notre société mais, en France éga­lement, à un nombre croissant d'individus exclus de nos systèmes de prévoyance sociale, qu'il s'agisse des chômeurs en fin de droits ou de sujets âgés incapables de bénéficier de la solidarité nationale, du fait même de leur âge et de leur incapacité à faire valoir leurs droits à travers les complexités administratives.

La souffrance et la maladie confrontent l'homme à la mort et les grands fléaux qui ont frappé l'humanité, d'autant plus désastreux que la médecine était alors totalement inefficace, ont marqué de leur empreinte l'histoire des sociétés; telle est la remarquable démonstration apportée par l'article de M- IMBAULT-HUART. La maladie a été longtemps synonyme du mal, avec les constatations de culpabilité, de châtiment divin, et aussi d'épreuve et de purification.

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La signification de la souffrance reste aussi obscure que celle du mal; devant des problèmes aussi fonda­mentaux, la lecture de la Bible n'est jamais inutile : l'analyse du texte sur la Création, par le Père Du BUJT peut nous faire réfléchir, une fois de plus, sur les devoirs et les responsabilités de l'homme, à qui revient de poursuivre l'œuvre de création grâce à son intelligence; les débats actuels sur la maîtrise de la vie obligent les médecins et les hommes de science à réfléchir sur les limites et les justes directions à donner à cette œuvre créatrice qui se pour­suivra jusqu'à la fin des temps.

Le Pasteur DUMAS analyse les réactions de Jésus-Christ devant la souffrance et la mort; une lutte et une épreuve durant son ministère, puis dans sa Passion une victoire salvatrice dont le caractère paradoxal est souligné dans l'Épitre de saint Paul aux Corinthiens. Cette fonction salvatrice de la souffrance sur laquelle on a tant insisté lorsque la médecine était inefficace et que nous avons peut-être maintenant trop tendance à _récuser car elle paraît aller à l'encontre de tous nos efforts pour vaincre notre principal adversaire, est rappelée par le P. de SENNEVILLE, Aumônier à Garches; il nous livre un témoignage émouvant auquel j'ajouterais qu'il faut avoir vécu un séjour hospitalier pour connaître la solidarité paifois combien agissante des malades entre eux.

Soignants, sachons nous souvenir qu'une cabinet médical, une salle d'hôpital ou plus généralement tout lieu de rencontre avec la souffrance est un espace de charité .

Ce numéro était déjà composé lorsque s'est produit un mou­vement autour de la contreverse suscitée par l'instruction cr Donum vitae».

Nous nous réservons de donner prochainement un point de vue serein des médecins catholiques .

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SOUFFRANCE DU PATIENT, SOUFFRANCE DU SOIGNANT

par le 0' Maurice ABIVEN (*)

Que le patient souffre : banalité 1 Mais mettre en parallèle avec cette souffrance du patient, celle du soi­gnant, voilà qui est plus nouveau. Jusqu'à un temps récent, le soignant soignait 1 On ne s'occupait pas beaucoup de savoir ce qu'il vivait dans son travail, ses émotions, ses épreuves, la manière dont il assumait toute cette misère humaine à laquelle il était confronté en permanence. Tout au plus, certains amis, dans les jours de confidences, s'apitoyaient-ils sur son sort: « Je ne comprends pas que tu puisses faire un métier pareil 1 » Lui, d'ailleurs, ne comprenait pas non plus. Mais cherchait-il à comprendre 1 Probablement pas. C'était son lot. Et il soignait. Le médecin trouvait des compensations dans la partie scientifique du métier : un beau diagnostic, une intervention chirurgicale bril­lamment réussie. Devant la souffrance, chacun se débrouillait comme il pouvait: certains écoutaient, d'autres pas. Pour les infirmières, les gratifications étaient autres : on parlait surtout du devoir accompli.

Mais pourquoi tout ceci au passé 1 C'est bien ainsi que les choses se passent encore aujourd'hui. Pourtant 1 L'étonnement des amis est justifié. Comment peut-on faire un tel métier 1 Comment peut-on à lon­gueur de journée voir des horreurs, écouter toutes les misères du monde sans partir en courant, sans s'ef­fondrer en larmes, sans se révolter.

La misère du monde, la souffrance du monde 1

Surtout qu'il ne souffre pas disent les familles 1 Bien sûr, c'est aux misères physiques et en tout premier lieu, à la douleur que l'on pense d'abord. La douleur chro­nique surtout, celle Ç1ue les Anglais ont baptisé la « total pain», la douleur qui dure pendant des jours, pendant des mois, qui ne laisse aucun répit et envahit tellement le champ de la conscience qu'elle est devenue à soi seule, une maladie. Maladie que, heureusement, l'on sait maintenant traiter, même si, quantité de médecins se refusent encore à prendre la demi-heure qu'il faudrait y consacrer, pour apprendre sérieusement à la maî­triser.

Mais les misères physiques, c'est aussi la déchéance ·du corps. Des images de malades me remontent à lesprit : cette femme dont les deux seins sont ravagés par une tumeur ulcérée réduisant toute la poitrine à une énorme plaie ; cette autre (40 ans), dont le pelvis est envahi par un cancer qui a déjà justifié un

(*) Médecin de !'Hôpital International de Paris.

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anus iliaque et une urétérostomie. Maintenant l'iléon s'est ouvert dans la vessie qui elle-même s'est ouverte à la peau 1 L'horreur des plaies dont le malade lui-même ne peut éviter ni la vue ... ni l'odeur 1 Cet homme dont un cancer a ravagé tout le massif facial et dont lorbite et l'œil ont disparu 1 Il n'est pas besoin de poursuivre la description du musée des horreurs. Cette déchéance, cette destruction de l'image de soi, causent certai­nement une souffrance aussi grande que la douleur phy­sique. Mais dans le même temps, sentir que les gens se détournent de vous parce qu'ils ne peuvent plus vous regarder à cause de ce qu'ils savent, ce qu'ils per­çotvent de vos plaies, parce que votre corps les rebute, est une autre cause de souffrance peut être encore pire que la première. Non seulement, la déchéance physique altère l'image que le malade a de soi mais en même temps, elle le sépare, elle l'isole, elle le met à l'écart des autres, ce qui ne fait qu'aggraver sa souffrance.

Mais pour ma part, je crois la souffrance morale de la maladie mentale plus éprouvante encore. Nous connaissons les croquis illustrant les traités de psy­chiatrie et tout particulièrement le visage de ces mélan­coliques ravagés par l'idée de leur déchéance, de leur impuissance à vivre, du mal qu'ils font subir à leurs proches, etc. Mais il ne s'agit pas seulement de croquis. Ces malades sont bien réels. Nous en avons tous approchés, nous les avons entendus dans nos cabinets de consultations, leurs souffrances est assez profonde pour conduire bon nombre d'entre eux au suicide. Après un long temps de pratique, j'en suis même arrivé à me demander s'ils ne sont pas encore plus douloureux quand le long cours d'une psychothé­rapie tes a conduits à plus de conscience de leur état, de leur impuissance, de leur infirmité radicale, celle qui ne leur permettra jamais d'être comme tout le monde. Plus d'une fois, ayant reconduit à la porte de mon cabinet l'un ou l'autre de ces malades mentaux « adaptés » à leur état, le titre du livre de Georges Hourdain m'est revenu à l'esprit: «le malheur innocent».

Il faudrait encore parler de la souffrance de celui qui va mourir jeune, et qui n'accepte pas cette fin injuste. De la souffrance des parents dont lenfant est infirme, de la souffrance... etc., ... Toute la souffrance du monde 1

Oui, toute cette souffrance à laquelle les soignants sont en permanence confrontés, comment s'en débrouillent-ils 7 Comment peuvent-ils la tolérer 7 Comment peuvent-ils vivre ainsi au contact de tant de malheurs innocents sans se sauver, sans démis­sionner 7

Certains, effectivement, le font. Ils s'en vont et quittent le métier, ou bien, dans la profession, ils s'or­ganisent pour ne pas avoir à rencontrer cette souf­france. S'ils ne peuvent pas le supporter, s'ils n'ont pas trouver le moyen d'équilibrer cette agression perma­nente par autre chose, c'est sagesse de leur part que de s'employer à une autre tâche. Mais ça n'est qu'un tout petit nombre. Et les autres 7

Chacun, je pense, fait comme il peut. Proba­blement, certains soignants veulent-ils tout sim­plement, ne pas voir et ne pas entendre la plainte de leur malade. Dans la mesure où ils n'y peuvent pas

grand-chose, dans la mesure où ils ne peuvent trans­former le problème comme on enlève une tumeur, ils préfèrent ne pas s'y attarder. Bien souvent d'ailleurs, ce refus de voir et d'entendre, est par la suite rationnalisé: «Il n'a pas aussi mal qu'il le dit; de son malheur et de sa souffrance, il est bien responsable ... etc., ... ». Lequel d'entre nous n'a pas ,succombé à un tel comportement une fois ou l'autre 7 Egoïsme, indifférence, souci de se protéger?

Mais plus souvent sans doute, c'est au systèrne de déni que recourent les soignants. Ils ne voient pas leurs malades souffrir, ils ne peuvent pas s'apitoyer sur leur sort, puisqu'ils ne le voient pas. Car le déni n'est pas le mensonge. Le déni ne consiste pas à nier quelque chose qui serait parfaitement clair à la conscience. C'est un mécanisme psychique qui permet de ne pas voir, de ne pas entendre des réalités évidentes ou plus exactement de ne pas les accepter à la cons­cience : celui qui dénie ne sait pas qu'il sait 1 Ce système est comme une hygiène de l'esprit, chez celui qui ne pourrait supporter une réalité trop pénible.

Il y aurait beaucoup à dire sur le fonctionnement inconscient des soignants face à la douleur et à la souf­france. M. Berger et J. Pellet se sont employés à le faire dans un excellent article de « Approches », n° 44 : « Pourquoi les médecins laissent-ils souffrir leurs malades?». Je ne m'y attarderai donc pas. Tout à fait à l'inverse, certains soignants se mettent à s'identifier à leurs patients, se tenant si proches d'eux, que la souf­france de leurs malades devient leur souffrance, les pré­occupations de leurs malades, leurs préoccupations. On les voit, débordant leurs tâches professionnelles, devenir les conseillers, les serviteurs sinon les esclaves de ces patients. Leur souci d'aider devient envahissant. Ils y pensent hors de leur travail, ils en parlent autour d'eux à leurs proches, à leurs amis, au risque de per­turber leur vie propre, affective ou sociale. Cette attitude conduit d'ailleurs dans certains cas au « Burn out Syndrom » des auteurs anglo-saxons, qui pourrait se traduire en français par« syndrome d'épuisement». Il s'agit d'un véritable état dépressif où le soignant« usé jusqu'à la corde» ne peut plus assumer sa tâche, et doit interrompre son travail, parce qu'il n'a pas su garder la distance nécessaire entre son patient et lui.

Il y aurait donc une bonne distance à tenir pour le soignant, distance qui lui permettrait à la fois d'adhérer à la souffrance de celui qu'il soigne dans une empathie au sens étymologique du terme et qui pourtant, lui per­mettrait de garder son équilibre, sa liberté d'esprit. Ce sont en effet, les deux termes du problème, d'une part accorder une attention suffisante au malade pour bien comprendre ce qu'il vit et ce qu'il endure ; attention nécessaire pour que tout diagnostic et toute thérapeu­tique adéquats soient portés ; mais aussi pour que le malade se ~ente compris, aidé, soutenu. Et d'autre part, garder suffisamment de liberté d'esprit, d'objectivité, pour que ces jugements, ces décisions, restënt mesurés et raisonnables, élément indispensable pour qu'il puisse réellement rendre le service attendu de lui. Tout le problème du soignant est, je pense, dans cette juste mesure : empathie suffisante, mais distance suffi­sante. Ces deux qualités demandent d'ailleurs pour être pratiquées une bonne dose d'équilibre.· Pour être attentif à la plainte de son malade, il est nécessaire au soignant, d'avoir quand il est auprès de lui, l'esprit suffi-

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Souffrance du patient Souffrance du soignant

samment libre pour y consacrer toute son attention. Si des causes extérieures à son travail captent son esprit, il ne pourra être totalement attentif à la plainte de son malade : une infirmière inquiète pour la santé de son enfant aura de la peine à écouter avec toute la patience nécessaire la requête de celui qui souffre.

Mais pour la même raison, un bon équilibre de vie affective, conjugal, familial est aussi très important pol!r qu'une juste distance soit tenue avec le malade. On ne peut rien présager de bon d'un soignant qui s'investit tellement dans son travail, qu'il en vient à négliger, voire à oublier le monde extérieur. Tôt ou tard cette passion risque de le conduire à des outrances dont le malade aura, en définitive, à pâtir.

Il reste un point important cependant dans tout ceci: un tel investissement affectif, qui s'emploie à sou­lager la souffrance et qui donc est· certainement une épreuve pour le soignant, ne peut aller pour lui sans compensation. Au risque de troubler les bonnes âmes, je dirais que dans les conduites humaines, rien n'est jamais gratuit. Le martyr ne va à son supplice que parce que déjà, il sait qu'il est payé au centuple par l'amour de Dieu ; et la femme qui entoure son petit enfant de tout son amour, satisfait ainsi le besoin de tendresse qui déborde en elle, etc., etc.

Le soignant qui se penche sur la souffrance humaine trouve lui aussi, ici ou là des compensations à son dévouement.

Ces compensations peuvent être intellectuelles : plaisir de comprendre ce qui se passe chez son patient, comment par exemple, l'angoisse renforce une douleur physique, et à l'inverse, comment il peut mieux moduler une médication antalgique par une psychothérapie de soutien bien conduite. Mais devant une souffrance ces compensations intellectuelles me semblent de peu de prix.

Par contre, je pense que des considérations huma­nitaires ou religieuses peuvent être d'un grand secours. C'est elles, qui réellement, en profondeur, soutiennent et animent les soignants.

Pour certains, les considérations humanitaires sont d'un poids immense: la fraternité entre les hommes, l'appartenance à la même condition humaine, sont des sentiments qui peuvent être de très grands moteurs pour le service d'autrui, et la satisfaction d'avoir fait œuvre d'aide et d'assistance, une .récompense immense. Sans doute, est-ce pour une part importante, les sentiments qui animent les jeunes confrères qui vont aux quatre coins du monde rendre service aux plus des­hérités, dans le cadre de Médecins sans frontières, Médecins du Monde, ou tout autre organisme humani­taire. Mais plus encore certainement, les options reli­gieuses. Pour les Chrétiens, les préceptes évangé­liques: «Tu aimeras le prochain comme toi-même», «tu m'as vu malade et tu m'as soigné», sont depuis vingt siècles l'extraordinaire moteur pour ceux qui y adhèrent et qui en vivent. Et la récompense du Chrétien qui se penche sur son prochain souffrant est d'avoir répondu aux préceptes du Christ dont il nourrit sa vie.

Alors, au total, pour le soignant, vivre proche de la souffrance, est à la fois question de mesure et d'amour. Mesure pour ne pas se brOler dans une tâche dans laquelle il se serait trop impliqué, amour qui lui permet de trouver son compte dans ce qui à d'autres paraîtrait gageure. •

Pèlerinage Médical National de BRAGEAC 24 juillet 1988

• Un enfant, à quel prix ?

