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HISTOIRE ET ANTHROPOLOGIE, NOUVELLES CONVERGENCES ? Philippe Minard et al. Belin | Revue d'histoire moderne et contemporaine 2002/5 - no49-4bis pages 81 à 121 ISSN 0048-8003 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2002-5-page-81.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Minard Philippe et al., « Histoire et anthropologie, nouvelles convergences ? » , Revue d'histoire moderne et contemporaine, 2002/5 no49-4bis, p. 81-121. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Belin. © Belin. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 46.50.2.2 - 20/05/2011 02h13. © Belin Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 46.50.2.2 - 20/05/2011 02h13. © Belin

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Convergências entre história e antropologia

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HISTOIRE ET ANTHROPOLOGIE, NOUVELLES CONVERGENCES ? Philippe Minard et al. Belin | Revue d'histoire moderne et contemporaine 2002/5 - no49-4bispages 81 à 121

ISSN 0048-8003

Article disponible en ligne à l'adresse:

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Minard Philippe et al., « Histoire et anthropologie, nouvelles convergences ? » ,

Revue d'histoire moderne et contemporaine, 2002/5 no49-4bis, p. 81-121.

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Table ronde « Histoire et anthropologie »

Histoire et anthropologie, nouvelles convergences ?

INTRODUCTION

Philippe MINARD (Lille-3 et CERSATES-CNRS)

Cette brève introduction n’a pour ambition que d’indiquer quelques pistesde réflexion possibles, et l’état d’esprit qui animait le bureau de la SHMC enorganisant la table ronde dont on va lire la transcription ci-dessous. N’étantnullement spécialiste d’historiographie des sciences sociales, je me bornerai àquelques propositions en forme d’interrogations.

Les historiens en Monsieur Jourdain ?

Quand on ouvre le Dictionnaire des sciences historiques dirigé par AndréBurguière (Paris, PUF, 1986), on peut lire à l’article «Anthropologie historique» :

«Les thèmes que l’on peut ranger sous cette rubrique connaissent un tel succès depuis lesvingt dernières années dans la production des historiens qu’on peut se demander si l’anthropo-logie historique n’est pas devenue aujourd’hui pour l’historien ce qu’était la prose pourM. Jourdain. Il s’agirait en d’autres termes d’une nouvelle étape sur le parcours prédateur de lapensée historique qui puise dans les autres sciences sociales depuis plus d’un siècle (…)»(p. 52).

Le propos est double. D’une part, André Burguière reprend à son comptel’idée selon laquelle l’histoire n’invente pas ses propres concepts et méthodes,mais les emprunte à d’autres disciplines ; d’autre part, il présente l’anthropologiehistorique comme un mode d’approche de la réalité historique, qui aurait peu àpeu élargi le nombre de ses objets et l’étendue de son champ d’application: leclimat, le corps et la maladie, l’alimentation, les comportements, les attitudeséconomiques (le don, la dépense ostentatoire), mais aussi la famille, la parenté,les rites et croyances, jusqu’à la sociabilité politique, la fête etc. Bref, le biolo-gique, l’économique, le symbolique…, le spectre est très large. D’où la conclu-sion de l’article :

« L’anthropologie historique n’a pas de domaine propre. Qu’il s’agisse du pouvoir gué-risseur des rois de France, de la montée de l’individualisme chez les paysans du XVIIIe siècleou de la diffusion de la contraception, tous les sujets qu’elle aborde appartiennent à d’autres

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secteurs de l’histoire. Elle est avant tout un effort pour relier l’évolution d’une institution,d’un type de consommation ou d’une technique à sa résonance sociale et aux comporte-ments qu’elle a engendrés. Elle est donc une démarche de totalisation ou plutôt de mise enrelation des différents niveaux de la réalité » (p. 59).

André Burguière termine en plaçant l’anthropologie historique sous undouble chapeau.Tocqueville, tout d’abord, avec De la démocratie en Amérique etsa volonté de comprendre les « mœurs » américaines ; et ensuite la notion de« mentalités » telles que Lucien Febvre et Marc Bloch la définissaient, tout enprivilégiant ici le versant attribué à Bloch, à savoir les logiques qui comman-dent les comportements collectifs les moins volontaires et les moinsconscients : « ce que nous appelons aujourd’hui l’anthropologie historiquen’est peut-être rien d’autre que l’accomplissement du programme que MarcBloch assignait à l’histoire des mentalités » (p. 59).

Périodisations

Si nous quittons cet état des lieux dressé au milieu des années 1980, ilsemble possible de repérer grossièrement trois moments dans l’histoire fran-çaise des rapports entre histoire et anthropologie, depuis le milieu du XXe siècle.

Dans les années 1960, pour la plupart des historiens français, la question aété perçue à travers le duel des titans, Braudel et Lévi-Strauss, dont l’enjeu étaitla suprématie de leurs disciplines respectives sur l’ensemble des sciencessociales. Face à la montée en puissance de l’anthropologie structurale, l’article-manifeste de Fernand Braudel, en 1958, «La longue durée », affirmait : «Toutesles sciences de l’homme sont contaminées les unes par les autres. Elles parlentle même langage, ou peuvent le parler » ; mais il ajoutait malicieusement : «Enfait, comment l’anthropologie se désintéresserait-elle de l’histoire? Elle est lamême aventure de l’esprit, comme aime à le dire Claude Lévi-Strauss » (!). Ceà quoi répondait l’intéressé : « J’ai le sentiment que nous faisons la même chose.Le grand livre d’histoire est un essai ethnographique sur les sociétés pas-sées »…1.

Un deuxième moment serait celui des «mentalités », tel que le saisit AndréBurguière dans sa contribution à La nouvelle histoire en 1978. Moment marquéen particulier par l’événement que fut la parution de La vision des vaincus, deNathan Wachtel, dont l’introduction signalait aux historiens français la richessedes débats américains et latino-américains. Pour Wachtel, la relation entreHistoire et Ethnologie ne consiste pas tant en une opposition entre synchronieet diachronie qu’entre singulier et structurel. Surtout, il propose la notion d’ac-culturation comme lieu stratégique de fécondation réciproque entre les deux

1. Repris dans Les écrits de Fernand Braudel, tome 2 : Les ambitions de l’histoire, Paris, de Fallois,1997, p. 159 et 161 ; propos de Lévi-Strauss cité dans Jacques REVEL, Nathan WACHTEL (éd.), Uneécole pour les sciences sociales. De la VIe section à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris, Cerf,1996, p. 265-266.

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disciplines ; propos repris ensuite en 1976 dans Faire de l’histoire. Précisément,1976 est l’année où apparaît dans le programme des enseignements del’EHESS la rubrique «Anthropologie historique» (qui existe toujours).

Mais il semble bien que, dans un troisième temps, la fièvre soit retombée.La fin des années 1980 et les années 1990 laissent apparaître comme un épui-sement du modèle des mentalités, et de « tournant linguistique » en « tournantcritique », l’anthropologie semble disparaître du débat. Cette phase paraîtcelle d’une indifférence réciproque des deux disciplines, du moins dans ledébat historiographique moyen. À moins que l’acclimatation n’ait été telleque les échanges se sont banalisés au point de devenir quasi-invisibles,comme naturalisés ?

On peut également se demander si cette périodisation grossière peut êtremise en parallèle avec les différentes séquences des grandes alliances et/oumoments intellectuels successifs qui ont marqué notre discipline : le lien avecla géographie ; puis l’anthropologie de la période structuraliste (mais quid del’anthropologie marxiste, elle aussi essentielle ?) ; et plus récemment, l’in-fluence de la sociologie, en particulier bourdieusienne2.

Nouvelles convergences ?

J’en viens pour finir à ce qui me semble l’enjeu véritable de ce débat : aufond, quel est, au plan épistémologique, le sens véritable de ces questions dedélimitation disciplinaire ? Où sont les différences ? Sans doute Histoire etAnthropologie ont-elles des objets différents, des sources différentes, et mêmedes méthodes différentes. Mais on peut relever trois indices d’évolutionsrécentes suggérant un paysage renouvelé.

Dans un état des lieux publié en 1996, Lucette Valensi et Nathan Wachtel(qui emploient comme des équivalents les termes d’anthropologie historiqueet d’histoire anthropologique) évoquent une heureuse « convergence épisté-mologique », qu’ils repèrent notamment sur deux terrains distincts3.

Ils soulignent tout d’abord la fécondité de la notion de « régimes d’histori-cité » dans les diverses cultures, passées et présentes. Selon la définition propo-sée par François Hartog et Gérard Lenclud, il s’agit du « type de rapport quetoute société entretient avec son passé, la façon dont elle le traite et en traite,avant de – et pour – l’utiliser et constituer cette sorte de chose que nous appe-lons histoire ». C’est ainsi, par exemple, que Serge Gruzinski, dans La coloni-sation de l’imaginaire (Gallimard, 1988), a analysé le processus syncrétique àl’œuvre entre deux régimes d’historicité dans les « Titres primordiaux » oùs’opèrent des relectures du passé indigène-colonial et chrétien-espagnol, avec

2. « Les historiens et la sociologie de Pierre Bourdieu », Bulletin de la Société d’Histoire Moderneet Contemporaine, 1999, 3-4.

3. Lucette VALENSI, Nathan WACHTEL, « L’anthropologie historique », in J. REVEL, N. WACHTEL

(éd.), Une école pour les sciences sociales, op. cit., p. 251-274.

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l’entremêlement des périodes pré-hispanique et coloniale.Le second terrain de convergence est celui de la mémoire collective : la

mémoire elle-même est devenue objet d’histoire, et ce qu’on employait aupa-ravant uniquement comme une source (parmi d’autres, bien sûr) peut devenirl’objet même de la recherche, à travers les modalités de sa transmission, lesphénomènes d’oubli, de refoulement, de mystification, etc. C’est le sens dutravail de Jocelyne Dakhlia dans L’oubli de la cité (La découverte, 1990),notamment. C’est aussi le sens des discussions sur le rôle social de l’historiendans les opérations de commémoration4.

D’où une conclusion optimiste :

« Les historiens ont appris le lexique et la grammaire de l’anthropologie ; des anthropo-logues ont inscrit l’histoire à leur programme : dans les deux cas, il s’agit d’une modificationdes pratiques de la recherche à l’intérieur d’une discipline ; moins d’une transaction paritaireque d’une involution » (p. 270).

Le deuxième indice peut être repéré du côté de l’anthropologie. Le débatprovoqué par le livre de l’anthropologue australien Nicholas Thomas, paru en1989 (et traduit depuis par Michel Naepels : Hors du temps, Paris, Belin,« Socio-histoire », 1998) montre combien est vive dans la discipline la questionde l’évolutionnisme. Thomas souligne qu’au moment où les anthropologuessaisissent les sociétés qu’ils examinent, celles-ci ont déjà été largement modi-fiées par les contacts (coloniaux ou non) avec l’Occident, et donc engagéesdans plusieurs histoires : quid, alors, de l’observation de leurs supposées struc-tures inchangées ?

Un dernier indice est fourni par le débat récemment relancé sur le compa-ratisme et ses apports. On peut se reporter à la traduction du livre de JackGoody, L’Orient en Occident (Seuil, 1999) ou au récent numéro des AnnalesHSS (2002/1). La discussion porte sur le sens même de l’exercice de la com-paraison, ses conditions de possibilité et ses vertus heuristiques. Dans une notecritique qu’on lira ci-après, Étienne Anheim et Benoît Grévin rendent compteen parallèle de l’ouvrage de Jack Goody et de celui de Marcel Detienne(Comparer l’incomparable, Seuil, 2000), en posant la question : les (faux-) pro-blèmes des découpages institutionnels sont-ils autre chose qu’une défense cor-porative de chaque discipline, autrement dit de positions dans le champ dessciences sociales et des dispositifs académiques ? Il faudrait alors sortir desidéologies identitaires, avec leurs volontés d’affirmation hégémonique, pourvraiment se demander, cette fois-ci sans sous-entendu, sans prétention à unquelconque leadership, si ce que nous faisons les uns et les autres est si différentque cela. Autrement dit, aux stratégies disciplinaires, pouvons-nous légitime-ment opposer l’idée d’une nature profondément unitaire de la science sociale,en tant que manière d’interroger l’organisation et le fonctionnement des socié-

4. François HARTOG, Jacques REVEL, « Note de conjoncture historiographique », Enquête, 2001,nouvelle série, n° 1 : « Les usages politiques du passé », p. 13-24.

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tés humaines, quelles que soient l’époque et leur localisation ?

POUR L’ANTHROPOLOGIE HISTORIQUE

Jocelyne DAKHLIA (EHESS)

Tout d’abord, je suis très heureuse que ce débat nous ait été proposé, maisun peu surprise aussi, car l’anthropologie historique n’est plus du tout un frontpionnier. Quand on ne débat plus une question, cela peut avoir plusieurs sens,et notamment qu’elle est tombée en désuétude, que le débat n’a plus vraimentlieu d’être, et effectivement il y a d’autres fronts pionniers aujourd’hui, le droitet l’histoire notamment ; Philippe Minard mentionnait également les rapportsentre sociologie et histoire. Un ensemble de manières de faire, de construire lesobjets historiques, s’est effectivement imposé dans le paysage. Cela induit-ilpour autant un vrai dialogue, continu entre historiens et anthropologues ? Jen’en suis pas sûre. Pour fréquenter un peu des anthropologues, je sais qu’ilss’agacent souvent d’un usage peu rigoureux de l’anthropologie, et surtout dulabel anthropologique : ils ont l’impression qu’on invoque souvent l’anthropo-logie là où s’arrête la compétence historienne, comme une référence un peumagique, dès que l’on tombe sur un schème plus ou moins universel et appa-remment inexplicable. Mais cette critique ne porte pas, me semble-t-il, sur letravail proprement dit de l’anthropologie historique, plutôt sur des annexionsun peu sauvages, floues, de la référence anthropologique. Seulement, cela faitpeut-être écran pour eux au travail plus soutenu de l’anthropologie historique.

Je voudrais tout d’abord faire quelques remarques générales, qui peuventparaître critiques ou même pessimistes, avant d’essayer de montrer pourquoil’approche par l’anthropologie historique me semble centrale dans l’histoire entrain de s’écrire du monde arabe, peut-être musulman, et ce pour au moins uncertain temps. J’essayerai de montrer sur quelles bases, et en quoi, cela crée undécalage avec d’autres historiographies.

Tout d’abord, les remarques générales. Je ne peux m’empêcher de penserqu’entre historiens et anthropologues, le rendez-vous a été partiellementmanqué. D’une part, la rencontre a été beaucoup moins symbiotique, moinsféconde, qu’elle aurait pu l’être, et d’autre part, l’échange, de mon point devue, paraît fortement inégal. Ce sont les historiens, pour l’essentiel, qui conti-nuent d’emprunter. Même si les anthropologues intègrent à leur rechercheune profondeur chronologique, recourent plus systématiquement aux archivesou aux anciens folkloristes, ils se réclament plus rarement, quant à eux, de l’an-thropologie historique. Je rappellerai brièvement qu’aux États-Unis, l’anthro-pologie historique est incluse dans les départements d’anthropologie. EnFrance, elle demeure circonscrite aux départements d’histoire. Or, remarque

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corrélative : en passant de l’anthropologie à l’anthropologie historique, il mesemble que l’on perd en souffle universaliste, pour ne pas dire comparatiste.L’anthropologie, dans sa différence avec l’ethnologie, est, par essence, prisedans la tension entre universalisme et différences des cultures. La démarche del’anthropologie est, par nature, centrée sur des problématiques ou des objetsconçus comme universels ou transculturels, quitte à ce qu’elle réintroduise dela différence, redessine l’aire de telle pratique, etc. Quand on passe à l’anthro-pologie historique, on constate au contraire une subite restriction de champ,considérable, et un rapport aux autres cultures qui me paraît souvent posticheet atrophié. Je m’explique : bien sûr, on va trouver dans tel ouvrage, sur laroyauté sacrée par exemple, une référence à Frazer, ou à Evans-Pritchards,dans le meilleur des cas une référence à Luc de Heusch, mais cela s’arrête là.Et sur le travail en cours sur ces auteurs et ces questions que poursuiventd’autres anthropologues aujourd’hui, il n’y aura rien. Dieu sait que les histo-riens ont lu Louis Dumont, par exemple, et le citent d’abondance, sur la ques-tion de l’individualisme, sur la caste, sur la segmentarité. Mais sur les critiquesqui ont été faites de Dumont et sur l’état récent des travaux sur les castes, onne trouvera aucune référence. Il faut escompter encore moins de références,en France, aux critiques de Dumont faites en Inde. De même, sur le modèlesegmentaire, on ira directement invoquer les pères fondateurs, alors que desdizaines de travaux sur ces questions, de terrain, ou de spécialistes, d’africa-nistes, des gens qui sont proches et bien vivants sont ignorés. On va chercherune icône, un grand maître, et le dialogue avec l’anthropologie en train de sefaire tourne court, ou est évacué. Je schématise, mais globalement cela meparaît vrai, surtout pour mon domaine.

