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    NATURE, DONC CULTURERemarques sur les liens de parent entre l'anthropologie culturelle et la philosophie

    pragmatiste de John DeweyJolle ZaskBelin | Genses

    2003/1 - no50pages 111 125

    ISSN 1155-3219

    Article disponible en ligne l'adresse:

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-geneses-2003-1-page-111.htm

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    Pour citer cet article :

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    Zask Jolle, Nature, donc culture Remarques sur les liens de parent entre l'anthropologie culturelle et la

    philosophie pragmatiste de John Dewey,

    Genses, 2003/1 no50, p. 111-125.

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    La culture est une notion dont le suc-cs public grandit en mme temps quelestime dont elle jouit auprs des sp-cialistes en sciences sociales diminue. Chris-toph Brumann a recens une trentaine de rai-

    sons du discrdit dont elle fait lobjet, parmilesquelles on trouve des accusations dabstrac-tion et de substantialisation, de suprmatismeoccidental et de gnralisation abusive, deconsensualisme mou dissimulant diff-rences, contradictions, et conflits1. Cepen-dant, il se pourrait que la notion de culturepuisse encore rendre de bons services notamment, daprs C. Brumann, celui detenir tte aux usages ractionnaires dont elle

    fait elle-mme lobjet. On se propose icidemboter le pas C. Brumann en ouvrant,plus spcialement sous un angle philoso-phique, thique et politique, un plaidoyer pourle maintien de la notion de culture2. Pour cela,cet article retourne dans le pass, et met envidence de multiples croisements entre laphilosophie de John Dewey (1859-1952)et lanthropologie culturelle au dbut duXXe sicle. Cela permet de tester la pertinencedes critiques de lide de culture, ainsi que delire J. Dewey et les fondateurs de lanthropo-logie culturelle sous langle dune revitalisationrciproque.Lhypothse soutenue est quil existe uneforte convergence entre la thorie de lexp-rience de J. Dewey et les thories anthropolo-giques, notamment celles de Franz Boas et deBronislaw Malinowski. Il sagit l dun point

    qui, ma connaissance, na pas t tudi,tandis que les liens entre la philosophie prag-matiste et la sociologie interactionniste delcole de Chicago sont bien connus. Il semblepourtant que lanthropologie culturelle ait

    jou dans la philosophie de J. Dewey un rlecapital, jusqu procurer une nouvelle matriceconceptuelle la lumire de laquelle tous lesproblmes philosophiques devaient tre rvi-ss. En particulier, il semble que la philoso-

    phie politique de J. Dewey, qui accorde la

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    * La premire partie de ce texte et de son titre est tiredune confrence prsente le 23 mars 2002 dans le cadredu sminaire sur les pragmatismes et la philosophieamricaine lIHPST (responsables : Guillaume Garretaet Mattias Girel). Je remercie de leur lecture et conseilsconcernant la premire version de ce texte Daniel Cefai,Dominique Guillo, Grard Noiriel et Florence Weber.

    1. Voir Christoph Brumann, Writing for Culture :Why a Successful Concept Should not be Discarted ,Current Anthropology, vol. 40, Issue Supplement : Culture. A Second Chance ? , University of ChicagoPress, 1999. Merci Stphane Dorin de mavoir indiquce dossier, qui contient aussi les rponses la proposition

    de C. Brumann.

    Nature,donc cultureRemarques sur les liens

    de parent entre

    lanthropologie culturelle

    et la philosophie pragmatiste

    de John Dewey*

    Jolle Zask

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    Genses 50, mars 2003,p. 111-125

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    2. Ce texte est une partie dun travail en cours qui vise constituer une thorie politique de la dmocratielibrale en sappuyant sur lanthropologie culturelledes annes 1900-1930, plutt que sur lide librale delhomme (le sujet transcendental kantien), ou sur sa vision

    communautarienne (le sujet organique hglien,le soi qui se constitue par la reconnaissance de ses appartenances, donc par une allgeance). De mmequen sociologie, lalternative entre individualismeet holisme est rcurrente en philosophie politique.Lanthropologie culturelle permettrait den sortir.

    3. Ce texte est lintroduction inacheve la rdition deExperience and Nature (lun des livres les plus importantsde John Dewey), qui est compose de deux brves parties,lune qui date de 1949 et lautre, trs courte, de 1951. VoirExperience and Nature, in The Later Works, 1925-1953,vol. 1 : 1925, pp. 329-364. La citation se trouve p. 361.dition de rfrence : J. Dewey, The Early Works, 1882-

    1898 ; The Middle Works, 1899-1924 ; The Later Works,1925-1953, dits par Jo Ann Boydston, Carbondale,Southern Illinois University Press, paperbound, 1983[1977]. Lensemble comporte 37 volumes.

    4. Sur tous ces points, on peut lire, Martin Bulmer,The Chicago School of Sociology, Chicago and London,The University of Chicago Press, 1984, o il est questionde linteractionnisme depuis William James, G. H. Mead,Robert E. Park, J. Dewey, jusqu Erving Goffman.Ct anthropologie, voir les travaux de Georges W.Stocking, Jr, notamment Race, Culture, and Evolution ;Essays in the History of Anthropology, Chicago andLondon, The Chicago University Press, 1982 [1968].

    5. J. Dewey dveloppe aussi toutes sortesde collaborations avec dautres dpartements de sciencessociales ; en sociologie, en histoire ou en conomie,avec Charles Beard, James Cattell, Robert MacIver,Wesley Mitchell et James Harvey Robinson,dont plusieurs sont ses tudiants.

    6. Ce sminaire sintitule An Examinationof the Evolutionary and Historical Methods in the Studyof the Intellect . Je dois cette information G. Garreta.

    7. mile Durkheim, Pragmatisme et sociologie.Cours indit prononc la Sorbonne en 1913-1914 et restitu par Armand Cuvillier daprs des notes

    dtudiants, Paris, Vrin, 1955. Marcel Mauss voitdailleurs dans ce cours le couronnement de luvrephilosophique de Durkheim . Voir M. Mauss,lAnne Sociologique, Paris, Alcan, 1925, t. I, p. 10.

    8. Des textes de Franz Boas et, plus tardivement,de Bronislaw Malinowski, y apparaissent parfois.Cest dans Freedom and Culture (1939), in The LaterWorks, op. cit., vol. 13, que les mentions allusivesde J. Dewey lanthropologie sont les plus nombreuses.Et cest dans Experience and Nature, op. cit., quelles sontles plus prcises. quoi on peut ajouter Human Natureand Conduct(1922), in The Middle Works, vol. 14, quitablit le caractre social de la psychologie. Ruth Benedict

    sest dite profondment influence par ce texte, ce dont

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    participation des individus une importancedcisive, ait t taye par un certain nombredapports directement issus des enqutes eth-nographiques : lenqute comme relation laltrit, la pluralit culturelle, lhistoricit

    des cultures et la diversit des formes cultu-relles de lindividuation humaine.

