Exercices spirituels pour managers

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Exercicesspirituelspourmanagers

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répondredesesactes,laplusspirituelleconsisteàrépondreàunappel à vivre (ce qui est le propre du désir) plutôt qu’à unequestion(quoi,pourquoi,comment,pourqui,pourquand,avecquelsrisques).Sous le nom latin de libido, les théologiens duMoyen Âge

distinguaienttroisformesdedésir:l’appétitdejouissance,dontle docteur Freud fit son fonds de commerce ; la volonté depuissance,réhabilitéeparNietzsche;enfin,lalibidosciendi,lacuriosité,désirdesavoir.Pourcesmoralistesdestempsanciens,ledangerdeceslibidosl’emportaitnettementsurleurpotentieldynamique. Ilscraignaientque la jouissance, lapuissanceet lasuffisanceoccultentlebiencommunetlesbesoinsduprochain.Hors de tout moralisme, l’un des enjeux de la démarchespirituelle est de purifier le désir afin que le manager nes’enfermenidanslajouissance,nidanslavolontédepuissance,nidanslasuffisance,maisqu’ilpuisedanscesdésirsl’énergiede samotivation (l’appel àvivre).unméca-niciendiraitque ledésirestl’essencedumoteur.L’illusionseraitdecroireque ledirigeantpeut,par sapropre

volonté, susciter son propre désir et redonner vie au tombeauévoquéparValéry.Lorsquel’entrepriseestdevenueunesortedemusée qui accumule les traces des succès passés, le managerpeut vouloir faire parler l’outil qu’est l’entreprise, comme lesprêtres égyptiens, disait-on, faisaient parler les morts, à lamanièreduventriloquedontletalentpermetdefairecroirequ’ildialogue alors qu’il ne fait que déployer son monologue. Ilévoquealorslesanciensdirigeants–desgéants–,lesbataillesgagnées jadis, l’image mythique de l’entreprise. En revanche,contre toutes ces évocations nostal-giques, l’entreprise seprésented’embléecommeunorganismequirésisteàlavolontéactuelledudirigeant.Pourparaphraseruncélèbredicton:dans

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ce tombeau qu’est l’imaginaire du dirigeant, le cadavre del’entreprisebougeencore.Cette première expérience de l’altérité, le manager pense

pouvoir ladissoudredans la finance, comme il se libèred’unedette. ce n’est pas si simple. Nathalie Sarthou-Lajus résumeainsi les attendus de cette expérience : « Nous ressemblonsaujourd’huiàdesadolescentsrévoltésquidécouvrentqu’ilsnepeuventnisesuffireàeux-mêmes,nivivretouteleurexistenceàcrédit,maisqu’ilfautrendredescomptes.Àmesyeux,ladetten’est pas simplement un fait économique (debitum, ce que jedois)ousocial (obligatio, une relationd’obligation),maisuneréalité anthropologique fondamentale qui désigne la situationpremièredel’hommedanssonrapportàl’autreetautemps.Ladetteesteneffet indisso-ciablede laquestiondesorigines.Sedemander avec saint Augustin : “Qu’avons-nous que nousn’ayonspoint reçudevous2 ?”, c’est reconnaîtreque l’hommenepeutseulserendrecréateurdelui-même3.»Lemanagerest invité,encettepremièreétape,àfairecraquer

l’idéequ’ilsefaitdeladette–unetransactionfinancièredontilpeutse libérerenaccumulantavoir,pouvoiretsavoir. Ilpourraalorsélargirladetteàtouslesliensd’inter-dépendancesetfairel’expériencedeladettesymbolique.Laconsciencedecequ’ilareçu et de toutes les instances dont dépend la réussite de sonentrepriselelibéreradesasuffisanceetrenforcerasondésir.

*Lefilsprodigue

Lessuffisantsnesontpasnécessaires,disaitunmathématicienhumoriste. ce n’est pas définitif. car le suffisant (celui qui apayé sa dette financière, dans la logique de l’avoir) peutdécouvrir son insatisfaction (la dette symbolique, insolvable,

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dans la logique de « l’être-avec ») au contact de l’humilitéd’autrui.unpetitexercicedecomparaisonpermetd’entrerdanscettedémarche.Unhommeavait deux fils. Le plus jeune dit à son père :«Père,donne-moilapartdefortunequimerevient.»Etlepère leur partagea son bien. Peu de jours après, le plusjeune fils, rassemblant tout sonavoir,partitpourunpayslointain et y dissipa son bien dans une vie de prodigue.Quandileuttoutdépensé,unegrandefaminesurvintencepaysetilcommençaàsentirlaprivation.Ilallasemettreau service d’un des habitants de la contrée, qui l’envoyadansseschampsgarderlescochons.Ilauraitbienvouluseremplirleventredescaroubesquemangeaientlescochons,mais personne ne lui en donnait. Rentrant alors en lui-même,ilsedit:«Combiendejournaliersdemonpèreontdupainenabondance,etmoijesuisiciàmourirdefaim!Je veux partir retourner versmon père et lui dire : Père,j’ai péché contre le ciel et contre toi ; je ne mérite plusd’être appelé ton fils, traite-moi comme l’un de tesjournaliers.»Ilpartitdoncets’enretournaverssonpère.Commeilétaitencoreloin,sonpèrel’aperçutetfuttouchédecompassion;ilcourutsejeteràsoncouetl’embrassalonguement.Lefilsalorsluidit:«Père,j’aipéchécontrele ciel et contre toi, je ne mérite plus d’être appelé tonfils.»Maislepèreditàsesserviteurs:«Vite,apportezlaplus belle robe et l’en revêtez, mettez-lui un anneau audoigt et des chaussures aux pieds. Amenez le veau gras,tuez-le,mangeonsetfestoyons,carmonfilsquevoilàétaitmortetilestrevenuàlavie;ilétaitperduetilestretrouvé!»Etilssemirentàfestoyer.Sonfilsaînéétaitauxchamps.Quand,àsonretour, il fut

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Cette lucidité du dirigeant témoigne déjà d’un sens spirituelvécudansl’intuitionqu’existenonpasunautremonde,maisunmonde autre, le monde où il rencontre l’altérité, cette detteinsolvable, monde dans lequel il vivra sans aucun douteautrement, ce monde réel dont l’épreuve est le but de ladémarche. karl Marx n’est pas un Père de l’Église, de cesintellectuels chrétiens qui, en grec ou en latin, ont tenté detraduire l’expérience religieuse sémitique dans le langageabstrait de la culture gréco-latine des premiers siècles.cependant, le manager peut faire son miel de cette remarqueinci-dente écrite par celui que son ami Engels qualifia sur satombede«fondateurdusocialismescientifique»:Ladoctrinematérialistequiveutqueleshommessoientleproduit des circonstances et de l’éducation (que, parconsé-quent, ajoute Engels, des hommes transforméssoient des produits d’autres circonstances et d’uneéducation modifiée), oublie que ce sont précisément leshommes qui transforment les circonstances et quel’éducateur a lui-même besoin d’être éduqué. C’estpourquoi elle [la doctrine matérialiste] en vientnécessairement à diviser la société en deux parties dontl’uneestau-dessusdelasociété8.