Il y a plusieurs problèmes derrière ce constat. Premier constat : c’est peut-êtreun problème général de dialogue disciplinaire. C’est probablement la mêmechose dans le dialogue avec d’autres disciplines, il y a toujours un décalage, peut-être même un retard. Les historiens ont une vision de l’anthropologue quidemeure centrée à la fois sur un certain état de la recherche, et sur certains sec-teurs ou types d’approches au détriment d’autres. Inversement, tous les historiensne se reconnaîtraient pas dans la vision de l’histoire qu’ont les anthropologues. Enun mot, l’anthropologie des historiens n’est pas l’anthropologie des anthropo-logues, et l’histoire des historiens n’est pas l’histoire des anthropologues. Il fau-drait plus systématiquement étudier ce phénomène de recomposition, cesdécalages: qu’est-ce qu’on emprunte exactement, pourquoi on sollicite l’autrediscipline, sur quelles bases? Il n’y a jamais d’ouverture générale et libérale.

Pour en revenir à ce tropisme des modèles, et à cette sorte d’indifférencepour le travail en cours que cela révèle, il y a à la base du problème un très forteuropéocentrisme, ou occidentalocentrisme, de l’anthropologie historique enFrance. Ce n’est pas une tentative de culpabilisation, c’est un constat. On secontente d’aller chercher un modèle, un peu lointain, qui aide à se penser. Oron s’aperçoit qu’il y a des aires culturelles attractives, et d’autres non, répul-sives au contraire. L’Inde, l’Afrique noire, sont vues comme des sortes de cul-

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tures originelles, pourvoyeuses de modèles à l’état pur, comme la Grèce, avecla royauté sacrée, la tribu, la caste… L’Islam, c’est exactement l’inverse : l’Islamest vue comme une culture tardive, assimilatrice, et non pas originelle. Parparenthèse, les anthropologues ont d’ailleurs souvent une haine particulière del’Islam, chez Dumont ou Lévi-Strauss, c’est clairement dit. C’est donc uneculture qui apparaît comme inauthentique, peu intéressante comme modèle, etl’anthropologie historique a, au moins partiellement, hérité de cette distance.

Pourtant, si je me réfère au cas du Maghreb, il y a eu une très nette régres-sion de sa visibilité dans le champ de l’anthropologie historique.L’anthropologie historique du Maghreb, c’est avant tout les travaux deLucette Valensi. Or sa thèse, Fellahs tunisiens, est un ouvrage qui à l’époque desa parution, avait les mêmes méthodes que les travaux d’anthropologie histo-rique en France. Il n’y avait pas de coupure dans les manières de faire, d’unepart, et d’autre part, l’ouvrage avait été lu et reçu de plain-pied par les spécia-listes de la France, de l’Europe, et notamment par les spécialistes d’histoirerurale. Il n’y avait pas de césure. C’est cela qui, à titre personnel, m’avait atti-rée vers l’anthropologie historique, cette affinité entre le terroir tunisien et lessociétés d’Ancien Régime, qui conférait au Maghreb pré-colonial une cer-taine noblesse, pourrait-on dire, une profondeur historique qui jusque-làn’apparaissait pas. Cette relation de plain-pied n’existe plus aujourd’hui. Il ya actuellement un repli sur eux-mêmes des spécialistes du monde arabe,peut-être musulman. C’est en partie à cause de la conjoncture politique, quimet à l’écart, qu’on le veuille ou non, le monde musulman, mais aussi pour desraisons strictement académiques. Il y a un échec du dialogue avec les autresspécialistes. À titre personnel, je constate que je travaille de plus en plus avecles spécialistes du monde arabe et musulman, et pour eux, car l’échange esttrop inégal avec les spécialistes de l’Europe notamment, le retour intellectueln’est pas suffisant.

Essayons de comprendre rapidement pourquoi il y a ce décalage.Occidentalo-centrisme, certainement. On a souvent fait ce constat que l’histoiredes femmes par exemple n’était absolument pas tournée vers les sociétés extra-occidentales. À l’inverse, lorsque les directeurs de l’Histoire de la famille parexemple, ont voulu intégrer un article sur la famille dans le monde arabe, ils onteu beaucoup de mal à obtenir une contribution, car ce domaine de rechercheétait en friche. En résumé, les spécialistes du monde arabe en France, qui fontde l’anthropologie historique, sont pris dans un mouvement schizophrénique.D’une part, le milieu englobant les rejette dans un statut d’orientaliste, parfoistout à fait valorisant, mais sans échanges scientifiques forts, et d’autre part, il ya une sorte d’appel d’air du milieu, une demande, ou un vide à combler, enmatière d’anthropologie historique. Quand la demande s’exprime, ce n’est pasforcément dans des termes ou autour d’objets qui susciteraient l’intérêt des his-toriens de l’Europe par exemple. Les historiens du Maghreb, ainsi, sont trèsfortement demandeurs d’anthropologie historique, mais avec une demande quipeut paraître décalée. Il y a d’une part, des logiques propres qui se dessinent.

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Par exemple, depuis les années 1970, il y a un très fort courant d’études sur lasainteté dans l’Islam, qui est le courant de recherche le plus fécond, et qui secontinue, sans doute par réaction à l’islamisme, en scrutant un autre rapport,plus local, à la religion. Mais la sainteté n’est plus en France une questiond’anthropologie historique aussi neuve qu’elle l’a été. Donc le dialogue tournecourt. De même, on voit émerger plus récemment un intérêt nouveau pour lacour comme objet d’histoire, pour les mises en scène du pouvoir, qui marquentsur le plan interne, une transition du rapport au politique : on quitte les problé-matiques des luttes nationales, de la nation, pour se porter vers l’État, étudierses ressorts internes. Mais là aussi, le coche est déjà passé, du côté de l’histoireeuropéenne. D’où un effet d’après-coup.

D’autre part, il faut aussi assumer un véritable retard lié aux difficultés decirculation des chercheurs, d’accès à la bibliographie…, que je ne détaille pas, sibien qu’à la différence de ce qui se passe en France, l’anthropologie historiqueapparaît au Maghreb comme une discipline de pointe, qui est d’ailleurs contro-versée, et qui nécessite une posture militante. Il y a une très forte demande quise fait jour, de travaux sur l’histoire des femmes, des sexualités – entre paren-thèses, l’histoire du genre n’est pas encore acclimatée. Du coup, il nous fautaccompagner ce mouvement, et donc répondre à la demande, et par consé-quent se décaler par rapport aux problématiques que l’on travaille en France, àla fois sans condescendance, et sans mentir sur l’état effectif de la rechercheailleurs. Se pose ici tout le problème de l’exportabilité de l’expérience historio-graphique, et tout le problème de la linéarité de cette expérience.

Pourquoi pensais-je que l’anthropologie historique demeure une nécessitécentrale pour l’histoire du monde musulman ? Tout d’abord, il faut assumer ceretard que je mentionnais : tant qu’il n’y aura pas un certain acquis de travauxsérieux sur l’histoire de la famille, ou de la sexualité, par exemple, dans lemonde musulman, il sera difficile de reprendre un dialogue de fond avec lesautres spécialistes. Si cela suppose d’assumer une position à la traîne, et unretard méthodologique, tant pis. On ne peut dialoguer, ou faire des proposi-tions, sur des à-peu-près, ou sur des vides. La notion de masse critique des tra-vaux, qu’on le veuille ou non, fait sens, et pour cette raison, l’anthropologiehistorique doit continuer sur sa lancée dans ce domaine. Mais c’est uneapproche qui apparaît centrale, et même structurellement nécessaire, pour unedeuxième raison. Je reprends à mon compte le vocable de l’anthropologie his-torique, non pas à partir d’objets ou de méthodes, que j’assume, mais qui sontplus ou mois renouvelés ou innovants, mais à partir de la tension même entrehistoire et culture à laquelle est soumis le monde musulman aujourd’hui. Laperception que l’on a du monde musulman aujourd’hui est une perceptionculturaliste, essentialiste, où l’histoire est constamment rabattue sur la culture.C’est la perception du sens commun, des médias, mais c’est aussi quelquechose de très répandu dans la communauté scientifique. On nous dit souvent :« venez nous parler de telle question dans l’Islam » ! Du coup, j’ai souhaitérépondre au défi et mettre à l’épreuve les formes et les limites de cette unité

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culturelle trans-historique supposée. Où commence une entité culturelle ? Ous’arrête-t-elle ? Pour cela, il faut saisir ce qui fait l’unité entre elles de sociétésdistantes dans le temps et dans l’espace, unité à la lumière de certains ques-tionnements, qui ne va pas s’avérer à la lumière d’autres questionnements. Ils’agit en fait de travailler sur du continu que n’épuise pas immédiatement l’ap-proche strictement historique par les filiations, par les transmissions, d’où monintérêt personnel pour les lieux communs, par exemple. Or, s’interroger sur lescontours et les limites de la culture, c’est une question proprement anthropo-logique, c’est une question fondamentale de l’anthropologie culturelle, et s’in-terroger sur les processus de construction et de variation du même et dudifférent, c’est une démarche d’historien. Voilà pourquoi, à titre personnel, jeme réclamerai de l’anthropologie historique pour encore un bon moment.

HISTOIRE ET ANTHROPOLOGIE, UNE QUESTION INACTUELLE ?

Serge GRUZINSKI (CNRS/EHESS)

Mon intervention se fonde essentiellement sur mon expérience d’historienformé à l’École des Chartes et tenté il y a trente ans par des horizons plus loin-tains que la rue des Archives. C’est donc par rapport à mon cheminement demexicaniste, aux questions que j’ai rencontrées et que je me pose aujourd’hui,que j’aborderai le thème des convergences entre l’Histoire et l’Anthropologie.

D’entrée de jeu, trois observations me viennent à l’esprit :– D’abord, la difficulté d’aborder la question sous la forme qui nous est

proposée, comme l’examen d’un rapport entre d’une part l’Histoire et d’autrepart l’Anthropologie, tant les histoires sont en fait multiples autant que lesanthropologies sont fragmentées et divisées.

– Pour comprendre les « convergences » de la fin des années 1960, il estnécessaire de revenir sur une périodisation plus longue des rapports entre cesdisciplines, qui diffère de la généalogie parisienne ou européenne : il s’agit eneffet d’une histoire ancienne sur le continent américain.

– Enfin un doute : parmi les défis que rencontre aujourd’hui l’historienmoderniste, la question du rapport entre Histoire et Anthropologie est-ellevraiment prioritaire, ou s’agit-il en partie d’un faux débat ou d’un débat clos ?

Généalogies

Les échanges entre Anthropologie et Histoire sont anciens sur le continentaméricain. Ils débutent au Mexique, au Brésil et aux États-Unis dans les

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années 1930. Aux États-Unis, France Scholes et Ralph Roys (The Book ofChilam Balam de Chumayel, 1933), puis Charles Gibson créent et développentl’ethnohistoire des peuples indiens du Mexique et de l’Amérique centrale. Uneimpressionnante connaissance des documents écrits espagnols et indiens, deslangues indigènes, des paléographies, des institutions coloniales se conjugueavec la tradition de l’anthropologie culturelle telle qu’elle s’est développée auxUSA avec Boas, Linton, Herskovits… Dès les années 1930 au Brésil : lesœuvres de Gilberto Freyre (Sobrados e mocambos) et de Sergio Buarque deHollanda (Caminhos e fronteiras) nous paraissent exemplaires ; au Mexique à lamême époque, avec les travaux d’Alfonso Caso et plus tard, dans les années1940, ceux de l’anthropologue Gonzalo Aguirre Beltrán, l’ethnohistoireacquiert ses lettres de noblesse. Aguirre Beltran a mené l’étude des populationsnoires du Mexique à la fois dans le cadre d’une monographie ethnographiqueclassique, Cuijla, et dans celui d’une vaste enquête de démographie historique,La población negra de México. Dans ces mêmes années 1950, cet anthropologuepublie El proceso de aculturación en México, où il théorise le rapport anthropo-logie/histoire à partir de la tradition nord-américaine et de la notion d’accultu-ration. Enfin, il s’attaque à la riche documentation de l’Inquisition, dont iltirera le chef-d’œuvre qu’est Medicina e Magia, avant que les Européens setournent systématiquement vers ces matériaux et ces problématiques. Dans lesannées 1950 également, Miguel León-Portilla publie La visión de los vencidos,jalon majeur de l’ethnohistoire latino-américaine.

Autrement dit, quand le débat s’amorce en France, dans les années 1960autour des problèmes d’acculturation, des recherches d’Alphonse Dupront etde Nathan Wachtel (La vision des vaincus), nous assistons à l’aboutissementtardif d’un dialogue plus ancien.

En Europe et notamment en France, les années 1960 et le début des années1970 constituent un moment privilégié où face à des anthropologies particuliè-rement dynamiques (structuraliste mais aussi marxiste), les historiens devaientapprendre à lire, découvrir et emprunter à la production anthropologique. Etcela dans les domaines les plus variés, de l’étude des syncrétismes religieux àl’ethnopsychiatrie, de l’analyse structuraliste aux travaux de Jack Goody (sur lathématique fondamentale de l’écriture et de la transmission écrite). En dépit deson succès, un texte marque à mes yeux, dans une certaine mesure, l’essouffle-ment de ces échanges, les Islands of History de Marshall Sahlins (TheUniversity of Chicago Press, 1985), dans lequel cet anthropologue s’obstine àréduire le rapport histoire/anthropologie au couple structure/événement.

Retour à la case Histoire

Il me semble aujourd’hui que la situation est fort différente. L’essentiel, àmes yeux, des transferts des problématiques et de concepts s’est opéré dans lesannées 1960 et 1970. S’est opéré et ne s’est pas opéré car combien d’entrenous ont lu et assimilé E. de Martino, C. Lisón Tolosana, G. Freyre ou

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S. Buarque de Holanda ?.Le travail de digestion, quand il a été entrepris, pour l’essentiel me paraît

terminé : les emprunts à l’anthropologie sont devenus des cadres propres à ladémarche d’un certain nombre d’historiens, ils se sont historicisés. On a mêmeabusé de certaines formules ou de certains concepts : l’introduction du mot« culture » n’est sans doute pas la meilleure acquisition qu’aient faite les histo-riens. Je renvoie à ce propos à l’ouvrage récent de Adam Kuper, (Culture.Theanthropologist’s account, Harvard University Press, 2001). Chez mes collèguesanthropologues, qui s’intéressent à l’histoire des savoirs, à celle des frontières,des processus de « ré-ethnicisation », de la constitution de la nation, l’histoireoffre des outils dont ils ne pourraient plus se passer.5

Derrière cet acquis et cette pluridisciplinarité de fait6, on repère néan-moins un ralentissement des échanges qui s’apparente fort à une phase de dis-tanciation. Celle-ci s’explique, à mon avis, par la multiplicité desanthropologies, la dispersion des courants qui constituent aujourd’hui cettediscipline et l’affaiblissement relatif de sa créativité théorique et de son rayon-nement, qu’elle se rabatte sur le contemporain et l’européen, ou qu’elle sedéconstruise elle-même.Tous ces facteurs rendent malaisés, faute d’interlocu-teurs clairs, d’offres théoriques alléchantes, les échanges avec les anthropolo-gies.Tel me semble ce paysage aux lignes indécises, que j’observe depuis moncabinet d’historien, mes fonctions de directeur d’une UMR (équipe mixteCNRS-EHESS-Paris I-Paris X) qui réunit historiens et anthropologues7, oumême depuis mes activités auprès du musée du Quai Branly.