    Lexprience comme culture

    Dans lun de ses tout derniers textes, alorsquil a quatre-vingt-onze ans, un an avant samort, J. Dewey crit quil aurait d abandon-ner le mot exprience pourtant la ban-nire sous laquelle toute sa philosophie est

    place au profit du mot culture :

    Si jcrivais (ou rcrivais) Experience andNature aujourdhui, je choisirais comme titre cul-ture et nature, et la manire dont les sujetsdtude spcifiques sont abords serait galementmodifie. Jabandonnerais le terme exprienceparce que je suis de plus en plus convaincu que lesobstacles historiques qui ont empch que monusage du mot exprience soit compris, sontinsurmontables. Jy substituerais le terme cul-ture, car maintenant que son sens est fermementtabli, il peut porter pleinement et librement ma

    philosophie de lexprience3.

    Cette introduction a un grand pouvoir dclai-rage rtrospectif et fait un peu figure de testa-ment. Elle signale le point de dpart duneseconde philosophie, qui na donc pas tcrite.

    J. Dewey et les anthropologues

    Le mot culture auquel J. Dewey se rfre,

    possde alors un sens dfini et spcialis,puisquil sagit de lobjet que constituent lesspcialistes de lanthropologie culturelle commeF. Boas, puis Alexandre Goldenweisser, RuthBenedict, Margaret Mead, Edward Sapir ouA. L. Kroeber. Cependant, J. Dewey nattendpas 1951 pour dcouvrir lanthropologie.Lorsquil arrive luniversit de Chicago en1890, il participe demble aux changes entreles sciences sociales et la philosophie qui sont

    alors trs nombreux. Par exemple, limpact

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    des travaux en anthropologie est importantds le dbut du sicle la fois pour les philo-sophes William James, George H. Mead etJ. Dewey, qui ont form la premire cole deChicago, et pour des sociologues galement

    dits de lcole de Chicago, comme RobertE. Park, Thomas Znaniecki et Ernest W. Bur-gess. lpoque comme plus tard, la postureanthropologique est fortement critique, anti-raciste, antilitiste, progressiste et rformiste,comme lest la philosophie pragmatiste. Lecaractre transdisciplinaire de toutes lesrecherches dalors est par lui-mme un enjeuradical. Par exemple, on aborde les questionsdu statut des Noirs amricains et de lintgra-

    tion des migrants en recourant desmthodes issues de lethnographie. La thsede lautonomie de la culture est destinepar F. Boas invalider toutes les thoriesexpliquant les diffrences culturelles par desdistinctions raciales ou, plus gnralement,biologiques. Par ailleurs, le concept dhabi-tude, si important la fois pour la philosophiepragmatiste et la sociologie interactionniste,sert de pivot la critique des instincts et, en

    mme temps, la logique dterminismedont, en France, mile Durkheim est lemeilleur reprsentant. Celui-ci reste laporte de Chicago, mais Gabriel Tarde y faitune entre remarque, R. E. Park ayant tson tudiant. Cest cette poque queJ. Dewey commence sintresser la men-talit des primitifs et quil crit un articlesur LInterprtation de lesprit du sauvageen quasi-collaboration avec T. Znaniecki(1902). Ce dernier rdige en 1912 un articlecritiquant la psychologie raciale tout enrecourant un matriel et une mthodeethnographiques4. Bien que F. Boas nait past recrut luniversit de Chicago, il y at beaucoup lu et comment. E. Sapir yenseigne partir de 1925.

    Lorsque J. Dewey arrive luniversit deColumbia en 1904, il noue rapidement des liens

    avec les anthropologues, notamment avec

    F. Boas, A. Goldenweisser et R. Benedict5.F. Boas et J. Dewey conduisent un sminairecommun Columbia en 1914-19156. En outre,il est notable que la personne qui accueilleJ. Dewey la Sorbonne en 1930, o il reoit le

    titre de doctor honoris causa est MarcelMauss. Celui-ci voit en J. Dewey le penseuramricain le plus proche des scienceshumaines, et tmoigne qu. Durkheim, dontle dernier cours de prononc en Sorbonnesintitule Pragmatisme et sociologie ,ladmirait beaucoup7. En ce qui concerne lescrits eux-mmes, les rfrences de J. Deweyaux travaux des anthropologues sont rare-ment dtailles, et nont attir ma connais-

    sance lattention daucun commentateur. Cesrfrences sont pourtant omniprsentes, maisdiffuses, vagues et disperses8.

    Afin de clore cette liste, il faut revenir lintroduction inacheve de 1951 et sy attar-der. Dune manire tout fait inhabituellepour J. Dewey, y sont cits de longs passagesdun article de B. Malinowski sur la culture9.Ce texte tmoigne de ladmiration deJ. Dewey pour lanthropologie culturelle. Il y alieu den faire la remarque, car sil a souventaffirm limportance cruciale des sciencessociales, il a tout aussi souvent exprim leregret quelles soient restes embryonnaireset, du moins ses yeux, scientifiquement attar-des10, car reposant sur une logique absolu-tiste , infantile et coupe de lexprience.Comme on le verra, toute exprience estune interaction. J. Dewey (comme Charles

    S. Peirce ou W. James), appelle enqute (inquiry) le moyen humain de parvenir com-plter une exprience. Or lanthropologie cul-turelle est prcisment interactionniste ou exprimentale , au sens o J. Deweylentend11. F. Boas crit par exemple: Lesconditions causales des vnements culturelsrsident toujours dans linteraction entrelindividu et la socit; aucune forme de clas-sification des socits ne pourra rsoudre ce

    problme12 . Par contraste, la logique

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    son livre Patterns of Culture. chantillons de civilisation,Paris, Gallimard, coll. Les essais , 1950 [Boston, 1934],tmoigne clairement.

    9. Edwin R. Seligman et Alvin S. Johnson (d.),

    Encyclopaedia of the Social Sciences, New York,Macmillan, 1911, vol. 4.

    10. Sont critiqus par exemple les volutionnistes finalistescomme Lewis H. Morgan et William J. Mc Gee,la psychologie des instincts (William S. Mc Dougall)et bhavioriste (John Watson), lcole durkheimienneet celle de limitation, Sigmund Freud et Carl Jung,et les thories de lducation comme cellesde George Harris et Stanley G. Hall.

    11. En sociologie, la tendance actuelle est dabandonner,comme le recommandaient tous les auteurs pragmatistes,le dualisme individu/socit au profit de lide que le sujethumain se construit par le biais dinteractionsavec dautres sujets, et que le social est relatif au systmede ces interactions. On remobilise cette fin les notionsdhabitudes (G. H. Mead, J. Dewey), de cadres (E. Goffman), de formes de vie (Ludwig Wittgenstein), dimitation (G. Tarde),et ainsi de suite. La perspective pragmatistede la premire gnration notamment, considre en outreque les environnements naturels, les objets, les espacesurbains, les architectures, et ainsi de suite, sontdes partenaires de linteraction. Aujourdhui en France,les travaux par exemple de Samuel Bordreuil, dIsaacJoseph et de Bruno Latour prennent en charge lcologie des relations hommes/environnements

    naturels ou urbains : le social comporte aussi biendes reprsentations que des objets .