C’est une assez bonne dénonciation du cléricalisme, cetteattitude managériale qui pense en savoir davantage que sescollaborateurs et partenaires incapables, eux, d’accéder à unepareille connaissance, et qui croit que la pratique de lasubsidiarité est un luxe réservé aux grandes entreprises plan-tureuses.Danslemêmesens,opposéaucléricalisme,lemanagerpeut profiter des analyses du sociologue Max Weber.contrairement à une lecture superficielle de L’Éthique protes-tanteetl’espritducapitalisme,cesociologuenefaitpasdela

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religion calviniste l’origine du capitalisme ; il soulignesimplement que la religion engendre une éthique relativementindépendantedesconditionnementséconomiques.cetteéthiquejouedansuneconfigurationoù s’articulent ledroit, lamorale,les institutions et les conditionnements physiques. ce quiconduitàpenserquel’éthiqueàelleseule,fut-elled’inspirationchrétienne,fut-elleportéeetmiseenpratiqueparlesdirigeantsde bonne volonté, ne saurait suffire pour moraliser lecapitalisme.Aussijudicieusessoientcesremarques,ellesneconduisentpas

àconfondrelaspiritualitémanagérialeaveclamorale.Lamoraleexprime les règlesgénéralesque lasociété imposeaumanager,la spiritualité vise l’expérience du réel faite par le managerlorsqu’il seheurtenon seulement auxcontraintesnotifiéesparles sciencesdegestion, aux aléasde la stratégie cachée et destactiques subtiles de ses partenaires, mais également auxcontradictionssociopolitiques.Lamêmeposturespirituelleinterditaumanagerdes’enfermer

dansl’idéefallacieuseselonlaquelleilseraitàl’originedesesfautes. Dès les premiers pas de sa démarche spirituelle, lemanager doit admettre qu’il n’est pas la cause unique de soninsatisfaction,maisque–altéritéoblige–ilestentraînéparuncourantpuissantdontiln’estpaslemaître.Mieux,ladémarchespirituelle ne commence qu’avec la conscience vive d’uneinsatisfaction qui ne vient pas de lui car, à la différence dubesoin, le désir ne vient pas dumanque. cette solidarité dansl’insatisfaction transparaît dans les Exercices de Loyola : leretraitant est d’abord invité à méditer sur le péché des anges,puissurceuxdenospremiersparents,avantdeconsidérerceuxde tout homme dans la foule immense des générationssuccessives. Il est amené ainsi, non pas à nier sa propre

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culpabilité,maisàreconnaîtrequ’iln’apasàsejugersoi-mêmepuisquesesfauteselles-mêmessontdesfiguresdel’altéritéquileconstitue.L’idée de « structures de péché » traduit à sa manière cette

expérience du réel. En 1987, dans l’encycliqueSollicitudo reisocialis, partie V nommée Une lecture théologique desproblèmesmodernes,JeanPaulIIprécise:«Péchéetstructuredepéchésontdescatégoriesquel’onn’appliquepassouventàlasituationdumondecontemporain.cependant,onn’arrivepasfacilement à comprendre en profondeur la réalité telle qu’elleapparaîtànosyeuxsansdésigner la racinedesmauxquinousaffectent. » cette racine est le péché personnel.Jean Paul II l’avait précisé trois ans plus tôt, en 1984, dansReconciliatioetpaenitentia:«Quandl’Églisedénoncecommepéchés sociaux certaines situations ou certains comportementscollectifsdegroupessociaux[…],ellesaitetproclamequecescas de péché social sont le fruit, l’accumulation et laconcentration de nombreux péchés personnels. Il s’agit depéchéstoutàfaitpersonnels[…]9.»Cequel’expériencespirituellereconnaîtsouslenomdepéché

personnel est toujours le fruit d’unpardonqui précède l’aveu.c’est la conscience d’un meilleur possible – autre figure del’altérité – qui fait reconnaître la faute ; ainsi, l’insatisfactionressentie révèle au manager un horizon vers lequel avancer.Faisant l’expérience de sa dette symbolique – celle qu’il nepourrajamaisrembourser–,ilsesentattiréàtransmettreàdestiers ce qu’il a reçu. S’impose peut-être l’image de la carottependueauboutdubâton.L’objetdudésirsedérobelorsquelemanageravancepourlesaisir.cetteimagedusupplicedeTantaleest fallacieuse, qui transforme le dirigeant en âne qui tire lacarriole, l’entreprise. car cette représentation ne permet

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qu’ilressentledonreçuaumomentoùilpardonneàsontour.La remisededette ici encauseneconduirapas lemanagerà

prêter les yeux fermés, encore mois à payer à guichet ouvert.c’est un don gratuit qui se transmet gratuitement. La grâce nefait pas échapper, comme par miracle, aux lois de l’échangeéconomique. Il est de la responsabilité du manager de ne pasgaspiller, voire d’accumuler comme le Joseph de la Bible,l’intendantdePharaon,quiavaitannoncéqu’aprèsunepériodede sept années de vaches grasses vien-draient sept années devaches maigres pendant lesquelles les vaches maigresmangeraient les réserves (gn 41). une lecture bibliqued’inspirationtalmudiquerenforceletrait.Tous lespenseurs juifsont souligné cequi sembleparadoxal

pour une tradition chrétienne prête à glorifier la pauvreté : leparadoxe de l’accumulation des richesses entre les mains despatriarches. Le rabbin Shaul David Botschko, directeur de layechivad’Elisabethville,àuncolloquedesintellectuelsjuifssurl’argent, faisait remarquer que la Torah insiste sur le faitqu’Abrahamétaitriche,qu’Isaacétaitriche,etqueJacobl’étaitégalement : «Abrahamétait très lourd en troupeaux, argent etor » (gn 13,2) ; « Isaac grandit ; il alla s’enrichissant encorejusqu’à ce qu’il devînt puissamment riche. Il eut de grandstroupeauxdemenubétail,degrandstroupeauxdegrosbétailetbeaucoupd’esclaves»(gn26,13-14);«Jacobdevinttrèsriche,il eut de nombreux troupeaux, des servantes et des serviteurs,deschameauxetdesânes»(gn30,43).Orcetterichesse,fruitd’uncalculetd’uneffortacharné–on

pensesurtoutàJacobquin’hésitapasàtrompersonbeau-père,après avoir trompé son frère aîné Ésaü –, était le signe de labénédictiondivine:«Jetebénirai»(gn12,1-2)signifie:«Jetecombleraiderichesses,nonpourquetul’ac-cumules,maispour

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te permettre d’assurer ta responsabilité envers la communautéhumaine.»Laphrasequisuit le« je tebénirai»esteneffet :« Je ferai de toi un grand peuple. » Le rabbin Botschkocommente ainsi : « SiDieu choisitAbraham, c’est parce quelui, Abraham, ne va pas se contenter [comme Hénoch] de sapropre élévation ; Abraham a accepté de jouer un rôle dansl’histoire :celuidecréerunpeuple. Ildoitdevenirunegrandepuissance.Ildoitêtrecapablededevenircettegrandepuissanceavec toutes les tentations qu’apportent la force, l’argent et leprestige.Etildoitrésisteràtoutescestentations.créerunÉtat,unenationconformeauxrèglesdelaTorah,c’estcelaledéfidupeupleengestation.Abrahamsaitqu’ildoitêtreriche,cariln’apasledroitdesecontenterdesapropreélévationspirituelle.Ilsera l’exemple parfait que la fortune, la puissance et la gloirepeuventêtreauservicedeDieu.»Ainsi peut s’expliquer le mensonge d’Abraham arrivant en

Égypte,mensongeconcernantsafemmequ’ilfitpasserpoursasœurafind’attirerdescadeaux.Lerabbinrésumesonargumentainsi : « La richesse d’Abraham était la richesse de celui quidevaitdevenirunpeuple;celled’Isaac,larichessedeceluiquiprend racine sur la terre ; celle de Jacob est le signe que cepeuple,mêmeloindesaterre,resteratoujoursunpeupleàpart.Jacobnesefondpasparmilesnationspourdeuxraisons:parcequesamoraleet saconduite sontdifférentes,mais aussi parcequ’ildevintpuissammentriche14.»Ce commentaire rabbinique rappelle que, si la vie spirituelle

est individuelle, elle s’insère dans les responsabilités sociales.Tel est le défi lancé à la spiritualité managériale. En 1998,participant à une série de conférences sur le rapport entrespiritualité etmanagement, dans le cadre de l’université Paris-Dauphine, le rabbin Riveline, qui était aussi professeur