Dans ce contexte, se produisent moins des convergences que des retourscritiques de l’anthropologie historique vers l’histoire. Ce retour s’opère, parexemple, au profit de l’étude classique des sources historiques qui retrouve saprimauté8. Dans le domaine de l’étude des métissages, qui est le mien, c’est-à-dire du mélange des hommes et des sociétés, l’historien doit plus souvent s’op-poser à la tradition anthropologique classique qu’y chercher des pistes et desrecettes théoriques qu’elle n’apporte pas.

En revanche, le dialogue et surtout l’affrontement dans mon domaine,l’américanisme, se situent principalement sur le terrain des cultural studies,post colonial studies, ou post-modern studies. Un face-à-face qui est souventexaspérant tant il traduit l’hégémonie de la machine universitaire des États-

5. Pour certains d’entre nous, mais pas pour la commission du CNRS qui s’occupe d’anthropologie.6. Réalisée davantage entre des historiens et des anthropologues qu’entre Histoire et

Anthropologie.7. UMR 8565: Empires, Sociétés, Nations en Amérique latine et dans la Méditerranée occidentale.8. Je pense, par exemple, aux travaux en cours sur l’Amazonie qui démontent inexorablement

bien des constructions des anthropologues classiques, en révélant que des populations indiennes cen-sées pures de tout contact, sont en partie métissées, ou que dans ces régions dites « froides », car horsde notre histoire, circulaient depuis le XVIIe siècle des Espagnols, des Portugais, des Français, desAnglais, des Hollandais… De quoi reformuler bien des modèles d’une anthropologie souvent enfer-mée sur le local et le communautaire.

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Unis. L’historien européen doit contrer les ravages d’une ethnohistoire deve-nue « politically correct », d’un académisme historique nouveau, d’inspirationanthropologique, qui privilégie l’ethnique, le culturel, le communautaire,chasse les non-Indiens du théâtre historique, abandonne le b-a-ba de l’enquêtehistorique en rejetant les sources d’origine européenne sous prétexte qu’ellesdéformeraient invariablement la perception des mondes non-européens…(Voir les commentaires critiques sur la Cambridge History of the Native Peoplesof the Americas, Cambridge University Press, dans les AnnalesHSS,2002, n° 5).

En conclusion, il me semble que les défis de l’histoire à faire ne se situentdonc pas majoritairement du côté des rapports avec des anthropologies auxcontours mal définies, mais plutôt dans la nécessité de sortir des ethnocen-trismes, des provincialismes pour amarrer l’étude du local au contexte global :dépasser et réduire les barrières entre les histoires et les historiographies natio-nales, circuler entre les langues, les mondes et les passés. Une certaine anthro-pologie a d’ailleurs contribué à l’enfermement de l’historien, celle qui mettaitl’accent sur l’ethnie, la communauté, le local, les différences, les traits constitu-tifs censés marquer des singularités. C’est dans nos classiques qu’il faut cher-cher des pistes et des exemples, chez un Pierre Chaunu qui soulignaitl’urgence d’étudier les « contacts » entre les civilisations, ou un FernandBraudel qui mettait lui systématiquement l’accent sur les « recouvrements decivilisations ».

C’est donc plutôt entre les histoires européennes et celles des autres conti-nents, en particulier celle de l’Amérique latine qu’il conviendrait de lancer desponts et d’établir des convergences. Depuis une trentaine d’années que j’essaiede faire de l’histoire, j’ai toujours davantage regretté le manque de dialogueavec mes collègues historiens de l’Europe que souffert de la difficulté à échan-ger avec les anthropologues. Les barrières à l’intérieur même d’une disciplinepeuvent être plus fortes et plus redoutables que celles qui la séparent desautres sciences sociales.

DE LA PLACE DES ACTEURS DANS L’HISTOIRE

Jean-Clément MARTIN (Université Paris-I)

J’interviens ici parce que j’ai été confronté à travers mes travaux sur la vio-lence, la mémoire, ou la guerre civile, aux rapports de l’histoire avec l’anthro-pologie. Je commencerai en me référant aux communications précédentes,pour dire d’emblée qu’il me semble que la méthode, l’objectif et les sources de

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l’historien : loin d’être analogues à celles de l’anthropologue, sont parfaitementdifférentes : cette intervention essaiera d’exposer brièvement cette position.Par ailleurs, je ne partage pas les regrets exprimés, certainement avec raison,sur les difficultés de transmission d’un champ à l’autre, ou sur les référencesaux grandes icônes. Cette situation existe également en histoire, quel que soitle champ de spécialisation, et se réalise par habitude, par manque de tempstout simplement, peut-être aussi par auto-censure, par peur… Prendre acte decela n’est pas se résigner, mais seulement reconnaître les limites des échanges.

Pourtant travailler sur la Révolution française et l’Empire, époques particu-lièrement complexes, implique nécessairement d’être confronté aux travauxvenus de l’anthropologie, qu’ils portent sur la violence, la religion, la mort, lesmythes… indiscutablement, il y a lieu de se féliciter de l’emploi devenu ordinairede ces recours, qui ont provoqué l’essor de nouvelles approches, sur la place ducorps, sur le rire, sur la guillotine, sur l’image de la reine, sur le rôle des mytholo-gies… Or, l’usage de notions et de références venues de l’anthropologie pose unproblème, à partir du moment où elles sont entrées dans la doxa : il devient ainsinaturel d’utiliser des notions comme la violence, qui est proprement indéfinis-sable en histoire, ou comme le sacré, qui me paraît être d’un usage encore plushasardeux. Comment doit-on recourir à ces notions pour évoquer les massacresde septembre 1792 ou l’emploi de la guillotine par exemple? On voit aisémentque la dimension du sacré permet de trouver des éléments de compréhension,cependant l’historien ne peut pas trouver dans des comparaisons avec d’autressociétés l’explication ultime de ces actes de violence, qui méritent une approcheliée au contexte, aux traditions historiographiques, aux débats contemporains del’étude… il est nécessaire de combiner les apports de l’anthropologie avec lesdimensions culturelles, politiques mais aussi sociales dans lesquelles ces actess’insèrent. Sans vouloir revenir aux pratiques historiennes des décennies précé-dentes, il convient cependant d’insister sur les risques de mésinterpretation pos-sibles si l’on transfère sans précaution des éléments explicatifs de l’anthropologiesans les intégrer hiérarchiquement et aussi précisément que possible dans toutesces dimensions qui possèdent leurs logiques propres.

Sans ces précautions de méthode, il est possible de voir une autre difficultédans ces rapports histoire/anthropologie lorsque les historiens partent demodèles anthropologiques établis, les études historiques venant alors confirmerou infirmer des explications données pour vraies d’emblée. Il est possible de voirainsi étudier des révoltes populaires en un lieu donné, en réemployant les caté-gories consacrées, l’histoire apportant des précisions anecdotiques de fait à uncanevas assuré – l’ouvrage récent de Jean Nicolas sur les rébellions françaisesremet en cause cette posture9. Des notions comme la violence rituelle, ou l’ar-chaïsme des violences, lorsqu’elles sont introduites sans relations avec desarchives et des faits, peuvent même permettre d’esquiver toute recherche puis-

9. Voir le compte rendu à paraître, RHMC, 50-1, 2003, p. 170-179.

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qu’elles sont censées expliquer par elles-mêmes une situation que l’on n’explorepas plus. Le risque s’accroît parce que ce genre de recours est souvent appliquéà des groupes sociaux comme les ruraux, ou les femmes, plaçant ces groupesdans des structures jugées immuables.

Or sans mettre aucunement en doute l’existence d’universaux de violence,il me semble qu’il importe, quand on écrit l’histoire, de voir comment, àquelles occasions, ces violences s’exercent, sont comprises, sont acceptées,refusées, intégrées dans le jeu social. Pour prendre un exemple précis, les piresviolences révolutionnaires, au moment de la Terreur, s’exercent dans des zonesdans lesquelles il y a eu une disparition des « tiers », c’est-à-dire des élémentsintermédiaires qui se chargeaient de l’encadrement des groupes sociaux por-teurs de traditions locales (religieuses, sociales…). Ceux-ci sont dès lors direc-tement confrontés à des demandes de l’État sans possibilités de traductions etde compromis, ce qui entraîne des conflits violents et des massacres. C’est cequi s’est passé notamment dans la Vendée ou dans certaines régions de lavallée du Rhône. Lorsqu’au contraire, des élites locales, des porte-paroleappartenant aux sociétés locales s’interposent entre demandes nationales etréactions locales, ces violences extrêmes ne s’exercent pas, car elles sontcontrôlées d’une façon ou d’une autre. Ainsi dans le Sud-Ouest de la Franceou une grande partie de la Normandie, les collisions avec les cadres de la poli-tique nationale et les interventions de l’État central ont été réfractées au traversdes élites anciennes ou nouvelles qui ont pu garder le contrôle de l’applicationdes lois et ont évité ainsi des soulèvements radicaux ou ont donné des explica-tions atténuées de ces conflits. Les structures anthropologiques qui régissaientles sociétés de ces différentes régions n’étaient pas fondamentalement diffé-rentes, mais les comportements qu’elles pouvaient entraîner n’ont pas été ana-logues mais régulés selon les conjonctures (les agencements).

En insistant sur la place des acteurs historiques et leur propre responsabi-lité, l’historien doit parvenir à articuler les universaux de l’anthropologie et lesmutations sociales. Pour prendre un autre exemple, un élément essentiel dansl’histoire des violences sexuelles dans la Vendée du XIXe siècle est l’utilisationpar les femmes du Sud-Ouest de la Vendée des lois venues de l’État, pour s’op-poser aux pratiques ordinaires de viol et aux inégalités des positionshommes/femmes ; cette évolution ne se produit pas dans les zones du Nord-Estoù les pratiques communautaires sont demeurées plus fortes si bien que, para-doxalement, ces rapports inégaux demeurent tacitement, relevant de cettesituation bien connue où la violence participe de la solidité du lien social. Dansle Sud-Ouest, c’est autour de la loi et de la fabrication de nouvelles relationspolitiques que les rapports de violences sont ainsi négociés au travers desinterventions individuelles et collectives ; il y a lieu de souligner ce facteur,pour ne pas s’arrêter à des explications globales ne prenant en compte que desévolutions globales ne donnant pas de place aux acteurs de l’histoire. Le livrecollectif dirigé par Cécile Dauphin et Arlette Farge, De la violence et des femmes,paru en 1998, montre aussi que les mêmes structures anthropologiques ont

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été réinterprétées, selon les périodes, grâce aux interventions des individus –au travers souvent de leurs souffrances, de leurs échecs même –, provoquantcependant l’accumulation d’expériences historiques, qui façonnent lamémoire collective. Dans cette optique, est-il possible de penser à la créationde la dentelle historique sur la trame de l’anthropologie ? Les rapports de l’uneà l’autre ne sont pas ambigus ; l’histoire garde son intérêt en mettant enlumière les façons dont les individus et les groupes interviennent, font leur his-toire, et lèguent des exemples aux générations suivantes qui peuvent s’en ins-pirer précisément en écrivant l’histoire – la polysémie du mot est icisignificative. Dit autrement, l’histoire mettrait en lumière l’irréversibilitécumulative des expériences humaines, qu’elle se chargerait d’interpréter et detransmettre. Dans cette dimension, la pratique historique se distingue radicale-ment des sciences humaines, puisqu’un de ses objectifs est alors l’entretien dulien social.

Une des conséquences de cette situation, si l’on change de registre d’ap-proche, est qu’il n’y a pas de protocole qui dise précisément qui est historien etqui ne l’est pas. L’historien n’est pas, comme d’autres spécialistes des scienceshumaines, une catégorie précise, délimitée par des processus de validationprécis – excepté dans la seule communauté universitaire qui est loin d’être laseule à véhiculer la transmission de l’histoire. Cette situation est la consé-quence de la fonction sociale qui me paraît spécifique de l’histoire et qui est devéritablement transmettre les leçons tirées du passé, de proposer des juge-ments sur les faits retenus. Dans cette fonction, où s’activent tant d’auteurs, etoù les historiens universitaires doivent tenir leur place, des exigences particu-lières s’expriment, qui conditionnent le recours aux notions et des explicationsvenues de l’anthropologie. Si, pour prendre un exemple, dans l’étude de laSeconde Guerre mondiale ou du nazisme, on peut introduire sans risque demalentendus aujourd’hui les concepts de l’anthropologie ou de la sociologie,comme le font Christopher Browning ou Raul Hilberg, en réfléchissant sur labanalisation du mal, l’obéissance des populations, bref sur cette « zone grise »(pour reprendre le mot de Primo Levi) dans laquelle bourreaux et victimes seretrouvent ensemble, c’est parce que les enjeux sont tranchés idéologiquementet historiquement. Personne n’accuserait Ian Kershaw de négationnisme ou delaxisme interprétatif lorsqu’il insiste sur le charisme d’Hitler. Les crimes del’hitlérisme – comme du stalinisme – ne font plus de doute pour les historiensresponsables.

En revanche, le problème se pose de manière bien différente pour laRévolution française, pour laquelle les enjeux mémoriels demeurent toujoursouverts dans la société française – la responsabilité des historiens est engagéedans cette réalité, même si elle n’est pas la seule. Comprendre la composantesacrée des massacres, ou le charisme de Robespierre, avec la distance apportéepar l’anthropologie et l’ethnologie, ne peut s’opérer sans prendre explicitementposition face aux jugements historiographiques, sans se positionner sur lesconséquences immédiates et à terme des actes violents, sans les comparer pré-

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cisément à ce qui peut sembler des actes proches (guerres de religion, de colo-nisation), en bref sans avoir au préalable bien balisé le champ des expérimenta-tions historiques qui sont les fondements de notre univers moral commun, sansavoir pour le dire autrement donné acte de sa propre position face aux événe-ments et aux hommes étudiés. L’exemple de la Révolution française est sansdoute un de ces exemples limites (mais quid de la colonisation par exemple?), ilatteste cependant que le lien existentiel entre histoire et mémoire contraint lapratique historienne, qui peut certes puiser dans d’autres domaines des outils,des concepts, des notions (dans l’anthropologie il y a vingt ans, dans le droitdavantage aujourd’hui) sans cependant perdre sa spécificité sociale.

LA PARENTÉ, ENTRE ANTHROPOLOGIE ET HISTOIRE

Michel NASSIET (Université de Poitiers)

La convergence entre l’histoire et l’anthropologie, qui n’est pas d’aujour-d’hui, semble s’approfondir. Dans son introduction à la séance consacrée àfaire le point sur cette question, Philippe Minard se demande en substance sicette convergence serait au point qu’au plan scientifique ces deux sciencessociales pourraient en arriver à se fondre, et si seules les pesanteurs institu-tionnelles et une identité corporatiste s’y opposeraient. La question d’une« fusion » a déjà été posée il y a près de trente ans, dans les Annales, au momentde la naissance de l’anthropologie historique10, non sans en voir immédiate-ment les difficultés. Ces deux disciplines ne sont d’ailleurs pas si faciles à défi-nir qu’on ne puisse en rappeler des propositions de définition qui s’avèrentcontradictoires. Au surplus, depuis une trentaine d’années, l’anthropologiehistorique en a déplacé les frontières. Je vais tenter de donner un bref aperçudes convergences dans le champ de la parenté. Un bilan vient d’être réalisé parles Annales de Démographie historique sur le thème Famille et parenté, offrantsynthèses et bibliographies, ce qui m’évite, dans ces quelques pages, de viserune impossible exhaustivité. Dans la production scientifique des quarante der-nières années, les auteurs de ce dossier constatent à la fois une « prégnance de

10. « Pour une anthropologie historique. La notion de réciprocité », Annales ESC, 29/6, novembre-décembre 1974, p. 1309.

11. Patrice BOURDELAIS, Vincent GOURDON, « L’histoire de la famille dans les revues françaises(1960-1995) : la prégnance de l’anthropologie », Annales de Démographie historique, 2000, n° 2, p. 5-48.

12. Luigi LORENZETTI, Muriel NEVEN, « Démographie, famille et reproduction familiale : un dia-logue en évolution », Annales de Démographie historique, 2000, n° 2, p. 83-100.