    12. F. Boas, The Aims of Anthropological Research (1932), repris dans Race, Langage, and Culture, Chicagoand London, Chicago University Press, Midway reprint,1988 [1940], p. 257.Afin de mieux cerner le point dimpact des sciencessociales dans la philosophie de J. Dewey, rappelons icique le dveloppement scientifique des enqutes sociales,leur publicit et la dissmination de leurs rsultatsconstituent certainement le projet qui se trouve la charnire de la philosophie de J. Dewey, et sa marquedistinctive. Car dans un monde complexe et invisible

    (Walter Lippmann), la dmocratie librale ne dpend plusde la sagesse ou de la raison , mais de la science.Lenqute sociale est une action sociale. J. Dewey aappel philosophie sociale cette partie de sa rflexionqui sest occupe de promouvoir la fois les conditionsscientifiques de lobservation du social, et les conditionsde diffusion publique des enqutes en faveur etde la dmocratisation des relations sociales, de la libert.Sur ces points et sur la question de linteraction, je mepermets de renvoyer mon livre, Lopinion publiqueet son double (2 vol.), Livre II :John Dewey, philosophedu public, Paris, LHarmattan, 1999, ainsi qu Politiquesde linteraction , pp. 107-129, in D. Cefai et I. Joseph (d.),Hritages du Pragmatisme : conflits durbanit et preuves

    de civisme, La Tour dAigues, d. de lAube, 2002.

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    absolutiste qui existe aussi bien en poli-tique accorde un statut de cause dtermi-nante lune ou lautre des entits interagis-santes (organisme ou milieu), et ne rend doncpas compte des mcanismes dinteraction

    dont toute exprience est issue.Un naturalisme culturel

    La notion dinteraction (ou de transac-tion, terme plus tardif) permet une reprisede lide de culture. Ces termes dsignentun procs sans fin par lequel un tre vivant etle monde dans lequel il vit se transformentmutuellement: certains de leurs lments secombinent et, se faisant, produisent de nou-

    velles situations, voire de nouvelles aptitudes.Linteraction est un terme naturaliste ausens o elle dcrit la nature comme une his-toire contingente, une leon tire de la lec-ture de Charles Darwin : lorganisme etlenvironnement sont des instances de diff-rentiation mutuelle13. Lhistoire de lune estlie celle de lautre. Les activits dunorganisme sont canalises par son milieuspcifique. Conjointement, ces activits

    interfrent avec cet environnement de sortequelles transforment ce en quoi le milieu estun environnement, cest--dire ses lmentscapables dinteraction avec ceux de lorga-nisme. Lenvironnement humain est naturel-lement social. On a appel continuismenaturaliste ce point de vue, qui signifie troischoses: dune part, aucun facteur supranatu-rel nest requis afin dexpliquer les conduites.Dautre part, ce quesontles entits interagis-santes dpend entirement des proprits etopportunits que font natre leurs interac-tions rciproques, ou quelles permettentdactualiser. Enfin, lhomme est un tre natu-rel, un organisme dont le milieu est naturel-lement social.

    Sans doute la latitude de modelage de lenvi-ronnement par les vivants est-elle limite, cequi explique que des espces disparaissent.

    Cependant, chaque conduite provoque un

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    certain degr une re-spcification du milieu.Cette dernire est vidente dans le cas de lascience, des techniques et de lcologie. Elleest gnralement plus modeste. J. Dewey critpar exemple:

    Partout o est la vie, il y a comportement, acti-vit. Pour que la vie puisse persister, cette activitdoit tre adapte et continue lenvironnement la fois. Cet ajustement adaptatif nest pas, enoutre, entirement passif [] Mme une praireagit sur lenvironnement et le modifie dans unecertaine mesure. [] Une chose telle que la pureconformit aux conditions de la part des tresvivants nexiste pas [] Dans les intrts dumaintien de la vie, il y a une transformation decertains lments du milieu environnant. Plus laforme de vie est leve, plus la reconstructionactive du milieu est importante14.

    Comme lindiquera la suite, cette perspectivepermet de smanciper entirement du dua-lisme entre individu et collectivit.Quen est-il du monde spcifiquementhumain? Lorsquune situation est problma-tique, les activits destines la surmonter, quisont hrditaires et instinctives chez les btes,peuvent devenir linguistiques, conscientes ettlologiques ; lexprience dun trouble

    devient un doute sincre15. Celui-ci suscitela formation de fins qui sont projetes au titredhypothse pour rsoudre une difficult exis-tentielle. Les moyens datteindre ces fins sontles ressources de la situation elle-mme.Enquter, cest transformer les conditions de lasituation qui est objet denqute. Lenquteest donc une phase de lexprience:

    Les adaptations chez les hommes donnent lieu la pense. La rflexion est une rponse indirecte

    lenvironnement [] Mais elle a son origine dansle comportement biologique adaptatif, et la fonc-tion ultime de ses aspects cognitifs est un contrleprospectif des conditions de lenvironnement16.

    Quelle soit destine dfinir la fonction dungne, rduire le chmage ou retrouver sescls, une enqute est une tentative pour rta-blir la continuit des expriences lorsque cettecontinuit est menace ou dtruite. Uneenqute est conclue quand la continuit des

    expriences est rtablie. Quant la culture,

    elle constitue lenvironnement spcifique-ment humain, cest--dire le milieu quicumule, intgre et solidarise les transactionsinterindividuelles. J. Dewey appelle natura-lisme culturel lexplication des dynamiques

    luvre dans ce milieu17

    .Avant de sattarder un peu sur cette notion, ilfaut remarquer que J. Dewey partage avec lesanthropologues la conviction que lexpriencecognitive, si auguste puisse-t-elle tre, ne peuttre quun fait culturelparmi dautres, secondet driv. Comme le montrera la suite, cetteremarque sapplique lenqute ethnogra-phique aussi. La pertinence de cette dernirene dpend pas de ladoption dun point de vue

    surplombant, prtendument neutre ouuniversel sur des choses rputes particu-lires (des cultures), mais de la productiondune situation dinterculturalit.

    Plus gnralement, pour J. Dewey, la valeurdune connaissance dpend du degr auquelelle rsout la situation problmatique en fonc-tion de laquelle elle se dveloppe, elle assureles lments de cette situation qui sont jugs

    dsirables ou elle approfondit sa signification.La finalit de la connaissance nest donc pas laconnaissance en tant que telle mais la connais-sance qui, du fait quelle est eue, consolidetelle ou telle situation. Cest pourquoiJ. Dewey crit:

    Pour dire les choses brutalement, le problme dela connaissance en gnral est un non-sens. [Et ilprcise] Il nexiste pas deux sortes de connais-sances dont les objets devraient tre rconcilis.Mais il existe deux dimensions des choses exp-

    riences: lune qui consiste les avoir, et lautrequi consiste les connatre de sorte quon puissecontinuer les avoir dune manire plus significa-tive et plus sre18.

