Gabriel Tarde - Études pénales et sociales (1892)

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    Gabriel TARDEPhilosophe et sociologue franais, 1843-1904

    (1892)

    TUDES PNALESET SOCIALES

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    Site web: http://bibliotheque.uqac.ca/

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    Gabriel TARDEPhilosophe et sociologue franais, 1843-1904

    tudes pnales et sociales.

    Lyon : A. Storck, diteur. Paris : G. Masson, diteur, 1892, 460pp. Collection : Bibliothque de criminologie.

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    Gabriel TARDEPhilosophe et sociologue franais, 1843-1904

    (1892)

    tudes pnales et sociales

    Lyon : A. Storck, diteur. Paris : G. Masson, diteur, 1892, 460pp. Collection : Bibliothque de criminologie.

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    Table des matires

    Avant-proposde lauteur.

    -1-

    Le duel

    Le duel et la criminologie. Si le suicide est la forme subjective del'homicide, le duel en est la forme rciproque. Pourquoi, il faut tudier le duel,

    malgr sa raret et bien qu'il soit en dcroissance.

    Chapitre I : Le duel dans le pass

    I. Absence du duel chez les Grecs et chez les Romains ; ncessit de ne pasconfondre le duel vritable qui a pour cause l'honneur bless, et celui qui a lieupour la patrie, pour la gloire militaire ou pour tout autre motif

    II. Le duel divinatoire des Germains, le duel lgal du roi Gondebaut ;enthousiasme soulev par la loi Gombette. Le duel judiciaire et la trve de Dieu.La guerre prive et le duel par mandat.

    III. Succs du duel au XVIe sicle ; cette poque il est constitu ; samorphologie est peu prs acheve ; du duel divinatoire il a conserv le caractremystique ; de la guerre prive il a retenu la ncessit d'une escorte. Preuves l'appui de cette opinion. - Rapport sur duel, sur la guerre et l'assassinat au XVIesicle ; exemples. Le ct brillant du duel considr, dans une certaine mesure,comme une rsurrection du tournoi

    IV. Persistance du duel ; routine, influence de l'exemple. Influence de l'Italie,berceau du duel moderne au XVe sicle. Duel outrance sous Henri III et LouisXIII ; manie d'imiter les grands seigneurs ; toute-puissance du prjug. Le duel

    dans le Cid ; recrudescence de l'pidmie au temps des troubles et des rvolutions.Edit de 1679. Efficacit de l'interdiction. Reprise des duels sous Louis XV et sousLouis XVI

    Chapitre deuxime : Le duel dans le prsent

    I. Le duel d'aprs la Rvolution, la royaut, l'empire, la rpublique.Statistiques. Leur utilit d'aprs M. Lacassagne. Statistiques Italiennes

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    II. Influence de la galerie : frquence du duel littraire. Action dominante desgrands centres

    III. Le duel militaire. Rien n'est plus contraire au but de l'arme que le duel.Circulaire ministrielle de M. de Freycinet. Il y a injustice absolue punir en toutcas le bless

    IV. Le duel dans l'arme allemande ; le duel recommand par l'empereur ;imitation de l'arme italienne. - Contraste avec l'arme anglaise, c'est sur cettedernire que la ntre doit prendre modle ; importance du duel militaire au pointde vue social

    Chapitre troisime : Les causes et les remdes

    Considrations gnrales sur les causes sociales du duel.

    Causes mtorologiques, incertitude des rsultats (courbes de Lacassagne ;Teissier, Ferrus, etc).

    Causes sociales : en gnral ce sont les mmes qui agissent sur l'homicide etdans le mme sens. Objections la thorie du dveloppement inverse del'homicide et du suicide, de Morselli et Ferri.

    Action des grandes villes, influence de la profession.

    Influence nfaste des femmes et de l'esprit fminin en gnral. Responsabilitdes littrateurs.

    Indulgence incomprhensible de la classe claire pour le duel. Crecdo quiaabsurdum. Le duel est non seulement barbare mais il est ridicule. Cependant il a etsurtout il a eu sa beaut ; c'est un tmoignage que la vie ne vaut pas la peine d'trevcue moyennant une honte, ou l'apparence mme d'une honte ; c'est aussi untmoignage que l'individu ne veut pas seulement pour lui-mme, mais surtoutpour la socit, aux prjugs de laquelle il s'immole ou immole un tre quesouvent il ne hait point... 55-69

    Le duel est l'cho d'un temps o le courage tait tout, mais le duel ce n'est pasla bravoure seulement, c'est l'orgueil et la vracit leve la hauteur du suprmedevoir. En quoi le duel est contraire au progrs.

    La valeur n'est plus la matresse qualit de l'homme moderne : la gnrosit,l'quit, l'ardeur au travail passent avant tout.

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    En quoi la question de la guerre est lie celle du duel. Prophylaxie de laguerre et du duel ; tablissement d'une Cour suprme des nations et de tribunauxd'honneur

    Rforme faire dans la lgislation. - Complter les lois sur la diffamation etsur l'injure. Institution de tribunaux d'honneur en rapport avec notre tat actuel etnos gots dmocratiques.

    Distinction faire entre la notorit et l'honneur proprement dit. La valeurmorale et sociale d'un homme est le produit de la notorit par l'honneur.

    La loi s'est place un point de vue d'galit trop troite ou mal comprisencessit de faire entrer en ligne de compte l'importance du tirage de la feuillecalomniatrice. Comment ce point de vue il faut entendre l'galit. L'honneur estun bien rel, de plus en plus prcieux, mais aussi de plus en plus fragile. Ides de

    M. Worms ce sujet. Rfutation.

    L'honneur consiste pour chacun de nous dans la persuasion plus ou moinsforte possde par nous et partage par un nombre plus ou moins grand depersonnes autour de nous ou loin de nous, que nous valons beaucoup, nonseulement par les services que nous pouvons rendre comme instrument de travailou de plaisir, mais par notre propre existence juge digne d'tre et de durer.

    tude des moyens susceptibles de protger l'honneur. Lgitimit des peinesd'honneur.

    Ncessit de supprimer la lgislation capricieuse, incohrente du jury,superstition plus fatale que celle du duel, issue comme elle des mmes fauxprincipes

    -2-

    Le dlit politique

    I. - Critique gnrale de la mthode employe par M. Lombroso pour difierune thorie de la criminalit

    II. - Recherches de Jacoby sur la richesse de chaque dpartement en hommesremarquables, sur l'influence de la constitution du terrain. - Action de la race surla production du gnie.

    tudes analogues de Lombroso en France ; concordance des rsultats. Facteurlaiss dans l'ombre par tous deux ; enchanements rationnels des innovationsrelles ou imaginaires formant des sries rversibles ou irrversibles ; exemples.

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    Le gnie est un accident historique o s'exprime une ncessit logique.Calendrier du gnie, analogue au calendrier du crime de Lacassagne. Quelquesstatistiques de M. Ribot. Calendrier insurrectionnel de Lombroso

    III. - Relations entre la gnialit d'un dpartement et son esprit politiqued'aprs Jacoby. Impossibilit d'tablir un rapport entre l'orographie et la gnialit.- tude critique sur le misonisme de Lombroso. Le conservatisme politiquene saurait tre pris priori, et sans autre explication, pour une marque de strilitartistique, agricole ou scientifique.

    A ct du penchant se rpter, il y a chez l'homme un penchant innover.Lutte entre le caprice et l'habitude

    IV. - Il faut distinguer les inventions conformes l'esprit gnral de la socit

    o elles closent, et celles qui lui sont contraires. Diffrence entre la rbellion etla rgnration. Influence trs secondaire des conditions mtorologiques,orographiques, etc.

    V. Conclusions

    -3-

    L'atavisme moral

    I. - Thse de M. Colajanni : Il n'y a pas de type physique criminel ; le criminel

    n'est ni un fou, ni un pileptique, ni un dgnr. C'est un revenant des temps denos anctres loigns, mais uniquement au sens moral. - Tout caractre mentaln'est-il pas ncessairement li un caractre corporel ? - Non, dit M. Colajanni.C'est la fonction qui fait l'organe. Toute fonction crbrale, et en particulier lamoralit, n'est pas localise dans des compartiments dtermins du cerveau. -L'volution physique n'est pas parallle l'volution psychomorale

    II. - Conception de Brown-Squard, admise par Colajanni, sur les localisationscrbrales. Extension aux facults intellectuelles et morales. - Les facults les plusprimitives sont celles qui sont le moins localises. - Contradiction avec l'opinionde M. Colajanni, sur la modernit de la moralit et sa non-localisation. -

    Contradiction du principe de la fonction cause de l'organe et du contraste supposentre la variabilit morale et intellectuelle de l'humanit et la permanencephysique du type humain. Conciliation de cette permanence avec la loi del'volution. Il ne faut pas confondre la variabilit sociale avec la variabilit morale

    III. - Interprtation tratologique (Ribot) et interprtation atavistique. OrigineIntra-utrine de la plupart des anomalies des malfaiteurs. - Incompatibilit ducaractre criminel avec l'existence et la conservation d'une socit. Hypothse de

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    Sergi sur la formation du caractre moral par couches successives stratifies.Rfutation : il n'y a pas stratification, mais enchevtrements multiples

    IV. - Phytognse et ontognse. - Criminel et enfant : critique de la loi

    gnrale du paralllisme entre la phytognse et l'ontognse. Il n'y a aucunesimilitude entre l'enfant et le criminel.

    V. - On ne peut comparer le criminel nos anctres. - Les sauvages actuels nepeuvent nous donner une ide de nos anctres. Socit simiennes. - Socitsanimales

    -4-

    L'amour morbide

    Ce que c'est que l'amour morbide. - Diffrence entre l'amour ordinaire et lesaberrations de l'amour. Entre l'amour normal et l'amour morbide il y a unediffrence de nature, non de degr. - L'amour normal poursuit deux fins ; -conditions ncessaires pour que ces deux fins s'accordent

    L'idal d'un amour normal ressemble celui d'un autre amour normal ;l'amour morbide est suscit par les objets les plus divers

    Dans l'amour morbide il y a fragmentation de l'individualit et l'un desfragments est l'instrument passif de l'autre ; il y a auto-suggestion

    L'amour normal exalte les dfauts et les qualits de l'amant : il ne pousse aucrime que le criminel. - Responsabilit des auteurs de crimespassionnels ;jamaisune passion pathologique n'entrane un crime passionnel. - L'amour morbide estimpuissant fconder l'art

    -5-

    Quatre crimes passionnels

    L'affaire Chambige

    Adolescence de Chambige ; - son caractre jaloux et boudeur

    Plus tard se fait jour chez lui une prdisposition aux troubles nerveux :tudiant, il s'isole volontairement

    Causes probables de l'amour de Mme G... pour Chambige. La duplicitapparente de Mme G... est due au ddoublement de son tre moral par l'amour ;

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    d'un ct la femme honnte et normale ; de l'autre l'tre en proie une obsessionamoureuse

    Notes crites par Chambige pendant sa dtention ; ses qualits de littrateur

    psychologue

    Influence du milieu sur les deux amants. - Poursuites exerces par le Parquetde Constantine ; leur ncessit. Apprciations du verdict

    A-t-on le droit d'enlever la vie quelqu'un sur sa demande ou sur sonautorisation ?