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l’anthropologie »11, et « un dialogue interdisciplinaire difficile »12. Mais la mois-son scientifique est abondante. Sans tenter de la résumer, je me limiterai à évo-quer brièvement les convergences thématiques, en m’attachant surtout audialogue entre les deux disciplines.

À part quelques pionniers comme Alain Collomp13, les modernistes sesont intéressés à la parenté plus tard que les médiévistes, auxquels, en France,le colloque tenu à Paris en 1974 a beaucoup contribué à faire découvrir lechamp de la parenté et la rigueur conceptuelle des anthropologues. Leséchanges ont été fructueux. En 1977, Pierre Guichard14, étudiant l’Espagnemusulmane, distinguait des structures « orientales » et « occidentales », et JackGoody15 utilisa cette opposition comme point de départ pour sa réflexionaudacieuse sur l’évolution du mariage pendant tout le Moyen Âge.

C’est que dans le champ du phénomène familial, les modernistes se sontlongtemps intéressés à la démographie historique, puis, à partir d’un projetde Peter Laslett16, aux types de ménages. L’étude de cet objet occasionna unéchange scientifique qui me paraît typique en ce que les anthropologues sontplus particulièrement soucieux de rendre compte des fonctionnementssociaux. P. Laslett avait élaboré une liste de formes de ménages, très précisemais statique ; celle-ci fut, en quelque sorte, subvertie par une notion bienconnue des anthropologues, celle de cycle de vie et de développement fami-lial, qui apporta une vision cinématique et montra qu’une même famille pou-vait passer successivement par plusieurs des formes de Laslett. Un problèmeconnexe est celui des modes de transmission du patrimoine, qui permet depenser l’articulation de la parenté et de la terre. Il a fait l’objet d’un très richetravail inter-disciplinaire17. Certains chercheurs ont associé le dépouillementd’archives, remontant aux XVIIIe ou XVIIe siècle, et des entretiens dans lesmaisonnées18 : on ne semble pas loin, ici, d’une fusion des deux disciplines.Ces travaux concouraient à distinguer des modèles familiaux à l’échelle euro-

13. Alain COLLOMP, « Alliance et filiation en Haute-Provence au XVIIIe siècle », Annales ESC, 32/3,mars-avril 1977, p. 445-477. ; id., La maison du père, Paris, PUF, 1983.

14. Pierre GUICHARD., Strucures sociales « orientales » et « occidentales » dans l’Espagne musulmane,Paris-La Haye, Mouton et EHESS, 1977.

15. Jack GOODY, L’évolution de la famille et du mariage en Europe, Paris, Colin, 1985 [1983]. Surcet ouvrage, Anita GUERREAU-JALABERT, « La parenté dans l’Europe médiévale et moderne : à proposd’une synthèse récente », L’Homme, n° 110, 1999, p. 69-93.

16. Peter LASLETT (dir.), Household and Family in Past Time, Cambridge, Cambridge UniversityPress, 1972.

17. Bernard DEROUET, « Pratiques successorales et rapport à la terre : les sociétés paysannesd’Ancien Régime », Annales ESC, 44/1, janvier-février 1989, p. 173-206 ; « Parenté et marché foncier àl’époque moderne : une réinterprétation », Annales HSS, 56/2, mars-avril 2001, p. 337-368. RolandeBONNAIN, Gérard BOUCHARD, Joseph GOY, Transmettre, hériter, succéder. La reproduction familiale enmilieu rural. France-Québec, XVIIIe-XXe siècles, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1992.

18. Marie-Claude PINGAUD, « Partage égalitaire et destins des lignées », Annales de Démographiehistorique, 1995, p. 17-33.

19. André BURGUIERE, « Pour une typologie des formes d’organisation domestique de l’Europemoderne (XVIe-XIXe siècles) », Annales ESC, 41/3, mars-avril 1986, p. 639-655.

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péenne, et à le faire dans la synchronie, ou comme des structures de longuedurée. Les types d’organisation domestique ont été ramenés par AndréBurguière19 à trois : famille-souche, famille nucléaire, et communauté fami-liale. Les modes de transmission du patrimoine dans les paysanneries, selonGeorges Augustins20, peuvent relever de logiques de trois types : celles de« maison », où l’on institue un héritier unique21 et où les relations sociales sontconçues comme des relations entre maisons ; celle de logique parentélaire, oùle partage égalitaire détermine une mobilité élevée et des relations avec despartenaires qui sont à la fois des voisins et des cousins ; celle de « lignage »enfin, déterminée par l’héritage entre frères. Ces deux typologies sont liéesmais ne se superposent pas terme à terme. L’ouvrage collectif Histoire de lafamille, publié en 1986 et dirigé par deux historiens et deux ethnologues, estparticulièrement représentatif de cette approche pluri-disciplinaire22.

Plus récemment, il n’est pas possible de rendre compte ici de tous lesthèmes qui ont fait converger les observations des historiens et des anthropo-logues : parenté spirituelle23, pratique généalogique24, choix du conjoint25,alliance dans la parenté proche26.

Les historiens en sont arrivés à s’intéresser à la parenté en tant que rela-tions : sociabilité, solidarité ou conflits, alliance matrimoniale. Cet intérêtrécent pour les relations de parenté résulte à la fois d’une extension du champd’observation des historiens de la famille, et de l’essor de l’histoire politique etd’une approche sociale de celle-ci. Un peu partout, en effet, on observe quel’appropriation et la transmission des charges de justice et de finances, ainsi quedes bénéfices ecclésiastiques27, dépendaient des liens familiaux et suivaient leslignes des parentèles. C’est aussi l’intérêt accordé aux phénomènes de clientèlesqui a conduit à consacrer plus d’attention aux relations de parenté qui, souvent,les recouvraient ; Sharon Kettering28 écrit que la société du XVIe siècle était « a

20. Georges AUGUSTINS, Comment se perpétuer ? Devenir des lignées et destins des patrimoines dansles paysanneries européennes, Nanterre, Société d’ethnologie, 1989.

21. Anne ZINK, L’héritier de la maison. Géographie coutumière du Sud-Ouest de la France sous l’AncienRégime, Paris, Éditions de l’EHESS, 1993. Élie PELAQUIER, De la maison du père à la maison commune,Saint-Victor-de-la-Coste en Languedoc rhodanien (1661-1799), Montpellier, Publications de l’UniversitéPaul Valéry, 1996.

22. André BURGUIERE, Christiane KLAPISCH-ZUBER, Martine SEGALEN et Françoise ZONABEND,Histoire de la famille, Paris, Colin, 1986.

23. Françoise HERITIER, Elizabeth COPET-ROUGIER, La parenté spirituelle, Paris, 1995.24. Tiphaine BARTHELEMY, Marie-Claude PINGAUD, La généalogie entre science et passion,

120e Congrès des Sociétés historiques et scientifiques, Section anthropologie et ethnologie françaises,Paris, Éditions du CTHS, 1997. Christiane KLAPISCH-ZUBER, L’ombre des ancêtres. Essai sur l’imagi-naire médiéval de la parenté, Paris, Fayard, 2000.

25. Guy BRUNET, Antoinette FAUVE-CHAMOUX, Michel ORIS, Le choix du conjoint. PremiersEntretiens de la Société de Démographie historique, Paris, 1998.

26. Pierre BONTE, Épouser au plus proche. Inceste, prohibitions et stratégies matrimoniales autour dela Méditerranée, Paris, Éditions de l’EHESS, 1994.

27. Christophe DUHAMELLE, L’héritage collectif. La noblesse d’Église rhénane, XVIIe et XVIIIe siècles,Paris, Éditions de l’EHESS, 1998.

28. Sharon KETTERING, « Patronage and Kinship in Early Modern France », French HistoricalStudies, vol. 16, n° 2, 1989, p. 408-435 (p. 409).

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kinship dominated society », mais constate que nous connaissons peu de chosesur la façon dont fonctionnaient ces relations. Enfin, l’intérêt récent pour laparenté résulte de la vogue de la notion de réseau ; à côté du voisinage, de larelation de clientèle et, plus rare, de l’amitié, la parenté est un des types fonda-mentaux de relation29. Reste à observer, pour elles-mêmes et selon lescontextes, les modalités que pouvaient avoir les différentes sortes de relationsde parenté.

Ce faisant, les historiens n’empruntent à l’anthropologie qu’un champd’études. À propos de l’alliance matrimoniale, un champ inclus dans le précé-dent car conclure un mariage, c’est créer ou réactualiser une relation, les his-toriens emploient de plus en plus les concepts et les problématiques del’anthropologie. Il en est ainsi de l’observation de l’égalité ou de l’inégalitédans l’alliance. En première approximation, l’homogamie sociale ou socio-professionnelle était une tendance fréquente, mais n’excluait pas des différencesde statuts ou de revenus ; les travaux se multiplient qui commencent à observerdes phénomènes d’hypogamie et d’hypergamie30. Cette problématique n’est passans rapport avec la précédente, car un mariage inégal donnait, au parent ensituation de supériorité, l’opportunité de trouver, en son gendre, son beau-frèreou, à la génération suivante, certains cousins, des fidèles ou des clients.

Les historiens se font plus nombreux aussi à envisager l’alliance matrimo-niale en tant qu’échange. On sait que l’anthropologie structurale a fait uneavancée considérable lorsqu’en 1981 Françoise Héritier a étendu l’observa-tion des phénomènes d’échange aux systèmes semi-complexes. Alors que lessystèmes dits élémentaires prescrivent dans quelle catégorie chacun doitprendre un conjoint, d’autres systèmes formulent explicitement des interdits,définis par rapport à Ego, qui portent, soit sur des groupes (systèmes semi-complexes), soit sur des positions de parenté (systèmes complexes). Dans lessystèmes semi-complexes, Françoise Héritier31, grâce à l’informatique, amontré la fréquence d’échanges selon trois modalités : des mariages consan-guins juste au-delà de la limite de l’interdit, des échanges restreints entre deuxpatrilignages, et enfin des échanges généralisés cycliques. Cette avancée repose le

29. Jose Maria IMIZCOZ BEUNZA, « Communauté, réseau social, élites. L’armature sociale del’Ancien Régime », in Juan Luis CASTELLLANO et Jean-Pierre DEDIEU (dir.), Réseaux, familles et pou-voirs dans le monde ibérique à la fin de l’Ancien Régime, Paris, CNRS-Éditions, 1998, p. 31-66.

30. Philippe MAURICE, La famille en Gévaudan au XVe siècle (1380-1483), Paris, Publications de laSorbonne, 1998. Michel NASSIET, Parenté, noblesse et États dynastiques, XVe-XVIe siècles, Paris, Éditionsde l’EHESS, 2000, p. 135-156. Claire CHATELAIN, « La famille Miron. Parentés, politique et promo-tion sociale (XVIe-XVIIe siècles) », thèse sous la direction de Robert Descimon, EHESS, 2001.

31. Françoise HERITIER, L’exercice de la parenté, Paris, Gallimard-Seuil, « Hautes Études », 1981.Françoise HERITIER, Elizabeth COPET-ROUGIER, Les complexités de l’alliance, les systèmes semi-complexes,Paris, Éditions des Archives Contemporaines, 1990.

32. Pierre LAMAISON, «Les stratégies matrimoniales dans un système complexe de parenté: Ribennesen Gévaudan (1650-1830)», Annales ESC, 34/4, juillet-août 1979, p. 721-743. Elizabeth CLAVERIE et PierreLAMAISON, L’impossible mariage.Violence et parenté en Gévaudan, XVIIe-XVIIIe-XIXe siècles, Paris, Hachette,1982.

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problème du passage aux systèmes complexes d’alliance, dont relèvent les socié-tés chrétiennes. Or, la troisième modalité est tout à fait analogue aux cycles obser-vés par P. Lamaison32 en Gévaudan entre des lignées patrimoniales, c’est-à-diredes lignées d’héritiers successifs, et fermés en des délais allant jusqu’à sixgénérations. Plus récemment, David W. Sabean33 vient d’observer, dans unvillage du Wurtemberg, au cours du premier tiers du XVIIIe siècle, non seule-ment des échanges généralisés cycliques, mais aussi des échanges entrelignées alternées, qui permettent de renouveler régulièrement les alliancesentre deux familles tout en respectant les interdits de consanguinité ; ainsi letaux de consanguinité est presque nul, alors que les alliances sont orientéespar des mariages remarquables et des phénomènes d’échange. GérardDelille34, de son côté, vient de montrer, de même, des cas d’échanges entre« lignées alternées masculines » en Europe aux XVIe et XVIIe siècles. Il y a donclà convergence, non seulement sur l’objet observé, mais également sur lesrésultats de l’observation.

Las! Cette convergence apparaît au moment où justement, la théorie lévi-straussienne de l’échange devient objet de controverse et est frappée d’un«malaise», dont témoigne le volumineux numéro de L’Homme de l’année 2000:«Question de parenté». Déjà, pour certains anthropologues, l’affaire est entendue,et les historiens feraient mieux de s’abstenir d’intervenir sur l’échange; pourFrançoise Héritier35, en revanche, « la théorie de l’échange n’est pas encore mise àbas». On constate ainsi qu’il n’y a pas une histoire ni une anthropologie qui ris-queraient de manquer un rendez-vous. Il y a des convergences et des divergencesentre certains historiens et anthropologues, et il y a des divergences entre histo-riens, de même qu’il y en a entre anthropologues, quand ce ne sont pas desincompréhensions36.

Les divergences sont suscitées d’abord par les différences entre les objetsobservés. Dans les sociétés européennes, la filiation est cognatique, indifféren-ciée, si bien qu’en principe, il n’existe pas de groupes de filiation, discrets, sus-ceptibles d’être des unités collectives actrices du mécanisme d’échange. Aussi

33. David WARREN SABEAN, Kinship in Neckarhausen, 1700-1870, Cambridge, CambridgeUniversity Press, 1998 (cf. RHMC, 47-3, juillet-septembre 2000, p. 645-647).

34. Gérard DELILLE, « Échanges matrimoniaux entre lignées alternées et système européen del’alliance : une première approche », in Jean-Luc JAMARD, Emmanuel TERRAY et MargaritaXANTHAKOU, En Substances. Textes pour Françoise Héritier, Paris, Fayard, 2000, p. 219-252. Cf. aussiMichel NASSIET, Noblesse et pauvreté. La petite noblesse en Bretagne, XVe-XVIIe siècle, Rennes, Sociétéd’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, 1993, p. 286-287. M. NASSIET, Parenté… op. cit., p. 169-173.« Alliances redoublées » entre deux lignages, C. DUHAMELLE, L’héritage… op. cit., p. 132 sq.

35. Françoise HERITIER, « À propos de la théorie de l’échange », L’Homme, n° 154-155, avril-septembre 2000, p. 117-121.

36. «Ce n’est donc pas sans effarement que je lis çà et là dans ce numéro que j’ai institué commepremières les unités protagonistes de circuits d’échange et donné précédence à la filiation sur l’alliance…»(Claude LEVI-STRAUSS, «Postface », L’Homme, n° 154-155, avril-septembre 2000, p. 713-720 [p. 717]).

37. «Renchaînement d’alliance: mariage entre individus qui partagent en commun soit un consanguinéloigné, soit un allié » (« Glossaire de la parenté », L’Homme, n° 154-155, avril/septembre 2000, p. 721-732 [p. 722]).

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les figures de l’alliance, repérées par les anthropologues, sont-elles définies parrapport à des individus, comme ce que les historiens appellent des «mariagesremarquables », ainsi que les renchaînements d’alliance37 définis par FrançoiseZonabend. En revanche, certains historiens sont tentés, à propos des élites de lafin du Moyen Âge et de l’époque moderne, noblesses, patriciats, d’y voir deslignages, et plus précisément des patrilignages, par conséquent des groupes dis-crets, susceptibles d’avoir été des unités échangistes. La réflexion sur lesgroupes de filiation suscite d’autres convergences avec des anthropologues.Dans la paysannerie bretonne aisée, Tiphaine Barthélémy38 décrit ce qu’elleappelle des «parentèles patronymiques ». Ce sont des groupes familiaux biendélimités, dotés d’un nom patronymique, rassemblant les «descendants, par leshommes ou par les femmes, d’un ancêtre commun». La transmission de laterre, ou bien une influence politico-religieuse, a souvent joué un rôle majeurdans la constitution de ces groupes. Celle-ci, enfin, a nécessité un temps d’aumoins trois générations. Cette observation montre qu’un groupe de filiation secaractérise d’abord par la conscience qu’en ont ses membres, ce qui nécessiteune construction, laquelle passe nécessairement par le truchement de représen-tations ; que cette conscience ne recoupe pas strictement les règles d’héritage ;enfin que cette construction nécessite plusieurs générations. De telles observa-tions sont précieuses pour poser le problème de l’existence de lignages dans lesélites des siècles passés, une question qui ne fait pas l’unanimité parmi les his-toriens.