    Dans le cas dune science, ce quon a estrelatif une connaissance antrieure stabili-se, objective. La connaissance, de mmeque le sujet connaissant, sont donc un rsultat,non le point do partir. Il en va de mme delindividualit humaine: celle-ci est un accom-

    plissement, relatif une certaine qualit

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    13. J. Dewey, The Influence of Darwinismin Philosophy (1909), in The Middle Works,op. cit., vol. 4, p. 4.

    14. J. Dewey, Reconstruction in Philosophy (1920), ibid.,vol. 12, ch. IV. La thorie de lexprience est dveloppedans J. Dewey, Experience and Nature, op. cit.

    15. Charles S. Peirce, How to Make Our Ideas Clear ,Collected Papers, vol. 5, 1878, p. 402.

    16. J. Dewey, The Development of AmericanPragmatism (1925), in The Later Works,op. cit., vol. 2, p. 17.

    17. Lexpression cultural naturalism se trouvedans J. Dewey, Logic : The Theory of Inquiry (1938),ibid., vol. 12.

    18. J. Dewey, Experience and Nature, op. cit., p. 379.

    19. J. Dewey, Logic, op. cit., p. 481.

    20. Herbert G. Blumer, Symbolic Interactionism,Berkeley, University of California Press, 1969, pp. 85-86.

    21. Il existe de nombreuses formes daccumulationdes expriences interhumaines : sdimentation, progrs,confiscation par quelques-uns, partage, et ainsi de suite.Les formes politiques sont aussi relatives aux formesde cette accumulation.

    22. J. Dewey, Logic, op. cit., pp. 26-27.

    dexprience celle dailleurs que la dmocra-tie a pour tche de promouvoir.Ainsi la posture naturaliste elle-mme invite lire les textes de J. Dewey non comme unephilosophie qui part du sujet ou de facults

    humaines et se dirige vers les conduites rela-tives la vie sociale (lthique ou la politique),mais comme une philosophie qui part delorganisme et de ltre compltement dmuniet dpendant quest le nouveau-n, et sedirige vers le comportement naturellementassociatif de lhomme, vers lanalyse desformes sociales et culturelles de la conduite, etcelle des formes de lindividuation humaine.Les faits dacculturation comme les soins,

    linitiation, lducation, la formation dhabi-tudes, etc., sont donc premiers. Les racines dela philosophie ne sont pas la mtaphysique,encore moins la psychologie individuelle, maislanthropologie.Afin de comprendre lenjeu du naturalismeculturel, il suffit de rappeler le fait que touteexprience humaine est interhumaine, sociale.Par consquent, tout trouble justifiant uneenqute est relatif une situation sociale(faute dinstincts). En outre, toute enquteconclusive produit une nouvelle situationsociale, que son matriau soit constitu par lesrelations sociales elles-mmes (comme dans lecas des sciences de lhomme), ou que sesrsultats soient socialement distribus. Cestpourquoi, J. Dewey crit que toute enquteprogresse lintrieur dune matrice cultu-relle qui est en dernier ressort dtermine

    par la nature des relations sociales19

    . Lemot dtermin est dailleurs impropre.Pour reprendre une distinction quHerbertG. Blumer avait tablie, le social et le culturelsont des conditions, non des dterminations20.Ainsi, la continuit du naturel et du culturelnimplique pas que la nature soit cause de laculture et jouisse dun statut ontologiquesuprieur. Cela nimplique pas non plus que laculture se rduise la nature. La relation

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    est interactive. Ce que J. Dewey appelle lamatrice existentielle naturelle de lenqutepermet denvisager tout autant la cration desfins relativement aux moyens dcouvertsdans les situations relles, que la transforma-

    tion concrte du milieu par les oprationsdestines tester et atteindre les fins. Uneculture dsigne le milieu o lenqute devientrelative au produit dune enqute antrieure.Comme lont tabli tous les anthropologues,elle repose sur la transmission, souvent parlducation, dune rpartition entre les phasesdactivits destines prenniser lescroyances et celles qui visent former desindividus capables de produire leurs condi-

    tions de vie. Une communaut nat du par-tage des rsultats denqute21.Cest donc paradoxalement la continuit entrenature et culture qui permet daffranchir lefait culturel dune cause, dune origine ou defacteurs extrinsques, comme F. Boas y a for-tement insist aussi. Le naturalisme cultu-rel est une thorie de la culture et de lhisto-ricit de toutes les activits humaines. Afindviter un contresens, qui a tout de mme t

    commis bien souvent, J. Dewey crit: Une ambigut lie au mot naturaliste estquon peut comprendre quil implique une rduc-tion du comportement humain celui des singes,des amibes, des lectrons ou des protons. Maislhomme est naturellementun tre qui vit en asso-ciation avec dautres dans des communauts quipossdent le langage, et donc profite dune cul-ture transmise. Lenqute est un mode dactivitdont les conditions sont sociales et qui a desconsquences culturelles22.

    Lhomme est donc un animal culturel.

    Pragmatisme et anthropologie culturelle:quelques lments de convergence

    Dans son introduction de 1951, J. Deweyinsiste sur le fait que la notion de culture alavantage (contrairement celle dexp-rience) dindiquer une rciprocit entre le psy-chique et le physique, entre lesprit et le

    monde, entre le sujet dune exprience et

    lobjet de lexprience. Cette rciprocitconstitue le sens mme du continuisme natu-raliste . Elle dfinit un cadre danalyse lintrieur duquel il est possible dexhumerquelques traits importants des thories de la

    culture: lhistoricit et la pluralit humaine, laproduction sociale de lindividuation, la valeurde lexprience comme exprimentation. Jevais me limiter ici quelques points sensibles.