    L'affaire Wladimiroff

    Portrait du criminel. Mme D... son ducation. Causes du crime de Wladimiroff- sa responsabilit

    Les Affaires Weiss et Achet

    Qu'est-ce que le dlit ncessaire ? - C'est un genre trs vaste dont la lgitimedfense n'est qu'un cas particulier.

    Naufrage de la Mignonette, de la Mduse

    Classification possible des dlits en dlits ncessaires, dlits utiles, dlitssuperflus

    Affaire d'An-Fezza. - Portrait de Jeanne Daniloff. Violence de son amourpour Roque. Le crime de Mme Weiss n'est pas un dlit ncessaire, sacondamnation est mrite

    Le crime de Chantelle

    -6-

    L'archologie criminelle en Prigord

    Intrt que prsenteraient pour le criminologue les tudes d'archologiecriminelle ; sur quels documents cette science pourrait tre difie. - L'archologiecriminelle dans le Prigord. -Transformations psychologiques de la magistrature. -Le juge d'autrefois et le juge d'aujourd'hui

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    I. - Dlits absents ou rarissimes jadis : viols, attentats la pudeur

    II. - Crimes qui ne sont plus des crimes aujourd'hui (maquerellage,

    blasphmes, infractions aux commandements de l'Eglise, non catholicit, etc. ). -Procs faits des morts. -Condamnation de la mmoire des personnes. -Perscution des calvinistes par le prsidial d'Agen. - Crime d'migration. - Lanotion d'une libert de conscience et mme d'une libert individuelle quelconquemanque dans toutes les classes de la socit. - Interdiction de sortir la nuit ; leconcubinage est l'objet de poursuites srieuses ; droit de censure exerc par lacommunaut de village, par le pre de famille. - Le rapt puni de mort. - Sous cesexagrations clate le sentiment de l'honneur familial. - Crime de sorcellerie. -Les petits seigneurs se livrent au brigandage et au pillage des proprits duvoisinage. - Le cambriolage n'est pas inconnu

    III. - Impossibilit de donner la statistique des crimes contre les personnes ;les crimes en effet restent souvent impunis ; cependant les documents prouventque s'il y avait plus d'actes de violence qu'aujourd'hui, il y avait moins de vols,d'homicides et d'attentats la pudeur. Peu de duels la fin du XVIIe sicle ; lesaffaires d'honneur sont portes devant la justice ou devant la cour des Marchaux.- Statistique criminelle du Registre criminel de Saint-Martin des Champs. - Faiblecriminalit due l'effroi des tortures. - La criminalit moderne est caractrise parmoins de grossiret et plus d'astuce. - Meurtres d'imptuosit. - Raret du volcomme mobile du crime. - Svrit extrme pour le vol ; indulgence pourl'homicide qui n'a pas le vol pour but. - Rigueur avec laquelle est punil'infanticide ; abondance des meurtriers dans la noblesse ; frquence des mfaits

    commis en troupe. - Leur raret actuelle due notre mancipation individuelle. -Frquence des vols sacrilges dans les glises alors trs riches. - Faits de violence.-La violence est la note caractristique des murs du pass. -Rixes, luttes dans leclerg, dans la noblesse. - Importance attache alors aux questions de prsance. -Msintelligence frquente entre le presbytre et le chteau. - Brutalit deshuissiers, sans cesse battus par les gentilshommes et les militaires

    IV. - Conclusions ; contraste entre la dlictuosit violente de nos anctres et ladlictuosit astucieuse de leurs petits-neveux, -Transformations subies par lacriminalit sous l'ancien rgime mme ; prtextes fournis par toutes lesrvolutions ; le calvinisme, la Fronde, etc. - Impunit frquente.

    Fonctionnement des anciens tribunaux. - Nombre lev des magistrats.

    Cruaut, diversit, tranget frquente des peines (excution en effigie, -amende honorable, etc.). - change de malfaiteurs entre les diverses courscriminelles, par application de la peine du bannissement, hors du ressort de lajuridiction ; particularits diverses.

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    Ncessit de ne pas juger les temps passs seulement par leur aspect criminelet de ne pas conclure que tout, dans notre tat social actuel, est prfrable celuide nos pres

    -7-

    La crise de droit moralet la crise de droit pnal

    I. - Crise actuelle de la morale ; thorie des ides-forces de M. Fouille d'unepart. -Thories des novateurs italiens de l'autre ; derniers travaux de l'cole decriminologie italienne : rdition de l'Uomo di genio ; ouvrage du docteurSalvatore Ottolenzi. - Delinquenza et punibilita, de Rizonne Navarra. - Discoursde M. Ferri la Chambre Italienne. - Ouvrages de Garofalo, Alongi, etc.

    Travaux de l'cole positiviste franaise.

    Les Archives d'anthropologie criminelle du D Lacassagne. Travaux de MM.Bourde, Bertillon, Benoist, de MM. Topinard, Fr ; d'aprs Fr la criminalitnative n'est qu'une des formes de la dgnrescence ; objections et critiques ; cequ'il faut enten-dre par folie morale . - Abus du mot anomalie

    Progrs extrinsques des nouvelles ides. - Fondation d'une Revistad'anthropologia criminale Madrid (Dr Alvarez Taladriz). - Propagation par lescoles adverses. - Travaux de M. Innamorati. - La prmditation, de M. Alimena.

    tude critique de ces travaux

    Le devoir de punir, de M. Mouton. Le principe du droit, de M. EmileBeaussire.

    Conclusion et rponse M. Beaussire ; la dfinition du dlit

    -8-tude criminelles et pnales

    I. - L'anthropologie et la statistique ont, pour le moment, donn tout ce qu'onpouvait momentanment attendre d'elles : dsormais il reste difier avec lesmatriaux qu'elles ont fournis

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    II. - Crime et suicide de Corre. - Influence de l'tranger. - Travaux du docteurXavier Francotte, de M. Prins, de M. Csar Silio ; apprciations et critiques

    III. - Influence de la chaleur d'aprs M. Silio, La chaleur rveille tous les

    instincts ; les mauvais comme les bons . - Statistiques l'appui.

    Statistiques franaises de M. Yverns. - Rapport officiel de 1880. - Rsultats. -Concordance des courbes espagnoles et des courbes franaises

    IV. - Travaux du Dr Dortel. - Ses conclusions. - Type professionnel ducriminel d'habitude. - Type pnitentiaire de M. Gauthier. - La responsabilitattnue, par le Dr Henri Thierry

    V. - La folla delinquente de M. Scipio Sighele. - tude critique sur lacriminalit de la foule

    L'esprit de foule et l'esprit de secte - Distinction faire entre les deux.

    VI. - Le dlit ncessaire, par M. Paul Moriaud. - Le cas de lgitime dfense. -Analyse et critique

    VII. - Les Attentats l'honneur, par M. Emile Worms. - Le duel. - L'Utilita neldiritto penale classico, de M. Vaccaro. -Choses d'Amrique, par Max Leclerc. -L'Amour meurtrier, du Dr Laurent. - Les Rgicides, du Dr Rgis. - Importancedes travaux accomplis sous l'inspiration du Dr Lacassagne - La submersion, parBarlerin. - L'affaire Gouff, par M. Lacassagne. - Rapports de MM. Lacassagne

    et Coutagne. - Autres travaux lyonnais. - Avenir de l'Archologie criminelle

    -9-

    L'ide de culpabilit

    I. - La notion de culpabilit doit-elle disparatre ?

    Peut-elle tre renouvele ? doit-elle tre maintenue comme un dogmesocialement ncessaire, quoique scientifiquement insoutenable ?

    Si l'on dfinit la culpabilit de telle manire qu'elle implique la libertd'indiffrence, le libre arbitre etc., la culpabilit s'vanouit.

    Pour juger quelqu'un coupable, nous n'avons pas besoin d'imaginer qu'il aexerc une causalit libre, il nous suffit qu'il ait mis en jeu sa causalit propre. -Ncessit de tenir le libre arbitre l'cart de la question pnale

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    Derniers refuges du libre arbitre. - Ides de M Delboeuf. - Pour lui le librearbitre n'est plus qu'un veto suspensif. Or, dans les crimes actuels, au moment del'action criminelle, il y a gnralement bien peu de temps pour que le veto puisses'exercer

    II. - Il y a deux conditions de la culpabilit d'un individu 1 que l'acte ait pourcause une personne ; 2 que cette personne soit demeure la mme dans le senssocial du mot. - Qu'est-ce que le moi ? - O s'arrte son domaine ?.

    L'apoge de la responsabilit identit c'est l'ge o se ralise la perfection dusystme intrieur, la stabilit de son quilibre par la prpondrance dfinitived'une ide ou d'une passion autour de laquelle tout gravite dans l'me, et quitrouve hors de l'me, dans un milieu social conforme, ou conform ses fins, uneoccasion de se dployer ; on est d'autant plus coupable qu'on est plus adapt soi-mme et son milieu.

    Objections diverses. - L'hypnotisme. - Rfutation. - Dlits et crimesd'opinion ; en quoi ils diffrent des autres crimes et des autres dlits ; pourquoi ilest irrationnel de s'indigner contre un sectaire de bonne foi.

    Influence des maladies de lapersonnalit. - Pour qu'un acte me soit imputableil ne faut pas que je l'aie accompli sous le coup de ces maladies de la volont et delapersonnalit rcemment tudies par M. Ribot. Il faut que je me souvienne demon acte puisque je dois tre rest la mme personne.

    Ce que c'est que la honte et le remords

    III. - Attnuation de la responsabilit, encore accorde de nos jours quand iln'y a pas identit morale entre la victime et le meurtrier.

    Facilit avec laquelle on excuse les violences commises sur un peuplebarbare : une ducation intellectuelle de premier ordre permet seule de fairecomprendre la solidarit presque sociale de l'homme au sein de la faune terrestre

    Le talion et l'origine de la justice pnale. - Erreur des historiens. - Tribunaldomestique des peuples anciens. - Remarque de M. Dareste ce sujet.