• Comité d'Organisation

Mairie de Brageac - 15700 PLEAUX

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MISSION FRANCE

par le 0' François GOUST (*)

Depuis quinze ans, « Médecins du Monde » et d'autres organisations ont pour but d'œuvrer partout où la guerre, la famine, la misère, sont une menace pour la vie de l'homme. Nos confrères qui partaient au loin participer à cette lutte généreuse, en regagnant la France, avaient l'impression de retrouver une terre privi­légiée. Dans son ensemble certes 1 Mais progressi­vement ils ont découvert que notre société, secouée par une tourmente économique et sociale depuis plus de dix ans, fabriquait « des exclus de la vie sociale et des exclus. des soins» (Pr A. Deroche), évalués aujour­d'hui à plus d'un million. Le malheur n'est pas absent de notre patrie. Il s'impose à tous.

Aussi « Médecins du Monde » a-t-il pris contact avec diverses organisations soucieuses de le com­battre: la Cimade, AT D quart monde, Emmaüs, I' Armée du Salut, Re.Me.De.

En février 1986, il apporte sa participation au camion dispensaire de I' Association Re.Me.De circulant dans Paris pour porter aide à ces exclus des soins.

En mai 1986, naît de lui « Mission France » qui ouvre un centre 44, rue de la Clef à Paris pour élargir la capacité d'accueil initiale et mieux sonder les besoins réels de ces démunis. Ce premier local est vite insuf­fisant. En novembre 1986 un centre plus vaste de 250 m2 est ouvert, 1, rue du Jura, Paris 139 • Un autre a vu le jour plus récemment rue Amelot.

En province, on compte actuellement 11 centres de soins. « Mission France » prend une dimension nationale.

L'expérience de la rue du Jura est celle qui jusqu'à présent a permis de mieux réfléchir sur les difficultés de l'action dans ce domaine et d'éclairer les objectifs à atteindre pour qu'elle soit efficace .

• 1. - L'ENQUÊTE

L'enquête, d'une qualité exceptionnelle, menée par Véronique Pouchet sur plus de 7 000 dossiers et plus de 25 000 consultations est indispensable pour com­prendre ce qui va suivre. En voici le résumé :

(•) 2, rue du Colombier, 94200 Ivry, 6 XII. 87.

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Mission France

1 . Répartition selon la nationalité

France ................................... . Afrique noire ............................. . Maghreb ................................. : Europe ................................... . Asie - Proche Orient ...................... . Amérique ................................ . Non précisé .............................. .

55,5% 15,3% 14 % 6 % 5,3% 2,2% 1,7 %

Situation administrative des 44,5 % étrangers: Immigrés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 % Demandeurs d'asile........................ 9,3 % Réfugiés politiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 ,4 % Clandestins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4,4 % Touristes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3,9 % Étudiants.................................. 2,5 %

2. Répartition selon le sexe

Hommes . . . . . . . . . 7 4 % Femmes . . . . . . . 26 %

3. Répartition selon l'âge Moins de 40 ans 71,6 %

Entre 20 et 30 ans, 1 consultant sur 3.

4. Répartition selon la situation familiale

Seul ...................................... 62 % En couple ................................ . Divorcé, séparé ou veuf .................. . Non précisé .............................. .

16,5 % 13 % 8,5%

5. Répartition selon les conditions d'habitation

Pas de logement personnel . . . . . . . . . . . . . . . . 70 % Pas de domicile stable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 1 %

6. Répartition selon le mode de recrutement

Un ami . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28,8 % Associations ............................. . Service social ............................ . Hôpital ................................... .

8

17,7 % 15,2 % 13 %

B~reau d'aide sociale. P.M.I. .............. .

Affichage-presse ......................... . Centre d'hébergement .................... .

9,5% 8,6% 7,2%

7. Répartition selon le niveau d'études et la caté­gorie socio-professionnelle

Primaire . . . . . . 41 % (ouvriers, employés) Secondaire . . . 38 % (artisans, commerçants, agents

de maîtrise) Supérieur . . . . 13 % (cadres, professions libérales) Non précisé . . 8 %

8. Répartition selon la situation de l'emploi

. 7 sur 10 sans emploi ( 1 sur 2 inscrits à I' A.N.P.E.)

9. Répartition selon le niveau des ressources finan­cières

Sans ressources . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66 %

+de 4000 F ............................ . De 4 000 F à 2 000 F ................... ..

2,5% 6,3%

- de 2 000 F . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 %

Non précisé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 ,2 %

1 O. Couverture sociale

Sans couverture sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60 % Assurés sans ressources financières . . . . . . . 40 %

11 . Répartition selon les caractéristiques médi-cales

Dermato . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15,6 % Gynéco-obstétrique (dont 491 grossesses non surveillées) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 % Neuropsychiatrie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 % Digestif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8 % Ostéoarticulaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 % Traumato ................................ . Cardiovasculaire .......................... . M.S.T .................................... . Autres (path. dentaire, anémie, cancer, sida)

5 % 4,4% 4 %

25 %

A noter la fréquence des affections sévères : cancer, tuberculose, SIDA.

Il. - LES ACTIVITÉS D'UN CENTRE D'ACCUEIL

Les exclus des soins viennent au centre pour se faire soigner et espèrent souvent du centre plus qu'il ne peut actuellement donner.

Le personnel médical de base est formé de généra­listes en fin d'études, en activité ou retraités et d'infir­mières. Rares sont les affections simples, à court terme, pour lesquelles les soins infirmiers ou la distri­bution d'échantillons médicaux suffisent.

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Le plus souvent, les cas sont plus complexes et nécessitent examens complémentaires, consultations de spécialistes (dont certains viennent au Centre), voire hospitalisation.

Une étroite collaboration avec les assistantes sociales et la coordinatrice qui travaillent à plein temps, aidées de bénévoles est indispensable au médecin lors

· de chaque consultation.

Soulignons la difficulté, la plus fréquemment ren­contrée, d'établir ou de rétablir les liens entre les « exclus » et le milieu sanitaire officiel. On remplit d'abord une demande d'aide médicale à domicile en urgence. Elle doit être déposée à un bureau d'aide sociale déterminé avec toutes les pièces justificatives nécessaires: carte d'identité, ou carte de séjour validée, livret de famille, carte de Sécurité sociale, der­nière quittance de loyer, dernier avis d'imposition, bul­letin de salaire des 3 derniers mois ou dernier talon de retraite ou pension, justificatif du dernier versement des allocations familiales, carte de demandeur d'emploi et dernier relevé d' A.S;S.E.D.l.C. ou d' A.N.P.E.

Pour un non assuré social, dans l'incapacité le plus souvent de souscrire une assurance personnelle, on remplit alors une demande de prise en charge totale ou partielle près du bureau d'aide sociale ou de la caisse d'allocations familiales.

· On ne peut qt.( évoquer le problème plus rare des étrangers en situation illégale, des étrangers réfugiés et immigrés en attente de régularisation.

Il faut un temps interminable pour faire jouer les mécanismes actuels de protection sociale. D'autant plus que, souvent, l'histoire individuelle des exclus est génératrice d'obstacles insurmontables (troubles du comportement, isolement, domicile instable, pertes des papiers essentiels, méconnaissance des droits sociaux) ( 1).

Dans une telle situation, donner des soins d'abord s'impose, quitte à les faire assurer ensuite par un système de protection sociale.

Le généraliste apprécie le degré de gravité du mal.

Les cas bénins bénéficient de soins locaux (infir­merie, médicaments courants). Les cas plus complexes mais toujours ambulatoires nécessitent souvent des consultations de spécialistes (dont certains viennent bénévolement au centre d'accueil), des examens de laboratoire faits gratuitement par des laboratoires privés ou des dispensaires.

Enfin I' Assistance publique, depuis décembre 86, a fait une expérience d'accueil des malades les plus démunis (consultations spécialisées, examens complé­mentaires, hospitalisation des cas sévères). L'Hôtel Dieu et Lariboisière ont été choisis pour cela. Voilà une porte ouverte vers les cas complexes détectés dans les centres Mission France, Re.Me.De ...

( 1) « Ils se sont exclus eux-mêmes du système de pro­tection existant, dans une dégradation sociale, dans une dérive dramatique où toute approche bureaucratique de leur détresse est devenue impossible » (Bernard Kouchner).

Ill. - DE L'EXPÉRIENCE À L'ESPÉRANCE

D'autres organisations ont aussi porté aide aux exclus des soins. La campagne de « Médecins du Monde » est, volontairement, peut-être plus spectacu­laire et concrètement plus efficace. Elle s'est faite en utilisant au mieux ce que son Président-fondateur, dans une expression imagée, appelle le « devoir de tam­tam». Cette campagne est, au sens noble du terme, politique.

De hauts responsables politiques appuient leffort de« Médecins du Monde». En particulier le Ministre de la Santé, Michèle Barzach, et celui des Affaires sociales, Philippe Seguin, ont appelé des membres de M.D.M. à participer à deux commissions d'accès aux soins: celle des chômeurs en fin de droit et celle des « personnes en situation de précarité».

Ils y ont fait des propositions concrètes : - Soigner d'abord, justifier ensuite; - Créer un fonds commun de placement ; - Simplifier les procédures ; - Former des travailleurs sociaux aux problèmes parti-

culiers des exclus des soins qui œuvreraient dans des structures d'accueil spécifiques.

La « Mission France » ne prétend pas régler seule ce phénomène de société. Elle participe à des cellules de réflexion groupant toutes les personnalités et toutes les organisations concernées par ce problème. Comment prévenir cette dégradation sociale? Comment réinsérer socialement les exclus ? (création de liens humains durables, stabilité de l'habitat, activité professionnelle attractive et durable).

Mais au sein de ce monde souffrant, d'autres pro­blèmes que les exclus quotidiens se posent. Et la « Mission France » se préoccupe aussi du problème du SIDA, de celui de l'adoption (en particulier d'orphelins du tiers monde et de celui de laide aux jeunes mères toxicomanes (« vivre sans drogue avec son enfant »).

. . « La moisson est grande et les ouvriers peu nom­

breux.»

Nous, médecins catholiques, nous nous sentons concernés par cet effort des organisations en lutte contre le mal.

La plupart d'entre nous ne peuvent aller au bout du monde. Mais, en France même, les centres d'accueil des exclus des soins ont un besoin sans cesse accru de médecins bénévoles (étudiants en fin d'études, prati­ciens en activité ou à la retraite) pour les aider à porter aide. Pensons-y.

Ce texte résume les travaux récents du pr Alain Deloche, de B. Kouchner, et de Véronique Ponchet. •

Pour tous renseignements complémentaires, s'adresser à: Véronique Ponchet, Centre d'accueil des Méde­cins du Monde, 1, rue du Jura, 75013 Paris. Tél. : (1) 43.36.43.24.

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168, rue du F ----- aubourg St-H ,EUROTHERMES onore. 7 5008 PARIS

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, , MALADIE ET SOCIETE

La société occidentale face à la maladie du Moyen Age à nos jours,

« La maladie est la zone d'ombre de la vie, un terri­toire auquel il coûte cher d'appartenir et que nous essayons d'ignorer obstinément, tant que nous ne sommes pas contraints d'y émigrer.» Individuellement et collectivement, la maladie oblige en effet à composer avec la mort, car tout malade est un mort en puissance, et c'est cette réalité insupportable que nous fuyons : nous nous savons abstraitement mortels et nous vivons comme si nous étions immortels. De cette contradiction, la maladie est le terrible révélateur. Elle détermine au sein de toutes les sociétés humaines une série de comportements qui, de la tentative d' expli­cation rationnelle à la panique collective, constitue une longue histoire que nous allons tenter de cerner, du Moyen Age à nos jours en Occident. Nous essaierons de comprendre comment la maladie participe à chaque époque à la constitution du fait culturel, et comment dans le même temps notre culture tend à donner à la maladie le sens de la déviation et au malade un statut qui lexclut. Et comment, malgré tout, notre société s'exprime dans ces formes morbides où elle refuse de se reconnaître au point que chaque grande époque de l'histoire du monde occidental peut être caractérisée par une maladie déterminée : la peste et la lèpre au Moyen Age, la syphilis et la folie à la Renaissance et au Grand Siècle, la tubercolose et les maladies véné­riennes au x1x0 siècle, le cancer et les maladies géné­tiques au xx0 siècle.

Pour résoudre ces difficiles contradictions, la société européenne essaie, au fil des siècles d'appré­hender la maladie et de la maîtriser à travers trois niveaux d'explication et de comportements : une expli­cation religieuse de la maladie induisant un compor­tement de prière, d'exorcisme et de pénitence pour que cesse le fléau, une explication scientifique ou rationnelle de la maladie, à partir de laquelle sont mises en œuvre des actions pour tenter de maîtriser la catastrophe, et une explication populaire où l'affectivité et l'imaginaire collectif se donnent libre cours avec des explosions de violence aveugle et des conduites oscillant entre la rage de vivre et le suicide.

Suivant les vécus de la maladie, individuel ou col­lectif, endémique ou épidémique, mortel ou curable, les comportements sociaux oscillent entre ces trois pôles, le plus souvent étroitement intriqués et inchangés au cours des siècles, puisqu'ils sont à bien des égards encore les nôtres aujourd'hui. Dans ce rapide survol de six siècles, on distingue quatre périodes d'inégale durée : la fin du Moyen Age (XIV8 -XVl8 siècles) où à la

par M.J. IMBAULT-HUART (*)

suite des épidémies de peste, la peur submerge l'Oc­cident, et où Dieu apparaît comme le seul recours, puis du xv1e au xvme siècle s'étend une période où l'esprit humain essa·ie de se ressaisir, de reprendre confiance en lui, et d'acquérir un savoir suffisant pour empêcher la maladie de bouleverser la vie en société. Une troisième période s'ouvre au x1xe siècle où la société se divise face à la maladie, avec d'un côté la peur oppressante des maladies dites héréditaires, et de l'autre, une avancée scientifique sans précédent. Une dernière période commence avec Pasteur et ses victoires pour se continuer jusqu'à nous. La société veut croire la maladie enfin vaincue et verse dans l'illusion d'un progrès incessant qui l'en délivrera. Mais les acquis de la génétique, le cancer, l'apparition menaçante du SIDA, revivifient nos craintes et nos phantasmes collectifs et nous rappellent que nous sommes toujours aussi fra­giles et vulnérables.

Le Moyen Age entre le péché, la peur et la foi (XIV8 -XVl8 siècles)

La vision moyen-ageuse de la maladie se construit à partir d'un double héritage: religieux, avec la Bible et le Nouveau Testament, scientifique, avec la science grecque.

Les textes bibliques transmettent une double vision de la maladie. D'une part, elle est la sanction d'un péché ou d'une inobservance des rites. Dieu sévit contre le méchant ou l'impie. C'est ainsi que Myriam, sœur de Moïse, «devient lépreuse, blanche comme la neige » pour s'être élevée contre le privilège échu à son frère de parler seul à Iahvé (Nombres 12,9) ou que le Psalmiste s'écrie (107, 17) «les insensés par leur conduite crimi­nelle et par leurs iniquités, ils ont attiré sur eux la douleur». Mais avec Job, la maladie n'est plus expiation, elle devient épreuve et purification. En l'ac­ceptant humblement et en se repentant de ses péchés, le juste peut espérer en la miséricorde divine et cette soumission le sauve. Ainsi sont liés guérison et salut. « Guéris-moi Iahvé que je sois guéri, sauve-moi que je soie sauvé » implore Jérémie. Dans ce contexte, toute intervention thérapeutique est inutile. Seule l'inter-

(*) Directeur de l'Institut d'Histoire de la Médecine et de la Pharmacie de l'Université René-Descartes.