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d’économieàl’ÉcoledesMinesdeParis,donneunetraductionpratiquedecelienentreargentetcommunauté.cettetraductionsedéveloppeenquatreprincipes:1.Lasaintetéestcompatibleaveclarichesse.Mieux:letravail

productif est une obligation religieuse. Le quatrièmecommandement concernant le repos du Sabbat souligne, parcontraste,l’obligationdetravaillerpendantsixjours:«Durantsix jours tu travailleras, et tu feras tout ton ouvrage ;mais leseptième jour est un jour de chômage consacré à Dieu »(Ex20,9).L’histoirejuiveestrempliedesaintshommesdeDieuqui,tellemédecinMaïmonide,onteuàcœurdeconcilierétudede la Torah et travail productif. certains intellectuels justifientmême l’adoption par les juifs des métiers de la finance parl’avantage qu’il procure de laisser beaucoup de temps pourl’étudedelaTorah.2. Le devoir du riche est de donner au moins 10 % de sa

richesse au pauvre. Mais jamais plus de 20 % ! Le rabbinRiveline commente ainsi ce précepte : lorsque le riche donnemoins, il est considéré commeun voleur.Au-delà de 20%dedon,lerichemettraitalorssafortuneenpéril.or,s’ilestriche,c’estparcequeDieuluiaconfiélagestiondumondepourunepart plus grande que les autres, et il n’a pas le droit de sedéroberàcettemission.3.Lerichenedoitpasabuserdelafaiblessedesonpartenaire;

celaestvraidansleprêtàintérêtcommedanstoutcommerce.4.Lejusteprixestdéterminé,soitparunmarchésuffisamment

transparentpourqueleprixquienrésultepuisseêtreconsidérécommejuste,soitparrecoursàuntribunal,quijugeetappréciela justesse du prix pratiqué. La richesse « pour autrui »souligneladimensiondegratuitédanslatransmissiondecequiaétéacquis.

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lesilence,c’est lesilencequisuitMozartetquiestencoreduMozart.cen’estpas lesilencede l’ermitequiseretire loindubruit de la ville, c’est celui de l’artiste devant son œuvre. Lesilencedelapauvretéestunsilenceimposéparlesévénementsinédits,parlesattitudesincompréhensibles,parl’entou-rage–d’où la dernière Béatitude sur le mépris ; c’est le silence deceluiquin’apaslaparole,tell’enfant,l’esclave,lemineurdansmaintescivilisations ;pour lemanagerc’est lesilencedeceluiqui ne sait plus quoi dire parce qu’il ressent douloureusementlescontraintesquil’écrasent.Leparadoxeveutque,danslesExercicesdeLoyola,cetteétape

commence par la contemplation d’un tableau baroqueL’appeldu roi temporel aide à contempler la vie du roi éternel. cetableaumetenscèneunpersonnagepuissantquiinvitelesâmesgénéreusesàparticiperàlamissionenthousiasmantequ’ils’estdonnée.Lemanagerpourraitinvestirdanscemotde«mission»toutcequiorientesavieprofessionnelle:l’objetsocialdesonentreprise, la participation au mieux-être des populations, lacréationd’emplois,lapossibilitédenourrirdignementsafamilledansunecertainesécurité.Maislapointeduproposestailleurs.Lorsqu’il est question, dans la seconde partie de lacontemplation,nonplusd’unemissionobjectivable,facilementrepérablepartoutlemonde,maisdecequidonnesensàlavie–ceque,dans le langagede l’époque,onappelait« sauver sonâme»–, ilne s’agitplus seulementdemobiliser sescapacitéspositives, ses moyens efficaces et ses relations prometteuses,mais il faut de plus partager les faiblesses, les injustices et lapauvretéqueconnut leJésusdesÉvangiles.c’estunefaçondedirequelesBéatitudesfurentlaloiaccomplieparJésus.Iln’estnulbesoindetomberdanslapiétésulpiciennepourcomprendrequelatoute-puissancequisemanifestealors,àlaquelletendlaviespirituelle,estcellequiassumelibrementlesfaiblesses,les

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injusticesetlapauvreté,etpassimplementcellequitraverselechamp de bataille économique une fleur à la main. commel’expliqueBrunoFüglistaller:«Leretraitantestinvitéàimiterle christ en endurant les outrages qu’Il subit. Mais le plusimportantestunemisedecettedemandeàl’épreuveduréel:“SivotreMajesté veutme choisir etme recevoir en cette vie.” LagénérositédudonestsoumiseàlaréalitédelavolontédeDieu.Ilnes’agitpasseulementd’êtregénéreux,maisd’êtrelibreparrapportàsagénérositémême,aunomduréel.»Ilesttentantalorsdeseprendresoi-mêmepouroriginedecette

volonté d’assumer les côtés négatifs de la responsabilité dumanager,dansunelogiquestoïciennequirefusededéclarerbienou mal les événements qui le touchent. Spinoza, ici encore,pourrait être une caution. « La Béatitude n’est pas larécompensede lavertu,mais lavertuelle-même ;etnousn’enéprouvons pas de la joie parce que nous réprimons nospenchants ;aucontraire,c’estparcequenousenéprouvonsdela joie que nous pouvons réprimer nos penchants2. » cetteattitudesemblecelledelasagessequi,pourmieuxcomprendre,s’interditdeselaisseralleraugrédessentiments:«Envuedeconserver, dans le domaine de la science politique, uneimpartialité identique à celle dont nous avons l’habitudelorsqu’ils’agitdenotionsmathématiques,j’aiprisgrandsoindenepas tourner endérision les actionshumaines, denepas lesdéplorer ni les maudire, mais de les comprendre. En d’autrestermes, les sentiments, par exemple, d’amour, de haine, decolère,d’envie,deglorificationpersonnelle,dejoieetpeineparsympathie, enfin tous cesmouvements de sensibilité n’ont pasété ici considéréscommedesdéfautsde lanaturehumaine. Ilsen sont des manifestations caractéristiques, tout comme lachaleur, le froid, le mauvais temps, la foudre, etc. sont des

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manifestationsdelanaturedel’atmosphère.or,sidésagréablesque soient parfois les événements physiques, ils n’en sont pasmoins nécessaires et n’en ont pas moins leurs causesrigoureuses, à partir desquelles nous essayons de lescomprendre.Mais à les étudier tels qu’ils sont, l’esprit trouveautantdesatisfactionqu’àconnaîtreceuxdontlessenshumainssontagréablementimpressionnés3.»Aussijudicieusesoitcettesagessephilosophique,l’expérience

spirituelle ne s’y réduit pas. car c’est de l’altérité, c’est-à-dired’unautre,etnonpasdesapropreforced’âme,quelemanagertire le goût d’avancer sur la voie où il s’affronte au réel. S’ilfallait évoquer un philosophe, ce serait plutôt ici FrédéricNietzsche :«Personnenepeutbâtirà taplace lepontqu’il tefaudra toi-même franchir sur le fleuve de la vie – personnehormistoi.certes,ilexistedessentiers,etdespontsetdesdemi-dieuxsansnombrequi t’offrirontà teporterde l’autrecôtédufleuve,mais seulement auprix de toi-même : tu temettrais engage et tu teperdrais. Il n’existe aumondequ’un seul cheminsurlequelnulautrequetoipuissepasser.oùmène-t-il?Neteledemandepas, suis-le4. » Pour échapper à la nostalgie induiteparcettecitation,encorefaudrait-il lacompléterpar lapostureévoquéeparJeanBazaine:«chacunsuitsavoie,maisl’autrel’ypoussedel’intérieur5.»