    Discussion critique et conclusion. - Appuye sur l'importance de l'identitpersonnelle et de la similitude sociale du criminel, l'ide de culpabilit est exacte

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    Les maladies de l'imitation

    I. - Le caractre d'tre imitatif est le propre de tout acte vraiment social, l'exclusion de tous autres. La socit se compose d'individus se ressemblantimitativement tout en s'utilisant les uns les autres

    L'impressionnabilit imitative est une de nos proprits crbrales les pluscaractristiques. - Du prestige. - De l'intimidation et de l'hypnotisation. -L'hypnotisation est l'action d'un individu sur plusieurs autres ; l'intimidation estl'action de plusieurs individus sur un seul ; elle est d'autant plus forte que lenombre d'individus intimidants est plus considrable

    - Physiologie de l'intimid

    - L'intimidation nat du sentiment qu'a l'intimid d'tre dissemblable au publicet du dsir qu'il a de lui ressembler. Elle ne cesse que quand l'intimid s'est rendusemblable aux personnes qui l'entourent (il reste alors l'intimid qui ne l'est plus,une disposition recevoir l'empreinte d'autrui). - Elle cesse encore quandl'intimid a rendu son auditoire semblable lui-mme. - L'intimidation n'est pascontagieuse

    II. - Analogie entre le cerveau et la socit : les diverses cellules crbrales etles individus composant la socit ; l'imitation est la socit ce que la mmoire

    est l'esprit. - Imitation-coutume et imitation-mode. - La logique sociale rgle lesort des exemples reus par mode ou coutume

    III. - La marche normale de l'imitation est ab interioribus ad exteriora

    L'imitation saine est celle qui conserve les inventions conformes l'idal de lasocit o l'on vit ; elle est lie l'invention. L'Angleterre est le type del'imitativit saine

    IV. - Maladies de l'imitation. - Imitation inexacte. - Ne pas confondre dans lestransformation du langage, l'altration proprement dite et l'volution vers la

    simplicit ; dans l'volution des religions, les dgnrescences avec leurrenouvellement ; dans les constitutions et les lgislations, l'application inexactedes lois et dcrets avec les innovations rflchies et conscientes ; dans les arts, ladcadence avec le progrs

    V. - La stabilit relative des constitutions, des industries, des arts, de lagrammaire, etc., assurent leur renouvellement srieux et profond, leur progrs

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    L'imitativit peut tre : 1 lente et tenace : 2 rapide et fugace ; 3 lente etfugace ; 4 rapide et tenace ; la dernire combinaison est seule avantageuse. -L'accent est un exemple de la premire combinaison. - Les pidmies religieusesdu XIVe sicle, et mme les conversions actuelles faites par les missionnaires

    sont des exemples de la deuxime combinaison - Alternatives d'imitation rapide etd'imitation lente dans la philosophie, les sciences, la politique

    Deux types d'imitation rapide, d'imitation mode :

    1 Imitation professionnelle entre gaux et semblables ;2 Imitation hors de la sphre sociale

    VI. - En conomie, les excs d'imitation-coutume et d'imitation mode amnentdes crises conomiques. - De mme en religion et en lgislation les crisesreligieuses et lgislatives

    Imitation-mode dans l'habillement et dans la toilette, pour le costume commepour le reste ; l'imitation va du suprieur l'infrieur et des hommes aux femmes ;de mme nous y constatons la loi gnrale de la conscration de la mode encoutume (imitation rapide et tenace) : de mme aussi la loi : l'imitation va abinterioribus ad exteriora.

    Les voyages sont une forme d'imitation ; imitation-coutume et surtoutimitation-mode.

    VII. - Maladies de l'imitation dans l'art. - imitation-mode et imitation-couturne

    en morale. - Leurs alternatives ; les avantages de cette alternative

    But de l'imitation. - L'imitation-coutume doit prvaloir sur l'imitation-mode

    -11-

    Dpopulation et Civilisation

    Cause vritable de la dpopulation - La natalit est en raison inverse de lacivilisation

    Pour M. Dumont la cause de la dpopulation se rsume en l'idalismeindividuel.- Dfinition : le dsir d'arriver au rang social le plus lev. - L'galitdmocratique est la cause premire de l'idalisme

    Distinguer l'galit en fait et l'galit en droit. - L'avnement de l'galit endroit diminue l'galit en fait et augmente le dsir de la lutte chez l'individu

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    Ce ne sont pas, ni notre pass monarchique ni notre pass religieux qui sontcause des vices de notre dmocratie. - Au contraire, la religion rend le mariagefcond

    La religion tendant perptuer le culte de la famille lutte contre l'idalismeindividuel

    La civilisation et la dmocratie n'amnent ncessairement l'infriorit vitaleque si le culte du foyer disparat

    Remde contre la dpopulation. - Vaut-il mieux multiplier les vies qu'lever lavie ?

    -12-

    Les ides sociologiques de Guyau

    Le livre de son ami M. Fouille. - Guyau ; sa prcocit

    Ses ides et sa morale. - L'expansion de la vie ; son accroissement et sonlargissement au dehors.

    Comment s'explique et se lgitime le sacrifice aux autres. - Le devoir est-ilune sorte d'instinct moral ?

    Le Risque mtaphysique de Guyau, - Importance des illusions et del'ignorance dans l'accomplissement du devoir. - La socit doit-elle entretenir cesillusions et cette ignorance, a-t-elle le droit et le devoir de mentir, dans l'intrt desa propre conservation ? - La socit doit combattre l'erreur et n'enseigner que cequ'elle croit tre la vrit

    Explicationsociomorphique des dieux par Guyau.

    Importance esthtique prts par Guyau l'ducation devenue pour lui l'Artsuprieur.

    L'volution des socits est une lente et difficile fusion des psychologiesindividuelles en une psychologie sociale.

    Cela suppose trois choses : l'accord des croyances (oeuvre de la religion),l'accord des dsirs (oeuvre de la morale) ; l'accord des sensations elles-mmes(oeuvre des beaux-arts). - Rites, jeu et jouissance. - Rle du culte : sourcereligieuse de l'art. - Le culte a t la premire forme de l'art industriel

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    Faut-il dire religion ou irrligion de l'avenir ? - Rle futur de la science

    Guyau pote ; ses posies sont comme la musique dont ses thories sont lelibretto. - Tyrannie de la tradition et de la coutume dans la versification. -

    Indpendance de Guyau.

    -13-

    Le suffrage dit universel

    Le suffrage universel a un grand mrite : il fonctionne. - Sa force consiste tre rput l'expression pure et complte, infaillible et indiscutable, de lasouverainet nationale, dogme menteur et ncessaire de l'ge moderne 439-440

    Mais est-il conforme l'opinion et la volont du pays ; les traduit-il avec unefidlit suffisante, tout au moins approximative ?

    I. - Les quatre cinquimes de la nation ne votent pas ; ils restent trangers laconsultation numrique de la nation. - Les femmes et les enfants devraient voter. -Le refus de les admettre au scrutin est la manifestation d'un instinct barbare (ledroit du plus fort) que le progrs de la civilisation doit refouler

    Pour les femmes et les enfants le vote aurait lieu par un mandataire lgal

    La part lectorale du clibat masculin devrait tre du seizime ; alors qu'elle

    est du quart avec le systme actuel

    Pourquoi il est injuste que la voix d'un pre de famille qui incarne en lui, 3, 4,5, 10 ttes diffrentes, n'ait pas plus de valeur que celle d'un clibataire de 21 ans,et puisse tre neutralise par elle.

    Rle prpondrant des clibataires dans notre dmocratie ; sa tendance devenir une phbocratie. - Diffrence avec les rpubliques antiques quiremettaient exclusivement aux vieillards, aux patres familias la puissancepublique. - Lassitude et indiffrence progressive des lecteurs pour la scrutin ;explication de cette fatigue

    L'lecteur de 20 25 ans devrait compter pour un ;L'lecteur de 25 30 ans devrait compter pour deux ;L'lecteur de 30 50 ans devrait compter pour quatre. cinq, six ; par suite de

    l'accroissement graduel de sa famille. - Plus tard, ses enfants devenus majeurs sonvote retomberait par degr.

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    Il ne faut pas se proccuper de savoir quel parti politique, un tel mode descrutin, serait profitable, mais seulement se bien pntrer de l'ide qu'il traduiraitl'opinion et la volont de la nation entire, avec beaucoup plus d'exactitude que lescrutin actuellement employ. - Conclusions.

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    Avant-propos

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    Ce livre est compos, en majeure partie, de morceaux dtachs quiont dj paru dans diffrentes Revues 1, des dates plus ou moins

    rcentes. Se rditer, s'exhumer ainsi soi-mme, en ce temps o lesmorts vont si vite, cela peut bien avoir l'air d'une vaine protestationcontre notre commune destine d'oubli. Mais cela n'est pas vraitoujours. Quand des articles pars ne sont que l'application d'unemme doctrine des actualits varies, rassembler ces feuillesvolantes en les rimprimant, ce n'est pas tcher de les faire revivre,c'est, vrai dire, les faire paratre pour la premire fois sous leurvritable jour, grce leur mutuel reflet qui les entre-claire. Commeleur union fait toute leur force, si force il y a, leur auteur vite de lasorte le dsagrment d'tre mal compris d'aprs un fragment incomplet

    de sa pense. C'est prcisment le cas des tudes qu'on va lire. Ellesont trait des questions du jour, des crimes ou des ides qui ont

    passionn l'opinion ; et j'y ai ml, non sans intention, desproblmes agits par les criminalistes des problmes plus gnraux

    1 Dans la Revue philosophique, la Revue des Deux Mondes, les Archives de l'anthropologiecriminelle, la Revue scientifique.

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    soulevs par les sociologues. Par ce mlange, j'ai tenu affirmer unefois de plus le caractre minemment social des recherches d'ordre

    pnal : c'est surtout considr comme un aspect singulier et nfaste

    des socits que le crime est instructif. Il est l'ombre porte de cesgrands corps, et, bien qu'il soit tmraire souvent de juger du corpsd'aprs l'ombre, les variations de celle-ci ne sont pas sansenseignement. Il semble que maintenant la ntre s'allonge, comme ilarrive au dclin des jours, et c'est pourquoi il importe d'y prendregarde.

    G. T.

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    -1-LE DUEL

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    Les nouveaux criminalistes ont cru, non seulement clairer, maistendre le sujet de leurs tudes, en tudiant, ct de l'homicide, lesuicide, et recherchant les rapports des deux. Mais je ne sais pourquoiils ont nglig les ressources que leur et offertes, au mme point de

    vue, une question tout aussi importante par son intrt thorique,sinon pratique, celle du duel. Si le suicide est la forme subjective del'homicide, le duel en est la forme rciproque, et, si l'on a pu allguer,sans le dmontrer, que la progression de l'homicide est en raisoninverse de celle du suicide, on pourrait tout aussi bien, ni mieux ni

    plus mal, plutt mieux que plus mal, essayer de prouver, comme je lehasarderai bientt, que l'homicide et le duel suivent une marche peu

    prs parallle en somme. Le duel, par suite, se rattache au meurtrebien plus intimement, bien plus rellement que le suicide ; et il est, je

    le rpte, surprenant que la criminologie, si porte largir sonterritoire par tant d'annexions rcentes, n'ait pas encore annex cefaubourg sa porte 1.