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Maladie et Société

vention de l'Éternel guérit. A ce Dieu jaloux et sauveur à la fois succède, avec le Nouveau Testament, le Bon Berger, qui donne un sens nouveau à la maladie. Le Christ nie expressément que le péché soit cause effi­ciente de la maladie. Le péché et la maladie sont pour lui deux incarnations du mal sur lequel il a pouvoir, parce qu'il est Dieu. Il sauve et il guérit mais il utilise l'acte curatif visible pour prouver la gloire de Dieu, pour accomplir son Royaume. . .

A cette noble vision religieuse de la maladie, l'une centrée sur la faute et la punition, l'autre sur la guérison et la miséricorde de Dieu, s'ajoute mais très estompée dans la mentalité collective la notion grecque, reprise par Galien ( 130-200 après J.C.) : La maladie phé­nomène naturel dO à un trouble dans «l'équilibre et l'harmonie des solides, des humeurs et des forces ». La maladie est un dérèglement des ressorts de la méca­nique corporelle qu'il s'agit de restaurer en respectant l'action de la « Natura Medicatrix » , vue comme «un artisan cosmique qui réalise parmi les possibles celui qui est le meilleur » .

Mais le Moyen Age n'a guère les moyens de privi­légier, sinon dans les livres, cette explication scienti­fique de la maladie et c'est l'explication religieuse qui domine la vie en société à partir de la peur qu'impriment la peste et la lèpre.

La peste, archétype de cauchemar collectif, ter­rorise l'Occident du x1ve au xvme siècle, mais l'épidémie de 1348-1350 est la plus tragique que l'Europe ait jamais connue. Disparue au IX8 siècle, la peste resurgit brutalement en 1346 sur les rives de la mer d' Azov. En 134 7, elle gagne Constantinople et Gènes et bientôt toute l'Europe, du Portugal et de l'Irlande à Moscou. Le tiers des Européens succombe mais l'Italie, la France et lAngleterre, qui perd 40 % de ses habitants entre 1348 et 1377, sont les pays les plus touchés. Des villes comme Albi et Castres en France, Magdebourg, en Allemagne, perdent la moitié de leur population de 1343 à 1357. Hambourg près de 60 %, Florence et Sienne 40 %. Les images de cauchemar engendrées par la peste contribuent à tisser une représentation mentale des épidémies qui se transmet aux siècles suivants. La peste est identifiée comme un fléau venu de l'étranger, comme une nuée dévorante semant la mort sur son passage, ou comme un incendie annoncé dans le ciel par le sillage d'une comète, la contagion est comparée à un embrasement.

Face à cette réalité insoutenable, la société réagit

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durant quatre cents ans d'une manière quasi immuable. Résurgit tout d'abord la crainte d'un Dieu courroucé et vengeur, qui punit les hommes de leur orgeuil, de leur cupidité et de leur luxure. Ensuite, on essaye de nier le fléau. Les médecins et les autorités cherchent à se tromper eux-mêmes, on évite de nommer le mal pour ne pas l'attirer. Mais au silence succède la panique qui déferle sur la ville. C'est alors le sauve-qui-peut général. Riches, pauvres, tous prennent la fuite, dans toutes les directions, au hasard. Identiques à celles du x1ve siècle, les scènes d'exode se renouvelleront à Paris lors de l'épidémie de choléra de 1832. Dans la cité, vidée et mise en quarantaine, on assiste à la rupture de la vie sociale. Les églises, les magasins sont fermés, les artisans partis. Les habitants restants s'évitent les uns les autres, se claquemurent chez eux, « les hommes redoutent jusqu'à rair qu'ils respirent. Ils ont peur des défunts, des vivants et d'eux-mêmes». Les cadavres sans sépulture jonchent les rues. La peur, l'abattement, la folie, le suicide coexistent avec l'héroïsme, la rage de vivre, le pillage, la cupidité. Comme la guerre, l'épi­démie engendre« une dissolution de l'homme moyen», on ne pouvait qu'être odieux ou sublime.

Mais si choquée soit-elle, la population frappée par la peste cherche une explication car expliquer c'est rendre une cohérence au chaos ambiant, c'est se donner les moyens d'agir. L'explication rationnelle et savante attribuant la peste à une malignité de l'air, pro- . vaquée par des phénomènes célestes, ou par des éma­nations putrides, ou les deux ensembles, en niant la contagion, allait à l'encontre de la réalité vécue et laissait peu de place à l'action humaine. Par ,contre, la mentalité collective rejoignait les gens d'Eglise qui expliquaient la peste par les « semeurs de contagion » envoyés par Satan et la vengeance de Dieu irrité par les péchés d'une population. D'où la double action: iden­tifier les boucs émissaires et les châtier, puis prier, faire pénitence et se repentir. Il faut rappeler au passage que le choléra de 1832 provoqua à Paris, Lille, Marseille et Londres la même recrudescence de piété.

Aux démarches individuelles (confessions, commu­nions) on adjoint des supplications collectives et des pénitences publiques pour fléchir le Très Haut et pour mettre toutes les chances de son côté, on ne néglige pas les intercesseurs dont les plus privilégiés sont la Vierge Marie et saint Roch. Durant les quatre siècles (x1ve-xv111e siècles) où la peste sévit ces comportements se répèteront identiques à chacune de ses manifesta­tions ainsi que pour d'autres maladies épidémiques.

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La lèpre. En revanche, face à la lèpre, autre terreur du Moyen Age, le comportement est tout différent et illustre une autre constante vis-à-vis de la maladie. C'est le phénomène de rejet total de certaines formes de maladie dans lesquelles la société refuse de se reconnaître et dans lesquelles elle investit préférentiel­lement langoisse de la précarité de la condition humaine et la peur de mourir. Au Moyen Age c'est la lèpre qui incarne ce refus. La lèpre, considérée depuis la Bible comme la marque hideuse du péché, assimilé à une lèpre intérieure, renvoyait à la damnation éternelle et à une autre peur du Moyen Age: le retour à l'ani­malité, la perte de la dimension spirituelle de l'homme illustrée par le masque léonin de la lèpre lépromateuse. Une fois reconnu comme tel, et avec les moyens diag­nostiques de lépoque, bien souvent à tort, le lépreux est solennellement exclu de la société par une céré­monie liturgique où il assiste à son propre enterrement puis il est conduit à sa cabane dans la maladrerie dont il ne devra plus sortir~ sauf en de rares occasions et précédé d'une cliquette, signalant son passage. Impi­toyablement, l'anathème persista jusqu'à la disparition de la lèpre en France : amorcée dès le xv0 siècle, celle-ci videra progressivement les deux mille léproseries recensées en France.

Comprendre et agir (xv1°-xvm0 siècles)

Amorcée théologiquement par Luther ( 1483-1546), poursuivie sur le plan scientifique par Nicolas Copernic ( 14 7 3-1543), Galilée ( 1564-1642) et Isaac Newton (1642-1727) une nouvelle image du monde et )de l'homme se met en place à partir du xv1° siècle. C'est définitivement la fin du cosmos médiéval avec ses étoiles fixes, son espace fermé, la terre et l'homme à son centre et Dieu au sommet. Un monde infini, en mouvement, soumis à des lois mathématiques, dont Dieu est absent et dont l'homme n'est plus le centre lui succède. Dans ce bouleversement conceptuel qui exalte et angoisse les hommes du xv1° et du xvn° siècles, la raison et la science semblent des guides sOrs.

Si les épidémies de peste, implacablement récur­rentes, continuent leurs ravages au xv1° et au xvne siècles avec une dernière flambée à Marseille en 1720, elles s'espacent et leur violence ne peut se comparer

aux poussées du x1v0 et du xv0 siècles. La lèpre s'éteint progressivement. Le mal des ardents (ergotisme)_, la variole, les dysenteries, les «fièvres», continuent à frapper durement la population européenne mais elles elles n'apparaissent pas comme un châtiment infligé par un Dieu courroucé, ni comme un mal intolérable qu'il faut à tout prix oublier et expulser du corps social pour que la vie puisse continuer. A ces entités morbides, la Renaissance et les siècles suivants cherchent des expli­cations rationnelles et la société multiplie les mesures pour tenter de les maîtriser. Bien que la peste garde son aura maléfique de punition envoyée par la colère divine et que l'on continue pour l'exorciser à lui sacrifier les lépreux, les bohémiens, les juifs et les sorcières, des mesures cohérentes d'isolement, de quarantaine, de propreté des lieux publics sont prises au xv1° et au xvn° siècles et respectées. Les processions continuent mais on désinfecte avec de grands feux, on brûle les vête­ments des pestiférés, on recueille les malades dans des hôpitaux spécialisés comme !'Hôpital Saint-Louis à Paris, construit dans les années 1605-1610 à cet effet. Avec le xv11° siècle renaît aussi l'idée de la maladie, épreuve spirituelle et purification. L'Église invite les fidèles à découvrir dans la souffrance une voie privi­légiée de perfectionnement intérieur. Pascal insiste sur le « bon usage des maladies » , et fait sienne I' affir­mation de Sainte Hildegarde « Dieu n'habite pas les corps bien portants».

En revanche, au xv1° et au xvn° siècles, les deux maladies qui envahissent jusqu'à l'obsession l'imagi­naire collectif, en suscitant les mêmes réactions archaïques de peur et d'exclusion, sont la syphilis et la folie.

La syphilis

Maladie nouvelle, la « grande vérole » est men­tionnée pour la première fois en 1498. Le poème que lui consacre le médecin Girolamo Fracastor (1478-1553) intitulé « syphilis sive de morbo gallico » , publié en 1530, donne à cette maladie son appellation défi­nitive.

« Mal honteux qui dérive de passions coupables et qui a son origine première dans le coït impur », la syphilis incarne à nouveau la maladie-punition et frappe au cœur la société de la Renaissance dans sa soif de connaissance et son appétit de vivre. Car les grands voyages de circumnavigation, par le brassage de popu-

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Maladie et Société

lations qu'ils créent, sont responsables de l'ampleur de la contagion et la violence du mal raviva la peur de la sexualité, que le xv1e siècle avait choisi d'oublier. Avec la syphilis, deux notions nouvelles apparaissent, géné­ratrices de nouveaux comportements face à la maladie. Tout d'abord, si la syphilis apparaît, à l'instar de la lèpre, comme une maladie-punition, elle n'est cependant pas entachée de la même fatalité, car pour le mal vénérien la responsabilité du pécheur ~st absolue. En transgressant l'idéal de chasteté, que l'Eglise s'em­presse de rappeler avec force, en succombant à la luxure, il n'a pas d'excuse et sa faute est d'autant plus grave qu'il met en péril le corps social. Ensuite, avec la syphilis, la société du xv1e siècle prend nettement cons­cience de la notion de contagion, qui à partir de cette époque n'est plus remise en cause. Il apparaît comme indiscutable que certaines maladies peuvent être trans­mises et donc qu'elles ont une cause naturelle que lon peut éliminer. Ainsi surgissent dans toute l'Europe des mesures d'hygiène collective pour éviter l'extension de la syphilis (construction d'hôpitaux réservés aux« véné­riens», contrôle des prostituées, etc.).

La folie

Tout autre est l'attitude vis-à-vis des maladies mentales. Comme le lépreux incarnait ce qui appa­raissait le plus dangereux à la société du Moyen Age : la perte de son âme, le fou incarne pour la société de la Renaissance et jusqu'au xvme siècle, ce qui peut arriver de plus terrible à l'homme : la perte de sa raison, de sa puissance sur soi. Ceci, parce qu'avec la Renaissance, puis I' Age Classique, se met, en effet, en place une nouvelle image de l'homme fondée sur la puissance de l'homme raisonnable sur lui-même. L'homme est sou­verain maître de lui-même. Dans cette optique, la raison ne peut se constituer qu'en excluant la déraison. Alors qu'au Moyen Age, le fou n'est seulement que quelqu'un d'étrange, il devient, à partir du xv1e siècle, une non­personne qu'il faut renfermer ou cacher car il trouble l'ordre du monde. En revanche, en l'enfermant, on l'in­corpore d'une manière acceptable pour la société. On l'intègre tout en le rejetant, on le prend en charge tout en le retranchant. C'est pourquoi on voit se multiplier au xvue et au xvme siècles, les hôpitaux généraux où lon cloître les fous, non pour les soigner (on ignore tout des maladies mentales) mais pour les soustraire au regard. Ce n'est qu'au début du x1xe, lorsque se constituera l'espace asilaire que le savoir médical essaiera de cla­rifier la pathologie mentale.

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Le triomphe de la science (XIX8 siècle)

Le rêve d'une société régie par la science et par là-même délivrée de ces antiques fléaux que sont la maladie et la mort prend corps et culmine dans la seconde moitié du xvme siècle et durant tout le x1xe siècle. Le regard sur la maladie change et la société commence à croire qu'elle peut ·la maîtriser par des mesures appropriées dont l'inoculation est l'exemple le plus frappant. La variole dont la Condamine ( 1 701-1774) estimait« qu'elle tue, mutile ou défigure plus du quart du genre humain » est ainsi tenue en respect à partir des années 1760, malgré l'opposition de la Faculté de Théologie qui condamne l'inoculation.

Cette confiance de plus en plus grande dans le savoir médical pour éclairer et structurer la vie en société, se traduit au x1xe siècle par un développement très grand de l'hygiène publique dans les sociétés euro­péennes que les découvertes de Louis Pasteur accroî­tront encore. C'est en effet toute une société qui se mobilise et se rassemble autour d'une nouvelle repré­sentation de la maladie, la maladie-agression. Avec la découverte des microbes, la maladie devient l'agression d'un vivant par un autre vivant qui, dans l'in­timité de son organisation, lui dispute son territoire pour survivre et ceci à tous les échelons de la vie. Ainsi naît la notion d'antagonisme bactérien en 1878, notion qui connaît un succès foudroyant. En 1889, année cen­tenaire de la Révolution Française, on ne parle que d'an­tagonisme politique, social, et de lutte pour la vie. Enfin, l'ennemi est démasqué. On déclare la guerre aux maladies que dans un optimisme naïf on imagine•toutes d'origine infectieuse. A chaque maladie, son bacille. Dans ce climat conquérant, deux maladies échappent à cet optimisme et obsèdent le corps médical qui y voit une menace de mort pour la nouvelle société bour­geoise qui se met en place au x1xe siècle. Ce sont la tuberculose et la syphilis.

Durant tout le x1xe siècle et la première moitié du xxe siècle, malgré la découverte du bacille tuberculeux par P. Koch ( 1843-1910) en 1882 et celle du tré­ponème par F. Schaudinn ( 1871-1906) en 1906, ces deux maladies perçues comme héréditaires et asso­ciées à l'idée de châtiment ressuscitent toutes les vieilles peurs. La notion de maladie héréditaire domine le savoir médical, la littérature (cf. l'œuvre de Zola), la pensée religieuse. Parce que pour une société bour­geoise fondée sur le travail, la famille et la patrimoine, le

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« péril vénérien » est une atteinte directe à la paternité et que la tuberculose fragilise la race, rend la descen­dance inapte au travail, donc perturbe gravement l'ac­croissement et la transmission du patrimoine.