Anita Guerreau-Jalabert a proposé le concept de « topolignée», qui exprimece fait fondamental que, dans les noblesses comme dans certaines paysanneries,la lignée est cristallisée par l’exercice de droits sur le sol : à l’occurrence d’une filleunique, une châtellenie passait aux enfants de l’héritière, et c’était une lignéeindifférenciée qui était ainsi reproduite39. Mais ce concept présente l’inconvé-nient de passer sous silence plusieurs types de pratiques.Tout d’abord, il suppose

38.Tiphaine BARTHELEMY, « Qu’est-ce qu’une parentèle ? Étude de cas bretons », Actes du ColloqueAnthropologie sociale et Ethnologie de la France, Louvain, Peeters, 1989, p. 103-109 ; « Pratiques succes-sorales et mobilité sociale : exemples bretons », in Gérard BOUCHARD et Joseph GOY. (dir.), Famille,économie et société rurale en contexte d’urbanisation (XVIIe-XXe siècles), Chicoutimi, Paris, SOREP-EHESS,1990, p. 57-66.

39. « La nociòn de “topolinaje”, que permite expresar la articulaciòn, fundamental en la socie-dad feudal, entre parentesco y espacio, en la que el linaje (que no tiene nada que ver con un grupode unifiliaciòn, paro que puede ser consirado como una parentela descendente) sòlo recibe su sus-tancia, su coherencia y su continuidad a travès de la forma en que se inserta en un territorio (seño-rio, exploitaciòn), cuya composiciòn puede variar pero cuya posiciòn està fijada globalmente y cuyaentidad residencial simboliza materialmente la permanencia » : Anita GUERREAU-JALABERT, « El sistemade parentesco medieval : sus formas (real/espiritual) y su dependencia con respecto a la organizaciòndel espacio », in R. PASTOR, Relaciones de poder, de producciòn y parentesco en la edad media y moderna,Madrid, CSIC, 1990, p. 85-106.

40. Cf. par exemple les Rohrbach à Francfort : écrivant dans la décennie 1470, Bernhard ne pou-vait guère remonter l’histoire familiale au-delà de 1400 ; l’ascension de sa lignée avait été reconnue parune lettre de concession d’armoiries de chevalier par l’empereur Frédéric III, et avec son frère, il ins-titua une procession annuelle en l’honneur de leur défunt père en 1474 (Pierre MONNET, Les Rohrbachde Francfort. Pouvoirs, affaires et parenté à l’aube de la Renaissance allemande, Genève, Droz, 1997).

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une exacte adéquation de l’ensemble des lignées et de celui des lieux, ce quiignore les créations de lignes cadettes. Il ne rend pas compte des multiples modesde représentations élaborées par les élites pour rendre manifestes des lignées surplusieurs générations40, et qui étaient généralement patrilinéaires ; parmi cesreprésentations figure l’héraldique, qui permettait d’exprimer des enjeux fami-liaux, qui eux-mêmes pouvaient prendre une dimension politique. Il n’expliquepas, non plus, les préférences patrilatérales qui se manifestaient, soit en cas d’hé-ritage (pactes de famille en Allemagne et dans le royaume de Naples), soit demariage d’une héritière41, là où le droit de celle-ci était reconnu. Ce sont, enfin,les troubles divers lors de l’occurrence d’une héritière, dont la gamme allait durapt de celle-ci, ce qui n’est pas indifférent à l’histoire des femmes, jusqu’à desguerres sur plusieurs générations entre les principaux royaumes d’Europe, ce quin’est pas indifférent à l’histoire politique et à l’histoire tout court.

La difficulté théorique est que, dans les noblesses européennes comme dansles paysanneries aisées du Gévaudan ou de Bretagne, la filiation présente tour àtour des caractères indifférenciés et une inflexion patrilinéaire. Dans ces discus-sions, on le voit, les lignes de clivage ne passent pas entre historiens et anthropo-logues. Quant aux mariages contractés par les élites, une partie seulement peutêtre interprétée dans une logique d’échange. C’est qu’on ne dispose pas d’unethéorie globale sur les systèmes complexes.

Aussi est-il un peu curieux que la notion de maison, avancée par Lévi-Strauss, n’ait guère encore été utilisée par les historiens. Cette théorie part del’idée que dans les sociétés à systèmes de parenté indifférenciés, l’exercice dedroits sur le sol semble inséparable de la parenté; en d’autres termes, une caracté-ristique des sociétés à maisons est la dualité entre la lignée et la terre. La maisonest un groupe non unilinéaire ; C. Lévi-Strauss la définit comme une «personnemorale, détentrice d’un domaine» composé de biens matériels et immatériels, et«qui se perpétue en transmettant son nom, sa fortune et ses titres en ligne directeou fictive, tenue pour légitime à la seule condition que cette continuité puisses’exprimer dans le langage de la parenté ou de l’alliance et, le plus souvent, desdeux ensemble»42. Cette définition trouve des illustrations très concrètes dans lespratiques héraldiques de la parenté43. Cette théorie paraît donc susceptible dedépasser les contradictions évoquées ci-dessus sur les groupes de filiation. Enoutre les sociétés à maisons sont hiérarchiques, et le double type d’alliance hypo-gamique/hypergamique en est constitutif44. Jusqu’à présent, cette théorie a donnélieu à des études diachroniques et comparatives de la part d’anthropologues et

41. M. NASSIET, Parenté… op. cit., p. 70-71.42. Claude LEVI-STRAUSS, Paroles données, Paris, Plon, 1984, p. 190 ; « Histoire et ethnologie »,

Annales ESC, 38/6, novembre-décembre 1983, p. 1217-1231 (p. 1224).43. Michel NASSIET, « Nom et blason : un discours de la filiation et de l’alliance », L’Homme,

n° 129, 1994, p. 5-30.44. Claude LEVI-STRAUSS, Paroles données, op. cit., p. 216.45. Rosemary A. JOYCE, Susan D. GILLESPIE, Beyond Kinship. Social and Material Reproduction

in House Societies, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2000.

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d’archéologues45. Il est tentant de penser qu’elle puisse susciter d’autres étudescomparatives, incluant des sociétés médiévales ou de l’époque moderne.

Il me semble enfin qu’une caractéristique classique du travail historique parrapport à l’anthropologie reste l’attention privilégiée accordée au changement.Les études actuelles évoquées ci-dessus sur les pratiques d’alliance en fournis-sent deux exemples. Dans maintes élites, un mode successoral consistant à pri-vilégier un héritier unique et destiner les cadets au célibat définitif s’est diffuséà partir de la fin du XVIe siècle46. Dans les populations rurales, la fréquencedes mariages consanguins a augmenté considérablement, selon des chronolo-gies assez voisines, à partir de la deuxième moitié du XVIIe ou au cours duXVIIIe47. David W. Sabean observe aussi l’augmentation des alliances entreaffins. D.W. Sabean et G. Delille pensent que ces deux évolutions sont liées. Ily a là deux faits qui posent de vastes questions, et sur lesquelles les recherchesactuelles permettent d’espérer d’intéressantes avancées.

Dans l’ensemble, nous avons constaté un regain de convergences, portantsur des objets et des problématiques, et des dialogues qui transcendent leslimites disciplinaires. Les perspectives se dessinent d’autres études compara-tives. Il reste, me semble-t-il, que les historiens étudient toujours des phéno-mènes individualisés par leur position dans l’espace et le temps, tandis quel’anthropologie s’attache essentiellement au système et à ses règles. Sommetoute, le travail de deux disciplines différentes et le débat entre celles-ci estpeut-être plus fécond que ce que procurerait une difficile fusion.

L’ANTHROPOLOGIE AU SEIN DES SCIENCES SOCIALES HISTORIQUES

Michel NAEPELS (GTMS, CNRS-EHESS)

C’est ma pratique même d’ethnologue travaillant dans le centre de la

46. Dans la noblesse d’Église rhénane, le nombre moyen d’hommes mariés par fratrie baisse àpartir de la deuxième moitié du XVIIe siècle (C. DUHAMELLE, L’héritage… op. cit. p. 220). C’est le casaussi en Espagne avec la pratique du majorat (J. P. DEDIEU, « Familles, majorats, réseaux de pouvoir.Estrémadure, XVe-XVIIIe siècle », in Réseaux…, op. cit., p. 111-145).

47. Jean-Marie GOUESSE, « Mariages de proches parents (XVIe-XXe siècle). Esquisse d’uneconjoncture », in Le modèle familial européen : normes, déviances, contrôle du pouvoir, Rome, École fran-çaise de Rome, p. 31-61. André BURGUIERE, « Cher cousin : les usages matrimoniaux de la parentéproche dans la France du XVIIIe siècle », Annales HSS, 52/6, novembre-décembre 1997, p. 1339-1360.Gérard DELILLE, Famille et propriété dans le royaume de Naples (XVe-XIXe siècle), Rome-Paris, École fran-çaise de Rome/Éditions de l’EHESS, 1985 ; « Réflexions sur le « système » européen de la parenté et del’alliance », Annales HSS, 56/2, mars-avril 2001, p. 369-380.

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Nouvelle-Calédonie (dans la région de Houaïlou), qui m’a conduit à effec-tuer un certain nombre de recherches historiques, et à fréquenter à l’occasionle CARAN, le CAOM, les archives de Nouvelle-Calédonie ou les archives mili-taires de Vincennes. En effet, si on souhaite comprendre ces objets classiquesde l’anthropologie politique que sont la tenure foncière ou la chefferie tels qu’ilsse présentent réellement dans l’enquête ethnographique – c’est-à-dire si on veutdécrire les conflits fonciers contemporains ou ce qu’est un chef aujourd’huidans la région de Houaïlou –, il est indispensable d’adopter une perspectivepermettant une contextualisation historique de la conjoncture présente(Naepels, 1997, 1998). C’est particulièrement évident en Nouvelle-Calédonie,en raison d’un siècle et demi de colonisation : la situation foncière a été mar-quée par des spoliations coloniales massives et le cantonnement des Kanaksdans des réserves, et l’organisation sociale indigène a été pensée et remodeléeau XIXe siècle par l’administration militaire puis civile de la colonie qui s’inspi-rait des modèles de gouvernement colonial élaborés en Algérie. Ce n’est certespas à un auditoire d’historiens que je vais montrer que l’étude du passé peutnous aider à comprendre le présent – ce qu’il faut pourtant, à l’occasion, rap-peler à certains ethnologues.

J’ajoute un autre préalable : il me semble que l’anthropologie est une disci-pline faible, ou pour le dire autrement, peu disciplinée. Les effectifs de cher-cheurs sont peu importants ; l’anthropologie n’est pas enseignée dans lesecondaire et ne connaît donc pas cet étonnant dispositif disciplinaire qu’estl’agrégation ; elle est marginale dans l’enseignement supérieur, ce qui entraînenotamment une formation disparate de la corporation dont une partie signifi-cative n’a commencé l’anthropologie qu’au niveau des études doctorales(après avoir suivi des études de philosophie, de sociologie, de lettres clas-siques, d’histoire, de médecine, etc.). Cette grande disparité est sans doute à lafois notre force et notre faiblesse : les ethnologues partagent peu de para-digmes, et tolèrent des formes de construction de l’objet tout à fait diverses,des plus innovatrices aux plus stupides, des plus empiriques aux plus spécula-tives. Cet état de fait interdit en tout cas de parler au nom de tous : je ne donneici qu’un avis personnel sur l’état des rapports entre anthropologie et histoire,ou plutôt de l’involution propre de l’anthropologie dans ses relations avecl’histoire, sous la forme de trois remarques.

L’anthropologie est une science historique

« Il vient un moment, dans l’évolution des idées, où de vieux problèmes sont au fondliquidés, même si on continue à en parler par habitude » (Veyne, 1971, p. 381).

Aucune société n’est sans passé, sans dynamique interne, hors du temps,a-historique. Et d’ailleurs, qui soutiendrait encore cette thèse? Si on admet quel’anthropologie est une science sociale (plutôt qu’un discours sur l’homme engénéral), elle est, du même coup, une science historique. Cette unité fondamen-tale a été marquée depuis longtemps par certains épistémologues des sciences

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sociales, tels P.Veyne: «Entre l’histoire, l’ethnographie descriptive et la sociologiecomme histoire de la civilisation contemporaine, la distinction est purement tradi-tionnelle ou fondée sur les institutions universitaires » (1971, p. 38) ; ouJ.C. Passeron: «Les sciences historiques […] comprennent, outre l’histoire, cesformes moins averties, mais tout aussi dépendantes de l’historicité de leurs objets,que sont la sociologie et l’anthropologie» (1991, p. 357). Ou pour le dire plus bruta-lement, avec la verve de P.Veyne: «On ne va tout de même pas prendre la répar-tition des chaires en Sorbonne pour un système des sciences» (1971, p. 370).

Dans le champ de la réflexivité anthropologique, l’historicité des sociétésdécrites par les ethnographes et la nécessité de les réinscrire dans la temporalitéont été récemment thématisées par J. Fabian (1983), puis par N.Thomas (1989[trad. fr. 1998]), ou en France par A. Bensa qui a montré le profit que les ethno-logues pouvaient tirer en s’inspirant de la micro-histoire (1996) : les années1980-1990 ne sont pas pour les anthropologues celles de l’indifférence par rap-port à l’histoire48. À vrai dire, ce qui suscite l’étonnement n’est pas tant cette thé-matisation, que le fait qu’il faille la répéter sans cesse depuis au moins les années1940, quand M. Gluckman dans le monde anglo-saxon puis G. Balandier enFrance insistèrent sur le lien essentiel existant entre l’actualité de l’enquête eth-nographique et l’historicité des sociétés étudiées. L’un des points importantsaujourd’hui me semble être que la position historiciste tend à devenir dominantedans le champ de l’anthropologie, ce que C. Lévi-Strauss lui-même admet dansun compte rendu d’ouvrage publié dans le dernier numéro de L’Homme (2002,p. 168-169). Peut-être sortons-nous du moment structuraliste?

« L’allongement du questionnaire »

Immanuel Wallerstein a récemment proposé une analyse du découpagedisciplinaire des sciences sociales au cours de leur institutionnalisationentre 1848 et 1914, et examiné les postulats qui le fondent49. Il montre ainsicomment les sciences sociales se sont arrimées au cadre de l’État-Nationeuropéen, à l’exception des disciplines coloniales que furent l’anthropologieet l’orientalisme qui rejetaient les sociétés colonisées hors de l’histoire. « Laclassification des sciences sociales fut construite autour de deux antinomiesqui ne suscitent plus guère le large soutien dont elles ont autrefois bénéficié :l’antinomie entre passé et présent, et l’antinomie entre disciplines idiogra-phiques et nomothétiques. Une troisième antinomie, celle qui oppose lemonde civilisé et le monde barbare, ne dispose plus ouvertement que de raresdéfenseurs mais, en pratique, continue d’imprégner l’esprit de nombreux uni-

48. C’est au cours de cette même période que M. Sahlins publie son célèbre ouvrage Des îlesdans l’histoire (1985 [trad. fr. Gallimard, 1989]).

49. Immanuel WALLERSTEIN, Impenser la science sociale. Pour sortir du XIXe siècle, [1991], Paris,PUF, 1995, p. 109, 249-250, 269-289, et Ouvrir les sciences sociales. Rapport de la Commission Gulbenkianpour la restructuration des sciences sociales, présidée par IW, Paris, Descartes & Cie, 1996, p. 7-38.

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versitaires » (1996, p. 100). Cette analyse conduit Wallerstein à proposer unerestructuration institutionnelle du champ des « sciences sociales historiques ».