*Latentationaudésert

Toutescescontradictionsvécuescommedespauvretés,etquifont le pain quotidien du management, ont été souventexpliquées, sansque lemanagerpuisse facilementen faire sonmiel ; car les mots, fussent-ils organisés en une savantedialectique,sontimpuissantsàmobiliserlecœur.Pourfranchir

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singulierquines’identifiepas,saufaliénation,avec lecitoyenanonyme, ledirigeantdoitvérifierpour lui-mêmeetpourceuxqu’ilasoussonautorité,que les règlesqu’il imposenesoientpas rendues impossibles pour les individus auxquelles elless’ap-pliquent. Il doit éventuellement les ajuster au terme d’unjugement“prudentiel”,qualifié telparcequ’il est le fruitde laprudence – cette intelligence des situations concrètes. Parfoismême, il devra, par un jugement “politique”, en tester lalégitimité. ce jugement, qualifié de politique parce qu’il estrelatif à la légitimité de la loi, le conduiravers un redou-tableproblème–leconflitentred’unepartl’autoritédelaloioudusupérieur hiérarchique, et d’autre part l’autorité de saconscience –, problème qui ne peut être résolu qu’au niveauspirituel,aumomentoùlemanagers’affronte,dansuneposturesingulière,àlarésistanced’unesituationparticulièrequin’entrejamaisparfaitementdanslescatégoriesétabliesparlesinstancessupérieures.La soumission aveugle aux procédures semble d’autant plus

rationnellequepersonnenepeutraisonnablementéchapperauxlois, ces liaisons nécessaires et constantes qui découlent de lanaturedeschoses.Lemanagerconnaîtalorsune tentationplussubtilequiempruntelavoiestoïcienneendésignantparlemotliberté la soumission à la loi contraignante ; ce qui bloque ladémarche spirituelle. L’expérience spirituelle suppose en effetquelanécessiténesoitpasunedonnéepréalablequis’impose,commedel’extérieur,aumanager,maislefruitdelafinalitéoùle manager trouve le sens de son travail. cet arrière-fond dephilosophie grecque, qui imagine le réel comme la contrainteultime attendant impassible derrière le voile d’ignorance dumanager, prend parfois une couleur religieuse lorsque lanécessité semble dictée par le Tout-Puissant. ce Tout-Puissantpeutprendred’ailleursdiverses figures :cellede laNature,de

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l’État,delamajoritéparlementaire,delasociétéoudel’autoritéhiérarchique. La soumission devient alors démission, ouadoration,cequeréclamaitSatanàJésusjeûnantdansledésert.Lois, règlements et procédures deviennent ainsi des textessacrés,dontchacunsaitqu’onnepeutpasytouchersouspeinedemort,commelemalheureuxuzzi,foudroyéquandilavouluretenirdelamainl’Arched’alliancedéséquilibréequimena-çaitdechoir(2S6,7).L’Arched’alliance,symboledesTablesdelaLoiquiyavaient

été déposées, reste, dans les traditions juives puis chrétiennes,l’archétype de la loi sacrée que l’on ne peut pas changer sansmourir.Lesfondamentalistesenontfaitleurschouxgras.Toutesces histoires suggèrent que le sacré de la loi “contient” laviolence,àlamanièredontlascience“contient”lesavoir,danslesdeuxsensduverbecontenir:illalimitetoutenpermettantles relations sociales en interdisant qu’un individu ou qu’ungroupeparticulieroccupeàluiseul toutl’espacedelaparole;maisenmêmetemps,lesacré–fût-ilceluidelaloi–nourritlaviolence,carilimposeàchacununecontraintequin’estjamaisparfaitementajustéeàsasituationparticulière.Lemanagers’enrendimmédiatementcomptelorsquesonsupérieurhiérarchiqueluiinterditquelquechose«parprincipe»,sanstenircomptedesa situation personnelle ni de ses responsabilités particulières.Pour éviter tout argument d’autorité qui bloque la démarchespirituelle, j’invite ledirigeantà relire l’avertissementémisparSchumpeter dès la première phrase d’un livre d’analyseéconomiqueparuvoiciplusd’unsiècledéjà:«Lesévénementssociauxconstituentuntout.Ilsformentungrandcourantd’oùlamain ordonnatrice du chercheur extrait de vive force les faitséconomiques. Qualifier un fait d’écono-mique, c’est déjà uneabstraction, la première de nombreuses abstractions que lesnécessités techniques imposent à notre pensée lorsqu’elle veut

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reproduire la réalité12. » L’épreuve du réel commence avec ledoutetouchantlelangage,etlaconsciencedecequ’ad’abstraittoute représentation. Les êtres et les événements singulierséchappenttoujours,mêmeàl’intelligencelaplusfine.

*L’impôtdûàCésar

Parmi les événements contraignants, ceux qui viennent de lavie politique sont parmi les premiers à être ressentis par ledirigeant.LemanagerappliquespontanémentauxpoliticienslejugementportéparlebaronLouis,ministredesFinancesduroiLouisxVIII:«Sire,faites-moidelabonnepolitique,etmoijevous ferai de la bonne finance. » Pour éviter la tentation devouloir isoler la vie spirituelle des contraintes politiques, lemanagerpeut faire l’exercicesuivant : ressentir,dans l’épisodeévangéliquedel’impôtdûàcésar, ladimensionpolitiquedeladémarchespirituelle.«Maître,noussavonsquetuesfrancetquetuenseigneslavoiedeDieuavecfranchisesanstepréoccuperdequiquecesoit,cartuneregardespasaurangdespersonnes.Dis-nous ton avis : est-il permis, ou non, de payer l’impôt àCésar?»MaisJésus,connaissantleurperversité,riposta:«Hypocrites!Pourquoimetendez-vousunpiège?Faites-moi voir l’argent de l’impôt. » Ils lui présentèrent undenier.Etilleurdit:«Dequiestl’effigiequevoici?Etlalégende?–DeCésar»,répondi-rent-ils.Alorsilleurdit:«RendezàCésarcequiestàCésar,etàDieucequiestàDieu»(Mt22,16b-21).

Apparemment, ilnes’agitqued’une réponseadhominem.Àquiveuttendreunpiège,l’interlocuteurrenvoieleques-tionneuràsaproprepratique.c’estainsiquefonctionnenttouslesdébats

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envisager dans leurs plus larges extensions –, lemanager estmis au défi de s’engager dans une décision. Son expériencespirituelle sera d’autant plus forte qu’il sentira qu’autrui nedésigne pas seulement le “prochain” (les individus,collaborateurs,partenairesousubordonnés),maisqu’ilenglobeaussilescollectivités,institutions,organisations,entreprisesenunmot, la société.Transcendant toutes ces collectivités, l’Étatestl’objectivationduDroitquiestlegarantinstitutionneldelapersonnehumainedanstoutessesrelationsinstitutionnellesoucommunautaires. cettebelle théorieoublieque l’État n’est pascet être parfait qui fait nombre avec les intérêts particuliers,comme s’il pouvait en être séparé. ce qui impose au managerconfrontéaudictatde l’Étatundiscernementaucasparcas,àsesrisquesetpérils.Lemanagerarticulecontraintesetconscienceenlaissantjouer

cetoutilcardinalqu’estl’argent.Lequalificatifde“cardinal”estapproprié à l’argent dans la mesure où, selon l’étymologielatine, le cardinal (cardo-cardinis) est un gond de porte. ungond est ce qui permet d’articuler un cadre fixe – qui icireprésentelaloioul’autoritéhiérarchique–etlaportebattantequi laisse passer ce qu’il désire et retient ce qui lui répugne.comme dans toute société monétarisée, l’argent est pour lemanageràlafoislemoyensocialquasiuniverseletlevecteurdela liberté individuelle. c’est pourquoi dans les civilisationsurbainesfondéessurl’argent–cellesdesprophètesdelaBible,tout comme celles du Jésus des Évangiles –, l’argent est vucomme la principale tentation, celle que Loyola désigne parl’expression«passionsdésordonnées»oùlemoyensesubstitueàlafinalité.

*Dieuetl’argent

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« Je suis libre vis-à-vis de l’argent pourvu que j’en aie ensuffisance»,disaitundirigeantd’entreprisequiavaitlesensdel’humour. Rares sont ceux qui jugent avoir suffisammentd’argent pour assouvir tous leurs désirs légitimes. Même lesdésirslesmeilleursnepeuventêtreentièrementsatisfaitsenlespayantsur lemarché.Queneferaitpasunmanager,animédesmeilleures intentions, avec quelques dollars de plus, pour lasécurité économique et psychologique de son personnel, pourdesproduitsetdesservicesplusfiablesdontlaqualitédurepluslongtemps, pour une reconnaissance financière plus gratifianteen faveur de tous ses collaborateurs et subordonnés, pour unecontribution plus conséquente aux charges des administrationspubliques,pourlarémunérationplusconfortabledesapporteursde capitaux qui ont risqué leur patrimoine dans l’entreprise,sanscompter,cequiestlégitime,pourunehonnêteaisancepoursa propre famille. « Vous ne pouvez servir à la fois Dieu etl’argent », dit Jésus dans l’Évangile (Lc 16,13). Le managersouscritsansdifficultéaubonsenspopulairepourqui«l’argentest un bon serviteur,mais unmauvaismaître ». Le problèmen’estévidemmentpasicidansleprincipe,maisdanslapratique,c’est l’enjeu évoqué par lePrincipe et fondement de Loyola :utiliserlesmoyens«danslamesureoù»ilsaidentàatteindrelafinalitéquiest l’unificationensoidumondeetducosmos,cequeLoyolanomme«sauversonâme».Au moment où il prend conscience de l’impossibilité d’ho-

norer tous ces besoins légitimes, et pour dissiper l’illusion decroire que l’accumulation de moyens peut se substituer àl’appréhension de la fin, le manager peut écouter une parolesemblableàcellequeJésusadresseaurichenotable:Jésus se mettait en route quand un homme accourut et,fléchis-sant devant lui le genou, lui demanda : « Bon