    La culture comme systme

    Le fait de la rciprocit entre le sujet etlobjet qui vient dtre signal est dcisif: toutle reste en vient. Cette rciprocit dcoule delinteraction: les pratiques dun sujet sont des

    objectivations et, rciproquement, les objetsdont on fait lexprience sont des occasions desubjectivation. La culture matrielle et laculture spirituelle quil tait alors habituelde distinguer constituent donc un seul etmme milieu. Aucune ne dicte ses conditions lautre (comme le veut le marxisme), aucunenest un moyen ou une fin. Elles ne sont niparallles, ni hirarchisables. La logique delenqute propre J. Dewey, on la vu, lemontre bien : une enqute est dirige parlide (ou lhypothse) dune action sur cer-tains lments dune situation problmatique.Dans un laboratoire, lobjet observ qui a tpurifi, centrifug, gntiquement modifi,etc., nest pas pour autant un artifice. Cestun objet continu lenqute en cause. Il lui estnaturel. Et rciproquement, lesprit scienti-fique nest pas autonome et libre, notamment

    de croire ou de douter: il dialogue avec sonobjet, lobserve, y dcouvre de nouvellesconditions, et ainsi de suite. Ce quil estestrelatif aux situations de dialogue avec sonobjet. Lobjet est tout autant lextension delesprit que lesprit est celle de lobjet. Lesoprations intellectuelles et lensemble desacquis culturels qui en dterminent lesformes, les objets coproduits au cours dunesrie denqutes et les instances matrielles

    de la vrification des ides par lexprience

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    23 J. Dewey , Nature in Experience, in The Later Works,op. cit., vol. 14, p. 153.

    24. J. Dewey, Experience and Nature, op. cit., p. 362.

    25. B. Malinowski, Une thorie scientifique de la culture,Paris, Maspero, coll. Points essais , 1968, chap. IV[1944].

    26. David G. Mandelbaum (d.), Edward Sapir,Selected Writings in Language, Culture, and Personality ,Berkeley and Los Angeles, University of California Press,1985 [1949].

    27. Ainsi B. Malinowki a-t-il mis en vidence de mutiples

    cas de suicide et de dsobissance civile individuellechez les Trobriandais, ainsi que les multiples rponsesde la socit, de lindiffrence la punition la plus svre.Il a montr, en particulier, que la prohibition de linceste lintrieur du clan est beaucoup moins respecteque les anthropologues ne le croient. B. Malinowski, Le crime et la coutume dans les socits primitives ,in Murs et coutumes des Mlansiens, Paris, Payot, 1933,

    partie 2, chap. I, p. 54.Voir https://www.library.gatech.edu/etext/etext_socsci.htm

    28. F. Boas, The Aims , op. cit., p. 256. Voir ausside B. Malinowski, Les dynamiques de lvolutionculturelle, Paris, Payot, 1970 [1961], qui prsente un grand

    intrt, en dpit les multiples critiques quil a suscites.

    forment un ensemble que J. Dewey appelle lacontinuit temporelle de lenqute23.

    Or le mot culture dsigne prcismentcette formation corrlative des sujets et desobjets qui seffectue non seulement par les

    enqutes, mais aussi par toutes les activitshumaines. Dans lintroduction de 1951,J. Dewey crit en rfrence B. Malinowski:

    Le mot culture en son sens anthropologiquedsigne ce vaste ventail des choses expriencesde diverses manires en nombre indfini. Il sagitdun terme qui possde prcisment cet ensemblede rfrences substantielles que le mot exp-rience a perdues. Il dsigne les produits uvrsque lon classe comme matriels et les opra-tions sur et avec les choses matrielles. Les faitsappels culture incluent aussi une vaste gammede croyances, dattitudes et de dispositions quisont scientifiques et morales et qui, du faitquelles sont culturelles, dcident des usages aux-quels les aspects matriels de la culture sontsoumis, et mritent par consquent dtre appe-les, philosophiquement parlant, un idal24.

    De mme pour B. Malinowski:

    Que lon envisage une culture trs simple ou trscomplexe, on a affaire un vaste appareil, pourune part matriel, pour une part humain, et pourune autre encore spirituel, qui permet lhomme

    daffronter les problmes concrets et prcis qui seposent lui25.

    la lumire du pragmatisme, le fonctionna-lisme de B. Malinowski peut donc prsenterun nouveau visage.

    Dans un autre lieu, il pourrait dailleurs treintressant de montrer la parent frappanteentre les critiques du concept fonctionnalistede culture et celles qui ont voulu rduire la

    thorie pragmatiste de laction un utilita-risme grossier: car dans les deux cas, la cri-tique sest fonde sur lomission de cetterciprocit dont il a t question, situant lesfins humaines en dehors du domaine delexprience et donc, du fait culturel, ainsirduit un mcanisme aveugle, un moyen.Or le pragmatisme comme lanthropologienaturalisent les fins. Celles-ci sont relatives des formes de vie particulires, de part en part

    historiques. Contrairement ce que suggrent

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    les ides dinstincts, de traits raciaux, didesinnes ou de tendances natives, une culture etles changements qui laffectent ne dpendentpas de la satisfaction, immdiate ou diffre,de besoins qui seraient non culturels.

    Lanthropologie apporte ainsi la philosophieet toutes les thories du social qui demeurentfinalistes ou absolutistes la preuve que leshypothses mtaphysiques portant sur lexis-tence darrire mondes, dessences ou de finsultimes, sont inutiles. Davantage, elle montrecombien de telles hypothses sont pernicieusespour la comprhension de la nature humaine(et pour la pense politique qui sen suit). lafois matrielle et spirituelle, une culture est

    langle sous lequel disparaissent les dualits et,avec elles, les hirarchies et les ingalitssociales qui sy incarnent.Les thses par exemple dE. Sapir ou deF. Boas manifestent un sens des problmesquasiment identique. Lide mme de consti-tuer une culture en un objet denquteinterdit dualisme et rupture. cet gard, lanotion de systme reste clairante: si unestructure peut savrer une totalisation abu-sive, il nen va pas de mme dun systme, etles critiques qui assimilent la culture ainsi com-prise une forme dimprialisme ou dabstrac-tion ne sont pas recevables. Comme Ferdinandde Saussure la montr au sujet du langage,dans un systme on ne peut sparer lespoints de vue diachronique et synchronique.Car dans un systme, il ny a ni parties, ni tout.Il ne sagit pas dune totalit renfermant des

    lments subordonns, mais un jeu dinterac-tions cohrentes entre elles, de diffrencesqui se prcisent et sexercent dans le temps. son tour, la cohrence est une proprit desinteractions: une conduite scientifique coh-rente est celle qui progresse lintrieur de lamatrice conceptuelle o elle a un sens26. Ilen va de mme dune culture, mme si la coh-rence en jeu est beaucoup plus complexe, etmme si les relations entre les gens ou les

    groupes peuvent tre trs conflictuelles27.

    Il est cet gard significatif que pour F. Boaset B. Malinowski par exemple, une culturecomme systme, quils conoivent ouverte laltrit et plastique, est dautant mieuxatteste empiriquement quun changement

    laffecte. F. Boas crit:Toute tentative pour dduire les formes cultu-relles partir dune cause unique est voue lchec, car les diverses expressions de la culturesont intimement relies et aucune ne peut tremodifie sans avoir un effet sur toutes les autres.La culture est intgre [integrated]28.