Est-ce à dire que les historiens en sont quittes avec l’anthropologie, ouqu’ils en ont toujours fait sans le savoir ? Leur convergence épistémologiqueimplique-t-elle une fusion de l’histoire et de l’anthropologie, ou l’englobementde celle-ci dans celle-là, ce qui justifierait la fièvre obsidionale de nombreuxethnologues ? J’ai simplement voulu dire que la tradition conceptuelle etméthodologique qu’elle représente quant à l’analyse des sociétés peut et doitêtre défendue dans le seul cadre de sa participation à l’unité plus vaste des« sciences sociales historiques ».

De mon point de vue, l’apport de la tradition anthropologique à la disci-pline historique peut s’énoncer sous une forme très générale, en suivant unefois encore P.Veyne : elle permet de « se poser sur l’homme de plus en plus dequestions » (1971, p. 281), et de contribuer ainsi à l’allongement de la liste dequestions qu’on pose aux documents et à l’élargissement du champ de visionde l’historien. Au-delà de cette position générale, je souhaite indiquer rapide-ment deux directions plus spécifiques pouvant impliquer de nouvelles conver-gences entre histoire et anthropologie qui ne seraient pas seulement l’étude des« mentalités », de la « culture » ou de « l’altérité », ou l’approche de champs thé-matiques spécifiques tels que l’étude de la parenté. Quant au fond, l’anthropo-logie a développé de nombreuses réflexions sur l’historicité – non passeulement sous la forme de l’opposition entre sociétés froides et sociétéschaudes, dont on ne voit pas très bien que faire, mais plus spécifiquement enréfléchissant aux conditions de la mise en discours et de la mémorisation d’unfait50. Le débat sur l’utilisation des sources orales en histoire a tout à gagner,me semble-t-il, à s’inspirer de cette réflexion. Du point de vue de la méthode,la spécificité de l’ethnographe reste qu’il produit ses sources. La questionthéorique que cette production entraîne n’est pas seulement de savoir que fairede la subjectivité de nos interlocuteurs ou du manque de fiabilité du souvenir,mais bien celle du poids du dispositif ethnographique, c’est-à-dire d’un savoirqui ne peut s’élaborer qu’en présence de l’enquêteur, dans une relation d’in-terlocution, au sein d’un réseau social préexistant. L’immense quantité deréflexions actuelles sur le « terrain » peut ainsi être lue comme une contributionà la « lutte contre l’optique imposée par les sources » que P. Veyne appelait deses vœux (1971, p. 295).

Le passé, le réel et le possible

50. Cf. notamment Jean BAZIN, « La production d’un récit historique », Cahiers d’études africaines,1979, n° 19, p. 435-483, Jocelyne DAKHLIA, L’oubli de la cité. La mémoire collective à l’épreuve du lignagedans le Jérid tunisien, Paris, La Découverte, 1990. Je me permets de renvoyer également à M. NAEPELS,« Le conflit des interprétations. Récits de l’histoire et relations de pouvoir dans la région de Houaïlou(Nouvelle-Calédonie) », dans B. MASQUELIER, J.-L. SIRAN (éd.), Pour une anthropologie de l’interlocu-tion. Rhétoriques du quotidien, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 337-357.

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Assumer l’inscription de l’ethnographe dans une conjoncture, dans unehistoricité, implique-t-il de faire disparaître toute spécificité de l’approcheanthropologique par rapport à l’histoire ? Je souhaite évoquer pour finirquelques réflexions proposées par J. Bazin, mon regretté maître, dans unarticle important d’épistémologie de l’anthropologie51. Il y définit la perspec-tive anthropologique par une double exclusion. En affirmant que dans la pra-tique ethnographique, « je n’observe jamais que des situations » (1996, p. 418),il invite à en assumer l’historicité, et à refuser de faire des comportementsobservés ou des énoncés enregistrés les symboles exemplaires d’une culture.Ainsi, à une démarche sémiotique ou herméneutique, il préfère une perspec-tive pragmatique, centrée sur la logique des actions et des énonciations d’indi-vidus inscrits dans une histoire.

Mais ce point étant acquis, J. Bazin refuse le primat accordé par le dis-cours historique à la modalité du réel (P. Veyne lui-même écrit : « L’histoireapparaît comme une simple description de ce qui s’est passé », 1971, p. 222).Pour J. Bazin, la perspective historique, si elle est essentielle à l’anthropologie,n’est pourtant qu’instrumentale. « Ce que je vise à établir n’est pas ce qui s’estréellement passé, mais, pour un cas donné, la « syntaxe » ou la « logique » desactions plausibles » (1996, p. 418). Il s’agit ainsi de s’intéresser à la variationdes comportements humains pour comprendre « le fait anthropologiquequ’aucune action humaine, si étrange qu’elle puisse m’apparaître, ne sauraitm’être radicalement étrangère, autrement dit que, s’il s’agit d’humains, je doispouvoir apprendre à agir comme eux » (à paraître). « C’est pourquoi, dans lamesure où cet intérêt anthropologique prend le dessus sur le goût souventimmodéré pour l’exercice monographique, j’écris dans la modalité du pos-sible, pas dans celle du réel, modalité dominante du discours historique. Jedécris ce qu’est, dans une conjoncture donnée, le choix des actions plausibles,je n’explique pas des faits. J’ai donc à l’histoire sensiblement le même rapportà la fois attentif et libre, sinon même insouciant, qu’entretenait Machiavel avecTite-Live » (1996, p. 420).

On comprend bien que l’analyse de Jean Bazin nous mène au-delà de l’op-position de l’idiographique et du nomothétique, et que ce qui définit pour luila portée anthropologique d’une œuvre n’est pas affaire de discipline ou d’ins-titutions, mais d’écriture. Une approche praxéographique du passé rendantcompte des événements accomplis dans leur champ de possibilité, attentive àl’obscurité et à la complexité des actions humaines en même temps qu’à la

51. J. BAZIN, « Interpréter ou décrire. Notes critiques sur la connaissance anthropologique », dansJ. REVEL, N. WACHTEL (éd.), Une école pour les sciences sociales, op. cit., p. 401-420.

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capacité d’agir des sujets, est peut-être aussi pour la discipline historique l’unde ses horizons actuels.

BIBLIOGRAPHIE (CONTRIBUTION DE M. NAEPELS)

BAZIN Jean, « La production d’un récit historique », Cahiers d’études africaines, 1979,n° 19, p. 435-483.

BAZIN J., « Interpréter ou décrire. Notes critiques sur la connaissance anthropolo-gique », in Jacques REVEL, Nathan WACHTEL (éd.), Une école pour les sciencessociales. De la VIe section à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris, Cerf,1996, p. 401-420.

BAZIN J., « Si un lion… », in I. DELPLA (éd.), Philosophia scientiae, 7 : « L’usageanthropologique du principe de charité », Paris, Kimé, à paraître.

BENSA Alban, « De la micro-histoire vers une anthropologie critique », inJacques REVEL (éd.), Jeux d’échelles, Paris, Gallimard-Seuil, « Hautes Études », 1996,p. 37-70.

DAKHLIA Jocelyne, L’oubli de la cité. La mémoire collective à l’épreuve du lignage dans leJérid tunisien, Paris, La Découverte, 1990.

FABIAN J., Time and the Other. How Anthropology Makes its Object, New York,Columbia University Press, 1983.

LÉVI-STRAUSS Claude, Compte rendu de R. DeMallie (éd.), Handbook of NorthAmerican Indians. 13 : « Plains », L’Homme, 2002, n° 164, p. 167-169.

NAEPELS Michel, « “Il a tué les chefs et les hommes”. L’anthropologie, la colonisationet le changement social en Nouvelle-Calédonie », Terrain, 1997, n° 28 : « Miroirs ducolonialisme », p. 43-58.

NAEPELS M., 1998, Histoires de terres kanakes. Conflits fonciers et rapports sociauxdans la région de Houaïlou (Nouvelle-Calédonie), Paris, Belin, « Socio-histoire », 1998.

NAEPELS M., « Le conflit des interprétations. Récits de l’histoire et relations de pou-voir dans la région de Houaïlou (Nouvelle-Calédonie) », dans B. MASQUELIER,J.-L. SIRAN (éd.), Pour une anthropologie de l’interlocution. Rhétoriques du quotidien,Paris, L’Harmattan, 2000, p. 337-357.

PASSERON Jean-Claude, Le raisonnement sociologique. L’espace non-poppérien du rai-sonnement naturel, Paris, Nathan, 1991.

SAHLINS Marshall, Des îles dans l’histoire, [1985], Paris, Gallimard-Seuil, « Hautesétudes », 1989.

THOMAS Nicholas, Hors du temps. Histoire et évolutionnisme dans le discours anthro-pologique, [1989], Paris, Belin, « Socio-histoires », 1998.

VEYNE Paul, Comment on écrit l’histoire, Paris, Points-Seuil, 1971.

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WALLERSTEIN, Immanuel, Impenser la science sociale. Pour sortir du XIXe siècle,[1991], Paris, PUF, 1995.

WALLERSTEIN I. (éd.), Ouvrir les sciences sociales. Rapport de la CommissionGulbenkian pour la restructuration des sciences sociales, présidée par IW, Paris,Descartes & Cie, 1996.

DÉBAT

Marc VENARD

Ethnologie, anthropologie : s’agit-il exactement de la même chose et peut-on en parler au singulier ?

Pierre RAGON

S’agissant de l’implantation de l’anthropologie historique en France, sansdoute faut-il aussi mentionner deux noms qui, me semble-t-il, ont été impor-tants, au moins pour Nathan Wachtel à un moment donné, il s’agit de TomZuidema qui me semble avoir été une référence théorique, et Miguel LéonPortilla, dont je m’interroge sur l’impact en France.

Plus généralement, peut-être manque-t-il une pièce à notre puzzle ? Jeveux parler de l’apport des historiens italiens, et notamment du courant de lamicro-histoire : certains, comme Giovanni Levi ou Carlo Ginzburg, ont aussiregardé une certaine anthropologie.

Serge GRUZINSKI

Je suis convaincu qu’on ne peut parler d’histoire et d’anthropologie au sin-gulier. À partir du moment où l’on parle des histoires, cela devient pratique-ment impossible. Il faut prendre des variables multiples d’un côté et de l’autre,et essayer de réfléchir. Pour répondre à P. Ragon, il est vrai, mais ce n’était pasle propos, que l’on aurait pu également mentionner les noms de TomZuidema, de John Murra et tout le monde andin. Cependant, le propos n’estpas ici, à mon sens, de réfléchir sur l’importance de ce débat en France. Il estbeaucoup plus important de poser les problèmes dans un rayon d’action beau-coup plus vaste, en sortant du cadre franco-français et de notre franco-cen-trisme habituel. L’histoire se fait aussi ailleurs, et sans nous ; de même,l’anthropologie n’est pas condamnée à se borner à l’héritage lévi-straussien.Vude l’étranger, Lévi-Strauss est peut-être moins important qu’il ne l’a été ouqu’il ne l’est encore en France. Cet exercice de relativisation et de distanciationest difficile mais indispensable. En ce qui concerne l’Italie, toute la généalogiede Ginzburg et de la micro-histoire est effectivement importante. Plus large-ment, c’est l’anthropologie italienne qui est trop souvent ignorée, à l’exempled’Ernesto de Martino, dont ni les historiens, ni mêmes les anthropologues,n’ont encore assimilé l’œuvre majeure. Au total, c’est bien un problème de per-méabilité au monde extérieur qui est central.

Michel MORINEAU

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Dans son introduction, Philippe Minard a fait état de différentes opposi-tions entre l’histoire et les sciences voisines depuis les années 1950. Il faudraitremonter beaucoup plus haut, car ces contacts ou ces oppositions ont existédepuis beaucoup plus longtemps. Faut-il, par exemple, considérer queVoltaire, dans l’Essai sur les mœurs, est un historien ou un anthropologue ? Audébut du xxe siècle, c’est l’histoire et la sociologie qui s’opposent, à travers ledébat entre Simiand et Seignobos.

À mon sens, l’opposition entre histoire et anthropologie ne doit pas êtreexagérée. Ainsi, présenter les rapports entre Braudel et Lévi-Strauss sous laseule forme du conflit me semble bien réducteur : cette opposition fut davan-tage le fait des lecteurs de Braudel et des lecteurs de Lévi-Strauss, c’est-à-diredes épigones, qui ont forcé les divergences. Observons d’ailleurs que le travailde Lévi-Strauss ou de Leon Portilla était déjà connu dans les années 1960,même s’ils n’étaient pas souvent lus. Enseignant au lycée du Mans dans lesannées 1960, j’ai ainsi donné comme sujet de composition : « Peut-on parler detristes tropiques en géographie ? ».

Dernier point, dans les emprunts que l’histoire fait aux autres disciplines,il est remarquable d’observer que, bien souvent, l’histoire réagit de manièreimmédiate, et s’empare avec enthousiasme de choses fausses ou, du moins, dechoses qui vont paraître fausses ou dépassées par la suite. C’est par exemple lecas en histoire économique, où l’on a disserté si longtemps sur les théoriesd’Hamilton, ou sur les cycles et intercycles, avant d’en revenir. De même, lesmentalités ont été à l’honneur grâce à Lucien Febvre, puis ont été violemmentremises en cause. C’est actuellement la notion de culture qui est en faveur,mais pose bien des problèmes. Pour faire une comparaison provocatrice, enFrance, l’excision est condamnée du point de vue juridique, en Afrique elle estdéfendue au nom de la culture. La circoncision fait-elle partie de la culture,et/ou au nom de quoi doit-elle être interdite, d’un point de vue juridique ?Quantité de questions sont ainsi éludées.

L’opposition entre histoire et anthropologie est du même ordre.L’anthropologie ne va pas jusqu’au bout. L’exemple du livre récent de LucetteValensi sur La fuite en Égypte, par ailleurs excellent, l’illustre bien : si l’étudehistorique est très bien menée, en reprenant tous les textes écrits sur cettequestion, en essayant d’en voir la résonance dans les différentes religions, ellene résoud pas le problème de fond de l’adhésion des personnes au récit desévénements, chose sur laquelle l’auteure reconnaît qu’elle butte. Dira-t-on quecela relève de la philosophie ? En réalité, cela fait partie de ce que l’on appelle-rait anthropologie. Pour moi, l’opposition entre histoire et anthropologie n’estguère féconde ; c’est bien plutôt d’une « archéoscopie » dont il faudrait parler,s’intéressant à l’évolution globale de l’humanité en très longue durée.

Michel NAEPELS

Un mot sur la première intervention et sur ce qui vient d’être dit. Il n’y acertes aucune raison qu’il y ait un rapport privilégié entre histoire et anthropolo-

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gie. Je sais que la SHMC a consacré une journée aux relations entre l’histoire etla sociologie de Pierre Bourdieu. Dans mon esprit, il va de soi qu’il n’y a aucuneraison pour que le dialogue entre l’histoire et l’anthropologie soit privilégié parrapport au dialogue entre l’histoire et d’autres sciences sociales.

Je veux revenir sur le rapport ethnologie-ethnographie-anthropologie, cettebelle pyramide classique : pour dire les choses d’une manière très terre à terre,du point de vue de l’institution, c’est la même chose. Il y a une seule section duCNU pour les anthropologues, les ethnologues ou les gens qui se revendiquenttels. Une autre chose est de savoir quelle est la signification épistémologique decette pyramide, de cette idée que les anthropologues passeraient d’une descrip-tion, d’une enquête sur le terrain qui serait de l’ethnographie, à des monogra-phies ethnologiques, puis à une comparaison à visée universaliste – de savoir sicette description- là de la discipline correspond à la réalité des pratiques derecherche. À mon avis, la réponse est simple : des anthropologues, à ce compte-là, il y en a trois ou quatre en France, Claude Lévi-Strauss, Françoise Héritier,Alain Testart : c’est à peu près tout. Tous les autres s’inscrivent dans une pers-pective monographique, idiographique. L’article de Jean Bazin dont j’ai parlétout à l’heure propose de sortir de cette opposition idiographique/nomothé-tique, ou singulier/universel, pour avancer l’idée selon laquelle, à travers l’étudede cas ou de situations absolument singulières, l’anthropologie fait l’effort demontrer en quoi les logiques d’action qui y sont à l’œuvre nous sont compré-hensibles, et sont en quelque sorte des variantes de celles que nous employonsnous-mêmes. Est-ce que cela, c’est de l’universel ou du singulier ? je crois que leproblème ne se pose plus dans ces termes pour Bazin.