Dans cette optique les tuberculeux et les « véné­riens » représentent une gangrène du corps social entraînant sa dégénérescence. Il s'ensuit une surveil­lance des mariages, dans laquelle le médecin devient l'arbitre de la reproduction humaine, tandis qu'une partie du corps médical, influencée par l'idée darwi­nienne de sélection naturelle et par les théoriciens de leugénisme, s'interrogeait dans les années 1860-1880 sur la nécessité de soigner les tuberculeux. Cette inter­rogation n'était du reste pas l'apanage des seuls médecins. La tuberculose apparaissait à beaucoup comme un facteur de sélection anéantissant les moins vigoureux et ménageant les plus vigoureux. Quoiqu'il en soit, les tuberculeux comme les syphilitiques seront, jusque vers les années 1950 (date à laquelle des théra­peutiques efficaces seront découvertes et diffusées) considérés comme des dangers sociaux et sévèrement isolés ou surveillés. La peur de la maladie héréditaire, sanction d'une faute, fera attribuer à la syphilis, jus­qu'au milieu du xxe siècle, sans preuve et pêle-mêle, toutes sortes de pathologies : affections congénitales, artérites, anévrismes, dystrophies, avortements répétés, etc. Avec la syphilis, le nouvau né malformé payait la luxure de ses géniteurs et lorsque la tuber­culose ne pourra plus être considérée comme hérédi­taire, on l'attribuera à une «faute contre l'hygiène».

De la surmédicalisation au malade citoyen (xxe siècle)

Durant la première moitié du xxe siècle, les décou­vertes de Pasteur entraînent des progrès thérapeu­tiques sans précédent (vaccins, sérothérapie, antibio­tiques), cependant que l'antisepsie et l'asepsie permettent une lutte efficace contre l'infection. La mor­talité infantile diminue considérablement, tandis que la longévité augmente. Des pans entiers de la pathologie s'effondrent et disparaissent, et le progrès médical apparaît comme illimité. Il s'ensuit qu'à partir des années 1950, le discours médical devient dominant et la médecine présente dans tous les domaines de la vie individuelle et sociale. Avec l'affaiblissement des reli-

gions et des idéologies, c'est à la science médicale que lon demande les normes de la vie en société et les moyens de mieux vivre. De ce fait, il ne s'agit plus essentiellement d'éviter ou de résister à la maladie, mais de jouir d'une santé sans faille, tout en restant jeune et beau. Ainsi s'instaure dans nos sociéJés dites développées un droit à la santé garanti par l'Etat, qui, joint à un progrès médical et technologique incessant, transforme profondément nos conditions de vie indivi­duelle et collective. D'autres bouleversements inter­fèrent également qui modifient la maladie et les atti­tudes sociales face à la maladie :

- l'urbanisation accélérée crée un nouvel environ­nement, générateur d'une nouvelle pathologie;

- à un monde traditionnel et répétitif se substitue un monde de changement et de concurrence inces­sante, qui exige des individus toujours plus d'intelli­gence et de connaissances, ce qui fait de l'homme moderne un être de plus en plus fragile, sujet au stress et à la dépression ;

- l'accroissement de la longévité met en évidence toute une nouvelle pathologie, dont la charge écono­mique pose de redoutables problèmes de société ;

- la médicalisation de la société modifie les seuils de sensibilité à la maladie. D'une part, la liste des maladies connues s'allonge sans cesse et d'autre part, on demande à la médecine de prendre en compte des domaines qui ne relevaient pas d'elle tra­ditionnellement (alcoolisme, drogue, homosexualité, diététique, génétique, etc.);

- l'extension des cancers, les progrès de la génétique bouleversent l'image que l'homme se faisait de ses maladies. A l'image de la maladie exogène qu'il pouvait cibler et combattre, se surajoute une autre image, endogène, source de nouvelles angoisses. Il sait que la maladie fait dorénavant partie de lui­même. Tapie au fond de ses cellules, ou inscrite avec précision dans son programme génétique, la maladie lui apparaît comme partie intégrante de la vie, de sa vie, et comme telle indéfiniment victorieuse et sans cesse renaissante ;

- le coOt de plus en plus lourd de la protection sociale entraîne de nouvelles attitudes sociales. Dans les maladies où lenvironnement et les conditions de vie jouent un rôle déterminant, la société fait peser sur le malade une culpabilisation latente. Loin d'être une victime il est considéré comme coupable. Pris en charge par la société, il doit en échange se comporter

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Maladie et Société

comme un citoyen responsable, soucieux de pré­server sa santé. Pour les maladies incurables, la col­lectivité perçoit avec angoisse que leur prise en charge de plus en plus longue et coûteuse pourrait avoir des limites.

Tous ces éléments font que dans les sociétés modernes lattitude face à la maladie oscille entre des pôles contradictoires.

En premier lieu, une confiance illimitée dans les progrès de la médecine, dont on pense que dans un avenir proche elle sera capable de guérir toutes les maladies. Et, parallèlement, une attitude de plus en plus critique vis-à-vis des médecins, dont on n'admet plus l'échec, au nom de ces mêmes progrès.

En second lieu, comme aux siècles précédents, une attitude de rejet, de fuite devant certaines maladies incurables, ce qui tend à donner aux malades qui en sont atteints un statut d'exclus, aussi cruel, sous d'autres formes que celui des siècles précédents. Les cancéreux, les handicapés physiques et mentaux, et plus récemment les malades atteints du SIDA, en sont les principales victimes.

Les cancers font peur pour deux raisons : leur étio­logie, bien que de mieux en mieux cernée, reste inconnue, et ils sont toujours considérés comme mortels. Guéri, le cancéreux fait peur et on lui refuse le retour à une vie normale. Malade, on s'en éloigne ou on

le surprotège. Lié, dans l'inconscient collectif à un choc émotif ou à un refoulement des émotions, le cancer apparaît comme un échec personnel dont le malade porte plus ou moins la responsabilité.

Le rejet est encore plus puissant concernant les handicapés physiques et mentaux car ils renvoient à la peur ancestrale du monstre, de l'anormal, qui remet en cause la vision rationnelle, donc rassurante, du monde.

Quant aux malades atteints de SIDA, ils déclen­chent des réactions de panique aussi violentes que les lépreux au Moyen Age.

Alors que la société ne redoutait plus les maladies infectieuses, une à une jugulées, elle n'imaginait pas qu'il pût en surgir une nouvelle et de plus implaca­blement mortelle. De plus, le mode de transmission de la maladie (sang et sperme) touche à des tabous très puissants et profondément enfouis. Se sentant menacé, le corps social retrouve les vieux schémas de violence, de haine et d'égoïsme.

Au-delà de l'ébranlement des certitudes et des croyances, au-delà du « désenchantement du monde » moderne, il nous reste un difficle chemin à parcourir: lutter contre la maladie de toutes nos forces et en même temps l'accepter, admettre qu'elle fait partie de la vie. •

Liste des annonceurs

EUROTHERMES 10

PANORAMA CHRÉTIEN . . . . . . 23

VITTEL ....................... 29

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RELIRE LA GENÈSE L'homme face à son évolution

'---------- par le Père Michel DU BUIT o.p. (*)

(Suite de /'article paru dans le n° 172 de «Médecine de l'Homme de nov./déc. 87. S'y référer pour le renvoi aux appendices I et Il).

QUATRIÈME JOURNÉE

Après avoir rempli la terre, il faut remplir le ciel. On s'est beaucoup fatigué, au siècle dernier, pour expliquer que les astres viennent après les plantes. C'est là que le concordisme s'avère intenable. Au contraire, une lecture faite en fonction de l'homme va nous apparaître instructive.

A quoi servent les corps célestes 7 D'abord à séparer le jour et la nuit, et même à préciser leur limite : Le soleil sait quand il doit se coucher dit un psaume (Ps 104, 19). L'heure commence à se fixer.

Mais surtout, les astres fixent le calendrier : les fêtes, les jours, les années. Leurs mouvements rotatifs combinés vont permettre à l'animal intelligent d'organiser son temps; un simple battement pendulaire n'aurait pas rendu ce service. Avant de créer l'homme, Dieu lui fait donc une horloge cosmique, un grand luminaire pour régler· le jour, un plus petit pour régler la nuit, et aussi les étoiles.

Ce ne sont pourtant que des lampes accrochées au plafond du ciel. L'auteur antique reste fidèle à son modèle architectural et rationnel. Il s'écarte de la pensée antique, mêlée d'animisme et d'idolâtrie, selon laquelle les corps célestes seraient animés de vie intelli­gente, et faits d'une matière merveilleuse et incorrup­tible. En matière d'astrophysique, le vieux prêtre de Jérusalem est moins éloigné de nous que les Babylo­niens, les Grecs et les médiévaux. C'est bien dommage qu'on ait mis si longtemps à s'en apercevoir.

Mais ce n'est pas tout. En écrivant: les fêtes, !'écrivain sacerdotal montce qu'il s'intéresse au calen­drier liturgique : non seulement l'homme pourra s'ins­taller dans le temps, mais il pourra y installer la célé­bration du Créateur. Les astres ont dans le monde une fonction religieuse, ils sont des signes de la sagesse divine. Un psaume le dit:

Les cieux épèlent la gloire de Dieu, la voûte céleste raconte I' œuvre de ses mains ... Pas de mot, pas de discours, c'est un appel que l'oreille n'entend pas, C'est un tracé visible de toute la terre, un document proposé aux bouts du monde

. (Ps 19, 1 ... 8).

L'homme vraiment sage sait lire, dans ce document, une loi divine, tout comme l'homme instruit sait lire la loi de Moise dans son livre, cette loi que l'homme ignorant peut seulement entendre lire à ses oreilles.

Tous les anciens ont cultivé cette analogie. Des imagiers juifs du Vl0 siècle ont tracé sur la même mosaïque un zodiaque, les Tables de la Loi, et l'image d'Abraham obéissant à Dieu. Nos imagiers médiévaux ont souvent fait les mêmes combinaisons, à leurs yeux pleines de sens. Thomas d'Aquin a développé dans la même ligne .s·on traité de la Loi. Chose plus "étonnante, Montesquieu a suivi la même inspiration pour introduire son Esprit des Lois. Et les fondateurs des sciences ont cherché à lire sur leurs tables d'expériences quelques­unes des lois de la nature.

C'est une grande perte pour notre siècle d'avoir rompu cette unité de la nature qui ne fait pas n'importe quoi, de l'homme qui ne devrait ·pas le faire, et du Créateur qui pose l'homme dans la nature.

Donc, Celui-ci a préparé une niche écologique pour l'animal intelligent, moral, religieux. Il vit que c'était bon: quatrième journée.

CINQUIÈME JOURNÉE

Il faut encore garnir deux portions de l'univers, l'eau et l'air. Nous retrouvons l'idée d'une génération spontanée : Que les eaux pullulent d'êtres vivants, et que des oiseaux volent au-dessus de la terre ... Dieu vit que c'était bon. Dieu les bénit et leur dit : Fructifiez, multipliez.

Une bonté d'un genre nouveau appelle une nouvelle parole, la bénédiction, que nous n'avions pas ren­contrée. Tous les anciens commentateurs ont compris qu'elle se rapporte à la génération sexuée, qu'ils igno­raient pour les plantes mais connaissaient pour les oiseaux et pour certains animaux aquatiques (Th. d' Aql:Jin, 1° Pars, Q 0 LXXII, art. 1, ad 4m). Comme l'auteur biplique, ces commentateurs ont apprécié·

(*) Ancien professeur à l'École Biblique de Jérusalem .

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Relire la genèse

lexcellence de ces animaux, non pas à cause de leur grandeur, de leur force ni de la durée de leur vie, mais à cause de l'autonomie qu'ils exercent quand ils s'unissent pour reproduire leur espèce. Nous sommes encore du même avis.

SIXIÈME JOURNÉE A

Et la sixième journée commence, celle des animaux terrestres et des humains. Nous retrouvons l'idée d'une génération spontanée: Que la terre produise ... , la division en grandes catégories: bestiaux domesti­quables, bestioles rampantes, bêtes fauves. Nous retrouverons, un peu plus loin, la bénédiction commune: «Fructifiez et multipliez ... (v. 28).

Nous pouvons tout de suite réfléchir à cette unité du règne animal, si nettement indiquée par la Bible malgré les privilèges humains qui seront dits plus tard.

L'homme ne s'humanise pas, ne se spiritualise pas, en reniant l'animal, en le maltraitant, en l'exterminant. Les écologistes n'ont pas tort, dans le fond.

L'homme ne s'humanise, ne se spiritualise non plus en s'écartant systématiquement des comportements animaux pour valoriser des conduites sophistiquées.

Il y aurait à développer une morale sur la prise en charge de l'animal par l'homme, et même de l'animal qu'est l'homme. Il est sans doute vrai que l'ascétisme d'autrefois a été souvent trop dur pour «Frère I' Ane» comme disait François d'Assise. Il est non moins vrai que l'immoralisme moderne est critiquable quand il prend gloire à dévoyer Frère I' Ane. La drogue, l'homo­sexualité, l'avortement systématique, le refus de toute règle inscrite dans la nature, aboutissent à faire une civi­lisation où l'homme cesse de se respecter, alors qu'il feint de s'être libéré.

Car l'homme n'est pas un animal comme les autres. Quand il va apparaître, le Créateur s'engage plus pro­fondément qu'il n'avait fait jusque-là; il dit: Nous allons faire l'homme ... Je garde en réserve la pluralité de ce nous, très rare en style biblique. Mais je note que Dieu s'engage dans une durée nouvelle, indiquée par un «aspect» du verbe qu'on peut rendre par l'impératif (traductions courantes) ou le futur (Grec et Chouraqui 1974). De toute façon, une durée continue est impliquée. Jusque-là nous avions vu une suite de tableaux, maintenant nous allons entrer dans un film.

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Nous allons faire l'être humain, à notre image ressemblante. L'être humain, c'est un collectif. Ne nous pressons pas d'en faire le nom propre d'un individu mythique, Adam, cela conviendrait aux cha­pitres suivants, pas ici.

Image ressemblante. Cela va si loin que jamais plus la Bible ne répétera ces mots. Tout au plus parlera­t-elle de l'homme image de Dieu. Les commentateurs juifs et chrétiens ont réfléchi là-dessus : pourquoi la res­semblance a-t-elle l'air de s'effacer? Il me semble permis de comprendre qu'elle était dans le projet de Dieu, mais pas dans sa réalisation initiale : Dieu créa l'être humain à son image, à l'image de Dieu il le créa, mâle et femelle il les créa (au pluriel).

Mâle et femelle, comme il convient aux animaux qu'ils sont bel et bien. La division des sexes, fait biolo­gique, traverse donc l'être humain de bas en haut, jus­qu'au niveau spirituel.

Au niveau intellectuel, on commence depuis quelques années à voir des différences dans l'anatomie et le fonctionnement des cerveaux masculin et féminin.

Au niveau psychologique, Freud n'a pas tort d'in­sister sur la sexualité comme sur une donnée fonda­mentale, qui ne se limite pas au génital proprement dit.