    De mme, B. Malinowski montre que la cul-ture comme tout indivisible ou commesystme constitue, non une entit dote de

    proprits fixes, mais un ensemble cohrentde rponses et aussi dincitations au change-ment. Par exemple, sa thorie du changementculturel met en vidence, dans un style quirappelle dailleurs celui de G. Tarde, com-ment tout emprunt entre cultures trangres,loin dobir une pure logique de dominationou dimitation sans invention, consiste plutten un processus de requalification de ll-ment emprunt, qui permet donc la culture

    empruntante de se lapproprier. Il semble quecette thorie de B. Malinowski autorise unpoint de vue plus radicalement historique etinteractionniste que ne le font les notions demtissage, hybridation, patchwork,qui sont mobilises aujourdhui, et quil vitedenfermer lide de culture dans des conceptsdidentit ou dethnicit. En dfinissant uneculture comme lensemble des institutions parlesquelles une socit produit les conditionsncessaires lhumanisation, B. Malinowskiatteste exactement comme J. Dewey, et sou-vent dans des termes quasiment identiques, lenaturalisme culturel. La culture conti-nue la nature tout en la modifiant.

    Lhomme est un animal culturel

    Ainsi, aucune activit humaine, si primitiveou naturelle quelle soit, ni aucun des l-

    ments matriels que ces activits mobilisent

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    29. F. Boas, The Mind of Primitive Man, New Yorkand London : A Fress Press Paperback,Macmillan Company, 1965 [1911, revised in 1938], p. 133.

    30. J. Dewey, Human Nature, op. cit.

    31. Voir M. Mauss, Les techniques du corps ,in Sociologie et Anthropologie, Paris, Puf, 1968 [1934].

    32. mile Benveniste, Problmes de linguistique gnrale,Paris, Tel Gallimard, 1966, vol. 1, p. 259.

    33. L. Wittgenstein, Remarques sur le Rameau dOrde Frazer (1930-1931), Paris, Lge dhomme, 1982.On remarquera que lpoque est la mme.

    34. R. Benedict, Patterns of Culture,

    op. cit., chap. I, p. 5 et dernires pages du livre.

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    ou dotent dune signification, ne peut tresupra ou infraculturelle. Le fonctionnalisme,dont J. Dewey se revendique galement, per-met de penser aussi bien les interactions entreles diffrentes formes culturelles que lappari-

    tion de nouvelles expriences.Laffirmation de la priorit absolue du faitculturel pour penser lhomme et sa conduite(et exprimer sur cette base des prfrencesthiques et politiques) est si prsente au coursde la premire moiti du XXe sicle quelleconstitue lun des enjeux fondamentaux et lesplus novateurs de cette priode. Toutefois, lathorie politique qui continue dosciller entrela dfense (librale) dun sujet humain trans-

    cendantal et la promotion (communauta-rienne) dun sujet constitu par ses apparte-nances communautaires, lui est resteprofondment tanche. Faute de pouvoirentrer dans les dtails, un rapide pointagepeut avoir une utilit : pour F. Boas, parexemple, le fait que rien dhumain ne puissetre considr comme extrieur une immer-sion culturelle particulire aboutit unemthode denqute particulariste et histo-rique, rejetant fortement finalisme et compa-raison. De mme que pour J. Dewey, lesformes de lesprit comme lintelligence,lattention ou linhibition, sont toutes relatives un tat culturel donn. Les isoler du com-plexe culturel o elles ont un sens et o ellessexercent conduit une abstraction dpour-vue de pertinence scientifique: toute notreconnaissance de lhomme est drive de son

    comportement dans des conditions culturellesdonnes [] lexistence dun esprit absolu-ment indpendant des conditions de vie estimpensable29. Comme la montr galementM. Mauss, ce qui vaut pour la psychologievaut pour la morphologie, qui est galementlie lenvironnement dont la culture exis-tante est le trait le plus important. travers la critique de la psychologie beha-vioriste et des instincts, Human Nature and

    conduct30 de J. Dewey parvient un rsultat

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    identique : lorganisation culturelle de latransmission des symboles (ou des significa-tions partages) explique que toute impul-sion native, mme celle de la faim, soit cana-lise par tel contexte social particulier et, en

    vertu du mme processus, que lenvironne-ment culturel soit concrtement remodelpar les activits qui sy droulent31. La naturemme de lhomme est la culture, dont onpeut dire ce qucrivait mile Benveniste ausujet du langage:

    Le langage est dans la nature de lhomme, qui nela pas fabriqu [] nous natteignons jamaislhomme spar du langage et nous ne le voyons

    jamais linventant [] Cest un homme parlantque nous trouvons dans le monde, un homme par-

    lant un autre homme, et le langage enseigne ladfinition mme de lhomme32.

    Chez tous ces auteurs, ltude des variationsculturelles dune mme nature humaine neconduit pas postuler lidentit sous jacentede cette nature comme lont fait les thori-ciens de la libert naturelle et, pour les mmesraisons, les anthropologues volutionnistesdu XIXe sicle. Elle mne dfinir cette naturecomme lensemble des traits accessibles

    lacculturation. Cette nature nest plus uneessence ou une substance, mais une virtualit.La nature humaine est une non au sens oses constituants seraient universels(mchancet, pense rationnelle, libert,me), mais du fait de cette plasticit propre lespce humaine qui permet, comme insistaitfortement R. Benedict, tout nouveau-n dedevenir adulte dans nimporte quelle culture,

    ou tout homme nimporte quel momentdapprendre toute langue. Comme lattestetout ce qui prcde, une culture nest pasquelque chose en quoi lon se trouve enferm,elle consiste en un ensemble de relationsentre des ressources et des gnrationsdhommes.

    Cette remarque peut aboutir une proposi-tion un peu paradoxale, mais qui pourtant at pleinement assume par les anthropo-

    logues et les auteurs pragmatistes: seule la

    reconnaissance du fait culturel comme spcifi-cit premire et ultime de lhumanit assure lacommensurabilit des pratiques culturelles,leur traductibilit les unes en les autres,linfini des possibilits de passage, dtude et

    de partage entre elles. Il sagit l dun pointbeaucoup comment aujourdhui au sujet desquelques remarques que Ludwig Wittgensteina faites propos du Rameau dOr de JamesG. Frazer33. Or ce point se trouve aussi chezles anthropologues dont il est question ici. Lelivre de R. Benedict, chantillons de civilisa-tions, commence (dailleurs en citantJ. Dewey) et finit en insistant sur cet aspect,qui savre la condition de possibilit dune

    science anthropologique34. Cest en reconnais-sant le caractre culturel de ses outilsdenqute et de ses croyances que lobserva-teur peut entrer en relation avec les traits quifont la spcificit de la culture quil tudie, eten dire quelque chose dobjectif. Ce point estsi fondamental quil conditionne toutes lesoptions mthodologiques des auteurs.Lenqute est une rencontre, une accultura-tion particulire, par quoi les entits interagis-santes que sont les enquteurs et les enqutssadaptent les unes aux autres, constituantainsi une nouvelle situation existentielle etobjective dont les proprits sont partages.Je propose dappeler inter-objectivation lesmcanismes permettant ce partage. Contraire-ment au relativisme culturel actuel qui estunpluralisme, la reconnaissance de lapluralitdes cultures permet donc dchapper lalter-

    native entre lindiffrence et la guerre.Quel volutionnisme?