Il y a en tout cas un formidable coup de force de la discipline, en tantqu’elle s’appelle « anthropologie », à vouloir en permanence jouer sur undouble tableau : on fait du terrain, on mène des enquêtes ethnographiquesdans des situations absolument singulières d’un côté, mais on parle del’homme en général de l’autre. À mon avis, ce coup de force-là doit être défaità tout prix, car il ne se fonde sur rien.

Jocelyne DAKHLIA

Je voulais surtout dissiper un malentendu avec J.-C. Martin. Le problèmen’est pas que les historiens préfèrent citer le bon Dieu plutôt que ses saints. Ceque je voulais pointer, c’est l’asymétrie persistante – je ne connais pas d’an-thropologues qui spontanément vont se référer à Braudel ou à Detienne, alorsqu’en sens inverse cela fonctionne, effectivement. D’autre part, le fait que,souvent, les historiens qui font de l’anthropologie historique se contentent decapter quelques grandes figures, révèle une vision purement abstraite et théo-rique des autres sociétés, qui serait inconcevable transposée à leurs propresterrains d’étude. Cela révèle un désintérêt pour la véracité même des modèleset leur mise à l’épreuve en cours. On a des modèles finalement déréalisés, de cefait. Comme le disait M. Naepels, c’est le problème de l’histoire qui n’est plusarrimée au réel.

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Dominique JULIA

Que l’histoire soit une pratique prédatrice qui emprunte aux sciences voi-sines concepts et méthodes, et parfois de manière sauvage, nous le savionsdepuis longtemps. Si je me limite au champ européen, il y a eu effectivementdans les années 1970, comme le rappelait Philippe Minard dans son introduc-tion, un moment de rencontre particulièrement intense entre anthropologie ethistoire, qu’il s’agisse des questions posées par le Montaillou d’Emmanuel LeRoy Ladurie ou celles ouvertes par I Benandanti (1966 ; traduction française :Les Batailles nocturnes, 1980) et par Il formaggio e i vermi de Carlo Ginzburg(1976), ou encore par le livre de Jeanne Favret-Saada, Les mots, la mort les sorts(1977). Le problème peut-être plus crucial aujourd’hui est que, les produc-teurs d’histoire ayant triplé ou quadruplé depuis trente ans, nous avons de plusen plus de mal à maîtriser notre propre champ historiographique et que nosincursions dans le champ de la recherche anthropologique en train de se fairesont par définition plus limitées, en fonction de nos propres intérêts et de nosobjets d’étude : d’où très certainement des décalages, qui induisent des mécon-naissances ou des équivoques. D’une certaine façon, l’historien a toujours eu àl’égard des sciences voisines une attitude « utilitaire » : ce dont il s’empare, c’estl’outil opératoire qui peut lui permettre d’entrer plus avant dans la compré-hension des phénomènes historiques qu’il a à traiter.

S’agissant plus particulièrement de l’anthropologie religieuse, on n’a peut-être pas assez remarqué combien un livre comme celui d’Alphonse Dupront,Du Sacré (1987), était nourri d’une analyse du présent et tout particulièrementde l’enquête qu’il a menée pendant vingt-cinq ans à l’École des Hautes Étudessur les pèlerinages français contemporains : les observations les plus péné-trantes de cette étude sur l’homo religiosus occidentalis dans la très longue duréeproviennent d’une enquête sur le terrain et d’une observation directe et fine despratiques qu’il aimait à désigner, parfois peut-être abusivement, «du MoyenÂge en place ». Ce qui est sûr, c’est que la démarche régressive employée, duprésent au passé, permettait de reposer aux documents écrits du passé desquestions venues d’une anthropologie des gestes religieux contemporains :Alphonse Dupront s’était rapidement rendu compte de la vanité d’une enquêtepar questionnaires écrits dont les réponses lui renvoyaient surtout l’érudition(et parfois la cécité) des « clercs » qui les avaient rédigées. Du même coup, l’en-quête orale sur le terrain avait pris le dessus, même si elle portait sur des siteslimités, et Alphonse Dupront, au fur et à mesure que l’entreprise se prolongeait,avait un vif sentiment de l’urgence, tant il sentait son objet d’étude s’effacer,sous la double pression d’un effritement des traditions dans un monde rural enpleine transformation, et des éradications, brutales provoquées par un jeuneclergé interprétant à sa manière les réformes du Concile Vatican II. C’est peut-être d’ailleurs dans la distance géographique (ainsi Guadalupe au Mexique)que nous pouvons le mieux essayer d’imaginer aujourd’hui ce qu’ont pu signi-fier les grands pèlerinages dans l’ancienne Europe.

Je n’ai évoqué ici les questions soulevées par l’anthropologie religieuse

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d’Alphonse Dupront que pour souligner à quel point les historiens se trouventsouvent démunis pour répondre de manière précise aux interrogations venuesde celle-ci : il ne nous est que rarement donné de saisir le sens que les acteursdonnaient à leurs gestes, tant ces gestes ou ces actes appartenaient à l’évi-dence, n’avaient pas besoin d’être explicités et, faisant partie de l’ordre despratiques, n’ont pas à être écrits. Notre problème n’est pas de savoir s’il existeune catégorie générale du sacré dans les sociétés que nous étudions mais desaisir sur des objets précis comment celle-ci fonctionne, à tel moment précisde l’histoire, à travers les paroles et les gestes des acteurs. J’ajoute que je rejoinstout à fait Jean-Clément Martin sur la manière dont nous avons à déconstruireles catégories historiographiques dont nous sommes les héritiers. Il est clairque bien souvent, nous n’arrivons à saisir croyances et gestes religieux quedans les moments où ceux-ci ont donné lieu à des conflits, parce que ceux-cilaissent des traces écrites, et que nous sommes réduits, pour le reste, à travaillersur les textes normatifs. Mais nous devons songer aussi à la manière dont lesdébats et les oppositions qui traversent les écoles historiques peuvent venir« piéger » en quelque sorte notre propre réflexion : pour avoir travaillé récem-ment sur les reliques sous la Révolution française, j’ai pu mesurer à quel pointun tel objet est systématiquement méconnu par les deux historiographies,ecclésiastique et jacobine, attachées chacune soit à dénoncer les actes impiesdes « hordes » révolutionnaires, soit, dans une perspective rationaliste des pro-grès de l’esprit humain, à manifester l’éradication des superstitions. L’image laplus courante que nous avons gardée de la période de « déchristianisation »active est celle de l’autodafé où le corps saint est brûlé avec les statues et lesornements liturgiques, avant que ses cendres ne soient dispersées dans lefleuve ou la rivière voisine. Les choses sont en réalité infiniment plus com-plexes et la solution la plus fréquente, en raison même des résistances despopulations au moment où les autorités révolutionnaires viennent s’emparerde l’argenterie des reliquaires, a sans doute été celle de l’inhumation (dansl’église même ou dans le cimetière voisin), que l’on pourrait définir commeune profanation « réversible ». Celle-ci est très certainement, de la part desautorités, une solution de compromis, un moyen de calmer les foules extrême-ment mêlées qui assistent aux opérations, sont prêtes, pour des motifs trèsdivers, à s’approprier sauvagement tous les ossements, et ne sont quasimentplus contrôlables. Cette profanation est réversible, puisque l’été 1795 pourraitêtre défini comme un « printemps » des corps saints, où les reliques sont solen-nellement transférées dans les édifices religieux rendus au culte dans uneconcurrence aiguë entre clergé constitutionnel et clergé réfractaire : car plus larelique est ancienne et insigne, plus elle légitime le pouvoir sacral de l’évêquequi la « reconnaît ». J’ajoute à ce tableau de la période révolutionnaire que lafocalisation des deux historiographies, ecclésiastique et jacobine, sur lesconflits des deux clergés au moment de la Constitution Civile du Clergé amanqué un phénomène essentiel : l’appropriation paroissiale, en 1790-1791,des trésors de reliques conservés dans les monastères, appropriation qui a

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donné lieu à de solennelles translations et peut expliquer l’attachement popu-laire vis-à-vis de ces mêmes reliques trois années plus tard. Je n’ai pris cetexemple particulier que pour faire voir à quel point les questions venues del’anthropologie religieuse ne peuvent émerger dans notre travail historiquequ’en brisant les schémas des historiographies antécédentes, en revenant auplus près des sources pour les interroger à nouveaux frais, et en recontextuali-sant, de la manière la plus précise, les phénomènes observés.

Denis MATRINGE

Je voudrais évoquer le cas de l’Asie du Sud, en prenant comme point dedépart deux ouvrages récents : le numéro de la revue L’Homme consacré aux« intellectuels nomades en diaspora », paru en 2001, sous la direction de JackieAssayag et le livre de David Ludden, Reading Subaltern Studies, paru à Delhiégalement en 2001. Il va donc s’agir, dans ce bref propos, de ce que l’on aappelé les subaltern studies, qui sont un cas intéressant des effets de rencontreentre histoire et anthropologie dans l’apparition d’un certain type de travaux.Comment les subaltern studies se sont-elles dévelopées dans un contexte indien,et dans les écrits d’intellectuels indiens implantés dans les universités aux États-Unis, d’où ils peuvent s’exprimer et écrire avec autorité, jusqu’à rendre incon-tournables pour le champ des positions relevant de cette approche?

Les choses ont commencé au début des années 1980, avec une critique dela façon dont l’histoire des mouvements coloniaux était faite, à la fois par d’an-ciens colonisateurs se penchant sur leur passé, notamment à travers l’École deCambridge, et par des Indiens qui, tout comme eux, avaient une vision de l’his-toire comme étant l’histoire de la lutte contre le colonialisme, et avant tout le faitdes élites ; donc une critique aussi de cette histoire telle qu’elle était écrite pardes Indiens qui voyaient dans les élites la force motrice du mouvement anti-colonial. Les mouvements paysans n’étaient là qu’une sorte de sous-chapitresouvent négligé, et un groupe d’historiens, autour de Ranajit Guha, a doncvoulu redonner la parole à ces « subalternes » de l’histoire que sont les paysans,en partant d’un travail qui comporte de fait une dimension anthropologique, deterrain, puisqu’il s’agit entre autres d’analyser des récits, des textes, des mythes,mais aussi d’observer des pratiques, de les rattacher à des sources si possiblevernaculaires, pour aboutir à la construction d’une subjectivité subalternestructurée par la résistance à la répression. D’emblée, on observe un certainnombre de questions, concernant notamment le rapport entre cette situationsubalterne et la situation économique desdits subalternes, situation qui pouvaitêtre changeante, et qui pouvait alors introduire une attitude différente de la partdes groupes qui avaient été subalternes.

À partir du début des années 1990, on observe un glissement dans ces tra-vaux: le concept de répression se déplace vers une histoire culturelle du colonia-lisme. Le sujet subalterne est désormais moins un rebelle politique qu’une voixétouffée ou déformée par les catégories d’analyse occidentales. On assiste donc àun élargissement considérable du champ d’investigation de ces recherches, avecd’une part une distinction très forte entre les études de la première génération

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que j’ai évoquées, et celles de cette deuxième période ; et d’autre part, avec uneglobalisation de la problématique de ces subaltern studies, qui échappent à uneréflexion sur le seul colonialisme indien, et à une critique de la seule École deCambridge appliquée à l’histoire du colonialisme; enfin, on assiste en mêmetemps à une coupure encore plus grande avec l’histoire économique.

Depuis la fin des années 1990, on a assisté à un autre écart par rapport à laproblématique d’origine, qui, pour parler en termes calqués sur Michel Foucault(référence chère aux «subalternistes»), prend pour objet l’insurrection des savoirsdominés. Pour ces auteurs, les discours que l’on continue d’étouffer étaient héri-tiers de savoirs constitués dont l’apport a été nié au nom d’une histoire linéairefondée sur le savoir européen et occidental. Ce nouveau type d’étude, quidéborde me semble-t-il très largement les volumes des subaltern studies, et est pré-sent sous différentes formes, concerne aussi la période très contemporaine, avecune attention accrue portée aux techniques traditionnelles comme possiblemoyen de résistance à la mondialisation économique et culturelle. L’un des cas lesplus frappants est la tentative de reviviscence par des activistes écologistes et poli-tiques de techniques traditionnelles de gestion de l’eau en Inde, pour s’opposer àl’emprise des grands groupes de distribution et d’assainissement de l’eau. Il y aaussi une dimension historique, avec une critique très forte du concept européo-centré de révolution industrielle, mais aussi de la révolution du savoir à laRenaissance, en disant que l’histoire du savoir telle qu’elle a été écrite jusqu’ici, neprend pas en compte des savoirs vernaculaires, indigènes, locaux, qui étaient dansun dialogue très fort avec les savoirs européens à l’époque de la première moder-nité. Il y a bien entendu, en filigrane de ces études, une critique de l’impositiondes catégories occidentales de la pensée. On met par exemple en avant le fait que,quand les premiers voyageurs occidentaux en Inde regardent les rituels, ils n’em-ploient presque jamais le mot de religion, qui est surimposé ensuite.

Voilà en gros les trois grands moments de ces « études subalternes », issuesd’une forme particulière de contact entre anthropologie et histoire, dans l’aireculturelle indienne.

Étienne ANHEIM

Je voudrais faire deux remarques. La première, au sujet de ce qui a été ditsur la violence des oppositions disciplinaires et le changement des alliances del’histoire. Il a été question tout à l’heure, par exemple, des collaborations nou-velles entre histoire et droit. Ces changements d’alliance ne sont pas seulementdes modes, elles révèlent aussi des conflits sous-jacents – et dans ce cas juste-ment, un conflit avec l’anthropologie. Prenons un exemple : le recours deCarlo Ginzburg à l’anthropologie dans ses travaux sur le sabbat et la sorcelle-rie, a eu une assez grande postérité en Italie, puis plus largement en France,aux États-Unis et dans les pays de l’Est. Ses conclusions sont cependantaujourd’hui largement discutées en France, en Allemagne et surtout en Suisse,et ceux qui critiquent le plus l’utilisation de l’anthropologie dans les sources detype judiciaire sollicitées pour le sabbat sont au contraire à la pointe de l’al-

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liance entre histoire et droit. Cela ne signifie pas que dans d’autres débats oud’autres contextes, il ne puissa pas y avoir des collaborations disciplinairesentre anthropologie et droit, mais que du moins, dans ce cas-là, le recours àl’une ou l’autre discipline oppose les historiens.

Il ne faut pas sous-estimer ces conflits, et les rapports entre histoire etanthropologie, dans la pratique quotidienne, restent parfois très difficiles. En1976, par exemple, le colloque de Fanjeaux consacré à la religion populairedans le Midi au Moyen Âge a donné lieu à d’âpres discussions. Plusieursjeunes historiens, en particulier Jean-Claude Schmitt, ont introduit un certainnombre de concepts anthropologiques dans leur analyse de certaines pratiquesdu christianisme médiéval. Les témoins racontent que le débat est devenu siviolent que des participants tenants d’une approche plus classique ont fini parquitter la salle, comme à l’Assemblée nationale. Dans bien des cas, ces débatsexistent encore, sur un mode mineur, étouffés seulement par l’atonie généraledes discussions méthodologiques actuelles. Certains historiens ont soulignéaujourd’hui la découverte précoce de l’anthropologie lors de leurs études, et lafluidité du passage d’une discipline à l’autre, mais il ne faut pas avoir unevision trop irénique des rapports entre histoire et anthropologie.