Au niveau spirituel, où l'image commence à se rap­. procher de la ressemblance, il y a des couples où les

deux partenaires sont égaux et progressent ensemble en union à leur Créateur.

Même chez les mystiques chrétiens qui subliment leur sexualité, il a existé des couples de «frère-et­sœur », «père-et-fille», «mère-et-fils», où les deux sensibilités, les deux imaginations, se sont affirmées et complétées, dans une commune recherche de I' Absolu. L'exemple est rare mais significatif et devait être évoqué ici.

Tel est donc l'être humain,« animal divin» comme dit un jour Bossuet (Sermon sur le culte de Dieu, 2 avril 1666).

Et la bénédiction de fécondité qui lui est donnée comme aux bêtes est augmentée d'une loi de domi­nation : ... occupez la terre, dominez sur les poissons •.• , sur les oiseaux ... , sur les bêtes qui vont et viennent. •. Je vous donne à manger les céréales et les fruits, et aux bêtes je donne la verdure des plantes. ·

La loi de domination est donc accompagnée d'une loi de sobriété : les humains devront montrer leur supé­riorité sur les bêtes par la force de leur intelligence, mais aussi par la capacité de se contrôler eux-mêmes. D'un point de vue moderne, nous pouvons reconnaître l'em­bryon de la pensée écologique.

Mais il faut observer surtout que lanimal divin reçoit cette loi sous forme personnelle : « Je vous donne ... » tandis que les autres en sont seulement les objets : « aux bêtes, je donne la verdure des plantes». L'être humain est donc capable d'entendre une parole, de la garder en mémoire et de s'y conformer.

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A l'époque judéo-grecque, un Sage d'Israël écrira. « Le Seigneur a assigné aux hommes un nombre fixe de jours et un temps déterminé. Il a remis en leur domination ce qui est sur la terre ... A son image Il les a créés ... Il leur forma une langue, des yeux des oreilles, il leur donna un cœur pour penser. Il mit sa lumière dans leur cœur pour leur montrer la grandeur de ses œuvres. Il leur accorda la connaissance, il les gratifia d'une loi de vie, il a conclu avec eux une alliance éternelle et leur a fait connaître ses jugements.

(Sir 1 7, 1... 12)

Maintenant, l'œuvre toute entière est déclarée très bonne (Gn 1, 31 ). Il y eut un soir, il y eut un matin, 6° journée.

Une utopie

Mais il faut reconnaître le caractère irréel de cette fin du Récit de création. L'auteur biblique savait très bien que les loups mangent des moutons, et pas de l'herbe. Il ne pensait probablement pas que les femmes fussent égales aux hommes, en tout cas la Loi de Moïse ne les traite pas comme telles. Et cet auteur n'aurait jamais osé penser être, lui-même, l'image ressemblante du Dieu transcendant.

Le récit a donc changé de caractère. Tout le début. décrivait l'univers selon une rationalité embryonnaire, mais reconnaissable. A partir du moment où Dieu s'engage dans son œuvre, pour faire l'être humain, l'utopie est apparente.

Or cette utopie a travaillé les esprits en Israël. Le Livre d'lsaie déclare qu'un jour, aux temps messia­niques, «le lion, comme le bœuf, mangera de la paille ». Dieu lui-même s'y fait entendre : «Je vais créer des cieux nouveaux et une terre nouvelle ... le lion comme le bœuf mangera de la paille et le serpent mangera de la poussière. On ne fera plus de mal ni de violence (ls 11, 7 ; 65, 17 ... 25).

Alors, pourquoi se priver de traduire au futur ? Et Dieu déclarera que c'est très bon. Ainsi seront achevés le ciel et la terre avec tout ce qu'ils contiennent.

Deux interprétations

Vous vous en rendez compte, c'est ici que ma pro­position diverge de ce que vous avez l'habitude d'en­tendre. Comme on ne se distingue pas bien de ce qu'on n'a pas bien reg_ardé, je résume l'interprétation clas­sique : elle consiste à lire en un seul bloc tout le début de la Genèse, les chapitres 1, 2 et 3. Le Jardin d'Eden du cap. 2 n'est autre que cet univers harmonieux et pai­sible du cap. 1. Un homme et une femme y ont vécu ensemble, au début du genre humain dont ils sont les ancêtres. Ils étaient « images ressemblantes » de leur Créateur, vivant en intimité avec lui et au plus haut niveau de leur existence. Eux-mêmes ont rompu cette harmonie par une révolte grave, le Péché originel, et mis en marche le processus de mort que nous connaissons bien. Dieu n'a pourtant pas abandonné leur descen-

dance, il l'a instruite par ses prophètes, secourue par ses grâces et, finalement, sauvée par son Christ.

Cette représentation est cohérente. Elle fait face au malheur et aux fautes des humains. Elle ne les plonge pourtant pas dans le désespoir. Des peuples entiers y ont trouvé de la force et de la sagesse, si bien que de nos jours encore, des personnalités s'y tiennent avec énergie.

Seulement, cette représentation est incompatible avec tout ce que nous savons sur l'origine du monde vivant, et des hommes ·en particulier. Or, pouvons-nous vraiment prendre au sérieux une représentation de Dieu Créateur du monde et de l'homme raisonnable image de Dieu et, en même temps, refuser d'assumer le résultat des études rationnelles faites par les hommes sur le monde? Ouelqu'amitié, quelque respect qu'on puisse avoir pour la position classique, il faut reconnaître qu'elle est intenable si on l'examine à fond.

Ma proposition est donc de considérer que le 6° jour de la création dure encore, et durera autant que la formation de l'homme jusqu'à sa perfection, et du monde jusqu'à sa pleine beauté, paix et harmonie

Le nous de Dieu et des humains

Oui fera cette œuvre créatrice ? Dieu bien sûr, mais on peut proposer de dire : Dieu avec les humains.

Le fameux « Nous » de « Nous allons faire l'homme à notre image ressemblante » peut être compris de cette façon. L'interprétation a du répondant en judaïsme chez des gens qui connaissent leur langue. J'emprunte quelques lignes au Rabbin Eisenberg et au Professeur Abecassis :

«C'est à l'homme que Dieu dit: 'Faisons l'homme '. Cela signifie : il nous faut réaliser ensemble ce projet. Et c'est à l'homme maintenant de donner raison à Dieu.» (Eisenberg et Abecassis, A Bible ouverte, vol. I, p. 103, Albin Michel, 1978) (Appendice Ill).

Si vous êtes de cet avis, vous admettez sans peine que la promesse faite aux hommes d'occuper la terre et de dominer sur les bêtes soit un programme encore ina­chevé : occuper la terre comme des paysans séden­taires qui peuvent regarder l'avenir, bâtir et planter (Jos 18, 1 ; 1 Chr 22, 18). Dominer les bêtes, pas comme un chasseur qui tue, mais comme un berger qui conduit son troupeau (Ez 34, 4).

Étant donné que l'homme est un animal, je pense permis d'ajouter que les deux invitations divines adressées aux hommes ont un certain rapport mutuel. Occuper la terre en bons cultivateurs, domestiquer ou contrôler les animaux pour mettre de l'ordre dans leur violence, tout cela sans gourmandise humaine, et se transformer soi-même à la ressemblance du Créateur, c'est le programme qui nous est proposé. Il pourra se diviser en diverses phases mais son unité ne devrait pas être perdue de vue.

SEPTIÈME JOURNÉE: LE REPOS DE DIEU

Le Septième jour, Dieu déclarera accompli tout l'ouvrage qu'il aura fciit et il s'arrêtera. Dieu bénira

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Relire la genèse

le 7° jour et le sanctifiera, car il aura cessé de créer tout l'ouvrage qu'il avait à faire.

Nous avons donc rencontré trois sortes de durée : La première est le rythme vide d'un clignotement. La deuxième est la construction progressive de l'univers. La troisième est une durée sainte, où la sainteté divine -un attribut majeur - devient présente. Dieu n'habite aucun emplacement de l'espace, nous apprenons qu'il habite la fin du temps. Et puisque ce Jour de Repos est béni, en même temps que sanctifié, nous pouvons penser qu'il a une ·sorte de fécondité: il enfante pour ainsi dire tous les Sabbats d'Israël, et chacun d'eux à son tour sanctifie sa semaine.

De même qu'une espèce animale bénie et féconde remplit la terre ou la mer, de même le grand Repos de Dieu remplit de sainteté toute la durée de l'univers.

Mais en cela, l'homme doit faire quelque chose, c'est la Loi de Moise:« Tu p~nseras au jour du Sabbat et tu le sanctifieras ... car l'Eternel a béni le jour du Sabbat et l'a consacré» (Ex 20, 8 ... 11).

L'homme, obéissant à Dieu, limite son activisme pour fêter son Créateur, et le voilà uni à Dieu pour consacrer chaque semaine un Sabbat. Le « nous » de Dieu et de l'homme fonctionne alors, même s'il n'est pas prononcé.

Ce n'est pas une nouveauté de ma part de lire ces lois en fonction d'un Repos futur de Dieu, des rabbins du 1er siècle, et un vieux texte chrétien, l'ont fait depuis longtemps sans y voir de difficulté (Appendice 1).

Mais ce qui compte davantage à nos yeux, c'est une parole de Jésus, qui a, justement, le droit de dire : «Le Père et moi, nous sommes Un». Un certain jour de Sabbat, nous dit S. Jean, Jésus avait délivré un paraly­tique et, pressé par ses adversaires, il leur dit : « Mon Père travaille toujours, moi aussi je travaille » (Jn 10, 30 et 5, 17). A côté du repos contemplatif, l'action bienfai­sante et libératrice est, elle aussi, union de l'homme à son Créateur.

APPENDICE Ill

Le nous de Dieu net des hommes

Les formules du type « Faisons l'homme » ou « Nous ferons l'homme » sont rarissimes dans la Bible où n'existe pas le pluriel de majesté du latin et des

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langues influencées par lui. En hébreu, ces mots impli­quent que Dieu parle à certaines créatures.

Selon l'interprétation classique, il s'agit de l'as­semblée des anges (1 R 22, 9-22 ; Jb 1, 6 ss). Celle que· nous proposons, et qui viendrait du rabbin espagnol Nahamanides (XIIe siècle) s'appuie sur le récit de vocation d'lsaie: Le futur prophète entend la voix divine dire: Qui enverrai-je 1 Qui va parler pour nous 1 Il répond: Me voici, envoie-moi (ls 6, 8). Aux débuts des temps, un Nous de rupture avait séparé les humains de leur créateur (Gn 3, 22; 11, 7). Au milieu du peuple élu, ce Nous se reconstitue pour un temps entre Dieu et son prophète.

Selon S. Jean, Jésus est celui qui peut dire « Nous » avec son Père (Jn 10, 30; 14, 22; 15, 24), Il fait entrer ses fidèles dans ce nous (Jn 17, 11 ... 21-22).

Et, à leur tour, ils forment entre eux un nous de communion engageant le Père et le Christ (1 Jn 1, 1-4).

Le projet divin de faire l'homme avec l'homme se réalise au fur et à mesure de la communion des hommes en Jésus-Christ.

APPENDICE IV

Traces de Dieu dans l'univers

Dieu, selon la Bible, n'est pas localisé dans .lespace. Que faut-il donc penser du Souffle et de la Parole qui organisent les eaux initiales ? Faut-il les évacuer comme de simples images anthropomor­phiques?

Faut-il au contraire admettre qu'un élément divin soit mêlé au monde comm~ dit le livre judéo-grec de la Sagesse: L'Esprit du Seigneur remplit l'Univers ••• son Esprit incorruptible est en toute chose (Sg 1, 7 ; 12, 1).

La question n'est pas sans importance, même de nos jours : le savant chrétien a-t-il le droit de ramener dans sa méditation religieuse les résultats de son enquête scientifique ? Ou bien devrait-il au contraire mettre une cloison étanche entre l'oratoire et le labora­toire, et se résigner à être un homme double ?

Thomas d'Aquin, à la suite de S. Augustin, résout le problème par une image, rien de plus, mais une image très finement construite. Dieu, dit-il, laisse dans l'univers - et avant même qu'il ne soit question des hommes - une sorte de trace en creux, comme lartiste laisse lempreinte de ses doigts dans la cire. Le Père laisse une empreinte en toute créature, du simple fait · qu'elle existe; le Verbe ou Parole, par le fait que cette créature a une force, ou structure; le Souffle ou Esprit, qui est relation, laisse sa trace dans tous les dyna­mismes qui portent les créatures les unes vers l~s autres, puisqt(aucune d'elles n'existerait toute seule (Somme, 1° Pars, Question 45, art. 7).

Le savant chrétien n'a pas rencontré Dieu dans son travail immédiat, sa table de laboratoire ne portait pas Dieu. Mais, revenu dans son oratoire, réfléchissant au second degré sur ce qu'il a constaté, il a le droit de reconnaître la trace d'une action créatrice. C'est une démarche religieuse, pas scientifique ni philosophique.

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C'était celle que fit spontanément le P. Teilhard, et il est bien dommage qu'aucun théologien n'ait su lui montrer comment elle était légitime et traditionnelle.

APPENDICE V

duction inspirée par l'interprétation courante qui situe le Repos de Dieu dans notre passé. Mais il faut savoir qu'on peut «se souvenir de la fin». C'est une prière adressée à Dieu et c'est un conseil prescrit aux hommes (Sir 36, 7 Hébreu et, Vulgate; 41, 5). La pensée humaine approche de !'Eternité en ceci qu'elle joue en sens contraire du temps cosmique aussi bien qu'en sens direct.

Tu te souviendras

Dans les traductions habituelles de la Loi de Moïse, on lit; «Tu te souviendras du jour du Sabbat...», tra-

La bonne traduction du verbe hébreu ZaKaR est donc: «Penser à ... », si aucun contexte n'invite clai­rement à préférer: «Se Souvenir de ... ». •

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Le samedi 9 avril (10 h) et le dimanche 10 avril (17 h) Faire de mon corps une parole de vie Le corps est chemin de connaissance de soi et de communication avec les autres. - Bernard de PEUFEILHOUX, animateur d'expression corporelle.

Le samedi 7 mai (9 h 30) et le dimanche 8 mai (17 h) A lécoute du Seigneur École de prière Tout au long d'un parcours, une expérience de prière personnelle: présentation de textes bibliques, indications pour la prière, relecture de l'expérience. Une équipe pour vous accom­pagner sur ce chemin. - Une équipe, Jésuites, religieuses et laïcs.

Le samedi 7 mai (9 h 30) et le dimanche 8 mai (17 h) La main de l'homme et son mystère Dès sa naissance, nos mains sont prodigieusement actives 1 Outils de l'esprit, messagères du cœur, elles en disent long sur ce que nous sommes ... Les écouter. Les mettre en valeur à la lumière de notre expérience et de notre foi. - Marie-Gaëlle BELBEOC'H, Professeur de yoga et d'expression corporelle. - François HESS, Jésuite.

Le samedi 4 juin (15 h) et le dimanche 5 (17 h)

Revue Études L'Église en procès: la morale • Par rapport aux mœurs ambiantes, l'Eglise doit-elle inscrire son message en rupture, au risque de ,ne pas être entendue 7 Con;iment instituer avec le monde moderne un procès qui dévoile l'Evangile comme expérience et vie.? - Paul V ALADIER, Rédacteur en chef à «Études».