    1 Deux crivains distingus, M. Gil Fortoul, espagnol, clans sa Filosofla penal, M. Berenini,Italien, dans Offese e diffese (1891) rapprochent heureusement le duel et l'adultre commetant la fois des dlits amnistis par l'opinion aprs avoir t dans le pass des crimescapitaux. Un peu trange peut-tre, ce rapport entre un combat illicite et un amour illgitime

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    Je sais bien que le suicide est un fruit raffin de notre civilisation,qu'il crot et grandit avec elle, qu'il se propage dans chaque milieu et

    dans chaque pays suivant son degr d'lvation sociale, et dansl'arme en particulier d'aprs la hauteur du grade ; tandis que le duelest une survivance du pass, en train de diminuer numriquement etsurtout de s'adoucir, de devenir de plus en plus inoffensif, mesureque nous nous civilisons davantage, malgr une recrudescence peut-tre factice due au militarisme contemporain. Mais, prcisment parceque le duel est un anachronisme, sa persistance singulire est un

    problme trs curieux scruter thoriquement. Ici clate dans toute saforce inaperue la souverainet sociale de la coutume, de l'imitationdu pass, toute-puissante mme dans le cur des soi-disant

    contempteurs du pass. Elle se rvle encore mieux, cette suggestionatavistique, dans les raisonnements tranges, aussi absurdesqu'accrdits, par lesquels cette institution fodale, le plus sanglant oule plus ridicule lambeau des vieilles murs, s'efforce de se justifier,

    pour se dissimuler sa vraie origine.

    Pratiquement, cette tude n'est pas non plus ngligeable. Il y a loin,certes, des 8202 suicides de 1887 en France aux 53 duels qui ont eulieu parmi nous cette mme anne (si j'en crois l'Annuaire de

    Ferrus) ; d'autant mieux que, sur ces 53 rencontres, il y a enseulement trois morts. Trois Morts d'un ct, 8202 morts de l'autre ;l'cart est grand. Il peut paratre moindre, au premier coup dil, enItalie, o, en 1887 toujours, on comptait 1449 suicides et 278 duels ;mais ces 278 combats acharns, par bonheur, n'ont t mortels quedeux fois. Ce n'est point l un grand carnage. Le moindre accident dechemin de fer fait plus de victimes. On le voit, la question qui nousoccupe n'est pas de celles qui touchent de trs prs au progrs ou audclin de la population ; et, quand mme le changement des mursexorciserait pour tout de bon et jamais ce spectre attard de la

    chevalerie, la France ni sa voisine d'au-del des Alpes ne seraientgure plus peuples qu'elles ne le sont. Pourtant, c'est l uneconsidration bien superficielle ; et on a raison de ne pas s'arrter une objection analogue quand le problme de la peine de mort est

    de deux personnes. Mais il est certain que l'un et l'autre ont successivement connu l'excs dela plus terrible pnalit et l'impunit la plus complte.

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    remis sur le tapis. Qu'est-ce, a-t-on object aussi, qu'une dizaine dettes criminelles perdre ou sauver par an ; et quoi bon tants'occuper d'elles ? Leur peine, capitale ou non, n'est point, en tout cas,

    une affaire capitale. - Grave erreur. Si insignifiante que soit devenuela mortalit, cholrique dans une grand ville, la suite d'une pidmiede cholra, elle suffit faire redouter un retour offensif du flau ;aussi les mdecins s'acharnent-ils extirper cette dernire racine dumal, teindre ce dernier foyer de l'incendie. Bonne ou mauvaise, uneinstitution en dclin, aussi longtemps qu'elle n'est pas tout fait morte,est toujours susceptible d'un regaillardissement imprvu, la faveurd'un de ces caprices de la mode ou de ces vents rvolutionnaires qui sedchanent sans se faire annoncer. Il s'agit donc, avant tout, de savoirsi elle est bonne ou mauvaise, afin de lutter pour sa prcieuse

    conservation dans le premier cas, pour sa destruction complte dans lesecond. Il faut toujours raisonner dans l'hypothse o ce qui sembleun dbris pourrait redevenir un germe plein de sve et d'avenir. En1789, la veille de la Rvolution, la peine de mort tait depuislongtemps dclinante ; mais, si elle et t abolie alors, et que sonabolition et t consacre par l'usage, (ce que je suis loin de dsirer,du reste), il est possible que la Rvolution, ne trouvant pas cette armeredoutable sous sa main, et hsit l'exhumer d'un pass honni pouren faire usage ; il y aurait eu encore, sans doute, des massacres

    spontans ; peut-tre n'y aurait-il pas eu, ou y aurait-il eu moins, defrocits judiciaires. Qui et prvu en 1788 la Terreur ? Et, pourrentrer dans notre sujet, qui, avant les guerres de religion du XVIesicle, dans la France paisible et prospre de Louis XII, et prvu lafureur des combats singuliers que le dmon des batailles allait susciter cette horrible poque ? Nul ne peut affirmer avec quelque certitudeque le vingtime sicle, si nous lui lguons le duel, mme l'tat dedcrpitude o nous le voyons, ne lui rendra pas l'occasion savigueur sanguinaire d'autrefois. Voici que, depuis la guerre de 1870,toutes les armes europennes se mettent vanter cet exercice

    d'escrime, ce procd de rconciliation entre camarades ; les autoritsmilitaires, -a llemandes, italiennes ou autres - encouragent cesdispositions. Mais l'arme, prsent, c'est la nation ; acclimat dansles casernes, prconis et enracin comme institution militaire, le duelne tardera pas refleurir comme institution nationale. C'est le danger,lointain encore j'espre, mais bon prvoir et prvenir.

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    La division de notre sujet nous est naturellement indique. Ilconvient, d'abord, d'esquisser l'histoire et mme la gographie du duel,son volution dans le temps et mme sa rpartition dans l'espace. S'il

    est un phnomne social, en effet, dont l'intelligence soit impossiblesans la connaissance de ses phases antrieures et aussi de ses variantesextrieures, c'est assurment celui-l. En second lieu, nous occupantdu duel contemporain, nous aurons discuter quelques documentsstatistiques relativement ses progrs ou ses dclins, et prciserses caractres. Le duel militaire, comme espce frappante du genre,mritera une section part. - Enfin, remontant aux causes du mal, quenous trouverons principalement dans l'insuffisance de la protectionlgale et judiciaire de l'honneur, nous nous efforcerons de chercher lesremdes.

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    -1- Le duel

    Chapitre premier

    Le duel dans le pass

    I

    Retour la table des matires

    Rien de plus naturel, en toute espce animale, que de se battre avecun individu de son propre sexe, si ce n'est de s'accoupler avec unindividu d'un sexe diffrent. Nous voyons les taureaux entre eux, lesvaches entre elles dans les prairies, les coqs dans les basses-cours, selivrer des combats analogues aux scnes de pugilat de nos paysans l'auberge ou de nos coliers en rcration. Le duel, donc, pourrait-ondire, est tout fait conforme la nature, sinon la raison ; il faudraitchercher ses vritables sources dans les instincts du monde animal, ettout ce que le monde social y aurait ajout de particularits, de

    formalits, de rgles arbitraires, ne serait qu'une enluminure historiquede ce texte fourni par la vie. Mais c'est l un exemple entre mille deserreurs auxquelles on s'expose par l'abus du point de vue naturaliste.L'explication qu'on donne ainsi du duel n'explique rien ; car elleexplique aussi bien la guerre, l'homicide, les jeux du cirque, et tousautres exercices sanglants. Il s'agit de savoir pourquoi, - l'instinct decombativit tant donn, bien entendu, ainsi que la haine et la

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    vengeance, - ces forces vivantes ont reu une direction socialecapable d'imprimer leurs produits des formes si caractristiques et sitranges. Ces formes, - par exemple, rendez-vous heure fixe dans un

    lieu dsign, choix des armes, ncessit de tmoins, crmonial, - sontnon pas la chose accessoire, mais la chose essentielle ici. Or, s'il estnaturel de tomber bras raccourcis sur quelqu'un qui vous vole votrematresse ou mme vous insulte, il ne l'est pas de se contenir sur lemoment, d'aller chercher des seconds, de consentir se battre au

    pistolet ou l'pe, quand on ignore le maniement de ces armes, avecun adversaire qui y est pass matre ; et, assurment, il n'est pas decombat de btes qui ressemble la rencontre de deux gentilshommesfranais du XVIIIe sicle se faisant des politesses sur le terrain avantde s'entre-tuer.

    Tout au plus pourrait-on dcouvrir dans les socits animalesquelques traces anticipes de ce phnomne humain. Mais alors il est remarquer que les btes ont infiniment plus d'esprit que nous. Leduel, ou ce qui peut la rigueur paratre mriter ce nom, n'estraisonnable que chez les abeilles. Quand, dans une ruche, il y a parhasard deux reines, leurs sujettes, pntres de la maxime qu'on ne

    peut servir deux matres la fois, les entourent, les pressent, lesforcent se percer rciproquement de leurs aiguillons, jusqu' ce que

    l'une d'elles tombe morte sur le champ de miel. Ce conflit estncessaire ; mais quelle ncessit que, de deux hommes qui se sonttraits d'insolents ou d'imbciles, l'un disparaisse ? On ne voit pas queles peuples, l'instar des abeilles, aient jamais song faire battreleurs chefs pour vider des querelles o l'intrt seul de ceux-ci, non deceux-l, tait en jeu ; ni les Franais ni les Espagnols n'y ont contraintFranois 1er et Charles-Quint, ni les Romains Octave et Antoine, niles Grecs Achille et Agamemnon. Imaginaire ou rel, le dml de cesderniers est bien propre montrer que le duel tait inconnu desanciens : ces deux rois ont beau s'injurier publiquement, dans l'Iliade,

    jamais l'ide ne leur vient de croiser le fer. Supposez qu'ungentilhomme de la cour des Valois ait vu sa matresse enleve par ungrand seigneur, qu'il ait t en plein camp, devant l'arme, appellche et poltron, couvert de toutes les pithtes infamantes, et que,

    pour toute vengeance, il se soit enferm sous sa tente. Avec quelmpris Brantme, Montluc, d'Aubign et tous les crivains du temps

    parleraient de lui ! Telle a t pourtant la conduite du bouillant fils de

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    Ple. Juge avec nos prjugs, elle est d'une lchet inoue. Ce sontces prjugs dont il s'agit de rendre compte ; et il est clair, d'aprs cequi prcde, qu'il faut chercher leur berceau postrieurement

    l'antiquit grco-romaine.Est-ce dire que la nature humaine ait t pelleverse profond-