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maître, que dois-je faire pour avoir en partage la vieéternelle?»Jésusluidit:«Pourquoim’appelles-tubon?Nul n’est bon que Dieu seul. Tu connais lescommandements:Netuepas,necommetspasd’adultère,nevolepas,neportepasdefauxtémoignages,nefaispasdetort,honoretonpèreettamère.»L’hommeluirépondit:«Maître,toutcela,jel’aigardédèsmajeunesse.»AlorsJésusfixasurluisonregardetl’aima.Etilluidit:«Uneseule chose temanque : va, vends ce que tu as, donne-leauxpauvres,ettuaurasuntrésorauciel;puisviens,suis-moi. » Mais lui, à ces mots, s’assombrit et il s’en allacontristé,carilavaitdegrandsbiens(Mc10,17-22).

Le riche de cette histoire possède non seulement une grandefortune, « il avait de grands biens »,mais également la bonneconscience d’accomplir la loimorale. Il ne tue pas, il ne volepas, il honore son père et samère. une analyse psychologiquepourrait bien sûr remettre en question cette assurance moraledanslamesureoù,mêmes’ilneconvoitepaslebiend’autrui–carcequ’il a comble sa suffisance–, il aspirequandmêmeàautre chose, la vie éternelle. Il n’a pas compris que la vieéternelle ne peut s’acquérir par un effort personnel, pas plusqu’ilnepeutatteindrelaluneenaccumulantl’unsurl’autredespetitstabourets.Laradicalitédel’exigenceduchristsemarquepar cette incise qui balaie, aux dires deRogerPeyrefitte, touslesfauxproblèmesmoraux:«unseulestbon»,labontén’estpasdel’ordredecequel’onpeutacquérirpareffortpersonnel.Maiscettegrâcenesupprimepaslesconditionséconomiquesetsocialesdanslesquellesellesemanifeste.En effet, pourquoi “vendre” avant de donner ? L’analyse

anthropologiquedel’argentdonne,certes,uneréponse:l’argentporteenluiunelibertéquenepermetpasledonennature.Tout

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silence.Mais la posture évoquée par Jésus va plus loin. Pourchacundesdeuxévénements,Jésusconclutparlamêmephrase:« Si vous ne faites pas pénitence, vous périrez touspareillement. » En cette troisième étape de la démarchespirituelle,ilseraitpuérilderéduirelapénitencedontils’agitàquelques mortifications corporelles touchant la nourriture, leshabits,lesommeiloudesagrémentsdelavie.Ilnes’agitpasdecompenserparquelqueseffortscequelepéchéoulehasarddescirconstances a fait manquer, comme si le paiement pouvaits’ajuster au niveau plus ou moins grand la dette dont il estquestion.Laradicalitédelasanctionfaceàl’hétérogénéitédesmérites oblige à concevoir une pénitence d’une autre nature.«onnechoisitpassespéni-tences»,disaitmagrand-mère.Ellene croyait pas si bien dire ; car la pénitence consiste àexpérimenter ce lieu où l’identité se perd. L’expressionpopulairerejointlapratiquedel’Égliseprimitive,ouencoredesécolesprimairesdemonenfance : être enpénitence, c’est êtreplacédansunendroitséparé,êtreexclupouruntemps,dansuncoin, isolé de la communauté qui est le lieu normal de sonidentité. La pénitence désigne ainsi l’expérience cruciale dupauvrequin’ariensurquois’appuyeretaperdusapersonnalité;c’estl’ex-périencedumanagerdépendantd’événementsqu’ilnepeutmêmepasconcevoir.Lepauvreestinterditdeparole.celieu, la tradition biblique, en son aspect central, prolongéjusqu’ànosjours,luiafournisonarchétype,l’exil.L’exil,c’estl’expériencedenepasêtrechezsoi,d’aspireràun

retour indéfiniment reporté: « L’an prochain, à Jérusalem »,affirmelecroyant.Maisc’esttoujours«l’anprochain».chaquemanagerasaJérusalem–aumoinsparl’étymologie, lelieudesa paix. cette Jérusalem est tout proche, l’an prochain, maistoujours insaisissable. L’analyse historico-critique a bien desraisons pour reconnaître dans l’exil l’expérience fondatrice du

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peuple hébreu. Il s’agit bien sûr de l’exil à Babylone au Vesiècle avant notre ère. Mais, au-delà du fait historique, c’estl’ensembledestraditionsorales,desrécitsplusoumoinslégen-daires, des hauts faits prêtés aux grands anciens, toute cettemémoire,quiaétéreluecommeunperpétuelrecommence-mentdecettemêmeexpériencedel’exil.LesÉvangileseux-mêmesseprésententcommelarelectureplurielledesÉcrituresanciennes.Ils réinterprètent les textes reçus à la lumière des événementsvécus.constatantletombeauvide,ilsfontl’expérienceduchristabsent.L’histoireduchristianismeseprésentedelamêmefaçon,comme l’attente du retour du christ, conçu comme un retourd’exil, où chacun revient chez soi, dans la maison où il seraenfin reconnu dans sa singularité. Il en est de même pourl’itinérairesingulierdumanager:sesréférencesanciennes,quiforment son “ancien testament personnel”, sont relues enpermanence, sans que rien ne soit définitivement rejeté, à lamanièredecesconvertisquiontl’impressiondeprolongersousune forme plus adéquate leurs croyances passées, mais sansjamaistoucherleterme.Depuislespatriarchesquierraientàlarecherched’uneterreoù

sereposer,jusqu’àlamigration,puisàl’esclavageenÉgypte,latraverséedudésert, laconquêtede laPalestine, lesdispersionssuccessives sous les coups de butoir des enva-hisseurs, cetimmensefluxetrefluxdespopulations,structurelerapportàlaterrebiblique.La terre toujourspromise, jamaisdéfinitivementacquise, le temple, l’argent, et jusqu’aux institutions typiquesdes juges chargés d’appliquer une loi dont ils ne sont pas lelégislateur (ce ne sont pas des souverains), et de l’annéejubilaire, toutesces institutions témoignentdecettepostureoùl’on ne peut être assuré de rien parce que l’on n’est jamaisvraimentchezsoi.Blaisepascalprétendaitque tout lemalheur

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deshommesvenaitdenepassavoirdemeurerenreposdansunechambre.Ledirigeantsaitquelachambredontils’agitestunechambresecrètedontilcherchel’entrée.