Le samedi 24 juin (20 h 30) et le dimanche 26 (17 h) Soigner avec les mains Comment à partir de l'expérience du massage, découvrir dans nos mains le pouvoir de faire du bien tant au niveau physique que psychologique. - Bernard de PEUFEILHOUX, Animateur d'expression corporelle.

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LA DÉLIVRANCE DU MAL SELON LE CHRISTIANISME

par le pasteur André DUMAS

(résumé de la conférence du dimanche 14 juin 1987)

Les conférences de l'année écoulée ont eu deux centres d'intérêt : d'abord l'origine, ensuite la délivrance du mal, mots préférables à début et à fin, car, en un sens, le mal recommence sans cesse et c'est sans cesse que nous sortons de sa cap­tivité. Le mal n'est pas un secteur chronologiquement circonscrit de l'existence humaine. C'est une expérience coextensive à la vie.

Ma réflexion se portera tout entière vers Jésus le Christ, puisque les Chrétiens croient qu'il a été affronté aux ténèbres extrêmes du mal au jour de sa mort, abandonné, et qu'il nous précède tous dans la délivrance au matin de Pâques. Cette concentration de la méditation sur Jésus-Christ n'exclut absolument personne, puisqu'il est à la fois livré et annoncé à tous les hommes.

Parlons d'abord de Jésus le Christ au temps de son ministère. Jésus, qui est à la fois homme présent et Dieu caché, voit autour de lui le mal si répandu: foules égarées, pauvres isolés, riches soucieux, disciples fragiles. Jésus voit le mal avec grande perspicacité et grand trouble. Il entreprend de le combattre, à la fois par son enseignement, qui éclaire les cœurs, et par les miracles, qui ne sont jamais des prodiges, destinés à impressionner, mais toujours des bienfaits, cherchant à sou­lager les corps. Jésus vit le corps à corps avec le mal qui s'infiltre partout, et le pardon de Dieu qu'il annonce et donne est là pour arrêter les enchainement au mal. En tout ceci, Jésus devient lui-même angoissé. Il pleure. Il exprime son découra­gement et sa peur. Le ministère de Jésus-Christ sur la terre n'est ainsi ni une idylle, ni un triomphe. C'est une lutte et une épreuve.

Vient alors Jésus le Christ au temps de sa passion, dont le récit occupe un tiers des évangiles synoptiques et la moitié de l'évangile de Jean. Le mal s'accumule autour de Jésus, sous forme de pièges pour le perdre, de calomnies pour couper la foule de lui et de mensonges pour l'écraser dans une mort, qui n'est ni un accident malheureux, ni un incident relatif, mais une sorte de jugement absolu, où les hommes arrivent à coincer jusqu'au bout celui qui prétendait les aimer et les sauver jus­qu'au bout. En quoi Jésus, mené à la croix, est-il pourtant déjà là celui qui délivre les hommes du mal? Je dirai d'abord une chose très évidente et très simple : Jésus ne laisse pas l'homme porter seul le fardeau de l'injustice et de l'inimitié.

En portant sa croix, Jésus se met librement aux côtés de l'homme souffrant. Mais surtout, et ce second point est beaucoup plus mystérieux que le premier : Jésus le Christ est celui qui porte le mal, le mal subi, comme le mal commis, pour l'ôter, le jeter ailleurs, tout comme Jésus est crucifié en dehors de la ville de Jérusalem. Sa passion n'est pas seulement l'oc­casion à une accumulation de mal. Elle est aussi le récit d'une concentration et d'une expulsion du mal, porté par lui, pour que l'humanité n'en soit plus chargée ni accablée. Comment un seul homme peut-il mourir à la place de tous les autres ? On ne peut pas l'expliquer, mais l'attester, en regardant Jésus non pas seulement comme la victime de toutes les lâchetés et de toutes les haines du monde, mais déjà comme celui qui va y mettre fin.

Car, et c'est le troisième moment, il faut regarder vers Jésus, qui, à partir de la mort, de sa douleur et de S0'1 aigreur, entre en élévation, au jour de Pâques, au jour de I' Ascension et au jour de Pentecôte. Ce mort ne demeure pas captif ni de l'oubli, ni des regrets. Il est réveillé, ressuscité par la mémoire active et aimante de Dieu. Son réveil fait de lui quelqu'un qui nous devance dans la vie et non pas quelqu'un qui s'efface peu à peu dans la nostalgiê. La délivrance se manifeste en cet homme, qui nous montre Dieu en action. La foi pense que son tombeau est vide d'une certaine manière unique parmi tous les martyrs. Le ressuscité n'arrache pas au cou de l'humanité la culpabilité comme une lourde pierre inexorable, car Jésus le Christ devance désormais chaque homme, réorienté vers le Royaume de l'espérance, déjà commencé en lui et pas encore advenu en plénitude dans l'histoire.

C'est pourquoi le dernier moment que nous regarderons en Jésus le Christ, c'est notre compagnie avec lui: compagnie de louanges et aussi communion aux souffrances et enfin poursuite de son ministère, avec l'attente de son Royaume. Car Jésus le Christ est derrière nous comme le début de notre avenir. Il est la délivrance de l'éternisation du mal et il est le com­mencement de la victoire de Dieu en faveur des hommes. Il est ainsi, comme le dit l' Alliance nouvelle, le vainqueur des ténèbres et l'annonciateur du jour naissant, où Dieu habitera avec les hommes dans le règne de sa justice et de sa paix.

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(Article paru dans le Bulletin de la Fraternité d'Abraham et reproduit avec leur autorisation).

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L'HÔPITAL, LIEU DE CONVERSION

Témoignage de P. de SENNEVILLE Aumônier de I' Hôpital de Garches

Tout le monde connaît les écritaux en bleu et blanc indiquant« Hôpital, silence». Je crois que dans ce lieu de silence demandé, et dans le silence des cœurs surtout, il se passe des choses dont j'ai pu, en tant qu'aumônier, être le témoin ému et admiratif. J'aime à dire que l'hôpital est un lieu de conversion pour tous et pas seulement pour les malades ou pour les personnes hospitalisées. Médecins, soignants, parents, amis, visi­teurs ou aumôniers peuvent être incités à une conversion qui n'est pas forcément d'ordre religieux, mais moral ou psychologique. Un malade, pourtant traumatisé crânien, parlait d' « un plus qu'il avait trouvé et qu'il avait reçu». Un autre me disait qu'il voyait désormais les choses tout autrement et la mère d'une fille dans le coma déclarait « avant, j'étais ra,ciste, mais maintenant, en voyant les enfants de toutes races passer par les mêmes souffrances, je ne le suis plus».

CONVERSION DU PASSÉ VERS L'AVENIR

Se détourner du passé, regarder vers l'avenir ... ou Dieu nous précède. J'ai été frappé par Guénaëlle qui à 10 ans avait perdu en juillet ses deux bras du fait d'une moissonneuse. Il ne lui restait que deux moignons pour se gratter le nez. En septembre de la même année, elle me disait sereinement: «j'apprendrai à écrire avec la bouche ou avec le pied» et elle m'offrait des bonbons à prendre dans sa table de nuit. Dans le même temps, un ingénieur de 45 ans qui avait eu un accident au début de ses vacances et se retrouvait paraplégique pleurait ses jambes perdues ou mortes : six mois plus tard, il se demandait encore: «pourquoi moi? pourquoi?». Il ne regardait que le passé alors que Guénaëlle ·savait regarder l'avenir. Le passé engendre souvent nostalgie, remord: l'avenir ouvre à l'espérance. Les anges disent aux saintes femmes venues achever la toilette du corps de Jésus: «Vous cherchez Jésus, le Crucifié, Il n'est plus ici. Allez dire à ses disciples qu'll les précède en Galilée».

CONVERSION POUR LES CRITÈRES DE L'AMOUR

Je suis sensible à l'élégance des danseuses, à l'agilité des joueurs de football, à la beauté, à la grâce, à la jeunesse ... mais que valent ces critères de l'amour?

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Une fiancée me disait sa joie, son émotion devant la fidélité de son fiancé: «Il m'aimait quand je dansais avec lui alors que j'avais mes deux jambes; il m'aime toujours maintenant que ma jambe est raide, morte et douloureuse, mais c'est mon cœur qui danse de joie car je sais qu'il m'aime vraiment et profondément». Cet amour a toutes chances d'être durable et définitif: il est fondé sur des critères plus valables et plus vrais.

CONVERSION DANS L'ÉCHELLE DES VALEURS

La maison d'un grand-père cardiaque ayant brulé deux jours avant la date de sortie de l'hôpital, sa fille envisageait de le recevoir d'abord chez elle pour lui révéler progressivement la cruelle vérité. Finalement elle croit préférable de lui dire tout ce qui s'était passé . .. (il vaut mieux avoir une crise cardiaque à l'hôpital que dehors 1) . . . je trouve juste après cet homme serein : «J'ai failli mourir, me dit-il, mais à l'hôpital j'ai été guéri ; qu'importe la maison à côté de la vie ? La maison, nous la rebâtirons 1 » Le grand-père était devenu plus sage que sa fille.

CONVERSION AU RÉALISME

On ne sait pas établir la liste de ses possibilités et de ses talents ; on les découvre mieux quand ils sont le fruit d'une rééducation parfois douloureuse ou quand ils ont échappé à une destruction désastreuse. Je pense à Valérie qui a perdu à 17 ans l'usage de ses deux jambes dans un accident de moto et qui écrivit dans un cahier de libre expression à la Chapelle de l'hôpital: «Merci à Dieu car pendant 17 ans, j'ai pu marcher, courir et danser avec mes deux jambes; il me reste ma tête et mon cœur, mes mains pour« faire avec» autre chose». Elle veut être institutrice et fait preuve de réalisme et de décision.

CONVERSION DE L'AMOUR DU TRAVAIL

C'est une joie de travailler et malgré la fatigue de gagner sa vie et celle des siens, de créer, de servir ses frères, de s'épanouir à l'occasion. Cette joie est parfois enivrante et l'on voit le travail envahir les soirées, les week-ends au détriment de son équilibre personnel ou de la vie de famille. Le cas typique de l'amour du travail est celui de cet officier prisonnier des japonais : amené à diriger la construction du pont de la rivière Kwaï, il oubliait dans sa fierté devant son œuvre réussie qu'il travaillait contre sa propre patrie.

Le malade handicapé découvre qu'il ne peut plus rien faire et qu'il ne pourra reprendre son travail : il se sent inutile et bon à rien. Il lui faut découvrir que le travail n'est pas le but premier de l'homme; il y a la culture, les loisirs, les relations humaines, le repos, la réflexion, la prière, la contemplation. N'est-on pas fait pour le repos éternel ? Cela est à faire valoir aux per­sonnès handicapées, mais aussi aux retraités, aux pré­retraités comme aux chômeurs. Cela est dit sans oublier tout l'effort de réinsertion par le travail qui est envisagé, pour une part, comme une thérapie.

Une serveuse de restaurant devenue tétraplégique s'est mise à apprendre l'anglais, un éleveur de chiens, très handicapé, se met« enfin» dit-il à jouir de la vie et s'entraîne au jeu d'échec, un chef d'entreprise hospi­talisé et privé de son téléphone, se met à lire la Bible.

CONVERSION À LA PAUVRETÉ

A l'hôpital, on ne fait plus rien, on ne produit plus rien, on n'a plus de téléphone et la table de nuit est bien petite pour y ranger le peu que l'on a. L'« avoir» et le «faire» disparaissent et il ne reste que I'« être»; le malade est une personne malade et il lui faudra aban­donner beaucoup de choses avant de tout abandonner un jour dans la mort. Cette pauvreté forcée n'empêche pas le malade d'être respecté .

CONVERSION À L'HUMILITÉ

C'est une joie d'être indépendant, autonome, utile, efficace; c'est une joie d'avoir des responsabilités et de décider: il s'en suit un sentiment de fierté et presque d'orgueil tout naturel. L'humilité n'est pas facile et elle ne vient pas d'elle-même. Elle s'apprend à l'hôpital car on y est très dépendant et fut-on P.D.G. on doit obéir à son infirmière, à son médecin et il faut demander assis­tance à tout instant pour les besoins les plus naturels. Cette vérité s'apprend chaque jour et, quand viennent les progrès, si minimes soient-ils, on s'en réjouit: c'est l'humilité des petits pas« j'ai pu aller seul jusqu'aux toi­lettes ou jusqu'au bout du couloir».

CONVERSION A LA PATIENCE

Le temps nous manque toujours et nous sommes bien souvent pressés. Le malade allongé sur son lit pendant des jours ou des mois à regarder le plafond de sa chambre ou à attendre la guérison de son escarre, apprend la patience: la lenteur des progrès, les reports de date d'opérations, la prudence de la rééducation, lentraînent dans ce sens. Il nous interpelle et nous demande : « Que faisons-nous du temps que nous

. avons ? Comment arriver à la patience sereine ? » Savoir attendre, être patient dans tous les domaines, cela doit s'apprendre.

CONVERSION A LA CHARITÉ, À LA MAÎTRISE DE SA SENSIBILITÉ ET À D'AUTRES FORMES D'EXPRESSION DE L'AMOUR

Bien des personnes handicapées ne peuvent se marier, mais elles veulent pourtant aimer profondément et être aimées. Il se fait à l'hôpital toute une évolution vers d'autres manières d'aimer sans pleurer.

Une jeune mère, tétraplégique, ne peut caresser sa petite fille (née après l'accident) mais elle peut lui parler toujours, lui sourire de son fauteuil électrique et l'éveiller à la vie.

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L'Hôpital, lieu de conversion

Une mère de famille nombreuse, tétraplégique elle aussi, se découvre meilleure « écoutante » de tous les siens:« Avant je n'avais pas le temps», reconnaît-elle. L'immobilité forcée facilite l'écoute attentive et ensuite le temps de réflexion permet des réponses cordiales et bien mOries.

Il y a aussi éclaira·ge mutuel du célibat forcé de cer­taines personnes handicapées et du célibat consacré des prêtres, des religieux ou de certains laïcs : ce fut la réflexion d'un incroyant infirme sur son chariot plat, réflexion qui m'a étonné après 35 ans de vie sacer­dotale.

CONVERSION A L'AMOUR DE SOI

L'amour de soi-même est, reconnaissons-le, souvent négligé: on ne prend pas le temps de s'oc­cuper de sa santé. Pire, on la met en péril par le régime alimentaire, par le rythme des voyages, le décalage des horaires du sommeil... et voilà que soudain, l'on doit s'arrêter, se soigner, se reposer, se surveiller, se rééduquer, suivre un régime et ensuite se ménager 1 Bref, il faut penser à soi, il faut s'aimer. L'amour de soi ne sert-il pas de référence à l'amour du prochain 7

JACQUES PIQUET

CONVERSION A UN NOUVEAU LANGAGE SUR DIEU

Qu'ai-je fait au Bon Dieu ? Pourquoi Seigneur ? Dieu, que fait-il ? Dieu punit-il ? Dieu éprouve-t-il les siens ? Dieu permet-il ? Dieu est-il insensible ?