    ment depuis le monde antique ? Est-ce dire, comme on l'a dit, que lesentiment de l'honneur ft tranger au cur des Thmistocles et desAlcibiades, des Scipions et des Cicrons ? Si l'honneur est le dsird'tre honor, si tre, honor c'est tre jug, dans son milieu, serviableaux amis, redoutable aux ennemis, fidle aux engagements, incapablede trahir et de mentir, nos aeux de Rome et d'Athnes n'ont rien apprendre de nous sous ce rapport. Essentiellement vaniteux et vindi-

    catifs, proccups de l'opinion extrieure un point extraordinaire, ilsavaient tout ce qu'il fallait pour ressentir le point d'honneur avecintensit. N'importe, ils ont ignor le duel. Je n'appelle pas duel, eneffet, tout combat d'un contre un ; et, d'autre part, il y a eu aux XVIeet XVIIe sicles, de nos jours mme (par exemple Compigne, le 28

    janvier 1885, une rencontre au sabre entre six cavaliers du 13dragons), des combats 4, 6, 8 combattants qui taient de vrais duels,

    parce qu'une offense l'honneur leur avait donn naissance. Lecombat des six cavaliers dont je viens de parler ne peut nullement se

    comparer celui des trois Horaces contre les trois Curiaces ; et alorsmme qu'il n'y aurait eu qu'un seul Horace se battant contre un seulCuriace, cette bataille par dlgation, inspire par une gnrosit

    patriotique o l'amour-propre ulcr et la vengeance exaspren'entraient pour rien, ne serait pas un duel. Je suis de l'avis de M.Cauchy, dans son savant ouvrage 1 : Ces mots de duel, de combat

    singulier, sont trop vagues, car ils se rapportent seulement au nombredes combattants et non au motif qui leur a fait prendre les armes . Lemotif est l'me des actes ; il n'y a rien de commun que le nom entrel'homicide par vengeance et l'homicide par cupidit, entre le suicide

    hindou par pit religieuse et le suicide europen par dsespoir ou parfolie ; il n'y a pas plus d'identit relle entre le duel vritable, qui a

    pour cause l'honneur bless, et celui qui a lieu pour la patrie ou lagloire militaire. Les batailles homriques n'taient en ce dernier sensqu'un certain groupement de duels simultans entre Grecs et Troyens ;

    1 Du duel, par Eugne Cauchy, 2 vol. (Guillaumin, 1863).

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    et ce serait cependant perdre son temps que d'y chercher le berceau duduel moderne. Il n'en est pas moins vrai qu'il convient de rectifier cequ'il y a d'exagr dans l'ide prcdente ; bien souvent un mme acte,

    en se rptant d'ge en ge, change d'me, comme un organe demeuridentique dans sa forme essentielle change de fonction ; et dans cecas, qui est le cas du duel, il est utile, pour le bien connatre, de suivrel'enchanement de ses mtempsycoses avant celui de ses mtamor-

    phoses. Deux transformations bien distinctes d'ailleurs, et qu'il faut segarder de confondre dans le terme unique d'volution. Depuis le XVIesicle, le duel, rellement clos, s'est simplement mtamorphos ;mais auparavant il s'tait mtempsycos pour ainsi dire.

    II

    Retour la table des matires

    Rendons justice qui de droit : aux anctres des Allemands revientl'honneur d'avoir conu et enfant l'embryon de cette coutume

    barbare. Chez les Germains, d'aprs Tacite, tait usit le procddivinatoire qui suit. Les gnraux ne se faisaient pas assister d'augures

    qui gorgeaient des poulets sacrs, comme chez les Romains ; non,mais avant de livrer bataille, on faisait battre ensemble un prisonnierennemi et un guerrier, et d'aprs l'issue de ce combat singulier, onaugurait bien ou mal de la bataille projete. C'tait une manirecomme une autre d'interroger la divinit. De l faire servir le mmemoyen de divination pour dcider, dans les procs obscurs, civils etcriminels, et avant tout jugement, de quel ct tait le bon droit ou laculpabilit, il n'y avait qu'un pas facile franchir. Il fut franchi dsavant le moyen-ge ; car si la loi Gombette, en 501, autorise etrglemente la preuve par combat, elle ne l'a certainement pas invente.

    Nul lgislateur n'est, ni n'en peut tre l'inventeur. Il rsulte du textemme de cette loi que la cruelle procdure autorise par elle s'taitdj introduite et avait eu un grand succs. Gondebaud n'a fait quesuivre cet entranement,et ce qui le prouve le mieux, c'est qu'il cherche se prouver lui-mme le contraire, comme feront aprs lui tous lesapologistes du duel, mme notre poque, en lui dcouvrant aprscoup les avantages les plus imaginaires et les plus tranges. Le duel a

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    du bon, dit le roi bourguignon dans ses motifs, il est un remde auparjure des plaideurs. Cela peut faire pendant la raison allgue parun gnral au snat italien : le duel d'aprs lui, est un moyen de

    raccommodement entre officiers. Nous avons reconnu avec peineque le plus souvent on ne craint pas d'offrir le serment sur des chosesque l'on ignore, ou de se parjurer au sujet de celles que l'on sait.Voulant dtruire une aussi criminelle habitude, nous ordonnons icique, si la partie laquelle le serment aura t offert le refuse etdclare, dans sa confiance en la vrit de son dire que son adversaire

    peut tre convaincu par les armes, les juges ne dnient point lecombat. Ainsi, pour viter que les plaideurs se parjurent, on permetqu'ils s'entre-tuent ; et voil le meurtre lgal suffisamment justifi ! Etce raisonnement a paru si convaincant que, cinq sicles plus tard,

    comme le remarque Cauchy, Otton-le-Grand s'y appuie lui-mmepour substituer, chez les Lombards, la preuve par combat la preuvepar serment. Au XVIe sicle, on argumentera en faveur du duel eninvoquant l'exemple biblique de David et de Goliath ; au XVIIIesicle, on dira qu'il a contribu la politesse des conversations, etc. Jele demande encore, aprs avoir pos ailleurs la mme question

    propos de bien d'autres sujets, l'hypnotise qui cde une suggestionabsurde, en se persuadant obir la raison qu'elle allgue, procde-t-elle autrement que tous ces grands personnages, parmi lesquels j'ai le

    regret de compter Charlemagne lui-mme ? - Il est pnible d'avoir constater que jamais invention salutaire l'humanit, jamais libertprcieuse, octroye par un prince, ne fut accueillie avec autantd'enthousiasme que la facult de se battre judiciairement. peine laloi Gombette est-elle promulgue, aussitt, d'aprs Saint-Avit, nonseulement les individus valides mais les infirmes et les vieillardscourent au combat pour les plus futiles motifs, et dans ces conflitsatroces surviennent beaucoup d'homicides injustes. C'est une rage,contre laquelle les foudres mmes des conciles et les menaces del'enfer sont impuissantes.

    On peut se demander incidemment pourquoi, de toutes les ordalies,le duel judiciaire a eu seul la chance de persister jusqu' nos jours,tandis que d'autres, telles que l'preuve par le fer rouge, n'ont laissaucune trace aprs elles. Assurment, toute stupide qu'elle tait, cettedernire tait moins dangereuse, si j'en crois les dtails qui nous sontdonns sur elle par Dareste dans sestudes sur l'Histoire du Droit. En

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    Hongrie, o l'preuve par le fer rouge, qui le plus souvent tait un fer peine chaud, a t pratique jusqu'au XIIe sicle, on a toujoursconstat qu'elle tait fort peu redoute des patients. Encore une fois,

    qu'est-ce qui a mrit au duel de durer plus longtemps que cetteordalie anodine ? Je ne me charge pas de l'expliquer, autrement quepar un caprice de l'imitation.

    Entre le duel divinatoire des Germains et le duel moderne, le dueljudiciaire sert de transition. Comme le premier, il est fond sur unecroyance superstitieuse et rpond au besoin de connatre ou de

    prouver. Mais dj le mobile de la vengeance y apparat ; le guerriergermain et le prisonnier ennemi qui se battaient n'avaient aucun grief

    personnel l'un contre l'autre, tandis que les plaideurs qui se frappent

    d'estoc et de taille sous les yeux du juge ont eu se plaindre l'un del'autre. Toutefois, la curiosit du juge qui cherche savoir o est le

    bon droit, sinon la curiosit des combattants eux-mmes qui attendentpeut-tre de l'issue du combat la solution de leurs doutes inavous surle mrite de leur cause, est le besoin principal que ce duel cherche satisfaire. Le besoin de se venger d'une offense et de rendre mal pourmal n'est ici que secondaire. Aussi le duel proprement dit a-t-il, jecrois, une autre source encore que le combat judiciaire ; il est leconfluent d'une double volution, celle du combat judiciaire et celle

    des guerres prives qui ont dsol le haut moyen-ge. Si l'on ne lerattache cette seconde source, la ncessit des assistants servant detmoins ne s'explique en aucune manire. Il n'y avait pas de tmoinsdans le combat judiciaire ; pour tmoin unique, il y avait le juge, dontle rle tait tout diffrent, - ainsi que celui des quatre chevaliers quigardaient le champ-clos : ceux-ci n'avaient nulle part dans la querelle.Mais quand un baron d'alors avait se laver d'une injure adresse parun de ses pairs, il sortait de son chteau avec sa petite troupe etravageait les terres de l'offenseur, charge de revanche, ce qui donnaitlieu des escarmouches continuelles consacres par la coutume. Le

    droit de guerre prive est rput le plus noble privilge fodal ; il taitl'image d'un droit royal, et semblait faire des seigneurs autant de petitsrois. L'glise, dsesprant de le supprimer, n'a pu que le restreindre

    par la trve de Dieu. On appelait ainsi l'obligation impose l'offensde laisser s'couler quarante jours avant d'entrer en campagne. Cedlai, qui permettait aux passions de se calmer, ou l'offenseur des'armer pour se dfendre, moins qu'il ne compost, tendait adoucir

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    et rglementer la vengeance d'une manire comparable celle duduel moderne qui veut qu'on diffre un certain temps, qu'on ajourne heure fixe la rparation d'une offense, et que les conditions de la lutte

    soient galises. La guerre prive, avant la trve, tait le plus souventun change de prjudices, une srie de reprsailles, comme la vendettacorse qui consiste en assassinats alternatifs, ou alternativement tents.Aprs la trve, elle devint une suite de vrais combats. Par l se vrifiele passage habituel de 1'unilatral au rciproque que j'ai cru pouvoirriger en loi 1.