L’éclipsedesbonnesraisonsHors de la tradition biblique, le manager expérimente cet étatquiestendehorsdetoutlieudèsqu’ils’affronteaurisquedesaffaires.L’erreurquiguetteiciledirigeantestdeséparerl’artdelagestionqui leretientaumilieudenullepart,et ladémarchescientifique qui campe nécessairement dans une régionparticulière de son savoir. car le lieu propre de la gestion, lerisque économique, combine nécessairement l’objectivitéscientifique et l’engagement subjectif du dirigeant. Face à unchemin dont il a perdu la trace, la cohérence des modèleséconomiques qu’il utilise, reflet de la rationalité instrumentalequi reliecauseseteffetsattendus,butsetmoyens,appelleuneexpérimentationcapabled’entesterlavéracité,cequin’estpasacquisd’avance.Mais, plus encore, lorsque le sens s’estompe,un autre type de rationalité lui échappe, la rationalitésubstantielle, ce queMaxWeber nommait aussi rationalité envaleurs,cellequireliel’objectifausens,sensquiesttoujoursàfaire et n’est jamais acquis. Il suffit de penser à la flèche quiindiquelavoieàsuivre.Iln’estpasdebonvent,ditlepoète,pourlemarinquinesait

pasoù il va. c’est dans cemoment critiqueoù le sens seperdquesejouel’épreuvecrucialeduréel.Lessciencesdegestionetladémarchespirituelledumanagernesontpasdemêmenature,lespremièresreposentsurleprinciped’identité,lasecondesurle principe d’altérité. En dépit de leur différence, la mêmerigueur y est nécessaire. Lemanager ne peut pas se contenterd’être rationnel, il doit en outre être raisonnable, c’est-à-dire

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maximisation propre à l’homo œconomicus. Même LionelRobbins qui avait une conception restrictive de l’économiecomme science des rapports entre un objectif et des moyensraresàusagesalternatifs,soulignaitl’erreurdeceuxquicroientqueleshommesnesontmusquepardesconsidérationsdegainou de perte d’argent. cet économiste remarquait que lesconsidérations économiques jouent certes un certain rôle dansl’évaluationdespossibilitésoffertes,dansuneproportionqu’ils’agit de discerner au cas par cas11. Selon la terminologieaméricaine, les problèmes posés au manager, faute d’êtrerésolus, resolved, se contentent le plus souvent d’être solved(solutionnés) : le dirigeant se range à la première solutionacceptable, souvent bien éloignée de l’optimale. Parfoismêmelesproblèmes sontdissolved, c’est-à-dire déplacés ou replacésdansunequestionplusvaste.cequiconduitparfoisànoyer leproblème sans lui apporter de solution. c’est ce que fait ledirigeant lorsqu’il diagnostique un problème de cultured’entreprisederrièrecequi lui semblaitn’êtrequ’unequestiond’organisation ou de tempérament personnel du collaborateur.Maisnoyerleproblèmeresteinsatisfaisant.Le nombre des scénarios est potentiellement infini – ce qui

peutêtrevucommeunaspectdel’altérité.Pourcircons-crirelesscénarios opératoires, ceux qu’il pourra utiliser, le managersélectionnera ceux qui l’intéressent selon les critères qu’iljugera bons. cette sélection conduit à choisir, parmi tous lesscénariosexploratoires,unscénarionormatif:posantunétatdumondesouhaitable,ils’agiraderepérerlesobstaclespossibles,lesaléaset les incertitudes,sansoublierdes’interrogersur lesstratégies des partenaires. Loin d’attendre passivement lerésultatespéré,ledirigeantsélectionneetanalyselesrésistancespossibles,mêmesidemeureen lui laconvictionquece travail,

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nécessaire,estinsuffisantpourgarantir l’heureuseissuedesonprojet.Quiditscénarionormatifditnorme,c’est-à-direcritère,surla

cohérencedelaquellelemanagerdoits’interroger.c’estl’enjeucentral de cette troisième étape de la démarche spirituelle,moment où le sens de son action semble se dérober, où latentationdel’absurdeestlapluspuissante.Leréelserévèleaumanager dans cet affrontement à ce qui déchire ses idées, sesvaleurs, ses sentiments et ses projets les mieux établis. Lacomplexité des situations où se combinent plusieurs logiques,tant économiques que sociales et politiques, barredéfinitivement la route au rêve positiviste du dirigeant quipenserait pouvoir un jour remplacer le gouvernement deshommesparl’administrationdeschoses,etsauteràpiedsjointspar-dessuslacrise.RaymondAron,danssapréfaceauxdeuxconférencesdeMax

Weber sur le savant et le politique, précisait ainsi lefonctionnementdel’hommed’action:«c’estceluiqui,enuneconjoncture singulière et unique, choisit en fonction de sesvaleurs et introduit dans le réseau du déterminisme un faitnouveau12. » Soulignée par Raymond Aron, l’allusion à la« conjoncture singulière et unique »met parfaitement au jourl’enjeudesvaleurs : faireentrerdans la science–désignée iciparle«réseaududéterminisme»–cequi,desoi,yéchappe,la«conjoncturesingulièreetunique».Lasolutionn’estpasà laportéedudirigeant.Làestsonproblème,problèmeinsolublecarles valeurs sont nombreuses et contradictoires. Le ciel desvaleurs est un ciel déchiré dit le philosophe, et, pour ne s’entenir qu’aux valeurs qui s’expriment dans les discoursmanagériaux, il lui est impossible de les concilier toutes à lafois : efficacité, réactivité, pugnacité, sécurité, rentabilité…

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Même les trois valeurs qui fonctionnent comme le sésame detoute justification managériale, performance, rationalité,sécurité, se prêtent à des interprétations contradictoires.Performance pour qui ? pour quand ? avec quels risques ?L’imaginairelui-mêmenefournit jamaisaumanageruntableautotalement cohérent. Quant aux sentiments, ils se manifestentcontradictoires,carilschangentselonlescirconstances.Quel est le meilleur moyen d’aller de genève à Paris ? La

question est simple,mais la situation indécidable, comme toutce qui caractérise cette étape de la démarche spirituelle dumanager. car, sous le qualificatif de “meilleur” se cache demultiples valeurs possibles, la plupart contradictoires, sourcesdedécisionsdifférentes.Lemeilleurest-illemoinscher?Etlaquestionsecoulealorsdanslalogiqueéconomique.Maiscettelogique économique, fût-elle la seule en jeu, ne suffirait paspour entraîner la décision. car pour décider le moyen le pluséconomiqued’allerdegenèveàParis,encorefaut-ilpréciser lemoment,etchoisirs’ils’agitdumoyenlepluséconomiquepourle gestionnaire, pour son entreprise, pour la société actuellecomptetenudesimpôtsetsubventionspossibles,voirepourlesgénérations à venir qui pourraient avoir à supporter les coûtsécologiquesdeladécisionprésente.Laquestionsecomplexifiedavantagedèsqu’il apparaît que la logique économique est enconcurrence avec d’autres logiques qui relèvent des diversessciencesactuellesoufutures.Lemeilleurmoyenest-illemoyenleplusrapide?Etlescalculsdelaphysiquerentrentenlignedecompte.Leplusrapiden’estpastoujourslemoinscher.Idemsil’onconsidèrequelemeilleurestlemoyenleplusconfortable,labiologiepointesonnez.Est-illemoyenleplusgratifiant?Etlapsychosociologieestalorsconvoquée.Est-illemoyenleplushabitueldanssonmilieusocial?Etc’estlasociologie.Est-illeplus conforme à la volonté de son supérieur hiérarchique ?Et

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problèmeditdu«doubleusage»desinformationsdivulguées,sécuritédeschercheurs,dépensesconcernantunerecherchesurun être biologique créé de toutes pièces, et dont la seulecontrepartie est non pas l’examen du virus, mais l’inventiond’un organisme explicitement hostile à l’être humain. Reste,face à ces dangers, la justification de la recherche dont lagratuitéapparentepeut,sansaucunecertitude,serévélerpayantedanslemondeàvenir,ycomprisdanslespaysactuellementlesmoinstouchésparlevirus.Le NSABB avait donné un avis différent, favorable mais

controversé, en 2005 à la publication des recherches sur leN1H1, levirusde lagrippe espagnole.Pourquoi controversé ?Parcequ’àl’époque,etjusqu’en2009,cesrecherchesn’avaientpas encore abouti à créer un vaccin contre ce type de grippe.Après quelques rebondissements dont un moratoire de deuxmois décidé unilatéralement respectivement par les professeurskawaokaetFouchierpourfévrieretmars2012,etdesrésultatscomplémentaires moins alarmants venus du laboratoire duprofesseurFouchier,leNSABBrévisasonpremierjugementquiportait interdiction de publication et permit la divulgation desrésultats, à l’exception de la méthodologie, ce qui évitait laréplicationdesrésultatspardespersonnes«malintentionnées».cetteautorisationnesupprimaitpastoutproblèmerelatifàlapublication : à quels chercheurs et à quels laboratoirestransmettrelesrésultatscomplets?