    Cet aspect peut servir de pivot la prsenta-tion dune autre pice du dispositif anthropo-logico-pragmatiste, savoir la critique delvolutionnisme unilinaire dont HerbertSpencer a t le reprsentant le plus influent.Cette critique est trs articule chez F. Boaset J. Dewey pour des raisons identiques :

    lvolutionnisme issu dH. Spencer est un

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    faux volutionnisme, un finalisme, qui est pr-scientifique et politiquement pernicieux. Eneffet, une fois dploye dans le temps, la thsede lunit originaire et substantielle delhomme se transpose, comme chez Auguste

    Comte et H. Spencer, en la thse des stadesdvolution culturelle . Pour JohannJ. Bachofen, Lewis H. Morgan ou H. Spencer,lhistoire humaine est une squence prdic-tible entre un commencement et une fin, quiquant eux, tant tout fait fixes, nvoluentpas. Par exemple, daprs la physiquesociale dA. Comte, les socits primitivesne se dfinissent pas par une antriorit tem-porelle mais par le fait quelles sont plus

    proches de lorigine: Cest leur tat socialqui les date, non la dure de leur histoire35.Ces socits sont contemporaines mais letemps y est annul. Elles nont pas dhistoire.Dans la mme veine, L. H. Morgan voit dansla sauvagerie, la barbarie et la civilisation, lestrois stades principaux de lhumanit36. KarlMarx et Friedrich Engels sinspirent de L. H.Morgan.

    Afin de mieux cerner limportance desapproches affirmant une continuit entrenature et culture, il faut remarquer que lathorie des stades conduit penser les dif-frences entre les types humains noncomme un fait de nature (contrairement cequon croit souvent), mais comme un produitde luvre civilisatrice elle-mme. Pour lesfinalistes, au dpart, il nexiste quun trehumain gnrique et indiffrenci; Adam. Or

    le stade de la sauvagerie est aussi celui delindiffrenciation. Cest le progrs de la civili-sation elle-mme qui provoque des distinc-tions entre les races, les sexes et les individus.Ces distinctions sont bien sr hirarchises, lefinalisme permettant de rapporter chacunedelles un stade dvolution plus ou moinsproche de la fin, ou loign de lorigine. Grce cela H. Spencer et J. J. Bachofen peuventaffirmer que lhumanit est passe dun

    rgime de promiscuit sexuelle incohrent

    35. Auguste Comte, Cours de philosophie positive,

    Physique sociale, 48e leon. La mme idese trouve chez L. H. Morgan : the domestic institutionsof the barbarous, and even of the savage ancestorsof mankind, are still exemplified in portions of the humanfamily with such completeness that the several stagesof this progress are tolerably well preserved (L. H. Morgan, Systems of Consanguinity and Affinityof the Human Family, Washington, SmithsonianInstitution, 1870).

    36. Pour L. H. Morgan, la civilisation se caractrisepar lalphabet phontique et lcriture ; chaque stadeest lui-mme subdivis en trois autres qui correspondentchacun une priode ethnique . Herbert Spencer

    reprend la loi des trois stades et considre en outreque lhumanit passe ncessairement du collectif lindividuel, et du type militaire au type territorial.H. Spencer, Principles of sociology, New York,D. Appleton, 1896 [1876].

    37. Voir Franois Jacob dans Le darwinisme aujourdhui,paris, Seuil, coll. Points sciences , 1979, p. 144.Sur la diffrence entre Charles Darwin et H. Spencer,voir tout spcialement Dominique Guillo, Les Figuresde lorganisation. Anatomie compare : sociologieet anthropologie au 19esicle, Puf, coll. Sociologies ,2003, paratre. Lauteur montre notammentcomment Ch. Darwin abandonne lide quun individu

    est le reprsentant dun type , ce qui est trs instructif.

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    un rgime matriarcal et matrilinaire, puis un rgime social patriarcal et patrilinaire rgime qui reprsente lmancipation deshommes lgard des conditions naturelles.On voit alors comment la thse de lunit

    naturelle de lhomme peut se corrler auracialisme et au racisme, au sexisme ou loccidentalisme, et pourquoi la thse de lapluralit humaine dont les auteurs prsentsici tmoignent mille gards, commencerpar leurs enqutes, est au contraire lauxiliaireprcieux dune pense dmocratique, sans entre la crature.On pourrait remplir des pages de ces loisdvolution ncessaires. Leur esprit finaliste

    les loigne des thses darwiniennes, queJ. Dewey revendique dinclure dans sa philo-sophie. Il les loigne aussi de la conceptionmoderne et scientifique de la loi : car la loinest plus considre comme une entit mta-physique laquelle les phnomnes doiventncessairement se plier, mais comme uneproposition exprimant des uniformits statis-tiques, ou la probabilit de loccurrence duntype dvnement singulier. Ces deux aspectssont lis : lvolution selon Ch. Darwin et lesdarwiniens ultrieurs est sans projet, fruitdune interaction entre les vivants et leurenvironnement37. La rpartition des popula-tions est lie des transactions au cours des-quelles les lments de lorganisme sadaptentet sont slectionns en fonction des lmentsdu milieu avec lesquels il y a change et inter-frence. La vie est donc une histoire imprvi-

    sible, qui rsulte dvnements alatoires.Puisque, dans les termes de J. Dewey, les finsvoluent avec les moyens de les prouver et deles atteindre (en quoi une conduite ne peut

    jamais impliquer quune tlologie relativeaux situations), lvolutionnisme qui provientde Ch. Darwin est un vritable volutionnisme.Transpos au plan de la logique de laconnaissance, le darwinisme impose doncdabandonner la conception mtaphysique

    de la loi au profit de lexprimentation et des

    rgularits quelle permet dtablir. Au lieude postuler des causes gnrales et des rgu-larits historiques ncessaires qui condui-sent nier que les socits primitives aientune histoire, lethnologue tablit empirique-

    ment le cours historique rel que les culturesont suivi en fonction de leurs lmentsconstitutifs, de leur dynamique propre; enfonction galement des apports trangers etindividuels, une culture provenant aussi dufait que les hommes en dpendent pour seconstituer en mme temps quils y imprimentleur influence individuelle.