    On comprend sans beaucoup de peine comment la guerre prive apu susciter le duel. Si les barons tenaient beaucoup leur privilgebelliqueux, ils en souffraient normment, et l'on a d s'efforcer de

    rduire ce mal si cher aux moindres proportions. Comme suitenaturelle au progrs qu'avait opre la trve de Dieu, on en vint, danschacune de ces expditions commandes par la coutume tyrannique,excutes parfois sans entranement, se concerter pour ne mettre en

    prsence qu'une poigne d'hommes des deux partis, au lieu de faireune leve gnrale des vassaux. Chacun des deux chefs, n'emmenaitavec lui qu'une faible troupe, deux ou trois compagnons seulementdans certains cas, et tait appel se mesurer personnellement avecson adversaire. Les seconds, dans nos duels, reprsentent ce reste

    rudimentaire des deux armes seigneuriales. C'est l'opinion deCauchy. Peut-tre cependant serait-il plus exact de dire qu'ils repr-sentent les sicaires, les assassins dlgus ou auxiliaires, dont les

    barons firent usage au fur et mesure que l'extension du pouvoirmonarchique 2 les empcha de guerroyer ouvertement les uns contreles autres. la guerre prive s'est substitu de la sorte l'homicide parmandat 3, dont le duel n'est, en somme, que la mutualisation, pour

    1 Je me permets de renvoyer sur ce point mes Lois de 1'Imitation (Alcan, 1890 ). [Textedisponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

    2 D'abord Philippe-le-Bel dicta que la guerre du roy suspendrait les guerres des seigneurs ; cequi tait une trve du roi ajoute celle de Dieu. Puis, aprs la guerre de Cent ans, la miliceroyale, devenue permanente, fut assez forte pour oser supprimer les milices fodales.

    3 La guerre prive obligeait souvent les barons - ou en Italie les cits rpublicaines - stipendier des troupes mercenaires, faute d'une milice suffisante lever sur leur propreterritoire. Or, les condottieri qui conduisaient ces hordes, n'taient-ce pas des chefs de sicaires la solde non des particuliers mais des tats ou des principauys ? Il est certain que l'poqueo fleurissait en Italie le condottierisme est aussi celle o le sicarisme y prosprait, et l'on doitpenser que la plus vieille de ces deux institutions, la premire, a suscit l'autre, ne sonimage et ressemblance.

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    ainsi parler, en tant qu'il oblige les seconds, comme cela avait lieu auXVIIe sicle encore, se battre eux-mmes.

    Avant de disparatre entirement devant son remplaant, la guerreprive s'est prolonge jusqu'au seuil de l're moderne, et mme elle aeu sa reprise momentane au XVIe sicle. Alors le mme phnomnes'est reproduit, attest par les historiens ; et il peut servir de preuve l'hypothse ci-dessus. Dans son discours sur les duels 1, Brantme ditque, avant l'poque o la grande mode des combats singuliers a svide son temps, deux gentilshommes qui s'taient offenss devaient par

    prudence se faire accompagner en tout lieu, mme dans les rues, d'unelongue escorte de gens arms, recruts d'ordinaire parmi les enfantsde la mate (c'est--dire les filous), les espadassins et autres

    individus de mme acabit. Si bien que, se rencontrant dans une ruede Paris, mme la cour (mais cela peu souvent, car l'on craignait laMajest et son prvost de l'hostel), l on se tuoient et s'estropioient lesuns les autres comme mouches et bestes . Il a vu cela frquemment Paris, ajoute-t-il, mais surtout Milan o, la dernire fois que j'yfus, j'y demeuray un mois... pour apprendre tirer des armes du grandTappe, trs bon tireur d'armes alors ; mais je jure que, tant que j'y fus,il ne se passa jour que je ne visse une vingtaine de quadrilles(d'escadrons de cavaliers) de ceux qui avaient querelle se promener

    ainsi par la ville ; et, se recontrant, se battoient et se tuoient, si bienqu'on en voyant sur le pav tendus en place une infinit, encor qu'ilsfussent arms dejache maniche, ganti de presa etsegreta in testa (de

    jaques de maille, de gantelets et d'une secrte en tte) . Or, l'entretiende troupes pareilles tait fort coteux ; les truands ont bon apptit, leur

    profession est d'aller s'offrir quiconque peut avoir besoin d'eux, et ilsentendent gagner ce mtier. Il y avait donc conomie d'argent, etsurtout de sang, remplacer ces leves de bandits par des cartelsrguliers. Puisque de deux maux il faut choisir le moindre, j'arguequ'en tels combats (les duels) il n'y a que deux ou trois au plus qui

    meurent... on n'y voit point arriver tant d'abus, de dsordres,supercheries et inconvnients comme en ces rencontres de bandescontre bandes. Aussi, dans plusieurs armes, a-t-on vu alors lesgnraux, par exemple le prince de Melfe en Pimont, rendre desordonnances par lesquelles le duel tait impos comme unique moyen

    1 Discours sur les duels, de Brantme (Paris, 1887), voir p. 143 et suiv.

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    de vider les querelles. Ces ordres, il est vrai, au dbut furent un peurudes tenir, mais, aprs en avoir fait pendre une douzaine, un chacuneut crainte et fut sage , c'est--dire se borna tuer, pour un mot

    aprs boire, un ou deux de ses camarades ou tre tu par eux, au lieude risquer, pour ce mme motif, la vie de tous ses amis et des leurs.On conoit, en somme, le succs du duel au XVIe sicle : cette fortesaigne vitait une hmorragie mortelle. De notre temps qui et quoi sert la petite saigne qui en est l'image ?

    III

    Retour la table des matires

    Le duel est constitu au XVIe sicle ; l're de satranssubstantiation pour ainsi dire est close. Il continuera sans doute se transformer ou se modifier jusqu' nos jours, par sa descentegraduelle des hauteurs de la noblesse aux dernires couches du

    peuple, conformment la loi de l'imitation du suprieur parl'infrieur 1 ; il ira aussi se prcisant de mieux en mieux dans sesrgles et son tiquette de plus en plus uniformes, en vertu d'une autre

    loi de l'imitation2

    . Mais ses traits essentiels ne changeront gure, samorphologie est peu prs acheve. Arrtons-nous un instant pourremarquer en lui la trace manifeste des origines diverses que nous luiattribuons. Du duel divinatoire et du duel judiciaire, il a retenu lecaractre mystique ou superstitieux, la prsomption de culpabilitattache la dfaite. De la guerre prive et de l'homicide par mandat,il a retenu la ncessit d'une escorte appele seconds ou tmoins, et,

    par malheur aussi, le droit la perfidie, la dloyaut mme et lafrocit dans une mesure telle que le duelliste alors et l'assassin seconfondent souvent 3. - Sur ces deux points la preuve abonde.

    1 V. nos Lois de l'imitation. p. 243 et suiv.2 Voir ibidem, p, 214 et suiv.3 Observons que ces deux sources du duel, la guerre prive et le duel judiciaire, s'enchanent

    l'un l'autre par un lien que les lois de l'imitation servent expliquer. Le succs du dueljudiciaire au moyen ge tient en grande partie ce qu'il a paru tre, et a t en effet, unecopie, l'usage des roturiers eux-mmes, de la guerre prive, qui tait le privilge des nobles.

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    En premier lieu, on voit, par la lettre de Henri Il autorisant lefameux duel de la Chtaigneraye et de Jarnac en 1547, que, cettepoque, le duel tait rput encore jugement de Dieu, argument

    suprme dfaut d'autre raisonnement, ultima ratio virorum. Le roipermet aux deux adversaires de se battre parce qu'il n'est pas possiblede prouver autrement si Jarnac a menti ou non en tenant les proposdiffamatoires qui lui sont reprochs. Les grands de ltat lui ont faitentendre que les causes du diffrend taient hors de preuve ; aumoyen de quoi la vrit ne peut tre sue ni l'innocent justifi que parles armes. Henri Il tait si bien persuad de la validit d'une telle

    preuve que d'avance il condamnait le vaincu 1 de ce combat tredchu de noblesse, dgrad de tous titres, dshonor. Du reste, Jarnacet la Chtaigneraye taient pntrs de la mme conviction. Le

    second, dans son cartel adress au premier, s'exprime ainsi : Je vousenvoie la patente du camp qu'il a plu au Roy m'octroyer, dedans lequel(camp) je veux vous prouver avec armes offensives.. que vous avezdit que vous avez couch avec votre belle-mre 2 et l'avez chevau-che... Ce n'est pas l un fait isol. En 1559, lors de la disgrce deDiane de Poitiers, on voulut, dit Forneron 3, la faire condamner son tour par un duel qui eut lieu avec le mme apparat que le

    prcdent. On pourrait citer d'autres exemples. Aprs tout, elle nelaisse pas d'tre touchante, cette foi nave en la force divine du droit,

    et il nous sirait mal d'en rire, si nous n'avons lui opposer que notrefoi nouvelle au droit divin de la force. - Du reste, tout vestige de cettesuperstition a-t-il disparu la fin mme du XIXe sicle ? Je n'enrpondrais pas. Quand, une date rcente, M. Floquet s'est battu avecle gnral Boulanger, l'issue du combat tait attendue par les deux

    partis politiques de la France avec une anxit o l'on sentait l'ideinconsciente que l'honneur de chacun d'eux tait intress dans cetteescrime de deux hommes. Il est certain que le coup d'pe reu par legnral, vaincu contre toute attente 4, a t la premire atteinte

    1 A la vrit il tenait pour presque certain que son favori La Chtaigneraye, serait vainqueur.Mais on sait que l'vnement trompa son attente.

    2 La seconde femme de son pre.3 Les ducs de Guise,4 L'observation montre cependant que, dans les duels entre militaires et civils, ces derniers ont

    d'ordinaire l'avantage ; ils l'auraient mme 99 fois sur 100, en Allemagne, en Autriche, enFrance, en Italie, en Espagne, partout, si l'on en croyait la Revista penale (mai 1890. p. 444). -

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    srieuse au prestige du pseudo-Csar et a fait singulirement plir sontoile. C'est ainsi qu'aprs la dfaite, encore plus inattendue, du braveChtaigneraye, tout le parti du roi se sentit humili et comme

    dshonor. - Dans sa brochure, intressante d'ailleurs, sur leDuel1

    , leDr Teissier n'est pas loin de partager ce sentiment ; il en prend toutjuste la moiti. Suivant lui, le duel, non pas au pistolet, mais l'pe,donne habituellement la victoire au bon droit. Celui qui a demandle combat, tant offens, est le plus souvent vainqueur, car elle (l'pe)ncessite une grande confiance en soi-mme et la conviction entireque l'on cherche dfendre son honneur injustement attaqu. Cetteopinion, sans doute, est exceptionnelle parmi les savants ; mais ellesemble rgner implicitement dans le monde des romanciers et desdramaturges. Neuf fois sur dix, quand les hros d'un roman ou d'une

    pice de thtre vont sur le terrain, c'est le personnage sympathique etintressant qui triomphe. V victis, est la devise des littrateurs aussi

    bien que des barbares.