*Ezéchieletlacroixsurlefront

Lorsque lemanagerest contraintdechoisir entrecharybdeetScylla, il ne peut anticiper aucun avenir. Il campe alors auxantipodes de l’expérience des Born again, ces chrétiens qui,

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après avoir abandonné la pratique, redécouvrent le goût d’unevie spirituelle qui ait une signification religieuse. comme aufondd’untroud’obus,lemanagerestimpuissantàprovoquercequelespoètesréalisentsibienparlavertudesmots:lelotusnédelafange,l’espéranceaumilieudelanuit.Satentationesticide forcer en quelque sorte la main du destin et d’imaginerquelquepuissancesupérieureinter-venantdel’extérieurdanslemonde managérial. L’envie de vite oublier les situationsangoissantes,etdeseprojetermentalementversunavenirplusrassurant, enferme le manager dans les rêves et ne lui fournitqu’uneseuleclef, incapabled’ouvrir laportedesoncachot, laclefdessonges.Pourl’aideràtenirdanscelieumentaloùilnesait plusoù il est, lemanagerpeut considérer cet extrait de laprophétied’Ezéchiel:Il(l’êtrequiressemblaitàunhomme)criaàmesoreilles:«Approchez,fléauxdelaville,chacunsoninstrumentdedestruction à la main. » Au milieu d’eux, il y avait unhommevêtudeblancquiportaitàlaceintureuneécritoirede scribe. Ils entrèrent et s’arrêtèrent devant l’autel debronze. La gloire du Dieu d’Israël s’éleva de sur lechérubinsurlequelelleétait,versleseuilduTemple.Etilappela l’homme vêtu de blanc qui avait une écritoire describe à la ceinture ; il lui dit : « Parcours la ville,parcours Jérusalem et marque d’une croix au front leshommes qui gémissent et qui pleurent sur toutes lespratiques abominables qui se commettent au milieud’elle.»Jel’entendisdireauxautres:«Parcourezlavilleàsasuiteetfrappez[…]»(Ez9,1-5a).

Si l’on fait la part du style épique digne des troubadours duMoyen Âge, l’image est assez nette. ceux qui survivent àl’hécatombesontceux«quigémissentetquipleurentsurtoutes

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lespratiquesabominables»,c’est-à-direceuxquinesesontpaslaissé entraîner par les passions déraisonnables et qui,cependant,enressententcruellementleseffets,commes’ils lessupportaient eux-mêmes. Ils vivent, au sens propre, laresponsabilitépourautrui,àlamanièredusentimentévoquéparLoyolalorsqu’ilinviteleretraitantàcontemplerlesscènesdelapassionduchrist.ceuxquigémissentparlesfautesd’autruisontmarqués de la croix sur le front, qui peut signifier l’épreuvecrucifiantequ’ilsvivent.Généralement, lessuccessstories racontées par les dirigeants

qui lesontvécuessemblent traduiredans lemondemanagérialcetteespècedegrâcereçueausortird’uneépreuveapparemmentsans issue.Mais cette relecture édifiante, faite après coup, enquelque sorte depuis l’extérieur, une fois dépassés lesévénements à l’issue incertaine, ne dit rien de la posturespirituelle vécue au moment crucial. Puisque les exercices sevivent comme une démarche mentale intérieure, et non pascomme la transcription des événements économiques etsociopolitiques extérieurs, qu’est-ce qui signalera au managerqu’il a trouvé en cette étape ce qu’il y cherchait. ce qu’ilcherchait,c’est la« responsabilitépourautrui»qui luipermetd’assumerlibrementlesévénementsdommageablesqu’ilsubitetcontrelesquelsilnepeutrien–qu’ilyait,ounon,fautedesapart.Dans l’ordre symbolique, cette responsabilité pour autruise présente comme le signe de la croix, pas simplement enréférenceàlasymboliquechrétiennedelacrucifixionduchrist« mort pour nos péchés » comme dit la théologie chrétienne,mais aussi, d’une façon prosaïque, par allusion aux situationscrucifiantes rencontrées faceauxalternatives,auxdilemmeset,d’une manière plus générale, face à l’avenir incertain. cetteexpérienced’unevoiebarrée,d’unterrainquisedérobesoussespieds,lemanagerlavitcommeunepertedesoi-même.Maisce

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rassemblertoutel’entrepriseàMantes.« Encore quelques mois, et la société NSD n’aurait plus de

clients,nidemarchés.Pourtoutlemondel’analyseétaitfaite:NSD allait disparaître. une analyse rationnelle de la situationdonnait raisonàmesprochesetàmesamisquimeprédisaientque je me retrouverais au chômage très rapide- ment », sesouvient Bertrand Martin. onze ans plus tard, NSD est uneentrepriseflorissante ;elleréaliseunchiffred’affairesdixfoissupérieur.Lenombrede sonpersonnel a augmenté.NSDs’estsurtout développé par l’exportation. L’histoire est tellementbellequ’ellemérited’êtrevraie.Que s’était-il passé ? Rien, si ce n’est apparemment une

gestion « à la koutouzov », ce général russe qui vainquitNapoléon,etdontTolstoïnousdit,dansLaguerre et la paix,qu’il passa son temps à ne rien décider, laissant s’épanouirlibrementlespotentialitéscachéesdanslaterrerusse.«Lorsquejesuisarrivédansl’entreprise,onn’apasarrêtédemedemander:“Que faut-il faire?”Personnellement, jen’avaispasdeplan,pasdestratégieàproposer.Avantmonarrivée,àlademandedel’actionnaireprincipal,unplanderedressementavaitétépréparépardes consultants en stratégied’entreprise. ceplanconsistaitd’unemanière très classique à serrer les boulons avec un fortcontingent de licenciements. Je n’ai pas voulu l’appliquer, carj’étaisconvaincuqu’ilcondamnaitl’entreprise.Surlefond,maréaction vis-à-vis des personnes, à tous les niveaux del’entreprise,fut:“Etvous,àvotreavis,qu’est-cequ’ilfautfaire?Sivousavezenviedenerienfaire,moinonplus!Maissivousavez envie d’en sortir, alors là, moi ça m’intéresse.” Monattitude surprit, déconcerta, etmêmedéstabilisa.D’autant plusque les personnes étaient sous la menace d’un licenciementcollec-tif.»

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Bertrand Martin n’ayant pas de solution à proposer, lesemployés, à tous les niveaux, commencèrent à réfléchir. Desgroupes dits “de proposition” se mettent en place à l’instiga-tiondeBertrandMartin. Iln’ensort aucunprojetglobal,maissimplementdemenues idées,etunemeilleureconnaissancedufonctionnementetdespossibilitéstechniquesdel’entreprise.Sur ces entrefaites, des chinois se manifestent par une

commande qui, selon le directeur de la production, étaitimpossible à réaliser dans les délais exigés par le client. Deplus, le directeur financier estimait que la rentabilité de lacommande était « plus que douteuse ». cependant, cettecommande fut assumée par “la base”, consciente de sespotentialités technico-économiques. cette première commanderéussie en entraînad’autres, puis d’autres encore, cequi sortitNSD de l’ornière. « Inconscience ! vociférait l’actionnaireprincipalauboutdesixmois.Vousdilapidezmonpatrimoine»,avait-il dit à Bertrand Martin. « Non ! Sagesse ! » lui avaitréponduBertrandMartin.Aujourd’hui,Bertrand reconnaîtquesaréponseluiavaitprovoquédessueursfroides.car il ignoraitl’avenir,et laprobabilitéd’unechuteétait forte.Mais il savaitquelacomplexitédessituationscachesouventdespièges,maisparfois des atouts. Qu’est-ce donc qui l’avait ainsi poussé ?L’idéequ’ilsefaisaitdesoi-même?L’intérêtpourlesméthodesnonviolentesissuesdesonentraînementautaï-chi-chuan?Sesvaleursfondamentalesquilepoussaientà«faireconfiance»?Cette histoire étonnante – je ne suis pas le premier à la

reprendre – est tellement édifiante qu’on souhaiterait nonseulementqu’ellefûtvraie,maisquetouslesdétailsenfussentauthentiques.certes, ilestpermisd’endouter,puisquetouslesrécitsautobiographiquessontfaussésparunbiaistoutnaturel:l’auteur ne peut pas s’empêcher d’interpréter chacun des

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événements comme s’il était orienté vers la fin heureuse. Iln’empêche qu’elle traduit bien le climat qui préside à cettedernièreétape,pourpeuquelemanagerquiselareprésentenecherche pas à fuir dans le monde enchanté où les solutionstombentduciel.BertrandMartinsemblen’avoirrienfaitsinonsurfersurlavaguedesonentrepriseballottéeparlesflots.