Dans la souffrance, devant la souffrance des autres, on ne peut pas ne pas remettre sa foi en cause ou du moins son expression. La lecture de l'Évangile prend à l'hôpital un éclairage nouveau. La Bible avec les Psaumes, les Prophètes, Job et Jésus, explore ce mystère de la souffrance et du Dieu d'amour.

Cette lente recherche des hommes de la Bible continue aujourd'hui dans l'expérience de la souffrance à l'hôpital. Des livres ou revues peuvent aider à faire cette conversion et ce cheminement. Citons François Véronne« Ce Dieu censé aimer la souffrance», Martelet « Réponse à un scandale » l'album de Fêtes et Saisons «Le Scandale de la souffrance», !'Encyclique du Pape Jean-Paul Il sur la souffrance. Citons plus modestement la plaquette « Job à Lourdes » édité par I' Aumônerie de l'hôpital de Garches et qui contient le scénario moderne et fidèle au Livre de la Bible. Citons enfin le « Procès de Dieu » du Carême 82 fait et édité aussi par I' Aumônerie de Garches.

CONVERSION À LA FOI, A LA CONFIANCE ET A L'ESPÉRANCE

Le malade doit faire confiance en ceux qui le soi­gnent avec toute leur science, toute leur technique et tout leur cœur. Il doit faire taire toute méfiance, même s'il ne sait pas toute la vérité sur son cas, même s'il demande des explications. C'est là une sorte de parabole vivante et personnelle pour chacun : nous sommes tous dans les mains de Dieu, même si l'avenir est incertain et parfois menaçant - nous avons tous à lui faire confiance. Par delà la mort même, il y a la résur­rection, mais celle-ci est déjà commencée quand se vit le mystère pascal.

((L'ÉVANGILE A L'HÔPITAL)) 1 vol. 157 pages. 79 F. Desclée de Brouwer Éd. Paris 1987

dans son livre· une série de récits brefs, émouvants sous les titres de Parole, Ren­contre, Détresse, Ensemble, Amitiés et son commentaire de la Parabole guide du Bon Samaritain.

le malade plus que la maladie. Il peut découvrir la sjgnification de textes de la Bible et de l'Evangile, l'importance de la prière dans certains cas. «Tout est profane, rien n'est sacré, mais tout est sanctifiable » . Cette citation du Père Varillon donne le ton de ces méditations parties des phénomènes concrets de la souffrance, vers la découvene de son

Le Père Jacques Piquet, Vicaire puis Curé, a exercé son ministère en p.1:1roisse, en milieu ouvrier et annoncé l'Evangile au cours de la vie des hommes. Comme aumônier d'hôpital, il a découvert la puis­sance de l'énergie avec laquelle les malades affrontent l'inconnu de leur épreuve, l'imprévu qui révèle la « décou­verte de Dieu en Jésus-Christ ». Il a réuni

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Pour létudiant en médecine, habitué à la distance que donne la technique, chacun de ces récits révèle un regard sur le malade qui ne lui est pas toujours enseigné. Ce livre est imprégné des détails qui colorent la vie, de l'accompa­gnement de chacun, de la chaleur qu'ap­ponent une parole, un geste, un regard en reconnaissant la singularité de chacun. Le médecin peut y apprendre à considérer

. interprétation et de sa valeur révélatrice. Ce livre mérite d'être lu; on y trouve l'étonnement devant les forces de la vie et la découvene d'une cenaine douceur dans le cheminement du voyage inté­rieur. •

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CONVERSION À LA PRIÈRE Dieu qui nous veut heureux et qui souffre de la souf­france des hommes ?

La vie active est tellement prenante que la prière est souvent négligée : « Quand on roule à 1 OO km à l'heure 1 ... »me disait un malade. L'arrêt forcé, comme à un long feu rouge, donne ce temps nécessaire mais si rare pour la prière.

La découverte de ses limites et de ses handicaps récents, la rencontre et la fréquentation de la souffrance (qui n'a rien d'aimable) font comme sentir une présence de Dieu : faut-il attendre cette épreuve pour rencontrer

La composition de poèmes permet à des incroyants d'exprimer leurs sentiments les plus pro­fonds: la poésie est une approche de la prière. Ces points de conversion évoqués, je propose aux lecteurs cette poésie de la tante de Béatrice, frappée par ce qu'elle a vu à l'hôpital et bien qu'incroyante, elle nous dit que

«l'on n'a jamais fini de se convertir».

POÉSIE PRIÈRE À L'ÉCOUTE DES

HANDICAPÉS

Si tes jambes sont paralysées Apprends-moi à marcher Si tes mains sont tronquées Apprends-moi à donner ; Si tes yeux sont dans le noir Apprends-moi, je t'en prie, à voir.

Si tes oreilles sont fermées Dis-moi comment entendre Et si ton intellect est fêlé Dis-moi comment comprendre ; · Si ton Monde est ton lit Explique-moi l'Univers Et si le sommeil est ta vie, Comment garder le cœur ouvert ?

Je marche et je prends Je parle et j'entends Je vais et je viens, Mais c'est toi qui m'apprends Le vrai sens du Destin ...

La tante de Béatrice Hospitalisée à Garches

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LE PÉCHÉ ET LA PEUR en Occident, x111e-xv111e siècles

par Jean DELUMEAU (*)

Une lecture de François GOUST

Jean Delumeau, professeur au Collège de France, historien des mentalités, a livré naguère à notre médi­tation un ouvrage dense, complexe, sur l'histoire du péché et de la culpabilité entre le xme et le xvme siècles. Sa lecture requiert beaucoup d'attention car elle met en lumière le tissu très serré de relations et d' atti­tudes constituant la mentalité collective de cette époque.

L'homme est né avec la peur. Dès que la civilisation apparaît, on rencontre la culpabilité. Dans la pensée stoïcienne, le coupable est un homme qui se trompe et attente à lordre divin des choses. La culpabilité en général peut être éventuellement féconde et créer une tension qui développe la responsabilité.

Ce qui a fait virer négativement la notion de péché surtout à partir du xvme siècle, en chrétienté, ce sont pour une bonne part les circonstances historiques. La peste, les guerres incessantes, la faim, la très grande brièveté de la vie, tout une ambiance favorisait une vision macabre et dévaluait l'existence. Le milieu ecclésial par la parole insistait sur la mort, sur le « feu éternel», sur les confessions et communions mal faites. Se multiplièrent les liturgies sinistres, les danses macabres. Le monstrueux se diffusait dans la vie sociale, les arts et les lettres. Même l'humanisme de la Renaissance qu'on prétend optimiste est en maints endroits mélancolique et angoissé. Ce qui domine alors, c'est le « mépris du monde ».

La cohérence de ce discours pessimiste était princi­palement enracinée dans la croyance au mythe de l'âge d'or. Les chrétiens, pétris de la Bible, l'appelaient le «Paradis terrestre». Adam et Eve tombent dans la faute originelle. La colère de Dieu est telle qu'il nous exclut tous du bonheur, nous condamnant à la souf-

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france, à la mort et à la damnation. Seul le sacrifice de son Fils apaisera son courroux. Et Jésus par sa Rédemption permettrait qu'il y ait quelques élus.

La coïncidence entre une prédication pessimiste et les malheurs collectifs semble donner raison à ceux qui prêchaient que l'homme est coupable et qui annon­çaient des châtiments redoutables dans ce monde et dans l'autre.

L'évolution de l'histoire, à partir du XVlll8 siècle surtout, «amènera à s'interroger sur le bien-fondé de cette pastorale» (p. 627).

Ces pages nous plongent en un temps de chré­tienté où Dieu n'apparaissait guère comme un Dieu d' Amour .et d'indulgence.

La réflexion sur le message du Christ a heureu­sement évolué. L'Église actuelle opère un authentique retour aux sources. Les connaissances actuelles ont aidé à cette rénovation. L'Église d'aujourd'hui, ses théologiens, ses communautés, situent mieux notre culpabilité humaine dans un horizon de Pardon et d'Es­pérance.

Après ce regard sur le passé, Jean Delumeau, dans son « Ce que je crois » (éd. Grasset) récemment analysé dans cette revue, nous aide à faire le point, à mieux comprendre notre christianisme et à le mieux vivre aujourd'hui. Après « Le Péché et la Peur» il est bon de relire ce plus récent ouvrage dominé par notre Foi en un Dieu d'Amour. •

(*) Fayard, éditions, 741 pages.

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NOTES DE LECTURE

Anne-Marie MOUREN-MA THIEU

« Soins palliatifs »

Les Presses de /'Université de Mon­tréal, 1987, un volume, 178 pages.

Cet ouvrage constitue une excellente

utilité pour les médecins et infir­mières qui soignent ces malades. Il en est de même pour les problèmes urinaires et cutanés, l'inquiétude et les états de dépressions. Il faut cependant noter que I' adminis­tration de soins efficaces, l'attention aux détails de la vie, lenvironnement psychologique et l'utilisation de médicaments peuvent donner aux malades loccasion d'examiner des problèmes existentiels face à la vie, à la mort, la solitude du corps et les autres. L'appui des systèmes philo­sophiques comme les secours qu'apportent chez certains malades une foi calme, permet d'éviter la fer­meture du malade sur lui-même, de le faire participer à des ensembles plus vastes, et en l'aidant à conquérir une certaine sérénité. •

introduction aux soins des malades Bernard KOUCHNER atteints de maladie en phase ter-minale et plus précisément, à ceux Charité business qui sont atteints d'un cancer arrivé Éd. Le Pré aux clercs, 279 pages. au stade où il faut revenir au concept du soin tel qu'Hippocrate bien avant Notre confrère, Bernard Kouchner, William Osier l'avait défini: «guérir n'a pas besoin d'être présenté. Il a parfois, soulager souvent, récon- fondé, avec d'autres, «Médecins forter toujours». sans frontières» ( 1971) puis A la suite des succès que les tech- « Médecins du Monde» en 1982, niques de traitement moderne ont dont il est président d'honneur. Ses remportés dans la lutte contre le activités dans ces organisations lui cancer, on avait négligé le fait que ont attiré sympathie et admiration. bien souvent, ces soins pouvaient Son livre est un témoignage pas­comporter malgré tout une évolution sionné d'une vocation médicale qui ultérieure qui arrivait à la phase ter- s'est rapidement élargie aux dimen­minale et à partir de 1964, Cicely siens du monde souffrant : témoi­Sunders s'est atta.chée à développer gnage lucide, objectif, et aussi pas­une technique de soins adaptée à sionné, envisageant les problèmes à ces mala~e~, parallèl~ment aux l'échelle de notre planète, donc t~avaux d Elisabeth Kubler-Ross. · témoignage complexe sollicitant une L accompagnement ~e .ces malades grande attention. est fondé sur le maintien des rela-tions entre le médecin le malade et Sa conception de la médecine dès le les familles relations' fondées sur début de sa carrière fait comprendre une inform~tion délivrée de façon ce qu'est s~ vie professionnelle. calme, sereine, respectant le malade « N~us ne" soignons pas des corps et sachant entendre l'inquiétude qu'il mais des etr~s humains, la défense n'exprime pas toujours oralement. de leurs ~ro1.ts f~ndamentaux est Ces soins utilisent diverses struc- pour nous md1ssoc1able du geste de tures, soit à domicile, soit à l'hôpital soigner» (p. 25). dans des unités spécialisées. Il est passé ainsi au service de ce L'aide psychologique et sociale tiers monde, écrasé par tout ce qui prend appui sur la sédation des porte atteinte à la santé : les guerres signes ressentis par le malade. En ce incessantes, les régimes tyran­qui concerne l'analgésie, le sommeil, niques, la famine, le dénuement, le l'anorexie et les divers malaises climat, les maladies endémiques, la digestifs, respiratoires, neurolo- surpopulation. 11 se refuse à théoriser giques et psychologiques, Anne- trop hâtivement et préfère écouter Marie Mouren-Mathieu propose des 1' expérience : tout ne se ramène pas schémas thérapeutiques très bien à la misère et à 1' exploitation post­établis qui sont d'une très grande coloniale.

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Pour aider le tiers monde, de nom­breuses associations de charité se sont constituées. L'auteur les nomme « les ordres mendiants » et il nous en entretient longuement. On en recense en France un grand nombre, la plupart sérieuses, cer­taines douteuses. Inévitablement, leur vie n'est pas toujours paisible, car pour être généreux, on n'en reste pas moins homme. Au début, elles groupaient surtout des catholiques, des protestants, puis la gauche a fourni aussi de nombreux membres. Ce sursaut associatif est fragile par nature. Il est né du constat que l'Etat ne peut pas tout. Il traduit un esprit démocratique vivant. Mais ceux qui ont le pouvoir s'en méfient parfois. Ces associations, ou fondations de statut français, dont l'action s'étend au-delà de nos frontières, sont des organisations non gouvernementales (O.N.G.) sans but lucratif. Elles ont des relations privilégiées avec les organisations intergouvernementales (0.1.G.), qui, elles, ont un statut qui relève du droit international public. Les 0.N.G. sont à l'échelle humaine, souples, mobiles. Aussi sont-elles choisies souvent de préférence aux entreprises de coopération multina­tionales, officielles, plus lourdes dans l'action.

Leur but 7 Aider le tiers monde en se tenant proche de ses réalités (déve­loppement rural intégré, éducation, formation, santé). Aplanir les énormes différences entre pays pauvres et pays riches. Aller par-delà les frontières, avec l'accord du gou­vernement ou en francs-tireurs sans leur accord, là où les guerres, les cataclysmes, la famine et autres fléaux plongent des secteurs de population dans une misère non secourue officiellement. Un çies projets, cher à l'auteur, et on le com­prend, est la création de « volon­taires européens du dévelop­pement ». Cette organisation grouperait des volontaires (des appelés au service militaire, des cadres et des artisans, des retraités, des ouvriers) pour une action, un lieu et un temps déterminés.

L'auteur souligne l'importance et l'ef­ficacité d'O.N.G. comme le C.C.F.D. (Comité catholique contre la faim et pour le développement), comme le CIMADE de nos amis protestants, «Frères des hommes», «Terre des Hommes », « Secours Catholique », et tant d'autres. Toutes s'efforcent de respecter les structures et cou-

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turnes des communautés paysannes ou urbaines qu· elles aident.

Mais qu'est-ce qui pousse les hommes à donner et à agir pour autrui 7 Kouchner se livr~ à ce propos à une longue réflexion. Elevé dans un athéisme sans férocité (p. 143), grandi dans le climat idéologique du socialisme, il constate à lexpérience que la justice sociale totale, la soli­darité totale n'existent pas, même sous les régimes établis sur ces prin­cipes et prétendant les appliquer. Il y a toujours et partout un espace de charité. La gSluche même n'attend plus tout de l'Etat dans ce domaine. Beaucoup de ses membres rejoignent les chré­tiens pour que la charité s'efforce de pallier les carences de la société. Pour les chrétiens, la vie a un sens qui dépasse la vie elle-même. Ce sens c'est Dieu dont l'expression la plus humaine est 1· Amour. La charité nous relie à nos frères et, par cela même, à Dieu. L'auteur cite saint Paul « ... La charité ne passe jamais, si je n'ai pas la charité, je n'ai rien ... ». Charité, Amour, Dieu, sont indisso­ciables. Kouchner constate que « le don constitue un pari sur un chan­gement possible, un investissement d'optimisme et de spiritualité». Il débat beaucoup sur ce point, où sa pensée paraît - on le comprend - en recherche. En tous cas, chrétiens et non chrétiens appuient leur effort de générosité sur lesprit des droits de l'homme, sur celui qui a dicté en par­ticulier les encycliques : « Pacem in terris» et « Populorum progressio ». Ce qui unit, c'est l'adhésion de tous à ra notion du développement pour l'homme et par l'homme.