    En second lieu, il suffit de lire une histoire quelconque des moeursde la cour et de la noblesse sous les derniers Valois, ou de parcourirl'ouvrage de Brantme cit plus haut, pour savoir combien de guet-apens, de cruauts froides, d'assassinats dguiss, servait de pavillonle nom de duel. Dans le combat de 1559, autoris par le roi, dont il a

    t question plus haut, le parent de Diane de Poitiers, Matas, dfipar le jeune Achon de Mouron, dsarma son adversaire, ddaigna dele frapper pour imiter Jarnac qui n'avait pas tu La Chtaigneraye, luitourna le dos et remonta cheval. Pendant ce temps, Achon, ayantramass son pe, courut aprs lui et lui donna un grand coup d'pe travers le corps. Matas tomba mort 2. Achon ne fut pas poursuivi,

    bien que cet homicide se doublt d'ingratitude ; car, d'aprs la moraledu temps, Matas aurait eu le droit, frquemment exerc, de l'acheverune fois terre. - Sous Henri IV encore, les duels sont froces. Untype de duelliste enrag est Lagarde-Valon 3. Il crivait aux gens

    que poursuivait sa haine des billets dans ce style . Ta maison encendres, ta femme viole, tes enfants perdus. Ton ennemi mortel,

    Cedant arma tog. Si le prjug de la preuve par combat subsistait encore dans toute savigueur, ce rsultat serait crasant pour l'honneur de l'arme.

    1 Le duel au point de vue mdico-lgal, par le Dr Teissier (Storck, l890).2 Hist. des ducs de Gutse, par Forneron.3 Hist. anecdotique du duel, par Colombey (1863).

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    Lagarde. Sont-ce l des lettres d'assassin ou de spadassin ? Eh bien,ce criminel-n tait trait d'ami intime par les grands personnages deson temps. - Sous Louis XIII, les guerres de religion se rallument, le

    duel refleurit ; on cite alors celui de deux provenaux qui, dans unemme barrique, s'gorgrent coups de couteau, ou cet autre de deuxseigneurs qui, se tenant par la main gauche, se poignardrent avec ladroite, ou le cas de ce chevalier d'Andrieux qui, trente ans, avait tuen duel soixante-douze hommes. Tallemant des Raux conte que,deux gentilshommes s'tant querells dans une chambre, l'hiver,l'offens plus vigoureux, empoigne l'autre, le porte sur le feu et l'y faitgriller. Sommes-nous chez des sauvages ?

    Mais c'est surtout au XVIe sicle, et pendant le feu des guerres

    civiles, que les rapports du duel avec la guerre et l'assassinatapparaissent clairement. Les mots despadassin et desicaire ont passalors de l'Italien dans notre langue, - de mme que les termes decharlatan et de bouffon. Malheureusement l'importation des chosesavait prcd celle des mots. Des sicaires de profession, en ce temps-l, ont t dcors, anoblis, publiquement rcompenss 1 par des

    princes et des rois. On comprend ce qu'un tel exemple, propag dehaut en bas, a pu engendrer d'pidmies sanguinaires. Sully, le

    pacifique et intgre Sully, parle comme il suit, dans ses mmoires, de

    la manire dont se sont conduits Duras et Rozan, dans leur duel avecle vicomte de Turenne sur une place publique d'Agen, en 1579. Ondit... qu'ils n'avaient obligation de l'avantage qu'ils avaient eu surTurenne qu' une finesse peu permise. Cette finesse peu permiseconsistait en ceci : au moment o Turenne et son second, vainqueurs,avaient la gnrosit de relever leurs adversaires, des assassinsembusqus par ceux-ci, neuf ou dix hommes arms, fondirent sur levicomte et le laissrent sur la place perc de vingt-deux coups , dontil trouva moyen, d'ailleurs, de ne pas mourir 2.

    Quant Brantme, qui reflte exactement les sentiments morauxde ses contemporains de la haute noblesse, il faut le lire pour se faire

    1 Hist. des ducs de Guise, par Formeron, tome II, p. 136 et 379.2 Ceux qui ont lu ma Philosophie pnale remarqueront peut-tre combien les faits cits ici et

    plus loin viennent l'appui des ides que j'ai dveloppes dans ce livre, p. 328 et S., surl'action morale et immorale des classes suprieures.

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    une ide de ce qu'a d avoir de dmoralisant pour tout un public deroturiers le spectacle d'acteurs la fois si brillants et si vicieux, si

    braves et si cruels, si hroques et si criminels, objets de l'admiration

    et de l'envie universelles. Leurs vices et leurs crimes tant plus faciles copier que leurs vertus et leurs exploits, on devine la porte de leurexemple, prolong en bas indfiniment longtemps aprs la rforme etl'adoucissement des murs dans ces sphres suprieures. Le discours

    sur les duels scandalise bon droit l'auteur de la prface, M. de Pne,par l'normit des manuvres dloyales et des horreurs qui s'y talentavec candeur. Il est certain pourtant que nos duels d'aujourd'huidrivent de ceux-l en droite ligne, mais ils leur ressemblent comme ledebitum conjugale, machinal et officiel, de deux vieux poux,ressemble aux bats de deux jeunes amants. Et c'est mme l une

    raison de plus de souhaiter son abolition dfinitive : ne vient-il pas unge o ce que deux vieux poux ont de mieux faire est de renonceraux jeux de la jeunesse ? - Brantme pourtant a ses instantsd'indignation ; il partage celle d'un duelliste qu'on souponne de porterdes charmes sur lui et qui refuse de se laisser fouiller pour leschercher, tout en ne se faisant aucun scrupule d'employer desstratagmes perfides, bien autrement efficaces qu'un billetncromancien 1. Non seulement chacun avait ses bottes secrtes, etle secret des inventions d'escrime tait gard comme prsent celui

    des inventions industrielles (ou mme mdicales) les plus prcieuses,mais encore combattre armes ingales tait permis. Il est vrai quecombattre le torse nu, comme prsent, et paru de la derniresauvagerie. - Au demeurant, la casuistique du duel commence s'laborer alors, et Brantme parle souvent de fameux docteursduellistes . Mais c'est dans les deux sicles suivants que ce singuliercode et cette absurde tiquette achvent de se perfectionner.

    Il y a l toute une parade et un crmonial chevaleresques qui ne secomprendraient pas si, aux deux sources dj reconnues du duel, on

    1 D'aprs une communication due l'amicale obligeance du Dr Corre dont les tudes sur lesmurs des croles ont t si justement apprcies, les duels croles, qui gardent tout faitl'allure pompeuse d'autrefois, ont retenu aussi du duel ancien le ct superstitieux. Le DrCorre a pris copie d'un cahier de formules relatives la prparation de charmes propres assurer le triomphe d'un duelliste ou d'un amoureux. Il y a maintes recettes pour charmer lesarmes. Je ne les transcris pas. Elles prescrivent des prparations de dos de serpent dans del'esprit de vin, ou des mlanges de laudanum avec de l'eau bnite, un oeuf couv, de l'eau demer, etc. (Corre. Le crime en pays croles. Lyon, Storck, 1890).

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    n'en ajoutait une troisime : les tournois. Cette varit importante desjeux militaires du pass, usite ds le IXe sicle, rglemente parGeoffroy de Treuilly en 1066, a servi de modle au duel sous certains

    rapports extrieurs et superficiels. Dans l'ordonnance de 1306, quirestreint le combat judiciaire en le rglementant, Philippe-le-Bell'astreint un appareil thtral, une procdure solennelle,manifestement imite des tournois. Et, entre parenthses, je ferairemarquer combien cette forme crmonieuse, succdant unextrieur beaucoup plus simple, s'accorde peu avec les ides deSpencer sur le gouvernement crmoniel des temps primitifs, -Philippe-le-Bel n'a fait, d'ailleurs, en rapprochant les deux institutionsdont il s'agit, que consacrer les tendances de son poque. Les dames,qui taient l'inspiration unique, mystiquement amoureuse, des

    tournois, sont devenues l'occasion de plus en plus frquente des duelsdans une socit en voie de civilisation. La magnificence, le luxed'armements et d'apprts, qui taient de rgle dans les tournois, se sontintroduits peu peu dans certains duels, par exemple dans celui deJarnac qui a commenc par ruiner en frais son adversaire avant de leterrasser. Les tmoins des duels ont fini par se modeler sur les jugesdes tournois, qui taient chargs de veiller l'observation des usages, l'emploi des prcautions dans l'intrt des combattants, et de mesurerles pes afin qu'elles fussent toujours gales. Quand le tournoi est

    mort avec Henri II, il s'est mis peu peu ressusciter dans les formesdevenues plus polies et plus inoffensives du duel 1, qui est alls'loignant de ses origines superstitieuses et froces. Le duel, simpleminiature prsent ou plutt caricature de tournoi, sans clat, sansgrce et sans femmes.

    1 En mme temps que le tournois, mtempsycos, se continuait ainsi dans le duel polic etadouci, il se transformait d'une autre manire par le carrousel . Dans sa remarquable vuegnrale sur l'histoire politique de l'Europe, M. Lavisse observe qu'il est assez trange de voir, l'origine des temps modernes, qui ont inaugur l're de la guerre perptuelle aprs dessicles relativement paisibles, le tournoi dangereux devenir le carrousel inoffensif, et lechevalier belliqueux devenir le cavalier mondain. Cela prouve qu'il ne faut pas toujours jugerdes murs d'un peuple d'aprs la nature de ses plaisirs. C'est pendant la longue paix del'Empire romain et l'adoucissement universel des mes, que s'est rpandue la mode des jeuxdu cirque.

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    IV

    Retour la table des matires

    Voil donc le duel maintenant tout form, hritier des sottises etdes atrocits de la barbarie, combines avec les brutales lgances dela chevalerie : pave de la fodalit pieusement recueillie par notredmocratie. Admirons d'abord la longvit de cette absurdit ; elledure depuis plus de neuf sicles si l'on remonte ses lments. Lesdmentis n'ont pas manqu, certes, ds le dbut, au prjug sur lequel

    la preuve par le combat tait fonde. En 1385, un gentilhommenomm Legris, accus d'avoir outrag et viol la dame de Carrouge,fut vaincu en combat judiciaire et, par consquent, pendu. Mais, aprssa mort, le vritable coupable du crime fut dcouvert et avoua.