    Individu et socit

    Faute de pouvoir dvelopper ici les enjeuxpistmologiques de la rvolution boa-sienne (dont il serait ais de montrer laconvergence avec la logique de lenqutepropre au pragmatisme), on peut prsenterun dernier point intressant galement lesquestions actuelles sur le social et lhomme. Ilsagit du rapport entre individu et socit. Eneffet, comme en tmoigne ce qui prcde,linteraction est une situation lgard delaquelle les entits interagissantes sont des

    phases de diffrentiation et de redistribution,non des choses en soi. On peut apercevoir icicomment une pense interactionniste permetde se librer tout fait lgard de lalterna-tive rcurrente (notamment en politique)entre holisme et individualisme. Dans destermes politiques, on peut dire quun tre nese constitue comme sujet ni en intriori-

    sant passivement les donnes extrieures nien actualisant des facults qui lui seraientinhrentes. Un homme nest ni le produit deses conditions de vie, ni celui de sa volontlibre. Comme J. Dewey et R. Benedict, dansdes termes identiques, y insistent, linterac-tion interdit que lindividualit soit donnepralablement toute socialisation, de mmequelle interdit que la socit soit pensecomme une entit distincte des multiples liens

    et changes entre les divers individus qui la

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    38. F. Boas dans The Aims, op. cit., p. 253.

    39. R. Benedict, Patterns of Culture,op. cit, chap. VIII, p. 280.

    40. Toujours la mme poque, Bernard Groethuysenet Norbert Elias mettent en vidence la dette de

    lindividu la civilisation occidentale. B. Groethuysen,Anthropologie philosophique (1928-1931), Paris,Gallimard, 1980. N. Elias, La civilisation des murs,Paris, Calmann-Levy, 1973 [1939].

    41. Abram Kardiner, Lindividu dans sa socit :essai danthropologie psychanalytique, Paris, Gallimard,1969 [1939].

    42. https://www.library.gatech.edu/etext/etext_socsci.htm,p. 39.

    43.Ibid., p. 34.

    44. F. Boas, The Method of Ethnology (1920),

    in Race, Langage,..., op. cit., p. 285.

    composent. Ce nest pas en simbibant dune culture quun individu se ralise, cesten y participant. Cest la raison pour laquelle,afin dviter le dualisme inhrent aux sub-stantifs individu et socit, J. Dewey a

    eu recours des termes adjectivs, commelindividuel ou le social, ou des termesexprimant un processus : individuation ,socialisation.Il appartient aussi aux fondateurs de lanthro-pologie culturelle davoir observ limpor-tance du systme culturel pour lindividuation,et, rciproquement, celle de laction indivi-duelle pour la cohsion dune culture et seschangements historiques. Dans toute socit,

    on trouve des instances dindividuation et desindividualits, ce qui explique pour F. Boas lafausset de lide que les socits primitivesnont pas dhistoire: La stabilit apparentedes types primitifs de culture est due notremanque de perspective historique38. Le der-nier chapitre du livre de R. Benedict est enti-rement consacr cet aspect:

    La socit [] nest jamais une entit sparabledes individus qui la composent. Aucun individu

    ne peut arriver mme au seuil de ses virtualitssans laide de la civilisation laquelle il participe.Rciproquement aucune civilisation ne possdedans sa structure un lment qui, en dernire ana-lyse, ne soit d la contribution dun individu39.

    Deux consquences proviennent de cela: pre-mirement, chaque socit correspond untype dindividuation particulier. Lindividunest quune forme possible dindividuation.Lindividuation, sa qualit, ses opportunits,sont toutes relatives aux ressources ou, dansles termes de R. Benedict, aux matriauxdont sa culture est constitue, et que sa socitdistribue40. On peut donc faire lhypothsequun systme politique soit une instance des-tine distribuer les opportunits dindividua-tion dans une socit donne. La justice seraitalors relative ce systme toujours particulier.

    Ces ides sont fondamentales. Par contraste, lestraits de lanthropologie culturelle qui ont t

    slectionns notamment par Ralph Linton,

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  • 7/28/2019 Nature Culture Tarde Pragmatisme

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    puis par Abram Kardiner, en terme de per-sonnalit de base, dadaptation et de beha-viorisme peuvent sembler beaucoup moinsprogressistes, mme sils se sont fortementimposs41. Ils signalent le retour de ce psy-

    chologisme contre lequel J. Dewey etF. Boas ont lutt dans chacun de leurs textes,pour la raison que langle psychologique faitlimpasse sur la dimension interactive delindividuation, et donc, sur laction, laconduite, et ses consquences.Le second point dcoule du premier : ilnexiste aucune socit, si primitive quelle soit, qui ne produise des distinctionsentre le collectif et lindividuel. La thse,

    rpandue jusqu aujourdhui, daprslaquelle le primitif serait submerg dans leclan, lethnie ou la tribu, ou entirementdomin par le groupe, est tellement contraire lexprience dune rencontre mme dequelques heures avec un groupe d indi-gnes, ou celle des arts dits premiers,quil est surprenant quelle ait pu tre soute-nue par des gens senss. Que les fins desindividus ne se confondent pas avec celles du

    groupe est la thse autour de laquelleB. Malinowski organise son tude de la lgis-lation civile des Mlansiens:

    Je tiens seulement mettre en garde contre desopinions aussi exagres que celles de Rivers, deHartland, de Durkheim et autres, qui font decette loyaut de groupe, dsintresse, imperson-nelle et illimite, la pierre angulaire de toutlordre social dans les civilisations primitives. Lesauvage nest ni un extrme collectiviste ni unintransigeant individualiste, mais, comme tous

    les hommes, il reprsente un mlange de lun etlautre42.

    Mthodologiquement, il faut toujours faire,comme en sociologie, une distinction entre lacharte officielle du groupe (coutume tho-rique) et la pratique rellement suivie. Cestpourquoi, lauteur appelle mettre fin aumythe du communisme de parent, de la par-faite solidarit rgnant soi-disant lintrieurdu groupe [] mythe repris rcemment par

    Rivers et qui est malheureusement sur le

    point de gagner ladhsion gnrale43 . Eneffet. Au total, si lindividu est une formedindividuation spcifiquement occiden-tale, lindividualit est en revanche aussi uni-verselle que le fait culturel.

    En rsum, faire converger pragmatisme etanthropologie culturelle permet dclairerune configuration intellectuelle lpoquetout fait neuve, mais qui ne semble pasavoir russi simposer durablement. Leparticularisme historique et lhistoricit detoutes les cultures, la pluralit humaine, lindi-viduation comme fait culturel, le primat de

    lenqute de terrain et de linteraction, voilles ingrdients principaux de cette configura-tion. Comme la montr Georges W. Stocking,il nest pas anodin que lusage du mot cul-ture au pluriel napparaisse quavec F. Boas.Parce que sa valeur est programmatique,interactionniste et antirductionniste, et quilrsume la vision culturelle du social dont toutce qui prcde tente de dessiner quelquescontours, on peut terminer en citant ce pas-

    sage de F. Boas:Les activits de lindividu sont largement dter-mines par son environnement social, mais rci-proquement ses propres activits influencent lasocit dans laquelle il vit, et peuvent apporterdes modifications dans sa forme. Il est vident quece problme est lun des plus importants quilfaille envisager dans une tude des changementsculturels44.

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