Le don varie selon les époques. Aujourd'hui, l'assistance s'est mon­dialisée et s'adapte au climat culturel. « Au pays de la générosité, seul ·celui qui sait communiquer réussit» (p. 178). D'où· le rôle capital que jouent les media (marketing, agences, lettres personnelles, téléphone, etc.). Les associations sont de plus en plus gérées comme des entreprises. Elles se font même aider par des chefs de puissantes entreprises. Pour sur­vivre, il leur faut apprendre à apitoyer et à aller chercher la finance où elle se trouve. « Fini le cœur sur la main, voici la charité industrielle». Cette impertinence nous fait comprendre le titre de louvrage. «Charité business». Et la charité entraîne des batailles qui «surprennent les bonnes âmes » 1

* * *

Les dernières pages relatent l'his­toire résumée de ce que fut la marche des croisés de .la charité. C'est au Biafra qu'une poignée de médecins ont inventé l'aide d'ur­gence à léchelle planétaire. « Médecins sans frontières » est né en 1971 de cette première expé­rience. Douze ans après «Médecins du Monde» voit le jour. Kouchner constate que« droite et gauche n'ont plus de signification dans notre orga­nisation. Nous avons mieux à faire : il s'agit de refuser l'impuissance» (p. 224). Elle l'a prouvé, elle et d'autres organisations, avec le bateau pour le Vietnam, les interventions dans les situations d'urgence, (éruptions vol­caniques, tremblements de terre), en Afghanistan, au Salvador, ou chez les Karens avec les actions sanitaires et le programme de développement

au Mali et en Mozambique. De telles expériences permettent de tirer des leçons, de donner des conseils sur la façon d'organiser les secours et de dépasser le stade du secours urgent. «Tirez le noyé de l'eau, nous lui apprendrons ensuite la nage» (p. 250). Le livre se termine par un appel « Pour un service européen dans le tiers monde».

Toutes ces très nombreuses O.N.G. tournées vers les populations en détresse nous font espérer, malgré les jours sombres que nous tra­versons, dans un monde plus humain dans un avenir proche. Nous sommes fiers de constater que le corps médical est à l'avant-garde de ceux qui se mettent au service de l'homme souffrant, de tous les hommes sans· distinction de nation, de race, d'idéologie politique, de religion. En conclusion je voudrais citer cet additif au serment d'Hippocrate proposé par « Médecins du Monde » que certaines facultés ont déjà adopté: «Médecin, fidèle aux lois de · l'honneur et de la probité édictées par le serment d'Hippocrate, je m'engage, dans la mesure de mes moyens, à donner des soins à ceux qui, dans 1e monde, souffrent de corps ou d'esprit. Je refuse que la science ou le savoir médical couvre loppression ou la torture, que r on porte atteinte à la dignité de l'homme, que l'on cache l'horreur. Je m'engage à témoigner. Je fais ces promesses solennellement sur l'honneur» (p. 26). •

Vl° CONGRÈS DE LA F.E.A.M.C. Fédération Européenne des Associations des Médecins Catholiques

• Nous souhaitons la participation de confrères d'Europe de l'Est. Tous ceux qui voudront s'as­socier à cette démarche en offrant une chambre, une prolongation de séjour ou une aide finan­cière pourront s'adresser au: Docteur Bernard WEILL, Laboratoire d'immunologie Clinique

Hôpital Cochin - 27, rue du Faubourg-St-Jacques 75674 Paris Cedex 14 - Tél.: 42-34-18-10

Toute participation financière devra être libellée à l'ordre du : « Congrès Européen des Médecins Catholiques »

au secrétariat du C.C.M.F. - 5, avenue de !'Observatoire 7 5006 PARIS - Tél. : 46-34-59-15 (laprès-midi)

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VIE DES MOUVEMENTS MÉDICO-SOCIAUX CATHOLIQUES

par le 0' Pierre CHARBONNEAU

RECHERCHE - Conscience chrétienne et handicap - N° 50 - 38 trimestre 1987

Cette revue trimestrielle est réalisée par l'Union d' Associations « Conscience Chré­tienne et Handicap » composée de I' Asso­ciation du Centre National de !'Enseignement Religieux (C.N.E.R.), de I' Association du Centre National de Pastorale Liturgique (C.N.P.G.), de I' Association du Service Catholique de !'Enfance et la Jeunesse Ina­daptée (S.C.E.J.1.) et de I' Association du

. Secours Catholique par l'intermédiaire de son service « Aumônerie Nationale des Centres de Jeunes Inadaptés». «Recherche» n'est pas une revue de recherches scientifiques, mais de recherches des réactions humaines et spiri­tuelles de ceux qui souffrent, crient, luttent, de ceux qui traversent l'épreuve du désen si souvent rappelé dans la Bible et susceptible de devenir le rendez-vous de l'amour.

• A.H. - Aumônerie des hôpitaux - N° 115 - Juillet 1987

Ce numéro est consacré à la création des équipes d'aum6nerie, à la formation aposto­lique des permanems, hommes et femmes qui s'engagent dans cette voie dans les h6pitaux. Ces tJquipes constituent une cellule d'Église qui témoigne de leur foi et de leur es~rance auprès des malades, de leur famille ou duper­sonnel soignant.

Les deux premiers articles ne manqueront pas · de retenir l'attention : K /'H6pital en mutation» de Louis Pontais, met bien en évidence /'évo­lution de l'hlJpital depuis trente ans. K Le défi de la sécularisation». de Mgr Robert Coffy, archevlique de Marseille, est rematquable, car il fJXPOSe les questions posées à la foi et à l'Église par suite de /'évolution qui nous a fait passer d'une religion d'appartenance sociolo­gique à une religion de libre choix et de convic'tion. Aussi, après avoir développé trois attitudes à éviter: la peur, la nostalgie, le repli sur soi, Mgr Coffy nous indique la manière dont /'Évangile doit lJtre annoncé maintenant dans notre société séculière.

• OMBRES ET LUMIÈRE - N° 79 - Sep­tembre 1987

Le numéro de cette revue publié par !'Office Chrétien des Handicapés (0.C.H.) concerne aussi le malade mental. Il a pour sous-titre : Rejoindre notre frère malade mental. Après plusieurs témoignages, on lira avec un vif intérêt la « Lettre de parents à un psy­chiâtre » et le récit des expériences de Jean

Directeur de la Publication D• Claude LAROCHE

34, rue de Bassano, Paris-8•

Vanier auprès des personnes atteintes d'une maladie mentale. Pour lui, comme pour H. Régnault de la Motte, aumônier de !'Hôpital Sainte-Anne, l'accompagnement spirituel, car le malade mental a un esprit, est une chose essentielle. « Et Dieu, dans son amour peut», souligne Jean Vanier, «au delà des hallucinations, des obsessions ... rencontrer dans le fond de sa conscience celui qui est malade mentalement».

• DE TOUS A TOUS - N° 120 - Automne 1987

Cette petite revue est celle du Comité Catho­lique des Malades et Handicapés (C.C.M.H.). Le C.C.M.H. est une plateforme de dialogue et de rencontre entre mouvements et organismes catholiques qui, soit regroupent des malades, des personnes handicapées physiques ou men­tales, soit exercent une activité au service de ces personnes. C'est un lieu de partage des informations concernant les prob/IJmes des malades et handicapés en vue d'aider chaque organisme à remplir sa mission. Dans cette optique, la Fraternité Catholique des Malades et Handicapés prépare en liaison avec le C. C.M.H. une charte qui serait présentée à la presse et au média en janvier prochain.

Après quelques témoignages sur la Fraternité, ce numéro contient une série d'articles sur /'af­fectivittJ : Comment se déve/oppe-t-elle } Comment progresse-t-on vers la maturittJ affective, comment vivre une relation vraie et y intégrer la sexualité? Le dernier article sur les K perspectives chrétiennes sur /'affectivité et la sexualité» contient quelques approfondisse­ments sur ces sujets dans la lumière de la Bible et de /'Histoire chrétienne.

• RENCONTRE - Cahiers des travailleurs sociaux - N° 62 - Été 1987

A quoi ai-je droit 1 Tel est le titre suggestif fort intéressant et fon utile de ce numéro de «Rencontre». L'énumération des anicles met en évidence tout l'intérêt des sujets exposés : les conseils de prud'hommes et le droit du travail ; « la protection des droits par l'aide judiciaire; droits des usagers et décentralisation ; aujourd'hui, quel droit pour les pauvres 1 La semaine de bonté. Tels sont les anicles où les travailleurs sociaux trou­veront des informations pour répondre aux demandes de leur public. Mais ce numéro contient bien d'autres choses et différents auteurs s· efforcent de répondre à une question essentielle. En effet, comme l'ndique J.A. Legrand dans léditorial : « lévolution des dispositions qui

ont pour but de protéger l'individu d' éven­tuelles atteintes», «ont transformé ce concept essentiellement social en concept économique». En fait, on ne devrait pas séparer « les notions de Droit Social des notions d'équilibre économique ... il peut exister un risque économique», «si le volume de ces prestations n'est pas lié à la santé économique de la société». Concernant ce problème qui commence seu­lement à être pris en considération, on lira avec un vif intérêt I' anicle de Marie-Maure Morin: «Aux sources du droit social». Panant des sources, l'auteur retrace les trois périodes qui lont fonement marqué : celle de l'aube jusq_u'en 1936; puis celle de l'avè­nement de l'Etat Pi:ovidence, et enfin celle de la «crise de l'Etat Providence», dans laquelle nous sommes. Cet article très clair est complété par celui de Guy Devillebichot qui s'efforce de répondre à l'interrogation que nous nous posons tous : le dévelop­pement des droits sociaux est-il nuisible à l'économie 1 «Il serait vain d'oublier, conclut-il après un long développement très intéressant, le caractère social de tout pro­cessus de production dans une quelconque société». • LES CAHIERS ALBERT LE GRAND -N° 67 - 1er trimestre 1987

Ce numtJro de /'Association Française des Pharmaciens Catholiques est consacnl à la drogue : la drogue, parlons-en (tel est le titre) non pas pour suivre une mode, mais parce qu'il para1t indispensable de faire le point de la situation au moment où existe enfin une prise de conscience dans la société de la gravité du problème.

On y trouve des informations statistiques sur ce fléau en expansion, ainsi que des rensaigne­ments sur les médicaments utilisés par les drogués. Mais on lira surtout avec attention l'article d'Henri Alberto, pharmacien, sur ce que peut IJtre /'attitude des professionnels lors­qu'ils se trouvent face à un toxicomane. A cette toxicomanie, il est difficile de trouver des causes, mais le professeur Charles Vaille essaye cependant d'en dégager. L 'anxiétd, l'ennui y ont une grande part. Ces états pro­viennent souvent de la disparition des chaines de solidarité, d'entr'aide dans le monde modeme. Comme l'écrit dans le premier

· article, l'abbé Pierre de Parcevawt qui vient de publier un livre intitulé K Un prfJtre chez les drogués», le toxicomane "piégé» s'en sor­tirait plus facilement s'il trouvait autour de lui les K béquilles» familiales et sociales qui lui K sont nécessaires».

On ne peut que recommandtJ la lecture de ce numéro à ceux qui ont des contacts avec les jeunes.

IMPRIMERIE 0 ALENÇONNAISE Rue Édouard-Belin, 61002 Alençon

C.C.P.P. 54216 - Dépôt légal: 1er trimestre 1988 - N° d'ordre 9719

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APPEL EN FAVEUR DES ENFANTS OUI N'ONT PAS DE CAMARADES

A VOIR DES CAMARADES, ALLER JOUER CHEZ EUX DE TEMPS EN TEMPS, FAIRE DU SPORT AVEC EUX, CONNAÎTRE LEURS PARENTS, C'EST POUR UN ENFANT UN MOYEN IRREMPLAÇABLE DE S'ÉPANOUIR ET DE BIEN APPRENDRE À VIVRE DANS NOTRE SOCIÉTÉ. POUR DIFFÉRENTS MOTIFS, HÉLAS, DES ENFANTS NE PEUVENT JAMAIS, OU PRESQUE JAMAIS, ALLER CHEZ UN CAMARADE.

DANS LE BUT DE REMÉDIER À CELA, L'ASSOCIATION «ENFANCE­AMITIÉ »ORGANISE DES PARRAINAGES DE QUARTIER: CHAQUE ENFANT D'UNE FAMILLE SOLITAIRE, EN ACCORD TOTAL AVEC SES PARENTS QUI ACCEPTENT DE PRENDRE CONSCIENCE DE L'IMPORTANCE DE LA CAMARADERIE, PEUT ÊTRE REÇU QUELQUES HEURES DE TEMPS EN TEMPS, LIBREMENT, PAR UNE FAMILLE VOLONTAIRE, BÉNÉVOLE, SIM­PLEMENT ATTENTIVE À CES VALEURS QUE SONT LA SYMPATHIE, LA CONFIANCE ET LA FIDÉLITÉ.

LES FAMILLES QUI SOUHAITENT PARRAINER DE CETTE MANIÈRE UN ENFANT OU UN JEUNE ADOLESCENT DE LEUR QUARTIER PEUVENT TÉLÉPHONER À MADAME BORGUS, 20.53.95.85, LE JEUDI MATIN ENTRE 9 H ET 12 H. D'AVANCE UN TRÈS GRAND MERCI.

LES FAMILLES QUI, À LA LECTURE DE CET APPEL, SOUHAITENT UN TEL PARRAINAGE POUR UN OU PLUSIEURS DE LEURS ENFANTS, PEUVENT TÉLÉPHONER AUSSI À MADAME EVELYNE BORGUS. NOUS LES FÉLI­CITONS POUR CETTE DÉMARCHE POSITIVE ET LES REMERCIONS TOUT AUTANT QUE LES FAMILLES PRÉCÉDENTES.

Association Enfance-Amitié

...... --------------- AIP: M. François-Raymond FREI __ _. 108, rue La Fayette 75010 Paris Tél. : 16 l 45.23.08.94

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VIe CONGRÈS DE LA F.E.A.M.C. FÉDÉRATION EUROPÉENNE DES ASSOCIATIONS

DE MÉDECINS CATHOLIQUES

• Médecine et liberté

• A I~

Palais des Congrès de Versailles 8-12 mai 1988

DIMANCHE 8 MAI :

- Messe à 18 h 30, à Notre-Dame de Paris suivie d'un concert d 'orgue.

LUNDI 9 MAI :

- 18 heures, Réception à l 'Hôtel de Ville de Paris.

MARDI 10 MAI :

- Dîner au Château de Breteui l.

MERCREDI 11 MAI :

- Messe de I' Ascension en la chapelle royale du Château de Versailles, suivie d 'une visite des appartements privés du château.

(Certaines séances de travail se feront sous forme de carrefours linguistiques)

Fiches d'inscriptions et programmes à retirer au secrétariat du Centre Catholique des Médecins Français - 5, av. de !'Observatoire

75006 Paris - France - T él. : 46.34.59.15 (l'après-midi)