    N'importe, le crdit de cette sanglante ineptie n'en fut gure diminu,pas plus que ne l'tait, chez les Athniens mmes, celui du temple deDelphes, aprs la fausset dmontre de l'un de ses oracles. Brantmeest encore trs convaincu que la dfaite en duel est une punition divine(p. 52 et s.) soit parce qu'on a une injuste cause, soit pour d'autres

    fautes passes . Il sait bien qu' Rome, deux gentilshommes s'tantbattus pour s'tre reproch l'un l'autre le vice infme, celui qui entait tach fut vainqueur, et contraignit son ennemi, pur de cettesouillure, le dclarer homme de bien et d'honneur. Mais ce sont ldes secrets de Dieu . Combien a-t-il vu aussi de cavaliers triompheren duel pour dfendre l'honneur de leurs dames, encore qu'ellesfussent les plus grandes p... du monde, et connues pour telles d'eux et de bien d'autres ! Mais c'tait leur devoir d'agir ainsi. De nos jours,si l'on comptait les duels o le bless a eu raison, cette statistiquedcouragerait-elle les duellistes ? Nullement. On peut dire, il est vrai,

    qu' prsent, dans ces combats devenus de plus en plus singuliers, iln'y a, en gnral, ni victoire ni dfaite ; le bless n'y est pas vaincu, iln'est qu'un perdant un jeu de hasard : quatre fois sur cinq , ou neuffois sur dix, il pourrait continuer se battre, sans l'interposition destmoins. Mais c'est bien l ce qu'il y a de plus trange, une institutionqui se survit alors qu'elle a visiblement perdu toute signification ; etrien ne montre plus nu la force de la routine.

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    Je sais bien que, sous cette routine, il y a la nature humaine 1; que,sous cette forme du duel, imitativement rpte d'ge en ge et de

    peuple peuple, coutume fodale ravive en mode intense au XVIesicle et redevenue coutume routinire de nos jours, il y a un fondorganique et physiologique, inn, non imit, une passion naturelle devengeance et de talion, qui s'exprime par elle, et se satisfait par elle.Mais cette passion mme, cette tendance spontane rendre mal pourmal, qui est propre toute vie animale, qui est aussi naturelle quel'irritabilit des tissus vivants, pourquoi est-elle sujette desalternatives historiques d'exacerbation ou de rmittence ? Pourquoi sedveloppe-t-elle dans tel ou tel sens, et revt-elle des couleurs sidistinctes, Florence, Madrid, Paris, au XVIe sicle, au XVIIIe, au

    XIXe ? L'entranement de 1'exemple, de l'exemple des pres ou decelui des contemporains jugs suprieurs, rend seul compte de cescrises et de ces dveloppements caractristiques. Le franais, cela estcertain, tait plus vindicatif sous Henri III et sous Louis XIII qu'il nel'est aujourd'hui ; en outre, il l'tait autrement. La race pourtant n'a paschang. Un simple dmenti tait alors une injure plus blessante que lespithtes mmes de lche et de tratre, et le dshonneur tait, non dementir, au vu et su de tout le monde, mais de se laisser dire qu'on avaitmenti. Ne faut-il pas demander la raison de tout cela, en grande partie,

    au contact des gentilshommes franais avec les noblesses italiennes ouespagnoles pendant les guerres d'Italie, et, pour une part aussi, aucontact des franais entre eux, plus frquent que jamais, dans les courset les armes, la mutuelle mulation des amours-propres qui s'yenflaient dmesurment sur le modle des orgueils castillans et desvanits romaines ? Cette enflure des cours n'est-elle pas toute

    1 Quand je dis que tout phnomne social, en tant que social, est une imitation ou un composd'imitations, je n'entends pas dire que l'on imite toujours pour imiter. Rarement l'imitation sesert de but elle-mme et se rduit une simple moutonnerie ; le plus souvent elle s'emploie satisfaire un besoin diffrent ; mais c'est une ncessit sociale que, pour atteindre un butquelconque, nous choisissions un moyen copi ou fait de copies ; et, en outre, ce but, lui-mme, ce besoin, s'il a son germe premier dans l'organisme humain, s'est dvelopp en nouspar suggestion ambiante, par imitation inconsciente, tandis que d'autres besoins, tout aussifonds sur la nature humaine, diminuaient, avortaient peu peu, toujours par imitation. Sil'ont tient compte de ces considrations, on verra que je n'ai pas exagr l'importance de monprincipe sociologique.

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    espagnole ? 1Cette indulgence la perfidie et au mensonge, malgrcette indignation contre le dmenti, n'est-elle pas toute italienne ?

    C'est, en effet, l'Italie, probablement, qui a t le berceau du duelmoderne, au XVe sicle. De ce foyer brillant ont rayonn sur lemonde europen, avec les arts, les lettres classiques et la politiquenouvelle, la religion de la vengeance, culte traditionnel de ce pays, et,

    par suite 2, ses rites principaux, la pratique de l'empoisonnement,l'emploi des sicaires, le duel. Cette mode n'a svi parmi nous, avec lafureur inoue dont j'ai parler, qu' partir des guerres d'Italie ; lesmots qui se rapportent au duel, cartel,spadassin, escrime, le mot duellui-mme, sont d'tymologie italienne ou espagnole. L'Italie, avantl'Espagne, au commencement des temps modernes, a t la nation-

    type, sur laquelle toutes ses voisines se rglaient. On l'a imite en cecicomme en tout le reste, parce qu'elle blouissait les yeux, parce que sasupriorit sociale tait manifeste ; ainsi, la raison pour laquelle lacontagion du duel a pass d'Italie en France, est prcisment la mmequi l'a fait se rpandre de la noblesse dans la bourgeoisie, et mme denotre sexe l'autre.

    Ce dernier phnomne surtout est significatif et peut servir mesurer la violence de la contagion. On voit partout les petits singer

    les grands ; mais, quand les femmes mmes singent les hommes, c'estsigne que l'entranement de l'exemple est exceptionnel. L'dit de LouisXIV de 1651 contre le duel est la preuve que ce flau commenait gagner les roturiers franais ; et cet effort lgislatif, pour arrter cedbordement, peut tre compar aux lois somptuaires qui, par leursvrit mme contre le penchant des classes infrieures reflter leluxe des classes suprieures, atteste la force de ce mobile. EnEspagne, de mme, monopolis d'abord par la noblesse, ainsi que lemontre l'dit d'Isabelle, en 1480, le duel se dmocratise par degrs, etsa vulgarisation motive la loi du 3 mai 1716. trange engouement des

    1 Mme quand, par hasard, on faisait des excuses, il tait de rgle de se pavaner. C'est ce quej'ous dire une fois M. de Guise qu'un gentilhomme, pour faire rparation un autre qu'ilaura grandement offens, ne se fera point tort de dire : Je vous prie me pardonner. Mais, endisant ce mot, il faut qu'il mette la main sur son espe ou sur sa dague, avec une contenanceassure... Cela devait tre d'un haut comique.

    2 Je dis par suite, conformment la loi de l'imitation, intrieure l'imitation extrieure (abinterioribus ad exteriora) dont j'ai cit des exemples dans mes Lois de l'Imitation.

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    vanits bourgeoises ! La premire chose que fait le bourgeoisgentilhomme de Molire, c'est de prendre un matre d'armes 1, aprsavoir pris un tailleur distingu : imiter le luxe des grands seigneurs,

    passe encore, on comprend cette tentation ; imiter leurs dmlssanglants, quelle folie ! Et quel beau spcimen de la singeriehumaine ! Pourtant, cela, en somme, est le fait habituel et normal enson tranget mme. Mais que dire des duellistes en jupons ? SousLouis XIII, les murs des beaux cavaliers se communiquent auxfemmes. On en cite qui se sont battues soit entre elles, soit contre deshommes qui, d'ordinaire, j'ai honte de l'avouer, n'ont pas pouss lagalanterie jusqu' se laisser vaincre, mais, au contraire, les ont

    blesses ou mme tues. L'une d'elles 2 trs belle amazone botte,l'pe au ct et des pistolets l'aron de sa selle, se battit par jalousie

    avec son amant, qui la dfit ; aprs quoi ils se rconcilirent. UneMme de Saint-Balmont, d'aprs Tallemant, a tu ou fait prisonniers desa main, dans des duels ou des combats, plus de 400 hommes. SousLouis XIV encore, la Maupin tua en duel trois hommes l'un aprsl'autre : et, mme au temps de Voltaire, ne voit-on pas la marquise de

    Nesle et la comtesse de Polignac se battre au pistolet pour le duc deRichelieu qui, par distraction, leur avait donn rendez-vous au mmelieu et la mme heure ? La marquise eut, parat-il, un petit bout del'oreille emport par une balle.

    Mais je ne peux pas me dcider quitter cette terrible poque deHenri III et de Louis XIII, o la maladie que j'tudie a eu son apoge.J'y reviens pour bien montrer la toute-puissance alors du prjug surles mes. Il n'est pas de meilleur document que le Cid cet gard.Quand le vieux don Digue a reu de Gomez un soufflet et qu'ilappelle le bras vengeur de son fils, Rodrigue n'hsite pas un instant se battre avec le pre de Chimne ; et il le tue. Et, aprs l'avoir tu, ilose se prsenter devant Chimne, lui expliquer sa conduite :

    Tu sais comme un soufflet touche un homme de cur...J'avais part l'affront, j'en ai cherch l'auteur,Je l'ai vu, j'ai veng mon honneur et mon pre ;

    1 Ayez-vous envie de tuer les gens ? demande Mme Jourdain son mari qui prend desleons d'escrime. Ce mot exprime bien le bon sens plbien de l'poque, o se battre en duelet tuer semblaient encore un privilge de noblesse.

    2 Hist. anecdotique du duel, par Colombey, p. 66.

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    Je le ferais encor si j'avais le faire..... couter ton amour, obir ta voix.C'tait m'en rendre indigne et diffamer ton choix.

    Il ajoute, la vrit, qu'il est prt se laisser percer le coeur parelle si elle veut exercer sa vengeance son tour. Notez la rponse deChimne :

    Ah ! Rodrigue, il est vrai, quoique ton ennemie,Je ne te puis blmer d'avoirfui l'infmie,Et, de quelque faon qu'clatent mes douleurs,Je ne t'accuse point, je pleure mes malheurs...Je sais ce que l'honneur, aprs un tel outrage.Demandait l'ardeur d'un gnreux courage ;

    Tu n'as fait le devoir que d'un homme de bien..,

    La scne est si admirable, l'me de ces temps ressuscite en nous simiraculeusement sa lecture, que nous ne nous tonnons presque pas,si ce n'est la rflexion, d'entendre une fille, et une fille tendre, fire,dlicate, pleine de pit filiale, qualifier homme de bien le meurtrierde son pre.

    Rares alors, coup sr, devaient tre les duels finissant par undjeuner prcd d'une gratignure. Quelques chiffres peuvent donnerune ide du srieux de ces rencontres, et aussi de leur nombre. De1589 1608, d'aprs Pierre de l'Estoile, il y eut 7 ou 8000gentilshommes franais qui prirent en combat singulier 1 ; et il estcertain du reste que, dans le mme intervalle de temps, 7000 lettres degrce ont t expdies et scelles en matire de duel... Un autreauteur contemporain, Jean de Chevalier, dans son discours sur lesduels, imprim en 1609, dit que, en Lim