La deuxième remarque concerne la définition disciplinaire de l’histoire parrapport à l’anthropologie. Certains intervenants ont parlé des historiens endisant qu’ils seraient plutôt du côté de la recherche du changement, ou encorequ’ils s’intéresseraient à la spécificité des contextes, par rapport à une anthro-pologie à visée très universaliste. Cette opposition-là ne me convainc pas, et jerejoins plutôt ce que disait M. Naepels sur la collaboration et la très grandeproximité aujourd’hui entre histoire et anthropologie – mais d’une certainefaçon, le problème n’est pas là, dans notre désaccord. Ce qui me frappe surtout,c’est qu’en utilisant ces divisions, nous réinventons en quelque sorte le débat de1903 entre Simiand et l’école méthodique, mais cette fois entre anthropologieet histoire : on répète que d’un côté, il y aurait des descriptions et du change-ment, et de l’autre une science sociale qui viserait une très grande généralité pardes systèmes figés et des explications. Un débat comme celui d’aujourd’hui doitpeut-être aussi contribuer à arrêter de toujours rejouer la même scène primi-tive. S’il y a une cumulativité du savoir empirique, il peut aussi y avoir unecumulativité du savoir épistémologique sur nos disciplines. Actualiser les débatsvoudrait peut-être dire, par exemple, réfléchir en termes sociologiques à nospropres positions. Quand on dit qu’histoire et anthropologie ont un rapportdéséquilibré, quand on dit que les historiens vont chercher des outils intellec-tuels chez les anthropologues, et les anthropologues guère chez les historiens, cen’est pas parce qu’il y a une essence de l’historien ou de l’anthropologue : c’estsurtout parce que l’histoire est en position ultra-dominante du point de vue deses structures institutionnelles, et l’anthropologie est dans une position difficileen termes de disciplinarisation et d’institutionnalisation. Ce rapport domi-nant/dominé joue un rôle dans la façon dont les concepts s’échangent. Demême que les problèmes de formation jouent un rôle. La plupart des gens qui

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font de l’histoire ont un cursus d’historien. Ce n’est pas du tout le cas, commeM. Naepels l’a rappelé, des anthropologues, qui ont des formations d’unegrande pluralité. On peut d’ailleurs remarquer pour finir l’importance de laphilosophie dans ces disciplines : Lévi-Strauss, dont on a beaucoup parlé, estphilosophe de formation. La place de la philosophie dans ces disciplines, tardvenues par rapport à l’histoire dans l’institution universitaire, a une grandeimportance du point de vue de la production de concepts. Ce qui est vrai del’anthropologie, l’est aussi d’une autre science sociale dominée, la sociologie :Bourdieu, Durkheim sont des philosophes. Ainsi, après s’être interrogé sur lesrapports entre les différentes sciences sociales, il n’est pas impossible que nosdébats nous conduisent à reprendre à nouveaux frais la question des liens entreles sciences sociales et la philosophie.

Philippe MINARD

Serge Gruzinski a fait allusion tout à l’heure au fait que l’anthropologietraversait une crise. Pourquoi ? Ma seconde question, adressée à JocelyneDakhlia, concerne les décalages qu’elle observait entre des historiographiesinégalement constituées, du côté du Maghreb et du côté de la France, avec ledanger d’une condescendance possible du côté des historiens « occidentaux »par rapport aux historiens du Maghreb. Est-ce à dire que nous sommescondamnés à ce qu’il y ait des étapes obligées dans les parcours historiogra-phiques, et qu’il faille attendre que l’historiographie du Maghreb passe par lesmêmes étapes par lesquelles nous sommes passés ?

Jean-Clément MARTIN

Je voudrais revenir sur l’intervention d’Étienne Anheim et sur ce qui a plusgénéralement été dit. Il y a un mot qui revient régulièrement, et j’avoue ne pasdu tout l’accepter, c’est le mot « discipline historique ». Il me semble qu’il y a unrisque de confusion : l’histoire est une pratique, qui a indiscutablement desrègles, qui fonctionne avec un certain nombre de méthodes, qui se tient dansun débat public, mais il ne me semble pas que l’on puisse limiter l’histoire àl’histoire universitaire, à l’histoire faite par la communauté scientifique. Aussiquand Étienne Anheim parle de Fangeaux, il y a automatiquement risque demalentendu : la rencontre et l’échange entre des publics si divergents, des his-toriens universitaires qui peuvent avoir une culture, un recul, des gens quiviennent là par adhésion, des chercheurs qui sont engagés eux-mêmes dansune quête personnelle, sont toujours délicats, car les concepts employés par lespremiers, dans un cadre purement spéculatif, ne sont pas compris par lesautres, qui attendent des confirmations de leurs cadres de pensée. Je dirais quecela a été ma vie quotidienne pendant une dizaine d’années avec la Révolutionet la Contre-Révolution, blocs qui ne sont pas le champ réservé des historiens« scientifiques » – eux-mêmes souvent mus là-dessus par des motifs peu scien-tifiques. Il n’en résulte pas une communauté scientifique organisée autourd’institutions précises, comme l’anthropologie même si celle-ci est traverséecomme toutes les institutions par des conflits et des tensions. En ce qui

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concerne l’histoire, l’enseignement universitaire interfère dans cet ensemblesans pouvoir l’unifier, ni le réguler, ce qui est certainement une faiblesse maisaussi une chance si l’on veut considérer les facteurs de renouvellement quiexistent ainsi dans les marges institutionnelles.

Jocelyne DAKLHIA

Je reprends la question de Ph. Minard tout d’abord. C’est effectivementle problème que j’essayai de formuler : celui de la linéarité de l’expériencehistorique. Moi, j’aimerais bien qu’il n’y ait pas d’étapes obligées, et qu’il s’im-pose à tout le monde comme une évidence qu’il y a quelque chose de neuf ducôté du Maroc ou de la Tunisie, j’aimerais bien que mes collègues du CRH levoient immédiatement et se précipitent pour en savoir plus. A priori, bien sûr,on ne voit pas pourquoi il y aurait linéarité, mais dans les faits, cela est avéré : lesquestions qui émergent sont souvent les mêmes qui ont été traitées en Franceou en Italie. Par exemple, actuellement, on commence à avoir un intérêt pour lamicro-histoire, sans la pratiquer, mais on a envie de savoir ce que c’est. Donc ily a toujours dix ou vingt ans de décalage, même si les choses n’émergent pasnécessairement dans les mêmes termes. Peut-être que notre rôle pourrait êtrejustement de faire comprendre précisément en quoi les termes sont différents,mais cela vient dans un moment où ça n’intéresse plus personne.

Il est vrai aussi, pour rejoindre ce qu’a dit Denis Matringe ou ce que disaiten introduction Serge Gruzinski, qu’il n’y a pas dans le cas du Maghreb, desubalternisme militant, conquérant et ouvert sur le monde, mais il y a ou il y aeu un subalternisme de fait. Quand Serge Gruzinski évoquait les cultural stu-dies et cette question des sources qui ne seraient valides que quand elles sontrédigées dans les langues indigènes, c’est exactement ce que l’on entend dansl’ensemble des pays arabes depuis les années 1970, où l’on récuse les sourcesdites coloniales, les sources européennes, de découvertes, etc. On les appelaitd’ailleurs génériquement les « voyageurs », c’est-à-dire les gens qui ne faisaientque passer, et donc qui ne connaissaient pas le pays de l’intérieur. Cela com-mence seulement à être remis en question depuis quelques années, de mêmeque l’on commence à peine à remettre en question l’idée que le seul historienlégitime est celui qui parle de l’intérieur de sa société. Notre rôle est peut-êtrejustement de briser l’apparente linéarité de toutes ces transmissions, enessayant, non pas de faire du « politiquement correct », en montrant tout lecaractère subalterniste de ces historiographies, mais en cassant cette appa-rence de suivisme, en faisant ressortir l’écart et la nouveauté.

Serge GRUZINSKI

Je voudrais revenir sur une question institutionnelle. Il est important devoir que la rhétorique de la pluridisciplinarité, utilisée à l’envi par la directiondu CNRS, est en réalité découragée sur le plan des pratiques de recherche. Auniveau des recrutements et de l’examen des travaux, la situation est complète-ment archaïque, puisque c’est au contraire la spécialisation des anthropo-logues qui est recherchée, conduisant à des resserrements étroits sur la

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discipline. Cette situation paradoxale est catastrophique, d’autant plus que leformat de la thèse actuelle ne donne pas le temps aux anthropologues, souventdésireux d’acquérir une culture historique, de le faire.

Second point, pour revenir sur les propos de J. Dakhlia ou de D. Matringe :le problème auquel font aujourd’hui face les historiens français n’est pas le rap-port avec l’anthropologie, mais avec la nouvelle forme d’histoire qui est en traind’apparaître ailleurs, sous la forme des diverses versions des cultural studies.

Le danger d’une telle situation est celui de la marginalisation, de la péri-phérisation des problématiques françaises ou européennes. La critique denotre ethnocentrisme est certes tout à fait justifiée. Mais l’histoire telle qu’elleest enseignée dans les grandes universités américaines nous renvoie parfois àune situation très archaïque, où toute une série de sources historiques sontdéconsidérées. Il est navrant d’être obligé de se battre avec des collègues amé-ricains pour leur faire admettre que les chroniques de l’Archivio general deIndias, ces textes en espagnol, ont un intérêt pour comprendre l’histoire colo-niale… Or, les universitaires qui développent ces cultural studies ou cette formed’histoire sont en position de force, étant implantés dans les grandes universi-tés américaines, et disposant d’un fort pouvoir de prescription éditorial, grâceà la puissance de l’anglais ; de plus, ils utilisent parfois l’alibi qui consiste àrécuser notre supposé européo-centrisme, car ils sont d’origine indienne oulatino-américaine… Il s’instaure ainsi une doxa fort contestable, et qui appelleune réflexion de notre part, si nous ne voulons pas voir marginaliser les prin-cipes auxquels nous tenons.

Anne-Marie SOHN

Travaillant depuis longtemps sur l’histoire des femmes, de la vie privée,de la sexualité, on m’a successivement accolé les étiquettes de l’histoiresociale, puis de l’histoire des femmes, puis de l’anthropologie historique,enfin, depuis deux ou trois ans, l’histoire culturelle au sens de ces cultural stu-dies. Il est important de rester prudent face à ces nouveaux concepts, souventmis en avant par goût de la mode, et importés de façon assez confuse chez leshistoriens.

Je vais dans le même sens que S. Gruzinski, à propos des contraintes disci-plinaires et du manque de temps. La question de savoir pourquoi les historienscitent toujours les grands noms de l’anthropologie, morts ou quasi-statufiés,est exactement la même que de savoir pourquoi il est difficile pour les anthro-pologues d’acquérir une culture historique : le manque de temps. Je prends unexemple : En histoire des femmes, Françoise Héritier est devenue incontour-nable. Lire entièrement son œuvre, même pour la déconstruire et montrer quec’est une imposture du point de vue historique (à mon avis !), demande énor-mément d’investissement en temps. Donc, dans une discipline qui n’est pas lanôtre, il est logique d’en venir d’abord aux pères fondateurs, en ignorant l’eth-nologie en construction, qui certainement nous apporterait beaucoup. Entreparenthèses, l’utilisation que F. Héritier fait des historiens est choquante etméprisante, ce qui montre la difficulté du dialogue entre les deux disciplines.

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Robert DESCIMON

En ce qui concerne l’histoire telle qu’elle est faite dans les pays duMaghreb, il faut noter que de nombreux historiens, tunisiens par exemple,font des travaux sur la France tout à fait excellents et admirables. On peut évi-demment se poser la question de savoir s’ils ne sont pas quasiment, dans leurformation, des historiens français.

Pour en revenir à ce que disait A.-M. Sohn, s’approprier l’œuvre deF. Héritier est effectivement un travail immense, qui nécessiterait de s’appro-prier auparavant l’œuvre de Lévi-Strauss, et de Malinovski. Il est extrêmementdifficile pour l’historien de s’approprier une vaste culture anthropologique,tout en continuant d’entretenir son savoir disciplinaire d’historien. Ce pro-blème est un problème de formation. À cet égard, ce que disait M. Morineaum’a rappelé mes propres études, dans les années 1960 : dès le lycée, j’aientendu parler de Lévi-Strauss. Une page semble aujourd’hui tournée, ce qu’ilfaut regretter. Le temps des Sartre et des Barthes est bien révolu.

La force institutionnelle de l’histoire n’a pas que des aspects positifs, carelle a ce revers de la médaille terrible, l’académisme, symbolisé par l’agréga-tion. L’anthropologie se porte institutionnellement assez mal. En revanche, ilfaut reconnaître que les anthropologues ont une vision naturellement plus cri-tique : un jeune anthropologue, agrégé de lettres classiques ou de philosophie,a des instruments intellectuels qui parfois peuvent être plus puissants que ceuxd’un historien qui a suivi un cursus trop « normalisé ».

Enfin, signalons que le problème de la faiblesse institutionnelle de l’an-thropologie, à l’intérieur du monde universitaire, est souvent aggravé par lefait que les anthropologues s’opposent parfois entre eux, au risque de perdredes postes au profit d’autres disciplines, comme cela arrive dans certainsétablissements…

Ph. MINARD

Nous n’avons pas pu examiner tous les aspects des problèmes posés,mais au nom de la SHMC, je remercie chaleureusement tous les participantsd’avoir bien voulu nous aider à réfléchir ensemble.

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UN LIEU DE RENCONTRE INTERDISCIPLINAIRE :L’ASSOCIATION FRANÇAISE D’ANTHROPOLOGIE DU DROIT (AFAD)

L’AFAD a été créée en 1993 et compte à ce jour plus de 200 membres. Elles’est fixée pour objectif d’offrir un lieu de rencontre et de débats à tous ceux quela démarche de l’anthropologie du Droit intéresse. Cette discipline étudie les phé-nomènes juridiques dans la diversité de leurs manifestations culturelles, au seindes sociétés occidentales et non-occidentales. Elle s’appuie sur toutes les disci-plines juridiques et trouve aujourd’hui plus particulièrement à s’appliquer dansdes domaines tels que : droits de l’homme, des minorités et des peuples autoch-tones ; culture et développement ; modes judiciaire et extra-judiciaire de résolutiondes conflits ; relations familiales ; immigration ; théorie et histoire du Droit.

La promotion de l’enseignement de l’anthropologie du Droit est une des rai-sons d’être de l’AFAD. Des enseignements spécifiques ou faisant appel partielle-ment à l’anthropologie juridique existent dans une quinzaine d’universitésfrançaises (Paris I, II, VII, VIII, X, Artois, Aix-Marseille, Limoges, Toulouse,Perpignan, La Réunion, Clermont, Montpellier, Pau et Corte). Sous l’impulsiond’un membre de l’AFAD, le programme historique de la première année de Droita considérablement changé avec l’insertion obligatoire d’un cours intituléIntroduction historique au Droit qui répond à la démarche de l’anthropologie juri-dique, dans laquelle l’aspect comparatif est essentiel.

L’AFAD a organisé des séminaires ou des tables rondes dans le but de déve-lopper la connaissance de l’anthropologie du Droit et de débattre des orientationset des résultats des recherches en cours. Parmi quelques activités passées, desséminaires ont porté sur : L’Universalisme des Droits de l’homme en question…,Pourquoi le droit résiste-t-il aux sciences sociales, La médiation familiale, La socialisa-tion juridique, Droit, altérité et migrations internationales, L’ineffectivité du Droit, Lepluralisme : juridique ?, Les droits culturels dans le système des droits de l’homme,Minorités et souveraineté nationale, Actualité des problèmes fonciers en Afrique et enAsie du Sud-Est…

L’AFAD a organisé ou soutenu l’organisation de colloques : Le Juge, approcheanthropologique d’une figure d’autorité (Paris, L’Harmattan, 1998), L’État et le plura-lisme juridique, Mariage/Mariages (Paris, PUF, 2001), Aspects méconnus de l’esclavage.

Depuis mai 2001, l’AFAD a mis en chantier un ouvrage collectif à viséepédagogique sur l’anthropologie francophone du Droit. Chaque entrée aura desfins juridiques prenant en compte la diversité des situations en droit occidental etdans d’autres droits du globe. Ces entrées, et les équipes correspondantes, sont lessuivantes : 01 Démarche de l’anthropologie, Perception anthropologique du Droit,Grands thèmes. 02 Norme, normativité, juridicité. 03 Les parentés. 04 Violence, conflitset leurs règlements. 05 La formation des sociétés et des pouvoirs. 06 Sacralité et religion.07 Sol, territorialité, rapports fonciers. 08 Identité, appartenances, socialisation.09 Pluralisme. 10 Cultures juridiques, acculturation. 11 Droits de l’Homme, État deDroit, mondialisation du Droit. 12 Textes thématiques et Bibliographie commune.

La Lettre de l’AFAD informe périodiquement sur les activités de l’associa-tion et les publications d’ouvrages intéressant la discipline (www.u-paris10.fr/gdr1178/afad/afad.htm).

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