SerisquerdansunerelationincertaineLamarque de cette quatrième étape est le passage de la dettefinancière à la dette symbolique où la reprise se fait sentir.Qu’est-ceàdire?Lesymboleestunsignedereconnaissance,àlamanièredumotdepasse,oudumotde semestredesFrèresmaçons.Ilpermetdesavoirsiuninconnufaitpartie,ounon,delamêmecommunauté.Dimensionfondamentaledetoutevieensociété, le symbole a quelque chose de la réminiscencesocratique. Ilmetau jourun lienantécédent.Mais, lorsqu’ellesesitueàl’issued’unecrisevécuedanslasolitudedumanagerqui affronte l’échec sans phrase, la reconnaissance est d’uneautrenature.Ellenefaitpasresurgirdupasséuneconnaissanceoubliée mais découvre une parenté nouvelle. ce n’est pas larépétition du même mais, comme la reprise économique,l’avènementd’autre chose, alorsque tous les éléments anciensrestentprésentsmaisjouententreeuxd’unemanièredifférente,unpeuàlamanièred’untextelud’unautrepointdevue.c’estpourquoilajoiequienestlamarquesensiblediffèreduplaisirdesretrouvailles.Lesymboleseprêteà lamanipulation,commeen témoignent

maintespublicitésainsiquelapratiquequotidiennedesaffaires.cette manipulation consiste à jouer avec le même, tout endonnant l’impression qu’il s’agit de quelque chose d’original.Lephilosophediraitquelamanipulationconsisteàfairepasser

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à trois étudiants en communication, dans le cadre d’unejunior entreprise. Une indemnité de base, assez modeste,est prévue. Le contrat spécifie qu’une rémunérationcomplé-mentaire seraajoutée,proportionnelleaumontantdes sommes versées par les sponsors. Ce contrat estparticulièrementallé-chant,carlajuniorentrepriseabienbesoindefaireduchiffrepourmonterdespropositionsàlafois intéressantes pour les étudiants et financièrementrentablepourassurerl’avenir.

Leplandecommunicationproposépar les troisétudiantss’appuie sur les valeurs symboliques véhiculées par lesphotographiesdeStanleyStudents:lemotestchoisi:«Lecommerce d’antan ». L’imaginaire collectif, semble-t-il,prête au petit commerce des qualités de proximité, dechaleur humaine, de relations, de connivence, et deconfiance, qui vont de pair avec la logique du « douxcommerce»,commeondisaitauXVIIIesiècle.L’allusionàun passé qui survit encore prend une colorationromantiqueparl’usagedecevieuxmotfrançais,“antan”.Dans l’esprit des étudiants, la notoriété du photographetrouvera sa dynamique propre en se mettant au serviced’une cause dont la légitimité ne provoque guère deréticence : le petit commerce, antidote symbolique del’anonymat des grands ensembles et de la pollutionurbaine.Aprèsdelonguesdémarchesinfructueusesauprèsdenombreusessociétésetdemultiplesorganismespublicsetprivés,lestroisétudiants,surlepointdelaissertomber,découvrent une entreprise intéressée, prête à sponsoriserlargement l’exposition.Cette entreprise est une chaîne degrands magasins. Elle accepte de fournir subsides etlogistique, à condition toutefois d’organiser l’exposition

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danssespropresmurs.Elleenvisagemême,enélargissantla subvention, de financer le déplacement de l’expositiondansplusieursdesessuccursales.L’enthousiasme du trio est tempéré par les commentairesappor- tés par le responsable«Communication externe»de la chaîne : associer les valeurs du petit commerce àl’image de marque de la chaîne. « Nous nous sommestoujours voulus proches des gens, de la ménagère, et detous ceux qui font le tissu social où nous sommesimplantés. Le commerce d’antan, cela va tout à fait dansnotre logique. »Le trio hésite. L’un d’eux fait remarquerquelesgrandsmagasinssontlespremiersresponsablesdela disparition du commerce de proximité. « N’exagéronsrien,répondsoncamarade; lavieurbaine, le travaildesfemmes, le besoin de trouver tout aumême endroit, voilàl’origine de la disparition du commerce d’antan. –C’estquand même se moquer du monde, lui répond le plusréticent, que de couvrir un tel détournement de valeur. – Voulons-nous, oui ou non, faire un travail deprofessionnels de la communication ! Si oui, il faut enassumerlescontradictions.Sinon, ilnousfautchoisirunautremétier»,trancheletroisièmequin’avaitencoreriendit.

Cet exercice débouche sur l’expérience spirituelle d’un dongratuit.Lemanagersereçoitalorsd’autrui,aumomentprécisoùilacceptedenepas ledominer.Danscetteexpérienceoù il sereçoit d’autrui, la personnalité profonde du dirigeant conjugueson art singulier avec les sciences de la gestion. La qualitéscientifique du management, aussi nécessaire soit-elle, n’estjamais le garant des prédictions sur lesquelles s’appuie ledirigeant–cequirendtrèsproblématiquel’idéed’accumulation

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des savoirs en matière de gestion. cependant le managementappelle la rigueur scientifique d’une méthode qui combine lacohérencedesmodèles–fondéesur leprinciped’identité–,etl’épreuve de l’expé-rimentation – qui fait droit au principed’altérité. Se manifeste alors avec bonheur l’idiosyncrasie dumanager qui combine d’une manière toujours singulière lesdiversescomposantesdesapersonnalité:sesidéesamalgamentdivers types de jugements (jugements de faits, jugements devaleurs et jugements prudentiels, jugements politiques), sasensibilité(lessentiments,lesaffects,lesétatsd’âme,ainsiquelessensations,émotions,plaisirsetpeine),enfinsonimaginairenourrides imagesenfouiesau fondde samémoire, ces imagesqui ne seraient, aux dires de Marcel Proust, que le regret decertainsinstants8.Finalement,ausortirdecelieucrucialoùlemanagerestseul

avec soi-même, le comportement du manager ne découle pasimmédiatementdesonsavoirnidesonsavoir-faire.Ildécouvreunecontinuitéentrelescontraintesnotifiéesparlessciences,lesévénementsémergentsquibouleversentsesprojetsetl’impératifquis’imposeàluifaceàunesituationquidoithonorertoutcequilacontraint.Ledirigeantcombineàlafoislacohérencedesmodèles économiques et la rationalité de ses motivations lesplus personnelles. cette double rationalité est transfigurée parl’accueil de l’autre. Le manager fait alors l’expérience quel’autre est aussi bien celui qu’il accueille que celui quil’accueille.c’estainsiqu’ildevientraisonnable.

L’altruismen’estpasl’altéritéL’expérience de l’altérité qui débouche, au terme de ladémarche,surlesentimentheureuxd’unevieaccompliedanslarelationàautrui,recèleunpiège.Lemanagerpeutêtretentéde

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Table

IntroductionI.DÉMARREREntrercommedansunmuséeunedette,nonàpayer,maisàtransmettreNejamaisêtrequitteTransactionsetrelationsÉbranlerl’idéologiemanagériale

II.AVANCERLatentationduverbiageAu-delàdelacomptabilitéDomptermentalementlejeupolitiqueMettrelesrubriquesàleurplaceLadynamiquedelaconscience

III.CALERLecheminbarréd’unecroixL’éclipsedesbonnesraisonsLesentimentdel’exilCoincédansdevraiesalternativesUneconsciencedéboussoléeparlesdilemmes

IV.REPARTIRLanuitdelafoi,del’espéranceetdel’amourDelapeurpoursoi-mêmeàlacraintepourautruiSerisquerdansunerelationincertaineLesvaleursdecompromisL’altruismen’estpasl’altérité

Conclusion

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CitationsbibliquesAllusionsauxExercicesspirituelsdeLoyolaListedesexercicesAuteurscités